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Constitution
Pour une théorie constitutionnelle de la démocratie. A côté d'une pensée philosophique et sociologique
sur la démocratie, peut-il y avoir une pensée juridique sur la démocratie ? Le droit a-t-il à dire des
choses sur la démocratie ?
Introduction:
La principale difficulté pour les sciences humaines et sociales est que les objets sur lesquels nous avons
à travailler ne sont pas des objets qui sont donnés mais qui sont construits (l'Etat, la nation, la
démocratie, la famille, …). Par conséquent, selon le mode de fabrication de l'objet, le traitement qui
en sera fait sera différent. Il faut exposer le cadre à l'intérieur duquel on traite la question.
Cette position est indéfendable et ce n'est pas faire la totalité de son travail de juriste que de s'arrêter
à cette conception du droit. Un juriste ne peut pas se désintéresser de la question du contenu des
règles.
2. Le jus naturalisme : Il prend comme point de départ que le droit est donné à l'homme et c'est
pour cette raison que ce droit est neutre car il est supérieur et extérieur à l'homme. Cela
rejoint d'une certaine manière les positivistes. Qui donne le droit à l'homme ?
1. On a le jus naturalisme antique : Voir Michel Villey. L'homme n'occupe que la place que le
cosmos lui donne. Tout le malheur des hommes vient de ce que les hommes ne veulent pas
occuper la place qui leur est donné par le cosmos. Cf. Exemple de C. Taylor → « L'aigle et
le moineau ». Cette école a énormément de succès au Canada, aux Etats-Unis et
commence un peu en France. Cette doctrine a été reçue en France comme très
conservatrice. A l'inverse, au Canada et Etats-Unis cette doctrine a été reçue comme
progressiste car c'était pour défendre la manière de vivre des peuples autochtones. Qui sait
ce que la nature dit ? Ceux qui sont en contact avec le Cosmos → ceux qui savent le
déchiffrer : par exemple, les prêtres dans l'antiquité. Dans nos société modernes on a
remplacé le Cosmos par Dieu. C'est un droit d'origine divine.
2. On a le jus naturalisme moderne → on se repose sur la nature humaine. Kant considère que
nous avons des idées a priori et on va trouver dans la raison humaine les mêmes idées
partout. C'est toute l'influence du siècle des Lumières. Ce sont donc les philosophes qui
doivent gouverner.
On ne retiendra pas non plus cette méthode car le référent de cette école est un référent au contenu
instable qui ne permet pas de jouer le rôle qu'il prétend jouer, c'est-à-dire, d'extraire les règles
juridiques de la subjectivité des acteurs qui le pose. Si on se réfère à la nature humaine, qui a raison
Hobbes, Rousseau ou Sade ?
L'article 2 de la DDHC parle des droits naturels de l'homme. Il y aurait des droits qui seraient au-dessus
du politique et intouchable. Donc cette conception du droit est encore d'actualité. Et on a même un
retour en force de ce droit naturel.
Cette méthode naturalise des faits de culture, c'est l'oubli de la genèse, l'oubli de l'histoire et faisant
apparaître l'état des choses présente comme ayant toujours existé et comme devant toujours exister.
Elle éternalise une situation de fait en ignorant le processus historique par lequel elle s'est construite.
3. Le cadre régressif / progressif : c'est la méthode que l'on va retrouver beaucoup plus
développée dans l'introduction de L'être et le néant de Jean Paul Sartre. Cette méthode
consiste d'abord à prendre un fait d'expérience par exemple un considérant du CC, écrit en
1985, dit que la loi votée exprime la volonté générale dans le respect de la Constitution. La
méthode consiste à remonter dans le temps : on refait la généalogie de la fabrication de la
volonté générale. En remontant dans le temps on trouve ce que Sartre appel des médiations.
On va retrouver l'histoire et la philosophie permettant de comprendre les processus historiques
qui ont amené à ce que le conseil constitutionnel pose ce considérant. Cette méthode
réintroduit l'histoire.
Puis on se demande ce que cela projette comme configuration politique. Cette fois on
rencontre l’herméneutique, le langage, …
Avantages de cette méthode : elle donne à l'activité du juriste une position de contact, de connexion,
avec les autres disciplines. Un juriste meurt à rester dans le domaine du droit. Il s'enrichit à aller
chercher dans les autres savoirs.
1°- La démocratie est-elle un objet du droit ? Peut-elle faire l'objet d'une théorie constitutionnelle ?
Il n'est pas évident que le droit constitutionnel ait des choses à dire sur la démocratie. Un fait est que
lorsqu'il faut réfléchir sur cette question-là, on convoque des sociologues, historiens, philosophes,
économistes, mais rarement des juristes.
La démocratie n'est pas spontanément conçue comme un objet du droit. Il faut donc réfléchir sur les
conditions qui rendent possible de faire de la démocratie un objet du droit. Elles sont au nombre de
trois :
1. Il faut repérer et identifier les obstacles à cette reconnaissance de la démocratie comme objet
du droit.
2. Il faut reconnaître, dans l'expérience constitutionnelle la présence de l'objet « démocratie ».
3. Situer la reconnaissance de ce fait d'expérience dans le contexte historique présent.
Dans cet article Burdeau fait le bilan du déclin de la Constitution comme acte capable de rendre compte
des activités sociales et politiques d'une société. La Constitution a été faite pour mettre de l'ordre dans
la diversité des règles juridiques. Or, en 1956, la Constitution ne joue plus ce rôle, chaque discipline se
développant de manière autonome (droit du travail, droit administratif, etc.) cherchant ailleurs les
sources de leurs règles. En outre, la Constitution a été faite pour encadrer et diriger la vie politique.
C'était la manifestation de la raison dans le champ politique à l'instar de Descartes pour la nautre. Or,
Burdeau constate qu'il y a un décalage entre ce qui est écrit dans le texte des Constitutions et la
pratique suivie par les acteurs publics. Il conclu son analyse en jugeant que le droit n'a plus rien à dire
sur la vie politique. C'est une notion en survivance qui disparaîtra progressivement comme la Raison
disparaîtra progressivement comme principe de la modernité juridique.
A la même époque, Georges Vedel, lors du congrès de l'association internationale de science politique à
Rome publie un rapport en concluant que la séparation des pouvoirs comme principe fondamental du
droit constitutionnel moderne a vécu et ne permet plus d'expliquer les régimes constitutionnels et que
même s'il se trouve inscrit dans la Constitution il ne permet plus de rendre compte de la réalité
politique des Etats. Il propose une nouvelle typologie dans laquelle il met ensemble l'URSS et le
Royaume-Uni : il n'y a pas de séparation des pouvoirs, le parti a tout les pouvoirs : « l'exécutif et le
législatif ne sont plus séparés ils sont désormais soudés ».
Vedel et Burdeau ont sous les yeux la IVe : il n'était prévu qu'un gouvernement n'était renversé qu'à la
majorité absolue des membres présents. Dans la pratique, les gouvernements démissionnaient même
s'il n'y avait pas une majorité absolue des députés contre le gouvernement. Ce qui a conduit à la
réforme de 1958 et l'article 49.
Ce qui doit alors remplacer le droit constitutionnel est la science politique : études des systèmes
électoraux, des partis politiques, des forces sociales, … ce sont ces éléments qui sont plus importants
pour comprendre le fonctionnement d'une société que le droit.
Maurice Duverger qui publie sa thèse en 1954 sur les partis politiques invite l'ensemble de ses collègues
à abandonner les études juridiques pour aborder la réalité concrète des sociétés et non plus à l'exégèse
des Constitutions.
Jusqu'à la fin du XX e siècle la Science politique va donc dominer l'étude de la société, de la politique.
Voir, Une résurrection de la notion de Constitution, D. Rousseau, RDP, 1990 + Réponse de Pierre Avril.
Par conséquent le premier obstacle que le droit devait surmonter est d'arriver à démontrer que la
Science politique devait faire sa place à la réflexion propre des juristes.
2. Domination dans le monde juridique du positivisme qui prend pour postulat de mettre à
l'écart de sa réflexion toutes les questions de fond pour ne s'intéresser qu'au mode de
production des règles, qu'à la forme des règles. Le positivisme consiste à écarter de la réflexion
du juriste tous les éléments psychologiques, sociaux, moraux qui viendraient gêner la réflexion
proprement juridique : théorie pure du droit. Par conséquent, la question de la démocratie va
être écartée puisqu'elle est une question de valeur pour les positivistes. Décrire le mode de
fabrication de la règle, l'emboîtement des règles entre elles, telle est le travail du juriste et
non pas chercher à savoir quelle règle est meilleur ou quel système est démocratique ou non.
Ce sont les deux principaux obstacles qui ont empêché la réflexion des juristes sur la démocratie. Si
l'on remonte encore plus loin on peut regarder le moment où l'enseignement du droit constitutionnel a
été introduit en France : On le retrouve surtout après les années 1875. L'introduction du droit
constitutionnel dans les facultés de droit a été considérée comme l'introduction de la question
politique, de la question de la République et de la Démocratie. Il y avait jusqu'alors uniquement des
professeurs de droit civil ayant pour méthode l'exégèse, neutre, juridique, impartial visant à expliquer
les articles du Code civil. A l'époque on considérait cette introduction comme la remise en cause de
l'esprit d'impartialité de la méthode juridique. C'est à ce moment que se crée Science Po' Paris.
Finalement, l'enseignement du droit constitutionnel sera admis dans les facultés de droit : mais les
professeurs de droit constitutionnel pour se faire admettre vont emporter avec eux la méthode des
privatistes.
Une fois que l'on a repéré les obstacles, il faut identifier ou reconnaître si ces obstacles peuvent être
surmontés ou si, reprenant l'histoire du droit constitutionnel d'un autre point de vue, il ne pourrait pas
apparaître que la démocratie a été depuis toujours un fait d'expérience de la pensée constitutionnelle.
II- Y'a-t-il un fait d'expérience de la pensée constitutionnelle
prenant la démocratie comme objet ?
« Fait d'expérience » vient de John Dewey dont les œuvres viennent d'être traduites récemment en
France → Le public et ses problèmes / La question des valeurs en droit. J. Dewey est considéré comme
l'un des pères du pragmatisme, c'est-à-dire partir de l'expérience. Philosophie qui s'oppose directement
de la nôtre, celle de Kant, la raison a priori.
Il y a donc un lien entre Constitution et démocratie, et c'est un fait d'expérience que la Constitution
est conçue comme devant assurer la démocratie.
2e fait d'expérience :
La question du peuple. Dans cette référence que tout démocrate fait au Peuple, la Constitution joue
un rôle déterminant. En ce sens que sans Constitution il n’y a pas de Peuple. Cette présentation des
choses ne va pas de soi parce qu’on retrouve dans le sens commun l’idée que c’est le peuple qui fait la
Constitution. Aristote : « la Constitution est le génie d’un Peuple ».
Cet ordre des choses à été parfaitement décrit par Siéyes (Tiers-Etat) : il y a d’abord la nation, le
peuple. La nation est une donnée naturelle qui n’a besoin de rien pour exister : elle est. A partir de là,
la nation exprime son vouloir politique en rédigeant une Constitution. Ensuite, les représentants de la
nation votent des lois dans le cadre de la Constitution. C’est l’ordre politique des choses. Le pouvoir
constituant ne peut pas être déterminé par le droit. La nation peut vouloir comme elle veut et ce
qu’elle veut. Face au roi qui existe il faut qu’il pause en dehors du droit, l’existence de la nation. Voir
le lit de justice de Louis XV : « il n’y a pas de différences entre les intérêts du roi et les intérêts de la
nation ».
Cette, théorie de Sieyès va être reprise en étant totalement déformée par Carl Schmitt. Pour lui, le
peuple ethnique existe : le peuple c’est la race.
Idée que le peuple existe d’abord et qu’il fait ensuite la Constitution. Or cette présentaton mérite
d’être discutée, il faut recontextualiser ces doctrines politiques.Il faut rediscuter cette présentation
des choses par rapport à l’histoire et par rapport à la dimension magique du droit (Bourdieu) ou
performative (John Austin, Quand dire c’est faire/ Ludwig Wittgenstein). La force du langage comme
condition de conduite de notre pensée : nous sommes coincés, prisonniers du langage
Inverser la thèse de Sieyès : on s’appuie sur des éléments historiques. Voir la Constitution américaine
« We the people » : « nous » de majesté ? « nous » de pluralité qui devient le peuple américain ? La
société française est faite d’une pluralité de groupes, d’individus avec des modes de vie différents, des
langages différents qui se font la guerre et qui progressivement vont faire vivre ensemble ces individus,
pour au bout de compte, constituer sur un territoire, un peuple. On constate alors que toutes les
sociétés se sont faites par l’intégration d’individus, de groupes, qui sédentarisés dans l’espace ont créé
des institutions qui ont contribué à forger un peuple. Mirabeau : avant la Révolution, il y avait une
« myriade » de peuples, depuis 1789, il y a « Le Peuple français ».
Ce processus se fait historiquement par le travail des institutions : voir par exemple « Les ponts et
chaussées » qui relient les territoires entre eux. On avait aussi la justice qui remonte au roi.
Puis on a la portée créatrice du droit : on pense souvent que le droit est un reflet de la réalité (théorie
marxiste). Mais c’est plus compliqué > le droit n’est pas simplement un ensemble qui enregistre une
réalité et la met en forme. Le droit est peut-être aussi un instrument qui crée la réalité.
Voir dimension magique du droit (Bourdieu) ou performative (John Austin, Quand dire c’est faire/
Ludwig Wittgenstein). La force du langage comme condition de conduite de notre pensée : nous
sommes coincés, prisonniers du langage.
On a plusieurs forces du langage :
Force locutoire : on comprend mais ça ne veut rien dire par rapport à la réalité.
Force illocutoire / force performative : les mots font advenir ce qu’ils disent. Il fait advenir
en vrai ce qu’il dit. Mais il faut un certain nombre de conditions pour que le langage crée la
réalité.
Force perlocutoire : certains mots produisent des effets sur quelqu’un qui n’étaient pas
attendus par les mots prononcés. Question de la réception des énoncés par l’auditoire.
La Constitution, pose le Peuple en énonçant qu’il existe. C’est la Constitution qui crée la réalité selon
laquelle le peuple est souverain (article 3 Constitution). Plus exactement, c’est le processus
constituant qui fait le peuple (voir Tunisie, Egypte, ...). La Constitution fait advenir ce qu’elle énonce.
C’est la raison pour laquelle en 1789 tout le monde n’était pas d’accord pour rédiger une déclaration
des droits dans la Constitution. Il a fallu attendre 1971 pour intégrer la DDHC dans le bloc de
constitutionnalité.
L’idée de Sieyès est une thèse parfaitement discutable, mais qui au regard des processus par lesquelles
les sociétés ce sont constitués et par rapport à l’action du droit pousse à considérer que c’est
davantage la Constitution qui fait le peuple et non l’inverse.
La qualification juridique des faits reconnaît que les faits n’ont pas de qualification préexistante. On
crée alors ces faits dans le langage du droit en les dénommant. La qualification juridique des faits va
devenir la réalité. Cela peut avoir des conséquences sur l’idée de Constitution européenne : certains
disaient qu’il ne peut y avoir de Constitution, car il n’y a pas de peuple européen (vision de Sieyès). En
rechanche, d’autres, dont Habermas, c’est la Constitution qui viendrait construire le peuple européen
dans sa réalité.
Ces éléments permettent donc de penser, comme fait d’expérience que parce que la Constitution a un
rôle important dans la construction du peuple et que le peuple est le référent de la démocratie, elle se
trouve donc être légitimement au centre de la réflexion des constitutionnalistes.
3e fait d’expérience :
Le mot démocratie est dans la Constitution (voir article 1er). Voir thèse : l’idée de démocratie dans la
jurisprudence du Conseil constitutionnel (Lidye Doré).
III- Comment aujourd’hui ce fait d’expérience se situe dans le
champ des savoirs ?
Aujourd’hui, le droit constitutionnel se trouve à un moment d’interrogation et de questionnement sur
son objet (Cf. RDP, 1979, la Méthode en droit constitutionnel, F. Luchaire / S. Rial Malaise dans la
Constitution, RDP, 1984 / controverse entre P. Avril et D. Rousseau / Louis Favoreux, RFDC n°1 1990).
Jusque dans ces années 80/90, le droit constitutionnel ne s’interroge pas sur son objet. Il va de soi que
l’objet d’étude de la Constitution sont l’Etat, ses institutions (parlementaires, judiciaires, exécutives).
Toutes les thèses durant cette époque portent sur la recherche de la meilleure organisation
constitutionnelle de l’Etat.
La phrase qui symbolise cette période vient du Doyen Carbonnier : « Le Code civil est la véritable
Constitution de la société, la Constitution de l’Etat est le texte constitutionnel ». Cette division va
commencer à se fissurer dans les années 1980 sous l’effet de deux mouvements convergents :
1. Développement de la construction européenne on passe d’une union économique à une union
plus politique (politique de défense, politique étrangère, citoyenneté européenne) : Cf.
première élection européenne du Parlement en 1979 (mais qui n’a pas de compétences à
l’époque). La chute des démocraties populaires va poser la question de l’entrée de ces pays
dans l’UE. La question se pose de l’organisation institutionnelle de l’Europe. S’ajoute à ce
phénomène, la prise de conscience que se crée un écart entre le niveau d’intégration
économique de l’Europe qui est supra-nationale et le niveau d’intégration politique qui reste
faible au niveau européen et toujours fort au niveau des Etats-nations.
On va donc penser à un pouvoir politique européne et qu’il faut donc une Constitution pour
organiser ce pouvoir politique. C’est à cette époque qu’apparait la controverse entre les
souverainiste et les européanistes. Entre le traité et la Constitution, il y a la dimension
symbolique du droit. Le mot Constitution donne à voir que l’Europe est un même pays.
Ce qui conduit à une crise du droit constitutionnel puisque jusqu’à présent il était lié à l’Etat-
nation. Or l’Europe n’est pas un Etat : peut-on imaginer une Constitution sans Etat ? Voir
Conclusion de Louis Favoreu dans le colloque de La Rochelle (1997/1998) contre l’utilisation
de l’appareil constitutionnel pour parler de l’Europe.
La France constitutionnelle moderne nait donc sur le légicentrisme : la loi est incontrolable
puisqu’elle est l’expression de la volonté générale. A la même époque, les Etats-Unis partent
sur une position totalement différente : Cf. 1803, Arrêt Madison VS Marbury.
Pour la France, cela va durer jusqu’en 1958-1971. Ce n’est qu’en 1958 qu’est créé un Conseil
constitutionnel qui a pour mission de contrôler la conformité de la loi à la Constitution. Il
faudra attendre 1971 pour que le Conseil intègre comme normes de référence du contrôle des
lois la déclaration de 1789 et le préambule de 1946. Ce n’est plus seulement un contrôle de
constitutionnalité externe (procédure) c’est aussi un contrôle de constitutionnalité interne
puisque le juge est susceptible de contrôler la loi. Cela va conduire à la décision de 1985 : «La
loi votée n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution ».
Le vote de la loi ne suffit plus pour faire la volonté générale. Une loi votée à la majorité peut
très bien être censurée car entre dans la fabrication de la loi des éléments qualitatifs : liberté
d’aller et venir, vie privée, droit à la santé, etc. La seule loi qui aujourd’hui échapperait au
Conseil constitutionnel est la loi référendaire.
Les constitutionnalistes voient tout ce sur quoi ils s’appuyaient s’effondrer par ces deux mouvements
symétriques. La QPC va encore accélerer ce mouvement : il y a des décisions du Conseil constitutionnel
qui portent sur « n’importe quoi », qui ne sont pas des objets habituels du droit constitutionnel
(tauromachie, garde à vue, gaz de schiste, mariage homo, …). D’un seul coup, la Constitution a des
choses à dire sur des sujets de société (pour prendre le contrepied de Carbonnier).
Aujourd’hui, il y a au sein du savoir constitutionnel, une division entre les partisans du droit
constitutionnel institutionnel, du droit politique et les partisans d’un droit constitutionnel
jurisprudentiel, des droits fondamentaux, qui pensent que l’objet de la Constitution aujourd’hui est
l’ensemble des activités d’une société.
Le droit constitutionnel vit donc une crise identitaire qui doit quand même être nuancée. La distinction
qui est faite entre « droit politique » et « droit sociétal » même si elle renvoie à une réalité doit être
appréciée dans le cadre qui surplombe cette division et qui est précisément la question démocratique.
Quel est l’identité du droit constitutionnel par rapport à d’autres savoirs ?
On pourrait évaluer cette crise avec la grille de lecture proposée par Bourdieu qui met en avant, pour
rendre intelligible quelque chose, non pas les idées, la conscience mais les structures sociales qui ont
produit l’évènement. On pourrait le faire par l’étude du vocabulaire par lequel s’exprime cette
opposition :
Droit politique : « La QPC tue le droit constitutionnel », sentiment aristocratique (les autres
professeurs de droit s’occupaient des choses vulgaires alors qu’eux de l’Etat, de la noblesse d’Etat),
condescendance, le droit constitutionnel se vulgarise car il perd sa distinction. Voir les trajectoires
morphologiques et sociales des partisans du droit politique (Les professeurs de droit constitutionnel
sous la IIIe République, Guillaume Sacris).
Droit sociétal :
Mais on retrouve aussi cette contestation dans la réflexion de plusieurs intellectuels et en particulier
Marcel Gauchet qui a publié trois tomes (2010) dans l’avènement de la démocratie. Ces ouvrages
viennent en infléchissement net et fort de sa pensée précédente.
Marcel gauchet défend l’idée qu’une société repose sur trois éléments :
1. Le politique -> La communauté des hommes, la Nation, l’Etat
2. Le droit -> Discours qui légitime la communauté politique
3. L’Histoire -> Le destin de cette communauté politique, la mission, le sens…
Il reprendre la fameuse division en trois de Dumezil : le prêtre, le paysan et le soldat. Une société
fonctionne bien lorsque les trois éléments s’articulent de manière équilibrée. Elle fonctionne mal
lorsqu’un des trois éléments l’emporte sur les autres. Ils donnent deux exemples :
1. 1930 -> Crise du libéralisme, le politique l’emporte sur les autres. Il n’y a plus d’histoire, plus
de droit.
2. 2000-> Crise de la démocratie, le droit l’emporte sur les autres. Il écrase le politique car il y a
tellement de droits subjectifs que la société devient politiquement ingouvernable, il écrase
l’histoire puisque les droits de l’homme sont considérés comme étant universels.
D. Rousseau est en désaccord total avec Gauchet : le droit n’écrase pas la politique mais le fait revivre.
Les droits de l’homme mettent les individus en rapport les uns avec les autres. Cet espace produit est
un espace politique puisque c’est dans cette espace que se forme ou se préforme la volonté général.
Le droit n’écrase pas l’histoire dans la mesure ou ce sont davantage des promesses, des choses à venir,
qu’un retour vers le passé. La DDHC tire la communauté politique vers son futur (horizon et objectif).
Les droits de l’homme impulsent une autre manière de faire du politique qui n’est effectivement plus
la forme étatique, mais qui est la forme sociale, de l’espace publique, dans la formation de la volonté
général.
Cette tension identitaire renvoie plus particulièrement à une mutation de l’identité du droit
constitutionnel. Jusqu’à la fin du XXe siècle, le droit constitutionnel avait essentiellement deux
objets : l’études des institutions et l’étude de la pensée constitutionnelle. A la fin du XXe siècle s’est
ajouté un troisième objet : la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux et comme cet objet
était nouveau, les constitutionnalistes de la fin du XXe siècle ce sont précipités sur cet objet, donnant
l’impression que les deux premiers objets avaient disparu.
Mais cette nouveauté n’est pas moins politique que l’était les objets du droit constitutionnel classique.
Cf. Colloque au Conseil constitutionnel le 24 janvier 2013. Cette distinction est discutable dans la
mesure où l’objet droits de l’homme est un objet qui oblige les constitutionnalistes à reprendre toutes
les notions classiques du droit constitutionnel :
La découverte du contentieux constitutionnel amène le CC a traiter la question de l’herméneutique :
« c’est l’interprétation qui donne sa portée effective aux lois » (Décision du 15/10/10). Le CC va se
pencher sur la science du langage : Voir les travaux pionniers de M. Troper sur les TRI.
Les droits fondamentaux ont permis aux constitutionnalistes d’investir leurs études sur la question
juridictionnelle, place de la justice dans une société. Fait-elle partie du pouvoir exécutif (C. de
Malberg), du pouvoir législatif ? Est-elle uniquement l’articulation entre l’exécutif et l’espace publique.
Ils ont aussi conduit à ouvrir une réflexion sur l’extension possible du principe de la séparation des
pouvoirs à l’ensemble des activités sociales. Il faut aussi réfléchir la séparation entre le poltiique,
l’économie, l’argent, le pouvoir syndical, religieux, etc. Voir Thèse de M. Walzer et la nécessite de
protéger l’autonomie de chaque sphère pour garantir la liberté.
Au total, le savoir constitutionnel a connu, depuis la fin du XXe siècle, non pas une crise, au sens de
décadence, de sa vérité identitaire. Il a connu une mutation qui a permis, qui a rendu possible l’apport
du savoir constitutionnel sur la question démocratique. S’il est possible d’avoir une pensée
constitutionnelle de la démocratie c’est parce que le savoir constitutionnel s’est profondément
transformé depuis la fin du XXe siècle.
La France a raté régulièrement ces moments de ruptures en refermant très vite les moments où il y
avait un écart entre les représentation.
Est-il pertinent de continuer à faire une distinction entre les droits « de » (droits-libertés) et les droits
« à » ? L’analyse de la juriprudence constitutionnelle ne permet pas objectivement de considérer que
le CC opère une hiérarchie entre les droits fondamentaux.
Ecart signifie, écart entre ce qu’exigerait les droits fondamentaux et ce qui est traduit dans la loi. On
peut supposer que ces deux exigences coïncident et fusionnent. Mais dans la démocratie par le droit ou
démocratie constitutionnnelle il y a un écart et c’est cet écart qui est constitutif de la démocratie
constitutionnelle / démocratie majoritaire. Cela renvoie sur le plant sociologique ou politiste à la
distinction entre le corps des représentés (droits fondamentaux) et le corps des représentants des
citoyens (loi).
Sur le plan philosophique, cette pensée de l’écart renvoie à la grande controverse philosophique entre
Cassirer et Heidegger à propos de la notion de limites chez Kant (voir autre cours de Rousseau).
Cette pensée de l’écart à pour conséquence logique le principe de délibération : la qualité d’un régime
politique dépend du mode de fabrication de la loi. Ou la loi est fabriquée à partir de la volonté de dieu
(théologie), du chef (autoritaire), du vote (majoritaire électoral), ou de la mise en concurrence de
plusieurs acteurs législatifs, ce que dit du point de vue du droit la décision du CC de 1985 et la
réécriture de l’article 6 DDHC -> « La loi exprime la volonté générale que dans le respect de la
Constitution ». Il y a donc par cet écart entre le corps des représentant et des représentés la mise en
place d’un régime concurrentiel d’énonciation/fabrication de la volonté générale. Quand il y a écart il
y a délibération, par définition. Quand il n’y a pas écart, il y a simplement acclamation.
Depuis 1985 on a donc au moins deux acteurs (Parlement, Conseil constitutionnel) qui sont en
concurrence dans la fabrication de la loi. Toutes les décisions du CC mettent en scène cette
confrontation/concurrence entre ce qu’exigeraient les droits fondamentaux et leur traduction par le
législateur.
Par exemple, sur la garde à vue : Le législateur définit son régime en étant persuadé qu’il exprime le
respect des droits fondamentaux. Le CC pense le contraire, il faut la présence de l’avocat dès la
première heure. En 2010, le CC annule mais renvoie la balle au Parlement. S’il n’y a pas de juge
constitutionnel, la loi exprime directement les droits fondamentaux et il n’y a pas de moyens de faire
savoir au législateur qu’il n’aurait peut-être pas respecté les droits fondamentaux.
Le Parlement est obligé de partager cette fabrication de la volonté générale. Quels sont ces acteurs ?
1. Il y a le gouvernement qui a l’initiative de la loi.
2. Le Parlement qui discute, vote, amend.
3. Le juge constitutionnel qui vérifie si tout ça est fait dans le respect de la Constitution.
Actuellement, émerge, à la marge du droit le Conseil économique et social et environnemental. Il
commence à apparaître comme l’un des acteurs de ce régime d’énonciation concurrentiel de la volonté
générale. Il représente la société civile organisée.
Ce principe de la délibération remet en lumière plusieurs éléments oubliés et négligés de la réflexion
constitutionnelle. Le premier élément est que le droit est fait de mots, que ces mots n’ont pas de sens
normatifs immédiats et évident et que la construction de la normativité d’un énoncé dépend de la
discussion entre plusieurs acteurs. Discussion qui a pour objet d’arrêter à un moment donné le
consensus d’une société sur le sens à accorder à un mot. S’il y a délibération c’est qu’on est pas sur.
La norme n’est pas l’énoncé mais la signification de l’énoncé : qui nous est donné par une
transcendance (Heidegger) ou qui est découverte par le langage (la discussion).
La deuxième conséquence est que la norme issue du travail de la délibération ne peut pas être
considérée comme une norme définitive, un fétiche devant lequel il conviendrait de s’agenouiller à
tout jamais. La signifcation est nécessairement datée historiquement et sur le plan juridique, rien
n’interdit que le travail de délibération sur la signification accordée à un moment donné reprenne.
Doit-on respecter ce qu’on dit les pères fondateurs ? « est-ce que le mort peut saisir le vif » (P.
Bourdieu) ? si la signification vient de l’extérieur, on a la signification pour tout le temps. Si en
revanche, la signification est le résultat d’une délibération spatio-temporelle, rien n’interdit sur la
plan juridique que les acteurs reprennent à différents moment la délibération sur la signification
accordée à un moment donné. D’où l’importance des opinions séparées et dissidentes (voir étude de
Rousseau dans le cahiers du CC).
Il y a aussi la question du changement de circonstance de fait ou de droit : la QPC est un moyen de
faire vérifier que le législateur a bien exprimé ce qu’il y a dans la Constitution, mais aussi que le temps
ne devrait pas conduire à reprendre la délibération sur une jurisprudence qui a été établie : le principe
non bis ibidem peut être écarté s’il s’avère qu’il a eu changement de circonstances. Le CC s’est lui-
même arrogé ce pouvoir de reprendre la délibération : en élargissant les changements de circonstances
de droit mais aussi de fait. Résultat, cela veut dire que l’on peut reprendre à tout moment la
délibération : cela s’est passé pour la garde à vue alors qu’il l’avait validé en 1993 -> Depuis cette date
le nombre de garde à vue a augmenté, etc. Il faut donc rejuger et modifier la loi.
Voir Dworkin : le droit se construit comme un roman écrit à plusieurs mains. Le constituation pose les
mots, mais les autres acteurs donnent le sens des mots.
La délibération remet en lumière cette différence entre l’énoncé et la signification : on donne la vérité
à un moment donné.