Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
Dans son livre Alone Together, elle s'intéresse à divers aspects des nouvelles
technologies. De l'utilisation de robots dans les soins aux personnes âgées aux jeux
virtuels comme Second Life, qui permettent aux individus d'adopter une autre
identité et de vivre des expériences dans un univers parallèle, la question demeure
la même: la technologie est-elle en train de tuer l'expérience humaine? «Nous
attendons davantage de la technologie et accordons moins de temps et
d'importance aux relations humaines en chair et en os, observe-t-elle. Nous
devrions nous en inquiéter.»
Pour son livre, elle a réalisé des dizaines et des dizaines d'entrevues. Première
surprise: l'importance du 11 septembre dans la façon dont les jeunes Américains et
leurs parents perçoivent le téléphone cellulaire.
«Il faut se rappeler que ç'a été des moments de grande angoisse pour les parents
d'enfants qui fréquentaient l'école, raconte Sherry Turkle, dont la fille était à l'école
primaire au moment des attentats. Nous n'avions aucun moyen de communiquer
avec nos enfants et, dans les écoles, on les cachait dans les sous-sols comme dans les
années 50 quand on craignait les attaques nucléaires. Impossible de se parler pour
se rassurer. À partir de ce jour-là, les enfants ont donc accepté l'idée d'être en
contact constant avec leurs parents, et ces derniers, même s'ils étaient contre les
téléphones cellulaires, ont décidé d'en acheter un à leur enfant.»
Le téléphone cellulaire est donc devenu ce lien privilégié (les plus cyniques parlent
de laisse électronique) entre parents et enfants, donnant l'illusion à certains que les
nombreux textos échangés dans une journée sont l'équivalent d'une véritable
conversation face à face. C'est une erreur, prétend Sherry Turkle, qui estime que la
prolifération des textos au cours d'une journée a eu un impact négatif sur la qualité
de la communication parents-enfants. «On s'imagine que, parce qu'on échange
beaucoup avec son enfant, on a une bonne relation avec lui. C'est un leurre.»
Et les enfants ne seraient pas dupes, si on se fie aux commentaires recueillis par
Sherry Turkle.
«Ils ont arrêté de parler à leurs enfants et passent beaucoup de temps la tête
penchée sur leur téléphone. Ils ne semblent pas réaliser que la technologie est en
train de les éloigner de leurs enfants. Ces derniers, enfants de parents divorcés pour
la plupart, m'ont même dit qu'ils s'ennuyaient du temps où leurs parents étaient
plus présents pour eux, plus attentifs. Et ils se promettent bien de ne pas répéter la
même chose avec leurs propres enfants. J'avoue que j'ai été très surprise par ce
revirement de situation.»
Sherry Turkle est bien consciente qu'il faudra attendre la prochaine génération
pour assister, peut-être, à un retour du balancier. Pour l'instant, les jeunes que la
professeure côtoie dans les salles de classe du MIT semblent complètement
absorbés par les nouvelles technologies, et c'est loin d'être positif. Selon elle, la
participation et la concentration des étudiants se sont dégradées au fil des ans. «On
dirait que la recherche a remplacé la réflexion, note Sherry Turkle. Comme si le fait
de chercher une information dans Google était la fin d'un processus et non le début.
Mes étudiants ont l'impression que, une fois qu'ils ont terminé leur petite recherche
sur l'internet, ils ont accompli quelque chose. Je trouve cela troublant.»
Malgré tout, l'auteure de Alone Together se dit optimiste. «Il faut donner aux
nouvelles technologies la place qui leur revient, dit-elle. Elles sont utiles, mais elles
ne doivent pas être envahissantes. Surtout, il ne faut pas les laisser remplacer les
échanges en chair et en os, beaucoup plus enrichissants. Je crois qu'on a beaucoup
réfléchi aux effets de la technologie dans notre vie matérielle, mais il est grand
temps de porter attention aux effets qu'ont ces nouvelles technologies dans nos vies
personnelles.»