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Actes des congrès de la Société

des historiens médiévistes de


l'enseignement supérieur public

Les autonomismes urbains des cités islamiques


Madame Anne-Marie Eddé, Monsieur Henri Bresc, Monsieur Pierre Guichard

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Eddé Anne-Marie, Bresc Henri, Guichard Pierre. Les autonomismes urbains des cités islamiques. In: Actes des congrès de la
Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 16ᵉ congrès, Rouen, 1985. Les origines des libertés
urbaines. pp. 97-119;

doi : https://doi.org/10.3406/shmes.1985.1465

https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1990_act_16_1_1465

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LES AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES.

Le thème proposé présente bien des suggestions et offre l'occasion de


recherches nouvelles et coordonnées, mais on mettra l'accent, dès l'abord, sur
les dangers d'une comparaison Orient-Occident et sur l'artifice qu'il y aurait à
mettre en parallèle la naissance des communes occidentales et les autono-
mismes urbains des pays d'Islam, que l'on pourra plutôt rapprocher des
autonomismes des cités byzantines d'Italie (Amalfi, Bari). Il n'existe encore
aucune synthèse, mais des études régionales, Cahen, Ashtor et Bianquis sur la
Syrie et l'Irak, Sabari pour Bagdad, Bosworth et Bulliett pour Nishapur, Amari
pour Palerme (1) Lévi-Provençal pour l'Andalus, mais la variété des conditions
géographiques, politiques et économiques rend la synthèse ardue.
Les sources s'intéressent plus aux événements militaires, aux princes et à
leur entourage, voire aux topographies urbaines qu'aux populations des villes et
à leurs aspirations : chroniques et ouvrages géographiques ne les abordent que
de biais ; quant aux dictionnaires biographiques qui rapportent les vies et
carrières des intellectuels, ils n'ont pas encore été suffisamment exploités dans
cette perspective.
La notion même de "franchise" accordée par le pouvoir à un groupe
particulier, ou celle de "Commune" supposent une identité urbaine séparée du
reste de la communauté et sont, dans leur principe, contraires à l'idéal de
l'Islam. En revanche, celle de "communauté"(djamâ a) qui, compte tenu de
l'impossibilité concrète de réaliser politiquement l'unité de l'ensemble de
l'umma, se traduit dans la réalité par l'existence de communautés locales, est
très forte en Islam.
98 A.M.EDDE, H. BRESC, P. GU1CHARD

Dans le monde islamique, les villes sont en général soumises à un pouvoir


centralisé et hiérarchique qui peut revêtir diverses formes selon les régions et
les époques.

En Orient, dès le septième siècle, la ville apparaît comme le siège du


pouvoir politique et religieux des Califes. Plus tard, le pouvoir central détenu
par les Califes (umayyades, puis abbassides, fatimides en Egypte) ou les sultans
(seldjouqides à partir du Xle siècle) continue de s'exercer directement dans les
grandes métropoles (Damas, Bagdad, Le Caire etc.). Dans les provinces,
Califes ou sultans délèguent une partie de leur pouvoir à des gouverneurs civils
ou militaires (wâlî) ou à des officiers de leur armée (amîr, shihna à l'époque
seldjouqide) qui s'affranchissent parfois partiellement ou totalement de
l'autorité centrale. A partir du Xle siècle avec les Seldjouqides, les membres de la
famille sultanale (frères, oncles ou neveux) se voient confier de plus en plus de
territoires importants et conservent jalousement leur autonomie dans certaines
villes avec l'aide, notamment, de leurs atabegs. Dans tous ces cas, qui sont, on
le voit, fort divers, le maître d'une ville délègue à son tour une partie de ses
pouvoirs à quelques personnages qui jouent un rôle important dans
l'administration urbaine. Parmi ceux-ci, citons le chef de la police (sâhib al-shurta)
chargé du maintien de l'ordre et de la sécurité publique, le qâdî, personnage
très influent investi de fonctions judiciaires, et le muhtasib dont le rôle est
notoire dans la surveillance des bonnes moeurs ou le contrôle de la vie
économique et des marchés. Dans les villes s'exerce ainsi un pouvoir très
personnel qui nomme et surveille tous ceux qui le secondent dans sa tâche.

En Sicile, dans l'ombre de l'émirat aghlabide, puis du Califat fatimide et


dans un climat de passion militante exacerbée (l'île est successivement le
refuge des malikites ifriqîyens qui fuient le shiisme triomphant, puis des shiites
chassés par les Zirides), la ville, madîna Siqillîya, c'est d'abord Palerme, qui
s'identifie étroitement à l'île même. Le pouvoir émiral y a son siège, mais il
évite de se fixer dans la vieille ville, le Qasr, et s'établit dans la minuscule ville
forte établie sur le port, la "pure", Khâlisa, réservée aux officiers shiites et à la
garnison des Kutâma. Quant à la vieille cité, elle ne manque pas d'une forte
conscience de son individualité, d'un orgueil de capitale, et d'une administration
efficace, on sait que le tissu des rues antiques est resté parfaitement en état
durant le moyen âge (orthogonalité par rapport à la rue large et droite, la
Simât al-balât, largeur partout respectée), ce qui implique la continuité de la
fonction du muhtasib ; si le nom n'apparaît pas, un fonctionnaire équivalent, le
"maître de place" porte le nom, dans plusieurs villes, au XlVe siècle, de nadaru
(de nâzir, "surveillant"). C'est alors un élu municipal. Un autre porte le nom de
"maître de la xurta", la police nocturne, et au Xlle encore, une shurta est
signalée à Palerme, qui a son siège à la porte de la ville haute.
AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 99

Palerme est enfin une ville énorme, dès 970 : elle atteint alors les limites
qu'elle ne dépassera qu'au XVIlè. Elle se dote des puissantes murailles qui
resteront inchangées jusqu'aux vice-rois espagnols et qui unissent la Khâlisa au
Qasr en englobant les quartiers nouveaux. Le rôle politique de la classe des
notables et l'agitation du petit peuple sont à la mesure de cette fonction de
capitale politique, marchande et militaire, face à l'Italie byzantine et
normande.

En al-Andalus, la ville (madîna) est aussi normalement le centre d'un


pouvoir souverain (sultan) ou son relais comme chef-lieu d'un district admi-
c c
nistratif ( amal, iqlîm, kûra), où siège un gouverneur (wâlî, âmil, parfois qâ'id
ou muqaddam) qui est un agent civil ou militaire de ce pouvoir. L'histoire
d'al-Andalus est rythmée par la succession des "régimes" incarnés par une
dynastie (dawla) représentant éventuellement une tendance religieuse et/ou
politique, qui s'impose dans tout le pays, dans le cadre d'un système centralisé
et unifié (émirat, puis califat umayyade, régime almoravide, régime almohade).
C'est en principe l'autorité politique qui nomme à toutes les fonctions (khutta,
khutat) de la khidma (service du sultan), qu'elles soient civiles (gouvernorat,
wilâyat al-sûq, fonctions fiscales) ou militaires (caîdat du qasr d'une ville
importante, d'une fortification/garnison, d'une armée en campagne, d'un port
militaire ou d'une escadre). C'est aussi, en temps normal, le pouvoir central
(ou, probablement, provincial, quand ce dernier s'affaiblit, ou pour les charges
mineures) qui investit des fonctions juridico-religieuses, principalement celle de
qâdî, de faqîh conseiller (khuttat al-shûrâ), et sans doute aussi (probablement
par l'intermédiaire du qâdî principal de la capitale ou du chef-lieu de province)
des charges mineures dans les mosquées. Ces fonctions sont rétribuées par une
pension (rizq, djâr), sans doute aussi par des concessions foncières et des
c
iqtâ -s, sur lesquelles nous sommes très mal renseignés.
Dans ce cadre tout le pouvoir vient d'en haut, et le principe
d'organisation fondamental est hiérarchique. C'est la faveur du pouvoir qui attire
puissance et richesse. C'est dans cette perspective que les ascètes et les pieux
personnages fuient les compromissions avec un pouvoir (suhbat al-sultân),
toujours entaché de plus ou moins d'illégitimité ou d'illégalité. On est très loin
de la coïncidence entre l'umma et le corps politico-administratif. L'attitude
d'Ibn Hazm critiquant avec une grande sévérité les souverains des taifas (2) se
retrouve de façon beaucoup plus diffuse chez beaucoup d'hommes de religion
et de science qui refusent de telles compromissions ou les critiquent. Mais il y
a, en fait, acceptation politique du pouvoir tel qu'il est, sans perspective
réformiste ou révolutionnaire. Cela apparaît par exemple avec beaucoup de
netteté dans la Risâlat al-quds d'Ibn Arabî de Murcie (3), qui nous présente un
tableau assez vivant de la vie des ascètes andalous de la fin du Xlle-début du
Xlllè siècle. Les rares mouvements d'opposition qui ne soient pas purement
circonstanciels (au-delà de la simple résistance aux abus du pouvoir et de ses
agents), mais possèdent un contenu idéologique, semblent se développer en
dehors du contexte urbain où, politiquement aussi bien qu'idéologiquement, il ne
100 A.M. EDDE, H. BRESC, P. GUICHARD

semble guère y avoir de place pour quelque "autonomisme" que ce soit


(institutionnel, politique, idéologique) par rapport au pouvoir. Cela apparaît
nettement dans le cas du développement almohade au Maroc, mais on retrouve
des faits de même genre, quoiqu'avec moins de netteté et d'ampleur, en
al-Andalus. Si l'on en reste dans le domaine culturel et idéologique, qui est le
seul qui nous soit accessible avec quelque détail, on peut comparer l'évolution
des tendances opposées au juridisme très traditionnaliste et étroit qui
caractérise le malikisme officiel de l'époque almoravide en milieu urbain et en milieu
rural. Dans le premier, la critique du malikisme prend seulement la forme d'une
remise en cause très modérée de la tradition avec l'intérêt pour les seuls usûl
al-fiqh dont témoignent même des personnages très officiels comme le qâdî et
imâm de Cordoue Abu l-Walîd b. Rushd. Mais, à côté de ce mouvement très
discipliné et canalisé, on assiste à une diffusion parallèle d'une critique sufie
radicale et proprement révolutionnaire, dont le mouvement des muridîn de
l'Algarve, qui prend appui sur la population des husûn et des qura (châteaux et
villages) de la région de Silves - Beja, est le meilleur exemple. La diffusion de
ce mouvement présente un caractère très nettement rural qui mérite d'être
souligné davantage qu'il ne l'a été (4).

Il serait faux, cependant, de considérer la ville comme un organisme


totalement amorphe, sans aucune capacité de résistance collective au pouvoir,
en dépit de cette apparente inorganisation institutionnelle et de son
conformisme dans le cadre d'une culture qui paraît très contrôlée par le pouvoir
(culture à base juridique, et droit encadré par des qâdî-s et fuqahâ'
eux-mêmes nommés par le pouvoir politique). Mais ces éventuelles "résistances"
urbaines aux pouvoirs centralisés ne débouchent pas sur des institutions
spécifiques. Elles prennent la forme soit de révoltes après lesquelles se fait le
retour à l'ordre antérieur, soit d'autonomies urbaines temporaires qui voient la
ville s'administrer de façon indépendante, mais dans le cadre des institutions
musulmanes traditionnelles. En Orient comme en Occident, de telles tentatives
de révoltes ou d'autonomies urbaines ne manquent pas et des revendications
s'expriment de différentes manières, par l'intermédiaire de notables ou par des
mouvements plus populaires. Il est donc possible de les analyser et d'en tirer
quelques conclusions.
AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 101

- En Syrie et Haute-Mésopotamie, le problème de l'autonomie urbaine a


déjà été étudié par Cl. Cahen et E. Ashtor qui n'aboutissent pas toujours aux
mêmes conclusions. Ainsi pour Cl. Cahen, des éléments d'autonomie urbaine,
héritage de l'administration byzantine, subsistèrent avec quelques
transformations dans le Proche-Orient après la conquête muslumane. Le déclin de
l'autonomie municipale n'aurait véritablement commencé que vers la fin du Xle
siècle. Pour E. Ashtor, au contraire, le mouvement serait né vers le milieu du
Xe siècle avec la multiplication des conspirations et des révoltes urbaines pour
atteindre son apogée à la fin du Xle siècle.
La seconde moitié du Xe siècle fut, en effet, marquée par plusieurs
révoltes urbaines tant sur le littoral syrien qu'en Haute-Mésopotamie. A Harrân
en 963, à Antioche en 965, puis en 967, à Tripoli en 967, à Nisibin en 982 ou à
Rahba sur l'Euphrate en 1109, des notables et des commerçants participèrent à
ces révoltes dirigées contre la dynastie hamdanide d'Alep, les Bouyides de
Bagdad ou les Fatimides d'Egypte. A Damas ce furent des milices populaires
(ahdâth, cf. infra) qui se dressèrent contre les nouveaux envahisseurs fatimides.
Quelques dizaines d'années plus tard, dans la seconde moitié du Xle
siècle, on assiste à de nouveaux épisodes de révoltes urbaines ou de tentatives
d'autonomie. E. Ashtor et Cl. Cahen distinguent dans ces mouvements deux
types d'expériences différentes. Les premières concernent les villes du littoral
(Tyr et Tripoli surtout), les secondes se rapportent aux villes de l'intérieur
(Damas, Alep, Harrân, Amid). Le cas de Tyr et de Tripoli retiendra plus
particulièrement notre attention car c'est essentiellement sur ces deux villes
que se fonde E. Ashtor pour parler de "républiques urbaines à l'époque des
croisades" (5).
En 1070, à Tyr, le qâdî de la ville, Ibn Abî Aqîl, riche marchand au
demeurant (ses bateaux sont mentionnés dans certaines lettres de la Géniza)
prit la tête d'une révolte contre le pouvoir fatimide du Caire. En guise de
représailles, Badr al-Djamâlî, général en chef fatimide, mit le siège devant la
ville. Ibn Abî Aqîl demanda l'aide des Seidjouqides qui, trop heureux d'affaiblir
leurs rivaux menèrent une campagne de diversion contre Sayda au nord de Tyr.
Les Fatimides durent reculer, mais Badr remit un peu plus tard le siège de la
ville, sans plus de succès. Tyr resta indépendante pendant près de vingt ans.
Les Fatimides étant trop faibles pour entreprendre contre elle une nouvelle
campagne, la ville en profita même pour étendre sa domination sur les autres
villes côtières de Sayda, Djubayl et Acre. A la mort d'Ibn Abî Aqîl, ses fils lui
succédèrent et en 1089 un nouveau siège fut entrepris par les Fatimides. La
ville n'était plus alors en mesure de résister et dut bientôt se soumettre. Dans
les années qui suivirent, ces villes furent agitées par d'autres révoltes dirigées
par des gouverneurs aspirant à l'indépendance. C'est ainsi qu'en 1093, les
Fatimides firent à nouveau le siège de Tyr où le gouverneur Munîr al-Dawla
al-Djuyûshî s'était révolté. Celui-ci entra en conflit avec une partie de la
population qui accueillit favorablement l'armée envoyée par les Fatimides. La
ville fut donc prise sans grandes difficultés et le gouverneur et sa suite furent
envoyés en Egypte où ils furent exécutés tandis que les habitants eux-mêmes
1112 A.M. EDDE, H. BRESC, P. GUICHARD

furent taxés de 60.000 dinars. En 1096, enfin, une nouvelle révolte de la ville
dp Tyr fut réprimée très sévèrement.
L'histoire de Tripoli en cette seconde moitié du Xle siècle, fut également
marquée par des tentatives d'autonomie. En 1070, une révolte fut menée
c
contre le pouvoir fatimide par le qâdî de la ville, Ibn Ammâr, lui aussi riche
marchand. Celui-ci mourut deux ans plus tard et l'un de ses neveux lui
succéda. Pour se maintenir au pouvoir il lui fallut manoeuvrer entre les
Seldjouqides et les Fatimides. C'est ainsi qu'il excita le prince seldjouqide
Tutush contre les Fatimides tout en accomplissant la khutba au nom de ces
derniers, et lui-même épousa la fille d'un ancien gouverneur fatimide de
Damas. Il réussit ensuite à étendre sa domination sur la côte en enlevant la
ville de Djabala aux Byzantins en 1080-1081 qui fut dès lors administrée par
son qâdî sous l'autorité de Tripoli (6). En 1092, il résista victorieusement à un
siège seldjouqide en corrompant une partie des assiégeants. En 1099 son frère
lui succéda et dut faire face aux attaques répétées des Francs. C'est pourquoi
en 1108 il partit vers Bagdad pour réclamer du secours et laissa sur place l'un
de ses cousins qui ne tarda pas à se révolter contre lui en faisant appel aux
Fatimides. Le soulèvement fut réprimé par les partisans du maître de Tripoli,
mais ceux-ci ne purent empêcher quelques mois plus tard le débarquement de
l'armée égyptienne. La famille d'Ibn Ammâr et ses compagnons furent
déportés en Egypte et leurs biens furent confisqués. L'année suivante (juillet
1109), la ville tomba aux mains des Francs.

Tels sont les faits brièvement résumés, quelles conclusions peut-on en


tirer ? E. Ashtor voit dans ces révoltes de Tyr et Tripoli des tentatives de la
haute bourgeoisie visant à s'emparer du pouvoir. Bien qu'il souligne le silence
des textes à ce sujet, il estime probable que ces puissants marchands
instaurèrent un type de gouvernement différent de celui des autres princes arabes ou
turcs et qu'ils fondèrent des "républiques urbaines" qu'on pourrait même
rapprocher de "comuni démocrates" (7).
Il ne fait pas de doute, en effet, que certains de ces gouverneurs
C C
autonomes (la famille d'Ibn Abî Aqîl à Tyr, celle d'Ibn Ammâr à Tripoli)
furent aussi de grands marchands (8). Il est probable aussi, quoique rien ne
nous permette de l'affirmer, qu'il y eut d'autres grands commerçants dans leur
entourage. Mais étant donné la pauvreté de notre documentation, il paraît
excessif d'affirmer d'une part qu'ils représentaient les intérêts de la haute
bourgeoisie face à un pouvoir féodal, d'autre part qu'ils instaurèrent un
nouveau type de gouvernement et créèrent de véritables républiques urbaines.
c
En effet, les sources désignent en général sous le terme d'à yân l'élite
intellectuelle, religieuse ou commerçante de ces villes et l'on ne peut distinguer
de classe bourgeoise bien spécifique. Grands marchands et administrateurs,
financiers et hommes de religion étaient souvent issus des mêmes familles et
pouvaient tirer leur richesse du commerce ou de diverses activités
économiques. L'exemple des qâdî-s de Tyr et de Tripoli est bien significatif à cet
AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 103

égard. Qu'il y ait eu opposition de la part d'une partie de ces notables à un


pouvoir militaire étranger est évident, mais on ne peut y voir une lutte de la
bourgeoisie contre une classe féodale au sens occidental du terme.
De plus, il ne semble pas que ces nouveaux gouverneurs aient réellement
cherché à partager leur autorité. Certains indices incitent même à penser qu'ils
tentèrent plutôt d'établir un pouvoir personnel dont ils tiraient avec leur
famille les principaux bénéfices. A aucun moment les textes ne mentionnent
d'autres familles qui auraient participé au pouvoir. A Tripoli, au contraire, on
c
remarque qu'en 1108, lorsqu'Ibn Ammâr se rendit à Bagdad, il prit toutes
sortes de précautions pour assurer le gouvernement de la ville pendant son
absence. Il laissa pour le remplacer provisoirement un membre de sa famille,
entouré de ses principaux collaborateurs et de sa garde personnelle d'esclaves
à qui il paya lui-même, d'avance, six mois de solde. A tous, il fit prêter
serment de fidélité. Il ne semble pas agir là différemment de tout autre prince
ou gouverneur militaire de cette époque. On peut aussi noter que le pouvoir est
toujours transmis de manière héréditaire à l'intérieur d'une même famille. Enfin,
en cas d'échec, c'est la famille du gouverneur et ses compagnons (ashâb, mot
vague qui désigne en général l'entourage d'un gouverneur, d'un prince ou d'un
notable) qui sont déportés ou exécutés.
Aussi, même si les soulèvements de Tyr et Tripoli demeurent intéressants
à étudier par le rôle qu'y jouèrent des notables locaux, marchands et hommes
de religion, on ne peut les considérer comme de réelles tentatives de
communes, ni même dire qu'ils eurent pour objectif l'obtention de privilèges
spécifiquement urbains. En revanche, la situation de ces villes peut être
comparée par certains aspects aux cités d'Italie du Sud sous domination
byzantine ainsi que l'a déjà montré Cl. Cahen (9). A Amalfi, par exemple, le
mouvement autonomiste fut confisqué au Xe siècle par une seule grande
famille qui finit par fonder une sorte de petite dynastie. La ville, indépendante
de fait, continua cependant de faire théoriquement partie de l'Empire byzantin
qui conférait des titres à ses dirigeants. Par souci de préserver ses activités
économiques, Amalfi dut souvent louvoyer entre le Pape et les Musulmans de
Sicile. Cela n'est pas sans rappeler la situation de Tyr et de Tripoli, villes
commerçantes, qui continuèrent de reconnaître la suzeraineté des uns tout en
ne heurtant pas de front les autres. Parfois aussi dans certaines villes
italiennes, l'influence de l'évêque fut telle qu'il assura à sa famille par
succession népotique l'autorité comtale et l'on ne peut s'empêcher de comparer
son pouvoir à celui des qâdî-s en Orient.
A certaines périodes de leur histoire, les villes musulmanes du
Proche-Orient peuvent donc être rapprochées de cités plus occidentales en
raison d'un contexte politique ou économique comparable. Il apparaît toutefois
excessif de parler à propos de ces mouvements d'autonomie, en Orient comme
en Italie méridionale au Xe siècle, de tentatives d'instauration de communes ou
de républiques urbaines.
104 A.M. EDDE. H. BRESC, P. GUICHARD

Le problème des villes de l'intérieur (Syrie et Haute-Mésopotamie) se


pose en termes différents. Au Xle siècle et début du Xlle siècle, ces villes
étaient dominées soit par des petits princes locaux (Artuqides, Munqidhites
etc.), soit par des représentants des deux grandes dynasties, fatimide ou
seldjouqide. La force des uns et des autres reposait essentiellement sur leur
armée faite en grande partie d'esclaves et de mercenaires étrangers (surtout
turcs pour les Seldjouqides, berbères et africains pour les Fatimides). Face à ce
pouvoir, l'aristocratie urbaine locale ne prétendit pas à l'autonomie complète,
mais tenta, néanmoins, en période d'affaiblissement des souverains, d'intervenir
dans le gouvernement des villes en s'appuyant notamment sur les milices
urbaines que formaient les ahdâth.
Les mouvements populaires de Damas et Alep en Syrie, de Harran et
d'Amid en Haute-Mésopotamie ont été étudiés par Cl. Cahen, E. Ashtor et T.
Bianquis (10). Nous n'en rappellerons, ici, que les principales caractéristiques.
Dans toutes ces villes, des jeunes gens (ahdâth) regroupés en milices armées
s'efforcèrent de défendre et de protéger leur cité. Ils jouèrent souvent un rôle
de police en assurant l'ordre public ou en éteignant les incendies. Ils furent
même parfois incorporés dans la garde des souverains et prirent bien des fois
les armes pour défendre leur ville contre les envahisseurs étrangers : Fatimides,
Seldjouqides, Zenguides et Francs. Dans ce cas, on les vit se battre aux côtés
de l'armée du maître de la ville. Ils se posèrent aussi en défenseurs du sunnisme
et s'illustrèrent notamment dans la lutte contre la secte des Bâtiniens ou
Assassins. En période de faiblesse du pouvoir central, leur importance croissait
considérablement et c'est ainsi qu'ils arrivèrent au cours du Xle et dans la
première moitié du Xlle siècle à imposer leur volonté. Notons, enfin, qu'étant
donné leur recrutement essentiellement populaire, ils exprimèrent souvent les
revendications des couches les plus défavorisées de la population.
Ces ahdâth étaient dirigés par un chef, le ra'îs. Celui-ci était le plus
souvent un notable choisi au sein des grandes familles de la ville. Peu à peu les
autorités des villes en vinrent à le reconnaître et à le nommer officiellement,
ce qui leur assura un certain contrôle de cette charge. Le ra'îs occupa ainsi
une place très importante dans les villes syriennes et mésopotamiennes à côté
du préfet de police ou du muhtasib et joua un rôle primordial dans la
surveillance des villes et le maintien de l'ordre. Toutefois, ce qui le
différenciait d'un préfet de police, par exemple, était qu'il tirait d'abord sa force de
sa position de chef des ahdâth. A leur tête, il participait donc parfois à des
soulèvements. Cette charge était souvent transmise de père en fils et c'est
ainsi qu'à Damas comme à Alep se constituèrent de véritables petites dynasties
de ru'asâ' (pi. de ra'îs). Le cas extrême fut certainement celui d'Amid en
Haute-Mésopotamie, où une dynastie de ru'asâ' connue sous le nom de
Nisanides se forma au début du Xlle siècle. Ils exercèrent presque tout le
pouvoir, frappèrent monnaie, accumulèrent les richesses et se rendirent de la
sorte assez impopulaires. Ils ne perdirent leur influence qu'avec les conquêtes
de Saladin.
AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 105

Au-delà de ces caractéristiques bien connues des mouvements populaires


urbains, il convient surtout de s'interroger sur leurs objectifs. Les milices
d'ahdâth et leurs chefs avaient-ils des revendications politiques ou économiques
précises ? Ont-ils contesté ou tenté de modifier le système social ou
politique ? Ont-ils voulu s'affranchir de toute autorité "féodale" ? On peut
d'abord noter que ces ahdâth furent de plusieurs manières très liés aux
autorités des villes avec lesquelles ils défendirent certains intérêts communs.
Ensemble, ils participèrent à la lutte contre les Francs ou les Bâtiniens
(Assassins). De même, les ahdâth s'engagèrent dans de nombreuses luttes entre
souverains rivaux en donnant leur appui à tel ou tel prince de leur choix. Enfin,
comme on l'a déjà signalé, ils étaient souvent incorporés à la garde personnelle
du maître de la ville.
Par ailleurs, le rais, nous l'avons dit, est le plus souvent nommé par le
prince. Un diplôme spécial lui est même délivré qui l'autorise, entre autres, à
prélever des taxes commerciales pour sa rémunération et pour la solde des
ahdâth. Ce système progressivement établi implique donc une certaine
soumission aux pouvoirs politiques en place. On voit ainsi le ra*îs admis dans
l'entourage du prince et parfois même nommé vizir (11). Il exista, néanmoins,
des révoltes, quelquefois importantes, de ru'asâ. E. Ashtor voit dans ces
soulèvements (notamment celui d'Ibn al-Sûfî à Damas au milieu du Xlle siècle)
une révolte de la haute bourgeoisie contre un pouvoir féodal. Sans doute
faudrait-il nuancer ce jugement. Pour reprendre l'exemple du rats damasquin
au milieu du Xlle siècle, les textes mentionnent l'appui qu'il obtint du
bas-peuple ainsi que l'adhésion de quelques soldats et officiers, mais ne
mentionnent nulle part l'intervention d'autres grandes familles "bourgeoises".
Ibn al-Sûfî, lui-même, est certes un notable ; rien ne prouve qu'il fut un
bourgeois. Il semble qu'il faille voir dans ces mouvements populaires et ces
révoltes, plus qu'une tentative d'une classe sociale (la bourgeoisie appuyée
parfois par le peuple) contre une autre (la classe féodale), la réaction d'une
population locale, le plus souvent arabe, contre un pouvoir d'origine étrangère.
C'est pourquoi se trouvent parfois aux côtés du peuple des membres de
l'aristocratie urbaine (marchands, intellectuels, hommes de religion ou même
militaires). A aucun moment il n'apparaît que ces mouvements aient tenté ou
souhaité substituer une forme de gouvernement à une autre. Ce qu'ils
contestent dans la plupart des cas, c'est un gouvernement étranger, un prince
injuste, un usurpateur, ce qu'ils ambitionnent c'est une plus grande participation
à ce pouvoir.

- Dans les provinces orientales d'Iraq et d'Iran des formes comparables


de résistances urbaines ont existé. Sans en faire une analyse approfondie, il
convient néamoins de les citer (12).
106 A.M. EDDE, H. BRESC, P. GUICHARD

Les mouvements de ayyârûn (malandrins) connus surtout à Bagdad et


dans certaines villes d'Iran ou de Transoxiane apparurent dès le début du IXe
siècle et peuvent être rapprochés des ahdâth syriens. Il s'agit là aussi
d'organisations spécifiquement urbaines (quoiqu'on trouve parfois des ayyârûn
mentionnés dans les campagnes dans la région du Khurasân notamment (13))
qui recrutaient leurs membres dans les couches pauvres de la population.
Comme les ahdâth, ils n'avaient pas de programme bien établi et s'illustrèrent,
selon les cas, dans la lutte pour la défense du califat à Bagdad, pour la
protection de leur ville ou dans des actes de déprédation et de pillage à l'égard
des couches sociales les plus favorisées. Propriétaires et commerçants,
fonctionnaires et militaires eurent souvent à subir leur violence. Toutefois, le
clivage social ne fut pas toujours aussi net, puisque certains notables se
mêlèrent parfois à leur mouvement.
c
Les ayyârûn apparaissent donc comme des hors-la-loi, des agitateurs,
mais en même temps ils adhérèrent peu à peu à une idéologie : la futuwwa
dont les valeurs étaient le courage, l'aide au faible, la générosité, l'hospitalité,
l'hostilité aux riches et la défense des pauvres. Ces ayyârûn étaient dirigés
comme les ahdâth par un chef qui portait souvent le nom de ra*îs. Cependant il
semble (en Iran notamment) que le ra*îs de la ville ne fût pas toujours
forcément le raTs des ayyârûn. Celui-ci était le plus souvent choisi parmi les
notables locaux. En Iran il était nommé par le gouvernement et servait
d'intermédiaire entre la population et le souverain. Là, comme en Syrie et en
Haute-Mésopotamie, de véritables dynasties de ru'asâ se constituèrent (cf.
Bukhara aux Xlle-Xllle siècles).
c
Dans l'ensemble, même si ces ayyârûn et leurs chefs furent souvent à
l'origine d'émeutes violentes contre la classe des possédants ou contre les
forces de police et l'armée, ils ne semblent pas avoir remis en question le
système ou les institutions politiques. Ils ne revendiquèrent pas l'autonomie ou
même plus simplement l'obtention de privilèges ou d'exemptions pour leur ville.
Il s'agissait bien davantage d'un mouvement populaire destiné à assurer par la
force une meilleure répartition des richesses, mais sans programme politique.
Certains ont voulu voir en eux un héritage des turbulentes factions du cirque
des villes romaines et byzantines, c'est-à-dire ces groupes de jeunes gens
chargés d'organiser les jeux du cirque et responsables bien souvent de révoltes
sanglantes. A. Cameron a montré qu'il n'en était rien et que les différences
entre ces mouvements étaient beaucoup plus nombreuses et significatives que
c
leurs ressemblances (14). Quoiqu'il en soit, les ayyârûn ne peuvent être
considérés comme les défenseurs d'un nouveau système d'institutions urbaines.
c
A côté des ayyârûn on peut aussi relever l'organisation d'autres
mouvements populaires, d'inspiration plus religieuse, tels ceux des Hanbalites qui se
heurtèrent souvent aux autorités. Toutefois, dans ce cas, les opposants
s'élevaient surtout contre un mode de vie jugé trop licencieux, s'opposaient à toute
innovation religieuse et prêchaient le retour à la tradition des ancêtres, à
l'islam primitif. On ne peut y voir la recherche d'un quelconque affran-
AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 107

chissement du système politique, bien au contraire.


Enfin en Iraq et dans les villes iraniennes apparaissent aussi des orga-
nisations de solidarité ( asabiyyât), des factions urbaines qui entrèrent souvent
en lutte les unes contre les autres et participèrent de ce fait à l'agitation
urbaine. Des conflits opposèrent ainsi des quartiers à l'intérieur d'une ville
(Nishapur, Merv, Herat, Iranshar etc.) ou une ville à une autre (Nishapur contre
Tush). Des antagonistes sociaux ont sans doute joué un certain rôle dans ces
mouvements mais dans la plupart des cas, les luttes religieuses semblaient
l'emporter (Shiites contre Sunnites, Hanafites contres Shafiites etc.). Nos
sources ne laissent apparaître, en tout cas, aucune volonté de la part de ces
populations de s'administrer ou de se gouverner elles-mêmes.

En Sicile, le cas de Palerme frappe par sa précocité et sa radicalité :


l'historien nous dit, explicitement, que "le gouvernement des gens de la Ville
revint aux shaykhs" (15). Et c'est ce qui a donné à Amari la conviction, ou
l'illusion, d'un gouvernement républicain municipal. L'existence, cependant, d'un
pouvoir urbain, à l'ombre d'un état califien à prétentions universelles, est
incontestable.
L'autonomisme politique exprimé par une classe de notables, sans doute
d'abord grands marchands (Ibn Hawqal atteste leur forte présence), mais aussi
hommes de loi et de culture, s'exprime très tôt : il implique Palerme, et toute
la Sicile avec sa capitale. En 947, profitant de la faiblesse et de la lâcheté du
mutawallî Ibn Attâf, qui renonçait à lutter contre les Byzantins d'Italie, une
famille de notables, les B. Tabarî, d'origine persane, suscite une émeute au
moment propice de la fin du ramadan (16).
Le califat est alors affaibli par sa lutte contre la révolte kharidjite d'Abû
Yazîd en lfriqîya, mais les Tabarî n'entreprennent pas une opération
séparatiste : ils adressent une délégation au calife al-Mansûr pour demander un
gouverneur. Ce légitimisme de façade cache évidemment l'aspiration au
contrôle du parti familial sur le gouvernement local. Al-Mansûr s'est empressé
c
d'adresser dans l'île un homme à poigne, le kalbite Hasan b. Alî, avant même
l'arrivée de la délégation à Kairouan. Arrivé à Mazara, Hasan, d'abord
étroitement surveillé par les partisans des Tabarî, est isolé : seul le rejoint, de
nuit, un groupe d'Ifriqîyens, et, en particulier, de Kutâma. Le parti se veut donc
insulaire, hostile aux troupes professionnelles des "Purs" ; de fait, il trouve des
partisans dans toute l'île et pour éviter que les Tabarî aient le temps de les
rassembler, Hasan gagne Palerme, les prenant de vitesse, rencontre à Baida,
aux portes de la ville, une délégation composée du hâkim, juge de la cité, des
officiers , ashâb, des diwâns et de ceux qui "désirent la sécurité". Il échappe à
une provocation tendue par les Tabarî, et, tandis qu'ai- Mansûr fait arrêter la
délégation venue à Kairouan, Hasan prend les Tabarî au piège d'une invitation
dans ses jardins et les incarcère, fondant solidement pour un siècle le pouvoir
de son lignage, les Kalbites.
108 A.M. EDDE, H. BRESC, P. GUICHARD

d'abordParquedeux
les Tabarî
fois, Ibnétaient
al-Athîr
parmi
invoque
les a c yân
la présence
de la djamâ
d'une
c a, djamâ
les notables
Q a : il dit
de
la communauté ; l'origine iranienne confirme l'appartenance au milieu mar-
c
chand et on les voit organisés en grande maison solidaire : Alî b. Tabarî fait
partie de la délégation à Kairouan, tandis que le chef du lignage, Ibn Tabarî
(Muhammad b. Tabarî), organise le parti à Palerme. Un autre lignage engage
lui aussi deux de ses membres dans la direction : Muhammad b. Djanâ fait
partie de la délégation et Radjâ' b. Djanâ du groupe de Palerme. On connaît
enfin le nom d'un cinquième personnage, arrêté à Kairouan, Muhammad b.
c
Abdûn. Parti familial, anti-étranger, représentant une communauté sicilienne
aux origines mêlées, le groupe des Tabarî comptait sur des adhésions
nombreuses dans l'ensemble de l'île et provoquait une épreuve de force, insup-
c
portable à l'essence même du califat-imâmat isma ilien. Mais rien n'indique que
c
la djamâ a aurait eu les capacités, ni l'intention d'agir en gouvernement local.
C'est à la fois un parti, articulant insurrection et légitimisme, menace et
c
service, pour accaparer le relais local du pouvoir. Une autre djamâ a, le groupe
des étrangers, agit contre elle à Mazara, mais on ne peut y voir un parti
organisé : la phrase évoque un simple ensemble
Pendant le long gouvernement des Kalbites, alors que la Sicile ne
manifeste aucun particularisme religieux vis-à-vis de Kairouan, puis du Caire,
les conflits et les équilibres tournent autour de l'opposition Siciliens/lfriqîyens
et la dynastie émirale repose sur le contraste équilibré des deux factions, garde
berbère et djund des Siciliens, chacun avec son "esprit de corps". C'est
seulement la crise au sein de la dynastie qui met fin à l'équilibre des tensions :
c c
la révolte de Alî, en 1015, contre son frère Dja far, entraîne les contingents
étrangers, vaincus, puis expulsés ou massacrés. L'armée est réduite au seul
djund sicilien, la capacité militaire est diminuée, la dynastie s'est privée du
contre-poids indispensable : elle est perdue. En 1019, les insulaires (ahl
a!-djazîra, ahl Siqillîya) se révoltent contre Dja far, pour chasser son vizir le
secrétaire Hasan al-Baghâ'î, coupable d'avoir remplacé la taxe par charruée
par une dîme générale des récoltes et de mépriser les qayds et les shaykhs du
"pays" : c'est le bilâd qui se soulève, "grands et petits", pour défendre ses
libertés fiscales (originales dans l'ensemble islamique et destinées à une longue
postérité) et une représentation informelle, par les chefs militaires et les
notables, contre l'autocratie du Diwân. Le 13 mai' 1019, Dja far est contraint à
se réfugier en Egypte, laissant le pouvoir à son frère Ahmad al-Akhal, tandis
que les fonctionnaires, trop zélés et, notons-le, étrangers, sont exécutés (17).
La mécanique est bien connue : elle montre le rôle de ces notables, sans doute
chefs de partis familiaux, et l'écho de leurs thèmes particularistes dans le petit
peuple.

Une obscurité soulignée par Amari couvre les années du gouvernement


d'al-Akhal, de 1019 à 1035 : vigueur de l'offensive militaire en Calabre,
attestée par Nuwayrî, et redressement des affaires, puis crise, simultanée à
AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 109

l'offensive de Bojohannès et attribuée par les historiens à l'intrigue et aux


c
maladresses de Dja far, fils de Akhal. Contraint par la menace byzantine à une
alliance avec les Zirides, Akhal s'appuie sur les Ifriqîyens, établit sur les
Siciliens le payement du kharâdj, au lieu de la taxe c par charruée. En 1035,
quand se profile l'invasion de Maniakès, une djamâ a de Siciliens offre le
c
pouvoir au ziride Mu izz b. Bâdis : dans la confusion des partis, Akhal est tué,
mais les Siciliens inconstants ou prudents, chassent les Ifriqîyens et confient le
pouvoir au frère de Akhal, Simsâm al-Dawla (18).
Les historiens arabes ignorent complètement le gouvernement de Simsâm:
ils annoncent aussitôt sa chute et l'arrivée au pouvoir des hommes "les plus
abjects" (19). Il est possible que des chefs de factions aient déjà saisi des gages
et établi des chefferies dans les villes de l'intérieur ; mais, à Palerme, c'est en
1052 seulement que "le gouvernement des gens de la ville revint aux shaykhs",
tandis que Simsâm était tué. Il s'agit bien d'un véritable pouvoir oligarchique
des grandes familles marchandes : en Orient et sur la ligne essentielle
Damiette-Mazara, circulent, au témoignage des lettres de la Geniza, des
navires dits "des Shaykhs" que Goitein attribuait sans hésiter à la propriété
collective des grandes familles palermitaines (20). Il ne semble pas, par contre,
qu'un choix de parti religieux ait sous-tendu, comme dans Plfriqîya ziride, le
particularisme ou l'autonomisme de Palerme : la Sicile est restée, officiellement
du moins, fidèle au califat du Caire et au shiisme isma ilien : les monnaies
frappées à Palerme, de 429 H/ 1037-1038 à 456H/ 1063-1064, portent le nom
de l'imâm al-Mustansir, et, pour la plupart, de précises références au credo
shiite isma ilien ; peut-être s'agissait-il de se démarquer vigoureusement de
l'Ifriqîya, pour échapper à l'annexionnisme ziride, qui avait pris les couleurs du
malikisme: on ne voit pas en effet que, par la suite, un fort parti isma ilien ait
existé dans l'île, mais il restera une ambiance shiite et une fidélité aux Alides,
représentés par le rameau des Hammûdites (21).
c
II est possible aussi que la référence isma ilienne ait servi aux gens de
Palerme pour éluder la revendication califienne lancée dans l'île par l'un des
chefs de partis, le plus puissant vers 1052, Muhammad b. Ibrâhîm dit lbn
Thimna, qui prend le nom de al-Qâdir billâh, tiré de la titulature abbaside, et
qui fait reconnaître pour un temps son pouvoir à Palerme (sans cependant y
faire frapper monnaie, au témoignage des collections). Nuwayrî et lbn Khaldûn
attestent qu'on a prononcé à Palerme la khutba en son nom. Il y a fait armer
des navires et il est probablement ce sâhib de l'île dont la flotte intervient à
Sousse en 1053-1054, selon Tidjanî. Ce califat de taifa ne devait guère durer ;
dès avant le débarquement des Normands, que lbn Thimna va favoriser, il a été
c c
bousculé par le maître de Castrogiovanni, Alî b. Ni ma, dit lbn Hawwâs, et
Palerme, au témoignage des chroniqueurs normands, a basculé dans le camp du
vainqueur. C'est de la capitale qu'lbn Hawwâs envoie une petite flotte secourir
Messine accablée par Robert Guiscard. La capitale ne pouvait pas échapper aux
tentatives d'unification, lancées, dans un climat de défaite et de désespoir, par
ces hommes "abjects" que méprise le chroniqueur arabe. Il est d'ailleurs plus
probable (et il est assuré pour lbn Thimna) qu'il s'agisse en réalité de membres
110 A.M. EDDE, H. BRESC, P. GUICHARD

des familles nobles et pour certains (mais lesquels ?) des Hammûdites. Sous les
Normands, une branche demeurée fidèle à l'Islam de ce lignage, à vocation
califale (ce qu'il avait tenté en Espagne), assumera la tâche difficile et
douloureuse de protéger la communauté vaincue en collaborant avec la
dynastie française, tandis que la branche des maîtres de Castrogiovanni
acceptait la conversion et l'exil en Calabre.
En 1071 enfin, Palerme, assiégée, privée de chef "régional" par la mort
de Ibn Hawwâs, tué dans un conflit avec ses alliés africains, retrouve des
formes de gouvernement représentatif pour sa défense et son ultime
capitulation : deux qayds loquel avoient l'ofice laquelle avoient li antique (22),
viennent négocier. Pour Amari, il s'agit d'un pouvoir militaire d'urgence, par la
force, pour contraindre les Shaykhs, li antique, à cesser la résistance ; son
point de vue tragique s'accorde avec sa vision tendue d'une république de
Palerme, Commune et Seigneurie à la fois, dominant la Sicile occidentale et
s'opposant à une féodalité de grands seigneurs musulmans d'une Sicile orientale
peu islamisée, terre de conquête et de guerre, mais hommes à la fidélité
incertaine, tentés par la collaboration. Sans refuser à cette vision le mérite de
la grandeur et de la conviction, c'est une hypothèse plus modeste qui nous
retiendra : le souci d'une oligarchie marchande d'accaparer les relais du
pouvoir dans toute l'île, dans une atmosphère de djihâd, et de conflits
factionnels, et qui a pu tenir ce pouvoir, au scandale des historiens, pendant
presque vingt ans.

En al-Andalus, on peut déceler, dans le domaine culturel, un certain


"patriotisme urbain", qui se traduit par exemple dans les "éloges" littéraires
(fadâ'il) de telle ou telle ville. Cet "esprit de corps" se traduit parfois par des
révoltes, dont celle de Cordoue en 1121 fournit un bon exemple, montrant bien
qu'une grande ville peut opposer au pouvoir une solidarité qui témoigne de son
existence en tant que corps politico- social. L'incident qui déclenche cette
révolte est un attentat à l'honneur d'une cordouane par un "esclave noir", sans
doute un militaire, ou en tout cas un agent du sultan almoravide. Cet incident
provoque des rixes entre miliciens noirs et Cordouans, puis des plaintes des
fuqahâ1 et autres notables de la ville auprès du gouverneur almoravide. Celui-ci
ayant pris le parti de ses agents, les Cordouans prennent d'assaut le qasr-
(palais-garnison) où résident le gouverneur et la milice almoravide, et les
chassent de Cordoue. Il fallut la venue en al-Andalus du souverain almoravide
lui-même avec une importante armée, et un siège de plusieurs mois, pour que
la révolte se termine à la suite d'un accord entre l'émir 'AIT b. Yûsuf et les
fuqahâ1 cordouans, sur la base du pardon accordé pour la révolte d'une part, et
d'une indemnisation payée par les Cordouans pour les dommages subis par les
Almoravides lors du saccage du qasr d'autre part. En liaison avec ce qui a été
dit plus haut, on notera l'absence de tout contenu idéologique dans ce
mouvement urbain, qui s'oppose seulement aux abus d'un pouvoir dont la
AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 111

légitimité n'est pas contestée. Autre point à relever : la solidarité urbaine


s'exprime à travers l'opinion des notables, essentiellement les fuqahâ1 (23).
La situation où se manifeste le plus fréquemment l'existence de la ville
comme corps politique distinct du pouvoir est le cas de crise de l'autorité
centrale (sultan). A l'époque de la crise de l'émirat de Cordoue, à la fin du IXe
siècle, et même, de façon plus constante, pendant une bonne partie de la
période émirale, la seule communauté urbaine dont la résistance au pouvoir soit
patente à travers les sources dont nous disposons, est celle de Tolède, en
révolte contre le sultan de Cordoue, sans que s'aperçoive nettement une
direction "personnalisée du mouvement" (les sources n'indiquent généralement
pas de chefs, mais parlent de façon générale des "gens de Tolède", même
lorsque ces révoltes sont racontées avec un certain détail). Tolède est
cependant incontestablement à cette époque une ville déjà très arabisée et
islamisée culturellement, bien que, semble-t-il, ethniquement peu marquée par
les apports orientaux et maghrébins. Nous ne savons pas comment, institution-
nellement, s'organise la résistance de la cité durant les multiples révoltes,
parfois fort longues, qui jalonnent son histoire depuis le milieu du Ville siècle
jusqu'à sa reconquête définitive par le pouvoir omeyyade en 932, au début du
califat. Le texte très intéressant du Muqtabis d'Ibn Hayyân, repris tel quel du
chroniqueur Ahmad al-Râzî (m. en 955) qui s'était lui-même informé oralement
auprès d'un "ancien" ou "notable" (shaykh) de Tolède, témoin de la rentrée de
la ville dans l'obédience califale, suggère nettement le caractère collectif de
l'action de la cité (constituée en une djamâ a, ainsi que l'exigence de respect
d'une certaine autonomie par rapport au pouvoir (qui s'engage à ne pas
destituer le "directeur de la prière" (sâhib al-salât) et à ne placer à la tête des
citadins que "les meilleurs d'entre eux") et des normes coraniques en matière
fiscale. Le texte poursuit, sans ironie particulière, que le dernier effet de la
sollicitude du calife pour la ville ainsi réoccupée fut la construction d'un mur
qui séparait désormais le qasr, résidence des ummâl (gouverneurs,
fonctionnaires) du sultan du reste de la ville, "ce qui fut utile à tous, et favorisa le
retour au calme des esprits et leur maintien dans la voie droite" (24).
Cette édification d'une citadelle sultanienne dans une ville qui paraît par
ailleurs avoir une existence propre et une certaine capacité d'action collective
face au pouvoir, s'observe dans d'autres cas à l'époque de l'émirat de Cordoue,
en particulier à Mérida et à Seville. Dans la première de ces villes, on n'est
guère informé que de la construction d'un qasr destiné à abriter l'appareil
administratif et militaire mis en place par le pouvoir central, face à une ville
peu docile. Dans la seconde, on possède un récit plus détaillé de l'opposition au
pouvoir, opposition que l'on voit menée par les principales familles
aristocratiques arabes de la ville, les Banû Hadjdjâdj et les Banû Khaldûn, et d'autres
notables, qui s'insurgent contre la volonté du gouverneur de construire une
vaste enceinte incluant à la fois le qasr gouvernoral et la mosquée (25).

A l'époque califale, on ne relève aucune manifestation d'autonomisme


112 A.M. EDDE, H. BRESC, P. GUICHARD

urbain. Aux époques suivantes, en revanche, de façon timide lors de la phase


de crise du pouvoir califal au début du Xle siècle, puis surtout à l'occasion de
l'agitation qui termine l'époque almoravide et l'époque almohade, on assiste à
plusieurs reprises à des mouvements urbains qui débouchent sur la désignation
par les habitants d'un gouverneur autonome de la ville et de sa zone
d'influence. A Seville, par exemple, au moment de l'effondrement du califat, le
pouvoir est confié à trois notables de la ville, le qâdi, un faqîh et un wazîr.
Malheureusement, l'expression qu'emploie la Chronique des taifas, qui rapporte
ces événements, pour décrire les modalités de désignation de ce triumvirat est,
comme il arrive généralement en pareil cas, remarquablement vague, et ne
permet pas de savoir comment se passèrent les faits (26). H s'agit d'ailleurs
d'un cas isolé à cette époque, où ce sont partout ailleurs des fonctionnaires et
des militaires qui s'emparent du pouvoir, apparemment sans rencontrer
d'opposition de la part des citadins. A Almeria, cependant, à la mort du
souverain slave de la ville, Zuhayr, en 1038, la même Chronique des taifas
indique que "les habitants écrivirent à 'Abd al-Azîz b. Abî Amir, souverain de
Valence, pour qu'il les gouverne" (27). A Valence même, enfin, au cours de la
période particulièrement agitée qui, à la fin des taifas, marque la vie de la
cité, les notables valenciens se soulèvent en 1092 contre leur souverain,
al-Qâdir b. dhi I-Nûn, et font appel aux Almoravides. La conjuration fut
préparée par le qâdi Dja'far b. Djahhâf, le juge secondaire (sâhib al-ahkâm) Ibn
Wâdjib, et "ceux qui participaient à la vie publique (ou détenaient l'autorité)"
(28).
Lors de la crise du milieu du Xlle siècle, au moment de la chute du
régime almoravide, les habitants de nombreuses villes rejettent l'autorité des
émirs lamtuniens qui les gouvernent et confient la riyâsa locale à un de leurs
concitoyens, généralement le qâdi (à Cordoue, Jaen, Grenade, Malaga,
Valence). A Murcie, on s'adresse à un membre de l'aristocratie locale qui avait
exercé précédemment la fonction de kâtib (secrétaire, en fait chef d'un grand
service administratif, ou chargé d'une importante fonction de chancellerie)
dans le gouvernement central almoravide, puis avait démissionné pour se
consacrer à une vie de dévotion et d'ascétisme dans son pays natal. A Almeria,
les habitants sollicitent d'abord l'amiral andalou qui commandait la flotte
almoravide basée dans le port, le qâ'id Ibn Maymûn. Celui-ci ayant refusé, ils
s'adressent à un notable de la ville, Ibn al-Ramîmî. Dans tous les cas, les
formules employées restent très vagues, et le processus de désignation du rats
n'est pas vraiment connu. A Valence, par exemple, ce sont "le djund (l'armée),
les Arabes (?) et les notables de la ville (wudjûh ahl al-balad)" qui proposent le
c c
gouvernement au qâdi Ibn Abd al- Azîz, qui d'ailleurs le refuse dans un
premier temps. Dans le cas de Cordoue, on entrevoit un certain clivage entre
classes sociales : lorsque l'agitation contre le régime almoravide devient trop
menaçante, les gens (al-nâs), c'est-à-dire apparemment l'aristocratie (khâssa),
poussent l'ancien qâdi Ibn Hamdîn à calmer l'agitation du peuple ( âmma) et à
prendre en fait la direction de la ville (29).
AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 113

11 apparaît nettement dans tous ces mouvements que les structures d'un
possible gouvernement urbain n'existent pas, ni même les mentalités qui
auraient pu le permettre. Les quelques tentatives de gouvernement collectif ne
durent que très peu de temps ; la démarche normale est, devant le désarroi
que crée la crise du sultan considéré jusque là comme légitime, de trouver un
rais acceptant de s'occuper temporairement des affaires, jusqu'à ce que
s'impose un autre sultan unificateur. Cette notion de pouvoir urbain temporaire
est bien exprimée par l'ascète de Murcie que ses concitoyens pressent
d'accepter l'imâra au début de 1145 : "Cela n'est pas dans mon intérêt ; je n'ai
pas de qualités pour cela. Je veux (seulement) maintenir l'ordre entre les gens
jusqu'à ce que vienne quelqu'un qui ait les qualités requises" (30). On se tourne
spontanément vers les notables en place, ou vers un personnage ayant acquis
une réputation de vertu et de qualités religieuses exceptionnelles. L'idée de
Mu'nis, selon laquelle il y aurait eu de véritables conseils de shuyûkh (anciens,
notables) organisés, ne repose apparemment que sur un texte tardif d'Ibn
Khaldûn (31). Ces pouvoirs urbains évoluent spontanément vers une prétention
à un pouvoir de type "universel" (comme on le voit dans le cas du qâdi de
Cordoue Ibn Hamdîn, qui prend le titre d'amîr al muslimîn et le surnom
honorifique (laqab) de "protecteur de la religion", et prétend coordonner les
mouvements anti-almoravides dans la péninsule) ou vers des luttes de clans et
de partis à l'intérieur de la ville (comme à Murcie), conflits qui ne sont
surmontés que par l'émergence d'un nouveau sultan extérieur à la ville. Ni les
mentalités politiques, ni les structures politiques ne permettaient l'instauration
de pouvoirs urbains stables.

Que peut-on conclure de ce qui précède ? Dans toutes ces villes


islamiques médiévales, une opposition urbaine s'est maintes fois exprimée face
aux autorités, parfois de manière très violente, sous formes d'émeutes et de
révoltes. Mais tous ces mouvements n'aboutirent jamais à l'instauration de
nouvelles institutions, ou même plus simplement, ne tentèrent pas d'obtenir des
privilèges particuliers. Ils expriment plutôt selon les cas :
- Une volonté d'échapper à la domination étrangère (à Tripoli, à Tyr par
exemple ; en al-Andalus, il y a parfois réaction contre le pouvoir berbère des
Almoravides et des Almohades).
- Un désir de maintenir leur indépendance face à un pouvoir extérieur
menaçant (à Damas contre les Zenguides) ou de résister à des envahisseurs
comme les Francs.
- Une aspiration à défendre le sunnisme contre le shiisme (les ahdâth
c
syriens ou les ayyarûn sunnites de Bagdad.
- Une volonté de défendre les pauvres contre les riches (les Q ayyarûn),
la religion des ancêtres contre les innovations (cas des Hanbalites).
- Les rivalités de factions, de clans, oppositions sociales qui devinrent
très vite religieuses ( asabiyyât d'Iran).
- En al-Andalus, on a souvent l'impression que la proclamation d'un
1 14 A.M. EDDE, H. BRESC, P. GUICHARD

pouvoir urbain n'est qu'une solution temporaire destinée à combler le vide


laissé par la crise d'un pouvoir centralisé. Mais l'indépendance urbaine n'a pas
de contenu positif.
Au total, on ne consteste pas le système politique qui implique la
soumission de la ville au pouvoir d'un prince, d'un gouverneur, d'un atabeg. En
Orient, même les qâdî-s qui obtinrent une quasi indépendance à la tête de leur
ville recherchèrent vite alliances et protection auprès des uns ou des autres
(Fatimides, Seldjouqides ou Abbassides de Bagdad). La notion même de
"franchise" est d'ailleurs étrangère à l'organisation socio-politique musulmane.
Cela nous amène tout naturellement à nous interroger sur les causes
multiples et complexes de cette différence essentielle avec l'Occident. Parmi
les explications qui ont été avancées, on peut retenir celle -extrême- de I. M.
Lapidus : la ville n'ayant pas de caractères spécifiques assez marqués pour la
différencier de la campagne, n'ayant pas de fonction dominante, elle ne peut
se doter d'institutions propres. Mais on peut aussi dégager certaines causes
moins négatives.

On pourrait penser en premier lieu à des raisons tenant au système


politique et militaire et à l'organisation du pouvoir, et évoquer la tradition
iranienne du "despotisme oriental". Il est vrai que, compte tenu de la distance
qui sépare les normes théoriques du droit public musulman de la réalité des
faits, le pouvoir prend souvent dans le monde musulman médiéval un aspect
"despotique" et incontrôlé. Il ne faut pas oublier, cependant, que dans une
grande capitale politique musulmane du Moyen Age, il existe des "contrepoids"
à l'exercice abusif du pouvoir. D'abord l'existence d'une norme juridico-morale,
qui est à la base de toute la culture. Le pouvoir repose en principe sur une
délégation (wilâya) et un contrat ou du moins une reconnaissance (bay a). Il
doit se conformer aux normes du droit public (en matière de djihâd, de
fiscalité, par exemple) et faire respecter les règles de droit privé et la morale
islamique. Les écarts par rapport à cette norme sont souvent importants, mais
elle reste toujours présente dans les mentalités. Et il ne faut pas oublier le rôle
très important des fuqahâ dans l'organisation socio-politique. La doctrine
politique de l'Islam médiéval évolue constamment entre l'exigence de "maintien
de l'ordre", conduisant au conservatisme social et politique (le gouvernement
d'un mauvais souverain est préférable au désordre, à la fitna ou rupture de la
communauté) et l'affirmation de la nécessité pour le pouvoir de gouverner
selon la justice (32). Cependant en aucun cas il n'y a de place pour un système
d'autonomie urbaine, c'est-à-dire de communauté organisant son propre
pouvoir indépendant de celui de la communauté.
La ville, siège de ce gouvernement, est dominée par lui. Il étouffe les
autres groupes d'intérêt, comme les bourgeois, ou les intègre dans son
entourage et se les associe ainsi indirectement. Même si le pouvoir est faible, il est
mieux à même de résister sur le lieu où il réside, avec l'appui de son armée
faite d'esclaves ou de mercenaires souvent étrangers à la ville (Turcs, Iraniens,
Berbères en Orient, Slaves, Noirs, et même Francs en Occident).
AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 115

On trouverait ensuite des raisons liées aux structures sociales des villes.
En premier lieu le rôle très important joué par le groupe social particulier que
forment les ulamâ', hommes de religion, savants, jurisconsultes » qâdî-s... Ils
n'appartiennent pas un groupe social ou ethnique en particulier. Ces charges
sont accessibles à quiconque possède les qualités morales, intellectuelles,
religieuses nécessaires. Ces "magistrats" ont une grande influence sur le peuple
qui les respecte et souvent leur obéit. En Orient du moins, à partir du Xle
siècle (avec le développement des madrasas notamment) ils apparaissent de
plus en plus liés au pouvoir qui les forme et les nomme. Partout, ils jouent un
rôle d'intermédiaire entre le pouvoir et le peuple. Ils canalisent aussi dans le
respect des institutions politiques et religieuses le mécontentement de la
population. Les villes musulmanes sont, d'autre part, à la fois plus diversifiées
ethniquement et, au niveau des classes aisées, moins stratifiées socialement que
les villes occidentales : l'importance et la diversité des groupes ethniques y
entraînent un cloisonnement marqué de la société, selon les lieux, entre Arabes,
Iraniens, Turcs, Berbères, sans parler des Chrétiens et des Juifs, dont les
activités se mélangent peu ; d'autre part il n'existe pas de clivage aussi net
qu'en Occident entre bourgeoisie et aristocratie. La bourgeoisie urbaine (grands
marchands, négociants, banquiers...) et l'élite intellectuelle religieuse et
administrative sont souvent issues des mêmes familles. En Orient, jusqu'au début du
Xlle siècle, avant la généralisation des madrasas, les revenus des hommes de
religion provenaient souvent d'activités commerciales (33). Il n'existe pas,
enfin, dans les villes islamiques, des corporations professionnelles, ghildes et
confréries, que l'on voit agir en Occident au premier rang des citadins au
moment d'obtenir la reconnaissance des franchises, alors que les corporations
professionnelles en Italie se sont développées plutôt après la naissance des
communes qu'avant (34).
On peut envisager par ailleurs des raisons d'ordre économique. Il existe
sans doute des taxes commerciales (péages et douanes) à l'entrée ou à la
sortie des villes islamiques, des droits sur certaines opérations de vente, des
taxes sur différents métiers (35). Les taxes douanières étaient justifiées par la
zakât dont elles faisaient théoriquement partie, mais les autres impôts
économiques étaient considérés comme extra-canoniques et soulevaient souvent le
mécontentement de la population, appuyée par certains juristes et hommes de
religion. Des émeutes populaires ont ainsi obligé parfois les gouvernements à
reculer. Mais les taxes ont sans doute frappé de manière moins systématique et
moins forte qu'en Occident, refusées pour des motifs autant religieux
qu'économiques, elles ont en fait beaucoup varié selon les lieux et les époques (elles
sont plus fortes en Egypte ou sous les Bouyides à Bagdad ; en al-Andalus les
Almoravides prétendent, du moins dans un premier temps, supprimer
complètement la fiscalité illégale des taifas). Tantôt elles apparaissent liées à des
difficultés financières des gouvernements, tantôt elles semblent avoir servi au
contraire sur place aux autorités locales et en particulier à la police (les
ahdaôth et le ra'îs peuvent être rémunérés grâce a certaines taxes
économiques).
116 A.M. EDDE, H. BRESC, P. GUICHARD

II n'y a pas eu, d'autre part, en Orient, pour des raisons géographiques et
politiques, au Xle et au Xlle siècles, de mise en valeur de terres nouvelles et de
mouvement comparable aux défrichements d'Occident, qui s'accompagnaient
souvent de fondations de villes neuves avec octroi de privilèges et de
franchises. En Orient, les villes étaient déjà nombreuses et fort peuplées ; celles
qui furent créées au Xe siècle (les villes fatimides notamment) le furent pour
des raisons politiques et militaires, et cherchèrent au contraire à écarter la
population plutôt qu'à l'attirer. En Occident, les villes qui se créent à l'époque
musulmane sont souvent aussi des chef-lieux administratifs (Murcie), des
capitales (la Qal^i des Banû Hammâd), des villes militaires (Tudela), et comme
telles fortement contrôlées par le pouvoir. Une cité comme Almeria, dont
l'essor à partir de la fin du IXe siècle repose sur des facteurs exclusivement
commerciaux, devient au milieu du Xe siècle le principal port militaire du
califat de Cordoue, puis une capitale de taifas au Xle siècle.
Des données religieuses doivent aussi être prises en compte. L'une des
revendications essentielles des communes en Occident concerne la justice. En
Islam, la justice est coranique et relève d'hommes de religion, les qâdî, et non
de seigneurs ; nul ne songe à mettre en cause cette forme d'administration de
la justice. Le qâdî est au contraire bien souvent le représentant en quelque
sorte "naturel" de la population urbaine face au pouvoir. D'un autre côté,
l'affiliation religieuse de la population, compte tenu -peut-être surtout en
Orient- de la multiplication des sectes ou des écoles théologiques et juridiques,
est au moins aussi importante, sinon plus, que l'appartenance à un groupe
social. Les luttes de factions dans les villes prennent très vite une coloration
religieuse : hanafites contre shafiites, sunnites contre shiites. Or l'affiliation
religieuse recoupe différents groupes sociaux, ce qui empêche probablement
certaines oppositions de se manifester aussi clairement qu'en Occident.
On pourrait enfin envisager des raisons extérieures aux villes
elles-mêmes : les menaces d'invasion ont été constantes dans cette région à toutes les
époques. Un pouvoir local limité à une ville et son territoire a du mal à se
maintenir face à des forces hostiles beaucoup plus puissantes (fatimides,
byzantines, seldjouqides ou franques). Ces villes ne peuvent résister sur tous les
fronts, sont obligées de demander de l'aide, de se placer sous la protection des
uns et des autres, et finissent en général par perdre toute autonomie.

Ce qui reste commun, cependant, au monde de l'Islam méditerranéen et


aux villes méridionales de l'Europe chrétienne, en particulier aux villes
byzantines d'Italie, c'est la capacité des grands lignages de se reconnaître par une
"longue mémoire" qui les distingue, qui leur permet de revendiquer et exercer
un pouvoir au sein de la ville et la représentation de la cité, et qui maintient
enfin entre eux des oppositions et/ou des équilibres. Dans le monde islamique,
la crise du califat a libéré provisoirement, entre autres forces, le pouvoir des
notables, qui n'a pu se maintenir ici devant l'offensive franque, là devant la
reprise en mains d'un Etat centralisé.

Anne-Marie EDDE - Henri BRESC - Pierre GUICHARD


AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 117

NOTES

(1) Qui projette sur Palerme médiévale les images de l'Italie des Communes,
Popolo, Popolo grasso, et du Risorgimento.
(2) Miguel ASIN PALACIOS, "Un codice inexplorado del cordobés Ibn Hazm",
Al-Andalus, II, 1934, pp. 1-56.
(3) Miguel ASIN PALACIOS, Vidas de santones andaluces : la "Epistola de la
santidad" de Ibn Arabî de Murcia, Madrid 1981 (rééd.), et texte arabe
publié par le même, Madrid-Grenade, 1939.
(4) Francisco CODERA Y ZAIDIN, Decadencia y desaparicién de los Almora-
vides en Espana, Saragosse, 1899, pp. 33-51. Sur un mouvement du même
type dans la région d'Almeria : Miguel ASIN PALACIOS, "El mistico Abu
I- Abbâs ibn al- Arîf de Almaria y su "Mahâsin al-Mayâlis", Obras
escogida, I, pp. 219-242.
(5) Nous ne pouvons ici mentionner toutes les sources. Parmi les plus
importantes citons : Nâsir-i-Khusraw (m. 452 ou 453/1060-61), Sefer
Nameh, éd. et trad. Ch. Schefer, Paris, 1881 ; Ibn al-Qalânisî (m.
555/1160), Dhayl ta'rîkh Dimashq, éd. Amedroz, Leyde, 1908, trad,
partielle R. Le Tourneau, Damas de 1075 à 1154, P.I.F.D., Damas, 1952 ;
al- Azîmî (m. 556/1161), éd. Cl. Cahen "La chronique abrégée
d'al-CAzîmî", dans LA., 1938, p.353-448 ; Ibn al-Athîr (m. 630/1233),
al-Kâmil fî l-ta'rîkh éd. C. J. Tornberg, Leide, 1867, rééd. Beyrouth,
1965-1967, 13 volumes ; Sibt Ibn al-Djawzî (m. 654/1256), Mir'ât
al-zamân, éd. Hyderabad, 2 parties, 1951 ; Ibn al-°Adîm (m.660/1262),
Zubdat al-halab min ta'rîkh Halab, éd. S. Dahan, 3 vol., Damas,
1951-1958. Cf. Cl. Cahen, "Mouvements populaires et autonomisme urbain
dans l'Asie du Moyen Age", dans Arabica, V, 1958, p. 225-250, VI, 1959,
25-56 et 233-265 ; E. Ashtor, "Républiques urbaines dans le P. O. à
l'époque des croisades ?", dans Cahiers Civ. Méd., 18, 1975, p. 117-131.
T. Bianquis, Damas et la Syrie sous la domination fatimide
(359-468/969-1076), t. I, Damas, 1986, (t. Il sous presse).
(6) Dans les premières années du Xlle siècle, Djabala se révolta contre
Tripoli et échappa à son pouvoir.
(7) Cf. ASHTOR, "Républiques urbaines", pp. 128 et 131.
(8) Cela est beaucoup moins sûr pour les gouverneurs nommés par les
Fatimides à Tyr après 1089.
(9) Cf. CAHEN, "Les mouvements populaires", VI, p. 256.
(10) Pour les sources voir note 5. Cf. Cl. Cahen, "Mouvements populaires V, p.
237 sq. et E. Ashtor, "Républiques urbaines", p. 128-131.
118 A.M. EDDE, H. BRESC, P. GUICHARD

(11) Cf. Ibn al-Qalânisî, trad. R. LE TOURNEAU, Damas de 1075 à 1154,


Damas, 1952, p. 188 (année 524/1129-1130).
(12) Cf. CAHEN, "Mouvements populaires", VI, pp. 35 sq. ; C. E. BOSWORTH,
The Ghaznavids : Their Empire in Afghanistan and Eastern Iran,
994-1040, Edinbourg, 1963 ; R. W. BULLIETT, The Patricians of Nishapur,
A Study in Medieval Islamic Social History, Cambridge-Mass., 1972 ; S
SABARI, Les mouvements populaires à Bagdad (IXè-Xlè siècle), Paris,
1981.
(13) Cf. BOSWORTH, The Ghaznavids, p. 167.
(14) Cf. CAHEN, "Les Mouvements populaires", VI, pp. 233 sq. Spiros Jr.
VRYONIS, dans Byzantinische Zeitschrift, 1965, pp. 45-69 ; A. CAMERON,
Circus Factions ; Blues and Greens at Rome and Byzantium, Oxford,
1976.
(15) NUWAYRI, in Michèle AMARI, Biblioteca arabo-sicula, II, Turin, 1881, p.
142 (p. 445 de l'édition arabe, Leipzig, 1857).
(16) IBN AL-ATHIR, ibid., pp. 416-419 (pp. 257-259 de l'édition arabe).
(17) Ibid., p. 442-444 (p.273-274 de l'édition arabe).
(18) NUWAYRI, ibid. p. 141 (p. 445 de l'édition arabe).
(19) Jugement de IBN AL-ATHIR, p. 445.
(20) S. D. GOITEIN, Letters of Medieval Jewish Traders, Princeton, 1973, p. 98
(dès 1041-1042).
(21) Cf. Francesco SAPIO VITRANO, II Nummarium islamico e normanno della
Biblioteca comunale di Palermo, Palerme, 1975, pp. 127-151. Ce sont les
taris "shaykhiyya" de GOITEIN.
(22) AIME DU MONT-CASSIN, Storia de' Normanni /Ystoire de li Normant/,
éd. V. DE BARTHOLOMAEIS, Rome, 1935, p. 281.
(23) Jacinto BOSCH VILA, Los Almoravides, Tétouan, 1956, pp. 196-199.
(24) Evariste LEVI-PROVENCAL, Histoire de l'Espagne musulmane, II, Paris,
1950, v. à l'index les nombreuses références aux révoltes de Tolède sous
l'émirat. Sur l'atmosphère religieuse et culturelle de la ville, Leopoldo
TORRES BALBAS, "Le développement de la civilisation arabe à Tolède",
Cahiers de Tunisie, XVIII, n°69-70, 1er-2e trimestre 1970, pp. 73-86.
Texte sur la reddition de la ville dans le Muqtabas d'IBN HAYYAN, éd.
Pedro CHALMETA, Madrid, 1979, pp. 321-322 ; et trad, dans Maria Jésus
VIGUERA et Federico CORRIENTE, Cronica del califa CAbd al-Rahmân III,
Saragosse, 1981, pp. 241-242.
(25) LEVI-PROVENCAL, Histoire de l'Espagne musulmane, I, Paris, 1950, v. à
l'index les références à Merida et à Seville et, sur les plaintes des
habitants de cette dernière ville contre la construction d'un qasr
gouvernemental incluant le palais gouvernoral et la mosquée principale, le texte
arabe dans IBN HAYYAN, Muqtabis, vol. Ill, éd. Antuna, Paris, 1937, p. 77.
AUTONOMISMES URBAINS DES CITES ISLAMIQUES 119

(26) Texte arabe dans IBN C|DHARI, Bayân al-Mughrib, III, éd. E.
LEVI-PROVENCAL, Paris, 1930, pp. 314-315, et trad, par le même, dans
R. DOZY, Histoire des musulmans d'Espagne, nouvelle édition, Leyde,
1932, III, p. 234.
(27) Texte arabe dans le même vol. III du Bayân, p. 293.
(28) Texte du Bayân publié par E. LEVI-PROVENCAL, "La toma de Valencia
por el Cid segun las fuentes musulmanes", Al-Andalus, 1948, p. 110, et
trad, par le même, Islam d'Occident, Paris, 1948, p. 202.
(29) Voir sur cette période CODERA Y ZAIDIN, Vidas de santones, et, sur
Valence, Ambrosio HUICl MIRANDA, Historia musulmane de Valencia,
Valence, 1970, III, p. 103.
(30) Hussain MONES, "La division politico-administrativa de la Espana mu-
sulmana", Revista del Instituto de Estudios Islamicos en Madrid, V, 1957,
1-2, pp. 79-135.
(31) IBN AL-ABBAR, Al-hullat al siyarâ', éd. Hussain MONES, Le Caire, 1963,
p. 228.
(32) Sur les problèmes du pouvoir dans l'Islam médiéval, le bon livre de Ann K.
S. LAMBTON, State and Government in Medieval Islam, Oxford, 1981.
(33) Cf. Dominique SOURDEL, L'Islam médiéval, Paris, 1979, pp. 182-183 ;
Joan GILBERT, "Institutionalisation of Muslim Scholarship", Studia
Islamica, LU, 1980, p. 105-134.
(34) Robert FOSSIER, Enfance de l'Europe, Paris, I, 1982, p. 538.
(35) Cf. H. J. COHEN, "The Economie Background and the Secular Occupations
of Muslim Jurisprudents and Traditionist in the Classical Period of Islam",
JESHO, XIII, janvier 1970.

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