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Mélanges de l'Ecole française

de Rome. Moyen-Age

Les élites savantes urbaines dans la Sicile islamique d’après les


dictionnaires biographiques arabes
Annliese Nef

Résumé
Une étude renouvelée des ouvrages de Haqāt (dictionnaires biographiques) permet à travers l’exploitation d’une base de
données, de mettre en évidence quelques caractéristiques et évolutions que connaît le milieu des savants siciliens. Si les
IXe et Xe siècles sont marqués par une activité modérée dont les auteurs sont d’origine extérieure, de nettes
transformations se dessinent au XIe siècle : émergence d’un groupe d’origine sicilienne et de formation en partie locale,
dont l’activité se développe surtout dans un cadre insulaire ; des disciplines qui, de religieuses, laissent place à l’essor de
la poésie en liaison avec le milieu de cour kalbite. Toutefois, l’ensemble de la période retenue (IXe-XIe siècle) reflète la
relative marginalité de la Sicile dans l’élaboration des savoirs au sein du monde islamique, en dépit d’une activité non
négligeable à laquelle le XIIe siècle ne mettra pas brutalement fin.

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Nef Annliese. Les élites savantes urbaines dans la Sicile islamique d’après les dictionnaires biographiques arabes. In:
Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, tome 116, n°1. 2004. La Sicile à l’époque islamique. pp. 451-470;

http://www.persee.fr/doc/mefr_1123-9883_2004_num_116_1_8865

Document généré le 01/06/2017


ANNLIESE NEF

LES ÉLITES SAVANTES URBAINES


DANS LA SICILE ISLAMIQUE D’APRÈS
LES DICTIONNAIRES BIOGRAPHIQUES ARABES

Contrairement à l’idée répandue selon laquelle le corpus des sources


arabes1 sur la Sicile islamique est virtuellement clos, de nouveaux textes
sont toujours susceptibles de faire leur apparition 2. Toutefois, ce que nous
nous proposons de démontrer ici c’est que l’interprétation des documents
connus peut également être révisée.
Pour aborder la question de la présence d’élites savantes dans la Sicile
islamique, nous disposons de sources diverses, à commencer par les listes
d’ouvrages d’époque médiévale, les anthologies poétiques, les chroniques...
Il n’est pas question toutefois ici de proposer une synthèse sur le sujet,
mais plutôt, pour rester dans le thème de la rencontre centrée autour des
questions de méthode, de fournir une analyse renouvelée d’un type de
sources bien précis. Ce sont donc les recueils biographiques qui retien-
dront notre attention 3. Les ouvrages de tabaqât (pl. de tabaqa qui signifie
˙ ˙
«catégorie», «degré», «génération»), comme sont appelés les dictionnaires

1
Pour les sources byzantines et, plus largement, grecques, non strictement ha-
giographiques, on attendra la synthèse à venir de Vivien Prigent et la publication de
son article sous presse : La carrière du toumarque Euphémios, basileus des Romains,
prononcé à l’occasion du congrès international d’études byzantines qui s’est tenu à
Paris à l’été 2001 dans le cadre de la session sur l’Italie byzantine animée par Jean-
Marie Martin. Pour les documents judéo-arabes de la Gheniza, on notera que les
avancées récentes sont tout à fait remarquables, cf., entre autres, S. Simonsohn, The
Jews in Sicily, Leyde-New York-Cologne, 1997, I : 383-1300 (Studia post-biblica, 48,
1).
2
Idée à laquelle les recherches de Leonard Chiarelli donnent toutefois un dé-
menti éclatant à travers l’exploitation des sources ibadites; cf. L. C. Chiarelli, Sicily
during the Fatimid Age, Ph. D. University of Utah, 1986.
3
On trouvera le corpus des textes utilisés ici dans l’annexe 1; les sources seront
citées de manière abrégée dans les notes. Les références renverront autant que faire
se peut aux recueils de biographies les plus facilement consultables pour des non-
arabisants. Les noms des personnages seront donnés dans leur version la plus répan-
due et seront mentionnées entre parenthèses les versions divergentes sans mention-

Annliese Nef, Université Paris IV-Sorbonne, 1 rue Victor-Cousin, F-75230 Paris Cedex 05.

MEFRM, t. 116 – 2004 – 1, p. 451-470.


452 ANNLIESE NEF

biographiques dans la culture islamique, tirent leur origine de la nécessité


d’identifier les individus qui rapportaient des traditions relatives à la vie du
prophète (hadîth) et d’évaluer la qualité de leur transmission 4. Les bio-
˙
graphies étaient alors rassemblées par générations (depuis celle des
Compagnons, contemporaine du prophète, jusqu’aux plus récentes, celles
des auteurs de dictionnaires). En réalité, assez rapidement ce principe de
classement et cette origine première laissèrent la place à d’autres motiva-
tions et d’autres ordonnancements, si bien que le mot en vint à désigner
tous les types de dictionnaires biographiques sans distinction.
Les biographies de savants qui ont entretenu des liens avec la Sicile
ont fait l’objet d’études et d’éditions 5 par le passé, sans donner pour au-
tant naissance à une analyse systématique. La présentation que l’on en a
faite est ainsi restée le plus souvent anecdotique. Dès Michele Amari, et
grâce à lui, on connaissait une grande partie des données qu’elles conte-
naient mais sa présentation visait moins à retracer la mise en place d’un
milieu savant qu’à mettre en valeur la production intellectuelle attri-
buable à la Sicile. Le renouvellement des recherches sur les élites sa-
vantes dans d’autres aires géographiques du monde islamique 6 n’a guère
de ce point de vue bénéficié à la Sicile et les études ont continué de viser
essentiellement à fournir des informations supplémentaires ou des re-
cueils de textes sur le sujet.
Nous partons du présupposé que les élites dont nous allons parler évo-
luent essentiellement dans un milieu urbain, plus propice à leur activité,
même lorsqu’aucun nom de ville n’apparaît explicitement dans leur bio-
graphie. En cela, les biographies de savants permettent, en effet, d’aborder
des questions non seulement importantes mais souvent mal connues et peu
documentées, telle celle de l’islamisation des villes et du savoir et celle des
relations entre la Sicile et le reste du dâr al-islâm.

ner l’auteur qui avance telle ou telle, par souci de simplification; les lecteurs intéres-
sés devront se reporter aux sources citées.
4
Pour une introduction développée sur ce type de littérature, cf. I. Hafsi, Re-
cherches sur le genre Tabaqât, dans Arabica, 23, 1976, p. 227-265 et 24, 1977, p. 1-41 et
p. 150-186. ˙
5
I. ‘Abbâs, Mu‘jam al-‘ulamâ} wa al-shu‘arâ} al-Siqiliyyîn, Beyrouth, 1994 et
M.A. De Luca, Giudici e giuristi nella Sicilia musulmana ˙ – Notizie e biografie estratte
dal Tartîb al-Madârik, Palerme, 1989, en italien.
6
Il est impossible de citer tous les travaux publiés dans ce domaine mais les ap-
proches des dictionnaires biographiques sont très variées. On se contentera de citer :
C. F. Petry, The civilian elite of Cairo in the Late Middle Ages, Princeton, 1981;
R.W. Bulliet, Conversion to Islam in the Medieval Period. An essay on quantitative his-

.
LES ÉLITES SAVANTES URBAINES DANS LA SICILE ISLAMIQUE 453

LIMITES D’UNE TELLE ÉTUDE POUR LA SICILE

Diverses limites caractérisent le genre des dictionnaires biographiques


et en particulier dans le cas de la Sicile. Certaines tiennent à la nature de la
source, d’autres sont propres à l’histoire de l’île et à sa place dans l’histoire
de l’Occident musulman, d’autres encore s’expliquent par les motivations
des auteurs qui répondent aussi à des logiques régionales; il en est, enfin,
qui découlent de la nature des informations contenues et retenues dans les
biographies elles-mêmes, en fonction du type d’encyclopédie biographique
dont il s’agit.

Les limites tenant à la nature des sources

Les recueils de tabaqât présentent des caractéristiques qui ne sont pas


˙
sans conséquence pour l’étude des données biographiques relatives aux sa-
vants liés au milieu insulaire. Ils regroupent en général les informations
disponibles sur une catégorie de savants ou même un groupe de population
donnés. Toutefois, assez rapidement, furent composés des recueils qui
chantaient les grands personnages d’une cité ou d’une région particulière
du monde islamique. Le critère géographique se mit alors à prévaloir sur le
regroupement catégoriel, même si, en réalité, les deux principes sont
souvent mêlés. La Sicile ne fait pas exception, à l’image d’Ibn al-Qattâ{ (né
˙˙
vers 1041-m. en 1121) qui entreprit de réunir des extraits de poèmes compo-
sé par des Siciliens 7 dans un ouvrage qui constitue en réalité plus une an-
thologie qu’un recueil de biographies. On ne peut avoir recours qu’à des en-
sembles plus vastes à l’intérieur desquels la Sicile ne représente qu’une pe-
tite partie et n’est en outre pas toujours distinguée du reste du dâr al-islâm.
Ainsi, les sources qui s’intéressent plutôt aux personnages dont le
champ d’activité est juridique ne lui font jamais une place à part. Seul le
Tartîb al-Madârik du qâdî {Iyâd (né en 1083-m. 1149) 8, présente les person-
˙ ˙
nages d’origine sicilienne de manière groupée, mais à l’intérieur de déve-
loppements consacrés aux Ifrîqiyens, le plus souvent à la fin de ces pas-
sages. Il n’est que la synthèse d}al-Isfâhânî (m. 1201) sur les poètes de son
˙

tory, Cambridge, 1979; la série Estudios onomastico-biograficos Al-Andalus, qui a


commencé à paraître en 1988 en Espagne.
7
U. Rizzitano, Ibn al-Qattâ‘ : un siciliano illustre, dans Storia e cultura nella Si-
cilia saracena, Palerme, 1975 ˙(Biblioteca
˙ di lettere e di storia – Saggi e testi, 5), p. 169-
176.
8
Pour les données biographiques dont on dispose sur ce personnage,
cf. M. J. Hermosilla, En torno al qâdî {Iyâd : datos biográficos, dans Miscelánea de es-
˙ ˙ p. 149-164.
tudios árabes e islámicos, 27-28, 1978-1979,

.
454 ANNLIESE NEF

temps (ils lui sont, de fait, parfois antérieurs d’un siècle) qui distingue net-
tement les Siciliens en reprenant souvent des informations provenant de
l’anthologie que le Sicilien Ibn al-Qattâ‘ leur avait consacrée. Cette faible
˙˙
visibilité des insulaires rend sans doute compte du fait que, durant les deux
premiers siècles de la domination musulmane en Sicile, les individus qui y
exercent leurs talents viennent tous de l’extérieur. Mais si la question de
l’existence d’une vie intellectuelle propre à la Sicile ne se pose guère alors,
ce n’est plus le cas à partir des XIe-XIIe siècles. Avant le XIIe siècle, la Sicile
est considérée au mieux que comme un appendice du Maghreb ou, plus
exactement, un prolongement de l’Ifrîqiya.
Il est vrai que, dans tous les cas, seule une partie des savants figure
dans les ouvrages de tabaqât qui n’offrent jamais à proprement parler une
photographie exacte des élites savantes 9. Les particularités de l’évolution
sicilienne ne font donc que renforcer une caractéristique générale. Mais le
trait se creuse à partir du moment où les auteurs de dictionnaires bio-
graphiques sont toujours plus occupés à exalter leur ville ou leur région. La
Sicile disparaît donc progressivement de ce type d’encyclopédies, en raison
moins de la conquête chrétienne de l’île, qui la fait sortir du dâr al-islâm,
que de cette évolution du genre. Tout au long du XIIe siècle, un nombre
toujours décroissant de savants d’origine arabo-musulmane et de culture
islamique, en relation avec la Sicile, parfois même nés dans l’île, conti-
nuent d’être documentés mais la diminution de leur nombre n’est donc pas
nécessairement le reflet d’une tendance réelle.

Un corpus réduit et «orienté»

Peu d’œuvres composées par des savants ayant poursuivi leur activité
en Sicile nous sont parvenues dans leur entier, mais de nombreux extraits
de poèmes ou titres d’ouvrages montrent qu’une activité intellectuelle non
négligeable prit place dans l’île entre le IXe et le XIe siècle. Toutefois, pour
les IXe-XIIe siècles, on ne connaît que 117 biographies d’individus qui ont
entretenu des relations plus ou moins étroites avec la Sicile; parmi ces der-
nières, seules 84 seront prises en compte ici car les vingt-trois autres se
rapportent au XIIe siècle. Les personnages qui ne sont nommés qu’en pas-
sant, au fil d’une biographie (comme enseignants ou disciples d’un savant
par exemple), ne figurent pas dans ce décompte, mais ils seront cités au

9
Sur ce point, cf. la mise au point de V. Van Renterghem, dans Id. et F. Le-
ferme-Falguières, Le concept d’Élites. Approches historiographiques et méthodolo-
giques, dans Hypothèses : travaux de l’école doctorale d’histoire de l’Université de Paris
I-Panthéon Sorbonne, Paris, 2000, p. 57-67.

.
LES ÉLITES SAVANTES URBAINES DANS LA SICILE ISLAMIQUE 455

cours de l’article. Le faible volume de données empêche tout travail statis-


tique et rend vain tout discours définitif; tout au plus peut-on dégager des
grandes tendances et présenter un tableau dont il faut souligner, encore
une fois, la partialité. Si l’on ne peut suivre les pas, par exemple, de Domi-
nique Urvoy, à propos des savants d’al-Andalus10, l’enquête reste envisa-
geable, comme l’a montré Manuela Marin pour la ville de Béja, au Portu-
gal, qui n’était pas particulièrement renommée pour son intense vie intel-
lectuelle sous la domination islamique11.
L’essentiel des sources qui contiennent des informations sur les sa-
vants liés de près ou de loin à la Sicile ont été composées jusqu’au milieu
du XIIIe siècle, comme si l’île n’était réellement sortie du dâr al-islâm aux
yeux des rédacteurs de tabaqât qu’après cette date.
˙
En général, les compilateurs consacrent leurs ouvrages aux représen-
tants d’une ou plusieurs disciplines particulières. Cela pourrait entraîner
une sur-représentation de certains champs du savoir mais, en réalité, lors-
qu’un personnage est connu pour plusieurs spécialités, elles sont souvent
toutes mentionnées dans sa biographie. On ne peut toutefois assurer que
les recueils sont exhaustifs.
Les dictionnaires qui regroupent les biographies de juristes souffrent
d’un autre biais qui tient à leur lieu de composition, l’Ifrîqiya dans la majo-
rité des cas. Il explique que l’hypothèse récurrente d’une éventuelle diffu-
sion du hanéfisme aux premiers siècles de l’islam au Maghreb et en Sicile
(avant que cette école de droit ne soit supplantée par le malikisme)12, ne
puisse guère être étayée en s’appuyant sur ces sources, même si un des in-
dividus qui nous occupent est défini à la fois comme hanéfite et malikite au
début du IXe siècle13. Les auteurs de l’Occident musulman, malikites dans

10
D. Urvoy, Le monde des ulémas andalous du Ve au VIIe-VIIIe siècle : étude so-
ciologique, Genève, 1978.
11
M. Marin, Los ulemas de Beja : formaciòn y desapariciòn de una elite urbana,
dans F. Themudo Barata (éd.), Elites e redes clientelares na idade média : problemas
metodológicos, Lisbonne, 2001, p. 27-44.
12
Sur la coexistence entre hanéfisme et sunnisme aux premiers siècles (jusqu’à
la fin du VIIIe siècle) de l’Islam en Ifrîqiya, cf. S. Ghrab, Ibn ‘Arafa et le mâlikisme en
Ifrîqiya au VIIIe/XIVe siècles, I, Tunis, 1992 (Publications de la Faculté des lettres de la
Manouba, série Lettres, 12), p. 131-176, où le hanéfisme des Aghlabides et du conqué-
rant de la Sicile, Ibn Asad al-Furât, est rappelé. Le développement net du malikisme,
sous l’impulsion de Sahnûn et de ses disciples est en revanche abordé à partir de la
˙
p. 176.
13
Il s’agit de Abû Yahyâ b. Ahmad b. Muhammad b. Qâdim (m. 246-247);
˙ p. 114˙et Kitâb, p. 432
˙ et 459; al-Dabbâgh, Ma‘âlim, II,
sources : Abû-l-‘Arab, Tabaqât,
˙
p. 72; Ibn Farhûn, al-Dîbâj, cf. E. Fagnan, Nouveaux textes historiques relatifs à
˙ et à la Sicile, dans Centenario della nascita di M. Amari, II, Palerme,
l’Afrique du Nord

.
456 ANNLIESE NEF

leur totalité, proposent en effet une vision «pro-malikite» du développe-


ment du droit musulman dans la région et la consultation des grands dic-
tionnaires biographiques consacrés aux hanéfites ne permet pas d’inverser
la tendance car ils se concentrent essentiellement sur des régions plus
orientales où le hanéfisme a connu sa plus grande diffusion.
Malgré ces réserves, une fiche a été établie qui permet de tirer le maxi-
mum d’informations des textes analysés, de manière à appréhender ces sa-
vants, non pas un par un, mais comme parties prenantes d’un milieu, car
l’anecdote est peu significative ici.

Présentation de la «fiche» et premières constatations

Chacun des savants qui fait l’objet d’une biographie voit les données
qui le concernent classées en fonction des entrées retenues pour établir la
fiche qui sert d’instrument d’analyse14.
Il est clair que l’ensemble des champs n’est pas toujours rempli à partir
d’une biographie unique et que certaines informations ne sont pas repé-
rables par ce biais. Il faut immédiatement insister sur le fait, entre autres,
que la ville d’exercice de tel ou tel personnage est rarement connue et que
la Sicile est, dans la très grande majorité des cas, évoquée de manière géné-
rale, ce qui correspond aussi à l’ignorance partielle de cet espace géo-
graphique de la part des divers auteurs de dictionnaires biographiques.
Toutefois, il y a fort à parier que l’exercice des activités intellectuelles, l’en-
seignement en particulier, était essentiellement urbain. Une des difficultés
réside également dans l’utilisation d’un vocabulaire stéréotypé qui peut
être polysémique; seul le contexte permet de trancher.
On pourrait objecter qu’une partie des individus considérés ici (onze
exactement) portent une nisba géographique qui renvoie à la Sicile (al-
Siqîllî), un élément qui ne peut suffir à établir l’existence de lien entre un
˙
personnage et l’île car la nisba désigne aussi bien une caractéristique de la
personne qu’elle qualifie – qu’elle soit née en Sicile ou qu’elle y soit simple-
ment passée – que celle de son père, de son grand-père ou d’un ancêtre en-
core plus lointain15. Toutefois, trois noms seulement sont retenus au seul

1910 (Documenti per servire alla storia di Sicilia, I, ser. 4, Cronache e scritti vari),
p. 103.
14
Les champs sont les suivants : données onomastiques (ism, nasab, etc.); lieux
de naissance, de formation, d’enseignement, de mort; discipline(s) d’exercice; en-
seignants; étudiants; titres des œuvres connues; sources des données biographiques;
dates de vie; anecdotes concernant la Sicile; nature des liens avec la Sicile.
15
Sur ces particularités de l’onomastique arabo-musulmane, cf. J. Sublet, Le
voile du nom, Paris, 1991.

.
LES ÉLITES SAVANTES URBAINES DANS LA SICILE ISLAMIQUE 457

motif qu’ils contiennent une nisba sicilienne, sans que l’on sache précisé-
ment ce qui la motive; dans tous les autres cas, des informations supplé-
mentaires attestent les liens réels de l’individu avec l’espace insulaire. Cette
correspondance massive entre les deux éléments nous a décidée à les
prendre tous en considération. Rappelons, enfin, l’adjectif siqîllî peut aussi
˙
signifier «palermitain» dans le contexte sicilien, mais les informations
complémentaires dont on dispose dans la majorité des cas amènent à ex-
clure cette lecture.
Il faut insister en premier lieu sur le déséquilibre temporel des don-
nées. Si l’on prend en compte le siècle durant lequel l’activité du sujet de la
biographie est concentrée, quinze personnages sont documentés pour le
IXe siècle, neuf pour le siècle suivant et soixante pour le XIe siècle. La sur-
prise vient moins du faible chiffre initial, que du petit nombre d’éléments
disponibles pour le Xe siècle : le sort militaire de la Sicile ne se décide vrai-
ment qu’à partir des années 860 et celle-ci ne peut être entrée dans la carte
mentale du dâr al-islâm et donc dans les dictionnaires qu’à partir de cette
date, sans compter le temps indispensable à l’éclosion d’une vie savante,
même importée. Le chiffre de huit personnages pour le Xe siècle apparaît
en revanche réduit et il ne serait qu’à peine plus important si l’on prenait
en considération l’anthologie poétique du sicilien Ibn al-Qattâ‘. Il est pro-
˙˙
bable que cette faible représentation du Xe siècle tient à l’évolution de l’île à
cette date. Elle sort de l’orbite ifrîqiyenne pour tomber dans l’escarcelle de
l’Égypte fatimide mais sans jamais y être vraiment intégrée, dans la mesure
où elle prend rapidement son autonomie par rapport aux Fatimides sous le
gouvernement dynastique des Kalbides. Par contraste, le dynamisme du
XIe siècle tient aussi bien au développement de l’activité intellectuelle insu-
laire qu’à l’instabilité politique qui affecte al-Andalus comme l’Ifrîqiya et
provoque des exils vers la Sicile, dont certains sont expressément indiqués
par les sources16. Cela explique pour une grande part que le nombre de sa-
vants augmente avec le siècle alors même que l’évolution interne de l’île fe-
rait attendre un mouvement inverse; la Sicile est à nouveau considérée
comme un prolongement naturel de l’Ifrîqiya du point de vue du savoir.
Il convient toutefois de nuancer ce déséquilibre en tenant compte des
dates précises de mort des savants (on ignore celle de leur naissance dans
la plupart des cas). Nous en connaissons 34, un nombre non négligeable.
Or, si on les distribue par siècle en considérant que deux décennies re-
présentent le temps de renouvellement d’une génération, seule une tranche
demeure vide, depuis les années 840-860, qui suivent immédiatement la

16
Cf. infra.

.
458 ANNLIESE NEF

conquête musulmane, jusqu’aux années 1100-1120 : celle qui s’étend de 960


à 980 (cf. Annexe 2).
Toutefois, ces données chronologiques grossières ne reflètent pas as-
sez précisément les phases du développement de la vie savante urbaine
dans la Sicile islamique.

LA FORMATION D’UN MILIEU SAVANT DANS LA SICILE ISLAMIQUE

Ce processus comporte, comme ailleurs, plusieurs étapes et se laisse


appréhender de manières diverses : à travers l’augmentation progressive
du nombre de savants nés en Sicile en premier lieu, dans le cursus suivi par
les individus qui sont en relation avec la Sicile, et en particulier, à travers la
place qu’occupe l’espace insulaire dans leur formation en second lieu; et
enfin par le rayonnement extérieur de leur enseignement et de leur éven-
tuelle production écrite.

De l’immigration à la formation d’un milieu insulaire

Dans un premier temps, tous les savants qui évoluent en Sicile


viennent de l’extérieur. Ils sont, pour la plupart envoyés dans l’île par le
pouvoir ifrîqiyen comme qâdî/s («juges»). C’est le cas de sept des quinze
˙
personnes documentées pour le IXe siècle17. Malheureusement, si l’on
connaît parfois la date exacte de leur arrivée dans l’île, on ignore la plupart
du temps la durée de leur séjour. Quant aux lettrés qui ne sont pas désignés
comme juges, il est rare qu’ils n’aient pas été poussés à s’y rendre par une
motivation extérieure : l’un d’entre eux meurt au retour d’une mission18 et

17
1. Maymûn b. ‘Umar al-Ifrîqî al-mâlikî al-ma‘rûf bi Abî ‘Umar al-faqîh, m. cen-
tenaire en 932; sources : al-Dhahabî, al-‘Ibar, cf. Biblioteca arabo-sicula, trad.
M. Amari, II, Rome-Turin, 1880-1881, rééd. anastat. Catane, 1982 (ci-après : B.A.S.),
p. 549, Id., Siyar, XIV, p. 355-356. – 2. Sulaymân b. Sâlim al-Qattân Abî al-Rabî‘ al-
˙˙
qâdî yu‘raf bi Ibn al-kahhâla, m. 902-903; sources : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Fagnan,
˙ ˙ ˙
Nouveaux textes..., p. 103-104, Abû al-‘Arab, Tabaqât, p. 148, al-Dabbâgh, Ma‘âlim,
p. 136-137, Ibn Farhûn, al-Dîbâj, p. 121. – ˙ 3. Muhammad b. Sa‘îd b. Shabîb,
˙ ˙
IXe siècle; sources : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, p. 94. – 4. Da‘âma b. Muhammad, fin
IXe siècle; sources : Abû al-‘Arab, Kitâb, p. 470. – 5. Abû Muhammad ˙‘Abd Allâh b.
˙ ˙
˙
Sahl al-Qibrayânî (ou al-Qubriyânî), m. 862-863 ou 863-864; sources : Abû al-‘Arab,
T abaqât, p. 134, al-Mâlikî, Kitâb, I, p. 356 et al-Dabbâgh, Ma‘âlim, II, p. 72. – 6. ‘Isâ
˙
b. M.s.kîn b. Mansûr b. J.rîh b. Muhammad al-Ifrîqî, m. en 888; sources : Qâdî ‘Iyâd,
˙ ˙ ˙ ˙ ˙
Tartîb, cf. E. Griffini, Nuovi testi..., p. 369-370. – 7. Muhammad b. Muhammad b.
˙
Khâlid al-Qaysî mawlâ Banî Mu‘bid al-‘âbid yu‘raf bi-l-Tartarî, ˙ source :
m. en 926;
Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Griffini, Nuovi testi..., p. 370.
˙ 18 Ish˙aq b. Abî al-minhal (m. 895) meurt au retour d’une mission en Sicile qui
˙

.
LES ÉLITES SAVANTES URBAINES DANS LA SICILE ISLAMIQUE 459

trois poètes partent combattre les Byzantins, l’un en Calabre et en Sicile19,


le deuxième au moment de la prise de Taormine 20, tandis que le troisième
suit un émir désigné par les Aghlabides pour gouverner l’île 21. Toutefois,
trois juristes vont enseigner le fiqh en Sicile sans plus de façon 22 et l’un
d’entre eux enseigne même la Mudawwana (le commentaire par Sahnûn du
˙
Muwattâ} de Malik 23) à Palerme durant quatorze ans 24.
˙˙
Un cas, enfin, suggère des liens orageux avec l’île et laisse croire que le
départ pour la Sicile devait être vécu par certains plus ou moins sur le
mode de l’exil dans une terre hostile. Muhammad b. Qâdim, faqîh de son
˙
état, suit le conquérant de l’île Asad Ibn al-Furât, mais lorsqu’il manifeste
assez rapidement le désir de rentrer chez lui, ce dernier le frappe violem-
ment pour l’en empêcher 25.
Le Xe siècle est mal connu et les neuf personnages qui échappent à
cette obscurité s’adonnent à des activités très diverses, si l’on excepte
quatre poètes. Notons que l’on rencontre encore un cas de résistance (deux
juristes, père et fils refusent de partir en Sicile) mais cette fois-ci motivé
par l’opposition aux Fatimides qui ont pris le contrôle des affaires insu-
laires 26. Enfin, un poète qui chante Thiqat al-dawla, émir kalbite, doit fuir
pour pouvoir quitter l’île où il est retenu contre son gré à la cour pour ser-
vir Ja{far, un fils de l’émir 27.

lui avait été confiée par l’émir Ibrâhîm II (875-902); sources : Abû al-‘Arab, Tabaqât,
p. 220 et Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, p. 369. ˙
19 ˙ ˙
Mujbar b. Ibrâhîm b. Sufyân, m. ap. 888 en captivité à Constantinople; il
avait été placé à la tête des troupes de Messine et de Calabre après 888; source : Ibn
al-Abbâr, al-Hulla, I, p. 185.
20
Ismâ‘il b. Yûsuf al-Qayrawânî al-nahwî al-ma‘rûf bi al-tallâ’ al-munajjim, spé-
cialiste de lecture du Coran, de langue arabe ˙ et de poésie; source˙ : al-Zubaydî, Taba-
qât, p. 263-264. ˙
21
Abû Sa‘îd b. Ghawrak, suit un émir désigné par Ibrâhîm II; al-Zubaydî, Taba-
qât, p. 254. ˙
22
1. Abû Hasan Muhammad b. Nasr b. Mudrim, m. en 854; sources : Qâdî ‘Iyâd,
Tartîb, p. 128-129˙ et Abû˙al-‘Arab, Tabaqât,
˙ p. 198. – 2. ‘Abd Allâh b. Hamdûn al-Kalbî
˙ ˙
˙ ˙
al-Siqillî, m. en 884; sources : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Griffini, Nuovi testi..., p. 369.
˙ ˙ ˙
– 3. Sa‘îd b. Yahyâ yu‘raf bi-Ibn al-Farrâ’; source : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Griffini,
˙ ˙ ˙
Nuovi testi..., p. 369.
23
Sur ce personnage et son œuvre, cf. S. Ghrab, Ibn ‘Arafa..., p. 176-179.
24
Il s’agit de Abû Sa‘îd Luqmân b. Yûsuf al-Ghassânî, m. en 930, 931 ou 932;
sources : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Griffini, Nuovi testi..., p. 370, Abû al-‘Arab, Taba-
qât, p. 171 et˙ al-Mâlikî,
˙ Kitâb, cf. B.A.S., I, p. 318-319. ˙
25
Cf. n. 13.
26
Abû Bakr ‘Atîq b. Abî (Sabîh) al-Jazarî : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, p. 363.
27 ˙
Muhammad b. ‘Abdûn al-Sûsî, ˙ qui arrive en ˙Sicile ˙vers 1002-1003 et en repart
˙
vers 1009-1010; source : al-Safadî, Kitâb Wâfî..., III, p. 205-207. Cf. C. Bouyahia, La
˙

.
460 ANNLIESE NEF

Le XIe siècle, en revanche, présente des traits nouveaux : au moins dix-


huit des soixante savants évoqués dans les sources, soit quasiment le tiers,
sont nés en Sicile et il se pourrait qu’ils aient été plus nombreux dans ce
cas, car le lieu de naissance d’une grande partie d’entre eux n’est pas évo-
qué. Aucun des soixante personnages n’est en revanche envoyé en Sicile ou
n’y assume de fonction, sinon deux émirs au début du siècle et un lettré
placé à la tête du dîwân al-inshâ} 28.
En outre, toujours pour ce siècle, onze savants sont cités dans les taba-
˙
qât comme enseignants ou disciples d’un savant auquel une biographie est
consacrée. Apparaît ainsi au détour d’une phrase une école palermitaine de
lecture du Coran qui regroupe au moins quatre représentants, dont deux
portent la nisba d’al-madînî qui renvoie à al-madîna («la ville») c’est-à-dire,
dans un contexte sicilien, à Palerme 29. Plus généralement, ce n’est qu’à par-
tir du XIe siècle qu’on connaît des personnages dont la nisba renvoie à un
nom de ville sicilien (al-Mâzarî, «de Mazara», dans un cas 30 et al-Saraqûsî,
«de Syracuse», dans l’autre 31). Deux notices mentionnent également des
villes précises au cours du développement qu’elles consacrent à un savant :
Mazara 32, pour la première, et Palerme 33. Pour être complet sur le sujet, il

vie littéraire en Ifrîqiya sous les Zirides 362-555 H / 972-1160 de J. C.), Tunis, 1972,
p. 25-26.
28
Abû ‘Abd Allâh Muhammad b. al-Hasan b. al-Tazî (ou al-Tûbî), grammairien,
médecin et préposé à la tête ˙ du dîwân al-inshâ’
˙ ˙
en Sicile; sources˙ : al-Isfâhânî, Kharî-
dat, cf. B.A.S., II, p. 448-449 et al-Dhahabî, Wafâyât, cf. B.A.S., II, p. ˙546.
29
Ceci au cours de la biographie de Abû al-Bahâ’ ‘Abd al-Karîm b. ‘Abd Allâh b.
Muhammad al-muqrî’ al-Siqillî (440-517). Ce savant étudie la lecture du Coran à Pa-
˙
lerme avec Abû Muhammad ‘Abd Allâh b. Faraj al-Madînî, Muhammad b. Ibrâhîm
˙ ˙
b. al-Shâmî al-Madînî, Abû ‘Abd Allâh Muhammad b. ‘Abd Allâh al-Fattâl et Abû
˙
Bakr Muhammad b. ‘Alî al-Azdî b. Bint al-‘Urûq; sources : al-Silafî, Mu‘jam al-Safar,
˙
p. 82-83.
30
Muhammad b. Abî al-Farj al-Kinânî al-Mâlikî al-Siqillî Abû ‘Abd Allâh al-
ma‘rûf bi ˙al-Zakî al-Maghribî al-Mâzarî, m. aux environs ˙ de 510; sources : Qâdî
‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Griffini, Nuovi testi..., p. 380-382 et al-Qiftî, Inbâh, III, p. 73. ˙
˙ 31 Abû al-Qâsim al-Saraqûsî est cité comme élève d’Abû al-‘Abbâs
˙ Ahmad b. Mu-
hammad al-Jazzâr qui lui a enseigné le fiqh ; source : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb,˙cf. E. Griffi-
˙ ˙ ˙
ni, Nuovi testi..., p. 380.
32
Abû ‘Alî al-Hasan b. Rashîq yuqâl al-Qayrawânî y meurt; sources : Ibn Khallî-
˙
kân, Wafâyât, cf. B.A.S., II, p. 512-514, ‘Umarî, Masâlik al-absâr, cf. B.A.S., II, p. 550-
557 et al-Dhahabî, Siyar, VIII, p. 325. ˙
33
La ville est citée dans la biographie de Abû Bakr Muhammad b. ‘Alî al-Hasan
˙
b. ‘Abd al-birr al-lughawî al-Siqillî al-Tamîmî al-Qurashî al-Ghuwathî, qui y˙ reste
˙
jusqu’en 1058, date à laquelle il s’exile; sources : Dhahabî, Mukhtasar, cf. B.A.S., II,
˙
p. 548 et al-Suyûtî, Bughiyat, cf. B.A.S., II, p. 598-599.
˙

.
LES ÉLITES SAVANTES URBAINES DANS LA SICILE ISLAMIQUE 461

faut souligner qu’au XIIe siècle, on retrouve ces deux villes, auxquelles s’a-
joutent Butera, Trapani et Agrigente.
L’autre trait significatif, bien que limité, concerne le faible nombre de
savants andalous ou ifrîqiyens qui se réfugient en Sicile au XIe siècle en
raison de la fitna qui sévit en al-Andalus (un) 34, de l’avancée hilalienne en
Ifrîqiya (deux) 35, ou encore de vexations infligées par le pouvoir (un) 36.
Il faut remarquer toutefois qu’aucun indice ne laisse percer ouverte-
ment, comme c’est en revanche le cas en Al-Andalus, l’ascendance muwal-
lad, c’est-à-dire chrétienne convertie, de ces savants. Ce qui n’exclut pas,
bien entendu, que certains soient dans ce cas. Seuls les noms très simples,
qui renvoient au maximum à une génération antérieure, de certains indivi-
dus natifs de Sicile (ce qui n’a lieu qu’au XIe siècle) pourraient suggérer
une ascendance chrétienne, mais sans certitude 37. Leur dénomination
contraste en effet fortement avec celles des autres personnages également
originaires de l’île, notamment de ceux qui portent des nisbas nobles. Ainsi
on rencontre deux fois celle de la prestigieuse tribu Qurashî 38, combiné

34
Abû al-‘Alâ’ Sa‘îd b. ‘Isâ al-Raba‘î al-Baghdadî ou Sa‘îd b. al-Hasan (b. ‘Isâ) b.
‘Abd Allâh al-Raba‘î al-Baghdâdî fuit la fitna ibérique en 1019-1020 ou ˙ en 1026-1027;
sources : Ibn Khallîkân, Wafâyât, cf. B.A.S., II, p. 514-515; al-Dhahabî, Mukhtasar, cf.
˙
B.A.S., II, p. 542-543; Ibn Bashkuwâl, cf. B.A.S., II, p. 428; al-Safadî, Kitâb al-Wâfî,
˙
B.A.S., II, p. 566-567 et Suyûtî, Bughiyat, cf. B.A.S., II, p. 603-604.
35 ˙
Abû ‘Alî al-Hasan b. Rashîq yuqâl al-Qayrawânî aurait fui en Sicile devant l’a-
˙
vancée des Banû Hilâl selon Ibn Khallîkân (Wafâyât, B.A.S., II, p. 512-514) ou par dé-
pit après avoir subi les insultes d’al-Mu‘izz (Umarî, Masâlik al-absâr, ibid., p. 550-
˙
557); cf. également al-Dhahabî, Siyar, VIII, p. 325. Muhammad b. Sharaf al-Qayra-
˙
wânî fuit, lui aussi, devant les Banû Hilâl ou bien en raison d’une rivalité avec le
poète lusdit, Ibn Rashîq, en 1055; cf. C. Bouyahia, La vie littéraire... cité n. 27, p. 116-
124.
36
Cf. note précédente.
37
1. Abû Bakr al-‘Abbâs; source : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Griffini, Nuovi testi...,
p. 375. – 2. Abû Bakr wa yuqâl Abû ‘Abd˙ Allâh˙b. Yûnis; source : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb,
˙ ˙
cf. E. Griffini, Nuovi testi..., p. 382. – 3. Al-qâdî Abû al-Hafs Ahmad b. ‘Abd al-
˙ ˙ ˙ ˙
Rahmân al-ma‘rûf bi Ibn al-Hasâ’irî; source : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Griffini, Nuovi
˙ ˙ ˙
testi..., p. 375. – 4. Abû Hafs ‘Umar b. ‘Abd al-Nûr yu‘raf b. Ibn al-Hakkâr; source :
˙ ˙ ˙
Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Griffini, Nuovi testi..., p. 383 et Ibn Farhûn, Dîbâj, cf. E. Fa-
˙ ˙ ˙
gnan, Nouveaux textes..., p. 250. – 5. Ibn Furûj; source : Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, cf.
˙ ˙
E. Griffini, Nuovi testi..., p. 383. – 6. Abû ‘Abd Allâh b. al-Bannâ’; source : Qâdî
˙
‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Griffini, Nuovi testi..., p. 376. – 7. Abû ‘Abd Allâh b. al-Saffâr al-
˙ source : ‘Umarî, Masâlik al-absâr, cf. B.A.S., II, p. 553-555.
Siqillî; ˙
˙ 38
1.‘Abd al-Haqq b. Muhammad˙ b. Hârûn al-Sahmî al-Qurashî Abû Muham-
˙ î ‘Iyâd, Tartîb,
˙ ˙ al-
mad; source : Qâd cf. E. Griffini, Nuovi testi..., p. 376. – 2. Abû
‘Arab (Mus‘ab b. ˙ Muhammad)
˙
b. Abî al-Furât al-Qurashî al-Zubayrî al-Siqillî;
sources : Ibn Khallîkân,˙ Wafâyât, B.A.S., p. 520, al-Isfahânî, Kharîdat, B.A.S., p.
˙ 484-
486 et ‘Umarî, Masâlik al-absâr, cf. B.A.S., II, p. 561-562.˙
˙

.
462 ANNLIESE NEF

dans un cas avec celle de Tamîmî 39, ou encore celle de Qaysî 40, revendica-
tion de noblesse qui, pour fictive qu’elle puisse éventuellement être, n’en
est pas moins significative.
Enfin, aucun élément ne témoigne non plus, contrairement à ce qu’il
en est pour certaines villes d’al-Andalus, de l’existence de dynasties de sa-
vants ou de dépositaires d’une charge quasi patrimoniale, notamment celle
de juge; alors que par d’autres types de sources, elle est attestée pour la pé-
riode normande 41.
Mais, pour documenter l’existence d’un milieu savant insulaire, plus
encore que l’origine comptent le cursus suivi et les disciples formés par les
uns et les autres.

Quelle formation et quels disciples pour les savants liés à la Sicile?


On sait que le voyage en Orient faisait partie intégrante du parcours
des savants de l’Occident musulman, au moins au début de l’histoire isla-
mique de cette région. Passage obligé, voyage vers les sources du savoir
musulman mais aussi arabe, il est assez peu mentionné pour les savants
liés à la Sicile aux IXe et Xe siècles, peut-être parce qu’il n’est déjà plus alors
partie intégrante de la formation des savants maghrébins. La plupart de
ceux dont on connaît la formation semble alors être restée en Ifrîqiya (un
en Orient au IXe siècle 42 et un pour chaque siècle en Égypte 43). Le XIe siècle
marque un changement notable. Sur vingt-quatre personnages dont on
connaît le parcours, plus d’un tiers sont formés au moins en partie en Ifrî-
qiya et un tiers en Orient, tandis qu’al-Andalus est mentionné pour la pre-
mière fois dans deux occurrences 44. Surtout, les individus nés en Sicile ont,
dans leur très grande majorité, reçu une formation à l’extérieur de l’espace
insulaire et si l’Ifrîqiya est bien représentée, l’Orient est extrêmement
présent. On peut donc penser que les lettrés insulaires se déplacent à partir

39
Cf. note 33.
40
‘Umar b. Yûsuf b. Muhammad b. al-Hidhâ’ al-Qaysî al-Siqillî; source : al-
˙ ˙
Silafî, Mu‘jam al-Safar, p. 66.
41
Notamment pour les qâdî/s de Palerme; cf. J. Johns, Arabic administration in
Norman Sicily – The Royal Dîwân, ˙ Cambridge, 2002, p. 88-90.
42
Cf. le personnage cité à la note 24.
43
Cf. le personnage no 2 de la note 16 et Muhammad b. Khurâsân al-ma‘rûf bi
Abî ‘Abd Allâh, qui étudie le hadîth et le Coran en ˙ Égypte; sources : al-Maqrîzî, al-
˙
Muqaffâ, cf. B.A.S., II, p. 578 et al-Suyûtî, Bughiyat, cf. ibid., p. 595-596.
˙
44
L’individu cité à la note 34 étudie le hadîth en Al-Andalus et ‘Umar b. al-Hasan
˙ ‘Abd Allâh b. Abî Sa‘îd) al-ma‘rûf bi
˙ Abî
(al-Husayn) b. ‘Abd al-Rahmân b. ‘Umar (b.
˙ ˙
Hafs al-Hawâzinî; sources : al-‘Umarî, Masâlik al-absâr, cf. B.A.S., II, p. 558-559 et
˙ ˙î ‘Iyâd, Tartîb, p. 825-826. ˙
Qâd
˙ ˙

.
LES ÉLITES SAVANTES URBAINES DANS LA SICILE ISLAMIQUE 463

de cette date directement vers les sources reconnues du savoir, la Sicile


n’ayant pas encore reçu ce statut autonome de «lieu de légitimation du
savoir».
TABLEAU A – LES LIEUX DE FORMATION

Sicile Ifrîqiya Égypte Orient Orient+ Ifrî+ Ifrî+Orient+ Al-Andalus


Égypte Orient Sicile

IXe siècle 3 1 1 1

Xe siècle 1 1

XIe siècle 3 8 4 2 2 4 2

L’identité des enseignants et des étudiants qui ont respectivement for-


mé nos savants et suivi leur enseignement constitue aussi un indice fonda-
mental du rayonnement et de la formation des élites siciliennes. On est re-
lativement moins bien renseigné sur les étudiants que sur les enseignants.
Le nom de vingt-quatre savants d’origine ifrîqiyenne est cité en trente-sept
occasions en position d’enseignants. Les maîtres les plus souvent mention-
nés sont des spécialistes du fiqh : Sahnûn, Asad b. al-Furât 45 pour les pre-
˙
mières générations, al-Suyûrî, al-Qâbisî ou Ibn Abî Zayd par la suite 46, en-
fin al-Lakhmî ou al-Kharaqî pour le XIe siècle 47.
Le nom de douze savants d’origine sicilienne est cité à dix-huit reprises
en position d’enseignants, essentiellement pour le XIe siècle et pour des dis-
ciples siciliens, tandis que l’Égypte et l’Orient, plus lointains, n’appa-
raissent qu’à travers dix enseignants dont chacun n’est évoqué qu’une fois.
En revanche, treize disciples d’origine sicilienne sont évoqués seize fois (si
l’on élargit l’échantillon, sans tenir compte de l’origine des individus, trois
disciples vivaient au IXe siècle, un au siècle suivant et vingt-quatre men-
tions datent du XIe siècle, mais un petit nombre de noms revient plusieurs
fois) et un seul Ifrîqiyen est cité.
L’enseignement des Siciliens hors de l’île n’apparaît donc quasiment
pas dans les sources de manière précise, tandis qu’un milieu dense est do-
cumenté en Sicile même et que l’influence ifrîqiyenne sur les savants insu-
laires apparaît décisive. La situation apparaît donc caractérisée par le

45
Sur Asad b. al-Furât, cf. S. Ghrab, Ibn ‘Arafa..., p. 152-167 et U. Rizzitano,
Storia e cultura..., p. 3-17.
46
R. H. Idris, Quelques juristes ifrîqiyens de la fin du Xe siècle, dans Revue afri-
caine, 100 1956, p. 349-373.
47
Id., Le crépuscule de l’école malikite kairouanaise (fin du XIe siècle), dans Ca-
hiers de Tunisie, 4, 1956, p. 494-507.

.
464 ANNLIESE NEF

contraste entre l’ouverture des lettrés siciliens sur l’extérieur (à travers l’im-
migration de maîtres ou le déplacement d’étudiants) et le rayonnement ré-
duit de l’enseignement des savants siciliens, mais aussi par une activité in-
sulaire non négligeable.
Toutefois, le déplacement de savants dont la formation est achevée est
attesté sans qu’un nom de disciple soit fourni. En effet, si durant les deux
premiers siècles de la présence musulmane en Sicile, les savants viennent
porter la bonne parole en Sicile dans un mouvement unilatéral et si l’on ne
rencontre pas de Siciliens explicitement présentés comme tels dans le reste
du dâr al-islâm, les choses changent avec le XIe siècle. Les relations avec
l’Égypte se multiplient, ce qui ne peut guère surprendre et, surtout, neuf in-
dividus séjournent pendant une période plus ou moins longue en al-Anda-
lus auprès de rois des taifas, et deux d’entre eux s’y installent même vers le
milieu du XIe siècle 48, à une date qui semble parfois plus correspondre à la
fitna sicilienne, invoquée explicitement à plusieurs reprises pour justifier
un départ de Sicile, qu’à la conquête normande. Dans l’ensemble, ces acti-
vités hors de Sicile sont donc liées à la vie culturelle de cour plutôt qu’à des
formes d’enseignement.

TABLEAU B – LES LIEUX DE D’ACTIVITÉ

Sicile Ifrîqiya Égypte Orient Orient+ Ifrî+ Ifrî+Orient+ Al-Andalus


Égypte Orient Sicile

IXe siècle 8 3 1

X siècle
e
3 1

XIe siècle 13 3 5 9

Dans la formation d’un milieu lettré l’existence de lieux de fixation


joue également un rôle : peuvent s’y exercer des activités qui ne sont pas
toujours rémunérées, contrairement à celle de qâdîs par exemple (et au-
˙
cune information à propos d’activités lucratives extra-intellectuelles, attes-
tées dans d’autres contextes 49, n’est disponible). La cour kalbide a sans

48
Cf l’individu no 2 de la note 39 qui se rend vers 1071-1072 à la cour d’al-
Mu‘tamid b. ‘Abbâd à Séville ou Abû Sa‘îd ‘Uthmân b. ‘Atîq (al-Saffâr al-kâtib), poète
sicilien, connu pour avoir écrit des vers dédiés à Mu‘tasim bi-Allâh ˙ d’Almeria (1051-
1091); source : al-Isfâhânî, Kharîdat, cf. B.A.S., II, p. 464.
49
H. J. Cohen, The economic background of Muslim jurisprudents and traditio-
nists in the classical period of Islam (until the middle of the XIth century), dans Journal
of economic and social history of Orient, 13, 1970, p. 16-88.

.
LES ÉLITES SAVANTES URBAINES DANS LA SICILE ISLAMIQUE 465

doute constitué, notamment pour les poètes, un de ces lieux d’exercice pri-
vilégiés, mais sa durée de vie est courte et la dissension éclate rapidement
entre les différents roitelets de l’île. Au XIe siècle, seule la cour d’Ibn Man-
kûd, dans le val de Mazara, est mentionnée furtivement dans la biographie
d’un spécialiste de la langue arabe qui y exerce son activité 50.
Ayant dessiné l’arrière-plan sur lequel se détachent les savants liés à la
Sicile, on peut se demander si les disciplines attestées en Sicile révèlent
une spécialisation insulaire dans le champ du savoir islamique.

L’évolution des savoirs en Sicile du IXe au XIe siècle

Le tableau C est trompeur dans la mesure où nombreux sont les sa-


vants étudiés qui pratiquent plus d’une activité. Néanmoins, la tendance à
la diversification est nette entre le IXe et le XIe siècle. Le fiqh (jurispru-
dence), le hadîth (tradition prophétique) et la lecture du Coran sont trois
˙
disciplines fondamentales dans le processus d’islamisation du savoir au
sein d’une terre nouvellement conquise; les deux premiers sont très pré-
sents pendant le premier siècle de domination islamique en Sicile. Le
Xe siècle constitue un moment particulier car les informations peu nom-
breuses se concentrent autour de la poésie. Le fiqh et le hadîth demeurent
˙
les deux points forts de l’île tout au long de la domination islamique, tandis
que la lecture du Coran et la poésie se développent progressivement pour
connaître leur apogée au XIe siècle. Peu surprenant est le déclin, après le
IXe siècle, de la médecine, dont l’âge d’or kairouanais se situe aux IXe-Xe
siècles. Dans l’ensemble, la Sicile ne présente donc pas de caractéristiques
fortes ou de développements qui lui seraient propres et elle apparaît un peu
comme le reflet de la situation ifrîqiyenne.

TABLEAU C – LES DISCIPLINES EXERCÉES

Fiqh Tradition Coran Gram. et. Poésie Soufisme Philosophie Kalâm


lexico.

IXe siècle 10 6 3 2 1

Xe siècle 2 2 1 1 4 1 1

XIe siècle 26 9 9 5 32 2 2

50
Le personnage cité à la note 34 y séjourne avant 1058 et son départ pour
Palerme.

.
466 ANNLIESE NEF

Mathématiques Médecine Akhbâr Tabaqât Prédication


˙
IXe siècle 2

Xe siècle 1

XIe siècle 1 1 1 1

Non moins significative est la production d’ouvrages par les savants


qui ont eu affaire avec la Sicile. Le premier qui mérite mention parce
que son impact en Sicile semble avoir été important (même si l’ouvrage
n’y fut pas rédigé) est celui de Sulaymân b. Sâlim al-Qattân Abû al-Rabî‘
al-qâdî yu‘raf bi-Ibn al-kahhâla mawlâ al-Ghassân, qui était connu sous
˙ ˙˙
le titre de Livre de Sulaymân 51. Ibn al-kahhâla est décrit comme un
compagnon de Sahnûn, le père du droit malikite en Ifrîqiya et l’auteur
˙
de la Mudawwana, mais aussi comme un disciple du fils de Mâlik dont il
suivit l’enseignement à la Mecque. Or, il est qâdî en Sicile à partir de 894
˙
jusqu’à sa mort en 902 et une source affirme qu’il y accomplit un travail
immense pour la diffusion du malikisme (ce qui se reflète aussi dans le
fait que son nom apparaît à plusieurs reprises dans la position d’en-
seignant).
Pour le Xe siècle, trois ouvrages sont mentionnés : deux dans le do-
maine de la langue et de la poésie, et un dans celui des traditions, mais
il s’agit toujours d’auteurs venus de l’extérieur. Le savant le plus impor-
tant, qui porte la nisba al-Siqillî est ‘Abd al-Rahman b. Muhammad al-
˙ ˙ ˙
Bakrî al-Siqillî 52. Ce soufi rédigea cinq traités de tasawwuf dont les titres
˙ ˙
nous sont parvenus; il prouve que la Sicile ne resta pas à l’écart de ce
mouvement de pensée, ce que pourraient confirmer les diverses ré-
férences à des «ascètes» de Sicile qui devaient s’y rattacher. Le XIe siècle
marque toutefois là encore une rupture, ou plus exactement une accélé-
ration. Parmi les auteurs cités, figurent un réfugié célèbre, al-Barâdi‘î 53,
critiqué pour ses commentaires de la Mudawwana (au nombre de cinq)
ainsi que deux autres exilés moins connus qui se consacrent à l’étude de
la langue arabe. Les autres auteurs dont nous gardons la trace sont qua-
siment tous nés en Sicile : ‘Abd al-Haqq b. Muhammad b. Hârûn al-
˙ ˙

Sur ce savant voir le no 2 de la note 16.


51

Source : al-Dabbâgh, Ma‘âlim, cf. E. Fagnan, Nouveaux textes..., p. 100-101.


52

53
Abû al-Qâsim Khalaf b. Abî al-Qâsim al-Azdî al-ma‘rûf bi al-Barâdi‘î; source :
Qâdî ‘Iyâd, Tartîb, cf. E. Griffini, p. 373.
˙ ˙

.
LES ÉLITES SAVANTES URBAINES DANS LA SICILE ISLAMIQUE 467

Sahmî al-Qurashî Abû Muhammad 54 qui rédige deux commentaires de la


˙
Mudawwana dans lesquels il critique al-Barâdi‘î 55 ; Abû ‘Abd Allâh b. al-
Hasan al-Tawbî al-Siqillî (le seul à ne porter que la nisba) 56 compose un
˙ ˙ ˙
dîwân de lettres et un traité sur la prose; le célèbre al-Mâzarî du
XIe siècle est l’auteur de traités sur les sciences coraniques 57 ; Ibn Furûj
met en ordre le commentaire de la Mudawwana par al-Baradi‘î 58 ; Ibn
Makkî rédige son Tathqîf al-Lisân, ouvrage de correction de la langue
bien connu 59 ; enfin Abû Bakr yuqâl Abû ‘Abd Allâh b. Yûnis rédige un
traité sur les règles qui régissent l’héritage en droit musulman et un
commentaire de la Mudawwana en cinq tomes dont un manuscrit est
conservé au Caire 60. Ce rapide passage en revue montre la variété de la
production intellectuelle en Sicile, même si le fiqh (et particulièrement
les commentaires de la Mudawwana) et les réflexions sur la langue arabe
tiennent le haut du pavé et si l’on n’entr’aperçoit que la partie émergée
de l’iceberg.
La présentation amarienne de la vie ou de la production des savants
arabo-musulmans liés à la Sicile tend de fait à effacer les spécificités des
sources, fortes lorsqu’il s’agit des tabaqât, mais aussi à gommer les traits
˙
propres à la Sicile, faute, lorsqu’il composa son ouvrage, de pouvoir dis-
poser de points de comparaison suffisants, alors qu’aujourd’hui les
études sur le sujet sont nombreuses. Ce qui apparaît clairement à la lec-
ture de ces textes c’est la relative marginalité de la Sicile à la fois dans
les circuits de formation et, plus largement, dans la conception de l’es-
pace islamique en dépit d’une islamisation du savoir et d’une activité in-
tellectuelle indéniables. L’empreinte ifrîqiyenne, nette si on la compare
aux autres influences (notamment égyptienne), s’explique par les choix
politiques et religieux de l’Égypte, par le malikisme prépondérant dans le
droit islamique sicilien et peut-être aussi par une pratique de la langue
arabe qui rapprochait davantage la Sicile du Maghreb que de l’Orient.
L’étude des milieux savants révèle également l’impact qu’ont eu les sou-
bresauts politiques du Xe siècle, et ceux qui ont agité l’île à partir du

54
Cf. no 1, note 38.
55
Cf. note 53.
56
Cf. note 30.
57
Cf. no 5 de la note 37.
58
Cf. note 53.
59
Sur ce personnage, cf. l’E.I. et sur son œuvre, cf. A. Nef, Analyse du Tathqîf al-
Lisân d’Ibn Makkî et intérêt pour la connaissance de la variante sicilienne de l’arabe :
problèmes méthodologiques, dans Oriente moderno, n. s., 16, 1997, p. 1-17.
60
Cf. no 2, note 39; le ms. de son Jâmi‘ ‘alâ al-Mudawwana est conservé à la bi-
bliothèque de l’Université al-Azhar au Caire, Riwâq al-Maghâriba, sous la cote 3146.

.
468 ANNLIESE NEF

deuxième tiers du XIe siècle, sur la vie intellectuelle sicilienne, mettant


un frein à son développement. Paradoxalement il reviendra aux souve-
rains normands de relancer le mouvement au XIIe siècle, précisément
parce qu’ils favorisent la naissance d’une cour digne de ce nom et le
rayonnement de ce qui devient une des véritables capitales méditerra-
néennes.

Annliese NEF

.
ANNEXE 1

CORPUS UTILISÉ

Abû-l-‘Arab (m. 945), Tabaqât ‘ulamâ’ Ifrîqiya wa Tûnis, éd. ‘A. al-Shâbbî et N. H. al-
Yâfî, Tunis-Alger,˙ 1985; trad. Classes des savants de l’Ifrîqiya : Abû-l-‘Arab Mo-
hammed b. Ahmed b. Tamîm et Mohammed b. al-Harîth b. Asad al-Khushanî,
M. Ben Cheneb, Alger, 1920.
— Kitâb al-Mihan, éd. Y. W. al-Jabbûrî, Beyrouth, 1983.
Al-Dabbâgh (m. 1435), Ma‘âlim al-imân fî ma‘rifat ahl al-Qayrawân, Tunis-Le Caire,
1968-1978.
Al-Darjînî (m. 1229), Tabaqât masha’ikh bi-l-Maghrib, éd. I. Tallâ, Alger, 1974.
˙
Al-Dâwudî (m. 1011), Tabaqât al-mufassirîn, éd. ‘A. M. ‘Umar, Le Caire, 1972.
˙
Al-Dhahabî (m. 1347), Siyar A‘lâm al-nubalâ’, éd. B. Ma‘rûf et M. H. al-Rahân, Bey-
routh, 1985.
— al-‘Ibar fî khabar man ghabara, éd. S. al-Munajjid, Koweit, 1960-1963.
— Tadhkirat al-huffâz, Beyrouth, 1956-1958.
Al-Ghubrînî (m.˙ 1304),
˙ Kitâb ‘unwân al-dirâya, éd. ‘A. Nuwayhid, Beyrouth, 1979.
˙
Al-Humaydî (m. 1095), Jawdat al-Muqtabis fî tâ’rikh ‘ulamâ’ al-Andalus, éd. I. al-
˙
Abyârî, Beyrouth-Le Caire, 1984.
Ibn al-Abbâr, Kitâb al-hulla al-siyarâ}, éd. H. Monés, Le Caire, 1963.
˙
Ibn Abî Usaybi‘a (m. 1270), ‘Uyûn al-anbâ’ fî tabaqât al-atibbâ}, Beyrouth, 1981.
˙ ˙
Ibn Abî al-Wafâ’, al-Jawâhir al-mudî}â fî tabaqât al-hanafiyyâ, Hyderabad, 1913.
˙ ˙ ˙
Ibn Bashkûwâl (m. 1183), Kitâb al-Sila, éd. I. al-Abyârî, Le Caire, 1989.
˙
Ibn al-Faradî (m. 1013), Tâ’rikh al-‘ulamâ’ wa-l-rûwât li-l-‘ilm bi-l-Andalus, éd. I. al-
Abyârî, Beyrouth, 1983.
— Tâ}rîkh qudât al-Andalus, éd. Ribera, Madrid, 1914.
˙
Ibn Farhūn, Al-Dîbâj al-mudhhab fî ma‘rifat a‘yân ‘ulamâ’ al-madhhab, Le Caire, 1932
˙
et Le Caire-Rabat, 1972.
Ibn Hārit al-Khushanî (m. 981?), Tabaqât ‘ulamâ} Ifrîqiya, éd. M. Ben Cheneb, Alger,
˙ ˙
1915-20.
— Akhbār al-fuqahā} wa-l-muhaddithîn, éd. M. L. Avila et L. Molina, Madrid, 1992.
˙
Ibn Juljul al-Andalusı̄ (m. ap. 994), Tabaqât al-atibbâ} wa-l-hukamâ}, Le Caire, 1955.
˙ ˙ ˙
Ibn Khallikân (m. 1282), Wafâyât al-a‘yân wa anbâ} abnâ} al-zamân, éd. I. ‘Abbâs,
Beyrouth, 1968.
Ibn Qunfudh (m. 1407), al-Wafâyât, mu‘jam zamânî li-l-sahāba wa-l-a‘lâm al-muhad-
˙ ˙ ˙
dithîn wa-l-fuqahâ’ wa-l-mu’allifîn, éd. ‘A. Nuwayhid, Beyrouth, 1971.
˙
Ibn Qutlûbughâ (m. 1474), Tâj al-tarâjim fî tabaqât al-hanafiyya, éd. M. Su‘ûd, Bag-
˙ ˙
dad, 1983.
Al-Isfâhânî (m. 1201), Kharîdat al-Qasr wa jarîdat al-‘asr, parties sur le Maghreb et Al-
˙ ˙
Andalus, éd. M. al-‘A. al-Matawî, M. al-Marzûqî et Ibn al-Hâjj Yahyâ, Tunis,
˙ ˙
1986.
Al-Kindî (m. 971), Kitâb al-wulât wa kitâb al-qudât, éd. R. Guest, Leyde, 1912.
˙

.
470 ANNLIESE NEF

Al-Mâlikî (m. 1061-81), Kitâb riyâd al-Nufûs, éd. B. Baccouche et M. al-‘A. al-Matawî,
˙
Beyrouth, 1983.
Al-Maqrîzî (m. 1442), Kitâb al-Muqaffâ al-kabîr, éd. M. al-Ya‘lâwî, Beyrouth, 1987.
Al-Qâdî ‘Iyād (m. 1149), al-Ghunya, fihrist shuyûkh al-qâdî ‘Iyâd, éd. M. Z. Jarrâr,
˙ ˙ ˙ ˙
Beyrouth, 1982.
— Tartîb al-madârik li-ma‘rifat a‘lâm madhhab Mâlik, éd. A.B. Mahmûd, Beyrouth,
˙
1967.
— Tarâjim aghlabiyya, éd. M. Talbi, Tunis, 1968.
Al-Qiftî (m. 1248), Tâ}rîkh al-hukamâ}, éd. J. Lippert, Leipzig, 1903.
˙ ˙
— Inbâh al-ruwât ‘alâ anbâh al-nuhât, éd. M. Abû al-Fadl Ibrâhîm, Le Caire, 1950-
˙ ˙
1955.
Al-Safadî, Kitâb al-Wâfî bi-l-wafâyât, éd. H. Ritter et alii, Leipzig et Wiesbaden, 1959
˙
– ( Bibliotheca Islamica, 6).
Al-Silafî, Mu‘jam al-Safar, éd. S.M. Zaman, Islamabad, 1988.
˙
— Akhbâr ‘an ba‘d muslimî al-Siqiliyya, réunies et éditées par U. Rizzitano, Haw-
˙ ˙ ˙
liyyât Kulliyyat al-adâb (Université ‘Ayn al-Shams), 3, 1955, p. 49-112; éd. utilisée
dans ce travail.
Al-Shirâzî (m. 1083), Tabaqât al-fuqahâ’, éd. I. ‘Abbâs, Beyrouth, 1981.
˙
Al-Sulâmî, Tabaqât al-Sûfiyya, éd. N. Surayba, Le Caire, 1953.
˙ ˙
Al-Suyûtî (m. 1505), Bughiyat al-wu‘ât fî tabaqât al-lughawiyyîn wa al-nuhât, Le
˙ ˙ ˙
Caire, 1908.
— Tabaqât al-huffâz, éd. ‘A.M. ‘Umar, Le Caire, 1973.
˙ ˙ ˙
T abaqât al-mufassirîn, éd. ‘A.M. ‘Umar, Le Caire, 1976.
˙
Al-Zubaydî, Tabaqât al-nahwiyyîn wa al-lughawiyyîn, éd. M. Abû al-Fadl Ibrâhîm, Le
˙ ˙
Caire, 1954.

ANNEXE 2

RÉPARTITION DES SAVANTS PAR SIÈCLE


(EN FONCTION DE LA DATE DE DÉCÈS)*

840-860 : 1 900-920 : 1 1000-1020 : 1


860-880 : 2 920-940 : 3 1020-1040 : 5
880-900 : 5 940-960 : 1 1040-1060 : 2
960-980 : 0 1060-1080 : 5
980-1000 : 2 1080-1100 : 3
1100-1120 : 3

* Cette date n’est connue que pour une minorité d’entre-eux.

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