Intervenants :
M. Richard Walther, expert du Département de la Recherche de l'Agence Française de
Développement
Mme Rajaa Mejjati Alami, universitaire, consultante et membre de l’Observatoire National pour le
Développement Humain
Modérateurs :
Mohammed Fassi-Fehri, AMGE-Caravane
Saad Berrada, AMGE-Caravane
Principales caractéristiques :
- C’est une économie de l’emploi et de la micro-entreprise : en moyenne moins de 10
employés par unité de production en Afrique (moyenne marocaine : 1.5 employés par unité)
- C’est souvent une économie domestique, voire familiale
- L’absence de comptabilité rend difficile d’en mesurer la rentabilité, d’évaluer la pérennité
de l’activité
- Toutefois, le secteur informel n’est pas à part, en marge, de l’économie réelle. Il en est
partie intégrante.
Pour toutes ces raisons, il faut dynamiser le secteur informel en tant que moyen de lutte contre la
pauvreté, et développer les compétences de ceux qui y sont employés.
Pourtant, il n’y a pas de transgression systématique de la loi : les activités informelles se font au
grand jour. Elles sont tolérées et témoignent parfois d’une ignorance de la réglementation.
Attention : on exclut ici les activités illégales (trafics, exercices illégaux de professions
réglementées, etc.)
Caractéristiques :
71,6% en sphère urbaine
39% emploi non agricole
50% n’ont pas de local
Pôles de concentration : Tanger, Tétouan, Doukkala, Meknès, Fès, Maroc oriental
- C’est un secteur lié étroitement au secteur moderne. Sa clientèle est essentiellement
privée, son approvisionnement se fait à la fois auprès du secteur formel et auprès réseaux
informels de connaissance (migrants, contrebande).
- On y observe une faiblesse de la sous-traitance : 76% n’en pratiquent pas, ou entre unités
similaires. Cette mauvaise intégration du tissu est un vrai handicap par rapport aux pays
d’Asie de l’est.
- La concurrence interne féroce liée à la démultiplication des acteurs.
Financement :
Il est principalement endogène et basé sur la confiance : 66,3% des acteurs. L’autofinancement et
financement familial y tiennent une bonne part. On retrouve également, crédits fournisseurs,
petites associations pour achats de lots. En revanche, le recours au crédit bancaire est faible
(3.2%). Les principales raisons invoquées sont la méfiance, les préjugés religieux, la rigidité des
formalités.
Marché du travail
- Faible formation : 53% n’ont aucun niveau scolaire (hors école coranique), 6.3% ont un
niveau d’études supérieur
- Apprentissage sur le tas, seuls 5% ont eu accès à la formation professionnelle (cependant,
ce chiffre est en augmentation, grâce à de nombreuses d’initiatives)
- Faiblesse des logiques entrepreneuriales. Les unités opèrent à des fins de redistribution et
non d’accumulation du capital
- Irrégularité des revenus, difficiles à évaluer.
Tous ces points représentent des handicaps importants
Le secteur informel peut-il être une source alternative d’emploi ? Peut-il jouer le rôle de régulateur
social ? Oui, mais :
- On y observe une dynamique de prolifération. Les unités composées d’une seule personne
représentent 70.5% du secteur, indiquant donc une logique de survie.
- Saturation et tertiarisation : micro-services et micro-commerce sont devenus les pôles
dominants de création d’emploi (91.2% de l’ensemble des emplois). Cela implique donc peu
de création de richesses, lié à la faiblesse des capitaux et des qualifications
- Précarisation : 16% de main d’œuvre est salariée, peu protégée. Auto-emploi, associations
sur risque, travail à domicile, aide familiales, travail des enfants, apprentis
En somme : le secteur informel a pour atout une capacité d’adaptation aux mutations économiques
et aux crises. Cependant il développe de nouvelles formes d’exclusion et de pauvreté liées à la
dégradation de l’emploi.
La plupart des micro-entreprises bénéficient d’un statut « semi-légal » car elles respectent
partiellement les réglementations. Tour d’horizon :
Pendant longtemps, les politiques ont été limitées et largement inadaptées. Mesures principales :
- encouragement à l’artisanat (confondu avec les PME)
- Mesures financières à l’égard des jeunes diplômés sans travail (Crédit jeunes promoteurs :
Moukawalati)
En Afrique sub-saharienne, 95% des compétences de l’économie nationale sont produites par
l’informel, via la formation sur le tas. Seuls 2 à 6% des individus ont eu accès à l’enseignement et la
formation techniques et professionnels (EFTP). L’EFTP bénéficie lui-même de 2 à 6% des dépenses
publiques d’enseignement.
Les niveaux de compétence sont variés selon secteur de l’informel. Le niveau général d’éducation
est plutôt poussé dans la construction, moins dans les services ou le commerce.
Cependant, le secteur informel concerne des jeunes déscolarisés, majoritairement. Cela concerne
1.5-2M des jeunes marocains de 12-13 ans, auquel il faut donc fournir une formation minimale.
Cependant, il faut lutter prioritairement contre le phénomène de déscolarisation, sans pour autant
nuire à la « pré-professionalisation ».
Enfin, pour tous ceux qui sont déjà employés par le secteur informel, il s’agit d’améliorer les
compétences pour hausser le niveau de production/services. Notamment pour accéder au marché
international, à l’exportation.
Comment étendre la formation continue au secteur informel ? Aujourd’hui, souvent, les seules
formations professionalisantes dispensées le sont par les organismes de micro-crédit.
Pointsforts
- Capacités scientifiques, techniques, managements
- Capacité d’évaluation des prospectives et des enjeux
- Connaissances de l’espace économique européen – international – et vécu en temps réel de
la crise
- Capacité de réflexion solidaire sur un avenir commun
Points faibles
- Incertitudes sur les choix professionnels, les itinéraires, sur les réponses à apporter aux
défis du pays
- Carence de formation sur les dynamiques de développement
- Distance par rapport aux enjeux du pays
Rajaa Mejjati Alami : Un des effets de la précarisation de l’informel. La grande majorité des acteurs
est très réceptive à des réglementations d’hygiène et de sécurité.
Quoiqu’il en soit, il faut des réglementations strictes, valables pour tous, et se donner les moyens
de les appliquer sans distinction (entre formel et informel)
Othman Chami, ingénieur : le système fiscal est-il adapté au secteur informel ? Est-il adapté à
une formalisation de l’informel ? Peut-on envisager un système fiscal parallèle
RMA : Il est envisageable dans certains domaines d’avoir des réglementations à deux vitesses.
Des distinctions peuvent être faites dans certains domaines : notamment en fiscalité, en droit du
travail (salaire minimal non adapté à la variabilité du salariat, nuit à sa formalisation), mais non sur
les règlementations de sécurité.
RW : Pas assez de réflexion sur la transition entre micro-entreprise à la petite entreprise. Exemple :
pas de règle évidente d’évaluation du capital
RW :
Il s’agit de deux logiques différences : dans l’informel, il y a souvent un partage d’activités
existantes vs logique entreprenariat : s’installer et créer une activité. Donc une capacité
d’innovation. Je ne veux pas vous contredire, Madame, mais les associations, la société civile sont
souvent plus proches des personnes formées que les pouvoirs publics (encore trop dans la culture
des diplômes, des formations rigides, qu’il faut faire évoluer).
RMA : Toutefois l’apport des associations doit être consolidé et accompagné par les pouvoirs
publics.
L’Etat doit avoir, à tous les niveaux, un rôle d’accompagnement
Mahdi Mhamdi, étudiant à Polytechnique : Nous avons une tendance à diaboliser l’informel.
N’est-ce pas justifié par sa tertiarisation, moins créateur de richesses ? Les réglementations
draconiennes ne risquent-elles pas de l’étouffer
Peut-on avoir également plus de détails sur l’initiative Moukawalati ?
RMA : L’initiative Moukawalati est limitée, de même que le crédit « Jeunes promoteurs ». Il ne sert
à rien de distribuer des crédits s’il n’y a pas derrière d’accompagnement via la formation et la
recherche des débouchés.
Mais d’autres initiatives se mettent en place : par exemple, la prise en charge et l’accompagnement
par l’ONE de tout un secteur de la menuiserie.
Echec également des initiatives de répression : une réglementation draconienne n’aboutit qu’à
déplacer les initiatives informelles d’un secteur vers un autre. Il faut aider l’informel pour lui
donner les moyens de devenir formel.
RW : Il faut définir une stratégie économique globale intégrant le secteur informel afin de rendre le
productif, et d’amener les investissements.
Youssef Ahizoune, étudiant à Dauphine : Les stratégies globales : cela reste des généralités. S’il
fallait demain occuper un poste de responsabilité, que feriez-vous ?
RW : L’économie se dynamise par des politiques de proximité : connaître les acteurs locaux et leur
donner davantage de responsabilité pour mieux connaître le secteur et pouvoir agir sur celui-ci.
Deuxième chose : Rencontrer les branches professionnelles. Réfléchir de manière sectorielle à la
stratégie : que faut-il aujourd’hui pour conquérir les marchés, quels sont les critères, comment
faut-il y investir ? Notamment pour accéder aux marchés internationaux.
RMA : Nous sommes plus des agitateurs d’idées, mais s’il fallait jouer le jeu.
D’abord, il faut corriger certaines de nos mesures. Le micro-crédit est l’une des mesures les plus
importantes de lutte contre la pauvreté : certains investissements ont été inadaptés, déviés,
peuvent créer des phénomènes d’endettement massif liés à des taux atteignant 30 à 40%.
Créer des interfaces au niveau local est tout à fait vital, mais il faut leur en donner les moyens.
Il faut également faire évoluer les mentalités : il est inadmissible que la formation aux femmes soit
limitée à la couture : il faut venir à bout des ségrégations.
Jeune fille, Etudiante : Le secteur informel : cela arrange tout le monde, aussi bien pour
l’emploi domestique ou l’artisanat ?
RW : C’est vrai que beaucoup de gens profitent du secteur informel. Ceci dit, il y a un rôle
traditionnel de cette économie qui participe du lien social. Il faut pouvoir en augmenter la qualité
et la productivité : il faut en faire monter le niveau économique.
RMA : L’Etat y trouve son compte car le secteur crée de l’emploi et des richesses. De toute façon,
l’Etat est incapable d’assurer des revenus, des formations et des emplois pour tout le monde.