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Abstract
Medical sciences in the ommeyyade's time in Cordoue.
The Latin translations of major Arabian texts have largely contributed to the rise of medical sciences in christian Western
during the middle age. Among the pharmacologist Andalusian erudites who have been translated into Latin language, for
example by Gerard de Crémone, Al-Zahrâwî (Albucasis) and Ibn Wâfid are references. Al-Zahrâwî has written about
materia medica in several books included in his thirty volume's encyclopaedia : al-tasrif. Ibn Wâfid has given to the medical
world two remarkable treatises : a really formuler kitâb al-wisâd fi-l-tibb though a book of the simple drugs, kitâb fi al-
adwiya al-mufrada.
Résumé
Les traductions latines des grands textes arabes ont largement contribué à l'épanouissement des sciences médicales
dans l'Occident chrétien médiéval. Pour les pharmacologues andalous traduits, notamment par Gérard de Crémone, Al-
Zahrâwî (Albucasis) et Ibn Wâfid font référence. Al-Zahrâwî a traité de pharmaceutique dans plusieurs livres de son
encyclopédie en trente volumes : al-tasrif , tandis qu'Ibn Wâfid a laissé au monde médical deux œuvres : un véritable
formulaire, kitâb al-wisâd fi-l-tibb (le livre de l'oreiller) ainsi qu'un livre sur les médicaments simples, kitâb fi al-adwiya al-
mufrada.
Ricordel Joëlle. Les sciences médicales au temps des califes omeyyades de Cordoue : Al-Zahrâwî et Ibn Wâfid :
savants-pharmacologues andalous traduits en Occident chrétien. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 86ᵉ année, n°317,
1998. pp. 29-40.
doi : 10.3406/pharm.1998.4583
http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1998_num_86_317_4583
OMEYYADES DE CORDOUE
Al-Zahrâwî et Ibn
traduits
Wâfiden: savants-pharmacologues
Occident chrétien andalous
par J. Ricordel *
Communication présentée à l'Institut du monde arabe à Paris, le 25 janvier 1997, lors de la réunion
commune des Sociétés d'histoire de la médecine, d'histoire de la pharmacie et d'histoire des hôpitaux (thème de la
journée : « À l'ombre d'Avicenne : la médecine au temps des califes »).
J'ouvrirai une courte parenthèse pour préciser ce qu'il faut entendre par
Al-Andalus. Andalos, sans doute dérivé de Vandalos, était le nom d'une
petite île à la pointe de la péninsule, vers l'actuelle Tarifa. Lors d'une première
incursion, des berbères y débarquèrent conduit par Tarif. Puis les soldats du
conquérant Tarîk: ont donné le nom d'Al-Andalus à toute la Bétique, puis à
l'ensemble des possessions musulmanes sur la péninsule ibérique 7'3. Sous le
califat, ce territoire s'étendait pratiquement jusqu'aux Pyrénées. Seuls
restaient chrétiens le royaume du Léon et des Asturies et des petits comtés des
contreforts pyrénéens : comme Pamplune, Aragon, Ribagorza, Sobrabe,
Barcelone...
Entre le XIe et le XIIe siècle, les sciences de la civilisation musulmane
diffusèrent d'Al-Andalus par l'Ecole de Salerne et les premières universités
laïques comme Bologne (1123), Padoue, Montpellier (1220). À partir du XIIe
siècle, ce sont les traducteurs de Tolède, devenue chrétienne dès 1085, qui
eurent un rôle prépondérant dans l'enrichissement de l'Occident chrétien par
la traduction des grands textes des savants de la Grèce antique, de l'Orient et
de l'Occident musulmans.
C'est pourquoi le professeur Tomasso Sarnelli a pu dire, lors du premier
Congrès des études arabes et islamiques de Cordoue, en 1962 : « Et débiteurs
LES SCIENCES MÉDICALES AU TEMPS DES CALIFES OMMEYYADES 31
nous nous sentons de l'Espagne, ce pays privilégié qui a rendu possible cette
transfusion vitalisante par la réceptivité intellectuelle et spirituelle de sa
chrétienté envers les sciences venues avec la conquête musulmane. » 25
Hélas, cette réceptivité cessa avec l'Inquisition. Celle-ci interdit au
médecin musulman andalou « accusé de sorcellerie ou de prosélytisme, l'accès à
l'Université et à la culture scientifique à cause des statuts de pureté de
sang » 9. Elle lui interdit, ainsi qu'aux Juifs, de pratiquer son art.
Entre le Xe et le XIIIe siècle, on a pu dénombrer environ vingt-cinq savants
pharmacologues andalous 22. Les plus célèbres d'entre eux sont Ibn Zuhr
(l'Avenzoar latin), Ibn Rushd (Averroes), Ibn Maymûn (Maimonide) et Ibn
al-Baytâr. D'autres savants pluridisciplinaires et poly graphes se sont aussi
illustrés dans la pharmacologie : Ibn Bâdjdjda le philosophe, les géographes
al-Bakrî et al-Idrîsî, Ibn Biklârish le botaniste saragossain, Ibn al-Rumiyya,
botaniste sévillan.
Tous ont bénéficié de l'héritage antique qui prend ses racines dans les
zones hellénistique, perse et indienne. L'influence grecque est primordiale
notamment avec Dioscoride dont la Materia Medica ou De Universalis
Medicina décrit quelque six cents plantes.
Ce traité fut traduit en arabe, à Bagdad, sous le règne du calife ^avfar al-
Mutawakkil (847/232-861/247). Cette première traduction, due à Istifan b.
Basil et corrigée par Hunayn Ibn Ishak restait très imparfaite car les auteurs
ne purent que faire une translitération en arabe des termes grecs qui leur
étaient inconnus.
Dans Al-Andalus, l'essor de la pharmacopée est intimement lié à un cadeau
que fit l'empereur de Constantinople au calife omeyyade d'Espagne vabd al-
Rahmân HI. Il s'agissait d'un exemplaire illustré de cette Materia Medica. Dès
que le texte parvint à la cour de Cordoue, c'est-à-dire en 948, un « collectif » de
traducteurs possédant le grec, le latin et l'arabe, en entreprit l'étude. Cependant,
ils durent se faire aider par le moine Nicolas, venu spécialement de la cité
byzantine pour parachever la traduction de certains termes en grec ancien.
Alors, dans cette Espagne où la flore était luxuriante et où les ressources
minérales (plomb, argent, cinabre, cuivre) abondaient, le goût pour la botanique, les
herborisations et la pharmaceutique se développa. En même temps, cette
disposition fut favorisée par l'acclimatation, sur le territoire, d'espèces nouvelles
introduites par les Musulmans et par la découverte, grâce aux navigateurs, de plantes
de pays lointains comme la Malaisie ou la Chine. Ainsi, parmi ces substances
nouvellement utilisées, on peut citer : le camphre (kâfur, déjà employé comme
parasiticide, antiseptique et toni-cardiaque), la casse (pulpe de la gousse du cas-
sier à la vertu purgative) et le santal (de l'arabe çandal, terme employé pour
désigner des substances ligneuses provenant du santal blanc ou rouge d'où l'on tire
une essence balsamique et des poudres pharmaceutiques).
32 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE
Telle était donc la situation au milieu du Xe siècle. C'est à cette époque que
vécut Abu al-Kâsim al-Zahrâwî. Ce nom vous est peut-être inconnu mais si je
l'associe à sa forme latinisée Albucasis, vous reconnaîtrez ce chirurgien
célèbre, auteur d'une importante encyclopédie médico-cWrurgicale. Il est, en
effet, fameux pour ses traités d'obstétrique, pour ses descriptions d'opérations
chirurgicales (amputations, opérations de fistules et de hernies, trépanations). Il
est aussi réputé pour ses théories sur les réductions de fractures et de luxations,
ainsi que pour les croquis d'instruments et ustensiles qui illustraient ses traités.
C'est bien de lui, en effet, dont il s'agit car son encyclopédie, formée de
trente livres, est consacrée pour un certain nombre d'entre eux à la
pharmacologie. Cette uvre fut si importante que Léon l'Africain 4 l'a comparée aux
Canons d'Avicenne.
Al-Zahrâwî est né à « Madîna al-Zahrâ' », cité princière et administrative
située à cinq kilomètres au nord-ouest de Cordoue, l'année même de la
fondation de la ville en 936. Il serait mort entre 1010/400 H. et 1013/404 H.
Les sources anciennes divergent sur cette date comme elles sont partagées sur
son rôle de médecin officiel des califes de Cordoue * 6> 13' 23.
Il est intéressant de noter que les deux parties du nom arabe du savant, Abu
al-Kâsim et al-Zahrâwî, ont donné lieu à de multiples transformations lors de leur
passage au latin 12. On compte seize déformations d' Abu al-Kâsim, parmi lesquelles
Albucasis, Buchasis, Abul-Kasem, Bulcasis, Albucrasis, Cusa... et dix-neuf
d' al-Zahrâwî dont Alsaharavius, Alzarabi, Azaragi, Acaravius, Acaragui,
Benabenazerin. Cela explique que l'on n'ait pas toujours su à qui attribuer certains
textes et que l'on ait cm en l'existence de plusieurs personnes l'une plagiant l'autre.
Son ouvrage capital a pour titre kitâb al-tasrîfli man "adiiza "an al-ta'âlif
Le mot « tasrîf » reste difficile à interpréter dans le sens ancien qu'a voulu lui
donner l'auteur. Plusieurs interprétations en ont donc été proposées : « La
pratique pour ceux qui ne savent pas composer les remèdes » ; « Le livre des
manipulations pour celui qui est incapable de composer des recettes » 16 ; « Le livre
de l'exaucement de ceux qui sont incapables de composer des ouvrages ».
En fait, cet ouvrage était destiné à la formation des étudiants et devait
servir de manuel pratique de consultations 24. En Occident, il fut l'une des bases
de l'enseignement de la médecine jusqu'au XVIIe siècle.
Al-Zahrâwî se préoccupe des techniques de préparation à partir des
drogues d'origine végétale, minérale et animale. On reconnaît le point de
départ de ses méthodes dans les théories d'Hippocrate et de Galien selon
lesquelles les quatre éléments de la nature (le froid, le chaud, le sec et l'humide)
sont en équilibre chez l'homme. La rupture de cet équilibre est cause de
maladies. On peut y porter remède en administrant au malade le pourcentage
nécessaire de l'élément en déséquilibre.
LES SCIENCES MEDICALES AU TEMPS DES CALIFES OMMEYYADES 33
Ainsi, Al-Zahrâwî indique que « la figue est d'une nature chaude et humide
au premier degré. Elle est employée pour les reins dont elle dissout les
calculs, mais elle a pour inconvénient de surcharger, ce que l'on peut éviter en
prenant du potage salé et des boissons vinaigrées ». La prune, quant à elle,
est de nature froide du premier degré. On l'emploie pour évacuer la bile mais
elle occasionne des maux d'estomac auxquels on peut porter remède en
consommant du sucre avec des roses 24.
Naturaliste, al-Zahrâwî décrit la faune et la flore d'Espagne, « al-adwiya
al-mufrada », c'est-à-dire les « simples ». Pour les plantes, il signale le lieu
de récolte, comment les cultiver et les préserver 12.
Chimiste, il débat des méthodes techniques pour préparer, en vue d'un
usage médicinal, des matières chimiques comme la litharge, la céruse, le
vitriol et le vert de gris. Il décrit comment brûler l'ambre, le corail, la théré-
bentine et les ceps de vigne pour en obtenir des cendres utilisables dans les
préparations pharmaceutiques. Pour les drogues tirées de matière animale, il
indique le mode de préparation des coquilles, ongles, sabots, os ainsi que
celui des serpents, lapins et scorpions.
Technicien, il puise aux sources de l'ancienne Mésopotamie sassanide
aussi bien que dans les techniques des artisans et des parfumeurs d'Iraq et
d'Egypte. Il décrit également les techniques et appareils destinés à préparer
les eaux aromatiques telle l'eau de rose et les adhân qui sont des préparations
huileuses ou des pommades. Il pratiquait aussi la distillation, y compris celle
du vin pour obtenir du vinaigre et non de l'alcool 8.
Didactique enfin, il illustre son traité de croquis et de dessins. Il
représente, par exemple, des poinçons en buis ou en ébène pour timbrer certains
médicaments, des moules pour confectionner des tablettes et des comprimés
ou des systèmes de filtration 5' 12.
Il prête aussi une grande attention aux récipients destinés à recevoir les
préparations 3. Ainsi, dans le « discours seize » du « Tasrîf », consacré aux
poudres médicinales, il indique : « Sache que les poudres médicinales ne
peuvent se conserver longtemps car l'air les altère rapidement parce qu'il n'y
a pas d'obstacles à (...). Le miel protège les électuaires et les pastilles.
[Quant aux poudres médicinales] conserve les dans des récipients à
embouchure étroite, fermés hermétiquement pour que l'air n'y pénètre pas et ne les
prélève qu'au moment où tu en as besoin. »
Certaines parties de l'uvre d' al-Zahrâwî furent traduites en diverses
langues n>12'24 :
- le livre XXX touchant à la chirurgie, fut traduit par Gérard de Crémone
à Tolède au XIIe siècle. Il fut par la suite édité plusieurs fois, par exemple à
Venise, quatre fois entre 1497 et 1531 ;
LES SCIENCES MÉDICALES AU TEMPS DES CALIFES OMMEYYADES 35
Prends 5 dirhams d' épine- vinette, trois de santal jaune, une demi-ûkiyya de
rose rouge, 4 dirhams de graines de courge sans écorce, trois de graines de
pourpier, et encore 3 de tragacantae.
Pulvérise chaque drogue séparément, tamise-les, réunis le tout en ajoutant
une ûkiyya de sucre en poudre et malaxe avec du julep très sucré.
Donne à boire au malade de trois à six dirhams de cette préparation selon
le degré de fièvre, la force de l'atrabile et son intensité, selon la saison et l'âge
du patient. »
Dans cette seconde préparation, la façon de moduler la posologie rejoint
des notions assez modernes.
Un troisième ouvrage, le maa^mu fî-l-filâha, « traité d'agriculture », est
attribué à Ibn Wâfid 14, 19 même si cela est parfois contesté 4* 10.
En effet, un manuscrit correspondant à ce texte porte bien la mention à! Abel
Mutarrif, Abel Nufi, fisico toledano de agricultura, ce qui correspondrait au
nom latin d'Ibn Wâfid mais un autre manuscrit découvert plus récemment
porte celle d'« Al-Nahrâwî », faisant planer le doute sur l'auteur.
Malgré son titre, « traité d'agriculture », et son contenu, cet ouvrage doit
être réintroduit dans l'uvre pharmacologique de son auteur. En effet, à côté
des principes et techniques agricoles, il décrit méthodiquement la nature et les
plantes. Les savants musulmans partant de l'hypothèse que toute plante a une
vertu médicinale, celles dont on n'a pas encore découvert les propriétés
méritent cependant de figurer dans les études scientifiques. Sans que cela soit
systématique comme dans le kitâb al-Wisâd, Ibn Wâfid précise, pour celles qui
sont connues, les propriétés pharmacologiques et toxicologiques et comment
combattre leurs effets.
C'est le cas dans cet exemple extrait du traité et qui concerne les plantes et
minéraux dits « indiens » 5 : « On trouve dans Al-Andalus, l'« antula » 6 qui
est actif contre les douleurs aiguës et les poisons mortels. Il pousse vers
Tânbal sur une montagne que l'on nomme mont Akwât. Souvent le « bîsh » 7
pousse dans son voisinage. Si les troupeaux broutent le « bîsh » à cause de sa
saveur douce, ils sont intoxiqués ; s'ils broutent alors F« antula » qui est amère,
ils recouvrent la santé car l'« antula » est un contre-poison. Si F« antula » fait
défaut, la gentiane peut être utilisée comme succédané bien que l'« antula »
soit meilleure. . . »
Les traductions des ouvrages d'Ibn Wâfid sont nombreuses :
- le « livre des simples » fut abrégé et traduit en latin par Gérard de
Crémone sous le titre Liber Albenguefith philosophi de vertutibus
medicinarum et ciborum et publié de nombreuses fois pendant la Renaissance
(Strasbourg, 1531, Venise, 1532). L'uvre entière et non pas seulement
résumée aurait été également traduite en plusieurs langues romanes
notamment en catalan au XIIe siècle 26. En 1943, un spécialiste espagnol,
38 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE
Notes
1. Une traduction de l'ouvrage de Sâvid al-andalusî a été faite par R. Blachère en 1935.
2. Ibn Sînâ (980/370 H, 1037/429 H), auteur du kitâb al-Kânûn (les Canons) en 5 livres. Il traite
dans le second, en 800 paragraphes, des médicaments simples et dans le cinquième, des
médicaments composés.
3. D'après l'auteur anonyme d'ajçhbâr madjmu.
4. Auteur du XVe-XVIe siècle, Musulman originaire de Grenade converti au catholicisme,
auteur d'une description de l'Afrique et d'un recueil biographique sur les hommes célèbres.
5. Parmi les plantes, dites indiennes, sont citées : l'astragale, qui fournit la gomme adragante,
le nard, valérianacée donnant des parfums, le turbith, jolap de l'Inde qui est un purgatif tout comme
l'aloés, le sang de dragon, hémostatique et astringent.
6. « Antula » : Aconit anthora.
7. « Bîsh » : Aconit ferox ou Aconit napellus. Les auteurs ne s'accordent pas sur l'espèce
d'aconit qui répond au nom de « bîsh ».
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20. J.M. Millas Vallicrosa, « La traduccfon castellana del " tratado de agricultura " de Ibn
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22. J. Ricordel, La Pharmacopée en Espagne musulmane médiévale (Xe -XIIIe s.). Étude
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