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CVG.

CONVERGENCE

LE CHOIX DES SACRIFICES


Patrice Gaultier *

Dans cette société d'abondance qu'ils contri­ Cette décision était-elle la meilleure ? Elle �tait
buent à créer, les dirigeants d'entreprise vivent probablement, la moins mauvaise des décisions
en permanence une situation de pénurie. Ils ne possibles, si abrupte qu'elle paraisse. De toute fa­
disposent jamais de tous les moyens - ressour­ çon, déférer à la demande du service après-vente,
ces humaines, financières et matérielles - néces­ commencer à recruter et à former des techni­
saires pour introduire toutes les améliorations ciens d'après-vente pour répondre à un besoin
souhaitables, pour réaliser tous les développe­ très limité dans sa durée, n'aurait servi de rien.
ments désirés, pour faire face à toutes les diffi­ La dispersion de moyens mesurés aurait été le
cultés rencontrées. pire des choix.

Cette situation prend parfois un aspect drama­ «Laissez brûler» dans un cas semblable, en plei­
tique. Il en fut ainsi dans une entreprise qui vend ne conscience des inconvénients que cela com­
des biens d'équipement ménager. Un produit sur porte, mais afin d'éviter un plus grand dommage,
lequel elle avait beaucoup misé, souffrait, lors de n'est pas inconscience ou indifférence. Pas davan­
son lancement, de maladies de jeunesse assez gra­ tage dans la situation, certes moins douloureuses,
ves. Le service après-vente, débordé, demandait d'une société qui fabrique et vend des équipe­
un prompt renfort. La direction commerciale ments d'un rapport prix-efficacité jusqu'à pré­
soutenait cette revendication de son alarme. Mais sent sans concurrence. Elle peut assurer sa supré­
la direction générale fit un autre choix. matie dans le marché européen tout entier pour
cette catégorie de produits, à condition d'acqué­
Les défauts de conception du produit étant par­ rir des filiales dans plusieurs pays importateurs.
faitement identifiés, il était possible d'y remédier Elle possède deux activités connexes dont la par­
totalement dans un délai de quatre à six mois, en ticipation à sa croissance est, pour l'instant
modifiant quelques procédés de fabrication et moins prometteuse. Dans ces secteurs, elle laisse
au prix de l'utilisation d'un nouvel outillage, ce brûler. Cela lui permet de dégager les ressources
qui nécessitait un surcroît d'investissement assez qu'il lui faut pour bien jouer sa partie là où elle
lourd. Au surplus, il y avait lieu de prévoir une a ses meilleures chances.
coûteuse relance commerciale au terme de la mi­
se au point. Ce rétablissement exigeait la mobi­ Voilà une nécessité que bien des dirigeants doi­
lisation de toutes les ressources disponibles. vent avoir, à présent, le courage d'affronter. Les
occasions de développement proposées à l'entre­
«Faites le mieux que vous le pouvez avec les prise par un monde plus ouvert et plus changeant,
moyens que vous avez, dit la direction générale multiplient ses. projets. L'ambition de la crois­
au service après-vente. Jusqu'à la sortie du mo­ sance bute sur les limites des moyens de grandir,
dèle rectifié, nous laissons brûler ...». ce qui oblige les responsables au choix le plus dif­
ficile qui soit : celui des sacrifices.

* Conseiller d'entreprises (groupe «Convergence»),


professeur à l' ICG.
Plus l'entreprise a su recruter, et former des que ou d'un produit obsolète. On sait assurément
cadres dynamiques, compétents, motivés, plus qu'une technologie supplantera l'autre, mais on
déchirantes sont les options qui lui sont propo­ est très souvent dans l'incapacité de prévoir
sées. La qualité des hommes fait affluer les bonnes quand elle aura fini de le faire. Ainsi, il y a
idées, les perspectives alléchantes, les sollicita­ vingt-cinq ans, la création de certains textiles
tions fortement motivées. Il y va de la producti­ artificiels ou synthétiques a laissé mal augurer de
vité d'un rouage essentiel, de la compétitivité l'avenir du fer à repasser. Si l'on se réfère aux
d'un produit, d'une opportunité de marché à ne prévisions de l'époque, le marché du fer électri­
pas manquer. Consentir à tout est impossible. Ne que devait régresser dans les cinq ans. Certes,
pas consentir demande de l'héroïsme. Ne pas l'expansion de ce produit n'est plus à présent
consentir, c'est laisser brûler. particulièrement glorieuse, mais la demande n'en
a pas diminué autant qu'il était prédit.
Précisons : laisser brûler, comme nous l'enten­
dons, ce n'est pas abandonner. C'est agir comme En 1963, quand le transistor au silicium fit son
le stratège militaire qui n'envoie pas de renforts apparition, il sembla que sonnait en même temps
sur une· partie du front, parce que les réserves le glas du transistor au germanium, si bien que les
doivent être engagées sur une autre partie où se principaux producteurs mondiaux de semi­
décide le sort de la bataille. Peut-être même conducteurs désarmèrent des chaînes dès l'année
faut-il parfois dégarnir un secteur au profit d'un suivante. Mais des constructeurs d'ordinateurs
autre. Laisser brûler, c'est commander de tenir utilisant les transistors au germanium n'enten­
une position, avec moins de moyens que de be­ daient pas redéfinir aussi vite certains de leurs
soins, sans espoir de la fortifier, et avec des produits, soit pour des raisons commerciales, soit
risques élevés. pour des raisons techniques. Craignant que la
raréfaction du composant au germanium entraîne
des difficultés d'approvisionnement et une hausse
MISERE DE LA PRÉVISION de prix, ils passèrent des contrats de fournitures
pour cinq ans, donc jusqu'en 1969 et 1970...
Le cas le plus fréquent où s'impose au stratège
industriel la décision de laisser brûler est l'obso­ Qui peut dire dans combien de temps les batte­
lescence d'un produit ou d'une technique. Un ries d'accumulateurs pour l'automobile livrées
pan de l'activité de la firme en est rendu caduc à <<Sèches» auront réduit à zéro le marché des
terme. Cela se présente toujours de la même batteries «humides» ? La tendance paraît évi­
manière : entre cinq centièmes et huit microns de dente. Où en sera-t-on dans cinq ans ? Tenter de
tolérance dans la fabrication d'une pièce mécani­ prévoir la date de la mort d'un produit ou d'une
que, entre le carburateur et l'injection dans l'au­ technique, c'est risquer de se tromper une fois
tomobile, entre un nouveau et un ancien procédé sur trois.
de soudure en chaudronnerie fine, la différence
est une révolution technologique qui fait appel ·, Les directeurs du développement, les directeurs
d'autres machines, à des agents techniques d'une du marketing croient souvent les évolutions
autre qualification et à d'autres gammes. Mais la futures plus rapides qu'elles ne le sont réelle­
substitution ne s'opère pas évidemment en un ment. Surtout dans les industries de pointe, les
Jour. industries très innovatrices, impatientes de tirer
profit d'investissements onéreux dans la recher­
Deux ateliers - l'ancien et le nouveau - vont che. Cela conduit parfois à «tuer» trop vite une
longtemps coexister. Le moment vient où le nou­ ligne de produits, et ce n'est pas agir sagement.
veau a pour lui toute la gloire et toutes les res­ Au contraire, les hommes de la production, en
sources, et où l'ancien est traité en parent pauvre. particulier dans les secteurs traditionnels, ont
Sort d'autant plus ingrat pour ce dernier que, tendance à surévaluer l'espérance de vie de leur
bien souvent, c'est encore lui, l'ancien, qui fait technologie, parce qu'ils entretiennent avec elle
les bénéfices, tandis que le nouveau n'a pas fini un rapport qui n'est pas purement rationnel. Cela
de coûter de l'argent. conduit parfois à orienter l'investissement, les
moyens du développement vers des impasses à
La décision «spoliatrice» est d'autant plus con­ long ou même à moyen terme.
testée qu'il est difficile de déterminer avec
précision le moment où l'on peut, sans risque Cette divergence est la source de tensions, voire
d'erreur, stopper le développement d'une techni- de conflits qu'il est souvent très difficile - en

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dépit de la théorie - de trancher sur des bases une très grande rigueur, ni beaucoup de volonté,
objectives. La même difficulté existe d'ailleurs à les dirigeants doivent-ils se contenter d'exercer un
l'autre extrémité de la vie des produits et des arbitrage entre leur directeur financier et leurs
techniques, au stade de leur gestation. directeurs «dépensiers» ? Leur rôle est-il de
répartir les suppléments de ressources disponibles
Il y a dix ans, une société d'informatique mit fin entre tous les demandeurs ? Et peuvent-ils croire
à son programme de recherche linguistique pour sincèrement qu'ils jugent de l'importance des
la traduction automatique des langues. Cette besoins qui leur sont exposés en fonction d'une
décision n'alla pas sans provoquer l'amertume des politique d'entreprise lorsqu'ils accordent une
responsables de ces travaux qui ne doutaient pas dotation supplémentaire aux plus éloquents, aux
de la possibilité d'aboutir à des résultats exploi­ plus farouches ou aux plus habiles?
tables dans des délais raisonnables. Si on les avait
laissés poursuivre, aurait-on aujourd'hui beau­ Cette méthode de «saupoudrage» n'est cepen­
coup plus avancé vers une réalisation pratique? dant pas dépourvue d'avantages. Si elle ne vaut à
l'entreprise que des profits rétrécis, elle ne lui fait
On dit que Du Pont de Nemours envisagerait de courir que de petits risques. Elle maintient un
reprendre les études interrompues sur le Corfam. climat de concorde dans l'équipe des directeurs,
Bel exemple du sort hasardeux_ de la recherche bien que les menus privilèges consentis à l'un
appliquée. A l'origine, une très prometteuse ap­ puissent être jalousés par l'autre ; mais enfin
proche du problème de la production d'un cuir aucun n'a le sentiment d'être particulièrement
de synthèse. Et puis, après des investissements maltraité. Aucun non plus n'a le moyen de faire
importants, l'échec. On n'en sort pas, on aban­ les progrès rêvés, mais, pour autant qu'il le re­
donne... Un fait nouveau survient - technique grette, il sait que ce sort est assez partagé pour
ou économique - et on repart... Mais qui pou­ ne pas se sentir frustré. Tout n'étant pas possible
vait savoir à l'avance pourquoi, comment et tout de suite, les responsables s'efforcent de tirer
quand ? le meilleur parti des moyens qui leur sont donnés.
A la limite ils trouvent dans cette règle du jeu
LA METHODE DU «SAUPOUDRAGE» une sorte de sécurité, un certain confort intellec­
tuel. Les contre-performances auxquelles ils sont
L'incertitude des prévisions justifie aux yeux de exposés seront regardées comme la conséquence
certains dirigeants leur refus des choix drastiques. de la décision prise en haut de ne pas satisfaire
Cette dérobade se trouve souvent un alibi entièrement à leur demande. Décision qu'ils n'ont
«démocratique». Certes, l'entreprise a un plan, certes pas critiquée, qu'ils ont acceptée d'une
des objectifs budgétisés ; comment n'en aurait­ humeur résignée... Peu à peu l'entreprise perd
elle pas sans déroger à la mode ? Mais sous le ainsi ses ambitions. La hiérarchie ne vise plus
couvert d'une politique de décentralisation des qu'à obtenir des améliorations mineures et des
décisions, elle s'est dotée en fait d'une structure gains dérisoires, tant il est patent que les change­
de type «confédéral». C'est donc à chaque divi­ ments profonds qu'il faudrait faire sont hors de
sion, à chaque département ou service, d'élaborer sa portée ; et elle ne s'attache qu'à pallier les
son propre plan, selon de vagues directives globa­ difficultés, faute de pouvoir les déraciner. Il est
les. La tâche de la direction générale se limite à ainsi possible que les dirigeants ne soient plus
consolider ces plans locaux, à en éliminer les entourés à la longue que de collaborateurs amor­
incohérences les plus apparentes, à réduire au phes ou stériles, soit parce qu'ils les ont choisis
prorata les demandes d'allocations de ressources tels pour s'éviter des débats difficiles, soit parce
pour maintenir l'ensemble dans les limites d'un que les autres sont partis.
compte prévisionnel équilibré. On a beau baptiser
«plan» cette mosaïque, elle ne comporte aucune A l'évidence, dans cette dilution des responsabi­
ligne directrice fermement déterminée. Comment lités, des ressources et des énergies, il manque à
les moyens du développement peuvent-ils alors l'entreprise pour la galvaniser, un dessein bien
être attribués d'une façon ordonnée dans l'espace ordonné. Il n'y a pas de devenir - et par consé­
et dans le temps? quent pas de plan - pour une organisation, pour
une collectivité, sans une définition volontariste
Dans une position semblable - toutes choses des priorités. L'incertitude des prévisions n'en
égales, par ailleurs - à celle d'un chef de gouver­ dément pas la nécessité, dès lors que l'on a com­
nement qui n'aurait pas de perspectives claires, ni pris et admis cette notion fondamentale : une

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entreprise ne fait pas que subir son environne­ qu'une règle de l'art de décider, une véritable
ment technologique, économique, social et finan­ ascèse.
cier ; elle contribue à le créer. Car il ne suffit pas toujours de consacrer au projet
prioritaire une part privilégiée des moyens supplé­
Tout le monde, évidemment, n'a pas la puissance mentaires que l'entreprise peut dégager. C'est
de Du Pont de Nemours. Tout le monde ne peut trop limiter la marge de liberté du décisionnaire.
pas, par exemple, garder un jeton «pour voir» C'est le placer dans la situation du ministre qui
sur un grand nombre de projets de recherche, constate que son budget est constitué pour 95 %
dont quelques-uns seulement déboucheront, à de dépenses votées, et qu'il ne lui en reste que 5 %
une échéance indéterminée, sur une réalisation pour mettre en œuvre sa politique. Quel projet
profitable. Il faut donc choisir, et l'aptitude à la ambitieux lui est permis, à quoi lui sert-il de tracer
décision des équipes de direction participe d'au­ des perspectives, s'il est ligoté de la sorte ? On fait
tant plus au succès que l'entreprise est moins rarement progresser une entreprise, on ne fait pas
grande. La capacité financière d'une entreprise bouger une collectivité, si l'on s'interdit d'en
moyenne lui permet de «parer au feu», disons redistribuer les forces. Tous les fonds, tous les
dans trois voies possibles de son développement talents doivent être, avant tout, directement ou
futur, mais elle «laisse brûler», délibérément ou indirectement, au service du dessein de l'entre­
nécessairement, dans toutes les autres. prise. Quand les hommes qui la composent en·
sont convaincus, c'est partie gagnée. Mais peu­
vent-ils l'être ?
LA HIERARCHIE DES PRIORITES
Comment doit-elle alors faire son tiercé ? Sur la CONTRE UN CERTAIN NEO-FEODALISME
base d'une vue prospective de ses marchés et des
conditions de la concurrence, elle distingue les On ne dénoncera jamais assez ces pratiques qui
coups à jouer, et sélectionne d'abord ceux qui lui justifient la démission de la direction générale à
paraissent cohérents avec l'idée qu'elle a de son l'égard de son rôle essentiel (la définition de l'ave­
devenir au terme de quelques années. Ce n'est nir de l'entreprise) et dénaturent par là même les
encore qu'une esquisse. Après vient l'étude labo­ meilleures méthodes dont elle feint de se doter.
rieuse, avec des chiffres, pour vérifier ; puis le bi­
lan des forces et des faiblesses de la société par Qu'a-t-on fait, bien souvent, de la décentralisa­
rapport au dessein ainsi fortifié. On voit alors plus tion ? Faute d'une politique clairement définie,
clairement quels obstacles il faut lever dans le faute d'un plan volontariste, par suite d'un systè­
court terme, quels «préalables» il faut pour réus­ me de gestion exagérément centré sur le compte
sir ; on sait quelles occasions sont à saisir, qui ne d'exploitation des départements, la liberté laissée
se représenteront sans doute plus, quelles posi­ à leur encadrement a tôt fait de se muer en auto­
tions sont à prendre maintenant, à peine de tout nomisme, les directeurs en viennent alors à agir
compromettre. C'est toujours en fonction de comme autant de barons féodaux qui se surveil­
l'avenir que s'ordonnent les priorités dans le lent et se jalousent ; leur souci dominant de défen­
présent. dre leur apanage, ou de l'agrandir, va jusqu'à leur
masquer l'intérêt majeur de la firme.
Cela ne signifie aucunement que l'on puisse se
contenter de raisonner à long terme. Il faut vivre Qu'a-t-on fait, bien souvent aussi, de la «direction
jusqu'au long terme, et ce serait une singulière participative par objectif» ? Comment ose-t-on
façon de préparer l'avenir que de lui sacrifier le baptiser DPO tant de magmas çle petites politi­
présent. Même le présent qui n'a pas de futur dans ques partielles, locales, égocentriques ? Peut-on
le dessein de l'entreprise peut justifier des alloca­ croire que la somme des objectifs individuels aux
tions de ressources à des nécessités du court ter­ divers échelons de responsabilité s'identifiera ja­
me. Mais il est toujours raisonnable de réduire les mais à l'objectif global de l'entreprise, si celui-ci
dotations ainsi détournées du but principal au n'a pas été prédéfini et les priorités imposées ??
minimum minimorum, afin que toutes les forces Certes les objectifs individuels sont négociés avec
disponibles puissent être au besoin jetées dans l'échelon supérieur, mais, faute d'un dessein d'en­
l'action prioritaire. semble, ils ne sont pas la décomposition du plan
en actions élémentaires à entreprendre par cha­
L'action prioritaire, c'est la bataille que l'on veut que cellule, ils ne sont plus que l'expression de
gagner. Sauf dans les situations de crise aiguë, · volontés particulières. La somme des volontés
c'est la bataille du plus long terme. Il y a là plus particulières des membres d'un groupe ne fait pas
une volonté collective.
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La méthode d'appréciation «par les résultats», et d'utilité si elle ne procure pas une amélioration
comme l'on dit en copiant béatement les Améri­ générale; ou encore, qu'il est parfois nécessaire de
cains, n'arrange rien. Se préoccupe-t-on de savoir dégrader un optimum local pour atteindre l'opti­
corµment un responsable a tenu ses objectifs ou mum glôbal recherché.
les a dépassés ? En « brisant» ses collaborateurs
ou en leur permettant de s'améliorer? Ce ne sont Suffit-il que cela soit admis pour que tant de
pas les «résultats» comptables qui le disent. cadres responsables n'emploient plus, à longueur
d'année, des trésors d'imagination et de ténacité
De deux chefs de secteurs commerciaux, lequel a à reprendre par petits bouts ce qu'ils avaient con­
le plus apporté à l'entreprise? Celui qui a réalisé cédé au moment de l'adoption du plan et du
une croissance inattendue de son chiffre d'affaires budget ? Verra-t-on, ô miracle ! un directeur
sans se soucier de l'augmentation de ses frais proposer lui-même des réductions d'effectifs dans
commerciaux et en laissant chez le client une son secteur (dont la charge ne· décroît pas ou
mauvaise image de la firme, ou celui dont la dé­ même continue de croître), au profit du secteur
marche mesurée assure une progression régulière d'un autre directeur, plus que le sien porteur
pour les prochaines années ? On ne prend pas d'avenir ? Des changements si profonds de men­
assez souvent la peine de détailler les objectifs, talité ne s'obtiennent pas du jour au lendemain.
d'assigner aux hommes une batterie d'objectifs Les dirigeants qui veulent les introduire ont à
qui corresponde à ce que l'entreprise attend modifier plus d'une optique, à commencer sou­
d'eux, réellement, et puisse être préc;entée autre­ vent par la leur.
ment qu'en chiffres.

Cela suppose que l'on regarde le problème de la CHANGER LA REGLE DU JEU


détermination des objectifs par l'autre bout. Cela
suppose que les objectifs· descendent la ligne hié­ On a trop tendance à confier aux cadres réputés
rarchique, et - il faut oser le dire - sans altéra­ «de valeur» les activités d'avenir. Il n'en faut pas
tion ni transaction quant aux buts visés et aux plus pour ancrer le sentiment que certaines tâches
priorités choisies, car c'est ainsi seulement qu'ils de l'entreprise sont nobles, et que les autres sont
participent à la cohérence de l'édîfice. roturières. On flatte alors l'esprit de «vedettariat»
et l'on établit, qu'on le veuille ou non, une confu­
Objectera-t-on que ce schéma correspond à un sion désastreuse entre l'attribution des missions
style de commandement autocratique? Il est vrai et les voies informelles de la promotion. Il n'en
qu'il ne tolère à chaque niveau aucune autre dis­ faut pas plus pour que l'allocation des ressources
cussion que celle du choix des actions et des devienne le champ d'une âpre compétition, pour
moyens à mettre en œuvre pour atteindre l'ob­ que les directeurs défavorisés réfutent, de toute
jectif du niveau supérieur. Mais ce n'est pas une leur énergie, les raisons objectives pour lesquelles
mince liberté que celle d'imaginer et de proposer on prétend laisser brûler leur secteur, les priver de
le «comment» ! Nous savons d'expérience que la leurs meilleurs collaborateurs au profit des ac­
liberté du choix des voies et des méthodes est le tions prioritaires. Lorsque néanmoins, la décision
plus important facteur de dynamisme dans une est prise, comment les cadres des départements,
organisation. D'ailleurs, un tel système ne fait victimes de cet écrémage, n'auraient-ils pas le
aucunement obstacle à la plus large concertation, sentiment, quoi qu'on leur dise, d'être, dans leur
à la plus libre confrontation des points de vue, «dépotoir» , leur «île aux chiens», des laissés
au stade de l'élaboration du plan et de l'établis­ pour compte ou des mal aimés?
sement du budget.
Agir ainsi, c'est commettre une erreur qui n'est
Il y a une doctrine selon laquelle un député lors­ pas seulement psychologique. Qu'arrive-t-il géné­
qu'il siège à la Chambre, n'est plus le représentant ralement dans les cellules de travail où l'on ne met
de sa circonscription, mais celui du peuple tout ensemble que des personnalités brillantes ? Les
entier ; il se peut cependant que des élus l'ou­ individus ne cumulent pas leurs qualités. Ils fon­
blient. De même, il se peut que des cadres d'une cent, mais n'entraînent personne. Il y a des dif­
société, associés à la préparation du plan et du ficultés dans le suivi, des ratés du côté de
budget, apportent quelque esprit de concurrence l'intendance. Alors que des équipes mieux équili­
à leur collaboration; il serait bon de leur rappeler brées, mêlant des jeunes gens dynamiques et des
(éventuellement par écrit dans la définition de la hommes d'expérience, des visionnaires et des
fonction commune des cadres de l'entreprise) laborieux, assureraient en définitive un progrès
qu'une amélioration locale est dépourvue de sens régulier, moins dispendieux, peut-être plus rapide.

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Une entreprise bien dirigée, bien organisée et bien de la patience pour affiner ainsi l'outil. L'équipe
gérée, sait faire de grandes choses avec des per­ qui en a la tâche doit vouloir et pouvoir obtenir
sonnes comme tout le monde. toujours plus d'elle-même. Il n'y a aucune raison
pour que les hommes qui la composent soient
Il est absurde, et très dommageable, à bien des considérés comme inférieurs aux autres. Mais si la
égards, de poser en principe qu'une activité dans direction générale, consciemment ou non, n'y
laquelle on cesse d'investir n'a besoin que d'un affecte que les moins efficaces de ses collabora­
personnel et d'un encadrement de moindre teurs, elle prive l'entreprise d'un bénéfice, et sur­
qualité. tout d'un équilibre dont elle n'a pas mesuré
Est-ce implicitement admettre qu'on ne peut plus l'importance.
rien en tirer, qu'on se désintéresse de la façon
dont seront utilisés, pendant deux ou trois an­ Les phases de croissance rapide s'accompagnent
nées, les moyens qui lui sont laissés? La direction de grands gaspillages. Bien des entreprises ont
générale ne dit pas cela et, pas davantage, elle ne appris cela à leurs dépens. On s'équipe de maté­
le pense. Alors pourquoi le laisser croire à l'en­ riels chers, on embauche vite. On s'efforce tle
treprise, en «cassant» les équipes auxquelles doit faire face aux volumes et au calendrier de la pro­
être confiée en vérité une mission des plus diffi­ duction. Le confort des marges tolère un certain
cile? laxisme en matière de coûts. Quand les temps
deviennent moins faciles, quand il s'agit de faire
Que se passe-t-il, par exemple, dans l'atelier de autant et plus avec des moyens réduits, les mau­
mécanique d'une entreprise où l'on utilise de vais plis ne s'effacent pas tout de suite.
moins en moins la mécanique? Bien entendu, cet
atelier ne reçoit pas de crédits de renouvellement
de son équipement et on réduit sa main-d'œuvre; DEUX TENSIONS ÉGALEMENT BÉNÉFIQUES
ses machines sont sous-employées. Que va faire
l'agent de méthodes? Son métier est d'améliorer Constatant cela, certains en ont déduit une philo­
les temps d'œuvre, mais il n'y a plus lieu de ré­ sophie très spartiate de la gestion des entreprises
duire les temps. Il s'agit à présent de maintenir la et la poussent parfois à l'excès. Ils donnent tou­
qualité malgré la désuétude du matériel. L'agent jours à leur personnel un peu moins de commo­
de méthodes qui en est chargé doit faire son anti­ dités, un peu moins d'espace, un peu moins de
métier. salaire qu'il ne faudrait. Cette systématisation de
Au moins faut :1 qu'il ,,ache pourquoi : parce que l'esprit d'économie a bientôt des conséquences
cet atelier de mécanique n'en a plus que pour malthusiennes et des manifestations puériles.
trois ans et que ce n'est pas la peine de remplacer Pour être un facteur de progrès, les tensions
des machines qui seront démontées dans si peu d'économies ont besoin du consensus des hom­
de temps. mes qui les subissent.
Souvent on évite de le dire franchement. Par
crainte de dégrader le climat social, on en fait un Une usine de moteurs en expansion champignon­
secret de la direction générale. Mais ce qui dégrade nante réussit à réduire de cinq huitièmes la
sûrement le climat social, c'est de ne pas traiter les surface au sol occupée par ses metteurs au point,
hommes de l'entreprise comme des adultes, c'est et jamais elle ne l'aurait pu sans leur participation
de leur donner de fausses raisons. active. Il fallait en effet, pour que cela fût possi­
Non seulement on informera l'agent de métho­ ble, non seulement les faire travailler 24 heures
des, mais encore on fera appel à sa participation. sur 24 en trois postes quotidiens, mais aussi
A lui de pallier les difficultés avec quasiment le obtenir qu'un agent technique puisse reprendre
seul moyen de son ingéniosité. A lui d'inventer la mise au point d'un moteur là où l'avait laissée
de petits outillages qui seront amortis dans l'an­ un autre, ce qui comportait les difficultés et les
née. Beaucoup, dans ce cas, se piquent au jeu et risques que l'on imagine. Chacun ayant cons­
font preuve d'une surprenante imagination créa­ cience de l'absolue nécessité, des procédures
trice. Telle, dans une firme de l'électrotechnique, furent élaborées cependant, et des disciplines
la maîtrise d'un atelier qui est parvenue à main­ établies, qui, après cinq mois d'études, de forma­
tenir une valeur de production constante avec le tion et d'essais, permirent de passer aux «trois
même équipement, malgré une réduction d'effec­ huit».
tif de 40 % en trois ans. «Si on m'avait donné
cela pour objectif, avouait le principal auteur de Lorsque la pénurie d'espace devint ensuite moins
cette prouesse, j'aurais dit que ce n'était pas dramatique, l'entreprise conserva la pratique du
humainement possible». «travail posté» à la mise au point, car elle y trou­
Sûrement, il faut de l'intelligence, du courage et vait avantage et économie. Ce qui avait été

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inventé sous la contrainte gardait hors de la LE PRINCIPE DE L'ALTERNANCE
contrainte une utilité - et aussi son exem­
plarité. Il arrive cependant qu'il faille prendre très vite
des décisions bouleversantes, et que l'on ne puisse
Considérons alors le cas d'école d'une société qui pas en épargner l'effet de choc à ceux qui vont
a une unité de production en phase I et une en pâtir. Il faut alors les impliquer très vite. La
autre en phase III du cycle de vie de leurs pro­ communication doit aussitôt déboucher sur l'ac­
duits respectifs. La tension principale de la tion : « ... Vous allez donc nous préparer tout de
première résulte de la contrainte du développe­ suite ce budget de récession».
ment, et la tension principale de la seconde, de la
contrainte des coûts. Les deux tensions partici­ Il est souvent utile d'envisager des variantes, par
pent également au devenir de l'entreprise, et la exemple entre le maintien d'une activité étale et
direction générale doit veiller à les maintenir très l'hypothèse d'une croissance ralentie. Non pas
fortes simultanément. seulement pour laisser au responsable. une marge
de détermination, mais aussi pour apporter à la
Aux responsables des deux unités, la direction direction générale un complément d'investiga­
générale donnera des buts également clairs, en tion.
soulignant l'importance qu'elle y attache. Aux
hommes du produit nouveau elle ne marchandera On ne négligera pas d'esquisser des perspectives
pas l'investissement dans la technique, aux hom­ d'avenir.
mes du produit obsolescent elle ne refusera pas
l'investissement dans les méthodes. Rien n'empêche, à priori, que l'équipe qui s'est
acquittée avec succès d'une mission de «laisser
C'est à ces derniers qu'elle confiera de préférence brûler» soit chargée d'une mission de développe­
les missions d'analyse de la valeur, les expérimen­ ment à l'étape suivante. La rapidité actuelle du
tations de procédés, qui peuvent valoir à l'entre­ progrès technologique permet à certaines entre­
prise des améliorations substantielles et durables. prises de poser en principe que chacun de leurs
Du même coup, elle leur restituera un lustre et départements saute une révolution sur deux. Mais
un dynamisme qui, autrement, les auraient quit­ une telle systématisation n'est pas partout possi­
tés. On ne saurait revaloriser une tâche sans lui ble, ni toujours souhaitable.
donner un &ens qui ne soit ni inconsistant ni
fictif. On peut, quoi qu'il en soit, faire entendre à un
responsable que sa carrière ne brûle pas avec son
«Nous vous demandons d'obtenir les mêmes secteur d'activité. Sans le flatter de promesses
résultats que l'an dernier avec un effectif réduit prématurées, on peut lui dire et lui redire que
de 10 % tout au long de l'échelle des compé­ l'entreprise lui sera reconnaissante, et s'y tenir
tences. Nous savons que ce ne sera pas facile, que engagé.
seul un homme de qualité peut y réussir. Étudiez
la question. Soumettez-nous un plan d'action. Il vaut mieux d'ailleurs éviter de spécialiser des
C'est un objectif auquel nous attachons du prix». cadres dans les responsabilités ingrates. On refu­
sera les catégorisations trop faciles : «Un tel est
Dans toute la mesure du possible, il est bon que l'homme des situations impossibles». L'homme
le directeur à qui son patron tient ce langage y en question se lassera vite des seules missions de
ait été préparé. Le message, en effet, ne sera pas sacrifice, et perdra son efficacité.
reçu de la même façon s'il fait s'évanouir brus­
quement un espoir de développement longtemps A l'inverse, on ne saura qu'un collaborateur est
caressé, ou bien s'il s'inscrit logiquement dans un vraiment efficace, qu'il est rompu à toutes les
dessein politique connu et bien compris. disciplines de l'entreprise, qu'il peut faire face
avec sang-froid et mesure à toutes les situations,
D'une manière générale, il vaut mieux que les que s'il a réussi au moins une fois dans sa vie une
subordonnés, responsables, sachent quelles sont telle mission. C'est assez justifier le principe de
les priorités fixées et leurs raisons objectives : une l'alternance.
hypothèse de croissance à réaliser, un taux de
rentabilité qu'il faut assurer. «Faites-nous des Les grands patrons ne peuvent pas tout faire, les
propositions dans ce cadre...» a dit la direction grands patrons ne peuvent pas tout voir. Ils n'ont
générale, lors de l'élaboration du plan à long pas le temps. Ils ont tendance à consacrer le plus
terrne ou de la première ébauche du plan de l'an­ clair de leurs préoccupations aux affaires les plus
née. Beaucoup de projets qui sortaient du cadre risquées, et ce sont les activités de l'entreprise les
ont été al�rs spontanément éliminés. plus nouvelles et les plus brillantes. Pour le reste,
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ils délèguent volontiers. Mais la marge est étroite de banc d'essai de l'aptitude à la décision de
entre la confiance en un homme et le désintérêt ses cadres. Il n'y a qu'un inconvénient mineur
pour ce qu'il fait. Le dirigeant doit donc veiller à à ce que beaucoup en subissent l'épreuve : c'est,
ce que tous les responsables aient en lui un inter­ probablement, lorsqu'il y a lieu de désigner
locuteur attentif. Sous cette réserve, il peut faire le successeur du président-directeur général,...
de la direction d'une activité déclinante une sorte l'embarras du choix.

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Le Ma�ement n 36 Avril 1973.

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