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La chronologie israélite, qui est l'une des plus anciennes connues, est encore
régulièrement étudiée dans des thèses1. La difficulté majeure, comme dans toutes les
chronologies, est d'établir des dates absolues obtenues grâce à des synchronismes datés par
l'astronomie. Or les règnes de David et de Salomon se situent dans une période (1100-750)
la plus obscure de l'histoire2. La chronologie égyptienne fait exception, mais reste très
lacunaire3. Il y a cependant un obstacle encore plus redoutable à franchir: les préjugés
religieux. En effet, la chronologie israélite repose essentiellement sur les textes bibliques qui
sont aussi des textes religieux, ce qui entraîne fréquemment des réactions irrationnelles.
Lorsque je lui ai soumis mon mémoire de thèse, la première réaction de mon ancien
directeur de thèse a été de me demander de retirer tout ce qui concernait les datations
directement liées à la Bible (datation de la mort d'Hérode, datation de la mort de Jésus et
datation de la domestication du chameau à l'époque d'Abraham), ce que j'ai fait. Puis,
lorsque mon directeur a appris mon appartenance religieuse, la soutenance de ma thèse a
été suspendue, puis annulée. J'ai donc recherché un nouveau directeur de thèse en lui
expliquant la situation. Surprise, Daniel Bodi était particulièrement intéressé par la
chronologie israélite, il écrivait d'ailleurs dans sa lettre du 5 juin 2009: Par la présente, j'accepte
de diriger la recherche de M. Gérard GERTOUX en vue d'une thèse de doctorat de l'INALCO. Le
candidat prépare une thèse de doctorat relevant du domaine de l'histoire ancienne. Sa recherche porte sur la
chronologie d'Israël ancien selon la Bible hébraïque à la lumière des données comparatives proche-orientales.
Nouvelle déconvenue au moment de fixer la soutenance, la directrice de l'INALCO a
refusé mon transfert, ne voulant pas que son école soit classée comme fondamentaliste. Pour
justifier scientifiquement ce refus, Daniel Bodi m'écrivait dans son courriel du 14
septembre 2009: Le problème principal avec votre travail c'est de trouver un jury qui accepte de siéger à
votre soutenance. Le jury que vous m'avez proposé n'est pas prêt à siéger pour cette thèse. Il faut trouver des
professeurs qui acceptent les positions fondamantalistes que vous défendez. Il ne suffit pas de dire que
l'astronomie fournit la preuve scientifique que Jacob a vécu en 1878 av. J.-C. ; de placer les patriarches
dans un ordre "scientifique" grâce au présupposé de l'astronomie ; d'affirmer que la rédaction de la Genèse
s'est faite par Moïse en 1493! En quelle langue Moïse écrivit-il la Genèse? en égyptien hyéroglyphique, en
1 M.C. TETLEY – The Reconstructed Chronology of the Divided Kingdom
Winona 2005 Ed. Eisenbrauns pp. 179-180.
F. NOLEN JONES – The Chronology of the Old Testament
Texas 2005 Ed. Master Books pp. 170-173,326.
2 Plusieurs empires "s'évanouissent" durant cette période, comme l'élamite et le mycénien (grec), le babylonien devenant lacunaire.
3 R.K. RITNER – The Libyan Anarchy: Inscriptions from Egypt's Third Intermediate Period
cunéiforme akkadien comme les lettres d'El-Amarna. L'alphabet démarre seulement avec Ugarit au XIIIe
siècle avant J.-C. et le linéaire phénicien deux siècles plus tard. Ces considérations de l'écriture utilisée ne
semblent pas vous poser de problème. En dépit de ma bonne volonté je ne peux pas vous défendre, car je ne
partage pas ce point de vue. Je vous propose donc de vous adresser aux facultés de théologie fondamantalistes
baptistes comme Vaux-sur-Seine ou chez les ultra-calvinistes d'Aix-en-Provence. Je suis vraiment désolé
mais je comprends maintenant la réaction de la commission doctorale de l'INALCO. Mes collègues ne
voulaient pas que l'INALCO soit taxé d'école fondamentaliste. Il faudrait mettre pratiquement chaque
page en perspective et en contexte historique. L'astronomie est votre seule référence extérieure et cela ne suffit
pas. Bien cordialement et bonne chance dans votre recherche d'un jury approprié.
P.S. Donner une appréciation "scientifique" à votre ms est très difficile: - d'un côté, vous faites preuve de
beaucoup de connaissances et d'une érudition certaine dans les problèmes chronologiques, toujours difficiles,
du Proche-Orient ancien, à tel point qu'une telle thèse ne peut être appréciée que par des spécialistes dans
différents domaines: en particulier assyriologie et historiographie grecque pour la période achéménide,
égyptologie et Bible/ancien Israël... - de l'autre, il est clair que votre travail souffre de deux maux: il est
apparemment en grande partie autodidacte (d'où de graves lacunes dans la littérature secondaire et, d'une
façon générale, très peu de discussions sérieuses des opinons différentes de la votre, vous avez tendance à
répéter pour convaincre) et, surtout, vous avez nettement une approche "fondamentaliste" par rapport au
texte biblique en ce qui concerne les problèmes de chronologie: vous savez vous montrer critique par rapport
aux chronologies akkadiennes ou égyptiennes, et à leur interprétation actuelle, mais jamais vis-à-vis du
texte biblique à quelque époque que cela ait pu être écrit: l'archéologie ou les autres textes du Proche-Orient
ancien "confirment" toujours finalement le texte biblique ou "concordent" avec lui. Juste deux exemple
flagrants de votre manque de sens critique vis-à-vis du texte biblique: p. 489: "Jacob (1878-1731), mort à
l'âge de 147 ans, a passé 20 ans en Mésopotamie (à Harrân). Joseph étant né dans la 91e année de Jacob
(en -1788)"... Cela ne pose aucun problème !... p. 484: "le texte de la Genèse a été rédigé par Moïse,
autour de -1493".
Conclusion de ce courrier expéditif: l'astronomie n'est pas suffisante pour dater le
texte (sans préciser par quel autre moyen), et le fait d'accepter que Jacob ait vécu 147 ans,
était scandaleusement fondamentaliste. À cause de ces deux remarques, j'ai trouvé judicieux
d'ajouter un long préambule à cette chronologie israélite synchronisée, pour examiner en
détail quelques points contestés comme: peut-on considérer la Bible comme un document
historique et est-il scientifiquement impossible de vivre 147 ans et d'être père à 91 ans?
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 3
4 Mais aucune de ces thèses n'utilise une datation des synchronismes par l'astronomie:
O.A. TOFFTEEN – Ancient Chronology
Chicago 1907 The University of Chicago Press
P.J. FURLONG - Aspects of ancient Near Eastern Chronology (c. 1600-700 BC)
2008 The University of Melbourne.
5 C. DESROCHES NOBLECOURT - Symboles de l'Égypte
Les raisons invoquées sont les suivantes: absurde; aucun archéologue sérieux ne croit plus
les événements rapportés dans le livre de Josué; digne de la poubelle; fait fondamental: rien; pieuse légende; il
n'y a pas eu d'exode de masse en provenance de l'Egypte; absurdité fondée sur un témoignage biblique; type
même du mythe fondateur. Par ces remarques cinglantes, qui apparaissent à partir de 198014, le
texte de l'Ancien Testament est considéré comme étant sans valeur historique. Cela
implique une conséquence importante: le Nouveau Testament est lui même sans valeur
puisqu'il cautionne intégralement le texte de l'Ancien Testament, on lit en effet: Car si vous
croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce que c'est de moi qu'il a écrit. Mais si vous ne croyiez pas à ce
qu'il a écrit, comment croirez-vous à mes paroles?15. Mais les pharisiens objectèrent: Pourquoi alors Moïse
a-t-il commandé à l'homme de remettre à sa femme un certificat de divorce quand il la répudie? Il [Jésus]
leur répondit: Moïse vous a permis de renvoyer vos épouses parce que vous avez des cœurs de pierre16. Vous
mettez de côté ce que Dieu a prescrit, pour vous attacher à la tradition des hommes! Puis il ajouta: Ah!
vous vous entendez à merveille pour contourner et annuler la Loi de Dieu au profit de votre tradition!
Ainsi, par exemple, Moïse a dit: “Honore ton père et ta mère” (...) n'avez-vous jamais lu dans le livre de
Moïse, lorsqu'il est question du buisson ardent, en quels termes Dieu lui a parlé: Je suis le Dieu
d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob17. Le texte biblique n'est-il qu'une pieuse légende?
12 I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN - La Bible dévoilée
Paris 2002 Éd. Bayard pp. 51-53.
13 W.G. DEVER – Aux origines d'Israël. Quand la Bible dit vrai
En rangeant le récit de Moïse parmi les fables pieuses, comme l'enseignent les
égyptologues, on aboutit à un paradoxe étonnant, car les rédacteurs des textes évangéliques,
qui condamnent invariablement les mythes, présentent aussi le récit de Moïse comme
authentique: C'est à ce moment-là que naquit Moïse. C'était un enfant d'une beauté exceptionnelle. Dieu
y prenait plaisir. Pendant trois mois, il fut élevé en cachette dans la maison de son père. Lorsque,
finalement, les parents l'exposèrent (sur le Nil), il fut recueilli par la fille de Pharaon qui l'adopta et le fit
élever comme son propre fils. C'est ainsi que Moïse fut initié à toute la science des Egyptiens et qu'il devint
un habile orateur, aussi bien qu'un homme d'action remarquable. Lorsqu'il eut atteint la quarantaine,
l'idée lui vint de voir dans quelles conditions vivaient ses frères de race, les Israélites. Il désirait leur venir en
aide. Un jour il vit de ses yeux comment on maltraitait l'un d'eux. Il prit sa défense et, pour venger ce frère,
tua l'Egyptien qui l'opprimait. Il pensait que ses frères comprendraient que Dieu voulait se servir de lui
pour les libérer. Mais ils ne comprirent pas. Le lendemain, il survint au moment où deux d'entre eux se
querellaient. Il s'interposa et essaya de réconcilier les adversaires. Mes amis, leur dit-il, n'êtes-vous pas frères
de même race? Pourquoi, alors, vous faites-vous réciproquement du mal? Celui qui était en train de frapper
l'autre et qui était dans son tort le repoussa en disant: De quoi te mêles-tu? Qui t'a demandé d'être notre
chef ou de jouer au juge? Voudrais-tu par hasard aussi me tuer, comme hier tu as tué l'Egyptien? Quand
Moïse entendit cela, il prit la fuite et alla vivre en exilé dans le pays de Madian où il eut deux fils.
Quarante années passèrent. Alors un ange lui apparut dans le désert du Mont Sinaï, au milieu d'une
flamme, dans un buisson de feu. Saisi d'étonnement à ce spectacle, Moïse s'approchait pour le considérer de
plus près, lorsque la voix du Seigneur se fit entendre: “Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob”. Moïse, tout bouleversé et tremblant, n'osait plus lever les yeux. Alors le Seigneur lui
dit: Ote tes sandales, car l'endroit où tu te tiens est une terre sainte. J'ai regardé et j'ai vu la misère de mon
peuple en Egypte. Je sais qu'il est opprimé et qu'il souffre. J'ai entendu ses gémissements et je suis descendu
pour le délivrer. Et maintenant, je viens: C'est toi que je veux envoyer en Egypte”. Ainsi donc, c'est bien ce
même Moïse —celui que ses frères avaient repoussé en lui disant: De quoi te mêles-tu? Qui t'a demandé
d'être notre chef ou de jouer au juge?— c'est lui que Dieu a envoyé comme chef et libérateur du peuple avec
l'assistance de l'ange qui lui était apparu dans le buisson. Ce fut effectivement lui qui les a fait sortir du
pays de l'esclavage en accomplissant des prodiges et des miracles en Egypte, au passage de la Mer Rouge et,
pendant quarante ans, durant la traversée du désert (Actes 7:20-36). Le Nouveau Testament
retransmet donc fidèlement le Moïse de l'Ancien Testament.
Si Moïse n'était qu'une pieuse légende, il devient difficile d'expliquer pourquoi tous
les rédacteurs chrétiens, tout en retranscrivant sa vie, ont tant insisté pour dénoncer la
futilité des mythes: Je t'ai encouragé à demeurer encore quelques temps à Éphèse pour avertir certains de
ne pas introduire dans leur enseignement des nouveautés qui devient de la vraie doctrine. Qu'ils ne se
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 7
mettent pas à étudier des récits forgés de toutes pièces, à s'occuper de mythes (...) Mais ferme ton esprit aux
mythes impies et sans valeur, ne t'occupe pas de ces contes de bonnes femmes qui n'ont rien à voir avec la
vraie religion (...) Ayant la démangeaison d'entendre des paroles qui chatouillent agréablement leurs oreilles,
ils se détourneront de plus en plus de la vérité et se rabattront vers des mythes (...) C'est pourquoi n'hésite
pas à les reprendre ouvertement pour qu'ils aient une foi saine et cessent de s'intéresser à des légendes juives,
des commandements d'origine purement humaine ou des préceptes formulés par des gens qui tournent le dos à
la vérité (...) En effet, lorsque que nous vous avons fait connaître la puissance de notre Seigneur Jésus-Christ
et que nous vous avons annoncé son Retour, nous ne nous sommes pas laissé berner par des histoires
inventées ou des mythes ingénieusement arrangés18. Condamner les mythes pour mieux propager
celui de Moïse et de l'Exode serait d'une extrême perversité et cette tromperie serait
d'autant plus répréhensible que, selon les ultimes chapitres de la Bible19, les menteurs sont
condamnés à la disparition éternelle. Quel serait le but d'un rédacteur qui condamnerait la
fausseté pour mieux la répandre? Les rédacteurs bibliques seraient-ils tous schizophrènes?
Un croyant rationnel, pour éviter l'incohérence d'avoir une vérité s'appuyant sur des
mythes, pourrait supposer que l'épisode de l'Exode fut en fait un événement mineur dont le
récit fut exagéré par la tradition. Cette dernière explication ne tient pas, car la Cène,
instituée par Jésus lors de la Pâque, constitue la célébration fondamentale du christianisme,
le Christ étant même "l'agneau pascal" de cette Pâque. La foi chrétienne dépend ainsi de cet
événement central: Or il est écrit: “Celui qui est juste à mes yeux et qui me restera fidèle accèdera à la
Vie par la foi (...) Au moment de la naissance de Moïse, ce fut la foi qui donna à ses parents le courage de
le cacher durant trois mois. Frappés par la beauté de l'enfant, ils ne se laissèrent pas intimider par le décret
du roi (ordonnant la mise à mort de tous les enfants mâles). Poussé par cette même foi, Moïse lui-même, une
fois devenu grand, renonça au titre de “fils de la fille de pharaon”. Il choisit de partager les souffrances du
peuple de Dieu plutôt que de jouir —pour bien peu de temps— des joies et des avantages d'une vie dans le
péché. Subir le mépris et les outrages comme le Messie (à venir) lui paraissait un bien plus précieux que tous
les trésors de l'Egypte. Pourquoi? Parce qu'il avait les yeux fixés au loin sur la rétribution finale. Fortifié
par la foi, il brava la fureur du roi et quitta l'Egypte, aussi intrépide et ferme que s'il avait vu de ses yeux
le Dieu invisible. Dans cette même foi, il institua la Pâque et fit répandre (sur les portes) le sang (des
agneaux immolés), pour que l'ange exterminateur épargnât les fils aînés des Hébreux. C'est la foi qui fit
traverser les Israélites la Mer rouge comme on marche sur la terre ferme; les Egyptiens ont bien essayé de les
imiter, mais ils périrent engloutis par les flots20. L'épisode de l'Exode, commémoré par la
célébration de la Pâque, est bien un enseignement fondamental du Nouveau Testament.
sur une "ère du monde (débutant avec Adam)" au lieu de chronographies nationales. En
effet, les chronologies de Démétrius (220-200), Eupolème (-160) et du Livre des Jubilés (160-
140) indiquent que, dès la fin du 4e siècle avant notre ère, ce type de calculs chronologiques
existait23 (mais n'était pas encore standardisé)24:
Ces calculs, même s'ils comportent d'importants écarts dus au choix du texte
biblique de référence (Septante au texte massorétique), prouvent que le texte biblique
permet la reconstitution d'une chronologie. Fort de cette évidence, Flavius Josèphe25 avait
lui-même effectué ses propres calculs: Telle fut la fin des rois issus de la famille de David; ils
avaient été au nombre de vingt et un jusqu’au dernier roi et avaient régné en tout 514 ans, 6 mois et 10
jours. Pendant 20 de ces années, le pouvoir avait appartenu au premier de leurs rois, Saül, qui était d’une
tribu différente. Le Babylonien envoie à Jérusalem son général Nabouzardan pour piller le Temple; il avait
ordre aussi de l’incendier ainsi que le palais royal, de raser la ville jusqu’au sol et de transporter le peuple en
Babylonie Nabouzardan, arrivé à Jérusalem la 11e année du règne de Sédécias, pille le Temple, emporte les
vases d’or et d’argent consacrés à Dieu, ainsi que le grand bassin dédié par Salomon; il prit même les
colonnes d’airain avec leurs chapiteaux, les tables d’or et les candélabres. Après avoir enlevé ces ornements,
il mit le feu au Temple le 1er jour du 5e mois, la 11e année du règne de Sédécias, 18e de Nabuchodonosor. Il
incendia également le palais et rasa la ville. Le Temple fut incendié 470 ans, 6 mois et 10 jours après son
édification: il y avait alors 1062 ans, 6 mois, 10 jours que le peuple était sorti d’Égypte. Depuis le déluge
jusqu’à la destruction du Temple, il s’était écoulé en tout 1957 ans, 6 mois, 10 jours. Et depuis la
naissance d’Adam jusqu’aux événements relatifs au Temple, 4513 ans, 6 mois, 10 jours. Voilà pour le
compte des années: quant à ce qui s’est accompli dans cet intervalle, nous l’avons indiqué événement par
événement. Flavius Josèphe va se servir de cette chronologie pour prouver l'historicité de ses
Antiquités juives. Il s'agissait bien d'une démarche scientifique et non religieuse (même si
l'origine de l'ère fait référence à un personnage biblique). Il expose la raison et la manière
de ses démarches: J'ai déjà suffisamment montré, je pense, très puissant Épaphrodite, par mon histoire
ancienne, à ceux qui la liront, et la très haute antiquité de notre race juive, et l'originalité de son noyau
primitif, et la manière dont elle s'est établie dans le pays que nous occupons aujourd'hui; en effet 5000 ans
sont compris dans l'histoire que j'ai racontée en grec d'après nos Livres sacrés. Mais puisque je vois bon
nombre d'esprits, s'attachant aux calomnies haineuses répandues par certaines gens, ne point ajouter foi aux
récits de mon Histoire ancienne et alléguer pour preuve de l'origine assez récente de notre race que les
historiens grecs célèbres ne l'ont jugée digne d'aucune mention, j'ai cru devoir traiter brièvement tous ces
points afin de confondre la malveillance et les mensonges volontaires de nos détracteurs, redresser l'ignorance
des autres, et instruire tous ceux qui veulent savoir la vérité sur l'ancienneté de notre race. J'appellerai, en
témoignage de mes assertions, les écrivains les plus dignes de foi, au jugement des Grecs, sur toute l'histoire
ancienne; quant aux auteurs d'écrits diffamatoires et mensongers à notre sujet, ils comparaîtront pour se
confondre eux-mêmes. J'essaierai aussi d'expliquer pour quelles raisons peu d'historiens grecs ont mentionné
notre peuple ; mais, d'autre part, je ferai connaître les auteurs qui n'ont pas négligé notre histoire à ceux qui
les ignorent ou feignent de les ignorer (...) Ainsi, c'est l'absence, à la base de l'histoire, de toutes annales
antérieures, propres à éclairer les hommes désireux de s'instruire et à confondre l'erreur, qui explique les
nombreuses divergences des historiens. En second lieu, il faut ajouter à celle-là une cause importante. Ceux
qui ont entrepris d'écrire ne se sont point attachés à chercher la vérité, malgré la profession qui revient
toujours sous leur plume, mais ils ont fait montre de leur talent d'écrivain; et si par un moyen quelconque ils
pensaient pouvoir en cela surpasser la réputation des autres, ils s'y pliaient, les uns se livrant aux récits
mythiques, les autres, par flatterie, à l'éloge des cités et des rois. D'autres encore s'adonnèrent à la critique
des événements et des historiens, dans la pensée d'établir ainsi leur réputation. Bref, rien n'est plus opposé à
l'histoire que la méthode dont ils usent continuellement. Car la preuve de la vérité historique serait la
concordance sur les mêmes points des dires et des écrits de tous; et, au contraire, chacun d'eux, en donnant
des mêmes faits une version différente, espérait paraître par là le plus véridique de tous. Ainsi pour
l'éloquence et le talent littéraire nous devons céder le pas aux historiens grecs, mais non point aussi pour la
vérité historique en ce qui concerne l'antiquité, et principalement quand il s'agit de l'histoire nationale de
chaque pays26. La méthode est excellente, et c'est d'ailleurs grâce à Flavius Josèphe que nous
est parvenue la chronologie des dynasties égyptiennes établies par le prêtre Manéthon.
Sans les travaux chronologiques de Flavius Josèphe sur la Bible, et malgré ses
défauts, nous ne pourrions établir la chronologie égyptienne actuelle. En effet, par une
ironie de l'histoire, les égyptologues qui refusent la chronologie israélite ne sont pas
conscients d'une double inconséquence: 1) si la chronologie israélite devait être rejetée à
cause d'un manque de fiabilité il faudrait aussi rejeter, pour les mêmes raisons, la
chronologie égyptienne fondée sur les chiffres de Manéthon et 2) il faudrait retirer le seul
26 Contre Apion I:1-5,23-27.
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 11
point d'ancrage de la 3e période intermédiaire puisque celui-ci dépend du règne de Chéchanq Ier
(945-924) qui est lui-même calé sur la 5e année de Roboam calculée par Thiele!
De façon surprenante une des rares dates pivots en égyptologie (-945) provient d'un
synchronisme avec la chronologie biblique calculée par Thiele27! En effet, selon Kitchen28
l'attaque de Jérusalem par Chéchanq Ier qui coïncide avec sa campagne en Palestine
(mentionnée sur une stèle datée de sa 21e et dernière année de règne) doit être datée de la 5e
année de Roboam29. En s'appuyant ensuite sur la chronologie de Thiele, datant le règne de
Roboam (930-913), il date sa 5e année en 925 (= 930 - 5), en supposant que la campagne
dut se dérouler juste avant l'an 21 de Chéchanq Ier (accession en 945 = 925 + 20). Si la
coïncidence avec l'an 21 est supposée30, celle avec l'an 5 est attestée31. La chronologie
biblique de Thiele est erronée (!), car il l'a ancrée sur un synchronisme supposé et non réel
ce qui l'a décalée d'environ 45 ans. En effet, il a supposé que le tribut payé au roi assyrien
Pul par Ménahem était le même que celui mentionné dans les annales du roi babylonien
Pulu (surnom de Tiglath-phalazar III). Or, cette équivalence est impossible, Ménahem
ayant régné (771-760), 40 ans avant Pulu (728-727). Selon le texte biblique, le roi assyrien
Pul a précédé le roi assyrien Tiglath-phalazar III, car on lit32: Le dieu d'Israël excita l'esprit de
Phul, roi d'Assyrie, et l'esprit de Thelgathphalnasar, roi d'Assyrie, il n'y a donc pas d'équivalence.
Pulu est présenté comme un roi babylonien et non comme un roi assyrien et ce nom ne fut
jamais employé dans les textes babyloniens et assyriens33. Autre paradoxe, le tribut de
Ménahem (Me-ni-hi-im-me alSa-me-ri-na-a-a) apparaît dans les annales de Tiglath-phalazar III
avant sa 9e campagne34, soit en -737, presque 10 ans avant qu'il ne devienne roi de Babylone
sous le nom de Pulu. Ce synchronisme est donc anachronique et ne peut être utilisé pour
ancrer la chronologie israélite. Les thèses universitaires actuelles sur la chronologie israélite
montrent donc que le règne de Roboam doit débuter vers 980, avec un règne de 981-964 35
les cartouches égyptiens. Le n devait vraisemblablement être nasalisé car il manque dans certains cartouches, ce qui induirait une
prononciation Chéchanq. Ce nom a été vocalisé Su-si-in-qu dans les annales d'Assurbanipal (en -668), laissant supposer une
prononciation Shoshenq, mais les transcriptions akkadiennes des noms égyptiens sont souvent peu fidèles à l'original.
30 Le pylône où apparaît la scène de triomphe a été achevé par Ioupout un fils du roi, le II Shemou [?] de l'an 21, soit peu avant la mort
de Chéchanq Ier (R.A. CAMINOS – Gebel Es-Silsillah n°100 in: Journal of Egyptian Archaeology 38 (1952) pp. 46-61), ce qui n'implique pas
de lien immédiat avec la campagne en Palestine, mais plutôt un délai de plusieurs années avant cet an 21, durée nécessaire à la
construction à la construction du bâtiment commémorant le triomphe.
31 K.A. WILSON – The Campaign of Pharaoh Shoshenq I into Palestine
ou de 975-95936 et non de 930-913, soit un décalage de 45/50 ans. Malgré les progrès dans
la précision de la chronologie israélite, les égyptologues actuels (dans leur immense
majorité), ainsi que les archéologues, refusent toujours d'en tenir compte. Quelles sont les
raisons de ce refus? La réponse de Christiane Desroches Noblecourt dans son courrier,
daté du 9 août 2002, est révélatrice, elle écrit: Votre documentation sur ce que l'on peut s'imaginer
de l'Exode est impressionnante et m'a beaucoup intéressée. En ce qui me concerne, comme vous devez le
savoir, je ne suis absolument pas spécialiste de la question, mais j'ai dû m'y intéresser "de loin" lorsque j'ai
organisé l'exposition Ramsès II puis, par la suite au moment où j'ai écrit mon livre sur Ramsès. A cette
époque, il me fallait faire au moins allusion à l'Exode puisque certains auteurs en avaient parlé. Vous
avez dû constater que j'avais été prudente et qu'il s'agissait surtout de situer le contexte correspondant à
certains détails du récit biblique. Mais rien ne pouvait me permettre d'être réellement affirmative. Et, depuis
cette époque, je me range de plus en plus aux côtés de mon excellent collègue et ami, le Prof. Claude
Vandersleyen qui place le contexte éventuel de la légende, j'écris bien la légende de l'Exode autour du départ
d'Égypte des Hyksos (...) Enfin pour répondre à certains intégristes qui veulent absolument que David et
Salomon aient existé, faut-il se référer au travail de deux archéologues israéliens Israël Finkelstein et Asher
Silberman. Les nouvelles révélations de l'archéologie (Bayard Éditions). Les précisions de cette
éminente égyptologue sont sidérantes, bien qu'elle ne soit "absolument pas spécialiste de la
question" et qu'elle prétende ne pas être affirmative, elle se contredit immédiatement en
affirmant de façon dogmatique "l'Exode est une légende" et elle accuse même ceux qui
croient à l'existence de David et de Salomon d'être des intégristes (le monde est donc plein
d'intégristes, à l'exception bien sûr des égyptologues et des archéologues). Quels sont les
arguments permettant des conclusions aussi provocantes? Aucun, sinon la référence à deux
universitaires. Quels sont les arguments invoqués par les spécialistes pour refuser à la Bible
sa prétention à être un document historique ?
Dans son livre La Bible dévoilée, l'archéologue israélien Finkelstein expose les raisons
de douter de l'authenticité de la Bible. Le titre même du livre "dévoile" son caractère
subversif, et le sous-titre "Les nouvelles révélations de l'archéologie" est une prétention
quasi religieuse. Il écrit: Les savants qui prêtaient foi au compte rendu biblique commettaient l'erreur de
croire que l'ère des patriarches devait à tout prix être considérée comme la phase première d'une histoire
séquentielle d'Israël. Les spécialistes de la critique textuelle, qui avaient identifié les sources distinctives sous-
jacentes du texte de la Genèse, répétaient avec insistance que le récit des patriarches avait été couché par écrit
à une date relativement récente, qu'ils situaient à la période monarchique (Xe-VIIIe siècles av. J.C.) ... Les
récits bibliques se rangeraient donc parmi les mythologies nationales, et n'auraient pas plus de fondement
historique que la saga homérique d'Ulysse, ou celle d'Énée, le fondateur de Rome (...) L'histoire des
patriarches est pleine de chameaux (...) Or, l'archéologie révèle que le dromadaire ne fut pas domestiqué
avant la fin du IIe millénaire37. Finkelstein fait référence à la critique biblique de Wellhausen,
pour dater les récits du Pentateuque, or cette "critique" est sérieusement critiquée38 (ce qui
est un comble). De plus, bien qu'il connaisse l'excellent travail de Bulliet sur la
domestication du chameau à la fin du 3e millénaire avant notre ère, il ne le cite jamais (on
comprend pourquoi). Concernant l'existence de David et Salomon39, après avoir précisé
Posée de façon aussi abrupte, cette question risque de paraître intentionnellement provocatrice, il écrit:
David et Salomon ont été élevés, au cours des siècles, au rang d'icônes religieuses auréolées d'un tel prestige
—tant par le judaïsme que par le christianisme— que les déclarations récentes de certains biblistes
radicaux, qui affirment que le roi David n'a pas davantage « de validité historique que le roi Arthur », ont
été accueillies dans les cercles religieux et scientifiques avec un mépris hautain et scandalisé. Des historiens
de la Bible comme Thomas Thompson et Niels Peter Lemche, de l'université de Copenhague, et Philip
Davies, de l'université de Sheffield, que leurs détracteurs surnomment les « minimalistes bibliques », n'ont
en effet pas hésité à déclarer que David et Salomon, la monarchie unifiée, en réalité l'entière description
biblique de l'histoire d'Israël, n'étaient rien de plus que des montages idéologiques, habilement élaborés,
effectués par les différents cercles sacerdotaux de Jérusalem, durant la période postexilique, voire
hellénistique. D'un point de vue purement littéraire et archéologique, certains arguments plaident en faveur
des minimalistes. La lecture attentive de la description biblique du règne de Salomon démontre clairement
qu'il s'agit de la peinture d'un passé idéalisé, d'une sorte d'âge d'or, nimbé de gloire. Le compte rendu de ses
fabuleuses richesses (...) abonde en détails trop excessifs pour être crédibles. En outre, en dépit de leurs
prétendues richesses et pouvoirs, ni David ni Salomon ne figurent dans aucun texte égyptien ou
mésopotamien. Enfin, Jérusalem ne contient pas le moindre vestige archéologique des célèbres constructions de
Salomon. Les fouilles entreprises à Jérusalem, autour et sur la colline du Temple, au cours du XIXe siècle
et au début du XXe siècle, n'ont pas permis d'identifier ne serait-ce qu'une trace du Temple de Salomon et
de son palais (...) Quant aux édifices monumentaux attribués jadis à Salomon, les rapporter à d'autres rois
paraît aujourd'hui beaucoup plus raisonnable. Les implications d'un tel réexamen sont énormes. En effet,
s'il n'y a pas eu de patriarches, ni d'Exode, ni de conquête de Canaan —ni de monarchie unifiée et
prospère sous David et Salomon—, devons-nous en conclure que l'Israël biblique tel que nous le décrivent
les cinq livres de Moïse, et les livres de Josué, des Juges et de Samuel, n'a jamais existé. Pour résumer
cette argumentation nihiliste: en dehors des vérités archéologiques point de salut, car toute
histoire ne peut être que mythique. Cette conception du passé est extrêmement subversive.
En effet, du point de vue archéologique, l'existence des chambres à gaz, par exemple (que
j'ai choisi à dessein pour illustrer les conséquences dramatiques de cette idéologie), ne
peuvent être prouvées, ce qui conduirait à la conclusion choquante d'un "mythe des
chambres à gaz". Finkelstein40 explique le but de son travail: Tout ceci démontre le pouvoir
extraordinaire de l'archéologie, témoin en temps réel des événements. L'archéologie doit prendre l'initiative
dans l'écriture de l'histoire de l'ancien Israël; non pas l'archéologie biblique traditionnelle, qui a assujetti
l'archéologie au texte et l'a surtout utilisée de manière « décorative » pour illustrer les histoires bibliques,
mais l'archéologie moderne, débarrassée de toute influence, indépendante (...) l'archéologie est le seul témoin
de l'histoire du Xe siècle avant notre ère. En réalité, l'archéologie va bien plus loin que cela. Elle peut aussi
largement nous renseigner sur les textes eux-mêmes (...) Me considérant comme un « historien qui pratique
l'archéologie », je traiterai avant tout d'histoire politique (...) Il faut reconnaître que nous manquons
cruellement de documents historiques pour le fer I, période allant de la fin du XIIe à la fin du Xe siècle av.
J.C. Bien que le texte biblique ait pu préserver des parcelles de souvenirs anciens, le matériau utilisé dans
les livres de Josué et des Juges n'a que peu de rapport avec cette histoire formative de l'histoire de l'ancien
Israël (...) Il va sans dire que je vais utiliser le système de la chronologie basse pour la datation des strates de
l'âge de fer (...) Je pense que la notion de grand État pan-israélite au Xe siècle av. J.C. est une invention des
historiens deutéronomistes et a été dictée par l'idéologie de Juda pendant la monarchie tardive.
Il faudrait, selon Finkelstein, remplacer les historiens par les archéologues pour
écrire l'histoire d'Israël. Formidable retour en arrière41. En effet, depuis Hérodote, les
historiens se sont efforcés d'améliorer la chronologie afin de trier entre les fables et
l'histoire, les archéologues, qui ne peuvent dater leurs objets bien souvent qu'à un siècle
près, voire pas du tout dans le cas des édifices en pierres, prétendent refaire l'histoire. Sans
chronologie, l'histoire ne serait qu'une branche de la philosophie, sans les historiens,
l'archéologie ne peut être qu'une nouvelle branche de la mythologie. Dever42 résume le
processus actuellement en cours: À la relecture de tout ce que Finkelstein a écrit sur le sujet, trois
choses en particulier me surprennent. Premièrement, contrairement aux autres savants que j'ai mentionnés,
replacer dans le temps grâce à une chronologie précise, afin de dissocier les causes des conséquences. Les archéologues qui prétendent
faire parler les pierres ‘oublient’ qu'ils en deviennent les ventriloques, comme le prouvent les querelles entre leurs différentes chapelles.
42 W.G. DEVER – Aux origines d'Israël. Quand la Bible dit vrai
il ne donne aucune description claire et digne d'être citée de l'entité qu'il a jadis appelée l'« Israël primitif »
(...) Deuxièmement, dans les débats d'après 1995 (ceux de 1996, 1997, 1998, en particulier), il ne cesse
de se répéter, parfois mot pour mot. Troisièmement, Finkelstein rejette systématiquement toutes mes critiques
dans ses publications, mais il ne trouve à leur opposer que des attaques personnelles au lieu de données
concrètes, qu'elles soient anciennes ou nouvelles. Non content de déformer mes propos (je n'ai jamais été un«
gottwaldien »), il me prend pour un « archéologue biblique », alors que je critiquais déjà cette approche
quand Finkelstein allait encore à l'école. Ces remarques illustrent les motivations derrière le débat
dit "scientifique", dans lequel le fait d'être qualifié "d'archéologue biblique" constitue une
insulte insupportable. En fait, contrairement à leur prétendue neutralité, les archéologues
sont les parties prenantes d'un débat idéologique. Dever conclut ainsi son analyse: Ce qui
précède se voulait une analyse critique des données archéologiques et bibliques en notre possession sur les
origines d'Israël. Tout au long de cet exposé, j'ai tenté de démontrer que les témoignages archéologiques les
plus récents, dont certains représentent une révolution dans ce domaine, doivent être dorénavant considérés
comme notre source primordiale pour l'écriture (ou la réécriture) de l'histoire des débuts d'Israël. Cette
affirmation catégorique de la primauté de l'archéologie en matière de recherche historique n'en pose pas
moins un problème: elle relègue le texte biblique, avec ses hautes traditions, à un rang subalterne en tant que
source. On pourrait même l'interpréter comme un rejet global de la Bible. Il devient en effet tentant d'ignorer
les récits bibliques sur les origines d'Israël et son émergence historique en les prenant pour des textes de
propagande théocratique trop tardifs, parfois divertissants, quelquefois édifiants, mais entièrement fictifs.
Une porte est ouverte à travers laquelle ne manqueront pas de s'engouffrer les révisionnistes, déjà trop enclins
à se servir du scepticisme des archéologues pour justifier leur programme nihiliste. Qu'est-ce qui motive
cette démolition programmée de l'histoire biblique (et aussi par extension de l'histoire en
général)? Dever en dévoile les raisons: Balter introduit avec soin la façon dont les diverses idéologies,
religieuses ou politiques, se servent de l'archéologie à des fins douteuses. Comme je lui ai dit: « Nous nous
sommes tellement battus pour faire de l'archéologie une discipline respectable, pour la libérer de ce genre de
problème émotionnels... Nous y voilà de nouveau plongés jusqu'au cou ! » Balter fait correctement le lien
entre le révisionnisme biblique originel et le nouveau révisionnisme archéologique. Il explique comment
Hamid Sali, un jeune archéologue palestinien de l'université de Birzeit, se disait ravi de pouvoir enfin
fouiller le sol de sa propre patrie (...) Khaled Nashef est un partisan fervent et redoutablement efficace de
l'engagement de l'archéologie locale dans la cause palestinienne. Il déclare que l'histoire de la Palestine a été
trop longtemps écrite et définie par les « archéologues bibliques », chrétiens ou israéliens. À présent, dit-il, il
appartient aux Palestiniens de réécrire cette histoire, en commençant par la redécouverte archéologique de
l'ancienne Palestine. Effectivement, selon le texte biblique, c'est Dieu qui autorise les Israélites
à expulser des Cananéens de leur terre. S'agit-il d'une interprétation religieuse?
16 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
1) des témoins59;
2) un serment60;
3) des engagements61;
4) des malédictions et des bénédictions62.
Les trois traités bibliques de l'époque patriarcale cadrent exactement avec ceux qui
existaient au début du 2e millénaire avant notre ère, d'après les données archéologiques et
linguistiques. Cette confrontation est pertinente puisqu'elle compare des données
sensiblement du même lieu et de la même époque.
Langue attestée
Qui Quoi de à:
Égyptien ancien/moyen m m -2500 -1500
Akkadien ancien man min -2500 -2000
Assyro-Babylonien mannu(m) mînu(m) -1900 -600
Amorite manna ma -2500 -1500
Ugaritique my mh, mn -1500 -1100
Cananéen ancien miya manna -1800 -1100
Phénicien my m -1000 300
Hébreu mî mâ -1000 500
Araméen ancien/moyen man mâ -900 200
Syriaque ancien man mâ 0 200
63Exode 16:15.
64E. LIPINSKI - Semitic Languages Outline of a Comparative Grammar
in: Orientalia Lovaniensia Analecta 80. Leuven 2001 Ed. Peeters pp. 336,337.
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 21
65 S. IZRE'EL - Canaano-Akkadian
Munich 2005 Ed. Licom Europa pp. 1-4.
66 R. DE VAUX - Histoire ancienne d'Israël des origines à l'installation en Canaan
in: Biblical Archaeology Today 1990. Jerusalem 1993, Ed. Israel Exploration Society p. 523
A.R. MILLARD - A Lexical Illusion
in: Journal of Semitic Studies 31 (1986) pp. 1-3.
22 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
Les fouilles de ras Shamra (en 1929), qui ont exhumé l'antique ville d'Ugarit détruite
en -1185, ont permis de démentir plusieurs préjugés de l'archéologie. En effet, cette ville de
Syrie connaissait déjà l'alphabet (en cunéiforme) au 14e siècle avant notre ère71, sa langue
étant très proche de l'hébreu. Cela a d'ailleurs permis d'éclairer des expressions bibliques
obscures72: šebîsîm "petits soleils" en Isaïe 3:18, šeta‘ "craindre/ terrifier" en Isaïe 41:10, bêt-
hahopšît "maison de réclusion" en 2Rois 15:8, rokeb ba‘arabôt "chevaucheurs de nuées" en
Psaumes 68:5, etc. Les connaissances archéologiques n'en sont donc qu'à leur début.
Les conclusions linguistiques sont encore faussées par d'autres difficultés:
Selon le Talmud73, le texte biblique en paléo-hébreu a été réécrit en caractère araméen
(appelé "hébreu carré") par Esdras (vers -400). Certains termes techniques archaïques
ont été réactualisés, ce qui a généré des anachronismes artificiels. Le mot "darique"
(1Chroniques 29:7), par exemple, est anachronique, puisque cette unité monétaire,
apparue seulement au 6e siècle avant notre ère, était inconnue à l'époque de David,
quatre siècles plus tôt. Esdras, l'auteur présumé du livre des Chroniques, a donc
effectué la conversion d'une ancienne unité, inusitée à son époque, en une autre plus
courante et familière: "la darique", comme il le fait en Esdras 8:27. Par contre, la qesitah
(Genèse 33:19; Josué 24:32; Job 42:11) n'a pas été convertie par Esdras (les traducteurs
de la Septante, eux, l'ont traduite par "agneau", créant ainsi un nouvel anachronisme).
Les aires géographiques de l'Antiquité, dont le nom a été conservé, ont changé avec le
temps. Selon le Nouveau Testament, le Sinaï (au nord de l'Égypte) était une montagne
située en Arabie (Galates 4:25; Ac 7:29,30). De même, les traducteurs de la Septante
situaient aussi (en -280) le pays de Goshèn en Arabie74. Il semble donc y avoir un
anachronisme, cependant cette définition de l'Arabie recoupe celle des historiens de
l'époque. Strabon75 (-64 21), historien grec du Pont, décrivait les frontières de l'Arabie
comme allant du Golf persique à l'Est jusqu'au Nil à l'Ouest, ce qui signifie que pour
lui la péninsule arabique et la péninsule du Sinaï étaient incluses dans l'Arabie. De
même, l'historien grec Hérodote76 (484-425) appelait Arabie toute cette région allant de
l'Est du Nil à la Mer Rouge. L'Arabie de la Septante et du Nouveau Testament est
donc différente de celle de l'Ancien Testament (qui correspond à la définition actuelle),
mais était en accord avec celle des géographes grecs de leur époque.
71 Les archives d'Ugarit avant -1350 ont malheureusement disparu, peut-être parce que le support utilisé pour l'écriture était la tablette de
bois recouverte de cire (S. LACKENBACHER – Textes akkadiens d'Ugarit, in: LAPO 22, Éd. Cerf 2002, pp. 22-23). Les archives d'Ébla
(vers -2300), éclairent aussi l'hébreu (M. DAHOOD – Eblaite and Biblical Hebrew in: Catholic Biblical Quaterly 44:1, 1982, pp. 1-24).
72 A. SCHOORS - Ugarit, in: Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Éd. Brepols 1987 pp. 1287-1290.
73 Talmud de Babylone: Baba Batra 14b; Sanhédrin 4:7 21b.
74 Genèse 45:10, 46:34.
75 Géographie 16:4:2; 17:1:21-31.
76 Enquête 2:8, 15, 19, 30, 75, 124, 158.
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 23
Les liens entre l'ethnicité et l'aire géographique ont évolué avec le temps. La précision
"Ur des Chaldéens (Genèse 11:28,31; 15:7)" de l'époque d'Abraham (né en -2038), par
exemple, est jugée anachronique puisque les Chaldéens n'apparaissent que 1000 ans
plus tard. La Chaldée désigne une région au sud de la Babylonie. La Septante à traduit
l'expression "Ur des Chaldéens" par "territoire des Chaldéens", ce qui est une précision
géographique et non ethnique. Le mot grec kaldaiôn "Chaldéens" vient de l'assyrien
kaldu et provient du babylonien kašdu77 (avant -900). Or, le mot hébreu n'est pas kaldu
mais kašdim, l'équivalent de kašdu. Ce mot pourrait provenir de kiššatu, qui désignait à
la fois "la totalité" et "[l'empire de] Kiš". Selon Joannès78: Les Chaldéens restent une
population relativement mal connue. Il s'agit vraisemblablement de sémites occidentaux, originellement
nomades, dont on constate l'apparition et l'installation dans l'extrême sud de la basse Mésopotamie au
début du Ier millénaire av. J.-C., au même moment que les Araméens auxquels ils sont peut-être
apparentés. C'est dans une inscription d'Aššurbanipal II qu'ils apparaissent pour la première fois en
872 av. J.-C. Si l'on trouve des Chaldéens dans certaines grandes villes babyloniennes (Sippar, Kuta,
Kiš, Nippur, Uruk), leur habitat privilégié semble avoir été le sud de la Babylonie et le pays des
marais, où ils fondèrent des établissements permanents, que les rois assyriens eurent à conquérir (...)
De la même manière que le terme Akkad renvoie à la capitale et au pays qu'elle dominait, le nom
Kiš a désigné plusieurs siècles auparavant et dans la même région, à la fois la ville éponyme et
l'ensemble géographique constitué entre les cours parallèle de l'Euphrate et du Tigre à leur entrée en
basse Mésopotamie. "Ur des Chaldéens" pourrait donc se référer à "Ur [de l'empire] de
Kiš". Bien que, selon la Liste royale sumérienne, Kiš fut la première ville à recevoir la
royauté après le Déluge, le corpus provenant de cette antique civilisation79 reste encore
très faible par rapport à celui de Sumer, le Shinéar de la Bible80.
Les archéologues supposent "par principe" que le texte biblique est tardif. Ainsi
lorsque la tablette XI de L'épopée de Gilgamesh, donnant la version en sumérien du récit
biblique du Déluge (chapitres 7 et 8 de la Genèse), fut découverte en 1872, l'explication qui
s'est vite imposée fut de considérer la version biblique comme un plagiat, Ziusudra, "vie de
longs jours" en sumérien, devenant le modèle du Noé biblique. Une analyse critique81 de ce
célèbre récit aboutit à une conclusion inverse. En effet, le récit sumérien comporte
77 J. BLACK, A. GEORGE, N. POSTGATE – A Concise Dictionary of Akkadian
Wiesbaden 2000 Ed.Harrassowitz Verlag pp. 152, 162.
78 F. JOANNES – Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne
in: Orientalia Lovaniensia Analecta 80. Leuven 2001 Ed. Peeters pp. 51-52.
80 Selon le texte de Genèse 10:6-12, Nimrod fonda les villes de Babylone, d'Uruk, d'Akkad et de Ninive. Or, Nimrod, est le fils de Koush
(Kish), fils de Cham, fils de Noé. Le royaume de Kish (Koush) constitue donc les prémices des royaumes sumériens et akkadiens.
81 R.J. TOURNAY, A. SHAFFER – L'épopée de Gilgamesh
82 1) Ziusudra construit un coffre cubique de 120 coudées de côté. Les grands pétroliers actuels, conçus pour transporter de gros volumes
en toute sécurité et de manière stable, ont exactement les proportions que l'arche biblique (300, 50 et 30 coudées), soit un rapport
longueur sur largeur de 6 à 1, ce qui constitue un rapport idéal pour la flottabilité d'après les spécialistes de la construction navale, alors
qu'un cube est très instable; 2) Ziusudra lance une colombe qui revint vers l'arche, puis une hirondelle qui fit de même, et enfin un
corbeau qui ne revint pas. Noé, lui, lâche un corbeau qui va et vient, puis une colombe qui revient, puis de nouveau la colombe qui
revient avec une feuille d'olivier, et enfin la colombe qui ne revient pas. Selon les naturalistes, l'astucieux corbeau est un des oiseaux les
plus capable de s'adapter et un des plus ingénieux. Il était donc avisé de commencer par le corbeau pour tester l'état du pays et de
terminer par la colombe, un oiseau peu astucieux; 3) Ziusudra était un homme immortel et vivait dans une contrée appelée Dilmun
(l'actuelle île de Bahreïn). Même si les jours de Noé furent prolongés à 950 ans, il finit, lui, par mourir.
83 Contre Apion I:237-238. Typhon est le nom grec de Seth, selon Diodore (Bibliothèque historique I:21, I:88).
84 N. A LLON - Seth is Baal — Evidence from the Egyptian Script
in: Timelines Studies in Honour of Manfred Bietak Vol. I (2006) pp. 129-133, 331-354.
86 I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN - La Bible dévoilée
in: Atlas. The Journal of Saudi Arabian Archaeology Vol. 14, Riyadh 1996 pp. 129-131.
88 E. ANATI - Rock-Art in Central Arabia Vol. 1
En dehors de ces gravures sur pierre, les bédouins (transitant principalement sur la
route de l'encens) n'ont apparemment laissé aucun texte. L'opinion courante veut que cet
animal ait été introduit en Syrie par les Araméens vers la fin du 2e millénaire pour prendre
de l'importance à l'époque néo-assyrienne à la fois comme animal de bât et animal de
monte utilisé pour la guerre, en particulier par les Bédouins. Le roi arabe Gindibu aurait
envoyé 10 000 hommes à dos de chameau à la bataille de Karkar remportée en -853 par
Salmanazar III. En -652, Šamaš-šum-ukîn, roi de Babylone, reçoit le renfort de troupes
arabes montées à dos de chameau pour affronter Aššurbanipal. De telles troupes sont aussi
représentées sur les bas-reliefs du palais d'Aššurbanipal.
En fait, les pétroglyphes de chameaux sont assez fréquents, mais la principale
difficulté est leur datation car la pierre ne peut être datée par le C14. Il n'y a en fait que
deux autres moyens qui permettent de les dater:
L'étude de l'environnement immédiat (poterie typée ou objet en bois datable par le
C14) donne une datation approximative. Des études sur l'art rupestre du Hemma
(Djezireh syrienne), par exemple, ont révélé au moins une quinzaine de pétroglyphes de
chameaux dont certains remonteraient au 12e siècle avant notre ère91.
Il arrive de façon exceptionnelle que certains pétroglyphes soient accompagnés d'un
texte contenant les noms de personnages qui peuvent être situés dans le temps. C'est le
cas de cette représentation (ci-dessous) découverte en Nubie92 dont l'inscription se lit:
Le guide des bons chemins, pilote Imai. Le nom Imai (’Im3i) est peu courant et n'apparaît que
sous le règne de Pépi II (2186-2121), ce qui situe l'inscription vers 2200-2100.
91
http://www.espasoc.org/2004/he4_18drom.html
92ZBYNEK ZABA - The Rock Inscriptions of Lower Nubia
Prague 1974 Ed. Tzechoslovak Institute of Egyptology pp. 237, 238, Fig. 409 CCXXIX.
26 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
En dehors des bédouins, les autres civilisations du passé ont peu apprécié ce type
d'animal. Les Sumériens et les Égyptiens, par exemple, ont toujours considéré le chameau
(ou le dromadaire) comme un animal exotique. Ils ne s'y sont guère intéressés, de plus,
certains animaux connus des Égyptiens, comme les chats et les poules, n'ont pas non plus
été représentés sur leurs monuments. Il subsiste cependant quelques vestiges93. Les fouilles
effectuées en Égypte ont livré d'autres confirmations. Ainsi une corde tressée en poil de
chameau, datée autour de -2500, a été exhumée à Pi-Ramsès dans le Fayoum. Un récipient
en forme de chameau portant quatre amphores a été exhumé à Abusir el-Meleq94 (dans le
Fayoum 10 kilomètres au sud du Caire). Au Wadi Nasib dans le Sinaï, une caravane de
chameaux dont l'un est tiré par un homme, apparaît sur des rochers95. Une statuette en
forme de chameau portant des amphores a été trouvée à Rifeh.
Rifeh (Égypte, 13e siècle avant notre ère) Wadi Nasib (Sinaï, vers -1500)
On a aussi retrouvé à Ur99, ville d'où Abraham est parti, un petit chameau en or en
train de s'agenouiller. Ce bijou faisait partie d'un collier daté dans la IIIe dynastie soit autour
de -2000. Toutes ces découvertes prouvent donc que la domestication des chameaux
remonte sans conteste au début du 3e millénaire100, du moins en Arabie. Même si les textes
mentionnant cette domestication sont rares, ils ne sont pas inexistants. Un texte en vieux
babylonien trouvé à Nippur, daté entre -2000 et -1700, fait explicitement allusion au lait de
97 E. VILLENEUVE - Archéologie: Bitume au natuel
2002, in: Le monde de la Bible n°145 pp. 57-59.
98 J. ARUZ Art of the First Cities. The Third Millenium B.C. from the Mediterranean to the Indus
New York 2003 Ed. The Metropolitan Museum of Art pp. 374, 375.
99 E.M. B LAIKLOCK R.K. H ARRISON - The New International Dictionary of Biblical Archaeology
in: Revue d'histoire des sciences et de leurs applications 7 (1954) Presses Universitaires de France pp. 247-268.
28 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
chamelle101 (comment obtenir du lait d'un animal sauvage102?) Le chameau est en fait appelé
le "pachyderme d'Harrân". Toujours à Nippur, une liste sumérienne d'animaux exotiques,
remontant au babylonien ancien (daté entre -1900 et -1500), classe le chameau103 avec le
tigre et l'éléphant d'Asie. Un texte trouvé à Alalakh, daté entre 1800 et 1700, évoque le
fourrage des chameaux104 (la lecture du mot [ANŠE]-GAM-MAL "chameau" est discutée). À
partir du 11e siècle avant notre ère, les textes assyriens citant des chameaux domestiqués,
comme celui du roi Assur-bêl-kala (1073-1056), sont de plus en plus nombreux105.
Notre mot "camélidés" dérive de l'akkadien gammalu, correspondant au sumérien
[ANŠE]-GAM-MAL. La signification d'un autre mot sumérien pour désigner le chameau, soit
[ANŠE]-A-AB-BA "âne de la mer", est éclairante sur le rôle de cet animal à cette époque
reculée. Ce classement sommaire du chameau par les Sumériens dans la catégorie de l'âne
montre que cet animal était peu commun. De plus, la précision surprenante "de la mer" est
une confirmation indirecte de son origine arabe. En effet, les chameaux étaient surtout
utilisés par les caravaniers arabes106 pour vendre de l'encens (Isaïe 60:6). Or ces marchands
empruntaient une "route de l'encens" qui reliait le Golfe persique à l'Égypte en passant le
long de la mer Méditerranée (2Chroniques 20:2), d'où son nom ultérieur de Via Maris107
"route de la mer", citée sous cette forme par le texte d'Isaïe 8:23. Une lettre du roi assyrien
Shamshi-Adad Ier atteste de l'utilisation de cette voie par son armée108 vers -1700 et la vente
de Joseph à des marchands ismaélites illustre le rôle de cette antique route commerciale
(Genèse 37:25). Les découvertes109 archéologiques ont ainsi confirmé une domestication
précoce du chameau en Arabie110 même si son développement fut très lent.
101 The Assyrian Dictionary Vol. 7
Chicago 1960 Ed. The Oriental Institute p. 2.
102 De plus, l'analyse grammaticale classerait les chameaux dans les animaux domestiques, car la dernière radicale –b serait un déterminant
originel des animaux sauvages (ex. kaleb "chien") alors que le déterminant –l/r (ex. gamal) serait celui des animaux domestiques (J.-C.
HAELEWYCK –Grammaire comparée des langues sémitiques in: Langues et cultures anciennes 7, 2007 Bruxelles, Éd. Safran p. 146).
103 M. CIVIL - "Adamdun", the Hippopotamus, and the Crocodile
in: Journal of Cuneiform Studies 13. New Haven 1959 pp. 29, 37.
W.G. L AMBERT - The Domesticated Camel in the Second Millenium
in: BASOR 160 (dec. 1960) pp. 42, 43.
105 A. KUHRT - The Exploitation of the Camel in the Neo-Assyrian Empire
in: Studies on Ancient Egypt London 1999 Ed. The Egypt Exploration Society pp. 179-184.
106 Sans les chameaux, les déserts de l'Afrique du nord auraient été inhabitables.
107 É. STERN - La Via Maris in: Les routes du Proche-Orient. Des séjours d'Abraham
aux caravanes de l'encens Paris 2000 Éd. Desclée de Brouwer pp. 58-65.
108 J.C. MARGUERON, L. PFIRSCH - Le Proche-Orient et l'Égypte antique
La lecture du récit biblique donne parfois l'impression que les chameaux étaient
abondamment utilisés en Mésopotamie dès l'époque patriarcale. Ce n'est pas le cas.
Quelques points permettent de le vérifier. Abraham eut des chameaux seulement après être
parti d'Harrân et être passé par le Négueb111. Les propriétaires de ces animaux étaient des
bédouins arabes112 pour la plupart. La possession de chameaux était un signe de richesse
surtout pour les peuples arabes113 comme les Madianites et les Edomites. En fait, les
données bibliques concernant les chameaux concordent avec les découvertes
archéologiques. Les propriétaires de chameaux sont essentiellement en Arabie. Job, qui
mentionne les caravanes de Téma114, est un Oriental. La reine de Saba, arrivant avec ses
chameaux, séjournait dans le sud de l'Arabie115. Abraham, bien que propriétaire de
chameaux ne le devint en fait qu'après le départ d'Harrân116 sa ville d'accueil. Ce riche
propriétaire, originaire de la prospère ville d'Ur, opéra un choix judicieux en acquérant une
caravane de chameaux, probablement auprès de marchands arabes, car ces animaux sont
très bien adaptés pour la vie nomade. Abraham, bien que résidant sous les tentes, n'est pas
présenté comme un bédouin, mais comme un chef prestigieux, éleveur de bétail
sédentarisé, se déplaçant parfois à cause d'événements extérieurs.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces éléments provenant de l'archéologie
sont ignorés par la plupart des égyptologues. Lorsque j'ai envoyé mon dossier à Claude
Obsomer, il m'a renvoyé aux livres de Finkelstein. J'ai donc insisté en lui livrant mon
dossier sur la domestication des chameaux. Il m'a répondu dans son courriel daté du 2
septembre 2004: Cher Monsieur Gertoux, je vous remercie d'avoir persévéré. Effectivement, vous avez
111 Genèse 12:9,16.
112 Genèse 32:3,15; Juges 6:3,5.
113 Job 1:3.
114 Job 6.19.
115 2Chroniques 9:1.
116 Genèse 12:5.
30 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
une série de documents intéressants en ce qui concerne les chameaux pour réfuter une idée largement diffusée.
S'il s'avère que les datations indiquées sont correctes, ce que vous avez eu à cœur de vérifier en consultant les
publications originelles et études sur la question, il va de soi que la question des chameaux ne pourra plus
être proposée comme objection à une datation haute du récit biblique. Ceci n'exclut pas non plus une
datation basse, bien entendu, et il revient dès lors de réexaminer les autres objections archéologiques avancées
par Finkelstein.
En fait, de nombreux spécialistes ne veulent pas changer d'avis même quand ils
connaissent les preuves archéologiques. Cécile Michel, par exemple, dans sa lettre datée du
25 mars 2004 m'a répondu: En ce qui concerne le chameau, gammalu en akkadien (Dictionnaire
entrée animaux domestiques), son terme sumérien [ANŠE]-GAM-MAL est un emprunt tardif à
l'akkadien. En effet, les Akkadiens utilisent encore le sumérien dans certains contextes aux IIe et Ier
millénaires et il leur arrive de créer des mots sumériens parfois décalqués sur leur propre langue. Rien ne
prouve donc que les Sumériens connaissent les chameaux qui n'apparaissent d'ailleurs dans les textes qu'à
la fin du IIe millénaire. Je ne crois donc pas en l'existence du lait de chamelle ou du fourrage des chameaux
dans les textes du début du IIe millénaire. Ce que vous identifiez comme un chameau sur une plaque
rituelle retrouvée à Suse n'y ressemble guère. Surpris par tant de mauvaise foi, j'ai de nouveau
consulté le dictionnaire akkadien117. Ce dictionnaire cite bien un texte en vieux babylonien
trouvé à Nippur, daté entre -2000 et -1700, faisant explicitement allusion au lait de
chamelle. Il s'agit bien du début et non de la fin du IIe millénaire. De plus, les chameaux
qui sont équipés avec des jarres ne peuvent être classés parmi les animaux sauvages, mais
bien parmi les animaux domestiques.
Pour bien comprendre la question du chameau et de sa domestication, j'ai consulté
un spécialiste réputé des langues sémitiques. Dans sa lettre datée du 2 août 2004, Edward
Lipinski m'a répondu: Vous avez certainement raison de rappeler que le chameau semble avoir été
domestiqué en Arabie dès le IIIe millénaire av.n.è. En sud-arabique, il porte le nom de gml, certainement
le même que ǧamal en arabe classique, gəmoul en copte, et que le pluriel GIMLN, ou GMIL des
inscriptions numides du 2e siècle av.n.è. ("dromadaires", peut-être "chameliers"). Le pseudo-idéogrammes
sumérien et mot akkadien sont manifestement des emprunts à l'arabe ancien des régions du Golfe Persique.
Le déterminatif ANŠE indique qu'il s'agit d'un animal de bât, tout comme l'âne. Le redoublement du m
dans un mot d'emprunt ne me paraît pas significatif ; l'hébreu redouble ainsi le l au pluriel sans raison
apparente. La forme ANŠE-GAM, sans le signe MAL, n'est toutefois pas attestée, à ma connaissance. La
structure primitive du mot, antérieure à la domestication du dromadaire, dont on a retrouvé des traces en
Tunisie dès le IVe millénaire av.n.è., avait cependant une base monosyllabique : gam ou kam. On la
117 The Assyrian Dictionary Vol. 7 Chicago 1960 Ed. The Oriental Institute p. 2.
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 31
trouve en égyptien (qm3), paléo nubien, bedja et même sous la forme -l+ġem dans les dialectes berbères
modernes. Vous trouverez plus d'informations à ce sujet dans mon livre Itineraria Phoenica (Leuven
2004), p. 205-212. Il est impossible de préciser la période à laquelle le suffixe –al a été ajouté à la base du
mot, mais son emploi avec les noms d'animaux domestiqués suggère de dater la forme gml au plus tôt du
IIIe millénaire, peut-être seulement du IIe.
Affirmer que les chameaux dans le récit d'Abraham sont anachroniques, comme le
font la plupart des égyptologues, reflète leur méconnaissance des données archéologiques
et linguistiques. En fait, cette critique récurrente d'anachronisme est souvent reprise par pur
conformisme en milieu académique. Les autres anachronismes mentionnés par Finkelstein
sont du même acabit. Il est instructif de vérifier sur quels arguments il s'appuie pour réfuter
l'existence de personnage comme David ou Salomon. Finkelstein écrit: David et Salomon ont
été élevés, au cours des siècles, au rang d'icônes religieuses auréolées d'un tel prestige —tant par le judaïsme
que par le christianisme— que les déclarations récentes de certains biblistes radicaux, qui affirment que le
roi David n'as pas davantage « de validité historique que le roi Arthur », ont été accueillies dans les cercles
religieux et scientifiques avec un mépris hautain et scandalisé (...) D'un point de vue purement littéraire et
archéologique, certains arguments plaident en faveur des minimalistes. La lecture attentive de la description
biblique du règne de Salomon démontre clairement qu'il s'agit de la peinture d'un passé idéalisé, d'une sorte
d'âge d'or, nimbé de gloire. Le compte rendu de ses fabuleuses richesses (...) abonde en détails trop excessifs
pour être crédibles. En outre, en dépit de leurs prétendues richesses et pouvoirs, ni David ni Salomon ne
figurent dans aucun texte égyptien ou mésopotamien. Enfin, Jérusalem ne contient pas le moindre vestige
archéologique des célèbres constructions de Salomon. Les fouilles entreprises à Jérusalem, autour et sur la
colline du Temple, au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, n'ont pas permis d'identifier ne
serait-ce qu'une trace du Temple de Salomon et de son palais (...) Quant aux édifices monumentaux
attribués jadis à Salomon, les rapporter à d'autres rois paraît aujourd'hui beaucoup plus raisonnable. Les
implications d'un tel réexamen sont énormes. En effet, s'il n'y a pas eu de patriarches, ni d'Exode, ni de
conquête de Canaan —ni de monarchie unifiée et prospère sous David et Salomon—, devons-nous en
conclure que l'Israël biblique tel que nous le décrivent les cinq livres de Moïse, et les livres de Josué, des Juges
et de Samuel, n'a jamais existé118. Sur quoi reposent ces déclarations fracassantes: sur des
spéculations, car la plupart de ses accusations, ou insinuations, peuvent être démenties.
Concernant les fabuleuses richesses de Salomon, le texte de 1Rois 10:14 précise qu'il
recevait exactement 666 talents d'or chaque année, soit 21,5 tonnes (= 666 x 32,4 kg).
Le chiffre paraît époustouflant, mais il faut se rappeler qu'à la même époque (début du
1er millénaire), les temples du pharaon Osorkon Ier recevaient, eux, à peu près 51 tonnes
d'or chaque année119. Si on rapporte les tonnages d'or aux tailles de l'empire égyptien et
du royaume israélite les chiffres sont comparables. Ainsi, à cette époque (le fait est
présenté comme unique), un roi israélite a pu rivaliser avec un pharaon.
Concernant le silence des textes120 non israélites sur David et Salomon, l'explication est
élémentaire: le règne de ces deux rois s'est déroulé pendant une période de déclin des
deux grands empires égyptien ou mésopotamien. Malgré l'étendue de leur empire, on
ne connaît que très peu d'actions de la plupart des rois babyloniens et égyptiens durant
cette période (excepté leur nom et la durée de leur règne):
Le seul fait marquant durant cette période est la prise de Gézèr, brûlée par le pharaon
Siamon, peu après l'an 20 de Salomon121 (en -997). Le pharaon n'est pas nommé dans la
Bible, mais comme le remarque Kitchen, la seule campagne égyptienne en Palestine
attestée à cette époque est celle de Siamon. De plus, la XXIe dynastie se distingue par le
fait que certains de ses pharaons ont donné leur fille en mariage à des étrangers (ce qui
fut le cas de Salomon cf 1Rois 3:1, 9:10). L'exactitude des données chronologiques du
texte biblique garantit donc indirectement son authenticité.
Si les grands empires, Égypte, Assyrie et Babylonie, n'eurent pas de conflit avec Israël
durant les règnes de David et Salomon (et donc pas de document), ce ne fut pas le cas
des nombreux royaumes aux alentours: Phénicie et Syrie au nord, Ammon, Moab et
Édom à l'est, Philistie au sud, pour ne citer que les plus importants. Ces royaumes ayant
tous disparu après le règne de Nabuchodonosor II (605-562), leurs archives n'existent
inscriptions (A. MILLARD – King Solomon in his Ancient Context in: The Age of Solomon (Brill 1997) Ed by L.K. Handy p. 46).
121 1Rois 9:10,16,17.
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 33
plus depuis bien longtemps, cependant, deux rois (ceux de Syrie et de Moab) ont érigé
des stèles attestant qu'à cette époque (9e siècle avant notre ère) la présence d'un
royaume d'Israël était largement connu sous le nom de Maison-de-David. La première
stèle est celle de Mésha, roi de Moab, qui donne sa version des événements relatés en
2Rois 2:4-27. On note la présence des expressions "roi d'Israël" à la ligne 5, "Yehowah"
le dieu d'Israël, à la ligne 18 et "Maison de [D]avid" à la fin de la ligne 31122:
of the "House of David" in the ninth century B.C.E. in: Biblical Archaeology Review 20:03 (Mai/Juin 1994) pp. 30-37.
K.A. KITCHEN - On the Reliability of the Old Testament
Cambridge 2003 Ed. W.B. Eerdmans p. 615.
34 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
d'Hazaël, roi de Syrie, qui donne sa version des événements relatés en 2Rois 8:28-9:16. On
note la présence des expressions "roi d'Israël et "Maison de David" aux lignes 8 et 9:
Ces deux stèles, celle du roi de Moab et celle du roi de Syrie, montrent qu'il existait
déjà, au 9e siècle avant notre ère, un puissant royaume d'Israël dont les rois étaient
considérés comme appartenant à une Maison-de-David, selon le nom de son fondateur.
Concernant l'absence de vestige archéologique du célèbre temple de Salomon, là encore
l'explication est simple: ce temple a été entièrement détruit par les Babyloniens lors de
la chute de Jérusalem. De plus, lorsque le roi Hérode le Grand restaura le deuxième
temple construit sur les restes du précédent, il recommença par les fondations, ce qui a
dû éliminer les vestiges salomoniens125 car, selon Flavius Josèphe, Hérode effectua une
reconstruction complète de ce temple (Antiquités juives XV:354,380,421). Il faut aussi
savoir qu'il est impossible de dater ces vestiges (en pierre) par le 14C.
Cette inscription étant datée vers -600129 (strate VI), si le temple de Salomon n'avait pas
existé, comme le sous-entend l'archéologue Finkelstein, comment expliquer cette
mention du temple de Yehowah à cette époque. Il s'agit bien du temple de Jérusalem130
et non du temple d'Arad, car ce dernier, construit au 10e siècle, a été détruit vers -609
(strate VII) vraisemblablement par les Égyptiens. De plus, le nom "Qérosite" désigne
un clan des Nétinim, "les donnés" qui travaillaient au temple de Jérusalem131. Le
personnage inconnu ("lui") auquel il est fait allusion aux lignes 9 et 10 pourrait être un
Lévite d'Arad qui avait choisi de s'installer à Jérusalem132, suite à la réforme entreprise
par Josias dans la 18e année de son règne133 (en -622).
Grâce à l'évolution des systèmes de calendriers utilisés en Palestine, il est aussi possible
de dater la construction du Temple de Salomon du 10e siècle avant notre ère. En effet,
ces calendriers antiques servaient à fixer les échéances des contrats mais surtout à
organiser les célébrations religieuses. Ces calendriers étaient donc sous la responsabilité
d'une classe de prêtres astronomes. Au 2e millénaire avant notre ère, il n'y avait que
deux grands systèmes de datation: 1) le calendrier mésopotamien d'inspiration
babylonienne avec des noms de mois et un cycle lunaire débutant au 1er croissant
126 L'archéologue israélienne Eilat Mazar de l'Université hébraïque de Jérusalem a découvert dans le secteur de l'Ophel un pan de mur
haut de 6 mètres s'étirant sur 70 mètres. Grâce aux poteries (dont le reste de deux jarres), ce mur a été daté du 10e siècle avant notre ère,
soit l'époque de Salomon. Un des tessons porte l'inscription hébraïque "pour le roi" (LMLK).
127 Y. AHARONI – Arad Inscriptions
lunaire et 2) le calendrier civil égyptien avec des mois anonymes de 30 jours numérotés
côtoyant un calendrier lunaire débutant à la pleine lune. L'absence de temple avec sa
prêtrise obligeait les Israélites à utiliser les calendriers de l'endroit où ils séjournaient. Il
est ainsi possible de dater leurs pérégrinations grâce aux divers calendriers utilisés.
Selon le texte biblique, les Israélites ont séjourné en Égypte de -1750 à -1500, puis en
Canaan après cette date. Le 1er temple, achevé en -997, sera détruit en -587. Les
Israélites, déportés à Babylone pendant 50 ans (587-537), reviendront construire le
temple qui sera fonctionnel vers -517, les mois du calendrier seront alors traduits par
leur équivalent babylonien. Le calendrier babylonien s'était progressivement imposé
dans tout l'ouest de l'orient, la ville d'Alalakh134, par exemple, l'avait adopté vers -1500.
Ce calendrier était donc utilisé en Palestine, mais le nom des mois était cananéen135.
Calendrier
n° mésopotamien standard n° cananéen équivalent
1 Nisannu 7 1 Abib Mars/avril
2 Ayaru 8 2 Ziv Avril/mai
3 Simanu 9 3 ? Mai/juin
4 Tamuzu 10 4 ? Juin/juillet
5 Abu 11 5 Tsakh? Juillet/août
6 Ululu 12 6 ? Août/septembre
7 Tashritu 1 7 Ethanim Septembre/octobre
8 Arahsamnu 2 8 Bul Octobre/novembre
9 Kissilimu 3 9 ? Novembre/décembre
10 Tebetu 4 10 ? Décembre/janvier
11 Shabatu 5 11 Pe‘ulot? Janvier/février
12 Addaru 6 12 ? Février/mars
Le texte biblique utilise les mots yèraḥ et hodèš pour désigner les mois lunaires. Le mot
hodèš, utilisé pour désigner la nouvelle lune, provient d'une racine hadaš ("nouvelle",
comme dans le mot Carthage, Kart-hadèsht "ville nouvelle" en phénicien), et signifie
"renouvellement", d'où le sens dérivé de "nouvelle [lune]". Le mot yèraḥ "mois", venant
du mot yaréaḥ "lune" peut se traduire par "lunaison". Le mot "pleine lune (Proverbes
7:20)" en hébreu est kèsè ou lebanah "la blanche (Isaïe 30:26)". Les deux mots hodèš et
yèraḥ, employés dans le sens de "mois", ne sont pas synonymes puisqu'on trouve des
inscriptions cananéennes136 avec les mots hodèš yèraḥ Ethanim, que l'on peut traduire par
nouvelle lunaison d'Ethanim (1Rois 8:2). Si les deux mots étaient synonymes, la traduction
134 M.E. COHEN – The Cultic Calendars of the Ancient Near East
maryland 1993 Ed. CDL Press pp. 1-309.
135 J.A. W AGENAAR - Post-Exilic Calendar Innovations
in: Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 115 (2003) pp. 1-24.
136 H. DONNER, W. RÖLLING - Kanaanäische und Aramäische Inschriften
serait mois du mois d'Ethanim, ce qui n'a pas de sens. Cette nuance sémantique est
importante. En effet, dans un calendrier lunaire débutant à la nouvelle lune, les deux
mots "nouvelle [lune]" et "lunaison" pour désigner un mois peuvent convenir, mais
dans un calendrier débutant à la pleine lune, seul le mot "lunaison" est approprié.
L'archéologie montre que les Juifs de Judée n'ont employé, pour désigner les mois, que
le mot hodèš "nouvelle [lune]" et les Juifs d'Égypte que le mot yèraḥ "lunaison137. On lit
par exemple sur l'ostracon n°7 d'Arad, daté autour de -600 pour le 10e [mois], le 1 du mois
jusqu'au 6 du mois138. Lorsqu'ils sont entrés en Canaan, les Israélites ont utilisé le
calendrier cananéen, le 1er mois devenant Abib (le 2e mois Ziv, le 7e mois Ethanim, le 8e
mois Bul, etc). Les Cananéens utilisaient le mot yèraḥ pour désigner le "mois" ce qui
pouvait être ambigu pour les Israélites, car ce terme désignait aussi le "mois" débutant à
la pleine lune (en Égypte). Le terme hodèš, "mois" débutant au 1er croissant lunaire, fut
donc privilégié en Palestine à partir de -1000. En plaçant les mois en fonction de la
chronologie déduite du texte biblique, on obtient l'évolution suivante:
In: Littératures anciennes du proche orient n°9 Paris 1977 Ed. Cerf pp. 168,231.
139 A. LEMAIRE – Les formules de datations en Palestine au premier millénaire avant J.-C.
in: Proche-Orient ancien, temps vécu, temps pensé (Paris 1998) Éd. J. Maisonneuve pp. 53-82.
38 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
nom des mois cananéens disparaît en Palestine à cette époque. La datation "cananéenne"
en 1Rois 6:1 implique de dater la construction du temple au 10e siècle avant notre ère. S'il
ne reste rien du temple construit par Salomon, par contre, le texte biblique140 donne une
information qui en confirme la date: Voici ce qui concerne la corvée que le roi Salomon leva pour
construire le Temple de Yahvé, son propre palais, le remblai et le mur de Jérusalem, Haçor, Megiddo,
Gézèr. Or, les fouilles archéologiques ont révélé que ces trois cités avaient effectivement été
fortifiées et, de plus, en même temps. En effet, l'existence sans parallèle connu d'une porte
en "triple tenaille" à l'entrée de chacune des cités suppose une construction simultanée.
Yadin avait fort logiquement attribué toutes ces constructions à Salomon, mais
Finkelstein141 a montré que la datation de ces bâtiments n'était pas certaine et pouvait
aussi être plus tardive, sous le règne d'Omri (la datation de ces édifices est difficile à
établir, car ces cités ont été réaménagées à plusieurs reprises par les rois successifs. De
plus, la datation des pierres par le Carbone 14 étant impossible, toutes les spéculations
archéologiques sont possibles). Cependant, les fouilles de Tell Qeiyafa142, situé à 20
kilomètres au sud de Gézèr, ont permis d'identifier la ville de Shaarayim "les deux
portes". Selon le texte biblique, cette ville fut habitée jusqu'au règne de David143. Grâce
à des noyaux d'olive retrouvés sur le site et datés par le carbone 14, on peut dater la fin
de cette ville en -1010 +/- 40 ans. Non seulement la construction date de l'époque de
David, mais ces fouilles ont aussi exhumé une inscription hébraïque de 5 lignes. Bien
que cette inscription à l'encre soit en partie effacée, on peut encore y lire certains mots
comme: " " א ל ת ע שne fait pas, " "שפטjuge " "עבדesclave et " "מלךroi.
. . . . . . . . .
Les plus anciennes inscriptions hébraïques sont toutes datées du 10e siècle avant
notre ère (l'ostracon de Qeiyafa, le calendrier de Gézèr, l'abécédaire de Zayit144 et quelques
ostraca d'Arad145), soit l'époque où est apparu le royaume de Salomon. Cette coïncidence
n'est pas fortuite car, selon le texte biblique, le royaume d'Israël n'a possédé une réelle
administration qu'à partir de ce roi146 et l'activité littéraire « faire des livres »147 n'est
mentionnée qu'à l'époque de Salomon148. Les inscriptions hébraïques datées de cette
époque sont peu nombreuses, mais il faut se rappeler que les prestigieux et antiques
royaumes de Tyr et de Byblos n'en ont guère laissé plus. Les rois de Tyr de cette période ne
sont connus que par Flavius Josèphe149, ce qui permet de vérifier certains synchronismes150
(Hiram151/Salomon, Ithobaal152/Achab, etc.). Enfin, il semble que les Israélites aient
privilégié le rouleau (en peau ou en papyrus) pour rédiger les instructions officielles ou les
contrats153 (comme en Égypte). Or, la conservation des rouleaux n'est possible qu'en deux
endroits au monde: en Égypte et autour de la Mer morte (qui est désertique).
Les assertions de Finkelstein sont donc erronées. Elles reposent sur une méthode
qui consiste à remplacer les témoignages historiques par des interprétations archéologiques
sans fondement chronologique sérieux, il s'agit d'une réécriture de l'histoire. En remplaçant
abusivement les quelques témoignages historiques par des spéculations archéologiques,
fondées sur des datations elles-mêmes hypothétiques, Finkelstein utilise la même méthode
“d'analyse historique” que celle prônée par le célèbre professeur Faurisson154. Selon le texte
biblique, par exemple, le roi Salomon renforça les trois villes d'Haṣor, de Megiddo et de
Gézèr mais, selon Finkelstein, en se fondant sur des datations incertaines, ce fut l'œuvre du
roi Omri. Cela contredit le texte biblique de 1Rois 16:23-28 qui n'attribue à ce roi que la
construction de Samarie.
144 R.E. TAPPY; P. KYLE MCCARTER; M.J. LUNDBERG; B. ZUCKERMAN -An Abecedary of the Mid-tenth Century B.C.E. from the
Judaean Shephelah in: Bulletin of the American Schools of Oriental Research no344 (2006) pp. 5-46.
145 J. NAVEH – Early Naveh History of the Alphabet
Hiram (1025-991), riche roi de Tyr, est en accord avec les règnes de David (1057-1017) et de Salomon (1017-977).
151 1Rois 5:1-18.
152 1Rois 16:31.
153 Deutéronome 17:18; Jérémie 32:11-14; 36:17-32. Le texte (non israélite) évoqué en Job 19:24 est gravé sur pierre et noirci au plomb.
154 Faurisson résume ainsi sa méthode: En temps de guerre, la prolifération des « bobards » atteint des proportions gigantesques. Ces « bobards » persistent
souvent la paix revenue. [...] La Seconde Guerre mondiale a suscité des mythes encore plus extravagants mais il ne fait pas bon s'y attaquer. Une entreprise
comme celle de Norton Cru, si on l'appliquait à la dernière guerre, serait encore prématurée, semble-t-il. Certains mythes sont sacrés. Même en littérature, on
court quelque risque à vouloir démystifier (...) Je les entraîne [les étudiants] à la critique de textes et de documents (littérature, histoire, médias, etc.). Si, dans un
texte réputé historique (mais ces réputations ne sont-elles pas de l'ordre du préjugé?), ils relèvent les mots de « Napoléon » ou de « Pologne », j'interdis que leur
analyse fasse état de ce qu'ils croient savoir de Napoléon ou de la Pologne; ils doivent se contenter de ce qui est écrit dans le texte. Un texte ainsi examiné, à cru et
à nu, avec les yeux du profane et sans chiqué, prend un relief intéressant. Excellent moyen, d'ailleurs, de détecter les falsifications et fabrications en tous genres.
Mes étudiants appellent cela la méthode « Ajax » parce que ça récure, ça décape et ça lustre (on devrait plutôt l'appeler la méthode « Alzheimer »).
V. IGOUNET – Histoire du négationnisme en France
Paris 2000 Éd. Seuil pp. 202,203.
40 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
L'existence d'un roi judéen nommé David découle aussi de l'existence de sa lignée
royale. Les sceaux au nom de ces rois, ainsi que leur mention dans les annales (assyriennes
ou babyloniennes) attestent leur existence (noms surlignés):
Ainsi parmi un total de 44 rois, 17 ont été "confirmés" par l'archéologie, ce qui
constitue un bon résultat vu la petitesse de ces deux royaumes par rapport aux empires
voisins. Il serait déraisonnable de conclure que les rois non attestés n'ont jamais existé.
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 41
Bien que l'archéologie ne puisse dater correctement le règne de ces rois judéens ou
israélites (la paléographie situe ces sceaux entre le 8e et le 6e siècle avant notre ère)155, leur
mention par un souverain étranger156, dont le règne est connu, permet cependant de
conclure que ces rois (ont existé et) les ont précédés dans le temps:
La chronologie des rois de Juda et d'Israël est ainsi confirmée par les chronologies
synchronisées assyrienne et babylonienne.
155 K.A. KITCHEN - On the Reliability of the Old Testament
Cambridge 2003 Ed. W.B. Eerdmans p. 604.
156 J. BRIEND M.J SEUX - Textes du Proche-Orient ancien et histoire d'Israël
conquête de Josué jusqu'à sa reprise par les Philistins durant le règne d'Achaz159, ce qui
classerait l'inscription dans le paléo-hébreu plutôt que dans le proto-cananéen. Le deuxième
document présente un roi cananéen passant en revue deux prisonniers160:
in: LIPO n°13 Paris 1987 Éd. Cerf pp. 248, 257, 264.
164 Josué 12:1, 21; Juges 1:27-28.
165 1Rois 4:1-12; 9:15-19.
44 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
était une place forte selon la lettre de Abdi-Ḫeba166, le maire (Jébusite), n'appartiendra en
fait aux Israélites qu'à partir de David167 (vers -1050). Selon le texte biblique, les Israélites
furent effectivement vaincus par des royaumes voisins durant le 12e siècle avant notre ère,
au moins à deux reprises (de -1211 à -1193 puis de -1162 à -1122)168, toutefois, le texte ne
mentionne pas la Phénicie. Un roi de Byblos, ou peut-être de Tyr, a pu être associé à ces
conflits avec les Israélites en tant que vassal de l'Égypte.
Selon le texte biblique, les rois de Tyr et de Byblos étaient des associés: Les ouvriers
de Salomon et ceux d'Hiram et les Giblites [venant de Byblos] taillèrent et mirent en place le bois et la
pierre pour la construction du Temple (1Rois 5:32). Cette association particulière est confirmée
par la forme des trônes royaux. En effet, les rois de Byblos ont utilisé des trônes
d'inspiration égyptienne (sphinx à pattes de lion, par exemple, comme celui de
Toutankhamon), or ce type d'objet raffiné a visiblement influencé les ouvriers de Salomon
puisqu'on lit: Le roi fit aussi un grand trône d'ivoire et le plaqua d'or raffiné. Ce trône avait six degrés,
un dossier à sommet arrondi, et des bras de part et d'autres du siège; deux lions étaient debout près des bras
et douze lions se tenaient de part et d'autre des six degrés. On n'a rien fait de semblable dans aucun
royaume (1Rois 10:18-20). On le voit les textes historiques éclairent les découvertes
archéologiques, mais vouloir réécrire l'histoire à l'aide de l'archéologie est aussi
déraisonnable que chercher à reconstituer le curriculum vitae d'une célébrité en se
contentant de fouiller sa poubelle. Le résultat est prévisible: il sera très lacunaire. Par
exemple, lorsque le souvenir de la reine du Sud [Saba] et de Salomon (Matthieu 12:42) est
évoqué au 1er siècle, cette reine avait disparu depuis dix siècles à cette époque (selon la
chronologie biblique)169. Les archéologues estimaient qu'il s'agissait d'un mythe puisque les
premières attestations de reines et du royaume de Saba n'apparaissent seulement qu'à partir
de -750. Tiglath-Phalazar III, par exemple, mentionne: Samsi, la reine d'Arabie (...) Arabie au
pays de Sa[ba’]170, Sargon: It’amar le Sabéen et Sennachérib: Karibilu roi de Saba. Cependant, des
fouilles plus récentes ont montré que l'écriture sudarabique (principal témoin de la culture),
dont les plus anciens témoins archéologiques connus avant 1970 remontaient seulement au
5e siècle avant notre ère, devait en fait remonter au 12e siècle avant notre ère171 (soit 7
siècles plus tôt!). De plus, certains temples de cette région, comme celui d'“Almaqah,
166 Il précise dans sa lettre (EA 287) au pharaon que, malgré les attaques des Apirou [Hébreux] contre les villes voisines, sa maison n'avait
rien à craindre car elle était bien fortifiée.
167 Josué 12:1, 10; 15:63; 1Chroniques 11:4-8.
168 Juges 10:3-13; 12:15-13:1.
169 La reine de Saba est située entre l'an 25 et 30 de Salomon (1Rois 9:10-10:1), soit entre -990 et -985.
170 J.B. PRITCHARD - Ancient Near Eastern Texts
in: Orientalia Lovaniensia Analecta 80. Leuven 2001 Ed. Peeters pp. 81-83.
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 45
172 J.F. BRETON – Le Yemen du royaume de Saba à l'islam. Les sanctuaires de la capitale de Saba, Mârib
in: Dossiers d'Archéologie n°263 mai 2001 pp. 2, 15, 48.
A.V. SEDOV – Temples of Ancient Hadramawt
Pisa 2005 Ed. Edizioni Plus pp. 1, 187-191.
173 W.G. DEVER – Aux origines d'Israël. Quand la Bible dit vrai
tout, quelles que soient la date et la nature des textes, et cela peut faire rêver, mais ne peut rien produire
d'utile. Qu'il y ait des erreurs de détail dans votre exposé est tout à fait secondaire ici ; c'est votre façon de
travailler qui nuira au sérieux de vos recherches. Si on ignore les attaques personnelles, la seule
critique sérieuse concerne la transmission des sources. En effet, il est évident que les
multiples copistes, qui ont recopié les textes anciens, les ont vraisemblablement modifié
(souvent involontairement). Il est cependant possible de réfuter cette objection grâce aux
éditions critiques. Fait intéressant, la critique textuelle, telle que nous la connaissons, est née
au moment de la Réforme à cause des polémiques entre chrétiens et protestants. En effet,
les divergences dogmatiques de l'époque, et source de querelles, ne pouvaient s'imposer que
si le texte, sur lequel on s'appuyait pour les prouver, était irréprochable.
Pour ce qui est de la fiabilité, la Bible est-elle à mettre au même rang que la Chanson
de Roland ou L'Illiade et l'Odyssée ? Deux questions se posent: 1) les renseignements recueillis
par les écrivains bibliques sont-ils exacts, et 2) ces renseignements ont-ils été transmis
correctement? Première difficulté, la Bible étant réservé au culte du Temple, elle n'était
donc pas consultable en dehors de Jérusalem. Les auteurs grecs ignoraient donc son
existence. Le premier qui ait mentionné une Loi de Moïse dans ses écrits est l'auteur grec
Hécatée d'Abdère (vers 315-305), cité par Diodore176. Par contre, grâce aux fragments de
texte biblique exhumés par les archéologues, il est possible de remonter plus haut:
in: Biblical and Judaic Studies Vol 2 (1992) Ed. Eisenbrauns pp. 189-210.
E. TOV – The Texts From Judaean Desert
in: Discoveries in the Judaean Desert XXXIX Ed. Clarendon Press (2002) p. 361.
182 I. FINKELSTEIN – Un archéologue au pays de la Bible
Selon la tradition, le texte homérique fut rédigé vers -850. Hérodote, par exemple,
écrit (entre -455 et -430)190: J'estime en effet qu'Hésiode et Homère ont vécu quatre cents ans avant moi
(Histoire II:53), ce qui place Homère autour de -850. La chronique du Marbre de Paros
(rédigée en -263)191 place la naissance d'Homère vers -905, accréditant de nouveau une
rédaction des œuvres de cet auteur vers -850. Or, selon l'archéologie, l'écriture grecque n'est
apparue que vers -750, soit un siècle après la rédaction supposée du texte d'Homère. Pour
éviter cette difficulté, la date traditionnelle de la composition est abaissée à -750. Certains
archéologues abaissant même cette date jusqu'en -550, considérant que l'œuvre originale
devait être transmise oralement et ne fut mise par écrit définitivement que vers cette date,
183 L.H. SCHIFFMAN – Les manuscrits de la mer morte et le judaïsme
Québec 2003 Éd. Fides pp.35-37.
184 M. LEJEUNE – Phonétique historique du mycénien et du grec ancien
in: Orientalia Lovaniensia Analecta 80. Leuven 2001 Ed. Peeters pp. 59-60.
188 C. ORRIEUX, P. S CHMITT PANTEL – Histoire grecque
car les auteurs grecs anciens citant des vers d'Homère n'apparaissent qu'à partir du 6e siècle
avant notre ère192. Cette façon de procéder illustre la différence de conception entre les
archéologues et les historiens, les premiers s'appuient d'abord sur les témoignages
archéologiques et les seconds d'abord sur les témoignages historiques. Comme les
archéologues considèrent qu'une absence de preuve est une preuve de l'absence, les
datations sont donc différentes. Cette conception des preuves est erronée, car les origines
des œuvres du passé sont toutes dans l'obscurité (et le resteront peut-être à tout jamais) à
cause de l'usure du temps. Entre l'original et les premières copies attestées, il y a toujours
plusieurs siècles. Les œuvres actuelles de la littérature grecque classique (Euripide,
Sophocle, Eschyle, Aristophane, Thucydide, Platon, Démosthène), proviennent toutes de
copies qui sont séparées de plus de 1000 ans avec les originaux. L'auteur latin le plus
avantagé est Virgile, mais l'écart dépasse encore largement 3 siècles avec l'original193. Dans
ces conditions la seule façon de dater ces œuvres est de recourir: aux témoignages
historiques des auteurs anciens eux-mêmes et aux témoignages internes de l'œuvre, grâce à
la mention de certains événements historiques qui peuvent être datés précisément.
Si on applique la méthode des historiens pour dater le paléo-hébreu, plutôt que
celle des archéologues qui donnent une date autour de -1200, on obtient une date beaucoup
plus haute. Selon les premiers historiens, le paléo-hébreu, appelé par eux écriture
phénicienne ou cadméenne, devait remonter autour de -1500.
Selon Hérodote194 (vers -450): En s'installant dans le pays, les Phéniciens venus avec Cadmos,
— et parmi eux les Géphyréens —, apportèrent aux Grecs bien des connaissances nouvelles, entre
autre l'alphabet, inconnu jusqu'alors en Grèce à mon avis: ce fut d'abord l'alphabet dont usent encore
les Phéniciens, puis avec le temps les sons évoluèrent ainsi que les formes des lettres. Leurs voisins
étaient pour la plupart des Grecs Ioniens; ils apprirent des Phéniciens les lettres de l'alphabet et les
employèrent, avec quelques changements; en les adoptant ils leur donnèrent,— et c'était justice puisque
la Grèce les tenait des Phéniciens —, le nom de caractères phéniciens.
Selon Artapan195 (vers -200): Ce fut Moïse le maître d'Orphée. Une fois adulte, il transmit aux
gens beaucoup de connaissances utiles (...) il confia aux prêtres les lettres sacrées, et il y avait aussi des
chats, des chiens, des ibis (...) C'est donc pourquoi Moïse fut aimé des foules et, par les prêtres, qui le
jugeaient digne des honneurs divins, appelé Hermès, vu qu'il interprétait les lettres sacrées.
Selon Eupolème196 (vers -160): Moïse a été le premier à acquérir la sagesse et à transmettre
l'écriture aux Juifs; les Phéniciens la reçurent, puis des Phéniciens les Hellènes, et Moïse a le premier
rédigé des lois pour les Juifs.
Selon Diodore197 (vers -50): Les Muses ont reçu de leur père le don de l'invention des lettres et des
compositions poétiques. Quant à ceux qui soutiennent que les Syriens sont les inventeurs des lettres
qu'ils ont transmises des Phéniciens aux Grecs, par l'intermédiaire de Cadmos, qui arriva en Europe,
et que c'est pourquoi les Grecs nomment Phéniciens les caractères de l'écriture : on leur répond que les
Phéniciens n'ont point primitivement inventé les lettes, et que la dénomination que les Grecs leur ont
donnée vient de ce que les Phéniciens ont seulement changé le type de ces caractères dont la plupart des
hommes se sont servis.
Selon l'historien Tacite198 (vers 100): après avoir découvert que l'alphabet grec non plus n'avait
pas été entrepris et achevé en même temps. Les premiers, les Égyptiens représentaient les conceptions de
leur esprit à l'aide de silhouettes d'animaux; ces témoignages les plus anciens de l'histoire des hommes
se voient, gravés dans la pierre; et ils se prétendent les inventeurs de l'écriture; ensuite les Phéniciens,
parce qu'ils avaient la maîtrise de la mer, l'introduisirent en Grèce et en recueillirent la gloire, comme
s'ils avaient eux-mêmes découvert ce qu'ils avaient reçu d'autrui. Le fait est que l'on raconte que
Cadmos, arrivé avec une flotte phénicienne, enseigna cet art aux peuples grecs encore incultes. (...) la
forme des lettres latines est la même que celle des plus anciennes chez les Grecs.
Malgré leur aspect tardif, les témoignages d'Hérodote et d'Eupolème se recoupent:
un nommé Cadmos/Moïse a transmis l'alphabet [d'origine égyptienne selon Tacite] aux
Phéniciens, puis aux Grecs. La mythologie199 grecque présente Cadmos comme un
descendant d'Épaphos (fils de Zeus) et de Memphis (fille de Nilos, le Nil). Or, la vie
d'Épaphos ressemble beaucoup à celle de Moïse (sous le nom Apopi) puisqu'il naquit près
du Nil et fut caché à sa propre mère quelques temps en Syrie, puis fut élevé en Égypte où il
devint roi200. Cadmos et Moïse sont d'ailleurs souvent mis en parallèle. L'auteur grec,
Hécatée d'Abdère201 décrit (vers -300), comme le fait aussi Diodore202, l'Exode biblique
avec son chef Moïse et le départ d'Égypte des Hyksos sous la conduite de Cadmos et de
Danaos. Tacite (Histoire V:2-5) rapporte, lui aussi, cette version déformée de l'Exode.
in: Comptes-rendus des scéances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres n°95:4 (1951) pp. 445-447.
J. BERARD – Les Hyksos et la légende d'Io. Recherches sur la période mycénienne
in: Syria n°29:1 (1952) pp. 1-43.
201 M. STERN - Greek and Latin Authors on Jews and Judaism
Jerusalem 1976 Ed. Israel Academy of Sciences and Humanities pp. 26-34.
202 Bibliothèque historique I:28,94 XL:3.
50 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
Selon Hécatée d'Abdère, lorsque les Hébreux furent expulsés la plus grande partie fut
conduite en Judée par Moïse et une petite partie alla vers la Grèce avec Cadmos et Danaos
à leur tête. Homère203 affirmait (vers -850) que les ancêtres des Grecs furent les Danaens,
les fils de Danaos. Le Marbre de Paros (daté de -264) fixe l'arrivée de Cadmos à Thèbes en
-1519 et le départ de Danaos en Égypte pour la Grèce en -1511. L'historien Paul Orose204
(en 417) datait cet épisode en 775 avant la fondation de Rome, soit en -1528. Diodore de
Sicile, tout en reprenant le récit d'Hécatée, écrivait que Cadmos vécut à Thèbes205, en
Égypte, et que son histoire fut adaptée et modifiée par les Grecs206. Le nom Cadmos ne
signifie rien en grec, mais ‘Est’ ou ‘Oriental’ en hébreu207. Les anciens historiens donnent
donc des précisions concordantes: un Oriental en contact avec les Phéniciens vécut en
Égypte peu avant -1500 et légua l'alphabet aux Grecs. Moïse et Cadmos sont des Sémites
ayant vécu aux mêmes endroits, à la même époque, et ayant accompli des actions
identiques. Il semble donc légitime d'identifier les deux personnages.
La paléographie208 a confirmé indirectement cette trame chronologique. Il est en
effet admis que le premier alphabet appelé proto-sinaïtique (qui devint le proto-cananéen),
apparut entre 1700 et 1500 dans la région du Sinaï (Serabit el Khadim) où se trouvaient des
princes hyksos venus de Syrie-Palestine. Cet alphabet d'origine sémitique, peut-être sous
l'influence des hiéroglyphes égyptiens, évolua vers l'alphabet phénicien209 que les Grecs ont
ensuite adopté en le modifiant avec le temps. Selon Homère, les Grecs d'avant la guerre de
Troie connaissaient l'écriture210. Le paléo-hébreu est une écriture que l'on rencontre déjà sur
des jarres et des pots datés du 13e siècle avant notre ère. En fait, selon le texte d'Isaïe 19:18,
l'hébreu et l'araméen, formaient la "langue de Canaan", et étaient assez proches (classée
aujourd'hui dans le groupe sémitique du nord-ouest). Les tablettes de Tell el-Amarna
parlent de "langue de Canaan" (Kinaḫna), un terme déjà utilisé à Mari211 vers -1800 (Ki-na-
aḫ-nu). Selon un texte biblique212, au temps de Josias (vers -630), une antique copie du
Pentateuque fut retrouvée, suggérant qu'elle avait été écrite dans le paléo-hébreu de
l'époque. Selon ce récit, Moïse serait ainsi celui qui officialisa l'utilisation du paléo-hébreu,
203 L'Odyssée V:306 (le nom Danaens semble provenir de l'akkadien dananu(m) "puissant").
204 Histoire contre les païens I:11:1-I:12:7.
205 Selon Hésiode (vers -700), Thèbes fut construite par Cadmos (Thèbes devint capitale égyptienne au début de la XVIIIe dynastie).
206 Bibliothèque historique XL:3; I:23.
207 Les habitants du Sinaï sont appelés "fils de l'Est/ Orientaux" (Job 1:3; Genèse 29:1) ou "Qadmonites" (Genèse 15:19). Ce terme
Qedem (qdmw) est ancien, car il apparaît déjà dans une stèle du pharaon Mentouhotep II (2045-1994).
208 J. F. HEALEY - Les débuts de l'alphabet
in: Bulletin of the American Schools of Oriental Research 267 (1987) pp. 1-19.
215 J. YOYOTTE – Dictionnaire des pharaons
in: Actes du second Colloque international Bible et informatique. Paris 1989 Éd. Champion, Slatkine pp. 179-207.
52 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
entre les versions, à la mode BHS, absolument injustifiée, sinon par un fervent désir de trouver à tout prix
des divergences) (...) Cette catégorisation permet aussi de faire le point sur plusieurs débats de la critique
biblique. En effet, contrairement à l'idée reçue, les trois codices orientaux sont absolument identiques au
niveau consonantique ainsi défini, ce qui relève d'une transmission absolument hors du commun et dont on
ne connaît par ailleurs aucun exemple en dehors du champ biblique. Le texte du rouleau d'Isaïe
trouvé à Qumrân (1Qa et 1Qb, daté paléographiquement entre -150 et -50), par exemple,
est absolument identique (à la lettre près!) au texte actuel des Bibles hébraïques.
La Bible, à la différence de la Chanson de Roland ou de L'Illiade et l'Odyssée, a transmis
des centaines de données qui sont historiquement identifiables et parfaitement datables.
Comme on l'a vu, 10 rois judéens et 7 rois israélites ont été attestés par l'archéologie, de
plus, la chronologie de tous ces règnes a été confirmée par les chronologies synchronisées.
Selon les critères des historiens, cela aurait dû être une garantie d'historicité du texte
biblique, mais la plupart des spécialistes continuent à prétendre, sans en apporter la
moindre preuve, que le texte biblique n'est pas un document, phrase répétée ad nauseam y
compris par les biblistes (ce qui conforte les préjugés des archéologues!). Dans sa lettre
datée du 12 juillet 2004, Lucien-Jean Bord me précise: Ce n'est point uniquement le sumérologue
qui vous écrit cela mais aussi le bibliste. N'oubliez pas que la Bible ne prétend aucunement à l'historicité
(sinon dans la pensée de certains fondamentalistes), mais se place sur le plan d'une historiographie
théologique particulièrement formulée lors de la période exilique et post-exilique : c'est la majorité du texte
vétérotestamentaire dont nous disposons. Ce bibliste sait-il que la Bible somme en permanence ses
lecteurs de refuser les fables et les tromperies (1Timothée 4:1-7)
La Bible a la prétention d'être la "vérité", y compris sur le plan historique. La
"vraie" question pour l'historien n'est pas de nature théologique ou religieuse, mais de
savoir si le texte biblique peut-être utilisé comme un document historique. J'ai posé cette
question de l'historicité de la Bible à l'égyptologue Jean-Claude Goyon qui m'a répondu
dans sa lettre datée du 18 avril 2001: Dans votre courrier du 4 de ce mois, vous soulevez à nouveau la
question de l'Exode, de la crédibilité des récits bibliques et des problèmes que ceux-ci créent sur le plan
historique dans le monde des égyptologues (...) Mais, comme je le disais, il me faut faire part de mon
scepticisme total envers les récits qui n'ont rien d'historique de la Bible (en gras dans le texte)
yahviste ou massorétique! Ce que je souhaite montrer, pour être clair, c'est qu'aucune source égyptienne ne
mentionne les Hébreux (...) En allant au bout de ma pensée, je dirais simplement que pour un Égyptien
antique, à la question "Israël ?", la réponse est "Connais pas !" (...) Tout sonne faux dans le conte des
relations entretenues par Moïse avec la cour du "Pharaon". Pour résumer ces quelques arguments:
"l'absence de preuve dans les archives égyptiennes est une preuve de l'absence de l'Exode,
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 53
de plus, la Bible n'est pas un document historique, car tout sonne faux". Quand on sait que
les annales égyptiennes ont presque entièrement disparu (en fait, à la question: "Annales
égyptiennes ?", la réponse de l'historien est "Connais pas"), l'argumentation de cet
égyptologue repose donc essentiellement sur ses préjugés. Les actes de Moïse se produisent
durant la brève période des 10 plaies, or la Stèle de la tempête d'Ahmosis et les Admonitions
d'Ipuwer décrivent sensiblement de la même façon cette période catastrophique de l'Égypte.
Après avoir vérifié que la Bible était un document historique fiable pour la période
des royaumes judéens et israélites, et avant d'examiner si l'historicité de la Bible reste
valable pour l'ancienne Égypte, il est utile de vérifier si les données historiques de la Bible à
propos des souverains étrangers sont confirmées et exactes chronologiquement. Le texte
biblique cite les rois suivants (les dates de règnes proviennent des chronologies
synchronisées, celles qui sont en désaccord avec les chronologies moyennes "classiques"
ont été surlignées. Les rois non encore identifiés portent une étoile et ceux qui sont
orthographiés différemment, suivant les sources, ont été placés entre parenthèses):
Parmi les 43 rois nommés, 38 ont depuis été confirmés par l'archéologie. De plus, si
on compare la chronologie israélite synchronisée avec les autres chronologies synchronisées
tous les synchronismes entre ces chronologies concordent eux aussi, sans exception. Ce qui
est encore plus impressionnant c'est que, dans onze cas (règnes surlignés), la chronologie
israélite est en accord avec les autres chronologies synchronisées, alors que les chronologies
moyennes, habituellement utilisées, sont mises en défaut. Ces onze cas constituent un
excellent critère de fiabilité du texte biblique (ils seront examinés en détail lors de
l'établissement de la chronologie israélite synchronisée). La chronologie historique prime
sur la chronologie archéologique. Les études archéologiques récentes217 ont débouché sur
une mise au point des problèmes de datation: L'essentiel de la chronologie absolue pour l'archaïsme
grec repose sur un texte de Thucydide (...) pour déterminer une date, ce sont les textes qui éclairent les
données de fouilles, plus que les données de fouilles n'éclairent les textes. Le matériel archéologique n'a que
très rarement une autonomie de datation (...) La chronologie du matériel archéologique relève d'un perpétuel
« bricolage », dont les fondements sont souvent remis en cause (...) Récemment, E.D. Francis et M.
Vickers s'en sont pris à la validité même de ce système, et ont voulu abaisser l'ensemble des dates jusque-là
admises de 30 à 50 ans. Leurs critiques ont pris des voies multiples, dont l'une concerne la céramique
attique, clef de voûte de la chronologie des années 550-490 av. J.-C. (...) leur révision a eu un mérite,
obliger les archéologues à revoir au plus le grand château de cartes sur lequel se fonde la chronologie de cette
période. L'archéologie ne peut donc être utilisée pour dater précisément l'Exode.
XIXe siècle au nôtre, portent encore témoignage. Ces querelles opposent les partisans d'une chronologie dite «
longue », généralement les plus éloignés d'un usage scientifique des sources documentaires, aux tenants d'une
histoire moins poétique et plus tributaire des données de l'archéologie. Elles ont fini par s'apaiser, et l'on
s'en tient généralement aujourd'hui à une chronologie « courte » sur laquelle tout un chacun, ou presque,
s'accorde, à quelques générations près. Cette remarque montre que l'utilisation scientifique des
sources documentaires a produit un rajeunissement des chronologies classiques que Grimal
qualifie fort justement de "poétiques". En introduction de sa chronologie égyptienne,
Clayton220 précise encore: Avec toutes les informations chronologiques disponibles, on s'étonnera peut-
être qu'il soit extrêmement difficile d'établir des dates absolues dans la chronologie égyptienne (…) Cela
montre le flottement de la chronologie égyptienne qui est calculée essentiellement à partir des années de règne
de chaque roi, lorsqu'elles sont connues. Ces périodes sont ancrées, en amont et en aval, aux trois levers
héliaques de Sirius mentionnés ci-dessus. On reconnaît en général que la chronologie égyptienne est sur un
terrain sûr à partir de 664 av. J.-C., c'est-à-dire au début de la XXVIe dynastie. Le constat est clair:
les chronologies actuelles (non synchronisées) ne sont pas satisfaisantes, de plus, se
contenter de lire les textes anciens uniquement muni d'une critique des sources n'est pas
acceptable. Sans chronologie rigoureuse, l'histoire n'est qu'une branche de la philosophie.
C'est pourtant cette chronologie incertaine qui est utilisée par les archéologues pour
attaquer l'authenticité de la Bible.
Certains égyptologues datent pourtant certaines batailles au jour près , comme celle
de Qadesh sous Ramsès II ou celle de Megiddo sous Thoutmosis III, donnant ainsi
l'illusion d'une très grande exactitude, alors que chaque égyptologue possède en fait sa
propre chronologie, qui peut s'écarter de celle de son collègue jusqu'à 40 ans.
objective. Assman221 écrit, par exemple: J'ai toujours eu conscience du défi que représentait le livre de
Freud pour l'égyptologie (…) L'objectif d'une étude d'histoire de la mémoire ne réside pas dans
l'établissement d'une vérité potentielle des transmissions —en l'occurrence les différentes traditions qui
appréhendent la figure de Moïse—; il s'agit bien plutôt d'étudier ces formes de transmission elles-mêmes en
les considérant comme des manifestations de la mémoire collective, ou plutôt de la mémoire culturelle. Les
souvenirs peuvent être faux, déformés, inventés ou implantés artificiellement comme l'ont montré de récents
débats dans le domaine de la psychanalyse (...) J'ai baptisé “Moïse l'Égyptien” cette trace verticale de la
mémoire que j'ai suivie depuis Akhenaton jusqu'au XXe siècle. Je ne cherche pas pour autant à poser la
question de l'origine égyptienne, hébraïque ou madianite de Moïse, a fortiori pas à y répondre. Cette
question concerne le Moïse historique, et c'est donc à l'histoire de la poser (…) Moïse l'Égyptien est un cas
typique de contre histoire (…) il existe de bonnes raisons (et je crois en effet que ces raisons existent, mais
c'est une autre histoire) à ce que Moïse, si jamais il a vraiment existé, ait réellement été égyptien. Assman
est considéré comme une référence, mais un critique a remarqué que: L'auteur s'oppose en
leitmotiv à la prétention du monothéisme à s'ériger en vérité unique (...) l'égyptologue estime probable
l'appartenance de Moïse à l'Egypte, sans pouvoir l'établir. Tout au plus note-t-il dans le dernier chapitre du
livre —le seul qui mobilise ses compétences d'égyptologue au sens usuel du terme— de frappantes similitudes
entre quelques hymnes datant du pharaon Akhenaton-Aménophis IV, qui tenta de substituer à la religion
de l'Egypte un culte solaire et certains psaumes. A l'en croire, une telle analogie s'explique222. Krauss223,
un autre égyptologue faisant autorité, écrit: Deux articles parurent en 1937, l'un sous le titre de
“Moïse, un Égyptien”, l'autre sous celui de “Si Moïse était un Égyptien”. En 1939, quelques mois avant
sa mort à l'âge de 83 ans, Freud réunit, dans un livre intitulé L'Homme Moïse et la religion
monothéiste, les deux essais de 1937, augmentés d'un troisième, “Moïse, son peuple et la religion
monothéiste”, dans lequel il exposait une théorie psycho-religieuse touchant à la genèse du monothéisme (…)
De mon côté je ne puis, en tant que chercheur, qu'acquiescer à la conclusion de Freud. Mais du point de vue
historique, a-t-il touché juste en faisant de Moïse un Égyptien. Krauss répond ensuite à sa propre
question quand il identifie, grâce à la similitude des noms, Moïse au pharaon Amon-masesa
ainsi qu'à Masesaya le vice-roi de Nubie. Le fait que des égyptologues réputés utilisent la
psychanalyse freudienne pour appuyer leurs conclusions est très étonnant quand on
connaît les propos du célèbre psychanalyste Lacan224.
221 J. ASSMAN – Moïse l'Égyptien
Paris 2001 Éd. Flammarion pp.24,29-33.
222 N. Weill in: journal Le Monde du 27/09/2001
223 R. KRAUSS – Moïse le pharaon
les éblouir avec des mots, c'est quand même ce qu'on appelle d'habitude du chiqué (…) Il s'agit de savoir si Freud est oui ou non un événement historique. Je crois
qu'il a raté son coup. C'est comme moi, dans très peu de temps, tout le monde s'en foutra de la psychanalyse.
C. MEYER, M. BORCH-JACOBSEN, J. COTTRAUX, D. PLEUX – Le livre noir de la psychanalyse
Saint-Amand-Montrond 2005 Éd. Les arènes p. 89.
58 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
Le critère le plus élémentaire pour dater l'Exode serait d'utiliser les données
chronologiques contenues dans le texte biblique, mais les égyptologues préfèrent utiliser
l'onomastique et les étymologies pour obtenir cette datation, même si cette méthode est
très hasardeuse. L'Exode est ainsi placé durant le règne du prestigieux Ramsès II,
uniquement en s'appuyant sur l'homonymie de ce pharaon avec la ville du même nom.
Cette assertion ne tient pas car l'homonymie n'est pas bonne. En effet, la ville s'appelle
Ra‘amsés225 et non Pi-Ra‘msés et ensuite rien ne prouve qu'il y ait eu un lien entre cette
ville, qualifiée de ville-entrepôt selon le texte biblique et non de capitale, et le pharaon très
connu Ramsès II. Redford écrit: La Raamsès de la Bible et la capitale Pr R‘mśśw [Per-Ramsès],
excepté le nom propre, semblent ne rien avoir en commun. En l'absence complète d'indications corroborantes,
il est absolument essentiel d'être circonspect quant à assimiler les deux226. En fait, le nom de Ra‘amsés
ne désigne pas un pharaon mais une ville entrepôt: C'est ainsi qu'il bâtit pour Pharaon les villes
entrepôts de Pithom et de Ra‘amsés. Si le pharaon avait été Ramsès la lecture la plus logique
aurait été: C'est ainsi qu'il bâtit pour Ramsès les villes entrepôts de Pithom et celle de son nom. De plus,
la mention du nom d'un pharaon aurait constitué l'unique exception dans tout le
Pentateuque, car le premier pharaon nommé dans le texte biblique n'apparaît qu'à partir du
roi Salomon (Chéchanq Ier). Le seul renseignement historique sur la localisation de la ville
de Ramsès227 est donné par Flavius Josèphe228, qui fait commencer l'Exode par la ville de
Létopolis (proche de Memphis) qui est sans lien notable avec Ramsès II. De même, le nom
qui apparaît dans l'expression: pays de Ramsès désignait une région particulière à l'époque de
Joseph, le fils de Jacob (soit deux siècles avant Moïse), aussi appelée pays de Goshèn229, et non
un pharaon précis. En fait, les termes égyptiens Ra "soleil" et mes "engendré de" sont tous
les deux très anciens, puisque le nom de naissance des pharaons était toujours précédé de
l'expression sa Ra‘ "fils du Soleil" dans leur titulature. Lorsque ce titre était utilisé en nom
propre, le nom du dieu était placé en antéposition honorifique: Ra‘-mes "Ramsès" au lieu
de mes-Ra‘ "Mesore" désignant le dernier mois de l'année égyptienne. L'expression "pays
de Ramsès" pouvait être comprise comme "pays de fils du Soleil [pharaon]".
Vraisemblablement ce pays de Goshèn devait correspondre au 14e nome de Basse Égypte,
appelé "nome de l'Orient", car la ville de Tanis (et aussi celle d'Avaris) en faisait partie selon
le texte biblique230.
225 Exode 1:11.
226 D. REDFORD - Vestus Testamentum
Leyde 1963 p. 410.
227 E.P. U PHILL - Pithom and Raamses: Their Location and Significance
Vandersleyen objecte à juste titre qu'il n'y a aucune trace archéologique de l'Exode
sous Ramsès II231, ce qui entraîne une conclusion logique: l'Exode biblique serait une
histoire pieuse, écrite après coup, enjolivée pour la postérité232! En fait, cette conclusion
était prévisible en fonction des hypothèses présupposées. Krauss233 écrit, par exemple: Si
l'on veut retrouver le Moïse biblique dans l'histoire de l'Égypte ancienne, il convient dans tous les cas de
chercher un Égyptien ayant porté le même nom ou du moins un nom très proche, et précise concernant
la chronologie: On sait que les écrits bibliques ne fournissent aucune réponse directe à la question de la
position chronologique de Moïse. Il est certes dit, dans le premier livre des Rois, que Salomon a édifié le
Temple de Jérusalem 480 ans après la sortie d'Égypte, soit en l'an 4 de son règne (…) D'après les Rois, le
règne de Salomon a commencé vers ≈ 970; la sortie d'Égypte du peuple d'Israël ayant eu lieu 480 ans, la
4e année de son règne, Moïse aurait vécu vers ≈ 1450. Toutefois, d'après les listes généalogiques des prêtres,
incluses dans la Bible, cette date approximative devrait être avancée d'environ 200 ans, ce qui nous amène
aux alentours de ≈ 1250. Il va de soi que ces généalogies sacerdotales n'ont aucune authenticité historique,
mais ce point est sans conséquence dans le cadre de notre enquête. Il nous importe peu que ces documents
soient des inventions pieuses; l'essentiel est que Moïse y ait été situé à une époque déterminée. Le premier
livre des Chroniques, qui a probablement été rédigé vers ≈ 200 et ne donne nulle part l'impression de
toucher à la vérité historique, contient les généalogies. Pour résumer l'argumentation de Krauss
"d'après les écrits bibliques, Moïse aurait vécu vers ≈ 1450, mais selon des généalogies, sans
authenticité historique, la date qu'il conviendrait de retenir est située vers ≈ 1250, période
pendant laquelle il faut rechercher un nom égyptien proche de Moïse". Ce raisonnement,
bien qu'illogique, est adopté par beaucoup d'égyptologues et les avis de la célèbre
égyptologue Desroches Noblecourt sont représentatifs de l'ignorance de cette profession
en ce qui concerne la chronologie israélite. Elle écrit: Le nom biblique de la ville Ramsès peut
naturellement être rapproché de celui de Pi-Ramsès, pour la construction de laquelle on sait que furent
enrôlés les Apirous, avec les soldats du roi, à tirer les pierres vers le pylône du palais de Ramsès
II, et bien d'autres monuments. Le nom de Moïse, issu de Mosé (mès = enfant, mésy = mettre au
monde, etc.), constitue également la déviation du nom très égyptien dont la première partie est constituée d'un
nom divin Thotmès, Ramès, etc. Beaucoup d'Égyptiens, à la XIXe dynastie, portaient le nom de Mès (…)
Une impression se dégage maintenant d'elle même : il apparaît, après cette brève analyse, que le récit en
question est le résultat d'un brassage de faits indépendants les uns des autres, remontant à diverses époques
231 C. VANDERSLEYEN - L'Egypte et la vallée du Nil Tome 2
Paris 1995 Éd. Presses Universitaires de France pp. 232-237.
232 E. B LOCH-SMITH - Israelite Ethnicity in Iron I: Archaeology preserves what is remembered and what is forgotten in Israel's history
recueillis très tardivement et recouvrant probablement un événement très mineur, en tout cas aux yeux des
Égyptiens (…) Quant à D. Redford, il en est même arrivé à penser que les «historiographes bibliques» ne
connaissaient pas très bien l'histoire en général, et particulièrement la façon dont les Égyptiens gouvernaient
la Palestine. Il estime que la légende de l'Exode ne reflète pas la situation de l'Égypte des XVIIIe et XIXe
dynasties, mais plutôt la période de la XXVIe dynastie (…) Dans l'état actuel de nos connaissances, où
l'on ne peut mettre en regard la chronologie, pratiquement fiable, établie pour le règne de Ramsès, et celle du
récit biblique à ce jour inexistante, il paraît donc bien hasardeux de fixer l'Exode à une date précise. Les
quelques indices relevés permettraient de placer l'événement au début du règne de Ramsès II. Pour
résumer l'argumentation de Desroches Noblecourt: "la chronologie biblique est inexistante
(sic), mais le nom de Moïse qui est d'origine égyptienne sous la forme Mès apparaît surtout
durant la XIXe dynastie, ce qui permet de situer l'Exode probablement au début du règne
de Ramsès II234". Cependant, comme le remarque Vandersleyen: Tous ces calculs nous amènent
bien avant Ramsès II, et précisément au XVIe siècle. Sans doute la fiabilité de ces chronologies n'est pas
prouvée, mais elles sont écartées –alors qu'elles existent- parce qu'elles contredisent la datation basse de
l'Exode qui ne repose sur aucun document (…) Ne faudrait-il pas plutôt remonter l'Exode au XVIe
siècle? (…) On a noté que toutes les solutions proposées aux problèmes de l'Exode sont spéculatives et font
abstraction des rares données chiffrées conservées dans la Bible et dans Manéthon. Or la date donnée par
Manéthon –que l'Exode aurait eu lieu sous Amosis- est la seule qui soit vraiment précise (…) En somme,
quelles que soient les objections des exégètes d'aujourd'hui, il ne faut pas refuser a priori d'étudier le
problème de l'Exode en liaison avec l'expulsion des hyksos235.
L'hypothèse classique de l'homonymie est-elle fondée? La réponse est non, car le
rapprochement entre le nom de Moïse et la forme mosis signifiant "fils" en égyptien, que
l'on trouve fréquemment à cette époque dans les noms égyptiens Thoutmosis, Ahmosis,
etc., est tentant, mais non fondé. En effet, les adeptes de ces étymologies exotiques
"oublient" de signaler que la vocalisation des noms égyptiens est très hypothétique, certains
préférant plutôt utiliser les formes Thoutmès, Ahmès, etc. Cet éclairage égyptien contredit
l'étymologie biblique236 qui relie ce nom au verbe hébreu [rare] mashah "tirer [de]". De plus,
Moïse ne reçu ce nom que 3 mois après sa naissance, soit un nom de baptême, ce qui sous-
entend un nom de naissance différent (généralement donné au 8e jour). Le nom de
naissance de Moïse, qu'il n'a porté qu'après ses 40 ans, devait être Apopi237.
234 C. DESROCHES NOBLECOURT – Ramsès II La véritable histoire
Paris 1996 Éd. Pygmalion pp. 248-256.
235 C. VANDERSLEYEN - L'Egypte et la vallée du Nil Tome 2 (1995 PUF) pp. 232-237.
236 Exode 2:2-10.
237 Moïse devait vraisemblablement s'appeler "très beau, magnifique" à sa naissance, selon Exode 2:2, soit Apopi en hébreu (ce terme
apparaît, par exemple, en Jérémie 46:20). Selon le prêtre égyptien Manéthon, le dirigeant juif changea son nom égyptien, qui était
Osarseph (Aaousseré-Apopi) en Égypte, en celui de Moïse lorsqu'il arriva en Palestine (Contre Apion I:250, 265, 286). Ce point est
examiné en détail dans la partie 2.
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 61
Bien qu'il y ait un lien évident entre la définition biblique et l'étymologie (au sens
grammatical), il n'y a pas d'équivalence absolue238, car l'étymologie biblique est souvent
fondée sur un jeu de mots. Le nom Moïse, par exemple, peut s'expliquer comme "tirant de
[l'eau]", en supposant un rapprochement avec la forme mashouy "étant tiré [de]". Ce nom est
mis en parallèle avec le peuple qui allait être "tiré de [l'eau]" par celui qui deviendrait
l'homme moshèh "tirant [son peuple de l'eau]239". La première voyelle du nom Moïse est "o"
dans le texte hébreu et "ou" dans le texte grec, mais jamais "a" ou "e", ce qui empêche un
rapprochement avec le mot égyptien mes signifiant "fils", que l'on trouve dans le nom Ra-
mes-ès. Le texte biblique a préservé la vocalisation égyptienne du mot mes "fils" dans le
nom de Ra-mes-ès240, qui est donc différent du nom Moshèh. Si le nom Moïse provenait de
l'égyptien, le texte biblique l'aurait préservé sous la forme exacte Mes (ou Mesh, car les sons
s et sh sont fréquemment intervertis).
En fait, l'hypothèse égyptienne du nom de Moïse est très ancienne puisque Flavius
Josèphe écrivait déjà au 1er siècle: C'est d'après cet incident qu'il reçut ce nom, rappelant son
immersion dans le fleuve: les Égyptiens appellent l'eau môu et ceux qui sont sauvés ysès. Ils lui donnèrent
donc ce nom, composé de deux mots241. Cette explication est cependant inexacte car, en égyptien,
ces mots auraient dû être mw-ḥsy "eau – favorisé (?)". Si son explication provenait du copte:
môu-ouṣai "eau - sauver", elle contredit toutefois l'étymologie biblique qui relie ce nom à
"tirer hors de" et non à "sauver". Philon242 d'Alexandrie rattachait aussi l'étymologie du
nom de Moïse au mot égyptien môu "eau", sans expliquer le sens de la partie finale du nom.
De toute façon, ces auteurs anciens sont d'accord pour vocaliser le début du nom de Moïse
en môu-se et non mes, et ils n'évoquent jamais un lien avec le mot égyptien mes "fils" alors
que Philon vivait en Égypte. La fille de pharaon a vraisemblablement appelé le bébé Mousa
(mw s3) signifiant "fils d'Eau", nom qui fut ensuite adapté à l'hébreu en moshèh "tirant [de]"
(d'un verbe hébreu très peu usité). L'utilisation de l'onomastique et de l'étymologie ne
permettent donc pas d'établir une datation fiable. Les égyptologues n'utilisent pas la
chronologie biblique, parce qu'ils la connaissent mal, voire pas du tout.
238 A. STRUS - Nomen Omen
in: Analecta Biblica 80. Rome 1978 Éd. Biblical Institute Press pp. 82-89
239 'Isaïe 63:11,12
240 Genèse 47:11.
241 Les Antiquités juives II:228.
242 De vita Mosis I:17.
62 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
Une autre raison qui peut expliquer l'ignorance de certains égyptologues concernant
le texte biblique est une sorte de dévotion religieuse à l'Égypte. Dans sa lettre du 30 mai
2005, Goyon m'a répondu: Je vous dénie le droit d'écrire que les "récits égyptiens sont bourrés d'une
mythologie grossière avec ses dieux, mi-humains, mi-animaux", si je vous fais grâce de la "vantardise" et
des "perpétuelles victoires". La théologie antique de l'Égypte n'est pas une "mythologie" encore moins
"grossière" et son système d'image/écrit est le plus élaboré de l'histoire humaine pour traduire l'omniprésence
et puissance du divin. La vision étriquée du judéo-christianisme conduit à des expressions ineptes et
insultantes. Visiblement la défaite d'un antique pharaon devant Moïse a laissé des traces.
Quelques rares égyptologues connaissent cependant les rudiments de la chronologie
biblique. Paul Barguet243, me précisait dans sa lettre datée du 1er avril 2001: Merci pour votre
lettre; les renseignements qu'elle m'apporte sur l'Exode et les discussions que provoque son temps, m'ont
intéressé. Je suis seulement égyptologue, mais les problèmes que pose son histoire m'ont depuis longtemps
intéressé, et j'avais essayé, il y a de cela quelques années, d'y voir plus clair car le sujet est très intéressant et
même passionnant, et je m'étais rédigé, pour y voir plus clair moi-même, une sorte d'état des choses; je me
permets de vous le communiquer; naturellement je peux me tromper totalement, mais je crois, comme vous,
que situer l'Exode sous Ramsès II est une erreur (...) Le point de départ important qu'il convient de situer
est la date de naissance de Moïse. En suivant de près le texte de la Bible, j'arrive aux conclusions suivantes:
Moïse aurait été recueilli par la fille de Thoutmosis Ier, Hatchepsout, vers -1500. Les calculs de cet
égyptologue sont assez bons, mais dépendaient de la chronologie biblique de l'époque, or
les biblistes, qui ont établi cette chronologie, ont procédé comme les égyptologues, non à
partir du texte, mais à partir de l'onomastique et des étymologies! De Vaux244 écrit: C'est
aussi le dernier et le principal des rédacteurs deutéronomistes qui a donné au livre son cadre chronologique.
Les indications temporelles sont fréquentes (...) Cette chronologie fait partie d'un système plus vaste qui
s'étend à d'autres livres historiques. D'après la rédaction deutéronomiste de I Rois 6:1, il s'est écoulé 480
ans entre la sortie d'Égypte et le début de la construction du temple en la 4e année de Salomon, mais à
cause de nombreuses erreurs dans ses propres calculs, il conclut: Certains chiffres peuvent
provenir d'une bonne tradition, mais le système dans lequel ils sont intégrés est certainement une construction
du rédacteur et il nous faudra chercher à établir par d'autres moyens la chronologie de la période des Juges.
Valeur historique [du livre des Juges]: Nous venons de dire que le cadre historique que le Deutéronomiste a
donné au livre ne peut servir l'historien. Cette conclusion de non historicité de la Bible, repose en
fait sur de grossières erreurs dans la durée de plusieurs règnes245.
243 Le seul égyptologue, que j'ai connu, à ne pas mépriser les données bibliques. Beaucoup d'égyptologues m'ont tenu des propos
virulents contre la Bible et ceux qui ont appris par la suite mon appartenance religieuse ne m'ont plus adressé la parole.
244 R. DE VAUX – Histoire ancienne d'Israël 2
Les biblistes actuels ne sont pas meilleurs en calcul, Soggin 246 écrit, par exemple:
Nous voici arrivés à la question des données chronologiques contenues dans le récit, qui constitue un autre
problème complexe. Dans Genèse 15,16 et suiv. (un passage dtn ou dtr) et dans Ex 12,40 et suiv. (P),
sont respectivement mentionnés 400 et 430 ans écoulés entre l'époque d'Abraham et celle de l'exode.
Cependant, dans Genèse, il n'est question que de quatre générations, donc d'une période de maximum 60-
120 ans. La chronologie de 1 R 6,1 essaie de rattacher aux deux premières chiffrées (400 et 430 ans, cf.
infra, chap. 8, 1e): la chronologie de la construction du temple est fixée par l'historien dtr à 480 ans après
l'exode Sur le plan historiographique, ces derniers chiffres sont tous problématiques et ne peuvent en aucune
façon de base à une reconstruction de la chronologie de la préhistoire d'Israël. On peut les expliquer dans
une perspective non pas historiographique, mais théologique et idéologique, tandis que les deux premières
données chiffrées ne semblent avoir, pour l'heure, aucun sens précis pour nous. La conclusion est qu'il serait
sage de renoncer à l'élaboration d'une chronologie, étant donné l'insuffisance des éléments dont nous
disposons. Soggin laisse croire que les chiffres du texte biblique sont contradictoires, alors
qu'il n'effectue aucun calcul. En fait, s'il avait effectué une addition des durées pour calculer
le séjour en Égypte il aurait trouvé 215 ans, résultat déjà connu de Flavius Josèphe247, au 1er
siècle. De plus, s'il avait bien lu la Bible, il aurait vu que les quatre générations sont
mentionnées en Exode 6:16-20, par exemple, puisqu'on lit: Voici les noms des fils de 1) Lévi (à
l'entrée en Égypte) avec leurs descendances: Gershôn, 2) Qehat (...) fils de Qehat: Amram (...) 3) Amram
épousa Yokébed, sa tante, qui lui donna Aaron et 4) Moïse (à la sortie d'Égypte). Amram vécut 137 ans.
Il y a bien quatre générations, d'une durée moyenne de 54 ans, il n'y a donc aucune
contradiction, mais plutôt un excellent accord des données chronologiques entre elles. La
dernière question qui gêne les spécialistes actuels: les âges aberrants de la Bible, comme les
137 ans d'Amram, les 147 ans de Jacob, etc., sont-ils acceptables?
avait pris sa retraite à 68 ans, selon ses dires (ce qui paraît plausible, mais en Inde, à cette
époque, il n'y avait pas d'âge de la retraite imposé), et touchait sa pension depuis 1938. Le
document officiel enregistré par la caisse de retraite, date sa naissance du 20 mai 1878, au
lieu de 1870. Cet homme aurait donc prit sa retraite à 58 ans, au lieu de 68 ans, ce qui lui
donnerait un âge "plus réaliste" de 130 ans. Cette valeur de 130 ans, plus du double de
l'espérance de vie à la naissance (62,5 ans en 2000 en Inde), est aberrante, cependant elle
n'est pas invraisemblable. De même, le Canon royal de Turin donne une valeur de [1]53 ans
pour la durée totale de la XIIIe dynastie, et cette durée est acceptée249, car les 50 rois
supposés de cette dynastie ont effectivement eu un règne d'une duré moyenne d'environ 3
ans250. Cette valeur est pourtant aberrante. En effet, si on suppose qu'un homme devient
père au bout de x années, puis devient roi au bout de y années, puis meurt au bout de z
années, on peut facilement montrer que si son fils monte sur le trône à la mort de son père
et que ce processus se reproduit à l'identique, on obtient mathématiquement l'équation: x =
y = z. Cela signifie qu'un roi règne en moyenne le tiers de sa vie. En utilisant la valeur de 3
ans, cela impliquerait qu'il serait devenu père à 6 ans et serait mort à 9 ans, ce qui "paraît"
impossible. Malgré cette impossibilité apparente, les chiffres du Canon sont acceptés, car
on suppose l'existence d'une explication que l'on ne connaît pas encore.
La durée de vie de quelques personnages bibliques sur la période des deux premiers
millénaires avant notre ère est la suivante:
Les chiffres des durées de vie ne paraissent aberrants que sur la période 2000-1500.
Première question: ces chiffres ont-ils été correctement retransmis? Le fait qu'il n'y ait
aucun écart entre le texte massorétique, la Septante et le Pentateuque samaritain est un fort
indice d'authenticité. Une deuxième façon d'en tester l'exactitude est de vérifier s'ils
induisent des contradictions chronologiques (du type de celles que l'on trouve dans la
Septante pour la période des Rois)251. Reconstitution de la période (examinée en détail dans
la partie 2) allant de 2000 à 1500, selon les chiffres du texte biblique:
2038 1963 1938 1933 1878 1788 1748 1678 1573 1533 1493 1488
a b c d e f g h i j
5 400
75 25 (3x50) 40 215 40 5
100 60 90 110 105 40
430
(2x50) 450 (9x50)
a) Arrivée d'Abraham en Canaan à l'âge de 75 ans252 et début des 430 ans de résidence en
terre étrangère253 (la naissance d'Abraham remonte en -2038).
b) Abraham à 100 ans254, naissance d'Isaac l'ancêtre du peuple d'Israël et début d'une
période de 450 ans255 (le fils d'Agar est âgé de 14 ans)256.
c) Isaac sevré à 5 ans257, période de 400 ans d'afflictions258 débutant avec les persécutions
sur Isaac259 par le fils d'Agar et se terminant à la sortie d'Égypte, la fin de la servitude260.
d) Naissance de Jacob quand Isaac à 60 ans261.
e) Naissance de Joseph dans la 91e année de Jacob puisque ce dernier a 130 ans quand
Joseph a 39 ans (= 30 ans + 7 ans d'abondance + 2 ans de famine)262.
f) Arrivée des Israélites (Jacob et sa famille) en Égypte dans la 40e année de Joseph263,
début du séjour de 215 ans (période de la présence des Hyksos, de 1748 à 1533).
g) Mort de Joseph à l'age de 110 ans. Des chefs israélites sont établis par Joseph, puis par
les pharaons, et administrent alors le pays de Goshèn264 pendant 105 ans (règne des
princes Hyksos). Les 40 dernières années de cette période sont attribuées à Moïse.
251 Il ne s'agit pas, en fait, d'erreurs, mais de valeurs recalculées pour se conformer à un modèle chronologique différent.
F. NOLEN JONES – The Chronology of the Old Testament
Texas 2005 Ed. Master Books p. 12.
252 Genèse 12:4,5.
253 Exode 12:40,41.
254 Genèse 21:5.
255 Actes 13:17-20.
256 Genèse 16:16.
257 Selon 2Maccabées 7:27, l'allaitement durait habituellement au moins 3 ans (voir 2Chroniques 31:16).
258 Genèse 15:13. La période de 400 ans débute avec l'oppression d'Isaac et non à sa naissance (voir notes suivantes).
259 Genèse 21:8,9. Le sens du verbe hébreu est "se moquer " et non "jouer". Le Talmud (Sota 6:6) évoque même des sévices.
260 Galates 4:25-29. Selon Maimonide (Epître au Yémen III) et Rashi, les 400 ans vont de la naissance d'Isaac à la sortie d'Égypte.
261 Genèse 25:26.
262 Genèse 41:46,47,53,54; 45:11; 47:9.
263 Genèse 45:11; 46:5-7.
264 Genèse 47:6; Exode 5:14.
66 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
h) Moïse fut le dernier Grand personnage en Egypte, car bien que "fils de pharaon" 40 ans
durant, il fut ensuite banni pendant 40 ans avant de revenir en Égypte265.
i) Sortie d'Égypte juste après la mort du pharaon (Séqenenrê Taa) et début des 40 ans
d'errance dans le désert du Sinaï avant d'entrer en Canaan266.
j) Sortie du Sinaï, entrée en Canaan et mort de Moïse à 120 ans, période de pacification de
5 ans267 qui se termine en -1488 et qui fixe le début des jubilés (tous les 50 ans).
La période de 430 ans est controversée, car on lit: Et la résidence des fils d'Israël, qui
avaient habité en Egypte, fut de quatre cent trente ans268, ce qui pourrait impliquer un séjour de 430
ans en Egypte. Or cette lecture possible serait contradictoire. Les traducteurs juifs de la
Septante, conscients de cette ambiguïté, ont préféré ajouter une incise pour prévenir tout
quiproquo: Le séjour que les fils d'Israël firent en séjournant dans le pays d'Egypte [et dans le pays de
Canaan] fut de quatre cent trente ans. Cette incise, que l'on trouve aussi dans le Pentateuque
samaritain, est conforme au contexte indiquant que cette période de 430 ans représente la
durée totale du séjour des fils d'Israël en dehors de l'alliance mosaïque269. Cette période
comporte deux parties: la première qui commence en Canaan par l'alliance abrahamique
suivie rapidement par les brimades d'Esaü sur Isaac270 et qui s'achève par la sortie de Jacob
en Egypte, et une deuxième période débutant par cette servitude en Egypte et se terminant
par l'Exode. Le verset incriminé devrait donc se lire: Et la résidence des fils d'Israël, qui avaient
habité en Egypte [215 ans], fut de 430 ans. Cette considération chronologique était connue dans
l'Antiquité, puisque Flavius Josèphe lui-même la mentionne dans ses écrits271.
Une confirmation indirecte de cette période de 215 ans provient de la généalogie de
Josué272. En effet, la durée de vie moyenne était de 60 ans à cette époque273. Josué ayant 40
ans à la sortie d'Égypte274 (en -1533), sa naissance devait remonter en -1573. En supposant
un écart moyen de 20 ans entre chaque génération275 (ce qui correspond bien au 1/3 de la
durée moyenne de vie), on obtient la succession suivante des dates de naissance:
265 Exode 2:15; 11:3; Hébreux 11:24; Actes 7:21-23, 29-36; Deutéronome 34:7.
266 Exode 16:35.
267 Deutéronome 34:1-7; Josué 14:7,10.
268 Exode 12:40.
269 Galates 3:17.
270 Genèse 21:9.
271 Antiquités juives II:318.
272 1Chroniques 7:23-28.
273 Nombres 32:11-13; Deutéronome 2:14.
274 Josué 14:7.
275 Lévitique 27:3.
CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 67
Joseph étant arrivé en Égypte à l'âge de 17 ans276, la période qui court de son
arrivée, soit vers 1756 (= 1773 - 17), jusqu'à l'Exode (en -1533) couvre 223 ans, en très bon
accord avec les 215 ans calculés.
Tous les chiffres des durées, pour la période 2000-1500, sont donc cohérents, ils
n'induisent aucune contradiction. Comment la Bible explique-t-elle la présence de ces
chiffres aberrants? Ils sont présentés comme anormaux. Les Lévites, par exemple, devaient
commencer à travailler à l'âge de 20 ans et devaient prendre leur retraite à 50 ans277. Moïse
qui a vécu 120 ans écrit pourtant en Psaumes 90:10: Le temps de nos années est de 70 ans, de 80
pour les plus vigoureux, et leur plus grande part n'est que peine et malheur, car bien vite elles passent et
nous nous envolons (Osty). Les 120 ans de Moïse sont donc anormaux. David qui est
seulement âgé de 70 ans, ou Barzillaï de 80 ans, sont tous deux présentés comme étant des
vieillards278. Les durées exceptionnelles du texte biblique ne sont donc pas représentatives
du reste de la population, elles sont en fait limitées à la parenté immédiate d'Abraham. Ces
durées sont présentées comme étant miraculeuses. Lorsque Sara, la femme d'Abraham,
apprend qu'elle va avoir un enfant à l'âge de 90 ans, son mari étant lui âgé de 100 ans, elle
part dans un fou rire nerveux279. De même, Job qui aurait vécu 210 ans, selon la Septante, a
en fait reçu un supplément miraculeux de 140 ans280. Le fait de dépasser l'âge de 100 ans est
ainsi présenté comme n'étant fréquent que dans le monde messianique à venir281. Dernière
question, la plus difficile, ces durées aberrantes sont-elles scientifiquement impossibles?
Contrairement à ce que le bon sens populaire laisse croire, les limites humaines sont
difficiles à fixer par la science. Il semble, par exemple, impossible qu'un homme puisse être
père à 91 ans (cas de Jacob), pourtant ce cas a été observé, puisqu’en 1992, Les Colley un
mineur australien âgé de 92 ans (et mort a 100 ans) a eu avec sa seconde épouse un petit
Oswald282. A l'exception des miracles, présentés comme tels, la Bible ne contient aucune
information contraire à la science actuelle: l'univers est né d'un Big Bang (Genèse 1:1), puis
sont apparus dans l'ordre: les végétaux, les poissons, les mammifères, et enfin les hommes,
il n'y a pas de générations spontanées (Genèse 1:25), il n'y a pas de croisement possible
entre espèces (Genèse 1:21), il y a autant d'étoiles que de grains de sable sur la terre
276 Genèse 37:2.
277 Nombres 8:25.
278 1Rois 1:1; 2Samuel 19:32.
279 Genèse 18:12-14.
280 Job 42:16. Par contre, Salomon n'a vécu que 58 ans, malgré la promesse de longue vie (1Roi 3:14), car elle fut annulée (1Rois 11:9).
281 Isaïe 65:20.
282 http://www.mothers35plus.co.uk/older-fathers.htm
68 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE
(Genèse 22:17), les animaux sont régis par les lois de Mendel (Genèse 31:8-12), la terre ne
repose sur rien (Job 26:7), il faut enterrer les excréments [pour éviter le choléra]
(Deutéronome 23:13), il faut appliquer la quarantaine aux malades (Lévitique 13:46-59), les
maladies psychosomatiques existent (Proverbe 14:30), les mariages co-sanguins sont
déconseillés (Lévitique 18:6) ainsi que l'astrologie et le spiritisme (Deutéronome 18:10-11),
il y a un cycle de l'eau (Ecclésiaste 1:7). La plupart de ces données étaient encore inconnues
au Moyen Age, et pourtant l'Ancien Testament a été écrit bien avant cette époque.
Les études283 sur la longévité
humaine sont rares, mais elles
fournissent des données étonnantes,
contraires au bon sens et en accord avec
la Bible. Cette étude, sur l'âge maximal
au décès, a porté seulement sur deux
pays (France et Suède), et à partir de
1860, pour des raisons de fiabilité284
(vérifications des certificats de
naissance). Deux conclusions sont
apparues, pour des raisons inexpliquées
1) l'âge maximal au décès n'est pas
constant mais augmente régulièrement
et 2) depuis 1960, il y a une accélération
de cette augmentation. Par exemple en
1960, l'âge maximal au décès était de
104 ans en Suède et de 108 ans en 2000,
soit une augmentation de 1 an tous les
10 ans. Pour la France en 1960, l'âge
maximal au décès était de 104 et de 112
ans en 2000, soit une augmentation de 2
ans tous les 10 ans. En extrapolant ces
résultats, il devrait y avoir en France un
âge maximal au décès de 132 ans en 2100 et de 152 ans en 2200. L'âge de Jacob (147 ans)
qui est invraisemblable en 2000 deviendra vraisemblable en 2200.
Une autre étude285 sur la longévité a non seulement confirmé l'étude précédente,
mais a montré que cette augmentation de la longévité est un phénomène ancien qui existe
au moins depuis 750 de notre ère, soit depuis 1250 ans.
existe,par exemple, des liens complexes entre apport calorifique, répartition des sucres et des graisses dans l'alimentation et longévité.
289 J.J. GLASSNER – Chroniques mésopotamiennes
CONCLUSION