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Le quartette Bab Assalam (La Porte de la paix), qui réunit musiciens syriens
et français, raconte l’envoûtant voyage de Zyriab, jeune oudiste du ixe siècle,
sur les chemins de l’exil. La musique, subtile et complexe, oscille entre tradi-
tionnel oriental et rock électro occidental, oud, chant, clarinette, guitare
électrique, percussions (samedi 7 et dimanche 8 avril, 15h).
Master-classe à 15h00
16H30 CONCERT OUD DU MONDE ARABE
ANOUAR BRAHEM Music Session à 16h00
BLUE MAQAMS AUTOUR D’ANOUAR BRAHEM
ANOUAR BRAHEM, OUD
DAVE HOLLAND, CONTREBASSE
Avant-concert à 18h30
RENCONTRE AVEC
JACK DEJOHNETTE, BATTERIE
VÉRONIQUE RIEFFEL
DJANGO BATES, PIANO
animée par Delphine Minoui
DIMANCHE
Projection à 11h
AZUR ET ASMAR
E T AUS SI
Enfants et familles
Concerts, ateliers, activités au Musée…
PROGRAMME
première partie
Driss El Maloumi (Maroc)
ENTR ACTE
seconde partie
Naseer Shamma et son ensemble de ouds (Irak)
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Cette formule figure dans le corpus encyclopédique médiéval des Rasā’il Ikhwān
al-Ṣafā’ (Épîtres des Frères de la Pureté).
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long clou forgé traversant le tasseau vient renforcer sa fixation. À cette
étape de l’œuvre, le luthier accorde une pleine attention à sa position
par rapport à la caisse. La table d’harmonie est choisie le plus souvent
dans un cèdre ou un épicéa provenant d’un terroir en altitude, aux fibres
très serrées. L’ouverture du ‘ūd a en commun avec le luth du Moyen
Âge occidental sa marqueterie, rosaces aux motifs délicats, et parfois
même ses incrustations de nacre, d’os ou d’ivoire. Les cordes, doublées,
traditionnellement en boyau, sont aujourd’hui en nylon. Leur nombre
varie selon les époques et les régions ; un point essentiel marquant les
différences de jeux et d’usages.
Ainsi, aux quatre cordes de l’ancien luth arabe qadim était relié un sens
cosmologique : elles correspondaient aux humeurs, éléments, saisons,
points cardinaux, et même au zodiaque ! L’ajout d’une cinquième
corde (awsat) est attribué à Abu l-Hasan ‘Ali Ibn Nafi’ (789-857), alias
Ziryāb (« le merle noir »), protagoniste essentiel et génial de l’histoire
de la musique arabo-andalouse. Cet homme de lettres, astronome
et géographe exilé de Bagdad serait responsable de l’introduction
du ‘ūd dans la péninsule ibérique. Ce luth se serait ensuite répandu
dans le reste de l’Europe, où la plume d’aigle aurait été préférée au
plectre. Quoi qu’il en soit, l’échelle heptatonique (sept degrés, une
octave complète) l’emporta, et le nouveau luth devint ‘ūd kāmil (« le
‘ūd parfait »), le plus apprécié des musiciens.
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Mais le centre où se développa
l’instrument est sans doute à placer
au sud de l’actuel Irak, ainsi que le
mentionne le polymathe al-Kindī
dans ses écrits. De là, le ‘ūd fut
diffusé vers la péninsule arabique au
viie siècle ; de façon sûre, il arriva à
la Mecque entre le ixe et le xe siècle.
Il prend racine à la même période
Enluminure tirée d’un manuscrit des Cantigas de dans l’al-Andalus de la dynastie
Santa María, al-Andalus, xiiie siècle.
des Omeyyades, et devient, sous
l’impulsion de Ziryāb, un fleuron des arts. On songe aux merveilleuses illus-
trations des Cantigas de Santa María2 : trésors de la littérature ibérique du
xiiie siècle, ces manuscrits racontent un âge où savants, poètes, musiciens,
scribes, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs, servaient l’art dans un
esprit œcuménique et universel – esprit qui habite encore le ‘ūd !
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Cette fable mystique se compose de quatre cent vingt poèmes. Écrite en galicien,
langue par excellence de la poésie lyrique médiévale, elle est empreinte d’amour
courtois et de satire, et loue les miracles de la Vierge. On l’attribue à Alfonso El
Sabio, roi de Castille (1221-1284).
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Muhammad Shihāb al-dīn, Safīnat al-mulk, Le Caire, 1892.
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« Le ‘ūd revigore le corps. Il restaure l’équilibre du tempérament. Il calme
et ravive les cœurs à la façon d’un remède. » Et ce n’est ni la théorie
des nūbat 4 affinée par Ziryāb ni celle des maqāmat 5 qui donnerait tort
à cette approche !
Al-Fārābī, dans son traité du xe siècle6, théorisa ainsi les échelles et inter-
valles mélodiques (traduits par les frettes du luth occidental). Avicenne,
dans ses pas, établit une liste de douze modes primaires destinés au
répertoire musical selon sa conception de l’éthos. Chacun se dédiait à
une heure de la journée, un mois de l’année ou était associé à un goût
particulier. Aujourd’hui, de ces premières explorations découlent plus
de trois cents modes ayant le pouvoir de provoquer des accès de rire,
des larmes ou des états contemplatifs. C’est là l’un des sens du terme
maqām, aux sources de la musique savante arabe : la définition de
parcours mélodiques singuliers obéissant à des règles mathématiques
autant qu’esthétiques.
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Fruits de la musique arabo-andalouse, les nūbat (littéralement « attendre son
tour » ou « se succéder ») sont des suites musicales structurées, construites selon
un mode bien défini. Ce système et son corpus furent introduits en Andalousie par
Ziryāb, qui les affina. On comptait vingt-quatre nūbat aux origines, correspondant
aux vingt-quatre heures du jour ; douze seulement ont été préservées dans leur
intégralité, notamment grâce à l’enregistrement. Leur interprétation varie selon
les écoles stylistiques : al-ala (Maroc), gharnati (Algérie), malouf (Tunisie)…
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Voir paragraphe suivant.
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Kitab al-musiqi al kabir, l’un des plus imposants produits par la science arabe.
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Le chroniqueur al-Isfahānī, dans son Livre des chansons (ixe siècle), raconte
que, dans tous les palais de Bagdad, on entendait le ‘ūd accompagner des
poèmes chantés. De cette osmose naquirent les rythmes vertigineux de
la musique arabe : l’instrument imitait au quart de soupir près la métrique
des vers chantés. Au fil des âges, bien qu’il puisse être employé pour
assurer la basse mélodique ou rythmique dans les ensembles instrumen-
taux, le ‘ūd s’émancipa jusqu’à devenir l’instrument soliste par excellence.
Après que Munīr Bashīr donna un récital solo à Genève (1971), un réper-
toire propre au ‘ūd se (re)constitua. Il emprunta pour l’essentiel à la forme
d’improvisation taqsīm, pratiquée aussi bien par les Turcs que les Arabes.
À l’origine, le taqsīm jouait un rôle de prélude, permettant à l’instrumentiste
de « s’échauffer » et de préparer l’exploration du maqām. Bashīr choisit
de les broder en une suite finement agencée, devenant sa marque de
fabrique. Sous son plectre, le taqsīm mua en une longue pièce alternant
les passages improvisés et composés. Sans même en formuler l’intention,
il incorpora ainsi à la musique arabe un système comparable aux dastgāh
de la musique persane.
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Très prisé, ce taqsīm « libéré » incite
le musicien à manifester la profon-
deur de sa connaissance. L’audience
admire avant tout son tarab7, la limpi-
dité de son langage, son aptitude
aux modulations. Libre évidemment
aux ‘ūdistes d’aborder également
d’autres compositions incluses au
répertoire : pièces ottomanes du
xixe et xxe siècles (semai, pechrev, saz
semaini…) ou chants transposés sur
l’instrument, articulés ou non à des
compositions originales aux titres
évocateurs. On pense par exemple
aux Caprices (1923), œuvres du
Munīr Bashīr © Habib Hassan Touma.
Revue d’ethnomusicologie (voir http://journals.
virtuose Muhiddin Targan emprun-
openedition.org/ethnomusicologie/1639) tant à la musique occidentale.
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Le tarab, en arabe, désigne la communion des sens entre le spectateur et l’inter-
prète, communion qui permet d’exhaler l’âme et de susciter l’ivresse musicale.
Al-Ghazālī (1058-1111) en avait donné cette définition : « Certains sons (aswât)
font qu’on se réjouit, d’autres qu’on s’attriste, certains font dormir, d’autres font
rire, certains excitent (itrâb) et suscitent dans les membres des mouvements de
la main, du pied et de la tête, accordés à la mesure ! ».
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Driss El Maloumi (Agadir, Maroc) : le ‘ūd au croisement des terroirs
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apparaissent sur une quinzaine d’enregistrements en tant que musicien
de l’ensemble Hespèrion XXI. Puis, c’est au tour de Pierre Hamon (flûtes),
Keyvan Chemirani (tombak), Françoise Atlan (chant), Omar Bashir (‘ūd),
Carlo Rizzo (tambourin et percussions) ou bien Debashish Bhattacharya
(guitare slide). Ces expérimentations fructueuses en musique ancienne,
traditionnelle ou classique invitent le musicien à pousser toujours
plus de nouvelles portes. Il travaille dans un registre jazz avec Paolo
Fresu (trompette), Claude Tchamitchian (contrebasse), Alban Darche
(saxophones) ou encore Xavi Maureta (piano). Il fréquente aussi quelques
metteurs en scène et poètes, tels Abdelatif Laâbi ou Adonis.
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Naseer Shamma (Al-Kut, Irak) ou la mondialisation du ‘ūd
Naseer Shamma, bien qu’il témoigne de notre temps, semble être fait de
la même trempe que son prédécesseur Munīr Bashīr. Initié au goût de
l’héritage, le luthiste irakien prit rapidement un chemin de conquête. Né
à Al-Kut dans les années 1960, il rencontre le ‘ūd à un très jeune âge. Ses
sens s’embrasent, et le rêve se forme. Il veut « devenir un grand musicien,
à l’égal de ceux de la cour des rois babyloniens ou des califes abbassides »,
rapporte le percussionniste et musicologue Habib Yammine.
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de construire un citoyen libre, capable de choisir son propre chemin de
vie8 », indique-t-il en 2010 à une jeune journaliste de passage au Caire. Il y
a là comme un écho à la musique de Shamma, trait d’union entre la tradi-
tion « méditative » de l’école bagdadi et des compositions personnelles
s’abreuvant à d’autres sources. En février 2017, le ‘ūdiste est nommé Artiste
de l’UNESCO pour la paix. Un rôle qu’il prend très à cœur, lui qui a imaginé
une méthode de jeu à une main pour permettre aux victimes de la guerre
de s’emparer du luth.
À 55 ans, plus assuré que jamais, l’artiste est à l’avant-poste de ce que son
agent qualifie de « mondialisation du ‘ūd » (la seconde ?). En tous cas, son
épopée, où la création et la paix se fondent en un seul horizon, ressemble
à ces improvisations dans lesquelles il se lance à partir de quelques notes
écrites : « Je vois devant moi quelque chose qui s’ouvre dans le ciel ou la
terre. Alors je me précipite dans cette brèche. Il faut perdre son chemin
pour en trouver un bien meilleur 9. »
8
https://blogs.mediapart.fr/sofisafia/blog
9
Propos recueillis par Jean-Pierre Perrin pour Libération, 2016.
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Naseer Shamma © Samer Abbas
Édith Nicol
Remerciements au musicien Amine Mekki-Berrada pour sa relecture.
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P H I L H A R M O N I E D E PA R I S
MUSÉE DE LA MUSIQUE
EX PO SI TI O N
JU SQ U’ AU
19 AOÛT
2018
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