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PRÉSENTATION

En 2013, aux États-Unis, lors d’études cliniques d’un type nouveau, les
premières guérisons de la maladie d’Alzheimer ont pu être constatées : des
patients ont vu leurs terrifiants symptômes disparaître. Grâce à une thérapie
“systémique”, ils ont retrouvé mémoire immédiate, orientation
spatiotemporelle, toutes leurs facultés cognitives et une vie normale.
Ces résultats spectaculaires sont réalisables lorsque le traitement est
entamé dès les premiers stades de la maladie, et ils confirment les travaux
de recherche du Dr Michael Nehls présentés dans ce livre : pour lui,
l’origine de la maladie n’est pas l’âge avancé des patients mais un
ensemble de carences dont souffre le cerveau. Si on les comble à temps, son
fonctionnement peut se rétablir.
Au fil des chapitres, Michael Nehls explique pourquoi l’épidémie que
nous connaissons n’est pas une fatalité, et détaille toutes les prescriptions
non médicamenteuses de la thérapie systémique. Elles concernent la
détoxication, le sommeil, l’alimentation, la vie sociale, la stimulation
cognitive, l’activité physique… Afin que les malades puissent un jour dire :
“J’ai eu la maladie d’Alzheimer.”
Accompagné de dessins originaux (de Jill Enders, l’illustratrice du
Charme discret de l’intestin), ce livre aussi rigoureux que stimulant
constitue un guide particulièrement précieux pour les malades et pour leurs
proches.

2
DR MICHAEL NEHLS
Michael Nehls est né en 1962. Après un doctorat en médecine et une thèse
en génétique moléculaire, il a développé, au sein de sociétés
pharmaceutiques, des médicaments soignant les maladies dites “de
civilisation” comme le diabète ou les troubles cardiovasculaires. Il a
collaboré à de nombreuses publications scientifiques et dirigé des
recherches dans plusieurs universités en Allemagne et aux États-Unis.
En 2007, ayant lui-même retrouvé la santé grâce à des solutions non
médicamenteuses, il quitte ses fonctions et poursuit de façon
indépendante ses travaux. Michael Nehls est l’auteur de quatre ouvrages
dont deux sur la maladie d’Alzheimer.

Illustration de couverture : © Jill Enders

Titre original :
Alzheimer ist heilbar. Rechtzeitig zurück in ein gesundes Leben
© Wilhelm Heyne Verlag, a division of Verlagsgruppe Random House
GmbH,
Munich, 2015

© ACTES SUD, 2017


pour la traduction française
et les illustrations des éditions française et allemande
ISBN 978-2-330-07400-5

3
Dr Michael Nehls

GUÉRIR ALZHEIMER
COMPRENDRE ET AGIR À TEMPS

Illustré par Jill Enders

Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

ACTES SUD

4
En souvenir de mes grands-parents,
qui ont façonné bien plus que mon enfance.

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SOMMAIRE DES ORDONNANCES

Réagir aux premiers signes de la maladie


S’aider soi-même en aidant l’autre
Rester en forme et encourager la croissance cérébrale
La vitamine D sous toutes ses formes
Stimuler efficacement ses neurones
Bien dormir
Consommer les bonnes graisses
Le plein d’énergie pour le cerveau
Protéger son cerveau
Régulation non médicamenteuse du cholestérol
Maintenir un bon équilibre hormonal
Remédier aux infections
Éviter les toxines

6
NOUVELLE INTRODUCTION
POUR L’ÉDITION FRANÇAISE

Si quelqu’un désire la santé, il faut d’abord lui


demander s’il est prêt à supprimer les causes de
sa maladie.

HIPPOCRATE DE COS (460-370 av. J.-C.)

Nous connaissons tous ou presque quelqu’un atteint de démence, que ce soit


dans notre famille ou notre cercle d’amis proches. Personne ne semble s’en
étonner outre mesure – quoi de plus “naturel”, pourrait-on dire : plus on
vieillit, plus la probabilité augmente de développer une maladie
d’Alzheimer ou une démence induite par l’artériosclérose. Or, l’être humain
vit de plus en plus vieux. Mais cela signifie-t-il pour autant que ces
maladies sont inévitables ? Certains experts l’affirment et, en répandant
l’idée qu’il s’agit tout simplement d’un processus naturel de vieillissement,
tout particulièrement dans le cas de la maladie d’Alzheimer, ils sèment la
peur, l’angoisse et, de fait, la consternation, puisqu’à l’heure actuelle, aucun
médicament ne peut enrayer cette maladie qui détruit jusqu’à notre
personnalité.
De la même manière, d’après un comité d’experts américains
indépendants, prévenir l’Alzheimer serait tout aussi impossible1. Fin 2015,
le célèbre hebdomadaire allemand Süddeutsche Zeitung publiait ainsi le
conseil cynique de Dennis Selkoe, expert américain spécialiste de
l’Alzheimer. Pour éviter la maladie, la seule règle à suivre serait selon lui
celle-ci : “Choisis les bons parents et ne vis pas trop longtemps2.”
À l’heure actuelle, l’Alzheimer est la forme la plus répandue de démence
dans les grands pays industrialisés et l’une des principales causes de décès
après les maladies cardiovasculaires et le cancer3. On ne s’étonnera donc
pas que la recherche dans le domaine soit particulièrement intense. Ce qui
pourrait étonner, en revanche, c’est que la plupart des théories se fondent
sur une seule et même idée, entretenue par des experts qui en ont fait le
fondement de toute leur carrière. Ces leaders d’opinion ne tolèrent plus

7
aucune explication susceptible de remettre en cause leurs théories, tant et si
bien qu’au printemps 2015, le quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung, dans
son article “Alzheimer : les chercheurs font-ils fausse route ?”, allait même
jusqu’à parler d’une “mafia”, composée de spécialistes de l’Alzheimer qui
orientent l’ensemble du domaine de recherche de manière à “empêcher
d’autres approches4”. Un dogmatisme qui n’est pas sans poser de problème,
comme le déclare Jens Pahnke, de l’université d’Oslo, représentant la
communauté des chercheurs spécialistes de l’Alzheimer : “Depuis des
années, nos travaux se fondent sur la même hypothèse – celle d’une
surproduction de bêta-amyloïde – et maintenant, nous sommes dans une
impasse5.” Pour Emily Underwood, journaliste scientifique au magazine
Science, le développement des médicaments contre l’Alzheimer ressemble
ainsi à “un cimetière d’études cliniques, avec plus de 120 échecs au cours
des vingt dernières années6”. Cette situation précaire, c’est bien sûr celle
de la recherche actuelle, mais aussi celle des patients aujourd’hui atteints
d’Alzheimer.
Quand on se trouve dans une impasse, la seule solution possible est de
changer radicalement de voie. Comment ? En mettant rigoureusement de
côté les dogmes qui sont dépassés et en considérant sous un nouvel angle
tous les faits scientifiques. Théoricien et scientifique indépendant, je suis en
mesure de faire cette démarche, car ma carrière ne doit rien à des credo
académiques. En juillet 2016, j’ai publié le résultat de mes réflexions dans
le Journal of Molecular Psychiatry sous le titre “Unified theory of
Alzheimer’s disease (UTAD) : implications for prevention and curative
therapy7”. J’y fournis pour la première fois une explication détaillée du
développement de l’Alzheimer, qui est aussi l’objet de la première partie
de cet ouvrage.
Comme nous le verrons, ce qui découle de cette réflexion scientifique
menée à partir de nos connaissances évolutives et des découvertes les plus
récentes dans le domaine des neurosciences, c’est la certitude que
l’Alzheimer n’est pas une fatalité pour la personne vieillissante. Une
découverte qui pourrait permettre à quantité de gens de savourer leurs vieux
jours en ne perdant rien de leur forme mentale ! Pour cela, il “suffit”, ainsi
que nous y incitent les propos d’Hippocrate cités en ouverture de cette
introduction, d’être prêt à remettre en question notre mode de vie et de
remédier aux carences individuelles (ou facteurs de risque) qui le
caractérisent. La deuxième partie de cet ouvrage présente en détail le
programme de prévention et de guérison de la maladie d’Alzheimer à son
stade précoce.

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Il est si simple de tomber dans le piège culturel d’une mauvaise hygiène
de vie et si difficile de se défaire de cette dernière – j’en ai fait moi-même
l’expérience. Pendant mes études de médecine, le piège, imperceptiblement,
commençait déjà à se refermer sur moi : tout entier dévoué à ma vocation
médicale et à ma carrière scientifique, chaque minute que je ne passais pas
au chevet d’un malade, penché sur un ouvrage spécialisé ou une éprouvette
à la main me semblait inutile. Mes activités sociales, le sport d’endurance
que je pratiquais jusque-là passionnément et même mon temps de sommeil
étaient de plus en plus réduits, tandis que fast-food et resto U assuraient de
plus en plus souvent mon alimentation – il ne fallait surtout pas perdre de
temps.
Peu à peu, les conséquences de ce mode de vie néfaste se sont fait sentir,
par exemple à travers des rhumes à répétition et parfois sévères. Et puis j’ai
commencé à prendre du poids, lentement mais sûrement. Au bout de vingt
ans de carrière en Allemagne et à l’étranger, la balance affichait un surpoids
de vingt kilos. Rétrospectivement, je sais que j’aurais déjà dû voir dans ces
signes un véritable signal d’alarme, mais à ce moment-là, je n’ai rien fait
contre : après tout, la plupart de mes collègues managers étaient eux aussi
en surpoids, et j’avais la sensation d’être dans la norme. Chaque année, je
devais me soumettre à des bilans sanguins pour des questions d’assurance,
mais là encore, j’ignorais les valeurs plutôt limites auxquelles mon médecin
me confrontait chaque fois. Et si j’ai fini par ouvrir les yeux, c’est parce
que des attaques de tachycardie soudaines et récurrentes, accompagnées de
douleurs aiguës dans la poitrine, sont venues s’ajouter à la liste de mes
symptômes, me signalant sombrement que ma vie pouvait tourner court à
tout moment. À cette époque, j’étais président du directoire et directeur
scientifique d’une entreprise biotechnologique qui cherchait à identifier de
nouveaux mécanismes d’action des médicaments contre les maladies de
civilisation modernes, telles que les inflammations chroniques, l’obésité, le
diabète de type 2 (également qualifié de diabète de la maturité) et les
maladies cardiovasculaires. C’est-à-dire – ironie du sort – précisément
contre les maladies dont j’étais moi-même déjà atteint ou que j’étais très
certainement en passe de développer.
Mes problèmes cardiaques m’ont donné l’impulsion nécessaire au
changement. Je me suis mis au vélo, à commencer par quelques kilomètres
chaque jour après le travail. Avec ma femme, j’ai aussi peu à peu modifié
mon alimentation. Mais ce n’est qu’environ un an plus tard que j’ai
commencé à repenser fondamentalement ma vie. Le déclencheur ? Une
remarque que me fit mon médecin, lors de mon rendez-vous annuel. Je m’en
souviens encore comme si c’était hier : d’un air incrédule, il a regardé les

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résultats des analyses et m’a ensuite demandé si j’étais tombé dans la
fontaine de Jouvence.
Sur certains points, ma santé physique s’était améliorée de manière
radicale, ce qui influait bien sûr sur mon bilan sanguin. Les attaques de
tachycardie avaient disparu. Intellectuellement, je me sentais aussi plus en
forme et mieux armé contre le stress. Mais la remarque de mon médecin
était bien plus que le simple constat de ce changement : elle remettait aussi
en question tout mon parcours professionnel. Après tout, aucun médicament
n’était à l’origine de mon mieux-être : je n’avais suivi aucun traitement.
C’est à ce moment-là que j’ai compris que la fontaine de Jouvence était en
moi. Elle s’était pour ainsi dire tarie et, en modifiant mon mode de vie,
j’étais parvenu à la réactiver : l’eau pouvait à nouveau jaillir sans entrave.
L’heure était donc venue pour moi de me poser des questions
fondamentales : pourquoi employais-je mon énergie à développer des
médicaments contre des maladies qui n’avaient pas lieu d’être ? Existait-il
d’ailleurs des médicaments capables de guérir des maladies dont les causes
réelles se trouvaient dans un mode de vie néfaste ? Cette réflexion m’a
conduit à donner à ma vie une toute nouvelle orientation. J’étais devenu
médecin pour aider ceux qui souffraient de troubles de la santé, et
scientifique parce que la découverte de nouveaux principes actifs me
semblait être le meilleur moyen d’y parvenir. Et voilà que je constatais que
le meilleur moyen de se prémunir contre les maladies, et le plus efficace,
était en fait en nous, et qu’il fallait tout simplement apprendre à se servir de
cet outil. Pour cela, deux conditions étaient indispensables : le savoir et
l’objectivité.
Quand l’entreprise pour laquelle je travaillais a fusionné avec une autre,
j’ai saisi l’occasion de dire adieu à la recherche pharmaceutique et, en tant
qu’expert médical indépendant, je me suis dès lors consacré à une maladie
de civilisation qu’un certain nombre de leaders d’opinion se refusait encore
à considérer comme telle : la maladie d’Alzheimer. Certes, il était
largement reconnu que le diabète de type 2, l’obésité, la tension artérielle,
l’artériosclérose et de nombreux types de cancer trouvaient leur origine
dans un mode de vie malsain, mais pour la maladie d’Alzheimer, cette
hypothèse était encore niée avec véhémence. Pour des raisons que je ne
m’expliquais pas alors, on n’acceptait comme cause principale que le
vieillissement. Pour ma part, je me demandais à quoi bon la nature nous
avait dotés d’une telle longévité si la maladie d’Alzheimer était de toute
façon le lot de tous. Je me demandais aussi pourquoi les habitants de l’île
japonaise d’Okinawa, où l’espérance de vie est la plus élevée, sont si
rarement atteints de la maladie d’Alzheimer. Ou encore pourquoi

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l’Alzheimer était quasiment inconnu il y a encore un siècle, alors qu’il y
avait déjà assez d’individus âgés pour que la maladie puisse être
observée ? Je me demandais aussi pourquoi les souris dont on manipulait le
génome à cet effet développaient forcément une maladie d’Alzheimer, mais
se montraient résistantes à la maladie ou même guérissaient dès lors qu’on
installait une roue dans leur cage. Il devait bien y avoir à toutes ces
questions une réponse cohérente.
Mes recherches approfondies ont abouti à la réponse que vous tenez dans
vos mains. Préparez-vous ! Votre vie va changer…

DR MICHAEL NEHLS,
6 septembre 2016.

1 28.4.2010, www.nih.gov/news-events/news-releases/independent-panel-finds-
insufficient-evidence-support-preventive-measures-alzheimers-disease.
2 HANDEL, S., “Volkskrankheit Demenz : Allianz gegen das Vergessen”,
Süddeutsche Zeitung, 13.12.2015 ;
www.sueddeutsche.de/muenchen/volkskrankheit-demenz-allianz-gegen-das-
vergessen-1.2780522.
3 JAMES, B. D., “Contribution of Alzheimer disease to mortality in the United
States”, Neurology, vol. 82, 2014, p. 1045-1050,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24598707.
4 LÜTHI, T., “Alzheimer : Sind die Forscher auf dem Irrweg ?”, Neue Zürcher
Zeitung, 21.2.2015, www.nzz.ch/nzzas/nzz-amsonntag/gegen-alzheimer-gibt-es-
noch-immer-kein-medikament--weil-die-forscher-auf-dem-irrweg-sind-1.18483526.
5 D’après GEBHARDT, U., “In der Sackgasse”, Gehirn und Geist, vol. 5, 2016,
p. 72.
6 Ibid., p. 71.
7 NEHLS, M., “Unified theory of Alzheimer’s disease (UTAD) : implications for
prevention and curative therapy.”, J. Mol. Psychiatry, 2016,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27429752.

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1

ALZHEIMER :
L’ÉTAT ACTUEL DE LA RECHERCHE

12
13
ALZHEIMER : ENFIN L’ESPOIR

Les vrais miracles font peu de bruit.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY (1900-1944)

Comment définit-on l’Alzheimer ? Les premières informations qu’on peut


trouver nous indiquent qu’il s’agit d’une maladie neurodégénérative
incurable. Incurable, parce qu’aucune des nombreuses études cliniques
menées dans le cadre de la recherche – et il y en a eu des centaines – n’a pu
mettre en évidence de médicament capable de guérir la maladie, ni même de
contrôler sa progression. Pourtant, cette forme de démence est la plus
répandue dans les pays très développés, où elle est aussi la troisième cause
de mortalité, derrière les maladies cardiovasculaires et le cancer. Être
atteint d’Alzheimer à un âge avancé nous apparaît donc comme une fatalité,
et nous n’envisageons pas d’autre solution que de nous soumettre à notre
destin. Pas étonnant, dans ces conditions, que la plupart d’entre nous aient
peur de vieillir, puisque nous associons le vieillissement à cette menace : la
perte de la mémoire, de la raison et, bien souvent, de la dignité1.
L’objectif de ce livre est justement d’en finir avec la peur. L’Alzheimer
n’est ni une maladie due à l’âge, ni un inévitable coup du destin ; c’est une
maladie qui résulte de carences dans nos besoins les plus fondamentaux.
Elle est induite par notre mode de vie et il est possible de s’en protéger
grâce à un certain nombre de mesures comportementales. En remédiant à
temps (c’est-à-dire avant le point de non-retour que constitue le stade
intermédiaire de la maladie) aux carences existantes, on peut stopper la
progression de l’Alzheimer. Et en intervenant encore plus en amont, il est
même possible d’inverser le processus… et de guérir.

Le programme thérapeutique de l’université de Californie

Dans le cadre d’une étude de taille modeste publiée en 2014, l’université de


Californie à Los Angeles (UCLA) a ouvert une nouvelle voie dans le
protocole thérapeutique de l’Alzheimer : sur neuf des dix premiers patients

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atteints d’Alzheimer traités dans le cadre de ce programme, les huit patients
qui se trouvaient encore à un stade précoce de la maladie ont pu retrouver
leurs capacités cognitives, tandis que chez un neuvième patient qui souffrait
d’un Alzheimer plus avancé, les mesures thérapeutiques mises en œuvre ont
au moins pu stopper l’aggravation de la maladie. Chez le patient qui se
trouvait déjà au dernier stade de la maladie, en revanche, la thérapie s’est
malheureusement avérée inefficace. Mais comment Dale Bredesen,
professeur de neurologie au centre Mary S. Eaton, dédié au sein de l’UCLA
à la recherche sur la maladie d’Alzheimer, est-il parvenu à ce résultat ?
Plutôt que de miser sur une intervention chimique via des médicaments, il
s’est appliqué à réduire et à compenser à travers des programmes
personnalisés les déficits culturels particuliers dont souffraient les cerveaux
de ses patients. Au bout de quelques mois à peine de traitement, sur les six
patients qui avaient dû renoncer à leur travail ou rencontraient des
difficultés à le conserver en raison de leur état de santé, tous ont pu
reprendre ou continuer leur activité professionnelle2.
Parmi ces patients, penchons-nous d’abord sur le cas de Sarah Jones (les
noms de tous les patients ont été modifiés)3. À 67 ans, Mme Jones travaille
encore comme analyste chez un prestataire de services financiers renommé,
et ses compétences sont très appréciées. Dans le cadre de ce métier
exigeant intellectuellement, elle doit chaque jour évaluer des données
complexes, interpréter les résultats sous forme de graphiques clairs et
présenter ses analyses à des clients du monde entier. Les moyens de
communication modernes pourraient lui éviter de se déplacer, mais elle
préfère généralement délivrer en personne ses conclusions et ses conseils.
Toujours par monts et par vaux, il lui arrive donc souvent de chercher en
vain le sommeil dans un fuseau horaire qui n’est pas le sien. Son agenda est
toujours plein et le manque de temps fait partie de son quotidien.
Si les poussées d’adrénaline que lui procure sa profession l’ont autrefois
aidée à tenir le coup, depuis deux ans, Sarah Jones a le sentiment très net
d’avoir atteint ses limites. Le travail dont elle s’acquittait auparavant avec
aisance lui demande de plus en plus d’efforts. Elle ne mémorise que
difficilement les données qu’elle doit analyser. Elle est forcée de noter les
nombres de plus de trois chiffres pour pouvoir les traiter. La rédaction de
rapports devient un cauchemar. Elle qui avait l’habitude de lire un roman
pour se détendre avant de s’endormir en est désormais incapable : à la fin
de la page, elle a déjà oublié de quoi il était question au début. Conduire lui
pose aussi de plus en plus de problèmes : elle rate les sorties même sur les
routes qu’elle connaît bien et il lui arrive fréquemment de ne plus savoir
pourquoi elle a pris sa voiture. Chez elle, à New York, elle se souvient bien

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d’avoir des animaux de compagnie, deux chats et un chien, mais elle ne se
rappelle plus leur nom depuis déjà un moment. En revanche, il y a quelque
chose qu’elle ne peut pas oublier, quelque chose dont elle a une peur
panique : ce qui l’attend.
La mère de Sarah Jones avait à peine la soixantaine quand ses capacités
intellectuelles ont commencé à décliner. Atteinte d’une démence grave, elle
est décédée à 80 ans dans une maison de retraite médicalisée. Et
maintenant, le médecin de famille qui suit Sarah Jones depuis des années lui
prédit un destin similaire ! Persuadée qu’il n’y a plus d’issue possible
(puisque même son médecin est d’avis qu’il n’y a aucun recours
thérapeutique), Mme Jones décide quand même de prendre de vraies
longues vacances pour la première fois de sa carrière. À la pensée des
années de souffrance qu’elle a partagées avec sa mère, elle ne voit qu’une
seule façon de résoudre une bonne fois pour toutes son problème prétendu
insoluble : le suicide.
Elle en parle à sa meilleure amie, Lisa, qui vit à l’autre bout des États-
Unis, à Los Angeles. Sarah Jones a rencontré Lisa à l’époque où celle-ci
suivait sa mère dans le cadre d’essais pour un nouveau traitement
médicamenteux (qui s’était alors avéré aussi inefficace que le sont ceux
d’aujourd’hui). Lisa convainc Sarah de prendre le prochain avion pour
venir la voir. Elle travaille désormais comme assistante au centre de
recherche sur l’Alzheimer de l’UCLA, et elle a une proposition à faire à son
amie. Le professeur avec lequel elle travaille souhaite valider une
hypothèse thérapeutique et recherche des volontaires. Cette fois-ci, il ne
s’agit pas de nouveaux médicaments. Mme Jones accepte et monte dans
l’avion. Il n’en a pas fallu beaucoup pour la persuader : intérieurement, elle
a tiré un trait sur sa vie et elle n’a plus rien à perdre.
C’est alors qu’a lieu le “miracle”. Après seulement trois mois de
traitement sous la direction du professeur Dale Bredesen, Mme Jones
retrouve sa santé mentale. L’évolution galopante de la maladie est stoppée,
tous les symptômes caractéristiques ont disparu : la patiente est à nouveau
capable de retenir des nombres, de mener des analyses et de rédiger ses
rapports sans difficulté. Elle trouve sans peine son chemin en voiture, se
rappelle les noms de ses animaux de compagnie et, plus impressionnant
encore : elle a le sentiment d’être en meilleure forme qu’avant l’apparition
des symptômes. Elle suit une formation de professeur de yoga. Depuis –
deux ans et demi plus tard –, Sarah Jones, âgée de 70 ans, travaille toujours
à plein temps. Que s’est-il passé ? Comment a-t-elle pu échapper à ce qui,
de l’avis de tous, aurait dû être son destin ?

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Parmi les patients du professeur Bredesen se trouvait aussi Ben Miller4,
un entrepreneur indépendant : à 69 ans, il travaille toujours dans sa petite
entreprise commerciale, mais avec des difficultés croissantes. De plus en
plus souvent, son assistante doit lui rappeler les rendez-vous à venir,
parfois même plusieurs fois par jour.
Onze ans plus tôt, en 2002, M. Miller s’est pour la première fois
demandé s’il souffrait peut-être de troubles de la mémoire, un jour qu’il ne
parvenait pas à se souvenir de la combinaison de son coffre-fort. En 2003,
son médecin traitant l’envoie chez un radiologue. Grâce à l’imagerie
médicale, les médecins diagnostiquent chez Ben Miller un dérèglement du
métabolisme des glucides caractéristique de la maladie d’Alzheimer. C’est
le centre de la mémoire autobiographique qui est le plus touché : ses
cellules nerveuses ne sont plus en mesure d’absorber correctement le sucre
et meurent pour ainsi dire de faim.
En 2003, 2007 et 2013, tous les tests de mémoire disponibles révèlent
des résultats préoccupants. Ben Miller a de plus en plus de mal à
reconnaître ses collaborateurs. Il perd également une compétence qui faisait
jusque-là sa fierté : sa capacité à additionner de tête d’importantes séries de
nombres. Pour finir, on découvre qu’il est porteur du gène ApoE4 : une
prédisposition génétique augmente son risque d’être touché par la maladie
d’Alzheimer.

LE POINT SUR : LE GÈNE APOE4


ApoE4, qu’est-ce que ça veut dire ? “Apo” renvoie aux
apolipoprotéines, des structures qui permettent le transport des acides
gras liposolubles et du cholestérol dans des milieux aqueux comme
notre sang. La lettre E désigne une catégorie spécifique
d’apolipoprotéines qui interviennent tout particulièrement dans le
développement de l’Alzheimer. Il existe chez l’être humain trois formes
différentes du gène ApoE : ApoE2, ApoE3 et ApoE4. Chacun des deux
parents transmet à l’enfant une forme du gène. Le génome de l’être
humain contient donc deux formes du gène, identiques ou différentes.
D’un point de vue évolutif, ApoE4 est la forme qui est apparue la
première et qui nous distingue de nos plus proches parents, les grands
singes. Son apparition marque aussi le début de notre exceptionnelle
longévité – un autre critère distinctif entre singes et humains5. Pendant la
majeure partie de l’histoire humaine, la forme ApoE4 a été déterminante
pour le fonctionnement particulier du cerveau humain. Apparus bien

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plus tard, ApoE2 et ApoE3 trouvent leur origine dans la forme ApoE4.
Aujourd’hui, seuls environ 15 % des Européens sont encore porteurs de
la forme originelle ApoE4. Leur risque d’être atteint de la maladie
d’Alzheimer est trois à douze fois plus élevé selon qu’ils ont hérité du
gène ApoE4 d’un seul de leurs parents ou des deux6. En outre, les
porteurs d’une double forme ApoE4 développent aussi la maladie plus
tôt (jusqu’à vingt ans plus tôt, selon les estimations). On a cependant
constaté que cela n’était vrai que si le mode de vie différait du mode de
vie naturel pour l’être humain7. Le facteur de risque génétique majeur
que constitue le gène ApoE4 n’est donc pas la cause de l’Alzheimer. On
devrait plutôt considérer qu’il accélère le développement de la maladie
déclenchée par un mode de vie néfaste. Et maintenant, la bonne
nouvelle : en adoptant un mode de vie adapté aux besoins du cerveau
humain, les porteurs de la forme ApoE4 bénéficient d’effets positifs sur
la santé encore plus marqués que les porteurs des deux autres formes8.

Après des analyses de sang approfondies pour déceler d’autres facteurs


de risques qui auraient pu expliquer son état (sans succès), M. Miller –
comme avant lui Mme Jones – décide de participer au programme
thérapeutique de Dale Bredesen. Le traitement, personnalisé selon ses
besoins propres, va changer sa vie.
À l’issue de six mois de thérapie, M. Miller remarque de nettes
transformations. Son épouse et ses collaborateurs sont eux aussi conscients
de la différence, et pas seulement parce qu’il a perdu cinq kilos pendant
cette période. Quand il s’agit de répondre à des questions, il est de nouveau
plus rapide. Il reconnaît les gens et peut sans problème se souvenir de son
programme de la journée. En calcul mental, il retrouve son aisance. Grâce
au traitement, il peut à nouveau se consacrer sans difficulté au travail qu’il
aime.
Son épouse constate avec étonnement que le déclin cognitif de son mari,
alors qu’il s’était accéléré au cours des deux dernières années, a pu être
stoppé et, surtout, que son état s’améliore.
Les résultats obtenus par le professeur Bredesen prouvent que la maladie
d’Alzheimer, à condition d’être traitée avant que ne soit dépassé un stade
critique de son évolution, peut être guérie. Quelle révolution pour le monde
de la médecine ! Et pourtant, cette avancée décisive dans le traitement de
l’Alzheimer – la guérison d’une maladie qui devrait a priori faire perdre
leurs facultés intellectuelles à environ un tiers de tous les habitants des pays
industrialisés – est pratiquement passée inaperçue. Comment se fait-il qu’un

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progrès médical si remarquable, peut-être comparable à la découverte de
l’hygiène, des antibiotiques ou de la vaccination, ne fasse pas l’effet d’un
tsunami ? D’autant plus qu’en y regardant de plus près, on constate qu’il ne
s’agit pas seulement de guérir l’Alzheimer, mais très vraisemblablement
d’en finir avec presque toutes ( !) les maladies dites de civilisation.
Pourquoi cette nouvelle ne figure-t-elle pas en première page de tous les
journaux alors qu’elle est porteuse de tant d’espoirs ? Pourquoi n’en parle-
t-on pas à la radio, à la télévision ou dans les médias sociaux ?
C’est très simple : il se trouve que la guérison ne vient pas d’une pilule
miracle. Aucun nouveau médicament n’a été découvert, aucun principe actif
que l’on puisse commercialiser. Au contraire, le résultat remet plutôt en
question nos comportements conformes aux principes de l’économie de
marché. Car le succès du traitement prouve que la véritable cause de cette
terrible maladie ne réside ni dans l’âge, ni dans notre patrimoine génétique,
mais dans notre mode de vie. L’Alzheimer découle d’une somme
généralement importante de besoins physiques et psychiques que nous
n’avons pas pris en compte. Pourquoi ? Parce que nous avons adopté un
mode de vie qui ne le permet pas. Ainsi, pour satisfaire ces besoins, il
suffirait de changer notre comportement.

L’étude FINGER

Même si le nombre de participants à son étude n’était que de dix, le succès


thérapeutique de Dale Bredesen représente un espoir indéniable. Difficile
d’imaginer que les huit patients qui ne se trouvaient pas encore à un stade
avancé de la maladie aient tous été guéris par hasard9. Car même à un stade
précoce, l’Alzheimer n’est pas une maladie qui disparaît spontanément si
l’on ne s’attaque pas à ses causes. En outre, ces résultats ont été confirmés
dans une autre étude10. Et enfin, comme vous le verrez par la suite, ils
peuvent être expliqués de manière scientifique et logique11. Par ailleurs, au
moment même où se déroulait la petite étude de Bredesen, une étude de bien
plus grande ampleur était organisée en Finlande. Fondée sur une approche
similaire, l’étude FINGER (Finnish Geriatric Intervention Study to Prevent
Cognitive Impairment) a obtenu des résultats comparables à l’étude de
l’UCLA.
Bien qu’elle ne fasse intervenir que trois mesures comportementales
(alimentation adaptée, exercice physique suffisant et entraînement cognitif),
cette étude portant sur la modification du mode de vie de patients présentant
un risque de démence est alors la plus vaste menée jusque-là.

19
1 260 Finlandais de 60 à 77 ans souffrant déjà de troubles légers de la
mémoire ont été sélectionnés et répartis au hasard en deux groupes, l’un
modifiant son mode de vie selon les instructions du programme, l’autre
conservant ses habitudes.
Résultat : en l’espace de deux ans, les membres du groupe traité voient
leur état mental général s’améliorer de 25 % par rapport au groupe témoin
qui a conservé ses habitudes, propices au développement de la maladie
d’Alzheimer. Testés sur leurs capacités à ordonner des pensées de manière
ciblée, les participants qui suivent un traitement affichent même une
augmentation de leurs performances de 83 % par rapport aux résultats
obtenus avant le début du programme. Enfin, leur rapidité à traiter des
informations se révèle 150 % supérieure à celle du groupe témoin12.
Dans le cadre de l’étude FINGER, l’aggravation de troubles de la
mémoire déjà notables sur le plan clinique a ainsi pu être stoppée chez le
groupe traité et les capacités cognitives des patients améliorées. Devant de
tels résultats fondés sur seulement trois mesures, on peut se demander quels
auraient été les bénéfices du traitement si, comme dans l’étude du
professeur Bredesen, on avait pu remédier à toutes les carences de manière
personnalisée.
Mais avant de nous pencher davantage sur le programme thérapeutique et
les modifications comportementales qui ont démontré leur efficacité chez
Mme Jones, M. Miller et, au moins en partie, chez des centaines de
Finlandais, il est important de comprendre ce qu’est l’Alzheimer, ce qui
favorise l’apparition de la maladie, comment elle évolue et pourquoi elle
est de plus en plus fréquente dans nos sociétés modernes. Cela nous
permettra aussi de comprendre pourquoi le traitement n’a pas été efficace
chez le dixième patient du professeur Bredesen et pourquoi l’étude FINGER,
si elle a permis de dégager de très bons résultats, aurait pu être encore plus
efficace.

1 MCCONNELL, S. et RIGGS, J., “Alzheimer’s research : Can it help save our


nation’s entitlement programs ?”, Alzheimer’s & Dementia, vol. 1, 2005, p. 84-86,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19595830.
2 BREDESEN, D. E., “Reversal of cognitive decline : a novel therapeutic program”,
Aging, vol. 6, 2014, p. 707-717, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25324467.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 RAICHLEN, D. A. et ALEXANDER, G. E., “Exercise, APOE genotype, and the
evolution of the human lifespan”, Trends Neurosci., vol. 37, 2014, p. 247-255,

20
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24690272.
6 VERGHESE, P. B. et al., “Apolipoprotein E in Alzheimer’s disease and other
neurological disorders”, Lancet Neurol., vol. 10, 2011, p. 241-252,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21349439.
7 NEHLS, M., “Unified theory of Alzheimer’s disease (UTAD)…”, art. cité.
8 BREDESEN, D. E. et al., “Reversal of cognitive decline in Alzheimer’s disease”,
Aging, vol. 8, 2016, p. 1250-1258, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27294343.
9 BREDESEN, D. E., “Reversal of cognitive decline : a novel therapeutic program”,
art. cité.
10 BREDESEN, D. E. et al., “Reversal of cognitive decline in Alzheimer’s disease”,
art. cité.
11 NEHLS, M., “Unified theory of Alzheimer’s disease (UTAD)…”, art. cité.
12 NGANDU, T. et al., “A 2 year multidomain intervention of diet, exercise,
cognitive training, and vascular risk monitoring versus control to prevent cognitive
decline in at-risk elderly people (FINGER) : a randomised controlled trial”, Lancet,
vol. 395, 2015, p. 2255-2263, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25771249.

21
CE QUE NOUS SAVONS AUJOURD’HUI
DE LA MALADIE

Quand la santé est absente, la sagesse ne peut


pas se révéler, l’art ne peut pas se manifester, la
force ne peut pas être utilisée pour combattre, la
richesse devient inutile et l’intelligence ne peut
pas être mise en œuvre.

HÉROPHILE DE CHALCÉDOINE (vers 335-280 av.


J.-C.)

L’Alzheimer, la forme la plus courante de démence

De manière générale, on désigne sous le nom de démence une maladie du


cerveau qui comprend entre autres une altération grave des capacités
cognitives ainsi que des troubles des émotions et du comportement social du
patient. Les raisons qui peuvent conduire à une perte de la raison sont
nombreuses. Il peut s’agir d’une intoxication alcoolique, où le
fonctionnement cérébral n’est que temporairement désactivé. Quand elle est
chronique, l’atteinte cérébrale peut aussi être due à un traumatisme crânien
sévère, à la suite d’un accident. Les causes d’un déclin cognitif sont
extrêmement variées. Avant de se lancer dans une thérapie, quelle qu’elle
soit, il est donc indispensable de se soumettre à un diagnostic des plus
rigoureux.
Dans les pays industrialisés, la démence chronique provient dans environ
un tiers des cas d’un trouble de l’irrigation sanguine du cerveau. Le plus
souvent, ce sont des vaisseaux endommagés qui sont en cause, et on parle
alors de démence vasculaire (c’est-à-dire qui touche les vaisseaux). À
l’origine de cette détérioration, il peut y avoir un seul accident vasculaire
cérébral (AVC) grave, lors duquel un vaisseau sanguin important est obstrué,
ou encore une hémorragie massive au niveau d’un vaisseau endommagé.
Quelle que soit la situation, les neurones très sensibles sont alors mal
approvisionnés en oxygène, ce qui conduit immédiatement à la destruction
d’une grande quantité de tissus. Dans la majorité des cas, cependant, la
démence vasculaire est la conséquence d’une longue série de petits AVC qui

22
passent inaperçus jusqu’au moment où ils ont finalement détruit autant de
tissus nerveux qu’un AVC grave. Mais même sans AVC, quand l’irrigation
sanguine est restreinte, les vaisseaux sanguins se rétrécissent et se
sclérosent, ce qui nuit de plus en plus aux performances cognitives de l’être
humain.
Dans les autres cas, c’est-à-dire chez presque deux tiers des patients, la
démence chronique est en fait une maladie d’Alzheimer. Aux États-Unis,
cette maladie est déjà passée en troisième position des causes de décès les
plus fréquentes1. Une femme sur deux et un homme sur trois sont touchés par
la maladie d’Alzheimer. Entre le diagnostic et le décès du patient, il
s’écoule en moyenne entre six et huit ans, mais cette période peut être
réduite dans certains cas à quelques mois seulement, de même que certains
patients peuvent encore vivre pendant vingt ans.

L’hippocampe, berceau de la maladie d’Alzheimer

Contrairement à la démence vasculaire qui peut apparaître et se manifester


partout dans notre cerveau, l’Alzheimer commence dans une région
cérébrale clairement circonscrite, à l’entrée de ce qu’on appelle
l’hippocampe.1
Et puisqu’on parle de démence vasculaire, on pourrait parler pour
l’Alzheimer de démence “hippocampique”. Cependant, la maladie ne se
limite pas au seul hippocampe. Si elle touche en premier lieu cette partie du
lobe temporal importante pour la mémoire, elle s’étend aussi ensuite à
d’autres zones du cerveau.
L’hippocampe doit son nom à sa forme, qui rappelle celle du petit
poisson nageant à la verticale. Cette région du cerveau, à peine grosse
comme notre pouce, est spécialisée dans le stockage de nos souvenirs
personnels et autobiographiques. Soucieuse que nous ne puissions pas
oublier certains épisodes peut-être déterminants pour notre survie, la nature
nous a même dotés de deux hippocampes, chacun situé dans la partie la plus
interne du lobe temporal. Pour simplifier, nous parlerons cependant par la
suite de l’hippocampe, au singulier.

23
Ill. Position d’un des deux hippocampes dans les lobes temporauxdu cerveau. La

24
couche externe est le neocortex. Le petit hippocamperepresente en bas illustre
l’origine de ce nom.

25
Quand l’hippocampe se met en tête d’enregistrer un souvenir, c’est que
celui-ci a un lien avec notre moi et nos émotions. En engrangeant nos
souvenirs intimes, l’hippocampe nous donne ainsi non seulement un passé
individuel, mais aussi une identité. Car que sommes-nous sinon la somme
de nos expériences ? Sans souvenirs, nous n’aurions ni identité ni passé. Le
sablier où s’écoule notre existence ne compte pas le temps en minutes, mais
en souvenirs. Et quand nous perdons la capacité à nous souvenir, le sablier,
soudain, cesse de s’écouler. Nous pouvons ainsi nous représenter
l’hippocampe comme une petite machine qui fabrique le sable de ce sablier
symbolique. Du coup, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi notre
mémoire, c’est-à-dire notre moi, est la première touchée quand ce centre du
développement personnel est détruit par la maladie d’Alzheimer.

Le cerveau malade

Longtemps, on n’a su diagnostiquer l’Alzheimer avec certitude qu’au


moment où le cerveau d’un patient décédé se retrouvait sur la table de
l’anatomo-pathologiste. En autopsiant les tissus du cerveau, celui-ci pouvait
alors y détecter tant les modifications grossières que les signes infimes
propres à cette maladie. Ainsi, en 1905, quand Alois Alzheimer examine le
cerveau de sa patiente décédée, Auguste Deter, il y découvre pour la
première fois des caractéristiques inhabituelles (qui se révéleront plus tard
comme étant typiques de la maladie), ce qui donne naissance à une nouvelle
maladie ou plutôt aux premiers éléments de connaissance sur celle-ci.
Mais voyons ce que révèle l’autopsie d’un cerveau touché par la maladie
d’Alzheimer à un stade avancé (voir illustration ci-après).
Pour commencer, on remarque certaines modifications visibles à l’œil
nu :
• le système ventriculaire (un ensemble de cavités situées à l’intérieur du
cerveau) est très dilaté ;
• le cortex (où se trouvent les corps cellulaires des neurones, la partie
centrale qui enveloppe leur noyau) est visiblement atrophié ;
• et la substance blanche (où se trouvent principalement les axones,
prolongements du neurone) a diminué de façon notable.
À présent, observons le tout au microscope (illustration ci-après).
Certaines anomalies tissulaires caractéristiques, quand elles apparaissent
conjointement, sont importantes pour le diagnostic. On notera par exemple
la présence de neurones morts ou mourants, qui souffrent de dégénérescence
neurofibrillaire. Dans un neurone sain, les nutriments et autres éléments
vitaux circulent sur des microtubules, un système de filaments qui ressemble

26
aux rails bien droits d’un chemin de fer. Ces rails sont maintenus parallèles
par la protéine tau, comme le feraient les traverses en bois du chemin de fer.
Chez les patients atteints d’Alzheimer, la protéine tau se désagrège et forme
des fibrilles ou des filaments. Sans traverses, les rails s’enchevêtrent et ne
peuvent plus faire circuler correctement dans le neurone les éléments
indispensables à sa survie. Par ailleurs, on trouvera également ce qu’on
appelle des plaques séniles (ou plaques amyloïdes) : il s’agit de dépôts de
bêta-amyloïde qui se trouvent en dehors des cellules nerveuses. Dans les
coupes de l’illustration ci-contre, les petits cercles permettent de visualiser
la position de l’hippocampe dans un cerveau sain et dans un cerveau
malade.2

27
Ill. Coupe frontale de deux cerveaux. La formation de plaques

28
amyloidescaracteristiques de l’Alzheimer est bien visible dans l’hippocampemalade
(vue microscopique de droite). Les neurones mourantspresentent en outre une
degenerescence neurofibrillaire.

29
Aujourd’hui, on sait que les formes mixtes qui réunissent une démence
“hippocampique” (l’Alzheimer) et une démence “vasculaire” (l’occlusion
des artères cérébrales) sont très fréquentes. Pourquoi ? En premier lieu, les
causes qui, à long terme, endommagent l’hippocampe sont généralement les
mêmes que celles qui vont entraîner la détérioration des vaisseaux sanguins.
Par ailleurs, dès lors qu’ils sont lancés, les deux processus pathologiques
s’encouragent l’un l’autre. A priori, cela ressemble à un terrible coup du
destin. Mais dans tout mal il y a un bien, et la proximité des deux types de
démence présente un avantage : si vous traitez un début de démence
hippocampique (c’est-à-dire un Alzheimer au stade précoce) en éliminant
les causes de son apparition, vous éviterez aussi la démence vasculaire ou
du moins une aggravation des symptômes. De la même manière, si vous
appliquez des mesures de prévention contre l’Alzheimer, vous vous
protégez en même temps de la démence vasculaire.
Voilà pourquoi nous pouvons nous estimer heureux que le diagnostic ne
soit plus aujourd’hui posé post mortem. Grâce à des procédés d’imagerie
médicale et à des tests biologiques, il est possible de déceler la maladie
bien plus tôt, en principe des décennies avant l’apparition des premiers
symptômes. Et nous pouvons ainsi appliquer très en amont des mesures
permettant de prévenir la démence.

La mutation génétique, pédale d’accélérateur de la maladie

Dans quelque 99 % des cas d’Alzheimer, il s’agit de la forme dite


sporadique de la maladie, qui apparaît généralement après 65 ans. La forme
familiale, dans laquelle le développement de la maladie est accéléré par un
gène défectueux, est en revanche extrêmement rare. À l’échelle mondiale,
on ne recense qu’une centaine de familles touchées par cette mutation
génétique héréditaire. Sous cette forme, la maladie apparaît souvent bien
avant 65 ans. Du point de vue de son déroulement, la forme familiale ne se
distingue cependant en rien de la forme sporadique.
La plus grande famille porteuse de l’une de ces rares mutations
génétiques vit dans une région montagneuse reculée du département
d’Antioquia, dans le Nord de la Colombie. Pendant longtemps, les membres
de cette famille se sont crus frappés d’une malédiction, jusqu’à ce que le
gène responsable de l’apparition précoce de la maladie soit identifié ; il
aurait été “importé” par un migrant basque il y a trois cents ans. Cette forme
héréditaire de l’Alzheimer apparaît en moyenne vers 47 ans. Et comme, à
cet âge, les porteurs de la mutation ont déjà des enfants, la maladie continue
de se transmettre.

30
Il faut cependant souligner que l’âge auquel la maladie se développe est
très variable selon les membres de la famille. Tandis que les premiers
symptômes sérieux se font sentir dès l’âge de 34 ans chez certains, la
maladie n’apparaît qu’à 62 ans chez d’autres. Pourtant, tous ces individus
présentent la même mutation génétique de leur génome. Comment expliquer
dans ce cas une telle fluctuation ? Dès 1997, les scientifiques qui se sont
penchés sur cette anomalie ont supposé que la variabilité était peut-être due
aux différents modes de vie des personnes touchées2. À partir de là,
comment affirmer encore avec certitude que la mutation génétique est la
cause première de la maladie ? Et comment expliquer dans ce cas que la
plupart des patients atteints de la maladie d’Alzheimer n’ont pas besoin
d’être porteurs de cette mutation pour être quand même touchés par la
maladie ? Considérons donc plutôt l’anomalie génétique impliquée dans le
développement précoce de l’Alzheimer comme une pédale d’accélérateur
qui précipite le processus. Si, même au sein de la famille porteuse du gène
muté, l’âge auquel se développe la maladie varie, c’est précisément parce
que des facteurs autres que génétiques interviennent dans le processus. On
peut ainsi supposer qu’à l’origine de la maladie, il y a en premier lieu un
mode de vie (à la fois individuel et fortement influencé par la culture).
C’est ce mode de vie qui induit le développement de la maladie chez un
individu au patrimoine génétique pourtant intact. Et sans la pédale
d’accélérateur qu’est la mutation génétique, la survenue des symptômes est
simplement repoussée de quelques années. Toutefois, même avec une
prédisposition génétique, le mode de vie individuel conserve une influence
décisive sur l’âge auquel la maladie survient, voire sur sa survenue même
(comme nous le verrons dans la troisième partie de cet ouvrage).

Alzheimer et mode de vie

Aujourd’hui, dans les pays industrialisés, la maladie d’Alzheimer touche


environ 1 % de la population âgée de 65 ans. Chez les septuagénaires, le
pourcentage de malades s’élève déjà à 2 % environ, et il atteint
quelque 4 % chez les personnes de 75 ans. La fréquence de la maladie
double à peu près régulièrement par tranche de cinq ans écoulés, de sorte
que chez les personnes de 90 ans, la part de la population atteinte est
approximativement d’un tiers3.
En raison de cette augmentation rapide, un centenaire n’a donc plus
que 10 % de chances de ne pas être atteint de démence. Toutefois, la
probabilité relative de la maladie diminue à nouveau quand on atteint un âge

31
avancé. En effet, les “très âgés” le sont surtout devenus parce que le mode
de vie qu’ils ont adopté plus ou moins consciemment a permis leur
longévité et, dans le même temps, les a protégés de l’Alzheimer. Nous voilà
du coup avec un premier indice selon lequel l’Alzheimer n’est pas induit
par la vieillesse elle-même4. Malheureusement, notre société nous donne
trop d’occasions de vivre mal, et donc pas assez de chance de bien vivre le
grand âge. L’objectif de la deuxième partie de cet ouvrage sera justement de
nous montrer comment y parvenir.
Notre espérance de vie augmente constamment. Cependant, si nous
vivons aujourd’hui de plus en plus vieux, ce n’est pas parce que notre mode
de vie est plus sain qu’autrefois, mais parce qu’avec des traitements
intensifs et des médicaments modernes, nous sommes en mesure de
repousser suffisamment longtemps les conséquences mortelles de
nombreuses maladies dites de civilisation, comme le diabète sucré,
l’artériosclérose et le cancer5. Résultat : nous avons suffisamment de temps
pour faire la désagréable expérience d’une maladie jusqu’ici résistante à
tout traitement : l’Alzheimer.
En France, en 2014, on estime à 900 000 le nombre de personnes
souffrant de la maladie6. 225 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque
année, soit près d’un cas toutes les trois minutes. En 2020, compte tenu de
l’augmentation de l’espérance de vie, un Français de plus de 65 ans sur
quatre devrait être touché par la maladie d’Alzheimer.
Au début du XXe siècle, la maladie d’Alzheimer était largement inconnue,
tant chez nous, en Europe, qu’aux États-Unis. L’espérance de vie n’était pas
aussi élevée à l’époque qu’aujourd’hui, mais il y avait déjà suffisamment de
personnes âgées et donc d’individus susceptibles d’être touchés par la
maladie d’Alzheimer. Il y aurait dû y avoir plusieurs milliers de cas par an
et les neurologues qui pratiquaient alors des autopsies cérébrales de routine
auraient dû remarquer les mêmes anomalies caractéristiques
qu’aujourd’hui. Or, ce n’est pas le cas. En 1906, quand Alois Alzheimer
décrit la maladie à laquelle il a donné son nom, il la qualifie de
“singulière” car il n’a encore jamais rien vu de pareil. Et une trentaine
d’années plus tard, en 1938, quand un neuropathologiste de renom publie un
manuel médical, la maladie d’Alzheimer n’y est toujours pas évoquée7. Au
cours de ces cent dernières années, quelque chose a donc dû changer
radicalement, et ce n’est certainement pas notre patrimoine génétique. Voilà
encore un indice qui laisse à penser que la maladie n’est pas due au
vieillissement et qu’elle doit avoir d’autres causes.

32
Le troisième indice, ce sont des recherches culturelles qui nous le livrent.
En étudiant différents groupes ethniques, on a constaté que le risque
d’Alzheimer, relativement faible dans les populations étudiées, augmentait
de manière dramatique dès lors que les individus renonçaient à leur mode
de vie proche de la nature et adoptaient à la place notre style de vie
moderne conditionné par des impératifs économiques.
Prenons comme exemple représentatif l’histoire moderne de la préfecture
d’Okinawa, au Japon. Jusqu’à une époque récente, il y avait dans la
population d’origine un nombre remarquablement important de centenaires,
et ceux-ci ne souffraient ni de démence, ni d’autres maladies
caractéristiques chez nous du vieillissement. Par la suite, avec l’installation
d’une base militaire américaine et le développement du mode de vie made
in USA, la prévalence des maladies de civilisation courantes telles que le
“diabète de l’âge mûr” (diabète sucré) a augmenté de manière effrayante. La
population la plus touchée est la plus jeune de l’île, ce qui signifie que les
anciens en bonne santé ne disposaient pas d’un gène protecteur, sans quoi la
jeune génération en aurait elle aussi hérité. Ce qu’on peut en outre tirer de
l’observation de la population d’Okinawa, c’est que ces maladies qu’on dit
liées à l’âge ne le sont visiblement pas tant que ça.
Au Japon, par exemple, le risque d’Alzheimer est resté très faible jusqu’à
la moitié du siècle dernier, puis, en l’espace de deux décennies seulement,
il a été multiplié par sept pour atteindre le niveau actuel, très élevé8. Or, au
cours de cette période réduite, la pyramide des âges n’a pas changé de
manière aussi radicale. En quête d’une autre explication, les chercheurs se
sont penchés sur l’évolution de la société japonaise : après la Seconde
Guerre mondiale, le pays a connu une industrialisation extrêmement rapide
et les habitudes de vie traditionnelles ont quasiment disparu du jour au
lendemain. On le voit bien dans cet exemple : l’âge ne peut pas être la cause
de l’Alzheimer. En revanche, le vieillissement nous donne la possibilité de
constater les conséquences d’un mode de vie qui n’est ni sain, ni naturel. Et
nous pressentons ainsi déjà les causes réelles de l’augmentation du risque
d’Alzheimer. Mais alors : pourquoi, en dépit de recherches approfondies
menées pendant des décennies, ne maîtrisons-nous toujours pas le
problème ? Pourquoi n’avons-nous pas résolu depuis longtemps le mystère
de l’Alzheimer ?

Le piège moléculaire

On pourrait interroger les plus de 25 000 chercheurs qui se penchent sur la


maladie d’Alzheimer partout dans le monde et leur demander d’en expliquer

33
la cause. On obtiendrait vraisemblablement presque autant de réponses
différentes. Certains tiennent pour responsables des toxines provenant des
modifications que l’homme a fait subir à la nature, d’autres accusent des
infections du cerveau causées par des germes présents dans la bouche,
l’estomac ou l’intestin. Cependant, pour la plupart des experts, la maladie
trouve son origine dans l’âge (et ce, rappelons-le, alors que les personnes
très âgées, justement, sont souvent épargnées). De nombreux chercheurs ont
une vision un peu plus différenciée de l’ensemble, du moins en apparence,
et identifient par exemple comme cause une inflammation chronique ou un
trouble du métabolisme cérébral, mais au fond, même dans ces explications,
l’âge des patients reste l’origine supposée de la maladie. À l’heure actuelle,
la théorie la plus courante en Europe se fonde sur l’agrégation de bêta-
amyloïde, une sorte de protéine localisée principalement au niveau du
cerveau, qui devient toxique quand elle s’accumule et s’agrège. Mais
comme la bêta-amyloïde ne s’accumule dans le cerveau qu’au fil des ans, là
encore, nous avons comme cause première : le vieillissement.
La liste des modifications liées au vieillissement et éventuellement à
l’origine de la maladie d’Alzheimer pourrait être rallongée à l’infini. D’où
cette déduction, logique pour de nombreux experts : si nous sommes touchés
par la maladie d’Alzheimer dans nos vieux jours, c’est tout simplement le
résultat de notre condition humaine. Pour ces chercheurs, l’Alzheimer est
une évolution normale induite par l’âge et non une maladie, l’origine de la
dégénérescence étant cachée quelque part dans notre génome, même si elle
n’a pas encore pu être décelée.
Autre argument sur lequel ces experts s’appuient : les animaux ne sont
pas touchés par la maladie d’Alzheimer, à moins qu’on n’“humanise” par
exemple le patrimoine génétique de souris en leur inculquant un gène
“Alzheimer” comme celui de la famille colombienne dont nous avons parlé
précédemment. Et c’est là que l’expérience devient particulièrement
intéressante : une fois porteuses du gène d’Alzheimer, les souris ne
développent la maladie que si on les soumet en plus à un mode de vie
contraire à leur nature. Or, le mode de vie auquel on les contraint pour cette
expérience n’est pas sans rappeler le nôtre : il est fondé sur un apport
alimentaire maximal et une activité physique minimale, assortis d’un
manque de sommeil et d’une absence de contacts sociaux.
Un peu plus haut, nous avons déjà mentionné trois indices qui
contredisent la thèse du vieillissement comme cause première de
l’Alzheimer. Avec cette donnée supplémentaire, il y aurait de quoi nous
faire réfléchir. Mais quand il s’agit de résoudre le mystère de l’Alzheimer,
il semble que nous n’envisagions qu’une seule voie : nous voulons un

34
médicament capable de soigner cette maladie. Quelle que soit l’explication,
nous n’hésiterons pas alors à donner raison à celui qui parviendra à
développer ce remède miracle. Nous oublions d’envisager une solution non
médicamenteuse fondée sur une approche systémique du problème, un
concept thérapeutique d’abord axé sur l’élimination des facteurs de risque
en cause. C’est un peu comme si, pour le cancer du poumon, nous refusions
d’admettre ses causes tant qu’aucun médicament n’aura été trouvé pour le
guérir. Quand on parle d’Alzheimer, jamais on n’envisage comme cause
possible un facteur comportemental comparable à ce que représente la
cigarette pour le cancer du poumon. En juin 2014, le plus grand congrès au
monde sur l’Alzheimer, qui regroupait quelque 4 500 spécialistes à
Copenhague, concluait ainsi : “Le problème majeur pour le développement
de nouvelles méthodes porteuses d’espoir est que la recherche n’a pas
encore identifié avec certitude les mécanismes moléculaires déclencheurs
de la maladie9.”
Ce que nous cherchons, ce sont donc des mécanismes moléculaires qui
nous donneraient la possibilité de développer un médicament. Or,
l’Alzheimer est comme un puzzle qui se compose de différentes pièces. Au
lieu d’assembler ces différentes pièces, les experts à la recherche d’un
principe actif passent leur temps à analyser et à isoler la pièce du puzzle
qu’ils préfèrent. Autant dire que, de cette façon, le puzzle ne sera jamais
fini. Et qu’en poursuivant sur cette voie, il n’y a nulle guérison en vue.
Frustré par tous ces essais monothérapeutiques, un scientifique a tenté
quelque chose d’inhabituel. S’il n’a peut-être pas terminé complètement le
puzzle, Dale Bredesen a cependant utilisé presque toutes les pièces de
celui-ci pour formuler une proposition thérapeutique systémique : au lieu de
se focaliser sur un organe, voire sur une substance, il s’agit de prendre en
compte l’ensemble des paramètres de manière à comprendre le processus
biologique dans sa globalité. Les résultats ainsi obtenus sont une preuve
convaincante que nous avons tout à gagner à considérer le puzzle dans son
ensemble.

Écouter celui qui obtient des résultats

Comme on l’a vu au chapitre précédent, le concept thérapeutique de Dale


Bredesen s’est avéré efficace sur neuf des dix premiers patients atteints
d’Alzheimer qu’il a traités. Pour élaborer son concept, le professeur a
choisi de ne pas aborder le mystère de l’Alzheimer de manière classique.
Son approche est aussi motivée par une frustration dont il a fait part dans
les médias : “Rien qu’au cours de la dernière décennie, des centaines

35
d’essais cliniques ont été effectués pour tenter de guérir l’Alzheimer. Les
coûts s’élèvent à plus de un milliard de dollars, mais la réussite n’est pas
au rendez-vous10.” Or, le professeur Bredesen pressentait qu’en ne se
concentrant que sur un seul principe actif, la recherche faisait fausse route :
“Les médicaments existants contre l’Alzheimer ne se concentrent toujours
que sur un aspect, explique-t-il, mais la maladie d’Alzheimer est bien plus
complexe.” Et voilà comment le professeur californien interprète l’échec de
toutes les tentatives thérapeutiques : “Imaginez que vous avez un toit percé
de 36 trous et que votre médicament est à même de réparer l’un d’eux –
alors oui, votre médicament a agi, il a bien bouché un trou, mais vous avez
toujours 35 trous qui laissent passer la pluie et, à l’intérieur de la maison, la
situation n’a pratiquement pas changé.”
L’image du toit à réparer illustre très bien le dilemme thérapeutique dans
lequel se trouve la recherche pharmaceutique. Elle permet aussi de
comprendre la démarche du professeur Bredesen qui, dans une proposition
systémique, tente de boucher simultanément les 36 trous.
Les confrères de Bredesen n’ont pas critiqué le choix de ses patients ni
remis en question son diagnostic. Ils ont reconnu son succès et les cas de
guérison, mais pas l’explication que le professeur en donnait. Le Dr James
Galvin, professeur de neurologie au Langone Medical Center de l’université
de New York, argumentait ainsi : “Je ne rejette pas le concept, car les
facteurs [c’est-à-dire les pièces de puzzle] ciblés par le programme sont
valides. Mais il n’y a pas d’explication suffisante qui permette de
comprendre pourquoi les choses ont été faites de la sorte et comment elles
ont été dosées11.”
Sans une image d’ensemble acceptable, sans une explication
compréhensible de la manière dont la maladie d’Alzheimer se développe
(ce qui reviendrait, pour reprendre l’image du toit du professeur Bredesen,
à expliquer comment les trous s’y sont formés), aucune thérapie systémique
ne pourra s’imposer. Pour les scientifiques, les médecins et les médias, un
résultat ne suffit pas, il faut aussi une explication plausible. Et je suppose
que c’est aussi le cas de chacun d’entre nous : qui voudrait – sans
comprendre ce qui se passe exactement – s’embarquer dans un traitement
qui l’oblige à changer son mode de vie ?
Dale Bredesen considère l’Alzheimer du point de vue d’un couvreur qui
répare un toit en mauvais état. Son approche thérapeutique est purement
mécaniste. Mais il y a une différence considérable entre un toit et un être
humain. Contrairement au toit, l’être humain est en vie, et tout organisme
vivant est doté de la faculté de se guérir lui-même. Quand il n’y parvient
pas, il y a des raisons à cet état de fait, et l’image du toit endommagé de

36
Bredesen n’en rend pas compte. Or, pour comprendre les mesures
thérapeutiques et décider de ce qui est nécessaire et de ce qui ne l’est pas,
nous devons pouvoir expliquer l’origine du phénomène.
De même, sans une explication globale de la façon dont se développe la
maladie d’Alzheimer, il est impossible d’organiser une campagne de
prévention efficace et sensée. Je pense par exemple à l’étude préventive
FINGER réalisée en Finlande sur 1 260 personnes menacées de démence.
Bien intentionnée quoiqu’incomplète, celle-ci s’inspirait de la même
réflexion que le programme mis en place par le professeur Bredesen. Miia
Kivipelto, professeur d’épidémiologie gériatrique à l’institut Karolinska de
Stockholm, en Suède, qui a mené l’étude finlandaise avec de nombreux
autres collègues, a ainsi déclaré que “des études plus anciennes ont déjà
montré qu’il existait un rapport entre le déclin cognitif lié à l’âge et des
facteurs tels que l’alimentation, la vitalité du système cardiovasculaire et
l’activité physique12”. Selon elle, si la plupart des essais cliniques ne
rencontrent pas le succès escompté, c’est qu’ils n’éliminent qu’un seul de
ces facteurs. Dans l’image du professeur Bredesen, cela reviendrait à dire
qu’ils ne s’appliquent à boucher qu’un seul trou du toit endommagé. À
travers leur approche multifactorielle, c’est exactement ce que Miia
Kivipelto et ses collègues ont voulu changer. Malheureusement, comme on
l’a vu au chapitre précédent, leur succès, quoique réel, me semble encore
trop modeste. Pourquoi ? Parce que là encore, il manquait une explication
systémique qui englobe tous les facteurs de risques. Résultat : certains des
principaux facteurs à l’origine de la maladie n’ont pas été pris en
considération.
Comme mentionné ci-dessus, j’ai publié, en juillet 2016, une explication
homogène de la genèse de l’Alzheimer dans une revue internationale13. En
m’appuyant sur des critères évolutifs, j’y ai réuni toutes les pièces du puzzle
dont la validité scientifique est avérée, ce qui m’a permis de fournir pour la
première fois un aperçu cohérent et compréhensible du développement de
l’Alzheimer. Libéré de tout dogme, le regard que nous posons désormais sur
les véritables causes de la maladie nous offre ainsi la possibilité de mettre
en place une prévention efficace. La thèse scientifique que je défends
apporte en outre des éléments rationnels permettant de comprendre le
succès du programme thérapeutique du professeur Bredesen. Elle explique
par exemple pourquoi plusieurs mois sont nécessaires avant que les
premiers effets du traitement soient visibles ou pourquoi les symptômes
réapparaissent rapidement dès que le patient s’écarte du programme
diététique établi. Sur la base de ces connaissances, j’ai pu développer un

37
concept systémique pour un traitement qui s’attaque de manière ciblée aux
causes de l’Alzheimer et stoppe le développement de la maladie en cours.
Les deux prochains chapitres ont pour ambition d’assembler pièce par
pièce le puzzle de l’Alzheimer afin d’en donner une vision d’ensemble.
Pour cela, il nous faut avoir dès le début une représentation au moins vague
de ce que devrait donner à voir le puzzle une fois terminé. Pour découvrir le
motif final, posons-nous simplement la question du pourquoi de notre
existence. Quelle question pourrait d’ailleurs être plus fondamentale ?
Essayons pour commencer de définir pourquoi nous sommes sur Terre et
quelle est notre mission. La réponse nous permettra de poser les premières
pièces du puzzle au bon endroit.

1 JAMES, B. D. et al., “Contribution of Alzheimer disease to mortality in the United


States”, Neurology, vol. 82, 2014, p. 1045-1050,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24598707.
2 LOPERA, F. et al., “Clinical features of early-onset Alzheimer disease in a large
kindred with an E280A presenilin-1 mutation”, JAMA, vol. 277, 1997, p. 739-799,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/9052708.
3 BICKEL, H., “Die Epidemiologie der Demenz”, Informationsblatt der Deutschen
Alzheimer Gesellschaft, 2012,
www.deutschealzheimer.de/fileadmin/alz/pdf/factsheets/infoblatt1_haeufigkeit_demenzerkrankung
4 SAVVA, G. M. et al., “Age, neuropathology, and dementia”, N. Engl. J. Med.,
vol. 360, 2009, p. 2302-2309, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19474427 ;
GUNTEN, A. von et al., “Brain aging in the oldest-old”, Curr. Gerontol. Geriatr.
Res., 2010, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20706534.
5 CRIMMINS, E. M. et BELTRÁN-SÁNCHEZ, H., “Mortality and morbidity trends : is
there compression of morbidity ?”, J. Gerontol. B. Psychol. Sci. Soc. Sci., vol. 66,
2011, p. 75-86, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21135070.
6 Cf. www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-
psychiatrie/dossiers-d-information/alzheimer.
7 BOYD, W., A Text-Book of Pathology : An Introduction to Medicine, Lea and
Febiger, 1938.
8 GRANT, W. B., “Trends in diet and Alzheimer’s disease during the nutrition
transition in Japan and developing countries”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 38, 2014,
p. 611-620, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24037034.
9 “Warten auf den Aha-Effekt”, Börse Online, vol. 31, 2014, p. 20-21.
10 “Memory loss associated with Alzheimer’s reversed for first time : small trial
from UCLA and Buck Institute succeeds using systems approach to memory
disorders”, Newswise UCLA Health System, 30.9.2014,
www.newswise.com/articles/memory-loss-associated-with-alzheimer-s-reversed-
for-first-time.

38
11 NORTON, A., “Alzheimer’s Disease Health Center report : Success treating
Alzheimer’s memory loss”, WebMD News from Health Day, 6.10.2014,
consumer.healthday.com/senior-citizen-information-31/misc-aging-news-10/report-
claims-success-treating-alzheimer-s-memory-loss-692387.html.
12 NEUBAUER, K., “Sport und gesunde Ernährung können Gedächtnisverlust
bremsen”, Spiegel Online, 12.3.2015,
www.spiegel.de/gesundheit/diagnose/demenz-vorbeugen-sport-und-gesunde-
ernaehrung-bremsen-schwund-a-1023117.html.
13 NEHLS, M., “Unified theory of Alzheimer’s disease (UTAD)…”, art. cité.

39
POURQUOI L’ALZHEIMER ?
UNE EXPLICATION ÉVOLUTIVE

Les hasards sont des événements fortuits qui ont


un sens.

DIOGÈNE DE SINOPE (413-327 av. J.-C.)

Le but de la vie

Une fois n’est pas coutume : quand on pose la question du but de notre
existence, la foi occidentale et la science moderne sont unanimes :
“Croissez et multipliez”, telle est la mission biblique que Dieu confie à
l’homme, et la réponse divine correspond à 100 % à celle que nous
donnerait un chercheur en biologie évolutive.
Mais comme l’environnement naturel dans lequel nous vivons n’a pour
seule constante que le changement perpétuel, notre information génétique ne
peut être sauvegardée que si elle est copiée et recopiée. La reproduction
comme moyen de conservation est aussi la seule stratégie possible quand il
s’agit de maintenir notre culture vivante. Les idées doivent être transmises,
les livres et les DVD copiés pour “survivre”. D’un point de vue évolutif,
notre seule mission sur cette terre est d’assurer la conservation de notre
patrimoine génétique. Que nous y parvenions ou non, que nous souhaitions
ou pas nous conformer à cet objectif, l’évolution n’en a que faire, et cela
nous donne pleine liberté dans nos choix de vie.
Nous pouvons croire que la vie ne se conforme pas à un plan bien précis,
ou croire au contraire qu’elle a pour seul but de rendre hommage à un dieu
dont nous suivons les commandements… Les idées que les êtres humains
émettent sur le sujet sont nombreuses. Certains auront des enfants, d’autres
pas, par choix ou contraints. Seulement, pour le processus évolutif, une
seule chose compte finalement : nous sommes-nous reproduits ?
L’information génétique n’étant conservée que par copiage, le but de notre
vie d’un point de vue évolutif est – comme pour tous les êtres vivants – de
nous multiplier1. Ce qui change, ce sont les stratégies employées par le
règne animal et le règne végétal pour obtenir une copie. La stratégie

40
reproductive des bactéries unicellulaires, par exemple, repose sur une
division des cellules à grande échelle, la scissiparité. Pour s’adapter à des
conditions de vie différentes, ces organismes modifient leur patrimoine
génétique, le plus souvent lors de la scissiparité, qui permet une mutation
aléatoire.
Chez l’être humain, en revanche, la stratégie est différente : l’adaptation
se fonde presque exclusivement sur des changements culturels. Et c’est
notre cerveau, travailleur extrêmement assidu, qui rend possible cette
flexibilité. Quand de nouvelles idées (qu’on pourrait comparer à des
mutations de notre patrimoine culturel) s’avèrent bénéfiques, elles se
répandent et se transmettent, ces nouveaux acquis nous permettant de
continuer à exister dans des conditions de vie sinon hostiles. Prenons un
exemple : en raison de la catastrophe climatique qui se profile, le niveau de
la mer monte. Comment réagissons-nous à ce changement ? Nous n’allons
pas nous retrouver du jour au lendemain avec des branchies. Non, nous
construisons des digues plus hautes. (Évidemment, nous pourrions aussi
songer à stopper le réchauffement de la planète, mais ça, c’est encore une
autre histoire.)

L’hypothèse de la grand-mère

Face à une modification de nos conditions de vie, notre réaction s’exprime


donc, non plus à travers une variation de notre patrimoine génétique, mais
presque toujours à travers une variation de notre patrimoine culturel.
Toutefois, que la stratégie soit purement génétique ou purement culturelle, le
succès reproductif reste l’objectif suprême. Mais dans ce cas, comment se
fait-il que les femmes vivent encore longtemps après la ménopause alors
qu’elles ne peuvent plus se reproduire ? Sur ce point, nous nous distinguons
de nos plus proches parents dans le règne animal, les chimpanzés, chez qui
les femelles, une fois ménopausées, n’ont plus que quelques années à vivre.
Au sein de l’espèce humaine, cette période peut atteindre trente à quarante
ans, avec un record de sept décennies. Pourquoi ?
Comme les femelles chimpanzés ont des petits jusqu’à la fin de leur vie,
elles ne peuvent jamais jouer auprès de leurs filles le rôle de la grand-mère
qui coélève les petits-enfants. Chez les êtres humains, au contraire, la
grand-mère, déchargée de son propre rôle de mère, peut – en recourant à
son expérience – aider sa fille dans les tâches quotidiennes ou l’éducation
des enfants. Une étude importante menée sur les registres de naissance
canadiens et les registres paroissiaux finlandais a montré qu’au moins
jusqu’au début du XXe siècle, la présence d’une grand-mère dans la famille

41
augmentait non seulement le nombre de petits-enfants, mais aussi leurs
chances d’échapper à une mort en bas âge. En comparaison avec des
familles où le décès de la grand-mère était survenu de manière précoce,
chaque décennie de vie de la grand-mère ménopausée correspondait en
moyenne à deux petits-enfants de plus atteignant l’âge adulte2.
Cette hypothèse nous permet aussi d’avancer que les hommes doivent
leur longévité aux femmes. En effet, seule la mère d’une fille peut être
certaine à 100 % que les enfants de celle-ci font perdurer son matériel
génétique, puisque c’est elle qui l’a mise au monde. Du côté paternel, en
revanche, il n’existe pas de preuve similaire, et les hommes (abstraction
faite des tests de paternité modernes) ne peuvent pas êtres certains que leurs
descendants sont effectivement les leurs. D’après les résultats d’études
sociobiologiques, la sélection génétique de la longévité humaine s’est donc
établie via la grand-mère maternelle.

La longévité des grands-mères avait cela de positif que le nombre de


copies de leur patrimoine génétique transmises et en vie était plus élevé.
Ainsi, si le génome comprend l’information “longévité”, cette information
est elle aussi transmise plus souvent. Toutefois, la sélection du critère
“longévité” ne fonctionne que si, en plus d’une bonne santé physique
jusqu’à un âge avancé, la faculté intellectuelle correspondante est également
programmée génétiquement et transmise. Car c’est surtout l’expérience et le

42
savoir des anciens qui, en temps de crise, était décisif pour la survie de la
famille.
De récentes recherches sur les mammifères marins intelligents ont elles
aussi montré que le nombre de petits-enfants ne découlait pas seulement de
la contribution physique des grands-mères, mais aussi de leur contribution
intellectuelle. Chez les orques (ou épaulards), les grands-mères atteignent
l’âge avancé de 90 ans, ce qui revient à dire qu’elles vivent environ quatre
décennies après leur ménopause. Or, en aidant sa famille à chasser,
notamment quand le poisson se fait rare, mamie Orque, comme on l’a
découvert, multiplie environ par dix les chances de survie de ses
descendants3. Lauren Brent, anthropologue à l’université d’Exeter, en
Angleterre, et ses collègues ont constaté qu’en période de crise, c’étaient
les femelles les plus vieilles, celles qui n’étaient plus en âge de se
reproduire, qui guidaient le groupe. Les années où la population de saumons
est réduite (le saumon étant la proie favorite de l’orque), il y a plus
d’orques qui meurent, et moins de naissances en l’absence d’une grand-
mère. Lauren Brent fait le lien entre sa découverte et l’hypothèse de la
grand-mère comme suit : “Ce que nous avons montré, c’est qu’après la
ménopause, les femelles peuvent favoriser la survie de leur famille en
partageant avec ses membres leur savoir sur l’environnement4.” Les
mécanismes biologiques qui président à cette sélection naturelle sont les
mêmes que pour l’être humain. Par conséquent, les résultats de cette étude
nous fournissent une explication plausible de la longévité des femmes après
la ménopause.
Le fait que les femmes aient encore de longues années à vivre après la
ménopause n’est donc pas le résultat de la médecine moderne ou de
conditions de vie globalement meilleures. En premier lieu, la prédisposition
à la longévité s’explique par la sélection évolutive : le vieillissement
permettait de disposer d’un réservoir précieux d’expériences, lequel, dans
une époque lointaine, était indispensable à la survie de la tribu et de son
patrimoine génétique commun. Songeons aux temps anciens où nous ne
maîtrisions ni la lecture ni l’écriture : l’être humain était alors dépendant du
savoir transmis directement par les anciens de la tribu, dont l’expérience
était plus riche. Et il en a été ainsi pendant la plus grande partie de notre
évolution. Aujourd’hui encore, dans les cultures de chasseurs-cueilleurs, les
anciens, ceux qui ont vécu le plus de choses, sont aussi ceux qui savent
quand et où trouver de la nourriture – tout particulièrement quand celle-ci
vient à manquer, par exemple en période de sécheresse. Très tôt dans
l’évolution de l’espèce humaine, le savoir culturel a donc été utilisé comme
stratégie de survie et de reproduction, tandis que la faculté à se maintenir en

43
bonne santé intellectuelle, à collecter des expériences, à les utiliser et à les
transmettre jusqu’à un âge avancé passait de génération en génération.
On a objecté par le passé que les cultures de chasseurs-cueilleurs ne
pouvaient pas avoir connu de sélection génétique contre l’Alzheimer
puisque l’espérance de vie moyenne n’y était que d’une trentaine d’années.
Ces critiques se sont révélées sans fondement. En vérité, cette moyenne
s’explique principalement par une mortalité infantile très élevée. Dans les
cultures de chasseurs-cueilleurs encore existantes à l’heure actuelle, deux
tiers des hommes et des femmes qui atteignent la maturité sexuelle seront
ensuite grands-parents. Et pourtant, ils ne disposent pas comme nous d’un
suivi médical moderne. Dans ces cultures, dépasser la barre des 70 ans est
chose normale, et il n’est pas rare de rencontrer des octogénaires5.
Notre longévité ne tient donc pas à un mode de vie hautement technicisé :
elle est la conséquence d’un processus de sélection naturelle qui remonte à
la nuit des temps et qui nous garantit une bonne forme intellectuelle jusqu’à
un âge avancé. Autrement dit, ce processus nous protège de la dégradation
de nos facultés intellectuelles. Du coup, nous voilà avec une information
essentielle sur le puzzle de l’Alzheimer : notre génome ne peut pas être tenu
pour responsable de la maladie. Dans ce cas, les causes décisives ne se
trouvent-elles pas plutôt dans notre mode de vie moderne, puisque c’est le
seul paramètre qui a radicalement changé en peu de temps ? La seule chose
qu’on pourrait alors reprocher à notre génome, c’est qu’en raison de sa
programmation historique, il n’est pas en mesure de compenser les
conséquences de notre mode de vie moderne. Aujourd’hui, de très
nombreuses études viennent corroborer cette hypothèse. Elles indiquent que
lorsque nous modifions l’une ou l’autre des données de notre mode de vie
traditionnel, certains processus alors initiés dans notre cerveau font grimper
le risque d’Alzheimer. Plus qu’une fatalité génétique, ce sont les
modifications culturelles qui agissent comme des moteurs de la maladie. Et
ce n’est donc pas un hasard si l’Alzheimer débute précisément dans la
partie de notre cerveau qui nous permet d’acquérir nos compétences
culturelles.

L’hippocampe : organe culturel

Pour pouvoir faire des expériences, les analyser et les transmettre tout au
long de notre vie, nous avons besoin d’un hippocampe en bon état de
marche. Celui-ci fait partie du “cortex ancien”, que l’on trouve chez tous les
vertébrés. Le “néocortex”, en revanche, n’existe que chez les mammifères.
Chez les êtres humains, il est très développé. C’est le siège de notre

44
conscience et de notre entendement rationnel, et il n’existe que depuis
quelques dizaines de millions d’années.
L’hippocampe, lui, a dû se développer chez les premiers vertébrés il y a
plusieurs centaines de millions d’années. Et c’est tant mieux, puisqu’il
avait une mission des plus importantes, à savoir : mémoriser immédiatement
où se trouvait la nourriture ou à quel endroit guettait un ennemi, et
enregistrer durablement ces informations. Un animal incapable de se
souvenir de ces données mourait de faim ou était dévoré par un prédateur.
Aujourd’hui encore, tout ce que nous percevons est stocké dans
l’hippocampe afin que nous puissions le conserver en mémoire au-delà de
l’instant vécu.
La capacité de mémoire géographique et temporelle de l’hippocampe est
une mémoire à vie. En revanche, sa capacité à mémoriser des contenus,
c’est-à-dire ce qui a été vécu ou pensé, est limitée temporairement à
environ une journée. Tout au long de notre histoire évolutive, l’hippocampe
n’a jamais eu besoin d’une plus grande capacité de mémoire, et pour cause :
nous disposons d’un autre espace de stockage, et celui-ci ne manque pas de
place. Il s’agit de notre mémoire à long terme, dans le néocortex. Nos
nouvelles expériences arrivent d’abord dans l’hippocampe, puis sont
transférées vers la mémoire à long terme. L’opération se déroule pendant le
sommeil profond. Notre conscience doit en effet être désactivée, sans quoi
rêves et réalité se confondraient et nous risquerions d’avoir des
hallucinations.3

45
Ill. Le vecu conscient est enregistre dans l’hippocampeet stocke pendant le sommeil
dans le neocortex.

46
La nuit, pendant que les contenus vécus sont transférés dans le néocortex,
l’hippocampe a pour mission de séparer ce qui est pertinent de ce qui ne
l’est pas. C’est lui qui juge de ce qui est mémorable. Les listes de
vocabulaire monotones, par exemple, n’entrent pas dans cette catégorie. Pas
de chance, donc : pour les apprendre, nous sommes forcés de les répéter
indéfiniment. Contrairement à l’hippocampe, le néocortex où sont aussi
stockées nos connaissances linguistiques apprend très lentement (mais il
garde aussi tout très longtemps en mémoire). Pendant la nuit, l’hippocampe
doit donc “raconter” plusieurs fois de suite au néocortex les expériences
que nous avons faites la veille. L’hippocampe est un peu comme un
infatigable conteur, surtout pendant la première moitié de notre sommeil.
Que se passe-t-il ensuite ? Pendant la deuxième moitié du sommeil, les
nouvelles expériences qui viennent d’arriver dans la mémoire à long terme
sont traitées et reliées aux expériences plus anciennes. Ce processus va
nous ouvrir de nouvelles perspectives. Voilà pourquoi, au réveil, nous
avons parfois un éclair de génie. Et c’est aussi la raison pour laquelle on dit
à quelqu’un qui doit prendre une décision importante : “La nuit porte
conseil.”
Une fois les contenus d’un événement ou d’une pensée transférés dans la
mémoire à long terme pendant que nous dormons, l’hippocampe ne conserve
plus de ces contenus mémorables que le moment et le lieu où ils ont eu lieu.
Dorénavant, l’événement à proprement parler est stocké sous forme de
souvenir dans le néocortex, c’est-à-dire dans la partie de notre cerveau où
se déroule aussi notre vécu conscient. Cependant, le néocortex ne présente
pas d’accès direct aux souvenirs stockés en son sein. Pour que nous
puissions à nouveau avoir conscience de nos souvenirs, nous avons besoin
de l’information “où et quand ?” qui, elle, se trouve toujours dans
l’hippocampe.
C’est un peu comme si l’hippocampe était une table des matières : nous
nous en servons pour retrouver de manière consciente les souvenirs
enregistrés durablement dans le néocortex. Sans hippocampe, nous serions
donc incapables d’enregistrer de nouveaux événements ou de nouvelles
pensées, et nous ne pourrions pas non plus nous souvenir des événements et
pensées passés. En outre, comme elle accueille les informations “où et
quand ?” de chaque nouvelle expérience conservée dans notre mémoire à
long terme, cette table des matières augmente chaque jour. Du coup,
l’hippocampe doit lui aussi pouvoir croître constamment. Et c’est ce qu’il
fait, quel que soit notre âge, en créant chaque jour des milliers de neurones.
Ce mécanisme découvert assez récemment s’appelle la neurogenèse adulte.
Elle est principalement localisée à l’entrée de l’hippocampe (et dans une

47
petite zone du bulbe olfactif) et peut s’avérer aussi efficace à 18 ans
qu’à 926 : l’extension de l’espace de mémoire qui en découle est quasiment
indépendante de notre âge (ce qui vient d’ailleurs appuyer l’hypothèse de la
grand-mère, selon laquelle les connaissances et l’expérience des plus
anciens augmentent les chances de survie d’une tribu en franchissant les
générations).4

48
Ill. Les experiences ne sont accessibles que via lamemoire temporelle et
geographique de l’hippocampe.

49
Ce qui nous intéresse ici plus particulièrement, c’est que la maladie
d’Alzheimer débute justement dans la partie de l’hippocampe où sont créés
de nouveaux neurones. Cette observation, confirmée dans des milliers
d’études, nous indique que les troubles de la neurogenèse pourraient bien se
trouver tout au début de la chaîne causale qui conduit à l’Alzheimer.

Comment les troubles de la neurogenèse favorisent l’Alzheimer

Pour que nous puissions nous souvenir de quelque chose tant sur le moment
que durablement, l’hippocampe utilise un neurotransmetteur agressif, le
glutamate. Grâce à lui, les connexions au sein du réseau tissé entre les
nouveaux et les anciens neurones changent rapidement. Ces changements
sont ou plutôt encodent nos nouveaux souvenirs.

LE POINT SUR : LE GLUTAMATE


L’acide glutamique est un composant qui entre dans la fabrication des
protéines. Notre corps est capable de produire lui-même cette
substance – il ne s’agit donc pas d’un nutriment essentiel. Les aliments
riches en protéines tels que la viande, les fruits à coque ou les céréales
complètes contiennent jusqu’à 4 % d’acide glutamique. Dans les plats
tout prêts, le glutamate (qu’on retrouve alors sous les désignations
E620 à E625) est souvent employé comme exhausteur de goût. Il est vrai
qu’en tant que neurotransmetteur naturel, il a pour fonction d’exciter les
cellules nerveuses. Dans la nourriture, le glutamate renforce donc notre
sensation de goût.

Pour simplifier, on peut se représenter le glutamate comme un outil pointu


qui nous permettrait de graver notre vécu dans la mémoire. Mais attention :
il ne faudrait pas qu’à chaque nouvel “enregistrement”, la nouvelle piste
gravée dans notre mémoire remplace la précédente. À chaque nouvel
événement ou à chaque nouvelle pensée, le glutamate stimule donc aussi
toujours la production de bêta-amyloïde là où les synapses (c’est-à-dire les
zones de contact entre les neurones) ont été modifiées. Grâce à cette petite
protéine, la production de glutamate est bloquée localement. L’outil pointu
est pour ainsi dire retiré. Et la piste qui vient d’être gravée ne peut plus être
modifiée. De cette manière, la bêta-amyloïde stabilise le souvenir tout frais,
au moins pour une journée, le temps qu’il soit transmis à notre mémoire à

50
long terme7. On peut ainsi la considérer comme la gardienne protectrice de
nos souvenirs8. Dans la nuit qui suit, tandis que nous dormons (et ne faisons
donc pas de nouvelles expériences), la bêta-amyloïde qui n’est plus utilisée
est éliminée et, le lendemain matin, au réveil, notre hippocampe est prêt à
accueillir de nouvelles expériences, de nouvelles pensées et de nouveaux
événements.
Le cortisol, qu’on appelle aussi hormone du stress (alors qu’en réalité,
on devrait plutôt parler d’hormone antistress, puisque son fonctionnement
doit nous permettre de surmonter les situations de danger extrême,
génératrices de stress), a aussi pour effet d’augmenter la production de
bêta-amyloïde. Pourquoi ? C’est très simple. Chaque fois que nous nous
trouvons dans une situation de danger potentiel, nos sens aux aguets
menacent de faire déferler sur notre hippocampe une très grande quantité
d’informations, et donc de glutamate. Pendant une promenade en forêt, il
suffit par exemple d’un bruit inhabituel dans un fourré pour que notre taux
de glutamate monte en flèche. Aussitôt, la bêta-amyloïde, régulée à la
hausse par le cortisol, prend le contrepied et empêche un dégagement
excessif de glutamate au niveau de toutes les connexions nerveuses. L’enjeu
est de taille, puisqu’en surabondance, le neurotransmetteur agressif qu’est
l’acide glutamique pourrait exciter nos neurones outre mesure et les détruire
(comme un crayon, quand on appuie trop fort sur le papier, déchire le
support). En favorisant la libération de bêta-amyloïde, le cortisol (via la
bêta-amyloïde elle-même) a un rôle protecteur sur les cellules de
l’hippocampe : il empêche une surcharge sensorielle et la destruction des
neurones en situation de stress aigu9.
Lors de notre promenade en forêt, la production de cortisol baisse à
nouveau dès que nous remarquons (ou plutôt dès que notre hippocampe
reconnaît) que le bruit en question n’est dû qu’à un écureuil inoffensif et pas
à une bête sauvage. Là encore, les nouveaux neurones jouent un rôle
déterminant. Non seulement ils reçoivent toutes les informations
sensorielles, mais par leur position spécifique, ils ont aussi accès à notre
stock d’expériences. Avant même que nous en ayons conscience, ils savent
donc déjà comment évaluer la situation : un écureuil ? Alerte niveau zéro.
Nous nous sommes effrayés pour rien – ce qui est absolument normal et
essentiel, puisque la nature nous enseigne qu’il vaut mieux prévenir que
guérir. Le danger est donc écarté, et les nouveaux neurones désamorcent la
réaction de stress en freinant la sécrétion de cortisol, l’hormone du stress10.
Maintenant que nous connaissons ce mécanisme, il n’est pas difficile
d’imaginer ce qui se passe quand – pour une raison ou pour une autre – la

51
création de nouveaux neurones n’est pas constante : il nous manque cet outil
naturel par lequel nous pouvons atténuer le stress. Autrement dit, nous y
sommes plus sensibles. Une petite frayeur, ou même une petite pensée
désagréable – et nous réagissons par un stress excessif, pas forcément dans
son ampleur, mais dans sa durée. Les troubles de la neurogenèse induisent
une diminution de la résistance au stress, et les personnes touchées, de plus
en plus angoissées, évitent les situations nouvelles et inhabituelles, puisque
celles-ci sont potentiellement sources de stress.
Ce que nous décrivons ici, ce sont des tendances dépressives, l’un des
symptômes précoces de la maladie d’Alzheimer. Les personnes souffrant de
troubles de la neurogenèse, et donc d’une moins bonne résistance au stress,
présentent un taux de cortisol constamment élevé. Or, nous l’avons vu : le
cortisol favorise la production de bêta-amyloïde. Trop de cortisol, cela
signifie donc aussi trop de bêta-amyloïde. Lorsque la concentration de
celle-ci augmente à l’entrée de l’hippocampe (soit là où est sécrété le
glutamate permettant la constitution de la mémoire et où la neurogenèse
devrait normalement avoir lieu), le processus de mémorisation est empêché.
C’est le coup d’envoi du processus de la maladie d’Alzheimer11 !
Comment les choses se passent-elles ? À l’extrémité des voies nerveuses
des fibres perforantes (le faisceau nerveux qu’emprunte le vécu conscient
pour rejoindre l’hippocampe), on observe alors un phénomène qui a donné
son nom à la bêta-amyloïde : elle s’agrège ! (Amyloïde vient du terme grec
qui signifie “amidon”, une sorte de colle.) En s’agrégeant, la bêta-amyloïde
modifie ses propriétés. De gardienne protectrice des souvenirs et de
l’hippocampe, elle se transforme en toxine12. Elle efface des souvenirs et
détruit l’hippocampe13. Et elle a encore un autre défaut : elle modifie aussi
la bêta-amyloïde qui n’est pas encore agrégée (et qui conserve donc encore
ses vertus protectrices). Celle-ci s’agrège alors plus facilement et se
transforme à son tour en toxine. La bêta-amyloïde agrégée agit donc comme
un agent infectieux qui prend son origine dans l’hippocampe et, peu à peu,
infecte et détruit le reste du cerveau.

Un cercle vicieux

Gardons bien en mémoire ce processus essentiel : quand le taux de création


de nouveaux neurones baisse, la résistance au stress, comme on le voit dans
l’illustration suivante, baisse aussi. Un simple bruit, une pensée qui nous
aurait sinon seulement inquiétés suffisent alors à déclencher une réaction de
stress peut-être plus forte que nécessaire, mais surtout bien plus durable. Et

52
cette sensibilité au stress, à son tour, active en permanence la sécrétion de
cortisol, qui devient excessive.
Cette hormone (dont la fonction est, comme on l’a vu, antistress) stoppe
tous les processus qui consomment de l’énergie : en situation de danger
grave, toute l’énergie disponible doit en effet être mobilisée pour que nous
puissions nous défendre contre le déclencheur du stress. Eh oui, ce bruit
suspect pourrait bien être le fait d’une bête sauvage plutôt que d’un gentil
écureuil… Voilà pourquoi le cortisol empêche la création énergivore de
toutes les cellules corporelles et donc, bien sûr, celle des neurones de
l’hippocampe. Seulement voilà : quand la hausse du taux de cortisol est
chronique (à cause d’une baisse chronique de la résistance au stress), la
neurogenèse est troublée durablement. La boucle est ainsi bouclée, et un
engrenage dangereux pour la santé est mis en place. C’est un cercle vicieux
qui mène à la dépression et, à long terme, à l’Alzheimer. Pour sortir de cette
impasse, il faut remettre en marche la neurogenèse.
Si l’on envisage les troubles de la neurogenèse comme une cause de
l’Alzheimer, on comprend pourquoi, d’une part, dès la phase initiale de la
maladie, les personnes touchées présentent des concentrations
excessivement élevées de cortisol et, d’autre part, pourquoi c’est aussi là un
facteur d’accélération de la maladie14. Un exemple : le cortisol bloque
aussi l’approvisionnement de l’hippocampe en énergie en interdisant au
glucose l’accès aux cellules, normalement régulé par l’insuline.
Paradoxalement, même si notre alimentation est aujourd’hui très riche en
sucre, les neurones de l’hippocampe risquent alors de mourir de faim. Du
coup, ses cellules nerveuses développent une résistance à l’insuline. (C’est
là un symptôme de l’Alzheimer décelable très tôt par imagerie médicale.
Nous y reviendrons plus loin.) Résultat : non seulement l’hippocampe cesse
de grandir, mais en plus, chez un adulte qui vit à l’occidentale, il rétrécit en
moyenne de 1 % par an15. Et ce, alors même qu’il pourrait grandir en
permanence. Aujourd’hui, l’atrophie de l’hippocampe, ou plus exactement
sa taille relative, est même considérée comme l’un des éléments essentiels
du pronostic de l’Alzheimer16. Inversement, l’augmentation de sa taille
devrait constituer l’un des objectifs du traitement de la maladie. C’est
d’ailleurs l’un des enjeux de mon concept thérapeutique, dont atteste en
outre aussi le travail de l’équipe réunie autour du professeur Bredesen. Au
cours du traitement échelonné sur une période de dix mois, l’hippocampe de
l’un de ses patients a ainsi connu une croissance record d’environ 12 %17.

53
54
Autre effet du cortisol : il stimule la production de bêta-amyloïde toxique
qui va alors accélérer la destruction du cerveau de différentes manières. La
toxine va ainsi renforcer la résistance à l’insuline des neurones de
l’hippocampe (déjà élevée en raison du cortisol). En outre, comme le
cortisol, elle va freiner la neurogenèse : un deuxième cercle vicieux est
ainsi activé. Or, le stress permanent n’est pas le seul facteur à alimenter ce
moteur infernal : chaque manque qui résulte de la différence entre nos
besoins naturels et notre mode de vie moderne, en troublant la neurogenèse
dans l’hippocampe, est un facteur aggravant. Citons par exemple une
alimentation impropre à “nourrir” les neurones, le manque de stimulation
sociale, ou encore un manque chronique de sommeil ou d’activité physique.
Presque tous ces manques entraînent de plus une moins bonne évacuation
de la bêta-amyloïde hors du cerveau. Elle ne peut alors pas être
décomposée correctement dans le foie, s’accumule dans le cerveau et
s’agrège : nous revoilà en présence de la toxine favorisant l’Alzheimer. Et
quand le ménage est mal fait, la situation s’aggrave encore. Normalement,
notre cerveau se débarrasse de la bêta-amyloïde en trop pendant que nous
dormons. Le processus le plus courant est le suivant : pendant le sommeil
profond, la bêta-amyloïde passe du cerveau au système sanguin. Mais entre
les deux, entre le sang et le liquide cérébrospinal dans lequel baignent tous
les neurones, il y a une barrière qui fait obstacle à la bêta-amyloïde.
Pour franchir ce qu’on appelle la barrière hémato-encéphalique, la bêta-
amyloïde a besoin d’un transporteur spécial, LRP1 de son petit nom. Dans
l’équipe adverse, on trouve un autre transporteur nommé RAGE qui, lui,
retransporte la bêta-amyloïde vers le cerveau. L’activité des deux
transporteurs est soumise à l’influence de notre mode de vie. Celui-ci régit
donc aussi l’évacuation de la bêta-amyloïde hors de notre cerveau pendant
le sommeil profond et détermine les quantités qui sont éliminées. Chez les
patients atteints d’Alzheimer, le transporteur LRP1 est moins présent : par
conséquent, la quantité de bêta-amyloïde excédentaire pouvant être évacuée
du cerveau, puis éliminée dans le foie est réduite18. En même temps, le
transporteur RAGE est plus présent chez ces patients, de sorte que la bêta-
amyloïde parvient en plus grande quantité dans le cerveau19. Parmi les
facteurs qui activent le transporteur RAGE, citons notamment une glycémie
élevée ou encore les inflammations chroniques et le stress qui, à leur tour,
sont responsables d’une désactivation du transporteur LRP1. Le manque
d’exercice physique joue également un rôle défavorable. Dans le cadre
d’une expérience sur des souris, on a ainsi utilisé une astuce génétique pour
augmenter considérablement la production de bêta-amyloïde dans leur
cerveau. Chez ces souris “Alzheimer”, on a pourtant pu déclencher une

55
augmentation phénoménale du transporteur LRP1 et une dégradation de la
bêta-amyloïde toxique. Comment ? Tout simplement en installant une roue
dans leur cage et en répondant ainsi à leur besoin vital de mouvement20 !
Voyons maintenant ce qui s’est passé quand les chercheurs ont combiné ce
bonus d’activité physique avec des interactions sociales sur une grande aire
de jeu : quand les souris “Alzheimer” vivaient dans ce que les scientifiques
appellent un “environnement enrichi” plutôt que de végéter dans une bête
cage de laboratoire, le “bon” transporteur LRP1 était multiplié par quatre
dans leur cerveau, tandis que le “mauvais” y était deux fois et demie moins
présent21. En combinant ces deux facteurs, l’efficacité du système de
transport de la bêta-amyloïde est donc dix fois meilleure, ce qui a permis
aux souris atteintes d’Alzheimer de retrouver leur santé mentale. Et ce,
alors même qu’elles étaient porteuses d’un défaut génétique grave !

Voici ce que nous pouvons retirer de ces observations : alimentation


carencée, excès de stress dû à un manque de temps chronique, manque
d’activité physique et de sommeil… tous ces manques qui découlent de
notre mode de vie interagissent et empêchent la dégradation de la bêta-
amyloïde produite en excès. Au lieu de cela, elle s’accumule dans le
cerveau et accélère l’évolution de la maladie d’Alzheimer.
Mais nous découvrons aussi que nous pouvons agir à l’encontre de ce
processus. Comment ? En remédiant aux carences !

1 JUNKER, T., “Was sagt die Biologie zum Sinn des Lebens”, 2010, “Der Darwin-
Code und der Sinn des Lebens”, 2009, www.thomas-junker-
evolution.de/Evolution-des-Menschen.
2 LAHDENPERÄ, M. et al., “Fitness benefits of prolonged post-reproductive
lifespan in women”, Nature, vol. 428, 2004, p. 178-181,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15014499.
3 BRENT, L. J. et al., “Ecological knowledge, leadership, and the evolution of
menopause in killer whales”, Current Biology, vol. 25, 2015, p. 746-750,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25754636.
4 MERLOT, J., “Alte Orca-Weibchen : Wer Hunger hat, fragt Oma”, Spiegel
Online, 6.3.2015, www.spiegel.de/wissenschaft/natur/orcas-alte-schwertwal-
weibchen-fuehren-familie-zum-futter-a-1021356.html.
5 GURVEN, M. et KAPLAN, H., “Longevity among hunter-gatherers : a
crosscultural examination”, Population and Development Review, vol. 33, 2007,
p. 321-365.
6 SPALDING, K. L. et al., “Dynamics of hippocampal neurogenesis in adult
humans”, Cell, vol. 153, 2013, p. 1219-1227,

56
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23746839.
7 WANG, H. et al., “Consequences of inhibiting amyloid precursor protein
processing enzymes on synaptic function and plasticity”, Neural Plasticity, 2012,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22792491.
8 DONG, X. et al., “Molecular mechanisms of excitotoxi-city and their relevance to
pathogenesis of neurodegenerative diseases”, Acta Pharmacologica Sinica, vol.
30, 2009, p. 379-387, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19343058.
9 DU, X. et P ANG, T. Y., “Is dysregulation of the HPA-axis a core pathophysiology
mediating co-morbid depression in neurodegenerative diseases ?”, Front.
Psychiatry, 2015, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25806005.
10 DR ANOVSKY, A. et LEONARDO, E. D., “Is there a role for young hippocampal
neurons in adaptation to stress ?”, Behav. Brain Res., vol. 227, 2012, p. 371-375,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21621559.
11 ECKERSTRÖM, C. et al., “High white matter lesion load is associated with
hippocampal atrophy in mild cognitive impairment”, Dement Geriatr. Cogn.
Disord., vol. 31, 2011, p. 132-138, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21293123 ;
BRAAK, H. et BRAAK, E., “Evolution of the neuropathology of Alzheimer’s
disease”, Acta Neurol. Scand. Suppl., vol. 165, 1996, p. 3-12,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/8740983.
12 T U, S. et al., “Oligomeric Aβ-induced synaptic dysfunction in Alzheimer’s
disease”, Mol. Neurodegener., 2014, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25394486.
13 WALKER, L. C. et al., “Mechanisms of protein seeding in neurodegenerative
diseases”, JAMA Neurology, vol. 70, 2013, p. 304-310,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23599928.
14 CSERNANSKY, J. G. et al., “Plasma cortisol and progression of dementia in
subjects with Alzheimer-type dementia”, Am. J. Psychiatry, vol. 163, 2006,
p. 2164-2169, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17151169.
15 RAZ, N. et al., “Regional brain changes in aging healthy adults : general trends,
individual differences and modifiers”, Cereb. Cortex, vol. 15, 2005, p. 1676-1689,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15703252.
16 JACK, C. R., Jr, et al., “Steps to standardization and validation of hippocampal
volumetry as a biomarker in clinical trials and diagnostic criterion for Alzheimer’s
disease”, Alzheimer’s Dement., vol. 6, 2011, p. 474-485,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21784356.
17 BREDESEN, D. E. et al., “Reversal of cognitive decline in Alzheimer’s disease”,
art. cité.
18 SAGARE, A. P. et al., “Impaired lipoprotein receptor-mediated peripheral
binding of plasma amyloid-β is an early biomarker for mild cognitive impairment
preceding Alzheimer’s disease”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 24, 2011, p. 25-34,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21157031.
19 ERICKSON, M. A. et BANKS, W. A., “Blood-brain barrier dysfunction as a
cause and consequence of Alzheimer’s disease”, J. Cereb. Blood Flow Metab., vol.
33, 2013, p. 1500-1503, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23921899.

57
20 LIN, T. W. et al., “Running exercise delays neurodegeneration in amygdala and
hippocampus of Alzheimer’s disease (APP /PS1) transgenic mice”, Neurobiol.
Learn Mem., vol. 118, 2015, p. 189-197,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25543023.
21 HERRING, A. et al., “Environmental enrichment counteracts Alzheimer’s
neurovascular dysfunction in TgCRND8 mice”, Brain Pathol., vol. 18, 2008,
p. 32-39, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17924982.

58
DES CARENCES
QUI NOUS RENDENT MALADES

Il n’y a pas de poisson sans arête, et pas d’être


sans carences.

JULIUS WILHELM ZINCGREF (1591-1635)

Un peu de bon sens pour ne pas le perdre

Sans que nous nous en rendions compte ou presque, notre mode de vie
moderne implique différentes carences qui entraînent un trouble durable de
la neurogenèse dans l’hippocampe. À long terme, cela signifie qu’un grand
nombre de personnes âgées vont être touchées par la maladie d’Alzheimer.
Car si notre organisme est plein de ressources, il arrive un moment où il
n’est plus capable de compenser ces carences. Que faire ? Attendre une
mutation génétique qui surviendrait à la prochaine grande étape évolutive ?
Cela n’aurait aucun sens. D’abord parce qu’aujourd’hui, cela ne nous
servirait pas à grand-chose. Et puis parce que la probabilité que cette
mutation ait lieu un jour – et qu’elle soit donc peut-être utile à une
génération future – est extrêmement réduite.
En effet, l’évolution n’est pas en mesure de réagir à des modifications de
notre mode de vie aussi rapides et diverses, qui influent en profondeur sur
nos circuits de régulation biologiques. En peu de temps, notre alimentation,
notre façon de nous dépenser, la fréquence de notre activité physique et bien
d’autres paramètres de notre vie ont changé. Aujourd’hui, par exemple, nous
dormons en moyenne moins de sept heures, alors qu’il y a cinq à sept
générations, avant l’invention de l’ampoule électrique, une nuit de sommeil
durait encore neuf bonnes heures. À l’échelle de l’évolution, c’est un
changement qui vient tout juste de se produire.
En outre, dans notre société moderne, Mère Nature détermine de moins
en moins le sens de notre existence. Le principe évolutif selon lequel la
présence de grands-parents en bonne santé mentale augmente le nombre de
petits-enfants est par exemple neutralisé. Aujourd’hui, la santé mentale des
aïeuls n’est plus déterminante pour les chances de survie des petits-enfants.
Là encore, les choses étaient bien différentes il y a cinq ou six générations.

59
Ce changement-là, précisément, est lourd de conséquences. Dans une
existence telle que la nôtre, largement déterminée par des intérêts
économiques, nous sommes avant tout des consommateurs. Sur pression de
l’économie, l’État a donc pris en charge une grande partie de la garde (ainsi
qu’une grande partie de l’éducation) de notre progéniture, et ce, dès la toute
petite enfance. Ce qui peut paraître logique du point de vue de la croissance
économique se révèle cependant être une véritable catastrophe pour le sens
de la vie humaine. Avec les crèches et autres établissements similaires, les
grands-parents ne sont plus indispensables, du moins quand il s’agit de la
garde et de l’éducation des enfants. Déchargés de cette mission naturelle, ils
perdent aux frais de l’État une partie du sens de leur existence, et leur
risque de développer un Alzheimer augmente. Pour l’État, cependant, ils
restent des consommateurs, et c’est ce qui compte. C’est ainsi qu’en 2014,
au congrès du parti chrétien-démocrate, à Cologne, la chancelière
allemande Angela Merkel déclarait : “Une société qui vieillit offre des
chances insoupçonnables à première vue. L’économie de la santé, par
exemple, est un véritable moteur de croissance et d’activité, avec le
développement de produits médicaux novateurs1…”
Comment réagit notre société à de tels propos ? Elle se tait. Mais ce
silence en dit beaucoup sur nous. En bons moutons évolués, nous
transformons notre propre laine en vêtements et sommes même prêts à payer
pour. Qu’importe si cela doit nous coûter la santé. Nous acceptons le rôle
qui nous a été attribué et supportons les conséquences d’une situation qui, si
elle n’est pas naturelle, est néanmoins devenue normale. Il est temps de
faire changer les choses. La peur de cette maladie, qui, en l’état actuel, peut

60
toucher tout le monde, nous y incitera peut-être. À moins que nous ne
fassions tout simplement preuve de bon sens – avant de le perdre.

La cause de l’Alzheimer : des carences

Au cours de l’évolution humaine, le développement de la compétence


culturelle (collecte, analyse et transmission de connaissances empiriques) et
le développement de la longévité se sont renforcés mutuellement. C’est un
processus que nous décrivons comme l’hypothèse de la grand-mère. À l’âge
de pierre, au moment où ces deux qualités (culture et longévité) se sont
mises en place, tous les besoins étaient satisfaits naturellement. Notre
patrimoine génétique et notre mode de vie étaient adaptés l’un à l’autre. On
dormait alors suffisamment (près de l’équateur, où se trouve le berceau de
l’humanité, le jour et la nuit ont à peu près la même durée). On avait une
activité physique intense pour trouver de la nourriture. On mangeait de
manière diversifiée et donc plus riche d’un point de vue nutritif, alors
qu’aujourd’hui, notre alimentation est limitée à quelques plantes cultivées
de manière sophistiquée. Le manque de temps, quand il survenait, était peut-
être important, mais rarement chronique. Une fois rassasié, l’être humain
cessait de travailler. Cet équilibre permettait aussi de dire : “C’est assez.”
Le réseau social était étroitement tissé et ses membres se connaissaient
bien. Si cela n’avait pas été le cas, nous aurions un autre génome ou nous ne
serions pas là aujourd’hui. Ce sont donc à ces conditions préhistoriques que
nous sommes encore et toujours parfaitement adaptés.
Or, en peu de temps, notre culture a changé plus vite qu’il n’est possible
à nos gènes de s’adapter. Et comme nos besoins, pour la plupart, sont restés
inchangés, des carences se développent à vue d’œil. Notre programme
génétique tente de compenser celles-ci, ce qui entraîne d’innombrables
processus d’adaptation moléculaire dans tous nos tissus, y compris dans
l’hippocampe. Mais on l’a vu : ces processus d’adaptation sont non
seulement inefficaces, mais aussi nuisibles. Ils conduisent à la formation de
cercles vicieux qui aggravent les comportements générant des carences.

Si nous ne mettons pas un terme à ces cercles vicieux en remédiant aux


carences (c’est-à-dire en modifiant radicalement notre comportement), les
modifications moléculaires (comme les troubles de la neurogenèse ou la
sécrétion excessive de bêta-amyloïde) conduisent à des modifications
pathologiques dans le cerveau (comme la réduction de la masse cérébrale et
la formation de plaques séniles) et, finalement, se manifestent sous la forme
d’effets cliniques. C’est ce que nous appelons l’Alzheimer.

61
Un système naturel de bons points

Maintenant, penchons-nous sur un phénomène intéressant : que se passe-t-il


quand nous nous en tenons à notre mission “divino-évolutive” ? Notre
cerveau nous récompense sous la forme de sentiments de bonheur. Nous
pensons disposer d’une volonté propre qui nous permette à tout moment de
faire un choix opposé (songeons par exemple au célibat des prêtres), mais
naturellement, nous sommes toujours hautement motivés quand il s’agit de
suivre notre programme génétique. Quand nous tombons amoureux,
l’euphorie est au rendez-vous. Même chose pour toutes les situations de la
vie qui ont pour objectif de faire des enfants et de les soutenir dans leur
apprentissage. Si l’acte sexuel n’était pas aussi plaisant, l’humanité se
serait éteinte depuis longtemps. Si les grands-parents n’éprouvaient aucun
plaisir au contact de leurs petits-enfants, nous ne vivrions pas si vieux.
Comme notre succès en matière de reproduction dépend du maintien de
notre santé mentale et donc des performances de notre hippocampe, Mère
Nature a fait en sorte qu’un sentiment de bien-être se fasse toujours ressentir
quand notre hippocampe va bien. Et la bonne santé de l’hippocampe tient à
la neurogenèse, c’est-à-dire à la fabrication de nombreux nouveaux
neurones intégrés au réseau de neurones existants. Il a été prouvé que les
nouveaux neurones créés augmentaient notre résistance au stress, ce qui
nous procure un sentiment intense de bien-être2. Notre stock d’expériences
s’en trouve augmenté, tout comme notre espérance de vie absolue, mesurée
en jours et en années, mais aussi notre espérance de vie ressentie, qui se
compte en souvenirs.
Forts de cette observation, nous comprenons maintenant sans difficulté
pourquoi nous sommes heureux quand le soleil nous caresse le visage,
pourquoi un plat nous paraît plus goûteux quand il est bien épicé, pourquoi,
après une promenade au grand air, nous nous sentons mieux qu’avant. Et
pourquoi des défis surmontables agissent sur nous comme un élixir de vie et
nous apportent une satisfaction profonde. La liste de ce qui nous contente de
manière naturelle est longue. Si différents qu’ils soient, ces “plaisirs” ont en
commun d’encourager la neurogenèse dans l’hippocampe et, par
conséquent, la bonne santé mentale.

Changer notre approche

Notre goût pour la modernisation et pour ce que nous considérons comme


une amélioration de notre mode de vie nous incite à vivre conformément aux

62
lois du marché plutôt qu’à celles de notre espèce. Petit à petit, nous nous
éloignons toujours plus de besoins qui sont ancrés génétiquement en nous.
Aujourd’hui, les déficits concernent tous les domaines fondamentaux de
notre existence, et notre hippocampe ne souffre que rarement d’un seul
manque. Mais la recherche moderne, elle, procède plus volontiers par
spécialité et ne se penchera donc que sur une seule carence. Dans le cadre
d’une étude (aussi bien préventive que thérapeutique), on ira donc à
l’encontre d’un seul déficit et on étudiera l’effet de cette unique
modification sur l’Alzheimer. C’est là que le bât blesse. Impossible, avec
une telle approche, d’obtenir des résultats vraiment encourageants. Si l’on
observe peut-être une amélioration sur un sujet qui souffrait uniquement de
ce déficit spécifique, la majorité des participants à l’étude, chez qui, par
exemple, d’autres carences sont tout aussi importantes, ne voient pas leur
situation changer nettement. En moyenne, cette mesure unique fera
légèrement baisser le risque d’Alzheimer dans le groupe étudié, c’est vrai.
Mais le scientifique impliqué dans l’étude ne pourra pas éprouver ce
sentiment libérateur : “Eurêka, j’ai trouvé !” Et pour cause.
Un botaniste comprendra ce phénomène sans peine : pour qu’une plante
pousse, il lui faut de l’eau et du terreau. Un seul de ces deux éléments
indispensables ne suffit pas. C’est ce que l’agronome Carl Sprengel a
découvert et formulé dès 1828. Selon sa Loi du minimum, la croissance
d’une plante est limitée par la ressource qui vient à manquer en premier. Si
la plante manque d’eau, par exemple, cela ne servira à rien d’ajouter du
fertilisant ou de la traiter avec un produit phytosanitaire. Ce qu’il lui faut,
c’est de l’eau. Cette Loi du minimum est aussi valable pour notre
hippocampe. Pour favoriser la croissance cérébrale de cet organe spécial
qui peut se développer pendant toute notre vie, il faut modifier notre mode
de vie de manière à compenser toutes les carences. C’est là la seule façon
d’éviter ou de soigner l’Alzheimer. Un médicament, qui serait à notre
cerveau ce qu’un produit phytosanitaire est à la plante, ne pourra ici ni nous
protéger, ni nous soigner.
Poste de commande de notre mémoire, l’hippocampe a de nombreux
besoins. Les possibilités de ne pas les satisfaire sont donc elles aussi
nombreuses. Et comme nos sociétés modernes permettent des modes de vie
très différents, il existe aussi des carences très différentes qui, à la fin,
aboutissent à une seule et même maladie. Voilà pourquoi l’Alzheimer
survient dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Il y a le
philosophe dont l’activité physique est insuffisante, l’ouvrier sous-payé
stressé en permanence à force de jongler entre deux emplois, le travailleur
indépendant qui ne vit plus que pour son projet et ne dort pas suffisamment,

63
etc. Chacun de ces modes de vie, extrêmes du point de vue du chasseur-
cueilleur, entraîne une neurogenèse carencée et, à long terme, des dommages
sur l’hippocampe. Que des parcours aussi différents puissent conduire au
même résultat peut paraître étonnant. Mais songeons à la Loi du minimum !
Parfois, nous pouvons aussi avoir l’impression que les gens subitement
touchés par la maladie d’Alzheimer menaient une vie à première vue
parfaitement saine. Mais c’est que nous appliquons des critères de
normalité non naturels. Beaucoup d’entre nous n’ont pas conscience des
dangers qu’implique notre mode de vie moderne, désormais jugé normal.
Pour des raisons économiques, on nous vante par exemple certains aliments
(comme le beurre, la charcuterie ou des sucreries inutilement enrichies en
vitamines) alors qu’il a été prouvé que leurs composants augmentaient pour
le consommateur le risque de développer un Alzheimer. L’activité physique
est souvent considérée comme une charge inutile, le sommeil comme une
perte de temps absurde. Deux tiers des êtres humains sont des lève-tard,
mais notre rythme de travail exige que nous soyons levés de bon matin.
Quand le réveil sonne, c’est donc bien souvent au beau milieu de notre si
précieux sommeil profond. De la même manière, le chômage est pour
beaucoup une situation durable et fait partie des choses quasiment normales.
En réalité, notre cerveau s’en accommode mal, tout comme il ne supporte
pas bien que nous prenions notre retraite et nous retrouvions soudain sans
aucune véritable tâche à accomplir. Car un cerveau qui n’est pas utilisé est
un cerveau qui souffre.
Devant des patients issus de différentes catégories socioprofessionnelles,
il ne nous reste plus qu’un dénominateur commun : l’âge. Et ce qui n’est que
le cadre dans lequel se développe la maladie devient soudain sa cause. En
réalité, l’âge avancé n’est que le paramètre qui va nous permettre de
constater les conséquences d’un mode de vie caractérisé par des carences.
Il y a de “bonnes” raisons à cette approche : quand il s’agit de répondre à la
question du but de notre existence, notre vision doit être la même que celle
formulée par l’économie, la politique et certains scientifiques, sans quoi, du
point de vue d’une économie conservatrice, nous courons à la catastrophe.
Pourtant, ce qui importe ici, ce n’est pas le fait de vieillir, mais la façon
dont nous vieillissons.

La culture, c’est ce que nous faisons de notre vie

Dès lors que nous le considérons pour ce qu’il est – une maladie de
carences induite par notre culture –, l’Alzheimer perd son statut de coup du
sort. En réalité, notre sort est en grande partie entre nos mains : notre

64
comportement influe sur le développement ou non de la maladie et, pour
ceux qui sont déjà touchés, sur les chances de guérison. Dans cette
perspective, nous devons tout d’abord avoir conscience de ce qui est
nécessaire à notre vie d’être humain et, bien sûr, être prêts à mettre en
pratique ce savoir. Pour déclarer la guerre à la maladie, il nous faut
réapprendre à vivre “conformément aux besoins de notre espèce” et
considérer le corps et l’esprit comme une unité. Cela est possible à
n’importe quel âge, même quand se sont déjà manifestés les premiers signes
sérieux de l’Alzheimer. Évidemment, il ne s’agit pas de redevenir chasseur-
cueilleur pour rendre justice à des besoins physiques et psychiques
façonnés à l’âge de pierre. Nous pouvons aussi les satisfaire dans les
conditions qu’offre notre civilisation moderne, même s’il nous faudra pour
cela remettre en question quelques-unes des conventions qui nous ont été
inculquées.
Cela nous ramène à la question du sens de notre existence, par laquelle
nous avons commencé notre recherche sur la cause de l’Alzheimer.
Répondons-nous à cette question fondamentale selon les exigences de Mère
Nature, qui place au premier plan la famille, les rencontres et l’entraide
sociale, ou selon les exigences de l’État, qui soutient un système
économique dans lequel prévalent la consommation et l’affrontement pour
s’approprier le pouvoir économique ? Quel genre de culture voulons-nous
développer ? Qu’est-ce qui nous importe vraiment ?…
Et si, finalement, c’était notre santé ?

1 Cf.
www.cosmopolis.ch/politik/d0185/volltext_von_merkels_parteitagsrede_d0000000185.htm
9.11.2014.
2 SNYDER, J. S. et al., “Adult hippocampal neurogenesis buffers stress responses
and depressive behaviour”, Nature, vol. 476, 2011, p. 458-461,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21814201.

65
LES CINQ STADES DE LA MALADIE

Tout l’art consiste à ne pas éviter les obstacles,


mais à en sortir grandis.

ANAXIMANDRE (vers 610-546 av. J.-C.)

Stade un : déficits cognitifs subjectifs

Notre mode de vie actuel génère souvent des déficits dès la petite enfance,
ceux-ci entraînant alors une mauvaise neurogenèse dans l’hippocampe (et
pas seulement là). En raison de l’énorme faculté de compensation de notre
cerveau, il faut cependant plusieurs décennies avant qu’apparaissent les
premiers symptômes. Le syndrome d’épuisement professionnel (ou burn-
out) et la dépression clinique constituent de premiers signaux
d’avertissement. Attention, nous disent-ils, notre résistance au stress est
défaillante, l’hippocampe est malade et l’ensemble de notre cerveau, par
conséquent, se trouve en danger. À l’heure actuelle, la plupart des gens
d’âge moyen, alors même qu’ils se croient encore en bonne santé, se
trouvent sans doute à ce stade de la maladie qu’on peut qualifier de
préclinique.
Dans ce contexte, comparer notre santé mentale à celle d’autres
personnes du même âge ne nous sera pas d’une très grande utilité. En effet,
ce que nous considérons comme une évolution normale pour notre âge ne
correspond pas à un vieillissement sain. Récemment, des analyses ont ainsi
prouvé que des études menées sur l’évolution soi-disant normale de notre
santé mentale en fonction de l’âge étaient faussées, puisqu’au début des
études, certains participants étaient déjà atteints de la maladie d’Alzheimer
ou d’une autre forme de démence1. Une fois ces sujets exclus de
l’observation, on s’aperçoit que le préjudice que l’âge cause à nos
capacités intellectuelles est minimal, ainsi que le prévoit l’hypothèse de la
grand-mère. Pour mesurer l’évolution de nos facultés cognitives, mieux vaut
donc ne pas nous référer à la population moyenne. Même si celle-ci, par
définition, est jugée normale, elle voit sa santé mentale se dégrader plus
que si elle vivait conformément aux besoins de notre espèce. Il faut faire la
différence entre une évolution normale et une évolution naturelle. Ce qui

66
serait naturel, ce serait que nous conservions notre santé mentale en
vieillissant et que notre masse cérébrale demeure à peu près constante.
Nous serions ainsi en mesure de faire de nouvelles expériences tout au long
de notre vie, ainsi que la nature l’a “prévu” pour nous.
Au début de la maladie, les personnes atteintes d’Alzheimer ressentent
des difficultés à accomplir certaines tâches et, généralement, elles s’en
rendent compte avant leur entourage. Devant cet effort supplémentaire à
fournir pour arriver à un résultat, elles s’inquiètent. À ce stade, tant que les
tests de mémoire cliniques ne montrent pas encore d’anomalies par rapport
à la norme, les spécialistes parlent de “déficit cognitif subjectif” (ou SCI,
subjective cognitive impairment).
Pour donner un fondement objectif à la gêne ressentie et faire la
distinction entre celle-ci et le léger déclin cognitif “normal” lié à l’âge, une
initiative internationale a été lancée en novembre 2012 sous la direction de
Frank Jessen, chercheur à l’université de Bonn, en Allemagne. L’objectif
était de permettre à la recherche pharmaceutique d’utiliser le SCI. Jusqu’ici,
toutes les tentatives de guérir l’Alzheimer à travers une thérapeutique
médicamenteuse ont en effet échoué, mais l’espoir demeure. L’idée,
notamment, serait de développer un médicament intervenant bien plus en
amont dans le processus de la maladie, si possible avant que les tests
cliniques ne révèlent des anomalies. Dans ce contexte, Frank Jessen et ses
confrères ont établi un catalogue de critères pour déceler un déficit cognitif
subjectif sérieux2 :
• Le patient ressent une baisse croissante et surtout continue de ses
facultés intellectuelles par rapport à son état mental habituel. (Ce premier
point permet généralement d’exclure une cause aiguë.)
• Les tests cliniques qui mesurent la santé cognitive sont encore normaux.
(On ne pourrait plus parler sinon de déficit subjectif.)
• La baisse de performance ressentie ne concerne d’abord que la
mémoire, et moins les facultés cognitives en général. (Ce critère permet de
centrer les faits sur l’hippocampe, cette configuration étant plus probable
dans le cas d’un Alzheimer. Dans le texte anglais original, le groupe de
travail de Frank Jessen parle néanmoins de “baisse de la santé mentale” et
non de “baisse de la mémoire”. Selon les experts, beaucoup de gens ont en
effet du mal à faire la différence.)
• L’apparition des premiers symptômes remonte à moins de cinq ans. (Un
début plus ancien impliquerait un développement lent de la maladie, ce qui
est peu vraisemblable pour l’Alzheimer, même si ce n’est pas exclu.)
• Le patient craint d’être atteint d’Alzheimer. (Il a été démontré que la
probabilité d’être à un stade précoce de la maladie d’Alzheimer est plus

67
élevée dans ce cas et que les craintes des patients sont à prendre en
considération.)
• Il n’existe aucun autre déclencheur visible justifiant une perte des
performances intellectuelles, tel qu’une maladie psychiatrique, la prise d’un
nouveau médicament, la consommation de drogues ou un trouble
neurologique objectif. (Même si la maladie d’Alzheimer n’exclut pas de
tels troubles, tester un nouveau médicament contre l’Alzheimer sur ce type
de patients n’aurait aucun sens.)
• Les biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer révèlent des anomalies.
(Leur dosage peut être positif des décennies avant un déficit cognitif
subjectif, mais chez les patients ressentant un SCI, le taux de résultats
anormaux est plus élevé.)

LE POINT SUR : LES BIOMARQUEURS


Les biomarqueurs ou marqueurs biologiques sont des caractéristiques
biologiques permettant de dépister une maladie de manière précoce et
de contrôler son évolution. Dans le cas d’une baisse des facultés
cognitives, la caractéristique indiquant qu’il peut s’agir d’un Alzheimer
au stade précoce de la maladie est la présence d’une quantité élevée de
bêta-amyloïde dans le cerveau3. Ce biomarqueur est mesuré soit par
ponction lombaire du liquide cérébro-spinal, soit en mettant directement
en évidence la présence de plaques amyloïdes dans le cerveau. Dans ce
dernier cas, on utilise une méthode d’imagerie médicale particulière, la
tomographie par émission de positons (ou PET, de l’anglais positron
emission tomography). Grâce à différents marqueurs, celle-ci permet de
“marquer” et donc de détecter les dépôts de bêta-amyloïde. Si un PET
scan positif ne constitue pas une preuve absolue pour diagnostiquer
l’Alzheimer, un PET scan négatif aura l’avantage d’exclure dans une
large mesure cette hypothèse. Dans le cadre d’un PET scan, il est aussi
possible d’utiliser le fluorodésoxyglucose comme traceur afin de mettre
en évidence des troubles du métabolisme caractéristiques de
l’Alzheimer (résistance neuronale à l’insuline). À l’heure actuelle, c’est
l’un des biomarqueurs les plus sensibles et les plus précis dans le
diagnostic de la maladie4. En l’absence de PET scan, on peut avoir
recours à une IRM (imagerie par résonance magnétique) pour déceler
une atrophie cérébrale typique de la maladie d’Alzheimer. Dès le stade
précoce de la maladie, on remarque en effet une atteinte nette de la

68
substance blanche, notamment au niveau des fibres perforantes5. En
outre, l’hippocampe est nettement plus petit que chez un individu sain. À
l’avenir, et notamment dans le cadre du traitement proposé dans cet
ouvrage, la mesure du volume de l’hippocampe par IRM pourrait donc
devenir un élément déterminant dans le diagnostic de la maladie comme
dans l’évaluation du succès du traitement.

Comparés à des gens du même âge qui ne ressentent pas de baisse de


leurs capacités intellectuelles, les patients chez qui un SCI a été
diagnostiqué ont deux fois plus de probabilité d’obtenir des résultats
anormaux à des tests cliniques menés dans l’année qui suit le diagnostic.
Cette valeur augmente encore en cas d’anamnèse familiale positive, c’est-à-
dire quand l’Alzheimer a déjà touché un membre de la famille. Dans le
groupe pris en charge par le professeur Bredesen, c’était par exemple le cas
d’une patiente de 63 ans, qui avait hérité d’un facteur génétique (ApoE4)
susceptible – en combinaison avec un mode de vie néfaste – de faire
augmenter le risque d’Alzheimer (voir le point sur l’ApoE4, p. 26). Notons
cependant qu’en dépit de cette disposition génétique, l’adoption d’un mode
de vie adapté a aussi donné de bons résultats chez cette patiente. Par
rapport à des sujets du même âge sans SCI, le risque, avec un SCI,
d’atteindre le prochain stade clinique de la maladie, voire d’être atteint de
démence dans les sept années qui suivent est multiplié par 4,5. À l’inverse,
la probabilité que la maladie ne s’aggrave pas au cours de cette période est
inférieure à 50 %6.
Comme certains scientifiques l’avancent, la désignation de “déficit
cognitif subjectif” est donc trompeuse, car si les troubles mentaux sont dits
“subjectifs”, le danger n’en est pas moins réel7. C’est encore plus vrai
quand les biomarqueurs sont positifs. Pourtant, le diagnostic du SCI n’est
toujours pas pratiqué dans les cabinets médicaux et reste l’apanage de la
recherche pharmaceutique. De nombreux spécialistes se prononcent même
en défaveur d’un dépistage précoce, comme Richard Dodel, directeur du
département de neurologie de l’université de Marbourg, en Allemagne. Le
professeur Dodel déclare pourtant aussi qu’avec l’imagerie médicale, la
maladie peut être décelée jusqu’à vingt-cinq ans avant son déclenchement.
Alors pourquoi ne pas encourager le dépistage ? Parce que, dit-il, “il
n’existe aucun moyen de retarder la maladie8”. Étrangement, c’est encore
lui qui affirme que “toutes les études montrent qu’une activité physique
régulière a un effet bénéfique à long terme sur le cerveau”.

69
Si nous sommes dans l’attente d’une pilule miracle seule susceptible de
nous aider, alors effectivement, nous sommes démunis, et le dépistage
précoce, comme le dit le professeur Dodel, ne présente aucun avantage
thérapeutique. En revanche, si nous comprenons l’Alzheimer comme une
maladie de carences qu’il est possible d’éviter, le dépistage précoce est
plus que recommandé ! Une fois le SCI diagnostiqué, la patiente du
professeur Bredesen que j’ai évoquée plus haut a ainsi pu être traitée à
temps et soignée, et ce, alors qu’elle était en plus porteuse d’une variante
génétique (ApoE4) augmentant le risque d’Alzheimer. Dale Bredesen
rapporte qu’après une phase de traitement intensif de six mois visant à
éliminer les déficits à l’origine de la maladie, les dépôts de bêta-amyloïde
avaient disparu du cerveau de la patiente et que ses capacités de mémoire
s’étaient normalisées. La sexagénaire put reprendre son travail. Et son cas
n’était pas isolé. Dans le groupe ayant suivi le programme thérapeutique du
professeur Bredesen, deux patients souffraient eux aussi de troubles
cognitifs subjectifs réguliers et croissants (depuis un an pour l’un, deux ans
pour l’autre), avec des répercussions sur leur vie professionnelle. Chez ces
deux patients aussi, une thérapie d’environ six mois permit de normaliser la
mémoire. Grâce au programme de Dale Bredesen qui attaquait de manière
conséquente les carences résultant d’un mode de vie inadapté,
l’hippocampe des deux patients put développer ses capacités
autorégénératives à travers un potentiel naturel de création de neurones et la
régularisation du métabolisme de la bêta-amyloïde9.
Si la maladie d’Alzheimer n’est pas détectée à ce stade encore très
précoce et traitée par l’élimination des carences qui en sont la cause, les
premiers symptômes cliniques ne tardent pas à se manifester. C’est le stade
deux de la maladie.

Stade deux : troubles cognitifs légers amnésiques

À ce stade désormais clinique, le développement de l’Alzheimer est encore


en grande partie circonscrit à l’hippocampe. La maladie se manifeste donc
surtout par des trous de mémoire (amnésie) et des troubles de l’orientation
spatiotemporelle. Sarah Jones, par exemple, ne trouvait plus le chemin pour
rentrer chez elle après sa journée de travail. Sa pensée rationnelle (la
cognition) n’était pas encore touchée directement, tout au plus était-elle
gênée par ses problèmes de mémoire. C’est la raison pour laquelle on parle
à ce stade de “troubles cognitifs légers” ou TCL. Dans la plupart des cas,
ces troubles n’empêchent pas de mener une vie autonome. Remarquez qu’il
est complètement naturel (et même important) d’oublier certaines choses. Il

70
n’y a donc pas lieu de s’inquiéter pour une casserole oubliée sur le feu. En
revanche, si, en plus de la casserole, on a aussi oublié qu’on était en train
de cuisiner, mieux vaut consulter un médecin. Ce genre de trous de mémoire
entre dans la catégorie des troubles mnésiques sérieux et se distingue d’un
simple manque de concentration.
Dans le cas de Mme Jones, sa personnalité était encore parfaitement
intacte. Parce qu’elles sont déconcertées par les troubles de la mémoire
qu’elles rencontrent, les personnes touchées sont cependant de plus en plus
souvent sujettes aux sautes d’humeur. Au programme : tensions et
irritabilité, voire une dépression (celle-ci pouvant aussi être le résultat
d’une mauvaise tolérance au stress qui, du coup, s’aggrave encore). À ce
stade encore précoce de la maladie, beaucoup de gens manquent d’énergie.
Comme leurs capacités d’assimilation et de réaction diminuent, les malades
se ferment involontairement à la nouveauté et préfèrent la routine. Là
encore, les troubles de la neurogenèse et donc la peur de l’inconnu jouent un
rôle aggravant si ce n’est déclencheur.
À la maison, dans un quotidien bien réglé, ces changements sont en
général à peine perceptibles. Mais au travail, dès cette phase précoce de la
maladie, il est pratiquement impossible de répondre aux exigences toujours
changeantes de la vie professionnelle. C’est ainsi que Mme Jones dut
renoncer (provisoirement) à son métier d’analyste.
Environ 80 % des personnes qui présentent des troubles de la mémoire
très nets et évoluant rapidement développent en l’espace de sept ans une
démence complète. Compte tenu des antécédents familiaux de Mme Jones
(sa mère, comme on l’a vu, était morte de démence) et du développement
rapide de sa maladie sur deux ans seulement, le pronostic était
particulièrement mauvais dans son cas. Il n’empêche : le programme de
mesures individuelles a très bien fonctionné chez elle.
L’étude finlandaise FINGER déjà évoquée auparavant a permis d’obtenir
des résultats similaires chez les participants de l’étude prêts à remédier à
quelques-unes des principales carences caractéristiques de nos sociétés
modernes : alimentation carencée, activité physique insuffisante, manque
d’activité intellectuelle, manque de contacts sociaux (notamment chez la
personne âgée). En ne remédiant qu’à ces quatre carences typiques de nos
sociétés, il a été possible de stopper la progression de la maladie
d’Alzheimer chez les sujets atteints de TCL amnésiques et d’améliorer à
nouveau leurs capacités cognitives (raisonnement et mémoire) par rapport
au groupe témoin dont les habitudes de vie carencées et nocives pour la
santé étaient restées inchangées.

71
Mais que se passe-t-il quand on remédie à toutes les carences induites
par notre mode de vie moderne ? C’est ce que montre le petit groupe ayant
suivi le programme thérapeutique du professeur Bredesen. En plus de Mme
Jones, un autre participant, âgé de 72 ans, souffrait aussi d’un Alzheimer
arrivé au stade des TCL amnésiques. Depuis sept ans, ses troubles de
mémoire ne cessaient de s’aggraver. Une fois les carences responsables
éliminées, sa mémoire s’améliora et il put reprendre son travail. Depuis,
ces résultats encourageants ont pu être confirmés chez d’autres patients qui
se trouvaient également au stade 2 de la maladie d’Alzheimer10.
Une analyse statistique montre que sans traitement adapté la guérison
spontanée ne survient que dans 20 % des cas11. Il se peut que le diagnostic
posé ait été faussé dès le départ ou encore que les patients aient eux-mêmes
éliminé les carences en cause en modifiant leur mode de vie. Sur la base
d’un diagnostic correct, un quart des patients développent une démence
complète en l’espace de deux ans et demi. C’est sept fois plus que chez des
personnes en bonne santé mentale du même âge12.

Stade trois : stade léger de la maladie

Dans le groupe du professeur Bredesen, Ben Miller se trouvait à ce stade


encore léger de la maladie, ainsi que deux autres participantes à l’étude.
Comme le rapporte Dale Bredesen, l’une d’elles, une patiente de 55 ans qui
souffrait de troubles croissants de la mémoire depuis déjà quatre ans, put
retrouver la santé au bout de cinq mois, en adoptant un nouveau mode de vie
dans le cadre d’un traitement remédiant aux carences. Tous les problèmes
de mémoire caractéristiques de la maladie d’Alzheimer avaient disparu, et
la patiente put exercer à nouveau son métier sans problème, et même
apprendre une langue étrangère. Chez la seconde patiente, la perte de
mémoire avant traitement s’était développée très rapidement, en l’espace
d’un an seulement. Avec le traitement, son état s’améliora assez pour
qu’elle puisse, en dépit de ses 75 ans, elle aussi reprendre une activité
professionnelle13.

C’est une évolution inattendue puisqu’à ce stade de la maladie, il est


pratiquement impossible de mener une vie autonome tant les troubles de la
mémoire sont importants (on l’a vu dans le récit du parcours de Ben
Miller). Les patients ont de plus en plus souvent besoin d’aide pour
accomplir des tâches, même quotidiennes. La parole et la compréhension se
font plus lentes, les malades répètent souvent les mêmes phrases et perdent

72
leurs repères spatiotemporels. Il arrive aussi souvent que les patients ne
reconnaissent plus les visages familiers. Et s’ils conservent encore
longtemps le souvenir de certains événements importants d’un point de vue
personnel, ils peuvent à peine retenir les événements les plus récents. Pour
pouvoir accomplir une tâche, ils doivent y être incités clairement, et à
plusieurs reprises.
La capacité à compter et à résoudre des problèmes diminue rapidement,
comme le montre la description du cas de Ben Miller. Les difficultés à
s’habiller de manière adaptée (vêtements d’hiver en été, etc.) sont
fréquentes elles aussi, de même qu’une perte croissante des repères et un
manque d’hygiène. Des troubles du langage et des psychoses peuvent
également se développer.
D’un point de vue diagnostique, les résultats des tests
neuropsychologiques sont révélateurs, ainsi que le dosage positif des
biomarqueurs caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. Chez Ben Miller,
la tomographie par émission de positons avait par exemple montré une
diminution nette du métabolisme dans les lobes temporaux du cerveau – l’un
des signes de la maladie d’Alzheimer. À ce stade, l’évolution vers une
démence complète est désormais très probable, et les chances de guérison
spontanée (c’est-à-dire sans modification du mode de vie ni élimination des
carences en cause) sont extrêmement minces. La survie moyenne est estimée
à une période allant de quatre à six ans14.

Stade quatre : stade intermédiaire de la maladie

Dans le petit groupe pris en charge par le professeur Bredesen, seul un


patient de 70 ans se trouvait à ce stade de la maladie et souffrait de pertes
de mémoire croissantes depuis déjà quatre ans. Les tests quantitatifs et
neuropsychologiques auxquels il avait été soumis avaient révélé les
anomalies caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. En outre, le patient
avait échoué au test de mémoire MemTrax, un test validé scientifiquement.
En six mois de traitement, les résultats des tests s’améliorèrent et le
patient put finalement réussir le MemTrax. Cela signifie que sa mémoire
était nettement meilleure, même si, comme l’indique Dale Bredesen, il fut
impossible de le guérir complètement. En effet, seul l’hippocampe possède
des capacités de régénération. Or, à ce stade déjà avancé de la maladie,
l’hippocampe n’est pas le seul à être gravement touché : d’autres parties
importantes du cerveau sont également atteintes.
Ce palier entre le troisième et le quatrième stade de la maladie, c’est ce
que j’appelle sur la base de ma théorie scientifique le “point de non-

73
retour”, c’est-à-dire le moment où, en modifiant les comportements du
patient, on ne parvient plus qu’à ralentir le processus de destruction en
marche, sans pouvoir le stopper. Une thérapie permettant de lutter contre
des carences reste bien sûr utile, mais pour être vraiment efficace, elle
devrait être mise en œuvre beaucoup plus tôt. C’est la raison pour laquelle
je plaide en faveur d’un dépistage précoce généralisé. Car si une
tomographie par émission de positons ou une mesure du volume de
l’hippocampe par IRM sont onéreuses, leur coût reste cependant
négligeable, comparé aux frais engendrés par la prise en charge 24 heures
sur 24 des patients atteints de démence. À long terme, nos sociétés ne
pourront d’ailleurs pas assumer de tels coûts. Les différents outils de
diagnostics pourraient être utilisés pour informer aussi tôt que possible des
dangers causés par nos habitudes de vie et nous motiver à adopter un
comportement plus sain.

Stade cinq : stade sévère de la maladie

À ce stade, les patients sont dépendants à 100 %. Les proches qui


s’occupent d’eux sont le plus souvent complètement dépassés, et les
malades doivent généralement être pris en charge dans un établissement
spécialisé. L’ensemble du cerveau est désormais touché ; la communication
est presque impossible. Il n’y a que peu ou pas du tout d’interaction entre le
personnel soignant et les patients, qui ne reconnaissent plus les membres les
plus proches de leur famille. À ce moment-là, une thérapie consistant en une
modification profonde du mode de vie ne peut plus être efficace, d’une part
parce que la maladie est déjà trop avancée biologiquement, et d’autre part
parce qu’une mise en œuvre des mesures est désormais difficile. C’est ce
qui explique que pour le seul patient du professeur Bredesen qui se trouvait
à ce dernier stade de la maladie, toutes les mesures curatives s’avérèrent
malheureusement vaines.

1 BURGMANS, S. et al., “The prevalence of cortical gray matter atrophy may be


overestimated in the healthy aging brain”, Neuropsychology, vol. 23, 2009, p. 541-
550, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19702408.
2 JESSEN, F. et al., “A conceptual framework for research on subjective cognitive
decline in preclinical Alzheimer’s disease”, Alzheimer’s & Dementia, vol. 10, 2014,
p. 844-852, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24798886.
3 LIM, Y. Y. et al., “Effect of amyloid on memory and non-memory decline from
preclinical to clinical Alzheimer’s disease”, Brain, vol. 137, 2014, p. 221-231,

74
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24176981.
4 MOSCONI, L., “Brain glucose metabolism in the early and specific diagnosis of
Alzheimer’s disease. FDG-PET studies in MCI and AD”, Eur. J. Nucl. Med. Mol.
Imaging, vol. 32, 2005, p. 486-510, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15747152 ;
O’BRIEN, J. T. et al., “18F-FDG PET and perfusion SPECT in the diagnosis of
Alzheimer and Lewy body dementias”, J. Nucl. Med., vol. 55, 2014, p. 1959-
1965, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25453043.
5 ECKERSTRÖM, C. et al., art. cité.
6 REISBERG, B. et al., “Outcome over seven years of healthy adults with and
without subjective cognitive impairment”, Alzheimer’s Dement, vol. 6, 2010, p. 11-
24, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20129317.
7 DESAI, K. A. et SCHWARZ, L., “Subjective cognitive impairment : When to be
concerned about « senior moments »”, Current Psychiatry, vol. 10, 2011, p. 31-
44.
8 MAYER, K.-M., “Der lange Weg zur Diagnose”, Focus, vol. 9, 2015, p. 79.
9 GALVAN, V. et BREDESEN, D. E., “Neurogenesis in the adult brain : implications
for Alzheimer’s disease”, CNS Neurol. Disord. Drug Targets, vol. 6, 2007, p. 303-
310, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18045158.
10 BREDESEN, D. E. et al., “Reversal of cognitive decline in Alzheimer’s disease”,
art. cité.
11 DINIZ, B. S. et al., “Diagnosis of mild cognitive impairment revisited after one
year. Preliminary results of a prospective study”, Dement. Geriatr. Cogn. Disord.,
vol. 27, 2009, p. 224-231, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19225236.
12 BOYLE, P. A. et al., “Mild cognitive impairment : risk of Alzheimer’s disease
and rate of cognitive decline”, Neurology, vol. 67, 2006, p. 441-445,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16894105.
13 Les États-Unis n’étant pas un État social, beaucoup de séniors sont forcés d’y
exercer une activité professionnelle. Le groupe du professeur Bredesen réunit
cependant un nombre relativement élevé (même pour des conditions américaines)
de gens âgés exerçant une activité professionnelle particulièrement exigeante, ce qui
est peut-être moins représentatif. Mais c’est aussi sans doute ce qui les a motivés à
entamer un traitement qui exige des participants rigueur et persévérance (voir la IIIe
partie “Phase intensive du traitement”, p. 305).
14 LARSON, E. B. et al., “Survival after initial diagnosis of Alzheimer’s disease”,
Ann. Intern. Med., vol. 140, 2004, p. 501-509,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15068977.

75
2

QUE FAIRE UNE FOIS LE DIAGNOSTIC POSÉ


(ET MÊME AVANT) ?

76
77
FAIRE FACE

Il est sot de demander aux dieux ce que l’on peut


se procurer par soi-même.

ÉPICURE (341-270 av. J.-C.)

Le défi du diagnostic

Si l’on se place d’un point de vue strictement évolutif ( !), le but de notre
existence ne réside que dans la transmission de notre patrimoine génétique.
Nous pouvons tout à fait aspirer à d’autres projets, mais cela ne change rien
à cet état de fait : nous sommes issus d’une évolution biologique au fil de
laquelle une stratégie s’est imposée avec succès, et celle-ci repose sur la
collecte, l’utilisation et la transmission d’expériences et de savoirs au sein
de petites communautés de coopération. C’est dans ce cadre que nous
pouvons évoluer intellectuellement tout au long de notre vie. Tant que nous
agissons de la sorte et faisons activement partie de la société, notre moi
continue de se développer, ce qui nous protège en même temps de
l’Alzheimer1. Les contacts humains sont donc déterminants pour le maintien
de la mémoire autobiographique jusqu’à un âge avancé2. Les échanges avec
les membres de notre famille, par exemple, jouent un rôle majeur : ils nous
permettent de partager chaque jour un vécu avec ceux dont le
développement, en général, retient naturellement notre attention.
Pour que les nouveaux neurones fabriqués chaque jour dans
l’hippocampe soient intégrés, il est essentiel que notre vécu soit captivant.
80 à 90 % de ces nouveaux neurones meurent en effet au cours de leur
processus de maturation quand ils ne sont pas utilisés. Parmi leurs missions,
l’une – décisive – est de comparer les nouvelles expériences aux
expériences déjà vécues. Si nous ne vivons ni n’apprenons rien de nouveau
à même de susciter des émotions et d’être retenu, l’existence de ces
neurones devient donc caduque3. Or, chaque neurone qui meurt dans notre
hippocampe représente à terme un peu moins de sable dans le sablier de
notre existence, mesurée en souvenirs. En outre, comme il y a moins de
neurones dans l’hippocampe, notre résistance au stress diminue et notre
niveau de stress est constamment élevé. Le moteur qui entraîne le

78
développement de la maladie est en marche. Nous devons donc faire tout
notre possible pour que de nouveaux neurones soient fabriqués et qu’ils se
connectent aux neurones déjà existants.
Pour autant, il ne s’agit pas de vivre sans le moindre stress ou d’éviter
par principe toute situation stressante. Cela ne ferait même qu’aggraver le
problème. Notre cerveau a constamment besoin de nouveaux défis gérables
et du stress positif qui en découle. Du point de vue de l’évolution, c’est-à-
dire génétiquement, notre cerveau n’est pas préparé à une inactivité à long
terme, à une vie dépourvue de défis qui lui donnent du sens. Pour le
chasseur-cueilleur, il n’y avait pas de retraite ni de chômage, et encore
moins de résidences pour le troisième âge, à l’écart de sa famille et de ses
amis. Tout au long de sa vie, il restait utile, même s’il ne s’agissait que de
transmettre son expérience. Dans cette perspective, vivre, c’est devenir
sans cesse !
Sans l’action stimulante du stress positif que nous ressentons quand nous
menons activement à bien des tâches que nous avons choisies, les nouveaux
neurones ne pourraient pas créer de souvenirs signifiants et donc stables.
Nous serions alors incapables de développer notre personnalité,
d’entretenir des rapports avec d’autres êtres humains ou de concevoir notre
vie de manière créative. Le stress positif est la quintessence du sens de la
vie, le contraire du sentiment d’absurdité que nous ressentons par exemple
quand on nous met au placard4.
C’est prouvé : le stress positif réduit le risque d’Alzheimer. Une étude a
ainsi mis en lumière une relation importante : quand je me lève le matin
avec le sentiment que ma vie a un sens parce que des tâches utiles et
intéressantes m’attendent, j’ai deux fois et demie moins de risque d’être
touché par la maladie d’Alzheimer que celui qui ne voit aucun sens à son
existence5. Cette situation est étroitement liée à la neurogenèse
hippocampique. Le stress négatif chronique (trop grande sollicitation) est
tout aussi néfaste à la neurogenèse que le manque de stress (manque de
sollicitation). Voilà pourquoi, chez les patients atteints d’Alzheimer, la
maladie ne progresse que lentement quand ils estiment que leur vie a un
sens et qu’ils affrontent de nouveaux défis. Le psychologue américain
Richard Taylor, chez qui la maladie d’Alzheimer a été diagnostiquée en
2001, alors qu’il était âgé de 58 ans, explique qu’une fois la démence
diagnostiquée, la plupart des gens perdent leur autonomie et ce qui donnait
du sens à leur vie. Comme il le résume dans une interview accordée au
magazine scientifique Gehirn & Geist, il ne leur reste plus qu’une chose à
faire : “Ils font des soirées loto, se promènent et regardent la télévision.

79
Mais ce ne sont que des activités qui remplissent la journée. Ce n’est pas ce
qui donne un sens à notre vie ou nous fait ressentir notre individualité6.”
Beaucoup de gens passent une grande partie de leur temps libre à
regarder des futilités à la télé. Et ce n’est pas sans conséquences, puisque le
risque de développer un Alzheimer augmente proportionnellement au temps
que nous passons chaque jour devant le petit écran. À long terme, chaque
heure quotidienne de télévision représente une augmentation du risque
d’environ 30 %7. En moyenne, les Français regardent la télévision environ
trois heures par jour, ce qui fait de notre bonne vieille lucarne un facteur
culturel de risque important pour l’Alzheimer8. En réalité, ce n’est pas la
télévision elle-même qui pose problème, mais plutôt le fait qu’à la regarder,
nous gaspillons des heures précieuses que nous pourrions sinon investir
dans une activité physique, des contacts sociaux et des loisirs
intellectuellement enrichissants. Même passer ce temps à dormir serait plus
efficace du point de vue de notre santé, puisqu’apparemment, nous sommes
toujours trop occupés pour couvrir nos besoins en sommeil.
À l’époque de son diagnostic, Richard Taylor ne connaissait pas les
causes de l’Alzheimer et ne savait pas qu’on pouvait lutter contre cette
maladie de carences. Comme il l’expliquait dans l’interview citée plus
haut, il n’avait aucun espoir de guérison. Il passa par tous les états d’âme
qui accompagnent l’annonce d’une mort prochaine : “La colère, la
dépression, le déni – ce qui déprimait toute ma famille. Ils étaient tous
furieux. Car ils ne voulaient même pas accepter que j’étais atteint de
démence, et encore moins que j’allais mourir bientôt9.”
Face à ce diagnostic, le psychologue se sentait abandonné. “S’imaginer
qu’on va perdre peu à peu le contrôle de son Moi, c’est quand même d’une
grande violence.” Mais cette colère incommensurable “envers la démence,
Dieu et soi-même – envers tout” le conduisit à opérer un revirement
salutaire : il s’engagea dans une psychothérapie de plusieurs années. “Cela
m’a permis de réapprendre ce que j’avais moi-même toujours expliqué à
mes patients : la vie est comme elle est. Ni bonne, ni mauvaise, elle n’est
que ce qu’on en fait. Tu connais tes problèmes, alors efforce-toi de les
résoudre.”
Chaque soir, il écrivait ce dont il pouvait encore se souvenir, ce qui
donna naissance à un livre10. Pendant des années, il parcourut le monde et
témoigna dans des conférences de son expérience de la maladie. Il mourut
en 2015 d’un cancer. L’Alzheimer ne l’a pas terrassé : il a conféré un
nouveau sens à son existence. Transmettre l’enseignement qu’il tirait de sa
maladie est devenu sa vocation, et sa vie était peut-être même plus

80
enrichissante qu’auparavant. Comme il le dit : “Parler avec d’autres gens et
constater que ces échanges avaient du sens, c’était très bon pour mon ego.
Je me réalisais en mettant des mots sur les expériences que je partageais
avec d’autres. En leur donnant une voix. C’est autour de ce nouvel objectif
que se construit ma vie.” Le sentiment d’accomplissement lié à son succès a
sûrement fait office d’engrais pour son hippocampe. Car chaque expérience
positive contribue à l’intégration durable des nouveaux neurones.
Richard Taylor avait senti qu’il risquait de dépérir si son existence
n’avait aucun sens. Au lieu de maudire la maladie, il l’accepta. Ce faisant,
il transforma un problème jugé insoluble (être atteint de la maladie
d’Alzheimer) en un défi surmontable.

Mettre fin au stress négatif fatal pour le cerveau

Les problèmes jugés insolubles – et un diagnostic révélant une maladie


d’Alzheimer en faisait jusqu’à présent partie – génèrent du stress négatif
chronique ainsi qu’une augmentation elle aussi chronique du taux de
cortisol. L’hormone du stress renforce l’agrégation de bêta-amyloïde
toxique et accélère l’atrophie de l’hippocampe. À son tour, la neurogenèse
bloquée (cf. illustration p. 74-75, “Le cercle vicieux de l’Alzheimer”)
réduit la tolérance au stress, ce qui alimente le cercle vicieux11. On
s’enfonce alors de plus en plus profondément dans un tunnel dont on croit ne
plus pouvoir sortir seul. Le désespoir généré par le diagnostic de la
maladie d’Alzheimer induit un stress négatif fatal pour le cerveau. Il s’agit
donc de le stopper !
On parle de stress négatif quand le facteur de stress déclencheur n’est
plus perçu comme un défi contrôlé, mais comme une charge incontrôlable.
Or, le stress négatif chronique n’est pas qu’une conséquence de l’Alzheimer,
c’est aussi l’une de ses nombreuses causes possibles. Dans nos sociétés
modernes centrées sur le rendement, le manque de temps est une constante et
le stress négatif s’installe, par exemple quand il nous faut accomplir des
tâches professionnelles qui ne sont tout simplement pas faisables dans le
temps imparti. On a alors l’impression de ne plus dominer ni la situation, ni
sa propre vie. On se sent dominé. Il convient de se protéger de ce stress le
plus souvent inutile pour ne pas avoir à en subir les dommages, comme
l’augmentation de la bêta-amyloïde toxique et le blocage de la neurogenèse.
Le stress négatif n’est cependant pas le seul paramètre qui justifie le
blocage de la neurogenèse et alimente le cercle vicieux que nous avons
décrit précédemment. Aujourd’hui, notre quotidien moderne permet
d’observer un certain nombre d’autres facteurs, que j’évoquerai plus en

81
détail dans les chapitres suivants. Quel qu’ait été le déclencheur, en tout
cas, une chose est sûre : quand la résistance au stress diminue, quand la
sensibilité au stress augmente, à long terme, il y a un risque de stress négatif
chronique et donc d’Alzheimer. Comme on l’a mis en évidence dans une
étude suédoise menée sur presque quatre décennies, le nombre mais aussi la
durée des épisodes porteurs de stress négatif (divorce, décès du conjoint,
problèmes professionnels ou maladie chronique dans le cercle familial)
semblent à première vue jouer un rôle déterminant12. À y regarder de plus
près, pourtant, il s’est avéré que ces épisodes sur lesquels nous n’avons
généralement aucun pouvoir sont certes générateurs de stress, mais qu’ils ne
sont pas la cause réelle de l’Alzheimer. Une analyse plus poussée des
données recueillies a révélé que le paramètre clef était surtout la réaction
des personnes touchées à ces événements13. Faire face à une expérience
traumatisante n’implique pas forcément qu’on devienne dépressif ou qu’on
développe un Alzheimer : certains, au contraire, sortiront grandis de tels
défis et utiliseront la situation comme un tremplin pour aller plus loin. Ces
personnes sont dotées de ce qu’on appelle la résilience, une force
psychologique qui leur permet de se reconstruire après un traumatisme.
Née à Arles en 1875, Jeanne Calment détient à ce jour le record de
longévité de l’espèce humaine. À sa mort, en 1997, elle était âgée
de 122 ans, cinq mois et quatorze jours. Elle a survécu à tous les membres
de sa famille, y compris sa fille et son petit-fils, ce qui ne l’a pas empêchée
de conserver jusqu’au bout sa joie de vivre. Elle avait de nombreux loisirs,
comme l’escrime, un sport auquel elle s’était initiée à l’âge de 85 ans, ou la
bicyclette, qu’elle pratiquait toujours à 100 ans. Notons à ce propos qu’une
heure par jour consacrée aux loisirs permet déjà de diviser par deux le
risque d’Alzheimer14. Jeanne Calment n’emménagea qu’à 110 ans dans une
maison de retraite qui porte désormais son nom. Les examens neurologiques
réalisés quelques années avant sa mort n’indiquaient aucun signe de
démence15.
Comment se fait-il que certains soient capables de surmonter les coups
du sort sans tomber malades, et d’autres pas ? Peut-on imaginer qu’il y ait
là un lien avec le temps que nous investissons dans l’introspection, qui nous
permet d’être plus flexibles et de mieux réagir aux nouveaux défis de la
vie ? Prendre conscience de soi, c’est un peu comme suivre un chemin qui
traverse une forêt sombre peuplée de démons : nombreux sont ceux qui
préfèrent ne pas s’y aventurer à moins d’y être forcés. L’introspection
demande du courage, mais aussi et surtout une neurogenèse intacte qui
permette d’avoir ce courage. Quand une situation de carences a généré des

82
troubles de la neurogenèse, nous sommes moins résistants au stress.
D’emblée, nous sommes donc moins enclins à nous aventurer dans des
situations stressantes et à les affronter. Pour augmenter la résistance au
stress et, en même temps, préparer un terrain favorable à l’introspection et
au développement personnel, il est nécessaire de procéder de manière
systémique. C’est la démarche adoptée dans cet ouvrage pour, entre autres,
stimuler la neurogenèse. Car l’activation de la neurogenèse (le traitement de
la dépression l’a montré) est une condition indispensable pour s’ouvrir et
aller vers une guérison durable.

L’épreuve de la maturité

S’ouvrir à la nouveauté et faire preuve de flexibilité, cela implique de


remettre en question ses schémas de pensée habituels et de les faire évoluer.
C’est aussi devenir adulte, et cela n’a rien à voir avec l’âge qu’on a. Au
départ, que notre enfance ait été formidable ou abominable (ou que nous
l’ayons ressentie comme telle), nous ne maîtrisons en général qu’un seul
modèle comportemental, celui en usage dans l’environnement parental. Plus
tard, ce modèle va déterminer le rôle que nous endosserons à l’âge adulte
dans un monde nettement plus complexe. Il va donc aussi conditionner le
moment où nous atteignons nos limites et la façon dont nous affrontons les
crises. Quand nous n’avons qu’une seule réponse à toutes les questions que
pose notre existence, quand nous ne possédons qu’un seul schéma
comportemental face à toutes les situations, alors le stress chronique (peu
importe qu’il soit le résultat de nos propres actes ou d’une intervention
extérieure) est pratiquement inévitable. Pourtant, les crises peuvent aussi
nous faire grandir – à condition de trouver de nouveaux moyens de les
gérer.
Au plus tard quand tombe le diagnostic de la maladie d’Alzheimer, et
surtout si l’on souhaite s’engager dans un traitement curatif qui exige des
modifications plus ou moins importantes du mode de vie jusque-là adopté,
il est indispensable de développer de nouveaux schémas de pensée. Le défi
est de taille : il s’agit de se confronter à son moi profond. On sera
éventuellement forcé d’initier un changement auquel on s’était toujours
opposé (alors même, peut-être, qu’on avait plus ou moins conscience du
problème).
Et si l’on n’y parvient pas par soi-même, pourquoi ne pas recourir à
l’aide d’un psychothérapeute ? Richard Taylor, le psychologue dont nous
parlions plus haut, a franchi le pas, tout comme de nombreux participants à
l’étude FINGER se sont eux aussi fait aider pour trouver la motivation de

83
changer en profondeur leur vie en y intégrant une alimentation saine,
davantage de sport et des activités intellectuelles. L’aide qu’ils ont alors
reçue provenait tant des psychologues qui dirigeaient les séances de groupe
accompagnant la thérapie, que de la dynamique qui s’était développée entre
les différents participants. Au cas par cas, il est aussi possible de recourir à
des méthodes modernes d’hypnose, à une thérapie systémique familiale ou à
la thérapie EMDR (eye movement desensitization and reprocessing,
désensibilisation et retraitement par mouvement des yeux), une méthode
notamment utilisée dans le syndrome de stress post-traumatique et
remboursée dans certains cas par la Sécurité sociale.

Le yoga et la “pleine conscience” comme thérapie

À condition de ne pas le réduire à son aspect physique et à des exercices


purement corporels, le yoga est une bonne façon de gérer son stress. Dans
une pratique globale, il a aussi pour objectif de nous permettre de
relativiser notre existence, de reconnaître notre moi profond et d’agir de
manière consciente. À travers les différents apprentissages et notamment la
méditation, l’esprit d’ordinaire occupé à mille choses en même temps doit
trouver un apaisement. Pour agir de manière consciente et ciblée, il faut en
effet avoir l’esprit clair. Indispensable pour y parvenir, la concentration sur
l’essentiel est précisément ce qui fait défaut à notre époque et ce que la
pratique du yoga encourage.
Dans les traditions bouddhiste et hindouiste, les cinq principaux
obstacles qui nous empêchent de guider notre esprit vers un état de détente
et de concentration sont appelés klesha. Selon sa personnalité, le patient
atteint d’Alzheimer devra, pour initier un processus de guérison, surmonter
l’un ou l’autre de ces klesha, peut-être même tous :
• L’ignorance ou, pire encore, la méconnaissance qu’on tient pour vraie.
Elle entraîne des préjugés et nuit à notre perception des choses. Elle est à
l’origine des autres klesha.
• La surestimation de soi et l’égoïsme exagéré, ou encore l’idée que notre
propre vie (et donc le fait de “prendre”) constitue le sens de notre
existence, plutôt que le don ou la transmission.
• Les désirs et l’avidité, parce qu’un monde matériel dans lequel tous
aspirent à la possession ne nous permet pas de reconnaître le changement
perpétuel comme étant la seule constante qui fonde l’Être.
• Les pensées négatives et l’aversion face aux nouvelles expériences.
• La peur diffuse de l’inconnu qui nous incite à conserver de vieux
schémas de pensée même quand ils nous nuisent.

84
En apprenant à reconnaître ce qui est important dans la vie, avec l’aide
d’un professeur de yoga ou dans le cadre d’un programme de réduction du
stress à partir de la pleine conscience (mindfulness-based stress reduction,
MBSR) tel que certaines cliniques le proposent, on arrive peu à peu à faire
voler en éclats des schémas de pensée et à s’ouvrir à la nouveauté. Aussi
bien en théorie qu’en pratique, on se rapproche ainsi progressivement de la
réponse à la question du sens.

LE POINT SUR : LA RÉDUCTION DU STRESS


ET LA PLEINE CONSCIENCE
Les techniques de réduction du stress à partir de la pleine conscience
s’avèrent particulièrement efficaces dans les cas de dépressions à
répétition16. En restant assis calmement, en se concentrant sur sa
respiration et en prenant conscience de ses émotions et de son corps, on
apprend à écouter toutes les sensations et pensées qui éclosent – sans
les juger. On s’entraîne aussi à gérer de manière rationnelle les pensées
négatives qui surviennent et peuvent créer une spirale du malheur,
poussant irrémédiablement l’individu vers un trou noir émotionnel. L’un
des aspects de cette thérapie est par exemple de considérer que les
sentiments de culpabilité et les reproches qui en découlent ne sont que
de simples constructions de l’esprit, et non des vérités. Si l’on
considère le taux de rechute, pour les patients qui acceptent de se lancer
dans une démarche psychothérapeutique, la thérapie cognitive basée sur
la pleine conscience est aussi efficace que la prise d’antidépresseurs
liée quant à elle à de nombreux effets secondaires. Cela en dit long sur
les véritables carences qui caractérisent nos cultures.

Réduction du stress par la pleine conscience, méditation ou yoga sont


autant de voies intéressantes quand il s’agit de progresser dans la
connaissance de soi et d’évacuer le stress. Dans la pratique du yoga, on doit
pour se détendre faire confiance à une puissance supérieure qui peut aussi
être assimilée à la nature. Seulement, comme nos efforts pour maîtriser la
nature aboutissent constamment à des échecs, nous ne croyons plus à ses
vertus curatives. Nous créons des carences à travers notre mode de vie et
attribuons la responsabilité de maladies telles que l’Alzheimer non pas à
nos actes, mais à la nature (en accusant l’âge, le patrimoine génétique
humain ou l’environnement). Nos espoirs se tournent alors vers des

85
substances chimiques qui devraient guérir ce cerveau constamment soumis à
un stress non naturel (dont nous sommes souvent les premiers
responsables). Avec le yoga, il s’agit tout d’abord de prendre consciemment
du temps pour soi. Si cela permet de réduire le niveau de stress, alors la
voie est libre pour le processus naturel d’autoguérison : la neurogenèse de
l’hippocampe !
Imaginez un chasseur-cueilleur. Il ne faisait sans doute pas de yoga, mais
il vivait ces principes au jour le jour. Car agir dans la précipitation lui
aurait été fatal : pour la chasse comme pour la cueillette, il faut du calme,
du sang-froid et une compréhension profonde de la nature qu’on ne peut
avoir qu’en ayant le sentiment de faire partie intégrante de celle-ci. Or, pour
lui, la nature et l’esprit n’étaient pas des phénomènes distincts. C’est ce lien
perdu que les préceptes du yoga peuvent nous aider à retrouver en partie.
Aujourd’hui, nous disposons des premières preuves scientifiques indiquant
que la méditation et le yoga ont des effets bénéfiques sur la santé mentale
des séniors, même s’ils ne commencent à les pratiquer qu’au moment où ils
souffrent déjà de troubles sérieux de la mémoire17. Grâce au yoga et à la
méditation, nous réduisons le stress négatif, ce qui permet déjà de briser
l’un des principaux cercles vicieux agissant comme un moteur de la maladie
d’Alzheimer. En outre, le sommeil s’améliore, libérant les énergies
naturelles de régénération18. Les exercices de méditation augmentent le
volume cérébral de l’hippocampe. Pour cela, trente minutes de méditation
selon les principes du yoga suffisent19.
Dharma Singh Khalsa, directeur administratif et médical de
l’Alzheimer’s Research and Prevention Foundation, aux États-Unis, a ainsi
reproché à l’étude FINGER de ne pas utiliser le yoga comme mesure
d’amélioration des capacités cognitives des participants. Le professeur
Bredesen, en revanche, proposa à ses patients le yoga et la méditation
comme outils de réduction du stress. C’est ainsi que Sarah Jones commença
la pratique du yoga pendant le programme, avec des séances de méditation
de vingt minutes deux fois par jour. Aujourd’hui, comme on l’a vu, elle
enseigne elle-même cette pratique.

1 KARP , A. et al., “Mental, physical and social components in leisure activities


equally contribute to decrease dementia risk”, Dement. Geriatr. Cogn. Disord.,
vol. 21, 2006, p. 65-73, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16319455.
2 ERTEL, K. A. et al., “Effects of social integration on preserving memory function
in a nationally representative US elderly population”, Am. J. Public Health, vol. 98,
2008, p. 1215-1220, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18511736.

86
3 DREW, L. J. et al., “Adult neurogenesis in the mammalian hippocampus : why
the dentate gyrus ?”, Learn Mem., vol. 20, 2013, p. 710-729,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24255101.
4 ROSENTHAL, L. et al., “The importance of full-time work for urban adults’
mental and physical health”, Soc. Sci. Med., vol. 75, 2012, p. 1692-1696,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22858166.
5 ECKERSTRÖM, C. et al., art. cité.
6 NEUMANN, B., “Leben mit Alzheimer : Opa, da ist wieder dein Alzheimer !”,
Gehirn und Geist, vol. 5, 2012, p. 76-78.
7 LINDSTROM, H. A. et al., “The relationships between television viewing in
midlife and the development of Alzheimer’s disease in a case-control study”, Brain
Cogn., vol. 58, 2005, p. 157-165, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15919546.
8 Cf. www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1437.
9 NEUMANN, B., art. cité.
10 T AYLOR, R., Alzheimer’s from the Inside Out, Health Professions Press, 2006.
11 SNYDER, J. S. et al., art. cité ; WILSON, R. S. et al., “Chronic psychological
distress and risk of Alzheimer’s disease in old age”, Neuroepidemiology, vol. 27,
2006, p. 143-153, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16974109.
12 JOHANSSON, L. et al., “Common psychosocial stressors in middle-aged women
related to longstanding distress and increased risk of Alzheimer’s disease : a 38-year
longitudinal population study”, BMJ Open, 2013,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24080094.
13 JOHANSSON, L. et al., “Midlife personality and risk of Alzheimer’s disease and
distress : a 38-year follow-up”, Neurology, vol. 83, 2014, p. 1538-1544,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25274849.
14 HUGHES, T. et al., “Engagement in reading and hobbies and risk of incident
dementia : the MoVIES project”, Am. J. Alzheimer’s Dis. and Other Demen., vol.
25, 2010, p. 432-438, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20660517.
15 D’après BANAS, R., “Aging expert on can we prevent Alzheimer’s ?”, BMA
Blog, 15.5.2012, www.bma-mgmt.com/blog/?p=2299.
16 P IET, J. et HOUGAARD, E., “The effect of mindfulness-based cognitive therapy
for prevention of relapse in recurrent major depressive disorder : a systematic
review and meta-analysis”, Clin. Psychol. Rev., vol. 31, 2011, p. 1032-1040,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21802618.
17 NEWBERG, A. B. et al., “Meditation effects on cognitive function and cerebral
blood flow in subjects with memory loss : a preliminary study”, J. Alzheimer’s
Dis., vol. 20, 2010, p. 517-526, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20164557.
18 INNES, K. E. et al., “The effects of meditation on perceived stress and related
indices of psychological status and sympathetic activation in persons with
Alzheimer’s disease and their caregivers : a pilot study”, Evid. Based Complement
Alternat. Med., 2012, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22454689 ; MARCINIAK, R.
et al., “Effect of meditation on cognitive functions in context of aging and
neurodegenerative diseases”, Front. Behav. Neurosci., 2014,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24478663.

87
19 HÖLZEL, B. K. et al., “Mindfulness practice leads to increases in regional brain
gray matter density”, Psychiatry Res., vol. 191, 2011, p. 36-43,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/ 21071182.

88
89
VAINCRE ENSEMBLE L’ALZHEIMER

La nature de l’être change en fonction de


l’environnement dans lequel il vit et agit.

RAMAKRISHNA (1836-1886)

Un environnement bénéfique

Atteint d’Alzheimer, Richard Taylor savait combien il était important pour


les malades d’être entourés de personnes capables de comprendre la
démence et de les soutenir. La situation à laquelle il a dû faire face au début
était en effet tout autre : il raconte qu’à partir du moment où ils ont eu
connaissance du diagnostic, ses amis lui ont rendu visite moins souvent et
que, quand ils venaient, ils étaient tendus, n’osant pas lui poser de questions
de peur qu’il ne sache pas la réponse. En réalité, la solitude est un poison
pour notre cerveau : elle double le risque d’Alzheimer, peu importe que
nous soyons véritablement seuls ou que nous en ayons le sentiment1. Et
quand on est déjà malade, comme l’était Richard Taylor, être laissé seul est
une véritable atteinte à la santé.
“Les personnes qui souffrent de la maladie d’Alzheimer ne cessent pas
pour autant de ressentir tous les besoins humains”, rappelle Richard Taylor.
La solitude devient alors le facteur de stress numéro un et accélère le déclin
cognitif. Heureusement, dans la plupart des cas, la famille veille à ce que le
patient ne soit pas seul.

Quelle approche pour la guérison ?

À quoi doivent s’attendre les proches qui envisagent de s’occuper d’un


patient atteint d’Alzheimer ? À cette question, Konrad Beyreuther, médecin-
chercheur qui a découvert le rôle toxique de la bêta-amyloïde agrégée,
répond : “La famille doit avoir conscience des conséquences de la maladie.
De la même manière que les capacités intellectuelles augmentent chez un
enfant, il faut accepter le fait qu’elles s’amenuisent chez un patient atteint
d’Alzheimer. Le déroulement normal de la maladie s’étale sur neuf ans :

90
trois ans en phase légère, trois ans en phase intermédiaire, trois ans en
phase aiguë2.” D’après ce professeur de renom, le patient doit lui aussi
avoir “le sang-froid de reconnaître que, pendant la première phase de la
maladie, on se débrouille encore très bien avec quelques astuces, mais que
dès la phase deux, on aura parfois besoin de quelqu’un qui pense ou parle à
notre place, prépare les vêtements à porter et s’assure en plein hiver qu’on
ne sorte pas habillé comme en été”.
Richard Taylor ne voyait pas les choses de cette façon. Pour lui, ce dont
on a besoin une fois la maladie d’Alzheimer diagnostiquée, c’est d’une
mission – d’un sens à la vie, et d’avoir l’impression d’être utile plutôt que
de se sentir materné. “J’ai besoin de gens informés qui me permettent de
faire les choses par moi-même. Or, généralement, c’est l’inverse qui se
produit. Nos proches nous aiment, ils sont pleins de bonnes intentions, mais
ils nous paralysent. Ils nous déchargent sans arrêt de nos tâches. Ils nous
voient écrire le mauvais numéro de téléphone sur un formulaire, alors ils
décident de s’occuper à notre place de toutes les démarches
administratives. Ils nous voient nous habiller avec des vêtements disparates,
alors le matin, ils préparent déjà la tenue que nous devons porter3.”
C’est aussi ce que constate Peter Wissmann, travailleur social et
directeur de Demenz Support Stuttgart, une organisation allemande qui
s’engage à l’échelle nationale pour les droits et l’autonomie des patients
atteints de démence : “Les personnes touchées sont globalement considérées
comme incapables et dépréciées en bloc.” Le cas classique : “Un couple se
rend chez le médecin ; c’est lui qui conduit. Une fois que le médecin a
diagnostiqué une maladie d’Alzheimer chez monsieur, c’est madame qui
prend le volant. Le soir, elle ne le laisse même plus descendre seul à la
cave pour aller chercher une bière4.”
Pour Richard Taylor, l’idéal serait que l’entourage fasse preuve d’une
légèreté presque enfantine : “Un jour, je suis sorti avec ma petite-fille. Je
portais deux chaussures et deux chaussettes différentes. Elle a dit : « Papi,
tes chaussures ne vont pas ensemble. » J’ai regardé mes pieds et j’ai
ajouté : « Mes chaussettes non plus. » Ça ne l’a pas dérangée. Et si ça ne me
dérange pas non plus, alors qu’importe ?”
Intuitivement, Richard Taylor a compris qu’il devait briser ce cercle
vicieux : quand on souffre de troubles de la neurogenèse et que
l’hippocampe est atrophié, on a de plus en plus tendance à se limiter et à
vivre en retrait, ce qui favorise ce processus fatal. Il a senti que pour le
patient atteint d’Alzheimer le ménagement est absolument à éviter ! Nous
devrions au contraire veiller à multiplier les nouvelles expériences, et ce,

91
jour après jour. La neurogenèse doit être réactivée. Mais si, parce que nous
ne les utilisons pas, nous condamnons à mort tous les nouveaux neurones
créés chaque jour dans l’hippocampe, cela ne peut pas fonctionner. Pour
leur offrir une chance de survie, nous devons être actifs, autonomes, et vivre
de nouvelles expériences. La curiosité sera récompensée : il est prouvé
qu’elle fait baisser le risque d’Alzheimer5.
Le constat et les réactions de Richard Taylor – aussi bien en ce qui
concerne le patient lui-même que son entourage – coïncident bien avec la
description de l’Alzheimer comme une maladie due à des carences. Cette
approche a des conséquences, et pas seulement pour le patient. Car pour
venir à bout de la maladie, il faut éliminer les manques, et cela n’est
possible que si l’aidant (généralement le conjoint, mais aussi, souvent, les
enfants ou les frères et sœurs) repense ses propres habitudes et
représentations. Il lui faudra peut-être même revoir de fond en comble
l’image qu’il a de lui-même avec, à la clef, une modification de son propre
mode de vie qui aura ce double avantage : d’une part, l’aidant sera lui-
même protégé et, d’autre part, les chances de réussite du traitement
augmenteront. Car il est plus facile d’abandonner une mauvaise hygiène de
vie quand l’entourage fait de même.
Dans une étude anglaise menée dans 3 722 foyers sur une période de
cinquante ans, on a analysé le taux de réussite d’une démarche visant à
abandonner des comportements nocifs pour la santé. L’étude a révélé que
les chances d’arrêter de fumer étaient plus de onze fois supérieures si la
décision était prise par les deux partenaires. Même chose pour
l’amélioration de la forme physique : les chances de rester sportif à long
terme étaient plus de cinq fois supérieures quand les deux partenaires
participaient au changement. L’étude a en outre montré des effets similaires
pour la mise en place d’une alimentation saine ou la perte de poids6.
Au fond, il s’agit aussi pour l’aidant de trouver ce qui lui importe
vraiment dans la vie et de se concentrer sur ces aspects de l’existence. Que
le patient porte deux chaussettes de couleur identique n’en fait pas
forcément partie.

Principes d’autoprotection pour les aidants

Actuellement, environ deux tiers des patients atteints de démence sont pris
en charge par leur conjoint ou leurs enfants, généralement jusqu’à ce que la
charge devienne trop lourde à supporter. Bien souvent, les aidants négligent
alors leurs propres besoins et sacrifient leur santé, tant psychique que

92
physique. On sait qu’associé à une hyper-sollicitation physique et
psychique, le cercle vicieux que constituent une mauvaise neurogenèse, une
réduction de la résistance au stress et une hypersensibilité chronique au
stress conduit à un taux plus élevé de dépressions. Approximativement un
tiers des proches aidants développent une dépression clinique7. Avec un
taux de cortisol chroniquement élevé, ils courent donc eux-mêmes le risque
d’être touchés par la maladie d’Alzheimer. Le plus souvent, c’est une
combinaison entre différentes carences qui est à l’origine du problème :
manque de sommeil, d’activité physique, de repas sains et de
reconnaissance. Enfin, l’isolation sociale, telle que la décrit Richard
Taylor, touche aussi le partenaire aidant.
Par rapport à ceux dont les partenaires sont en bonne santé mentale, les
aidants, du fait des exigences particulières que requièrent les soins, voient
multiplié par six leur propre risque d’être touchés par la maladie
d’Alzheimer8. Parmi eux, les plus âgés sont d’ordinaire plus stressés que
les plus jeunes, et les conjoints directs plus stressés que les enfants ou
petits-enfants. En règle générale, le problème s’aggrave si les aidants n’ont
que peu ou pas du tout de soutien social9. En outre, quand des problèmes de
communication existaient déjà dans la famille, le déclenchement de la
maladie a souvent pour effet de les accentuer, avec des répercussions
négatives sur les aidants, et très certainement aussi sur les malades10. Là
encore, un soutien psychothérapeutique peut sûrement se révéler utile – pour
toutes les personnes impliquées.
S’occuper d’un proche atteint de la maladie d’Alzheimer est plus
difficile que de s’occuper de quelqu’un qui n’est malade “que”
physiquement. Pour Konrad Beyreuther, la spécificité de cette mise à
contribution réside dans la “certitude qu’on ne peut plus stopper l’évolution
de la maladie et qu’on ne recevra plus aucun remerciement au cours des
dernières années11”. Désormais, cette prétendue certitude appartient au
passé si le malade est prêt suffisamment tôt à changer son mode de vie !
Mais attention : le risque pour l’aidant de tomber malade reste néanmoins
réel s’il n’accorde pas lui aussi autant d’attention à ses propres besoins.
Geoffrey Tremont, directeur d’une étude américaine qui met l’accent sur
la prise en charge des aidants, énumère toute une série d’aspects positifs
que certains proches parviennent à retirer de leur activité d’aidant12. Ils ont
par exemple le sentiment d’être utiles, ce qui leur donne confiance en eux.
Pour quelques-uns, cette expérience de prise en charge d’un proche est
précisément ce qui va leur permettre de développer une vision positive de
la vie et de considérer leur existence comme plus précieuse qu’avant. Pour

93
ceux qui n’y parviendraient pas d’eux-mêmes – et ce sont les plus
nombreux –, mieux vaut recourir à l’aide d’un psychologue ou d’un bon
médecin de famille. Plusieurs études montrent que la prise en charge
individuelle et personnalisée de l’aidant est essentielle et fait baisser son
risque de dépression. Là encore, la pratique du yoga peut s’avérer utile,
comme on l’a mis en évidence dans une étude pilote menée avec des
familles de patients13. Évoquons encore la thérapie familiale systémique,
qui porte tant sur les individus que sur les interactions d’un groupe, et la
médecine familiale systémique, qui aborde notamment les effets d’une
maladie sur le patient et ses proches.
En s’engageant lui aussi dans le traitement ou la prévention, c’est-à-dire
en remédiant pour lui aux carences en cause dans l’Alzheimer, l’aidant
réduit son propre risque d’être touché par la maladie au lieu de le voir
augmenter en raison de la situation dans laquelle il se trouve et de son rôle
contraignant. Le mieux sera alors de ne pas considérer les soins que nous
prodiguons comme la prise en charge du déclin cognitif, mais comme un
nouveau départ commun vers un mode de vie conforme à nos exigences
cérébrales. Notre cerveau nous récompensera.
Le conseil que j’aimerais encore donner ici, c’est de poser à nouveau sur
la vie un regard presque enfantin. Ce qui vaut pour le chasseur-cueilleur
archétypique vaut en effet encore pour les enfants : le corps et l’esprit ne
sont pas encore séparés, l’individu est entier. Il est alors possible de vivre
l’instant et de retirer le meilleur de chaque situation. Les bons moments
s’enchaînent ainsi comme les perles d’un collier et forment ensemble ce
qu’on peut considérer comme une vie riche. L’avenir vient de lui-même.
C’est peut-être cette façon enfantine, presque naïve, d’aborder la vie qui
fait que Richard Taylor, comme il le rapporte, appréciait tout
particulièrement le contact avec ses petits-enfants.
Ce n’est pas un hasard : c’est la conséquence logique de l’explication
biologique de notre longévité. En présence d’enfants, nous vivons
pleinement notre vocation sociobiologique. Les enfants font preuve d’un
naturel bienfaisant pour les adultes. Richard Taylor raconte : “Ils
m’acceptent tel que je suis. Ma plus jeune petite-fille vient me voir chaque
jour après l’école. Nous jouons aux cartes, mais je mélange les règles.
Alors elle dit : « Papi, c’est encore ton Alzheimer ! Tu n’as pas le droit ! »
Et nous continuons à jouer. Ma petite-fille me respecte. Elle m’aime en tant
que grand-père. Et le fait que ce mot, « Alzheimer », soit inscrit sur mon
front n’a aucune signification pour elle.”

94
1 WILSON, R. S. et al., “Loneliness and risk of Alzheimer’s disease”, Arch. Gen.
Psychiatry, vol. 64, 2007, p. 234-240, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17283291 ;
FRATIGLIONI, L. et al., “Influence of social network on occurrence of dementia : a
community-based longitudinal study”, Lancet, vol. 355, 2000, p. 1315-1319,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/ 10776744.
2 D’après JAHN, A. et ZEIBIG, D., “Alzheimerforschung : « Alzheimer wird uns
immer begleiten »”, Gehirn und Geist, vol. 5, 2012, p. 68.
3 NEUMANN, B., art. cité.
4 ALBERS, R. et al., “Leben mit Alzheimer”, Focus, vol. 9, 2015, p. 70-76.
5 FRITSCH, T. et al., “Participation in novelty-seeking leisure activities and
Alzheimer’s disease”, J. Geriatr. Psychiatry Neurol., vol. 18, 2005, p. 134-141,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16100102.
6 JACKSON, S. E. et al., “The influence of partner’s behavior on health behavior
change : the English Longitudinal Study of Ageing”, JAMA Intern. Med., vol. 175,
2015, p. 385-392, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25599511.
7 SCHULZ, R. et MARTIR E, L. M., “Family caregiving of persons with dementia :
prevalence, health effects, and support strategies”, Am. J. Geriatr. Psychiatry, vol.
12, 2004, p. 240-249, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15126224.
8 NORTON, M. C. et al., “Greater risk of dementia when spouse has dementia ?
The Cache County Study”, J. Am. Geriatr. Soc., vol. 58, 2010, p. 895-900,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20722820.
9 P INQUART, M. et SÖRENSEN, S., “Differences between caregivers and
noncaregivers in psychological health and physical health : a meta-analysis”,
Psychol. Aging, vol. 18, 2003, p. 250-267,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12825775.
10 T REMONT, G. et al., “Unique contribution of family functioning in caregivers of
patients with mild to moderate dementia”, Dement. Geriatr. Cogn. Disord., vol.
21, 2006, p. 170-174, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16397397.
11 D’après JAHN, A. et ZEIBIG, D., art. cité, p. 69.
12 T REMONT, G., “Family Caregiving in Dementia”, Med. Health R. I., vol. 94,
2011, p. 36-38, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21456372.
13 LAVRETSKY, H. et al., “A pilot study of yogic meditation for family dementia
caregivers with depressive symptoms : effects on mental health, cognition, and
telomerase activity”, Int. J. Geriatr. Psychiatry, vol. 28, 2013, p. 57-65,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22407663.

95
96
97
BOUGER

Notre nature est dans le mouvement, le repos


entier est la mort.

BLAISE P ASCAL (1623-1662)

Corps et esprit réunis dans le mouvement

Le risque d’Alzheimer augmente quand l’hippocampe s’atrophie. Pourtant,


ce dernier pourrait croître toute notre vie au fil de nos expériences. Dans ce
cas, où se situe exactement le problème ? À vrai dire, nous sommes sans
arrêt confrontés à des nouveautés et, à travers la publicité permanente et la
nouvelle industrie numérique du divertissement, souvent bien plus que nous
ne le voudrions. Comment se fait-il alors que le centre de nos souvenirs
autobiographiques perde malgré tout 1 % de son volume chaque année ?
Pour répondre à cette question, nous devons nous pencher sur la nature des
informations qui mettent efficacement en réseau les nouveaux neurones et
les maintiennent ainsi en vie. Mais avant tout chose, voyons comment
l’hippocampe sait qu’il doit créer de nouveaux neurones et en quelle
quantité.
En raison de notre évolution, c’est à travers l’activité physique que
l’hippocampe reçoit les impulsions qui déterminent sa croissance. Le
mouvement signale à l’hippocampe qu’il faut s’attendre à de nouvelles
expériences et qu’il ferait bien d’activer la neurogenèse. Voilà comment les
choses fonctionnent : quand nous faisons un effort physique, par exemple en
montant l’escalier plutôt que de prendre l’ascenseur, nos muscles
consomment de l’oxygène afin de mettre à disposition l’énergie nécessaire.
Comme la respiration et le cœur réagissent en différé au travail des
muscles, la quantité d’oxygène dans le sang baisse légèrement (ce qui
explique pourquoi notre cœur bat encore la chamade alors que nous sommes
déjà arrivés en haut de l’escalier. C’est à cause de ce décalage que nous
avons besoin de temps pour reprendre notre souffle). Pendant le
mouvement, des capteurs qui se trouvent dans les vaisseaux sanguins des
muscles alors en action ainsi que dans les reins constatent cette baisse de la
concentration d’oxygène dans le sang. En réaction, les vaisseaux sanguins

98
produisent une hormone : le facteur de croissance de l’endothélium
vasculaire ou VEGF (vascular endothelial growth factor). Son rôle est de
permettre la formation de nouveaux vaisseaux sanguins au niveau local,
l’idée étant que, la prochaine fois, ces muscles seront ainsi mieux irrigués et
donc mieux approvisionnés en oxygène. Les reins eux aussi produisent alors
une hormone : l’érythropoïétine ou EPO. Celle-ci entraîne dans la moelle
osseuse une hausse de la production de globules rouges, chargés de
transporter l’oxygène dans le sang. Ainsi, grâce à cette combinaison entre
“davantage de vaisseaux sanguins” et “davantage de transporteurs
d’oxygène”, la prochaine fois que nous monterons l’escalier, les choses
seront plus faciles. C’est ce qu’on appelle l’effet d’entraînement. Avec
l’activité physique, les muscles utilisés deviennent bien sûr un peu plus
forts eux aussi. Cela se produit pour ainsi dire du jour au lendemain :
pendant que nous dormons, l’hormone de croissance (ou somatotropine)
entre en action. Aujourd’hui, on sait que l’interaction entre le VEGF, l’EPO
et la somatotropine n’a pas seulement pour effet d’améliorer notre forme
physique (ce qui pousse certains sportifs à se doper à l’EPO et aux
hormones de croissance) : toutes ces hormones – de même que l’irisine
produite par les muscles actifs ou la sérotonine et l’adiponectine produites
par le tissu adipeux – envoient aussi des impulsions de croissance décisives
vers l’hippocampe1.
Ce mécanisme est très ancien, plus ancien que l’humanité : il s’est
développé plusieurs centaines de milliers d’années avant la découverte de
la télécommande ou du moteur à combustion. Un exemple : l’hippocampe
des rats-kangourous se développe en automne, quand ces petits rongeurs
préparent leurs réserves de nourriture pour l’hiver. Là encore, c’est
l’activité physique qui donne à l’hippocampe le signal nécessaire à la
stimulation de la croissance. Résultat : en hiver, les rats-kangourous se
souviendront de l’emplacement de leurs cachettes de nourriture.
La logique sur laquelle se fonde cette caractéristique évolutive est
simple : quand on bouge, quand on entreprend quelque chose, il y a de
fortes chances pour qu’on se retrouve confronté à la nouveauté, ce qui
nécessite une plus grande capacité de mémoire. Voilà pourquoi les
hormones qui sont produites lors d’un effort physique ont aussi pour
conséquence de stimuler la neurogenèse. À l’inverse, quand on ne bouge
pas – et à l’ère des voitures et des ascenseurs, mais aussi de la
télécommande et du micro-ondes, ce n’est pas rare –, notre corps ne produit
pas ces hormones. Indirectement, le message envoyé au cerveau est donc le
suivant : “Pas de nouvelles expériences en vue !” Dans ces conditions,
pourquoi l’hippocampe devrait-il se donner la peine de se développer ?

99
Le mouvement élargit l’horizon

Nous l’avons dit : la neurogenèse peut être stimulée tout au long de la vie.
Nous ne serons donc pas surpris par les résultats d’une expérience menée
sur 120 séniors2 : âgés de 66 ans en moyenne, les participants avaient été
sélectionnés sur le critère d’une excellente santé mentale et physique, et ce,
alors qu’ils ne marchaient pas plus de trente minutes par semaine avant le
début de l’étude. C’est très peu, mais c’est loin d’être une exception chez
les pensionnaires de maisons de retraite. Les participants furent répartis de
manière aléatoire en deux groupes de même taille. Chaque jour, le premier
groupe se promenait pendant 40 minutes, durée pendant laquelle le
deuxième groupe, lui, faisait des exercices d’étirement. Pendant un an, un
groupe se promenait donc pendant que l’autre faisait de la gymnastique.
Avant, au milieu et à la fin de l’étude, l’hippocampe de tous les participants
fut mesuré par des procédés d’imagerie médicale. Au cours de l’année
d’étude, le volume de l’hippocampe augmenta chez les promeneurs
d’environ 2 %. Chez les gymnastes, en revanche, les tissus hippocampiques
s’atrophièrent plus que la normale (avec une perte moyenne de 1,4 %).
Conclusion : pour stimuler la croissance de notre capacité de mémoire, la
gymnastique ne suffit pas. La marche quotidienne, en revanche, a des effets
positifs. Les résultats prouvent que ce que l’on considère comme une
atrophie normale de l’hippocampe n’est en réalité pas dû à l’âge, mais
plutôt à un manque d’activité physique. (Évidemment, en se promenant, les
participants à l’étude discutaient, ce qui a aussi pu stimuler l’intégration des
nouveaux neurones, décisive pour leur survie.) On sait en outre qu’une perte
de matière au niveau de l’hippocampe s’accompagne d’une perte au niveau
de la mémoire. Il n’est donc pas étonnant que dans les tests de mémoire le
groupe des promeneurs ait obtenu de meilleurs résultats que le groupe des
gymnastes, moins actifs physiquement. Dans une autre étude au concept
comparable, on a ainsi constaté que marcher trois kilomètres par jour au
lieu de seulement 400 mètres divisait par deux le risque d’Alzheimer3.
Mais pourquoi, me direz-vous, ces trois kilomètres de marche n’annulent-
ils pas complètement le risque d’Alzheimer ? Pourquoi votre grand-père ou
votre grand-mère ont-ils été touchés par la maladie alors qu’ils avaient une
activité physique quotidienne ? Là encore, il nous faut songer à la Loi du
minimum. Pour que les neurones à peine germés dans l’hippocampe puissent
“prendre”, il faut bien sûr du mouvement, mais d’autres conditions doivent
également être remplies pour que nous soyons en bonne santé générale. Si
nous vivions de manière globalement saine, si la seule carence dont nous

100
souffrions était le manque d’activité physique, alors en bougeant, nous
réduirions à zéro notre risque d’être touché par la maladie d’Alzheimer.

L’inactivité – un progrès ?

L’activité physique a des effets positifs sur notre cerveau. Et cela ne


concerne pas que notre mémoire autobiographique, mais aussi toutes nos
autres facultés cérébrales, elle aussi améliorées par le mouvement. Ceux
qui sont actifs physiquement sont par exemple plus résistants au stress que
les inactifs. Car dans ce domaine-là aussi, la neurogenèse stimulée par
l’effort physique est décisive. Avec une meilleure neurogenèse, nous
pouvons mieux faire abstraction de ce qui n’est pas essentiel, et nous avons
donc plus de facilité à prendre des décisions dans des situations délicates.
Avoir une activité physique suffisante, c’est aussi améliorer son taux de
cholestérol, optimiser son système cardiovasculaire et réduire sa tension.
Par ailleurs, quand on fait des efforts physiques dans la journée (sans
toutefois aller au-delà de ses limites), le sommeil est également de
meilleure qualité. Tous ces effets – et il y en a bien d’autres – interagissent
pour faire tant baisser le risque d’une démence “hippocampique”
(Alzheimer) que celui d’une démence vasculaire (AVC).
Se promener, nager, faire du vélo – tout est bon. L’important est de faire
preuve de régularité. Et surtout, il s’agit d’abandonner la passivité physique
que permet le progrès technologique. Grâce à lui, notre vie est de plus en
plus confortable, du moins en ce qui concerne les exigences physiques.
Mais comme on l’a vu, c’est un cadeau empoisonné. Chaque fois que nous
renonçons à utiliser une assistance technologique, nous nous faisons donc du
bien !
Dans le cadre de la prévention ou du traitement de la maladie
d’Alzheimer, il ne s’agit pas de faire du sport de haut niveau. Le chasseur-
cueilleur, par exemple, devait se mouvoir plutôt tranquillement, car s’il
avait galopé dans la forêt, il aurait fait fuir le gibier. De même, pour
ramasser des fruits, il valait mieux qu’il prenne son temps pour avoir une
belle cueillette. Mais il se déplaçait pendant de nombreuses heures (entre
quatre à six heures par jour, d’après ce qu’on suppose) pour chasser et
cueillir les nutriments essentiels à sa survie. Pour lui, pas question d’aller
au supermarché en voiture et de couvrir ses besoins énergiques en achetant
un paquet de spaghettis.

Programmes thérapeutiques

101
Le programme thérapeutique du professeur Bredesen ne comptait
que 30 à 60 minutes d’activité physique quotidienne, et ce, quatre à six
jours par semaine. D’après les résultats d’études les plus récents, cet effort
est suffisant pour protéger l’hippocampe d’une atrophie, même dans le cas
d’une prédisposition génétique4. Ben Miller, par exemple, avait l’habitude
(et l’a sans doute toujours) d’aller nager trois ou quatre fois par semaine.
S’y ajoutaient une séance hebdomadaire de jogging et deux de vélo.
Dans le cadre de l’étude FINGER, en revanche, on suivit les consignes
internationales de l’American College of Sports Medicine et de l’American
Heart Association5. Au programme des membres du groupe actif :
musculation et maintien de la condition physique, mais aussi exercices
d’endurance d’intensité moyenne (c’est-à-dire permettant encore aux
participants de dialoguer entre eux). Les connaissances actuelles indiquent
en effet que les programmes de mise en forme renforcent aussi les forces
psychiques quand ils comprennent des unités d’endurance d’intensité
moyenne et de la musculation. En outre, chaque séance doit durer au moins
une demi-heure.
Sous la direction d’un kinésithérapeute expérimenté, les participants
actifs ont renforcé tous les grands groupes de muscles sur une durée
d’environ six mois. Les exercices étaient effectués sans poids excessifs de
sorte qu’il était possible de les répéter chacun jusqu’à une vingtaine de fois,
avec pour conséquence une amélioration de la musculature, mais aussi du
système cardiovasculaire. Chaque exercice était répété deux fois par
séance. Au début, la séance de musculation et d’endurance avait lieu une ou
deux fois par semaine, chaque fois pour une durée de 30 à 45 minutes. Puis,
au bout de six mois, la “dose d’administration” passa à deux ou trois
séances par semaine, chaque séance durant environ une heure. La séance
d’endurance d’intensité moyenne était une séance variée, comprenant de la
marche nordique, de la gymnastique aquatique et du jogging. Enfin, le fait de
rendre compte chaque jour de son activité dans un journal d’entraînement
physique participait à la réussite du programme.

Et pourquoi pas ?

Nous pouvons chaque jour décider de nous rendre quelque part à pied ou
d’utiliser la voiture, de cuisiner nous-mêmes un repas ou de mettre une
pizza surgelée au micro-ondes. Pour le chasseur-cueilleur, ces questions ne
se posaient pas. Sans oublier que son cerveau le récompensait chaque fois
qu’il se dépensait. L’objectif du cerveau, pour ainsi dire, est en effet de se

102
développer : il s’agit de faire sans cesse de nouvelles expériences et
d’assurer grâce aux nouvelles connaissances ainsi réunies la réussite de la
reproduction à travers les générations à venir. C’est sans doute la raison
pour laquelle n’importe quel effort physique, à condition de ne pas
exagérer, déclenche encore aujourd’hui dans notre cerveau la production de
sérotonine, aussi appelée “hormone du bonheur”.
Mais alors, pourquoi avons-nous tant de mal à “nous bouger les fesses” ?
Est-ce parce que nous travaillons dur pour notre confort et voulons savourer
cette inactivité durement gagnée ? Est-ce à cause de notre éducation ? Des
objectifs prescrits par une société où les enfants apprennent dès le plus
jeune âge à rester sagement assis ? Des principes de marché qui régissent
notre vie, désormais placée sous cette devise : “Pour aller loin, restez assis
devant votre ordi” ?
Henry Ford, l’inventeur de la chaîne de production automobile, avait un
avis tranché sur la question : “L’activité physique n’a aucun intérêt. Quand
tu es en bonne santé, tu n’en as pas besoin, et quand tu es malade, il faut
l’éviter.” Une opinion insensée que partagent malheureusement beaucoup
d’entre nous – jusqu’au jour où il est trop tard.

1 FABEL, K. et al., “VEGF is necessary for exercise-induced adult hippocampal


neurogenesis”, Eur. J. Neurosci., vol. 18, 2003, p. 2803-2812,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/14656329 ; R ANSOME, M. I. et T URNLEY, A. M.,
“Systemically delivered Erythropoietin transiently enhances adult hippocampal
neurogenesis”, J. Neurochem., vol. 102, 2007, p. 1953-1965,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17555554 ; YAU, S. Y. et al., “Fat cell-secreted
adiponectin mediates physical exercise-induced hippocampal neurogenesis : an
alternative anti-depressive treatment ?”, Neural. Regen. Res., vol. 10, 2015, p. 7-9,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25788905 ; P HILLIPS, C. et al., “Neuroprotective
effects of physical activity on the brain : a closer look at trophic factor signaling”,
Front. Cell. Neurosci., 2014, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24999318.
2 ERICKSON, K. I. et al., “Exercise training increases size of hippocampus and
improves memory”, Proc. Natl. Acad. Sci. USA, vol. 108, 2011, p. 3017-3022,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21282661.
3 ABBOTT, R. D. et al., “Walking and dementia in physically capable elderly men”,
JAMA, vol. 292, 2004, p. 1447-1453, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15383515.
4 SMITH, J. C. et al., “Physical activity reduces hippocampal atrophy in elders at
genetic risk for Alzheimer’s disease”, Front. Aging Neurosci., 2014,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24795624.
5 COLCOMBE, S. et KRAMER, A. F., “Fitness effects on the cognitive function of
older adults : a meta-analytic study”, Psychol. Sci., vol. 14, 2003, p. 125-130,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12661673.

103
104
105
FAIRE DU SOLEIL SON ALLIÉ

La lumière du soleil guérit.

Talmud de Babylone (VIe siècle av. J.-C.)

De l’hormone du soleil à la vitamine

Le berceau de l’humanité se trouve en Afrique, près de l’équateur. Nos


ancêtres n’avaient donc pas à se soucier d’un éventuel manque de soleil. Ils
auraient plutôt eu à s’inquiéter de ses rayons brûlants, mais leur peau
sombre les protégeait. Même ainsi, la quantité de rayonnements UVB
(ultraviolets de longueur d’onde moyenne) issus de la lumière du soleil qui
pénétraient leur peau était cependant suffisante pour synthétiser assez de
vitamine D à partir du cholestérol. On parle de vitamine D, mais il s’agit
plutôt d’une hormone, puisque le corps humain est capable de la produire
lui-même. Elle ne devient en fait une vitamine que quand la lumière du
soleil vient à manquer.

LE POINT SUR : LA VITAMINE D


La vitamine D existe chez l’homme sous deux formes : la vitamine
D2 (ou ergocalciférol) est d’origine végétale alors que la vitamine
D3 (cholécalciférol) est d’origine animale. Cette dernière est la
vitamine que nous fabriquons grâce au soleil ou que nous ingérons par
notre alimentation. C’est aussi la plus efficace.
La vitamine D3 synthétisée au niveau de la peau sous l’action des
rayons solaires est transformée en hormone active à l’issue de deux
étapes. La première a lieu dans le foie, où la vitamine D3 est
transformée en une prohormone, c’est-à-dire le précurseur inactif d’une
hormone. Il s’agit du calcidiol (25-OH-D3) qui, dans une deuxième
étape, est transformé au niveau des reins en une hormone active : le
calcitriol (1,25-(OH)2-D3).

106
Plus nous nous éloignons de l’équateur, plus les rayons du soleil sont
obliques, et plus la proportion d’UVB est faible. Dans cette situation, la
vitamine D3 est le plus souvent une vitamine (essentielle, mais que le corps
ne peut pas produire), et non une hormone (essentielle et produite par le
corps). Parmi les conséquences d’une carence en vitamine D3 due au
manque de soleil ou à une peau trop sombre, on peut citer le rachitisme.
Touchées par ce trouble de l’ossification, les femmes auront un bassin plus
étroit, ce qui rend plus difficile, voire impossible, l’accouchement par voie
naturelle. Pour permettre la reproduction sous les latitudes nordiques,
l’humanité n’a eu que deux solutions : trouver une source nutritive qui
fournisse la vitamine D nécessaire (ce que firent les Inuits du Grand Nord),
ou évoluer génétiquement. Nos ancêtres européens ont d’abord “choisi”
cette dernière solution. Ceux d’entre eux qui étaient porteurs d’une
modification génétique à l’origine d’une peau claire ont pu compenser par
ce biais le manque de lumière et se reproduire.
Mais une peau claire ne nous sert pas à grand-chose si – comme souvent
aujourd’hui – nous passons la majeure partie de notre temps dans des
espaces fermés. L’éclairage artificiel ne délivre pas d’UVB et les vitres
filtrent ceux qui pourraient provenir de la lumière naturelle. Sans compter
qu’en hiver, les rayons du soleil sont plus obliques qu’en été, de sorte que
le rayonnement UVB est alors pratiquement nul sur le continent nord-
européen. En combinaison avec les vêtements couvrants que nous impose le
froid, la production de vitamine D3 chute pendant la saison froide.
Au XIXe siècle, la pollution croissante liée à l’industrialisation de
l’Europe et de l’Amérique du Nord a entraîné une augmentation massive des
cas de rachitisme1. Dans les centres industriels présentant une haute
pollution atmosphérique, les enfants étaient particulièrement touchés. En
cherchant à lutter contre le rachitisme, on découvrit alors l’effet bénéfique
de l’huile de foie de morue, dans laquelle fut ensuite identifiée une
substance active vitale. Comme on avait déjà identifié les vitamines A, B et
C, on baptisa cette substance vitamine D. Voilà comment une évolution
culturelle – la pollution et le travail dans des espaces fermés – et le manque
de lumière qui en résultait ont transformé une hormone en vitamine.

Le manque de vitamine D en cause dans l’Alzheimer

Une carence en vitamine D ne nuit pas seulement à l’ossification. Les


systèmes immunitaire et cardiovasculaire mais aussi le cerveau en ont
besoin ou, pour être plus exact, ils utilisent sa forme bioactive, la vitamine

107
D3 (également appelée cholécalciférol). Une carence en vitamine D
empêche les nouveaux neurones formés dans l’hippocampe de parvenir à
maturation2. Les troubles de la neurogenèse et la baisse de la résistance au
stress qui y sont liés pourraient expliquer ce qu’on appelle la dépression
hivernale3, causée par un manque saisonnier de vitamine D – un cercle
vicieux que nous connaissons maintenant comme moteur de la maladie
d’Alzheimer. En outre, la régulation du métabolisme de la bêta-amyloïde
requiert elle aussi de la vitamine D. En cas de carence, le processus va
donc être accéléré. Inversement, en compensant une carence en vitamine D,
nous allons pouvoir éliminer l’excès de bêta-amyloïde toxique et réduire
dans le cerveau une tendance inflammatoire qu’on attribue à l’âge. C’est ce
qui permet d’enrayer le déclin cognitif lié à cette carence4. Enfin, la
vitamine D protège les neurones de l’effet destructeur de la bêta-amyloïde
agrégée5. Voilà pourquoi ceux qui absorbent plus de vitamine D3 grâce à
leur alimentation sont plus rarement atteints par la maladie d’Alzheimer6.
Fin 2014, une équipe internationale de chercheurs a identifié les
concentrations de vitamine D nécessaires dans le sang pour assurer cette
protection7. Pendant environ six ans, les scientifiques ont
observé 1 658 participants âgés en moyenne de 68 ans et mesuré leur taux
de vitamine D dans le sang ou, plus précisément, leur taux de vitamine
D3 (cholécalciférol) qui sert communément de référence, la valeur obtenue
étant alors exprimée en nanomoles par litre (nmol/l). Au cours des six
années de l’étude, 171 des 1 658 participants (qui étaient au départ en
bonne santé mentale) ont développé une démence, dont 102 plus
spécifiquement une maladie d’Alzheimer. Ceux dont le taux de vitamine D
dans le sang était supérieur à 50 nmol/l étaient les mieux protégés. Avec une
carence modérée en vitamine D (soit des valeurs comprises entre
25 et 50 nmol/l), le risque général de démence augmentait de 53 %, celui
d’Alzheimer de 70 %. Pour les participants dont les dosages étaient
inférieurs à 25 nmol/l, la probabilité d’être atteints d’Alzheimer ou d’une
autre forme de démence était même plus de deux fois plus élevée, la
démence étant le plus souvent vasculaire.
Cette dernière donnée a également été confirmée par les résultats d’une
autre étude à laquelle ont participé 25 000 Danois pendant sept ans. Celle-
ci a en effet montré qu’un manque de vitamine D3 augmentait
considérablement le risque d’infarctus et d’accidents vasculaires
cérébraux8.
Avec d’autres recherches menées sur la corrélation entre une carence en
vitamine D et le risque de cancer9, ces deux études fournissent des résultats

108
concordants sur la quantité de vitamine D optimale pour une longue vie sans
cancer ni démence. Cette valeur se situe aux alentours de 100 nmol/l (soit
au-dessus des 70-75 nmol/l que l’Endocrine Society, société américaine de
spécialistes en hormonologie, indique comme consigne10).
Toutefois, la concentration dans le sang ne devrait pas être beaucoup plus
élevée : comme l’a montré l’étude danoise, le risque de décès augmente en
effet en cas de surdosage de la vitamine D3. Des valeurs nettement
supérieures à 130 nmol/l sont à considérer comme excessives. Dans le
cadre d’une alimentation équilibrée, elles sont cependant quasiment
impossibles. Sur la base de ces résultats, on peut recommander une valeur
de cholécalciférol comprise entre 70 nmol/l et 130 nmol/l.

Sources de vitamine D3 et besoins

Le danger d’un “surdosage naturel” en vitamine D3 à la suite de trop longs


bains de soleil est peu probable, car notre corps régule très exactement sa
production. En peu de temps, il ralentit si besoin la synthèse et, en cas
d’exposition fréquente, la peau brunit.
Le danger d’un sous-dosage, en revanche, est réel. Il est donc important,
notamment en Europe du Nord, de recourir à d’autres sources
d’approvisionnement. Comment ? Regardons ce qui se passe chez les Inuits,
dans les régions arctiques privées de rayonnements UVB pendant quasiment
toute l’année : en dépit des conditions de vie et de leur peau encore foncée,
les Inuits survivent en couvrant la totalité de leurs besoins à travers une
alimentation riche en poisson. Ce n’est pas difficile pour eux : les poissons
gras tels qu’on en trouve communément en eau froide sont une excellente
source de vitamine D3. 100 g d’huile de poisson (huile de foie) contiennent
environ 12 000 UI11. La même quantité de hareng contient environ 1 000 UI,
la truite environ 880 UI et le saumon 650 UI.
Il existe aussi encore quelques autres aliments qui peuvent contribuer à
couvrir nos besoins. Deux œufs de poule de taille normale contiennent
environ 120 UI de vitamine D3. 100 grammes d’avocat et de champignons
aussi (il s’agit alors de la vitamine D2 végétale, dont les valeurs sont
similaires). En revanche, les céréales, les fruits et les légumes n’en
contiennent pas. Et les quantités présentent dans le lait et les produits
laitiers sont négligeables.
Pour compenser un déficit, la Société allemande de nutrition (DGE,
Deutsche Gesellschaft für Ernährung) recommande aux adultes un apport
quotidien de 800 UI de vitamine D3, jusqu’à ce que la quantité de vitamine

109
D synthétisée via l’épiderme soit suffisante. Une recommandation que
viennent contredire les résultats d’une étude sur la prévention du cancer.
Celle-ci a montré que pour augmenter la concentration dans le sang
d’environ 2 nmol/l, un adulte devait ingérer 100 UI par jour12. Si l’on part
du principe que l’effet protecteur de la vitamine D contre la démence
requiert une concentration de 100 nmol/l, alors 5 000 UI seraient
nécessaires chaque jour (dans le cas d’une production sinon nulle), soit bien
plus que les recommandations de la DGE. Il se pourrait même que les
quantités requises soient encore plus importantes si l’on essaie de
compenser les carences avec des préparations multivitaminées.
Dans cette même étude, certains indices sembleraient en effet montrer que
la vitamine D3 issue des compléments alimentaires entraîne souvent des
hausses moins élevées que prévu. Avec ces sources artificielles,
jusqu’à 400 UI étaient nécessaires pour faire augmenter la concentration
dans le sang d’environ 2 nmol/l. Pourquoi ? On suppose que la vitamine D,
liposoluble, n’est assimilée efficacement qu’avec une alimentation riche en
graisses. Si l’on avale la préparation vitaminée avec un verre d’eau, la
quantité de vitamine qui arrive finalement dans le sang est bien maigre. Par
conséquent, mieux vaut les prendre avec un aliment gras.
Pour que nous ne nous mettions pas à jouer les apprentis sorciers chacun
dans notre coin, un changement de mentalité doit s’opérer dans nos sociétés.
L’objectif ? Généraliser le dosage de la vitamine D par les médecins
traitants et banaliser la prescription de préparations efficaces à base de
vitamine D3.
Dans le cadre de l’étude finlandaise FINGER, la dose quotidienne
recommandée aux membres du groupe qui avaient abandonné leur mauvaise
hygiène de vie n’était que de 400-800 UI de vitamine D3, y compris pour
les participants qui ne mangeaient pas de poisson. C’est peut-être suffisant
pour prévenir l’ostéoporose, mais pas, comme on vient de le voir, pour
réduire le risque de démence (ou de cancer) lié à une carence en vitamine
D. Encore moins en Finlande où, même en été, le soleil est trop bas pour
fournir un rayonnement UVB suffisant.
Le professeur Bredesen, en revanche, se fia aux résultats de l’étude sur le
cancer évoquée plus haut. En outre, il veilla à proposer un dosage
personnalisé : Sarah Jones prenait 2 000 UI par jour, Ben Miller en était
même à 5 000 UI.
Le mieux, cependant, serait d’oublier le statut de vitamine qui colle à la
peau de la vitamine D3 et de prendre l’air aussi souvent que possible. Un
être humain à la peau claire peut produire jusqu’à 20 000 UI de vitamine D3
en l’espace de 20 à 30 minutes. On comprend bien dans ces conditions

110
qu’une complémentation ne devrait être nécessaire que dans les mois les
plus froids, du moins sous nos latitudes.
Rappelons-le : les effets bénéfiques du soleil ne se limitent pas à une
protection contre l’ostéoporose et le cancer. L’astre du jour a aussi des
atouts certains quand il s’agit de lutter contre la démence vasculaire et la
démence hippocampique, c’est-à-dire l’Alzheimer. En outre, il a des vertus
antidépressives – ou disons plutôt, pour être plus exact, que nous
développons des tendances dépressives quand nous restons enfermés et ne
profitons que trop peu de la lumière et de la chaleur du soleil. Il semble
ainsi que le besoin d’aller dehors quand il fait beau soit inné chez l’être
humain, ce qui nous permet de faire le plein de vitamine D.
Instinctivement, nous sentons que le soleil nous fait du bien, et passer du
temps dehors est donc primordial. Songeons aussi que chaque fois que nous
prenons les transports en commun ou la voiture pour un trajet que nous
pourrions sans difficulté faire à pied, nous renonçons à une dose précieuse
de vitamine. Une autre bonne manière d’en profiter ? Le jardinage ! Cette
activité en plein air réduit le risque d’Alzheimer13. En outre, utiliser une
pompe à eau manuelle est un excellent entraînement pour le ventre, les bras
et le dos, tandis qu’en retournant la terre des plates-bandes, nous allons
fournir un effort physique intense, qui libère quantité d’hormones favorables
à la croissance de l’hippocampe.
Comme vous le voyez, il y a mille façons de profiter du soleil. Alors, si
le temps le permet, pourquoi ne pas aller lire le chapitre suivant au grand
air ?

1 RAJAKUMAR, K., “Vitamin D, cod-liver oil, sunlight, and rickets : a historical


perspective”, Pediatrics, vol. 112, 2003, p. 132-135.
2 ZHU, Y. et al., “Abnormal neurogenesis in the dentate gyrus of adult mice
lacking 1,25-dihydroxy vitamin D3 (1,25-(OH) 2-D3)”, Hippocampus, vol. 22,
2012, p. 421-433.
3 ANGLIN, R. E. et al., “Vitamin D deficiency and depression in adults : systematic
review and meta-analysis”, Br. J. Psychiatry, vol. 202, 2013, p. 100-107.
4 BRIONES, T. L. et DARWISH, H., “Vitamin D mitigates age-related cognitive
decline through the modulation of proinflammatory state and decrease in amyloid
burden”, J. Neuroinflammation, 2012, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23098125.
5 DURSUN, E. et al., “A novel perspective for Alzheimer’s disease : vitamin D
receptor suppression by amyloid-β and preventing the amyloid-β induced alterations
by vitamin D in cortical neurons”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 23, 2011, p. 202-219.
6 ANNWEILER, C. et al., “Higher vitamin D dietary intake is associated with lower
risk of Alzheimer’s disease : a 7-year follow-up”, J. Gerontol. A. Biol. Sci. Med.

111
Sci., vol. 67, 2012, p. 1205-1211.
7 LITTLEJOHNS, T. J. et al., “Vitamin D and the risk of dementia and Alzheimer
disease”, Neurology, vol. 83, 2014, p. 920-928,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25098535.
8 DURUP , D. et al., “A reverse J-shaped association between serum 25-
hydroxyvitamin D and cardiovascular disease mortality – the CopD study”, J. Clin.
Endocrinol. Metab., vol. 100, 2015, p. 2339-2346,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25710567.
9 INGRAHAM, B. A. et al., “Molecular basis of the potential of vitamin D to
prevent cancer”, Curr. Med. Res. Opin., vol. 24, 2008, p. 139-149,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18034918 ; GARLAND, C. F. et al., “Vitamin D for
cancer prevention : global perspective”, Ann. Epidemiol., vol. 19, 2009, p. 468-
483, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19523595.
10 HOLICK, M. F. et al., “Evaluation, treatment, and prevention of vitamin D
deficiency : an Endocrine Society clinical practice guideline”, J. Clin. Endocrinol.
Metab., vol. 96, 2011, p. 1911-1930.
11 Unité de mesure pharmacologique définie par convention internationale pour la
quantité d’une substance. Ici, 1 UI = 0,025 μg de cholécalciférol.
12 GIOVANNUCCI, E. et al., “Prospective study of predictors of vitamin D status
and cancer incidence and mortality in men”, J. Natl. Cancer Inst., vol. 98, 2006,
p. 451-459.
13 T AKEDA, T. et al., “Psychosocial risk factors involved in progressive dementia-
associated senility among the elderly residing at home. AGES project – three year
cohort longitudinal study”, Nihon Koshu Eisei Zasshi, vol. 57, 2010, p. 1054-
1065, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21348280.

112
113
114
STIMULER LE CERVEAU

L’homme est soit victime, soit maître de son


destin.

HERBERT SPENCER (1820-1903)

Les neurones sont des êtres sociaux

À travers la production d’hormones (irisine, EPO, facteur de croissance de


l’endothélium vasculaire, somatotropine, adiponectine, sérotonine et bien
d’autres), l’activité physique stimule la neurogenèse au niveau de
l’hippocampe. Les contacts physiques et la proximité avec d’autres
personnes jouent le même rôle en favorisant la production d’ocytocine.
Cependant, avant même d’avoir pu contribuer à l’enregistrement de
nouveaux souvenirs, plus de 90 % des nouveaux neurones meurent au cours
de leur processus de maturation1. C’est ce qu’on appelle l’élagage. On
pourrait dire que les neurones, tout comme nous, sont des êtres sociaux. Car
pour survivre, les nouvelles cellules neuronales doivent établir un contact
durable avec leur environnement en l’espace de trois à six semaines2. C’est
cette zone de contact, la synapse, qui leur permet d’enregistrer nos
souvenirs et c’est aussi par là qu’ils reçoivent ce message décisif : “Reste
en vie, nous avons besoin de toi !”
Entre la création du nouveau neurone et son intégration complète dans le
réseau neuronal, il s’écoule une période assez longue. Voilà pourquoi il faut
par exemple attendre plusieurs semaines, souvent même plusieurs mois,
avant de pouvoir juger de l’efficacité d’un traitement contre la dépression.
De la même manière, le succès de la thérapie du professeur Bredesen n’a
été visible sur ses patients qu’au bout de quelques mois. Nous l’avons vu au
chapitre “Bouger” : l’activité physique stimule la neurogenèse. Dans un
deuxième temps, pour que les nouveaux neurones survivent, ils doivent être
intégrés au système nerveux. Il faut pour ainsi dire qu’ils se sentent utiles.
On comprend donc pourquoi des activités comme la lecture, l’écriture, le
jeu, la communication et la musique retardent le déclin cognitif chez les
patients qui commencent à développer un Alzheimer3. Déterminante pour la

115
prévention et le traitement, cette découverte est aussi très lucrative.
L’industrie qui propose des produits pour exercer notre mémoire et
améliorer nos capacités cognitives est aujourd’hui en plein essor.

Entraînement cérébral virtuel

On dit toujours que le cerveau peut être entraîné à la manière d’un muscle.
C’est effectivement vrai. Cependant, si l’on veut garder cette image du
muscle, il faut envisager le cerveau non pas comme un seul muscle, mais
plutôt comme un grand nombre de muscles différents chargés de tâches
distinctes. C’est là que les choses se compliquent : si vous courez tous les
jours, avec le temps, vous allez améliorer vos performances – en course à
pied. Il y a peu de chances, en revanche, que vous deveniez ainsi un
excellent haltérophile. C’est la même chose pour le cerveau. Un bon joueur
d’échecs n’est pas forcément un bon écrivain. On maîtrise mieux ce à quoi
on s’exerce, mais les compétences cognitives ainsi acquises ne peuvent être
appliquées que sous condition à d’autres activités cérébrales. Dans ce cas,
quels sont les “muscles cérébraux” que nous voulons renforcer pour
prévenir ou guérir l’Alzheimer ?
Au stade initial de la maladie, la neurogenèse est mauvaise,
l’hippocampe s’atrophie et la mémoire épisodique se dégrade. La mémoire
à court terme et la mémoire de travail ne sont touchées qu’à des stades plus
avancés de la maladie et, avec elles, l’intelligence et la capacité à penser
de manière rationnelle. La plupart des exercices d’entraînement cérébral
visent à nous rendre plus intelligents. C’est une bonne chose, mais est-ce
aussi ce qui, dans le contexte de l’Alzheimer, aura un effet protecteur ou
thérapeutique ?
Voyons les choix qui ont été faits au sein des deux études sur lesquelles
nous nous appuyons. Pendant l’étude FINGER, des séances de groupe ont été
organisées pour les participants qui devaient modifier leurs habitudes de
vie dans l’objectif de mieux répondre aux exigences du cerveau. Des
psychologues leur ont alors expliqué comment le fonctionnement du cerveau
évolue avec l’âge et quelles sont les stratégies auxquelles on peut recourir
quand certaines régions du cerveau déclinent. En outre, les participants ont
reçu des instructions pour suivre chez eux pendant un an un programme
d’entraînement cérébral sur Internet4. Ils devaient s’exercer trois fois par
semaine, à raison de 10 à 15 minutes par séance. L’entraînement visait
plusieurs régions du cerveau chargées de différentes fonctions, et
notamment la région responsable de la prise de décision et de la mémoire
de travail. Les exercices proposés faisaient notamment appel à la mémoire

116
spatiotemporelle et, de manière générale, il s’agissait d’améliorer la vitesse
de réflexion. Le professeur Bredesen, de son côté, proposa aussi à ses
patients un programme d’entraînement par ordinateur avec pour objectif
d’améliorer la faculté de penser et la mémoire des mots5.
Si les deux études thérapeutiques ont choisi des programmes
d’entraînement par ordinateur, c’est parce que ceux-ci se sont avérés plus
efficaces que les méthodes papier utilisées autrefois6. Cependant, de tels
programmes stimulent surtout notre mémoire de travail, principalement
responsable de la faculté de penser et de l’intelligence rationnelle. Il n’y a
là que peu de lien avec ce qui se passe dans notre hippocampe, où
l’intégration de nouveaux souvenirs dépend du contenu émotionnel (et non
rationnel) du vécu. Les participants à l’étude FINGER qui ont suivi le
programme d’entraînement ont ainsi vu leur vitesse de réflexion s’améliorer
par rapport à celle des autres participants, mais selon moi, l’étude n’a pas
démontré que de tels programmes sur ordinateur avaient un effet bénéfique
sur la neurogenèse, ni s’ils permettaient d’exercer la mémoire épisodique
(ni même, d’ailleurs, s’il était possible d’exercer celle-ci). Dans
l’hippocampe, l’intégration vitale pour les nouveaux neurones ne peut avoir
lieu que si les contenus d’apprentissage sont convaincants sur le plan
émotionnel. La question est donc de savoir si un programme virtuel est
capable de simuler un vécu assez significatif du point de vue émotionnel
pour que ce qui a été appris induise une amélioration de la mémoire au
quotidien. D’après les résultats d’une étude menée sur cinq ans, il semble
en tout cas que ce type d’entraînement cérébral virtuel ne fasse pas baisser
le risque de démence7.
L’autre question que posent ces programmes informatiques, c’est celle de
la motivation : a-t-on vraiment envie de rester assis devant un ordinateur à
résoudre des exercices de plus en plus complexes, et cette envie peut-elle
se maintenir chaque jour et à long terme ? Sans doute pas. Beaucoup
d’études indiquent en tout cas que de tels entraînements par ordinateur sont
le plus souvent interrompus assez rapidement8.
Cela ne signifie pas que l’utilisation d’un ordinateur soit inutile. Au
contraire, il a été prouvé que le risque d’Alzheimer était plus réduit chez les
personnes d’un certain âge qui acceptent la nouveauté – comme l’utilisation
fréquente d’un ordinateur pour faire des recherches sur Internet9. Mais il
importe que l’expérience soit source de plaisir. Si l’on a envie d’explorer
le vaste monde d’Internet, il ne faut donc pas hésiter à le faire. En revanche,
il serait faux de croire que pour prévenir ou guérir l’Alzheimer, il est
indispensable de résoudre chaque jour des exercices sur ordinateur. Le

117
chasseur-cueilleur ne le faisait évidemment pas. Au lieu de cela, il passait
du temps avec les membres de sa tribu. Et c’est très certainement dans cette
interaction sociale que l’hippocampe de l’être humain est le mieux stimulé.

Entraînement cérébral social

Pour enthousiasmer l’hippocampe, il faut soi-même être enthousiaste. Nos


neurones (qu’on pourrait dire doués de sociabilité) sont heureux quand nous
sommes nous-mêmes socialement actifs et quand nous rendons heureux
d’autres gens (ce qui nous rend heureux nous aussi). De nombreuses études
internationales confirment que celui qui s’engage socialement a de beaux
atouts quand il s’agit d’améliorer la mémoire épisodique et de réduire le
risque d’Alzheimer10. Dans l’une d’elles, on s’est par exemple penché sur
l’effet protecteur qu’un environnement social stimulant pouvait avoir sur le
cerveau11. Lisa Berkman, professeur à Harvard, qui a dirigé cette étude
portant sur plus de 16 000 retraités, constate dans un communiqué de
presse : “Des recherches plus anciennes ont déjà montré que le taux de
mortalité est moins élevé chez les personnes dont les liens sociaux sont
nombreux. Aujourd’hui, les données dont nous disposons indiquent
clairement qu’un réseau social bien tissé pourrait empêcher la dégradation
de la mémoire12.”
Entre-temps, nous savons qu’il est possible d’empêcher cette dégradation
et même d’aller beaucoup plus loin. Un exemple : chez les retraités qui
s’engageaient dans des projets scolaires et utilisaient ainsi leur expérience
pour la transmettre à des enfants et des adolescents, le volume de
l’hippocampe a augmenté de jusqu’à 1,6 % sur une période de deux ans, au
lieu de diminuer comme c’est malheureusement souvent le cas dans des
sociétés où la solitude est de mise13. Pourtant, il y a suffisamment de
possibilités de s’engager et d’être actif socialement.
Nous créons ainsi des liens avec d’autres gens et nos nouveaux neurones,
eux, créent des liens avec les neurones existants, ce qui garantit leur survie.
Non seulement c’est une excellente protection contre l’Alzheimer, mais chez
les patients déjà touchés par la maladie, l’hippocampe se développe alors à
nouveau et, avec lui, les perspectives de guérison.

1 DREW, L. J. et al., “Adult neurogenesis in the mammalian hippocampus : why


the dentate gyrus ?”, Learn Mem., vol. 20, 2013, p. 710-729,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24255101.

118
2 BRAUN, S. M. et JESSBERGER, S., “Adult neurogenesis : mechanisms and
functional significance”, Development, vol. 141, 2014, p. 1983-1986,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24803647.
3 HALL, C. B. et al., “Cognitive activities delay onset of memory decline in
persons who develop dementia”, Neurology, vol. 73, 2009, p. 356-361,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19652139.
4 DAHLIN, E. et al., “Transfer of learning after updating training mediated by the
striatum”, Science, vol. 320, 2008, p. 1510-1512,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18556560.
5 SMITH, G. E. et al., “A cognitive training program based on principles of brain
plasticity : results from the Improvement in Memory with Plasticity-based Adaptive
Cognitive Training (IMPACT) study”, J. Am. Geriatr. Soc., vol. 57, 2009, p. 594-
603, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19220558.
6 KUEIDER, A. M. et al., “Computerized cognitive training with older adults : a
systematic review”, PLoS One, 2012, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22792378.
7 UNVERZAGT, F. W. et al., “ACTIVE cognitive training and rates of incident
dementia”, J. Int. Neuropsychol. Soc., vol. 18, 2012, p. 669-677,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22400989.
8 BRODZIAK, A. et al., “Guidelines for prevention and treatment of cognitive
impairment in the elderly”, Med. Sci. Monit., vol. 21, 2015, p. 585-597,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25708246.
9 ALMEIDA, O. P. et al., “Older men who use computers have lower risk of
dementia”, PLoS One, 2012, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22937167.
10 SACZYNSKI, J. S. et al., “The effect of social engagement on incident
dementia : the Honolulu-Asia Aging Study”, Am. J. Epidemiol., vol. 163, 2006,
p. 433-440, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16410348 ; ZUNZUNEGUI, M. et al.,
“Social networks, social integration, and social engagement determine cognitive
decline in community-dwelling Spanish older adults”, J. Gerontol. B. Psychol. Sci.
Soc. Sci., vol. 58, 2003, p. 93-100, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12646598.
11 ERTEL, K. A. et al., “Effects of social integration on preserving memory
function in a nationally representative US elderly population”, Am. J. Public
Health, vol. 98, 2008, p. 1215-1220, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18511736.
12 Cf. “Active social life may delay memory loss among US elderly population”,
HSPH News, 29.5.2008, www.hsph.harvard.edu/news/press-releases/active-social-
life-delay-memory-loss-us-elderly.html.
13 CARLSON, M. C. et al., “Impact of the Baltimore Experience Corps Trial on
cortical and hippocampal volumes”, Alzheimer’s Dement, 2015,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25835516.

119
120
121
DORMIR SUFFISAMMENT

Chaque homme possède en rêve son monde à


soi, mais à l’état de veille, tous ont un monde
commun.

HÉRACLITE D’ÉPHÈSE (520-460 av. J.-C.)

La force du repos

La nuit, quand nous dormons, notre cerveau est plus actif que pendant la
journée, quand nous sommes réveillés : il travaille en effet à libérer de
l’espace pour la prochaine ration quotidienne de vécu. En outre, les
souvenirs qui sont transférés vers la mémoire à long terme du néocortex
doivent être comparés aux souvenirs plus anciens, puis intégrés et traités.
Enfin, quand l’hippocampe – grâce à notre activité physique – a reçu
suffisamment de signaux correspondants dans la journée, c’est aussi pendant
le sommeil profond que de nouveaux neurones vont pouvoir être fabriqués.
Dormir est donc vital. Le sommeil permet la maturation de notre moi et
nous protège de l’Alzheimer. Comment ? Grâce à l’évacuation et à la
dégradation de la bêta-amyloïde produite dans la journée (et désormais
devenue inutile). C’est là une étape indispensable pour que de nouveaux
souvenirs puissent intégrer l’hippocampe après la phase de sommeil. Si
nous ne dormons pas assez, ce “décrassage” n’a pas lieu, et la journée
commence avec un trop-plein de bêta-amyloïde. Les nouveaux souvenirs ne
seront alors pas enregistrés de manière efficace (puisque la bêta-amyloïde
bloque la production du neurotransmetteur requis, le glutamate) et la bêta-
amyloïde aura aussi davantage tendance à s’agréger, devenant ainsi
toxique1.
La dégradation et l’évacuation de la bêta-amyloïde est un processus actif
du cerveau2. Pendant le sommeil profond, les neurones rétrécissent, et
l’espace interstitiel, c’est-à-dire les écarts entre les tissus du cerveau,
augmente. Résultat : le liquide cérébrospinal circule mieux et peut évacuer
les toxines, comme la bêta-amyloïde en excès ou déjà toxique. Voilà
comment Elena Bernard, journaliste scientifique, décrit la logique de ce
processus : “Le fonctionnement normal du cerveau éveillé produit

122
irrémédiablement des déchets toxiques. Or, ceux-ci ne peuvent pas être
éliminés en « mode actif ». Le grand ménage a lieu pendant le sommeil ;
c’est grâce à lui que les toxines ne s’accumulent pas dans le cerveau où
elles nuiraient aux facultés cognitives3.” A contrario, c’est ce qui explique
pourquoi une seule nuit blanche suffit déjà à faire augmenter le taux de bêta-
amyloïde et à atteindre des quantités permettant la formation de la toxine4.
Toutefois, le nettoyage ne peut fonctionner pendant le sommeil que si la
bêta-amyloïde circule : imaginez un arrosoir rempli de bêta-amyloïde, mais
avec un pommeau dont les trous sont bouchés, ceux-ci correspondant aux
systèmes de transport requis pour passer la barrière hémato-encéphalique.
Si l’on veut que ces “trous” restent ouverts pour permettre l’évacuation des
toxines, il convient d’adopter un programme préventif ou curatif systémique,
comme on l’a montré tout au long de cet ouvrage. Dormir suffisamment,
c’est important, mais ce n’est pas encore assez.
Nettoyer le cerveau de la bêta-amyloïde en excès n’est pas la seule
fonction du sommeil. Un manque de sommeil chronique entraîne par
exemple aussi des troubles massifs de la neurogenèse dans l’hippocampe,
peu importe que le manque de sommeil soit dû au stress chronique ou à
autre chose5. Une ou deux nuits blanches n’auront pas encore un effet
dramatique sur la neurogenèse, elles n’entraîneront sûrement pas une
dégénération neurologique durable, mais l’effet d’un manque de sommeil
chronique accumulé et de l’évacuation insuffisante de la bêta-amyloïde qui
en résulte est prouvé : chez les personnes qui souffrent de troubles
chroniques du sommeil (sommeil souvent interrompu et, par conséquent,
augmentation du taux de cortisol), l’hippocampe est bien plus petit que chez
les personnes qui ont un sommeil sain. Or, un hippocampe de taille réduite,
c’est un risque plus grand d’agrégation de la bêta-amyloïde et de troubles
cognitifs6. Il n’est donc pas surprenant qu’en cas de manque de sommeil
chronique, la probabilité d’être touché par la maladie d’Alzheimer
augmente sensiblement7.
Évoquons aussi le cas particulier du travail par roulement, comme les
trois-huit. Quand on travaille pendant de longues années selon ce système,
on est plus souvent impliqué dans des accidents, on a une probabilité trois
fois plus élevée d’être touché par une maladie cardiaque et l’on voit aussi
augmenter le risque de certains cancers. À long terme, le travail posté fait
vieillir de six ans et demi supplémentaires. D’après une étude actuelle, il
réduirait aussi la mémoire et les capacités cognitives8 : chez les personnes
soumises sur plus de dix ans à des horaires de travail irréguliers, les

123
capacités cognitives déclinent ainsi bien plus rapidement que chez les
autres actifs.
Pour ce qui est de la maladie d’Alzheimer, le manque de sommeil est
donc à considérer comme un facteur de risque à part entière, sans oublier
qu’il se renforce lui-même9 : quand nous ne dormons pas suffisamment, la
diminution de notre résistance au stress aggrave en général encore les
problèmes de sommeil, et nous nous retrouvons pris dans un cercle vicieux
dont il nous faut à tout prix sortir10. Comment se fait-il dans ce cas que
l’étude FINGER n’ait pas du tout abordé la problématique du sommeil ? Sans
aucun doute, c’est là l’un de ses défauts majeurs.

La mélatonine, plus qu’une hormone du sommeil

Au plus profond de notre cerveau, au-dessus du diencéphale, se trouve la


glande pinéale ou épiphyse. L’anatomiste André Vésale (1514-1564)
décrivit en son temps la ressemblance de cette glande avec une pomme de
pin, d’où son nom. La glande pinéale sécrète la mélatonine, l’hormone qui
régule notre rythme biologique de veille et de sommeil. C’est cette hormone
qui nous incite à nous endormir quand l’obscurité règne. C’est elle aussi qui
assure le sommeil profond. Il y a 2 300 ans, les premiers anatomistes grecs,
Érasistrate de Céos (vers 305-250 av. J.-C.) et Hérophile de Chalcédoine
(vers 335-280 av. J.-C.), supposaient déjà que la glande pinéale contrôlait
le “flux des souvenirs” – une approche des choses extrêmement moderne si
l’on songe aux connaissances actuelles.
La mélatonine n’est pas seulement responsable du sommeil profond et
donc du transfert des souvenirs : elle augmente aussi la production nocturne
de l’hormone de croissance. En combinaison avec le blocage de la
sécrétion de l’hormone du stress, la mélatonine est essentielle pour la
neurogenèse dans l’hippocampe.
En outre, elle empêche la formation excessive de dérivés réactifs de
l’oxygène, tels que les radicaux libres. Il s’agit de sous-produits agressifs
issus de notre métabolisme. Notre corps les utilise comme signaux (par
exemple comme stimulus d’entraînement au niveau des muscles) ou encore,
dans le cadre de la défense immunitaire, comme arme contre des intrus ou
des cellules cancéreuses. Mais quand ils sont produits en trop grande
quantité ou si les capteurs de radicaux comme la mélatonine ne les éliminent
pas, ils peuvent endommager nos tissus et nous faire vieillir plus vite. Les
dérivés réactifs de l’oxygène peuvent aussi détruire des tissus nerveux11.

124
Bien que les effets protecteurs de la mélatonine sur le cerveau soient
multiples, les experts ne sont pas encore unanimes concernant son utilisation
thérapeutique dans le cadre de la prévention et de la guérison de
l’Alzheimer. En cas de troubles du sommeil massifs tels qu’on les observe à
un stade avancé de la maladie, l’administration de mélatonine s’avère en
effet très peu efficace. Pourquoi ? Peut-être parce qu’avec la destruction
étendue des tissus cérébraux, notre horloge intérieure, responsable du cycle
jour-nuit sur 24 heures, est elle aussi touchée. Sans elle, la mélatonine est
incapable d’induire le sommeil profond. Toutefois, notre propos ne se
limite pas aux problèmes de sommeil observés au dernier stade de
l’Alzheimer. Nous abordons ici le manque de sommeil comme cause de la
maladie, et il s’agit donc de le traiter.
La sécrétion naturelle de mélatonine est initiée le soir – à condition que
nous ayons emmagasiné suffisamment de lumière dans la journée. Quand on
passe la journée en plein air, on est fatigué le soir et on dort profondément.
Considérons donc la nature comme un somnifère naturel ! Si, de jour, nous
n’avons pas suffisamment d’activités à l’extérieur, notre sommeil est moins
bon, ce qui augmente nettement le risque d’Alzheimer12.
Si vous pensez ne pas pouvoir dormir suffisamment sans l’aide d’un
médicament, ne le faites que sous surveillance médicale. En Europe, la
mélatonine n’est délivrée que sur ordonnance pour les plus de 55 ans et ne
devrait être utilisée que sur une courte durée. Ce n’est pas pour rien que ces
dispositions restrictives ont été prises. Même si, aux États-Unis, la
mélatonine est en libre accès et compte parmi les compléments
alimentaires, je déconseille vivement d’en commander (sur Internet, par
exemple) pour une automédication. Les troubles du sommeil peuvent en
effet avoir de nombreuses autres causes : outre le manque d’activité,
notamment en plein air, il peut par exemple s’agir de problèmes psychiques
refoulés ou de mauvaises habitudes alimentaires. Prendre n’importe quel
somnifère – dont certains, comme les barbituriques, troublent même le
sommeil profond qui nous est vital – ne résout pas les problèmes qui ont
généré un déséquilibre. Les somnifères de la famille des benzo-diazépines,
malheureusement si souvent prescrits, sont par exemple concrètement
soupçonnés d’augmenter le risque d’Alzheimer13. Encore qu’il resterait à
déterminer si les problèmes personnels qui ont conduit à la prise répétée et
prolongée de calmants et de somnifères ne contribuent pas eux aussi à
l’augmentation du risque, voire s’ils ne sont pas eux-mêmes à l’origine de
la maladie14.

125
Le programme systémique de Dale Bredesen préconisait aux participants
davantage de sommeil qu’avant l’apparition de la maladie. Le professeur
conseilla donc à ses patients de prendre de la mélatonine avant le coucher.
Cette mesure peut être utile quand aucune autre solution n’est possible à
court terme et qu’il s’agit avant tout de briser le cercle vicieux qui se
nourrit d’une mauvaise neurogenèse. Sarah Jones, par exemple, qui dormait
auparavant entre quatre et cinq heures, se mit à dormir sept à huit heures,
soit trois heures de plus. Une augmentation considérable, à laquelle ont
certainement aussi contribué les exercices de yoga et la méditation, c’est-à-
dire l’effort physique et la réduction du stress.
À long terme, en revanche, il est possible et préférable de lutter de
manière naturelle contre un manque éventuel de mélatonine, même si dans
notre société moderne toute dévouée au rendement, le sommeil est
malheureusement souvent considéré comme une perte de temps.

Un manque de sommeil conforme aux règles de l’économie

Une fois de plus, il s’agit de répondre à la question du sens, car d’un point
de vue évolutif, le sens du sommeil est étroitement lié au sens de notre
existence. Or, quand nous répondons à la question, “À quoi sert de
dormir ?”, nous nous référons moins à nos besoins naturels qu’à notre
culture, notamment influencée sur ce point par les puritains du XVIIIe siècle.
Pour eux, le sommeil était une tentation du diable qui nous empêchait, nous
autres humains, de faire notre travail. À notre époque, nous ne croyons plus
forcément au diable, mais cette vision des choses continue d’être présente
dans notre conscience collective : ainsi, d’après Max Weber, “gaspiller son
temps est le premier, en principe le plus grave, de tous les péchés15”. Avec
cette affirmation, l’économiste allemand introduisait un comportement
conforme aux lois du marché et une réduction toujours plus drastique de
notre temps de sommeil.
Aujourd’hui, nous dormons en moyenne moins de sept heures par nuit. Il y
a cent ans, nous dormions plus de deux heures de plus. Nous sommes ainsi
bien en deçà des neuf à dix heures qui correspondraient à nos besoins
naturels, car notre organisme, lui, est toujours adapté au cycle jour/nuit de
deux fois douze heures tel qu’il est naturel à proximité de l’équateur. Un
autre indice qui nous révèle que nous sommes encore influencés par le
rythme de la journée préhistorique, c’est notre besoin de faire la sieste. Là
où l’humanité a vu le jour, il n’était pas question de chasser ou d’aller
ramasser des végétaux dans la savane africaine aux heures les plus chaudes.

126
On se reposait. Aujourd’hui encore, à la mi-journée, notre programme
génétique régule automatiquement à la baisse la concentration de cortisol
dans le sang.
En luttant contre ce processus naturel, nous nous faisons plus de mal que
de bien. C’est ce qu’a montré une étude menée sur
environ 24 000 Européens du Sud en bonne santé. À l’issue d’une période
d’observation de six ans, ceux d’entre eux qui faisaient une courte sieste
avaient un taux de mortalité par infarctus réduit de 37 %16. La sieste
protège ainsi de l’artériosclérose, et donc très certainement de l’Alzheimer.
D’après Eve Van Cauter, professeur à l’université de Chicago, le manque de
sommeil chronique fait vieillir prématurément tous les appareils
anatomiques. “D’après nos hypothèses, le manque de sommeil chronique
n’a pas qu’un rôle aggravant sur les maladies liées à l’âge telles que le
diabète, la tension, l’obésité et la perte de mémoire ; il est aussi la cause de
leur déclenchement prématuré17.”
Autre conséquence du manque de sommeil : il nous fait grossir. Dans
l’ensemble, ce déficit chronique entraîne en effet une consommation
d’énergie réduite : quand nous avons peu ou mal dormi, nous sommes moins
actifs. Si je suis déjà fatigué, je n’ai pas envie d’aller en plus me promener
en forêt. En outre, le manque de sommeil modifie la concentration dans le
sang des deux hormones digestives, la leptine et la ghréline. Résultat : nous
avons une faim de loup même si nos réserves énergétiques, dans les tissus
adipeux, le foie et les muscles, sont généralement bien pourvues. Et plus
nous réduisons notre temps de sommeil, plus la prise de poids est
importante18.

Une bonne hygiène de sommeil

En adaptant davantage nos habitudes de sommeil aux conditions de vie


naturelles de l’homme préhistorique, nous réduisons déjà le risque de
carence. Mais il ne s’agit pas seulement de durée : il convient aussi de
veiller à la qualité du sommeil. Comme on l’a déjà mentionné, nous
dormons mieux après avoir fait le plein de soleil dans la journée, et il va de
soi que l’activité physique contribue aussi à une fatigue saine, ainsi que
différentes études l’ont prouvé19. Elle rallonge notamment la durée globale
du sommeil profond, avec toutes les conséquences positives que cela peut
avoir sur la prévention ou le traitement de l’Alzheimer.
Et puisque nous en sommes au chapitre “chambre à coucher”, évoquons
une forme particulière d’activité physique qui s’y déroule et qui, elle aussi,

127
améliore la qualité de notre sommeil. D’après Mache Seibel, professeur à
la Medical School de l’université du Massachusetts et éditeur d’un
magazine sur la ménopause, la sexualité est sans doute notre plus ancien
calmant : “Pendant les rapports sexuels, l’ocytocine [hormone des câlins]
sécrétée à l’occasion des contacts physiques, des stimulations corporelles
et des orgasmes peut faire augmenter le sentiment de calme et de confiance.
Le niveau de cortisol [hormone du stress] baisse naturellement. Autant de
conditions favorables à une bonne nuit de sommeil. Pendant l’orgasme, la
quantité de prolactine [hormone antistress] sécrétée augmente, ce qui induit
une forte envie de dormir. La combinaison de ces paramètres nous permet
de nous endormir plus rapidement et d’avoir un sommeil plus profond20.”
Signalons aussi que l’ocytocine et la prolactine sont des stimulateurs très
efficaces de la neurogenèse. Ils sont donc aussi utiles dans le combat contre
l’Alzheimer. Quand nous avons été marqués émotionnellement par un
événement, nous nous disons parfois touchés – une expression qui
s’explique peut-être par l’effet bénéfique des contacts physiques sur notre
cerveau.
Bien sûr, il y a aussi d’autres façons d’apaiser son esprit ! Les histoires,
par exemple. Elles permettent aux enfants de s’endormir paisiblement et ont
un effet similaire sur les adultes, à condition de choisir une lecture adaptée :
pas trop de suspense ni de passages bouleversants, et surtout pas de livres
en rapport avec le travail. Transporter son bureau dans son lit aurait plutôt
l’effet contraire. Même réserve envers les livres numériques : comme l’a
montré une étude récente, la lumière bleutée qui émane de la plupart des
liseuses simule le jour, si bien que notre cerveau, croyant que la journée
n’est pas encore terminée, bloque la sécrétion de mélatonine21. Après la
lecture d’un livre numérique, les personnes testées s’endormaient environ
dix minutes après celles qui avaient lu un livre classique. Chez les
utilisateurs de liseuses, les phases de sommeil profond – déterminantes
pour la mémoire, la maturation du cerveau, la neurogenèse et l’évacuation
de la bêta-amyloïde – étaient en outre inférieures de presque douze minutes
à celles des lecteurs traditionnels. Dans l’ensemble, les utilisateurs de
liseuses se sentaient moins reposés au réveil que ceux qui avaient lu sur
papier. Et au bout de seulement cinq jours, le rythme sommeil/veille des
lecteurs numériques était décalé d’une heure et demie. Conclusion : on peut
dire que la lecture de livres numériques – quand elle a lieu immédiatement
avant le coucher – favorise l’Alzheimer. Le matin, quand retentira la
sonnerie du réveil, il nous manquera en effet de précieuses heures de
sommeil profond qui permettraient sinon d’évacuer la bêta-amyloïde
toxique et de développer l’hippocampe.

128
En toute logique, cette mise en garde vaut aussi pour les ordinateurs, les
téléphones portables et les téléviseurs. Mieux vaut éteindre ces appareils
électroniques une ou – mieux encore – deux heures avant d’aller se coucher.
N’hésitez pas à fermer rideaux ou volets pour obscurcir la chambre à
coucher pendant la nuit. La glande pinéale pourra ainsi produire plus
longtemps de la mélatonine.
La quantité d’air provenant de l’extérieur doit cependant être suffisante,
l’idéal étant qu’il rafraîchisse la pièce. Nous dormons mieux quand notre
température corporelle baisse d’environ un degré pendant la nuit. La
quantité de mélatonine sécrétée dans ces conditions est alors plus
importante. Attention, les vêtements trop moulants peuvent empêcher cette
variation de température, sans compter qu’ils risquent aussi de gêner nos
mouvements nocturnes – une gêne qui entraînera automatiquement une
hausse de la production de cortisol, et une baisse de la mélatonine.
En outre, notre sommeil est meilleur quand nous nous levons et nous
couchons toujours à peu près au même moment, car notre horloge interne est
très précise. Voilà aussi pourquoi le changement d’heure nous pose toujours
quelques problèmes.
Dans la mesure du possible, mieux vaut ne plus rien manger trois heures
avant le coucher ou, au moins, supprimer les glucides. Ils font monter la
glycémie et activent l’insuline, ce qui va ensuite abaisser la glycémie. Nous
risquons alors de nous réveiller en pleine nuit avec la faim au ventre. Or, la
nuit, notre organisme devrait pouvoir passer en mode “brûlage des
graisses”, ce qui correspond tout simplement à une phase saine de jeûne.
C’est ce qu’exprime le petit-déjeuner anglais : littéralement, “breakfast”
signifie rompre le jeûne. Un petit creux après l’heure ? Juste avant le
coucher, contentons-nous de quelques fruits à coque.
Même chose pour ce qui est des boissons. Pendant la journée, buvez
autant d’eau et de thé qu’il vous plaît (et mieux vaut trop que pas assez), de
manière à ce qu’une ou deux heures avant le coucher, un dernier verre d’eau
suffise. On dort mieux la vessie vide. Au cas où, on peut toujours poser un
verre d’eau près de son lit, ce qui nous évitera de nous lever si la soif nous
surprend en pleine nuit.
Une petite quantité d’alcool a l’avantage de nous détendre et de nous
donner sommeil, mais en excès, il entraîne des nuits agitées, néfastes pour
le sommeil profond. On se réveillera plus souvent et on se rendormira
moins bien. Pendant les quelque six mois de la phase intensive du traitement
(voir “Phase intensive du traitement”, p. 305), abstenez-vous de toute
consommation d’alcool.

129
Boire du café avant d’aller se coucher est tout, sauf une bonne idée.
Mieux vaut boire une tisane. Les thés noirs ou verts, qui contiennent aussi
de la caféine, sont également à proscrire.
Un bain (chaud sans être brûlant) détend les muscles et le système
sensoriel. Et si, dans un moment d’apaisement comme celui-là, on se
retrouve à ressasser sa journée du lendemain sans pouvoir profiter de
l’instant, pourquoi ne pas noter tout ce qui devra être fait après une bonne
nuit de sommeil ? Le yoga et les techniques de méditation nous aident aussi
à ne pas nous laisser envahir par ce que nous ne pouvons de toute façon pas
résoudre en pleine nuit.

1 KANG, J. E. et al., “Amyloid-beta dynamics are regulated by orexin and the


sleep-wake cycle”, vol. 326, Science, 2009, p. 1005-1007.
2 XIE, L. et al., “Sleep drives metabolite clearance from the adult brain”, Science,
vol. 342, 2013, p. 373-377.
3 Citation extraite de BERNARD, E., “Neu entdecktes Kanalsystem : Gehirn reinigt
sich im Schlaf”, Spektrum der Wissenschaft, 2013, www.spektrum.de/news/gehirn-
reinigtsich-im-schlaf/1210651.
4 OOMS, S. et al., “Effect of 1 night of total sleep deprivation on cerebrospinal
fluid β-amyloid 42 in healthy middle-aged men : a randomized clinical trial”, JAMA
Neurol., vol. 71, 2014, p. 971-977.
5 MEERLO, P. et al., “New neurons in the adult brain : the role of sleep and
consequences of sleep loss”, Sleep Med. Rev., vol. 13, 2009, p. 187-194.
6 JOO, E. Y. et al., “Hippocampal substructural vulnerability to sleep disturbance
and cognitive impairment in patients with chronic primary insomnia : magnetic
resonance imaging morphometry”, Sleep, vol. 37, 2014, p. 1189-1198.
7 YAFFE, K. et al., “Sleep-disordered breathing, hypoxia, and risk of mild cognitive
impairment and dementia in older women”, JAMA, vol. 306, 2011, p. 613-619 ;
LIM, A. S. et al., “Sleep fragmentation and the risk of incident Alzheimer’s disease
and cognitive decline in older persons”, Sleep, vol. 36, 2013, p. 1027-1032.
8 MARQUIÉ, J.-C. et al., “Chronic effects of shift work on cognition : findings
from the VISAT longitudinal study”, Occup. Environ. Med., vol. 72, 2015, p. 258-
264 ; www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25367246.
9 MUSIEK, E. S. et al., “Sleep, circadian rhythms, and the pathogenesis of
Alzheimer’s Disease”, Exp. Mol. Med., 2015,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25766617.
10 JU, Y. E. et al., “Sleep and Alzheimer’s disease pathology – a bidirectional
relationship”, Nat. Rev. Neurol., vol. 10, 2014, p. 115-119.
11 HARDELAND, R. et al., “Melatonin and brain inflammaging”, Prog. Neurobiol.,
2015, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25697044.

130
12 T RANAH, G. J. et al., “Circadian activity rhythms and risk of incident dementia
and mild cognitive impairment in older women”, Ann. Neurol., vol. 70, 2011,
p. 722-732.
13 BILLIOTI DE GAGE, S. et al., “Benzodiazepine use and risk of Alzheimer’s
disease : case-control study”, BMJ, 2014,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25208536.
14 ZHONG, G. et al., “Association between benzodiazepine use and dementia : a
meta-analysis”, PLoS One, 2015, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26016483.
15 WEBER, M., L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (traduction de
CHAVY, J.), Plon, Paris, 1964, p. 205-236.
16 NASKA, A. et al., “Siesta in healthy adults and coronary mortality in the general
population”, Arch. Intern. Med., vol. 167, 2007, p. 296-301.
17 D’après BBC Medicine, “Lack of sleep may speed ageing process”, 1999,
news.bbc.co.uk/2/hi/health/481340.stm.
18 GANGWISCH, J. E. et al., “Inadequate sleep as a risk factor for obesity :
analyses of the NHANES I”, Sleep, vol. 28, 2005, p. 1289-1296.
19 BARON, K. G. et al., “Exercise to improve sleep in insomnia : exploration of the
bidirectional effects”, J. Clin. Sleep Med., vol. 9, 2013, p. 819-824 ; REID, K. J. et
al., “Aerobic exercise improves self-reported sleep and quality of life in older adults
with insomnia”, Sleep Med., vol. 11, 2010, p. 934-940.
20 P ETRONIS, L., “Sex – das älteste Schlafmittel der Welt”, 2015, cf.
de.lifestyle.yahoo.com/blogs/fit-gesund/sex-%E2%80 % 93-das- % C3 % A4lteste-
schlafmittel-der-welt-151122184.html.
21 CHANG, A.-M. et al., “Evening use of light-emitting eReaders negatively affects
sleep, circadian timing, and next-morning alertness”, Proc. Natl. Acad. Sci. USA,
vol. 112, 2014, p. 1232-1237.

131
132
133
NOURRIR LE CERVEAU :
LES MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION

La destinée des nations dépend de la manière


dont elles se nourrissent.

JEAN ANTHELME BRILLAT-SAVARIN (1755-1826)

Nous sommes ce que nous mangeons

L’activité physique, la stimulation intellectuelle et l’interaction sociale sont


donc, avec la quantité et la qualité de notre sommeil, les conditions
essentielles à la formation de nouveaux neurones dans l’hippocampe, celle-
ci permettant de lutter contre l’Alzheimer. Cependant, ces nouveaux
neurones ne peuvent mûrir et se développer que si nous fournissons au
cerveau la nourriture dont il a besoin. Pour que notre mémoire et nos
compétences cognitives perdurent jusqu’à un âge avancé, l’hippocampe a
besoin de trois éléments principaux : des matériaux de construction pour les
neurones en phase de développement, ainsi que de l’énergie et des agents de
protection (qui feront l’objet des deux prochains chapitres).
Malheureusement, pour nous nourrir, nous recourons de plus en plus à la
restauration rapide ou à des plats tout prêts de mauvaise qualité. Ce mode
d’alimentation moderne, conforme aux exigences de l’économie puisqu’il
nous fait soi-disant gagner du temps, nous coûte en réalité des années de vie
(un paramètre rarement pris en compte) : il nous fournit en effet trop peu de
bonnes substances favorables à la neurogenèse et bien trop de celles qui
endommagent notre cerveau. Par ailleurs, même quand nous cuisinons nous-
mêmes, nous utilisons souvent des ingrédients mauvais pour la santé, soit
par habitude, soit parce que nous faisons aveuglément confiance à ce que
nous disent les médias, ou plus exactement l’industrie agroalimentaire –
comme si l’objectif premier de celle-ci était de veiller à notre bien-être et
de nous informer en conséquence. Comme notre cerveau ne risque pas
d’adapter ses besoins à notre culture alimentaire, il ne nous reste plus qu’à
tenter la démarche inverse. Pour éviter ou guérir la maladie d’Alzheimer, un
changement de goût doit s’opérer. Ce que nous apprécions ou non ne relève
pas de l’inné : il suffit de comparer nos habitudes avec celles d’autres pays

134
pour nous en rendre compte. Le goût se forme dès l’enfance à travers les
habitudes alimentaires et, si celles-ci sont mauvaises, il s’agit de les
perdre. La cuisine méditerranéenne ou asiatique nous montre d’ailleurs
qu’une alimentation saine peut être délicieuse.

Des fruits de mer contre l’Alzheimer

Le développement des neurones requiert impérativement deux matériaux :


les acides gras insaturés oméga-3 et oméga-6. Ils sont dits “essentiels”
parce que notre corps n’est pas capable de les produire lui-même. Ils
proviennent donc forcément de notre alimentation. Oméga-3 et oméga-6 sont
présents en quantité à peu près équivalente dans notre cerveau et, d’après
les paléontologues, l’alimentation des chasseurs-cueilleurs offrait elle aussi
une répartition similaire1.

LE POINT SUR : LE RATIO OMÉGA-3/OMÉGA-6


L’acide arachidonique (acide gras oméga-6) a des propriétés
inflammatoires, ce qui est important pour activer le système
immunitaire. L’acide docosahexaénoïque (acide gras oméga 3) et
d’autres produits élaborés par notre organisme à partir des acides gras
oméga-3 ont quant à eux un effet anti-inflammatoire. Les deux réactions
sont nécessaires : d’abord pour repousser les agresseurs lors d’une
infection, ensuite pour soigner la blessure qui en résulte. L’équilibre
entre les oméga-3 et les oméga-6 est donc essentiel pour notre santé.
Or, en moyenne, nous absorbons environ 21 fois plus d’acides gras
oméga-6 que d’acides gras oméga-3. Selon les habitudes alimentaires,
la quantité d’oméga-6 peut être jusqu’à 50 fois plus élevée. Il y a
cinquante ans, le ratio oméga-6/ oméga-3 était encore de 3/1, c’est-à-
dire assez proche de celui qu’on relève chez les chasseurs-cueilleurs
d’aujourd’hui et qu’on suppose avoir été celui de nos ancêtres de l’âge
de pierre. Aujourd’hui, nous consommons trop d’acides gras oméga-6
(qu’il s’agisse des quantités relatives ou absolues). Nous avons atteint
une zone toxique pour notre santé. L’énorme surplus d’acides gras
oméga-6 dans notre alimentation entraîne une tendance chronique à
l’inflammation qui touche tous nos tissus. De ce fait, chaque activation
de notre système immunitaire, si minime soit-elle, entraîne une réaction
de défense plus violente et plus longue que nécessaire. Dans le cerveau,

135
ce déséquilibre conduit à long terme à des troubles de la neurogenèse et
à une production plus importante de bêta-amyloïde toxique. Au niveau
des vaisseaux sanguins, le résultat est l’artériosclérose2.

Les végétaux sont capables de fabriquer ces acides gras indispensables


pour nous. Mais pour qu’ils puissent effectivement être utilisés comme
matériaux de construction dans notre cerveau, notre organisme doit
transformer l’acide gras végétal oméga-3 en acide docosahexaénoïque
(DHA) et l’acide gras végétal oméga-6 en acide arachidonique. Avec un taux
de transformation d’environ 1 % pour chacun, ce processus ne s’avère pas
très efficace. Une alimentation strictement végétalienne va donc poser le
problème d’une carence, notamment en DHA. L’huile de lin, par exemple, est
particulièrement riche en acides gras oméga-3 (50 à 70 % de sa teneur).
Mais pour couvrir nos besoins quotidiens en DHA (soit un demi-gramme),
nous devrions en consommer 20 cl par jour. Avec un apport calorique de
neuf kilocalories par gramme, nous atteindrions alors
environ 1 800 kilocalories, presque l’équivalent de nos besoins caloriques
quotidiens. Notre alimentation serait alors en grande partie constituée
d’huile de lin. Il nous faut donc d’autres sources d’acides gras oméga-3, de
préférence celles qui contiennent déjà le matériau DHA dans sa forme
achevée.
Les fruits de mer constituent la meilleure source de DHA. Pour
comprendre le développement considérable du cerveau humain au cours des
derniers millénaires, il faut donc plutôt se représenter le chasseur-cueilleur
classique comme un pêcheur ou un adroit ramasseur de moules3. Le poisson
est d’ailleurs une source importante d’iode, de fer, de zinc et de sélénium,
autant d’éléments nutritifs qui sont nécessaires à la croissance du cerveau.
De la même manière, une carence en DHA limite la croissance du
cerveau. La nature a fait en sorte que seul le lait maternel humain fournisse
du DHA au nourrisson, ce qui montre l’importance particulière de la
croissance du cerveau pour le succès de la reproduction humaine4. Le lait
de vache, lui, n’en contient pas du tout. Toutefois, la teneur du lait maternel
en DHA dépend beaucoup de l’alimentation de la mère et de sa richesse en
DHA, et donc en produits de la mer. C’est ce qui influe sur le bon
développement du cerveau de l’enfant. On a ainsi constaté que les enfants
qui grandissent dans les pays présentant le meilleur ratio oméga-3/oméga-
6 dans le lait maternel (c’est-à-dire le Japon, la Corée et Singapour) sont
ceux qui, quinze ans plus tard, obtiennent les meilleures notes dans le cadre
de l’étude PISA5. Plus que tous les paramètres ayant jusqu’alors servi de

136
référence, comme le produit national brut ou les dépenses consacrées à
l’éducation, la qualité du lait maternel a un impact décisif sur les résultats
scolaires à venir. A contrario, quand une carence en DHA implique une
restriction du développement cérébral, notre forme mentale n’est pas aussi
bonne qu’elle pourrait l’être !
Sans une quantité suffisante de DHA, la formation de nouveaux neurones
est impossible, que ce soit chez l’enfant qui grandit ou chez l’adulte qui
vieillit. Voilà pourquoi le poisson ne doit pas manquer à notre menu : les
acides gras oméga-3 qu’il contient peuvent compenser un manque absolu
(pour les solutions végétaliennes, voir plus loin). Différentes études ont pu
démontrer que les personnes âgées qui mangeaient du poisson au moins
deux fois par semaine restaient en meilleure forme mentale que ceux qui
n’en mangeaient pas6. Chez les non-consommateurs de poisson, la
mémorisation des faits et les capacités de raisonnement déclinaient
environ 10 % plus vite. En outre, le DHA que contient en quantité la graisse
de poisson améliore l’humeur, ce qui peut être interprété comme un signe de
ses effets positifs sur la neurogenèse de l’hippocampe.
La proportion de DHA dans le poisson représente 1 à 2 % de son poids
total. Deux repas incluant chacun 150 g de poisson par semaine
correspondent ainsi à au moins trois à six grammes de DHA. En y ajoutant
les acides gras végétaux oméga-3 que notre corps va lui-même synthétiser,
on devrait pouvoir atteindre une dose allant de 0,5 à 1 gramme, soit à peu
près la ration quotidienne nécessaire pour conserver ses capacités
cognitives. En début de traitement, cette dose valable pour la prévention me
semble cependant insuffisante. Pour briser le cercle vicieux d’une mauvaise
neurogenèse, je recommande une dose quotidienne d’au moins un gramme,
voire deux grammes de DHA pendant les six premiers mois de la phase
intensive du traitement (voir “Phase intensive du traitement”, p. 305). Celle-
ci sera fournie soit par une alimentation riche en poisson, soit par le biais
des compléments alimentaires.
Dans le cadre de l’étude FINGER, le groupe devant adopter une
alimentation saine a également été invité à consommer du poisson deux fois
par semaine. Pour ceux qui ne consommaient pas de poisson, l’apport de
DHA était assuré par des gélules d’huile de poisson. Les patients du
professeur Bredesen, quant à eux, prenaient des gélules d’huile de poisson à
raison d’un ou deux grammes par jour, et ce, en plus de consommer du
poisson de temps en temps. Pour le directeur de l’étude, il était en outre
important d’éviter le poisson d’élevage afin de limiter les polluants.
Mais comment savoir quel poisson est bon ? Les gros poissons
prédateurs accumulent dans leur graisse du méthylmercure, parfois même en

137
très forte concentration. Or, ce type de mercure est toxique pour le cerveau.
Mieux vaut donc éviter de consommer l’aiguillat, l’espadon et le thon. Sur
ce point, le colin (ou lieu noir), le hareng, le maquereau et la sole ne posent
pas encore de problème. Pour les poissons d’élevage, comme la truite, je
recommanderais cependant de choisir un label bio. Disponibles dans le
commerce, les gélules d’huile de poisson peuvent être intéressantes, à
condition d’avoir été fabriquées avec le plus grand soin, car les acides gras
polyinsaturés sont sensibles à la lumière et à la chaleur. L’huile de poisson
qu’elles contiennent doit en outre avoir subi un processus d’élimination des
métaux lourds comme le mercure. Pour ceux qui ne souhaitent consommer ni
poisson ni huile de poisson, je recommande l’huile de microalgues issues
de la culture biologique. Elles sont cultivées dans des conditions non
toxiques, et la composition de leurs oméga-3 n’a rien à envier à celle du
poisson. Les magasins de produits diététiques et d’alimentation biologique
peuvent fournir de plus amples renseignements.

Effets indésirables

Si l’alimentation du chasseur-cueilleur présentait un ratio oméga-6/oméga-


3 équilibré d’environ 1/1, c’est aussi sûrement parce qu’en plus du poisson,
des fruits de mer et des plantes sauvages, il consommait aussi la viande
d’animaux qui vivaient en pleine nature. La graisse des animaux sauvages
contient en effet une quantité relativement élevée de DHA, alors
qu’aujourd’hui, la viande bon marché (et subventionnée par les fonds
publics) que nous consommons généralement provient de l’élevage intensif.
Par rapport à celui de leurs congénères qui broutent dans les champs, le
ratio oméga-6/oméga-3 des bœufs engraissés dans les étables est six fois
moins bon7. À cause de cet excédent d’acides gras oméga-6 (notamment
généré en Occident par la consommation de grandes quantités de charcuterie
et de viande), le cerveau (de même que les autres organes) est plus souvent
sujet à l’inflammation et donc au stress. Pourtant, cette substance nous est
vitale – à condition de respecter des quantités réduites, inférieures à un
gramme par jour.
Les animaux engraissés dans les fermes d’élevage intensif souffrent en
principe des mêmes dysfonctionnements à l’origine de la maladie
l’Alzheimer chez l’être humain : isolation sociale, stress, manque d’activité
physique et alimentation parfaitement inadaptée. Comme nous ne leur
laissons pas le temps de vieillir, ils ne développent pas de démence, mais à
terme, c’est chez nous que la maladie se développe…

138
Sur les conseils du professeur Bredesen, Ben Miller, grand amateur de
viande, réduisit sa consommation de viande à un morceau occasionnel de
bœuf de pâturage (un compromis) ou à du poulet bio. Les nutritionnistes de
l’étude FINGER demandèrent aux participants de ne consommer
qu’occasionnellement de la viande, et uniquement de la viande peu grasse.
Plus particulièrement, les produits industriels d’origine animale posent
un problème majeur pour notre santé. Les charcuteries grasses qui
contiennent beaucoup d’oméga-6 sont particulièrement néfastes : elles
renforcent le déséquilibre par rapport aux oméga-3 bénéfiques jusqu’à
entraîner un surplus absolu. À titre d’exemple, 100 g de saindoux
contiennent jusqu’à 1,7 g d’acide arachidonique (oméga-6), mais quasiment
pas de DHA (oméga-3), bon pour la santé. Le professeur Bredesen engagea
donc ses patients à rayer de leurs menus tous les aliments transformés par
l’industrie agroalimentaire – comme la charcuterie.
Parmi les autres produits à éviter absolument pour la même raison,
mentionnons aussi tous les produits laitiers gras comme le beurre ou le
fromage. 100 g de beurre, par exemple, contiennent environ 2 g d’acide
arachidonique (ainsi qu’une très forte proportion d’acides gras trans
mauvais pour la santé, comme nous allons le voir).

Les huiles saines

À eux seuls, les aliments sains nous fournissent déjà toujours plus d’oméga-
6 qu’il n’en faut. Pour corriger le déséquilibre entre oméga-3 et oméga-
6 (ces derniers étant généralement en surplus), nous n’avons qu’une
solution : éviter tous les aliments qui présentent une haute teneur en acides
gras oméga-6. Il s’agit entre autres des huiles de tournesol, de maïs et de
chardon, qui contiennent entre 60 et 80 % d’acides gras oméga-6, mais
pratiquement pas d’oméga-3. Mieux vaut faire un gros détour pour éviter
ces huiles quand nous faisons nos courses, même si la publicité les présente
comme saines parce qu’elles sont riches en acides gras polyinsaturés. En
réalité, l’argument se fonde surtout sur la peur des acides gras saturés qu’on
prétend mauvais pour la santé.
Utilisées pour la friture et la cuisson, comme nous le conseille l’industrie
aveuglément, ces huiles sont encore plus toxiques. Les acides gras
polyinsaturés qu’elles contiennent sont extrêmement sensibles à la chaleur
et, sous l’effet de celle-ci, génèrent des acides gras trans nuisibles à notre
santé (voir le paragraphe suivant) ainsi que du 4-HNE (4-hydroxynonénal),
un produit très toxique. Ces deux composés chimiques, que nous mettons
nous-mêmes dans nos assiettes, favorisent la formation de bêta-amyloïde

139
toxique8. Pour frire et cuire, l’utilisation exclusive d’huile vierge de coco
est ce qu’il y a de mieux ; nous en dirons davantage au chapitre suivant.
Pour assaisonner les salades, toutes les huiles dont le ratio oméga-
3/oméga-6 donne l’avantage aux oméga-3 sont adaptées, comme l’huile de
lin9 ou de colza10. L’huile d’olive, dotée de nombreuses propriétés anti-
Alzheimer, est également à conseiller11. Si elle ne contient que très peu
d’oméga-3, elle a aussi très peu d’oméga-6 et elle est source de nombreuses
vitamines, ainsi que d’acide gras oléique monoinsaturé (un acide gras
oméga-9 très sain). L’idéal est d’opter pour une huile bio extraite à froid et
conservée dans une bouteille sombre, car les acides gras monoinsaturés
sont sensibles à la lumière et à la chaleur. C’est aussi pour cette raison qu’il
est déconseillé de faire revenir les aliments dans l’huile d’olive. Après la
cuisson, on peut en revanche en verser un filet sur son assiette, comme on le
fait souvent dans la cuisine méditerranéenne. C’est bon au goût et bon pour
la santé.

Les mauvais matériaux

Les acides gras trans néfastes pour la santé sont par exemple générés à
partir des acides gras polyinsaturés lors de l’hydrogénation des huiles
végétales, un processus industriel qui permet de faire passer les graisses de
l’état liquide à l’état solide, comme c’est le cas dans la fabrication de la
margarine. Mais cette formation d’acides gras trans a également lieu quand
nous faisons frire ou cuire des huiles dont la teneur en acides gras
polyinsaturés est élevée, comme l’huile de tournesol. D’après
l’Organisation mondiale de la santé, les acides gras trans, clairement
identifiés comme nocifs, auraient déjà dû être interdits par les États
membres depuis les années 1970. En France, il n’existe pourtant pas encore
d’obligation d’étiquetage, qui briderait l’industrie agroalimentaire. En
outre, si les acides gras trans étaient proscrits, l’industrie laitière se
retrouverait elle aussi face à un problème de taille. Dans l’estomac des
ruminants, des quantités considérables d’acides gras trans sont en effet
produites lorsque les bactéries qui y résident transforment les huiles
végétales consommées. Ces acides gras trans se retrouvent ensuite dans le
lait, les produits laitiers et la viande. Selon l’alimentation de la vache,
100 g de beurre contiennent ainsi entre quatre et six grammes d’acides gras
trans dits “naturels”. Des valeurs allant jusqu’à dix grammes ont même été
mesurées12.

140
Du point de vue de leur nocivité pour la santé, il n’y a aucune différence
entre les acides gras trans naturels et ceux, d’origine technologique, qu’on
trouve par exemple dans la margarine, mais aussi les chips, les frites et bien
d’autres aliments transformés, où ils servent de stabilisateurs et de
conservateurs. Même si l’industrie laitière minimise volontiers le
problème, ce fait est désormais attesté par de nombreuses études. Les
acides gras trans qui se trouvent dans le lait de vache (et donc en grande
concentration dans le beurre et les fromages les plus gras) sont certes le
résultat d’un processus naturel, mais cela ne signifie pas qu’ils aient
naturellement leur place dans notre alimentation.
Pendant quatorze ans, on a ainsi régulièrement
interrogé 70 000 Norvégiens sur leurs habitudes alimentaires. Environ vingt
ans plus tard, il s’est avéré que par rapport à une alimentation contenant les
mêmes quantités de graisses trans industrielles, une alimentation contenant
des graisses trans d’origine animale, et donc naturelles, générait même un
risque nettement accru de décès dû à des problèmes vasculaires13. On sait
que la consommation d’acides gras trans d’origine animale augmente le
risque d’Alzheimer14. Et il n’en faut pas beaucoup : 1,8 g d’acides gras
trans par jour (soit 30 à 50 g de beurre), cela suffit déjà pour induire une
hausse importante du risque15.
Il faut savoir que si certains êtres humains supportent le lait d’autres
espèces, ce n’est que grâce à une modification génétique apparue il y a
seulement quelques milliers d’années. Pour la majeure partie de l’humanité
(et notamment en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud), la
consommation de lait autre que maternel est la source de problèmes
intestinaux dus au lactose qu’il contient. Si certains d’entre nous supportent
le lactose toute leur vie, il n’en reste pas moins que les acides gras trans
contenus dans le lait autre que maternel ne font pas partie de notre
alimentation naturelle. Même si leurs effets ne sont visibles que
tardivement, ils représentent un danger massif pour notre santé. Dans le
cadre de l’étude FINGER, on conseilla ainsi aux participants de supprimer
complètement le beurre de leur alimentation. Quant aux autres produits
laitiers, les participants devaient toujours préférer la variante la moins
grasse.
Voyons plus précisément ce qui se passe quand nous consommons des
acides gras trans. Comme ils sont formés à partir d’acides gras
polyinsaturés oméga-3 et oméga-6 (peu importe que ce soit dans l’estomac
des ruminants, lors de la cuisson ou au cours de l’hydrogénation des huiles),
le cerveau se méprend et les utilise comme élément constitutif pour les

141
neurones. Ces “imposteurs” durcissent alors la membrane des cellules
neuronales, ce qui modifie la fonction de nombreuses protéines qui ont
plutôt besoin d’une membrane plasmique liquide. Une étape importante de
la fabrication de bêta-amyloïde a lieu dans la membrane plasmique. Et
quand celle-ci a été durcie par les graisses trans, la sécrétion de bêta-
amyloïde augmente. Les scientifiques en déduisent donc que “la
consommation d’acides gras trans serait susceptible d’augmenter le risque
d’Alzheimer et même d’être à l’origine d’un déclenchement prématuré de la
maladie16”.
Nous devons nous faire à l’idée que ce qui inquiète l’industrie et la
politique, c’est plus l’état de santé de l’économie que celui des individus.
Et apparemment, la science elle-même est influencée par des intérêts
propres. De grands spécialistes de l’Alzheimer ont fait carrière en affirmant
que la maladie était un inévitable coup du destin. Comment expliquer qu’ils
continuent de diffuser cette opinion et prétendent que notre mode de vie n’a
aucune influence sur la maladie alors que les preuves du contraire sont de
plus en plus évidentes. En restant sur leurs positions, ils réduisent à néant un
espoir précieux qui nous permettrait de prendre notre destin en main. Et
comme la sphère politique fait confiance aux dires de ces experts,
l’industrie n’a pas à craindre qu’on lui impose de produire des aliments
plus sains. Il ne nous reste donc plus qu’à faire seuls les bons choix.

1 MUSKIET, F. A. et al., “Is docosahexaenoic acid (DHA) essential ? Lessons from


DHA status regulation, our ancient diet, epidemiology and randomized controlled
trials”, J. Nutr., vol. 134, 2004, p. 183-186,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/14704315.
2 VILLEDA, S. A. et al., “The ageing systemic milieu negatively regulates
neurogenesis and cognitive function”, Nature, vol. 477, 2011, p. 90-94,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21886162.
3 CR AWFORD, M. A. et BROADHURST, C. L., “The role of docosahexaenoic and
the marine food web as determinants of evolution and hominid brain development :
the challenge for human sustainability”, Nutr. Health, vol. 21, 2012, p. 17-39,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22544773 ; MAREAN, C. W. et al., “Early human
use of marine resources and pigment in South Africa during the Middle
Pleistocene”, Nature, vol. 449, 2007, p. 905-908,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17943129.
4 BRENNA, J. T. et al., “Docosahexaenoic and arachidonic acid concentrations in
human breast milk worldwide”, Am. J. Clin. Nutr., vol. 85, 2007, p. 1457-1464,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17556680.

142
5 LASSEK, W. D. et GAULIN, S. J., “Linoleic and docosahexaenoic acids in human
milk have opposite relationships with cognitive test performance in a sample
of 28 countries”, Prostaglandins Leukot. Essent. Fatty Acids, vol. 91, 2014,
p. 195-201, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25172360.
6 MORRIS, M. C. et al., “Fish consumption and cognitive decline with age in a
large community study”, Archives of Neurology, vol. 62, 2005, p. 1849-1853,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16216930 ; KALMIJN, S. et al., “Dietary intake of
fatty acids and fish in relation to cognitive performance at middle age”, Neurology,
vol. 62, 2004, p. 275-280, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/14745067.
7 GARCIA, P. T. et al., “Beef lipids in relation to animal breed and nutrition in
Argentina”, Meat Science, vol. 79, 2008, p. 500-508,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22062910 ; DALEY, C. A. et al., “A review of fatty
acid profiles and antioxidant content in grass-fed and grain-fed beef”, Nutr. J.,
2010, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20219103.
8 SCHNEIDER, C. et al., “Autoxidative transformation of chiral omega6 hydroxy
linoleic and arachidonic acids to chiral 4-hydroxy-2E-nonenal”, Chem. Res.
Toxicol., vol. 17, 2004, p. 937-941, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15257619 ;
ZÁRATE, J. et al., “A study of the toxic effect of oxidized sunflower oil
containing 4-hydroperoxy-2-nonenal and 4-hydroxy-2-nonenal on cortical TrkA
receptor expression in rats”, Nutr. Neurosci., vol. 12, 2009, p. 249-259,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19925718 ; GWON, A. R. et al., “Oxidative lipid
modification of nicastrin enhances amyloidogenic γ-secretase activity in Alzheimer’s
disease”, Aging Cell, vol. 11, 2012, p. 559-568,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22404891.
9 AKHTAR, S., ISMAIL, T. et RIAZ, M., “Flaxseed – a miraculous defense against
some critical maladies”, Pak. J. Pharm. Sci., vol. 26, 2013, p. 199-208,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23261749.
10 LIN, L. et al., “Evidence of health benefits of canola oil”, Nutr. Rev., vol. 71,
2013, p. 370-385, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23731447.
11 NEHLS, M. et al., “Unified theory of Alzheimer’s disease (UTAD)…”, art. cité.
12 SOMMERFELD, M., “Trans unsaturated fatty acids in natural products and
processed foods”, Prog. Lipid. Res., vol. 22, 1983, p. 221-233,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/6356151 ; P FALZGRAF, A. et al., “Gehalte von
trans-Fettsäuren in Lebensmitteln”, Z. Ernährungswiss., vol. 33, 1993, p. 24-43.
13 LAAKE, I. et al., “A prospective study of intake of trans-fatty acids from
ruminant fat, partially hydrogenated vegetable oils, and marine oils and mortality
from CVD”, Br. J. Nutr., vol. 108, 2012, p. 743-754,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/ 22059639.
14 GU, Y. et al., “Food combination and Alzheimer’s disease risk : a protective
diet”, Arch. Neurol., vol. 67, 2010, p. 699-706,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20385883.
15 MORRIS, M. C. et al., “Dietary fats and the risk of incident Alzheimer’s
disease”, Arch. Neurol., vol. 60, 2003, p. 194-200,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12580703.

143
16 GRIMM, M. O. et al., “Trans-fatty acids enhance amyloidogenic processing of
the Alzheimer amyloid precursor protein (APP )”, J. Nutr. Biochem., vol. 23, 2012,
p. 1214-1223, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22209004.

144
145
146
NOURRIR LE CERVEAU :
LE PLEIN D’ÉNERGIE

Que ta nourriture soit ta médecine.

HIPPOCRATE (env. 460-377 av. J.-C.)

La bonne énergie

L’hippocampe est une partie étonnante de notre cerveau, et pas seulement


parce qu’il est en mesure de produire de nouveaux neurones pendant toute
notre vie. L’une de ses autres particularités est de savoir lui-même se
protéger d’un “choc glycémique”. Contrairement à ce qui se passe dans le
reste du cerveau, ses cellules nerveuses n’utilisent le glucose comme source
d’énergie que lorsque l’insuline ouvre le cadenas spécialement prévu à cet
effet1. Il faut imaginer l’insuline comme une clef qui va déverrouiller un
cadenas spécial, le récepteur de l’insuline, situé à la surface des neurones
de l’hippocampe. Grâce à cette régulation judicieuse, en cas de variation de
la glycémie due à l’alimentation, les neurones sensibles ne seront pas
submergés par un afflux de sucre incontrôlé.
Le problème, c’est qu’à travers de nombreux mécanismes parfois
imbriqués les uns dans les autres, notre mode de vie moderne entraîne
l’effondrement de ce système de régulation de la glycémie dans
l’hippocampe : il devient alors impossible d’ouvrir le cadenas. Quand le
récepteur de l’insuline ne fonctionne plus, les neurones de l’hippocampe
n’ont plus la possibilité d’absorber le glucose et souffrent donc d’un apport
énergétique trop faible. Détectables grâce aux procédés d’imagerie
médicale (comme le PET scan, voir p. 94), les troubles du métabolisme des
glucides constituent donc un élément important et fiable dans le diagnostic
anticipé de l’Alzheimer. Cette “résistance neuronale à l’insuline”, comme
on l’appelle dans les cercles d’experts, est un marqueur très précoce de la
maladie d’Alzheimer. De ce fait, quelques scientifiques supposent qu’elle
serait elle-même à l’origine de la maladie2. En réalité, la résistance
neuronale à l’insuline n’est qu’un chaînon intermédiaire au sein d’une plus

147
longue chaîne causale qui commence avec notre mode de vie, et
notamment :

• le stress chronique : dans une situation de stress aiguë, notre corps met
à disposition de nos muscles une grande quantité d’énergie (sous forme de
glucose) pour que nous puissions nous défendre ou prendre la fuite. Le
cortisol dont la production est augmentée par le stress bloque alors tous les
récepteurs de l’insuline : il ne faudrait pas que le glucose libéré en plus
grande quantité disparaisse dans les cellules graisseuses et soit transformé
en stock de graisse pour les coups durs du futur. C’est maintenant, dans cette
situation critique, que le glucose est nécessaire. Pour absorber et utiliser le
sucre qui va leur fournir l’énergie nécessaire à l’effort, les muscles n’ont
pas besoin de récepteur de l’insuline actif3, alors que les neurones de
l’hippocampe, eux, n’accèdent au carburant que si le cadenas est ouvert. Un
stress aigu et ponctuel sera généralement vite oublié. En revanche, le stress
permanent, à travers un taux de cortisol constamment élevé, va mettre
durablement hors d’action les récepteurs de l’insuline du cerveau4.
Résultat : les neurones risquent de mourir de faim.
• le sucre : en concentration élevée, le sucre agglutine la surface des
neurones, ce qui active le système immunitaire et induit une inflammation
chronique dans le cerveau5. C’est plus particulièrement le cas du sucre
raffiné et du sirop de glucose-fructose (présents dans les plats tout prêts et
les boissons sucrées), qui désactivent à long terme non seulement le
récepteur de l’insuline des cellules graisseuses, ce qui conduit à un diabète
de type 2, mais aussi celui des neurones de l’hippocampe6. Une carence en
acides gras oméga-3 accroît cet effet nocif pour la santé. Et voilà comment
le sucre sabote nos capacités d’apprentissage et de mémoire – y compris
chez les enfants…
• les hormones du tissu adipeux : pour informer le cerveau de l’état de
leurs réserves énergétiques, les cellules graisseuses utilisent plus d’une
douzaine d’hormones différentes. La graisse abdominale, notamment, est
une glande ultra-active. En cas d’obésité abdominale, elle devient même
hyperactive, et les hormones ainsi sécrétées entraînent une résistance à
l’insuline dans l’hippocampe7. Conclusion : le risque d’Alzheimer
augmente avec le tour de taille8.
• les acides gras trans : les acides gras trans bloquent le fonctionnement
de tous les récepteurs de l’insuline. Les processus en œuvre au niveau du
tissu adipeux vont alors entraîner, comme on l’a vu, un diabète de
type 2 (également appelé “diabète de l’âge mûr” bien qu’il découle plus de

148
nos habitudes alimentaires que de notre âge). En outre, via la résistance
neuronale à l’insuline induite, les neurones de l’hippocampe vont dépérir. À
travers ce mécanisme (et les mécanismes associés), les acides gras trans de
l’alimentation augmentent le risque d’Alzheimer9.
• la bêta-amyloïde toxique : sous sa forme agrégée, la bêta-amyloïde est
elle aussi un inhibiteur important du récepteur de l’insuline10.

Stress chronique et alimentation inadaptée ont ainsi pour conséquence


directe la désactivation de notre système de régulation glycémique. Mais de
manière indirecte aussi, ils empêchent les neurones de l’hippocampe
d’assimiler le glucose en suscitant une production accrue de bêta-amyloïde,
dès lors toxique. Pour éviter cette situation, seule une action concertée, un
ensemble de mesures individuelles et adaptées aux besoins (ou causes),
peut se révéler efficace.
Dans les chapitres précédents, nous avons évoqué la réduction (ou mieux
la suppression) du stress négatif (à ne pas confondre avec le stress positif)
comme mesure fondamentale dans le traitement et la prévention de la
maladie d’Alzheimer, ainsi que la suppression des acides gras trans que
nous consommons via notre alimentation.
En outre, il convient de supprimer tous les aliments (glucides simples ou
rapidement assimilables) qui font grimper la glycémie en flèche. Citons :
• les boissons sucrées (mieux vaut boire de l’eau ou du thé non sucré, ou
encore du café, à condition de se limiter à une à deux tasses quotidiennes
pour éviter trop d’acidité).
• les aliments à base de farine blanche (leur préférer les aliments à base
de farine complète).
• les confitures riches en sucre (on peut faire soi-même des confitures
allégées en sucre et les consommer rapidement ; pour une conservation à
court terme, 10 % de sucre suffisent).
• le chocolat (ne consommer que du chocolat avec un haut pourcentage de
cacao et sans beurre concentré, un ingrédient complètement superflu).

Comment les deux études que nous présentons ont-elles abordé la


problématique des glucides ? Le professeur Bredesen recommanda pour sa
part à ses patients de supprimer complètement les aliments contenant des
glucides modifiés industriellement. Quant au groupe “sain” de l’étude
FINGER, il devait lui aussi si possible éliminer les sucres simples de son
alimentation.
Notons aussi que l’activité physique, telle qu’on l’a vivement conseillée
au chapitre “Bouger”, est utile pour ouvrir le cadenas permettant

149
l’absorption des glucides11. Avec une alimentation de qualité, riche en
substances vitales et donc conforme aux besoins de notre espèce, il y a en
outre de fortes chances pour que les personnes en surpoids maigrissent, ce
qui, là encore, permet de réactiver le récepteur de l’insuline. Au cours de
six premiers mois du traitement, Sarah Jones a ainsi perdu une dizaine de
kilos, comme Ben Miller qui, on l’a vu au début de ce livre, en a perdu
environ cinq.
Toutes ces mesures contribuent à neutraliser certaines des causes
premières de l’Alzheimer associées à notre mode de vie. Cependant, dès
lors que la maladie s’est déclarée, la bêta-amyloïde toxique inhibe toujours
le récepteur de l’insuline, même si, peu à peu, le traitement va permettre
d’éliminer la toxine. Voilà pourquoi la clef du glucose ne fonctionne pas
encore très bien. Comment faire pour contourner cet obstacle ? Y a-t-il
malgré tout un moyen d’approvisionner en énergie les neurones de
l’hippocampe ? La réponse est oui. Heureusement, le glucose n’est ni la
seule, ni la plus importante source d’énergie de notre cerveau.

L’autre façon d’approvisionner le cerveau : les corps cétoniques

On a longtemps cru que le glucose était la seule substance que notre cerveau
pouvait utiliser comme “carburant”. Les autres organes utilisent les acides
gras saturés comme principale source d’énergie, mais ceux-ci ne peuvent
pas pénétrer dans le cerveau via la circulation sanguine. Un mécanisme
particulier protège en effet l’encéphale des dangereux intrus que sont les
virus, les bactéries et certains poisons parfois transportés par le sang. Ce
dispositif de sécurité spécial, c’est la barrière hémato-encéphalique, que
nous avons déjà abordée au chapitre “Pourquoi l’Alzheimer ? Une
explication évolutive” (p. 53). Les parois de tous les vaisseaux qui
approvisionnent le cerveau en énergie et en oxygène sont imperméables à
tout ce qui est plus gros qu’une molécule de sucre. Pour franchir cette
barrière, les éléments plus gros doivent utiliser des transporteurs spéciaux –
on l’a vu pour la bêta-amyloïde. Ces transporteurs se comportent comme
des videurs qui, devant une boîte de nuit, surveillent que n’entrent que ceux
qui doivent entrer.
Les acides gras polyinsaturés oméga-3 et oméga-6, pourtant plus gros que
des molécules de sucre, parviennent très bien jusque dans notre cerveau12.
On ne sait pas encore quel est le transporteur qui se charge de ce
mécanisme, mais on suppose que c’est aussi le chemin utilisé par les acides
gras trans, puisqu’ils entretiennent avec eux des parentés chimiques. Les

150
videurs s’avèrent ici complètement impuissants : ils ne font pas la
différence entre les matériaux de construction indispensables au
développement de notre cerveau et les molécules dangereuses pour notre
santé, avec les conséquences néfastes que nous avons vues auparavant.
Pour parer aux périodes de disette, nous conservons dans nos réserves de
graisse des acides gras saturés à longue chaîne. Or, il n’existe aucun
système de transport qui leur permette de franchir la barrière hémato-
encéphalique. Dans ce cas, d’où notre cerveau (qui ne dispose ni de stock
de glucose, ni de réserve de graisse) tire-t-il son énergie quand nous nous
abstenons de consommer des glucides pendant un certain temps ?
Pour comprendre le problème dans toute son ampleur, voici un exemple
chiffré : prenons un individu plutôt mince de 70 kg. Même si son indice de
masse grasse, estimé à 10 %, est faible (ce qui équivaudrait à 7 kg de masse
adipeuse), cet individu, si l’on compte environ dix kilocalories par gramme
de graisse, dispose de presque 70 000 kilocalories sous forme d’acides
gras saturés à longue chaîne. Avec un besoin quotidien
de 2 000 kilocalories, ces réserves de graisse seraient bien suffisantes pour
un mois. Oui, mais voilà : les acides gras saturés (à la différence des acides
gras polyinsaturés) ne parviennent pas au cerveau. La faute à la barrière
hémato-encéphalique.
Seul notre foie est en mesure d’emmagasiner de l’énergie sous forme de
glucose, dont une partie peut être directement mise à disposition de notre
cerveau. Notre foie pèse à peu près 1,5 kg. Le glucose constitue
environ 10 % de son poids (soit 150 g), qu’il stocke sous forme de
glycogène, un glucide complexe. Sachant qu’on compte environ quatre
kilocalories par gramme de glucose, si le cerveau n’utilisait que le glucose
comme source d’énergie (parce que les acides gras de nos réserves de
graisse ne peuvent pas franchir directement la barrière hémato-
encéphalique), notre organisme ne disposerait que de
quelque 600 kilocalories pour approvisionner notre cerveau en cas de
disette. C’est à peine suffisant pour une journée.
Notre organisme est tout à fait capable de fabriquer des acides gras à
partir du glucose et d’en faire des réserves de graisse : il suffit de voir le
ventre rebondi des buveurs de bière ! En revanche, l’inverse n’est pas
possible. Même en période de famine, notre organisme est incapable de
transformer les réserves d’acides gras en glucose, dont notre cerveau a
pourtant impérativement besoin. Logiquement, nous devrions donc mourir
de mort cérébrale dès que nous jeûnons. Or, ce n’est pas le cas. Mais
comment survivons-nous ? Comment l’humanité a-t-elle survécu à des
périodes de famine prolongées ? Et pourquoi jeûner n’est-il pas dangereux,

151
et même très sain ? La réponse se trouve dans ce qu’on appelle les corps
cétoniques.
Chaque fois que nous nous abstenons de consommer des glucides (farine,
amidon, sucre) pendant au moins une demi-journée, la glycémie est si basse
que l’insuline n’a pas besoin d’être activée pour la faire baisser davantage.
Durant ces phases où l’insuline est inactive (et seulement durant celles-ci),
nos cellules graisseuses peuvent libérer les acides gras saturés
emmagasinés pour l’approvisionnement en énergie. Si nous ne jeûnions pas
de temps en temps (ce que nous faisons au moins la nuit, quand nous nous
abstenons de manger pendant quelques heures), la présence continue de
l’insuline aurait l’effet contraire : nos réserves de graisse ne seraient jamais
mobilisées ni utilisées et ne cesseraient d’augmenter.
En l’absence d’insuline, en revanche, les acides gras sont mis à
disposition et empruntent la voie sanguine pour arriver dans le foie, où ils
sont dégradés. En raison de leur structure chimique, les différents fragments
ou métabolites qui en résultent sont regroupés sous la notion de corps
cétoniques. Comme ils sont plus petits que le glucose, ils peuvent franchir
sans difficulté la barrière hémato-encéphalique et atteindre le cerveau, où
ils remplacent le glucose, qu’on croyait être la seule source d’énergie. C’est
ainsi que les neurones peuvent profiter des grandes réserves énergétiques
emmagasinées par nos cellules graisseuses.
La résistance neuronale à l’insuline se développe le plus souvent avant
les premiers signes cliniques de la maladie d’Alzheimer. Dans ce cas,
approvisionner le cerveau en énergie en utilisant les corps cétoniques est
une mesure tant thérapeutique que préventive. Cela va nous permettre
d’assurer la survie des neurones de l’hippocampe qui souffrent déjà de
carence énergétique.
Par rapport au carburant “glucose”, les corps cétoniques présentent
différents avantages : même les individus minces possèdent d’énormes
stocks énergétiques qui peuvent être mobilisés en l’absence d’insuline. En
outre, les corps cétoniques permettent de contourner le blocage du récepteur
de l’insuline car ils parviennent directement au cœur des neurones de
l’hippocampe. De plus, leur brûlage nécessite moins d’oxygène que pour le
glucose. Même en cas de mauvaise circulation (induisant un manque
d’oxygène), ils peuvent donc fournir de l’énergie. C’est d’ailleurs aussi un
avantage pour les patients qui souffrent d’une démence vasculaire au stade
initial, puisque celle-ci entraîne plus spécifiquement des troubles de
l’approvisionnement en oxygène au niveau des tissus nerveux.
Cependant, dès que nous consommons à nouveau des glucides rapidement
assimilables, la quantité de sucre dans le sang grimpe en flèche et le taux

152
d’insuline augmente à nouveau. Le foie cesse alors de produire des corps
cétoniques qui, en cas de résistance neuronale à l’insuline, pourraient sinon
sauver l’hippocampe de la famine.

Jeûner sans s’affamer

Le chasseur-cueilleur d’antan n’avait pas de réfrigérateur, et il ne pouvait


pas non plus aller au supermarché ou au snack du coin. Dans la mesure où
la chasse et la cueillette étaient bien plus dangereuses que notre shopping
hebdomadaire, on peut supposer que nos ancêtres ne s’y adonnaient qu’au
moment où la faim se faisait sentir. Autrement dit, c’est quand ils avaient le
ventre vide qu’ils devaient se montrer particulièrement performants, tant sur
le plan physique qu’intellectuel. On ne s’étonnera donc pas de constater
que, dans cette situation particulière, les corps cétoniques viennent
approvisionner le cerveau de manière efficace. En outre, ils sont aussi
chargés d’une mission de taille pour notre santé : comme des hormones, ces
neurotransmetteurs activent le rajeunissement de nos neurones ainsi que la
création de nouveaux neurones dans l’hippocampe13.
Concrètement, quelles sont les leçons que nous devons en tirer ? D’un
côté, nous devons veiller à nous nourrir sainement, consommer du poisson
deux fois par semaine (voir le chapitre “Nourrir le cerveau : les matériaux
de construction”, p. 181) et faire beaucoup de sport (voir le chapitre
“Bouger”, p. 133) – ce qui va d’ailleurs certainement nous donner une faim
de loup –, et de l’autre côté, nous devons aussi jeûner pour que les acides
gras puissent se transformer en corps cétoniques, car ce sont eux, au stade
initial de la maladie d’Alzheimer, qui pourront empêcher les neurones de
l’hippocampe de mourir de faim, et même activer le rajeunissement et la
création de nouveaux neurones. Comment répondre à toutes ces exigences ?
Il y a deux astuces pour résoudre ce problème. La première consiste à
bien dormir, car pour stimuler la production de corps cétoniques, une pause
alimentaire de douze heures suffit. Or, il n’est pas si difficile de respecter
cette pause si on la place entre le repas du soir et le petit-déjeuner. Le
professeur Bredesen encouragea ainsi ses patients à ne plus rien manger au
moins trois heures avant le coucher. Avec les huit à neuf heures de sommeil
recommandées, ils arrivaient ainsi à un jeûne de douze heures, et ce, chaque
jour. Évidemment, il n’est pas toujours facile de ne plus rien manger le soir.
En cas de petit creux, on peut toujours grignoter des amandes. Comme elles
ne contiennent que des traces de sucre et sont très pauvres en glucides
complexes (à peine 2 %), l’insuline ne sera pas activée. En outre, les
amandes fournissent des protéines végétales et des graisses saines en très

153
grandes quantités, ainsi que d’autres substances utiles. L’ensemble a même
pour effet de réactiver le récepteur de l’insuline, d’améliorer le taux de
cholestérol et, d’après les résultats de certaines études, permet d’éliminer
la graisse abdominale14. Deux poignées par jour, soit entre 14 et 60 g, c’est
parfait en guise d’en-cas.
Grâce à cette première astuce, nous voilà donc en mesure de jeûner la
nuit en toute quiétude (ce qui nous permet de ravitailler en énergie notre
hippocampe affamé). La deuxième astuce, elle, va nous permettre de
stimuler la production de corps cétoniques pendant la journée – et ce, sans
qu’il nous faille jeûner. Comment ? Grâce aux acides gras à chaîne
moyenne. Contrairement aux acides gras à chaîne longue stockés dans nos
réserves de graisse, les acides gras à chaîne moyenne sont solubles dans
l’eau et parviennent donc directement dans le foie, où ils sont métabolisés
très efficacement en corps cétoniques. Il en existe deux sources concentrées
dans la nature : l’huile de coco et l’huile de palmiste (à ne pas confondre
avec l’huile de palme, la première étant fabriquée à partir des graines
décortiquées du palmier à huile, la seconde à partir de la pulpe des fruits).
L’huile de coco et l’huile de palmiste présentent une forte proportion
(jusqu’à 60 %) d’acides gras à chaîne moyenne et leurs effets extrêmement
bénéfiques sur la santé nous laissent à penser que si les premiers hommes
ne vivaient peut-être pas directement sous les cocotiers (ce qui aurait été
dangereux), ils n’ont en tout cas pas dû s’établir bien loin. Les chercheurs
qui se penchent sur les débuts de l’humanité sont unanimes sur ce point15.

LE POINT SUR : LES ACIDES GRAS SATURÉS


L’huile vierge de coco est extraite de la chair fraîche de la noix de coco
par pression à froid (dans l’idéal 40 oC). Si l’extraction a privilégié la
qualité plus que le rendement, le raffinage n’est pas nécessaire.
Malheureusement, le traitement chimique lui fait perdre des composants
précieux comme la vitamine E ainsi que son léger goût de coco, qui
nous permet de reconnaître qu’il s’agit d’une bonne huile. L’huile vierge
de coco n’est ni modifiée chimiquement, ni mélangée à d’autres huiles
(mais elle est aussi plus chère que d’autres huiles de moins bonne
qualité). Elle est idéale pour la cuisson ou pour remplacer beurre et
margarine sur nos tartines.
Si, comme beaucoup d’entre nous, vous êtes sensibles à la publicité,
vous vous demandez peut-être pourquoi je vous conseille d’utiliser de

154
l’huile de coco alors qu’elle se compose à environ 90 % d’acides gras
saturés. De méchants acides gras saturés. Depuis les années 1960,
l’industrie agroalimentaire, massivement subventionnée par l’État,
s’emploie en effet à vendre de manière aussi efficace que peu
scrupuleuse les huiles végétales produites à faible coût aux États-Unis et
en Europe ainsi que les margarines qu’on fabrique à partir de celles-
ci16. Dans cette perspective, elle diabolise les acides gras saturés et
vante les acides gras insaturés qu’elle utilise. Or, si on a supposé à un
moment que les acides gras saturés étaient nocifs pour le système
cardiovasculaire, on sait aujourd’hui que cette hypothèse est fausse. Ni
la proportion d’acides gras saturés, ni leur quantité absolue n’a
d’influence sur le risque d’artériosclérose17. La nature en fournit
d’ailleurs la meilleure preuve : pour constituer nos réserves de graisse
et en guise d’énergie inoffensive d’un point de vue chimique, elle a
choisi les acides gras saturés sans lesquels notre corps ne fonctionnerait
pas. Même notre cerveau est alimenté en énergie par les corps
cétoniques, qui sont fabriqués à partir d’acides gras saturés. Si les
acides gras saturés étaient vraiment mauvais pour la santé, le jeûne
thérapeutique, lors duquel nos réserves de graisse libèrent ce type
d’acides gras, devrait nous être néfaste. Or, c’est le contraire qui se
produit.
Nous n’avons rien à craindre des acides gras saturés de l’huile de
coco et de l’huile de palmiste. En revanche, attention aux huiles vantées
par la publicité comme “riches en acides gras insaturés”. Elles
augmentent encore notre consommation déjà excessive d’acides gras
oméga-6 et génèrent des acides gras trans quand elles sont utilisées pour
la cuisson. Résultat : notre risque d’Alzheimer augmente.

Steve Newport est atteint de la maladie d’Alzheimer. Son épouse, Mary


Newport, médecin, a mis en place pour lui le traitement suivant : une
cuillère à soupe d’huile vierge de coco, quatre fois par jour à intervalle
régulier (soit en tout 55 à 80 g d’huile de coco). Au préalable, elle
mélangeait l’huile à la même quantité d’huile TCM (une huile enrichie avec
des acides gras à chaîne moyenne) – une mesure qui me semble cependant
inutile, puisque l’huile de coco est déjà très riche en acides gras à chaîne
moyenne et que la quantité de corps cétoniques que notre corps peut
produire chaque jour est limitée. L’administration d’huile de coco a
cependant permis d’augmenter la production de corps cétoniques chez Steve
et, en dépit d’une résistance neuronale à l’insuline, d’alimenter son

155
hippocampe en énergie vitale, comme le décrit Mary Newport dans son
livre18. La maladie était déjà assez avancée, mais grâce à cette mesure
diététique, elle a cessé d’empirer, et Steve est sorti de sa dépression. Dès le
début du traitement, rapporte Mary Newport dans la préface de son livre,
son mari a eu l’impression que “tout s’était à nouveau éclairé”. D’après
l’auteure, la consommation d’huile de coco et d’huile de palmiste peut avoir
des résultats spectaculaires chez beaucoup de patients :
• amélioration de la mémoire
• retour de la personnalité et du sens de l’humour
• réactivation des interactions sociales
• reprise des activités quotidiennes
• atténuation de certains symptômes physiques
Comme le précise en outre le Dr Newport par la suite : “Ces effets sont
bel et bien réels et particulièrement significatifs, non seulement pour les
malades, mais aussi pour la famille et les proches, qui souffrent avec eux.
Chez bon nombre de gens, la différence après avoir commencé cette
intervention diététique est immédiatement apparente et peut même se révéler
spectaculaire, comme dans le cas de mon mari19.”
Ben Miller a lui aussi suivi les recommandations en ce sens du
professeur Bredesen en prenant chaque jour, matin et soir, une cuillère à
soupe d’huile de coco. À titre préventif, nous avons conseillé d’utiliser
l’huile de coco en remplacement du beurre, de la margarine et de l’huile de
cuisson. Pour ceux qui ne cuisinent pas (ou plus) eux-mêmes parce qu’ils
sont touchés par la maladie d’Alzheimer, consommer quelques cuillérées
d’huile de coco est le meilleur traitement, à raison selon moi d’une
cuillérée à soupe trois fois par jour (matin, midi et soir).
L’étude FINGER, quant à elle, n’a pas utilisé les propriétés curatives de la
production de corps cétoniques (ou cétogenèse). Son schéma thérapeutique,
en tout cas, n’était pas spécifiquement prévu pour atteindre cet objectif. Au-
delà du manque d’attention porté à de meilleures habitudes de sommeil (qui
permettrait d’ailleurs le jeûne nocturne et donc la stimulation de la
cétogenèse), c’est là l’un des aspects de l’étude qui nuit à ses résultats, tant
du point de vue préventif que thérapeutique.

1 GRILLO, C. A. et al., “Insulin-stimulated translocation of GLUT4 to the plasma


membrane in rat hippocampus is PI3-kinase dependent”, Brain Res., vol. 1296,
2009, p. 35-45, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19679110.
2 HÖLSCHER, C., “Diabetes as a risk factor for Alzheimer’s disease : insulin
signaling impairment in the brain as an alternative model of Alzheimer’s disease”,

156
Biochem. Soc. Trans., vol. 39, 2011, p. 891-897,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21787319.
3 ROSE, A. J. et RICHTER E. A., “Skeletal muscle glucose uptake during exercise :
how is it regulated ?”, Physiology, vol. 20, 2005, p. 260-270,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16024514.
4 P IROLI, G. G. et al., “Corticosterone impairs insulin-stimulated translocation of
GLUT4 in the rat hippocampus”, Neuroendocrinology, vol. 85, 2007, p. 71-80,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17426391.
5 LUKIC, I. K. et al., “The RAGE pathway : activation and perpetuation in the
pathogenesis of diabetic neuropathy”, Ann. NY Acad. Sci., vol. 1126, 2008, p. 76-
80, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18448798.
6 AGRAWAL, R. et GOMEZ-P INILLA, F., “ « Metabolic syndrome » in the brain :
deficiency in omega-3 fatty acid exacerbates dysfunctions in insulin receptor
signalling and cognition”, J. Physiol., vol. 590, 2012, p. 2485-2499,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22473784.
7 DEBETTE, S. et al., “Visceral fat is associated with lower brain volume in healthy
middle-aged adults”, An. Neurol., vol. 68, 2010, p. 136-144,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20695006.
8 BEYDOUN, M. A. et al., “Obesity and central obesity as risk factors for incident
dementia and its subtypes : a systematic review and meta-analysis”, Obes. Rev.,
vol. 9, 2008, p. 204-218, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18331422 ; KIVIPELTO,
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aged people : a longitudinal, populationbased study”, Lancet Neurol., vol. 5, 2006,
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9 WALLACE, S. K. et MOZAFFARIAN, D., “Trans-fatty acids and nonlipid risk
factors”, Curr. Atheroscler. Rep., vol. 11, 2009, p. 423-433,
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effects of trans-fatty acids : experimental and observational evidence”, Eur. J. Clin.
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evidence”, Eur. J. Neurol., vol. 16, 2009, p. 1-7,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19703213.
10 DE FELICE, F. G., “Alzheimer’s disease and insulin resistance : translating basic
science into clinical applications”, J. Clin. Invest., vol. 132, 2013, p. 531-539,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23485579 ; ZHAO, W. Q. et al., “Amyloid beta
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acutely impairs spatial working memory, insulin signaling, and hippocampal
metabolism”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 30, 2012, p. 413-422,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22430529.
11 KANG, E. B. et CHO, J. Y., “Effects of treadmill exercise on brain insulin
signaling and β-amyloid in intracerebroventricular streptozotocin induced-memory

157
impairment in rats”, J. Exerc. Nutrition Biochem., vol. 18, 2014, p. 89-96,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25566443.
12 FREUND LEVI, Y. et al., “Transfer of omega-3 fatty acids across the blood-brain
barrier after dietary supplementation with a docosahexaenoic acid-rich omega-
3 fatty acid preparation in patients with Alzheimer’s disease : the OmegAD study”,
J. Intern. Med., vol. 275, 2014, p. 428-436,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24410954.
13 NEHLS, M., “Unified theory of Alzheimer’s disease (UTAD)…”, art. cité ;
NEWMAN, J. C. et VERDIN, E., “Ketone bodies as signaling metabolites”, Trends
Endocrinol. Metab., vol. 25, 2014, p. 42-52,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24140022.
14 BERRYMAN, C. E. et al., “Effects of daily almond consumption on
cardiometabolic risk and abdominal adiposity in healthy adults with elevated LDL-
cholesterol : a randomized controlled trial”, J. Am. Heart Assoc., 2015,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25559009.
15 SCHUILING, M. et HARRIES, H. C., “The coconut palm in East Africa”,
Principes, vol. 38, 1994, p. 4-11.
16 MCNAMARA, D. J., “Palm oil and health : a case of manipulated perception and
misuse of science”, J. Am. Coll. Nutr., vol. 29, suppl. 3, 2010, p. 240-244,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20823485.
17 SIRI-T ARINO, P. W. et al., “Meta-analysis of prospective cohort studies
evaluating the association of saturated fat with cardiovascular disease”, Am. J.
Clin. Nutr., vol. 91, 2010, p. 534-546, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20071648 ;
BAUM, S. J. et al., “Fatty acids in cardiovascular health and disease : a
comprehensive update”, J. Clin. Lipidol., vol. 6, 2012, p. 216-234,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22658146.
18 NEWPORT, M., Maladie d’Alzheimer – et s’il existait un traitement ?, trad.
Laurence Le Charpentier, éd. Josette Lyon, Paris, 2014.
19 Ibid., p. 15.

158
159
160
NOURRIR LE CERVEAU :
LES AGENTS DE PROTECTION

La sagesse commence dans la cuisine.

FRIEDRICH WILHELM NIETZSCHE (1844-1900)

Préférer la richesse naturelle à la supplémentation artificielle

Nous tenons bien plus du cueilleur que du chasseur. Ce qui nous l’indique,
c’est que nous pouvons tout à fait nous passer de viande, mais pas de fruits
ni de légumes. Presque toutes les vitamines, c’est-à-dire les substances qui
nous sont vitales et que nous devons ingérer à travers notre nourriture, sont
d’origine végétale. Jamais au cours de notre histoire nous n’avons eu à
affronter de véritable disette végétale. C’est ce qui a permis notre survie
alors que nous ne disposons pas de programmes génétiques pour fabriquer
nous-mêmes ces vitamines en cas de carences. L’être humain et quelques
autres vertébrés ont ainsi perdu la faculté de synthétiser eux-mêmes la
vitamine C sans que cela ne leur pose de problèmes. À moins de partir pour
un long voyage en mer sans emporter suffisamment de fruits et de légumes
(c’est-à-dire à moins de changer radicalement notre mode de vie naturel), il
n’y a en effet aucune raison d’attraper le scorbut.
Chacune des carences en vitamine que l’humanité a connues dans son
histoire récente s’explique par des modifications de nos conditions de vie si
radicales que nous n’avons pas pu nous y adapter génétiquement. Et comme
les vitamines interviennent dans presque toutes nos fonctions
physiologiques, il n’est pas étonnant que chaque carence – qu’il s’agisse de
la vitamine A, B1, B6, B12, C, D ou E – nuise d’une manière ou d’une autre
au fonctionnement cérébral, à la neurogenèse dans l’hippocampe ou au
métabolisme de la bêta-amyloïde, et le plus souvent à tous ces paramètres
réunis1. On pourrait remplir des pages et des pages détaillant chacune de
ces vitamines, mais ne vaut-il pas mieux nous poser cette question : quelle
alimentation voulons-nous ? Voulons-nous nous procurer naturellement les
vitamines dont nous avons besoin, en mangeant des fruits, des légumes et

161
d’autres aliments sains, ou bien voulons-nous prendre des compléments
alimentaires artificiels ?
Selon moi, le seul choix sensé est celui d’une alimentation naturelle
saine. Même les procédés chimiques les plus élaborés ne peuvent que
simuler partiellement, mais pas remplacer la complexité millénaire de la
nature. Dans une pomme bio (et donc en grande partie dépourvue de
toxines), il y a des milliers et des milliers de principes actifs végétaux. Or,
nous commençons à peine à comprendre leur fonctionnement. Comment un
complément alimentaire pourrait-il leur faire sérieusement concurrence ?
Rien que pour la vitamine E, par exemple, la nature dispose de plusieurs
centaines de variantes chimiques. Un groupe agroalimentaire, lui, n’en
choisira peut-être qu’une seule parce qu’elle est plus facile à synthétiser.
Mieux vaut opter pour la diversité naturelle de l’huile d’olive, manger
chaque jour une ration d’amandes et se faire confiance pour choisir une
combinaison de différentes vitamines E qui nous convienne. Notre
patrimoine génétique renferme une expérience de plusieurs millions
d’années. Nous avons tout intérêt à nous appuyer sur elle !
Par ailleurs, même s’ils sont (malheureusement) en vente libre, les
compléments alimentaires restent des médicaments. Ils contiennent des
principes actifs, sans quoi ils n’agiraient pas. Dans le cadre d’un traitement,
quand ils sont dosés par un médecin expérimenté qui veillera à éviter effets
secondaires indésirables ou interactions médicamenteuses, leur utilisation
peut être tout à fait judicieuse et donner de bons résultats. Mais comme tout
agent actif, ils peuvent aussi avoir des effets néfastes. Avant toute prise, la
sagesse impose donc de faire identifier d’éventuelles carences par un
médecin.
Les causes peuvent être multiples. Nos conditions de vie jouent par
exemple un rôle dans les carences en sélénium, induites par une agriculture
sur des sols qui en contiennent trop peu, comme dans de nombreuses régions
d’Europe (voir ci-dessous). Notre comportement alimentaire est bien sûr
déterminant, et notamment quand nous suivons un régime spécial trop peu
varié, comme le végétalisme, souvent motivé par des considérations
idéologiques. On refuse que des animaux soient tués, on veut protéger
l’environnement et sa propre santé. Mais si le végétalisme est plus sain
qu’une alimentation comprenant des viandes issues de l’élevage intensif, il
s’écarte quand même des besoins de notre organisme, inchangés depuis
l’ère des chasseurs-cueilleurs. Une alimentation végétalienne n’est donc pas
aussi saine que le pesco-végétarisme, qui inclut la chair des poissons, des
crustacés et des mollusques aquatiques, et permet ainsi de conserver une
source importante de vitamine B12 et de DHA (acides gras oméga-3)2. Une

162
étude menée pendant six ans sur 73 000 Américains adventistes a montré
que chez les participants végétaliens, les décès étaient 15 % moins
fréquents que chez les “carnivores”. Les adeptes de l’ovo-lacto-
végétarisme n’étaient pas beaucoup mieux placés que les carnivores, ce qui
pourrait s’expliquer par leur consommation de produits laitiers mauvais
pour la santé. Avec un taux de mortalité de 19 % inférieur aux carnivores,
les pesco-végétariens étaient les mieux lotis du point de vue de la santé. Il
semble donc que ce régime présente de réels atouts pour notre équilibre.
Pour compenser leurs carences, les végétaliens pourront prendre de la
vitamine B12 (uniquement présente en quantité suffisante dans les produits
d’origine animale) ainsi que des oméga-3 à base d’huile d’algues marines.

Contrôler le taux d’homocystéine

L’homocystéine est un acide aminé produit au cours du catabolisme de la


méthionine, dont la concentration dans le sang est très facile à déterminer.
Un taux élevé a des conséquences néfastes pour notre santé. À moins de
souffrir d’une anomalie génétique rare, c’est généralement une carence en
vitamines B3, B6 ou B12 qui est en cause. D’après une étude suédoise, le
risque d’infarctus (infarctus du myocarde ou infarctus cérébral) augmente
avec le taux d’homocystéine, et les personnes dont le taux d’homocystéine
est élevé voient leur risque de démence doubler par rapport aux personnes
dont les valeurs sont normales3. Une analyse neuropathologique a mis en
évidence les conséquences d’un taux d’homocystéine durablement élevé et
constaté que la maladie d’Alzheimer, notamment, était dans ce cas cinq fois
plus probable ( !)4.
Pour nous, cela revient à dire qu’un taux d’homocystéine élevé (et donc
indirectement une carence en vitamine B3, B6 ou B12) est un facteur de
risque premier pour l’Alzheimer. L’homocystéine est neurotoxique,
notamment pour les neurones qui sont stimulés par le glutamate, soit presque
tous les neurones de l’hippocampe5. Il n’est donc pas étonnant que dans une
autre étude réalisée sur des patients présentant un très fort taux
d’homocystéine, le processus de la dégradation cérébrale ait pu être ralenti
de 50 % par rapport au groupe témoin grâce à un mélange de vitamines
capables de dégrader l’homocystéine6.
Parmi les patients du professeur Bredesen, Ben Miller, dont le taux
d’homocystéine était nettement élevé (18 micromoles/litre), s’est vu
prescrire des vitamines B3, B9 et B12. La DGE (Société allemande de
nutrition) recommande une valeur maximale de 12 μmol/l. Le professeur

163
Bredesen, quant à lui, avait fixé comme objectif chez ses patients un taux
d’homocystéine dans le sang inférieur à 7 μmol/l.
L’étude FINGER, en revanche, ne prévoyait ni mesure du taux
d’homocystéine, ni traitement correspondant. Il n’y a pas eu non plus de
supplémentation en vitamines B. Les responsables de l’étude estimaient
sans doute qu’une alimentation équilibrée était suffisante. Dans la plupart
des cas, c’est effectivement vrai. Néanmoins, il est préférable de faire
contrôler son taux d’homocystéine par un médecin. Si contre toute attente,
une alimentation saine devait s’avérer insuffisante, un apport adapté en
vitamines sera bénéfique.

Les oligoéléments

On regroupe sous cette notion les nutriments que notre corps n’est pas
capable de produire lui-même, mais qui, en très faibles quantités, sont
néanmoins nécessaires à la vie d’un organisme. Ce sont des éléments
chimiques dont la masse est inférieure à 1 mg/kg du poids corporel. Citons
par exemple le fer, l’iode, le cuivre, le sélénium, le zinc et le lithium. Tous
types confondus, la présence des oligoéléments dans notre corps est
inférieure à 50 mg/kg. En cas de carence, la progression de la maladie
d’Alzheimer va en général être favorisée, mais selon l’oligoélément en
cause, un excès peut également avoir le même effet7. Il convient donc de
faire vérifier le niveau des oligoéléments par un médecin.

• Le sélénium
Quand sa concentration dans le sang est optimale, l’humeur est meilleure
ou, pour être plus exact, le pourcentage de dépression est plus faible8. Le
sélénium joue un rôle déterminant dans le métabolisme des hormones de la
thyroïde. En outre, c’est un antioxydant important. Dans le cerveau, il
désactive les métabolites chimiquement agressifs et agit ainsi comme un
anti-inflammatoire. Par ailleurs, le sélénium contribue à éliminer les métaux
lourds comme le plomb, le cadmium et le mercure qui sont néfastes pour le
cerveau (voir le chapitre “Détoxiquer”, p. 283). Le sélénium peut donc
contribuer de diverses manières à ralentir le développement de la maladie
d’Alzheimer et à encourager la guérison9. On considère généralement
comme suffisante une concentration dans le sang comprise
entre 80 et 100 μg/l. Cependant, la baisse du taux de cancers, par exemple,
n’est constatée qu’à partir de valeurs situées entre 120 et 150 μg/l10. Je

164
serais donc d’avis de fixer comme objectif la valeur la plus élevée. Or, le
plus souvent, les taux relevés sont nettement plus bas. Pourquoi ?
Comme ils sont les seuls à pouvoir absorber le sélénium présent dans la
terre grâce à leurs racines, les végétaux se trouvent au début de la chaîne
alimentaire de cet oligoélément. Les concentrations dans le sol et nos
préférences alimentaires ont donc une influence sur notre apport quotidien.
L’idéal serait d’en consommer 1 μg ou – mieux – 2 à 3 μg/kg de notre poids.
Les habitants des régions dont les sols sont riches en sélénium (comme en
certains endroits des États-Unis) peuvent ainsi présenter des taux de
sélénium dans le sang largement supérieurs à 200 μg/l. En Europe centrale,
au contraire, les sols pauvres en sélénium induisent des taux largement
inférieurs à 80 μg/l.
Les végétaliens sont particulièrement touchés par cette carence, surtout
s’ils vivent dans des régions pauvres en sélénium et ne consomment que des
végétaux de l’agriculture locale. Alors, quelles autres possibilités ? Pour
commencer, l’huile de coco que nous avons recommandée au chapitre
précédent est une excellente source de sélénium. Les autres produits à base
de coco comme le lait de coco ou les flocons de noix de coco contiennent
quant à eux plus de 800 μg de sélénium par 100 g de chair et constituent
donc une source intéressante de sélénium. Le sésame a des valeurs
similaires. Avec 1 900 μg/100 g, les noix du Brésil remportent le premier
prix de concentration de sélénium. Les pesco-végétariens, eux, obtiendront
leur ration quotidienne de sélénium grâce au poisson : 100 g de truite
fournissent déjà la dose minimale recommandée par jour de 70 μg.

• Le zinc
C’est un oligoélément indispensable à notre santé, car il est impliqué
directement ou au moins indirectement dans tous les processus métaboliques
de notre organisme. Nous ne pouvons en stocker que quelques grammes
dans les os, les muscles, la peau, les cheveux et les ongles, aussi est-il vital
de veiller à un apport quotidien. La DGE (Société allemande de nutrition)
recommande une dose de 10 à 15 mg de zinc par jour pour atteindre chez
l’adulte un taux normal dans le sang de 0,70 à 1,20 mg/l. Avec une
alimentation équilibrée, il n’est pas difficile d’y parvenir puisque presque
tous les aliments sains contiennent aussi du zinc, et notamment les crustacés.
Mais on le trouve aussi en concentration élevée dans les graines de courge,
les flocons d’avoine, le son de blé ou les lentilles. En revanche, une
alimentation déséquilibrée et pauvre en zinc entraîne une carence à laquelle
il est indispensable de remédier.

165
Le manque de zinc peut également être dû à un diabète de type 2 ou à une
surconsommation d’alcool, l’un comme l’autre entraînant une élimination
excessive de cet oligoélément. Des médicaments comme les laxatifs, les
préparations hormonales (cortisol, œstrogènes) et les hypolipémiants (qui
visent à diminuer les lipides circulant dans le sang) peuvent également
contribuer à réduire le taux de zinc. Par ailleurs, une forte transpiration
risque d’augmenter nos besoins en zinc. Même chose pour le stress et
l’effort physique, de sorte que dans ces cas particuliers une
complémentation peut s’avérer utile.
On ne sait pas encore avec certitude si une carence en zinc est un facteur
déclencheur de l’Alzheimer, mais cela semble probable compte tenu des
nombreuses fonctions biologiques de cet oligoélément. Il bloque par
exemple la sécrétion excessive de glutamate et protège ainsi les neurones de
l’hippocampe d’une intoxication. En outre, une carence en zinc entraîne une
inhibition de la neurogenèse dans l’hippocampe et une inflammation
générant des symptômes proches de la dépression11.
Dans une première étude thérapeutique sur des patients atteints
d’Alzheimer à un stade précoce ou intermédiaire, l’administration de zinc a
eu pour effet de stabiliser la maladie par rapport à un groupe témoin non
supplémenté. La hausse du taux de zinc chez le groupe traité allait de pair
avec une baisse de la concentration du cuivre libre. Or, c’était bien l’effet
escompté : le cuivre libre circulant dans le sang et les tissus (c’est-à-dire le
cuivre qui n’est lié à aucune protéine de transport) est soupçonné d’être en
partie à l’origine de la maladie d’Alzheimer ou d’en accélérer le
développement12. Il convient donc de toujours faire analyser la
concentration de cuivre libre par un médecin. En cas de valeurs élevées, un
traitement au zinc sous surveillance médicale peut s’avérer utile. Le
professeur Bredesen conseilla par exemple à Ben Miller la prise
quotidienne de 50 mg de zinc sous forme de picolinate de zinc.

• Le lithium
Deux études japonaises ont démontré que le lithium administré à faibles
doses augmentait la durée de vie, alors qu’une carence était responsable
d’un taux de suicides plus élevé13. On a donc toutes les raisons de
considérer ce métal léger comme un oligoélément vital. Ce qu’indique la
tendance aux suicides a par ailleurs été confirmé lors d’essais menés sur
des souris atteintes d’Alzheimer : en activant la neurogenèse dans
l’hippocampe, le lithium agit comme un antidépresseur14. En outre, il
combat l’hypersécrétion (et donc l’agrégation) de bêta-amyloïde. Nos

166
aliments ne contiennent que peu de lithium. Par conséquent, pour atteindre la
quantité d’environ 0,3 mg de lithium par jour (dont l’efficacité
thérapeutique contre l’Alzheimer a été démontrée dans des études
cliniques15), je recommande de boire chaque jour de l’eau minérale
contenant du lithium (voir “Phase intensive du traitement”, p. 305).
L’étude FINGER n’a pas jugé bon d’évaluer les oligoéléments ni de
proposer des compléments alimentaires. Comme pour l’homocystéine, on a
sans doute pensé qu’une alimentation équilibrée était suffisante pour
normaliser les différentes valeurs. Dans la plupart des cas, cela se vérifiera
certainement. Mais comme nous sommes tous des cas particuliers, il est
préférable de voir avec son médecin traitant si des carences existent et
comment y remédier.

C’est bon et ça fait du bien

À l’heure actuelle, l’industrie pharmaceutique n’a pas encore développé de


principe actif capable de neutraliser la bêta-amyloïde agrégée et toxique.
Sur ce point, la nature est plus avancée, et ses principes actifs se trouvent
tout simplement dans notre alimentation. Il nous suffit d’être suffisamment
curieux pour savourer leur diversité. Car ce sont eux qui donnent à nos
aliments un goût particulier (comme le curry ou le gingembre), qui sont à
l’origine d’une note épicée (comme le piment ou le poivre) ou qui nous
permettent d’admirer des assiettes multicolores (songeons par exemple à
l’éclat du curcuma et à la multitude de teintes des pommes ou du poivron).

• Le thé vert
Dans l’archipel d’Okinawa, les anciens en boivent chaque jour des litres,
et ils ont bien raison. Pour comprendre les vertus curatives de la nature,
observons d’un peu plus près le principe actif qu’il contient : le thé vert
provenant d’Asie se compose environ pour un tiers de gallate
d’épigallocatéchine (EGCG). Ce principe actif “anti-Alzheimer” combat les
inflammations (et donc une bonne partie des mécanismes en œuvre dans le
cerveau du patient atteint d’Alzheimer). Il est en effet très efficace pour
neutraliser l’excédent de radicaux libres qui nuit à notre santé16. L’EGCG du
thé vert inhibe en outre des processus propres à l’Alzheimer17. Dans une
expérience menée sur l’animal sur une durée de huit mois, on a pu constater
que le simple fait de boire du thé réduisait de plus de moitié le taux de
dépôts de bêta-amyloïde toxique dans l’hippocampe, d’où une amélioration

167
de la forme cognitive. Les petites causes ont parfois de grands effets !
Celui-ci s’explique entre autres par le fait que l’EGCG du thé vert inhibe la
production de bêta-amyloïde18. En outre, l’EGCG empêche aussi
directement l’agrégation de bêta-amyloïde et disloque les formations déjà
existantes19. Résultat : le thé vert a des vertus tant préventives que
curatives.
Tous ces remèdes sont disponibles sans ordonnance. Et si vous combinez
quelques tasses de thé vert biologique à une activité physique, les effets
anti-Alzheimer vont se renforcer mutuellement, avec des résultats plus
probants que n’importe quel médicament présent sur le marché20. Si vous
êtes sensible aux excitants présents dans le thé vert, cessez d’en boire
quelques heures avant le coucher. Pour ma part, je bois du thé vert
biologique en remplacement de l’eau et donc à température ambiante. Le
matin, j’en prépare environ 1,5 l avec de l’eau à 70 oC et je le laisse infuser
deux à trois minutes. J’y ajoute ensuite quelques gouttes de jus de citron
frais pour que l’EGCG ne s’oxyde pas et que le thé ne brunisse pas.
Conservé dans une théière opaque, le thé peut ainsi être dégusté tout au long
de la journée comme boisson froide. Si vous en buvez beaucoup, vérifiez
qu’il est non pollué. La certification bio ne le garantit pas, mais
généralement, le thé vert biologique a de meilleurs résultats que le thé vert
de l’agriculture conventionnelle, et les variétés sans polluants sont de plus
en plus nombreuses21.

• Le thé grec des montagnes


Le principe actif du thé des montagnes préparé à partir d’une plante
grecque (Sideritis scardica) utilise un tout autre mécanisme pour se
débarrasser de la bêta-amyloïde toxique. Il active un transporteur
spécifique (appelé ABCC1), ce qui lui permet d’évacuer la toxine du
cerveau, en la faisant tout simplement passer par la barrière hémato-
encéphalique. C’est un mécanisme que nous connaissons du millepertuis et
que nous pouvons déjà utiliser en traitement (voir “Phase intensive du
traitement”, p. 305)22.

Le thé vert et le thé grec des montagnes ne sont que deux exemples. Il
existe une multitude de possibilités naturelles qui nous permettent de nous
nourrir en faisant du bien à notre cerveau. Les théaflavines du thé noir
issues de la fermentation, par exemple, sont tout aussi efficaces que l’EGCG
du thé vert. Elles savent elles aussi transformer la bêta-amyloïde en
structures non toxiques et dégrader la bêta-amyloïde déjà agrégée et

168
toxique23. Contrairement aux substances artificielles, la majorité (si ce n’est
la totalité) des arômes et colorants naturels atténuent les inflammations
cérébrales, inhibent l’agrégation de la bêta-amyloïde et neutralisent la bêta-
amyloïde toxique. Ils stimulent la neurogenèse dans l’hippocampe et sont
donc – chacun à leur façon et toujours en combinaison – très utiles sur le
plan thérapeutique. Inutile d’aller à la pharmacie : faire ses courses au
supermarché bio suffit. Pourquoi bio ? Tous simplement parce que les
produits issus de l’agriculture biologique contiennent en moyenne 500 fois
moins de polluants que les produits de l’agriculture conventionnelle, et
davantage de vitamines et de minéraux24.
Chaque ingrédient a son importance, mais c’est le mélange qui fait la
différence. La curcumine (le principe actif du curcuma), par exemple, ne
fonctionne pas particulièrement bien quand elle est extraite et présentée
sous forme de comprimés. Seule une partie minime parvient alors jusqu’au
cerveau. Ses vertus protectrices pour les nerfs sont plus nettes si l’on
consomme le curcuma avec de l’huile de poisson. La curcumine et le DHA
(le principe actif de l’huile de poisson) ont en effet chacun leur manière
propre de freiner le développement de la maladie d’Alzheimer et leurs
actions se renforcent quand elles sont combinées. Les quantités nécessaires
pour parvenir aux mêmes effets sont alors bien moins importantes25.
Pourquoi attendre dans ce cas la mise sur le marché d’un remède miracle ?
Il nous suffit de savourer un curry de poisson avec du lait de coco, un
délicieux traitement contre l’Alzheimer, à déguster bien sûr aussi à titre
préventif. Ajoutez un peu de poivre au tout et la curcumine sera
particulièrement bien assimilée26. Si vous aimez le piment, c’est encore
mieux : comme l’ont démontré des expériences menées sur l’animal, la
capsaïcine, le principe actif du piment responsable de son goût piquant (qui
déclenche aussi la sensation de pseudo-chaleur et justifie son utilisation
dans certains patchs antidouleur), réduit certaines modifications cérébrales
liées au stress et caractéristiques de la maladie d’Alzheimer27.

Un verre de vin avec un bon repas

Le vin rouge contient un antioxydant efficace, le resvératrol, qui a de


nombreux modes d’action et peut favoriser le ralentissement du déclin
cognitif28. D’ailleurs, l’alcool en lui-même contribue sans doute aussi à
soulager le cerveau stressé. En bloquant la sécrétion de glutamate, il agit de
manière directe sur sa toxicité. Et, indirectement, il réduit la sécrétion de
bêta-amyloïde, qui aura donc moins tendance à s’agréger.

169
Une question se pose cependant : quelle est la quantité d’alcool
bénéfique pour la santé et à partir de quelle quantité la toxicité cérébrale de
l’alcool est-elle avérée ? Concernant les effets à long terme d’une “dose
d’alcool” quotidienne, c’est une étude américaine menée sur des infirmières
qui nous apporte les indications les plus précises. Pendant plus de vingt ans,
on a consigné la consommation quotidienne de 12 480 infirmières d’un
certain âge et son effet sur leur santé mentale. Il s’est avéré que celles qui
consommaient en moyenne 15 g d’alcool par jour avaient de meilleurs
résultats (jusqu’à 23 % supérieurs) aux tests cognitifs que celles qui n’en
consommaient pas du tout. 15 g d’alcool, cela correspond à environ 0,1 l de
vin ou 0,3 l de bière par jour. Toutefois, l’effet positif disparaissait dès lors
qu’on multipliait par deux la quantité quotidienne29.
Si nous ne supportons qu’une si faible quantité d’alcool, c’est peut-être
parce que les fruits fermentés n’étaient que rarement au menu de nos
ancêtres. Il n’a donc pas été vital pour nous que notre organisme s’y adapte.
Ici encore, c’est la quantité qui fait loi : selon le dosage, l’alcool peut être
un remède – ou un poison pour notre système nerveux.
Si les études citées nous permettent de supposer que l’alcool ou le
resvératrol pourraient – dans une certaine mesure – protéger de
l’Alzheimer, il n’existe cependant pas encore de connaissances attestées
dans le cadre thérapeutique. Pendant les six premiers mois du traitement,
mieux vaut donc s’abstenir de toute consommation d’alcool (voir “Phase
intensive du traitement”, p. 305).

Un petit dessert ?

La vie doit être un plaisir, sans quoi elle ne vaut pas la peine d’être vécue.
Les friandises occasionnelles font partie de ce plaisir, et le chasseur-
cueilleur devait lui aussi les savourer. Sur sa “liste de courses” figurait sans
doute aussi du miel. Mais ce délice, même s’il n’est composé que de
glucides ou presque, ne faisait pas grimper sa glycémie en flèche, car notre
chasseur-cueilleur devait lui-même grimper dans les hauteurs pour y
accéder. Voilà une information que nous pouvons utiliser à bon escient : les
muscles en action n’ont pas besoin d’insuline pour valoriser les aliments
sucrés que nous consommons. Un quart d’heure avant et jusqu’à une heure
après un effort physique, on peut même s’accorder une part de gâteau sans
que la glycémie n’augmente. Il convient cependant de remplacer le beurre
par de l’huile vierge de coco et de faire l’impasse sur la crème chantilly.
En l’absence d’activité physique, mieux vaut se contenter de noix ou de
noisettes. Enfin, pour les accrocs au chocolat : plus il est noir, mieux c’est.

170
Sous cette forme, il est riche en principes actifs “anti-Alzheimer”. La même
règle est à appliquer au chocolat chaud.

Vous prendrez bien un café ?

Consommé en quantité raisonnable, le café limite aussi le déclin cognitif,


comme l’a montré l’analyse de plusieurs études de longue durée30. La
caféine a des propriétés anti-Alzheimer proches de celles de l’EGCG (thé
vert) ou de la théophylline (thé noir)31. En outre, contrairement à ce qu’on
dit souvent, le café n’est pas mauvais pour le cœur : si l’on s’en tient à trois
à cinq tasses par jour, il pourrait même protéger de certaines affections
cardiaques32. Toutefois, pour éviter une acidité excessive, mieux vaut se
contenter d’une ou deux tasses par jour. Si vous faites partie de ceux chez
qui le café, pour des raisons génétiques, entraîne une hausse importante de
la tension artérielle, vous devrez vous en passer33. Mais inutile de faire un
test génétique, vous vous en serez sûrement déjà rendu compte par vous-
même. Dans ce cas, buvez de préférence du chocolat chaud ou du thé.

1 KRUMAN, I. I. et al., “Folate deficiency inhibits proliferation of adult


hippocampal progenitors”, Neuroreport, vol. 16, 2005, p. 1055-1059 ; ZHAO, N. et
al., “Impaired hippocampal neurogenesis is involved in cognitive dysfunction
induced by thiamine deficiency at early pre-pathological lesion stage”, Neurobiol.
Dis., vol. 29, 2008, p. 176-185.
2 ORLICH, M. J. et al., “Vegetarian dietary patterns and mortality in Adventist
Health Study 2”, JAMA Intern. Med., vol. 173, 2013, p. 1230-1238,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23836264.
3 ZYLBERSTEIN, D. E. et al., “Midlife homocysteine and late-life dementia in
women. A prospective population study”, Neurobiol. Aging, vol. 32, 2011, p. 380-
386, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19342123.
4 HOOSHMAND, B. et al., “Plasma homocysteine, Alzheimer and cerebrovascular
pathology : a population-based auto-psy study”, Brain, vol. 136, 2013, p. 2707-
2716 www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23983028.
5 SHIN, J. Y. et al., “Elevated homocysteine by levodopa is detrimental to
neurogenesis in parkinsonian model”, PLoSOne, 2012,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23209759.
6 SMITH, A. D. et al., “Homocysteine-lowering by B vitamins slows the rate of
accelerated brain atrophy in mild cognitive impairment : a randomized controlled
trial”, PLoS One, 2010, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20838622.
7 CARDOSO, B. R. et al., “Importance and management of micronutrient
deficiencies in patients with Alzheimer’s disease”, Clin. Interv. Aging, 2013,

171
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23696698.
8 CONNER, T. S. et al., “Optimal serum selenium concentrations are associated
with lower depressive symptoms and negative mood among young adults”, J. Nutr.,
vol. 145, 2015, p. 59-65, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25378685.
9 SANTOS, J. R. et al., “Nutritional status, oxidative stress and dementia : the role
of selenium in Alzheimer’s disease”, Front. Aging Neurosci., 2014,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25221506.
10 RAYMAN, M. P., “The importance of selenium to human health”, The Lancet,
vol. 356, 2000, p. 233-241, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/10963212.
11 SZEWCZYK, B. et al., “The role of zinc in neurodegenerative inflammatory
pathways in depression”, Prog. Neuropsychopharmacol. Biol. Psychiatry, vol. 35,
2011, p. 693-701, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20156515.
12 BREWER, G. J., “Alzheimer’s disease causation by copper toxicity and treatment
with zinc”, Front. Aging Neurosci., 2014,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24860501.
13 ISHII, N. et al., “Low risk of male suicide and lithium in drinking water”, J.
Clin. Psychiatry, vol. 76, 2015, p. 319-326,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25700119 ; ZARSE, K. et al., “Low-dose lithium
uptake promotes longevity in humans and metazoans”, Eur. J. Nutr., vol. 50, 2011,
p. 387-389, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21301855 ; T ERAO, T., “Is lithium
potentially a trace element ?”, World J. Psychiatry, vol. 5, 2015, p. 1-3,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25815250.
14 FIORENTINI, A. et al., “Lithium improves hippocampal neurogenesis,
neuropathology and cognitive functions in APP mutant mice”, PLoS One, 2010,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21187954.
15 NUNES, M. A. et al., “Microdose lithium treatment stabilized cognitive
impairment in patients with Alzheimer’s disease”, Curr. Alzheimer Res., vol. 10,
2013, p. 104-107, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22746245.
16 GIUNTA, B. et al., “Inflammaging as a prodrome to Alzheimer’s disease”, J.
Neuroinflammation, 2008, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19014446.
17 MANDEL, S. A. et al., “Molecular mechanisms of the
neuroprotective/neurorescue action of multi-target green tea polyphenols”, Front.
Biosci., vol. 4, 2012, p. 581-598.
18 REZAI-ZADEH, K. et al., “Green tea epigallocatechin-3-gallate (EGCG) reduces
beta-amyloid mediated cognitive impairment and modulates tau pathology in
Alzheimer transgenic mice”, Brain Res., vol. 1214, 2008, p. 177-187,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18457818.
19 HYUNG, S. J. et al., “Insights into antiamyloidogenic properties of the green tea
extract (-)-epigallocatechin-3-gallate toward metal-associated amyloid-β species”,
Proc. Natl. Acad. Sci. USA, vol. 110, 2013, p. 3743-3748,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23426629.
20 WALKER, J. M. et al., “Beneficial effects of dietary EGCG and voluntary
exercise on behavior in an Alzheimer’s disease mouse model”, J. Alzheimer’s Dis.,
vol. 44, 2015, p. 561-572, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25318545.

172
21 Cf. www.test.de/Gruener-Tee-Pestizide-in-japanischem-Tee-1390145-2390145/
(29juin 2006).
22 HOFRICHTER, J. et al., “Reduced Alzheimer’s disease pathology by St. John’s
Wort treatment is independent of hyperforin and facilitated by ABCC1 and
microglia activation in mice”, Curr. Alzheimer Res., vol. 10, 2013, p. 1057-1069,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24156265.
23 GRELLE, G. et al, “Black tea theaflavins inhibit formation of toxic amyloid-ß
and α-synuclein fibrils”, Biochemistry, vol. 50, 2011, p. 10624-10636,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22054421.
24 Cf. mlr.baden-wuerttemberg.de/de/unser-service/presse-und-
oeffentlichkeitsarbeit/pressemitteilung/pid/bio-haelt-was-es-verspricht
(24 juin 2013) ; BARAŃSKI, M. et al., “Higher antioxidant and lower cadmium
concentrations and lower incidence of pesticide residues in organically grown
crops : a systematic literature review and meta-analyses”, Br. J. Nutr., vol. 112,
2014, p. 794-811, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24968103.
25 MA, Q. L. et al., “Beta-amyloid oligomers induce phosphorylation of tau and
inactivation of insulin receptor substrate via c-Jun N-terminal kinase signaling :
suppression by omega-3 fatty acids and curcumin”, J. Neurosci., vol. 29, 2009,
p. 9078-9089 ; COLE, G. M. et al., “Prevention of Alzheimer’s disease : omega-
3 fatty acid and phenolic anti-oxidant interventions”, Neurobiol. Aging, vol. 26,
suppl. 1, 2005, p. 133-136.
26 SHOBA, G. et al., “Influence of piperine on the pharmacokinetics of curcumin
in animals and human volunteers”, Planta Med., vol. 64, 1998, p. 353-356,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/9619120.
27 JIANG, X. et al., “Capsaicin ameliorates stress-induced Alzheimer’s disease-like
pathological and cognitive impairments in rats”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 35, 2013,
p. 91-105, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23340038.
28 GANGULI, M. et al., “Alcohol consumption and cognitive function in late life : a
longitudinal community study”, Neurology, vol. 65, 2005, p. 1210-1217.
29 STAMPFER, M. J. et al., “Effects of moderate alcohol consumption on cognitive
function in women”, New England Journal of Medicine, vol. 352, 2005, p. 245-
253, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15659724.
30 VAN GELDER, B. M. et al., “Coffee consumption is inversely associated with
cognitive decline in elderly European men : the FINE study”, European Journal of
Clinical Nutrition, vol. 61, 2007, p. 226-232.
31 LAURENT, C. et al., “Beneficial effects of caffeine in a transgenic model of
Alzheimer’s disease-like tau pathology”, Neurobiology of Aging, vol. 35, 2014,
p. 2079-2090 ; ARENDASH, G. W. et al., “Caffeine protects Alzheimer’s mice
against cognitive impairment and reduces brain beta-amyloid production”,
Neuroscience, vol. 142, 2006, p. 941-952.
32 MOSTOFSKY, E. et al., “Habitual coffee consumption and risk of heart failure :
a dose-response meta-analysis”, Circulation : Heart Failure, vol. 5, 2012, p. 401-
405.

173
33 P ALATINI, P. et al., “CYP1A2 genotype modifies the association between
coffee intake and the risk of hypertension”, J. Hypertens., vol. 27, 2009, p. 1594-
1601.

174
175
176
NOURRIR LE CERVEAU : POUR EN FINIR
AVEC LES MYTHES SUR LE CHOLESTÉROL

Le doute est le commencement de la sagesse.

ARISTOTE (384-322 av. J.-C.)

Le cholestérol, c’est vital

Le cholestérol est un composant essentiel de la membrane neuronale. Sans


lui, nous serions incapables de penser. Il est aussi la base de toutes les
hormones sexuelles sans lesquelles nous ne pourrions pas nous reproduire,
et le précurseur du cortisol, l’hormone du stress nécessaire à notre survie
(voir le chapitre “Pourquoi l’Alzheimer ? Une explication évolutive”,
p. 53). Le cholestérol en excès est éliminé sous forme d’acides biliaires via
le foie, les voies biliaires et l’intestin. Or, même à ce niveau, le cholestérol
a son importance, car sans acide biliaire, nous ne pourrions pas digérer
correctement les lipides et les transformer en source d’énergie.
Notre foie produit lui-même les deux grammes de cholestérol qui nous
sont nécessaires quotidiennement. Deux grammes, c’est la quantité qui se
trouve dans dix œufs de poule ou 100 g de cervelle de bœuf, très riche en
cholestérol. Il serait plutôt étrange de s’alimenter ainsi, mais si nous le
faisions, notre corps cesserait tout simplement sa production et éliminerait
l’excès de cholestérol sous forme d’acide biliaire. Le cholestérol qui
provient de notre alimentation n’a donc que peu d’incidence sur notre
métabolisme. Voilà pourquoi différentes études de grande ampleur n’ont pas
pu mettre en évidence de lien entre la quantité de cholestérol alimentaire et
le risque d’Alzheimer1.
Nous savons que le cholestérol nous est vital, et nous savons aussi qu’un
organisme en bonne santé régule très bien son métabolisme. Malgré tout,
nous ne pouvons pas nous empêcher d’y associer un risque pour la santé.
Comme pour les acides gras saturés, notre société a collé sur le cholestérol
l’étiquette “Attention, danger ! Pas touche…” – un mythe que l’industrie
agroalimentaire sait utiliser à bon escient pour ses stratégies commerciales.
Aux États-Unis, on vend même de l’eau sans cholestérol. D’ailleurs, même

177
le sucre en morceaux est exempt de cholestérol et d’acides gras saturés :
c’est donc qu’il doit être bon pour la santé !
Par principe, les produits végétaux sont toujours exempts de cholestérol.
À la place, ils contiennent des phytostérols, apparentés chimiquement au
cholestérol. Une fois dans notre appareil digestif, les phytostérols que nous
consommons en mangeant des végétaux n’y sont pratiquement pas assimilés,
mais bloquent l’absorption du cholestérol, peu importe que celui-ci
provienne d’un œuf à la coque ou qu’il soit le résultat du processus
d’élimination biliaire. En inhibant l’assimilation du cholestérol (provenant
de l’œuf) ou son éventuelle réassimilation (quand il provient de la bile), les
phytostérols font donc baisser le taux de cholestérol dans le sang, et plus
particulièrement la part qu’on qualifie de mauvais cholestérol2. A priori,
cela ressemble à un effet bénéfique. Reste à savoir comment nous en
sommes arrivés à une classification en bon et mauvais cholestérol…

Bien trop de mauvais et pas assez de bon

Le cholestérol est insoluble dans l’eau. Pour que le cholestérol produit dans
le foie puisse parvenir aux organes en passant par les vaisseaux sanguins, il
faut donc qu’il soit emballé dans des “paquets” de protéines solubles dans
l’eau. Les paquets qui sont expédiés vers le cerveau sont appelés LDL (de
l’anglais low density lipoprotein, lipoprotéines de basse densité) ; leur
contenu est qualifié de cholestérol LDL. Pour le trajet retour du cholestérol
excédentaire, notre organisme prépare des paquets HDL (high density
lipoprotein, lipoprotéines de haute densité). Quand le foie produit trop de
cholestérol et envoie trop de paquets LDL, leur contenu peut se déposer
dans les vaisseaux sanguins et être à l’origine d’une artériosclérose. Cette
surproduction (désormais entrée dans le cadre de la normalité) représente
un danger pour la santé, si bien que les LDL sont qualifiées de mauvais
cholestérol. En réalité, le meilleur paramètre pour évaluer le
développement de l’artériosclérose est la présence de LDL oxydées
(oxLDL), qui se forment dans les vaisseaux déjà endommagés en cas
d’inflammation locale. Le risque d’AVC augmente ainsi avec le taux
d’oxLDL.
En revanche, si les quantités de cholestérol rapatriées (HDL) sont
importantes, le risque d’artériosclérose diminue. Dans l’esprit de l’homme
moderne, le cholestérol HDL est donc le bon cholestérol. Et plus il y en a,
mieux c’est. L’activité physique (assimilable à du stress positif) fait par
exemple augmenter la concentration de HDL dans le sang tandis que le
stress négatif favorise les LDL (et les LDL oxydées).

178
LE POINT SUR : L’INDEX DE
L’ARTÉRIOSCLÉROSE
Pour bien faire, notre cholestérol LDL devrait être inférieur à 1 g/l ou,
mieux, à 0,70 g/l. Mais c’est une valeur statistique ! Or, en moyenne,
chez les 35-65 ans, les LDL dépassent 1,64 g/l et se trouvent donc
nettement au-delà de la valeur recommandée. Ce qui signifie que nous
produisons trop de cholestérol. Si la quantité de HDL pour le trajet
retour est insuffisante, ce “trop” ne pourra pas être évacué et la
probabilité d’être victime d’un infarctus ou de développer la maladie
d’Alzheimer va augmenter. Un taux HDL supérieur à 0,6 g/l serait à
même de faire nettement baisser ces risques3. Mais rares sont les
Européens qui atteignent ces valeurs. Chez les 35-65 ans, la moyenne se
situe en dessous de 0,4 g/l. Pour évaluer le risque de maladie, le plus
parlant est en réalité la relation entre les LDL et les HDL, soit le rapport
LDL/HDL : plus cette valeur est élevée, plus la probabilité d’être
victime d’un infarctus est grande, mais aussi celle d’être touché par la
maladie d’Alzheimer. L’objectif à atteindre est un rapport inférieur à 3.
Au-delà, le risque augmente indéniablement. Et quand on dépasse une
valeur de 5, le danger augmente même de manière radicale. En
Allemagne, chez les 35-65 ans, le rapport est en moyenne de 4,5. Dans
ce cas, comment s’étonner que plus de 40 % des habitants des nations
industrielles modernes, ainsi que l’indique l’Office fédéral statistique
allemand, meurent d’une maladie cardiovasculaire ? Quant à ceux qui
survivent grâce aux traitements modernes, la démence les guette.

En réalité, les deux systèmes de transport, LDL et HDL, sont


indispensables. D’un point de vue biologique, une catégorisation morale en
“bon” et “mauvais” est donc trompeuse. De nos jours, une sous-production
de cholestérol LDL ne survient pour ainsi dire jamais, mais sur le principe,
elle serait tout aussi mauvaise pour la santé. En outre, il ne faut pas oublier
que le cholestérol total mesuré dans le sang (c’est-à-dire la quantité de tous
les types de cholestérol dans le sang, et notamment la proportion de
cholestérol LDL et HDL) est le résultat d’une analyse réalisée en
laboratoire : il en dit plus sur nos habitudes de vie actuelles que sur notre
état de santé momentané. D’un point de vue médical, il y a plus pertinent
pour le risque d’infarctus que les taux de cholestérol dans le sang : le
cholestérol qui se trouve, le plus souvent sous sa forme chimique modifiée,

179
c’est-à-dire oxydée, sur les parois éventuellement déjà sclérosées des
vaisseaux. Cette atteinte des parois artérielles est décisive pour l’infarctus
et l’AVC, mais aussi pour une mauvaise irrigation sanguine des organes, ce
qui peut avoir un impact important sur l’hippocampe. Quand les vaisseaux
sanguins sont tapissés de cholestérol, de LDL oxydées et d’acides gras
polyinsaturés, ils s’épaississent et rétrécissent. L’approvisionnement de
l’hippocampe en énergie, en matériaux de construction et en agents de
protection est alors insuffisant. En outre, la bêta-amyloïde en excès ne peut
plus être évacuée correctement. Résultat : le risque d’Alzheimer augmente.

Les mauvais conseils

Malheureusement, notre conception technicisée de la médecine met l’accent


sur les bilans sanguins, et ceux-ci génèrent des recommandations
nutritionnelles qui conduisent justement à ce qu’on veut en réalité éviter.
Pour faire baisser un taux de cholestérol LDL élevé, on conseille ainsi
généralement une alimentation riche en acides gras polyinsaturés. Du même
coup, celle-ci est pauvre en acides gras saturés, ce qu’on juge
communément bon. Or, comme on l’a vu au chapitre “Nourrir le cerveau : le
plein d’énergie” (p. 197), l’hypothèse selon laquelle les acides gras saturés
seraient mauvais pour la santé et responsables de l’artériosclérose est
fausse : elle n’est motivée que par des intérêts économiques.
Ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que les acides gras saturés ne contribuent
pas à l’artériosclérose, alors que les acides gras polyinsaturés, eux, la
favorisent. Pour commencer, ceux-ci augmentent en effet la production de
cholestérol dans le foie4. On oublie souvent de le signaler parce qu’ils font
néanmoins baisser la quantité de cholestérol LDL dans le sang. Pour que ces
deux effets soient possibles (hausse de la production et baisse des LDL dans
le sang), il faut cependant que, sous l’action des acides gras polyinsaturés,
le cholestérol produit en sus et empaqueté dans les LDL soit efficacement
évacué du sang des tissus. Pour aller où ? Dans nos vaisseaux sanguins.
C’est en effet là qu’on le retrouve. Dans les dépôts artériosclérotiques, on
décèle ainsi toujours la présence d’assez grandes quantités de cholestérol et
d’acides gras polyinsaturés alimentaires. Nulle trace ou presque, cependant,
d’acides gras saturés5. Conclusion : avec un régime riche en acides gras
polyinsaturés, on fera sans doute baisser le taux de “mauvais cholestérol”
dans le sang (une bonne nouvelle), mais on augmentera en même temps le
taux de cholestérol dans les vaisseaux sanguins (et ça, c’est loin d’être une
bonne nouvelle). En avril 2016, la revue British Medical Journal a ainsi

180
publié les travaux d’une équipe américaine qui s’est penchée sur une
ancienne étude clinique, dont la plupart des résultats avaient été tenus
secrets. Entre 1968 et 1973, l’étude dite de Minnesota avait étudié
l’influence des acides gras polyinsaturés sur le taux de cholestérol dans le
sang et constaté que l’adoption d’un régime alimentaire à base de graisses
polyinsaturés faisait effectivement baisser le cholestérol. Toutefois, les
conclusions de l’étude n’avaient été que partiellement diffusées : pour
ménager certains intérêts économiques, on ne révéla pas que la réduction du
taux de cholestérol allait aussi de pair avec une mortalité nettement plus
élevée, notamment cardiovasculaire6. Les auteurs de la nouvelle analyse
indiquent sur ce point que “la publication incomplète a contribué à
surestimer les avantages qu’il pouvait y avoir à remplacer les graisses
saturées par des huiles végétales riches en acide linoléïque (acides gras
oméga 6)”. Autrement dit : ce qui fut jugé prioritaire à l’époque n’était pas
la vie humaine, mais les profits qu’on pouvait espérer des ventes d’huiles
végétales. Or, aujourd’hui, les choses n’ont pas vraiment changé : on
continue de vanter ces huiles riches en oméga-6 pour leur capacité à réduire
le cholestérol et l’on met en garde contre l’huile de coco, mise à l’index à
cause de ces acides gras saturés.
La conséquence de ces recommandations, ce sont de meilleures ventes
pour les huiles bon marché. Or, les acides gras oméga-6 qu’on trouve en
grandes quantités (plus de 60-75 %) dans les huiles de tournesol et de maïs
sont directement liés à l’artériosclérose et augmentent donc le risque
d’infarctus et d’AVC7. Même chose pour l’acide arachidonique (acide gras
polyinsaturé oméga-6) que contiennent les produits carnés, et notamment les
charcuteries et les produits laitiers gras. Un bilan sanguin n’est pas un
bulletin scolaire. L’important, c’est d’avoir à long terme des vaisseaux
sanguins en bonne santé.
Le rapport LDL/HDL reste cependant un indicateur valable, à condition de
le maintenir à un niveau optimal grâce à des moyens naturels. Comme le
métabolisme du cholestérol n’est pratiquement pas influencé par
l’alimentation, il nous faut trouver d’autres moyens pour revenir à des
valeurs naturelles (c’est volontairement que je n’utilise pas ici l’adjectif
“normales”, car ce qui est normal aujourd’hui est loin d’être naturel, sans
quoi nous pourrions tous nous considérer comme étant en bonne santé).
Renoncer à un œuf à la coque le matin, et donc à une précieuse source de
vitamine B12, ce n’est en tout cas pas le bon chemin. Avaler des quantités
insensées d’acides gras polyinsaturés qui pourraient même nuire à nos
vaisseaux sanguins n’en est pas une non plus. La méthode la plus efficace
est sans doute de faire croire à notre métabolisme que nous menons toujours

181
une vie de chasseur-cueilleur. Et ce n’est pas si difficile. Vous avez peut-
être déjà commencé à mettre en pratique les conseils des chapitres
précédents. Si ce n’est pas encore le cas, voici une ordonnance
en 14 points, en guise de récapitulatif et de motivation pour changer vos
habitudes.
Si ces mesures s’avèrent insuffisantes et n’entraînent pas d’amélioration
du métabolisme du cholestérol, il faut songer à l’éventualité d’une origine
génétique rare. Dans ce cas, et seulement dans ce cas, il est conseillé de
recourir à un traitement médicamenteux sous la surveillance d’un médecin.
On peut cependant aussi utiliser un produit naturel : à travers différents
mécanismes, l’extrait de bergamote agit de manière positive sur le
métabolisme du cholestérol. Les polyphénols qu’il contient sont d’ailleurs
aussi ce qui donne de la couleur à tous les fruits et légumes – une bonne
raison de mettre de la couleur (naturelle) dans nos assiettes. Une étude
clinique bien contrôlée a montré qu’au bout de seulement 30 jours, l’extrait
de bergamote faisait baisser le cholestérol LDL de 39 % et augmentait le
cholestérol HDL de 41 %8.
Les préparations pharmaceutiques à base de statine généralement
prescrites pour lutter contre l’hypercholestérolémie peuvent être
considérablement réduites si l’on recourt en plus à l’extrait de bergamote,
ainsi que l’a montré une autre étude9. Demandez conseil à votre médecin.
Comme tous les agrumes, la bergamote peut déclencher des réactions
allergiques chez les sujets sensibles. Dans ce cas, utilisez de la levure de
riz rouge, également connue pour faire baisser le taux de cholestérol LDL10.
La quantité de DHA recommandée pendant les six mois de traitement intensif
(jusqu’à deux grammes) sera cependant peut-être suffisante pour améliorer
le métabolisme du cholestérol et des lipides.

1 ENGELHART, M. J. et al., “Diet and risk of dementia : Does fat matter ? The
Rotterdam Study”, Neurology, vol. 59, 2002, p. 1915-1921 ; T AN, Z. S. et al.,
“Plasma total cholesterol level as a risk factor for Alzheimer’s disease : the
Framingham Study”, Arch. Intern. Med., vol. 163, 2003, p. 1053-1057.
2 OSTLUND, R. E., Jr, et al., “Inhibition of cholesterol absorption by phytosterol-
replete wheat germ compared with phytosterol-depleted wheat germ”, Am. J. Clin.
Nutr., vol. 77, 2003, p. 1385-1389.
3 REITZ, C. et al., “Association of higher levels of high-density lipoprotein
cholesterol in elderly individuals and lower risk of late-onset Alzheimer’s disease”,
Arch. Neurol., vol. 67, 2010, p. 1491-1497.

182
4 JONES, P. J., “Regulation of cholesterol biosynthesis by diet in humans”, Am. J.
Clin. Nutr., vol. 66, 1997, p. 438-446.
5 FELTON, C. V. et al., “Dietary polyunsaturated fatty acids and composition of
human aortic plaques”, Lancet, vol. 344, 1994, p. 1195-1196.
6 RAMSDEN, C. E. et al., “Re-evaluation of the traditional diet-heart hypothesis :
analysis of recovered data from Minnesota Coronary Experiment (1968-1973)”,
BMJ, 2016, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27071971.
7 HODGSON, J. M. et al., “Can linoleic acid contribute to coronary artery
disease ?”, Am. J. Clin. Nutr., vol. 58, 1993, p. 228-234.
8 MOLLACE, V. et al., “Hypolipemic and hypoglycaemic activity of bergamot
polyphenols : from animal models to human studies”, Fitoterapia, vol. 82, 2011,
p. 303-316, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21056640.
9 GLIOZZI, M. et al., “Bergamot polyphenolic fraction enhances rosuvastatin-
induced effect on LDL-cholesterol, LOX-1 expression and protein kinase B
phosphorylation in patients with hyperlipidemia”, Int. J. Cardiol., vol. 170, 2013,
p. 140-145, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24239156.
10 “Gesundheitsverträgliche Zusatzstoffe”, www.umwelt-journal.de/KAT-
nachrichten/kat32gesundheit3.php, 6.11.2011.
11. MA, Y. et al., “Association between carbohydrate intake and serum lipids”, J.
Am. Coll. Nutr., vol. 25, 2006, p. 155-163.
12. WEINGÄRTNER, O., “Margarine : Cholesterin gesenkt – Infarkt verhindert ?”,
Deutsche Herzstiftung, 2010,
www.herzstiftung.de/pdf/zeitschriften/HH3_10_Margarine.pdf.

183
184
185
186
INTERMÈDE : RÉJOUISSEZ-VOUS
DES EFFETS SECONDAIRES

C’est l’esprit qui se construit son corps.

FRIEDRICH SCHILLER (1759-1805)

Des changements perceptibles

Ce court chapitre est là pour vous motiver – grâce aux effets secondaires.
D’habitude, ce terme est associé à un catalogue d’effets néfastes qui
accompagnent un traitement, et notamment ceux qu’on prescrit à un malade
atteint d’Alzheimer. Les ordonnances de ce livre, en revanche, génèrent très
rapidement des effets secondaires bénéfiques. Dès lors que votre
comportement sera adapté à notre espèce et donc aux exigences de
l’hippocampe, vous verrez vos capacités cognitives augmenter et se
maintenir à long terme. Au chapitre précédent, j’ai déjà abordé l’un de ces
“effets désirables” qui découle naturellement des mesures proposées,
notamment sur le plan alimentaire : l’optimisation du métabolisme du
cholestérol. Dans ce chapitre, j’aborderai trois autres effets :
• la réduction du tour de taille, qui entraîne notamment à son tour
• une normalisation de la régulation de la glycémie et
• une normalisation de la tension.

Vous pourrez ainsi puiser dans ce chapitre un regain de motivation et


vérifier en outre que vous mettez correctement en pratique les mesures
thérapeutiques exposées.

De l’inutilité de la bedaine

Pendant longtemps, la science a cru que nos tissus adipeux n’étaient qu’une
réserve passive d’énergie. Aujourd’hui, on sait qu’ils produisent des
douzaines d’hormones et de messagers chimiques qui ont un rôle régulateur
dans la majorité des processus physiologiques visant à maintenir nos
performances. Il y a là une certaine logique : qui peut savoir mieux que les

187
entrepôts eux-mêmes si les réserves d’énergie sont suffisantes pour
permettre par exemple la production de nouveaux neurones ou s’il est au
contraire temps de trouver de la nourriture pour ne pas mourir de faim ?
Comme on l’a vu précédemment, la graisse abdominale et viscérale est une
glande très active.
La fonction glandulaire du tissu adipeux est apparue au cours d’une
longue période de notre évolution, à une époque où la nourriture était
disponible en quantité suffisante, mais pas en surabondance. La situation a
radicalement changé aujourd’hui, du moins dans les pays industrialisés (et
même dans les pays émergents où le taux d’augmentation d’Alzheimer peut
désormais atteindre jusqu’à 300 %). À la suite d’un surplus énergétique
(combiné à un manque d’activité physique), le tissu adipeux enfle au niveau
de l’abdomen en formant une sorte de goitre, y compris chez les enfants et
les adolescents. Il envoie alors de mauvais signaux au reste du corps ou
bien ces signaux ne sont plus interprétés correctement. Ce
dysfonctionnement hormonal entraîne à long terme une relation
proportionnellement inverse entre le volume du cerveau et la graisse
viscérale, localisée au niveau du bas-ventre1.
Il y a une explication très simple à ce phénomène : les cellules
graisseuses de l’abdomen produisent deux hormones, la leptine et
l’adiponectine, qui stimulent la neurogenèse dans l’hippocampe quand tout
est rose pour nous d’un point de vue calorique. Dans un premier temps, on
pourrait donc supposer naïvement que plus il y a de graisse dans le ventre,
plus il y a d’énergie, et donc de cerveau. Seulement voilà : la leptine perd
son effet au fur à mesure que le tour de taille augmente. Comme le tissu
adipeux en excès en produit constamment trop, le cerveau développe une
résistance à cette hormone. Quant à l’adiponectine, sa production diminue
avec l’augmentation du tour de taille (ou plutôt avec le remplissage des
cellules graisseuses). Du coup, cette hormone ne permettra pas non plus
d’activer suffisamment la neurogenèse. En outre, dès lors qu’elles sont mal
régulées à cause d’un tour de taille excessif, toutes les hormones du tissu
adipeux (et elles sont nombreuses) ont en commun de contribuer à des
troubles du métabolisme de la bêta-amyloïde et à une résistance neuronale à
l’insuline dans l’hippocampe. Elles favorisent aussi le développement d’un
diabète de type 2, l’hypertension et l’artériosclérose. En conséquence de ce
syndrome métabolique, qu’on pourrait qualifier de “quatuor fatal” (obésité
abdominale, hypertension, troubles du bilan lipidique et diabète de type 2),
le risque d’Alzheimer se trouve multiplié par 2,52.
L’obésité abdominale favorise donc le développement de la démence, et
ce, que le sujet soit un homme ou une femme. Une étude suédoise portant sur

188
des jumeaux a montré qu’à un âge avancé, les sujets qui étaient en surpoids
à l’âge adulte perdaient plus rapidement leurs capacités cognitives. De plus,
elle a révélé que la graisse abdominale nuisait déjà de manière très précoce
à la santé mentale3. La bedaine qui résulte de nos habitudes culturelles
contribue ainsi au développement de la maladie d’Alzheimer.
Il faut cependant savoir que l’autre extrême, l’anorexie, perturbe aussi la
neurogenèse, puisque les cellules graisseuses affamées sont alors
incapables de produire suffisamment de leptine. L’idéal serait donc un
indice de masse grasse moyen, tel qu’il devait être courant chez le chasseur-
cueilleur, assez mince. Inutile cependant de s’affoler et d’entamer un régime
pour y parvenir. En appliquant les conseils destinés au bien-être de
l’hippocampe, vous vous rapprochez lentement, mais sûrement de cet idéal.
Ainsi Sarah Jones et Ben Miller ont-ils perdu du poids au cours du
traitement, sans rien faire d’autre que de se conformer à l’hygiène de vie
recommandée. Même chose pour d’éventuels troubles du métabolisme des
glucides. Une fois notre comportement et nos habitudes alimentaires
modifiés, il devrait se normaliser de lui-même.

Moins de sucre dans le sang

Pendant des décennies, on a proclamé comme saine une alimentation pauvre


en lipides. La conséquence logique de cette norme, c’est une alimentation
qui comprend une proportion élevée de glucides, puisqu’il faut bien que
l’énergie vienne de quelque part. Pour notre organisme, cependant, cette
situation est loin d’être naturelle. L’homme de l’âge de pierre n’accédait
que rarement à des aliments très sucrés et le miel n’était sans doute qu’un
plaisir très occasionnel. Pour nous, au contraire, le sucre (que nous
consommons en mangeant des biscuits, du chocolat au lait et quantité
d’autres friandises) est toujours à portée de main. Il semble même que nous
ayons sans cesse besoin de ces récompenses.
Ce besoin, c’est nous qui l’avons créé : chaque fois que nous mangeons
quelque chose qui fait grimper notre glycémie, notre organisme, pour éviter
une hyperglycémie nocive, libère en miroir de l’insuline, et celle-ci va faire
baisser le taux de sucre dans le sang. Sans la sécurité que constitue
l’insuline, tous les neurones (hormis ceux de l’hippocampe) absorbent le
sucre sans restriction. En cas de glycémie élevée, comme le sucre lie une
grande quantité d’eau, ils se mettent à gonfler, ce qui peut entraîner un coma
diabétique et même un œdème cérébral mortel. Le rôle de l’insuline est
donc de nous protéger. Grâce à elle, le sucre en excès va être transformé en
réserves lipidiques et stocké dans les cellules graisseuses pour la prochaine

189
disette. Cependant, quand l’action de l’insuline est excessive, la glycémie
passe en deçà du niveau normal et, automatiquement, nous ressentons alors
une “grosse fringale” – d’autant plus que notre corps, à cause de l’insuline,
ne peut pas passer en mode “brûlage des graisses” et “production de corps
cétoniques”.
Les hauts et les bas de la glycémie permettent d’expliquer le paradoxe
qu’on observe aux États-Unis : depuis que les Américains mangent moins
gras parce qu’une campagne publicitaire insensée les a convaincus que les
acides gras étaient mauvais pour la santé, leur tour de taille ne cesse
d’augmenter. Cette bedaine de plus en plus imposante va de pair avec des
troubles de la régulation des hormones de la graisse abdominale. Avec des
pics glycémiques répétés et la flambée de l’insuline qui y est associée, on
arrive à long terme à une résistance à l’insuline. Pour les cellules, il s’agit
certainement d’un mécanisme de protection visant à réduire le prochain
afflux de sucre. Résultat : le taux d’insuline a beau être élevé, la glycémie
ne baisse pas. Comme un verre de Coca-Cola renversé colle à la table et au
sol, le sucre qui est dans le sang colle alors à toutes les surfaces avec
lesquelles il entre en contact : les parois des vaisseaux sanguins et les
cellules du cerveau. Notre système immunitaire considère ces surfaces
sucrées et collantes comme des corps étrangers qu’il s’agit de combattre –
une méprise qui entraîne une inflammation chronique de presque tous les
organes, cerveau compris. Ce sucre collant favorise en outre l’agrégation de
la bêta-amyloïde qui devient ainsi toxique4. Par ailleurs, les facteurs de
croissance sécrétés pour la neurogenèse dans l’hippocampe, aussi bien par
l’abdomen obèse que par le cerveau, sont alors moins efficaces. Tous
ensemble, ces paramètres conduisent à long terme à une démence vasculaire
ou hippocampique, c’est-à-dire à des AVC ou à la maladie d’Alzheimer, et
le plus souvent aux deux.
Pour comprendre les mécanismes moléculaires par lesquels les boissons
sucrées peuvent conduire à l’Alzheimer, des scientifiques ont mené une
expérience sur deux groupes de souris dont le génome avait été modifié
pour développer la maladie : dans l’un des groupes, on a ajouté à
l’alimentation habituelle de l’eau pure, et dans l’autre une solution sucrée
à 10 %5. C’est à peu près la concentration en sucre du Coca-Cola ou du jus
de pomme. Au bout de six mois (ce qui, rapporté à l’échelle de la vie
humaine, correspondrait environ à une vingtaine d’années), les souris qui
avaient consommé la boisson sucrée ont développé les problèmes que l’on
observe aussi chez les humains : diabète de type 2, obésité et troubles du
métabolisme du cholestérol. Quand nous réunissons tous ces facteurs,
souvent additionnés d’une hypertension (mais le protocole de l’expérience

190
ne prévoyait malheureusement pas d’observer la tension des souris), notre
risque de développer un Alzheimer se trouve multiplié par six6. Chez les
souris, les troubles métaboliques uniquement attribuables à la boisson
sucrée ont entraîné une formation accrue de bêta-amyloïde toxique
(quasiment multipliée par trois), avec des préjudices considérables sur la
mémoire. Devant la consommation mondiale extrêmement élevée de
boissons sucrées, les chercheurs responsables de l’étude en ont conclu que
“le contrôle de la consommation de boissons enrichies en sucre serait un
bon moyen d’endiguer le risque d’Alzheimer”.

Une bonne circulation sanguine

En plus de dommages chroniques sur les vaisseaux (artériosclérose),


nombre des carences qui caractérisent notre mode de vie entraînent aussi
une hypertension, ces deux conséquences se renforçant l’une l’autre. En
favorisant des AVC de plus ou moins grande ampleur, l’artériosclérose est à
son tour à l’origine de la démence vasculaire. De plus, à cause des troubles
de la circulation liés à l’artériosclérose, la bêta-amyloïde en surplus n’est
qu’insuffisamment évacuée : elle s’accumule dans le cerveau et devient
toxique. On ne s’étonnera donc pas de constater que l’hypertension va de
pair avec l’augmentation du risque d’Alzheimer7. Voilà pour la mauvaise
nouvelle. Par chance, il y en a aussi une bonne : quand on élimine les
carences à l’origine de la maladie d’Alzheimer, on protège aussi ses
vaisseaux sanguins. Et on évite que l’hippocampe ne soit mal approvisionné
en oxygène, en énergie, en matériaux de construction et en agents de
protection.
Mais comment l’artériosclérose ou les troubles de la tension surviennent-
ils ? On l’a vu au point précédent : l’hyperglycémie est un premier facteur.
La hausse de l’homocystéine (voir le chapitre “Nourrir le cerveau : les
agents de protection”, p. 215) peut aussi contribuer à la mauvaise santé des
vaisseaux. Songeons aussi à une perturbation du métabolisme du cholestérol
qui, comme on l’a expliqué dans le chapitre précédent, est à l’origine de
dépôts dans les vaisseaux sanguins (dès lors plus étroits) ainsi que d’une
perte d’élasticité. Ces troubles risquent donc d’entraîner une obturation des
vaisseaux (infarctus). En outre, ils engendrent une hypertension.
Inversement, l’hypertension peut aussi être elle-même à l’origine de
l’artériosclérose. Parmi les autres causes de vasoconstriction susceptibles
d’entraîner à leur tour l’hypertension, nous pouvons aussi mentionner le
stress chronique (adrénaline), la cigarette (nicotine) et une consommation

191
excessive d’alcool. L’obésité est également responsable d’hypertension,
surtout – vous vous en douterez – si elle est localisée au niveau de
l’abdomen.
Notre mode de vie moderne a pour conséquence une hypertension néfaste
pour la santé, et de plus en plus de gens suivent donc un traitement
médicamenteux pour la réguler. Mais quel est l’objectif que nous voulons
atteindre ? Une étude récente a montré qu’une pression artérielle de
135 mmHg (systole) sur 80 mmHg (diastole) était idéale pour le maintien
des capacités cognitives à un âge avancé (après 65 ans)8. Or, une valeur
systolique supérieure à 120 mmHg est souvent considérée comme une
légère hypertension. Les résultats de cette étude sont pourtant en accord
avec de nouveaux examens réalisés sur 86 personnes de plus de 100 ans.
Ceux-ci ont montré qu’une pression artérielle de 140 mmHg sur 90 mmHg
offrait les meilleures chances de longévité9.
Le dosage médicamenteux ne devrait donc pas viser à tout prix une
pression artérielle de 120 mmHg sur 80 mmHg. En outre, on peut supposer
qu’avec des habitudes de vie plus saines, l’hypertension s’améliorerait de
toute façon. A-t-on alors vraiment besoin de ces médicaments ? Ce qui vaut
pour tous les facteurs de risque corrigibles qui sont à l’origine de
l’Alzheimer ou de la démence vasculaire vaut en effet aussi pour la
tension : nous avons les clefs pour la réguler ! Un entraînement d’intensité
moyenne, c’est-à-dire une activité physique pendant laquelle on peut
continuer de dialoguer sans effort, réduit l’hypertension et donc le risque de
démence10. Et pour réguler notre tension, régulons aussi notre stress : notre
sentiment général de bien-être n’en sera que meilleur.

LE POINT SUR : LES “BONUS” DE VOTRE


NOUVEAU MODE DE VIE
• Réduction de la masse grasse, notamment au niveau de l’abdomen.
Des balances spéciales permettent de la mesurer. Autre possibilité,
moins précise, mais suffisante : empoignez la graisse du ventre pour en
juger la masse ou essayez de temps à autre de serrer votre ceinture d’un
cran en plus.
• Normalisation de la glycémie. Dans cette perspective, faites
surveiller l’hémoglobine glyquée. HbA1c indique la proportion de la
molécule d’hémoglobine (transporteur de l’oxygène) sur laquelle est
fixé du glucose en cas de troubles de la régulation glycémique. Sa
valeur devrait passer en dessous de 5,5 mmol/l.

192
• Amélioration probable de l’hypertension. Les patients traités pour
ce problème pourront donc éventuellement réduire, voire arrêter la prise
d’antihypertenseurs. Un contrôle régulier et sérieux par le médecin
traitant est cependant indispensable. Si, contre toute attente, les mesures
mises en œuvre pour une meilleure hygiène de vie ne devaient pas avoir
les effets escomptés, le traitement médicamenteux devra être poursuivi.

1 DEBETTE, S. et al., “Visceral fat is associated with lower brain volume in healthy
middle-aged adults”, Ann. Neurol., vol. 68, 2010, p. 136-144.
2 VANHANEN, M. et al., “Association of metabolic syndrome with Alzheimer’s
disease : a population-based study”, Neurology, vol. 67, 2006, p. 843-847.
3 HASSING, L. B. et al., “Overweight in midlife and risk of dementia : a 40-year
follow-up study”, Int. J. Obes., vol. 33, 2009, p. 893-898 ; XU, W. L. et al.,
“Midlife overweight and obesity increase late-life dementia risk : a population-based
twin study”, Neurology, vol. 76, 2011, p. 1568-1574.
4 FAWVER, J. N. et al., “Amyloid-β metabolite sensing : bio-chemical linking of
glycation modification and misfolding”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 30, 2012, p. 63-
73.
5 CAO, D. et al., “Intake of sucrose-sweetened water induces insulin resistance and
exacerbates memory deficits and amyloidosis in a transgenic mouse model of
Alzheimer’s disease”, J. Biol. Chem., vol. 282, 2007, p. 36275-36282.
6 KIVIPELTO, M. et al., “Risk score for the prediction of dementia risk in 20 years
among middle aged people : a longitudinal, population-based study”, art. cité.
7 HUGHES, T. M. et al., “Review of « the potential role of arterial stiffness in the
pathogenesis of Alzheimer’s disease »”, Neurodegener. Dis. Manag., vol. 5, 2015,
p. 121-135, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25894876.
8 LIU, H. et al., “Optimal blood pressure for cognitive function : findings from an
elderly African-American cohort study”, J. Am. Geriatr. Soc., vol. 61, 2013,
p. 875-881, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23647314.
9 SZEWIECZEK, J. et al., “Mildly elevated blood pressure is a marker for better
health status in Polish centenarians”, Age, 2015,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25637333.
10 SKOOG, I. et al., “15-year longitudinal study of blood pressure and dementia”,
Lancet, vol. 347, 1996, p. 1141-1145.

193
194
PRENDRE DU TEMPS POUR LES CÂLINS

Le pardon fait de nous des conquérants,


La tendresse fait de nous des vainqueurs.

ANONYME

L’amour, plus qu’un sentiment

Pour notre santé mentale, amour, sexe et tendresse sont tout au long de la vie
des sujets de première importance. Et quand il s’agit de définir le sens de
notre existence d’un point de vue évolutif, ils revêtent aussi un caractère
majeur. Pour l’évolution, le but de notre vie est la reproduction, c’est-à-dire
la transmission de notre patrimoine génétique. Or, nous ne nous
reproduisons pas comme les bactéries ou les champignons unicellulaires
que sont les levures : plutôt que de nous diviser, nous unissons la moitié de
notre génome à la moitié du génome d’une personne de l’autre sexe. Et un
grand nombre d’hormones influencent ce processus, tant sur le plan
physiologique que psychologique.
L’hypothèse de la grand-mère nous montre que le succès de la
reproduction ne peut être considéré comme assuré que quand nous aidons
nos propres enfants à remplir eux aussi avec succès leur rôle biologique.
Autrement dit, notre succès évolutif pourrait se mesurer au nombre de
petits-enfants adultes que nous avons. Une relation stable entre les deux
parents augmente les chances de reproduction des enfants. Ce lien qu’on
appelle amour et qui s’établit entre les parents, mais aussi entre les parents
et les enfants, se fonde sur le souvenir émotionnel. On ne s’étonnera donc
pas d’apprendre que toutes les hormones qui, physiquement, jouent un rôle
important dans la reproduction, ont aussi pour effet d’augmenter le plaisir
d’être ensemble. À court terme, ce sont elles qui sont à l’origine du plaisir
que nous éprouvons à pratiquer l’acte sexuel. C’est d’ailleurs parce que
nous y prenons du plaisir que nous y revenons souvent, ce qui augmente nos
chances de nous reproduire. Mais à long terme aussi, ces hormones sont
décisives pour notre bien-être mental : elles stimulent la neurogenèse dans
l’hippocampe et, grâce à elles, notre mémoire émotionnelle est
fonctionnelle pour des relations durables qui nous sont vitales.

195
L’ocytocine, par exemple, est une hormone qui intervient au moment de
l’accouchement en régulant les contractions. Elle réduit le stress de la mère,
fait baisser sa tension et accélère la cicatrisation après l’accouchement. En
stimulant la neurogenèse dans l’hippocampe, l’ocytocine permet à la future
mère d’établir avec son enfant une relation émotionnelle intime, qui dure
généralement toute la vie. L’ocytocine est l’hormone de la sollicitude. Mais
c’est aussi l’hormone des câlins et du couple : quand il y a intimité physique
et contacts, elle entraîne chez les deux partenaires une activation de la
neurogenèse qui favorise un lien émotionnel durable. L’ocytocine est aussi à
l’origine du lien particulier qui unit l’animal domestiqué à l’homme1. Le
regard qu’un chien fidèle adresse à son maître déclenche ainsi chez ce
dernier une hausse de la production d’ocytocine2. Ce phénomène stimule la
neurogenèse et réduit donc la sensation de stress. On est alors à nouveau
prêt à s’ouvrir à la nouveauté.
La prolactine, autre hormone produite par l’hypophyse, prépare les
glandes mammaires de la femme enceinte à l’allaitement et assure
l’écoulement du lait quand le bébé tète. Mais elle joue aussi un rôle au
cours de l’acte sexuel. Aussitôt après l’orgasme, elle agit comme une
hormone antistress et entraîne un besoin de sommeil qui favorise le
processus de fécondation. Au-delà de ces mécanismes physiologiques, la
prolactine resserre aussi le lien psychique en stimulant la neurogenèse dans
l’hippocampe, ce qui crée de l’espace pour des souvenirs durables3.
Bien que les relations corporelles intimes soient décisives pour notre
santé psychique, les séniors sont plutôt considérés dans nos sociétés comme
des êtres asexués. En étudiant les habitudes d’hommes et de femmes mariés
d’un âge déjà avancé, des chercheurs de la faculté de médecine de Rostock
et de la Queen Mary University de Londres ont constaté que cette vision
était complètement faussée4. Le Dr Britta Müller résume ainsi l’une des
conclusions de l’étude : “À 74 ans, 91 % des hommes et 81 % des femmes
déclaraient que la tendresse jouait un rôle important dans leur couple.” Et
d’expliquer : “À travers les caresses, les câlins, les cajoleries, et même la
forme ritualisée du baiser échangé le matin ou le soir, ou encore en se tenant
la main quand ils se promènent, nombre de couples âgés cherchent à
répondre à un besoin grandissant de s’assurer de la présence physique de
l’autre5.” À cet âge, la sexualité ne joue plus un rôle significatif que chez
21 % des femmes. Et si les hommes sont encore 61 % à y porter de l’intérêt,
l’étude menée a néanmoins mis en évidence que le sexe était aussi peu
déterminant pour la satisfaction du couple que le niveau de formation, l’état

196
de santé ou l’ancienneté de la relation. Seule la tendresse constitue sur ce
point un critère pertinent.
À Okinawa, au sein de la population d’origine, le grand âge est fréquent,
comme on l’a vu, mais pas la maladie d’Alzheimer. On y pratique encore
une coutume appelée ayakaru, selon laquelle toucher les séniors serait
bénéfique : un peu du bonheur et de la force du plus âgé est alors transmis
au plus jeune. Et par ici l’ocytocine !

Ocytocine et œstrogènes

Les femmes sont presque deux fois plus touchées par l’Alzheimer que les
hommes. Si l’espérance de vie des deux sexes se rapproche de plus en plus,
à l’heure actuelle, les femmes vivent quand même cinq ans de plus que les
hommes – autant de temps supplémentaire pour développer la maladie.
Mais cela ne suffit pas à justifier l’inégalité des sexes face à l’Alzheimer,
car même si l’on exclut du calcul ces années supplémentaires, le nombre de
femmes malades est toujours plus élevé que celui d’hommes atteints. Une
autre différence entre les deux sexes nous fournit peut-être une explication :
les femmes atteignent relativement tôt l’âge de la ménopause, après quoi
elles ne produisent presque plus d’hormones sexuelles femelles (œstrogène
et progestérone). Chez les hommes, en comparaison, la production des
hormones sexuelles mâles (androgène) ne diminue que progressivement. Or,
cet arrêt de la production des hormones sexuelles chez la femme (et petit à
petit chez l’homme) n’est pas sans conséquences : pour chacune des trois
hormones qu’on vient de citer, plusieurs effets protecteurs contre
l’Alzheimer ont pu être mis en évidence6. En résumé, ces hormones limitent
la formation de bêta-amyloïde toxique et protègent les neurones de l’effet de
la bêta-amyloïde déjà agrégée. En outre, elles améliorent la neurogenèse
dans l’hippocampe7.
Mais comment ce tarissement naturel des hormones sexuelles chargées de
protéger le cerveau peut-il coexister avec l’hypothèse de la grand-mère –
grâce à laquelle notre longévité (combinée à notre santé mentale) a pu se
développer ? D’autant plus que jusqu’au milieu du siècle dernier, il
n’existait aucune thérapie de substitution hormonale.
Deux hypothèses me semblent ici intéressantes. La première, c’est que
cette carence hormonale a pu autrefois être compensée par le maintien
d’autres paramètres essentiels à notre bonne santé. La femme vieillissante
était par exemple intégrée dans sa tribu. Au sein d’une famille élargie, elle
occupait en tant qu’aïeule un rôle important pour les interactions sociales du

197
groupe. Jusqu’à la fin de sa vie, elle pouvait s’engager pour le bien-être de
ses descendants. On avait besoin d’elle et elle entretenait des liens étroits
avec ses enfants et ses petits-enfants. Résultat : son hypophyse produisait
quotidiennement de l’ocytocine, dont l’effet protecteur sur le cerveau est
avéré. Dans ces conditions, on peut imaginer que le manque d’hormones
sexuelles n’avait que peu de poids. À l’inverse, de nos jours, la solitude et
le sentiment d’inutilité fréquents chez les personnes âgées entraînent des
troubles de la neurogenèse8. Les conséquences dramatiques pour notre santé
mentale ont été décrites dans la première partie du livre, aux chapitres
“Pourquoi l’Alzheimer ? Une explication évolutive” et “Des carences qui
nous rendent malades”.
En observant la probabilité des deux sexes de développer la maladie, on
constate que par rapport aux hommes du même âge, le risque relatif des
femmes n’augmente qu’à partir de 80 ans (avant cet âge, ce sont d’ailleurs
les hommes qui ont la plus forte probabilité de tomber malades)9. S’agit-il
vraiment d’un effet à retardement de la ménopause ? On pourrait ici avancer
une autre explication : en moyenne, les femmes de cet âge vivent seules
depuis déjà huit à neuf ans (le calcul se basant sur leurs cinq années de vie
supplémentaires et le fait qu’elles ont en moyenne environ quatre ans de
moins que leur partenaire). Or, la solitude compte parmi les situations les
plus stressantes. Et quand elle survient à cet âge avancé, elle est souvent
brutale et définitive. En outre, les femmes s’occupent deux fois plus souvent
que les hommes de leur partenaire malade (ce qui s’explique notamment par
la différence d’âge au sein du couple, l’homme étant du coup touché avant la
femme par la maladie d’Alzheimer). Cette charge supplémentaire multiplie
par quatre le risque des femmes d’être touchées à leur tour par la maladie10.
Voilà encore un facteur qui pourrait contribuer à la différence de risque
selon le sexe.
La plus forte prévalence de la maladie d’Alzheimer chez les femmes de
plus de 80 ans pourrait aussi s’expliquer par le rôle inférieur que beaucoup
d’entre elles ont longtemps joué ou jouent encore dans nos sociétés, y
compris les plus progressistes. N’oublions pas que la maladie d’Alzheimer
se développe sur plusieurs décennies : ceux qui sont touchés aujourd’hui
sont nés pendant la Seconde Guerre mondiale ou juste après. Les petites
filles qui ont vu le jour au cours de cette période ont souvent grandi sans
père ou dans la peur de ne jamais le voir revenir. C’est aussi une époque où
la dureté régnait en maîtresse. Dans ces conditions, il n’est pas difficile
d’imaginer un manque d’ocytocine combiné à un fort taux de cortisol. Les
femmes sont-elles davantage touchées par la maladie parce que la

198
production d’hormones sexuelles cesse avec la ménopause ou la cause
serait-elle plutôt à chercher dans une carence en ocytocine (ou un excès de
cortisol, dont la sécrétion n’est pas suffisamment atténuée dans ces
conditions) ?
Si ma première hypothèse se fondait sur des critères d’environnement
social et affectif, la deuxième, quant à elle, est d’ordre alimentaire :
autrefois, en cueillant des végétaux en pleine nature, les humains devaient
disposer de sources d’hormones proches des œstrogènes et de la
progestérone (précurseur de la testostérone, dont sont aussi dérivés certains
œstrogènes) bien plus variées qu’aujourd’hui. Il faut s’imaginer qu’en
termes de substances actives, l’alimentation du chasseur-cueilleur, à base
de plantes sauvages, était beaucoup plus riche que la nôtre, qui se limite
aujourd’hui à des plantes le plus souvent cultivées pour le meilleur
rendement. De nombreux végétaux produisent des substances assimilables à
nos hormones sexuelles. Une fois consommées, elles peuvent avoir des
effets similaires à ceux de nos hormones corporelles. Si la diversité
alimentaire est si cruciale, c’est donc sans doute aussi pour que nous
consommions le plus possible d’hormones différentes. Parmi les sources de
phyto-œstrogènes, citons le trèfle des prés, les graines de lin, les feuilles de
framboisier ou l’igname (également riche en un précurseur de la
progestérone). Les produits à base de soja renferment également certains
phyto-œstrogènes en grandes quantités. Sur ce point, il se pourrait
cependant qu’une alimentation finalement souvent peu variée et riche en
produits à base de soja ait des effets négatifs sur notre santé. À l’heure
actuelle, les données disponibles ne permettent pas de formuler de jugement
catégorique11.
Dans cette situation, le mieux me semblerait de mettre en place un
traitement hormonal substitutif à base de substances actives bio-identiques,
bien évidemment sous la surveillance d’un médecin. Et seulement à
certaines conditions. Le professeur Bredesen, par exemple, avait
recommandé à Sarah Jones de reprendre sous contrôle gynécologique le
traitement hormonal substitutif médicamenteux qu’elle avait arrêté dix ans
auparavant. Dans les ouvrages scientifiques, les avis divergent cependant
quant à l’efficacité de la reprise du traitement après une si longue pause. De
la même manière, débuter un traitement substitutif à base d’œstrogènes et de
progestérone plusieurs années après la ménopause ne sera pas forcément
utile. On sait en effet que le corps féminin désactive les récepteurs de ces
hormones ou les régule différemment s’ils n’ont pas été actifs pendant une
durée prolongée. Cela pourrait expliquer pourquoi le risque d’Alzheimer
augmente même quand on commence tardivement un traitement combiné12.

199
À en juger par les études les plus récentes, un traitement hormonal
substitutif ne peut faire baisser le risque d’Alzheimer que s’il est commencé
rapidement après la ménopause et maintenu dans la durée13.
À 55 ans, la plus jeune des patientes du professeur Bredesen pourrait,
grâce au traitement hormonal substitutif qu’elle avait commencé, avoir
profité de ce que les experts appellent en anglais “window of
possibilities”, un intervalle de temps pendant lequel la plasticité cérébrale
est particulièrement grande. Souffrant déjà depuis quatre ans de troubles de
la mémoire, elle était arrivée au stade trois de la maladie d’Alzheimer. Et
d’après le compte rendu du professeur Bredesen, elle aussi a pu être guérie.
Mais comme les autres participants, elle a suivi le programme combiné de
douze mesures visant à pallier ses carences individuelles. Par conséquent,
on ne peut pas imputer à une seule modification le résultat global positif.
Des études récentes, menées cependant sur des patientes ne profitant pas
d’un ensemble systémique de mesures combinées, ont montré qu’un
traitement hormonal pouvait être judicieux. Mais comment savoir si le
traitement hormonal était véritablement utile ou plutôt superflu chez la
troisième patiente du professeur Bredesen, dont la guérison pourrait tout
aussi bien être imputée aux autres mesures thérapeutiques ? À vous donc de
décider avec votre gynécologue de ce que vous jugez le mieux adapté à
votre cas.
L’important est de savoir que les études sont unanimes pour dire qu’un
traitement hormonal substitutif de longue durée chez la femme est efficace à
condition de commencer la prise d’hormones bio-identiques aussitôt après
la ménopause et de simuler un cycle naturel en limitant la progestérone sur
la moitié du mois14. Pourquoi ? Parce que la prise continue de progestérone
affaiblit l’effet “anti-Alzheimer” de l’œstrogène et qu’une prise cyclique, au
contraire, le renforce, ainsi qu’on a pu le démontrer sur des souris de
laboratoire15.
Le traitement cyclique à base d’hormones bio-identiques n’a pas qu’un
effet bénéfique sur la santé mentale : on a en effet constaté qu’il était aussi
efficace contre l’ostéoporose. Par rapport à une contraception par pilule,
les quantités de principes actifs nécessaires sont plus faibles ici : à
condition que le dosage soit cyclique et la forme de l’administration
correcte, les effets positifs (amélioration de la qualité de vie et du sommeil
grâce à la mise en place d’un traitement hormonal pour lutter contre les
désagréments de la ménopause) semblent surpasser les effets négatifs
(risque de cancer éventuellement augmenté et possibles troubles de la
circulation)16.

200
Une petite fille sur deux qui naît aujourd’hui a une espérance de vie
de 100 ans. Si notre espérance de vie augmente, le nombre d’années
pendant lesquelles nous aurons à affronter des maladies augmente cependant
plus rapidement, notamment parce que notre mode de vie continue d’être
néfaste pour notre santé17. Avec une bonne hygiène de vie, rien ne nous
empêche donc d’imaginer un âge moyen de 120 ans18. Mais si nous sommes
pessimistes, mieux vaut ne pas s’attendre à ce que nos sociétés changent
fondamentalement, qu’il s’agisse des interactions sociales ou de notre mode
de vie. Dans ce cas, une supplémentation hormonale durant la post-
ménopause serait peut-être judicieuse, au moins pour réduire le risque
d’Alzheimer.

L’andropause

Contrairement aux femmes, les hommes n’ont pas de repère net comme la
cessation des menstruations : l’andropause (l’équivalent masculin de la
ménopause) est progressive. Dans le cadre d’un vieillissement “normal”, à
partir de 30 ou 40 ans, la production de testostérone (l’un des androgènes
les plus puissants) diminue de jusqu’à 3 % par an. Environ la moitié des
hommes de 70 ans sont donc “sous-alimentés” en testostérone ou se trouvent
dans la post-andropause (comparable à la post-ménopause des femmes).
Les androgènes ne sont pas produits que dans les organes sexuels
masculins, mais aussi dans la corticosurrénale. Cette glande endocrine,
active chez l’homme comme chez la femme, sécrète pendant toute notre vie
des quantités réduites d’androgènes. Or, en plus de stimuler la neurogenèse,
la testostérone réduit la production de bêta-amyloïde et donc le risque
d’agrégation sous forme toxique. Elle protège aussi les neurones des effets
destructeurs de la bêta-amyloïde toxique, tant de manière directe
qu’indirecte (c’est-à-dire après la transformation de la testostérone en
œstrogène)19. Le déficit de testostérone lié à l’âge s’accompagne donc
d’une hausse du risque d’Alzheimer20. Comment traiter ce déficit ? On
pourrait recourir comme chez la femme à un traitement hormonal substitutif.
Mais il existe un lien entre la production de testostérone et le
développement de cellules cancéreuses au niveau de la prostate. C’est
d’ailleurs pour cette raison que les antiandrogènes font partie du traitement
contre ce cancer. Dans ces conditions, et vu la forte prévalence du cancer
de la prostate chez l’homme âgé, un traitement hormonal substitutif est à ce
jour impensable. Autre possibilité : la prise de progestérone bio-identique
selon la méthode développée par le Dr Rimkus, gynécologue et

201
endocrinologue allemand. Le corps régule alors lui-même la transformation
de testostérone et détermine donc aussi le dosage. Là encore, il est
indispensable d’être suivi par un médecin. Consultez de préférence un
praticien qui a l’expérience des hormones bio-identiques.
Mais on peut aussi agir de manière parfaitement naturelle contre une
diminution “normale” de la synthèse de la testostérone. Un exemple : avec
un peu d’activité physique, la production d’androgènes (qui ont un effet
protecteur sur le cerveau) augmente déjà – et la neurogenèse s’améliore21.
De plus, l’ensemble des mesures présentées dans notre programme
préventif et thérapeutique contre l’Alzheimer pourrait considérablement
ralentir le déficit androgénique jugé “normal”.

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coevolution of human-dog bonds”, Science, vol. 348, 2015, p. 333-336,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25883356.
2 NAGASAWA, M. et al., “Dog’s gaze at its owner increases owner’s urinary
oxytocin during social interaction”, Horm. Behav., vol. 55, 2009, p. 434-441,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19124024.
3 T ORNER, L. et al., “Prolactin prevents chronic stress-induced decrease of adult
hippocampal neurogenesis and promotes neuronal fate”, J. Neurosci., vol. 29,
2009, p. 1823-1833.
4 “Senioren ist Kuscheln wichtiger als Sex”, communiqué de presse de l’université
de Rostock, 6.1.2015, www.uni-rostock.de/detailseite/news-artikel/senioren-ist-
kuscheln-wichti-ger-als-sex.
5 MÜLLER, B. et al., “Sexuality and affection among elderly German men and
women in long-term relationships : results of a prospective population-based
study”, PLoS One, 2014, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25369193.
6 P IKE, C. J. et al., “Protective actions of sex steroid hormones in Alzheimer’s
disease”, Front. Neuroendocrinol., vol. 30, 2009, p. 239-258,
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7 CHAN, M. et al., “Effects of chronic oestradiol, progesterone and
medroxyprogesterone acetate on hippocampal neurogenesis and adrenal mass in
adult female rats”, J. Neuroendocrinol., vol. 26, 2014, p. 386-399,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24750490 ; SPRITZER, M. D. et al., “Testosterone
and social isolation influence adult neurogenesis in the dentate gyrus of male rats”,
Neuroscience, vol. 195, 2011, p. 180-190,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21875652.
8 SAALTINK, D. J. et VREUGDENHIL, E., “Stress, glucocorticoid receptors, and
adult neurogenesis : a balance between excitation and inhibition ?”, Cell. Mol. Life
Sci., vol. 71, 2014, p. 2499-2515, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24522255.

202
9 LETENNEUR, L. et al., “Are sex and educational level independent predictors of
dementia and Alzheimer’s disease ? Incidence data from the PAQUID project”, J.
Neurol. Neurosurg. Psychiatry, vol. 66, 1999, p. 177-183,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/10071096.
10 NORTON, M. C. et al., “Greater risk of dementia when spouse has dementia ?
The Cache County study”, art. cité.
11 SONI, M. et al., “Phytoestrogens and cognitive function : a review”, Maturitas,
vol. 77, 2014, p. 209-220, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24486046.
12 SHUMAKER, S. A. et al., “Estrogen plus progestin and the incidence of
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13 WHITMER, R. A. et al., “Timing of hormone therapy and dementia : the critical
window theory revisited”, Ann. Neurol., vol. 69, 2011, p. 163-169,
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14 VEST, R. S. et Pike C. J., “Gender, sex steroid hormones, and Alzheimer’s
disease”, Horm. Behav., vol. 63, 2013, p. 301-307,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22554955.
15 CARROLL, J. C. et al., “Continuous and cyclic progesterone differentially
interact with estradiol in the regulation of Alzheimer-like pathology in
female 3xTransgenic-Alzheimer’s disease mice”, Endocrinology, vol. 151, 2010,
p. 2713-2722, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20410196.
16 DAVEY, D. A., “Update : estrogen and estrogen plus progestin therapy in the
care of women at and after the menopause”, Women’s Health, vol. 8, 2012, p. 169-
189, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22375720.
17 CRIMMINS, E. M. et Beltrán-Sánchez, H., “Mortality and morbidity trends : is
there compression of morbidity ?”, art. cité.
18 NEHLS, M., Die Alzheimer-Lüge : Die Wahrheit über eine vermeidbare
Krankheit, Heyne, 2014, p. 366-371.
19 P IKE, C. J. et al., “Protective actions of sex steroid hormones in Alzheimer’s
disease”, art. cité.
20 MOFFAT, S. D. et al., “Free testosterone and risk for Alzheimer’s disease in
older men”, Neurology, vol. 62, 2004, p. 188-193,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/14745052.
21 OKAMOTO, M. et al., “Mild exercise increases dihydrotes-tosterone in
hippocampus providing evidence for androgenic mediation of neurogenesis”, Proc.
Natl. Acad. Sci. USA, vol. 109, 2012, p. 13100-13105,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22807478.

203
204
205
EN FINIR AVEC LES INFECTIONS

L’âme se resserre, tout entière, au trou étroit de


la molaire.

WILHELM BUSCH (1832-1908)

Dommages indirects

De manière générale, quand une atteinte est portée aux tissus, une réaction
spécifique du système immunitaire est générée au niveau local. De plus, on
note une tendance généralisée à l’inflammation. C’est comme si l’organisme
tout entier se préparait à un danger plus grave. Or, comme la maladie
d’Alzheimer s’accompagne de processus inflammatoires (qui en sont
éventuellement un facteur aggravant), les infections peuvent accélérer
indirectement le développement de la maladie, et ce, même quand elles ne
touchent pas précisément le cerveau1. Par ailleurs, pendant toute leur durée,
les infections conduisent souvent à une modification forcée du style de vie
de la personne touchée, ce qui peut également favoriser la démence. Ainsi,
quand Sarah Jones a été victime d’un virus infectieux, elle a dû suspendre
pour un temps le traitement, et les premiers symptômes de l’Alzheimer ont
refait leur apparition. Une fois guérie de son infection, elle a pu à nouveau
suivre les mesures thérapeutiques et les symptômes ont disparu.
De la même manière, une opération peut avoir un effet néfaste sur le
développement de la maladie d’Alzheimer. Outre l’activation générale du
système immunitaire due à l’intervention médicale et à l’agression que
subissent alors les tissus, les anesthésiques utilisés risquent aussi
d’entraîner une activation spécifique des voies métaboliques qui peuvent
accélérer la maladie. Par conséquent, quand une opération est nécessaire,
elle devrait toujours être réalisée de manière à être aussi brève et aussi peu
invasive que possible. Un traitement anti-inflammatoire devrait toujours
être prévu par la suite2. Si possible, il est préférable d’éviter l’intervention
et de recourir à des solutions non invasives (mais malheureusement, c’est
souvent l’inverse qui se produit, les opérations étant bien plus lucratives
d’un point de vue économique – du moins à première vue).

206
Inflammations chroniques

Avec le développement de la maladie d’Alzheimer, il arrive souvent que


soit négligée l’hygiène corporelle, et plus spécifiquement l’hygiène
dentaire. Des inflammations chroniques comme la parodontite (une
inflammation des tissus de soutien de l’organe dentaire) se développent
alors. Or, les inflammations de la gencive sont suspectées d’activer
indirectement des processus inflammatoires dans le cerveau3. Et ce n’est
pas tout : en présence de tels foyers infectieux, il arrive régulièrement que
des bactéries soient déversées dans le sang. Pour le développement de la
maladie d’Alzheimer, ce n’est pas sans conséquence. En effet, dès le stade
initial de la maladie, on observe des dysfonctionnements de la barrière
hémato-encéphalique à l’entrée de l’hippocampe. Cette barrière, dont le
rôle est normalement de protéger notre cerveau des germes infectieux,
devient alors perméable aux bactéries4. La responsable, c’est la bêta-
amyloïde toxique qui, comme nous l’avons vu, se développe très tôt dans
cette zone circonscrite5. Quand la maladie progresse, la bêta-amyloïde
toxique se propage et la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique
s’étend alors à tout le cerveau.
Le risque direct d’inflammation augmente en même temps que se
développe l’Alzheimer6. Les profondeurs des poches parodontales
accueillent par exemple certains germes spécifiques susceptibles d’infecter
le cerveau et dont on suppose qu’ils pourraient accélérer le développement
de la maladie. Ces bactéries nuisibles appartiennent à la famille des
spirochètes, qui sont aussi à l’origine de la syphilis7.
Chaque année, on recense dans le monde 12 millions de nouveaux cas de
syphilis. À son stade terminal, cette maladie sexuellement transmissible
peut entraîner une démence qu’il est parfois difficile de distinguer de
l’Alzheimer. Comme chez les patients qui souffrent d’Alzheimer, on observe
ici des plaques amyloïdes dans les parties atteintes du cerveau des patients.
En France, il n’y a qu’environ 500 nouveaux cas de syphilis par an (une
valeur toutefois en forte hausse depuis 2000), et on ne peut donc
évidemment pas considérer cette maladie comme étant la cause de
l’Alzheimer. Cependant, elle nous indique qu’il existe des bactéries
capables de déclencher une pathologie proche de cette maladie. En toute
logique, une maladie infectieuse pourrait donc sinon permettre, au moins
accélérer le développement de l’Alzheimer.
L’examen des patients atteints d’Alzheimer a montré que, chez plus
de 90 % d’entre eux, les plaques amyloïdes caractéristiques de la maladie

207
accueillaient aussi ces bactéries spirochètes, de même que des bactéries
responsables des borrélioses transmises par les tiques. On ne sait pas
encore si les bactéries se servent des plaques comme d’un incubateur ou si
elles accélèrent leur apparition, voire en sont responsables.
Pour ma part, je suppose que l’infection n’est pas la cause, mais plutôt la
conséquence de la maladie d’Alzheimer – ce qui n’empêche pas qu’elle ait
une influence négative sur son développement. Pour en arriver à cette
hypothèse, je me fonde sur le fait qu’en dépit de méthodes d’analyse
extrêmement précises, il est très rare qu’on trouve des agents pathogènes
dans le cerveau ou le liquide cérébrospinal de personnes âgées jugées en
bonne forme mentale. Sachant que la maladie d’Alzheimer se développe sur
plusieurs décennies, si des agents pathogènes étaient à l’origine de la
maladie, on devrait aussi pouvoir déceler leur présence chez des personnes
âgées encore saines. Il semble donc bien plus probable que le risque
infectieux n’augmente qu’à partir du moment où la maladie d’Alzheimer
évolue, la barrière hémato-encéphalique devenant de plus en plus
perméable et les perturbations du système immunitaire permettant alors aux
agents pathogènes de s’installer. La présence d’agents pathogènes est selon
moi plus à considérer comme une conséquence de la maladie que comme sa
cause. Pour autant, cela ne la rend pas moins dangereuse.
Le professeur Bredesen a ainsi engagé Sarah Jones à améliorer son
hygiène buccodentaire en utilisant une brosse à dents électrique et un
appareil de nettoyage électronique pour les interstices dentaires.
Une piqûre de tique ou une mauvaise hygiène buccodentaire ne sont que
quelques-unes des sources infectieuses qui peuvent être à l’origine
d’inflammations chroniques, celles-ci nuisant alors au cerveau et favorisant
le développement de la maladie d’Alzheimer. Il importe donc d’éliminer
tous (je dis bien tous) les foyers infectieux. En effet, la liste des agents
pathogènes susceptibles d’influer sur la maladie directement (en pénétrant
dans le cerveau fragilisé) ou indirectement (en activant le système
immunitaire) est de plus en plus longue8. Un exemple : l’une des causes
majeures de l’ulcère gastroduodénal est la bactérie Helicobacter pylori.
Chez les patients atteints d’Alzheimer qui sont en même temps touchés par
cette maladie, le déclin cognitif est en général plus marqué9. Mais avec un
traitement antibiotique, la maladie d’Alzheimer se développe moins vite
que chez les patients ne suivant pas d’antibiothérapie10.

Le nettoyage de l’intestin

208
La barrière hémato-encéphalique protège notre cerveau des germes et des
poisons qui se trouvent dans le sang. Mais plus en amont, la nature a aussi
prévu la barrière intestinale, qui protège notre organisme des germes et des
poisons que contient notre nourriture. Et cette barrière a pour ainsi dire du
pain sur la planche : comme il dispose d’une énorme surface d’assimilation
des nutriments, l’intestin est aussi une porte d’entrée idéale pour les germes
et les poisons. À lui seul, l’intestin grêle affiche avec ses plis et ses
villosités une surface de 2 000 m2. Qu’une lésion rende la paroi intestinale
excessivement perméable, et les toxines vont aussitôt s’engouffrer dans la
brèche, avec des conséquences sur notre santé, y compris mentale. Les
intolérances alimentaires, comme l’allergie aux protéines de lait,
l’intolérance au lactose ou la maladie cœliaque, illustrent également ce
mécanisme.
La maladie cœliaque est liée à l’absorption de gluten, un amalgame de
protéines qu’on trouve dans certaines céréales comme le blé ou le seigle.
Quand la consommation de gluten déclenche une inflammation de l’intestin,
le traitement consiste à adopter un régime sans gluten. Chez les patients
atteints d’Alzheimer et souffrant d’une intolérance aiguë, les symptômes de
l’Alzheimer se sont améliorés dès lors que les troubles intestinaux ont été
traités11. Sarah Jones, par exemple, a dû adopter un régime sans gluten. Le
professeur Bredesen lui a conseillé de supprimer les aliments à base de blé,
d’épeautre, de seigle et de blé dur, mais aussi à base d’avoine et d’orge, et
ce, bien que ces deux céréales soient relativement pauvres en gluten. Les
produits issus du mil, du quinoa, de l’amarante et du sarrasin ne contiennent
pas de gluten du tout.
En outre, l’intestin – et notamment le gros intestin – est un énorme
bioréacteur. Il abrite environ cent fois plus de cellules bactériennes que
nous ne possédons nous-mêmes de cellules corporelles. Nous ne pourrions
pas exister sans ce microbiote, qui fait partie intégrante de notre organisme.
En considérant les choses sous l’angle du nombre de cellules, nous pouvons
ainsi affirmer que nous sommes constitués à 99 % de bactéries ! Le
microbiote produit des vitamines (des groupes B et K) et détermine le
développement ainsi que le fonctionnement de notre système immunitaire.
Récemment, des chercheurs ont découvert qu’il influait tout particulièrement
sur le système immunitaire du cerveau12. Certaines bactéries lactiques ou
certaines bifidobactéries, par exemple, transforment dans l’intestin le
glutamate neurotoxique issu de la nourriture (et notamment des protéines,
qui contiennent un fort pourcentage d’acide glutamique) en GABA (acide γ-
aminobutyrique), un neurotransmetteur qui empêche l’excitation prolongée

209
des neurones. À l’inverse, quand il y a un déséquilibre entre les plus de
mille souches bactériennes et une poignée de virus, le microbiote, au lieu de
nous protéger, nous envoie des toxines13. Parmi elles, on trouve des
activateurs non spécifiques du système immunitaire, qui déclenchent aussi
des réactions inflammatoires dans le cerveau, et des complexes protéiques
dont la structure se rapproche beaucoup de celle de la bêta-amyloïde
toxique14.
L’interaction complexe qui existe entre un être humain et les
quelque 100 000 000 000 000 (cent billions !) de cellules bactériennes de
son microbiote est principalement régie par son alimentation : ce que nous
avalons nous nourrit, bien sûr, mais nourrit aussi nos bactéries. Et comme
cette symbiose s’est vraisemblablement développée sur une très longue
période évolutive, on peut supposer qu’ici encore, une alimentation proche
de celle de l’âge de pierre est plus adaptée à notre organisme que notre
alimentation actuelle. Celle-ci comprend en général trop de sucres simples
et de mauvaises graisses, et pas assez de fibres. Le premier problème, c’est
que notre propre approvisionnement en nutriments est alors trop restreint. Et
le second problème, c’est que nous servons à notre microbiote l’équivalent
de notre malbouffe. À l’inverse, si nous nous alimentons de manière à
stimuler la neurogenèse et à prévenir l’Alzheimer, notre digestion va
s’améliorer, de même que l’approvisionnement en nutriments essentiels,
l’efficacité de notre système immunitaire et – c’est loin d’être sans
importance – notre santé mentale15. Avec les mesures nutritionnelles
décrites dans les chapitres précédents, nous mettons aussi en place les
conditions nécessaires pour que notre intestin fasse lui-même un grand coup
de ménage et reste en bonne santé, tandis que notre cerveau pourra lui aussi
se rétablir.
Pour donner un petit coup de pouce au processus d’amélioration du
microbiote, on peut consommer du psyllium en poudre. Il s’agit des
téguments mixés de la graine de plantain, fruit d’une vieille plante
médicinale, le Plantago ovata ou plantain des Indes. La poudre obtenue à
partir de l’enveloppe du fruit lubrifie la paroi intestinale et permet
d’évacuer les résidus alimentaires. Prenez par exemple de la poudre de
psyllium (si possible sous forme de gélules) avec deux verres d’eau. Et
combinez ce traitement à des prébiotiques (germes 109) pour inciter les
bonnes bactéries à coloniser l’intestin. En favorisant l’équilibre intestinal,
le plantain améliore rapidement la sensibilité du récepteur de l’insuline et
donc le métabolisme des glucides. En outre, il a un effet bénéfique sur la
tension artérielle et le métabolisme des lipides. Quand on veille en outre à

210
s’alimenter de manière saine, ces effets à court terme sont aussi démontrés à
long terme16. La poudre de psyllium est en vente libre, mais je recommande
vivement de consulter un médecin expérimenté avant de commencer un
nettoyage de l’intestin à base de prébiotiques et, idéalement, de
probiotiques.

1 CUNNINGHAM, C. et HENNESSY, E., “Co-morbidity and systemic inflammation


as drivers of cognitive decline : new experimental models adopting a broader
paradigm in dementia research”, Alzheimer’s Res. Ther., 2015,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25802557.
2 KAPILA, A. K. et al., “The impact of surgery and anesthesia on post-operative
cognitive decline and Alzheimer’s disease development : biomarkers and preventive
strategies”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 41, 2014, p. 1-13,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24577482.
3 WU, Z. et NAKANISHI, H., “Connection between periodontitis and Alzheimer’s
disease : possible roles of microglia and leptomeningeal cells”, J. Pharmacol. Sci.,
vol. 126, 2014, p. 8-13, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25168594.
4 MONTAGNE, A. et al., “Blood-brain barrier breakdown in the aging human
hippocampus”, Neuron., vol. 85, 2015, p. 296-302,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25611508.
5 QOSA, H. et al., “Mixed oligomers and monomeric amyloid-β disrupts endothelial
cells integrity and reduces monomeric amyloid-β transport across hCMEC/D3 cell
line as an in vitro blood-brain barrier model”, Biochim. Biophys. Acta, vol. 1842,
2014, p. 1806-1815, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24997450.
6 KAMER, A. R. et al., “Periodontal disease associates with higher brain amyloid
load in normal elderly”, Neurobiol. Aging, vol. 36, 2015, p. 627-633,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25491073.
7 MIKLOSSY, J., “Alzheimer’s disease – a neurospirochetosis. Analysis of the
evidence following Koch’s and Hill’s criteria”, J. Neuroinflammation, 2011,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21816039.
8 MIKLOSSY, J., “Emerging roles of pathogens in Alzheimer disease”, Expert. Rev.
Mol. Med., 2011, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21933454.
9 ROUBAUD-BAUDRON, C. et al., “Impact of chronic Helicobacter pylori
infection on Alzheimer’s disease : preliminary results”, Neurobiol. Aging, 2012,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22133280.
10 CHANG, Y. P. et al., “Eradication of Helicobacter pylori is associated with the
progression of dementia : a populationbased study”, Gastroenterol. Res. Pract.,
2013, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24371435.
11 LURIE, Y. et al., “Celiac disease diagnosed in the elderly”, J. Clin.
Gastroenterol., vol. 42, 2008, p. 59-61, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18097291.
12 ERNY, D. et al., “Host microbiota constantly control maturation and function of
microglia in the CNS”, Nat. Neurosci., vol. 18, 2015, p. 965-977,

211
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26030851.
13 HILL, J. M. et LUKIW, W. J., “Microbial-generated amyloids and Alzheimer’s
disease (AD)”, Front. Aging Neurosci., 2015,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25713531.
14 ZHAO, Y., DUA, P. et LUKIW, W. J., “Microbial sources of amyloid and
relevance to amyloidogenesis and Alzheimer’s disease (AD)”, J. Alzheimer’s Dis.
Parkinsonism., vol. 5, 2015, p. 177, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25977840.
15 HILL, J. M. et al., “The gastrointestinal tract microbiome and potential link to
Alzheimer’s disease”, Front. Neurol., 2014,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24772103.
16 P AL, S. et RADAVELLI-BAGATINI, S., “Effects of psyllium on metabolic
syndrome risk factors”, Obes. Rev., vol. 13, 2012, p. 1034-1047,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22863407.

212
213
214
DÉTOXIQUER

Tout est poison, rien n’est poison, ce qui fait le


poison, c’est la dose.

P ARACELSE (1493-1541)

Prévenir l’Alzheimer, c’est possible. Guérir la maladie, aussi – à condition


de ne pas commencer trop tard. Un risque résiduel demeure néanmoins
toujours. Toute vie, la nôtre comprise, est en effet le résultat d’un
enchaînement sans fin de hasards, et c’est encore le hasard qui régit ensuite
notre existence. Si nous n’avons pas la possibilité de le maîtriser, nous
pouvons quand même, à travers nos actes, influer sur la probabilité qu’une
chose a de se produire. Il arrive qu’un non-fumeur, par exemple, soit
victime d’un cancer du poumon. Le risque existe, même s’il est faible. Mais
il serait absurde d’en déduire que ne pas fumer pourrait être mauvais pour
la santé.
Les exceptions à la règle n’entraînent pas de nouvelles règles, elles ne
font que confirmer celles qui existent déjà. La nature est complexe et ne peut
donc être décrite que sous forme de probabilités : il n’existe pas de
certitudes à 100 % et, par conséquent, il faut accepter qu’il y ait des
exceptions. Nous pouvons prévoir la météo du lendemain avec une relative
certitude, mais nous ne pouvons certainement pas prévoir le comportement
de chacune des particules d’air qui nous entourent. Même si nous évitons
toute notre vie de monter dans un avion, nous pouvons quand même être
victimes d’une catastrophe aérienne. La probabilité de recevoir un avion
sur la tête est bien plus faible que celle de s’écraser avec, mais elle existe.
Il y a toujours, pour chacun d’entre nous, un risque résiduel – cela fait partie
de l’aventure de la vie.
Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, parmi les paramètres
susceptibles de faire augmenter ce risque résiduel, il y a par exemple les
toxines de l’environnement auxquelles nous sommes confrontés
quotidiennement. Nous ne pouvons nous y soustraire qu’au prix d’efforts
accablants, et je doute d’ailleurs qu’il soit vraiment possible d’y échapper.
En outre, nous avons déjà absorbé au cours de notre vie certaines de ces

215
toxines, parce que nous (ou nos parents) n’en connaissions pas les effets.
Enfant, j’ai par exemple été un gros fumeur passif. La publicité avait
convaincu mon père et mon grand-père que fumer était le meilleur moyen de
se sentir libre. Autre exemple : qui se souciait il y a trente, quarante ou
cinquante ans des effets nocifs sur la santé des pesticides, des herbicides et
des fongicides, déjà utilisés en quantités croissantes dans l’agriculture
conventionnelle ? Même aujourd’hui, alors que nous connaissons mieux leur
toxicité, leur usage est accepté par un large pan de la population. Et si nous
roulons désormais à l’essence sans plomb, notre électricité est toujours
produite dans des centrales à charbon qui rejettent dans l’air de grandes
quantités de métaux lourds neurotoxiques : rien qu’en France, les rejets de
mercure dans l’atmosphère seraient de l’ordre de 36 tonnes par an, dont
presque 10 % en provenance de la combustion du charbon1 – ce qui
n’empêche pas qu’on autorise encore la construction de nouvelles centrales.
Songeons aussi à tous ces produits que nous propose l’industrie du
plastique et que nous utilisons si volontiers. Personne non plus ne voudrait
renoncer à un anesthésique avant une opération inévitable2 ou à une
chimiothérapie contre le cancer, même si l’un comme l’autre ont des effets
inhibiteurs sur la neurogenèse3.
À long terme, il est donc sûrement moins stressant pour notre cerveau
d’accepter l’idée d’un risque résiduel. Mais tenter de le réduire en fonction
de nos possibilités individuelles ne peut pas nous faire de mal ! Voyons
ensemble les possibilités dont nous disposons pour faire baisser ce risque
sans que ça ne devienne un casse-tête permanent.

Les plastifiants

Connus pour leur effet neurotoxique, les plastifiants montrent combien il est
difficile d’échapper à une évolution encouragée par d’importants intérêts
économiques. Le bisphénol A (BPA), par exemple, est un composant très
présent dans l’univers du plastique, qui nuit au développement cérébral, et
notamment quand l’exposition a lieu à un stade précoce : il augmente alors
le risque de troubles psychiques et entraîne une tendance plus marquée à
l’agressivité et à l’hyperactivité, mais aussi à la dépression4. Notamment en
cause dans ce processus : des altérations du développement cérébral et de
la neurogenèse. Pendant longtemps, on a voulu nous faire croire que les
adultes étaient protégés contre ce poison non seulement grâce à leur système
de détoxication hépatique, mais aussi et surtout grâce à la barrière hémato-
encéphalique. Cependant, nous savons désormais que cet accès contrôlé au

216
cerveau devient perméable dès lors que ce dernier est attaqué par la bêta-
amyloïde toxique. Et comme des expériences animales l’ont montré, le
bisphénol A est alors parfaitement capable d’inhiber la neurogenèse dans un
hippocampe même mature, avec les effets négatifs que l’on connaît sur la
mémoire5.

LE POINT SUR : LE BISPHÉNOL A


Dans les années 2000, le BPA était très présent dans les plastiques
alimentaires, et notamment dans les polycarbonates utilisés pour les
biberons. En 2003, la Commission européenne indiquait qu’à condition
d’en faire un usage conforme, le BPA ne présentait pas de danger pour le
consommateur. Depuis juin 2010, cependant, les biberons produits à
partir de BPA sont interdits de fabrication et d’importation en Europe. En
France, l’Assemblée nationale a même adopté une loi interdisant le BPA
dans les conditionnements, contenants ou ustensiles destinés au contact
alimentaire (prenant effet le 1er janvier 2013 pour ceux destinés aux
jeunes enfants de moins de trois ans et le 1er janvier 2015 pour les
autres populations). Au même moment, début 2015, l’EFSA (European
Food Security Authority, Autorité européenne de sécurité des aliments)
réévaluait la toxicité de l’exposition au BPA et concluait qu’aux niveaux
actuels d’exposition, le BPA ne présentait pas de risque pour la santé des
consommateurs, quel que soit leur âge. Mais en avril 2016, sur la
demande du ministère néerlandais de la Santé, cette même instance
revenait sur ses positions et annonçait le réexamen de la sécurité du
BPA.

Comme on le voit, la législation et les recommandations des instances


sanitaires sont fluctuantes. Désorientés, les consommateurs modifient alors
leurs habitudes d’achat – et pour cause. L’industrie réagit quant à elle en
vantant ses produits en plastique sans BPA. Le problème, c’est que les
fabricants ont tout simplement remplacé le bisphénol A, mal vu, par une
autre sorte de bisphénol, comme le bisphénol B. Il en existe toute une série,
de A à Z (et l’on connaît même aujourd’hui des variantes à deux lettres)6.
Pour autant qu’elles aient été testées, ces variantes sont toutes aussi nocives
que le BPA. Ce que le consommateur doit donc savoir, c’est que les produits
estampillés “sans BPA” ne sont pas plus sûrs. Sur la base des données
actuellement disponibles et en vertu du principe de précaution, des

217
scientifiques exigent ainsi que tous ces produits soient interdits pour un
usage alimentaire7. Malheureusement, cette interdiction n’est pas près
d’être approuvée. Mieux vaut donc éviter dans la cuisine tous les produits
en plastique, tels que les couverts, les bouteilles et les sacs en plastique.

Le tabac

Presque tous les paquets de cigarettes affichent désormais la mention


“Fumer tue”, complétée d’une affirmation : “Fumer peut entraîner une mort
lente et douloureuse”, “Fumer peut nuire aux spermatozoïdes”, etc. Ce
“peut” entretient une impression fausse, d’autant plus qu’à grand renfort
publicitaire, les quelques gros fumeurs qui n’en meurent pas invitent les
ignorants que nous sommes à minimiser le risque – réel – de cancer et
d’infarctus. Ceux, innombrables, qui ont succombé aux méfaits du tabac,
n’ont évidemment pas autant d’audience que les icônes de l’industrie de la
cigarette, qui se pavanent, clope au bec.
Les fumeurs ont aussi plus de probabilité d’être touchés par la maladie
d’Alzheimer : le risque augmente d’environ 34 % par paquet de cigarettes
journalier, ainsi que l’ont mis en évidence des études de grande ampleur8.
L’étude dite de Rotterdam a ainsi observé 7 000 personnes de plus
de 55 ans sur une durée de sept ans. Parmi les participants à l’étude se
trouvaient 23 % de fumeurs. Pendant la période d’observation, la fréquence
à laquelle les fumeurs ont été touchés par la maladie d’Alzheimer s’est
avérée nettement supérieure (+ 56 %) à celle des non-fumeurs9. On sait
aussi aujourd’hui que la fumée de cigarette contrarie la neurogenèse de
l’hippocampe et active ainsi le processus d’Alzheimer10. La mauvaise
saturation du sang en oxygène contribue de plus à des troubles de
l’approvisionnement en énergie au niveau de l’hippocampe. À terme, la
plupart des fumeurs développent des lésions sérieuses des tissus
pulmonaires. Regroupées sous l’appellation de bronchopneumopathie
chronique obstructive (BPCO), celles-ci font même doubler le risque
d’Alzheimer11. Le risque de démence vasculaire est lui aussi
considérablement augmenté dans ce cas.
En arrêtant de fumer, on peut cependant, comme le signale le Dr Michael
Barczok, membre du directoire de la Fédération allemande des
pneumologues, espérer réduire progressivement les risques : “Vingt minutes
seulement après la dernière cigarette, la circulation du sang est déjà
meilleure au niveau des mains et des pieds. Au bout de 24 heures, le risque
d’infarctus du myocarde diminue, tandis que le goût et l’odorat s’améliorent

218
en 48 heures. Après quelques semaines, la circulation sanguine est
stabilisée et les poumons fonctionnent souvent mieux. Après quelques mois,
les anciens fumeurs peuvent se réjouir d’une meilleure condition physique,
de voies respiratoires dégagées et d’une peau plus ferme. Les quintes de
toux sont en outre plus rares. Au bout d’un an, le risque de maladies
coronaires diminue et, au bout de cinq ans, le risque d’infarctus du
myocarde est proche de celui d’un non-fumeur. Enfin, quinze ans plus tard,
le risque de cancer du poumon est pratiquement le même que si l’on n’avait
jamais fumé12.” Pour ce qui est de l’incidence du tabac sur la maladie
d’Alzheimer, les études citées plus haut en sont arrivées à des conclusions
tout aussi optimistes. Grâce au pouvoir d’autoguérison de notre organisme,
il n’est donc jamais trop tard pour revenir à un mode de vie sain.
Pour des raisons thérapeutiques, mieux vaut également renoncer à la
cigarette électronique : la nicotine qu’elle contient agit comme un excitant
sur le cerveau. Elle réduit la durée du sommeil, et notamment celle du
sommeil profond, si essentiel pour le nettoyage nocturne de notre cerveau13.

Nitrites, nitrates et nitrosamines

À partir de 0,5 g de nitrites absorbés, il y a empoisonnement, et la dose


mortelle n’est que de quatre grammes environ ! Le plus important nitrite
dans l’industrie chimique est le nitrite de sodium (E250), que l’on trouve
notamment dans les charcuteries (mais aussi dans certains fromages à pâte
dure). Il constitue environ 0,5 % du sel de salaison. Dans l’estomac, l’acide
gastrique le transforme partiellement en nitrosamines, dont l’effet
cancérigène est avéré. Ce processus qu’on appelle nitrosation est aussi
favorisé par la chaleur : quand le tabac se consume, par exemple, des
composés organiques sont convertis en nitrosamines, en partie responsables
du rôle cancérigène de la cigarette. La nitrosation a également lieu chaque
fois que nous réchauffons des viandes salées. Si le barbecue est une
méthode de cuisson peu recommandable, y faire griller saucisses ou bacon
est en tout cas à déconseiller vivement.
Contrairement aux nitrites, les nitrates sont a priori inoffensifs. Pour
élaborer leurs protéines, les végétaux utilisent l’azote issu du nitrate, et
celui-ci est donc indispensable à leur croissance. C’est la raison pour
laquelle l’homme, aveuglé par sa course au profit, a eu l’idée de fertiliser à
outrance ses champs avec des nitrates, l’objectif étant d’améliorer le
rendement de la récolte. Dans ce qu’on appelle “la ceinture de purin”, dans
le Nord de l’Allemagne, cette pratique est devenue un véritable problème :

219
les excréments des bêtes d’élevage intensif sont si riches en nitrates que
leur élimination ne peut se faire sans nuire à l’environnement. En France,
dans les rivières bretonnes, le taux élevé de nitrates – dû à l’élevage
intensif et aux engrais – est par exemple responsable d’une prolifération
préoccupante des algues.
Dans ces régions, la teneur en nitrates de la nappe phréatique est
inquiétante. En effet, les nitrates qui se trouvent dans les sols sont en partie
transformés en nitrites par des bactéries et des champignons.
Les sels de salaison contiennent également beaucoup de nitrates. On les
trouve dans l’industrie alimentaire sous la forme des conservateurs
E251 (nitrate de sodium) et E252 (nitrate de potassium ou salpêtre). Avec
jusqu’à 0,5 g/kg, ils sont des ingrédients non négligeables de la charcuterie
et des viandes de salaison. Or, dans notre salive et notre intestin, les nitrates
sont ensuite transformés très efficacement en nitrites, ceux-ci étant à leur
tour convertis en nitrosamines hautement toxiques.
Comme on l’a vu plus haut, les nitrosamines sont cancérigènes, mais elles
ont aussi différents effets neurotoxiques14. Elles inhibent le métabolisme
énergétique de nos neurones et entraînent une sécrétion accrue de radicaux
libres nocifs, sans oublier qu’elles ont un effet mutagène sur l’ADN. En
outre, elles génèrent une résistance neuronale à l’insuline et favorisent la
production de bêta-amyloïde toxique. Pour réduire tant le risque de cancer
que celui d’Alzheimer, mieux vaut donc renoncer aux viandes transformées
(et aux fromages dont la composition indique la présence de
conservateurs)15. En France, le mode d’élevage intensif reste le plus
courant, et de loin : ainsi, en 2014, plus de 95 % du cheptel national
(bovins, ovins, caprins et porcs confondus) est élevé dans des fermes
industrielles. Même ceux qui ne consomment pas de viande et choisissent
des produits issus de l’agriculture biologique sont exposés : quand les sols
et la nappe phréatique sont contaminés par les nitrates, la situation est
encore pire que pour les fumeurs passifs. Car si l’on peut se soustraire à un
air enfumé, quand il s’agit d’eau potable, les choses sont bien plus
difficiles.

Les métaux lourds

Le plomb, le cadmium et le mercure n’ont rien à faire dans notre organisme,


et ils sont nocifs quelle que soit leur concentration (les valeurs limites
qu’on nous indique n’ont en général qu’un seul objectif : nous tranquilliser).
À petite dose, certains autres métaux lourds comme le cuivre, le fer et le

220
zinc jouent quant à eux un rôle vital dans notre organisme. On les regroupe
sous l’appellation “oligoéléments”. À forte dose, ils sont cependant nocifs.
Quand ils se trouvent en excès dans notre organisme, les ions métalliques
libres du cuivre, du fer et du zinc favorisent par exemple l’agglutination de
la bêta-amyloïde qui, on l’a vu, devient alors toxique au lieu de protéger
notre cerveau. Voilà pourquoi les compléments alimentaires qui
comprennent ces oligoéléments ne doivent être pris qu’en cas de carence et
uniquement sous la surveillance d’un médecin expérimenté.
Avec l’industrialisation croissante, la présence de métaux lourds toxiques
dans l’air, le sol et l’eau a augmenté. Même si l’agriculture biologique
continue d’utiliser du cuivre pour lutter contre les champignons, les produits
bios sont moins touchés et sont préférables à ceux de l’agriculture
conventionnelle. Nos choix alimentaires peuvent aussi limiter
considérablement la quantité de méthylmercure que nous ingérons : celui-ci
est notamment présent dans certains gros poissons prédateurs (voir le
chapitre “Nourrir le cerveau : les matériaux de construction”, p. 181).
Cependant, la source la plus inquiétante de mercure se trouve le plus
souvent en nous – sous la forme d’amalgames dentaires, composés à 50 %
de mercure. Selon l’alimentation (acide ou pas) et le nombre d’amalgames
dentaires, la quantité de mercure relarguée dans la bouche peut
atteindre 20 microgrammes. Or, le mercure est soupçonné de favoriser la
maladie d’Alzheimer16 et d’avoir des effets néfastes sur la neurogenèse de
l’hippocampe17. Pour mettre fin à l’intoxication mercurielle chronique du
cerveau, il est donc indispensable de faire retirer ces plombages (qui, en
réalité, ne contiennent d’ailleurs pas de plomb). Le retrait de l’amalgame
lui-même peut être une source importante d’exposition au mercure. Il devra
être réalisé avec le plus grand soin par un dentiste expérimenté, qui veillera
à prendre toutes les mesures de protection requises. Dans l’idéal, on
combinera le traitement dentaire avec une détoxication aux algues
Chlorella. Et pour la restauration dentaire, on privilégiera d’autres
matériaux moins agressifs.
Au-delà des produits alimentaires issus de l’agriculture conventionnelle,
l’eau potable est elle aussi une source potentielle d’exposition aux métaux
lourds, et ce, même quand les centres de distribution des eaux fournissent
une eau de qualité. En général, la plus importante pollution aux métaux
lourds toxiques est en effet “faite maison”. Autrefois, on utilisait pour les
canalisations des installations domestiques du plomb ainsi que du métal
zingué. Aujourd’hui, les tuyaux sont généralement en cuivre. Rien qu’en
passant par l’installation domestique, le chauffe-eau et les robinetteries,
l’eau potable peut se charger en fer, en zinc, en cuivre, en plomb ou en

221
cadmium. Plus l’eau potable est acide, c’est-à-dire plus son pH est bas, et
plus la probabilité est grande que des métaux lourds puissent la contaminer.
Par ailleurs, une teneur en nitrates de 30 mg/l dans l’eau potable, telle qu’on
la relève dans les régions d’agriculture intensive, peut aussi attaquer la
couche protectrice des tuyaux zingués. En Europe, la valeur limite des
nitrates dans l’eau potable est fixée à 50 mg/l. Elle est de plus en plus
souvent dépassée.

L’aluminium

L’aluminium peut être considéré comme l’une des causes (ou du moins
comme un accélérateur) de la maladie d’Alzheimer. Un premier indice en ce
sens est la présence des ions de ce métal léger chez les patients atteints
d’Alzheimer, et ce, dans des quantités qui varient selon la gravité de la
maladie18. Grâce à un mécanisme de transport normalement dédié au fer,
l’aluminium pénètre très bien dans le cerveau via la barrière hémato-
encéphalique19. Il accélère alors la transformation de la bêta-amyloïde
protectrice en bêta-amyloïde toxique20. Si l’on se représente la maladie
d’Alzheimer comme un feu qui couve, alors les ions d’aluminium comme
les ions de métaux lourds dont on a parlé plus haut vont souffler sur les
braises.
Le problème majeur que pose l’aluminium, c’est qu’il est partout. Les
centres de distribution des eaux nettoient notre eau potable avec du sulfate
d’aluminium et nous utilisons des ustensiles de cuisine en aluminium. Les
bretzels en absorbent pendant leur cuisson sur des plaques en aluminium21.
Et même les enfants en bas âge y sont exposés, puisqu’on recommande pas
moins de vingt vaccins dans les deux premières années de vie. Or, 90 % des
vaccins contiennent de l’aluminium sous forme d’adjuvant. Récemment,
dans le cadre d’une désensibilisation au venin de guêpe, il m’a ainsi fallu
chercher moi-même un vaccin sans aluminium et exiger qu’on l’utilise :
l’équipe médicale s’y opposait au prétexte qu’il n’y avait d’expérience
pratique qu’avec des vaccins contenant de l’aluminium. Cela dit,
l’immunisation a fonctionné – même sans aluminium.
Les produits alimentaires industriels contiennent aussi souvent de
l’aluminium, dissimulé derrière des “codes E”. Citons par exemple les
colorants (E173), les stabilisateurs (E520 à E523) ainsi que les silicates
utilisés comme anti-agglomérants (E554). Encore une bonne raison de faire
soi-même la cuisine. Évoquons également le citrate d’aluminium, qui pose
un problème de taille : il se forme par exemple quand de l’acide citrique est

222
mis en contact avec de l’aluminium. Il suffit pour cela d’emballer des fruits
dans une feuille d’alu.
En outre, de nombreux déodorants contiennent aussi de l’aluminium.
Alors pourquoi ne pas faire soi-même son propre déo avec des produits
naturels ? Pour cela, mélangez 50 g de soude à 50 g de fécule de marante
(arrow-root) et quatre cuillères à café d’huile vierge de coco issue de
l’agriculture biologique. Ajoutez au mélange 15 gouttes d’huile essentielle
(citron, orange), mélangez encore et versez le tout dans un récipient en verre
plat. Appliquez comme une crème.

Les toxines de l’agriculture conventionnelle

L’urgence que représente la prévalence de la maladie d’Alzheimer a au


moins le mérite de nous faire comprendre peu à peu que notre tendance à
“optimiser” notre environnement et notre mode de vie ne va pas sans
dommages sur notre cerveau. L’agriculture conventionnelle fait ainsi usage
de toxines qui inhibent directement la neurogenèse dans l’hippocampe.
C’est le cas par exemple des insecticides du groupe des pyréthrinoïdes22.
Rien qu’en Allemagne, on en utilise chaque année 50 tonnes. Mais il faut
signaler que cela ne représente que 1 % de la quantité totale de tous les
insecticides utilisés dans le cadre de la “protection des plantes”. En
l’an 2000, 2,7 tonnes de cette catégorie d’insecticides ont été vendues pour
le seul usage domestique et jardinier.
Depuis 2007, le carbofuran, mortel pour les abeilles, est interdit dans
l’Union européenne23. Il a été remplacé par d’autres produits dont nous ne
connaissons pas encore les dangers potentiels. Peut-être nous seront-ils
enfin révélés quand les profits encaissés seront jugés suffisants. Mais déjà,
la liste des pesticides neurotoxiques qu’on classe faussement dans la
protection des plantes pourrait être rallongée à l’infini. Et le fait qu’ils
soient autorisés par les autorités n’implique pas leur innocuité. Il n’y a donc
qu’une seule possibilité : acheter et manger bio – pour protéger la nature et
les générations à venir.

Les drogues

Inutile de recourir à des drogues synthétiques comme la PCP pour bloquer la


neurogenèse dans l’hippocampe24 : une consommation d’alcool qui dépasse
l’équivalent d’environ un quart de litre de vin inhibe aussi la formation de
nouveaux neurones25. Après un excès d’alcool, c’est-à-dire après une bonne

223
beuverie, la neurogenèse est même bloquée pendant plusieurs semaines26.
Consommer de l’alcool trop souvent et en trop grande quantité revient à
appuyer sur la pédale d’accélérateur de l’Alzheimer27. Un conseil, donc :
oubliez le deuxième verre et savourez plus la qualité que la quantité.
Pendant la phase intensive du traitement, qui fait l’objet de la partie
suivante, l’abstinence est par ailleurs de mise.

Détoxication naturelle

Comme nous ne pouvons pas quitter notre environnement chargé de toxines,


nous devons tirer le meilleur parti possible de la situation. D’une part, il
nous faut éviter autant que faire se peut les sources d’alimentation
contaminées et, d’autre part, veiller à ce que les toxines que nous ingérons
inévitablement ne soient quasiment pas absorbées par notre corps. Une
alimentation saine et diversifiée va nous y aider. Les fibres lient par
exemple les poisons alimentaires et empêchent ainsi leur passage à travers
la paroi intestinale, de sorte que nous ne les absorbons pas. Grâce à ce
mécanisme, les fibres permettent aussi que les toxines évacuées via la bile
par notre foie ne soient pas réabsorbées. Une alimentation riche en fibres
contribue ainsi à une détoxication efficace (c’est le même processus qui lui
permet aussi de favoriser l’évacuation naturelle du cholestérol excédentaire
arrivant dans l’intestin sous forme d’acide biliaire). Par ailleurs, les reins
jouent aussi un rôle prépondérant dans l’élimination des toxines via les
urines. Pour une détoxication, il est donc indispensable que ces organes
soient en parfait état de marche. Le bon fonctionnement du foie et des reins
devra être contrôlé par un médecin.
Une alimentation qui met l’accent sur les produits complets contient
beaucoup de fibres, ce qui permet de réduire le risque d’une exposition
chronique aux toxines présentes dans notre environnement. En outre, une
alimentation saine nous fournit de la pectine (contenue dans les fruits,
comme les agrumes, les pommes et bien d’autres) : celle-ci agit comme de
la gélatine et enveloppe les métaux lourds et les toxines dont elle favorise
l’évacuation28. Même chose pour les aliments qui contiennent des
composants sulfureux : ail, oignon, ail des ours ou encore brocoli et
gingembre. Ils lient les métaux lourds toxiques et encouragent la
détoxication. Ajoutons-y du curcuma, du thé vert, des tomates bien mûres
(riches en polyphénols), j’en passe et des meilleures… En se combinant
d’une manière ou d’une autre aux toxines, de très nombreux principes actifs
d’origine végétale nous permettent de les évacuer plus facilement29.

224
Un petit coup de pouce à la détoxication

Pour accélérer la détoxication, ou encore dans le cadre du retrait des


amalgames dentaires, on peut en outre conseiller de suivre un traitement à
base de poudres d’algues, comme toujours sous la surveillance d’un
médecin expérimenté. L’efficacité des algues Chlorella est par exemple
prouvée pour ce qui est de l’évacuation des métaux lourds absorbés30. Sous
forme de gélules, ces algues sont de prise facile, et sous forme de poudre,
elles sont bien adaptées pour des bains de bouche dans le cadre du retrait
des amalgames. Certains médecins recourent également au DMPS et au
DMSA, souvent en combinaison avec une cure fortifiante pour le foie
(organe principal de la détoxication), par exemple avec un traitement
préliminaire au chardon-Marie. Là encore, demandez conseil à un médecin
compétent en la matière.
De la même manière, mieux vaut ne pas prendre à la légère n’importe
quelle préparation à base d’algues Chlorella. Même si elles sont en vente
libre, il est préférable de demander l’avis d’un médecin qui pourra, sur la
base de son expérience, juger de leur qualité. Des algues de mauvaise
qualité pourraient en effet elles-mêmes constituer une source de toxines.
Dans l’intestin, les toxines se fixent sur la poudre d’algues, ce qui permet
de faciliter leur évacuation. Et à long terme, notre cerveau pourra lui aussi
être peu à peu débarrassé des toxines déjà stockées. En effet, toutes les
substances de notre organisme se trouvent dans un équilibre perpétuel : si
l’on retire une substance donnée à une extrémité (l’intestin), la quantité de
cette substance diminue donc aussi à l’autre extrémité (le cerveau).
Toutefois, pour une détoxication plus rapide, il me semble indispensable de
mettre également en place un traitement localisé au niveau du cerveau, par
exemple à base d’acide alpha-lipoïque.

La détoxication cérébrale

L’acide alpha-lipoïque (AAL) a longtemps été considéré comme une


vitamine, mais aujourd’hui, on sait que notre corps est capable de fabriquer
lui-même cette molécule. Elle ne se trouve qu’en quantité restreinte dans la
nourriture, par exemple dans les abats (foie, cœur et gésiers), la viande de
bœuf, les épinards et certains autres légumes.

LE POINT SUR : L’ACIDE ALPHA-LIPOÏQUE

225
(AAL)
L’AAL est un cofacteur, c’est-à-dire une molécule d’assistance, qui
intervient au moment de l’approvisionnement vital en énergie et est
indispensable à ce processus31. Celui-ci se déroule dans les
mitochondries, qu’on pourrait considérer comme les centrales
énergétiques de nos cellules corporelles. L’approvisionnement en
énergie produit naturellement des radicaux libres. Du coup, la nature a
eu la bonne idée de doter l’acide alpha-lipoïque d’une excellente
capacité à capter les radicaux libres. En outre, l’AAL, comme son
métabolite naturel réduit, l’acide dihydrolipoïque, se lie très bien aux
composés neurotoxiques de mercure et de plomb32. Il fixe aussi les ions
métalliques libres de cuivre, de fer et de zinc qui, en excès dans le
cerveau, favorisent l’agrégation de la bêta-amyloïde et sa transformation
en toxine33.

Par rapport aux algues évoquées plus haut, l’acide alpha-lipoïque et


l’acide dihydrolipoïque présentent un avantage de taille : le premier
franchit la barrière intestinale et le second franchit en plus sans problème la
barrière hémato-encéphalique, ce qui lui permet de pénétrer dans toutes les
zones du système nerveux central. On a pu démontrer que tous les ions
métalliques libres dangereux formaient avec ces deux substances des
complexes stables et qu’ils étaient évacués sous cette forme via la bile. On
peut par conséquent affirmer que l’utilisation de l’acide alpha-lipoïque a un
effet positif dans le traitement de l’Alzheimer34.
Pendant la phase intensive du traitement (voir la partie suivante), on
prendra de l’acide alpha-lipoïde pendant six mois, à raison d’au
moins 0,6 g ou, mieux, 1,8 g par jour. Et toujours sur prescription d’un
médecin. Selon la gravité de l’intoxication aux métaux lourds et à
l’aluminium, une dose quotidienne allant jusqu’à 2,4 g peut être
recommandée. En début de traitement, on peut également conseiller une
perfusion d’acide alpha-lipoïque pour accélérer la détoxication.
L’effet thérapeutique de l’acide alpha-lipoïque ne se limite cependant pas
à cette fonction de détoxication décisive pour le traitement contre
l’Alzheimer. Comme nous le verrons dans la partie suivante, l’AAL est aussi
un élément essentiel de la phase intensive du traitement.

Le rayonnement neurotoxique

226
C’est un débat récurrent : le rayonnement émanant des téléphones portables
pourrait être une nuisance responsable à long terme de dommages
neurologiques. Dans un univers de plus en plus connecté, nous ne pouvons
pas éviter ce type de rayonnement. La seule décision qu’il nous appartient
ici de prendre est la suivante : devons-nous ou non mettre notre portable à
la poubelle ? Une analyse des recherches scientifiques les plus récentes
portant sur l’Alzheimer met en évidence des résultats contradictoires. Ont
ainsi été constatés aussi bien un effet nul sur des animaux atteints
d’Alzheimer35 que des effets négatifs sur des animaux auparavant en bonne
santé36, mais aussi une amélioration des symptômes avec une
décomposition accrue de la bêta-amyloïde toxique dans le cerveau de
souris malades37. C’est peut-être pour cette raison que certains
scientifiques proposent déjà de traiter des patients atteints d’Alzheimer
avec des rayonnements électromagnétiques38. Pour l’heure, cependant, ce
scénario relève encore de l’hypothèse, et il y a fort à parier que seuls les
malades les plus atteints pourront éventuellement en tirer des bénéfices.
Devant des résultats bénéfiques encore très isolés, je n’irai pas jusqu’à
considérer l’usage du téléphone portable comme une possibilité de
traitement. Dans le cadre de la chimiothérapie anticancéreuse, c’est vrai, on
utilise bien des produits qui sont eux-mêmes cancérigènes. En tout cas, il est
inutile pour l’instant de vous débarrasser de votre téléphone portable. Mais,
préférez toujours au dialogue à distance un dialogue en direct qui vous
permettra de cultiver les contacts humains.

1 Cf. www.senat.fr/rap/l00-261/l00-261_mono.html#toc454.
2 WHITTINGTON, R. A. et al., “Anesthesia and tau pathology”, Prog.
Neuropsychopharmacol. Biol. Psychiatry, vol. 47, 2013, p. 147-155,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23535147 ; CHEN, P. L. et al., “Risk of dementia
after anaesthesia and surgery”, Br. J. Psychiatry, vol. 204, 2014, p. 188-193,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23887997.
3 P EREIRA DIAS, G. et al., “Consequences of cancer treatments on adult
hippocampal neurogenesis : implications for cognitive function and depressive
symptoms”, Neuro. Oncol., vol. 16, 2014, p. 476-492,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24470543.
4 HARLEY, K. G. et al., “Prenatal and early childhood bisphenol A concentrations
and behavior in school-aged children”, Environ. Res., vol. 126, 2013, p. 43-50,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23870093.
5 KIM, M. E. et al., “Exposure to bisphenol A appears to impair hippocampal
neurogenesis and spatial learning and memory”, Food Chem. Toxicol., vol. 49,

227
2011, p. 3383-3389, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21959526.
6 ELADAK, S. et al., “A new chapter in the bisphenol A story : bisphenol S and
bisphenol F are not safe alternatives to this compound”, Fertil. Steril., vol. 103,
2015, p. 11-21, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25475787.
7 KINCH, C. D. et al., “Low-dose exposure to bisphenol A and replacement
bisphenol S induces precocious hypothalamic neurogenesis in embryonic
zebrafish”, Proc. Natl. Acad. Sci. USA, vol. 112, 2015, p. 1475-1480,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25583509.
8 ZHONG, G. et al., “Smoking is associated with an increased risk of dementia : a
meta-analysis of prospective cohort studies with investigation of potential effect
modifiers”, PLoS One, 2015, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25763939.
9 REITZ, C. et al., “Relation between smoking and risk of dementia and
Alzheimer’s disease : the Rotterdam Study”, Neurology, vol. 69, 2007, p. 998-
1005, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17785668.
10 BRUIJNZEEL, A. W. et al., “Tobacco smoke diminishes neurogenesis and
promotes gliogenesis in the dentate gyrus of adolescent rats”, Brain Res., vol.
1413, 2011, p. 32-42, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21840504.
11 SINGH, B. et al., “A prospective study of chronic obstructive pulmonary disease
and the risk for mild cognitive impairment”, JAMA Neurol., vol. 71, 2014, p. 581-
588, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24637951.
12 D’après “Rauchen erhöht das Risiko für Demenz und Alzheimer”, Lungenärzte
im Netz, 11.9.2007, https://www.lungenaerzte-im-netz.de/news-
archiv/meldung/article/rauchen-erhoeht-das-risiko-fuer-demenz-und-alzheimer/.
13 ZHANG, L. et al., “Cigarette smoking and nocturnal sleep architecture”, Am. J.
Epidemiol., vol. 164, 2006, p. 529-537,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16829553.
14 DE LA MONTE, S. M. et Tong, M., “Mechanisms of nitrosamine-mediated
neurodegeneration : potential relevance to sporadic Alzheimer’s disease”, J.
Alzheimer’s Dis., vol. 17, 2009, p. 817-825,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19542621.
15 DE LA MONTE, S. M. et al., “Epidemiological trends strongly suggest exposures
as etiologic agents in the pathogenesis of sporadic Alzheimer’s disease, diabetes
mellitus, and non-alcoholic steatohepatitis”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 17, 2009,
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vol. 22, 2010, p. 357-374, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20847438.
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Alzheimer’s disease”, Clin. Biochem., vol. 46, 2013, p. 89-93,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23103708.

228
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2014, p. 765-838, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24577474.
20 KAWAHARA, M. et KATO-NEGISHI, M., “Link between aluminum and the
pathogenesis of Alzheimer’s Disease : the integration of the aluminum and amyloid
cascade hypotheses”, Int. J. Alzheimer’s Dis., 2011,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21423554.
21 Cf. www.verbraucherzentrale-bayern.de/aluminium-in-laugengebaeck---keine-
besserung-in-sicht-, 5.12.2014.
22 HOSSAIN, M. M. et al., “Hippocampal ER stress and learning deficits following
repeated pyrethroid exposure”, Toxicol. Sci., vol. 143, 2015, p. 220-228,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25359175.
23 MISHRA, D. et al., “Prenatal carbofuran exposure inhibits hippocampal
neurogenesis and causes learning and memory deficits in offspring”, Toxicol. Sci.,
vol. 127, 2012, p. 84-100, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22240977.
24 T ANIMURA, A. et al., “Prenatal phencyclidine exposure alters hippocampal cell
proliferation in offspring rats”, Synapse, vol. 63, 2009, p. 729-736,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19425051.
25 MORRIS, S. A. et al., “Alcohol inhibition of neurogenesis : a mechanism of
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Hippocampus, vol. 20, 2010, p. 596-607,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19554644.
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229
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BANACEUR, S. et al., “Whole body exposure to 2.4 GHz WIFI signals : effects on
cognitive impairment in adult triple transgenic mouse models of Alzheimer’s disease
(3xTg-AD)”, Behav. Brain Res., vol. 240, 2013, p. 197-201,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23195115.
38 ARENDASH, G. W., “Transcranial electromagnetic treatment against Alzheimer’s
disease : why it has the potential to trump Alzheimer’s disease drug development”,
J. Alzheimer’s Dis., vol. 32, 2012, p. 243-266,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22810103 ; MORTAZAVI, S. A. et al., “Looking at
the other side of the coin : the search for possible biopositive cognitive effects of
the exposure to 900 MHz GSM mobile phone radiofrequency radiation”, J. Environ.
Health Sci. Eng., 2014, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24843789.

230
231
3

PHASE INTENSIVE DU TRAITEMENT

La santé n’est pas tout, mais tout n’est rien sans


la santé.

ARTHUR SCHOPENHAUER (1788-1860)

232
233
UN TRAITEMENT SYSTÉMIQUE
CONTRE L’ALZHEIMER

Chère lectrice, cher lecteur, pour garantir la réussite de ce traitement contre


l’Alzheimer, il vous faut non seulement être prêt à remettre en question vos
habitudes, faire preuve de persévérance et de discipline, mais aussi – et
c’est indispensable – avoir le soutien d’un médecin qui mettra en place une
démarche systémique et axera le traitement sur les causes, et pas seulement
sur les symptômes. Ce chapitre, qui présente mon concept thérapeutique
pour une phase intensive de traitement d’environ six mois, s’adresse donc
tout particulièrement aux médecins. Mais pour les aidants, les proches ou le
patient lui-même, il est aussi important de savoir pour quelle raison telles
ou telles mesures thérapeutiques doivent être mises en œuvre dans le cadre
de ce traitement systémique contre l’Alzheimer. Pour ceux qui
souhaiteraient disposer de tout l’arrière-plan scientifique ayant donné
naissance à ce concept, l’article que j’ai publié dans le Journal of
Molecular Psychiatry est disponible sur Internet1.
En matière de prévention de l’Alzheimer, une adaptation de notre mode
de vie à nos besoins véritables devrait permettre d’obtenir les résultats
escomptés. En revanche, une fois la maladie déclarée, ce processus reste
bien sûr nécessaire, mais il n’est plus suffisant. Avec le développement de
la maladie, les processus métaboliques et les voies de signalisation
connaissent des modifications nombreuses et profondes : il est de plus en
plus difficile d’avoir prise sur celles-ci, et elles se renforcent les unes les
autres. Un exemple : la toxine déjà fabriquée à partir de la bêta-amyloïde
n’agit pas seulement comme une particule infectieuse ; elle active aussi la
synthèse de son précurseur, la bêta-amyloïde. C’est un cercle infernal qu’un
mode de vie axé sur la prévention ne suffira pas à rompre. Pour guérir la
maladie, il faut un concept systémique qui s’applique à éliminer de manière
individuelle les véritables causes de la maladie et, en se fondant sur
l’adoption d’un mode de vie adapté, brise de manière ciblée ces
mécanismes interdépendants.
Voilà pourquoi je souligne encore la nécessité de placer le traitement
sous la surveillance d’un médecin sensibilisé à une démarche systémique2.
Ce n’est pas une évidence, puisque notre médecine actuelle est fortement

234
marquée par un cloisonnement par spécialités. Sur le fond, la médecine
pratique ne procède pas autrement que la recherche médicale. La vision est
de plus en plus détaillée, mais à se focaliser sur un détail grossi, on perd de
vue l’ensemble.
Les pathologies complexes, cependant, demandent des solutions globales
qui ne peuvent généralement être élaborées et mises en pratique que par une
équipe interdisciplinaire d’experts. Pour les patients atteints d’Alzheimer,
citons, en plus du médecin soucieux d’une approche systémique et selon la
situation individuelle de départ, au moins un nutritionniste formé sur la
question, un kinésithérapeute et un psychothérapeute. Des mesures
circonscrites à un domaine (par exemple, l’amélioration du sommeil
permettant la création de nouveaux neurones et l’évacuation de la bêta-
amyloïde toxique via la barrière hémato-encéphalique) seront en effet
quasiment inefficaces si aucun changement n’a été mis en œuvre dans un
autre domaine (comme l’alimentation ou l’activité physique). Dans ce cas,
l’activation de la neurogenèse qui devrait avoir lieu pendant que nous
dormons échouera peut-être parce qu’il manque les matériaux de
construction ou les neurotransmetteurs nécessaires à ce processus, ou parce
que la barrière hémato-encéphalique ne laisse tout simplement pas passer la
bêta-amyloïde toxique qui devrait être évacuée durant le sommeil.
Tous – les experts médicaux, mais aussi le patient et les aidants –,
doivent développer une nouvelle conception de l’Alzheimer, oublier
l’hypothèse d’une fatalité et comprendre qu’il s’agit d’un processus
biologique, complexe, certes, mais sur lequel nous pouvons influer.
Le principe d’une approche globale selon laquelle l’être humain doit être
considéré dans toute sa complexité systémique n’est cependant pas nouveau.
Dès 1946, l’Organisation mondiale de la santé en fournissait une
définition3. D’après celle-ci, la santé est “un état de complet bien-être
physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de
maladie ou d’infirmité”. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est
l’application de cette vision à l’Alzheimer, jusqu’ici jugé résistant à tout
traitement.

L’Alzheimer diagnostiqué

“Avant d’inventer le traitement, les dieux inventèrent le diagnostic !” Voilà


un adage qu’Hippocrate, père de la médecine moderne, n’aurait
certainement pas renié, il y a de cela 2 500 ans. Aujourd’hui, il est plus que
jamais valable. Car les possibilités de nuire au patient en cas de diagnostic
erroné sont extrêmement nombreuses. Le devoir de ne pas desservir les

235
intérêts du patient à travers les soins médicaux prodigués est une part
importante du serment hippocratique, et les médecins s’y sentent toujours
tenus.
Pour poser avec une grande fiabilité le diagnostic “Alzheimer”, nous
disposons aujourd’hui d’une combinaison de procédés d’imagerie médicale
(PET scans), de tests neuropsychologiques et, dernier paramètre et non des
moindres, d’une anamnèse détaillée. Il s’agit de l’observation des
antécédents du patient, qui est aussi le fondement du diagnostic. Au cours
d’un entretien approfondi, le médecin se renseigne sur les problèmes
actuels et leur évolution. En cas de suspicion de démence, l’interrogatoire
des proches a aussi son importance puisque le patient peut ne plus se
souvenir exactement du déroulement de la maladie. En outre, les proches
remarquent parfois des symptômes dont le malade lui-même n’a pas
conscience. Évidemment, avant de commencer à mettre en œuvre les
mesures thérapeutiques contre l’Alzheimer, il convient d’exclure toute autre
possibilité expliquant les symptômes.
Plus le diagnostic est posé tôt, et mieux c’est. Sur ce point, le patient et
l’aidant (quel qu’il soit) devront être informés du fait qu’avec l’adoption
d’un mode de vie visant à éliminer les carences, la guérison est possible,
mais sans doute uniquement aux stades 1 à 3 de la maladie (voir le chapitre
“Les cinq stades de la maladie”, p. 90). Au stade 4 et d’après les
connaissances actuelles malheureusement limitées, on devrait au moins
pouvoir s’attendre à une amélioration des symptômes et à un ralentissement
de la progression de la maladie. Cette estimation est susceptible d’évoluer,
mais à l’heure actuelle, il est préférable de ne pas se faire d’illusions sur la
question.
D’après les explications fournies aux chapitres “Pourquoi l’Alzheimer ?
Une explication évolutive” et “Des carences qui nous rendent malades”,
l’inhibition chronique de la neurogenèse résultant de notre comportement est
le principal déclencheur de la maladie d’Alzheimer. La présence d’une
mutation génétique, que nous avons décrite précédemment comme une
pédale d’accélérateur de la maladie, ne changera rien au traitement. Dans
tous les cas, le programme thérapeutique repose sur une activation des
forces d’autoguérison, c’est-à-dire sur une réactivation naturelle de la
neurogenèse dans l’hippocampe, celle-ci étant possible tout au long de la
vie humaine. Pour cela, la priorité no 1 est de remédier à toutes les carences
à l’origine de la maladie. L’anamnèse doit donc reconstituer les
comportements qui entraînent des troubles de la neurogenèse et de
l’évacuation de la bêta-amyloïde en excès : manque de sommeil, mauvaise

236
alimentation, manque d’activité physique, absence d’environnement social,
etc.
Une analyse de sang complète indiquera si l’inflammation est chronique
ou aiguë et s’il y a infection. Elle permettra en outre d’identifier d’éventuels
troubles du métabolisme (glucides, lipides, cholestérol, etc.) et des
dysfonctionnements au niveau des organes (foie, reins, thyroïde, etc.). Un
test de mobilisation pour les métaux lourds est un bon indicateur quant à la
gravité de l’intoxication à ces métaux. Il peut être utilisé pour évaluer le
succès d’une détoxication naturelle et lors du traitement à l’acide alpha-
lipoïque. Il convient également de faire un bilan de contrôle des vitamines,
des minéraux et des oligoéléments.

Le programme thérapeutique

La phase intensive du traitement dure environ six mois. Le choix de cette


période s’appuie sur les expériences tirées de l’étude du professeur
Bredesen. En outre, elle correspond également à l’explication qu’on a
donnée de l’Alzheimer : pour traiter une maladie causée par des troubles de
la neurogenèse, il ne suffit pas d’activer le taux de création de nouveaux
neurones dans l’hippocampe. Comme dans le traitement la dépression, il
faut aussi qu’ait lieu une intégration des nouveaux neurones. Et cela prend
du temps – des semaines, voire plusieurs mois. Les expériences, les
souvenirs et les possibilités d’action future, mais aussi les schémas de
pensée qui sont développés pendant cette phase et encodés par les nouveaux
neurones sont décisifs pour le succès à terme du traitement. Autrement dit :
il convient de revoir sa façon de penser assez durablement pour qu’après la
guérison, la maladie ne puisse plus reparaître.

Cette phase du traitement doit de plus permettre de briser les principaux


cercles vicieux qui se sont installés sur la base d’une neurogenèse déjà
défaillante. Car même si le changement de mode de vie permet de remédier
aux carences, ces cercles vicieux, s’ils persistent, vont entretenir la maladie
et très certainement permettre sa progression. Voilà pourquoi la prise de
millepertuis, d’acide alpha-lipoïque (AAL), d’extrait de Ginkgo biloba
(EGb) et de lithium microdosé est recommandée pendant les six mois de la
phase intensive du traitement. Les paragraphes suivants fourniront une
explication plus détaillée de ces médicaments.
En fonction de la gravité de la maladie et des pathologies éventuellement
associées, il peut être préférable de prévoir le début du traitement sous la
forme d’une hospitalisation plutôt que dans le cadre d’un suivi en

237
ambulatoire par une équipe pluridisciplinaire ayant opté pour une démarche
systémique (médecin, kinésithérapeute, psychothérapeute et nutritionniste).
L’idéal serait que puisse s’établir une coopération étroite entre les
organismes de prise en charge ambulatoire et les hôpitaux et cliniques.
La guérison physiologique qui devrait alors se profiler sera
vraisemblablement associée à une amélioration de la tension et du
métabolisme des glucides, des lipides et du cholestérol. Le dosage de
certains médicaments va donc changer en fonction de ces paramètres, et
certains pourront sans doute être supprimés, peut-être même assez tôt. Au-
delà des contrôles rapprochés en début de traitement, on prévoira par
conséquent un examen clinique complet au plus tard un mois, puis trois mois
après le début du traitement. Les différents dosages pourront ainsi être
adaptés en fonction de la situation métabolique, sans doute améliorée par
l’adoption d’un mode de vie conforme à nos besoins. Au cours des
entretiens menés régulièrement avec le patient, on pourra par ailleurs
évaluer son degré d’acceptation du traitement, de même que les difficultés
rencontrées et les améliorations déjà ressenties. On vérifiera bien sûr aussi
que les principes actifs employés pour soutenir et accélérer le processus de
guérison sont bien supportés.
Selon le programme thérapeutique individuel, on veillera à informer les
patients des éventuels effets secondaires. Ainsi, les malades qui modifient
fondamentalement leur alimentation, en passant par exemple d’une
alimentation pauvre en fibres à une alimentation riche en fibres, devront
s’attendre à quelques désagréments (ballonnements, etc.) liés à une
adaptation de la flore intestinale (microbiote). En règle générale, ces
problèmes s’estompent au bout de quelques jours ou semaines, dès que le
microbiote s’est adapté au nouveau régime alimentaire. Ce processus
devrait être encouragé par la prise de probiotiques.
Je préconise de refaire les tests neuropsychologiques au bout de trois
mois, afin de voir si le traitement entraîne déjà une amélioration décelable
selon des critères objectifs. Dans le cas contraire, il conviendra d’en
déterminer les raisons (erreur de diagnostic, troubles liés à des causes
supplémentaires, respect insuffisant du traitement, etc.) et, éventuellement,
de réajuster les mesures thérapeutiques.
Une fois achevée la phase intensive du traitement, on procédera à des
examens complets, pareils à ceux qui auront été réalisés avant le début du
traitement. Le patient devra également se soumettre à un nouveau test
neuropsychologique. Cependant, au-delà de l’évaluation objective de la
mémoire, le ressenti subjectif du patient et de ceux qui l’entourent a toute
son importance ici. On focalisera surtout son attention sur la capacité à

238
gérer le quotidien sans aide et de manière autonome, capacité que le patient
devrait normalement avoir retrouvée. Les procédés d’imagerie médicale,
quant à eux, permettront de constater de manière objective les améliorations
organiques découlant du traitement. Selon les biomarqueurs choisis, on
devrait pouvoir constater soit une nette réduction des dépôts de bêta-
amyloïde, soit une normalisation de l’absorption du glucose dans la région
temporale. Au bout de six mois, il est même très probable que soit déjà
visible une augmentation de volume de l’hippocampe. Le résultat du
professeur Bredesen qui, à l’issue d’une période de traitement d’environ
dix mois, a pu mettre en évidence une croissance record de l’hippocampe
de presque 12 %4 valide cette hypothèse. D’un point de vue scientifique, il
sera particulièrement intéressant de répéter ces analyses un, deux et cinq
ans après les six mois de traitement intensif. En examinant l’état des patients
qui auront conservé leur mode de vie adapté aux exigences humaines et
celui des patients qui seront peut-être retombés dans leur ancien schéma
comportemental, on pourra alors effectuer une comparaison significative
pour le traitement. Dans une communication personnelle, le professeur
Bredesen m’a indiqué que la résistance à l’insuline de l’hippocampe était
l’un des éléments particulièrement difficile à traiter. Cette spécificité
pourrait expliquer la réapparition rapide des symptômes chez les patients
qui avaient abandonné le jeûne nocturne ou n’utilisaient plus d’huile de
coco (ou consommaient à nouveau des glucides simples) – autant de
paramètres qui inhibent la production de corps cétoniques. Dans ces
conditions, l’hippocampe souffre à nouveau d’une carence énergétique qui
entraîne un dysfonctionnement. Cependant, comme le professeur Bredesen
l’a aussi souligné, dès lors que ces patients suivent à nouveau les consignes
du traitement, les symptômes disparaissent rapidement : comme la
neurogenèse est déjà activée, il n’est plus nécessaire d’attendre plusieurs
mois avant de pouvoir constater une amélioration. En résumé : le mieux est
sans doute d’adopter un style de vie axé sur la prévention, qui empêche la
sécrétion d’insuline et encourage la fabrication de corps cétoniques, et de le
conserver à long terme, au moins jusqu’à ce que soit attestée la résistance à
l’insuline dans l’hippocampe ou la région temporale.
On l’a dit : la maladie d’Alzheimer résulte de carences. En vertu de la
Loi du minimum, tout écart par rapport au programme thérapeutique (c’est-
à-dire toute carence non considérée) risque donc de mettre en danger
l’objectif thérapeutique, y compris après les six mois de traitement intensif.
Voilà pourquoi je recommande de procéder à un contrôle médical tous les
six mois une fois que le patient aura “retrouvé sa liberté”.

239
Une fois le traitement achevé avec succès, le patient s’engage ensuite
dans la phase de prévention contre la maladie d’Alzheimer. Comme le
montrent mon raisonnement ainsi que les expériences pratiques de Dale
Bredesen, il devra dans l’idéal s’y tenir toute sa vie. Pour y parvenir, il peut
être utile, dès la phase intensive du traitement, de trouver un soutien au sein
d’un groupe d’entraide, c’est-à-dire d’avoir des contacts avec d’autres
personnes touchées et leur entourage, afin d’échanger sur les résultats et les
difficultés du traitement.

Le paradoxe de Münchhausen

Comme on l’a régulièrement évoqué, il serait naïf d’affirmer que la mise en


œuvre de ce concept thérapeutique est aisée pour le patient. En dépit des
souffrances qu’engendre une maladie grave, on ne parvient pas toujours à
changer son mode de vie alors même que celui-ci est responsable des
souffrances en question. Dans le cas de l’Alzheimer, la situation est encore
plus délicate, puisque la maladie se développe ici sur plusieurs décennies,
les causes et les conséquences finissant par se renforcer les unes les autres
dans un cercle infernal. En outre, du fait d’une mauvaise neurogenèse (et à
la différence de ce qui se passe pour une pathologie en premier lieu
physiologique), la compétence qui fait défaut est précisément celle dont on
a besoin pour mettre en place le traitement qui permettra d’adopter un
nouveau mode de vie. Comment le patient qui souffre d’une mauvaise
neurogenèse, et donc d’une résistance réduite au stress, pourra-t-il faire
preuve d’une détermination à toute épreuve et accepter un changement peut-
être radical de son mode de vie et de sa vision des choses, alors que son
état de santé l’incite justement à éviter tout nouveau défi ?
Cette situation n’est pas sans rappeler le célèbre baron de Münchhausen
qui, d’après ses propres dires, aurait résolu une situation comparable de la
manière suivante : pris dans les marécages avec son cheval, il en serait
sorti en se tirant lui-même par les cheveux. Comme nous le savons, c’est
impossible. Voilà pourquoi les patients atteints d’Alzheimer, pour guérir,
doivent être soutenus et accompagnés pas à pas par une équipe
thérapeutique qui élaborera et mettra en œuvre une démarche systémique.
Ce défi ressemble à celui auquel doivent faire face les personnes
dépressives. Là aussi, il s’agit de changer de comportement pour activer la
neurogenèse. Si celle-ci est par exemple inhibée par un manque d’activité
physique, faire davantage de sport sera plus efficace et surtout plus sain à
long terme que de prendre des antidépresseurs5. C’est en outre la seule
façon d’éliminer la véritable cause du problème. Mais évidemment, on ne

240
peut pas attendre d’un patient dépressif qu’il se mette soudain à gambader
gaiement dans la forêt, comme si on avait appuyé sur un bouton. Même si,
d’un point de vue rationnel, le patient sait que l’activité physique est la
meilleure option pour lui, les médecins ne peuvent généralement pas faire
complètement l’impasse sur les antidépresseurs, au moins au début de la
prise en charge. En lui proposant aussi un suivi psychothérapeutique,
l’équipe médicale va pouvoir tirer le patient dépressif des “marécages”
émotionnels de la passivité. Mais une fois cette étape accomplie, il sera
temps d’éliminer les carences qui sont à l’origine du problème. Et pour
éviter une rechute, là encore, l’activité physique s’avère plus efficace que
les antidépresseurs.
Mais revenons au traitement de la maladie d’Alzheimer. Pour mettre hors
d’état de nuire le principal moteur de la maladie d’Alzheimer, ainsi que j’ai
baptisé le cercle vicieux représenté dans l’illustration p. 74-75, je
recommande de suivre dès le début un traitement au millepertuis perforé,
également appelé “l’herbe aux mille vertus”. Et ce n’est pas la seule raison
qui m’incite à mettre l’accent sur cette mesure. Autrement dit : pour
atteindre les objectifs du traitement, il s’agit de briser aussi d’autres cercles
vicieux – et le millepertuis va nous y aider.

L’herbe aux mille vertus

Le millepertuis perforé fleurit aux alentours du solstice d’été, juste avant la


Saint-Jean, ce qui lui a aussi valu le surnom de barbe de Saint-Jean.
Hypericum perforatum, de son nom binominal, est conseillé depuis des
centaines d’années comme remède contre la mélancolie et la dépression.
Cette fleur jaune est aussi utilisée pour lutter contre les troubles du sommeil
ou la nervosité. Elle améliore l’humeur et augmente la motivation. Des
études cliniques ont prouvé son efficacité dans les dépressions légères à
modérées, et des analyses scientifiques ont désormais aussi pu mettre en
avant un effet positif chez les patients atteints d’Alzheimer6.
Outre les flavonoïdes (qui colorent les fleurs), le millepertuis contient un
autre composé actif dont les propriétés sont elles aussi anti-inflammatoires :
l’hyperforine. Des expériences ont aussi montré que l’hyperforine ou plus
précisément la tétrahydrohyperforine, dérivé semi-synthétique qui en est
issu, stimulait la neurogenèse aussi bien sur des souris en bonne santé que
sur celles qui, après manipulation génétique, étaient atteintes de la maladie
d’Alzheimer. Chez ces dernières, la mémoire spatiale à long terme
(épisodique) fut ainsi améliorée7. En outre, l’hyperforine régule de

241
différentes manières l’activité de deux neurotransmetteurs majeurs,
l’acétylcholine et le glutamate. Résultat : d’une part, la quantité de bêta-
amyloïde est réduite et, d’autre part, la toxine déjà existante est mieux
évacuée8.
Différentes études sur des souris ont en outre montré que les composés
actifs du millepertuis activaient un mécanisme de transport qui, via la
barrière hémato-encéphalique, guidait la bêta-amyloïde en excès hors du
cerveau9. Ce processus renforçait l’élimination de la bêta-amyloïde toxique
et contribuait également à normaliser la mémoire des souris malades. Sur la
base de ces connaissances, je recommande donc la prise d’un extrait de
millepertuis qui contienne tous ( !) les composés actifs de la plante.
On pourrait être tenté de minimiser la qualité de ces résultats parce qu’ils
ne découlent que d’études sur les souris. Néanmoins, l’effet antidépresseur
du millepertuis sur l’homme est unanimement prouvé, ce qui signifie que les
composés actifs parviennent aussi au cerveau humain et y stimulent la
neurogenèse. L’hormone du bonheur, notamment, c’est-à-dire la sérotonine,
est un stimulateur efficace de la neurogenèse10. On a pu montrer que
l’augmentation de la sérotonine induite par le millepertuis devait aussi être
responsable de la meilleure élimination de la bêta-amyloïde toxique. Cet
effet important dans la maladie d’Alzheimer a entre-temps été confirmé chez
l’homme avec les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine
(ISRS, SSRI en anglais)11.
Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine empêchent que
la sérotonine déjà libérée et donc active comme neurotransmetteur soit
recapturée par les cellules du cerveau et éliminée. La concentration active
du neurotransmetteur est ainsi augmentée, ce qui entraîne assez rapidement
une hausse de la motivation. Comme pour le millepertuis, l’efficacité des
antidépresseurs de la catégorie SSRI contre la dépression repose sur une
activation de la neurogenèse dans l’hippocampe au moyen de la sérotonine.
L’effet n’est cependant perceptible qu’après plusieurs semaines12.
Via une augmentation de la sérotonine, les SSRI empêchent la formation de
la bêta-amyloïde toxique. Certains scientifiques considèrent donc ces
antidépresseurs de synthèse comme un moyen convaincant de freiner
l’Alzheimer13. Cependant, dans le traitement des états dépressifs, de
nombreux médecins ont fait des expériences positives avec du millepertuis
et, même en cas de dépression grave, préfèrent son principe actif naturel
aux différents composés actifs des SSRI – une démarche que vient d’ailleurs
étayer une méta-analyse de plusieurs études cliniques14. D’après celle-ci,
les effets secondaires indésirables du millepertuis – et donc le pourcentage

242
d’abandon du traitement – sont nettement moins élevés qu’avec les
médicaments de synthèse. Résumons : les effets thérapeutiques des SSRI et
du millepertuis sont très similaires pour la dépression et plus
particulièrement pour l’Alzheimer, mais les effets secondaires indésirables
du millepertuis sont nettement plus rares (et celui-ci, grâce à une
combinaison unique de principes actifs, agit sans doute même de manière
plus large et efficace). Par conséquent, le millepertuis peut et doit être
préféré comme élément essentiel du traitement systémique contre
l’Alzheimer.
Compte tenu de ses nombreux effets anti-Alzheimer, on choisira en outre
la plus haute dose tolérable possible. Mais attention ! Même si le
millepertuis est en vente libre sous différentes formes, je déconseille là
encore de s’automédiquer. Certes, les effets secondaires sont rares (c’est-à-
dire qu’ils sont apparus chez moins d’une personne sur 1 000 traitées
avec 0,9 g de millepertuis par jour, mais chez plus d’une personne
sur 10 000) : il s’agit de réactions cutanées, de troubles digestifs, de fatigue
ou de nervosité. Chez les personnes à la peau claire, il peut aussi y avoir
via photosensibilisation une hypersensibilité cutanée après une exposition
prolongée au soleil. Cela se manifeste par des fourmillements, une sensation
de brûlure ou une sensibilité accrue à la douleur et au froid qui
s’accompagne de rougeurs. Ces réactions sont le plus souvent faciles à
maîtriser : il suffit de se couvrir la peau ou d’appliquer une crème solaire à
haut facteur de protection. Il peut également arriver que l’urine ait une
couleur jaune vif. Cet effet causé par la riboflavine (vitamine B2), un
composant naturel du millepertuis, ne présente aucun risque. Si ces effets
indésirables sont relativement bénins et rares, le millepertuis peut
cependant aussi entraîner des interactions avec d’autres médicaments :
comme il active la capacité de détoxication du foie, l’action d’éventuels
autres médicaments pourra être limitée du fait de leur élimination plus
efficace. Un traitement au millepertuis ne doit donc être pris que sur
ordonnance.

Les pouvoirs de l’acide alpha-lipoïque

Si l’acide alpha-lipoïque (AAL) fait partie du système de principes actifs


que je propose d’utiliser contre l’Alzheimer, ce n’est pas seulement pour
ses propriétés de détoxication (voir le chapitre “Détoxiquer”, p. 283). C’est
aussi parce qu’il permet, comme le millepertuis, de briser plusieurs cercles
vicieux inhérents à la maladie.

243
• L’acide alpha-lipoïque est antioxydant. Au chapitre précédent, nous
expliquions que l’acide alpha-lipoïque et son métabolite naturel réduit,
l’acide dihydrolipoïque, empêchaient la formation de bêta-amyloïde toxique
et, en fixant les ions métalliques, décomposaient celle qui existait déjà. Au-
delà, l’acide dihydrolipoïque protège aussi directement les neurones de
l’effet néfaste des ions métalliques. En outre, l’AAL bloque le transporteur
RAGE, si bien que la quantité de bêta-amyloïde à passer la barrière hémato-
encéphalique pour pénétrer dans le cerveau est réduite15.
• L’acide alpha-lipoïque est antidiabétique. Il augmente la sensibilité à
l’insuline et pourrait ainsi agir à l’encontre de la résistance à l’insuline
dans l’hippocampe, un dysfonctionnement caractéristique de l’Alzheimer,
comme on l’a vu auparavant. En combinaison avec son rôle déterminant
dans le métabolisme énergétique des mitochondries déjà évoqué au chapitre
précédent, cette propriété pourrait s’avérer vitale pour les neurones qui,
dans le cas de la maladie d’Alzheimer, souffrent d’une insuffisance
énergétique. Au cours de la synthèse chimique, on obtient l’AAL sous deux
formes miroirs, R et S. Seule la forme naturelle R de l’acide alpha-lipoïque
présente cet effet antidiabétique, et pas la forme S. Dans le traitement de
l’Alzheimer, il est donc important de préférer la forme R de l’AAL, dont la
fabrication est un peu plus complexe16.
Encore une fois, le contrôle médical est indispensable : l’acide alpha-
lipoïque fait baisser la glycémie, ce qui pourrait renforcer l’effet des
médicaments antidiabétiques. Il est donc recommandé, notamment en début
de traitement, de procéder à des contrôles glycémiques rapprochés. Si
nécessaire, il conviendra de réduire la dose d’antidiabétiques
conformément aux indications du médecin traitant. Chez les patients dont la
régulation de la glycémie est normale, on constate très rarement (dans
moins d’un cas sur 10 000) une hypoglycémie avec vertiges, sueurs, maux
de tête et troubles de la vue. En outre, le médecin devra contrôler
régulièrement la vitamine B puisqu’un traitement de longue durée à l’AAL
est susceptible de modifier son absorption ou son métabolisme.
• L’acide alpha-lipoïque est anti-inflammatoire. L’acide alpha-lipoïque et
l’acide dihydrolipoïque font partie des capteurs les plus efficaces des
radicaux libres en excès. En éliminant ces “armes chimiques”, ils protègent
les mitochondries et finalement toutes les cellules de notre corps. Grâce à
leur puissance d’action, ils régénèrent dans notre organisme d’autres
antioxydants plus faibles (comme la vitamine C, la vitamine E, le coenzyme
Q10 ou le glutathion) quand ceux-ci ont déjà été utilisés et augmentent ainsi
leur quantité dans les cellules de notre corps17.

244
• L’acide alpha-lipoïque augmente l’acétylcholine. Comme la sérotonine,
l’acétylcholine est un neurotransmetteur dont la carence semble jouer un
rôle dans le développement de l’Alzheimer. L’industrie pharmaceutique
essaie donc d’inhiber sa dégradation dans le cerveau avec des
médicaments, de sorte que sa concentration augmente. Elle commercialise
ce qu’on appelle des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (inhibiteurs-
AchE) qui, d’un point de vue fonctionnel, se rapprochent beaucoup de
l’insecticide hautement toxique E605. Celui-ci inhibe de manière
irréversible l’acétylcholinestérase. Les inhibiteurs-AchE utilisés dans le
cadre d’un traitement symptomatique (c’est-à-dire dans le cadre d’un
traitement qui se concentre sur le symptôme, et non sur la cause) sont le
donépézil, la rivastigmine et la galantamine. Ils inhibent quant à eux
l’acétylcholinestérase de manière réversible. Ils sont autorisés pour le
traitement des démences légères à modérées de type Alzheimer. Mais même
dans le cas de troubles cognitifs amnésiques légers, leur efficacité est
minime. Les effets secondaires, en revanche, ne le sont pas : nausées,
vomissements, diarrhée, anorexie, migraines et syncopes entraînent un fort
taux d’interruption du traitement. Une étude systématique de 2013 a ainsi
conclu que les résultats ne justifiaient pas les effets secondaires18.
L’acétylcholine a de nombreuses fonctions dans notre organisme. Une
augmentation médicamenteuse, même réversible, entraîne donc le plus
souvent des effets secondaires importants qui conduisent à leur tour
fréquemment à la cessation du traitement.
Comme on l’a vu dans des expériences sur l’animal, l’acide alpha-
lipoïque ou l’acide dihydrolipoïque augmentent aussi la concentration du
neurotransmetteur acétylcholine dans l’hippocampe et améliorent ainsi la
mémoire. Toutefois, on ignore encore quels sont les mécanismes ici à
l’œuvre19. On peut supposer qu’ils s’apparentent davantage à nos
mécanismes physiologiques que ceux qu’utilisent les inhibiteurs-AchE,
puisque chez l’être humain le traitement à l’AAL n’entraîne pratiquement
aucun effet indésirable. En tout cas, les essais cliniques avec comparaison
placébo n’en ont pas montré, même pour des traitements allant jusqu’à six
mois et une prise maximale de 1,8 g par jour20.
Des effets positifs ont en revanche pu être mis en évidence. Ainsi, sur la
base des résultats obtenus chez des patients atteints d’Alzheimer, un groupe
de chercheurs de Hanovre, en Allemagne, déclare que le taux de
dégénérescence cognitive sous traitement à l’AAL “s’est avéré
significativement plus faible que celui établi à partir des comptes rendus de
patients non traités ou de patients traités pendant deux ans avec des

245
inhibiteurs-AchE dans le cadre d’études de longue durée21”. Dans une autre
étude portant sur des personnes touchées par l’Alzheimer, une période de
traitement d’un an a mis en évidence un effet synergique de l’AAL
(0,6 g/jour) et des acides gras oméga-3 (environ 2 g/jour). Toutefois, ce
traitement n’a pas été mis en œuvre dans le cadre d’un programme
thérapeutique systémique tel que je le présente ici. C’est selon moi la raison
pour laquelle il a été possible de ralentir le déclin cognitif, mais pas d’y
remédier complètement22. Une autre étude dans laquelle l’AAL était
également utilisé contre l’Alzheimer (à raison de 0,6 g/jour) a montré
que 43 % des patients traités qui souffraient en outre d’un diabète de
type 2 avaient vu leurs capacités cognitives s’améliorer de manière nette23.
Toutes ces raisons m’amènent à recommander tout particulièrement
l’acide alpha-lipoïque de forme R comme remède de base dans le
traitement de l’Alzheimer, au moins pendant les six mois de traitement
intensif. Et ce sont les mêmes raisons qui me poussent à rejeter les
inhibiteurs-AchE couramment prescrits de nos jours. Pour garantir une
absorption optimale, l’AAL doit cependant être pris une demi-heure avant le
petit-déjeuner. Comme l’acide alpha-lipoïque capte les ions métalliques, la
prise de minéraux essentiels peut éventuellement être utile le soir. En outre,
il est conseillé de faire contrôler pendant le traitement les taux de
magnésium, de calcium et de zinc dans le sang.
Le professeur Bredesen recommanda lui aussi à ses patients de prendre
de l’acide alpha-lipoïque. La dose prescrite à Ben Miller (0,1 g/jour) peut
tout au plus être considérée comme préventive et me semble trop faible.
Plusieurs études cliniques situent la dose thérapeutique entre 0,6 g et 1,8 g
par jour. En cas d’intoxication importante aux métaux lourds, je
recommanderais même au début jusqu’à 2,4 g/jour (voir le chapitre
précédent). D’après les données dont on dispose, cette dose relativement
haute n’entraîne pratiquement pas d’effets secondaires non plus.

Le Ginkgo biloba

En raison de ses vertus bénéfiques sur la circulation, le Ginkgo biloba est


utilisé dans les cas de démence vasculaire sous forme d’extraits. Ceux-ci
offrent une large palette d’effets bénéfiques, qui devrait aussi être à même
de briser certains des cercles vicieux propres à l’Alzheimer24. L’extrait
baptisé EGb-761, notamment, semble réduire la production, l’agrégation et
l’effet neurotoxique de la bêta-amyloïde. En outre, ils inhibent les processus
d’inflammation et améliorent l’efficacité des mitochondries (qui, on l’a vu,

246
sont comme de petites centrales énergétiques pour nos cellules). Dans des
expériences menées sur des souris âgées, on a constaté qu’ils étaient
capables d’activer la neurogenèse. Dans des études récentes, et même si
celles-ci ne corrigeaient pas les carences en cause dans l’Alzheimer, on a
en outre démontré des effets plutôt positifs de ces extraits25. L’Organisation
mondiale de la santé n’est donc pas la seule instance à recommander son
usage. Depuis 2016, dans ses “Directives sur la démence S3”,
l’Association allemande des experts en médecine conseille le recours à
l’EGb-761, notamment pour les démences légères à modérées. Selon leur
processus de fabrication, les extraits de Ginkgo biloba ne sont pas
équivalents. Pour le traitement, l’extrait utilisé devra donc avoir une
composition comparable à celle de l’EGb-761. Des extraits de ce type
n’entraînent que rarement des effets indésirables, mais comme pour
l’utilisation du millepertuis, le médecin devra veiller à éviter l’interaction
avec d’autres médicaments, dont la métabolisation pourrait être accélérée
dans le foie puisque sa capacité de détoxication se trouve renforcée.

Lithium microdosé

Les personnes maniacodépressives sont environ trois fois plus touchées par
l’Alzheimer que les personnes du même âge ne présentant pas de troubles
psychiques bipolaires. Le risque de démence augmente en outre avec le
nombre d’épisodes pathologiques. L’administration de lithium (la référence
en matière de traitement) n’est pas seulement utile pour la maladie
première, mais réduit aussi le risque de démence, comme on a pu le mettre
en évidence dans des études comparatives utilisant d’autres mesures
thérapeutiques et des médicaments placébos26. On a en outre pu exclure
l’hypothèse, auparavant entretenue, selon laquelle cet effet préventif ne
serait qu’indirect, dans la mesure où le lithium amoindrirait simplement les
épisodes pathologiques ou réduirait leur nombre27. En réalité, le lithium
bloque directement un processus clef du développement de l’Alzheimer : il
brise en effet le mécanisme par lequel la bêta-amyloïde toxique stimule sa
propre production. Comme ce même mécanisme clef est aussi responsable
de la dégénérescence neurofibrillaire (voir illustration p. 38) qui initie la
mort des neurones touchés, et que le lithium inhibe aussi celle-ci,
l’administration de cet oligoélément me semble décisive pour la réussite du
traitement28. Compte tenu des mécanismes d’action sous-tendus, une dose
environ mille fois inférieure à celle utilisée dans le traitement des
pathologies bipolaires suffit déjà. Dans le cadre d’une étude clinique

247
de 15 mois, c’est avec ce type de microdosage qu’on a pu stopper
complètement le déclin cognitif de patients atteints d’Alzheimer pendant
toute la durée du traitement29. Les capacités cognitives du groupe témoin,
auquel était administré un placébo à la place d’une micro-dose de lithium
de 300 μg, ont en revanche nettement décliné. Contrairement au groupe
traité, les résultats de ces participants au test de Folstein (qui évalue les
fonctions cognitives et la capacité mnésique) ont empiré, leur score passant
en moyenne de 18 à 14 (sur 30).
On a récemment pu montrer sur l’animal que l’effet thérapeutique du
lithium microdosé pouvait encore être renforcé par une administration
conjointe de pyrroloquinoléine quinone (PQQ)30. Les troubles cognitifs des
souris traitées ont ainsi pu être soignés grâce à l’administration d’une
préparation combinée. Cet effet s’est accompagné d’une réduction de la
bêta-amyloïde toxique dans le cerveau des rongeurs malades. Les
scientifiques supposent qu’en plus des deux mécanismes anti-Alzheimer
évoqués ci-dessus, les deux substances combinées généreraient aussi un
effet synergique.
Même si ce mécanisme ne pourra être clairement identifié que dans le
futur, je suis d’avis qu’il nous faut l’utiliser dès aujourd’hui. D’autant plus
que ni 20 mg de PQQ par jour, ni le lithium microdosé ne devraient avoir
d’effets secondaires indésirables. Tant que le lithium n’est pas autorisé sous
forme de complément alimentaire, il suffit, pour se procurer
quotidiennement 0,3 milligramme de cet oligoélément (voir le chapitre
“Nourrir le cerveau : les agents de protection”, p. 215), de consommer de
l’eau minérale contenant du lithium.

Minéraux, vitamines et micro-éléments

Selon le bilan nutritionnel des patients, une prescription de vitamines ainsi


que de micro-éléments pourra également être nécessaire. Il s’agit
notamment de la vitamine E (un mélange de tocophérols et de tocotriénols)
ou des vitamines B1 à B12, C, D et K. Les compléments alimentaires
correspondants devront être dosés de manière à fournir un apport suffisant.
Toutefois, il conviendra de réduire, puis cesser la prise dès lors que le
changement d’alimentation permettra de garantir un approvisionnement
naturel et durable.
Même chose pour tous les minéraux et oligoéléments ainsi que pour le
DHA qui, pendant la phase intensive du traitement, devrait être administré à
raison de deux grammes quotidiens au maximum.

248
1 NEHLS, M., “Unified theory of Alzheimer’s disease (UTAD)…”, art. cité.
2 Trouver un médecin peut s’avérer difficile. Dans “J’ai eu la maladie
d’Alzheimer” (p. 339), j’explique donc comment procéder.
3 Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, édition d’octobre 2006,
www.who.int/governance/eb/who_constitution_fr.pdf.
4 BREDESEN, D. E. et al., “Reversal of cognitive decline in Alzheimer’s disease.”,
art. cité.
5 YOUNG, S. N., “How to increase serotonin in the human brain without drug”, J.
Psychiatry Neurosci., vol. 32, 2007, p. 394-399 ; DOMINICK, F. et al., “Evidenz
von aktiver Trainingstherapie bei depressiven Störungen”, Physioscience, vol. 176,
2010, p. 143-152 ; BABYAK, M. et al., “Exercise treatment for major depression :
maintenance of therapeutic benefit at 10 months”, Psychosom. Med., vol. 62,
2000, p. 633-638.
6 KLEMOW, K. M. et al., “Medical attributes of St. John’s Wort (Hypericum
perforatum)”, in BENZIE, I. F. F. et WACHTEL-GALOR, S. (sous la direction de),
Herbal Medicine : Biomolecular and Clinical Aspects, chap. 11, 2e édition, CRC
Press, Boca Raton (Floride), 2011.
7 ABBOTT, A. C. et al., “Tetrahydrohyperforin increases adult hippocampal
neurogenesis in wild-type and APPswe/ PS1ΔE9 mice”, J. Alzheimer’s Dis., vol.
34, 2013, p. 873-885, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23302657.
8 DINAMARCA, M. C. et al., “Hyperforin prevents beta-amyloid neurotoxicity and
spatial memory impairments by disaggregation of Alzheimer’s amyloid-beta-
deposits”, Mol. Psychiatry, vol. 11, 2006, p. 1032-1048 ; GRIFFITH, T. N. et al.,
“Neuro-biological effects of hyperforin and its potential in Alzheimer’s disease
therapy”, Curr. Med. Chem., vol. 17, 2010, p. 391-406 ; CARVAJAL, F. J. et
INESTROSA, N. C., “Interactions of AChE with Aβ aggregates in alzheimer’s brain :
therapeutic relevance of IDN 5706”, Front. Mol. Neurosci., 2011.
9 HOFRICHTER, J. et al., “Reduced Alzheimer’s disease pathology by St. John’s
Wort treatment is independent of hyperforin and facilitated by ABCC1 and
microglia activation in mice”, Curr. Alzheimer Res., vol. 10, 2013, p. 1057-1069,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24156265 ; BRENN, A. et al., “St. John’s Wort
reduces beta-amyloid accumulation in a double transgenic Alzheimer’s disease
mouse model-role of P-glycoprotein”, Brain Pathol., vol. 24, 2014, p. 18-24,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23701205.
10 ALENINA, N. et KLEMPIN, F., “The role of serotonin in adult hippocampal
neurogenesis”, Behav. Brain Res., vol. 277, 2015, p. 49-57,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25125239.
11 CIRRITO, J. R. et al., “Serotonin signaling is associated with lower amyloid-β
levels and plaques in transgenic mice and humans”, Proc. Natl. Acad. Sci. USA,
vol. 108, 2011, p. 14968-14973, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21873225.
12 EISCH, A. J. et P ETRIK, D., “Depression and hippocampal neurogenesis : a road
to remission ?”, Science, vol. 338, 2012, p. 72-75,

249
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23042885.
13 SHELINE, Y. I. et al., “An antidepressant decreases CSF Aβ production in healthy
individuals and in transgenic AD mice”, Sci. Transl. Med., 2014,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24828079.
14 RAHIMI, R. et al., “Efficacy and tolerability of Hypericum perforatum in major
depressive disorder in comparison with selective serotonin reuptake inhibitors : a
meta-analysis”, Prog. Neuropsychopharmacol. Biol. Psychiatry, vol. 33, 2009,
p. 118-127, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19028540.
15 HOLMQUIST, L. et al., “Lipoic acid as a novel treatment for Alzheimer’s disease
and related dementias”, Pharmacol. Ther., vol. 113, 2007, p. 154-164 ;
MACZUREK, A. et al., “Lipoic acid as an anti-inflammatory and neuroprotective
treatment for Alzheimer’s disease”, Adv. Drug Deliv. Rev., vol. 60, 2008, p. 1463-
1470.
16 SHAY, K. P. et al., “Alpha-lipoic acid as a dietary supplement : molecular
mechanisms and therapeutic potential”, Biochim. Biophys. Acta, vol. 1790, 2009,
p. 1149-1160, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19664690 ; BÖHM, U., Alpha-
Liponsäure, SUM-Verlag, 2014.
17 GORĄCA, A. et al., “Lipoic acid – biological activity and therapeutic potential”,
art. cité.
18 T RICCO, A. C. et al., “Efficacy and safety of cognitive enhancers for patients
with mild cognitive impairment : a systematic review and meta-analysis”, CMAJ,
vol. 185, 2013, p. 1393-1401.
19 ZHAO, R. R. et al., “Effects of alpha-lipoic acid on spatial learning and memory,
oxidative stress, and central cholinergic system in a rat model of vascular
dementia”, Neurosci. Lett., vol. 587, 2015, p. 113-119,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25534501.
20 ZIEGLER, D. et al., “Treatment of symptomatic diabetic polyneuropathy with
the antioxidant alpha-lipoic acid : a 7-month multicenter randomized controlled trial
(ALADIN III Study). ALADIN III Study Group. Alpha-Lipoic Acid in Diabetic
Neuropathy”, Diabetes Care, vol. 22, 1999, p. 1296-1301.
21 HAGER, K. et al., “Alpha-lipoic acid as a new treatment option for Alzheimer’s
disease – a 48 months follow-up analysis”, J. Neural. Transm., vol. 72, 2007,
p. 189-193, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17982894.
22 SHINTO, L. et al., “A randomized placebo-controlled pilot trial of omega-3 fatty
acids and alpha lipoic acid in Alzheimer’s disease”, J. Alzheimer’s Dis., vol. 38,
2014, p. 111-120.
23 FAVA, A. et al., “The effect of lipoic acid therapy on cognitive functioning in
patients with Alzheimer’s disease”, J. Neurodegen. Dis., 2013,
dx.doi.org/10.1155/2013/454253.
24 SHI, C. et al., “Ginkgo biloba extract in Alzheimer’s disease : from action
mechanisms to medical practice”, Int. J. Mol. Sci., vol. 11, 2010, p. 107-123,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20162004.
25 HASHIGUCHI, M. et al., “Meta-analysis of the efficacy and safety of Ginkgo
biloba extract for the treatment of dementia”, J. Pharm. Health Care Sci., 2015,

250
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26819725.
26 FORLENZA, O. V. et al., “Disease-modifying properties of long-term lithium
treatment for amnestic mild cognitive impairment : randomised controlled trial”, Br.
J. Psychiatry, vol. 198, 2011, p. 351-356,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21525519.
27 NUNES, P. V. et al., “Lithium and risk for Alzheimer’s disease in elderly patients
with bipolar disorder”, Br. J. Psychiatry, vol. 190, 2007, p. 359-360,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17401045.
28 LLORENS-MARTÍN M. et al., “GSK-3β, a pivotal kinase in Alzheimer’s disease”,
Front. Mol. Neurosci., 2014, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24904272 ; P HIEL,
C. J. et al., “GSK-3alpha regulates production of Alzheimer’s disease amyloid-beta
peptides”, Nature, vol. 423, 2003, p. 435-439,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12761548 ; NOBLE, W. et al., “Inhibition of
glycogen synthase kinase-3 by lithium correlates with reduced tauopathy and
degeneration in vivo”, Proc. Natl. Acad. Sci. USA, vol. 102, 2005, p. 6990-6995,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15867159 ; BROWN, K. M. et T RACY, D. K.,
“Lithium : the pharmacodynamic actions of the amazing ion”, Ther. Adv.
Psychopharmacol., vol. 3, 2013, p. 163-176,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24167688.
29 NUNES, M. A. et al., “Microdose lithium treatment stabilized cognitive
impairment in patients with Alzheimer’s disease”, art. cité.
30 ZHAO, L. et al., “Beneficial synergistic effects of micro-dose lithium with
pyrroloquinoline quinone in an Alzheimer’s disease mouse model”, Neurobiol.
Aging, vol. 35, 2014, p. 2736-2745, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25018109.

251
LES EFFETS THÉRAPEUTIQUES :
VUE D’ENSEMBLE

Pour commencer, résumons en quelques phrases les mécanismes que nous


avons abordés tout au long de cet ouvrage. Présenté dans une illustration
(p. 74-75), le cercle infernal que je qualifie de “moteur de la maladie
d’Alzheimer” est le produit d’une mauvaise neurogenèse induite par notre
comportement. Via la réduction de la résistance au stress qui en découle, il
entraîne une sécrétion élevée de cortisol. Celle-ci devenant chronique, la
neurogenèse est inhibée durablement, et la boucle est bouclée. L’excès
chronique de cortisol entraîne en effet une hausse tout aussi chronique de la
production de bêta-amyloïde. Or, comme les comportements qui sont à
l’origine des troubles de la neurogenèse sont aussi ceux qui inhibent la
fonction de nettoyage de la barrière hémato-encéphalique, la bêta-amyloïde
(celle qui n’est plus utilisée comme celle qui résulte de la surproduction) ne
peut plus être évacuée du cerveau et dégradée naturellement par le foie. La
hausse de la production, également entretenue par la bêta-amyloïde toxique
elle-même, et la baisse de la dégradation conduisent forcément à une hausse
de la concentration dans l’hippocampe. Résultat : la bêta-amyloïde s’agrège
et devient toxique. Dans ce processus, les toxines de notre environnement,
l’aluminium et les métaux lourds, de même que les inflammations
chroniques, les infections, une mauvaise alimentation et bien d’autres
paramètres vont venir souffler sur les braises.
L’intervention thérapeutique et l’adoption d’un mode de vie qui s’appuie
sur les mesures présentées dans la deuxième partie de cet ouvrage pour
répondre à nos besoins naturels vont permettre de modifier tous les
maillons de la chaîne causale qui aurait dû conduire au développement de
la maladie d’Alzheimer. La neurogenèse est réactivée et la résistance au
stress augmente. L’intérêt pour de nouvelles expériences et de nouveaux
défis renaît alors, ce qui est une condition essentielle à l’intégration des
nouveaux neurones et au succès du traitement à long terme. Le stress positif
devient un élixir de vie. De cercle vicieux, le processus est renversé pour
devenir un cercle vertueux (voir illustration ci-après).
Dans ce concept systémique, la clef de la réussite thérapeutique est
d’attaquer simultanément tous les mécanismes pathologiques à travers
différentes mesures. Par exemple, la résistance neuronale à l’insuline (qui

252
entraîne un mauvais approvisionnement en énergie de l’hippocampe) est
corrigée, voire éliminée grâce à la réunion des mesures thérapeutiques
suivantes :

• Consommation d’huile de coco, jeûne nocturne, réduction des sucres


simples, etc., d’où la formation de corps cétoniques.
• Prise d’acide alpha-lipoïque, d’EGb, de PQQ et de lithium, alimentation
riche en micro-éléments, activité physique, etc., d’où l’activation renforcée
et la protection des mitochondries.
• Alimentation sans acides gras trans, effet de l’acide alpha-lipoïque,
davantage d’activité physique, perte de poids, élimination du mauvais stress
(et du cortisol) et de la bêta-amyloïde toxique, etc., d’où la suppression de
la résistance à l’insuline.

En mettant en œuvre les différentes mesures évoquées, on va pouvoir


supprimer les toxines qui proviennent de notre environnement et se sont
accumulées tout au long de notre vie. En outre, ces mesures vont aussi
permettre de désagréger la bêta-amyloïde toxique et de l’évacuer grâce à
une réactivation de la barrière hémato-encéphalique. L’enjeu d’une thérapie
systémique adaptée aux besoins individuels du patient est de prendre en
considération chaque maillon d’une chaîne causale complexe et de s’y
attaquer non pas à travers une ou deux mesures, mais à travers un très grand
nombre de mesures agissant de manière variée, de sorte que se créent des
effets synergiques bénéfiques. C’est là le seul moyen de guérir la maladie.
En recommandant un traitement à base d’acide alpha-lipoïque hautement
dosé (un choix qui repose sur mon explication évolutive de la maladie), je
m’éloigne sciemment du schéma thérapeutique du professeur Bredesen.
Même chose pour le traitement au millepertuis qui a pour objectif de
stimuler la neurogenèse et de mettre à profit les autres effets anti-Alzheimer
que présentent ses composés actifs. Et même chose aussi pour le lithium
microdosé, notamment en combinaison avec le PQQ. En raison de ces
modifications (mais pas seulement), je déconseille en outre certains des
compléments alimentaires que le professeur Bredesen recommande. Il s’agit
par exemple d’extraits de l’ashwagandha (Withania somnifera), d’un
champignon appelé “crinière de lion” (Hericium erinaceus) ou de l’hysope
d’eau (Bacopa monnieri). D’après ce qu’on en sait, leurs mécanismes
d’action sont déjà couverts par les propositions que je fais. De plus,
thérapeute et patient n’auront ainsi pas à utiliser de préparations dont la
composition mais aussi la fabrication et le contrôle sont souvent obscurs. Je
m’écarte encore des recommandations du professeur Bredesen pour ce qui

253
est de l’utilisation de CDP-choline (cytidine-diphosphate-choline) et
d’acétylL-carnitine (ALCAR) : selon moi, leur efficacité est encore trop
floue pour risquer d’éventuels effets secondaires1. Je rejette également
l’utilisation d’ubiquinol (coenzyme Q) : en effet, cette substance n’est pas
capable de franchir la barrière hémato-encéphalique et son utilité
thérapeutique me semble par conséquent sujette à caution. Il n’en reste pas
moins qu’il est important de rester réceptif à toute nouvelle découverte.

254
255
Nourrie par l’expérience croissante des médecins qui vont mettre en
œuvre ce concept systémique pour traiter leurs patients atteints d’Alzheimer
en s’attaquant aux véritables causes de la maladie, la proposition
thérapeutique que je formule ici va continuer de se développer. En outre, il
faut aussi s’attendre à de nouvelles avancées et améliorations du côté de la
recherche. Toutefois, il faut se résoudre à l’idée qu’il n’y aura pas un
remède miracle, un médicament unique capable de traiter la maladie
d’Alzheimer tout en nous permettant de continuer à vivre sans rien changer à
nos (mauvaises) habitudes. Ce que nous pouvons faire, en revanche, c’est
intégrer chaque nouvelle découverte, chaque possibilité de traitement, à ce
programme systémique.
Voilà pourquoi je tiens à m’adresser plus particulièrement à la sphère
politique, aux caisses d’assurance maladie, aux associations de médecins et
aux praticiens : il n’est plus temps d’attendre la pilule miracle. Elle
n’existera probablement jamais. Ce qui est décisif, en revanche, c’est le
diagnostic précoce. Plus la maladie est dépistée tôt, et plus le traitement
tient aussi lieu de prévention. C’est aussi ce que soulignait Hermann Scherl,
professeur émérite en économie : “Pour des personnes déjà atteintes de
démence, il va sans dire qu’il sera difficile de respecter sur la durée ce
programme thérapeutique complexe et strict. Encourager les modifications
de notre mode de vie dans une perspective préventive […], cela pourrait
s’avérer beaucoup plus facile2.”

1 WANG, Z., “Gut flora metabolism of phosphatidylcholine promotes


cardiovascular disease”, Nature, vol. 472, 2011, p. 57-63,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21475195 ; KOETH, R. A. et al., “Intestinal
microbiota metabolism of L-carnitine, a nutrient in red meat, promotes
atherosclerosis”, Nat. Med., vol. 19, 2013, p. 576-585,
www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23563705.
2 SCHERL, H., “Ein lehrreiches Buch, das viel menschliches Leid ersparen könnte”,
22.1.2015, www.amazon.de/gp/aw/cr/rRII79K74LAQ02.

256
4

J’AI EU LA MALADIE D’ALZHEIMER…

Toute vérité franchit trois étapes. D’abord, elle


est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte
opposition. Puis, elle est considérée comme
ayant été une évidence.

ARTHUR SCHOPENHAUER (1788-1860)

257
258
DOCTRINES SCIENTIFIQUES

Chaque année depuis 1994, le 21 septembre est l’occasion de proposer une


multitude d’initiatives pour attirer l’attention de l’opinion publique sur les
épreuves que traversent les patients atteints d’Alzheimer et leurs proches.
Lors de la Journée mondiale de lutte contre la maladie d’Alzheimer, les
grands groupes pharmaceutiques et leurs universités occupent tout
particulièrement le devant de la scène. Et l’édition de 2015, une fois de
plus, s’est appliquée à faire entrer dans le crâne de tout le monde que
l’Alzheimer était inévitable et, malheureusement, toujours incurable.
Pourtant, c’est aussi ce jour-là qu’a paru en Allemagne la première édition
de cet ouvrage, qui constitue précisément la preuve du contraire : il est
possible d’éviter l’Alzheimer et même – à condition de détecter la maladie
suffisamment tôt – de le guérir.
Un an s’est écoulé depuis : le moment est venu de tirer un premier bilan
et de répondre à des questions majeures. Si les connaissances délivrées tout
au long de cet ouvrage sont exactes, comment se fait-il que l’Alzheimer
n’ait pas encore été classé aux archives des maladies révolues ? Quelle est
la position des experts sur le sujet et comment réagissent-ils à cette thèse
qui contredit celle qu’ils diffusent ? Pourquoi les personnes touchées et
leurs proches ont-elles encore des difficultés à trouver un thérapeute
compétent, alors que le concept proposé ici pourrait être mis en œuvre par
n’importe quel médecin généraliste, n’importe quel interniste ou n’importe
quel naturopathe bien formé ?
Comme on a cherché tout au long de cet ouvrage une réponse
fondamentale aux nombreuses questions neurobiologiques qui sous-tendent
le problème de l’Alzheimer, il s’agit maintenant de trouver une réponse à
ces questions – cette fois d’ordre sociobiologique. Là encore, on peut
supposer l’existence d’un problème de fond. En outre, celui-ci est
étroitement lié à la particularité de la situation actuelle, dans laquelle
l’Alzheimer, autrefois maladie rare et sporadique, est devenu un problème
social de grande ampleur. Tandis que je cherchais une réponse, la citation
du philosophe Arthur Schopenhauer mentionnée plus haut m’a alors semblé
prendre tout son sens. Je vous propose de l’illustrer par une anecdote que
m’a rapportée récemment le compagnon d’un patient atteint d’Alzheimer.
Désireux de mettre en pratique mon concept thérapeutique pour le

259
partenaire malade, le couple consulte un médecin, qui explique alors que si
l’on pouvait vraiment guérir l’Alzheimer de cette manière, on m’aurait
depuis longtemps décerné le prix Nobel. Et que, si tel n’était pas le cas,
c’était donc que je devais avoir tort. Sur ce, le médecin refuse de traiter le
patient. Cette anecdote nous montre bien que certains praticiens refusent de
changer leurs méthodes de traitement habituelles, même si celles-ci ne
consistent qu’à prescrire un médicament globalement inefficace.
Pour ce praticien comme pour chacun d’entre nous, jeter par-dessus bord
des convictions anciennes n’est pas chose facile, y compris quand elles ne
nous apportent rien de bon. Au premier abord, on pourra trouver paradoxal
que la sphère scientifique se plie elle aussi à ce comportement : son objectif
déclaré n’est-il pas de conjuguer tous ses efforts pour établir de nouvelles
connaissances et dépasser les convictions devenues caduques ?
Malheureusement, depuis que les sciences et l’économie entretiennent des
liens étroits et se soutiennent mutuellement, le processus de connaissance
scientifique est très souvent soumis au pouvoir des structures financières.
Issu du grec ancien, le mot “hiérarchie” est formé à partir des termes
hieros, “sacré”, et archē, “commandement”. Récemment, j’ai lu à ce sujet le
compte rendu d’une expérience qui a établi un lien entre la neurogenèse
dans l’hippocampe et le fonctionnement des hiérarchies. Dans le cadre de
cette expérience, les chercheurs ont mis en place une hiérarchie stable au
sein d’une colonie de rats, avant de la mettre ensuite en péril de manière
ciblée. Ils ont alors constaté que l’effondrement des structures hiérarchiques
interrompait pendant plusieurs semaines la neurogenèse dans l’hippocampe,
et ce, chez tous les membres de la colonie1. On peut supposer qu’il en va de
même chez l’être humain. Et que ceux qui se trouvent au sommet de la
hiérarchie feront donc tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir l’ordre
établi. Car en plus d’être menacés par des troubles de la neurogenèse (qui
rendent malheureux et dépressif), ils risquent aussi de perdre leur pouvoir
et leur prestige. Pour maintenir le pouvoir en place, les doctrines sont un
outil idéal, un ciment volontiers utilisé par les “commandants sacrés”. Elles
assurent la stabilité en incarnant des enseignements fondamentaux dont le
caractère véridique est irrévocable. On a l’habitude de considérer les
doctrines comme étant du domaine religieux. Mais la science n’en est pas
exempte.
Un exemple ? Pendant plus d’un demi-siècle s’est maintenue une doctrine
établie en 1928 par le prix Nobel espagnol Ramón y Cajal, qui définissait
ainsi le destin de chaque neurone et donc du cerveau : “Tout peut mourir,
rien ne peut être régénéré2.” Et c’est ainsi qu’en 1965, la découverte de la
neurogenèse adulte (qui contredisait la théorie dominante) a été accueillie

260
avec beaucoup de scepticisme. Pendant des décennies, personne n’a
vraiment voulu “croire” la preuve scientifique présentée et, dans les
années 1980, à la faculté de médecine où j’étudiais, on enseignait toujours
la doctrine de Ramón y Cajal. Pourtant, dès la fin des années 1970, un
groupe de chercheurs indépendants avait confirmé l’existence d’une
neurogenèse adulte. À cette époque, ce savoir nouveau se trouvait à la
deuxième étape du processus d’acceptation décrit par Schopenhauer : il
subissait une forte opposition. Cible d’attaques massives, l’Américain
Michael S. Kaplan, chercheur en biologie, n’a ainsi pu publier ses
découvertes sur la neurogenèse adulte que dans des conditions difficiles.
Évoquant cette époque, il écrit qu’il y a dans chaque révolution, “peu
importe qu’elle soit politique ou scientifique, des croisades et des
batailles : tout le monde ne peut pas gagner. En pleine révolution, il faut
choisir son camp et, dans les années 1960 et 1970, ceux qui avaient pris le
parti de défendre la thèse de l’existence d’une neurogenèse dans le cerveau
adulte étaient soit ignorés, soit réduits au silence3”. C’est d’ailleurs aussi la
réaction à laquelle je dois faire face quand j’avance que la neurogenèse est
la clef qui nous permet de comprendre, de prévenir et de guérir
l’Alzheimer. Finalement contraint de mettre fin à sa carrière de chercheur,
le professeur Kaplan a néanmoins pu assister à l’abandon de la doctrine
dominante, en 2000, notamment à la suite de l’acceptation de ses travaux et
de ceux de nombreux autres chercheurs qui se fondaient sur sa découverte.
Il déclare sur ce point : “Il était évident que la vieille doctrine était morte et
qu’un changement de paradigme avait eu lieu.” À ce moment-là et comme le
prévoit Schopenhauer, la neurogenèse adulte a fini par être acceptée comme
une évidence. Pour que s’établisse cette nouvelle vérité, les scientifiques à
l’origine de cette découverte avaient cependant dû payer le prix fort.
Certes, on ne savait alors toujours pas si la neurogenèse adulte jouait aussi
un rôle chez l’être humain ou si elle n’était avérée que sur les animaux de
laboratoire. Mais le premier obstacle dogmatique avait été franchi. Et le
professeur Kaplan avait posé les jalons d’une explication systémique de la
maladie d’Alzheimer.
En initiant en Allemagne une remise en cause des doctrines qui dominent
la recherche sur l’Alzheimer, j’aurais donc dû savoir à quoi m’attendre.
Pourtant, il a fallu que j’en fasse moi-même l’expérience pour prendre toute
la mesure de la résistance à affronter.

1 OPENDAK, M. et al., “Lasting adaptations in social behavior produced by social


disruption and inhibition of adult neurogenesis”, J. Neurosci., vol. 36, 2016,

261
p. 7027-7038, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27358459.
2 RAMÓN Y CAJAL, S., Degeneration and Regeneration of the Nervous System,
Hafner Publishing Co. New York, New York, États-Unis, vol. 2, 1928, p. 750.
3 KAPLAN, M. S., “Environment complexity stimulates visual cortex neurogenesis :
death of a dogma and a research career”, Trends Neurosci., vol. 24, 2001, p. 617-
620, www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11576677.

262
LA THÉRAPIE SYSTÉMIQUE
EN SEPT ARGUMENTS

Dans les paragraphes qui suivent, je propose de récapituler les principaux


arguments de ma démarche thérapeutique et curative. Les patients et leurs
proches seront ainsi bien armés pour chercher un médecin compétent. Car
nombre de mes collègues, malheureusement, sont encore trop influencés par
le discours de l’industrie pharmaceutique et considèrent l’Alzheimer
comme incurable.

L’Alzheimer ne relève pas de la “nature humaine” ni du processus normal


de vieillissement

L’évolution repose sur un concept simple : il s’agit pour l’être humain


d’assurer sa descendance et, grâce à la variété de son bagage génétique,
d’augmenter les chances de survie de celle-ci, de manière à ce qu’elle
puisse à son tour assurer sa propre descendance. Dans ce contexte,
l’expérience des anciens et, de ce fait, le vieillissement lui-même semblent
présenter un avantage évolutif du point de vue de la sélection. À l’heure
actuelle, c’est là l’hypothèse la mieux justifiée pour expliquer
l’exceptionnelle longévité de l’être humain. Et cette hypothèse, dite “de la
grand-mère” est aujourd’hui assez étayée scientifiquement pour être
enseignée dans certains pays. Le principe fondamental qu’a suivi
l’évolution humaine est donc, non pas la sénilité, mais la séniorité – ce qui
contredit la croyance populaire selon laquelle la démence sénile est notre
lot à tous. Quant à l’allégation selon laquelle notre époque est la première à
nous permettre de vivre assez longtemps pour développer une maladie
d’Alzheimer, elle est elle aussi réfutée : dans les sociétés traditionnelles,
l’espérance de vie moyenne dépend en premier lieu de la mortalité infantile.
Une fois le stade de la petite enfance dépassé, les chances d’atteindre un
âge prétendument propice à l’Alzheimer sont très bonnes, même chez les
chasseurs-cueilleurs. Notre longévité est le fruit d’une évolution qui nous a
également dotés d’un génome conçu pour que nous puissions toute notre vie
faire des expériences, les analyser et les transmettre à la génération suivante
sous forme de sagesses et de savoirs. Autrement dit, nous sommes

263
programmés pour rester en forme intellectuellement. La preuve : des
milliers de nouveaux neurones peuvent se former chaque jour dans
l’hippocampe, et ce, quasiment avec la même intensité jusqu’à un âge
avancé. Toutes ces données constituent aujourd’hui des faits admis et bien
étayés.

Il est possible de stimuler la neurogenèse grâce à un mode de vie adapté


à nos besoins

Notre mode de vie est un facteur décisif qui influence en continu la


production et le mûrissement de nouveaux neurones au sein de notre
hippocampe, ce réseau dédié à la mémoire. Dans les années 1970, le
professeur Kaplan est l’auteur de premiers travaux qui, victimes des
doctrines dominantes, sont ignorés. À l’époque, il met déjà en évidence que
les activités stimulantes sur le plan social et corporel sont à même de
favoriser la multiplication des neurones. Aujourd’hui, nous savons par
exemple que, par l’intermédiaire de nombreux neurotransmetteurs, l’activité
physique signale à l’hippocampe la nécessité de créer davantage de
neurones. Pourquoi ? Parce qu’un individu qui est actif (plus qu’un individu
inactif) va très certainement devoir faire face à de nouvelles expériences et
se les remémorer. Même chose pour l’activité sociale, qui favorise elle
aussi la neurogenèse. Autre facteur décisif : le sommeil, comme on l’a vu,
qui est la seule phase de la journée pendant laquelle notre organe du
souvenir peut croître. En outre, on sait qu’une neurogenèse efficace requiert
tous les minéraux et vitamines essentiels connus qui résultent d’une
alimentation adaptée à notre cerveau, tandis qu’à l’inverse, de nombreuses
toxines (ainsi que, hélas, de nombreux médicaments) inhibent directement
ou indirectement la création de nouveaux neurones. Chaque fois que l’une
ou l’autre de ces carences fait obstacle à la neurogenèse adulte, le risque
d’Alzheimer augmente et, inversement, chaque fois que notre mode de vie
favorise la croissance de l’hippocampe, le risque diminue. Cette réflexion
est en accord avec les connaissances cliniques dont nous disposons : nous
savons que l’Alzheimer commence par une perte progressive de la mémoire
épisodique et que la dégradation successive des compétences intellectuelles
et sociales ne survient qu’ensuite. L’hippocampe, cette machine à nous
souvenir de nos expériences, est ainsi le lieu premier du développement de
l’Alzheimer, les troubles de la neurogenèse étant donc la clef logique
permettant d’expliquer la maladie. Ici encore, ces relations de cause à effet
sont admises.

264
Les causes de nos carences sont plus culturelles que génétiques

La capacité de l’être humain à enregistrer des expériences et à les


transmettre sous forme de savoir a donné lieu à une autre évolution que nous
appelons culture. Encouragé par des innovations technologiques, le
développement culturel connaît aujourd’hui des changements fulgurants.
Relativement flegmatique, l’évolution de notre génome est bien incapable
de s’y conformer, et ce, depuis longtemps déjà. En conséquence, l’écart
entre notre mode de vie moderne et celui de l’âge de pierre va grandissant,
ce dernier restant cependant le mode de vie pour lequel toutes nos fonctions
physiologiques (et donc cérébrales) sont optimisées depuis des centaines de
milliers d’années. Les carences qui résultent de cet écart génèrent d’une
manière ou d’une autre les nombreuses maladies de civilisation dont
souffrent et meurent aujourd’hui la plupart des êtres humains dans nos
sociétés. Et comme l’ont montré les réflexions neurobiologiques et
évolutives qui précèdent, l’Alzheimer n’est rien d’autre que l’une de ces
maladies de civilisation. À ce titre, il est possible de l’éviter.

La Loi du minimum est une donnée biosystémique nous permettant de


comprendre pourquoi la maladie se déclare chez des sujets très différents

Il suffit de prendre soin d’une plante en pot pour s’en apercevoir : dans la
nature, les processus de croissance sont soumis à la Loi du minimum selon
laquelle, quand plusieurs ressources sont nécessaires à la croissance, une
ressource qui vient à manquer devient un facteur limitant de croissance.
Ainsi, une plante qui manque d’eau doit être arrosée sans quoi elle cesse de
pousser et meurt, peu importe la quantité de produits phytosanitaires qu’on
lui donnerait par ailleurs. Toutes les carences qui nuisent directement ou
indirectement à la croissance de l’hippocampe ont un fonctionnement
similaire et sont depuis longtemps connues comme des facteurs de risque
de l’Alzheimer. Or, contrairement à ce qu’on prétend régulièrement, l’âge
ne fait pas partie de ces facteurs.
Appliquée à la maladie d’Alzheimer, la Loi du minimum nous permet
pour la première fois d’établir un lien biologique cohérent entre tous les
facteurs de risque. En outre, nous pouvons faire une distinction entre les
facteurs de risque véritables (les carences de notre mode de vie) et ceux
(comme une prédisposition génétique) qui accélèrent le développement de
la maladie sous certaines conditions. Publié en juin 2016 dans le Journal of
Molecular Psychiatry, le résultat des recherches que j’ai menées dans cet
esprit est conforme à toutes les connaissances scientifiques avérées à ce

265
jour1. On notera qu’avant de pouvoir être publiée, une contribution
scientifique doit être évaluée par des pairs dans le cadre de ce qu’on
appelle la peer review, des confrères chercheurs (peer) en évaluant alors la
plausibilité (review). Dans mon cas, les trois confrères chargés de
l’évaluation ont émis des critiques du point de vue de la forme, mais aucune
critique notable de contenu qui aurait pu empêcher la publication.
La Loi du minimum justifie également la variété des destins qui
aboutissent à une maladie d’Alzheimer : à première vue, un ancien sportif
de haut niveau, un philosophe, une femme au foyer ou un manager ne
pourraient avoir en commun que leur âge avancé, et c’est du coup ce qu’on
a longtemps considéré comme le facteur de risque principal – à tort, comme
on le constate aujourd’hui. En réalité, nous avons affaire à une maladie qui
ne se déclare qu’à l’issue de plusieurs décennies et qui, forcément, apparaît
donc plus souvent chez les personnes d’un certain âge.

De façon isolée, les mesures systémiques n’agissent que très peu

En outre, la Loi du minimum explique l’échec de tous les essais


monothérapeutiques menés jusqu’ici dans une société où les carences sont
innombrables : trop peu de mouvement, trop peu de sommeil, d’aliments
riches du point de vue nutritif, de micro-éléments, de liens sociaux… la
liste serait encore longue. Point intéressant : des essais visant à traiter
l’Alzheimer à travers une seule mesure parmi celles que je propose sont
désormais utilisés pour réfuter la thèse que je défends. Bien qu’ils se
penchent chaque fois sur une mesure unique, ces essais sont considérés à
tort comme des exemples de ma démarche systémique dans la prévention ou
le traitement de l’Alzheimer. Or, en vertu de la Loi du minimum, ils
échouent bien évidemment (puisqu’ils ne font intervenir qu’une mesure), ce
qui jette une ombre sur la démarche systémique, dès lors considérée comme
inefficace.
Dans un article sur la démence daté du 31 août 2015, la revue Ärzte
Zeitung décrète par exemple que “l’activité physique et les oméga-3 n’ont
quasiment aucun impact positif sur le cerveau2”. Les auteurs de cet article
se fondent cependant sur deux études qui n’ont testé que l’une ou l’autre des
mesures préventives. Imaginez par exemple un mécanicien auto qui, pour
résoudre le problème d’un client dont la voiture ne démarre pas, se
contenterait chaque fois de recommander d’ajouter de l’essence, en ignorant
délibérément toutes les autres causes possibles du problème. Prendriez-
vous au sérieux un mécanicien qui agirait de la sorte ? Certainement pas.

266
C’est pourtant avec des arguments de ce niveau qu’on réfute le caractère
sensé des mesures préventives (et de leur application dans le cadre d’une
démarche systémique). Environ un an plus tard, le 15 août 2016, le même
journal (qui, dans son intention délibérée d’aider les médecins à proposer
le meilleur traitement possible à leurs patients, fait office de leader
d’opinion dans le milieu médical) explique que l’huile de poisson,
finalement, pourrait peut-être quand même avoir un effet protecteur contre la
démence, même s’il n’est que restreint3.
Prise isolément, chacune ou presque des mesures présentées dans ce
concept systémique peut faire l’objet d’un rejet catégorique ou d’une
adhésion plutôt tiède. Mais – rappelons-le – l’objectif de ce concept est
justement de combiner différentes mesures, celles-ci étant définies au cas
par cas pour remédier à toutes les carences individuelles. On pourrait
presque croire que l’ambition générale est de brouiller les pistes, de
manière à ce que ne subsiste finalement plus que ce point de vue : on ne sait
pas grand-chose, mieux vaut donc ne pas donner de conseil aux patients, ni
dans un sens ni dans l’autre. Or, on l’a vu : la réactivation de la neurogenèse
et, ainsi, le traitement (ou la prévention) de la maladie d’Alzheimer ne sont
possibles que si tous les facteurs de risque individuels (c’est-à-dire les
carences) sont supprimés.

La fontaine de Jouvence est en nous

On suppose aujourd’hui que les médicaments sont la clef de notre guérison.


Cette idée largement répandue (et pas seulement chez les novices en la
matière) est née à l’ère des antibiotiques. Mais à y regarder de plus près,
force est de constater que si les principes actifs sont en mesure de réduire le
nombre de germes, le processus de guérison, lui, dépend toujours du
fonctionnement général de l’organisme, qui dirige ce processus.
Fondamentalement, s’il est possible de guérir des maladies, c’est
uniquement parce que notre nature (notre programme génétique) dispose
d’un potentiel de guérison. En cas de fracture, par exemple, l’os ne se
ressoude pas parce que le médecin fait un plâtre, mais parce que notre
programme génétique est prévu pour une guérison autonome. S’il n’en était
pas ainsi, le plâtre serait inutile. Au Siècle des lumières, Voltaire l’avait
déjà compris, qui disait : “L’art de la médecine consiste à distraire le
malade pendant que la nature le guérit.” Dans certains cas, bien sûr, le rôle
des antibiotiques va au-delà de la simple distraction et, de la même
manière, les médecins d’aujourd’hui doivent faire davantage qu’à l’époque
de Voltaire, notamment quand il s’agit de guérir l’Alzheimer : dans cette

267
situation précise, ils vont devoir détecter chez leurs patients les carences
individuelles qui résultent de leur style de vie et sont responsables de
l’apparition de la maladie, puis les aider de manière ciblée à y remédier.
Ce n’est qu’alors que la nature pourra développer tout son potentiel de
guérison autonome.

La thérapie systémique a déjà fait ses preuves

Comme on l’a décrit en détail au début de ce livre, Dale Bredesen,


professeur de neurologie à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA),
a pour la première fois confirmé la démarche systémique dans une étude
scientifique publiée en 2014, où il évaluait un essai clinique de petite
ampleur portant sur dix patients : chez les huit patients qui se trouvaient
encore à un stade précoce de la maladie, il avait été possible de stopper
l’avancée du déclin cognitif, et même d’inverser le processus4. Et ce,
uniquement en remédiant aux carences individuelles qui empêchaient la
croissance de l’hippocampe (même si, d’ailleurs, le professeur Bredesen
n’avait pas forcément en tête une telle conséquence). Ce succès
thérapeutique est une révolution médicale ! Sur le plan théorique, mais aussi
de manière tout à fait tangible et répétable pour chacun, on a désormais pu
montrer que la maladie d’Alzheimer – jusqu’à un certain stade de
développement – pouvait être guérie.

1 NEHLS, M., “Unified theory of Alzheimer’s disease (UTAD)…”, art. cité.


2 “Bewegung und Omega-3-Fette helfen Hirn kaum”, Ärzte Zeitung, 31.8.2015,
www.aerztezeitung.de/medizin/krankheiten/demenz/article/892873/demenz-
bewegung-omega-3-fette-helfen-hirn-kaum.html.
3 “Schützt Fischöl doch vor Demenz ?”, Ärzte Zeitung, 15.8.2016,
www.aerztezeitung.de/medizin/krankheiten/demenz/article/917075/praevention-
schuetzt-fischoel-demenz.html.
4 BREDESEN, D. E., “Reversal of cognitive decline : a novel therapeutic program”,
art. cité.

268
COMMENT PARTICIPER
AU CHANGEMENT DE PARADIGME ?

Informer

Les arguments présentés ici découlent de faits admis. Et pourtant, ils sont en
opposition avec la doctrine dominante, selon laquelle notre mode de vie
n’aurait que peu d’influence sur le développement de la maladie
d’Alzheimer. Par le passé, c’est aussi ce qu’on a prétendu pour d’autres
maladies de civilisation, de la même manière qu’il a fallu attendre
longtemps avant que la cigarette ou les gaz d’échappement soient reconnus
comme responsables de certaines pathologies. Du point de vue de ceux qui
défendent une hiérarchie qui leur profite et assoit leur pouvoir, leur prestige
et la force de leur présence médiatique, cette réaction est en soi
compréhensible. Mais pour tous ceux qui sont touchés par l’Alzheimer, elle
n’est rien d’autre qu’un obstacle supplémentaire à franchir. À travers des
campagnes médiatiques toujours remarquées, les experts qui promeuvent la
doctrine dominante mettent en effet en doute l’efficacité d’un changement de
mode de vie dans le cadre du traitement de l’Alzheimer. Ils entretiennent
ainsi l’idée collectivement répandue dans nos sociétés (et dans l’esprit de
nombreux médecins prêts à croire tout ce qu’affirme l’industrie
pharmaceutique) que rien ne peut arrêter la maladie ni empêcher le déclin
cognitif. Rien, sauf un nouveau médicament. Mais comment un médicament
pourrait-il remédier aux carences de notre mode de vie ?
Par chance, de plus en plus de médecins et de chercheurs travaillent à
remettre en question cette doctrine et, à travers mes publications, je
m’efforce moi-même d’en atteindre et d’en informer d’autres. Car en
observant l’avancée de la recherche sur l’Alzheimer, on voit bien, comme
on l’a décrit auparavant, que les chercheurs se trouvent dans une impasse.
Au printemps 2015, dans un article très fouillé intitulé “Alzheimer : les
chercheurs font-ils fausse route1 ?”, le Neue Zürcher Zeitung cite ainsi le
neurologue John Hardy, père de l’hypothèse de l’amyloïde : “Nous ne
remarquons que maintenant que nous n’avons pas la moindre idée de ce
qu’est la protéine amyloïde ni de ce qu’elle fait exactement.” Et le
scientifique d’ajouter, sceptique : “Même si nous pouvions stopper la

269
sécrétion d’amyloïde, je ne crois pas que la démence disparaîtrait. Mais
c’est la démarche la plus efficace que nous puissions proposer.”
Disons que c’est au moins le début d’une remise en cause.
Des contradictions sont également visibles dans le comportement de
scientifiques de renom, comme l’expert américain Dennis Selkoe, dont j’ai
parlé dans l’introduction de cet ouvrage et que j’ai rencontré
personnellement il y a quelques années, alors qu’il était l’un des plus grands
conseillers de l’industrie pharmaceutique en matière d’Alzheimer. Au
public profane, il explique qu’on ne peut rien faire contre l’Alzheimer (mis
à part, selon ses propres dires, mourir jeune). Mais en tant que professeur à
la prestigieuse université Harvard, il a aussi publié plusieurs travaux
scientifiques portant sur des souris génétiquement programmées pour
développer l’Alzheimer et montré par exemple que des mesures simples
permettant aux rongeurs de mener une vie plus naturelle les protégeaient de
la maladie. Ou que les souris disposant d’une roue pour leur activité
physique pouvaient guérir alors que la maladie était déjà déclarée.
Si la doctrine dominante est toujours active, on remarque néanmoins que,
depuis la parution de ce livre en Allemagne, les signes d’intérêt pour une
démarche systémique se multiplient. Après avoir publié des ouvrages
destinés au grand public, il m’a ainsi été possible de présenter ma thèse
dans une revue scientifique internationale de renom.

Poursuivre les études indépendantes

L’un des enjeux décisifs est maintenant d’entreprendre d’autres études


cliniques afin de confirmer et asseoir les résultats du professeur Bredesen.
En juin 2016, Dale Bredesen a publié aux États-Unis une deuxième étude
réalisée en collaboration avec des confrères. Celle-ci a permis de répéter
sur d’autres patients le succès du traitement mis en évidence dans ses
premiers travaux. En outre, elle confirme, comme je l’ai supposé, que même
la prédisposition génétique la plus répandue (ApoE4) n’est pas à l’origine
de la maladie d’Alzheimer. Selon le résultat de mon analyse théorique,
ApoE4 se comporte plutôt comme un accélérateur du processus quand le
mode de vie est inadapté. Voilà pourquoi, ainsi que le montre la deuxième
étude clinique du professeur Bredesen, les porteurs de ce patrimoine
génétique (soit 15 % de la société européenne) ont eux aussi pu tirer les
bénéfices d’un nouveau mode de vie conforme aux besoins du cerveau2.
Dans l’histoire de l’humanité, ApoE4, première forme du gène ApoE,
apparaît à peu près au même moment que cette exceptionnelle longévité qui
nous distingue de nos ancêtres animaux. Peut-être les premiers hommes

270
étaient-ils végétariens ? Cela expliquerait en tout cas pourquoi, dans le
cadre d’un régime pauvre en fer, c’est-à-dire principalement végétarien, le
gène ApoE4 favorise le transport du fer, ressource rare, vers le cerveau, où
cet élément remplit des fonctions importantes. En revanche, avec l’excès de
viande qui caractérise notre alimentation actuelle, cette particularité
génétique devient un problème, car elle induit une surcharge de fer et une
inflammation au niveau du cerveau. Une alimentation inadaptée est ainsi la
cause d’une inflammation cérébrale chronique, qui induit notamment
l’inhibition de la neurogenèse, tandis que le gène ApoE4 accélère le
processus pathologique. À l’inverse, un patient atteint d’Alzheimer et
porteur du gène ApoE4 profitera tout particulièrement des bénéfices d’une
alimentation pauvre en viande et riches en légumes.
Cette nouvelle étude du professeur Bredesen confirme par ailleurs une
autre de mes hypothèses : selon moi, un traitement efficace devrait aller de
pair avec une augmentation du volume de l’hippocampe. Comme on l’a vu,
chez l’un des patients du professeur Bredesen qui a surmonté sa maladie, on
a constaté sur les dix mois de traitement une croissance record de
l’hippocampe d’environ 12 %. D’après mon explication du développement
de la maladie, ce cas particulier est très probablement le signe d’un
phénomène plus général, et celui-ci devrait être systématiquement pris en
compte dans les études cliniques à venir. Si les troubles de la neurogenèse
et une atrophie de l’hippocampe marquent le début de la maladie, une
neurogenèse réactivée et une croissance de l’hippocampe devraient être les
signes neurologiques d’un traitement efficace. Or, il est facile de constater
ce fait en mesurant le volume de l’hippocampe lors d’une IRM avant et
après traitement.

Je m’engage pour que d’autres études soient réalisées et espère qu’un


réseau international va pouvoir s’établir, ce livre étant une contribution à
son développement. Le groupe d’experts réunis autour du professeur
Bredesen prévoit quant à lui pour 2017 de nouvelles études cliniques aux
États-Unis et en Nouvelle-Zélande. Il importe que les travaux menés soient
financièrement indépendants de l’industrie et des médias et que la recherche
clinique progresse. Car j’en ai déjà eu maintes fois la preuve : les médias
grand public rechignent encore à diffuser la démarche systémique. Voici par
exemple une petite anecdote : fin 2015, soit quelques mois après la parution
de l’édition allemande de ce livre, un journal féminin me demande une
interview. Cependant, on me prie alors expressément de ne pas parler de
l’effet néfaste du sucre raffiné dans ma description d’une alimentation
conforme aux besoins du cerveau, puisque ce numéro du magazine

271
contiendra aussi quelques recettes de friandises pour Noël. Et il ne faudrait
quand même pas que mes propos portent atteinte à l’appétit du lecteur – ou
aux chiffres de vente.
Il semble cependant que les choses sont en train de changer : en
septembre 2016, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre
l’Alzheimer, la journaliste Margrit Braszus a ainsi animé à la radio un débat
rationnel et informatif lors duquel différents experts ont évoqué l’avenir de
la recherche dans ce domaine3. En outre, les colonnes de certains journaux
s’ouvrent peu à peu et accueillent des points de vue critiques : le débat sur
notre système, si nécessaire pour avancer, semble être lancé4.

Briser pour soi les “engrenages culturels”

Considéré sous son aspect sociologique, l’Alzheimer est un problème


inhérent au système qui, par conséquent, ne peut pas être résolu par le
système lui-même. Une révolution s’impose dans notre façon de penser, et
elle doit aussi remettre en cause le système lui-même. Car voilà bien
longtemps que l’Alzheimer n’est plus seulement un problème scientifique,
mais fait aussi intervenir des facteurs socioculturels. Du côté de la politique
et de l’économie, le soutien qu’on pourrait attendre est illusoire : le conflit
d’objectifs entre les parties est trop important. La sphère économique se
préoccupe en premier lieu de croissance économique, tandis que la sphère
politique, qui lui sert d’assistante, considère surtout la société vieillissante
comme un moteur supplémentaire pour réaliser cet objectif, notamment à
travers l’expansion du secteur médical (comme l’indique le discours
d’Angela Merkel cité au chapitre “Des carences qui nous rendent malades”,
p. 79). Et les experts les plus en vue, eux, continuent de défendre leurs
thèses traditionnelles. Dans le même esprit que Schopenhauer, le physicien
Max Planck (1858-1947) décrivait déjà ce principe de fonctionnement dans
ses Mémoires et notait : “Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe
jamais en convainquant les opposants et en faisant voir la lumière, mais
plutôt parce que ses opposants finissent par mourir, et qu’il naît une
nouvelle génération à qui cette vérité est familière5.” Ce qui m’emplit
d’espoir et semble confirmer la position de Max Planck, c’est l’accueil
favorable que me réservent les universités où j’interviens sur le sujet : pour
les étudiants de la jeune génération, la chaîne causale qui conduit à
l’Alzheimer est une évidence, tout comme les conséquences qu’on doit en
tirer, à savoir qu’avec un changement de mode de vie, il est possible de
prévenir et même de guérir la maladie. Et du côté des experts, les choses

272
bougent aussi ! Lors de la Journée mondiale de lutte contre l’Alzheimer
de 2016, le professeur Richard Dodel, chef du centre universitaire de
gériatrie d’Essen, a ouvert le grand congrès annuel de la Société allemande
de neurologie par ces mots : “Nous avons des raisons de penser que
l’Alzheimer et d’autres types de démence peuvent être freinés, voire
évités.” Et d’ajouter : “Nous disposons de données fiables indiquant qu’un
mode de vie sain et actif protège de la maladie d’Alzheimer6.” Autrement
dit, il semble que nous soyons arrivés à la troisième étape du processus
d’acceptation décrit par Schopenhauer. Il ne reste désormais plus qu’à
répandre la bonne nouvelle auprès de la population. Après des décennies de
désinformation, il s’agit maintenant de changer au plus vite notre façon de
voir les choses.
À une époque où l’information est diffusée à la vitesse grand V, c’est
d’ailleurs tout à fait possible : de nos jours, il n’est pas difficile de
s’informer et de se forger une opinion propre. Et cette démarche est plus
que nécessaire. L’expérience a en effet montré que le succès du concept
thérapeutique proposé ici dépendait en grande partie de l’attitude des
patients et de leur volonté de changer leurs habitudes quand c’était
nécessaire. Ce qu’on sait aussi, c’est que le traitement est très
vraisemblablement voué à l’échec quand le médecin traitant, le partenaire
aidant ou encore les proches ne soutiennent pas le patient dans ses efforts,
voire l’empêchent de mener à bien le traitement (situation que j’ai déjà
rencontrée). Il est vrai que la plupart des gens ne savent pas très bien à quoi
s’en tenir dans la mesure où la doctrine dominante a investi l’ensemble de
la société. De ce fait, il se trouve presque toujours quelqu’un dans la
famille ou le cercle d’amis du patient qui n’y croit pas et considère comme
inutiles voire ridicules les efforts colossaux déployés pour adopter un
nouveau mode de vie. Pour que le traitement puisse être efficace sur un
grand nombre de patients (et pas seulement sur quelques-uns), ces
“engrenages culturels” qui dénaturent notre pensée doivent être déconstruits
par chacun.
Face au manque de perspectives et à la souffrance liés au diagnostic de
l’Alzheimer, on peut se demander pourquoi cette révolution est si difficile à
mener. Comment se fait-il que la majorité des patients n’aient pas déjà saisi
la chance que leur offre ce concept thérapeutique ? Pourquoi la famille et
les proches ne s’unissent-ils pas pour au moins oser cette tentative ?
Un élément de réponse possible m’a été fourni par la réaction d’une
lectrice. Dans une lettre ouverte publiée dans un journal, cette infirmière
chargée d’accompagner les patients atteints d’Alzheimer s’insurgeait contre
mon explication de l’Alzheimer comme une maladie due à des carences et

273
me reprochait de faire preuve d’injustice envers tous ces pauvres patients.
Non seulement, expliquait-elle, ceux-ci souffrent terriblement de leur
maladie, mais en plus, voilà que je prétends maintenant qu’ils en sont
responsables. Honte à moi.
Voici un extrait de la réponse que le même journal m’a autorisé à publier
dans ces pages7 :
Dans un courrier des lecteurs du 17 octobre 2015, on affirme, sans en fournir
la moindre preuve, que mon explication du développement de la maladie
d’Alzheimer est fausse – ce qui remet en cause l’ensemble des recherches
menées au cours des dernières décennies (sur lesquelles mon travail s’appuie).
En outre, on me reproche de considérer la maladie comme une maladie de
carences, ce qui ne mènerait à rien et, au contraire, ferait peser tout le poids de
la faute sur les patients, dès lors responsables de leur maladie.
A-t-on reproché aux millions de marins morts du scorbut de s’être rendus
coupables de manger trop peu de fruits et de légumes durant leurs longs
voyages en mer ? À l’époque, on ne savait pas qu’une carence en vitamine C
était à l’origine de cette maladie mortelle, jusqu’à ce que des médecins
identifient ce manque dans l’alimentation des marins. Pour autant, ces
médecins auraient-ils mieux fait de taire leurs connaissances, seulement pour
éviter d’être dénigrés et accusés de faire culpabiliser les pauvres gens ? […]
Information et communication sont des facteurs déterminants pour protéger
nos sociétés de l’Alzheimer ! Comment affirmer dans ce cas que les nouvelles
connaissances que je diffuse ne mènent à rien ? Au contraire, elles sont de
première importance pour les personnes atteintes d’Alzheimer puisqu’il est
possible, au moins au stade précoce de la maladie, d’envisager une guérison en
remédiant aux carences individuelles en cause.

Le reproche de cette lectrice m’amène à penser que la plupart des gens


préfèrent peut-être ne pas se sentir responsables, car cela exigerait une bien
plus grande implication de leur part. Et si l’on pose un regard évolutif sur
ce comportement, il n’a rien d’inattendu, puisque la tendance à garder nos
habitudes et le goût du confort nous ont été donnés à la naissance pour nous
permettre d’économiser de l’énergie.
Qu’une infirmière en charge de personnes âgées s’exprime de la sorte
n’est d’ailleurs pas un hasard, et les critiques auxquelles j’ai été confronté
proviennent souvent de ce secteur. Il faut dire que la thèse selon laquelle
l’Alzheimer est une maladie de carences met aussi le doigt sur certains
déficits dans les soins aux personnes âgées. Pour venir à bout de ceux-ci, il
faut plus d’argent (une denrée rare) et plus d’engagement. Dès lors que les
proches vont exiger des mesures visant à éviter ou traiter la maladie

274
d’Alzheimer, ce livre deviendra ainsi un véritable problème pour le
système de soins.

1 LÜTHI, T., art. cité


2 BREDESEN, D. E. et al., “Reversal of cognitive decline in Alzheimer’s disease”,
art. cité.
3 BRASZUS, M., “Therapien gegen das große Vergessen : Was hilft bei
Alzheimer ?”, SWR2-Wissen, 21.9.2016,
www.swr.de/swr2/programm/sendungen/wissen/alzheimerstand/-
/id=660374/did=17944114/nid=660374/4hadoa/index.html.
4 NEHLS, M., “Ist Alzheimer eine vermeidbare Krankheit, Herr Nehls ?” SWR2-
Wissen, 3.9.2016, www.michael-
nehls.de/index_htm_files/Mannheimer%20Morgen%203.%20Sept.%202016%20-
%20Gastbeitrag.pdf.
5 P LANCK, M., Autobiographie scientifique, Flammarion, 1991, traduit de
l’allemand par André George.
6 KIRSCH-MAYER, W., “Behandlung schon « vor dem Vergessen »”, Mannheimer
Morgen, 22.9.2016.
7 NEHLS, M., “Aufklärung ist entscheidend”, Pforzheimer Zeitung, 31.10.2015,
p. 70.

275
COMMENT TROUVER UN THÉRAPEUTE ?

Chaque jour, des proches (mais aussi des patients touchés par l’Alzheimer à
son stade précoce) me racontent que leur médecin traitant ou leur
neurologue refusent de les aider à mettre en place un traitement axé sur les
causes de la maladie tel que je le défends, preuves à l’appui. Là encore, le
système et la doctrine qu’il propage sont à l’œuvre. Dans cette situation, je
ne peux qu’inviter le patient ou l’aidant à imprimer les travaux scientifiques
que j’ai publiés1 et à les présenter avec cet ouvrage au thérapeute de leur
choix. En s’aidant des arguments résumés plus haut, ils pourront – espérons-
le – convaincre leur interlocuteur de prendre connaissance des mesures
médicales simples qui y sont proposées. Car s’il m’a été possible de
publier dans une revue médicale après une évaluation par des pairs, si mes
arguments, donc, ont su convaincre d’autres experts, et si, à l’heure actuelle,
quelque 20 patients ont pu être traités avec succès aux États-Unis dans le
cadre d’un traitement systémique comparable, alors un bon thérapeute
devrait se montrer suffisamment ouvert et, dans l’intérêt de ses patients,
s’intéresser à cette thèse.

La médecine doit à nouveau adopter une approche systémique, comme le


préconisait Hippocrate autrefois

C’est à dessein que j’emploie la notion de “systémique” pour décrire ce


concept. D’une part parce que la Loi du minimum et les cercles vicieux
complexes qui dominent le développement de la maladie d’Alzheimer nous
montrent – sur le plan biologique – qu’il est indispensable d’opter pour une
démarche systémique. Et d’autre part parce que cette forme de traitement
contre l’Alzheimer ne doit pas être séparée de la médecine “officielle”. On
aurait pu parler de démarche holistique ou complémentaire, mais cela
reviendrait alors à évoquer une solution en marge de la médecine officielle.
Or, d’un point de vue scientifique, cette démarche ne peut ni ne doit être
considérée comme marginale. Les médecins issus de formations classiques
ne doivent pas être mis à l’écart d’un concept thérapeutique qui élimine de
manière ciblée et systématique les causes d’une maladie. Il est vrai que le
geste médical, malheureusement, se résume encore trop souvent au

276
traitement médicamenteux des symptômes, ainsi que le veut le système sur
lequel se fondent nos sociétés contemporaines. Pour beaucoup de
thérapeutes, il est donc indispensable de rompre avec une pensée établie et
de développer une compréhension systémique des faits : les causes des
maladies de civilisation se trouvent généralement dans notre mode de vie, et
seule une modification de nos habitudes peut permettre une véritable
guérison. Je ne peux que souhaiter que la maladie d’Alzheimer serve ici de
déclencheur et soit à même d’initier une nouvelle façon de penser.
Du côté de la Sécurité sociale aussi, les choses doivent changer. Le
conseil médical délivré par un médecin pour mettre en place un nouveau
mode de vie devrait par exemple être rémunéré à sa juste valeur. Les coûts
engendrés lors de la recherche de carences (oligoéléments, vitamines, etc.)
devraient aussi être pris en charge. À l’heure actuelle, ces analyses ne sont
pas toujours remboursées, et ce, bien que les carences contribuent à de
nombreuses maladies. En attendant une amélioration de la prise en charge,
ce sont les patients ou les aidants qui sont mis à contribution et doivent, là
où c’est nécessaire, payer de leur poche certains éléments de ce traitement
systémique. Mais sur la base des connaissances exposées ici, c’est là leur
seul espoir de guérison. Et d’après les estimations actuelles, le coût global
d’un traitement systémique de six mois équivaut à peu près à celui de la
prise en charge d’un patient atteint d’Alzheimer au dernier stade de la
maladie – pendant un mois. Ces coûts, il s’agit justement de les éviter, et
surtout d’éviter l’extrême souffrance associée à la maladie.

1 Le pdf est disponible en libre accès à l’adresse suivante :


jmolecularpsychiatry.biomedcentral.com/articles/10.1186/s40303-016-0018-8.

277
CONCLUSION

À travers une réflexion évolutive et neurobiologique, nous avons pu mettre


en lumière les véritables causes de l’Alzheimer, et cette étape constitue un
tournant dans la prévention et le traitement de la maladie. Aujourd’hui,
l’Alzheimer peut être diagnostiqué facilement et de façon précoce. La
maladie devient ainsi un nouveau défi pour la société. Nous ne pourrons le
surmonter que si nous sommes prêts à rejeter des doctrines obsolètes et à
abandonner l’idée d’un remède miracle qui, on le sait maintenant, ne sera
jamais capable d’éliminer les véritables causes de la maladie. Il s’agit
aujourd’hui pour nous de nous montrer réceptifs à de nouvelles
connaissances, d’interroger celles de nos habitudes qui se révèlent en
désaccord avec notre nature première et, forts de ce savoir, de mener notre
vie de manière conforme aux exigences de notre cerveau, autrement dit dans
le respect de la dignité humaine.
Pour ma part, je considère l’Alzheimer comme un signal d’alarme que la
nature nous envoie pour nous amener à prendre nos responsabilités. À la
différence de nombreuses autres catastrophes dont l’être humain est
responsable, celle-ci ne se déroule pas à l’autre bout du monde, et nous en
subissons les conséquences au plus profond de notre chair. L’Alzheimer
nous engage à chercher non plus des excuses, mais des solutions. À ne plus
temporiser en ignorant les vérités qui nous gênent. C’est aujourd’hui que
nous devons changer notre manière de penser si nous voulons, demain, être
encore en mesure de penser. Je souhaite que de nombreux patients saisissent
cette opportunité et, bientôt, puissent raconter une “histoire qui finit bien” et
commence par ces mots : “J’ai eu la maladie d’Alzheimer.”

278
Ouvrage réalisé
par le Studio Actes Sud

Ce livre numérique a été converti initialement au format EPUB par Isako


www.isako.com à partir de l'édition papier du même ouvrage.

279
Sommaire

Couverture

Présentation

DR MICHAEL NEHLS

Guérir Alzheimer

Sommaire des ordonnances

NOUVELLE INTRODUCTION POUR L’ÉDITION FRANÇAISE

1. ALZHEIMER : L’ÉTAT ACTUEL DE LA RECHERCHE

Alzheimer : enfin l’espoir

Ce que nous savons aujourd’hui de la maladie

Pourquoi l’Alzheimer ? Une explication évolutive

Des carences qui nous rendent malades

Les cinq stades de la maladie

2. QUE FAIRE UNE FOIS LE DIAGNOSTIC POSÉ (ET MÊME


AVANT) ?

Faire face

Vaincre ensemble l’Alzheimer

Bouger

Faire du soleil son allié

Stimuler le cerveau

Dormir suffisamment

Nourrir le cerveau : les matériaux de construction

280
Nous sommes ce que nous mangeons

Des fruits de mer contre l’Alzheimer

Effets indésirables

Les huiles saines

Les mauvais matériaux

Nourrir le cerveau : le plein d’énergie

Nourrir le cerveau : les agents de protection

Préférer la richesse naturelle à la supplémentation artificielle

Contrôler le taux d’homocystéine

Les oligoéléments

C’est bon et ça fait du bien

Un verre de vin avec un bon repas

Un petit dessert ?

Vous prendrez bien un café ?

Nourrir le cerveau : pour en finir avec les mythes sur le cholestérol

Intermède : Réjouissez-vous des effets secondaires

Prendre du temps pour les câlins

En finir avec les infections

Détoxiquer

3. PHASE INTENSIVE DU TRAITEMENT

Un traitement systémique contre l’Alzheimer

Les effets thérapeutiques : vue d’ensemble

4. J’AI EU LA MALADIE D’ALZHEIMER…

Doctrines scientifiques

La thérapie systémique en sept arguments

281
Comment participer au changement de paradigme ?

Comment trouver un thérapeute ?

Conclusion

282
Table des Matières
Présentation 2
DR MICHAEL NEHLS 3
Guérir Alzheimer 4
Sommaire des ordonnances 6
NOUVELLE INTRODUCTION POUR L’ÉDITION
7
FRANÇAISE
1. ALZHEIMER : L’ÉTAT ACTUEL DE LA
12
RECHERCHE
Alzheimer : enfin l’espoir 14
Ce que nous savons aujourd’hui de la maladie 22
Pourquoi l’Alzheimer ? Une explication évolutive 40
Des carences qui nous rendent malades 59
Les cinq stades de la maladie 66
2. QUE FAIRE UNE FOIS LE DIAGNOSTIC POSÉ (ET
76
MÊME AVANT) ?
Faire face 78
Vaincre ensemble l’Alzheimer 90
Bouger 98
Faire du soleil son allié 106
Stimuler le cerveau 115
Dormir suffisamment 122
Nourrir le cerveau : les matériaux de construction 134
Nous sommes ce que nous mangeons 134
Des fruits de mer contre l’Alzheimer 135
Effets indésirables 138
Les huiles saines 139
Les mauvais matériaux 140
Nourrir le cerveau : le plein d’énergie 147
Nourrir le cerveau : les agents de protection 161
Préférer la richesse naturelle à la supplémentation artificielle 161

283
Contrôler le taux d’homocystéine 163
Les oligoéléments 164
C’est bon et ça fait du bien 167
Un verre de vin avec un bon repas 169
Un petit dessert ? 170
Vous prendrez bien un café ? 171
Nourrir le cerveau : pour en finir avec les mythes sur le cholestérol 177
Intermède : Réjouissez-vous des effets secondaires 187
Prendre du temps pour les câlins 195
En finir avec les infections 206
Détoxiquer 215
3. PHASE INTENSIVE DU TRAITEMENT 232
Un traitement systémique contre l’Alzheimer 234
Les effets thérapeutiques : vue d’ensemble 252
4. J’AI EU LA MALADIE D’ALZHEIMER… 257
Doctrines scientifiques 259
La thérapie systémique en sept arguments 263
Comment participer au changement de paradigme ? 269
Comment trouver un thérapeute ? 276
Conclusion 278

284

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