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Reconversion vers des systèmes d'irrigation


localisée au Maroc. Quels enseignements pour
l'agriculture familiale?

Article · January 2007

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5 authors, including:

Younes Bekkar Marcel Kuper


Cirad - La recherche agronomique pour le dé… Cirad - La recherche agronomique pour le dé…
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Ali Hammani Mathieu Dionnet


Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II Lisode
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Dyamiques argricoles irriguées au Maghreb (DAIMA) View project

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RECONVERSION VERS DES SYSTEMES D’IRRIGATION LOCALISEE AU MAROC
QUELS ENSEIGNEMENTS POUR L’AGRICULTURE FAMILIALE ?
Y. Bekkar1, M. Kuper2, A. Hammani3, M. Dionnet4, A. Eliamani5

Résumé
Les agriculteurs marocains ont fait preuve d’imagination et de détermination pour mettre en place des techniques
d’irrigation économes en eau sur plus de 140 000 ha dans un contexte de pénurie croissante de l’eau. Dans cet
article, il sera question d’expliciter les motivations et les projets des agriculteurs « pionniers » du Tadla et du Souss
qui ont franchit le pas de cette reconversion qu’elle soit individuelle ou collective. Ces deux zones sont confrontées
à des pénuries d’eau sérieuses, tout en montrant une dynamique agricole importante. Ces deux zones sont donc
logiquement précurseur dans l’adoption de techniques d’irrigation localisée et constituent des cas intéressants
pour analyser les expériences des agriculteurs dans des projets de reconversion vers l’irrigation localisée. Les
conditions de réussite de tels projets seront précisées et l’origine des connaissances nécessaires à ces changements
sera identifiée. Ces éléments apparaissent pertinents pour définir les modalités d’accompagnement de tels projets
de modernisation, notamment pour les petits agriculteurs, qui représentent une part important des exploitations
marocaines en agriculture irriguée.
Actuellement, l’Etat marocain s’est fixé comme objectif
I. INTRODUCTION la substitution du mode d’irrigation gravitaire par le
goutte-à-goutte sur 550 000 ha à l’horizon de l’année
La reconversion de l’irrigation gravitaire vers l’irrigation 2025 (ibid). Ceci nécessitera des investissements estimés
localisée a connu un certain engouement au Maroc. Fin à 37 milliards de dirhams dont l’Etat prendra en charge
2006, les agriculteurs marocains auraient équipé environ 22 milliards de dirhams, soit 60%. L’investissement
141 570 ha en irrigation localisée (figure 1), soit 9,7% de moyen par hectare correspond donc à 67 000 DH dont
la superficie totale aménagée, selon les chiffres du environ 27000 à la charge de l’agriculteur.
Ministère de l’Agriculture, du Dévelop-pement Rural et
des Pêches Maritimes (2007). Ce chiffre sous-estime L’irrigation localisée est une option coûteuse pour les
probablement la superficie totale aménagée en irrigation irrigants et sa valorisation exige une intensification des
localisée, car il ne tient pas compte systématiquement des cultures existantes voire l’introduction de cultures à plus
superficies aménagées sans le recours financier de l’Etat. forte valeur ajoutée. Cette reconversion est risquée à
double titre: sur le plan technique car il faut maîtriser de
Figure 1: Evolution de la superficie (ha) équipée en nouvelles pratiques d’irrigation voire la conduite de
irrigation localisée au Maroc (source : Ministère nouvelles cultures; et sur le plan financier car la
de l’Agriculture, du Développement Rural et des reconversion exige un investissement important. Enfin,
Pêches Maritimes) la reconversion amène souvent les agriculteurs à
s’insérer dans des marchés moins sécurisés (maraîchage,
160000
fruits, …).
140000 Jusqu'à présent, dans le périmètre irrigué du Tadla, cette
reconversion a concerné essentiellement les grandes
120000
exploitations (superficies équipées supérieures à 5 ha) ou
des exploitants privilégiés. Les agriculteurs plus modestes,
Superficie (ha) équipée

100000

80000
ayant une assise foncière inférieure à 5 ha ont, en revanche,
plus de difficultés à moderniser leur système d’irrigation.
60000
Dans le Souss, périmètre ayant connu un développement
40000 plus rapide de l’irrigation localisée, on observe pour cette
catégorie d’exploitations le développement récent de
20000
projets collectifs de reconversion au sein de coopératives
0 de réforme agraire et des Associations d’Usagers de l’Eau
19
90 991 992 993 994 995 996 997 998 999
1 1 1 1 1 1 1 1 1 20
00
20
01
20
02
20
03
20
04
20
05
20
06 Agricole (AUEA).

1. Ingénieur en Développement Rural de l’ENA Meknes (Maroc)


2. Chercheur au Cirad/IAV (Maroc)
3. Enseignant-Chercheur à l’IAV Hassan II (Maroc)
4. LISODE (France)
5. Ingénieur au Ministère de l’Agriculteur et de Pêches Maritimes (Maroc)

38 Revue HTE N°137 • Juin 2007


Les projets collectifs d’irrigation correspondent à un
regroupement de plusieurs agriculteurs pour la création et II. METHODOLOGIE
la gestion des infrastructures collectives permettant de
desservir l’eau pour l’irrigation localisée. Ces projets Au Tadla, l’étude a commencé par une analyse de la base
engendrent d’autres types de risques: sur le plan de données de l’ORMVAT. Elle documente les
organisationnel, il faut construire et concevoir des règles exploitations ayant présenté une demande de subvention
de gestion collectives; sur le plan relationnel, il s’agit dans le cadre du programme national d’économie d’eau.
d’un groupe d’individus avec différents points de vue et Cette base de données contient l’ensemble des projets
différents intérêts. En contrepartie, ces projets offrent un présentés à l’Office entre 2002 et 2006 (154 au total), et
certain nombre d’avantages, principalement la réduction distingue les projets de reconversion réalisés (100), et les
du coût de l’investissement, l’apprentissage collectif et la projets de reconversion abandonnés ou reportés (54)
mutualisation des différents risques cités antérieurement. malgré l’approbation du dossier technique par l’Office.
Dans cet article, il sera question d’expliciter les Après vérification sur le terrain, il a été constaté qu’un
motivations et les projets des agriculteurs « pionniers » nombre limité de projets a été abandonné après
du Tadla et du Souss qui ont franchit le pas de cette réalisation. Par ailleurs, il est vite apparu qu’il existe
reconversion qu’elle soit individuelle ou collective. Ces d’autres projets de reconversion dans le Tadla, mises en
deux zones sont confrontées à des pénuries d’eau place sans subvention et qui ne figurent pas dans la base
sérieuses, tout en montrant une dynamique agricole de données. Ce sont en général des exploitations situées
importante. Ces deux zones sont donc logiquement en zone bour qui n’ont pas obtenues d’autorisation pour
précurseur dans l’adoption de techniques d’irrigation leur puits ou forage, condition nécessaire pour obtenir la
localisée et constituent des cas intéressants pour analyser subvention. Ces difficultés expliquent le fait que la
les expériences des agriculteurs dans des projets de majorité des projets réalisés avec le soutien financier de
reconversion vers l’irrigation localisée. Les conditions de l’Etat sont situés en zone aménagée (81 sur 100).
réussite de tels projets seront précisées et l’origine des Le choix d’étudier l’ensemble des cas rencontrés (cf.
connaissances nécessaires à ces changements sera figure 2) a été fait afin de mieux cerner les conditions
identifiée. Ces éléments apparaissent pertinents pour ayant permis aux exploitants de mener à bien leurs projets
définir les modalités d’accompagnement de tels projets de reconversion. Un total de 24 projets a fait l’objet de
de modernisation, notamment pour les petits agriculteurs, notre étude dont :
qui représentent une part important des exploitations
marocaines en agriculture irriguée. • 3 projets qui n’ont pas été réalisés (a),

Figure 2: Echantillonnage pour l’étude de projets individuels de reconversion dans le Tadla

Projets acceptés Projets non


pour subvention subventionnés

e. 4 exploitations
situées en bour

Projets non Projets


réalisés réalisés

a. 3 exploitations

Projets
abandonnés Projets
après Fonctionnels
réalisation

b. 3 exploitations

Zone Zone
aménagée non aménagée

c. 13 exploitations d. 1 exploitation

39 Revue HTE N°137 • Juin 2007


• 3 projets qui ont été abandonnés après réalisation (b), • Les motivations pour la dimension collective du projet;
• 14 projets réalisés et qui figurent dans la base de • Les contraintes liés à la dimension collective du projet;
données de l’ORMVAT (dont 13 en zone aménagée) • Les règles de gestion et de fonctionnement de ces
(c) et 1 en zone bour (d), projets.
• 4 projets réalisés sans subvention (e). III. RESULTATS
Les 20 exploitations figurant dans la base de données de
l’ORMVAT (catégories a, b, c, d) ont été choisies de 3.1 Les pionniers du goutte-à-goutte au Tadla sont
façon aléatoire. Les 4 exploitations de la catégorie (e) surtout de grandes exploitations agrumicoles
ont été identifiées grâce à des visites de terrain. Le paradoxe d’une dynamique agricole importante dans
Les projets collectifs examinés se situent dans le une zone semi-aride rend le Tadla une zone propice à la
périmètre du Souss dans la zone d’action de la reconversion du système d’irrigation gravitaire par des
subdivision de Taroudant dont la principale ressource est équipements « économes en eau », notamment le goutte-
l’eau souterraine. Quatre coopératives de réforme à-goutte. Elle était donc particulièrement concernée par
agraire et trois AUEA ont fait l’objet de notre étude. Les les différents programmes successifs de l’Etat ayant
principales différences entre les projets des coopératives pour objectif d’encourager la mise en place de tels
et ceux des AUEA concernent le mode d’irrigation à équipements. La reconversion de l’irrigation gravitaire
l’origine et la taille des superficies concernées, comme vers l’irrigation localisée est en effet une option
le montre le tableau 1. privilégiée au Maroc pour faire face à la raréfaction des
ressources en eau. Dans cette optique l’Etat marocain a
Afin d’atteindre les objectifs de l’étude des entretiens mis en place plusieurs dispositifs pour promouvoir cette
ouverts ont été menés auprès des agriculteurs. Une grille reconversion. Tout d’abord l’exonération des droits et
d’analyse a structuré ces entretiens autour des aspects taxes applicables à l’importation de certains
suivants : équipements et matériels destinés à l’irrigation entre
• L’évolution des systèmes de production avant et après la 1982 et 1984. Ensuite, la mise en place depuis 1996 d’un
réalisation du projet ; dispositif de subvention de matériel d’irrigation «
• L’évolution du projet initial des agriculteurs ; économe en eau » allant de 10% à 30% selon les travaux
et les équipements réalisés. A partir de 1999, en plus de
• Les motivations et les raisons derrière la reconversion ; la subvention, une prime à l’investissement (2000
• La caractérisation des liens et des rôles des différents DH/ha) a été instituée au profit des agriculteurs ayant
partenaires, principalement l’Office, les entrepreneurs réalisé des aménagements permettant l’économie d’eau.
et les autres agriculteurs ;
En juillet 2002, le lancement du programme national
• Le niveau de formation et d’information concernant la d’économie d’eau, fixa comme objectif la reconversion
technique, le marché et les changements du système de de 22 % de la superficie nationale (114 000 ha). Ainsi un
production ; nouveau dispositif d’incitation visant la promotion de
• L’importance de l’activité agricole pour mesurer le l’irrigation localisée et de complément a été mis en
degré de risque pris et la possibilité de mobiliser place. Ce dernier se distingue par le relèvement des taux
d’autres sources financières ; de subventions de 30% (bassins hydrauliques du Nord
• Perception et évaluation par les agriculteurs de leurs du Maroc) à 40% (bassins hydrauliques du Sud) du coût
projets de modernisation. total des projets réalisés (tenant compte de l’ensemble
Pour les projets collectifs, quelques points supplé- des composantes du projet). Il est à signaler qu’un retard
mentaires ont été abordés : au niveau de la publication des textes de lois relatives
auxdites subventions a engendré un décalage dans la

Tableau 1: Caractéristiques des projets collectifs étudiés.

Entité Mode d’irrigation à l’origine SAU (ha) Nombre d’agriculteurs Superficie équipée (ha)
Coopérative A Aspersion 138 29 60
Coopérative B Aspersion 355 71 204
Coopérative C Aspersion 231 34 70
Coopérative D Aspersion 150 29 133
AUEA A Gravitaire 430 200 240 (en cours de réalisation)
AUEA B Gravitaire 550 209 480 (en cours de réalisation)
AUEA C Gravitaire 450 180 250 (en cours de réalisation)

40 Revue HTE N°137 • Juin 2007


mise en œuvre des projets de reconversion. Pour le présidents des coopératives de réforme agraire. En effet,
Tadla, l’objectif était d’équiper 5000 ha en goutte-à- près de 95% de la superficie équipée en goutte-à-goutte
goutte à l’horizon de l’année 2005. Ainsi, parallèlement avec le soutien financier de l’Etat entre 2002 et 2006 a
aux incitations financières de l’Etat plusieurs actions ont concerné des parcelles supérieures à 5 ha (1487 sur 1572
été menées par l’ORMVAT (Kobry et Eliamani, 2004) : ha). Plus de 80% de la superficie équipée est même
constituée de parcelles supérieures à 10 ha. Les parcelles
• Création d’une cellule chargée de l´étude et du suivi de moins de 5 ha ne représentent donc que 5,5% des
de la réalisation de projets d’irrigation ; réalisations, alors qu’au Tadla les exploitations ayant
• Organisation de journées d’information et de des superficies de moins de 5 ha représentent 82% des
sensibilisation; exploitations soit l’équivalant de 34% de la superficie
• Organisation de salons professionnels d’irrigation ; totale du périmètre (ORMVAT, 2004).
• Création et encadrement de l’Association Tadla de
l’irrigation localisée (ATIL) ; Les projets ont essentiellement concerné les agrumes
• Réalisation des essais de reconversion de l’irrigation (83%) et le maraîchage (8%), même si on commence à
gravitaire en irrigation localisée, comme support de observer une diversification de cultures telles que le
vulgarisation des nouvelles techniques d’irrigation. maïs ensilage, l’olivier et la vigne (figure 4).
L’ensemble de ces interventions a permis une évolution Figure 4: Cultures prévues par les agriculteurs dans les
notable des superficies dotée du système goutte-à- dossiers de projets de reconversion en irrigation
goutte, comme le montre la figure 3. Jusqu’à novembre localisée pour obtenir le soutien financier de
2006, environ 4 600 ha ont été équipés dans le cadre des l’Etat (2002-2006) dans le Tadla
différents programmes d’économie d’eau et ayant donc
bénéficiée de subventions, dont 1572 ha ont été équipé 1400
dans le cadre du programme national d’économie d’eau 1293

de 2002 à 2006. Il est à préciser que la superficie réelle 1200

en goutte-à-goutte dépasse les 4 600 ha, en tenant


compte des réalisations effectuées sans le recours 1000

financier de l’Etat.
Superficie (ha)

800

La plupart des projets financés par l’Etat au Tadla ont


600
été réalisés dans la zone aménagée. Seulement, 194 sur
1572 ha équipés avec la subvention de l’Etat concernent 400
la zone non aménagée en raison de la difficulté d’obtenir
une autorisation de pompage. Les réalisations de ce 200
128
programme ont concernées principalement les grands 50 33 28 21 20
agriculteurs, ainsi que quelques exploitants ayant des 0
Agrumes Maraîchage Vigne Maïs Grenadier Olivier Rosacées
liens de proximité avec l’administration tels que les
Figure 3: Evolution de la superficie équipée (ha) en irrigation localisée dans la zone d’action de l’ORMVAT (source :
ORMVAT)

5000

4500

4000

3500

3000
Superficie équipée (ha)

2500

2000

1500

1000

500

0
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

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3.2 De la réussite des expériences de reconversion La technique de l’irrigation localisée assure dans l’esprit
individuelle des agriculteurs une importante amélioration des
conditions de travail à travers la facilité des manœuvres
Un nombre de 24 expériences de reconversion et la facilité de suivi et de contrôle de l’irrigation. Il est
individuelle ont été examinés pour cerner les en outre plus facile de suivre les travaux des ouvriers.
motivations des exploitants, les facteurs ayant contribué Par ailleurs, l’exploitant peut éviter d’irriguer la nuit et
à une reconversion réussie et donner un aperçu sur les mieux répartir les irrigations dans le temps afin d’éviter
résultats obtenus par les exploitants. des pics de travail. En revanche, ce système nécessite
3.2.1 Les motivations des exploitations pour faire la une présence plus fréquente, parfois même quotidienne,
reconversion sur l’exploitation.
Dans le périmètre du Tadla, trois principales contraintes Ces avantages ont constitué de fortes raisons pour que
ont incité quelques centaines d’agriculteurs à envisager certains agriculteurs s’engagent dans des projets de
et formaliser un projet de reconversion en irrigation reconversion, y compris les agriculteurs les plus âgés
localisée : qui ont de moins en moins de force pour travailler et
dont les enfants ont quitté l’exploitation, ainsi que ceux
• Des problèmes de main d’œuvre qui opèrent dans d’autre domaines (commerce ou
L’irrigation gravitaire mobilise beaucoup de main secteur privé) et ne sont par conséquent que peu présents
d’œuvre. A titre d’exemple, selon les données de sur l’exploitation.
l’ORMVAT, un hectare d’agrumes nécessite environ 10 • Des problèmes d’insuffisance de dotation en eau
hommes jours par an pour l’irrigation, 12 hommes jours en irrigué
pour la confection de cuvettes (système du robta) et 6
hommes jours pour l’épandage d’engrais. Depuis un La libéralisation des assolements suite à l’avènement du
certain nombre d’années, les chefs d’exploitation dans le plan d’ajustement structurel au début des années 1990 a
Tadla ont une difficulté grandissante à mobiliser de la offert aux agriculteurs l’opportunité d’opter pour des
main d’œuvre pour de tels travaux qui sont perçus spéculations à haute valeur ajoutée, souvent plus
comme étant moins attractifs par rapport aux activités exigeantes en eau et plus sensibles aux stress hydrique.
du secteur secondaire et tertiaire. Cette indisponibilité Cependant, le périmètre irrigué du Tadla a connu depuis
est particulièrement prononcée pendant l’hiver, surtout les années 80 une diminution très importante des
si le tour d’eau est accordé pendant la nuit. La forte dotations en eau accordées au périmètre (figure 5), liée
émigration des jeunes que connaît la zone a accentué à la succession de plusieurs années de sécheresse et
cette raréfaction de la main d’œuvre agricole, très l’affectation des réserves en eau de surface à
sollicitée pour l’irrigation gravitaire. l’alimentation des centres urbains et d’autres périmètres
irrigués (Doukkala et la Tessaout Aval).

Figure 5: Dotations en eau d’irrigation accordées au périmètre du Tadla (Béni Moussa et Béni Amir) de 1978/79 à 2004/05

1400

Béni Amir

1200 Béni Moussa

Dotation schéma directeur


Volume d'eau en million de m

1000

800

600

400

200

0
79

81

83

85

87

97

99

03

05
/8

/9

/9

/9

/0
/

2/

4/
78

80

82

84

86

88

90

92

94

96

98

00

0
19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

19

20

20

20

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En effet la dotation par hectare est passée d’environ 10 l’administration et des agriculteurs ayant réussis un
200 m3/ha, définie par le plan directeur, à moins de 4 projet de reconversion. Ces facteurs ont permis de
000 m3/ha dans les années de sécheresse (3 300 m3/ha réduire les risques financiers et techniques engendrés
en 2002/2003, par exemple). Dans le périmètre des Beni par un tel changement :
Amir, cette situation est encore plus tendue avec une
dotation de 2 700 m3/ha en 2002/2003. Ceci a induit • L’importance des ressources financières hors
essentiellement une restriction des superficies irriguées, agricoles
surtout pendant l’été. En parallèle à ces réductions de La reconversion demande d’importants investissements,
dotations, les coupures d’eau suite aux pannes et aux jusqu’à 60 000 dirhams/ha, qui sont souvent assurés par
problèmes du réseau sont devenus un grand handicap l’accès des agriculteurs à d’autres sources de
pour l’irrigation au sein du périmètre surtout en périodes financement provenant de l’émigration, ou plus
de pointes. L’ensemble de ces problèmes a limité les généralement d’une autre activité hors agricole. Ainsi,
choix des agriculteurs pour l’adoption des cultures à sur les 21 projets réalisés de notre échantillon, 10
haute valeur ajoutée, qui sont plus consommatrice en exploitants ont des revenus réguliers hors agricoles
eau et surtout plus sensibles au stress hydrique dû à (commerce, salarié, fonction publique, …) et 2 sont
l’irrégularité des irrigations. rentrés de l’étranger avec des fonds pour investir.
• Des coûts importants pour l’irrigation avec les L’accès à la subvention du fond de développement
eaux souterraines agricole - en complément de la subvention pour la
Dans ce contexte, les ressources en eaux souterraines reconversion vers l’irrigation localisée - est aussi un
ont constitué une alternative pour combler le déficit en élément important pour la réduction des risques
eau. 12 400 puits et forages ont été installés dont 8400 financiers. Les subventions associées à des primes de
en zone aménagée et 4000 en zone non aménagée autour plantation et à certaines aides supplémentaires accordées
du périmètre selon une enquête menée en 2006 par l’ORMVAT dans le cadre d’un programme de
(Hammani et al., 2007). Ceci a permis de sécuriser promotion et de vulgarisation de la technique d’irrigation
l’irrigation et permettre ainsi l’intensification des en goutte - à - goutte, ont également aidé certains
cultures au sein du périmètre aménagé, même si il est agriculteurs à changer leur mode d’irrigation.
estimé que seulement 50 % des agriculteurs bénéficient • Des risques techniques atténués par la proximité
de cette manne (ibid). de l’administration ou des acteurs privés
Depuis quelques années, suite au rabattement de la L’irrigation en goutte-à-goutte est une technique
nappe engendrant des frais énergiques plus élevés et à complexe et son adoption demande une maîtrise
l’augmentation des coûts du gasoil, cette option technique et un changement de certaines techniques
commence à devenir moins pertinente du point de vue culturales. Ceci constitue pour les agriculteurs un risque
économique, incitant les agriculteurs à économiser l’eau majeur dans un projet de reconversion, en particulier
souterraine. parce qu’ils ont généralement peu de connaissances de
• Une meilleure valorisation des facteurs de cette technique. La majorité des agriculteurs qui ont
production réalisé des projets de reconversion, et en particulier les
grandes exploitations, s’est donc rapproché des acteurs
Une autre motivation pour une grande partie des opérant dans le domaine (gérants et ouvriers de grandes
agriculteurs enquêtés consiste en l’augmentation fermes, entrepreneurs et sociétés d’aménagement), mais
attendue d’une meilleure valorisation des facteurs de aussi des agriculteurs «leaders» qui les ont précédé.
production (travail, capital…). Ce sont des exploitations D’abord pour obtenir un bagage technique non
agricoles cherchant la performance sur l’exploitation, en négligeable pour mettre en place, gérer et entretenir le
augmentant les rendements et en diminuant les coûts nouveau système d’irrigation, mais aussi pour avoir des
(eau, électricité…). personnes ressources pour des appuis en cas de besoin.
L’ORMVAT a appuyé ces grands agriculteurs pionniers,
3.2.2 Les facteurs de succès de la reconversion mais a aussi ciblé des agriculteurs « proches », ayant des
Les contraintes d’eau et de main d’œuvre et le souhait exploitations de taille plus modeste, et qu’il estimait
d’évoluer vers des exploitations agricoles valorisant d’être en mesure de réussir ce genre de projet, comme
mieux les facteurs de production sont communs à un ceux faisant partie des coopératives de réforme agraire.
grand nombre d’agriculteurs du Tadla. L’idée que la Dans notre échantillon, quatre projets ont été en effet
remise en cause du mode d’irrigation gravitaire est un réalisés par des présidents de telles coopératives.
des moyens privilégiés pour y arriver a été largement • Une prudence dans la conception et la mise en
relayée par les services de l’administration. Cependant, œuvre du projet
seule une minorité a pu « franchir le pas » de la
reconversion. L’analyse des facteurs qui ont permis la Une analyse des 21 projets réalisés montre une mise en
réussite d’un projet de reconversion par cette minorité, œuvre progressive de la reconversion vers l’irrigation
montre l’importance de leur capacité de mobiliser des localisée. D’une part, presque aucun exploitant n’a
ressources financières, et de leur proximité avec équipé la totalité de la superficie de l’exploitation,

43 Revue HTE N°137 • Juin 2007


comme le montre la figure 5. En moyenne, ils ont équipé financements complémentaires (60 % du coût du projet
seulement les deux tiers des superficies exploitées. au moins) à la subvention de l’Etat. De plus, les
D’autre part, un certain nombre d’entre eux a équipé agriculteurs doivent également avancer la part de l’Etat,
l’exploitation en 2 ou 3 tranches. Un des agriculteurs a, qui leur rembourse après réalisation du projet et
par exemple, commencé à équiper 6 ha pour aboutir au présentation des factures. Certains agriculteurs on pu
final à 45 ha en irrigation localisée. Ces agriculteurs ont trouver des solutions qui consistent à obtenir des
en conséquence monté plusieurs dossiers pour la entrepreneurs des facilités de paiement ou à réaliser
demande de subvention. Cela leur permettait de faire un leurs projets en plusieurs tranches. D’autres
apprentissage progressif de la technique d’irrigation agriculteurs, souhaitant mettre en place de nouveaux
localisée et de vérifier sa pertinence pour l’exploitation, vergers d’agrumes n’osent pas s’engager dans des
mais aussi d’échelonner les investissements dans le crédits dont ils doivent payer les traites dès la première
temps. année alors que leurs vergers n’entrent en production
qu’après quelques années.
Par ailleurs, la figure 5 reflète bien la tendance générale
dans le Tadla d’une surreprésentation des grandes Un autre problème souvent évoqué est le statut foncier.
exploitations dans la reconversion en irrigation Il existe un grand nombre de parcelles en indivision
localisée. La taille moyenne des parcelles équipées pour dans le Tadla. Ces parcelles ont un seul matricule, mais
notre échantillon de 21 exploitations est de 12,8 ha. de facto plusieurs exploitants. Sur ces parcelles, un
projet de reconversion nécessité l’accord de tous les
• Un mot sur ceux qui n’ont pas concrétisés leur héritiers pour sa réalisation, ce qui pose d’autant plus de
projet… problèmes que ces projets engagent des investissements
Un nombre non négligeable d’agriculteurs n’a pas pu très importants.
réaliser le projet de reconversion en irrigation localisée. En zone bour se posait avec acuité le problème
Dans la base de données de l’ORMVAT plus d’un tiers d’autorisation de creusement et d’usage des eaux
des exploitants (54) ayant eu l’approbation de leur souterraines. En conséquence, les agriculteurs en bour
dossier technique n’ont pas concrétisé leurs projets. n’avaient pas accès systématiquement à la subvention, ce
Dans les interviews avec ces agriculteurs, le problème qui rend la réalisation du projet plus difficile. Certains
de financement et notamment d’accès au crédit est agriculteurs ont pu réaliser des projets d’irrigation
souvent évoqué comme raison principale de ces localisée sans l’aide de l’Etat. Il est à signaler que
abandons. En effet, il est difficile d’obtenir les
Figure 6: Nombre d’exploitations par classe de taille d’exploitation (< 5 ha, 5-10 ha, > 10 ha), les superficies
équipées en irrigation localisée et les superficies totales des exploitations enquêtées.

300

6 exploitations

Superficie équipée 246


250
Superficie éxploitée

200
188
Superficie (ha)

150 12 exploitations

126

100

72

3 exploitations
50

15
8,6

0
<5 ha [5-10 ha] >10 ha

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l’aurisation de pompage n’est plus nécessaire dans la totalité des exploitations a maintenu voir augmenté la
nouvelle procédure mise en place en 2007. superficie irriguée. Pour un certain nombre d’entre elles,
cette augmentation est directement liée au projet de
Il existe aussi une petite minorité d’exploitants qui ont reconversion. Avec les mêmes volumes d’eau, ces
abandonné leur système d’irrigation localisée après exploitations arrivent à irriguer plus que double de la
réalisation. Trois catégories de problèmes ont été surface initiale et à assurer une régularité des irrigations
rencontrés. Il y a d’abord ceux qui ont été convaincu par dans le temps.
des subventions de l’ORMVAT se rajoutant à la sub-
vention de l’Etat sans pour autant avoir de véritable • Cultures pratiquées
projet de mise en valeur accompagnant la reconversion
technique de leur système d’irrigation. Ils se sont Après la reconversion, la totalité des agriculteurs optent
retrouvés avec un système d’irrigation qui nécessite une pour une augmentation de la superficie des cultures à
présence quotidienne sur l’exploitation et des frais de haute valeur ajoutée. En d’autres termes, ces agriculteurs
fonctionnement quotidiens difficiles à assumer (gasoil n’introduisent pas de nouvelles cultures après recon-
notamment). Certains exploitants ont aussi rencontré version mais accentuent simplement l’importance de
des problèmes techniques souvent liés à des anomalies telles cultures au sein de leurs exploitations. Ils optent
de conception, en particulier des défauts dans le système soit pour des cultures maraîchères (le melon, la courgette,
de filtrage avec des conséquences désastreuses sur la niora, la pomme de terre et la tomate industrielle), soit
l’équipement (bouchage des goutteurs, etc.). Enfin, la installent des vergers, principalement des agrumes. Dans
multiplicité de centres de décisions (père, fils, frères) la majorité des cas, les jeunes vergers sont associés
dans une exploitation avec le problème du statut foncier pendant les trois premières années à des cultures
(indivision) a été fatale dans une des exploitations intercalaires (maraîchage). Sur une des exploitations
étudiées. étudiées, la surface d’agrumes a augmenté de 1,6 à 5 ha,
ce qui correspond à la totalité de la SAU de
3.2.3 Un aperçu sur les changements engendrés par des l’exploitation. La conséquence immédiate de cette
projets de reconversion orientation est la réduction des superficies affectées aux
grandes cultures (principalement les céréales) et les
Les changements intervenus dans les exploitations ayant cultures fourragères (surtout la luzerne) dans le Tadla.
installé un projet de goutte-à-goutte sont en général Ces cultures, quand elles sont maintenues sur
progressifs mais néanmoins perceptibles dès la première l’exploitation, sont toujours conduites en irrigation
année. gravitaire.
• Moins de main d’œuvre Le changement dans les orientations des exploitations
Etant donné la facilité de la tâche d’irrigation en goutte- est expliqué par le fait que le passage en goutte-à-goutte
à-goutte (moins d’effort physique et de mobilisation), ce assure une bonne maîtrise des quantités d’eau disponible
sont souvent les exploitants eux-mêmes qui s’en et donc une régularité des irrigations. Ceci permet aux
occupent. Parfois, ils la confient au métayer au lieu agriculteurs d’augmenter l’assolement de cultures plus
d’employer de la main d’œuvre extérieure comme sensibles au stress hydrique.
c’était le cas pour l’irrigation gravitaire. La pratique de • Commercialisation
la fertigation a réduit la demande de main d’œuvre
nécessaire à la réalisation de la fertilisation mécanique La reconversion en irrigation localisée a permis aux
ou manuelle pratiquée autre fois. La reconversion a agriculteurs d’accorder plus d’importance aux cultures à
engendré aussi une diminution des travaux d’entretien haute valeur ajoutée (agrumes et maraîchage) dans leurs
des cultures. L’adoption de l’irrigation localisée a donc systèmes de production. A l’exception des cultures sous
atténue les problèmes liés à la disponibilité de la main contrat telle que la tomate industrielle, l’adoption de
d’œuvre. Ce constat est peut-être à nuancer si on intègre l’irrigation localisée n’a pas affecté le mode de
la demande accentuée de main d’œuvre suite à l’intensi- commercialisation pour l’instant. Les agriculteurs
fication des systèmes de cultures et à l’installation de restent fidèles à la vente sur pied où les intermédiaires
nouvelles cultures à haute valeur ajoutée. Par ailleurs, viennent à la recherche des productions. Ceux-ci se
une nouvelle demande commence à émerger pour la chargent de la récolte, du transport et de la commercia-
main d’œuvre qualifiée. lisation de la production au niveau du marché. Les
agriculteurs continuent a opérer selon ce schéma, vu
• Plus de superficie irriguée et une bonne maîtrise l’importance des coûts de la récolte et du transport et
de l’irrigation une prise de risque plus importante avec la fluctuations
Il est difficile d’imputer l’évolution des superficies des prix sur les marchés et un grand nombre de blocages
irriguées de l’ensemble des exploitations étudiées aux perçus sur ces marchés. Ce comportement permet aux
projets de reconversion, à cause des différents chan- agriculteurs de réduire les risques, mais leur fait perdre
gements intervenus dans ces exploitations (diminution une grande marge de profit dont bénéficient souvent les
des volumes d’eau fournis par l’ORMVAT, installation intermédiaires. Un seul agriculteur a changé de mode de
d’un puits ou forage, amélioration de la trésorerie de commercialisation, en prenant en charge la récolte et
l’exploitation, etc.). Il est clair, en revanche, que la l’acheminement vers le marché.

45 Revue HTE N°137 • Juin 2007


Par ailleurs, on commence à observer un engouement coopérative B, par exemple, après un premier projet
des intermédiaires pour les productions obtenues en consistant à remplacer la canalisation principale en
irrigation localisée, qui selon leur point de vue sont aluminium par une conduite en PVC en 1996, cinq
meilleures en qualité. membres du bureau de la coopérative ont décidé
d’installer 1 ha chacun d’irrigation localisée. Leur
3.3 Des projets collectifs de reconversion dans le expérience a convaincu le reste des adhérents de la
Souss coopérative qui ont, à partir de là, décidé de mettre en
3.3.1 Des coopératives de réforme agraire : d’une œuvre un projet collectif. En 1998, une première tranche
initiation à la maîtrise d’ouvrage de 71 ha a été réalisée, suivie d’une 2ème tranche de 71
ha en 2000 et une 3ème de 62 ha en 2004. Une 4ème
Face à une forte pénurie d’eau et portée par une tranche est en cours de réalisation.
dynamique agricole vigoureuse, plus de 40 000 ha ont
été équipés en irrigation localisée depuis la fin des En termes de gestion, il faut distinguer entre les parcelles
années 1980 dans le Souss. En parallèle à une forte individuelles, dont le tour d’eau et la facturation d’eau
dynamique de reconversion individuelle, une continuent à être géré par l’ORMVASM, et les parcelles
dynamique plus timide de projets collectifs a commencé communes. Pour ces dernières, les coopératives ont du
à se mettre en place depuis le début des années 1990. mettre en place des règles de gestion (tour d’eau,
tarification, facturation) et des procédures d’entretien et
Dans ce contexte l’ORMVASM a initié et soutenu les de renouvellement de matériel. Elles ont aussi recruté un
premiers projets de reconversion collectifs dans le Souss ouvrier pour assurer le tour d’eau.
auprès des coopératives de réforme agraire, notamment par
le biais des directeurs de coopératives, agents détachés de La réussite de ces projets collectifs, qui est assez
l’Office. Il y avait une importante motivation chez les original à l’échelle nationale, peut être attribuée à
agriculteurs, car la forte restriction des ressources en eau plusieurs facteurs :
avait engendré une importante réduction des superficies • Les coopératives ont joué un rôle déterminant dans le
irriguées, une baisse remarquable des rendements et une montage financier des projets. Ces coopératives ont un
forte diminution des revenus. De plus, le prix de l’eau avait accès au crédit privé relativement aisé, basé sur une
augmenté de 0,05 dhs/m3 en 1982 à 0,63 dhs/m3 solide réputation auprès des banques. Par ailleurs, ces
aujourd’hui. coopératives disposent d’un fonds de roulement à
Après deux ans de sensibilisation et de négociation, les travers la production des céréales semences, cultivées
attributaires d’une première coopérative se sont engagés sur les parcelles individuelles mais commercialisées par
à équiper une partie de leurs parcelles individuelles à la coopérative. Ceci permet à la coopérative d’avancer
travers un projet collectif de reconversion. La la part individuel des projets aux agriculteurs, qui est
reconversion consistait à la substitution de l’irrigation par la suite prélevée sur les comptes des adhérents une
par aspersion par le goutte-à-goutte. Ces projets se sont fois que la coopérative est payée.
greffés sur des structures et des infrastructures • Le coût d’investissement pour la reconversion de
solidement implantées et dont le mode de gestion l’aspersion en goutte-à-goutte reste abordable (12 000
(notamment le tour d’eau et la facturation) étaient gérés dirhams/ha en moyenne) surtout avec l’octrois des
par l’Office. Le projet a été mis en œuvre en 1992 et a subventions (6 000 dirhams/ha en moyenne). Ces
permis l’équipement d’un hectare par adhérent (sur 3,75 montants sont à comparer avec le coût de reconversion
ha) en parcelle individuelle de la coopérative A, soit 30 à partir de l’irrigation gravitaire qui peut aller jusqu’à
ha en tout. Devant le succès rencontré, les adhérents de 60 000 dirhams/ha. Le risque financier est donc
la coopérative ont étendu individuellement les moindre et le retour vers l’aspersion en cas
superficies équipées sur leurs parcelles. De plus, les d’inadaptation de l’irrigation localisée reste possible,
adhérents de la coopérative se sont engagés dans un les deux techniques fonctionnant sous pression.
second projet collectif d’irrigation localisée pour
équiper les 30 ha de la parcelle commune. Cette parcelle • La mise en place progressive de tous ces projets
n’avait plus été irriguée depuis 1988 à cause de la collectifs selon les moyens techniques, financiers et
pénurie d’eau et on y cultivait des céréales en sec. Les organisationnels disponibles. Elle a permis aux
adhérents de la coopérative ayant acquis une solide agriculteurs d’expérimenter la nouvelle technique
expérience dans la mise en œuvre et la gestion d’un tel d’irrigation et par conséquent d’accumuler un savoir
projet, ont décidé de mener à bien leur projet sans appui faire technique et organisationnel. Cet échelonnement
technique extérieur. Le projet a été réalisé en plusieurs dans le temps a aussi laissé la latitude aux agriculteurs
étapes depuis l’installation d’un forage en 1998 jusqu’à de s’adapter financièrement aux changements dans
l’équipement à la parcelle et un bassin collectif en 2003. leurs systèmes de production. Finalement, la similitude
des situations des adhérents, notamment en ce qui
Trois autres coopératives dans la même zone ont suivi concerne les superficies exploitées, la localisation des
cet exemple. Dans l’ensemble des coopératives des parcelles et les systèmes de production, a simplifié la
projets collectifs ont vu le jour à la fois dans les configuration des projets, qui sont plus facile à
parcelles individuelles et dans les parcelles communes. concevoir et à gérer.
Ces projets se sont échelonnés dans le temps. Dans la

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Contrairement au Tadla, ces projets de reconversion ont financière importante a été obtenue d’un bailleur de
d’abord permis une intensification des systèmes de fonds étranger, ce qui a permis de réaliser les forages, le
production existants avec une augmentation de bassin, la station de tête et le canal d’amenée.
rendements, grâce à une meilleure maîtrise de l’irrigation
et de la fertilisation. Pour les céréales les rendements sont Après la réalisation de ces œuvres, des discussions ont
passés de 25 à 40 qx/ha en moyenne, alors que pour le eu lieu dans le bureau de l’AUEA sur l’opportunité des
maïs fourrage les rendements sont de 40 T/ha. Les projets choix techniques du projet. Il a été alors décidé de passer
de reconversion n’ont pas eu beaucoup d’impact sur les d’une gestion manuelle, telle que prévue dans le projet,
volumes d’eau facturés ni sur les superficies irriguées. vers un système totalement automatisé. En même temps,
Ces deux paramètres n’ont pas évolué, exception faite le montage financier du projet a été revu complètement.
pour les parcelles communes qui ont pu renouer avec une Initialement, il était prévu que le bailleur de fonds
agriculture irriguée, après 10-15 ans de coupure. Bien assurait 50% du coût du projet, les 50% restant étant
qu’on observe une évolution dans le choix des cultures, fournis par l’AUEA. Devant l’augmentation du coût du
notamment une diminution de la luzerne et une projet (révision des choix techniques), la difficulté de
augmentation du maïs fourrager, on a l’impression que l’AUEA d’assurer le complément du financement et
les projets de reconversion en irrigation localisée ne sont l’apparition de nouvelles opportunités de financement,
pas le facteur déclenchant de ces évolutions, mais un nouveau montage financier s’imposait. L’AUEA a
accompagnent des changements en cours. Un autre alors décidé de réduire dans un premier temps la taille
résultat de ce processus de reconversion est incontesta- du projet (de 440 ha à 240 ha) d’une part, et de solliciter
blement l’apprentissage collectif et individuel des une subvention de l’Etat d’autre part. Ce dossier est
irrigants. Aujourd’hui, les coopératives sont capables de encore en instance, ce qui retarde la mise en place des
mettre en œuvre et gérer de nouveaux projets de équipements à la parcelle, seule composante du projet
reconversion collectifs sans aucun appui technique, en pas encore réalisée.
assurant la maîtrise d’ouvrage. Le rôle de l’entrepreneur Le dossier de demande de subvention est suivi avec
se limite à les fournitures des équipements nécessaires beaucoup d’intérêt par d’autres AUEA, qui sont
notamment les canaux en polyéthylène et les gaines avec également intéressés par de telles subventions. Il existe
goutteurs. en effet des échanges importants d’informations entre
3.3.2 D’ambitieux projets collectifs initiés par des AUEA, notamment à travers la fédération des AUEA de
bailleurs de fonds et repris par les agriculteurs l’Oued Souss. Créée en 1995, celle-ci regroupe 39
AUEA couvrant une superficie dépassant les 22 000 ha
Plusieurs associations d’usagers de l’eau agricole et gérant plus de 130 forages. Ces échanges ont permis
(AUEA) dans le Souss ont initié des projets collectifs de à d’autres AUEA de tirer des enseignements de
reconversion de leur système d’irrigation gravitaire vers l’expérience de cette AUEA pionnier et de prendre
l’irrigation localisée. Ces projets visent l’équipement de quelques raccourcis. Cela se traduit par :
grandes superficies avec des systèmes modernes
exigeant ainsi la mobilisation d’importants investis- • Des choix techniques bien réfléchis afin de
sements dépassant de loin les capacités financières de répondre aux spécificités de chaque AUEA
ces AUEA. La conception technique de ces projets est (configuration des parcelles, systèmes de
confié à de grandes sociétés nationales voir interna- production prévus, système de facturation souhaité,
tionale opérant dans le domaine vu l’importance des …) ;
superficies à équiper et la complexité des situations: • Une implication de plus en plus forte des AUEA
morcellement et éclatement des parcelles des dans la conception technique et financière des
agriculteurs, différents systèmes de productions, ... projets, à l’instar des coopératives de réforme
agraire. A titre d’exemple, une des AUEA étudiées
L’idée des projets collectifs pour ces AUEA a émergé à s’est procuré une pelleteuse afin de diminuer le
la fin des années 1990, encouragés par l’agence de coût du projet en effectuant elle-même les travaux
bassin et de l’ORMVASM, relevant des opportunités de de terrassement (creusement du bassin et des
financement partiel à travers des bailleurs de fonds tranchées) ;
étrangers. L’idée a été formulée d’abord par des
agriculteurs leaders et ensuite débattue et validée en • Une mise en œuvre par tranche afin de réduire
assemblée générale des différentes AUEA à partir de l’ampleur du projet, en particulier son coût mais
l’année 2000. Le cheminement de chaque projet dépend aussi son pilotage. Ceci permettra l’octroi des
ensuite du dynamisme de l’AUEA concernée et de la subventions chaque fois qu’une tranche est achevée
complexité du projet. et par la suite disposer de fonds pour initier les
tranches suivantes ;
Une des AUEA étudiées était parmi les premières à • Un montage financier plus diversifié; l’AUEA
formuler le projet et a ainsi rencontré de nombreux s’adresse à plusieurs guichets pour obtenir des
problèmes. Après l’approbation de l’idée par contributions et diminuer la contribution des
l’assemblée générale de l’AUEA, un projet ambitieux de adhérents.
440 ha a été conçu par une société pour un coût total de
plus de 10 millions de dirhams. Une contribution

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La plupart des projets de reconversion des AUEA dans intensification de leurs systèmes de production avec une
le Souss sont aujourd’hui dans leur dernière phase de augmentation importante des rendements obtenus. Dans
réalisation malgré leur ampleur qui rend les AUEA le Tadla, les exploitations agricoles délaissent les
dépendant des contributions externes, occasionnant des grandes cultures (céréales, luzerne, …) et s’orientent
retards importants dans leur mise en œuvre. vers de l’arboriculture (agrumes, notamment) ou le
maraîchage. Dans le Souss, les exploitations ont
IV. DISCUSSION tendance à intensifier les systèmes de production
existants, notamment les fourrages et l’élevage laitier. Il
est intéressant de noter que le changement des
4.1 Comment les agriculteurs ont pu franchir le pas orientations des exploitations agricoles se fait par des
de la reconversion en irrigation localisée ? ajustements progressifs. Même dans le Tadla où les
L’analyse d’une vingtaine de projets individuels a exploitations s’orientent vers de nouvelles cultures,
montré trois conditions essentielles qui ont permis aux l’agriculteur procède par petites étapes pour s’assurer de
agriculteurs de mener à bien des projets de reconversion la pertinence de ses choix. L’agriculteur expérimente,
en irrigation localisée : par exemple, le maraîchage ou les agrumes sur une
petite superficie en mode gravitaire et profite de la
• Des projets qui sont réfléchis et mis en œuvre de façon reconversion vers l’irrigation localisée pour augmenter
progressive ; progressivement la superficie de ces cultures. Ces
• Des projets de reconversion adaptés aux orientations évolutions progressives nécessitent cependant de
de l’exploitation agricole ; profonds changements dans la conduite de
l’exploitation. Ceci explique en partie la réticence des
• Un apprentissage « actif » depuis la conception et la agriculteurs pour l’instant de changer de mode de
mise en œuvre du projet, qui permet d’envisager commercialisation (vente sur pied, en général) ou de
sereinement la gestion et l’entretien des équipements. s’insérer dans de nouveaux marchés, même si cela est
Les projets de reconversion s’étalent souvent sur 2 ans sans doute également lié aux blocages persistant sur les
entre l’émergence de l’idée et l’installation de marchés agricoles, notamment dans le Tadla où il
l’équipement. Ce temps est mis à profit par les n’existe pas de coopératives agricoles à l’échelle
agriculteurs pour progressivement dominer le projet sur régionale comme dans le Souss. Enfin, les exploitations
le plan technique et ainsi intervenir dans les choix ayant réussies la reconversion ont du mobiliser des
techniques avec assurance et de façon constructive. Cela ressources financières non négligeables, souvent issues
a permis aux agriculteurs d’affiner le projet et de des revenus hors agricoles, pour financer leur quote-part
remettre en cause les choix techniques proposés par des et avancer la part subventionnée par l’Etat. La
entreprises pour les adapter aux spécificités de leurs subvention de l’Etat a cependant joué un rôle important
exploitations: l’accès à l’eau, la configuration des dans la décision de reconversion des agriculteurs. Au
parcelles, les systèmes de cultures prévus et la facilité de final, on se rend compte que le temps nécessaire pour
gestion, etc. Ces interventions témoignent de l’appro- mettre en œuvre le projet de reconversion est aussi
priation des projets par les agriculteurs. Ce ne sont plus utilisé par les agriculteurs pour définir un projet
les techniciens des entreprises ou des administrations d’exploitation.
qui conçoivent un projet clé en main pour l’agriculteur. Les agriculteurs engagés dans des projets de
Le projet proposé par ces techniciens est modifié et reconversion ont montré des attitudes d’apprentissage
adapté en fonction des exigences de l’agriculteur, qui actif tout le long du processus. Ils se sont assurés d’avoir
maîtrise de mieux en mieux l’implication des choix un accès facile à des personnes ressources pouvant
techniques du projet. Ce temps relativement long est fournir des appuis et conseils techniques pour la
aussi nécessaire pour l’agriculteur pour s’organiser dans conception technique du projet, le montage du dossier
son exploitation agricole: réorganisation du main de financement, le financement du projet, et enfin la
d’œuvre, adaptation des itinéraires techniques, évolution conduite et l’entretien des équipements. Il s’agit
des besoins financiers tout au long du campagne notamment d’autres agriculteurs ayant conduit de tels
agricole et d’irrigation. Enfin, l’agriculteur recherche projets, des gérants et ouvriers des grands domaines de
sans cesse le montage financier le plus approprié, quitte leur zone, des techniciens des sociétés d’aménagement
à retarder de quelques mois la mise en œuvre du projet. ainsi que des agents des Offices Régionaux de Mise en
Au final, on peut constater que la réflexion et la mise en Valeur. Cela permet aussi de croiser des informations et
œuvre progressive des projets de reconversion ont d’acquérir un bagage suffisant pour confronter les
permis aux agriculteurs de minimiser les risques techniciens et commerciaux des entreprises de travaux.
techniques et financiers liés à l’adoption de ces Les agriculteurs ont fait des voyages d’études au Maroc,
nouvelles technologies. notamment dans le Souss et à l’étranger pour observer in
La réussite d’un projet de reconversion dépend situ les expériences de reconversion et interroger les
également des orientations et de la viabilité de exploitants sur les avantages et inconvénients de tels
l’exploitation agricole. En effet, les exploitations équipements. Certains agriculteurs ont aussi fait des
engagées dans de tels projets tendent vers une formations pour mieux se préparer aux nouvelles

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technologies. Les résultats de cet apprentissage actif ne alors à trouver un compromis acceptable pour les
sont pas seulement visibles sur les exploitations irrigants.
concernées à travers une conduite réussie de l’irrigation
localisée. Ces agriculteurs deviennent à leur tour L’analyse des projets collectifs de reconversion montre
personnes ressources pour d’autres agriculteurs un apprentissage actif par les agriculteurs concernés
souhaitant s’engager dans un projet de reconversion. pour maîtriser les nouvelles technologies, à l’instar des
Certains groupements ont acquis une telle expérience en projets individuels. Plus étonnant est le parcours
la matière qu’ils assurent aujourd’hui la maîtrise d’apprentissage des dirigeants de ces groupements qui
d’ouvrage de tels projets, les entrepreneurs se limitant à se chargent en général de la partie collective du projet.
la fourniture des matériaux (canalisations, pompe, Dans tous les projets un noyau dur de 4 ou 5 personnes
filtres…). s’est partagé les tâches pour mener à bien le projet : 1)
les relations avec l’administration (Office Régional de
4.2 Quel avenir pour des projets collectifs de Mise en Valeur, Agence de Bassin) pour le dossier
reconversion? technique, l’accès à l’eau et le dossier de subvention, 2)
la conception technique du projet, 3) le montage
• Les conditions de réussite des projets collectifs financier du projet, 4) les relations avec les
Dans le Sous plusieurs projets collectifs de reconversion entrepreneurs et les fournisseurs de matériel, 5) la
vers l’irrigation localisée ont réussis. Ces projets communication interne avec les adhérents mais aussi
collectifs d’irrigation au sein des périmètres aménagés avec les douars concernés. Parfois plusieurs tâches
visent comme premier objectif de permettre aux petits étaient assumées par un seul individu, mais les projets
agriculteurs l’accès aux nouvelles techniques n’étaient jamais portés par une seule personne. Ainsi, les
d’irrigation. Rien que dans les sept groupements étudiés choix techniques, financiers ou organisationnels
(quatre coopératives de réforme agraire et 3 associations pouvaient être discutés et construits à l’intérieur de ces
d’usagers de l’eau agricole) plus de 750 agriculteurs ont noyaux durs avant de proposer des alternatives
mis en place progressivement des équipements en élaborées et crédibles aux adhérents. Ces noyaux durs
irrigation localisée sur une superficie de presque 1 500 ont su tisser des réseaux de connaissances dans leur
ha. zone et même à l’échelle nationale. Ils sont donc non
seulement au courant des expériences et de l’état
Les conditions intrinsèques de la réussite d’un projet d’avancement des autres groupements mais ils savent
collectif ne sont pas très éloignées de celles évoquées aussi qui contacter en cas de problème.
dans la section précédente, mais mener un tel projet
demande en plus des capacités de coordination, de Les revirements actés lors de la phase de conception ont
communication et de négociation par les dirigeants des été importants. Une des AUEA a, par exemple, décidé de
groupements d’agriculteurs. Ces exigences supplé- découper le projet initial en 4 projets séparés, parce que
mentaires rendent d’autant plus nécessaire la condition la taille du projet initial dépassait les capacités
de réfléchir et mettre en œuvre le projet progressivement financières et organisationnelles de l’AUEA. Une autre
pour qu’il soit convenable pour l’ensemble des AUEA a décidé de se procurer une pelleteuse pour faire
agriculteurs concernés. Il faut également du temps pour les travaux de sols elle-même. Au final on constate que
que tous les agriculteurs comprennent la portée des les groupements ayant mis en œuvre de projets collectifs
choix techniques à faire et leurs conséquences sur la de reconversion ont développé des compétences
gestion, l’entretien et le renouvellement des techniques et managériales qui leurs permettent
équipements. d’assumer le rôle de maître d’ouvrage sur de tels projets.
Ils ont aussi montré une réelle capacité à élaborer des
Dans la phase de conception du projet collectif, règles de gestion et de l’entretien des équipements en
l’ensemble des agriculteurs est amené à réfléchir sur les irrigation localisée. Ces règles sont différentes d’un
orientations de leurs exploitations. En contre partie des groupement à un autre, en fonction des contraintes
investissements consentis par les agriculteurs, une techniques et des négociations menées au sein de ces
intensification ou une modification des systèmes de groupements.
production s’impose pour rentabiliser ces investis-
sements. Dans le cas des coopératives de réforme • De la rationalité du choix d’un projet collectif
agraire la situation était plus simple, car les adhérents Notre analyse montre que le choix de faire un projet
cultivaient les mêmes superficies avec les mêmes collectif et non pas un projet individuel est un choix
cultures. En revanche, pour les AUEA les projets raisonné par les concernés. Premièrement, ils y voient
collectifs doivent prendre en compte une configuration un intérêt financier. Certains équipements, et notamment
parcellaire morcelée et dispersée et des choix de cultures le bassin qui représente souvent 30-40 % du coût du
radicalement différents. Partant du principe que le projet projet, peuvent être mutualisés. Ceci réduit le coût du
collectif doit s’adapter aux exigences individuelles et projet à l’hectare pour chacun d’environ 15 % et évite
non vice-versa, on peut aisément comprendre que la que chaque agriculteur consacre une partie de son
conception d’un tel projet demande un peu plus de exploitation au bassin. Se lier à des structures existantes,
débats et négociations, car en règle général plus un telles que des coopératives de production ou de réforme
projet est flexible pour l’individu plus il est cher. Reste agraire, peut en plus faciliter l’obtention de crédits.

49 Revue HTE N°137 • Juin 2007


Deuxièmement, un projet collectif peut fournir les collectifs, qui sont aujourd’hui en cours de réalisation.
conditions pour mutualiser les risques liés à la L’enjeu est bien sûr de proposer des méthodes pouvant
reconversion. Le projet de reconversion est un dossier servir à d’autres groupements intéressés par cette
complexe (conception technique, montage financier, …) technique à concevoir et mettre en œuvre de tels projets.
et l’irrigation localisée est une technique nouvelle. Dans un contexte de redéfinition du mandat de l’Etat, il
Souvent son adoption est associée par les agriculteurs à faudra au-delà de la conception et testage de telles
une prise de risques liée à cette complexité, qu’il méthodes, mener une réflexion sur le statut et le rôle des
convient alors de mutualiser. D’une part, on peut animateurs de ces projets, que l’on trouve aujourd’hui
s’associer avec d’autres plus à même de mener à bien un dans l’administration, le secteur privé, voir dans le
tel projet sur le plan technique et financier, en évitant au secteur associatif.
passage de perdre trop de temps dans ce dossier. D’autre
part, le collectif facilite la diffusion de l’information et V. CONCLUSION
l’apprentissage. Le collectif constitue souvent une
plateforme intéressante pour des agents de
développement (ORMVA, ONG, …) pour des activités Les agriculteurs marocains ont fait preuve
de formation et de vulgarisation. Il entraîne donc une d’imagination et de détermination pour mettre en place
prise de risque collectif qui donne aux différents des techniques d’irrigation économes en eau sur plus de
adhérents du groupe plus de confiance, de sécurité et 140 000 ha dans un contexte de pénurie croissante de
d’assurance. Cela amène les agriculteurs à prendre des l’eau. Une diversité d’exploitations agricoles a franchi le
risques techniques et financiers liés à la reconversion, pas : des grandes domaines horticoles, mais aussi des
qu’ils oseront moins confronter individuellement. producteurs familiaux plus modestes approvisionnant
des marchés domestiques en fruits et légumes et des
• Quel accompagnement pour des projets industries agro-alimentaires en lait, sucre, etc. Une tel
collectifs de reconversion ? innovation technique induit des changements profonds
dans les orientations d’une exploitation agricole :
Les expériences du Souss montrent que les projets intensification des systèmes de production, introduction
collectifs représentent un moyen intéressant pour de nouvelles cultures, insertion dans de nouveaux
faciliter l’accès de l’agriculture familiale à de nouvelles marchés, réorganisation de la main d’œuvre… La
techniques d’irrigation économe en eau. Si ce postulat reconversion de l’irrigation gravitaire vers le goutte-à-
est vérifiée, il n’en reste pas moins un retard goutte sur une exploitation agricole nécessite donc en
considérable de cette agriculture au Maroc dans la mise général au moins 2 ans depuis l’émergence de l’idée
en place de ces technologies et dans l’accès aux jusqu’à la mise en place de l’équipement. Ce temps est
subventions, comme le montrent nos analyses mais aussi mis à profit pour faire évoluer les orientations de
les données du Ministère de l’Agriculture. L’enjeu est de l’exploitation agricole et pour adapter la conception du
capitaliser sur les expériences individuelles et nouveau système d’irrigation aux spécificités de
collectives de reconversion pour concevoir des l’exploitation. L’ambition du Maroc est d’aboutir à 450
méthodes et des outils pour accompagner des groupes 000 ha en irrigation localisée à l’horizon de l’année
d’agriculteurs intéressés par la reconversion dans la 2025. Pour que les projets de reconversion soient
réalisation de tels projets. durables et que le taux de réussite de ces projets reste
C’est dans cette optique qu’une démarche d’accompa- élevé, il va falloir éviter de rendre clé en main de
gnement de projets collectifs de reconversion a été nouveaux aménagements en goutte-à-goutte, comme
conçue (Dionnet et al., 2006) et testée dans le cadre du c’était le cas lors de la mise en place des secteurs en
présent travail au périmètre du Tadla. S’inscrivant dans aspersion dans les différents périmètres de grande
un processus participatif destiné à accompagner la mise hydraulique. Il est nécessaire de continuer à laisser le
en œuvre des projets collectifs, un jeu de simulation a temps aux exploitants de s’approprier ces projets et
été développé. Des groupes d’agriculteurs et de d’adapter la configuration technique aux spécificités de
gestionnaires de l’eau ont pu simuler les différentes leurs exploitations. Adapter un savoir-faire
étapes de la mise en œuvre d’un projet depuis le bassin technologique à une demande émanant des agriculteurs
jusqu’à la parcelle. Destiné à développer, en au cas par cas, demandera à la profession de nouvelles
anticipation, un savoir commun sur les projets collectifs formes d’ingénierie.
de reconversion en irrigation localisée, cet outil a permis L’analyse d’un nombre limité d’expériences de
de renforcer les connaissances des agriculteurs, tout en reconversion a montré les principaux obstacles à la
facilitant les étapes ultérieures du processus en reconversion pour les irrigants : l’accès au crédit, le
formalisant les attentes de ces derniers et les questions montage du dossier de subvention, difficulté de mesurer
problématiques. La démarche a conjuguée des séances l’implication des choix techniques sur la conduite de
de travail des agriculteurs sur le projet à travers le jeu de l’exploitation, la définition d’un projet d’exploitation,
simulation avec des voyages d’études et des rencontres les négociations avec les entreprises, etc. La constitution
avec des personnes ressources (administrations, ONG, de petits collectifs, regroupant plusieurs agriculteurs, a
…) pour aboutir à un avant-projet sommaire. La permis dans certain cas de dépasser les obstacles
démarche a permis de déboucher sur deux projets signalés. Des projets moins chers et une mutualisation

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du risque technique et financier sont autant de raisons
pour les agriculteurs de se regrouper autour d’un
équipement collectif, bien qu’il demande aussi des
capacités de gestion (tour d’eau, tarification) et de
planification (maintenance, renouvellement des
équipements…). De plus, la conception d’un tel projet
se doit d’être un compromis finement élaboré entre les
projets individuels d’exploitation et la configuration de
l’équipement collectif. Si ces projets collectifs semblent
avoir de belles perspectives, il faudra veiller à laisser
suffisamment de marge de manœuvre à des groupes
motivés par la reconversion de déterminer le périmètre
de leur projet, qui ne recoupera pas toujours des secteurs
hydrauliques préexistants, et de construire un projet
technique adapté. Enfin, de nouveaux modes
d’accompagnement de tels projets devraient voir le jour
par des animateurs de développement qui ne disposent
pas aujourd’hui de méthodes et d’outils pour contribuer
à l’émergence de projets collectifs.
Références Bibliographiques
Face à une pénurie d’eau de surface, on assiste à un
• Administration du Génie Rural (AGR). 2007. développement considérable de l’exploitation des eaux
Programme national d’économie d’eau d’irrigation souterraines par pompage, même à l’intérieur de la
(PNEEI). 70p. grande hydraulique. On remarque qu’un grand nombre
de projets de reconversion sont directement lié à un
• Administration du Génie Rural (AGR). 2004. accès à l’eau souterraine, soit comme source principale
Economie d’eau d’irrigation au Maroc. Actes du soit comme appoint en cas de pénurie d’eau dans le
séminaire Wademed sur la « modernisation de réseau de surface. Ces eaux souterraines ont permis une
l’agriculture irriguée », 19-23 avril 2004, Institut dynamique agricole indéniable en s’affranchissant en
Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Ecole partie des aléas climatiques. Cependant, de nombreuses
Nationale d’Agriculture de Meknès, Rabat, Maroc, nappes semblent être menacées par une surexploitation,
tome 1 : 2-7. notamment pendant des années de sécheresse. Il faut se
• Dionnet M., Kuper M., Garin P., Hammani A., demander si le processus de la reconversion au Maroc
Eliamani A. 2006. Accompagner les acteurs dans le n’offre pas de possibilités de mettre en place des
changement de leur système : un jeu de rôles au contrats négociés entre l’administration et des
service de la modernisation des petites exploitations groupements d’agriculteurs pour une gestion plus
du Tadla. Séminaire euro méditerranéen sur « l’avenir durable des nappes souterraines. En favorisant la mise
de l’agriculture irriguée en Méditerranée : nouveaux en place de projets collectifs de reconversion, par
arrangements institutionnels pour une gestion de la exemple à travers des subventions plus importantes pour
demande en eau », 6-10 novembre 2006, Cahors, de tels projets, l’Etat serait en mesure d’exiger des
France. économies à l’échelle des nappes en dépassant les
relations individuelles avec les pionniers de la
• Kobry A et Eliamani A. (2004), L’irrigation localisée reconversion en goutte-à-goutte.
dans les périmètres de grande hydraulique, atouts et
contraintes dans le périmètre du Tadla au Maroc. In :
Actes du Séminaires Modernisation de l’Agriculture
Irriguée Rabat, du 19 au 23 avril 2004, Projet Inco-
Wademed, Maroc.
• Ministère de l’Agriculture, du Développement Rural
et des Pêches Maritimes. (2007), Discours du
Ministre de l’Agriculture, du Développement Rural
et des Pêches Maritimes le 22 février 2007 dans une
contribution au Débat national sur l’eau, Ministère de
l’Agriculture, Maroc.
• ORMVAT (2004), Monographie du périmètre du
Tadla édition 2004, Ministère de l’Agriculture, du
Développement Rural et des Pêches Maritimes.
Maroc.

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