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Chers

étudiants,

Les PUB sont une initiative de l’Union des Anciens Étudiants, des Bureaux et Cercles d’étudiants qui
ont voulu, il y a plus de 50 ans, faciliter l’accès aux études par l’édition de cours et la vente de livres.
Nous sommes donc des étudiants et des anciens étudiants à votre service qui, cette année, étendent
l’offre.

Lors de la dernière année académique, nous avons mesuré vos attentes en réalisant une étude sur un
panel de 1430 étudiants inscrits à l’ULB. Les nombreux échanges que nous avons entretenus en
interview et discussions de groupe, avec les étudiants et professeurs, nous ont permis de développer
de nouveaux projets qui font écho à leurs attentes.

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Imprimé en quadrichromie, recto/verso, ce format A4 comprendra 2 trous et permettra de détacher


plus facilement les feuilles ou d’en ajouter si nécessaire. À la fin du syllabus,
dix pages blanches sont réservées pour les notes à prendre au cours. Des
blocs notes seront également mis en vente à la librairie, de même que des
classeurs et des relieurs afin d’éviter l’éparpillement des feuilles. Les syllabus
2016-17 seront environ 30% moins chers que ceux de l’année académique précédente. Ceux-ci sont
respectueux de l’environnement : tous nos papiers et cartons sont certifiés FSC.
Quand il nous arrive de dégager une marge c’est pour alimenter la recherche de nouveaux outils
d’apprentissages et lieux de partage de même que le fonds social étudiant.

Mais ce n’est pas tout, l’année 2016-2017 verra d’autres nouvelles initiatives :

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21
• Le lancement du Syllabus , le syllabus électronique augmenté et partagé. C’est une
application qui rend le syllabus ou les notes de cours interactives, augmentées et
partageables entre étudiants d’un même cours. Cette application Web (Tablette et
Smartphone suivront) est un outil d’apprentissage qui favorise la simplicité, la solidarité et la
lutte contre l’isolement de certains étudiants.
• Des lieux de vente qui se transforment en lieux de vie et de services à la communauté
universitaire.
À la faculté d’architecture, au 19 place Flagey, les PUB ouvriront une librairie, un restaurant
et une sandwicherie universitaires ainsi qu’un centre de reprographie-copie, accessible à
toute la communauté universitaire.
Il en sera de même à Érasme au premier étage du bâtiment F.
• Au Solbosch, nous ouvrirons un centre de copies mis à votre disposition.

Si vous avez des questions ou des suggestions, n’hésitez pas, nous restons à l’écoute.

L’équipe des PUB.


« Un peuple qui discute librement est un peuple qui vit et qui marche, un peuple
qui ne discute pas est un peuple qui meurt. »

Pierre-Théodore Verhaegen (1796-1862)


Avocat, homme politique libéral, fondateur de
l’ULB.
FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Chapitre 5 : Le système juridique

Section 1 : Notion

Le système juridique* est la représentation idéale des normes produites et


appliquées au sein d’un ordre juridique sous la forme d’un ensemble structuré,
cohérent et complet de règles claires.
Comme on l’a dit, le droit n’est pas seulement un phénomène social et
institutionnel, mais une discipline qui prétend constituer et communiquer un
savoir rationnel sur ce phénomène. Un tel savoir est d’ailleurs indispensable au
fonctionnement du droit lui-même, tant il est vrai que le droit ne peut être obéi et
appliqué effectivement qu’à la condition d’être compris et maîtrisé.
Dans notre culture juridique, la construction de ce savoir s’effectue, en
ordre principal, par référence à l’idée de système. Le système est la
représentation de l’ordre juridique sous une forme ordonnée et logique. Il s’agit
d’une vaste entreprise de « mise en ordre », qui consiste à extraire des sources
formelles les règles qu’elles contiennent, puis de ranger celles-ci par matière et,
dans chaque matière, les règles par ordre, depuis les définitions et les principes
jusqu’aux règles particulières et à leurs exceptions, en supprimant les
contradictions éventuelles, afin que l’ensemble ainsi construit fournisse
idéalement une et une seule réponse à chaque question de droit susceptible de se
poser.
Le système juridique idéal devrait donc réunir les propriétés suivantes :
1° la clarté, qui nécessite que les règles soient formulées de manière
univoque, en telle manière que leur signification puisse être déterminée de
manière précise et constante ;
2° l’ordre, qui suppose que chaque règle juridique occupe une position
déterminée, assignée par le système ;
3° la cohérence, c’est-à-dire l’absence de contradiction entre les règles du
système ;
4° la complétude, qui implique la faculté du système de fournir une réponse à
toute question juridique posée.
Bien évidemment, un tel système n’existe pas dans la réalité. Quels que
soient les efforts, en amont, du législateur et de l’exécutif, notamment par la
codification et la coordination, et, en aval, de la doctrine, dans sa tâche infinie de
rationalisation du droit, le système juridique n’est, à proprement parler, qu’une
vue de l’esprit. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il soit inutile ni sans effet.
L’organisation systématique du droit est à l’origine de normes et de catégories
spécifiques dont l’importance est en pratique considérable.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

1° L’examen de l’ordre juridique permet de découvrir l’existence de principes


généraux du droit, qui constituent une catégorie spécifique et
particulièrement importante de normes juridiques (section 2).
2° L’exigence de cohérence appelle en outre l’établissement de règles
spécifiques de nature à éviter ou à résoudre les conflits de normes (section
3).
3° Enfin, l’organisation systématique de l’ordre juridique requiert le
classement des normes par matières, que l’on appelle branches du droit
(section 4).

Section 2 : Les principes généraux du droit

I. Définition et exemples

Les principes généraux du droit* sont des normes obligatoires qui


procèdent de l’ordre juridique lui-même, soit qu’ils en constituent le soutènement
nécessaire, soit qu’ils apparaissent indispensables à sa mise en œuvre et au
respect des valeurs qu’il véhicule.
Les principes généraux du droit occupent une place très importante dans
les droits positifs contemporains. D’une part, les principes reconnus sont
nombreux et tendent à se multiplier ; d’autre part, ils sont très souvent invoqués
par les juges à l’appui de leurs décisions.
Parmi les principes généraux du droit reconnus, on peut citer par
exemple :
§ Le principe de la souveraineté des Etats* en droit international ;
§ Le principe de subsidiarité* en droit européen ;
§ Le principe de continuité de l’Etat et du service public* ;
§ La séparation des pouvoirs* ;
§ Les principes d’égalité* et de non-discrimination* ;
§ Le principe de non-rétroactivité* des lois et règlements ;
§ L’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire* ;
§ Les droits de la défense* ;
§ Fraus omnia corrumpit* ;
§ La théorie de l’état de nécessité* et les autres causes de justification en
matière pénale ;
§ Non bis in idem* ;

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

§ L’abus de droit* ;
§ Le principe d’autonomie de la volonté en matière contractuelle*.
Comme on le voit, les principes généraux du droit empruntent des formes
diverses.
1° Le principe peut être formulé dans un texte constitutionnel ou légal ou
dans une convention internationale. C’est le cas, par exemple, pour les
droits de la défense et plus largement pour le droit au procès équitable
(art. 6 de la Convention européenne des droits de l’homme), pour le
principe d’égalité (art. 10 et 11 de la Constitution), et pour le principe de
non-rétroactivité des lois (art. 2 du Code pénal et art. 2 du Code civil).
2° Le principe peut également prendre la forme d’une maxime ou d’un adage,
généralement en latin : fraus omnia corrumpit ; non bis in idem.
Cependant, tous les adages ne constituent pas des principes généraux du
droit, loin s’en faut.
3° Le principe s’exprime également fréquemment sous la forme d’un concept
comme la continuité du service public ou l’abus de droit.
La qualification des principes eux-mêmes accuse également un certain
flottement. Les sources* utilisent aussi les termes « principes fondamentaux »,
« règles essentielles », « principes généraux de droit », ou encore « principes » tout
court. Il ne faut pas accorder une trop grande importance à ces qualifications qui
ne recouvrent pas des significations différentes. On préférera cependant
l’expression « principes généraux du droit », qui paraît la mieux fixée en pratique
et est entérinée par la Cour de cassation.

II. Caractéristiques et distinctions

Les principes généraux constituent une variété spécifique de normes


juridiques. Ils semblent occuper une position intermédiaire entre les valeurs qui
sous-tendent l’ordre juridique et les règles de droit ordinaires. Cependant, ils se
distinguent à la fois des unes et des autres.

1. Principes et valeurs

Les principes se distinguent des valeurs* qui fondent l’ordre juridique à la


fois par leur caractère normatif et déterminé. Les valeurs expriment des fins
désirables, des objectifs à atteindre. Ainsi, par exemple, la liberté, l’égalité, la
sécurité, la justice et la démocratie constituent des valeurs largement partagées
dans beaucoup d’ordres juridiques (infra, ch. 6). Toutefois, ces valeurs n’indiquent
pas elles-mêmes les moyens de leur accomplissement ni les conditions de leur
application. Elles demeurent assez vagues et abstraites. Elles ne constituent pas
des normes juridiques.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

A l’inverse, les principes, à l’instar des règles, prescrivent des


comportements obligatoires. Comme l’écrivait le procureur général Ganshof van
der Meersch, « le principe est général, ce qui ne veut pas dire incertain ; il
comporte des règles d’application ; il doit répondre à une idée de droit précise,
acceptée et susceptible de sanction »1.
En pratique toutefois, les choses ne sont pas aussi tranchées. Ainsi,
l’égalité, qui est une valeur, constitue également un principe général du droit,
consacré par la Constitution, dont le respect est contrôlé par la Cour
constitutionnelle. De même, la sécurité juridique est considérée comme un
principe général du droit par la Cour de justice de l’Union européenne2.

2. Principes et règles

Les principes généraux du droit sont des normes juridiques. Ce sont donc
des règles de droit au sens large (supra, ch. 1er). Ils diffèrent cependant des règles
de droit ordinaires à la fois par leur champ d’application, leur source et leur mise
en œuvre.
Sur le plan du champ d’application, les principes se signalent normalement
par leur caractère général. Les règles s’appliquent à des situations déterminées,
spécifiées dans l’hypothèse* de la règle ou son champ d’application. Au contraire,
les principes peuvent faire l’objet d’un nombre indéfini d’applications dans des
domaines variés.
Toutefois, si certains principes sont absolument généraux, d’autres sont
spécifiques à une branche du droit* particulière. Ainsi, le principe non bis in
idem en matière pénale et le principe de l’autonomie de la volonté en matière
contractuelle. Parfois même, on nomme « principes » des règles qui s’appliquent à
des situations déterminées. Tel est le cas, par exemple, de l’exception
d’inexécution* (exceptio non adimpleti contractus) dans les contrats
synallagmatiques*, qui a été qualifiée par la Cour de cassation de principe
général du droit3. L’appellation de principe exprime ici soit l’importance de la
règle, soit qu’elle ne trouve pas sa source dans la législation.
Les principes généraux du droit se distinguent encore des règles de droit
ordinaires par leur origine et leur rapport aux sources formelles (infra, ce ch.,
cette s., III), ainsi que par les modalités de leur mise en œuvre dans la solution
des contestations et des questions de droit (infra, ce ch., cette s., IV).

1« Propos sur le texte de la loi et les principes généraux du droit », J.T., 1970, pp. 557-573 et 581-
596 ; également publié aux éditions Bruylant, 1970, spéc. p. 132.
2 P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, t. Ier, Bruxelles, Bruylant, 2010, § 38 et s., p. 85 et
s.
3 Cass., 15 juin 2000, Pas., 2000, I, n° 372 et notes.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

III. Origine et reconnaissance

1. Origine et découverte

Les principes généraux du droit se distinguent des règles non seulement


par leur portée mais encore par leur origine. Alors que les règles sont
normalement établies par la législation au sens large*, les principes généraux du
droit procèdent directement de l’ordre juridique considéré comme système. Ces
normes sont en quelque sorte exigées par le système juridique, où elles existent
en puissance.
Comme la mission de systématiser le droit lui incombe, la doctrine*
contribue de manière importante à la découverte des principes généraux du droit.
Elle est puissamment aidée dans cette tâche par la jurisprudence* qui joue un
rôle de filtre dans la formulation et la consécration des principes dont elle a
besoin pour assurer la mise en œuvre du droit.
La découverte des principes généraux au sein de l’ordre juridique est le
fruit de plusieurs méthodes différentes.
1° En premier lieu, les principes généraux peuvent exprimer les premiers
principes sur lesquels repose l’ordre juridique et faire ainsi le lien entre les
valeurs fondamentales qui le sous-tendent et les règles de droit
particulières. Dans ce cas, les principes généraux sont considérés comme
des sortes d’axiomes sur lesquels repose l’ensemble de l’ordre juridique.
Ces principes sont souvent puisés dans les domaines de la philosophie
politique ou morale. Tel est le cas notamment des principes de
souveraineté des Etats et de la séparation des pouvoirs.
2° Une autre méthode consiste à induire de certaines règles particulières un
principe général dont ces règles ne présentent que des applications
ponctuelles, susceptibles d’être étendues à d’autres situations, à d’autres
matières, voire même à l’ensemble du droit. Tel est le cas par exemple de
« l’exécution de bonne foi », exprimée aux articles 1134, alinéa 3 et 1135 du
Code civil4. Plusieurs auteurs ont tenté de montrer que ces dispositions
constituaient en réalité l’expression d’un principe général du droit, qui
s’impose de manière générale en droit des obligations* et peut-être même
au-delà5. Cette méthode permet non seulement d’élargir le champ
d’application de certaines notions, mais elle renforce aussi la cohérence et
la compréhension du droit en rassemblant des dispositions particulières
éparses sous un principe unique. Dans un environnement marqué par la

4« [Les conventions] s’exécutent de bonne foi » (art. 1134, al. 3 du Code civil). « Les conventions
obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage
ou la loi donnent à l’obligation selon sa nature » (art. 1135 du Code civil).
5P. VAN OMMESLAGHE, « L’exécution de bonne foi, principe général du droit des obligations ? »,
Revue générale de droit civil belge, 1987, pp. 101 et s. ; J.F. ROMAIN, Théorie critique du principe
général de bonne foi en droit privé, Bruxelles, Bruylant, 2000.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

prolifération des règles, ce retour aux principes apparaît particulièrement


utile.
3° Enfin, une troisième méthode consiste à transporter certaines règles de
droit d’un ordre juridique* vers un autre. Cette technique est utilisée
principalement en droit international et en droit européen pour combler
leurs lacunes au moyen de principes de droit reconnus communs aux Etats
de la communauté internationale ou de l’Union européenne. C’est donc ici
le droit comparé* qui fournit la méthode pour dégager les principes
généraux. La Cour de justice des Communautés européennes6 a dégagé sur
cette base plusieurs principes importants en particulier la règle non bis in
idem, le principe de la non-rétroactivité des lois, le respect des droits de la
défense, et plus généralement des droits de l’homme, avant qu’ils ne soient
formellement consacrés dans un acte juridique obligatoire liant l’Union
suite à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (la Charte européenne des
droits de l’homme). Enfin, les principes généraux communs sont également
fréquemment utilisés dans les procédures d’arbitrage international et
notamment pour combler les lacunes de la lex mercatoria.

2. Reconnaissance et force obligatoire

Si les principes généraux peuvent trouver un support dans les textes


législatifs, qui soit les énoncent, soit en fournissent une application particulière,
soit y renvoient, tel n’est pas le cas pour tous les principes. Les principes
généraux du droit apparaissent ainsi comme des normes obligatoires et
importantes, au champ d’application très étendu, mais établies en dehors et
indépendamment des procédures définies par la Constitution pour l’élaboration
des normes juridiques.
L’existence, la validité et l’effectivité des principes généraux du droit sont
néanmoins certaines. Ils sont consacrés par la jurisprudence qui leur confère
« force législative »7, voire une portée constitutionnelle (infra, ce ch., s. 3).
Les principes généraux du droit sont officiellement reconnus à la fois dans
l’ordre juridique interne, dans l’ordre européen et dans l’ordre international.
1° En droit international, les « principes généraux du droit reconnus par les
nations civilisées » sont visés à l’article 38 du statut de la Cour

6Rappelons que la Cour de justice des Communautés européennes est dénommée Cour de justice
de l’Union européenne depuis le traité de Lisbonne.
7 L’expression « force législative » a été utilisée par le procureur général GANSHOF VAN DER
MEERSCH dans sa mercuriale précitée de 1970. Reprise par le procureur général VELU, elle est
citée avec approbation par la meilleure doctrine, notamment l’étude précitée de P. VAN
OMMESLAGHE sur les principes généraux ainsi que l’ouvrage de X. DIEUX, Le respect dû aux
anticipations légitimes d’autrui, essai sur la genèse d’un principe général de droit, Paris-Bruxelles,
L.G.D.J.-Bruylant, 1995.

6 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_B


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

internationale de justice* au nombre des normes juridiques auxquelles


cette Cour a égard dans l’application du droit international public.
2° En droit européen, avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les
principes généraux du droit n’apparaissaient qu’une seule fois dans les
traités constitutifs des Communautés et de l’Union européenne, dans une
disposition relative à la responsabilité extracontractuelle des institutions
européennes : « En matière de responsabilité non contractuelle, la
communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs
au droit des Etats membres, les dommages causés par ses institutions ou
par ses agents dans leurs fonctions »8. Malgré cette unique référence
incidente, les principes généraux du droit ont constitué « une épine
dorsale » de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes9. Ils sont toujours une source de droit importante dans l’ordre
juridique de l’Union européenne.
3° En droit interne, les principes généraux du droit ont été largement
consacrés par les trois juridictions suprêmes du pays. Dans la ligne de son
homologue et prédécesseur français, le Conseil d’Etat belge a eu largement
recours aux principes généraux pour structurer et développer le droit
administratif. Parallèlement, la Cour de cassation admet la recevabilité
d’un pourvoi contre une décision de justice pour violation d’un principe
général du droit. Toutefois, lorsque le principe est, totalement ou
partiellement, reconnu par une disposition légale, la Cour exige la mention
de cette référence légale pour exercer son contrôle. Enfin, la Cour
constitutionnelle fait une large place aux principes généraux du droit. Les
principes d’égalité et de non-discrimination constituent d’ailleurs le socle
de sa jurisprudence en matière de droits fondamentaux et du contrôle de
constitutionnalité qu’elle opère en cette matière.

IV. Mise en œuvre

Les principes généraux du droit diffèrent encore des règles ordinaires dans
la manière dont les juges y recourent à l’appui de leurs décisions en vue de la
solution d’un cas*.
Il arrive que les principes généraux soient appliqués comme les règles
ordinaires et fournissent à eux seuls la base suffisante de la solution d’une
contestation. Cependant, dans la majorité des cas, ces principes, en raison de leur
généralité même et de leur champ d’application diffus, ne fournissent pas
d’indication précise, mais plutôt une direction, une orientation en vue de la

8 Ancien art. 288, al. 2 du traité C.E..


9 P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, t. Ier, Bruxelles, Bruylant, 2010, § 38 et s., p. 85 et
s.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

solution du cas. Au niveau du jugement, les principes généraux du droit sont


alors fréquemment combinés avec des règles ordinaires dont ils précisent,
complètent, tempèrent ou même contrecarrent l’application.
Tel est le cas, par exemple, pour l’abus de droit dont le principe vient
limiter l’exercice d’un droit. Il en est également ainsi pour le principe de
continuité de l’Etat et du service public qui, pour les arrêtés-lois* de guerre,
permet de justifier une adaptation considérable de la procédure constitutionnelle
d’élaboration de la loi (supra, ch. 4).
Dans un grand nombre de cas difficiles, le recours aux principes généraux
renforce la justification d’une décision et guide l’interprétation par le juge des
règles de droit ordinaires. Les principes généraux du droit sont ainsi mobilisés
dans le cadre de raisonnements judiciaires qui ne se limitent pas à l’application
mécanique d’une règle, mais qui procèdent, à l’occasion d’une affaire particulière,
souvent délicate, à la compréhension voire à la reconstruction de l’ordre juridique
dans son ensemble au départ des principes qui le fondent en vue de trouver la
meilleure solution.
Le célèbre arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 199610, dit « arrêt
spaghetti », rendu dans l’affaire Dutroux, par lequel la Cour a dessaisi le juge
Connerotte de l’instruction de ce dossier, en offre une illustration remarquable.
En juillet 1996, Marc Dutroux est arrêté à l’initiative du juge Connerotte. Sabine
et Laetitia sont libérées. Quelque temps après, on découvre les corps de Julie et
de Mélissa. Le 21 septembre 1996, le juge Connerotte, chargé de l’instruction du
dossier Dutroux, assiste, en compagnie du procureur du Roi de Neufchâteau, à
une soirée organisée par l’A.S.B.L. Marc et Corinne en sympathie avec les
victimes et leur famille. En présence d’environ 400 personnes, de Sabine, Laetitia
et de leurs parents, le juge mange un spaghetti et se voit remettre un stylo. La
presse se fait l’écho de cette soirée. A la suite de quoi, les conseils de Marc
Dutroux introduisent, auprès de la Cour de cassation, une requête en
dessaisissement du juge d’instruction pour cause de suspicion légitime.
Ce rebondissement judiciaire se produit dans un contexte extrêmement
tendu politiquement. On est à quelques jours de la « Marche blanche » qui verra,
le 20 octobre 1996, 300.000 citoyens manifester silencieusement leur colère et
leur chagrin dans les rues de Bruxelles. Une grande suspicion atteint à la fois les
institutions politiques, judiciaires et policières du pays. A ce moment, beaucoup
ne placent plus leur confiance que dans le juge Connerotte pour révéler les
dessous de l’affaire. Dans ce climat exceptionnel, le Premier ministre Jean-Luc
Dehaene invite publiquement la Cour de cassation à faire preuve d’imagination
dans le traitement de la requête. Le procureur général, Madame Liekendaele lui
répond, par voie de presse, que l’application ferme et sereine du droit n’autorise
qu’une seule solution, aussi douloureuse soit-elle. Le 14 octobre 1996, la Cour de
cassation dessaisit le juge Connerotte, tout en maintenant l’instruction du
dossier dans le ressort de l’arrondissement de Neufchâteau. Elle confirmera cette

10 J.L.M.B., 1997, pp. 175 et s.

8 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_B


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

décision par deux arrêts du 11 décembre de la même année, rejetant les recours
des familles contre cette décision.
La requête en suspicion légitime est réglée par l’article 542 du Code
d’instruction criminelle qui prévoit que :
« En matière criminelle, correctionnelle ou de police, la Cour de
cassation peut, sur la réquisition du procureur général près cette
Cour, renvoyer la connaissance d’une affaire d’une cour d’appel et
d’une cour d’assises à une autre, d’un tribunal correctionnel ou de
police à un autre tribunal de même qualité, d’un juge d’instruction à
un autre juge d’instruction, pour cause de sûreté publique ou de
suspicion légitime ».

Contrairement aux propos de Madame Liekendaele, cette disposition


semble laisser une assez grande marge d’appréciation à la Cour de cassation.
D’une part, la formulation « la Cour peut dessaisir » confère à la Cour davantage
une faculté qu’une obligation. D’autre part, le texte ne précise en rien les motifs
de nature à justifier ou à imposer le dessaisissement.
Pour aboutir à sa décision, qu’elle conçoit comme contraignante et la seule
possible en droit, la Cour de cassation développe un raisonnement qui trouve son
fondement dans les principes généraux du droit. Ce raisonnement mérite d’être
reproduit intégralement :

« Attendu que l’impartialité des juges est une règle fondamentale de


l’organisation judiciaire ; qu’elle constitue, avec le principe de
l’indépendance des juges à l’égard des autres pouvoirs, le fondement
même non seulement des dispositions constitutionnelles qui règlent
l’existence du pouvoir judiciaire mais de tout Etat démocratique ;
que les justiciables y trouvent la garantie que les juges appliqueront
la loi de manière égale ;

Attendu que la condition essentielle de l’impartialité du juge


d’instruction est son indépendance totale à l’égard des parties, en
manière telle qu’il ne puisse s’exposer au soupçon de partialité dans
l’instruction des faits, que ce soit à charge ou à décharge

Que le juge d’instruction ne cesse à aucun moment d’être un juge ne


pouvant susciter dans l’esprit des parties ou dans l’opinion générale
une apparence de partialité ; qu’aucune circonstance, fût-elle
exceptionnelle ne le dispense de ce devoir ;

Attendu que la Cour apprécie la pertinence des motifs invoqués à


l’appui d’une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime à
la lumière de ces principes et des dispositions légales qui les
consacrent ;

Attendu qu’ainsi il résulte du rapprochement de l’article 828 du


Code judiciaire, qui énumère les causes de récusation, et de l’article
542 du Code d’instruction criminelle, qui prévoit le renvoi d’un

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

tribunal à un autre tribunal pour cause de suspicion légitime, que le


juge d’instruction qui a été reçu par une partie à ses frais ou qui a
agréé d’elle des présents, et a manifesté de la sorte sa sympathie à
l’égard de cette partie, se met dans l’impossibilité d’instruire la
cause de celle-ci sans susciter chez les autres parties, notamment les
inculpés et les tiers, une suspicion quant à son aptitude à remplir sa
mission d’une manière objective et impartiale ; (…) ».

La Cour procède ici, à l’occasion du cas difficile qui lui est soumis, à la
reconstruction de l’ordre juridique, au départ des fondements constitutionnels de
l’Etat de droit et de la démocratie. Pour justifier sa décision, la Cour ne convoque
rien moins que les principes constitutionnels de la séparation des pouvoirs* (et
donc de leur indépendance) et de l’égalité* devant la loi (à l’occasion de son
application), d’où dérivent nécessairement les dispositions constitutionnelles
instaurant un pouvoir judiciaire indépendant. De la nécessité de ce pouvoir
judiciaire indépendant se déduit le principe de l’impartialité* des juges, lequel
implique notamment leur indépendance* à l’égard de toutes les parties en cause.
La Cour notera ensuite que ces principes s’appliquent pleinement au juge
d’instruction qui doit être considéré comme un juge à part entière.
Une fois ces principes posés, la Cour en vient aux dispositions légales qui
règlent la matière et à leur interprétation. Le principe général d’impartialité
autorise ainsi, voire impose un rapprochement entre l’article 542 du Code
d’instruction criminelle et l’article 828 du Code judiciaire qui énumère les causes
de récusation*, c’est-à-dire les situations où l’impartialité du juge peut être
soupçonnée en manière telle qu’il peut ou doit s’abstenir de siéger.
La Cour pointe en particulier l’article 828, 11° du Code judiciaire qui
prévoit que le juge peut être récusé : « s’il a déposé comme témoin ; si, depuis le
commencement du procès, il a été reçu par une partie à ses frais ou a agréé d’elle
des présents ».
Sur la base du principe général d’impartialité, la Cour estime donc que les
causes de récusation constituent des motifs de suspicion légitime et que
l’établissement d’un de ces motifs transforme la faculté de dessaisir reconnue à la
haute juridiction (« la Cour peut dessaisir ») en une véritable obligation
contraignante.
C’est également le principe général d’impartialité qui va imposer une
interprétation souple des termes de l’article 828, 11° du Code judiciaire. En effet,
si le juge a bien été « reçu » et a « agréé » un présent, ces événements n’ont pas eu
lieu « depuis le commencement du procès ». L’interprétation littérale est
implicitement écartée, la Cour estimant sans doute que, eu égard à la mission
spécifique du magistrat instructeur, il fallait ici entendre « depuis le début de
l’instruction ». Le terme « partie » aurait également pu poser difficulté, mais la
Cour le résout en constatant que le juge Connerotte avait d’ores et déjà reçu la
constitution de partie civile* de l’A.S.B.L. Marc et Corinne contre Marc Dutroux.
Cet arrêt exceptionnel constitue, au sens fort du terme, un arrêt de
principe. Il illustre remarquablement le rôle souvent dévolu aujourd’hui aux
principes généraux du droit dans la solution des cas et le raisonnement qui y

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

conduit. Le raisonnement judiciaire procède ici en deux temps. Dans un premier


moment de la motivation, les principes généraux du droit sont reconstruits
comme l’armature de l’ordre juridique. Dans un second temps, ils guident
l’application des règles légales en autorisant leur combinaison et en orientant
l’interprétation de leurs termes dans le sens indiqué par les principes.

Section 3 : Les conflits de normes

La masse de règles juridiques existantes est colossale et ne fait que croître,


à la suite de la multiplication des ordres juridiques et de l’inflation des sources.
Cette inflation vise, au premier chef, les lois au sens large, c’est-à-dire l’ensemble
des textes normatifs. Elle entraîne dans la même mouvance les autres sources
juridiques. La prolifération des décisions de justice et des œuvres doctrinales
contribue à décontenancer le juriste le plus averti.
Vu la grande prolixité des normes juridiques et la diversité de leurs
auteurs, le conflit est inévitable. Afin de sortir de l’impasse, tout système
juridique doit mettre en œuvre des règles chargées de résoudre de tels conflits.
Quatre critères permettent d’ordonner la multitude de textes normatifs et de
déterminer, in fine, la règle applicable à une question juridique donnée : l’espace,
le temps, la hiérarchie et la compétence.

I. L’application de la loi dans l’espace

Les Etats sont nombreux. Les règles de droit adoptées par chacun d’eux
varient en fonction de multiples facteurs qui tiennent à des particularités
politiques, culturelles, historiques, sociales, économiques, géographiques,
religieuses, etc. La détermination du champ d’application des normes juridiques
produites par les Etats s’effectue, en ordre principal, sur la base de leur
territoire. Dans certaines situations, le droit d’un Etat produit également des
effets extraterritoriaux.

A. Principe : le caractère territorial du droit

A chaque territoire, sa loi nationale. Tel est le principe découlant de la


souveraineté des Etats. Cette souveraineté s’exerçant sur un territoire donné, il
s’ensuit que l’ordre juridique d’un pays est limité à ses frontières. Le droit
français a donc pour vocation première de s’appliquer en France, comme le droit
russe régit, a priori, uniquement le territoire de la Russie.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Ce rattachement des droits étatiques à un territoire est particulièrement


marqué en droit pénal. Le caractère territorial du droit pénal signifie que la
législation fédérale pénale belge s’applique sur l’ensemble du territoire de la
Belgique pour toute infraction qui y est commise en tout ou en partie et quelle
que soit la nationalité de son auteur. Par ailleurs, en matière d’incrimination et
de peine, le juge pénal belge appliquera uniquement la loi belge. Il n’appartient
donc pas au magistrat belge d’appliquer la loi pénale étrangère ou de connaître
des infractions commises à l’étranger.
Le législateur déroge à ce principe de manière exceptionnelle. Il s’agit de
cas particuliers d’infractions commises à l’étranger où un lien de rattachement
existe avec la Belgique, soit au regard de la nationalité de la victime de
l’infraction (compétence personnelle passive) ou de son auteur (compétence
personnelle active), soit au regard de la nature de l’infraction qui menace certains
intérêts primordiaux de l’Etat belge (compétence réelle). Ainsi, par exemple, en
matière de crime ou de délit contre la sûreté de l’Etat, le juge belge est compétent
pour des actes commis à l’étranger par un Belge ou par un ressortissant
étranger11. De manière encore plus rare, le législateur, le plus souvent à la suite
de la conclusion d’un traité international, prévoit des cas de compétence
universelle, c’est-à-dire des situations où le juge belge peut connaître d’une
infraction quel que soit le lieu où elle a été commise et indépendamment de la
nationalité des personnes en cause. Il s’agit ici de faciliter la répression de
certaines infractions particulièrement graves. En l’absence d’un lien quelconque
de rattachement avec la Belgique, une telle compétence peut s’avérer
extrêmement délicate à mettre en œuvre12.

B. Tempérament : l’application de la loi étrangère

Dans un Etat souverain et indépendant, les autorités étatiques ne sont


tenues que par les règles appartenant à leur ordre juridique. Ce principe va de
soi. Les pouvoirs publics peuvent toutefois être amenés à faire application d’une
« loi étrangère » pour régler une situation privée comportant un élément
d’extranéité.
Le phénomène de la mondialisation qui affecte profondément la nature de
nos échanges contribue à la multiplication de telles situations privées à caractère
international. C’est le cas, par exemple, d’un mariage prononcé par un officier de
l’état civil belge entre un Belge et un ressortissant chinois. Il en va de même pour

11Titre préliminaire du Code de procédure pénale, Chapitre II : « De l’exercice de l’action publique


à raison des crimes ou des délits commis hors du territoire du royaume », art. 6, 1° et art. 10, 1°.
12Voy. notamment le sort réservé à la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des infractions
graves aux Conventions de Genève de 1949 et aux Protocoles I et II de 1977 additionnels à ces
Conventions ainsi qu’à la loi du 10 février 1999 relative à la répression des violations graves du
droit international humanitaire, par la loi du 5 août 2003 relative aux violation graves du droit
international humanitaire, M.B., 7 août, 2003.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

un défaut d’exécution d’un contrat conclu à New Delhi entre un Belge et un


ressortissant anglais, porté devant le juge belge. Et que dire des relations
juridiques nouées sur Internet, lequel permet, du moins virtuellement, d’ignorer
toute barrière frontalière.
Les espèces comportant un élément d’extranéité peuvent appeler
l’application d’une autre loi que la loi du for (lex fori), c’est-à-dire l’application
d’une loi appartenant à un ordre juridique différent de l’Etat dont les autorités
doivent se prononcer. Il y a conflit de lois quand les législations de deux ou
plusieurs pays ont chacune vocation à régir une même situation juridique. Les
règles de conflit de lois fixent la loi applicable dans les espèces comportant un
élément d’extranéité. Chaque ordre juridique contient de telles règles qui
déterminent, en fonction de critères de rattachement qu’elles précisent, le champ
d’application du droit du for et des droits étrangers. Ces règles de conflit de lois
sont propres à chaque ordre juridique et relèvent de son droit international
privé*. Elles trouvent leur source dans le droit national, mais aussi dans des
traités internationaux dont la conclusion vise à assurer une certaine harmonie
entre les systèmes juridiques.
Les critères de rattachement sélectionnés par les règles de conflit de lois
varient selon la nature des situations juridiques visées. On distingue
principalement trois critères de rattachement : le lieu de situation, la nationalité
et l’autonomie de la volonté.
1° Le lieu de situation. - La localisation des personnes, des biens, des actes ou
des faits juridiques dans l’espace peut constituer le facteur de
rattachement retenu par le droit international privé. Tel est le cas de la
situation d’un bien immobilier. Le régime de la propriété prévu par le Code
civil belge régit ainsi une querelle de voisinage entre deux ressortissants
turcs revendiquant la propriété d’un immeuble situé à Bruxelles13. Tel est
également le cas de la survenance d’un fait générateur de responsabilité
quasi-délictuelle* lorsque la personne responsable et la personne lésée
n’ont pas leur résidence habituelle dans le même Etat. Le dommage causé
à un ressortissant australien à la suite de la morsure, dans la province de
Liège, d’un pitbull importé des Etats-Unis dont le propriétaire vit en
Roumanie, est donc soumis aux articles 1382 et suivants du Code civil
belge14. Si ces deux personnes ont toutes deux établi leur lieu de vie en
Allemagne, le critère de rattachement, fondé cette fois sur la localisation
des personnes, sera donné par cette « résidence habituelle »15 et la loi

13 Art. 87, § 1er du Code de droit international privé contenu dans la loi du 16 juillet 2004, M.B.,
27 juillet 2004. Cette disposition prévoit que « les droits réels sur un bien sont régis par le droit de
l'Etat sur le territoire duquel ce bien est situé au moment où ils sont invoqués ».
14Art. 99, § 1er, 2° du Code de droit international privé qui prévoit que « l’obligation dérivant d’un
fait dommageable est régie : (…) à défaut de résidence habituelle sur le territoire d’un même Etat
[par la personne responsable et la personne lésée] par le droit de l'Etat sur le territoire duquel le
fait générateur et le dommage sont survenus ou menacent de survenir, en totalité ».
15Le Code de droit international privé définit la résidence principale comme « le lieu où une
personne physique s’est établie à titre principal, même en l'absence de tout enregistrement et

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

allemande trouvera à s’appliquer16. La résidence habituelle détermine


également la loi applicable dans d’autres matières. Pour l’autorité
parentale, par exemple, il est tenu compte du lieu où vit la personne
soumise à pareille autorité au moment des faits17.
2° La nationalité. - Certaines règles juridiques sont appliquées en raison du
lien juridique qui unit une personne à un Etat dont elle a la nationalité,
quel que soit l’endroit où elle se trouve. L’état et la capacité des personnes
sont ainsi généralement rattachés à la loi nationale18. Il en est également
ainsi des conditions de validité du mariage qui sont régies, pour chacun
des époux, par le droit de l’Etat dont il/elle a la nationalité au moment de
la célébration du mariage19.
3° L’autonomie de la volonté. - Il est des cas où la détermination du droit
applicable peut être laissée au libre choix des acteurs de la vie juridique.
La matière des contrats constitue le terrain d’élection de l’autonomie de la
volonté20. Les parties à une convention présentant un ou plusieurs liens
d’extranéité disposent donc d’une entière discrétion pour fixer la loi
applicable à leur relation contractuelle. Cette liberté est cependant limitée
dans le cas de la fraude à la loi. Il s’agit de sanctionner la pratique du
forum shopping en vertu de laquelle les conditions d’application d’une loi
étrangère sont créées de manière artificielle pour éviter l’application de
dispositions d’ordre public ou impératives d’un droit national.

II. L’application de la loi dans le temps

Chargé de régler la vie en société, le droit se transforme nécessairement


pour en accompagner l’évolution et répondre aux besoins nouveaux qu’elle
génère. Notre ordre juridique est en constant mouvement, en perpétuelle
mutation. Des règles juridiques disparaissent, apparaissent et se modifient sans
cesse. Ce phénomène de la succession des règles juridiques soulève la question de
l’application de la loi dans le temps. Il s’agit ici de résoudre un conflit entre une

indépendamment d'une autorisation de séjourner ou de s'établir ; pour déterminer ce lieu, il est


tenu compte, en particulier, de circonstances de nature personnelle ou professionnelle qui
révèlent des liens durables avec ce lieu ou la volonté de nouer de tels liens » (art. 4, § 2). Le
domicile s’entend, par contre, comme « le lieu où une personne physique est inscrite à titre
principal, en Belgique, sur les registres de la population, sur les registres des étrangers ou sur le
registre d'attente » (art. 4, § 1er).
16 Art. 99, § 1er, 1° du Code de droit international privé.
17 Art. 35, § 1er du Code de droit international privé.
18 Art. 34, § 1er du Code de droit international privé.
19 Art. 46 du Code de droit international privé.
20 Art. 3, § 1 du Règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

loi ancienne et une loi nouvelle susceptibles de s’appliquer à un même cas


d’espèce.
Pour régler un tel conflit, le juriste a recours à des principes de droit
transitoire. De manière générale, le droit transitoire organise le passage (« la
transition ») des normes législatives dans le temps. Dans un sens étroit, il vise les
dispositions qui aménagent l’entrée en vigueur d’une loi particulière et qui sont
généralement contenues dans le corps de celle-ci.
Les principes généraux du droit transitoire s’organisent autour d’une idée
maîtresse : la norme juridique nouvelle s’applique pour le présent et l’avenir, elle
n’est pas orientée vers le passé.
Trois principes en découlent :
- la règle nouvelle remplace la règle ancienne ;
- la règle nouvelle a un effet immédiat ;
- la règle nouvelle s’applique de manière non rétroactive.

A. La règle nouvelle remplace la règle ancienne

Le principe régissant la durée de vie d’une loi relève de l’évidence : la loi


s’applique de son entrée en vigueur à son abrogation. L’entrée en vigueur d’une
loi marque le moment à partir duquel elle acquiert force obligatoire à la suite de
sa publication dans un journal officiel et du respect d’un bref délai d’information.
L’abrogation d’une loi la raye du droit positif : elle met fin, pour l’avenir, à sa
force obligatoire.
A l’heure actuelle, lorsqu’une législation nouvelle entre en vigueur, il est
rare que la matière qu’elle régit soit vierge de toute réglementation. Il s’impose
dès lors de « nettoyer le terrain » en abrogeant les textes anciens pour les
remplacer, le cas échéant, par des dispositions nouvelles. Lorsque le législateur
réalise explicitement une telle abrogation, la situation est relativement simple. Il
suffit au justiciable ou au juge de suivre les dispositions de droit transitoire
édictées in casu par le législateur.
Le conflit naîtra, par contre, dans les hypothèses où deux textes
incompatibles coexistent dans l’arsenal législatif. Le principe de l’abrogation
tacite permet de résoudre le conflit. L’application simultanée de deux règles
contradictoires à une même hypothèse n’étant pas concevable, on considère que la
disposition nouvelle abroge la disposition ancienne par application de l’adage lex
posterior derogat priori. Si le principe de l’abrogation tacite est limpide dans son
énoncé, sa mise en œuvre peut être source de difficultés.
Premièrement, le caractère inconciliable de deux règles n’est pas toujours
aisé à déterminer. Une telle analyse relève de l’interprétation* et mobilise le
recours aux techniques argumentatives. Si le législateur décidait de modifier

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

l’article 488 du Code civil21 pour abaisser l’âge de la majorité légale à seize ans,
les répercussions de ce changement sur d’autres législations ne manqueraient
pas de se poser. Il faudrait, par exemple, déterminer la mesure dans laquelle la
nouvelle disposition affecte la loi concernant l’obligation scolaire22.
Deuxièmement, l’adage lex posterior derogat priori connaît un
tempérament en vertu duquel une règle spécifique peut survivre à une règle
générale qui lui est postérieure. Le principe est exprimé dans l’adage lex specialis
derogat generali. La matière du harcèlement nous en offre un exemple. Au
tournant du millénaire, le harcèlement a fait l'objet d'une attention particulière
de la part du législateur. Parmi les nombreux textes qui ont été adoptés, la loi
relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au
travail a été sanctionnée le 11 juin 200223. Les lois postérieures du 10 mai 200724
relatives à la non-discrimination visent également le harcèlement, mais de
manière moins spécifique et portent sur un champ d’application plus large que
les relations du travail. Il s’ensuit que les dispositions des lois de 2007 n’ont, en
aucune façon, abrogé tacitement celles de la loi de 2002. Cette dernière a toujours
vocation à s’appliquer aux problèmes de harcèlement moral et sexuel sur le lieu
du travail et constitue la référence législative dans ce domaine.
Aux côtés de l’abrogation expresse et de l’abrogation tacite, on trouve
l’abrogation par désuétude. Ici, c’est le défaut prolongé d’application d’un texte en
vigueur, alors que ses conditions d’application se trouvent réunies, qui entraîne
l’abrogation. Formellement, le droit positif belge ne reconnaît pas un tel procédé.
L’inapplication de la loi due à une pratique administrative ou à une politique de
classement des poursuites sans suite* par le parquet est sans effet sur le
caractère obligatoire de la loi concernée. L’exemple de l’avortement avant sa
dépénalisation partielle en 1991 est intéressant à cet égard. Après une période de
relative impunité, un changement à la tête du parquet de Bruxelles avait
entraîné la reprise des poursuites à l’encontre de médecins pratiquant des
avortements. Le fait que des dossiers relatifs à des cas d’interruption volontaire
de grossesse avaient été classés sans suite pendant un temps n’a pas empêché les
cours et tribunaux de prononcer des condamnations dans les affaires dont ils ont
été saisis. Tout au plus, peut-on constater la réticence des juridictions à
appliquer un texte de loi resté lettre morte, au motif que le défaut d’application

21L’article 488 du Code civil dispose que « La majorité est fixée à dix-huit ans accomplis ; à cet
âge, on est capable de tous les actes de la vie civile ».
22 Loi du 29 juin 1983 concernant l’obligation scolaire, M.B., 6 juillet 1983.
23 M.B., 22 juin 2002.
24 Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination ; Loi du 10 mai
2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les hommes et les femmes ; Loi du 10 mai
2007 modifiant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme
et la xénophobie, M.B., 30 mai 2007.

16 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_B


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

d’une norme juridique est susceptible d’induire ses destinataires en erreur quant
à l’état du droit25.

B. La règle nouvelle a un effet immédiat

1. Le principe

En l’absence de dispositions contraires, une loi nouvelle a vocation à


s’appliquer pour l’avenir. Elle régit deux types de situations juridiques.
Premièrement, elle s’applique à toutes les situations juridiques à venir.
Une législation qui prescrirait que les instituteurs sont responsables pour les
dommages causés par leurs élèves, même en l’absence de tout défaut de
surveillance de leur part, s’applique aux faits dommageables causés à partir de
son entrée en vigueur26.
Deuxièmement, elle s’applique aussi aux effets futurs des situations
juridiques en cours nées sous l’empire de la loi ancienne. Ainsi, une loi qui
diminue le délai de la séparation de fait permettant de prononcer le divorce, régit
les séparations nées avant l’entrée en vigueur de cette loi et qui se sont
prolongées sous son empire.

2. Les exceptions

Le principe de l’effet immédiat de la loi connaît deux exceptions.


D’une part, un texte exprès peut y déroger. Une telle dérogation fait partie
des dispositions transitoires d’une législation.
D’autre part, les contrats connaissent un régime particulier en raison de la
nature spécifique de cette matière soumise aux principes de l’autonomie de la
volonté* et de la convention-loi*. A partir du moment où les parties sont libres de
contracter (dans les limites de l’ordre public* et des bonnes mœurs*) et que la
convention ainsi conclue tient lieu de loi entre elles, il importe d’éviter qu’une
intervention législative ne vienne en bouleverser l’équilibre et mette à mal la
stabilité des relations entre les cocontractants. Ces derniers se sont engagés en
considération du droit en vigueur à l’époque de la conclusion de leur convention.
On estime par conséquent que ce droit doit régir toute la durée de vie de leur
relation contractuelle.

25Comparer l’abrogation par désuétude avec le développement d’une coutume contra legem : voy.
supra (ch. 4).
26Rappelons que la responsabilité des instituteurs pour les dommages causés par leurs élèves est
réglée par l’article 1384 du Code civil. Les instituteurs peuvent se dégager de cette responsabilité
en établissant qu’aucun défaut de surveillance ne peut leur être reproché (supra, ch. 1).

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Ce principe est lui-même sujet à deux exceptions :


1° une disposition d’ordre public* se voit d’office donner un effet immédiat par
les cours et tribunaux ;
2° le législateur peut, par une disposition expresse, décider de sacrifier la
sécurité des cocontractants au profit d’autres intérêts et disposer que la loi
nouvelle s’appliquera aux effets futurs des contrats en cours. Ainsi, par
exemple, la loi du 20 février 1991, insérant dans le Code civil des règles
particulières pour les baux relatifs à la résidence principale du preneur,
précise qu’elle s’applique à certains baux conclus avant son entrée en
vigueur27.

C. La règle nouvelle s’applique de manière non


rétroactive

L’article 2 du Code civil proclame que « La loi ne dispose que pour l’avenir ;
elle n’a point d’effet rétroactif ». Le principe de la non-rétroactivité de la loi
commande de laisser à la loi ancienne les situations juridiques qui se sont
déroulées sous son empire. La loi qui régit une situation juridique est donc celle
qui est en vigueur au moment des faits, et non celle en vigueur au moment du
jugement.
Ce principe de non-rétroactivité étant consacré par la loi, le législateur
peut lui-même y faire exception. Certaines législations précisent ainsi qu’elles
régissent des situations nées sous l’empire d’une loi antérieure. Par ailleurs, la
loi interprétative* qui « fait corps » avec la loi qu’elle interprète est par nature
rétroactive puisqu’elle est réputée donner à cette dernière le sens qu’elle revêt
depuis le départ (supra, ch. 4).
Dans le domaine du droit pénal cependant, toute rétroactivité d’une loi qui
aggraverait la situation de l’auteur d’une infraction est strictement prohibée. Le
principe de la légalité* du droit pénal, consacré notamment par la Convention
européenne des droits de l’homme28, empêche que quiconque puisse être
condamné pour un fait qui, au moment de sa commission, ne constituait pas une
infraction au regard du droit positif. L’auteur d’une infraction ne peut pas non
plus se voir infliger une peine plus forte que celle qui était applicable au moment
des faits. Par contre, le principe de la non-rétroactivité du droit pénal n’empêche
pas l’application de la loi « la plus douce ». Au contraire, le Code pénal dispose

27 M.B., 22 février 1991, art. 14 à 16.


28En vertu de l’article 7, alinéa 1er de la CEDH, « Nul ne peut être condamné pour une action ou
une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le
droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était
applicable au moment où l’infraction a été commise ». Voy. infra, chap. 6.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

que « Si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au
temps de l’infraction, la peine la moins forte sera appliquée » (art. 2, al. 2). La
jurisprudence donne une interprétation large de cette disposition, considérant
que la rétroactivité de la loi pénale plus favorable ne concerne pas uniquement
une peine plus légère, mais aussi toute disposition qui enlèverait à un acte le
caractère d’infraction punissable ou qui ajouterait une condition nouvelle à
l’incrimination.

III. La hiérarchie des normes

La détermination du champ d’application spatio-temporel des règles


juridiques ne suffit pas à éliminer tout conflit. Plusieurs normes juridiques
concurrentes peuvent être applicables à un moment donné sur le même territoire.
Afin de résoudre le conflit, le système juridique met en œuvre des principes
destinés à instaurer une hiérarchie entre les normes juridiques en assurant la
primauté d’une règle sur l’autre. Il s’agit d’assigner à chaque norme sa place en
fonction de la qualité de son auteur. In fine, la règle inférieure devra s’incliner
devant la règle supérieure. Le système est d’autant plus performant qu’il est
relayé par des mécanismes de contrôle visant à assurer le respect des principes
de la hiérarchie des normes.
Les cas de conflit entre les normes juridiques doivent être envisagés en
tenant compte des ordres juridiques dont elles émanent ainsi que de la nature de
chacune d’elle (supra, ch. 2, III).

A. Norme de droit international v . norme de droit interne

1. Le principe de la primauté du droit international

Contrairement à d’autres Constitutions comme celles de la France, des


Pays-Bas ou de l’Allemagne, la Constitution belge est muette sur la place des
normes de droit international dans l’ordre juridique interne. Il est donc revenu à
la jurisprudence de trancher cette question épineuse. Dans un premier temps, le
traité ratifié par le parlement fut considéré comme un « acte équipollent à la loi ».
Un conflit entre un traité et une loi se réglait donc comme un conflit entre deux
lois, par application de l’adage lex posterior derogat priori. Une loi postérieure
devait donc être, suivant la Cour de cassation, préférée au traité :
« Attendu qu’il appartient au législateur belge, lorsqu’il édicte des
dispositions en exécution d’une convention internationale,
d’apprécier la conformité des règles qu’il adopte avec les obligations
liant la Belgique par traité ; que les tribunaux n’ont pas le pouvoir

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

de refuser d’appliquer une loi pour le motif qu’elle ne serait pas


conforme, prétendument, à ces obligations »29.

Avec la construction européenne et la mise en place progressive d’un ordre


juridique supranational, une telle position était difficilement tenable. Elle était
d’ailleurs contraire à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes qui, dès 1964, dans sa célèbre affaire Costa c. Enel, affirma sans
détour la supériorité de la norme communautaire sur la loi interne30. Les
procureurs généraux* de l’époque, R. Hayoit de Termicourt et W. Ganshof van
der Meersch, s’attachèrent alors, dans plusieurs mercuriales*, à convaincre la
Cour de cassation de revenir sur sa position31. Elle le fit, en 1971, dans l’arrêt Le
Ski32, un arrêt qui figure parmi les « grands classiques » de sa jurisprudence.
Il s’agissait d’un différend entre la S.A. Fromageries Franco-suisse « Le
Ski » et l’Etat belge au sujet de la perception de droits spéciaux à l’importation de
produits laitiers. Au départ, un arrêté royal imposait la perception de tels droits
en violation du principe de la libre circulation des marchandises au sein de la
Communauté économique européenne33. Après une condamnation de la Belgique
à Luxembourg34, les droits illégaux furent supprimés, mais une loi disposa que
les sommes versées en application du droit antérieur étaient « définitivement
acquises » et que « leur paiement est irrévocable et ne peut donner lieu à
contestation devant quelque autorité que ce soit »35. La fromagerie Le Ski, qui
souhaitait récupérer les droits payés, introduisit une action en répétition de
l’indu devant les tribunaux belges en soulevant l’incompatibilité de cette loi avec
le traité de Rome. L’affaire aboutit en cassation. La Cour procède en deux temps
pour reconnaître la primauté du droit international sur le droit interne.
Tout d’abord, elle écarte l’assimilation traditionnelle du traité à la loi en
statuant sur la nature de l’acte d’assentiment. Ce dernier n’est pas le siège de
normes juridiques. C’est le traité qui l’est :

29 Cass., 26 novembre 1925, Pas., 1926, I, p. 76, spéc. 77.


30 C.J.C.E., 15 juillet 1964, aff. 6/64 : Costa c/ E.N.L.E., Rec., 1964, p. 1141.
31 HAYOIT DE TERMICOURT, « Le conflit ‘Traité-Loi interne’ », J.T., 1963, pp. 481 et s. ; W.J.
GANSHOF VAN DER MEERSCH, « Réflexions sur le droit international et la révision de la
Constitution », J.T., 1968, pp. 485 et s. ; W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, « Le juge belge à
l’heure du droit international et du droit communautaire », J.T., 1969, pp. 537 et s.
32Cass. (1ère Ch.), 27 mai 1971, Pas., 1971, I, p. 886 et les conclusions conformes du Procureur
général Ganshof van der Meersch.
33 En particulier, l’article 12 du traité C.E.E. de l’époque qui disposait que « Les Etats membres
s’abstiennent d’introduire entre eux de nouveaux droits de douane à l’importation et à
l’exportation ou taxes d’effet équivalent, et d’augmenter ceux qu’ils appliquent dans leurs
relations commerciales mutuelles ».
34C.J.C.E., 13 novembre 1964, aff. jointes 90/63 et 91/63 : Commission c/ Grand-Duché de
Luxembourg et Royaume de Belgique, Rec., 1964, p. 1217.
35Loi du 19 mars 1968 portant ratification d’arrêtés royaux pris en application de la loi du 30 juin
1931 et 30 juillet 1934 abrogés par la loi du 11 septembre 1962, M.B., 21 mars 1968.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

« Attendu que même lorsque l’assentiment à un traité (…) est donné


dans la forme d’une loi, le pouvoir législatif, en accomplissant cet
acte, n’exerce pas une fonction normative ;
Que le conflit qui existe entre une norme de droit établie par un
traité international et une loi établie par une loi postérieure n’est
pas un conflit entre deux lois ;

Attendu que la règle d’après laquelle une loi abroge une loi
antérieure dans la mesure où elle la contredit est sans application
au cas où le conflit oppose un traité à une loi »36.

Le conflit entre un traité et une loi ne se règle dès lors plus sur la base
d’un critère chronologique. La Cour poursuit son raisonnement en conférant une
primauté au droit international en raison de sa « nature » intrinsèque :
« Attendu que lorsque le conflit existe entre une norme de droit
interne et une norme de droit international qui a des effets directs
dans l’ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit
prévaloir ; que la prééminence de celle-ci résulte de la nature même
du droit international conventionnel ».

Et la Cour de souligner, s’agissant du droit européen :

« Attendu qu’il en est a fortiori ainsi lorsque le conflit existe, comme


en l’espèce, entre une norme de droit interne et une norme de droit
communautaire ;
Qu’en effet les traités qui ont créé le droit communautaire ont
institué un nouvel ordre juridique au profit duquel les Etats
membres ont limité l’exercice de leur pouvoir souverain dans les
domaines que ces traités déterminent »37.

Il découle de l’arrêt Le Ski et, depuis lors, de la jurisprudence constante de


la Cour de cassation, que le droit international prime le droit interne.
Pour jouir de cette supériorité, la règle de droit international doit avoir des
effets directs* à l’égard des particuliers, c’est-à-dire qu’elle doit être
suffisamment claire et précise pour être créatrice de droits et d’obligations dans
le chef des particuliers. Pour remplir cette condition, la règle de droit doit
désigner de manière dénuée d’ambiguïté les particuliers titulaires des droits
qu’elle prévoit et définir à suffisance la teneur de ces droits. Ainsi, par exemple,
l’article 6, § 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels du 16 décembre 1966 ne remplit pas une telle condition. Il stipule que
« Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui
comprend le droit qu’a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par
un travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées

36 Pas., 1971, I, p. 919.


37 Pas., 1971, I, p. 919.

DROI-C-1001_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 21


Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

pour sauvegarder ce droit ». Les personnes au chômage ne pourraient pas se


prévaloir de cette disposition pour mettre en cause la politique de l’emploi de
l’Etat belge et l’assigner en responsabilité, ni pour invoquer un droit de trouver
du travail dans la mesure où son libellé est trop général pour déployer des effets
directs vis-à-vis des particuliers. Un traité d’armistice est également dépourvu
d’effets directs, mais au motif qu’il instaure uniquement des obligations aux
Etats parties, sans conférer de droits aux personnes privées.

2. Le cas particulier de la Constitution

La question de savoir si la primauté de la norme internationale sur le droit


interne s’étend également à la Constitution est controversée en Belgique. La
Cour de justice de l’Union européenne considère que le droit européen l’emporte
sur le droit constitutionnel des Etats membres. Contrairement à la Cour
constitutionnelle, le Conseil d’Etat suit, dans une large mesure, cette
jurisprudence. La Cour de cassation semble lui avoir emboîté le pas à l’occasion
de l’affaire qui a vu trois asbl satellites du Vlaams Blok condamnées pour
violation de la loi Moureaux réprimant le racisme et la xénophobie38. Et la
doctrine est divisée. Alors que certains considèrent que la nature même du droit
international plaide pour sa primauté sur l’ensemble du droit interne, d’autres
sont plus circonspects et suivent la position défendue par la Cour
constitutionnelle. Ils estiment qu’une telle position revient à donner au pouvoir
constitué qu’est le pouvoir législatif la faculté de violer la Constitution en
ratifiant des traités qui lui sont contraires. En d’autres termes, il paraît
difficilement concevable à ces auteurs que le traité, qui n’a pu entrer en vigueur
dans l’ordre interne que selon les formes prévues par la Constitution, soit
supérieur à cette dernière. La voie la plus sage, qui se retrouve dans certains avis
du Conseil d’Etat et dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, consiste à
réviser la Constitution avant de ratifier un traité incompatible avec ses
dispositions.
Au sein des pays de l’Union européenne, la question de la primauté du
droit européen sur les droits constitutionnels nationaux ne reçoit pas non plus de
réponse unanime. Les cours constitutionnelles allemande et italienne se sont
notamment prononcées à ce sujet. Elles n’ont admis une certaine prééminence du
droit européen sur leur Constitution qu’avec le développement de la protection
des droits fondamentaux dans l’ordre juridique européen. La controverse n’est
cependant pas close : ces juridictions suprêmes se réservent toujours le droit de
préférer leur Constitution au droit de l’Union dans les hypothèses où un niveau
satisfaisant de protection des droits fondamentaux n’est pas atteint dans l’ordre
juridique européen. L’avis 2/13 par lequel la Cour de justice de l’Union

38 Cass., 9 novembre 2004, R.G. : P.04.0849.N. Voy. la réponse de la Cour au moyen 14, première
branche, dans laquelle elle affirme que « la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales prime la Constitution ». Sur cet arrêt, voy. notamment M. VERDUSSEN,
« Les rétroactes de l’arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 2004 dans l’affaire du Vlaams
Blok », R.B.D.C., 2005, p. 371 et s.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

européenne considère que le projet d’accord d’adhésion de l’Union européenne à


la Convention européenne des droits de l’homme est incompatible le droit de
l’Union risque de raviver les tensions entre la Cour de justice et certaines Cours
constitutionnelles des Etats membres39.

3. L’exercice du contrôle

Le principe de la primauté du droit international sur le droit interne est


garanti à différents niveaux. En droit interne, depuis l’arrêt Le Ski, les cours et
tribunaux ont le devoir d’écarter les dispositions du droit interne qui sont
contraires aux dispositions d’un traité40. Il ne revient pas aux juridictions
ordinaires d’annuler la règle de droit interne prise en violation d’une règle de
droit international, mais bien, dans chaque cas d’espèce, de la déclarer
inapplicable. On dit que ce contrôle est diffus ou qu’il est exercé par voie
d’exception.
La section de législation du Conseil d’Etat exerce en amont le contrôle que
les cours et tribunaux effectuent en aval. Dans ses avis sur les avant-projets de
texte législatif ou réglementaire, le Conseil d’Etat est attentif au respect, par ces
derniers, des dispositions du droit international applicable en Belgique (supra,
ch. 3).
Par ailleurs, il existe différents mécanismes institutionnels qui
garantissent la primauté de certaines règles du droit international.
Pour ce qui est du droit de l’Union européenne, la Cour de justice peut
prononcer des arrêts en constatation de manquement* contre les Etats membres
qui ne respecteraient pas le droit européen. Dans la même perspective, les
juridictions nationales peuvent juger un Etat responsable pour des dommages
causés aux particuliers à la suite de violations du droit européen par ses
autorités41 (supra, ch. 3). Par ailleurs, la Cour de justice considère que les
tribunaux nationaux doivent, dans toute la mesure du possible, donner au droit
national qu’elles appliquent, une interprétation conforme au droit européen42.
Face à plusieurs interprétations possibles du droit national, il s’agit de choisir
celle qui respecte le droit européen43.
Quant à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales, les décisions de la Cour européenne des droits de
l’homme contribuent à en assurer la primauté. Un arrêt de condamnation de

39 C.J.U.E. (Ass. Pl.), 18 décembre 2014, avis 2/13.


40 Cass., 27 mai 1971, Pas., 1971, I, p. 919.
41C.J.C.E., 5 mars 1996, aff. jointes C-46/93 : Brasserie du pêcheur, et C-48/93, Factortame, Rec.,
1996, p. I-1134.
42C.J.C.E., 13 novembre 1990, aff. C-106/89 : Marleasing, Rec., 1990, p. I-4156. Au moment où cet
arrêt a été rendu, on parlait d’une interprétation conforme au droit communautaire.
43 Comp. avec la notion d’interprétation conciliante (infra, ch. 9).

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

cette juridiction européenne peut conduire la Belgique à devoir modifier sa


législation si elle ne veut pas s’exposer à une nouvelle condamnation. Ainsi, par
exemple, dans le célèbre arrêt Marckx du 13 juin 197944, la Cour européenne des
droits de l’homme a considéré que la législation belge relative au statut des
enfants naturels et à leur vocation successorale ne respectait pas le droit au
respect de la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des
droits de l’homme. A la suite de cette décision, le législateur belge a dû intervenir
pour modifier la loi critiquée en supprimant les différences de statut entre
enfants légitimes et naturels. Du reste, le droit belge est parfois amendé suite à
la condamnation d’un Etat dont le droit positif est comparable au droit belge sur
le point ayant fait l’objet de la condamnation. Ainsi, par exemple, c’est l’arrêt
Salduz c. Turquie45 qui a conduit à la reconnaissance du droit à l’assistance d’un
avocat dès le premier interrogatoire pour assurer l’effectivité du droit au silence.
La Cour constitutionnelle joue également un rôle important pour assurer
le respect, par le législateur belge, des traités relatifs à la protection des droits de
l’homme. Lorsqu’elle exerce son contrôle de constitutionnalité des lois en rapport
avec des droits fondamentaux également protégés par des traités internationaux,
elle vérifie si la loi soumise à son examen respecte, non seulement la disposition
concernée du Titre II de la Constitution, mais également les règles de droit
international ayant le même objet. Dans l’hypothèse où le droit fondamental
garanti ne se trouve pas inscrit au Titre II, la Cour constitutionnelle reçoit le
moyen fondé sur sa violation à la condition qu’il combine la norme supranationale
pertinente aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B. Conflit entre normes européennes de rangs différents

1. La primauté du droit primaire sur le droit dérivé

Parmi les règles de droit international, le droit européen forme un


véritable ordre juridique supranational à l’intérieur duquel des conflits de
normes sont susceptibles de se poser. Ils sont réglés par le principe de la
primauté du droit primaire (les traités) sur le droit dérivé (les règlements,
directives, décisions, etc. pris par les institutions européennes en vertu des
traités).

2. L’exercice du contrôle

La primauté du droit primaire sur le droit dérivé est assurée à deux


niveaux. Dans l’ordre européen, la Cour de justice connaît des recours en

44 Série A, n° 31.
45 Cour eur. dr. h. (GC), Salduz c. Turquie, 27 novembre 2008.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

annulation* dirigés contre les actes des institutions de l’Union européenne. Par
ailleurs, les juridictions nationales jouent également un rôle important en posant,
à cette même Cour de justice, des questions préjudicielles en appréciation de
validité* qui sont soulevées à l’occasion des litiges particuliers dont elles sont
saisies (supra, ch. 3).

C. Constitution v. autre norme de droit interne

1. Le principe de la primauté de la Constitution dans l’ordre


interne

La supériorité de la Constitution découle de sa nature. Elle incarne le


pouvoir constituant qui fonde les autres pouvoirs. Dans cette perspective l’article
187 dispose que « La Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie ».
Et l’article 188 déclare : « A compter du jour où la Constitution sera exécutoire,
toutes les lois, décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires
sont abrogés ». Sans oublier l’article 33 selon lequel « Tous les pouvoirs émanent
de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution ».

2. L’exercice du contrôle de la constitutionnalité des lois

La section de législation du Conseil d’Etat exerce un contrôle préventif


pour assurer le respect de la Constitution par le pouvoir législatif. Dans ses avis,
qui sont non contraignants, sur les avant-projets et propositions de texte
législatif, elle ne manque pas de dénoncer les contrariétés de ces derniers avec la
Charte fondamentale.
Quant au contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois, il n’a pas
existé pendant plus de cent cinquante ans. Avant la création de la Cour
constitutionnelle dans les années 1980 (à l’époque appelée Cour d’arbitrage),
aucune disposition de la Constitution ne prévoyait ni n’excluait un tel contrôle.
La Cour de cassation, dans une jurisprudence constante46, a toutefois considéré
qu’il n’appartenait pas au pouvoir judiciaire de trancher un conflit entre une loi
et la Constitution. Elle a, à de nombreuses reprises, décidé que les cours et
tribunaux n’étaient pas compétents pour écarter l’application d’une loi
anticonstitutionnelle. Une telle position reposait notamment sur une conception
étroite du principe de la séparation des pouvoirs. Sur le plan symbolique, il
n’apparaissait pas légitime qu’un organe juridictionnel sanctionne l’œuvre des
représentants de la Nation. Il n’en va pas de même partout. Les Etats-Unis, le

46 Du moins, jusqu’à son arrêt controversé du 3 mai 1974, Pas., 1974, I, p. 911. Sur les
interprétations multiples auxquelles a donné lieu cet arrêt, voy. I. RORIVE, Le revirement de
jurisprudence. Etude de droit anglais et de droit belge, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 227-234, n°
202-205.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Canada, la Suisse et l’Australie connaissent notamment un contrôle diffus de


constitutionnalité des lois. Toutes les juridictions sont habilitées à vérifier si la
loi applicable au litige qui leur est soumis ne méconnaît pas la Constitution.
La Cour de cassation a néanmoins apporté un tempérament notable à cette
jurisprudence. Dans son arrêt Waleffe du 25 avril 195047, elle a décidé que le
législateur est présumé respecter la Constitution et que la loi doit être
interprétée par les juges dans un sens conforme aux dispositions de celle-ci. En
l’espèce, une loi de pouvoirs spéciaux visant à redresser les finances de l’Etat
autorisait le Roi à « modifier ou compléter la législation relative aux rétributions,
subventions, indemnités et allocations de toute nature qui sont à charge de
l’Etat ». Se fondant sur le libellé très large de cette législation, un arrêté royal
fixa des plafonds pour la pension des magistrats émérites. Monsieur Waleffe,
magistrat émérite, porta l’affaire en justice et invoqua l’inconstitutionnalité de
cet arrêté royal au regard de l’article 152 de la Constitution qui stipule que la
pension des juges est fixée par la loi. La Cour de cassation écarta cet arrêté royal
en raison de son inconstitutionnalité tout en donnant une interprétation de la loi
de pouvoirs spéciaux conforme à la Constitution. Ainsi, alors que la formulation
large de cette législation ne permettait pas d’exclure a priori la situation
pécuniaire des magistrats émérites, la Cour de cassation lui donne une portée
plus étroite en postulant que le législateur a nécessairement respecté la
Constitution.
Depuis 1989, un contrôle partiel de constitutionnalité des lois est instauré
en Belgique. Au contentieux de l’annulation et au contentieux préjudiciel, la Cour
constitutionnelle est aujourd’hui compétente pour vérifier si une norme
législative est conforme aux dispositions suivantes de la Constitution :
- le Titre II (« Des Belges et de leurs droits ») qui comprend les articles 8 à
32 ;
- les articles 143, § 1er (loyauté fédérale), 170 (légalité de l’impôt), 172
(égalité devant l’impôt) et 191 (égalité entre Belges et étrangers) (supra,
ch. 3).

D. Norme de nature législative v. norme de nature


réglementaire

1. Le principe de la primauté de la loi sur le règlement

Dans l’exercice de leur fonction réglementaire, les organes du pouvoir


exécutif sont tenus de respecter les normes législatives. Cette subordination des
arrêtés et règlements aux lois découle notamment de l’article 108 de la
Constitution qui dispose que « Le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires

47 Pas., 1950, I, p. 560 et les conclusions du procureur général L. Cornil.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes,
ni dispenser de leur exécution ».

2. L’exercice du contrôle

Ici aussi, la section de législation du Conseil d’Etat exerce un contrôle


préventif en amont. Dans les avis qu’elle rend sur les projets de règlement et
d’arrêté, elle vérifie la compatibilité des textes qui lui sont soumis avec les
normes législatives en vigueur.
En aval, les cours et tribunaux jouent un rôle fondamental pour garantir le
respect du principe de la primauté de la norme législative sur la norme
réglementaire. Dans les litiges qui leur sont soumis, ils sont tenus d’écarter les
règlements illégaux. Ce contrôle de la légalité qui s’effectue ainsi par voie
d’exception leur est confié par l’article 159 de la Constitution : « Les cours et
tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et
locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois ». Dans la pratique, l’ensemble
des juridictions est habilité à refuser d’appliquer un règlement illégal sur la base
de l’article 159 de la Constitution.
Toujours en aval, un deuxième contrôle est prévu, mais cette fois par voie
d’action et devant la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat. Cette
haute juridiction administrative est compétente pour connaître des recours en
annulation contre des normes prises par des autorités administratives dans les
soixante jours de leur entrée en vigueur (supra, ch. 3).

E. Conflit entre normes de nature réglementaire de rangs


différents

1. Le principe de la subordination hiérarchique

Les normes réglementaires sont subordonnées les unes ou autres en


fonction de la position hiérarchique qu’occupe leur auteur. Les règlements
communaux doivent être conformes aux règlements provinciaux qui eux-mêmes
doivent respecter les arrêtés et règlements de l’autorité fédérale ou des autorités
régionales et communautaires. Les arrêtés ministériels doivent être conformes
aux arrêtés royaux.
Quant aux actes administratifs à caractère individuel, ils sont dépourvus
de portée normative. Ils sont tenus de respecter les règles sur lesquelles ils se
fondent.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2. L’exercice du contrôle

Le principe de la subordination hiérarchique des normes réglementaires


est mis en œuvre par voie d’exception devant l’ensemble des juridictions. Au
contentieux objectif*, un recours en annulation est prévu devant la section du
contentieux administratif du Conseil d’Etat. Enfin, les règlements des pouvoirs
locaux sont soumis à la tutelle* dont les modalités sont organisées par la loi
(supra, ch. 3).

F. La place des principes généraux du droit

La plupart des principes généraux du droit ont « force législative ». Leur


valeur dans la hiérarchie des normes s’identifie à celle de la loi. Le législateur
peut y déroger comme il peut déroger à toute disposition législative48.
Certains principes généraux du droit ont une valeur constitutionnelle et
donc supérieure à celle de la loi. Ils peuvent être exprimés dans le texte même de
la Constitution comme le principe d’égalité (art. 10) ou celui de non-
discrimination (art. 11). Ils peuvent également être dégagés par la jurisprudence.
Enfin, la valeur de certains principes généraux du droit s’apparente au
droit international, soit qu’ils sont formulés dans des textes internationaux, soit
qu’ils sont consacrés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne. Ainsi, par exemple, si la
non-rétroactivité de la loi est un principe général du droit en toutes matières, il a
une force particulière en droit pénal en vertu de l’article 7 de la Convention
européenne des droits de l’homme qui interdit qu’une action ou une omission
puisse être érigée en infraction alors qu’elle n’avait pas ce caractère au moment
des faits49.

IV. La compétence

A. Dans l’ordre juridique belge

Dans l’ordre interne, le critère de la compétence de l’auteur de la norme


juridique permet de dépasser un conflit entre des règles de rang identique,
également applicables au même moment sur un même territoire.

48W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, « Propos sur le texte de la loi et les principes généraux du
droit », Discours prononcé à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le 1er
septembre 1970, J.T., 1970, p. 568.
49 Voy. supra, ce chapitre, cette section, au point II. C.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

A la suite de la fédéralisation de la Belgique, la question de la compétence


de l’auteur d’une norme législative ou réglementaire revêt, dans la pratique, une
importance considérable. En vertu de lois votées à la majorité spéciale*, les
entités fédérées ont reçu des compétences dans de nombreuses matières, dont les
frontières claires ne sont pas toujours aisées à tracer (supra, ch. 3).
Ici aussi, la section de législation du Conseil d’Etat exerce, par
l’intermédiaire de ses avis, un contrôle préventif quant au respect des règles de
répartition de compétences par les différents parlements et gouvernements. Ce
contrôle est renforcé dans la mesure où, même en cas d’urgence, le Conseil d’Etat
doit à tout le moins rendre un avis sur cette question. De surcroît, si cette
institution considère que le projet de texte qui lui est soumis viole les règles de
répartition de compétences, le Comité de concertation sera saisi et un accord
politique devra être trouvé (supra, ch. 3).
La Cour constitutionnelle qui, à l’origine, a été créée pour veiller au
respect des lois spéciales de répartition de compétences par les différents
législateurs, connaît des recours en annulation et des questions préjudicielles
dans lesquelles elle examine si l’auteur de la norme législative qui lui est soumise
est bien resté dans la sphère de ses attributions. Elle annule ou déclare
inapplicables les règles édictées par une autorité qu’elle juge incompétente en la
matière.
Quant aux normes de nature réglementaire, leur défaut de conformité aux
lois spéciales de répartition de compétences peut bien évidemment être
sanctionné par un recours en annulation devant la section du contentieux
administratif du Conseil d’Etat ou par l’application de l’article 159 de la
Constitution devant l’ensemble des juridictions.

B. Dans l’ordre juridique européen

Les compétences de l’Union européenne sont des compétences


d’attribution. Les institutions de l’Union ne peuvent agir que dans les domaines
où les Etats membres les ont habilitées à agir.
Depuis le traité de l’Union européenne signé à Maastricht en 1992, les
règles fixant la répartition des compétences entre les Etats membres et les
institutions européennes ont été chapeautées par un principe original : celui de la
subsidiarité qui veut que les décisions soient prises « aussi près que possible des
citoyens »50.
La subsidiarité apparaît comme un principe politique qui vise à concilier
deux objectifs : la poursuite de l’intégration européenne et la proximité dans la
prise de décision. Il est symptomatique de relever à cet égard que le principe de

50 Art. 10, § 3 TUE.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

subsidiarité a reçu les faveurs tant des partisans d’une plus grande intégration
européenne que des Etats jaloux de leur souveraineté.
La subsidiarité est toutefois plus qu’un principe politique. C’est une
véritable règle juridique qui modèle l’exercice de ses compétences par l’Union
européenne. Dans cette perspective, l’article 5, § 3 du traité de l’Union
européenne prévoit que « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence
exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de
l’action envisagée ne peuvent être atteints de manière suffisante par les Etats
membres, tant au niveau central qu’au niveau régionale et local, mais peuvent
l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au
niveau de l’Union »51.
Le principe de subsidiarité ne modifie pas en tant que tel les règles de
répartition de compétences entre les institutions européennes et les Etats
membres. Il implique toutefois que l’Union n’a pas toujours le pouvoir
d’intervenir dans des domaines relevant a priori de sa compétence. En d’autres
termes, le respect du principe de subsidiarité conditionne la validité de la norme
européenne.
Le contrôle du respect de la subsidiarité s’effectue à deux niveaux :
- En amont, les institutions européennes et, plus particulièrement la
Commission, sont tenues de vérifier que l’action envisagée respecte le
principe de subsidiarité et de motiver à cet égard le bien-fondé de l’action
qu’elles proposent. Par ailleurs, depuis le traité de Lisbonne, les
parlements nationaux ont la capacité d'alerter publiquement les
institutions européennes, mais aussi leur propre gouvernement, sur tout
projet d'acte législatif européen qui ne leur paraîtrait pas respecter le
principe de subsidiarité52.
- En aval, la Cour de justice de l’Union européenne contrôle le respect de la
subsidiarité à l’occasion des recours qui lui sont soumis, principalement
les recours en annulation* et les questions préjudicielles en appréciation
de validité*.

51 Les domaines dans lesquels l’Union dispose d’une compétence exclusive sont peu nombreux. Il
s’agit principalement de la politique monétaire et de la conservation des ressources maritimes.
52Art. 5, § 3, al. 2 TUE ainsi que le protocole n°2 sur l'application des principes de subsidiarité et
de proportionnalité, annexé au traité de Lisbonne.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Section 4 : Les branches du droit

Le foisonnement des normes juridiques conduit, pour assurer


l’organisation systématique de l’ordre juridique, à leur classement par matières,
dans des catégories que l’on appelle branches du droit*53.

I. Présentation

Le droit belge, comme d’ailleurs l’ensemble des droits qui relèvent de la


famille* dite romano-germanique54, fait l’objet d’une scission majeure entre,
d’une part, le droit public* et, d’autre part, le droit privé*. C’est sur la base de
cette summa divisio55 que se réalise traditionnellement l’agencement des autres
catégories juridiques.

A. La summa divisio : droit public et droit privé

Le droit public* recouvre « l’ensemble des règles relatives au statut des


gouvernants, à leurs pouvoirs et aux rapports qu’ils entretiennent entre eux ou
avec les particuliers »56. Ainsi entendue, la notion de droit public s’oppose à celle
de droit privé* qui régit les rapports entre les particuliers.
Ce n’est pas tant la qualité des parties en cause que le caractère de leur
relation qui détermine la nature publique ou privée de la règle applicable. Il ne
suffit donc pas que l’Etat intervienne dans un rapport social générateur de droit
pour que celui-ci tombe dans le champ du droit public. Si l’Etat achète un
immeuble pour y abriter son administration, il agit en tant que personne privée
et ce sont les règles du Code civil relatives à la vente qui seront applicables. A

53 Voy. I. RORIVE, « Les structures du système juridique », Rapports belges au Congrès de


l’Académie internationale de droit comparé (Brisbane, 14-20 juillet 2002), Bruxelles, Bruylant,
2002, pp. 3-21, également publié dans La structure des systèmes juridiques, Bruxelles, Bruylant,
2003, pp. 177-194.
54R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, Les grands systèmes de droit contemporains, Paris, Dalloz,
1988, 9ème éd., p. 84.
55 Voy. E. PICARD, « Pourquoi certaines branches du droit échappent-elles à la summa divisio ? »,
in B. BONNET et P. DEUMIER (eds.), De l’intérêt de la summa divisio droit public-droit privé, Paris,
Dalloz, 2010, pp. 65-95.
56D. BATSELE, T. MORTIER, M. SCARCEZ, Initiation au droit constitutionnel, Bruxelles, Bruylant,
2014, 2ème éd., p. 22.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

l’inverse, lorsque l’Etat exproprie un particulier pour obtenir un tel immeuble, il


agit en tant que puissance publique* et son acte relève du droit public57.

B. Les branches du droit public

La notion de droit public qui, dans son acception large, « recouvre toutes
les manifestations de la puissance publique »58 est elle-même éclatée en
différentes catégories. On y range habituellement le droit public au sens
restreint* ou droit constitutionnel*, le droit administratif*, le droit fiscal*, le
droit pénal* et la procédure pénale*, le droit judiciaire privé* et une partie du
droit social* que l’on nomme sécurité sociale*.

1. Le droit constitutionnel ou droit public au sens strict

Le droit constitutionnel* « est la partie du droit public au sens large qui


comprend l’ensemble des règles essentielles fixant au sein de l’Etat, d’une part,
l’organisation, le fonctionnement et les attributions des organes supérieurs de la
puissance publique et, d’autre part, le contenu et les garanties des droits
fondamentaux de l’individu »59. Le domaine du droit constitutionnel ne se limite
donc pas aux rouages de l’Etat articulés autour des trois pouvoirs qui émanent de
la nation (supra, ch. 3). Relèvent également de son champ d’application les droits
de l’homme et les libertés fondamentales (infra, ch. 6).
Les règles du droit constitutionnel ne sont pas toutes consignées dans la
Constitution. La charte fondamentale de la Belgique a été complétée et adaptée
aux réalités sociales par la cristallisation de coutumes* à valeur
constitutionnelle. En outre, certains aspects de cette matière sont réglés par le
législateur, parfois en vertu d’une habilitation expresse de la Constitution60.
Parmi ces législations, une attention particulière doit être réservée aux lois
spéciales*, véritables compléments de la Constitution.

2. Le droit administratif

La démarcation entre le droit constitutionnel et le droit administratif*


s’opère par la distinction entre, d’une part, les gouvernants proprement dits qui

Voy. H. BOCKEN and W. DE BONDT (ed.), Introduction to Belgian Law, Bruxelles, Bruylant, The
57

Hague – London – Boston, Kluwer Law International, 2001, p. 44.


58J. VELU (avec la collaboration de Ph. Quertainmont et de M. Leroy), Droit public, Bruxelles,
Bruylant, 1986, t. I : « Le statut des gouvernants », p. 13.
59 J. VELU, op. cit, 1986, t. I, p. 16.
60Voy., par exemple, le régime de la responsabilité des ministres dans l’article 103 de la
Constitution (infra, ch. 6).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

prennent les décisions de principe et assurent au plus haut niveau la conduite


des affaires de l’Etat et, d’autre part, les administrateurs qui mettent ces
décisions en œuvre et veillent à l’exécution quotidienne des normes législatives et
au bon fonctionnement des services publics. On entend ainsi par droit
administratif « l’ensemble des règles juridiques, autres que celles de droit
constitutionnel, qui régissent l’organisation, les attributions et les modalités de
fonctionnement des structures administratives d’un Etat. Ce droit est destiné à
régir une activité – l’activité administrative – qui poursuit la satisfaction de
besoins considérés d’intérêt général, soit des besoins multiples et variés et qui
surtout varient fréquemment au gré des contingences sociales, politiques et
économiques »61. Les prérogatives de la puissance publique* et les lois du service
public* sont les domaines par excellence de cette branche du droit (infra, ch. 6).
Celle-ci vise également des matières plus spécialisées telles que l’aménagement
du territoire ou le droit de l’expropriation.
Les principes qui régissent l’action administrative sont, pour certains,
inscrits dans la Constitution. La plupart sont consignés dans des législations
éparses qui n’ont jamais fait l’objet d’une codification d’ensemble. Le Conseil
d’Etat, créé par une loi du 23 décembre 1946, a largement contribué, dans sa
jurisprudence*, à l’élucidation des principes qui gouvernent le droit
administratif. Une partie des litiges qui mettent en jeu les règles de droit
administratif est ainsi confiée à des juridictions spécialisées (supra, ch. 3) dont
l’organisation et les règles de procédure relèvent du contentieux administratif*.

3. Le droit fiscal

Le droit fiscal* « comprend l’ensemble des règles relative à l’impôt, à la


fiscalité et à l’administration fiscale », se situant ainsi « au sein même de la
relation entre le contribuable et le pouvoir public » 62. Il s’organise autour des
notions d’impôts directs* et d’impôts indirects*. Les premiers frappent des
situations qualifiées de durables (patrimoine, travail, etc.) et sont payés
directement par le contribuable à l’administration fiscale. Les seconds sont
prélevés à l’occasion d’opérations au cours desquelles des biens sont mis en
circulation (taxe sur la valeur ajoutée pour l’achat d’un bien meuble, droits
d’enregistrement pour l’acquisition d’un bien immeuble, etc.).
Le droit fiscal fait l’objet d’une multitude de législations (dont le Code des
impôts sur les revenus ou le Code de la taxe sur la valeur ajoutée) et de
réglementations diverses. Des dispositions constitutionnelles en fixent les
principes fondamentaux : nature législative de l’impôt (art. 170), annualité de
l’impôt (art. 171), égalité devant l’impôt (art. 172), etc.

61P. GOFFAUX, Dictionnaire élémentaire de droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 236-
239.
62A. BLAFFART et F. GODDEVRIENDT VAN OYENBRUGGE, L’essentiel du droit fiscal, Bruxelles,
Academic and Scientific Publishers, 2009, p. 11.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

4. Le droit pénal et la procédure pénale

Le droit pénal* concerne les délits et les peines. Il se définit comme étant
« la régulation par l’Etat de la vie en société au moyen, d’une part, de
l’incrimination des comportements par lui jugés contraires à l’ordre social et
attentatoires aux valeurs humaines communément admises et, d’autre part, de la
détermination des personnes susceptibles d’en être déclarées pénalement
responsables »63. Les règles du droit pénal ainsi défini sont étroitement liées aux
règles d’organisation, de compétence et de procédure qui en assurent la mise en
œuvre concrète. Ces dernières relèvent de ce qu’il est convenu d’appeler le droit
de la procédure pénale*, lequel fait l’objet du Code d’instruction criminelle adopté
en 1808 (infra, ch. 8).
Le droit pénal est lui-même divisé en droit pénal général* et en droit pénal
spécial*. Le premier fixe les principes qui ont vocation à régir l’ensemble des
comportements pénalement punissables (application de la loi pénale dans le
temps et dans l’espace, régime de la tentative, de la participation et de la
récidive, causes de justification et d’excuses, circonstances atténuantes et
circonstances aggravantes, classification et extinction des peines, etc.). Les cent
premiers articles du Code pénal du 8 juin 1867 règlent les questions de droit
pénal général. Quant au droit pénal spécial*, il détermine les modalités des
infractions particulières. On parle de droit pénal des affaires* lorsque la
« criminalité en col blanc » est visée. Outre la deuxième partie du Code pénal, de
nombreuses dispositions de droit pénal spécial sont insérées dans des lois
particulières.

5. Le droit judiciaire privé

Le droit judiciaire privé* ou le droit judiciaire* ou encore le droit de la


procédure civile comprend « l’ensemble des règles qui gouvernent l’organisation
et le fonctionnement de la justice en vue d’assurer aux particuliers la mise en
œuvre et la sanction de leurs droits »64. Comme pour le droit de la procédure
pénale, il s’agit de procurer leur pleine efficacité à des règles de fond. Ces règles
encadrent ainsi « la solution juridictionnelle des litiges mettant en œuvre des
droits subjectifs et […] l’exécution des jugements et autres titres exécutoires »65.
Le droit judiciaire privé est en quelque sorte un « droit d’accompagnement »
d’autres branches du droit, plus particulièrement du droit civil, du droit
commercial et du droit du travail, sans omettre certains aspects de droit fiscal et
de droit administratif.

63F. KUTY, Principes généraux du droit pénal belge. Tome I : la loi pénale, Bruxelles, Larcier,
2009, 2ème éd., p. 19.
64A. FETTWEIS, A. KHOL et G. DE LEVAL, Droit judiciaire privé, Liège, Presses Universitaires de
Liège, 1976, 4ème éd., fas. 1, p. 2. Ces auteurs reprennent la définition proposée par Solus et Perrot
dans leur Droit judiciaire privé.
65 G. DE LEVAL, Éléments de procédure civile, Bruxelles, Larcier, 2003, p. 1.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

A nouveau, le Constituant a arrêté plusieurs principes généraux en la


matière, comme la compétence de principe des cours et tribunaux de l’ordre
judiciaire pour « les contestations qui ont pour objet des droits civils » (art. 144) et
leur compétence de droit commun pour « les contestations qui ont pour objet des
droits politiques » (art. 145)66. Pour le reste, le cœur du droit judiciaire privé se
trouve dans le Code judiciaire du 10 octobre 1967, tel qu’il est interprété et
complété par la jurisprudence, notamment de la Cour de cassation. Ce Code
détermine le droit commun de la procédure (infra, ch. 8).

6. Le droit de la sécurité sociale

Le droit de la sécurité sociale* est « la partie du droit social qui règlemente


les conséquences de l’exercice d’une activité professionnelle lorsque cet exercice
est suspendu ou interrompu ainsi que les conséquences de cet exercice sur la vie
familiale »67. Il vise à protéger financièrement les individus contre certains
risques sociaux, en leur assurant des revenus de complément ou de
remplacement. Ces risques sociaux sont multiples. Ils vont de la maladie au
décès, en passant par l’invalidité, mais aussi de la maternité à la vieillesse, ou de
l’accident du travail au chômage.
La sécurité sociale, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est née suite à
l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 (infra, ch. 6). Réservée initialement aux seuls
travailleurs salariés, elle a progressivement été étendue aux travailleurs
indépendants et à des non-travailleurs. Elle s’articule encore actuellement autour
de ces catégories de personnes dont les droits aux prestations diffèrent
considérablement.

C. Les branches du droit privé

Traditionnellement, le droit privé est divisé en deux parties : le droit civil*


et le droit commercial*. Aujourd’hui, la majorité des auteurs y incluent
également le droit du travail*.

1. Le droit civil

Dans la conception classique qui reste largement dominante, le droit civil*


représente la branche du droit privé par excellence. Les règles qu’il comprend ont
vocation à s’appliquer à l’ensemble des rapports entre les particuliers, sauf
dérogation. C’est dans ce sens que le droit civil se définit comme la partie du droit

66 Voy. supra, ch. 3.


67C. WANTIEZ et A. RASNEUR, Introduction au droit social, Bruxelles, Larcier, 2007, 7ème éd., p.
123.

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privé qui constitue le droit commun des rapports entre particuliers. Pour citer
l’éloquent professeur Henri De Page, auteur d’un Traité élémentaire de droit civil
fleuve, le droit civil « fixe les notions essentielles qui commandent et vivifient
toutes les autres, quelles que soient leur nature et leurs modalités. Il est, parmi
les rameaux spécialisés du droit privé, le vieux tronc qui les forma, et leur
dispense encore sève et vie »68.
Même si l’ensemble du droit civil n’est plus de nos jours contenu dans le
Code civil (ou Code Napoléon) promulgué originairement en 1804, ses divisions
restent largement influencées par la structure de ce Code. Les principaux
domaines du droit civil sont ainsi :
- le droit des personnes, relatif à la condition juridique des individus. Il
comprend traditionnellement les notions de nom*, de domicile*, d’état
civil* et d’attributs de la personnalité* (infra, ch. 7) ;
- le droit de la famille : dans ses aspects personnels, il règle notamment
le mariage et la parenté ; dans ses aspects patrimoniaux, il concerne les
régimes matrimoniaux et les successions, auxquelles se rattachent les
libéralités ;
- le droit des biens qui procède à leur classification (entre biens meubles
et biens immeubles) et qui définit les droits dont ils sont susceptibles de
faire l’objet ;
- le droit des obligations qui détermine leurs sources (acte* ou fait*
juridique), leurs modes de transmission (cession de créances*,
subrogation personnelle, etc.), leurs modes d’extinction (paiement, force
majeure, etc.), et bien d’autres choses encore ;
- le droit des contrats spéciaux qui règle plus particulièrement le régime
juridique applicable à certains contrats dits ‘nommés’, comme la vente,
le contrat d’entreprise, le bail, etc.

2. Le droit commercial

Le droit commercial* est le droit qui s’applique aux commerçants


(conception subjective liée à la personne) et aux actes de commerce (conception
objective liée aux actes passés)69. Issu du ius mercatorum de l’ancien droit, le
droit commercial fût construit comme un « droit privé d’exception »70 et entend
répondre aux besoins propres de la vie des affaires et notamment à l’exigence de
célérité et de sécurité que rencontrent mal certaines règles du droit civil. Ainsi,
pour satisfaire au rythme des échanges commerciaux, le régime de la preuve est

68 H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, Bruxelles, Bruylant, 1933, 1ère éd., p. 9, n°
2.
69 Y. DE CORDT et al., Manuel de droit commercial, Bruxelles, Anthémis, 2ème éd., 2011, pp. 16 et s.
70 G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, Paris, L.G.D.J., t.1, 16ème édition, 2002, p.
9.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

moins exigeant en cette matière. Par ailleurs, afin de réduire les risques liés à
l’insolvabilité de débiteurs particuliers, le principe de la division de la dette entre
codébiteurs s’est vu supplanté par celui de la solidarité* en vertu duquel chaque
codébiteur est tenu au paiement de l’intégralité de la créance.
Une partie du droit commercial est encore aujourd’hui contenue dans le
Code de commerce promulgué en 1807. Les profondes transformations du monde
économique ont toutefois entraîné de nombreux remaniements normatifs et, à
l’heure actuelle, le Code de commerce se présente plus comme un amas de
dispositions désordonnées que comme un véritable Code, sans compter les
nombreuses législations particulières qui se sont développées en marge de celui-
ci. Au vu de l’explosion que connaît cette matière, l’on a désormais tendance à
parler de droit économique* ou encore de droit des entreprises.71 Cette dernière
branche du droit particulièrement vaste englobe le droit des sociétés, le droit
bancaire et financier et le droit commercial au sens strict, auquel se rattachent le
droit maritime et le droit aérien.

3. Le droit du travail

Le droit du travail*, la troisième branche du droit privé, est également


conçu comme un droit d’exception au droit civil. « Il réglemente les rapports
qu’engendre l’exercice d’une activité professionnelle en qualité de travailleur
indépendant ou salarié »72. Autrement dit, c’est « la partie du droit social qui
s’applique aux relations individuelles et collectives de travail qui se nouent entre
les employeurs privés et les travailleurs placés sous leur autorité, ainsi qu’aux
rapports que ceux-ci ont avec les autorités publiques, dans le cadre de ces
relations »73.
Ce n’est qu’à la fin du dix-neuvième siècle que les relations de travail
commencèrent à être soustraites au régime de la liberté contractuelle et à
l’interdiction des associations professionnelles hérités de la Révolution. L’effet de
tels principes, un déséquilibre contractuel flagrant, se révéla désastreux pour la
condition ouvrière dans une société industrielle en plein essor et entraîna un
mouvement de contestation important. Progressivement, le caractère
essentiellement asymétrique de la relation de travail, dû à la dépendance
économique qui lui est inhérente, fut compensé par des normes impératives*
destinées à protéger les travailleurs. A l’instrument législatif, une autre source
de régulation s’est aujourd’hui substituée : les conventions collectives de travail*
qui sont le résultat de négociations entre les groupements de travailleurs et les
groupements d’employeurs (infra, ch. 6). Néanmoins, le rôle du législateur

71 Y. DE CORDT et al., Manuel de droit commercial, Bruxelles, Anthémis, 2ème éd., 2011, p. 16.
72Il ne comprend donc pas les fonctionnaires, voy. C. WANTIEZ et A. RASNEUR, Introduction au
droit social, Bruxelles, Larcier, 2007, 7ème éd., p. 6.
73E. CEREXHE (avec la collaboration de J.-L. Van Boxstael), Introduction à l’étude du droit – Les
institutions et les sources du droit, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 424.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

demeure fondamental dans cette matière, notamment pour assurer un régime


protecteur des droits du travailleur par l’intermédiaire de dispositions
impératives. La loi du 3 juillet 1978 sur le contrat de travail, modifiée à de
nombreuses reprises, constitue toujours la pierre angulaire du droit du travail.

II. Limite et importance de la classification en branches du


droit

La division du droit belge en branches doit être comprise pour ce qu’elle


est : une construction intellectuelle qui ne préexiste pas à l’intervention des
juristes. Il ne s’agit que d’un outil mis au service de la connaissance et de
l’application du droit. Et cet outil n’est pas à l’abri des critiques.
1° Les frontières entre certaines branches du droit manquent de clarté.
Ainsi, la démarcation entre droit public et droit privé ou entre droit
constitutionnel et droit administratif n’est pas toujours aisée à cerner. De
surcroît, l’étiquette que le législateur accole à son œuvre peut être source
de confusion. Le Code civil contient ainsi des dispositions étrangères au
droit civil proprement dit. L’on songe, par exemple, aux règles relatives au
domaine public (art. 538 et s.) et aux servitudes d’utilité publique (art. 649
et s.) qui sont traditionnellement rattachées au droit administratif.
2° L’émergence de catégories nouvelles ne s’accompagne pas de
changements structurels avoués. Les derniers nés sont le plus souvent
coulés dans le moule existant et reçoivent une partie des attributions des
catégories traditionnelles. L’exemple de la « propriété » intellectuelle est
éloquent à cet égard. Or, avec l’émergence de l’Etat-providence après la
deuxième guerre mondiale, l’intervention des autorités publiques a porté
sur des aspects de la vie sociale et économique de plus en plus étendus
(infra, ch. 6). Les branches du droit qui sont le produit de cette tendance
(droit de la sécurité sociale, droit des médias, droit de l’environnement,
etc.) revêtent un caractère mixte, à la fois public et privé que les structures
actuelles du système juridique ne permettent pas de traduire.
3° Enfin, la division traditionnelle du système juridique en branches
du droit omet de rendre compte de la dynamique qui les anime et des
déplacements qui s’opèrent. Aujourd’hui, on dit que le droit civil se
commercialise. On observe un mouvement subtil entre droit public et droit
privé qui se traduit par une publicisation de ce dernier doublée d’une
privatisation du premier. Certaines branches du droit plus récentes
révèlent d’ailleurs dans leur intitulé même leur caractère hybride. Qu’il
suffise de penser au « droit pénal des affaires » ou au « droit pénal social ».
Les différentes catégories juridiques se recoupent et se superposent en
maints endroits. Elles sont de surcroît traversées par des mouvements

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

plus généraux qui bouleversent l’équilibre déjà délicat sur lequel elles
reposent74. Il en est ainsi de la constitutionnalisation du droit que traduit
la mobilisation de plus en plus fréquente des droits de l’homme dans
l’ensemble des conflits de la vie sociale (infra, ch. 6). L’internationalisation,
et plus particulièrement l’européanisation de notre droit, a également une
incidence sur l’agencement des structures de celui-ci. Le développement du
droit européen ébranle, par exemple, la séparation des sphères publiques
et privées. Aux phénomènes de constitutionnalisation et d’européanisation
du droit s’ajoute celui de sa procéduralisation. D’une part, les règles de
procédure sont de plus en plus nombreuses aux côtés des règles de droit
substantiel. D’autre part, les modes de résolution des conflits se
diversifient en marge de l’intervention traditionnelle du pouvoir judiciaire,
comme l’atteste notamment la multiplication des enquêtes parlementaires,
le recours à l’arbitrage*, à la transaction* (qu’elle soit pénale, civile ou
administrative) ou à la médiation* (sous ses formes pénale, familiale ou
civile)75.

La classification des normes juridiques en branches du droit, même


imparfaite, est utile et nécessaire pour agencer et appréhender la multitude de
normes juridiques. Cette organisation imprime profondément l’ordre juridique.
Ses répercussions pratiques sont considérables. La classification en branches du
droit exerce une influence sur l’ordonnancement de la fonction juridictionnelle et
sur la répartition des compétences entre les juridictions. Ainsi, par exemple, la
division du droit privé en droit civil, droit commercial et droit du travail
correspond à la répartition des compétences entre le tribunal de première
instance, le tribunal du commerce et le tribunal du travail (supra, ch. 3). Cette
classification sert aussi de base à l’organisation des études de droit. Elle est
devenue, suite à la spécialisation des juristes, le critère de la division du travail
au sein de cette profession. Elle prédéfinit les domaines dans lesquels les auteurs
de doctrine* poursuivent leurs réflexions et elle oriente souvent l’articulation de
celles-ci. Elle favorise l’élaboration de réglementations d’ensemble dont la
codification* est traditionnellement perçue comme étant la forme la plus achevée.
Elle modèle la structure des codes privés* qui constituent les outils quotidiens
des praticiens du droit. Elle définit « les cotes » que se voient attribuer les
ouvrages juridiques en fonction des matières sur lesquelles ils portent afin de
procéder à leur classement en bibliothèque. Enfin, elle structure les bases de
données juridiques en ligne.

74Voy. B. FRYDMAN, « Le droit, de la modernité à la postmodernité », Réseaux, 2000, n°88-90, pp.


67-76 ; F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, « De la pyramide au réseau ? Vers un nouveau mode de
production du droit ? », R.I.E.J., 2000, pp. 1-83.
75 Sur les modes alternatifs de règlement des conflits, voy. infra, ch. 8, s. 5.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Chapitre 6 : Les fondements juridiques de l’ordre


social

Les règles de droit ont pour effet d’instaurer un certain ordre social. Elles
régissent, d’une part, les rapports entre les gouvernants, qui exercent le pouvoir,
et les gouvernés, et, d’autre part, l’organisation de la vie sociale et les relations
entre les sujets de droit au sein de la société. Dans la première section, on
examinera les principes qui régissent les rapports entre l’Etat (ou les pouvoirs
publics en général) et la société, en particulier le contrôle et les limites apportés
par le droit à l’exercice de la puissance publique dans l’intérêt des citoyens. Dans
la deuxième section, on examinera certaines fonctions et valeurs fondamentales
que l’ordre juridique prétend réaliser, à savoir la sécurité, la liberté, l’égalité et la
régulation des activités humaines.

Section 1 : Le contrôle de la puissance publique

I. La puissance publique

A. Notion

La puissance publique* désigne le pouvoir de l’Etat et des institutions


publiques de donner des ordres aux sujets de droit et de les faire exécuter par la
contrainte si nécessaire. La puissance publique recouvre :
1. les compétences reconnues aux pouvoirs publics d’édicter des règles et de
prendre des décisions à caractère obligatoire ;
2. le monopole de la violence légitime reconnu aux pouvoirs publics, par
l’usage de la force publique ;
3. les moyens d’action considérables, humains, matériels et financiers dont
dispose l’administration, à savoir : les ressources fiscales, le personnel de
la fonction publique, et les biens du domaine public*. Le domaine public
est la partie du patrimoine des personnes publiques* qui est laissée à la
disposition du public ou affectée au service public*.

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B. Prérogatives

L’exercice de la puissance publique s’accompagne de prérogatives


juridiques exorbitantes du droit commun. En d’autres termes, les pouvoirs
publics et l’administration disposent de pouvoirs et de moyens spécifiques, qui
sont déniés aux particuliers. Ainsi, l’administration peut-elle, dans certaines
conditions, s’emparer, même contre leur volonté, de certains biens et ressources
des personnes privées. Tel est le cas de l’expropriation pour cause d’utilité
publique, des réquisitions civiles et militaires, ou encore des prélèvements
fiscaux et taxes.
De manière générale, la puissance publique se voit reconnaître certains
privilèges ou prérogatives, dont le nombre et la portée sont discutés par la
doctrine, mais qui sont classiquement établis au nombre de trois.

1. Le privilège du préalable ou de la décision exécutoire

L’administration a le pouvoir de créer unilatéralement des obligations* à


charge des particuliers. Par sa décision, l’administration se constitue elle-même
un titre exécutoire*. Par exemple, le directeur des contributions inscrit les impôts
qu’il estime dus par chaque contribuable sur un registre, le rôle, qu’il rend lui-
même exécutoire. Les particuliers sont, en principe, tenus d’obéir, quitte à
réclamer ensuite. Toutefois, en cas d’illégalité manifeste et d’urgence, les
administrés peuvent s’adresser au Conseil d’Etat ou aux juridictions judiciaires
pour obtenir la suspension* de l’acte administratif, dans l’attente du règlement
de la contestation.

2. Le privilège de l’exécution d’office

L’administration a non seulement le privilège de prendre des décisions


exécutoires, mais également, dans certains cas, de procéder elle-même à
l’exécution de la décision, si celle-ci n’est pas obéie. Tel est le cas, par exemple,
lorsque l’administration procède à la fermeture d’un établissement décrété
dangereux ou à la destruction d’un immeuble qui menace de s’écrouler sur la voie
publique. Une jurisprudence et une doctrine de plus en plus nombreuses
contestent cependant le caractère automatique de ce privilège. Elles
conditionnent l’exécution d’office au respect de plusieurs conditions (caractère
régulier de la décision de l’administration, absence de solution alternative à
l’exécution d’office, résistance à la décision, urgence, nécessité et
proportionnalité) qui réduisent fortement les possibilités pour l’administration de
mettre en œuvre son privilège de l’exécution d’office.

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3. L’immunité d’exécution forcée

L’administration est tenue à l’égard des particuliers par certaines


obligations qui résultent soit de la législation au sens large, soit des
condamnations prononcées à sa charge par les cours et tribunaux.
Traditionnellement, il était admis que, lorsque l’administration n’exécutait pas
volontairement ses obligations, les particuliers ne pouvaient en poursuivre
l’exécution forcée* sur les biens du domaine public*. Cette absence de voie
d’exécution forcée contre l’administration est classiquement justifiée par le
principe de continuité du service public*. Il ne faudrait pas qu’une saisie
pratiquée sur un bien du domaine public vienne paralyser l’action de
l’administration ou interrompre la prestation d’un service public.
La portée et l’étendue de cette immunité doivent cependant être précisées.
1. L’immunité d’exécution n’empêche pas les juridictions de condamner
l’administration à l’exécution en nature de ses obligations, c’est-à-dire
d’adresser à l’administration de véritables injonctions, qui peuvent être
assorties d’astreintes*. L’immunité d’exécution empêche seulement
l’exécution matérielle de telles condamnations, par voie de contrainte.
2. Il a toujours été admis que cette immunité ne porte que sur les biens du
domaine public*. Elle ne s’étend donc pas aux biens du domaine privé*,
c’est-à-dire aux propriétés des pouvoirs publics qui ne sont pas affectées au
service public.
3. Par contre, l’immunité d’exécution s’étend aux biens de personnes privées
affectés au service public, comme dans le cas des services publics
fonctionnels* (infra, ce ch., cette s., II). Ainsi, il n’est pas permis à un
créancier de la S.T.I.B. de saisir les bus et les trams exploités par la société
pour assurer les transports en commun bruxellois.
4. Enfin, l’article 1412bis du Code judiciaire, inséré par la loi du 30 juin 1994,
a précisé le régime de saisie des biens des administrations publiques, dans
un sens qui relativise le principe d’immunité d’exécution. Il prévoit que
chaque administration dresse et dépose la liste de ses biens saisissables. A
défaut de liste, ou lorsque les biens qui y sont repris sont insuffisants pour
désintéresser76 le créancier*, il peut être procédé à la saisie des biens qui
ne sont manifestement pas utiles à l’exercice de la mission de
l’administration en cause ou pour assurer la continuité du service public.
Les contestations auxquelles donnent lieu ces saisies sont de la compétence
du juge des saisies, qui siège au sein du tribunal civil de première
instance*. Ainsi, par exemple, en mars 2005, l’Etat belge a été condamné
par les juridictions judiciaires77, sous peine d’astreinte*, à cesser d’utiliser
la piste d’atterrissage 02 à l’aéroport de Bruxelles-National en raison des
nuisances sonores causées par cette utilisation. L’Etat n’ayant pas respecté

76 Désintéresser un créancier signifie payer les dettes qui lui sont dues.
77 Bruxelles (réf.), 17 mars 2005, Amén., 2005, liv. 4, p. 308.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

l’arrêt rendu et les astreintes n’ayant pas été payées, la partie


demanderesse a demandé au juge des saisies de procéder à la saisie du
bâtiment Mercator situé rue de la Loi à Bruxelles, ce bâtiment étant un
ancien hôtel désaffecté et mis en vente par l’Etat, signe que ce bâtiment
n’était manifestement pas nécessaire à l’exercice de la mission de l’Etat ni
pour assurer la continuité du service public.

C. Les limites de la puissance publique

Même si ces privilèges traditionnellement reconnus par le droit


administratif* sont actuellement révisés à la baisse, la puissance réelle des
autorités publiques et de l’administration demeure considérable et sans
commune mesure avec la position des particuliers. Il est donc essentiel de veiller
à ce que cette puissance soit exercée dans l’intérêt et le respect de la société, des
citoyens et de leurs droits. Trois notions juridiques fondamentales permettent de
veiller à cet objectif :
1. Le service public* qui impose que la puissance publique soit exercée
exclusivement dans l’intérêt général ou pour l’utilité publique.
2. L’Etat de droit*, c’est-à-dire un Etat dans lequel les pouvoirs publics ne
peuvent agir que sur la base et dans le respect des règles juridiques
auxquelles ils sont assujettis dans l’ensemble de leurs actions.
3. Enfin la démocratie* qui implique que les gouvernants n’exercent pas le
pouvoir pour leur compte propre, mais en tant que représentants des
citoyens, lesquels contrôlent l’exercice de la puissance publique et
participent dans certains cas à la décision publique.

II. Le service public

A. Notion

La puissance publique ne peut être exercée dans l’intérêt particulier des


gouvernants, mais seulement dans l’intérêt général ou pour l’utilité publique.
Quiconque méconnaît ce principe commet un détournement de pouvoir, qui
entache l’acte ou la décision d’irrégularité, sans préjudice d’autres sanctions78.
Les services publics désignent les missions ou activités d’intérêt général
qui justifient l’action des pouvoirs publics. On parle de services publics
organiques* lorsque la mission d’intérêt général est assurée directement par une

78 Par exemple, des sanctions pénales en cas de corruption ou de trafic d’influence.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

personne morale de droit public*, créée et contrôlée par les pouvoirs publics, et
que le service est assuré par des agents publics. Depuis la réforme dite
« Copernic », les administrations centrales, autrefois dénommées « ministères »,
ont été rebaptisées « services publics ».
On parle de services publics fonctionnels* lorsque les pouvoirs publics
délèguent à des personnes privées le soin d’assurer, sous leur contrôle, une
mission d’intérêt général. Ainsi, la société de transports intercommunaux
bruxellois (S.T.I.B.), les ordres des avocats et les jurys d’examen des universités
privées assurent des services publics fonctionnels. La délégation peut s’effectuer
de diverses façons, notamment par l’octroi d’une concession de service public.

B. Les sujétions de l’action administrative

Si l’administration bénéficie de certains privilèges dans l’exercice de la


puissance publique, son action est corrélativement soumise à des sujétions ou
contraintes spécifiques, exorbitantes du droit commun, en vue d’assurer l’exercice
de cette puissance dans l’intérêt général.
1. Les pouvoirs ou compétences attribués à la puissance publique ne créent
pas, dans le chef de l’administration, une simple faculté d’agir, mais bien
une véritable obligation.
2. L’administration est en outre tenue d’exécuter elle-même les missions et
pouvoirs qui lui sont confiés. Le pouvoir public compétent ne peut déléguer
sa compétence à un autre organisme, sauf de manière partielle sur des
points de détail.
3. Lorsque l’administration est saisie d’une question, elle a l’obligation d’y
répondre et de prendre position. Cette décision doit être motivée, de
manière à permettre le contrôle de sa légalité.
4. Lorsque l’administration contracte avec des particuliers pour la fourniture
de biens ou de services, elle ne dispose pas du libre choix de son
cocontractant. Les marchés publics* sont soumis à une procédure de
soumission (appel d’offres, adjudication, procédure négociée ou dialogue
compétitif), ouverte en principe à tous et devant permettre aux meilleurs
candidats de l’emporter et à l’administration de gérer au mieux les deniers
publics.

C. Les lois du service public

Les exigences du service public et de l’intérêt général impliquent en outre


l’application d’un régime juridique spécial, dérogatoire au droit commun, qui
s’applique aux services publics tant organiques que fonctionnels. Ce sont les lois
du service public* qui sont au nombre de trois.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

1. Loi de continuité ou de régularité du service public

De par sa nature même, le service public doit être assuré de manière


continue soit permanente, soit régulière. Ainsi, on ne conçoit pas que les services
de police et de pompiers ne fonctionnent pas 24 heures sur 24, tous les jours de
l’année. D’autres services administratifs, par exemple les services de
l’administration communale, ne supposent pas un fonctionnement continu, mais
à tout le moins un accès régulier aux guichets.
Le principe de continuité du service public emporte d’importantes
conséquences, dont certaines ont déjà été examinées. Ainsi, ce principe a justifié,
durant les deux guerres mondiales, l’établissement de normes législatives par le
Roi seul ou par les ministres réunis en Conseil (supra, ch. 4). De même, la
continuité du service public fonde la théorie des « affaires courantes », selon
laquelle un gouvernement démissionnaire doit rester en place jusqu’à la
désignation du gouvernement suivant et doit, dans l’attente de cette désignation,
expédier les affaires courantes. C’est également la continuité du service public
qui justifie le privilège de la décision exécutoire – le service public ne saurait être
interrompu ou perturbé dès qu’un citoyen conteste un acte de l’administration ou
refuse d’obtempérer – ainsi que l’immunité d’exécution dont jouit l’administration
dans les limites précisées ci-dessus (supra, ce ch., cette s. I.).
Le principe de continuité du service public peut également trouver à
s’appliquer à l’occasion d’actes ou de décisions particulières de l’administration.
Ainsi, le Conseil d’Etat a refusé de suspendre, notamment au nom du principe de
continuité du service public, la décision de la commune de Watermael-Boitsfort
d’écarter temporairement de ses fonctions la directrice d’une école fondamentale
pour raisons disciplinaires et, en même temps, de publier une offre d’emploi sur
internet pour le poste de directrice dans cette école. Le principe de continuité du
service public justifie que la commune, en tant que pouvoir organisateur chargé
d’assurer la continuité de l’enseignement dans l’intérêt des élèves, ait publié
préventivement une telle offre d’emploi pour le cas où la directrice serait, à
terme, non plus temporairement mais définitivement suspendue de ses
fonctions79. De même, dans le cadre d’un litige contestant l’attribution par la
commune d’Auderghem d’un marché de travaux à une entreprise privée,
l’entreprise à qui le marché avait été attribué a soutenu que la décision
d’attribution du marché ne pouvait être annulée, en raison du principe de
continuité du service public, qui requiert que les travaux à réaliser dans le cadre
de ce marché – et portant sur l’extension d’une école – soient terminés pour la
prochaine rentrée scolaire. A défaut, le service public de l’enseignement serait
interrompu dans cette école. La décision d’attribution du marché a toutefois été
suspendue par le Conseil d’Etat, ce dernier estimant que rien ne permettait de
considérer que la mission de service public de l’établissement scolaire serait
effectivement interrompue si les travaux n’étaient pas achevés pour la prochaine

79 C.E., 29 avril 2014 (n° 227.239), arrêt Tasco.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

rentrée scolaire et que, partant, le risque d’atteinte à la continuité du service


public n’était pas établi à suffisance80.

2. Loi du changement ou de la mutabilité du service public

Contrairement au droit commun, les services publics sont autorisés à


modifier unilatéralement les conditions du service et les relations qu’ils
entretiennent avec les usagers, leurs cocontractants et leurs agents. Ce
changement doit être justifié par les exigences de l’intérêt général, qui sont
susceptibles d’évoluer avec le temps.
Ainsi, de manière générale, le statut des fonctionnaires des services
publics, qui est normalement fixé par un règlement, peut être modifié
unilatéralement, pour le futur, en fonction des nécessités du service. La loi du
changement peut également motiver, à n’importe quel moment, mais parfois
moyennant indemnisation, la modification unilatérale des concessions de service
public octroyées par les pouvoirs publics à des personnes privées.
Les particuliers doivent, le cas échéant, supporter les effets du changement
de l’organisation des prestations de service public. Ainsi, une requête en
annulation introduite par une ASBL de défense des intérêts régionaux contre un
arrêté du Gouvernement wallon diminuant le budget qui lui était alloué pour
réaménager des sites d’intérêt régional a été rejetée, au motif que les enveloppes
budgétaires peuvent varier, la mission de développement des sites d’intérêt
régionaux étant soumise à la loi du changement et ce, dans l’intérêt général81.
L’ASBL a donc dû supporter, dans le cadre de ses activités, le changement de
budget décidé par les pouvoirs publics.
Les intérêts des particuliers peuvent toutefois être protégés, dans une
certaine mesure, par le principe de légitime confiance, en vertu duquel tout
citoyen doit pouvoir se fier à une ligne de conduite constante de l’autorité ou à
des promesses que les pouvoirs publics ont faites dans des cas concrets ; ce
principe de légitime confiance vient donc, dans certains cas concrets, tempérer
l’application de la loi du changement.

3. Loi d’égalité des usagers

Cette loi du service public constitue une application particulière du


principe général d’égalité* et de non-discrimination* consacré par les articles 10,
11 et 11bis de la Constitution. En vertu de ce principe, l’administration et les
particuliers qui assurent un service public fonctionnel doivent fournir leurs
prestations à tous les usagers qui se trouvent dans les conditions, de manière
égale et sans pratiquer aucune discrimination.

80 C.E., 4 septembre 2014 (n° 228.277), arrêt Entreprises Générales Moureau François et ses fils.
81 C.E., 4 février 2013 (n° 222.367), arrêt Idea – Hennuyère.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Rappelons cependant que l’égalité n’interdit pas certaines distinctions


lorsque les individus sont dans des situations différentes. Ainsi, par exemple, les
sociétés de transport peuvent établir des tarifs préférentiels au bénéfice des
étudiants et des personnes âgées. Il faut, pour que la distinction soit licite, que
les catégories d’usagers soient établies de manière objective et qu’il existe un
rapport raisonnable de proportionnalité* entre les moyens employés et le but
légitime visé.
Ainsi, dans un arrêt de 2007, le Conseil d’Etat a rejeté une demande de
suspension introduite par le représentant d’un parti politique belge d’extrême
droite contre la décision de la R.T.B.F. de ne pas accorder de droit d’antenne à ce
parti dans le cadre des émissions retransmises pour les élections du 10 juin 2007.
Le Conseil d’Etat a en effet estimé que s’il est vrai que, conformément à la
législation applicable, la R.T.B.F. arrête librement le programme de ses
émissions, tout en veillant à refléter les différents courants d’idées de la société, à
clarifier les enjeux démocratiques de la société et à contribuer au renforcement
des valeurs sociales (notamment par une éthique basée sur le respect de l’être
humain et du citoyen), il n’en reste pas moins que « compte tenu de la rareté du
temps d’antenne, des exigences de lisibilité des débats diffusés à la radio et à la
télévision et de la pléthore de listes qui présentent des candidats à chaque
élection, la R.T.B.F. a légitimement pu établir des critères de différenciation
fondés sur l’importance relative des différents partis candidats aux élections, et
traiter de manière différente les partis qui avaient obtenu une représentation
parlementaire lors des élections précédentes et les autres partis ; que cette
distinction repose sur un critère objectif ; qu’en raison du caractère généralement
modeste des déplacements de voix observés d’une élection à l’autre […], les
mesures [prises par la R.T.B.F.] apparaissent proportionnées à leur objectif »82.
Ce faisant, le Conseil d’Etat a autorisé la R.T.B.F. à traiter différemment
différents partis politiques dans ses émissions, le critère de différenciation des
différents partis étant objectif, et un rapport raisonnable et proportionné existant
entre la mesure prise (diminution ou suppression du droit d’antenne pour les
partis non représentés au parlement ou prônant la discrimination sur la base
d’une prétendue race) et l’objectif poursuivi (refléter les différents courants
d’idées, tout en visant à clarifier les enjeux démocratiques de la société et à
contribuer au renforcement des valeurs sociales, notamment par une éthique
basée sur le respect de l’être humain et du citoyen).

82 C.E., 11 mai 2007 (n° 171.094), arrêt Robert.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

III. L’Etat de droit

A. Notion

L’Etat de droit* désigne un régime politique dans lequel l’Etat, et plus


généralement les pouvoirs publics, sont assujettis au droit, tant dans l’exercice de
la puissance publique que dans les relations avec les particuliers. Dans l’Etat de
droit, l’action des pouvoirs publics est entièrement canalisée par le droit. Les
pouvoirs publics et l’administration n’ont d’autres pouvoirs que ceux qui leur sont
attribués par l’ordre juridique. L’exercice de la puissance publique suppose
toujours une compétence, qui procède d’une habilitation. La compétence doit en
outre être exercée dans le respect de la procédure et des conditions prévues par le
droit. En outre, les pouvoirs publics et l’administration doivent respecter, dans
l’exercice de leur action, les droits des particuliers, tels que ceux-ci sont garantis
par l’ordre juridique.
Dans sa définition classique, l’Etat de droit s’oppose à l’Etat de police*.
L’Etat de police utilise le droit comme un instrument d’action et un moyen de
commandement à l’égard des sujets de droit, mais s’exonère lui-même du respect
des règles qu’il édicte. Dans l’Etat de police, le droit ne limite donc pas les
pouvoirs d’appréciation et d’action du souverain qui utilise les moyens qu’il juge
appropriés pour atteindre les fins qu’il se propose83.
Dans un sens plus récent, l’Etat de droit ne désigne plus l’Etat qui se
soumet formellement à une règle quelconque, mais l’Etat qui respecte des règles
matérielles inspirées par un système de valeurs dont l’expression actuelle repose
sur les droits de l’homme* et la démocratie*.
Les trois notions d’Etat de droit, droits de l’homme et démocratie
apparaissent donc souvent aujourd’hui comme indissociablement liées. Elles
expriment cependant, sur le plan juridique, des exigences distinctes, que l’on se
gardera de confondre. Ainsi, les rapports de l’Etat de droit et de la démocratie
sont complexes84. D’un côté, l’Etat de droit est une condition nécessaire au bon
fonctionnement d’une véritable démocratie. Cependant, l’Etat de droit apparaît
aussi comme « un dispositif d’encadrement et de canalisation du jeu politique »85,
qui est de nature à limiter la mise en œuvre de la volonté exprimée par la
majorité.
L’Etat de droit est un concept dynamique, dont les exigences ne se sont
imposées que progressivement dans le fonctionnement de l’Etat, au cours d’un

83 R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Paris, Sirey, 2 vol., 1920-
1922.
84 J. HABERMAS, Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1992.
85 J. CHEVALLIER, L’Etat de droit, Paris, Montchrestien, 1999, 3ème éd., pp. 7-8. Voy. aussi, mais
avec une autre formulation, 2010, 5ème éd., pp. 7-8.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

processus long qui n’est pas encore achevé à ce jour (infra, ce ch., cette s., B à D).
Parallèlement, la notion rencontre un succès croissant, qui déborde à présent la
sphère de l’Etat pour s’imposer au niveau des ordres juridiques européen et
international. Ainsi, depuis le traité de Maastricht de 1992, l’Union européenne
se définit comme une « Union de droit » fondée sur les « principes de la liberté, de
la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et
de l’Etat de droit »86. Dans l’ordre international, notamment au niveau des
Nations Unies, l’Etat de droit est désormais considéré comme une garantie
essentielle et un élément de la bonne gouvernance* (infra, ce ch., s. 2, V). L’idée
d’Etat de droit rejoint, au plan international, la notion voisine mais distincte de
« rule of law » issue de la common law, pour désigner une société de droit
gouvernée par le droit international et notamment le respect des droits de
l’homme.
Plus concrètement, en droit positif, le respect de l’Etat de droit implique la
réunion de trois éléments principaux :
1. le respect de la hiérarchie des normes dans l’ordre juridique ;
2. la responsabilité des pouvoirs publics pour les dommages causés aux
particuliers ;
3. la séparation des pouvoirs ou, à tout le moins, leur division, en particulier
l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant, de nature à garantir
l’existence d’un recours effectif en cas de violation des normes juridiques
par les pouvoirs publics ou d’engagement de leur responsabilité.

B. La division des pouvoirs

Si la notion d’Etat de droit implique la soumission au droit de l’Etat et des


pouvoirs publics, qui en assurera l’effectivité dès lors que la puissance publique
concentre entre ses mains des forces considérables, sans commune mesure avec
les moyens des particuliers ? Faut-il faire confiance à l’Etat et à ceux qui le
gouvernent pour s’autolimiter ? Et comment garantir les citoyens contre les
entreprises de détournement de la puissance publique dirigées contre eux, au
mépris du droit ?
La réponse à ces questions tient dans le principe de la séparation des
pouvoirs* dont Montesquieu a donné, dans L’Esprit des lois, la formule
classique : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la
disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »87. C’est en vertu de ce
principe que la Constitution belge institue et organise trois pouvoirs

86 Préambule du traité UE reprenant les termes de l’art. 6, § 1er du traité CE. Voy. aussi art. 2, 6
et 21 TUE.
87 De l’Esprit des lois, L. XI, ch. 4.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

indépendants : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire


(supra, ch. 3).
De par sa formulation même, le principe de séparation des pouvoirs prête
cependant à une certaine confusion. Il a été longtemps interprété comme
impliquant un véritable cloisonnement entre les différents pouvoirs, empêchant
chacun de ceux-ci, en particulier le pouvoir judiciaire, d’interférer dans l’action
des autres pouvoirs, notamment du pouvoir exécutif. Ainsi comprise, la
séparation des pouvoirs ne favorise pas l’Etat de droit ; bien au contraire, elle y
fait obstacle. A une époque où ni le Conseil d’Etat ni la Cour constitutionnelle
n’existaient, le principe de séparation des pouvoirs fut mis en avant pour
justifier l’absence du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois,
l’impossibilité pour le pouvoir judiciaire d’annuler les actes illégaux de
l’administration et l’impossibilité de mettre en cause la responsabilité des
pouvoirs publics en cas de faute. Dans ce contexte, les particuliers se trouvaient
bien démunis face aux excès et aux manquements de la puissance publique. Ils
n’avaient comme seule arme que l’exception d’illégalité* de l’article 159 de la
Constitution pour demander au juge de faire obstacle à l’application à leur
endroit d’un règlement illégal ou inconstitutionnel (supra, ch. 5, s. 3).
Cette conception rigide de la séparation des pouvoirs a été reconnue
incorrecte. Elle ne correspond pas au système organisé par notre Constitution.
Celle-ci met en place des pouvoirs indépendants certes, mais qui collaborent et
interagissent. La Constitution divise les pouvoirs, bien plus qu’elle ne les sépare.
Elle confie des compétences spécifiques à des organes distincts, instaurant par là
même un système de freins et contrepoids (checks and balances) de nature à faire
obstacle aux abus. C’est ainsi que notre système institutionnel aménage les
relations entre le parlement et le gouvernement de manière à instaurer un
équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. La Constitution institue
en outre et surtout un pouvoir judiciaire indépendant, ainsi que d’autres
juridictions comme le Conseil d’Etat et la Cour constitutionnelle, assurant aux
particuliers des recours effectifs en cas de violation du droit, d’excès ou de
manquements de la puissance publique (supra, ch. 3, s. 1).
Une telle conception de la division des pouvoirs et de leur soumission au
droit semble incompatible avec la notion de souveraineté*, du moins dans l’ordre
interne88. En droit international public*, la souveraineté constitue un principe
fondamental garantissant l’égalité formelle et l’indépendance des Etats. En droit
interne, elle désigne un pouvoir illimité, indivisible, permanent et absolu, qui
l’emporte sur tous les autres et que s’étaient attribué les monarques de l’Ancien
Régime89. A la Révolution, la souveraineté est symboliquement transférée du Roi
vers le peuple ou la nation, qui prennent ainsi leur destin politique entre leurs

88 En ce sens, voy. notamment M. LEROY, « Requiem pour la souveraineté, anachronisme


pernicieux », Présence du droit public et des droits de l’homme, Mélanges offerts à Jacques Velu,
t. 1er, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp 91-106.
89 Le concept de souveraineté a été forgé au XVIe siècle par Jean Bodin (Les six livres de la
République, Livre I, ch. 8 « De la souveraineté »).

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

mains. Au XIXe siècle, le pouvoir législatif, parce qu’il est composé notamment
des représentants de la nation, accapare cette souveraineté et revendique une
primauté à l’égard des autres pouvoirs, qui lui est d’ailleurs généralement
reconnue. Cette théorie ne trouve cependant aucun fondement dans la
Constitution90. Elle est incompatible avec l’Etat de droit dans la mesure où la
souveraineté, pour celui qui l’invoque, constitue toujours un moyen de
s’affranchir du respect du droit.
Au cours des dernières décennies, l’affirmation du pouvoir judiciaire et la
création de juridictions nouvelles, comme le Conseil d’Etat et la Cour
constitutionnelle, ont permis de renforcer sensiblement le contrôle effectif de la
hiérarchie des normes et la mise en œuvre de la responsabilité de la puissance
publique, marquant ainsi des progrès considérables dans la concrétisation de
l’Etat de droit.
L’indépendance acquise par le pouvoir judiciaire est toutefois remise en
cause, dans un contexte de déficit des finances publiques, par les politiques de
l’Exécutif qui, d’une part, réduisent sans cesse les moyens de la justice d’assurer
des missions de plus en plus nombreuses et, d’autre part, mettent en place un
contrôle managérial des juges et des juridictions, tout en modifiant les équilibres
et les garanties de la procédure.
La réduction drastique du budget de la justice en Belgique place celle-ci au
dernier rang des pays développés. Le gouvernement refuse, par exemple, de
nommer le nombre de magistrats fixés par la loi et n’accorde pas les
financements nécessaires à un traitement des détenus conformes à leurs droits et
à la dignité humaine. Cette pénurie ne permet plus aux institutions judiciaires
d’exercer en pratique leurs missions et de garantir l’effectivité de l’Etat de droit.
Cette situation provoque la colère du personnel pénitentiaire, des avocats et aussi
des magistrats, qui ont fait grève symboliquement pour la première fois depuis la
première guerre mondiale, lorsqu’ils protestaient contre l’occupant allemand91.
Le premier président de la Cour de cassation en exercice a ainsi publiquement
accusé le gouvernement de détruire la Justice et de transformer le pays d’un Etat
de droit en un « Etat voyou »92.
Parallèlement, la loi et le pouvoir exécutif tentent depuis plusieurs années
de mettre en place des politiques de contrôle managérial de l’activité des juges et
des juridictions. Ces politiques, inspirées des théories du nouveau management
public, sont également développées dans de nombreux autres pays. Elles visent à
accroître le rendement et la qualité du service public de la justice, c’est-à-dire en
substance à produire davantage d’affaires réglées en moins de temps par moins

90 J. VELU, Droit public I. Le statut des gouvernants, 1986, Bruxelles, Bruylant, pp. 245 et s.
91 Les magistrats francophones se sont mis en grève les 2 et 7 juin 2016.
92Propos du Premier président de la Cour de cassation, M. Jean Codt, tenus sur le plateau de la
RTBF : « Justice et État, c’est la même chose […] L’État se disloque en déchirant sa Justice (…)
Quel respect donner à un Etat qui marchande sa fonction la plus archaïque, qui est de rendre la
Justice ? Cet État n’est plus un État de droits, mais un État voyou » (rapportés par Le Soir, 15
mai 2006).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

de personnel. Ces politiques reposent sur la mesure et l’évaluation de la charge


de travail des magistrats assortis d’incitants (primes et sanctions) à atteindre les
objectifs fixés. Certaines de ces mesures affectent l’indépendance du juge dans
l’acte juridictionnel. Ainsi, par exemple, il existe des indicateurs qui intègrent
dans l’évaluation des juges le nombre de leurs décisions qui ont fait l’objet d’un
recours ou ont été réformées en appel ou cassées. Certes, on peut comprendre que
des décisions qui ne sont pas remises en cause soient jugées plus efficaces sur le
plan du rendement de l’action publique. Mais cet instrument constitue également
un moyen de sanctionner toute velléité d’indépendance de la part d’un juge qui ne
se plierait pas par exemple à la jurisprudence de l’instance supérieure, alors
même que le droit ne l’oblige pas à la respecter. De manière générale, ces
dispositifs managériaux ont pour objet et pour effet de renforcer le pouvoir
hiérarchique, y compris dans l’acte de juger, et le contrôle du pouvoir judiciaire
par l’exécutif. Il faut donc se montrer particulièrement vigilant à l’égard de telles
mesures et vérifier que le principe constitutionnel d’indépendance des juges et
des juridictions à l’égard des autres pouvoirs et spécialement de l’exécutif soit
préservé93.
En outre, le souci d’assurer une justice plus efficace et plus rentable
conduit à des réformes qui peuvent compromettre les garanties de la procédure et
donc de l’Etat de droit (infra, ch. 8). Tel est le cas lorsqu’on porte atteinte aux
garanties du procès équitable comme le principe de l’égalité des armes entre la
partie poursuivie au pénal et le ministère public ou que l’on donne au ministère
public des prérogatives de plus en plus larges dans le règlement des affaires, qui
devrait demeurer de la seule responsabilité du juge.
Le phénomène devient particulièrement inquiétant lorsque le
gouvernement et le législateur n’hésitent plus à violer ouvertement la loi et
même la Constitution pour parvenir à leurs fins. Ainsi, pour le gouvernement, en
refusant de nommer le nombre de magistrats fixé par la loi. Et pour le
législateur, à la demande expresse du gouvernement, en vidant de toute
substance la cour d’assises et l’institution du jury au profit du tribunal
correctionnel, alors que la Constitution prévoit qu’il s’agit de la juridiction
compétente en matière criminelle (supra, ch. 3, s. 1, III, C). Cette attitude de
mépris ouvert du droit de la part des plus hauts responsables publics est
véritablement destructrice de l’Etat de droit et lourde de menaces pour l’avenir.

C. La hiérarchie des normes

L’Etat de droit suppose le respect de la hiérarchie des normes (supra, ch. 5,


s. 3). Celle-ci présuppose d’abord le principe de légalité en vertu duquel l’action et
le comportement des pouvoirs publics et de leurs agents doivent toujours être
conformes au droit et fondés sur une base juridique. Elle implique en outre que

93Sur cette question, voy. notamment B. FRYDMAN et E. JEULAND (dir.), Le nouveau management
de la justice et l’indépendance des juges, Paris, Dalloz, 2012.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

les pouvoirs publics, lorsqu’ils édictent des règles juridiques, respectent les
normes supérieures. Techniquement, la hiérarchie des normes peut être comprise
comme un principe d’organisation rationnelle de l’action administrative dans
lequel le pouvoir hiérarchique des autorités est respecté. En réalité, elle porte
beaucoup plus loin dans la mesure où les droits fondamentaux des citoyens sont
garantis par les normes juridiques les plus élevées dans la hiérarchie
(essentiellement les normes internationales et la Constitution). La hiérarchie des
normes permet ainsi la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés des
individus face aux empiétements éventuels de la puissance publique.
Le contrôle effectif de la hiérarchie des normes est assuré par des organes
juridictionnels.
1. La Cour constitutionnelle* assure le contrôle de conformité des lois, des
décrets et des ordonnances par rapport à la Constitution.
2. Le Conseil d’Etat* connaît de l’annulation des actes et règlements
administratifs pris en violation de normes supérieures.
3. Les cours et tribunaux refusent d’appliquer les arrêtés et règlements non
conformes aux règles supérieures (art. 159 de la Constitution) et assurent
la primauté des normes internationales directement applicables sur le
droit interne (jurisprudence Le Ski).
4. Certaines juridictions internationales, telle la Cour européenne des droits
de l’homme* et la Cour de justice de l’Union européenne* contrôlent le
respect par les Etats de leurs obligations internationales en matière de
droits de l’homme et de droit européen.
En outre, compte tenu du délai nécessaire à l’obtention d’une décision de
justice, notamment l’annulation d’un acte illégal, des mécanismes de suspension
des actes ont été prévus pour empêcher, dans certaines conditions, que l’acte
apparemment illégal ne sorte ses effets à l’égard des particuliers pendant la
procédure.
1. La Cour constitutionnelle peut suspendre, en tout ou en partie, la norme
législative qui fait l’objet d’un recours en annulation, à la demande de la
partie requérante. La suspension peut être décidée soit si des moyens
sérieux d’annulation sont invoqués et que l’exécution immédiate de la
norme est de nature à causer un préjudice grave, difficilement réparable ;
soit si une norme identique adoptée par le même législateur a déjà été
annulée par la Cour constitutionnelle. En cas de suspension, la Cour doit
se prononcer dans les trois mois sur le recours en annulation94.
2. Dans le cadre d’une procédure dite de référé administratif, le Conseil
d’Etat a le pouvoir d’ordonner la suspension des règlements et actes
administratifs susceptibles d’être annulés lorsque des moyens sérieux sont
invoqués à l’appui du recours en annulation et s’il existe une urgence

94Art. 19 à 25 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, M.B., 7 janvier
1989.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

incompatible avec le traitement de l’affaire en annulation95. La demande


en suspension est déférée à un juge unique. Celui-ci peut assortir la
décision de suspension d’une astreinte et de toute mesure provisoire
nécessaire pour assurer la sauvegarde des intérêts des parties.
3. Enfin, les cours et tribunaux se sont reconnus compétents pour adresser
des injonctions à l’administration qui agit ou s’apprête à agir de manière à
première vue (prima facie) illégale. Le juge peut intervenir lorsqu’il y a des
apparences d’illégalité suffisantes pour justifier une décision et que
l’exécution de l’acte est de nature à causer au demandeur* un préjudice
hors de proportion avec l’avantage que peuvent en retirer l’administration
et les citoyens. Cette compétence est exercée par le président du tribunal
civil de première instance, siégeant en référé*. Celui-ci peut assortir son
injonction, positive ou négative, d’une astreinte*96.
L’ensemble de ces recours juridictionnels est de nature à permettre un
contrôle effectif de la hiérarchie des normes.

D. La responsabilité des pouvoirs publics

Il ne suffit pas de pouvoir annuler ou faire obstacle à l’application des actes


et règlements illégaux des pouvoirs publics. Il faut encore assurer la réparation
des dommages causés aux particuliers à cette occasion et des atteintes
éventuelles portées à leurs droits. Ceci suppose la possibilité d’engager et de
mettre en œuvre la responsabilité* des pouvoirs publics. A cet égard, la
jurisprudence des cours et tribunaux, et singulièrement de la Cour de cassation,
a connu une évolution progressive, qui est au total considérable, même si elle ne
semble pas encore totalement achevée. Il est nécessaire de distinguer ici en
fonction des différents pouvoirs. Il faut également distinguer, au sein de chaque
pouvoir, la mise en cause directe de la personne fautive (le ministre, le
fonctionnaire, le juge, …) et l’engagement de la responsabilité de l’Etat lui-même
ou de la personne morale de droit public dont l’agent dépend.

95Art. 17 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat du 12 janvier 1973, tel que modifié par la loi
du 20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l'organisation du
Conseil d'État modifiant l’article 38 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, M.B., 3 février
2014.
96 M. LEROY, Contentieux administratif, Limal, Anthemis, 2011, 5ème éd., pp. 741 et s.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

1. La responsabilité du pouvoir exécutif et de l’administration

a) La responsabilité des organes et des agents de l’Etat

1°) La responsabilité des fonctionnaires et des agents publics


De manière générale, les fonctionnaires, les agents et les organes* des
pouvoirs publics sont personnellement responsables des fautes qu’ils commettent
dans l’exercice de leurs fonctions et attributions. Cette responsabilité est établie
conformément au droit commun par la démonstration d’une faute dans le chef de
l’agent public, d’un dommage et d’un lien de causalité entre la faute et le
dommage (art. 1382 et s. du Code civil ; supra, ch. 1). Elle est toutefois limitée
dans la mesure où les agents publics ne répondent que de leur dol et de leur faute
lourde. Ils ne répondent de leur faute légère que si celle-ci présente dans leur
chef un caractère habituel plutôt qu’accidentel97.
En pratique, les justiciables poursuivent rarement les fonctionnaires en
personne et préfèrent attaquer directement l’Etat ou la personne morale de droit
public dont ils relèvent (infra, b).

2°) La responsabilité du Roi et des membres du gouvernement


Le Roi et les membres des gouvernements sont soustraits au droit commun
et soumis à un régime de responsabilité spécifique. Ce régime tente d’établir un
compromis entre les nécessités de l’Etat de droit et le souci de ne pas voir l’action
du chef de l’Etat et des gouvernements entravée par des actions judiciaires
intempestives.
(a) L’irresponsabilité du Roi
En vertu de l’article 88 de la Constitution, « la personne du Roi est
inviolable ». L’inviolabilité a pour corollaire l’irresponsabilité du Roi sur les plans
politique et juridique. En vertu d’un principe qui trouve sa source dans le droit de
l’Ancien Régime, le Roi ne peut mal faire (King can do no wrong). Sur le plan
pénal, le Roi est à l’abri de toute poursuite du chef de quelque délit que ce soit.
Sur le plan civil, le Roi ne peut être cité personnellement, mais les personnes se
prévalant d’un droit subjectif à son encontre peuvent assigner son intendant ou
l’administrateur de la liste civile (art. 41 du Code judiciaire).
Dans un Etat de droit, l’irresponsabilité royale implique nécessairement
que d’autres personnes assument la responsabilité politique et juridique des actes
du chef de l’Etat, au premier chef ses ministres, notamment par la technique du
contreseing (supra, ch. 3)98.

97 Art. 2 de la loi du 10 février 2003 relative à la responsabilité des et pour les membres du
personnel au service des personnes publiques, M.B., 27 février 2003. Cette disposition est calquée
sur le régime de responsabilité applicable aux travailleurs dans les liens d’un contrat de travail
(art. 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail).
98Ce que traduit la formule complète de l’article 88 de la Constitution : « La personne du Roi est
inviolable ; ses ministres sont responsables ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

(b) La responsabilité des ministres


Les ministres des gouvernements fédéral et fédérés ne peuvent en aucun
cas être poursuivis pour les opinions qu’ils émettent dans l’exercice de leur
fonction (art. 101, al. 2 et 124 de la Constitution). Cette immunité est comparable
à celle dont jouissent les parlementaires, mais elle est plus étendue en tant
qu’elle couvre non seulement les interventions des ministres à la tribune
parlementaire, ainsi que toutes leurs interventions publiques, par exemple dans
le cadre d’une émission de télévision. Pour le surplus, les ministres sont en
principe responsables civilement et pénalement de leurs actes.
Le régime de la responsabilité ministérielle a été profondément modifié
par une révision de la Constitution intervenue en 1998. A l’origine, le
Constituant de 1831 avait prévu la mise en accusation des ministres par la
Chambre des représentants et leur jugement par la Cour de cassation. La
Constitution demandait en outre qu’une loi organise cette responsabilité « dans le
plus court délai possible »99. Malgré plusieurs tentatives, aucune loi ne fut
adoptée. En conséquence, les ministres jouirent pendant longtemps d’une
véritable impunité de fait. Pendant plus de 150 ans, la Cour de cassation n’eut à
juger qu’une seule fois, en 1865, un ministre, qui s’était battu en duel avec un
parlementaire100. Une loi temporaire fut adoptée à cette occasion, réglant
essentiellement les aspects de la procédure.
Cet état de fait ne changea que sous la pression de plusieurs affaires
importantes de corruption et de financement illégal de partis politiques
impliquant certains ministres. En 1996, dans l’affaire Inusop101 et en 1998 dans
l’affaire Agusta-Dassaut102, la Cour de cassation jugea et condamna pénalement
plusieurs ministres et leurs acolytes. En l’absence de loi, la Cour de cassation eut
à trancher elle-même un certain nombre de questions de droit relatives
notamment à la procédure à suivre. La Cour décida en substance qu’elle
appliquerait les dispositions du Code d’instruction criminelle qui règlent la
procédure pénale devant les juridictions du fond dans la mesure où ces
dispositions sont compatibles avec celles qui règlent la procédure en cassation. La
Cour se fonda notamment sur les règles relatives à la connexité pour étendre sa
juridiction aux autres personnes poursuivies.
L’ancien ministre Guy Coëme et les autres personnes condamnées dans
l’affaire Inusop introduisirent, contre l’arrêt de la Cour de cassation, un recours
devant la Cour européenne des droits de l’homme*. Par un arrêt du 22 juin 2000,
celle-ci condamna la Belgique pour violation des règles du procès équitable (art.
6, § 1 CEDH)103. En l’absence de loi d’application, la Cour de cassation ne
pouvait, aux yeux de la Cour de Strasbourg, étendre sa juridiction aux non-

99 Art. 139 anc. de la Constitution.


100 Cass., 12 juillet 1865, Pas., 1865, I, p. 258.
101 Cass., 2 février 1996, J.T., 1996, p. 281.
102 Cass., 23 décembre 1998, Pas., 1998, I, p. 534.
103 Cour eur. dr. h., Coëme et al. c. Belgique, 22 juin 2000.

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ministres, les privant ainsi de leur juge naturel (le tribunal correctionnel) et de la
garantie du double degré de juridiction (l’appel* devant la cour d’appel). De plus,
l’incertitude quant à la procédure applicable ne garantissait pas à suffisance le
respect des droits de la défense*. La Cour a rendu une décision similaire dans le
cadre de l’affaire Agusta-Dassaut104 .
Ce régime insatisfaisant a été profondément modifié en juin 1998 par une
révision constitutionnelle et des lois d’application105. Le nouveau système
maintient un régime dérogatoire au droit commun pour les infractions commises
par des ministres dans l’exercice de leurs fonctions, ainsi que pour les infractions
commises en dehors des fonctions, mais pour lesquelles les ministres sont jugés
pendant leur mandat ministériel. Les ministres des gouvernements fédéral et
fédérés peuvent être poursuivis pour toutes les infractions de droit commun.
L’assemblée devant laquelle ils sont politiquement responsables n’intervient qu’à
des moments spécifiques, spécialement en cas d’arrestation ou au moment du
règlement de la procédure, c’est-à-dire au moment de renvoyer les ministres vers
une juridiction de jugement (infra, ch. 8). L’assemblée fait office de filtre en
vérifiant, sans se prononcer sur le fond du dossier, que la demande est sérieuse.
Elle peut refuser son autorisation lorsque l’action est manifestement fondée sur
des motifs essentiellement politiques ou que les éléments fournis apparaissent
irréguliers, arbitraires ou insignifiants106. Les ministres sont jugés par la cour
d’appel du ressort où le gouvernement auquel ils appartiennent a son siège.
L’instruction* est également menée au niveau de la cour d’appel. En raison de ce
privilège de juridiction*, les ministres sont privés de la possibilité de faire appel,
mais ils peuvent introduire un pourvoi devant la Cour de cassation.

b) La responsabilité de l’Etat et des personnes morales de droit


public du fait de l’administration

1°) Principe
Si les organes et les agents sont responsables des fautes qu’ils commettent
dans l’exercice de leurs fonctions, la question se pose de savoir si la responsabilité
de l’Etat lui-même ou d’une autre personne de droit public peut être engagée à
cette occasion et, dans l’affirmative, suivant quelles modalités. La loi étant
muette sur la question, les principes de la responsabilité des pouvoirs publics ont
été progressivement dégagés par la jurisprudence sur la base du droit commun de
la responsabilité en général (art. 1382 et s. du Code civil).
Avant 1920, la jurisprudence reposait sur une distinction entre les actes
privés et les actes de puissance publique accomplis par une personne publique.

104 Cour eur. dr. h., Claes et al. c. Belgique, 2 juin 2005.
105Art. 103 et 125 de la Constitution mis en œuvre par deux lois du 25 juin 1998 : au niveau
fédéral, la loi réglant la responsabilité pénale des ministres, M.B., 27 juin 1998 ; au niveau des
entités fédérées, la loi spéciale réglant la responsabilité pénale des membres des gouvernements
de communauté ou de région, M.B., 27 juin 1998.
106 Art. 2 et 3 des lois ordinaire et spéciale du 25 juin 1998 précitées.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Les actes privés, par exemple les actes de gestion du domaine privé*, étaient
soumis à la responsabilité de droit commun. Par contre, le pouvoir judiciaire se
montrait réticent à condamner l’administration et se déclarait incompétent pour
connaître des actions engagées contre l’Etat et les autres personnes publiques
ensuite d’une faute commise dans l’exercice de la puissance publique*. Cette
jurisprudence s’appuyait sur une conception étroite de la séparation des
pouvoirs* (supra, ce ch., cette s., 2). En l’absence de voie de recours, les pouvoirs
publics jouissaient donc de fait d’une immunité presque totale. Les particuliers
ne disposaient d’aucun moyen d’indemnisation des dommages causés par les
actes illégaux et fautifs de l’administration, si ce n’était le bon plaisir de celle-ci.
Il fut mis fin à ce régime d’impunité par un arrêt de la Cour de cassation
du 5 novembre 1920, dit arrêt La Flandria*107, qui marque un revirement*
important de la haute juridiction par rapport à sa jurisprudence* antérieure. Un
arbre planté par la ville de Bruges s’était abattu sur le terrain de la société
horticole La Flandria, causant de menus dégâts aux plantations. La société en
demandait réparation à la ville au motif qu’elle avait négligé de prendre les
mesures adéquates pour empêcher l’arbre, visiblement en piteux état, de
s’abattre. En appel, le tribunal civil de Bruges avait autorisé, par un jugement
avant dire droit*, le demandeur* à prouver l’existence d’une faute dans le chef de
la ville. La ville de Bruges introduisit un pourvoi en cassation contre cette
décision au motif que l’arbre était planté sur le domaine public* de la ville et qu’il
s’agissait donc d’un acte de puissance publique dont les cours et tribunaux
étaient incompétents à connaître. Encouragée par son premier avocat général,
Paul Leclercq, qui, dans ses conclusions*, n’avait pas hésité à qualifier la
jurisprudence traditionnelle de « pathologique »108, la Cour de cassation affirme
pour la première fois la compétence des cours et tribunaux en matière d’action en
responsabilité contre l’Etat et les pouvoirs publics. Elle fonde cette compétence
sur l’article 144 de la Constitution109 qui confiait aux cours et tribunaux le
pouvoir exclusif de connaître des contestations portant sur un droit civil* (supra,
ch. 3)110. La Cour de cassation précise que « la Constitution n’a égard ni à la
qualité des parties contendantes, ni à la nature des actes qui auraient causé une
lésion de droit, mais uniquement à la nature du droit lésé »111. La Cour
réinterprète à cette occasion le principe de la séparation des pouvoirs et affirme,
sans le nommer, le principe de l’Etat de droit : « … les gouvernants ne peuvent
rien faire que ce qu’ils sont chargés de faire et sont, comme les gouvernés, soumis
à la loi »112.

107 Cass., 5 nov. 1920, Pas. 1920, I, pp. 192 et s., spéc. pp. 239-240.
108 Conclusions précédant Cass., 5 nov. 1920, Pas., 1920, I, pp. 193-239.
109 A l’époque, art. 92.
110Un deuxième alinéa a depuis été ajouté à l’article 144 de la Constitution pour permettre au
Conseil d’Etat et aux juridictions administratives fédérales de statuer sur les effets civils de leurs
décisions (supra, ch. 3).
111 Cass., 5 nov. 1920, op cit., p. 239.
112 Cass., 5 nov. 1920, op cit., p. 240.

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2°) Modalités
La responsabilité de l’administration peut être engagée soit directement,
soit indirectement. La responsabilité de l’administration est directement
engagée, sur la base des articles 1382 ou 1383 du Code civil, lorsque la faute a été
commise par un organe* de la personne publique, qui a le pouvoir d’engager la
puissance publique (infra, ch. 7). La responsabilité de l’administration est
engagée indirectement, à l’instar de n’importe quel employeur, sur la base de
l’article 1384 alinéa 3 du Code civil (supra, ch. 1), lorsque la faute a été commise
par un simple agent de la personne publique, à l’occasion de ses fonctions.
Dans tous les cas, le succès de l’action en responsabilité suppose, outre la
preuve d’une faute dans le chef de l’administration, de son organe ou de son
agent, la démonstration que cette faute est la cause du dommage dont le
demandeur réclame réparation.

3°) Critères
Depuis l’arrêt La Flandria, la jurisprudence a confirmé de manière
constante la responsabilité des pouvoirs publics, dans un sens toujours plus
étendu. Il ressort de cette jurisprudence que l’administration n’est pas exemptée,
dans l’exercice de la puissance publique, de l’obligation de diligence et de
prudence qui s’impose à tous en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil
(supra, ch. 1). En réalité, compte tenu de l’importance des missions de service
public assumées par l’administration, cette obligation fait peser sur les pouvoirs
publics une responsabilité particulièrement étendue.
1. Les pouvoirs publics sont d’abord responsables des fautes commises par
leurs agents et organes dans l’exercice de leur mission. L’Etat a, par
exemple, été reconnu responsable ensuite du comportement maladroit d’un
gendarme qui, en ouvrant la circulation d’un carrefour simultanément
dans toutes les directions, avait provoqué plusieurs accidents.
2. La responsabilité de l’administration a aussi été engagée en raison de
renseignements erronés donnés à la légère à des administrés. Ainsi, un
officier avait mis fin à sa carrière sur la base des assurances données par
les services du ministère de la Défense qu’il aurait droit à une pension
complète. Ces renseignements étaient inexacts et le militaire n’avait
obtenu une pension que pour une carrière incomplète. L’Etat est condamné
à réparer le préjudice car les juges constatent que les pouvoirs publics ont
méconnu en l’espèce leur obligation de renseignement, en donnant des
informations « sans investigations suffisantes ou sans laisser apparaître
l’incertitude quant à la solution indiquée »113.
3. Les pouvoirs publics sont également responsables lorsque l’administration
a pris une décision et que celle-ci a été mal ou pas exécutée par ses agents.
Dans un tel cas, la jurisprudence considère que la légitime confiance des
usagers est trompée.

113 Cass., 4 janv. 1973, Pas., 1973, I, p. 434.

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4. L’administration est responsable non seulement lorsqu’elle exécute mal


une décision mais également lorsqu’elle prend une décision fautive ou
imprudente. La Cour de cassation l’a affirmé dans un arrêt de principe du
7 mars 1963114. En l’espèce, l’administration avait placé sur une route un
nouveau revêtement qui s’était révélé extrêmement glissant, occasionnant
une série impressionnante d’accidents. L’administration avait réagi en se
contentant d’apposer au début de la section dangereuse un signal ordinaire
indiquant « attention route glissante ». Les accidents continuèrent de plus
belle jusqu’à ce que l’administration se décide enfin à poser un tapis
antidérapant. Saisi par la victime d’un de ces accidents, le juge du fond
avait constaté que « la faute de l’Etat belge (…) est la cause exclusive de
l’accident » et que « la seule précaution qui fut prise, la position du signal
n°12 [route glissante], était absolument insuffisante ». La Cour de
cassation rejette le pourvoi de l’Etat belge en affirmant que « les pouvoirs
publics ont l’obligation de n’établir et de n’ouvrir à la circulation publique
que des voies suffisamment sûres ». Ils assument une obligation de
sécurité à l’égard de l’état de la voirie, qui est une obligation de résultat*.
5. La responsabilité de l’administration peut encore être engagée lorsque
celle-ci omet fautivement de prendre un règlement, spécialement un arrêté
d’exécution d’une disposition légale ou réglementaire, même lorsqu’aucun
délai n’a été fixé par l’autorité habilitante pour prendre un tel acte. Ce
principe fut posé pour la première fois dans une affaire relative au
logement de fonction de certains agents de l’Etat115. Un arrêté royal avait
prévu le logement gratuit des fonctionnaires astreints à une présence
permanente sur les lieux de leur travail. Des arrêtés d’exécution devaient
dresser, par ministère, la liste des agents concernés. Le ministre des
Postes et des Télécommunications avait négligé de soumettre à la
signature du Roi un tel arrêté. Monsieur Goffin, percepteur des postes, et à
ce titre astreint à une présence permanente sur les lieux de son travail,
assigna l’Etat et obtint des dommages et intérêts compensant les frais de
loyers qu’il n’aurait pas dû exposer si l’arrêté avait été pris. Même si le
droit au logement gratuit est en l’occurrence un droit politique*, le
fonctionnaire n’en avait pas moins un droit subjectif à la réparation de
l’atteinte portée à ce droit par la négligence fautive de l’administration.
6. La responsabilité de l’administration peut même être engagée si elle
commet une faute dans l’exercice de son pouvoir réglementaire. Ce
principe se déduit d’un arrêt de la Cour de cassation du 26 avril 1963116.
En l’espèce, une petite fille avait été frappée de paralysie et de débilité
mentale à la suite d’un vaccin contre la variole. Le juge du fond avait
reconnu l’Etat coupable de faute pour avoir rendu un tel vaccin obligatoire,
sachant que celui-ci peut, dans des circonstances exceptionnelles,

114 R.C.J.B., 1963, pp. 93 et s., et note Jean Dabin.


115 Cass., 23 avril 1971, Pas., 1971, I, p. 752.
116 R.C.J.B., 1963, pp. 116 et s., note Jean Dabin.

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entraîner de graves complications, alors que la maladie de la variole avait


déjà pratiquement disparu à l’époque. La Cour de cassation admet le
principe d’une responsabilité pour imprudence dans l’exercice de la
fonction réglementaire, mais elle en précise aussitôt les limites. Les
règlements sont pris dans l’intérêt général. Les nécessités de l’intérêt
général peuvent conduire la puissance publique à causer des dommages à
certains particuliers pour le bien de tous. C’est là une question
d’opportunité de l’action publique, qu’il appartient à l’administration
d’apprécier. Le juge n’intervient que pour contrôler la légalité de l’action
publique. A l’occasion de ce contrôle, la responsabilité de l’autorité
publique ne pourra être engagée que s’il est démontré que l’administration
a commis une faute ou une imprudence dans l’appréciation de l’intérêt
général. Par exemple, l’autorité aurait négligé de tenir compte des
informations médicales disponibles relatives aux graves effets secondaires
nuisibles de tel vaccin. Dans l’espèce du vaccin antivariolique, la Cour de
cassation estime qu’aucune faute de ce type n’a été constatée dans le chef
de l’administration et que la responsabilité de celle-ci ne pouvait donc être
engagée. On comprend cependant que la matière est délicate et que par le
biais de l’action en responsabilité les juges peuvent être tentés de
s’immiscer dans la gestion des affaires publiques. La distinction entre
l’opportunité et la légalité n’est pas toujours aisée, même si celle-ci
marque, dans son état actuel, la limite imposée au pouvoir judiciaire par le
principe de la séparation des pouvoirs*.
7. Enfin, de manière générale, la responsabilité de l’administration peut être
engagée lorsqu’elle prend un règlement qui viole une norme supérieure
dans la hiérarchie des sources. Sauf si elle procède d’une erreur invincible
ou d’une autre cause de justification, l’illégalité du règlement est
susceptible d’être constitutive de faute117.

2. La responsabilité du pouvoir judiciaire

Si l’Etat ou les pouvoirs publics peuvent être condamnés pour des fautes
commises par leur administration, ne devraient-ils pas en être de même pour les
dommages causés par le service public de la justice ? La cour d’appel de Bruxelles
a ainsi condamné l’Etat belge pour avoir rendu en mauvais état un véhicule saisi
dans le cadre d’une instruction* judiciaire118. La question est cependant plus
délicate lorsque l’acte fautif consiste en une décision de justice*. Dans ce cas, les
principes de la responsabilité civile doivent être conciliés avec ceux de
l’indépendance* du juge et de l’autorité de la chose jugée*. Il faut distinguer à cet

117Cass., 13 mai 1982, Pas., 1982, I, p. 1056 et les conclusions conformes de J. Velu. Si la nature
de obligation pour l’administration de faire une application correcte du droit était de résultat
dans l’arrêt de la Cour de cassation de 1982, des arrêts ultérieurs la qualifie d’obligation de
moyen (Cass., 25 octobre 2004 et Cass., 8 février 2008).
118 Bruxelles, 18 février 2000, J.L.M.B., 2000, p. 608.

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égard, la responsabilité personnelle des magistrats de la responsabilité de l’Etat


dont ils sont les organes*.

a) La responsabilité des magistrats

Afin de protéger leur indépendance, la responsabilité civile des magistrats


tant du siège* que du ministère public*, pour des actes commis dans l’exercice de
leurs fonctions, ne peut être engagée que de manière exceptionnelle dans le cadre
de la procédure de prise à partie* (art. 1140 à 1147 du Code judiciaire). Cette
procédure, introduite par requête* devant la Cour de cassation, n’est ouverte que
dans des hypothèses très restrictives, dont les principales sont le dol ou la fraude
du magistrat et le déni de justice*119 .
En ce qui concerne leur responsabilité pénale, les magistrats sont soumis
aux règles du droit commun, sous réserve de leur privilège de juridiction. Ils sont
également soumis à un régime spécifique de responsabilité disciplinaire120.
En pratique, la responsabilité personnelle des magistrats n’est que très
rarement engagée.

b) La responsabilité de l’Etat du fait des jugements

En l’absence de législation, la responsabilité de l’Etat du fait du pouvoir


judiciaire a été précisée par la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment
à l’occasion de deux arrêts importants rendus dans les années 1990 à propos des
suites de la faillite de la société Anca121. Un jugement avait prononcé d’office la
faillite de la société Anca dans des conditions qui ne respectaient pas les
exigences de publicité* et du débat contradictoire* prévues par l’article 6 de la
Convention européenne des droits de l’homme. Le jugement avait été mis à néant
par la cour d’appel, qui avait rapporté la faillite. Cependant, une fois la faillite
prononcée, les conséquences sont souvent irrémédiables et les dommages
irréversibles. La société et ses associés en demandaient réparation à l’Etat. Leur
action avait été déclarée irrecevable par le juge du fond. La Cour de cassation
casse cette décision. Elle affirme le principe de la responsabilité de l’Etat du fait
du pouvoir judiciaire en des termes à peu près identiques à ceux de l’arrêt La
Flandria. La Cour rappelle à cette occasion que « l’Etat est, comme les gouvernés,

119 Les hypothèses sont limitativement énumérées à l’article 1140 du Code judiciaire.
120 CH. MATRAY , « La responsabilité déontologique des magistrats – Pour une déontologie
positive », in les Actes du colloque organisé le 15 février 2007 à l’Université catholique de Louvain
sur la thème de La responsabilité professionnelle des magistrats, Série ‘Les cahiers de l’Institut
d'études sur la Justice’, n° 10, Bruylant, Bruxelles, 2007.
121Cass., 19 décembre 1991, J.T., 1992, p.142, ainsi que des extraits des conclusions conformes de
J. Velu et Cass. 8 décembre 1994, J.T., 1995, p. 497 et observations R.O. Dalcq. Voy. aussi Cass.,
26 juin 1998, R.C.J.B., 2001, p. 21 et la note de B. Dubuisson : « Faute, illégalité et erreur
d’interprétation en droit de la responsabilité civile ». Ce dernier arrêt concerne une affaire
mettant en cause un directeur des contributions qui, dans l’exercice de sa fonction
juridictionnelle, avait notamment omis de prendre en considération une disposition légale.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

soumis aux règles de droit » et notamment à celles qui régissent la réparation


des dommages causés par les atteintes aux droits des personnes privées. A cet
égard, la Cour répète que la Constitution n’a égard ni à la qualité des parties en
cause, ni à la nature des actes, mais uniquement à la nature du droit lésé.
Toutefois, lorsque l’acte prétendument fautif est une décision de justice, les
principes de l’indépendance des juges et de l’autorité de la chose jugée
subordonnent la reconnaissance d’une faute à certaines limites et conditions122 :
1. La décision de justice critiquée ne doit plus être revêtue de l’autorité de la
chose jugée* (par exemple, parce qu’elle a été réformée en appel).
2. Toutes les voies de recours* contre la décision prétendument fautive
doivent avoir été épuisées.
3. La décision doit être effectivement fautive, ce qui résulte :
- soit d’une erreur de conduite du magistrat qui s’apprécie par rapport
au magistrat normalement soigneux et prudent placé dans les
mêmes conditions ;
- soit de la violation d’une règle de droit imposant au magistrat de
s’abstenir ou d’agir de manière déterminée, sauf lorsque cette
violation est la conséquence d’une erreur invincible ou d’une autre
cause de justification123.
L’affaire Anca fut par la suite renvoyée devant la cour d’appel de Liège qui
décida que les magistrats, qui avaient prononcé la faillite, n’avaient pas en
l’espèce commis de faute, compte tenu de l’état incertain de la doctrine et de la
jurisprudence au moment de leur décision. De l’opinion de la cour d’appel, la
méconnaissance du principe de publicité et du caractère contradictoire des débats
dans les procédures de faillite ne pouvait être considérée, dans le chef du
magistrat en cause, « comme évidemment impardonnable, eu égard à tous les
éléments dont il disposait et notamment à l’état indiscutable de la jurisprudence
à ce moment-là »124. Le nouveau pourvoi introduit contre cette décision fut rejeté
par la Cour de cassation125.
Les différentes conditions apportées à la responsabilité de l’Etat, ajoutées
à une certaine difficulté pour les juges de reconnaître que d’autres magistrats ont
commis une faute, limitent en pratique la possibilité pour les particuliers lésés
par une décision judiciaire d’obtenir réparation.
La responsabilité de l’Etat s’étend du reste à l’ensemble du service public
de la justice, et dès lors également aux actes du ministère public lequel engage,

122 Cass, 5 juin 2008, (2 arrêts) n° rôle C.06.0366N et C.070073.N.


123Notez que la doctrine classique du double fondement de la faute est remise en cause par
certains auteurs. Voy., par exemple, la contribution de J. Wildemeersch in Droit de la
responsabilité, Benoît Kohl (dir.), C.U.P., Université de Liège, 2009.
124 Liège, 28 janvier 1993, J.T., p. 477.
125 Cass., 8 décembre 1994, J.T., 1995, p. 497 et obs. R.O. Dalcq.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

par exemple, la responsabilité de l’Etat lorsqu’il fait appel d’une ordonnance de


non-lieu* ce qui impose aux personnes poursuivies « une nouvelle étape de
procédure et un allongement de cette procédure » alors que le dossier était
« quasiment vide »126.

3. La responsabilité du pouvoir législatif

a) La responsabilité des parlementaires

Les parlementaires bénéficient d’une immunité absolue pour les votes et


les opinions émises à la tribune (supra, ch. 3). Aussi, leur responsabilité
personnelle ne saurait être engagée dans leur participation à l’exercice du
pouvoir législatif. Les parlementaires jouissent également d’une protection
lorsqu’ils font l’objet de poursuites pénales pour des actes étrangers à leurs
fonction afin d’éviter les procédures partisanes (supra, ch. 3)127 .

b) La responsabilité de l’Etat du fait du pouvoir législatif

Si le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire peuvent commettre des fautes


engageant la responsabilité de l’Etat, qu’en est-il du pouvoir législatif128 ? La
Cour de cassation s’était prononcée de manière négative, par un arrêt ancien
rendu en 1845, à une époque où la compréhension des principes de souveraineté*
et de séparation des pouvoirs* interdisait bien évidemment toute mise en cause
du législateur129. La question méritait certainement d’être reposée à la lumière
des développements du régime de responsabilité des pouvoirs publics. La
jurisprudence des juges du fond s’était, par ailleurs, engagée dans cette voie.
Ainsi, par exemple, les cours d’appel de Liège130 et de Bruxelles131 ont condamné
l’Etat et la Communauté française pour avoir imposé à des étudiants étrangers,
ressortissants européens, le paiement d’un minerval plus élevé que celui exigé
des étudiants belges, et ce en violation du droit européen132.
Dans l’arrêt Ferrara du 28 septembre 2006133, la Cour de cassation est
clairement revenue sur son ancienne jurisprudence en posant le principe selon

126 Civ. Liège, 9 septembre 2008, J.T., 2008, pp. 604 et s.


127 Art. 59 de la Constitution.
128 Lire à ce propos l’excellent rapport de M. MAHIEU et S. VAN DROOGHENBROECK, « La
responsabilité de l’Etat législateur », J.T., 1998, pp. 825 et s.
129 Cass. 27 juin 1845, cité par MAHIEU et VAN DROOGENBROECK, op. cit.
130 Liège, 25 janvier 1994, Pas., 1993, II, p. 50.
131 Bruxelles, 24 avril 1994, inédit, cité par MAHIEU ET VAN DROOGENBROECK, op. cit., p. 837.
132Cette violation avait été constatée par la C.J.C.E. elle-même dans son arrêt Gravier du 13
février 1985 (Rec., 1985, p. 593).
133 R.G.: C.02.0570.F.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

lequel l’Etat peut être condamné pour les fautes commises par ses organes
agissant dans le cadre de la fonction législative. Cette décision s’inscrit dans le
prolongement de la jurisprudence relative à la responsabilité des pouvoirs publics
développée depuis l’arrêt La Flandria. Elle entérine également la fin de la
position « souveraine » autrefois reconnue au législateur, ce qui est dans la
logique des différents contrôles de validité dont la loi fait désormais l’objet et
conforme au principe de l’Etat de droit.
La responsabilité de l’Etat fédéral, et par analogie des législateurs des
entités fédérées, pourra normalement être engagée dans plusieurs situations.
D’abord, lorsque le législateur prend une norme contraire aux normes
supérieures, à savoir la Constitution (ou la loi spéciale), ainsi que les normes
internationales et européennes, et que la norme législative illicite cause un
dommage au justiciable134. Ensuite, lorsque le législateur néglige ou tarde à
prendre une norme alors qu’il était contraint de le faire par une norme
supérieure (par exemple, une directive européenne). Enfin, la responsabilité de
l’Etat (ou des pouvoirs publics régionaux et communautaires) est également
susceptible d’être engagée lorsque le parlement commet une faute dans l’exercice
d’une de ses autres missions ou prérogatives, par exemple à l’occasion des
travaux d’une commission d’enquête parlementaire*135 .
Reste à déterminer dans quelles limites les juges pourront engager la
responsabilité des organes législatifs sans s’immiscer eux-mêmes dans la fonction
législative. Dans certains cas, en effet, il n’est pas aisé de tracer la frontière entre
le contrôle de légalité et le contrôle d’opportunité (de même que nous l’avons vu
dans les cas de la responsabilité du pouvoir exécutif dans l’exercice du pouvoir
réglementaire). A cet égard, les circonstances de l’affaire ayant donné lieu à
l’arrêt Ferrara de la Cour de cassation du 28 septembre 2006 ont suscité la
controverse. En l’espèce, Mme Ferrera, qui s’estimait victime d’une faute
médicale causée par un chirurgien lors d’une opération pratiquée en 1986, avait
introduit une action en responsabilité devant le tribunal de première instance de
Bruxelles. Le tribunal avait condamné le médecin et l’hôpital en 1995, mais ceux-
ci avaient fait appel de cette décision. En 1997, Mme Ferrara est avisée que la
Cour d’appel examinera son affaire lors d’une audience fixée en 2004 (soit 18 ans
après les faits !). Mme Ferrera décide, dans ces conditions, d’attaquer sans
attendre l’Etat belge en raison de la longueur anormale de la procédure. Elle
fonde son action sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’homme* qui garantit le droit à un procès équitable*, lequel implique une
décision rendue dans un « délai raisonnable ». En 2001, le tribunal de première
instance de Bruxelles accueille sa demande et condamne l’Etat belge136. Celui-ci
interjette appel devant la Cour d’appel de Bruxelles, qui confirme la

134 Dans son arrêt Jung du 10 septembre 2010 (J.T., 2011, p. 811), la Cour de cassation est venue
nuancer le principe d’unicité de l’illégalité et de la faute : l’établissement de la responsabilité du
législateur requiert « une appréciation propre » au regard du législateur normalement prudent et
diligent.
135 Cass., 1er juin 2006, R.G. : C050494N.
136 Civ. Bruxelles, 6 nov. 2001, J.T., 2001, p. 865.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

condamnation par un arrêt rendu en 2002137 . La Cour de cassation rejette le


pourvoi introduit par l’Etat. Les magistrats bruxellois imputent la faute au
législateur fédéral. Ils se fondent sur la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme*, qui a estimé, à plusieurs reprises, que le droit à un procès
équitable oblige l’Etat à organiser son système judiciaire en sorte que les citoyens
puissent obtenir une décision dans un délai raisonnable. Tel n’est pas le cas au
niveau des juridictions bruxelloises depuis de nombreuses années. La Belgique a
d’ailleurs été condamnée à de nombreuses reprises depuis 2001 par la Cour
européenne des droits de l’homme pour les retards de la justice civile à Bruxelles.
Les juges de Bruxelles ont estimé que cet arriéré chronique est causé par la
négligence fautive du législateur fédéral, qui aurait dû modifier la loi de façon à
pouvoir nommer suffisamment de magistrats dans l’arrondissement judiciaire de
Bruxelles-Hal-Vilvoorde138. En s’abstenant de le faire, le législateur a violé
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et commis une
faute qui a causé un préjudice à Mme Ferrara, obligée d’attendre plus de 18 ans
pour espérer une décision coulée en force de chose jugée*.
Tandis que plusieurs commentateurs approuvent sans réserve cette
décision139, d’autres se montrent plus circonspects ou critiques140. On peut, en
effet, émettre quelques doutes sur l’appréciation de la faute en l’espèce par les
juges. D’abord, on peut s’interroger sur les causes réelles de l’arriéré dans les
juridictions de Bruxelles et sur la part de responsabilité qui reviendrait aux
magistrats eux-mêmes141 . Ensuite, on peut se demander si les juridictions
bruxelloises sont les mieux à même d’apprécier de manière impartiale les causes
de leur propre arriéré. Enfin et surtout, on peut s’interroger sur les bases
juridiques et factuelles qui permettent en l’espèce aux juges du fond de constater
une abstention fautive du législateur. Il s’agit, en effet, d’une matière
controversée, qui plus est délicate sur le plan communautaire, dans laquelle le
législateur jouit d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire et qui a des
implications budgétaires. En d’autres termes, on peut se demander si, en l’espèce,

137 Bruxelles, 4 juillet 2002, J.L.M.B., 2002, p. 1184.


Devenu en 2014 l’arrondissement de Bruxelles, sans changement de ses limites territoriales
138

mais avec dédoublement (francophone – néerlandophone) de certains tribunaux.


139 Notamment : J. VAN COMPERNOLLE et M. VERDUSSEN, « La responsabilité du législateur dans
l’arriéré judiciaire », J.T., 2007, p. 433. – F. GOSSELIN, « Responsabilité du législateur belge en
raison de l’arriéré judiciaire : l’arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2006 », mis en ligne
le 9 oct. 2006 sur le site Droit belge.Net, consultable en ligne à l’adresse :
http://www.droitbelge.be/news_detail.asp?id=355 (dernière consultation le 29 août 2014).
140 Notamment : M. UYTTENDAELE, « Le pouvoir politique et le pouvoir constitutionnel ou
comment contrôler les mauvais élèves de la classe », in Liber Amicorum Paul Martens, Bruxelles,
Larcier, 2007, p. 823, spécialement § 9, p. 835. – R. ERGEC, « Quelques doutes sur la soumission
du législateur au droit commun de la responsabilité civile », J.T., 2007, p. 440.
141Plusieurs audits réalisés par le Conseil Supérieur de la Justice montrent en effet que l’arriéré
est dû, au moins en partie, à des dysfonctionnements et des problèmes de gestion constatés au
niveau du parquet, du tribunal et de la cour. On est en outre frappé par la différence entre les 18
ans nécessaires pour juger l’affaire de responsabilité médicale de Mme Ferrera et les 18 mois mis
par les mêmes juridictions pour condamner l’Etat belge.

DROI-C-1001_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 66


Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

les juges n’ont pas outrepassé leur fonction en substituant leur propre
appréciation de l’intérêt général à celui du législateur. Le débat reste ouvert et ne
manquera pas de ressurgir dans l’avenir à l’occasion d’autres affaires.

4. La responsabilité internationale de la Belgique

Enfin, la responsabilité de l’Etat belge peut encore être engagée en cas de


violation de ses obligations internationales. L’Etat belge peut, à ce titre, être
condamné par une juridiction internationale telle la Cour internationale de
justice*, la Cour de justice de l’Union européenne* ou la Cour européenne des
droits de l’homme*.
Ainsi, en vertu de l’article 41 de la Convention européenne des droits de
l’homme, la Cour des droits de l’homme qui condamne un Etat pour violation de
la Convention peut accorder à la partie lésée une indemnité (qualifiée de
« satisfaction équitable ») si le droit interne de l’Etat ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de la violation (infra, ce ch., s. 2).
Le droit européen se montre plus précis encore et plus exigeant. Dans son
arrêt Francovitch du 19 novembre 1991142, la Cour de justice des Communautés
européennes a élevé, au rang de principe, la responsabilité de l’Etat à l’égard des
particuliers pour les dommages encourus à la suite d’une violation du droit
européen par celui-ci. Une telle responsabilité, estime la Cour, est nécessaire à
« la pleine efficacité des normes communautaires ».
Lorsqu’une juridiction internationale engage la responsabilité d’un Etat,
elle ne fait aucune distinction en fonction de l’auteur de l’acte. La responsabilité
de l’Etat sera engagée dans les mêmes termes que l’acte fautif ait été commis par
le pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire.

E. Appréciation finale

Il ressort clairement de cet examen qu’au cours des dernières décennies et


spécialement depuis la dernière guerre mondiale, les garanties de l’Etat de droit
ont été considérablement renforcées par la création et le développement de
recours juridictionnels effectifs permettant, d’une part, d’assurer le respect de la
hiérarchie des normes et, d’autre part, d’engager la responsabilité des pouvoirs
publics en cas d’atteinte fautive portée aux droits des particuliers.

142 Rec. 1991, I, p. 5357.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

IV. La démocratie

A. Notion

La démocratie est le gouvernement du peuple. Le peuple exerce les


fonctions du gouvernement soit directement (démocratie directe), soit par
l’intermédiaire de ses représentants (démocratie représentative).
Dans tous les cas, la démocratie repose sur le principe majoritaire. Le
peuple étant composé d’individus aux opinions diverses, la démocratie fait
prévaloir la volonté politique de la majorité. Elle permet ainsi aux citoyens de
prendre eux-mêmes en charge leur destin politique. Le pouvoir politique de la
majorité est cependant limité et encadré par les garanties de l’Etat de droit*. Ce
dernier impose à la majorité du moment le respect de normes supérieures
(notamment la Constitution) et la garantie des droits des individus, ainsi que la
protection des minorités et de l’opposition politique.
La quasi-totalité des démocraties contemporaines sont des démocraties
représentatives. Elles réservent cependant une certaine place, variable selon les
régimes, à la participation directe des citoyens au contrôle, voire à l’exercice de la
puissance publique.

B. La démocratie représentative

1. Les élections

La démocratie représentative repose sur le principe d’une élection au


suffrage universel dans un contexte politique de pluralisme et de concurrence143.
Le principe du suffrage universel est logiquement inscrit dans l’idée même
de démocratie. Il s’exprime par l’adage : « Un homme, une voix ». Le suffrage
universel ne s’est cependant imposé que lentement et progressivement par
l’élimination des conditions de fortune (suffrage censitaire), de capacité (suffrage
capacitaire), de race144 et de sexe145, ainsi que par l’abaissement des conditions
d’âge et de nationalité (supra, ch. 3)146.
La démocratie repose donc sur l’octroi à tous les citoyens du droit de vote.
Presque toujours, le vote est facultatif. Dans certains pays, comme la Belgique et

143 PH. LAUVAUX, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, PUF, 2ème éd., 2004, p. 62.
144 Dans le cadre de l’esclavage, de l’apartheid et de la ségrégation.
145 Les femmes ont longtemps été exclues du suffrage.
146L’article 3 du 1er Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme
consacre désormais l’élection des corps législatifs au suffrage universel.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

l’Australie, il est obligatoire. Pour que les électeurs puissent effectuer un


véritable choix, il est en outre nécessaire de garantir le pluralisme des
candidatures. Cela suppose que la possibilité soit largement reconnue aux
citoyens de se présenter aux élections. Ce droit d’être candidat (éligibilité*) est
cependant parfois soumis à des conditions plus restrictives que le droit de vote147.
Le pluralisme exige en outre la concurrence des partis politiques. Les
partis politiques sont des groupements ou associations défendant une certaine
tendance idéologique, qui ont pour but de participer à l’exercice du pouvoir en
s’assurant du soutien populaire. Il s’agit d’organisations durables qui regroupent
et mobilisent des moyens financiers importants, notamment à l’occasion des
élections (« machines électorales »). Les partis politiques sont apparus dès les
débuts des régimes représentatifs par l’effet quasi mécanique de bipolarisation
entraîné par le principe majoritaire. En d’autres termes, les élus ont tendance à
se regrouper en majorité et opposition politiques. Les partis politiques jouent un
rôle important, sinon essentiel, non seulement dans les élections, mais également
dans l’exercice du pouvoir politique. Toutefois, ce sont généralement des
organisations de fait, ignorées par les Constitutions classiques, comme celles de
la Belgique. Les Constitutions récentes, comme celles de l’Italie et de l’Allemagne
après la seconde guerre mondiale, leur accordent un véritable statut juridique.
En Belgique, les finances des partis politiques sont contrôlées depuis 1989148 et
ceux-ci se sont vus octroyer des financements publics, de manière à lutter contre
les modes de financement illégaux149.

2. La représentation

Les élections permettent la désignation des gouvernants. Cependant, dans


les régimes parlementaires, le peuple ne participe à la désignation des
gouvernants que de manière indirecte. Les citoyens élisent leurs représentants
au sein d’une ou plusieurs assemblées délibérantes. Le mandat des élus est
général et représentatif. Il est général en tant que chaque élu représente
l’ensemble du peuple et non ses propres électeurs. Il est représentatif en tant que
chaque élu se détermine librement dans ses votes et non en vertu d’un mandat
impératif donné par les électeurs. La ou les assemblées délibérantes participent à
l’exercice du pouvoir législatif. Elles exercent en outre le contrôle politique des
gouvernants dont la majorité a les moyens de provoquer la chute (supra, ch. 3).

147 Notamment d’âge et d’origine nationale.


148Loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales engagées
pour les élections des Chambres fédérales, ainsi qu’au financement et à la comptabilité ouverte
des partis politiques, M.B., 20 juillet 1989.
149Résultant de trafics d’influence et de détournement des fonds publics comme dans les affaires
Inusop et Agusta-Dassaut précitées (supra, ce ch., III).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Les régimes présidentiels ajoutent à la représentation parlementaire


l’élection du chef de l’Etat ou de l’exécutif au suffrage universel. Tel est le cas
notamment aux Etats-Unis et en France, moyennant certains filtres150.
Dans l’Union européenne, les citoyens des Etats membres élisent leurs
députés au Parlement européen* au suffrage universel. Cependant, comme on l’a
vu (supra, ch. 3), ce Parlement ne jouit encore que de pouvoirs restreints. Il n’a ni
l’initiative des propositions de règlement et de directive, ni le pouvoir du dernier
mot. C’est pourquoi, on évoque fréquemment le déficit démocratique des
institutions européennes.
Quant à l’ordre juridique international, il ne comporte pas d’institutions
véritablement démocratiques. Les représentants qui siègent à l’Assemblée
générale des Nations Unies ou dans les autres organisations internationales sont
des représentants des Etats. Ils ne procèdent pas d’une élection au suffrage
universel.

C. La participation des citoyens au contrôle et à


l’exercice de la puissance publique.

Il a souvent été soutenu que « la démocratie représentative exclut toute


intervention directe du peuple autre que celle de la désignation de
représentants »151 . Cette affirmation est incorrecte et ne correspond pas aux
dispositions constitutionnelles des régimes démocratiques. Celles-ci organisent :
1. le contrôle permanent des gouvernants par l’opinion publique ;
2. le recours éventuel à des procédures de démocratie directe, comme le
referendum ;
3. la participation directe de certains citoyens ou associations à l’exercice de
certaines compétences relevant des pouvoirs constitués.

1. Le contrôle des gouvernants par l’opinion publique

La démocratie représentative ne repose pas exclusivement sur l’octroi aux


citoyens d’un droit de vote exercé à intervalles réguliers plus ou moins longs. La
Constitution permet et organise en outre les moyens d’un contrôle permanent des
gouvernants par l’opinion publique, c’est-à-dire par les citoyens. Ce système de
contrôle repose sur trois piliers essentiels.
1. Le principe de publicité* conditionne la validité ou la force obligatoire des
actes des gouvernants à leur publication. En application de ce principe,

150L’intervention du Collège des grands électeurs aux Etats-Unis et le mécanisme de présentation


des candidats par les élus en France.
151 LAUVAUX, op. cit., p. 92.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

l’article 190 de la Constitution prescrit que « aucune loi, aucun arrêté ou


règlement d’administration général, provincial ou communal, n’est
obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi ».
De même, les articles 148 et 149 de la Constitution prévoient que les
audiences des tribunaux sont en principe publiques et que les décisions de
justice sont prononcées en audience publique. En outre, l’article 32 de la
Constitution confère à chaque citoyen le droit de consulter et d’obtenir
copie de n’importe quel document public ou administratif, sauf les
exceptions établies par la loi. Ces dispositions, dans lesquelles nous ne
voyons trop souvent que de simples formalités, sont en réalité essentielles
au contrôle démocratique, dont elles constituent le préalable
indispensable. Elles font obstacle au secret dont s’entoure si naturellement
le pouvoir arbitraire et placent les gouvernants dans une sorte de « tour de
verre » en mettant leurs actes en permanence sous le regard du public. Le
principe de publicité constitue à ce titre une garantie primordiale de l’Etat
de droit.
2. Il ne suffit cependant pas que les citoyens aient la possibilité de prendre
connaissance des actes du pouvoir. Il faut encore qu’ils soient en mesure de
discuter et de critiquer librement ceux-ci, voire de manifester aux
gouvernants leur opposition ou leur mécontentement. Ces moyens sont
garantis par un faisceau de dispositions constitutionnelles qui interdisent
aux gouvernants de museler ou de faire pression sur l’opinion publique.
Ces dispositions consacrent et garantissent les libertés publiques,
notamment la liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de
réunion. Ces libertés constituent des droits de l’homme internationalement
reconnus (infra, ce ch., s. 2, II).
3. La liberté de l’information, de la presse et des médias constitue le dernier
élément de ce triptyque constitutionnel. Dans les démocraties modernes,
même de taille modeste, le débat public ne peut se développer sans
recourir aux médias. Ceux-ci remplissent une fonction politique
indispensable, non seulement en informant le public des actes, décisions et
opinions des gouvernants, mais aussi en élargissant virtuellement le cercle
de la discussion publique à l’ensemble de la population. Ressources
stratégiques de la vie démocratique, les médias sont particulièrement
exposés aux tentatives de contrôle, ce qui nécessite des mesures de
protection spécifiques. Au premier rang de celles-ci, on citera l’interdiction
de la censure, ainsi que les dispositions de nature à garantir le pluralisme
des médias.
L’ensemble de ce dispositif instaure, au sein même des systèmes
représentatifs, le régime de la démocratie d’opinion*. Les représentants du
peuple et les gouvernants, qui tiennent directement ou indirectement leurs
pouvoirs de la faveur populaire, sont particulièrement sensibles aux mouvements
de l’opinion publique, c’est-à-dire à l’opinion des citoyens desquels ils solliciteront
à terme le renouvellement de leur mandat. La démocratie représentative ne
repose donc pas exclusivement sur les pouvoirs constitués, mais établit une
interaction entre ceux-ci et les citoyens, dont les pouvoirs constitués sont censés
être l’émanation et exprimer la volonté politique.

71 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_B


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

2. Les procédés de démocratie directe : le referendum

La démocratie directe* est un régime dans lequel les citoyens exercent


directement, au sein de l’assemblée populaire, les différentes fonctions du
gouvernement. C’était le régime des démocraties antiques. Nombre de
Constitutions contemporaines combinent la démocratie représentative avec le
recours à certains procédés de démocratie directe, essentiellement le referendum.
On distingue trois catégories de referendum152.
1. Le referendum* au sens général est une expression de la volonté des
citoyens qui fait partie du processus d’élaboration de la législation au sens
large. Le referendum peut avoir une valeur de décision ou de simple
consultation ou encore de ratification d’un traité international. Ainsi, des
Etats membres de l’Union européenne ont soumis à referendum la
ratification (avortée) de la Constitution européenne ou encore celle
(réussie) du traité de Lisbonne.
2. L’initiative populaire* est l’acte par lequel une fraction des citoyens
intervient pour proposer une loi ou une révision constitutionnelle. Cette
initiative peut être suivie d’une procédure parlementaire classique ou faire
l’objet d’une consultation populaire. Afin de renforcer la notion de
citoyenneté européenne, le traité de Lisbonne prévoit un droit d’initiative
populaire (appelé initiative citoyenne) par lequel au moins un million de
ressortissants d’un nombre significatif d’Etats membres sont habilités à
inviter (pas à contraindre) la Commission à soumettre une proposition de
texte aux institutions compétentes153.
3. Le veto populaire* est la décision prise par les citoyens de refuser ou
d’abroger une loi ou une mesure administrative.
En Belgique, l’article 41 de la Constitution consacre expressément la
possibilité pour les provinces et les communes d’organiser des consultations
populaires. La loi provinciale et la loi communale en fixent les modalités. On
relève notamment un droit d’initiative des citoyens, la possibilité de participer
dès 16 ans à la consultation et le caractère facultatif du vote, les bulletins n’étant
pas dépouillés en dessous d’un certain seuil de participation154 .
Jusqu’en 2014, la Constitution était muette quant à l’organisation de
referendum au niveau fédéral, des communautés et des régions. La doctrine en
déduisait généralement que de telles consultations sont inconstitutionnelles155 . Il
existait cependant un précédent puisque la loi du 11 février 1950 a institué une

152 LAUVAUX, op. cit., pp. 135 et s.


153Art. 11, § 4 du TUE ; Règlement (UE) n° 211/2011 du Parlement et du Conseil du 16 février
2011 relatif à l’initiative citoyenne.
154M. UYTTENDAELE, Trente leçons de droit constitutionnel, Bruxelles, Anthemis - Bruylant,
2014, 2ème éd. op. cit., pp.149-150.
155 UYTTENDAELE, op. cit., pp. 146-148 et les références citées notes 7 et 8.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

consultation populaire demandant aux électeurs s’ils étaient d’avis « que le Roi
Léopold III reprenne l’exercice de ses pouvoirs constitutionnels » : 57, 68 % des
électeurs répondirent par l’affirmative. Cependant, si les votes favorables
atteignaient 72,2 % en Flandre, ils n’étaient que de 48,16 % dans
l’arrondissement de Bruxelles et de 42 % en Wallonie. En conséquence, les
chambres constatèrent la fin de l’impossibilité de régner du Roi156, mais celui-ci,
tirant les leçons du scrutin, abdiqua quelques jours plus tard157.
Depuis la sixième réforme de l’Etat entrée en vigueur en 2014, un article
39bis a été ajouté dans la Constitution pour permettre aux Régions d’organiser
des consultations populaires sur des matières qui ont été exclusivement
attribuées à des organes régionaux, avec certaines exceptions (notamment les
matières relatives aux finances et au budget). Ces consultations populaires ne
peuvent dès lors pas porter sur des questions qui relèvent de l’autorité fédérale
(comme la répartition des compétences ou les facilités accordées aux
francophones en périphérie bruxelloise) ou des communautés. Les modalités et
l’organisation de la consultation populaire sont réglées par décret ou ordonnance,
adopté à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, à condition que la
majorité des membres du Parlement concerné se trouve réunie. Une condition de
majorité supplémentaire est prévue pour la Région de Bruxelles-Capitale :
l’ordonnance doit en outre être adoptée à la majorité absolue des suffrages dans
chaque groupe linguistique158. Le président du Parlement concerné saisit ensuite
la Cour constitutionnelle qui statue, dans un délai de 60 jours, sur chaque
consultation populaire régionale préalablement à son organisation159 . La Cour
contrôle à la fois le respect des articles constitutionnels sur le fondement
desquels un recours en annulation peut être introduit160 et des conditions fixées
par ou en vertu de l’article 39bis de la Constitution. Si la consultation populaire
ne respecte pas une de ces normes, conditions ou modalités, ou si la Cour
constitutionnelle n'est pas saisie, la consultation populaire n'est pas organisée.
La consultation populaire ne peut pas davantage être organisée tant que la Cour
constitutionnelle n’a pas statué.

156 Supra, ch. 3.


157 UYTTENDAELE, op. cit., pp. 155-156.
158 Art. 28 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises, modifié par
l’article 8 de la loi spéciale du 6 janvier 2014 portant modification de la loi spéciale du 6 janvier
1989 sur la Cour constitutionnelle et de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions
bruxelloises, en vue de permettre l'organisation de consultations populaires régionales.
159 Art. 30ter de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, introduit par
l’article 3 de la loi spéciale du 6 janvier 2014 portant modification de la loi spéciale du 6 janvier
1989 sur la Cour constitutionnelle et de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions
bruxelloises, en vue de permettre l'organisation de consultations populaires régionales.
160 Art. 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

3. La participation des citoyens à l’exercice des pouvoirs

Dans un certain nombre de cas, d’ailleurs de plus en plus nombreux, des


citoyens ou des associations sont appelés à siéger dans des organes qui
participent, par voie d’avis, parfois même de décision, à l’exercice des pouvoirs
constitués. Ce phénomène en pleine croissance se rencontre aussi bien dans
l’ordre juridique interne, que dans les ordres européen et international. On
distinguera ici la participation des citoyens au pouvoir judiciaire, d’une part, et
aux pouvoirs législatif et exécutif, d’autre part.

a) La participation des citoyens à l’exercice de la justice

1°) Les juges citoyens


Le cas le plus important et le plus classique de participation des citoyens à
l’exercice de la justice est l’institution du jury populaire. L’origine de cette
institution remonte aux démocraties directes de l’Antiquité. En Belgique, le jury
est établi par l’article 150 de la Constitution dans les affaires pénales les plus
graves ou les plus sensibles pour la démocratie : les crimes, les délits politiques et
les délits de presse. Le jury siège au sein de la cour d’assises (supra, ch. 3). Il est
composé de 12 jurés effectifs, tirés au sort sur le registre des électeurs. Les jurés
doivent jouir de leurs droits civils et politiques, être âgés de 30 à 60 ans, savoir
lire et écrire et connaître la langue des débats. La loi prévoit en outre certaines
incompatibilités, notamment pour les mandataires politiques et les magistrats
professionnels161.
D’autres juridictions recourent également à des juges non professionnels. Il
s’agit notamment des juges et conseillers sociaux dans les juridictions du travail,
qui sont présentés par les organisations représentatives de travailleurs et
d’employeurs, ainsi que des juges consulaires au tribunal du commerce, qui ont
qualité de commerçants. La composition du tribunal d’application des peines est
calquée sur le même modèle, à savoir un magistrat professionnel qui préside,
entouré de deux assesseurs, l’un spécialisé en matière d’exécution des peines et
l’autre en réinsertion sociale.

2°) Le Conseil supérieur de la justice


La création du Conseil supérieur de la justice en 1998 est l’un des résultats
de l’accord politique « Octopus » faisant suite aux graves dysfonctionnements
constatés durant l’affaire Dutroux. Le Conseil supérieur de la justice est institué
par l’article 151 de la Constitution et organisé par les articles 259bis et suivants
du Code judiciaire. Bien qu’il ne participe pas lui-même du pouvoir judiciaire162,
le Conseil supérieur exerce des missions très importantes dans le domaine de la

161 Art. 217 et 224 du Code judiciaire.


162F. DELPEREE, « Le statut et la composition du conseil supérieur de la justice », Le conseil
supérieur de la justice, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 38.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

justice. Il intervient dans la nomination et l’affectation des magistrats, ainsi que


dans la formation de ceux-ci, mais aussi dans la surveillance du bon
fonctionnement de la justice et le suivi des plaintes.
Le Conseil supérieur de la justice est composé de 44 membres dont 22
magistrats, élus par leurs pairs, et 22 membres non-magistrats, issus de la
société civile. Une parité linguistique est prévue163, de même qu’un équilibre est
recherché dans la représentation des sexes164. En réalité, les membres non-
magistrats ne sont pas des citoyens ordinaires165. Certains sont avocats, d’autres
professeurs d’université ou de l’enseignement supérieur, d’autres enfin, diplômés
de l’enseignement supérieur : ils possèdent « une expérience professionnelle utile
pour la mission du conseil d’au moins 10 années dans le domaine juridique,
économique, administratif, social ou scientifique »166. Les membres non-
magistrats sont désignés par le Sénat à la majorité des deux tiers. La création et
la composition du Conseil répondent clairement au souci de restaurer le dialogue
et la confiance entre les citoyens et les institutions judiciaires.

b) Les organisations de la société civile associées aux pouvoirs


législatif et exécutif

Du niveau local au niveau international, des comités de quartiers aux


agences des Nations Unies, on ne compte plus les conseils, comités et autres
organisations qui participent, généralement à titre d’avis, dans le cadre des
procédures d’élaboration et d’exécution des normes juridiques dans l’ordre
interne, l’ordre européen et l’ordre international. Parmi ceux-ci, on peut prendre
l’exemple des conseils économiques et sociaux, qui interviennent dans le cadre de
la politique sociale, laquelle fait souvent l’objet de négociations menées par ou
avec les « partenaires sociaux ». Ces conseils sont traditionnellement composés
paritairement de représentants des organisations syndicales et patronales. Ils
s’élargissent aujourd’hui de plus en plus souvent à certains représentants
d’organisations non gouvernementales (O.N.G.).
En Belgique, le Conseil national du travail (C.N.T.)167 est un organe
strictement paritaire composé en nombre égal de représentants des organisations
interprofessionnelles de travailleurs et d’employeurs. Il exerce une mission
essentiellement consultative en adressant au parlement et au gouvernement, à
leur demande ou de sa propre initiative, des avis sur les questions sociales
intéressant le monde de l’emploi et du travail. Souvent unanimes, ces avis sont

163Le Conseil est composé de deux collèges francophone et néerlandophone de 22 membres


chacun. Chaque collège linguistique compte un nombre égal de magistrats et non-magistrats.
164Dans chaque groupe linguistique, les membres non-magistrats (au nombre de 11) doivent
compter au moins 4 membres de chaque sexe.
165B. FRYDMAN, « La participation citoyenne au conseil supérieur de la justice », in Le Conseil
supérieur de la justice, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 92 et s.
166 Art. 259bis-1, § 3 du Code judiciaire.
167 Cette institution a été créée par la loi organique du 29 mai 1952, M.B., 31 mai 1952.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

d’un grand poids et peuvent servir de prélude ou de « feu vert » à une initiative
législative ou réglementaire. Le Conseil peut également conclure en son sein des
conventions collectives de travail* interprofessionnelles, qui sont généralement
rendues obligatoires par arrêté royal (voy. aussi infra, ce ch., s. 2, III).
Au sein de l’Union européenne, un Comité économique et social (C.E.S.E.)
est institué. Ce comité est composé de plusieurs centaines de membres issus des
différents Etats membres en tant que « représentants des organisations
d’employeurs, de salariés et d’autres acteurs représentatifs de la société civile, en
particulier dans les domaines socio-économique, civique, professionnel et
culturel »168. Le Comité économique et social intervient par voie d’avis
consultatifs dans un nombre très important de procédures de décision
européennes, notamment dans la procédure de co-décision* (supra, ch. 3).
Enfin, au niveau de l’O.N.U., le Conseil économique et social est établi par
la Charte des Nations Unies. Il est composé de 54 membres élus par l’Assemblée
générale, auxquels sont adjoints des « observateurs », en particulier des
organisations non gouvernementales qui s’occupent de questions relevant de la
compétence du Conseil169. Le Conseil est un organe consultatif. Il réalise des
études, des rapports, fournit des informations ou des recommandations à
l’Assemblée générale ou au Conseil de sécurité.
Ces instances, où siègent des représentants non élus d’organisations
citoyennes, économiques ou sociales sont souvent présentées comme les organes
d’une forme de démocratie participative*. Ce terme doit être utilisé avec
prudence vu l’absence de réel pouvoir de décision et de représentativité de ses
membres. Si elles peuvent utilement compléter les institutions de la démocratie
représentative et les procédés de démocratie directe, leur caractère démocratique
est nettement plus sujet à caution lorsque leur création vise en réalité à pallier
l’absence ou les carences des mécanismes démocratiques, comme c’est le cas, dans
une certaine mesure, pour l’Union européenne et surtout dans l’ordre juridique
international.

D. La protection juridique de l’ordre démocratique

La démocratie est un régime politique qui compte beaucoup de partisans


mais aussi des adversaires. Aujourd’hui, elle est généralement considérée comme
le seul mode de gouvernement juste et légitime (supra, ch. 1), indissociable du
respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit (supra, ce ch., s. 1, III).
Cependant, les démocraties font face à un véritable dilemme lorsqu’elles sont
confrontées à des activités liberticides qui visent à remettre en cause l’ordre
démocratique et les droits et libertés qui en sont le corollaire : soit la démocratie
renie ses principes en refusant à certains la liberté dont elle fait son but, soit elle

168 Art. 300 al. 2 TFUE.


169 Voy. l’article 71 de la Charte des Nations Unies.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

concourt à sa propre destruction en laissant à ses ennemis les moyens de la


renverser170.
En Europe, la tendance va incontestablement dans le sens de la
criminalisation de telles activités antidémocratiques, qu’il s’agisse de partis,
d’associations, de comportements ou de discours liberticides171.
En Belgique, la loi sur le financement des partis politiques habilite, depuis
1999172, le Conseil d’Etat à supprimer ou à réduire la dotation d’un parti politique
qui, directement ou par la voie de ses candidats ou mandataires, « montre de
manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants son hostilité envers
les droits et libertés garantis par la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Jusqu’en 2005, cette loi n’a pas
pu être mise en application à défaut de définition d’une procédure précise pour ce
faire173 .
L’article 150 de la Constitution a, par ailleurs, été modifié en 1999174 pour
soustraire les délits de presse à caractère raciste et xénophobe à la compétence de
la cour d’assises. Ils sont désormais confiés au tribunal correctionnel, afin de
faciliter l’exercice des poursuites et la répression. Celle-ci trouve son fondement
dans la loi du 30 juillet 1981, tendant à réprimer certains actes inspirés par le
racisme et la xénophobie (dite loi Moureaux), qui institue, entre autres, le délit
d’incitation à la haine raciale.
Le Conseil d’Etat a donné raison à la RTBF qui, lors de la campagne de
1999 pour les élections législatives, a refusé d’offrir une tribune médiatique à un
parti d’extrême droite175.
La Cour européenne des droits de l’homme, tout en réaffirmant le
caractère essentiel et consubstantiel à la démocratie de libertés fondamentales
telles que la liberté d’expression, la liberté d’association ou encore la liberté de
réunion, a admis que les Etats limitent ces libertés à certaines conditions
strictes, notamment lorsqu’elles sont utilisées pour porter atteinte à l’ordre
démocratique. Ainsi, la Cour a autorisé la dissolution d’un parti politique dont
l’objet social était de mettre fin à la démocratie par la violence et d’instaurer un

170 LAUVAUX, op. cit., p. 163.


171En ce sens, voy. la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil sur la lutte contre certaines formes
et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal.
172 Loi du 12 février 1999 insérant un article 15ter dans la loi du 4 juillet 1989 relative à la
limitation et au contrôle des dépenses électorales des partis politiques et un article 16bis dans les
lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, M.B., 18 mars 1999.
173 Loi du 17 février 2005 modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973,
et la loi du 4 juillet 1989 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales engagées
pour les élections des chambres fédérales, ainsi qu'au financement et à la comptabilité ouverte
des partis politiques M.B., 13 octobre 2005.
174 Article unique de la modification de la Constitution du 7 mai 1999 (M.B., 27 mai 1999).
175 C.E. n° 80.787 du 9 juin 1999, arrêt Bastien.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

régime discriminatoire176. La Cour a, par contre, condamné la Turquie pour avoir


dissout le parti communiste unifié de Turquie avant même ses premières
activités, rien n’indiquant dans son objet social ou les activités préalables de ses
dirigeants que ce parti porterait atteinte à la démocratie177. La Cour européenne
des droits de l’homme a également admis certaines limitations au discours
politique, notamment lorsque la liberté d’expression est utilisée par le président
du Front National en Belgique pour inciter à la haine qui constitue une négation
des valeurs fondamentales d’un Etat démocratique178. De manière générale, la
Cour souligne que « la tolérance et le respect de l'égale dignité de tous les êtres
humains constituent le fondement d'une société démocratique et pluraliste. Il en
résulte qu’en principe on peut juger nécessaire, dans les sociétés démocratiques,
de sanctionner voire de prévenir toutes les formes d'expression qui propagent,
incitent à, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l'intolérance (y compris
l'intolérance religieuse), si l'on veille à ce que les « formalités », « conditions », «
restrictions » ou « sanctions » imposées soient proportionnées au but légitime
poursuivi179 .

Section 2 : Les valeurs et fonctions de l’ordre juridique

Les fonctions assignées à l’Etat et à son ordre juridique, de même que les
valeurs qui les sous-tendent, ont évolué et se sont étendues au fil de l’histoire
moderne. D’abord conçu comme un agent de sécurité, l’Etat gendarme est ensuite
redéfini comme Etat libéral, garant des droits et libertés individuels, avant de se
transformer lui-même en Etat social, gestionnaire des services publics, chargé de
la réduction des inégalités et de l’aide aux plus démunis. Aujourd’hui, dans le
contexte de la mondialisation qui relativise son pouvoir, les fonctions de l’Etat
sont parfois redéfinies à la baisse, comme une instance, parmi d’autres, de
régulation des activités humaines. Ces différentes valeurs de sécurité, liberté,
égalité et régulation n’affectent pas seulement les Etats mais également les
ordres juridiques européen et international.

176Cour eur. dr. h. (GC), Refah Partisi (parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, 13 février
2003.
177 Cour eur. dr. h., Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998.
178 Cour eur. dr. h., Féret c. Belgique, 16 juillet 2009.
179 Cour eur. dr. h., Gündüz c. Turquie, 4 décembre 2003, § 40.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

I. La sécurité

A. L’Etat, agent de sécurité

La pensée politique moderne a justifié la constitution d’Etats forts et


puissants par la nécessité d’assurer la sécurité. Selon Hobbes, la création d’un
Etat souverain, détenteur de la force publique et du monopole de la violence
légitime, est le seul moyen de mettre fin à « l’état de nature », qui correspond à
un état de guerre permanent, de tous contre tout le monde180 . L’Etat garantit la
sécurité extérieure en affirmant sa puissance vis-à-vis des autres Etats par la
conquête et en défendant le territoire national contre les envahisseurs. Il assure
en outre la sécurité intérieure en imposant l’obéissance à ses ordres, par la
contrainte s’il le faut, et en luttant contre ceux qui, au sein même de l’Etat,
troublent, contestent ou perturbent son pouvoir ou l’ordre social qu’il impose. La
sécurité extérieure est assurée par l’armée ; la sécurité intérieure est assurée par
la police.
Toutefois, la force publique considérable, ainsi concentrée entre les mains
du pouvoir souverain, risque de menacer, par sa puissance même, la sécurité et la
tranquillité des sujets qu’elle est censée garantir. La police est le « bras armé de
l’Etat » mais il ne faut pas qu’elle devienne « un Etat dans l’Etat ». Comme
l’explique John Locke, pourquoi les individus, en vue de se garantir des troubles
causés par « les fouines et les renards » (leurs voisins, concurrents et ennemis
personnels) iraient-ils se jeter dans la gueule du lion (l’Etat et ses forces)181 ?
D’où la nécessité de contrôler l’usage de la force publique afin qu’elle ne se
retourne pas contre la population ou certains individus. Il s’agit là d’une
application spécifique, mais cruciale et particulièrement délicate, du contrôle de
la puissance publique*.
Ce problème est loin d’être théorique. Depuis les années 1980, plusieurs
commissions d’enquête parlementaires ont clairement mis en évidence des
« dysfonctionnements » graves au niveau de l’organisation et l’action des services
de police. Ces difficultés tiennent, d’une part à l’efficacité de la police et, d’autre
part, à la légalité de son action. A cet égard, la Commission d’enquête
parlementaire sur l’enquête dans l’affaire Dutroux et consorts avait noté, dans le
chef des services de police, un « estompement de la norme », c’est-à-dire un
affranchissement des règles du droit182 . Le constat de ces manquements et de ces

180 TH. HOBBES, Leviathan, traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république


ecclésiastique et civile (1660), Paris, Sirey, 1971.
181 J. LOCKE, Traité du gouvernement civil (1690), Paris, Garnier-Flammarion, 1992, p. 212.
182 Rapport d’enquête complémentaire du 16 février 1998 dans l’enquête sur la manière dont
l’enquête dans ses volets policiers et judiciaires a été menée dans l’affaire Dutroux-Nihoul et
consorts, Doc. Parl., Ch. SO 1997-98, n° 713-8, spéc. pp. 18-19 pour la définition de la notion
“d’estompement de la norme”.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

carences a débouché, en 1998, sur la réorganisation complète des services de


police183 .

B. La fonction de police

Depuis la réforme de 1998, tous les services de police ont été intégrés en
un seul corps. Cette police unique est structurée à deux niveaux, fédéral et local.
La police locale est organisée par zones de police, lesquelles couvrent une ou
plusieurs communes.
On distingue encore, d’un point de vue fonctionnel, la police administrative
et la police judiciaire. La police administrative* a pour fonction de veiller au
maintien ou au rétablissement de la tranquillité, de la sécurité et de la santé
publiques. La police judiciaire* a pour fonction la poursuite des infractions, ainsi
que la recherche et l’arrestation de leurs auteurs et la réunion des preuves (art. 8
du Code d’instruction criminelle).
En réalité, les services de police assurent des missions aussi nombreuses
que variées et peu déterminées. La police règle la circulation ; elle intervient
dans les conflits de la vie sociale ; elle assure une présence et une surveillance
dans les lieux publics, de même qu’un service d’ordre ou de répression lors des
événements publics ou des manifestations ; dans certains cas, elle pourvoit à la
garde et à la protection rapprochées des personnes et des biens ; elle collecte des
informations, mène des enquêtes, contrôle les personnes ; elle intervient en cas
de catastrophe naturelle ou industrielle ; elle prête main-forte aux autres services
publics lorsque ceux-ci doivent recourir à la force ; etc. Toutes ces missions
dépassent largement l’ordre juridique proprement dit. Elles relèvent souvent
davantage du fait que du droit. Leur point commun est de se rattacher à l’usage
légitime de la force publique184.
Puisqu’elle a pour fonction l’usage de la force, la police se caractérise par le
recours à des moyens de contrainte* (supra, ch. 1er). Les moyens de contrainte
sont eux-mêmes très diversifiés : injonction, immobilisation, fouille, arrestation,
usage d’armes, etc. La loi sur la fonction de police rappelle à cet égard le principe
de légalité : « pour accomplir leurs missions, les services de police n’utilisent des
moyens de contrainte que dans les conditions prévues par la loi »185 . Tout
fonctionnaire de police peut, en tenant compte des risques, recourir à la force
pour poursuivre un objectif légitime, si celui-ci ne peut être atteint autrement.
Les moyens employés doivent être raisonnables et proportionnés à l’objectif

Loi du 7 décembre 1998, organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux,
183

M.B., 5 janvier 1999. Cette loi modifie et complète la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police.
184S. SMEETS et C. STREBELLE, La police de proximité en Belgique. Vers un nouveau modèle de
gestion de l’ordre?, Bruxelles, Bruylant, Collection de l’Ecole des sciences criminologiques, 2000,
chap. 4.
185 Art. 1er, § 3 de la loi sur la fonction de police du 5 août 1992.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

poursuivi. L’usage de la force doit normalement être précédé d’un avertissement.


Le recours aux armes à feu est soumis à des conditions spécifiques186 .

C. Le contrôle de la police

Dans le contrôle de la puissance publique, celui de la force publique est


sans doute le plus difficile, mais aussi le plus important, dès lors que c’est dans ce
domaine que les atteintes aux personnes, à leurs droits et à leurs libertés
risquent d’être les plus graves.
Le contrôle de la police est d’abord assuré, au sein de l’administration elle-
même, par l’organisation hiérarchique. La police judiciaire est placée sous
l’autorité du ministre de la Justice. La police administrative est placée au niveau
fédéral, sous l’autorité du ministre de l’Intérieur et, au niveau local, sous
l’autorité des bourgmestres. Il existe, au sein même de l’administration, un
service d’inspection générale, chargé de contrôler la police tant judiciaire
qu’administrative.
Compte tenu des problèmes révélés par certaines commissions d’enquête
parlementaires, la loi a créé en 1991 un organe spécifique de contrôle qui dépend
directement du parlement : le Comité permanent du contrôle des services de
police, en abrégé Comité P187 . Le Comité P est composé de cinq membres nommés
directement par la Chambre des représentants. Il possède son propre service
d’enquête, qui effectue des contrôles d’initiative, à la suite de plaintes ou
dénonciations, ou à la demande des ministres ou des chambres. Le Comité P a
pour mission, d’une part, d’améliorer la coordination et l’efficacité des services de
police et, d’autre part, d’assurer la protection des droits des personnes. En 1999,
la loi a limité les missions du Comité P188, notamment quant aux enquêtes sur les
crimes et délits imputés aux membres des services de police.
Enfin, le pouvoir judiciaire est naturellement compétent pour la poursuite
et la répression des infractions pénales commises par les membres des services de
police, y compris dans l’exercice de leurs fonctions. Une des missions du parquet
fédéral* institué en 1998 est d’ailleurs d’assurer la surveillance de la police
fédérale189. Dans la tristement célèbre affaire Sémira Adamu, le tribunal
correctionnel de Bruxelles a condamné plusieurs fonctionnaires de police pour
avoir provoqué la mort d’une ressortissante nigériane que l’on tentait de

186 Art. 37 et 38 de la loi précitée.


187 Instauré par la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de
renseignements.
188Loi du 1er mars 1999 modifiant la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de
police et de renseignements, M.B., 3 avril 1999.
189Loi du 22 décembre 1998 sur l'intégration verticale du ministère public, le parquet fédéral et le
conseil des procureurs du Roi, M.B., 10 février 1999.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

reconduire de force par avion dans son pays190 . La mort était survenue par suite
de l’application de la technique dite « du coussin », qui consistait, en cas de
résistance de la personne dans l’avion, à immobiliser celle-ci sur son siège et à lui
appliquer un coussin sur le visage pour l’empêcher de bouger et de crier. Le
tribunal a condamné les trois gendarmes qui exerçaient une pression sur Sémira
Adamu à un an de prison avec sursis pour coups et blessures involontaires ainsi
qu’à une amende de 500 euros, le jugement estimant qu’ils avaient fait preuve
d’une violence inadéquate et inappropriée. Un supérieur qui assistait à
l’opération est acquitté mais le second, plus haut gradé, est lui condamné à 14
mois avec sursis ainsi qu’à la même amende. La responsabilité civile de l’Etat
belge est également engagée. L’administration est sévèrement critiquée pour la
légèreté impardonnable avec laquelle la directive* autorisant l’usage du coussin a
été élaborée, notamment sans aucune référence à la littérature médicale
indiquant clairement les dangers d’une telle technique. Le jugement souligne
également l’absence de formation suffisante des gendarmes « escorteurs » à son
usage. Les juges se sont montrés en l’espèce beaucoup plus sévères que le
ministère public* dans ses réquisitions*. Cependant, ce genre d’affaires, qui
aboutit à la condamnation pénale des forces de l’ordre, demeure relativement
exceptionnelle. L’attitude passive des autorités belges a d’ailleurs été sévèrement
condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Cakir191 .

II. La liberté

A. L’Etat libéral et la garantie des libertés individuelles

Les individus ne doivent donc pas seulement être protégés par l’Etat, mais
également, le cas échéant, contre lui. Le respect des droits et des libertés des
individus doit être assuré face à quelque autorité que ce soit. Selon la philosophie
libérale, qui a inspiré les révolutions de la fin du XVIIIe siècle, ces droits et
libertés individuels sont des droits naturels* de l’homme. Leur garantie et leur
protection est le but ultime de toute association politique192 et donc de l’Etat.
En Belgique, ces droits et libertés sont énoncés au titre II de la
Constitution (art. 8 à 32). Depuis la seconde guerre mondiale, ils sont également
consacrés par des traités internationaux, ayant effet direct dans l’ordre interne :
au niveau du Conseil de l’Europe, la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, 1950) et ses protocoles

190Corr. Bruxelles, 12 décembre 2003. Sur cette affaire, cons. P.-A. PERROUTY, « Un système et
des rouages : l'affaire ‘Semira Adamu’ », Année sociale, 2003, pp. 107 et s.
191 Cakir c. Belgique, 10 mars 2009.
192Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, art. 2 : « Le but de toute association
politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme ».

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

additionnels ; au niveau des Nations Unies, le Pacte international de New York


sur les droits civils et politiques (PIDCP, 1966) notamment ; au niveau de l’Union
européenne, la Charte européenne des droits fondamentaux (2000, devenue
contraignante avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne). Ces textes
définissent les droits de l’homme dans des termes très similaires.
La protection des droits garantis par la Convention européenne doit
donner lieu à un recours effectif dans l’ordre interne de chaque Etat, même si la
violation a été commise par les autorités officielles (art. 13 CEDH). En outre, les
personnes dont les droits auraient été violés disposent ultimement, après
l’épuisement des voies de recours internes, d’un recours devant la Cour
européenne des droits de l’homme (art. 34 CEDH). La Cour est chargée
d’appliquer et d’interpréter la Convention. En cas de violation, elle condamne
l’Etat responsable, qui doit « effacer » les conséquences de la violation. Si celles-ci
ne peuvent être effacées, la Cour allouera à la victime une « satisfaction
équitable » (art. 41 CEDH) (supra, ch. 3).
Les Etats doivent d’abord s’abstenir de porter atteinte aux droits et
libertés garantis par la Convention européenne. Certains de ces droits sont
absolus, c’est-à-dire qu’ils ne souffrent aucune dérogation ; la plupart sont
relatifs, c’est-à-dire qu’ils s’accommodent de certaines exceptions et ingérences de
l’Etat, mais uniquement moyennant le respect des conditions prévues par la
Convention, dont la Cour contrôle le respect (supra, ch. 3).
En certaines circonstances, la protection effective des droits n'est pas
garantie par une simple abstention des autorités publiques. L'Etat peut alors
être astreint à prendre des mesures positives afin d'assurer le respect réel des
droits et libertés : c'est ce qu'on appelle les obligations positives* mises à charge
de l'Etat. La méconnaissance par l’Etat de ses obligations positives est
susceptible d’entraîner la condamnation de l’Etat pour violation de la
Convention.
La conception européenne des droits de l’homme impose en outre le respect
de ceux-ci dans les relations entre les particuliers. C’est ce que l’on appelle l’effet
horizontal* des droits de l’homme. En conséquence, l’Etat ne doit pas seulement
s’abstenir de porter lui-même atteinte aux droits et libertés, mais également, le
cas échéant, intervenir pour protéger les droits d’une personne menacée par
d’autres particuliers. Par exemple, l’Etat doit intervenir pour mettre fin à des
traitements inhumains ou dégradants infligés par des particuliers ou encore pour
protéger la liberté d’expression ou de culte lorsqu’elles sont menacées par des
particuliers.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

B. Principaux droits de l’homme et libertés


fondamentales

Examinons à présent les différents droits garantis par la Convention


européenne des droits de l’homme et les différents protocoles qui la complètent193.

1. Le droit à la vie

L’article 2 de la Convention protège le droit à la vie. Ce droit constitue « la


valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme »194. La Convention précise
cependant les cas dans lesquels il peut être légitime d’infliger la mort : pour
assurer la défense d’une personne contre une violence illégale, pour effectuer une
arrestation ou empêcher une évasion, pour réprimer une émeute ou une
insurrection (art. 2, § 2 CEDH). L’acte n’est toutefois justifié qu’en cas d’absolue
nécessité. Tel n’est pas le cas lorsque les forces de l’ordre recourent à une
mitrailleuse pour disperser une manifestation violente195 ou lorsque des agents
de sécurité abattent des terroristes soupçonnés de préparer un attentat, dès lors
qu’il ne s’agissait pas de prévenir un danger imminent196.
Le droit à la vie oblige également l’Etat à mener une enquête officielle
effective en cas de disparition197 ou d’assurer la protection des personnes
menacées198.
Enfin, le droit à la vie a justifié en Europe l’abolition de la peine de mort
en toutes circonstances199.

193Les développements qui suivent, spécialement en ce qui concerne la jurisprudence de la Cour


européenne des droits de l’homme, ont été principalement puisés dans les sources suivantes : F.
SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, Paris, PUF, 2003, 6ème éd. ; R.
ERGEC et P.-F. DOCQUIR, « La Convention européenne des droits de l’homme : examen de
jurisprudence (1995-2000) », R.C.J.B., 2002, pp. 85-229 ; S. VAN DROOGHENBROECK, La
Convention européenne des droits de l’homme : trois années de jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme, 1999-2001, Bruxelles, Larcier, Les dossiers du Journal des
Tribunaux, 2003. Les étudiants sont invités à se référer au cours ex cathedra et aux diapositives
de cours pour la mise à jour de la jurisprudence.
194 Cour eur. dr. h., Krenz c. Allemagne, 22 mars 2001, § 72.
195 Cour eur. dr. h., Gülec c. Turquie, 27 juillet 1998.
196 Cour eur. dr. h., McCann et Al. c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995.
197 Cour eur. dr. h., Yasa c. Turquie, 2 septembre 1998 ; Cakici c. Turquie, 8 janvier 1999.
Notamment Cour eur. dr. h., Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998 et Kilic c. Turquie, 28
198

mars 2000.
19913ème Protocole additionnel à la CEDH, qui abolit la peine de mort « en toutes circonstances ».
Ce protocole est entré en vigueur le 1er octobre 2003. La Belgique l’a ratifié le 23 juin 2003.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2. Interdiction de la torture, des traitements inhumains et


dégradants

Cette interdiction, posée par l’article 3 CEDH, possède un caractère absolu


qui ne souffre aucune dérogation, même dans les circonstances les plus difficiles,
comme la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Les traitements
dégradants, inhumains et les actes de torture se rangent sur une échelle de
gravité croissante200. Est dégradant, l’acte de nature à humilier grossièrement
l’individu devant autrui ou à ses propres yeux, ou le poussant à agir contre sa
volonté ou sa conscience201. Est inhumain, l’acte qui provoque volontairement des
souffrances mentales ou physiques d’une intensité particulière202. La
qualification de torture marque d’une spéciale infamie les traitements inhumains
qui provoquent délibérément des souffrances très graves et cruelles.
L’article 3 concerne notamment les conditions de détention des personnes.
Ainsi, les sévices infligés lors d’une garde à vue de 4 jours peuvent constituer des
traitements inhumains et dégradants203. De même, le fait de laisser sans soin
médical, pendant 36 heures, une personne gravement blessée au cours de sa
détention constitue un acte de torture204. Par contre, la Cour a estimé, dans
l’affaire Papon, que la détention d’une personne âgée, même très âgée, n’est pas
en soi contraire à la Convention, laquelle ne fixe aucune limite à cet égard205.
Dans une affaire particulièrement pénible relative au meurtre d’un enfant
de 2 ans par deux mineurs d’une dizaine d’années, la Cour a considéré que le fait
de soumettre ceux-ci à un procès public et de retenir leur responsabilité pénale,
de même que de leur infliger une peine privative de liberté de durée indéterminée
ne constituait pas une atteinte aux droits de l’homme206.
Par ailleurs, si l’Etat règle souverainement le séjour des étrangers et peut
procéder à leur expulsion, celle-ci peut constituer dans certains cas un traitement
inhumain contraire à l’article 3 de la Convention. Tel est le cas pour l’expulsion
d’une femme adultère vers l’Iran où elle risque la lapidation207 ou pour
l’expulsion d’un étranger atteint du sida au stade terminal vers un pays où il ne
pourra recevoir des soins adéquats208.

200 ERGEC et DOCQUIR, op. cit., p. 121.


201 Cour eur. dr. h., Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997.
202 Cour eur. dr. h., Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978.
203 Cour eur. dr. h., Tomasi c. France, 27 août 1992.
204 Cour eur. dr. h., Ilhan c. Turquie, 27 juin 2000.
205 Cour eur. dr. h., Papon c. France, décision d’irrecevabilité du 7 juin 2001.
206Cour eur. dr. h., P. et V. c. Royaume-Uni, arrêts prononcés par la Grande Chambre, 16
décembre 1999.
207 Cour eur. dr. h., Jabari c. Turquie, 11 juillet 2000.
208 Cour eur. dr. h., D. c. Royaume-Uni, 2 mai 1997.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Le contrôle judiciaire de la Cour a été complété par un mécanisme


préventif, créé par la Convention européenne pour la prévention de la torture et
des peines ou traitements inhumains ou dégradants (1987). Cette Convention
institue un comité chargé de visiter n’importe quel lieu de détention (prison,
asile, centre fermé pour mineurs, étrangers demandeurs d’asile,…). Le Comité
européen pour la prévention de la torture n’a cependant le pouvoir que d’adresser
des recommandations. Celles-ci conservent normalement un caractère
confidentiel. Toutefois, si l’Etat refuse de coopérer, le Comité peut publier son
rapport. Ainsi, le Comité a rendu public, en 1992, un rapport qui conclut à la
pratique largement répandue de la torture par la police turque209.
La Convention des Nations Unies contre la torture (1984) met également
en place un Comité contre la torture, qui intervient en aval pour enquêter sur les
plaintes et les pratiques de torture qui lui sont dénoncées. Les rapports d’enquête
sont publiés.

3. Interdiction de l’esclavage, de la servitude et du travail


forcé

L’article 4 de la Convention interdit l’esclavage et la servitude de manière


absolue. La lutte contre l’esclavage est renforcée par plusieurs conventions
internationales spéciales, qui criminalisent notamment la traite des êtres
humains.
L’article 4 interdit également le travail forcé ou obligatoire. Toutefois, elle
exclut de son champ d’application le travail des détenus, le service militaire et le
service civil des objecteurs de conscience, les réquisitions en cas de crise ou de
calamité publique et les autres travaux ou services relevant des obligations
civiques normales.

4. La légalité des délits et des peines et le principe non bis in


idem

L’article 7 de la Convention consacre de manière absolue le principe de la


non-rétroactivité de la loi pénale (supra, ch. 5). En vertu de la jurisprudence
européenne, ce principe ne fait pas obstacle à la rétroactivité de la loi la
plus douce.
Le principe de légalité s’étend également aux règles de procédure. Ce
principe a été dégagé des garanties du procès équitable par la Cour des droits de
l’homme dans l’affaire Inusop (supra, ce ch., s. 1)210.

209 SUDRE, op. cit., pp. 217-219.


210 Cour eur. dr. h., Coëme et al. c. Belgique, 22 juin 2000.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Il est fait exception au principe de non-rétroactivité dans les cas d’action


ou d’omission qui constituent un crime d’après les principes généraux du droit
reconnus par les nations civilisées (art. 7, § 2 CEDH). Cette exception a été
introduite pour justifier la répression des crimes de génocide et des crimes contre
l’humanité commis pendant la seconde guerre mondiale, notamment par les nazis
et leurs acolytes.
Toujours en droit pénal, l’article 4 du Protocole additionnel n° 7 consacre le
principe non bis in idem en prévoyant que « nul ne peut être poursuivi ou puni
pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour
laquelle il déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément
à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ».

5. La liberté individuelle et de mouvement

a) La protection contre les arrestations arbitraires

L’article 5 de la Convention affirme le principe de la liberté individuelle et


donc la protection contre les arrestations arbitraires. La Convention définit les
conditions et les cas dans lesquels une personne peut être privée de sa liberté. Il
s’agit des personnes régulièrement condamnées ou en détention préventive, ou
qui transgressent l’ordonnance d’un juge (contempt of court) ; des mineurs placés,
des aliénés, alcooliques, toxicomanes ou vagabonds (lorsqu’ils présentent une
menace pour le public ou pour eux-mêmes) ; des personnes atteintes d’une
maladie contagieuse ; et des étrangers aux fins de leur interdire l’accès au
territoire ou de procéder à leur expulsion.
Dans tous les cas, l’arrestation doit être effectuée conformément aux voies
légales. On se souvient que des Roms de nationalité slovaque avaient été
convoqués au commissariat de police de Gand, prétendument afin de « compléter
leur dossier relatif à leur demande d’asile ». Une fois sur les lieux, ils s’étaient
vus remettre un ordre de quitter le territoire, pour ensuite être emmenés dans un
centre fermé et détenus jusqu’à leur expulsion. Ce procédé, qualifié de « petite
ruse » par l’agent du gouvernement belge, a été jugé inadmissible par la Cour des
droits de l’homme, qui a condamné la Belgique pour violation de l’article 5211 .
Toute personne arrêtée doit être informée sans retard des motifs de sa
détention. Elle doit être présentée devant un magistrat et être jugée dans un
délai raisonnable ou remise en liberté, éventuellement moyennant le versement
d’une caution. Elle doit disposer d’un recours judiciaire pour statuer sur la
légalité de sa détention et être indemnisée en cas de détention illégale* (art. 5, §
2 à 5).

211Cour eur. dr. h., Conka c. Belgique, 5 février 2002. Sur cette décision, voy. VAN
DROOGHENBROECK, op. cit., p. 53.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

b) La liberté de circulation

L’article 2 du 4ème protocole additionnel de la Convention garantit en outre


la liberté de circulation. Toute personne régulièrement établie sur un territoire a
le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence. De même, elle
est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.
Cependant, la liberté de circulation ne fait pas obstacle au droit souverain
pour les Etats de régler l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et
l’éloignement des étrangers.

6. Les garanties du procès équitable

L’article 6, § 1er de la Convention fixe les garanties du procès équitable.


Celles-ci constituent les principes généraux* du droit de la procédure* tant civile
que pénale. Elles prendront tout leur sens au cours de l’examen du procès civil et
pénal (infra, ch. 8).
L’article 6, §1 de la Convention garantit à toute personne d’être jugée
publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et
impartial établi par la loi.
La procédure doit respecter le principe du débat contradictoire, ainsi que
« l’égalité des armes » entre les parties, notamment entre l’accusé et le ministère
public*. La Cour des droits de l’homme a considéré que tel n’est pas le cas lorsque
le parquet de cassation participe au délibéré* de la Cour avec voix consultative et
que les parties n’ont pas la possibilité de répondre aux conclusions par lesquelles
il conclut à l’accueil ou au rejet du pourvoi. La Belgique a été, pour ce motif,
condamnée à plusieurs reprises pour violation des garanties du procès équitable,
tant au civil212, qu’au pénal213 et même en matière disciplinaire214 .
Le jugement doit être prononcé en audience publique. Il doit être motivé. Il
doit être exécuté par les autorités215.
L’article 6, § 2 et 3 prévoit en outre des garanties spécifiques au procès
pénal, notamment la présomption d’innocence et des droits de défense renforcés
(infra, ch. 8).

7. Le respect de la vie privée et familiale

En vertu de l’article 8 de la Convention, « toute personne a droit au respect


de sa vie privée et familiale, de son domicile et de correspondance ».

212 Cour eur. dr. h., Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996.


213 Cour eur. dr. h., Borgers c. Belgique, 30 octobre 1991.
214 Cour eur. dr. h., Van Orshoven c. Belgique, 25 juin 1997.
215 Cour eur. dr. h., Georgiadis c. Grèce, 28 mars 2000 ; Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

La Cour des droits de l’homme a donné à la notion de « vie privée » une


interprétation extensive*.
1. L’individu a d’abord droit au respect de son intimité, ce qui implique
notamment la protection de son domicile et le respect de la confidentialité
de ses communications216.
2. La vie privée s’étend aussi au choix d’un mode de vie, en ce compris
l’orientation et l’activité sexuelles. Le respect de la vie privée fait ainsi
obstacle à la répression d’actes sexuels privés entre adultes consentants217,
mais non à leur condamnation pénale lorsqu’ils dégénèrent en pratiques
sadomasochistes entraînant des lésions graves218.
3. La Convention garantit en outre à l’homme et à la femme le droit de se
marier et de fonder une famille (art. 12, CEDH). La protection de la vie
familiale s’étend cependant au-delà de la famille légitime, y compris aux
enfants naturels. Le droit à la vie familiale comporte normalement un
droit de visite pour les parents qui ne cohabitent pas avec leur enfant.
4. Enfin, la Cour européenne a cru pouvoir déduire de la protection de la vie
privée et familiale le droit de vivre dans un environnement sain. Ce droit
peut imposer des obligations positives aux Etats, notamment de mettre fin
aux nuisances sonores d’un aéroport219 ou aux émanations nauséabondes
d’une station d’épuration et de traitement de déchets220 .

8. Liberté de pensée, de conscience et de religion

En vertu de l’article 9 de la Convention, « toute personne a droit à la


liberté de pensée, de conscience et de religion ».
Cette liberté comporte d’abord le droit d’avoir ou de ne pas avoir de
religion, et celui d’en changer. A cet égard, elle n’est susceptible d’aucune
restriction. Ainsi, l’obligation faite aux parlementaires de prêter serment sur les
Evangiles avant d’exercer leur mandat a été jugée contraire à l’article 9221.
Ce droit implique, en outre, « la liberté de manifester sa religion ou sa
conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte,
l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » (art. 9, §1er CEDH).
Le droit de porter des vêtements et signes distinctifs est ainsi consacré, par
exemple le droit pour les femmes musulmanes de porter le foulard islamique ou

216 Voy. aussi art. 15 et 29 de la Constitution belge.


217 Cour eur. dr. h., A.D.T. c. Royaume Uni, 31 juillet 2000.
218 Cour eur. dr. h., Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume Uni, 19 février 1997.
219 Cour eur. dr. h., Powell & Rayner c. Royaume Uni, 21 février 1990.
220 Cour eur. dr. h., Lopez Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994.
221 Cour eur. dr. h., Buscarini et autres c. Saint-Marin, 18 février 1999.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

pour les hommes sikhs d’arborer le turban. Personne ne pourrait pour autant
être contraint d'afficher de tels signes dans une société démocratique.
Le droit de manifester sa religion n’est toutefois pas absolu : il peut être
restreint par l’Etat moyennant le respect de certaines conditions (légalité, but
légitime, nécessité222 ). Les instances de Strasbourg ont ainsi estimé que ne
constituait pas une entrave à la liberté de religion le fait pour une université
laïque turque de réglementer la tenue vestimentaire des étudiants, en
interdisant le port du foulard islamique sur la photo d’identité nécessaire à la
délivrance du diplôme223. La Cour européenne a également estimé conforme à
l’article 9 l’interdiction faite à une enseignante d’une école publique de porter le
voile islamique durant ses cours. La Cour rappelle que « dans une société
démocratique, où plusieurs religions coexistent, il peut se révéler nécessaire
d’assortir [la liberté de manifester ses convictions religieuses] de limitations
propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des
convictions de chacun »224. Selon la Cour, le jeune âge des enfants (de quatre à
huit ans) les rendait influençables en sorte que le port du voile avait en leur
présence « un effet de prosélytisme » certain. Plus récemment, la Cour a encore
reconnu qu’une université turque ne méconnaît pas la liberté de religion en
prescrivant dans une circulaire intérieure que « les étudiantes ayant la ‘tête
couverte’ (portant le foulard islamique) et les étudiants portant la barbe (…) ne
doivent pas être acceptés aux cours, stages et travaux pratiques »225. Suivant la
Cour, « dans un pays comme la Turquie, où la grande majorité de la population
adhère à une religion précise, des mesures prises dans les universités en vue
d’empêcher certains mouvements fondamentalistes religieux d’exercer une
pression sur les étudiants qui ne pratiquent pas la religion en cause ou sur ceux
adhérant à une autre religion peuvent être justifiées au regard de l’article 9, § 2
de la Convention. Dans ce contexte, des universités laïques peuvent réglementer
la manifestation des rites et des symboles de cette religion, en apportant des
restrictions de lieu et de forme, dans le but d’assurer la mixité des étudiants de
croyances diverses et de protéger ainsi l’ordre public et les croyances d’autrui »226.
La liberté de conscience et de religion suscite ainsi des questions
particulièrement délicates dans le domaine de l’enseignement. L’article 2 du

222 Supra, ch. 3.


Cour eur. dr. h., Karaduman c. Turquie, Décision d’irrecevabilité prononcée par l’ancienne
223

Commission européenne des droits de l’homme, 3 mai 2003.


Cour eur. dr. h., Dhalab c. Suisse, 15 février 2001, décision d’irrecevabilité prononcée par la
224

Cour européenne des droits de l’homme.


225 Cour eur. dr. h. (GC), Leyla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005. Sur la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme et les pratiques nationales relatives au port de signes
religieux, voy. E. BRIBOSIA et I. RORIVE, « Le voile à l’école : une Europe divisée », Rev. trim. dr.
h., 2004, pp. 941-973 ; I. RORIVE, « Religious Symbols in the Public Space: In Search of a
European answer », Cardozo Law Review, 2009, vol. 30, p. 2669-2698.
226Cour eur. dr. h. (GC), Refah Partisi (parti de la Prospérité) et autres c. Turquie, 13 février
2003, § 95. Voy. aussi Karduman c. Turquie précité, décision de la Commission du 3 mai 1993,
DR, 74, p. 93.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

premier protocole additionnel à la Convention prévoit le droit à l’instruction. Il


précise que : « l’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine
de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette
éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et
philosophiques ». Cette disposition est interprétée par la Cour de manière
restrictive* comme interdisant seulement à l’Etat de poursuivre un objectif
d’endoctrinement ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques
des parents. Pour le surplus, le droit des parents au respect de leurs convictions
s’incline devant le droit des enfants à l’instruction et plus simplement devant
l’obligation scolaire227 .
Les conceptions de la laïcité* variant grandement d’un Etat européen à un
autre (supra, ch. 1), la Cour reconnaît aux Etats une « large marge
d’appréciation » « dans l’établissement des délicats rapports entre Etat et
religions »228.
En Belgique, le respect des convictions religieuses est garanti par la
Constitution dans des dispositions particulièrement détaillées. Les articles 19 à
21 de la Constitution proclament et organisent la liberté de culte. L’article 24 de
la Constitution, qui affirme la liberté de l’enseignement, prévoit que chaque
communauté organise un enseignement public neutre, ce qui implique
notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses
des parents et des élèves (art. 24, § 1er, al. 3). Les écoles publiques offrent le choix
entre l’enseignement d’une religion reconnue229 et celui de la morale non
confessionnelle (art. 24, § 1er, al. 4). En outre, tous les élèves soumis à l’obligation
scolaire ont droit, à charge de la communauté, à une éducation morale ou
religieuse (art. 24, § 3, al. 2). Enfin, l’enseignement libre subventionné,
généralement lié à une confession religieuse, est particulièrement développé dans
notre pays et accueille un grand nombre d’enfants.

9. La liberté d’expression et d’information

a) Principe et limites de la liberté d’expression

Au terme de l’article 10 de la Convention, la liberté d’expression


« comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des
informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités
publiques et sans considération de frontière ». Cette liberté s’étend à tous les
modes d’expression et notamment à toutes les formes de médias (presse écrite,
radio, télévision, …), et couvre de manière très large tous les types de

227 SUDRE, op. cit., p. 295.


228 Cour eur. dr. h.,Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France, 27 juin 2000, § 84. VAN
DROOGHENBROECK, op. cit., p. 61, citant cependant d’autres arrêts moins tolérants à l’égard de
l’Etat.
229 Sont actuellement reconnus en Belgique les cultes anglican, catholique, juif, musulman,
orthodoxe et protestant.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

communication et de messages : les opinions, les informations, les discours


scientifiques et universitaires, mais aussi les œuvres d’art, et même la publicité
commerciale. La liberté d’expression couvre non seulement les discours accueillis
avec faveur par l’opinion, mais également les propos qui heurtent, choquent ou
inquiètent tout ou partie de la population.
Toutefois, l’article 10, § 2 précise que l’exercice de ces libertés comporte
« des devoirs et des responsabilités » qui peuvent justifier l’ingérence des
autorités publiques et la sanction, voire la répression des abus. L’article 19 de la
Constitution belge prévoit lui-même que « …la liberté de manifester ses opinions
en toutes matières [est] garantie, sauf la répression des délits commis à l’occasion
de l’usage de [cette] liberté ». Au rang des discours délictueux, on citera
notamment : les discours racistes et xénophobes ou ceux qui incitent à la violence
et à la haine raciale230 ; les injures231, la calomnie et la diffamation (c’est-à-dire
l’imputation méchante à une personne d’un fait précis de nature à porter atteinte
à son honneur ou à l’exposer au mépris public232) ; les plagiats, contrefaçons et
plus généralement, les atteintes aux droits des auteurs ou à d’autres droits
intellectuels* (infra, ch. 7).
Enfin, l’article 10 autorise expressément les Etats à soumettre les
entreprises de radio, de télévision et de cinéma à un régime d’autorisation (ou de
licence). Cette disposition a de moins en moins de portée pratique dans un
environnement technologique numérique, dominé par les réseaux (Internet) et la
diffusion par satellite.

b) Contrôle exercé par la Cour des droits de l’homme

La Cour des droits de l’homme exerce un contrôle à géométrie variable sur


les atteintes et limitations apportées à la liberté d’expression.
1. Les mesures préventives (c’est-à-dire de censure), si elles ne sont pas
absolument interdites par la Convention, sont néanmoins suspectes aux
yeux de la Cour et font l’objet du contrôle le plus rigoureux.
2. En ce qui concerne les mesures a posteriori, répressives (sanction pénale)
ou de réparation (responsabilité civile), la Cour accorde aux Etats une
large marge d’appréciation lorsque ces mesures concernent des particuliers
et visent à protéger l’ordre public ou les droits d’autrui.
3. Cependant, la Cour se montre beaucoup plus sévère lorsque de telles
mesures touchent la presse, sous toutes ses formes, notamment écrite et
audiovisuelle. La Cour justifie ce régime spécial par la fonction
indispensable de « chien de garde de la démocratie » que remplit la presse

230Loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la
xénophobie (dite loi Moureaux), M.B., 8 août 1981 et ses modifications ultérieures.
231 Art. 448 du Code pénal.
232Art. 443 du Code pénal. On parle de calomnie lorsque la loi autorise la preuve par la personne
poursuivie du fait qu’elle allègue, de diffamation, lorsque la loi n’autorise pas cette preuve.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

(supra ce ch., s. 1, IV). En Belgique, la Constitution a également établi un


régime spécial de protection de la presse. L’article 25 énonce : « La presse
est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ». La Constitution a
prévu en outre un régime spécifique de responsabilité civile233 , ainsi que la
compétence de la cour d’assises pour les délits de presse234.
i. La presse doit pouvoir rendre compte librement, et sur le ton qui lui
convient, des débats politiques et des questions présentant un intérêt
pour le public. Cette liberté ne s’accommode pratiquement d’aucune
restriction lorsqu’il s’agit de rendre compte ou de critiquer l’action du
gouvernement.
ii. La presse doit également pouvoir rendre compte de l’exercice de la
justice, en ce compris des procédures judiciaires en cours, sans
compromettre cependant l’autorité et l’impartialité du pouvoir
judiciaire. La Cour a réaffirmé ce principe, notamment dans l’arrêt De
Haes et Gijsels c. Belgique235 . En l’espèce, deux journalistes de
l’hebdomadaire Humo avaient critiqué, en termes virulents, quatre
magistrats de la cour d’appel d’Anvers qu’ils accusaient de partialité,
pour avoir, dans le cadre d’une procédure en divorce, attribué la garde
des enfants à leur père, alors que celui-ci était poursuivi pour inceste et
sévices infligés à ses enfants. A la suite d’une plainte émanant des
magistrats mis en cause, les journalistes furent condamnés pour
diffamation*. Saisie par les journalistes condamnés, la Cour de
Strasbourg constata que les informations sur les sévices infligés aux
enfants reposaient sur des éléments de faits très sérieux. Considérant
la gravité de ces faits et la nécessité de les dénoncer à l’opinion, la Cour
estime que le ton polémique et agressif des journalistes devait être
admis et condamne la Belgique pour avoir ainsi porté atteinte à la
liberté de la presse.
iii. La liberté de presse inclut la protection des journalistes et de leurs
sources, qu’ils ne peuvent être contraints de divulguer. La Cour exige,
d’autre part, le respect par les journalistes des règles déontologiques de
leur profession.
4. La liberté d’expression, de la presse et des médias peut ainsi imposer à
l’Etat de protéger un journal contre les agressions236 , un journaliste de
télévision contre un licenciement abusif237 et garantir la possibilité pour

233 La responsabilité dite en cascade (art. 25, al. 2 de la Constitution).


234Art. 150 de la Constitution, à l’exception des délits de presse à caractère raciste ou xénophobe
depuis la modification intervenue en 1999.
235 Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 24 février 1997.
236 Cour eur. dr. h.,O’zgu’r Gu’nden c. Turquie, 16 mars 2000.
237 Cour eur. dr. h.,Fuentes Bobo c. Espagne, 29 février 2000.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

une association prônant une alimentation végétarienne de diffuser un


message, sous forme publicitaire, sur une chaîne de télévision publique238.

10. La liberté de réunion et d’association

L’article 11 de la Convention protège le droit pour les individus d’agir


collectivement, que ce soit à des fins politiques, pour défendre leurs intérêts, ou
pour tout autre motif notamment culturel ou de loisir. La Convention protège,
d’une part, le droit de s’assembler pacifiquement, notamment pour participer à
une réunion ou à une manifestation. Ce droit, également protégé par la
Constitution belge, est cependant nettement encadré par les autorités,
notamment les manifestations en plein air qui sont entièrement soumises aux
lois de police (art. 26, al. 2 de la Constitution).
La Convention garantit, d’autre part, la liberté de s’associer, ce qui
implique la liberté de créer des associations, d’y adhérer ou de ne pas y adhérer.
Ce droit s’étend à toutes formes d’associations, notamment les syndicats et les
partis politiques. Ce droit est également garanti par l’article 27 de la
Constitution belge, qui interdit toute mesure préventive.
Si les autorités ne peuvent, sans raison très forte, faire obstacle à la
constitution d’une association, elles peuvent, dans certains cas, être amenées à
dissoudre une association, en ce compris un parti politique. Ainsi, dans un
important arrêt du 31 juillet 2001, la Cour européenne des droits de l’homme a
admis la dissolution par la Cour constitutionnelle turque du parti Refah pour
cause d’atteintes au principe de laïcité, au motif que ce parti faisait campagne en
faveur de l’instauration de la Charia (loi religieuse coranique) et envisageait,
pour mener à bien ses projets, le recours à la Jihad (guerre sainte). Cet arrêt, qui
s’inscrit dans le mouvement de la lutte contre les partis liberticides (supra, ce ch.,
s. 1, IV ) a été confirmé par la Grande Chambre239 de la Cour le 13 février 2003.

11. Le respect des biens

Le droit de propriété a été « oublié » dans la Convention européenne des


droits de l’homme, mais il est protégé par le premier protocole additionnel (art.
1er). Chaque personne a droit au respect de ses biens, entendus au sens large
d’intérêts patrimoniaux. Ce droit ne fait pas obstacle au pouvoir de l’Etat de
réglementer l’usage de la propriété dans l’intérêt général ou même de priver une
personne de certains biens (expropriation ou réquisition) pour cause d’utilité

238Cour eur. dr. h.,VGT Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse, 28 juin 2001. Il s’agissait en l’espèce
de répondre à une campagne encourageant la consommation de viande, à l’initiative des bouchers.
239 L’article 43 de la CEDH prévoit que « dans un délai de trois mois à compter de la date de
l’arrêt d’une Chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le
renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ».

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

publique et moyennant indemnisation. Une protection similaire est assurée par


la Constitution belge (art. 16 et 17).
S’il est peu protégé au niveau des droits de l’homme, le droit de propriété
est surtout garanti par le droit patrimonial, dont il constitue l’épine dorsale. La
propriété est principalement protégée par le droit civil et par le droit économique,
en ce compris aux plans européen et international.

C. L’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle

Si, dans la conception libérale, les droits de l’homme concernent d’abord


(mais pas uniquement) les rapports entre les individus et l’Etat, les relations
qu’entretiennent les individus entre eux sont régies, en ordre principal, par le
principe de l’autonomie de la volonté* et par suite de la liberté contractuelle. En
vertu de l’autonomie de la volonté, personne ne peut en principe être engagé dans
un rapport obligatoire à autrui que moyennant son propre consentement. Le
contrat s’impose donc comme la forme juridique normale de la coopération
sociale. Les principes en sont régis par le Code civil et le droit des obligations*.
Les individus peuvent valablement convenir de tout ce qu’ils souhaitent, du
moment que l’objet et la cause de leur accord soient conformes à l’ordre public* et
aux bonnes mœurs*. Les parties fixent librement les termes de leur accord. Une
fois conclues, les dispositions du contrat sont la loi des parties240. En cas de litige,
le juge lui-même sera tenu par les termes du contrat et ne saurait, en principe,
en libérer une des parties ni même intervenir dans l’économie contractuelle et en
modifier les termes, dans le souci de tenir compte des circonstances ou afin de
protéger une partie faible.
Ces principes, autrefois entendus de manière très rigide, ont subi de
considérables aménagements, notamment par le biais du principe de l’exécution
de bonne foi des conventions (art. 1134, al. 3 du Code civil) et du principe de
l’abus de droit*, développés par la jurisprudence, ainsi que par le moyen des
contrats réglementés, qui imposent des dispositions souvent impératives* en vue
de protéger la partie la plus fragile.
Pendant longtemps cependant, les principes de l’autonomie de la volonté et
de la convention-loi, associés à la liberté du commerce et de l’industrie et à la
protection absolue du droit de propriété, ont servi de justifications ou d’alibis
pour faire obstacle à toute intervention de l’Etat dans l’organisation des relations
du travail, ainsi que dans la lutte contre la misère et les inégalités sociales.

240 Il s’agit du principe de la convention-loi consacré par l’article 1134, al. 1er du Code civil.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

III. L’égalité

A. Egalité formelle et inégalités matérielles

Le principe de l’égalité est affirmé dans l’article 10, alinéa 2 de la


Constitution belge : « Tous les Belges sont égaux devant la loi ». L’égalité
constitue, à l’instar de la liberté, une revendication des révolutions libérales et
une valeur fondamentale du droit qui en est le produit. Cette revendication
conduisit à l’abolition des ordres, qui structuraient la société d’Ancien Régime, et
à la suppression des privilèges (de privae leges, signifiant lois privées) qui en
étaient le corollaire et profitaient principalement aux membres des ordres
privilégiés (le clergé et la noblesse), mais aussi à certaines entités du Tiers-Etat
soumis à des statuts spécifiques (les corporations professionnelles et certaines
villes, par exemple). L’article 10, alinéa 1er de la Constitution prescrit désormais :
« Il n’y a dans l’Etat aucune distinction d’ordres ». Le Roi a certes le droit de
conférer des titres de noblesse, mais il ne peut jamais y attacher aucun privilège
(art. 113 de la Constitution).
Cette égalité juridique des individus trouve sa garantie dans la
formulation de la loi*, qui énonce des règles générales et abstraites, donc
universelles, sans établir de différences selon les individus auxquels elle
s’applique (supra, ch. 4). Cette conception purement formelle de l’égalité va
cependant trouver ses limites dans l’évolution des conditions sociales, provoquée
au XIXe siècle par la révolution industrielle. Une main-d’œuvre de plus en plus
nombreuse quitte les champs pour les manufactures et les usines et vient ainsi
grossir les rangs d’un prolétariat urbain aux conditions de vie et de travail
misérables et précaires. Tandis que la bourgeoisie prospère, toutes les mesures,
au-delà de la charité privée, qui pourraient pourvoir à l’amélioration du sort et de
la condition ouvrière se heurtent aux dogmes de l’Etat libéral et de ses principes
constitutionnels. Au nom de la liberté et du « laissez-faire »241 , l’Etat se refuse à
toute intervention dans la vie économique, y compris dans l’organisation sociale
du travail. Au nom de la liberté contractuelle et de l’égalité formelle des
cocontractants, il rejette tout aménagement légal des conditions de travail, fut-ce
pour interdire ou corriger les abus les plus criants, comme l’exploitation du
travail des enfants dès leur plus jeune âge. L’Etat libéral demeure sourd aux
revendications sociales de la classe ouvrière. Celle-ci est d’ailleurs réduite au
silence : les travailleurs sont privés du droit de vote que le suffrage censitaire
réserve aux riches propriétaires et les syndicats sont interdits, prétendument au
nom de la protection de la liberté individuelle.
Cette attitude rigide devait amener les défenseurs de la classe ouvrière et
du prolétariat à dénoncer l’ordre juridique libéral comme un discours idéologique,
destiné à travestir, sous les apparences de la liberté, de l’égalité et de la justice,

241 Mot d’ordre de la pensée économique libérale aux termes duquel l’Etat doit s’abstenir
d’intervenir dans la vie économique et laisser agir les acteurs économiques.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

l’exploitation odieuse de la grande majorité du peuple par la classe privilégiée des


bourgeois. L’Etat libéral et son droit sont également dénoncés comme des
instruments d’oppression tout acquis aux intérêts de la bourgeoisie. Cette
analyse les conduit à une condamnation radicale du droit et de l’Etat et à l’appel
à la révolution prolétarienne qui débouchera, au XXe siècle, sur l’instauration de
régimes communistes dans plusieurs parties du globe.

B. L’Etat social et son droit

En Europe occidentale, un compromis historique est finalement scellé


entre les classes populaires et la bourgeoisie aux termes duquel le prolétariat
renonce à la révolution moyennant d’importantes contreparties. D’une part, les
classes laborieuses se voient enfin reconnaître le droit de vote (suffrage
universel), c’est-à-dire l’égalité politique, et la liberté syndicale. D’autre part,
l’Etat renonce au dogme du « laissez-faire » et accepte de prendre part activement
aux progrès des conditions de vie et de travail. Cette modification de la mission
de l’Etat et l’implication de celui-ci dans la réforme de la société conduira
progressivement à la transformation de l’Etat libéral en Etat social, parfois
qualifié au moment de son apogée d’Etat providence.
Cette transformation du rôle du droit et de l’Etat introduit des
changements très importants dans l’ordre juridique. Il conduit d’abord à
l’émergence et au développement d’une nouvelle branche du droit : le droit social*
(1), mais il affecte plus largement l’ensemble de l’activité économique et de ses
règles (2), allant jusqu’à transformer la nature même de la règle juridique (3).

1. Le droit social

Le droit social* se subdivise entre deux domaines : le droit du travail* et le


droit de la sécurité sociale*.

a) Le droit du travail

Par le droit du travail, l’Etat intervient directement pour réglementer tant


la relation individuelle entre le travailleur et l’employeur que les relations
collectives entre les organisations qui représentent leurs intérêts.
L’Etat réglemente d’abord les conditions du travail afin d’assurer que les
entreprises offrent aux travailleurs un cadre de travail adéquat242.
L’Etat intervient également directement dans la relation de travail en
réglementant le contrat de travail243 par l’insertion, en faveur des travailleurs, de

242Par exemple, la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de
leur travail, M.B., 1er octobre 1996.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

dispositions impératives* et parfois même d’ordre public*, qui leur garantissent


certains droits, par exemple un délai de préavis en cas de licenciement.
Mais la loi ne se contente pas d’intervenir dans la relation individuelle
entre l’employeur et le travailleur, il aménage également les modes et moyens de
la négociation collective. La loi impose la création au sein des entreprises d’une
certaine taille d’une délégation syndicale, d’un conseil d’entreprise ainsi que d’un
comité pour la prévention et la protection au travail, où siègent, aux côtés de la
direction, des représentants des travailleurs.
L’Etat reconnaît à certaines organisations syndicales un caractère
représentatif, leur permettant de conclure valablement des accords avec les
employeurs et leurs organisations soit au niveau de l’entreprise, soit au sein
d’une commission paritaire établie par branches d’activités, soit enfin au niveau
interprofessionnel de l’ensemble des travailleurs. Ces accords portent le nom de
convention collective de travail*. Ils concernent les conditions de travail, mais
aussi la rémunération, la durée du travail, la formation professionnelle, etc.
Leurs dispositions peuvent être rendues obligatoires soit à l’ensemble d’une
branche d’activité, soit à l’ensemble du territoire, par le moyen d’un arrêté royal*.

b) La sécurité sociale

D’autre part, l’Etat social a institué progressivement des mécanismes


d’assurance sociale destinés à protéger les travailleurs et leur famille contre
certains risques du travail et de la vie par le versement de prestations
compensant ou complétant leurs revenus professionnels. L’ensemble formé par
ces différents systèmes de protection constitue la sécurité sociale*.
En ce qui concerne les travailleurs salariés, les différents régimes de
prestations couvrent les risques suivants : allocations du chef d’accidents de
travail et de maladies professionnelles, allocations de chômage, pensions de
retraite et de survie, indemnités de maladie-invalidité, remboursements de soins
de santé, allocations familiales et autres prestations en cas de survenance
d’enfants, allocations de vacances annuelles pour les ouvriers.
Les mécanismes de sécurité sociale ont également été étendus aux
fonctionnaires, aux travailleurs indépendants et, pour certaines d’entre elles, à
toutes les personnes dans le besoin : le droit à un minimum de moyens
d’existence (aujourd’hui appelé revenu d’intégration244), un revenu garanti aux
personnes âgées (Grapa), des allocations spécifiques pour les personnes
handicapées, etc.

243Loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, M.B., 22 août 1978, et ses modifications
subséquentes.
244Art. 2 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, M.B., 31 juillet 2002
abrogeant la loi du 7 août 1974 instituant le droit à un minimum de moyens d’existence (art. 54).

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Ces prestations sont financées par des cotisations versées à la fois par les
travailleurs et les employeurs, éventuellement complétées par une dotation de
l’Etat.

2. Le droit administratif de l’économie

Au-delà de la branche du droit social, l’Etat social et les autres pouvoirs


publics compétents interviennent désormais dans l’ensemble de l’activité
économique dont l’Etat assure la régulation et stimule la croissance tout en
assurant, par le moyen de l’impôt et des prestations sociales, une certaine
redistribution de ses fruits, idéalement dans le sens d’une réduction des
inégalités.
En outre, l’Etat n’hésite pas à se substituer au marché et à assurer,
directement ou par personne interposée, certaines prestations qui relèvent des
services publics*. Se développe ainsi, à côté du secteur privé, un secteur public,
qui délivre des services en matière d’éducation (les écoles et les universités), de
soins de santé (les hôpitaux publics), de transports (la SNCB, etc.), mais aussi
parfois dans certains domaines marchands.

3. De la règle à la mesure

Plus fondamentalement encore, la règle juridique, qui demeure


l’instrument d’action privilégiée de l’Etat, change de nature et de contenu. Le
droit libéral prétendait codifier une fois pour toutes le cadre et les principes
régissant les relations entre, d’une part, l’Etat et les individus et, d’autre part, les
individus entre eux. De manière très différente, l’Etat social utilise désormais la
loi et, de plus en plus souvent la réglementation, à l’appui de ses programmes de
réformes afin de mettre en œuvre les mesures plus ou moins ponctuelles
permettant d’atteindre, dans la conjoncture présente, les objectifs économiques et
sociaux fixés par le gouvernement. Cette transformation contribue à expliquer les
phénomènes déjà observés d’inflation considérable de la législation au sens large,
de même que le glissement de plus en plus marqué de la fonction normative,
traditionnellement assumée par le pouvoir législatif, vers le pouvoir
réglementaire de l’exécutif (supra, ch. 4). Les nouvelles missions de l’Etat
provoquent en effet un développement considérable de l’appareil administratif
qui prend de plus en plus nettement en charge la gestion des programmes de
réformes et l’énoncé des mesures juridiques que nécessite leur mise en œuvre.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

C. Les droits économiques, sociaux et culturels

1. Notion

Les revendications économiques, sociales et culturelles en faveur d’une


plus grande égalité vont chercher elles aussi, à l’instar des droits civils et
politiques en ce qui concerne la liberté, à se formuler en termes de droits de
l’homme. On parle souvent à cet égard de droits de l’homme de la deuxième
génération, soulignant par là le caractère plus tardif de leur reconnaissance.
Cependant, d’aucuns soulignent, non sans raison, le caractère primordial de ces
droits. En effet, la jouissance de certains droits civils et politiques dits de
première génération, comme la liberté d’expression ou d’association, suppose que
les individus aient d’abord accès à un minimum de moyens d’existence leur
permettant de survivre, de se nourrir ainsi que leur famille et de s’épanouir dans
leur vie personnelle, sociale et culturelle. C’est pourquoi, beaucoup s’accordent à
proclamer le caractère indivisible des droits de l’homme, à la fois civils et
politiques, économiques, sociaux et culturels.
Toutefois, cette indivisibilité proclamée ne doit pas occulter les différences
fondamentales de leurs statuts. Les droits de première et de deuxième
générations ont des natures juridiques et des implications économiques tout à
fait différentes. Les libertés civiles et politiques requièrent au premier chef de
l’Etat, on s’en souvient, qu’il s’abstienne d’intervenir dans la vie des individus, lui
imposant d’abord une obligation de ne pas faire. A l’inverse, les droits
économiques et sociaux supposent une intervention active de l’Etat et des
services publics auxquels les individus s’adressent, comme autant de créanciers,
pour exiger l’exécution en nature (obligation de faire) ou le paiement en argent
(obligation de donner) des prestations garanties. Cette différence entraîne des
disparités considérables dans la formulation, la mise en œuvre et l’effectivité des
droits économiques et sociaux, par rapport aux droits civils et politiques.

2. Instruments de protection et droits garantis

Les droits économiques, sociaux et culturels sont notamment proclamés,


au niveau international, par le Pacte international de New York relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (1966) et, au niveau du Conseil de l’Europe, par
la Charte sociale européenne révisée (1996). Ils sont également reconnus, au plan
interne, par l’article 23 de la Constitution, inséré en 1994.
De manière non limitative, l’article 23 de la Constitution proclame les
droits suivants :
1. le droit au travail, en ce compris le libre choix d’une activité
professionnelle, le droit à des conditions de travail et à une rémunération
équitables, ainsi que le droit d’information, de consultation et de
négociation collective ;

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2. le droit à la sécurité sociale, en ce compris la protection de la santé et le


droit à l’aide sociale, médicale et juridique ;
3. le droit à un logement décent ;
4. le droit à la protection d’un environnement sain ;
5. le droit à l’épanouissement culturel et social ;
6. le droit aux prestations familiales.

Il convient d’ajouter à cette liste le droit à l’éducation, qui est garanti dans
l’article 24 de la Constitution, consacrant la liberté de l’enseignement. Le
paragraphe 3 de cette disposition prévoit en effet de manière précise que :
« L’accès à l’enseignement est gratuit jusqu’à la fin de l’obligation scolaire ».
Enfin, l’énumération de ces différents droits est précédée de la déclaration
générale selon laquelle : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la
dignité humaine » (art. 23, al. 1er de la Constitution). En réalité, la dignité
humaine est au fondement de tous les droits de l’homme. Elle proclame la valeur
sacrée de l’individu et le droit pour chacun de conduire sa vie de manière
autonome245. Cependant, la jurisprudence donne à la protection de la dignité une
importance croissante, de portée parfois ambiguë.
Ainsi, dans l’affaire dite du « lancer de nain », plusieurs maires de
municipalité françaises avaient, à l’invitation du ministre de l’Intérieur, interdit
des « représentations » au cours desquelles des spectateurs étaient invités à
lancer le plus loin possible, au-dessus d’un tapis, un nain vêtu d’un costume de
protection semblable à celui d’un joueur de football américain. Le ministre
estimait qu’il s’agissait là d’un traitement dégradant interdit par l’article 3 de la
CEDH. Mais tel n’était pas l’avis de W., le nain qui prêtait son concours au
spectacle, qui obtint l’annulation de ces décisions par les tribunaux
administratifs, au motif qu’il n’appartient pas aux municipalités de faire la police
morale des spectacles. Ces jugements seront cependant annulés à leur tour par le
Conseil d’Etat français qui, rompant avec sa jurisprudence classique, estime que
le spectacle en question « porte atteinte à la dignité humaine » et précise que
celle-ci « est une composante de l’ordre public* »246 .

245 G. HAARSCHER, « Le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine », Les droits
économiques, sociaux et culturels dans la Constitution, R. Ergec (dir.), Bruxelles, Bruylant, 1995,
pp. 133 et s., spéc. pp. 134-135.
246 Sur l’application de la notion de dignité humaine par la jurisprudence en général et sur
l’affaire du « lancer de nain » en particulier : P. MARTENS, Théories du droit et pensée juridique
contemporaine, Bruxelles, Larcier, 2003, pp. 67 et s.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

3. Portée juridique réelle et effectivité des recours

La portée des déclarations de droits économiques, sociaux et culturels


demeure très relative et peu effective d’un point de vue juridique. Ainsi, l’article
23 de la Constitution s’en remet-il à la loi, au décret ou à l’ordonnance pour
« garantir » les droits proclamés, en tenant compte des « obligations
correspondantes ». Quant au Pacte de l’ONU et à la Charte sociale européenne,
ils ne constituent que des textes « programmatoires » dépourvus d’effets directs et
non protégés par des recours effectifs. Cette différence dans le degré de protection
juridique avec les droits civils et politiques, qui s’explique notamment par la
différence de nature des droits économiques et sociaux, peut faire douter de
l’efficacité de ces dispositions en droit positif.
Pour autant, les dispositions proclamant les droits économiques et sociaux
ne sont pas totalement dépourvues d’effet.
1. Ainsi, il est admis que l’adhésion d’un Etat aux conventions
internationales proclamant les droits économiques et sociaux crée dans le
chef de celui-ci une obligation de stand still, qui fait obstacle à ce que l’Etat
revienne en arrière par rapport au degré de protection sociale garanti dans
son droit positif au moment de l’adhésion. Ainsi, la jurisprudence belge a
permis aux particuliers de se prévaloir de l’obligation pour l’Etat
d’instaurer progressivement la gratuité de l’enseignement secondaire et
supérieur prévue à l’article 13 du Pacte de New York relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels pour en tirer un droit subjectif, invocable
devant le juge, à ce que l’Etat ne prenne pas de mesure régressive, se
traduisant par une hausse du minerval247 . L’effectivité de cette protection
est cependant relative en tant qu’elle n’empêche pas les Etats de réduire le
degré de protection pour assurer l’équilibre financier du système, par
exemple en relevant l’âge de la retraite.
2. Ensuite, les droits économiques et sociaux peuvent acquérir une certaine
effectivité de par leur rapprochement avec certains droits civils et
politiques. C’est ainsi, comme on l’a vu (supra ce ch., s. 2, II), que le droit à
un environnement sain a reçu une certaine application dans le cadre de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à la
protection de la vie privée et familiale.
3. Sur le plan interne, les droits économiques et sociaux peuvent également
être protégés sous l’angle du respect du principe d’égalité, par le contrôle
de la Cour constitutionnelle.
4. Enfin, certaines décisions judiciaires pionnières donnent une application
positive de ces droits. Ainsi, le Président du tribunal de Namur s’est-il
fondé sur le droit au logement de l’article 23 de la Constitution pour
interdire à l’administration de procéder à l’expulsion d’une locataire

247 R. ERGEC, « Introduction générale », in Les droits économiques, sociaux et culturels, op. cit., p.
15 et la jurisprudence citée note 41.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

indigente d’un immeuble insalubre afin de procéder à des améliorations,


sans avoir trouvé de solution satisfaisante quant au relogement de cette
personne248.

D. Le contrôle effectif de l’égalité et la sanction des


discriminations

1. La protection du principe d’égalité au contentieux objectif

Le contrôle effectif du respect des principes d’égalité et de non-


discrimination par les pouvoirs publics à l’égard des particuliers est assuré, en
droit interne, en ordre principal par la Cour constitutionnelle, à travers le
contrôle de la constitutionnalité des normes législatives, et par le Conseil d’Etat,
dans le cadre du contentieux de l’annulation des actes et règlements
administratifs (supra, ch. 3).

2. La lutte contre les discriminations

Mais la pratique de discriminations inacceptables n’est, à l’évidence, pas le


fait des seuls pouvoirs publics et concerne tout autant les relations sociales entre
les particuliers.
La lutte contre les discriminations constitue une priorité de l’Union
européenne depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam en 1999 qui
autorise le Conseil de l’Union Européenne à prendre « les mesures nécessaires en
vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine
ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation
sexuelle »249. Dans le cadre de cette nouvelle compétence, le Conseil a rapidement
décidé un programme d’action communautaire pour mettre en œuvre le principe
d’égalité. Plusieurs directives* ont été adoptées qui complètent des directives
antérieures consacrées principalement à l’égalité entre hommes et femme dans
l’emploi. Sont ainsi notamment interdites toute forme de discrimination fondée
sur la race ou l’origine ethnique dans le domaine de l’emploi, de l’éducation, du
logement ou de l’accès aux biens et aux services250. Il en va de même, dans le
domaine de l’emploi uniquement, pour les discriminations fondées sur la religion
ou les convictions, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle251.

248 Civ. Namur, 11 mai 1994, Dr. Quart Monde, 1995, n° 7, p. 54 et note Fierens.
249 Ancien art. 13 du traité C.E. (devenu art. 19 du TFUE, avec l’entrée en vigueur du traité de
Lisbonne). Auparavant, seules les discriminations fondées sur le sexe dans le domaine de l’emploi
et sur la nationalité (entre ressortissants européens) relevaient de la compétence communautaire.
250 Directive 2000/43/C.E. du Conseil du 29 juin 2000.
251 Directive 2000/78/C.E. du Conseil du 27 novembre 2000.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Les régimes de justifications aux différences de traitement diffèrent


suivant que la discrimination est directe ou indirecte. La discrimination est
directe lorsque la différence de traitement est directement fondée sur un critère
protégé (une annonce locative réservée aux « Belges de souche », par exemple).
S’il est totalement interdit de tenir compte de la race ou de l’origine ethnique
d’un candidat à un emploi (sauf, à démontrer qu’il s’agirait d’une « exigence
professionnelle essentielle et déterminante »), des exigences d’âge peuvent être
requises dans certaines conditions. La discrimination est indirecte lorsqu’une
règle (ou une pratique) aboutit, dans ses effets, à désavantager les membres d’un
groupe déterminé (un règlement de travail imposant un code vestimentaire
incompatible avec le port d’un symbole religieux, par exemple). Il s’agira ici de
vérifier s’il existe une justification objective et raisonnable à la règle (ou à la
pratique) en question.
Toute différence de traitement n’est pas interdite pour autant. Les
programmes dits d’actions positives* sont licites à certaines conditions. Il s’agit
d’actions en faveur de certaines catégories de personnes sujettes à
discriminations (les femmes, les personnes issues de minorités ethniques, les
personnes handicapées, etc.) visant à établir une plus grande égalité dans la
pratique252 .
Dès les années 1980, le droit belge a mis en œuvre des dispositions pénales
relatives à la lutte contre les incitations à la haine et à la discrimination raciale.
Ces infractions ont été introduites par la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer
certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie (dite loi Moureaux). Mais
le droit pénal s’est avéré impuissant à lutter contre les pratiques discriminatoires
qui gangrènent le marché de l’emploi ou le secteur du logement en Belgique.
Suite aux nouvelles directives européennes, le législateur fédéral a adopté, en
mai 2007, de nouvelles lois tendant de manière générale à lutter contre les
discriminations253 et chaque entité fédérée a adopté des dispositions législatives
dans la sphère de ses compétences. Les critères de discrimination en droit belge
sont plus nombreux que ceux visés par le droit européen. Outre le sexe, la race ou
l’origine ethnique, la religion et les convictions, le handicap, l’âge et l’orientation
sexuelle, l’on trouve notamment l’état de santé, une caractéristique physique, la
fortune, l’ascendance, l’appartenance syndicale ou la langue. Et ces législations
comportent un important volet procédural destiné à assurer leur effectivité
(notamment le mécanisme d’aménagement de la charge de la preuve).

252Voy., par exemple, la loi du 28 juillet 2011 visant à garantir la présence des femmes dans le
conseil d’administration des entreprises publiques autonomes, des sociétés cotées et de la Loterie
Nationale, M.B., 14 novembre 2011.
253 Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination ; Loi du 10 mai
2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les hommes et les femmes ; Loi du 10 mai
2007 modifiant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme
et la xénophobie, M.B., 30 mai 2007.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

IV. La régulation

A. Les conséquences juridiques de la mondialisation

Dans un sens large, la mondialisation désigne le phénomène contemporain


d’intensification des transactions, des échanges et des relations internationales
sur les plans économique, financier et politique, mais aussi en matière de
communication et de télécommunication, ainsi que dans le domaine des relations
interpersonnelles. L’accentuation de ce phénomène et la prise de conscience
récente qui l’accompagne s’expliquent à la fois par des facteurs économiques
(notamment le développement du commerce international et des marchés
financiers) et par des innovations technologiques (par exemple, les réseaux
informatiques et les satellites de télécommunications), mais aussi par des
initiatives politiques et juridiques (notamment dans le sens d’une collaboration
plus intense et d’une certaine intégration des politiques et du droit des Etats).
La mondialisation pose au droit un problème d’effectivité qui est d’abord
un problème d’échelle. Depuis plusieurs siècles, le droit a reposé en ordre
principal sur les Etats et sur les ordres juridiques nationaux (supra, ch. 2). Or, la
compétence et le champ d’application des règles étatiques sont pour l’essentiel
bornés par le territoire national. D’où le défi adressé par la mondialisation :
comment saisir des transactions de plus en plus internationales par le moyen de
règles étatiques ?
Le droit contemporain a apporté plusieurs réponses à ce défi. D’une part,
les Etats ont davantage coordonné leurs actions, spécialement par le moyen de
conventions internationales*, de manière à assurer une certaine harmonisation
de leurs ordres juridiques par le rapprochement du contenu de leur
réglementation ou l’établissement de règles cohérentes de répartition des
compétences*. En outre, les Etats ont transféré certaines de leurs compétences à
des organisations internationales*, universelles ou régionales, afin d’assurer une
régulation plus efficace des problèmes dans un cadre plus étendu. Ce contexte
contribue à expliquer le développement considérable, depuis la seconde guerre
mondiale, des institutions juridiques internationales et la constitution de l’ordre
juridique européen (supra, ch. 2).
Cependant, ce changement de niveau des règles juridiques ne s’opère pas à
droit constant. Tout au contraire, il s’accompagne d’évolutions importantes quant
au mode de gouvernement, ainsi qu’au contenu de la réglementation.

B. Du gouvernement à la gouvernance

Ni les Nations Unies, ni les autres organisations internationales ne


peuvent, dans l’état actuel des choses, être considérées comme des « super
Etats », même embryonnaires, qui auraient vocation à se substituer aux Etats
actuels pour assurer une forme de gouvernement mondial. Elles n’en ont ni le

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

mandat, ni les moyens, ni la volonté politique. Même l’Union européenne,


pourtant davantage intégrée sur le plan politique, paraît s’acheminer moins vers
la forme de l’Etat fédéral, que de l’institution de formes nouvelles, multiples et
variées de collaborations et de modes de régulation (supra, ch. 2).
Suivant certains observateurs, la situation actuelle se caractériserait par
le déclin du mode de décision étatique classique, le gouvernement, fondé sur un
système administratif hiérarchisé et centralisé, édictant de manière unilatérale
des règles de comportement obligatoires susceptibles d’être exécutées si
nécessaire par la force publique. A ce mode classique, se substitueraient de
nouveaux modes et procédures de décision et de régulation, souvent désignés
sous le terme général de gouvernance*. La gouvernance se caractérise par
l’association, aux décisions et à la gestion des affaires publiques, d’une pléthore
de nouveaux acteurs, tant publics que privés, intervenant à des niveaux
multiples (local, régional, national et international). Cette collaboration se réalise
selon des procédures diverses et de manière asymétrique, mais qui ont en
commun de délaisser plus ou moins le mode hiérarchique et donc vertical du
gouvernement, au profit de processus davantage horizontaux, appuyés sur
l’établissement de partenariats volontaires, le recours à la négociation et aux
mécanismes du contrat.
On trouve des applications de cette nouvelle façon de procéder dans de
nombreux domaines, notamment le domaine social, l’environnement ou encore les
communications.
1. Dans le domaine social, les règles de protection des travailleurs imposées
au sein des Etats d’Europe occidentale (supra, ce ch. s. 2, III) sont toujours
d’application, mais de plus en plus privées d’effectivité par le phénomène
de la délocalisation. Délocaliser consiste pour une entreprise à déplacer
tout ou partie de son activité, spécialement de production, dans un pays où
celle-ci peut être réalisée à moindre coût, notamment parce que les charges
sociales et le niveau de protection sociale y sont moins élevés ou
inexistants. Les Etats sont bien entendu sans compétence pour régler les
conditions de travail et de rémunération en dehors de leur territoire
national. Comme il n’est pas non plus réaliste de prétendre imposer aux
Etats d’accueil des standards de protection sociale équivalents à ceux des
pays occidentaux, une autre solution consiste à développer le principe
d’une responsabilité sociale des entreprises. Il s’agit d’encourager les
entreprises qui assurent ou sous-traitent leur production dans les pays
émergents ou du Tiers monde à souscrire volontairement à des codes de
bonne conduite et à s’autoréguler de manière à garantir au minimum un
certain niveau de conditions de travail ou de rémunération. Les
entreprises sont incitées à prendre de tels engagements, notamment par la
mobilisation de l’opinion publique en vue d’orienter la consommation vers
des produits fabriqués dans des conditions décentes (« commerce
équitable »). Des mécanismes similaires peuvent également être mis en
œuvre en vue de promouvoir le respect de prescriptions
environnementales.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2. Le développement spectaculaire de l’Internet fournit une autre illustration


du développement de mécanismes originaux de gouvernance. Le caractère
mondial du réseau pose en effet des difficultés aux Etats en ce qui concerne
la surveillance des transactions opérées et des discours diffusés sur
Internet dès lors que ceux-ci dépassent le plus souvent les frontières
nationales. Bien plus, il est aisé pour ceux qui souhaitent échapper à une
réglementation étatique contraignante de loger leur site ou leur activité en
un lieu où cette réglementation ne s’applique pas. Ainsi, on abritera un
site raciste aux Etats-Unis ou un casino virtuel dans un paradis « off-
shore » autorisant les jeux de hasard, quitte ensuite à diriger ses activités
vers des pays où ces discours et activités sont normalement interdits. Une
solution à ce problème consiste à mettre la pression sur les intermédiaires,
ceux qui fournissent un accès à l’Internet ou un hébergement aux sites ou
encore les moteurs de recherche, afin de les inciter, à peine d’engager leur
responsabilité*, à collaborer avec les autorités administratives et
judiciaires ou avec des associations d’utilisateurs, de manière à filtrer, à
désactiver ou à passer sous silence les contenus jugés illicites ou
dommageables. La police des activités et des contenus sur Internet passe
ainsi par des mécanismes de corégulation associant les professionnels du
réseau à certaines autorités publiques ou associations privées.

C. De la réglementation à la régulation

Sur le plan de leur forme, de leur contenu et de leurs effets, les nouveaux
instruments de régulation, comme les chartes ou les codes de bonne conduite, se
distinguent nettement des sources formelles* du droit positif classique.
1. Tandis que la législation au sens large procède normalement par voie
d’injonction unilatérale et catégorique, les nouveaux instruments
procèdent plutôt par la voie d’accords, d’adhésions volontaires,
d’engagements de principe (gentlemen’s agreement), souvent dépourvus
d’effets juridiques obligatoires. Ces instruments ne peuvent en aucun cas
être confondus avec les traités ou conventions internationales*, qui sont
des accords formels et juridiquement obligatoires conclus dans l’ordre
international, dans la mesure où les signataires n’en sont pas uniquement
ni forcément les Etats, mais une multitude de « partenaires » publics et
privés.
2. Tandis que la violation de la règle classique est généralement passible de
sanction*, les nouvelles régulations fonctionnent plutôt par le moyen
d’incitations positives ou négatives, notamment par la promesse
d’avantages économiques (par exemple, l’octroi d’une prime) ou la menace
de charges (par exemple, l’imposition d’une taxe), qui conduisent les agents
à modifier volontairement leurs comportements en vue d’un certain
bénéfice.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

3. Enfin, tandis que la réglementation classique édicte généralement des


règles primaires*, imposant certaines normes de comportement ou de
conduite, les nouveaux instruments de régulation préfèrent recourir à des
règles secondaires*, mettant en place des procédures de régulation des
activités visées et prévoyant, en cas de difficulté, le recours à des modes
alternatifs de règlement des conflits* (infra, ch. 8).
De manière générale, les nouveaux instruments de régulation sont souvent
qualifiés de soft law*, c’est-à-dire d’une forme de « droit mou », qui n’a que de
lointains rapports avec les règles classiques du droit positif, établies sous forme
de lois mises en œuvre par les agents publics et appliquées par les juges.
Pour de nombreux observateurs, le passage de la réglementation à la
régulation marque un véritable repli des Etats sur leurs fonctions traditionnelles,
peut-être un retour vers l’ordre juridique libéral, ce qui implique une
renonciation de fait aux ambitieuses missions que s’était donné l’Etat social,
notamment d’intervention active dans la vie économique et sociale, en vue de
réduire les inégalités et de développer les prestations de service public.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

II èm e partie

LA MISE EN ŒUVRE DES DROITS

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Dans la première partie du cours, nous avons étudié les règles juridiques
du point de vue du droit objectif*, considérées comme formant un tout, un
ensemble désigné par la notion centrale d’ordre juridique*. Ce point de vue
macro-juridique est indispensable à l’apprentissage du droit, spécialement dans
la perspective d’une introduction à cette discipline. Il présente cependant un
caractère quelque peu théorique dans la mesure où, le plus souvent, les acteurs,
qu’ils soient justiciables, avocats ou magistrats, ne se trouvent pas confrontés à
l’ordre juridique en tant que tel, mais toujours à des situations particulières,
dans lesquelles le droit objectif doit être mis en œuvre pour fournir une réponse à
une question de droit précise, notamment en vue de trancher un litige.
C’est pourquoi la perspective de l’ordre juridique doit être complétée d’une
approche micro-juridique au cours de laquelle on envisage la mise en œuvre des
règles de droit à l’occasion d’une situation particulière ou d’un cas d’espèce. A ce
niveau, on ne parle plus de droit objectif mais de droits subjectifs*, c’est-à-dire de
prétentions soulevées par différentes personnes* qui demandent la protection ou
la garantie du droit et des institutions, spécialement par l’exercice d’un recours
ou d’une action en justice*. La mise en œuvre d’une telle action aboutit
normalement à saisir une juridiction d’un litige* entre deux ou plusieurs
personnes faisant valoir des prétentions différentes ou contradictoires. Il
appartient aux juridictions compétentes de trancher ces contestations par des
décisions de justice motivées qui établissent les faits, disent le droit et imposent,
le cas échéant, des sanctions. Ces décisions de justice sont le résultat et le point
d’aboutissement d’un procès* au cours duquel les parties en litige auront pu faire
valoir, directement ou par l’intermédiaire de leurs conseils, les arguments
qu’elles estiment pertinents à l’appui de leur cause.
Dans les trois chapitres de cette seconde partie, nous examinerons
successivement les éléments essentiels de cette mise en œuvre des droits au
niveau des situations particulières.
Le chapitre 7 examine le régime des personnes et les différentes catégories
de droits subjectifs qui leur sont octroyés dans leurs relations à autrui et qui sont
munis d’une action en justice.
Le chapitre 8 analyse les étapes successives du procès, en distinguant la
procédure civile et la procédure pénale, avant d’évoquer succinctement les modes
alternatifs de règlement des conflits.
Le chapitre 9 étudie le raisonnement juridique, c’est-à-dire les modes
d’argumentation et de décision mis en œuvre par les parties et par le juge en vue
de la solution des questions de fait et de droit posées dans le cours des procès. On
envisage en particulier les modes de preuve des éléments de fait et les méthodes
d’interprétation des règles de droit.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Chapitre 7 : Les personnes et leurs droits

Avertissement : La matière des personnes et des droits subjectifs est


principalement couverte, au niveau de la première année de bachelier, par le
cours de Droit civil et fondements de droit romain. Le présent chapitre se limite à
en résumer les éléments essentiels, étant entendu que les notions étudiées dans
le cadre du cours de Droit civil et fondements de droit romain sont supposées
connues par les étudiants de 1re bachelier en droit pour le cours d’Introduction au
droit.

Le droit subjectif* est une prérogative attribuée à une personne dans ses
relations avec un ou plusieurs autres sujets de droit, qui est protégée par le droit
objectif et peut être mise en œuvre par le moyen d’une action en justice.

L’analyse des droits subjectifs comporte dès lors les éléments suivants :
1. le sujet du droit, c’est-à-dire la personne qui en est le titulaire ;
2. l’objet du droit, c’est-à-dire le contenu du droit lui-même, lequel peut être
classé suivant différentes catégories ;
3. la source du droit, c’est-à-dire l’acte ou le fait qui lui donne naissance ;
4. la relation juridique, c’est-à-dire le lien de droit ainsi créé entre le titulaire
du droit et une ou plusieurs autres personnes ;
5. l’action en justice, c’est-à-dire le recours effectif garanti par le droit positif
au titulaire du droit subjectif afin de garantir la reconnaissance et la mise
en œuvre de ce dernier.

I. Les personnes

La personnalité juridique* se définit comme l’aptitude à être titulaire de


droits et d’obligations. Tout droit subjectif ou obligation est attribué à un sujet de
droit*, qui en est le titulaire. Les notions de personne et de sujet de droit sont
donc synonymes.

A. Les catégories de personnes

On distingue deux grandes catégories de personnes juridiques : les


personnes physiques et les personnes morales.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

1. Les personnes physiques

La personnalité juridique est reconnue de plein droit à tous les êtres


humains. En vertu de l’article 6 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme (1948), « chacun a droit à la reconnaissance en tous lieux de sa
personnalité juridique ». Tel n’a pas toujours été le cas dans le passé : les esclaves
et d’autres personnes, comme certains religieux, se voyaient privés de
personnalité. L’esclavage est désormais interdit et réprimé par le droit
international (supra, ch. 6). La mort civile, qui entraînait la perte de la
personnalité juridique, à titre de sanction pénale, a été abolie par la Constitution
(art. 18).
La personnalité est reconnue aux êtres humains de leur naissance à leur
mort. Ce principe connaît certains tempéraments afin de protéger, dans une
certaine mesure, l’enfant dès sa conception254 et la volonté ou la mémoire du
défunt après son décès.
Seuls les êtres humains jouissent de la personnalité juridique, à l’exclusion
des autres êtres vivants, comme les animaux.

2. Les personnes morales

Les personnes morales* sont des groupements de personnes, de biens ou


des centres d’intérêts, auxquels le droit objectif reconnaît la capacité d’être
titulaires de droits subjectifs, et donc une personnalité juridique, par analogie
avec les personnes physiques.
Les personnes morales sont des êtres abstraits, auxquels la personnalité
juridique n’est reconnue que moyennant certaines formalités.
1. Soit la constitution d’une personne morale d’une catégorie spécifique
prévue par la loi, moyennant le respect des conditions de fond, de forme et
de publicité prévues par celle-ci. Elle se réalise généralement par un acte
privé, soit authentique*, soit sous seing privé*.
2. Soit la concession de la personnalité à une entité particulière par un acte
public spécifique. Ainsi, par exemple, la Constitution crée les
communautés et les régions auxquelles elle attribue par là même la
personnalité juridique.
On distingue plusieurs catégories de personnes morales, parmi lesquelles
les principales sont les suivantes.

254 L’enfant conçu est considéré comme déjà né chaque fois qu’il s’agit de son avantage pour
autant qu’il naisse vivant et viable (Infans conceptus…). Pour une application de cette règle, voy.
l’article 906 du Code civil énonçant la capacité de l’enfant conçu de recevoir par donation ou par
testament.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

a) Les personnes morales de droit public

L’Etat, mais aussi les régions et les communautés, les provinces et les
communes, d’autres organismes publics issus de la décentralisation par services,
et, dans l’ordre international, les organisations internationales, comme l’Union
européenne ou l’Organisation des Nations Unies, jouissent de la personnalité
juridique.
Ces entités sont donc personnellement titulaires de droits et d’obligations.
Par exemple, l’Etat est titulaire de droits et d’obligations dans l’ordre
international comme le droit de conclure des traités et l’obligation de respecter
les dispositions de ceux-ci. Dans l’ordre interne aussi, l’Etat a le droit d’ester*
(c’est-à-dire d’agir) en justice. Il est titulaire de nombreuses obligations, dont
celles qui résultent, par exemple, de l’engagement de sa responsabilité (supra, ch.
6).
Une fois établies, les personnes morales de droit public ont en principe
vocation à la permanence. Il arrive cependant qu’une personne de droit public
soit dissoute ou remplacée par une autre qui lui succède.

b) Les personnes morales de droit privé

Les personnes morales privées ont normalement une vocation plus


temporaire. Elles jouissent de la personnalité à partir de la réalisation des
formalités de constitution et de publicité. Les personnes morales en formation
sont soumises à un régime particulier. Les personnes morales de droit privé
conservent leur personnalité jusqu’à leur dissolution, et même au-delà jusqu’à la
clôture des opérations de liquidation.
Parmi les nombreuses entités privées auxquelles le droit positif reconnaît
la personnalité, on distingue principalement les sociétés et les associations.

1°) Les sociétés


Les sociétés poursuivent un but lucratif* : elles cherchent à procurer à
leurs associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect (art. 1er du Code des
sociétés).
La loi organise différents types de sociétés, comme la société anonyme, la
société privée à responsabilité limitée ou la société coopérative.

2°) Les associations


Les associations se caractérisent au contraire par l’absence de but lucratif
c’est-à-dire qu’elles ne cherchent pas à procurer à leurs membres un gain
matériel.
En droit belge, la forme principale d’association est l’association sans but
lucratif (A.S.B.L.), dont le statut, organisé par la loi du 27 juin 1921, a été révisé

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

de manière importante en 2002255 . La loi belge confère en outre un statut aux


associations internationales. Nombre d’organisations non gouvernementales
(O.N.G.), à vocation nationale ou internationale, empruntent la forme juridique
de l’association.

3°) Groupements dénués de personnalité


Tous les groupements de personnes, de biens ou d’intérêts ne se voient pas
reconnaître la personnalité juridique, loin s’en faut. On citera, parmi les
groupements dénués de personnalité juridique, la famille, l’entreprise, au sens
d’unité technique d’exploitation, le groupe de sociétés c’est-à-dire un ensemble de
sociétés soumises à une direction économique unique, les associations de fait
comme les syndicats et les partis politiques.

B. L’état et la capacité des personnes

1. L’état des personnes

L’état civil* d’une personne physique est déterminé par le sexe, la filiation
et les liens issus du mariage (célibataire, marié, veuf, divorcé).
Les personnes morales n’ont pas à proprement parler d’état civil. Leur
nature et leur statut juridique sont déterminés par la loi en fonction de la
catégorie de personnes à laquelle elles appartiennent.

2. La capacité

On distingue la capacité de jouissance et la capacité d’exercice des


personnes.

a) La capacité de jouissance

La capacité de jouissance* désigne l’aptitude à être titulaire de droits, ce


qui équivaut à la personnalité. Cependant, suivant les personnes, la capacité de
jouissance peut être plus ou moins large et subir certaines limitations.
Les personnes physiques ont de plein droit une capacité de jouissance
générale, à quelques exceptions près prévues par la loi. Il s’agit notamment de
l’incapacité de certaines personnes, comme les prêtres et les médecins, de
recevoir des legs des défunts qu’elles ont assistés in articulo mortis256, ainsi que
de la privation temporaire des droits politiques en suite de certaines

255Loi du 2 mai 2002 sur les associations sans but lucratif, les associations internationales sans
but lucratif et les fondations, M.B., 18 octobre 2002.
256 Art. 909 du Code civil.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

condamnations pénales ou de certaines interdictions professionnelles


consécutives à des décisions judiciaires ou à des sanctions disciplinaires.
La capacité de jouissance des personnes morales est en principe limitée
par la spécialité de leur objet et leur nature d’être abstrait.
Les personnes morales de droit public n’ont d’autres droits, dénommés
pouvoirs, que ceux qui résultent des compétences que le droit leur attribue. Les
personnes morales de droit privé ne peuvent jouir de droits incompatibles avec
leur objet, tel qu’il est défini par la loi ou par leur acte constitutif. Cette limite est
cependant de peu d’effet en pratique.
Quant à leur nature, les personnes morales se sont longtemps vu dénier
certains droits de la personnalité* pour la raison qu’elles ne sont pas des êtres
humains. C’est ainsi qu’on leur refusait traditionnellement la jouissance des
droits de l’homme* et des libertés fondamentales. Désormais, la tendance s’est
inversée et la doctrine majoritaire tend aujourd’hui à leur reconnaître de tels
droits. Cette extension apparaît contestable au regard de l’objet de ces droits
fondamentaux et des valeurs qu’ils protègent, à savoir la vie humaine, la dignité
et l’autonomie des êtres humains. Cependant, elle est aussi une suite logique du
développement des droits de l’homme en droit positif. Comment imaginer de
refuser les garanties du procès équitable à une société ou une association
impliquée dans un procès, dès lors que ces garanties définissent les principes de
toute procédure juste ?
Dans le même esprit, on déniait autrefois toute responsabilité pénale* aux
personnes morales. Tel n’est plus le cas depuis la loi du 4 mai 1999, qui précise
les conditions dans lesquelles une personne morale peut être pénalement
sanctionnée257.

b) La capacité d’exercice

Une personne peut jouir de certains droits sans être capable de les mettre
en œuvre elle-même. C’est pourquoi le droit distingue la capacité de jouissance de
la capacité d’exercice.
Les personnes physiques jouissent en principe de la capacité d’exercice,
sauf dans les cas déterminés par la loi. Les incapables d’exercice sont, d’une part,
les mineurs et, d’autre part, les personnes atteintes d’une certaine infirmité.
En droit belge, est mineur l’être humain qui n’a pas encore atteint l’âge de
18 ans accomplis (art. 388 et 488 du Code civil). Les autres incapables d’exercice
sont, d’une part, les aliénés, c’est-à-dire les déments ainsi que les « imbéciles »258,
les arriérés mentaux259, les faibles d’esprit260 et, d’autre part, les prodigues, c’est-

257Loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, M.B., 22 juin
1999.
258 Art. 489 du Code civil.
259 Art. 487bis, al. 2 du Code civil.
260 Art. 514 du Code civil.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

à-dire les personnes qui par dérèglement d’esprit ou de mœurs dissipent leur
fortune en folles dépenses261.
La mise en œuvre des droits d’un incapable suppose l’intervention d’une
personne capable, suppléant à l’incapacité. Cette personne est soit le
représentant légal de l’incapable et accomplit à sa place l’acte juridique (par
exemple, le parent du mineur ou le tuteur d’un aliéné) ; soit une personne qui
porte assistance à l’incapable, ce dernier accomplissant lui-même l’acte, mais
avec l’habilitation et sous le contrôle d’une autre personne (par exemple, le
conseil judiciaire du prodigue).
Les personnes morales sont par nature dans l’incapacité d’exercer
directement leurs droits. Elles agissent dès lors par l’intermédiaire de leurs
organes. L’organe* est un corps composé par une ou plusieurs personnes qui
procède de la constitution d’une personne morale et s’identifie avec elle pour
l’accomplissement de certains actes ou faits juridiques. Ainsi, le gouvernement
est un organe de l’Etat ; le conseil d’administration est un organe d’une société
anonyme ou d’une A.S.B.L. L’organe intervient non seulement dans le
fonctionnement interne de la personne morale, mais aussi dans les relations avec
les tiers. L’organe a la possibilité d’engager la personne qu’il représente à l’égard
de ceux-ci.

3. L’identification des personnes

Les personnes sont identifiées à la fois par leur état* et par un certain
nombre d’éléments qui permettent de les désigner et de les localiser. Les
éléments de désignation des personnes sont : le nom, le domicile (ou siège) et la
nationalité.

a) Le nom

Chaque personne physique est désignée par un nom patronymique (qu’il


partage avec les autres membres de sa famille)262 et par un prénom (qui le
distingue au sein de celle-ci). Le nom* constitue un mode de désignation
obligatoire des personnes. Une personne ne peut changer de nom ou de prénom
que moyennant l’engagement d’une procédure spécifique.
Les personnes morales sont également désignées par un nom ou une
dénomination. Celle-ci est précisée dans leur acte constitutif et obligatoirement
suivie, pour ce qui concerne les sociétés, par la mention en abrégé de leur forme
sociale (par exemple : S.A. ou S.P.R.L.)

261 Art. 513 et s. du Code civil.


262Voy. la loi du 8 mai 2014 dans le Code civil en vue d’instaurer l’égalité de l’homme et de la
femme dans le mode de transmission du nom à l’enfant et à l’adopte, M.B., 26 mai 2014.

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Chaque personne a par ailleurs droit au respect de son nom. Le droit au


nom constitue un droit de la personnalité*, protégé le cas échéant par une action
en justice*.

b) Le domicile

Le domicile est défini comme le lieu du principal établissement d’une


personne (art. 102 du Code civil). Le domicile permet de localiser juridiquement
une personne dans la mesure où c’est le lieu où la personne est supposée toujours
présente sous l’angle de ses droits et de ses obligations. D’un point de vue
judiciaire et administratif, le domicile est fixé par l’inscription principale sur les
registres de la population (art. 36 du Code judiciaire). Pour le surplus, le domicile
ne s’identifie pas à la résidence*, qui est le lieu de l’habitation habituelle d’une
personne.
Le domicile des personnes morales s’appelle leur siège. Comme le nom, le
siège est déterminé dans l’acte constitutif de la personne morale et ne peut être
modifié que moyennant le respect des procédures de changement de cet acte.

c) La nationalité

La nationalité* détermine un lien de rattachement particulier entre une


personne et un Etat ou son ordre juridique (supra, ch. 3). Tant les personnes
physiques que morales ont une nationalité.
La nationalité détermine pour partie les règles applicables à une personne,
notamment ce qui relève du statut personnel (âge de la majorité, conditions du
mariage, etc.).
La nationalité confère également la jouissance de certains droits comme
les droits politiques ou le droit d’être candidat à un emploi public.
Sur le plan international, les nationaux peuvent bénéficier de la protection
diplomatique de l’Etat dont ils sont ressortissants.
Chaque Etat détermine les conditions d’octroi et de perte de sa
nationalité263.

II. Les catégories de droits

On distingue parmi les droits subjectifs les droits dits de la personnalité,


ou droits extrapatrimoniaux, et les droits patrimoniaux.

263 En Belgique, voy. le Code du 28 juin 1984 de la nationalité belge.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

A. Les droits de la personnalité

Les droits de la personnalité* sont les droits qui touchent à la personne


même de leur titulaire. Ces droits sont en principe indisponibles, c’est-à-dire que
leur titulaire ne peut en disposer à sa guise, notamment les céder à autrui ou les
transmettre.
Parmi les droits de la personnalité, on peut distinguer les droits qui
touchent à l’état et à la capacité de la personne, notamment le droit au nom et à
la nationalité, d’une part, et, d’autre part, les droits de l’homme* et les libertés
fondamentales (supra, ch. 6).

B. Les droits patrimoniaux

Les droits patrimoniaux* sont les droits évaluables en argent.


Contrairement aux droits de la personnalité, ces droits sont en principe cessibles
et transmissibles. Leur titulaire peut en disposer à sa guise, dans les limites de
sa capacité* et des conditions fixées par le droit positif.
Chaque personne est titulaire d’un patrimoine*. Celui-ci comprend
l’ensemble de ses droits et de ses obligations patrimoniales. Le droit établit une
corrélation étroite entre les éléments actifs du patrimoine (les biens*) et les
éléments passifs (les dettes*). Chaque personne répond en principe de l’ensemble
de ses dettes sur l’ensemble de ses biens. Les biens* désignent au sens strict les
choses dont une personne est propriétaire. Au sens large, qui est le sens effectif
d’un point de vue juridique, les biens recouvrent l’ensemble des droits
patrimoniaux.
Parmi les droits patrimoniaux, on distingue les droits de créance, les droits
réels et les droits intellectuels.

1. Les droits de créance

Les droits de créance sont encore appelés droits personnels ou obligations.


L’obligation* est un lien de droit en vertu duquel une personne, appelée
créancier* peut contraindre une autre personne, appelée débiteur*, à donner,
faire ou ne pas faire quelque chose. Sous l’angle actif, ce lien de droit s’appelle
une créance* ; sous l’angle passif, il se nomme dette*. L’exécution volontaire de
l’obligation s’appelle le paiement. Le paiement constitue le mode normal
d’extinction des droits de créance.
On distingue, quant à leur intensité, les obligations de moyen ou de
diligence, d’une part, et les obligations de résultat, d’autre part. Dans l’obligation
de résultat*, le débiteur s’engage à obtenir le résultat promis. S’il échoue, il sera
présumé en faute*, sauf à prouver que l’échec est dû à une cause étrangère. Dans
l’obligation de moyen, le débiteur s’engage seulement à mettre en œuvre, en bon
père de famille, les moyens raisonnables en vue d’aboutir au résultat escompté.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Si celui-ci n’est pas atteint, le créancier devra prouver une faute dans le
comportement du débiteur pour engager la responsabilité de celui-ci. Ainsi, le
médecin a une obligation de moyen de soigner le malade, mais non une obligation
de résultat de le guérir.
On distingue encore les obligations civiles et les obligations naturelles. Les
obligations civiles* sont les obligations de droit commun. Elles créent un
véritable droit subjectif dont l’exécution est garantie et protégée par le droit. Tel
n’est pas le cas des obligations naturelles. Ces dernières ne créent pas un
véritable droit dans le chef du créancier, mais font seulement obstacle à ce que
celui qui les a payées volontairement cherche à en obtenir la répétition. Par
exemple, le versement d’aliments à un frère ou une sœur dans le besoin est une
obligation naturelle, mais non civile.

2. Les droits réels

Alors que les droits de créance établissent un rapport personnel entre le


créancier et le débiteur, les droits réels* confèrent à leur titulaire un pouvoir
direct sur une chose (du latin res, rei : la chose).
Le principal droit réel est le droit de propriété. Les autres droits réels
confèrent des droits plus limités que la propriété, dans un but de jouissance
(usufruit, usage, habitation, emphytéose, superficie), de service d’un fonds
(servitudes) ou de garantie (gage, hypothèque).

3. Les droits intellectuels

Les droits intellectuels* sont des monopoles d’exploitation consentis, à titre


temporaire, à des créateurs de biens incorporels. Il s’agit, par exemple, des droits
d’auteur reconnus aux créateurs d’œuvres artistiques ou de l’esprit et des brevets
accordés aux auteurs d’inventions remplissant certaines conditions (licéité,
nouveauté, application industrielle, etc.), moyennant l’accomplissement de
formalités de dépôt.
Les droits intellectuels occupent une place de plus en plus étendue, qui
correspond à l’importance croissante des œuvres de l’esprit et des innovations
technologiques dans la société et l’économie contemporaines. Ces droits ont pour
fonction à la fois d’assurer un revenu aux créateurs et de justifier ainsi les
investissements qu’ils consentent, tout en favorisant la circulation et la diffusion
de leurs créations. Contrairement aux choses matérielles, dont le propriétaire ou
les autres titulaires de droits réels peuvent assurer eux-mêmes la conservation,
les œuvres de l’esprit sont à la disposition du public dès leur divulgation. Ainsi,
dès qu’un artiste chante une chanson en public, celle-ci peut être reproduite par
n’importe qui. Les droits intellectuels visent à contrecarrer cet état de fait en
accordant des droits exclusifs d’exploitation à leur titulaire ce qui leur permet,
dans une certaine mesure, de contrôler la diffusion de leurs œuvres et d’en retirer
un certain revenu.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

III. Les sources des droits subjectifs

De manière générale les droits subjectifs trouvent leur source dans le droit
objectif, en particulier dans les sources formelles* qui en élaborent le régime et
en assurent la protection.
De manière immédiate, les droits subjectifs trouvent leur source soit dans
les actes, soit dans les faits juridiques.
L’acte juridique* suppose une manifestation de volonté destinée à produire
des effets juridiques, c’est-à-dire créer, modifier, transmettre ou éteindre des
droits subjectifs et des obligations. Les principaux actes juridiques privés sont les
contrats* et les actes unilatéraux (par exemple, les testaments).
Le fait juridique* est un événement qui, volontaire ou non, entraîne des
conséquences juridiques déterminées par le droit. On peut citer par exemple la
faute*, qu’elle soit volontaire (dol) ou non ; des événements comme la naissance
ou le décès, qui entraînent des conséquences juridiques importantes ; ou encore le
simple écoulement du temps, qui modifie les situations juridiques, notamment
par le jeu de prescriptions acquisitives ou extinctives.
L’intérêt pratique de la distinction entre les actes et les faits juridiques
tient à la manière dont ceux-ci doivent être prouvés (infra, ch. 9).

IV. La relation juridique

Quelle que soit la nature des droits subjectifs, qu’ils soient dits
« personnels » ou « réels », ceux-ci ont toujours et nécessairement pour effet
d’aménager une relation juridique spécifique entre deux ou plusieurs sujets de
droit. Les droits de créance ont un effet relatif en tant qu’ils n’affectent
directement que les relations entre créanciers et débiteurs. Par contre, les droits
réels et les droits intellectuels ont un effet absolu. Ils valent en principe erga
omnes, c’est-à-dire que leur titulaire peut les opposer à tous les autres sujets de
droit. Ces droits peuvent cependant eux aussi être aménagés par des actes
juridiques (la constitution d’un usufruit ou la concession d’une licence
d’exploitation, par exemple) et créer dans ce cas des relations juridiques
spécifiques avec certains sujets de droit.
Les relations juridiques entre sujets de droit peuvent être le fruit d’une
volonté délibérée (par exemple, la conclusion d’un contrat) ou celui du hasard
(par exemple, la survenance d’un accident).
Lorsque la relation juridique est perturbée ou contestée, celle-ci peut
donner lieu à un litige*. Chacune des parties peut faire intervenir le droit et
recourir à la justice afin de préciser les termes de la relation ou d’exiger
l’exécution des obligations que celle-ci implique.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

V. L’action en justice

L’action en justice* est le pouvoir reconnu aux personnes juridiques de


s’adresser à la justice pour obtenir le respect de leurs droits et de leurs intérêts
légitimes.
Les droits subjectifs sont garantis par le droit objectif. Cette garantie
prend la forme d’un recours effectif assuré au titulaire du droit auprès d’une
instance juridictionnelle chargée de trancher les contestations et d’imposer sa
décision.
L’action en justice est ouverte non seulement aux titulaires d’un droit
subjectif précisé par la loi, mais également aux justiciables qui peuvent
démontrer dans leur chef un intérêt légitime à la protection et à l’intervention du
droit.
La mise en œuvre des droits subjectifs, lorsqu’ils sont contestés, passe par
l’engagement d’un procès.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Chapitre 8 : Le procès

Section 1 : Le procès, sa structure et la procédure

I. La structure du procès

Le procès* est le cadre dans lequel un litige est soumis au débat


contradictoire pour permettre au juge de le trancher, en connaissance de cause,
par une décision motivée. L’on parle d’instance* pour désigner le déroulement du
procès dans une perspective plus temporelle qu’organisationnelle.
La structure du procès est naturellement triangulaire : sont mises en
présence deux parties qui défendent des prétentions contraires et un juge,
indépendant et impartial, chargé de régler la contestation. Le débat
contradictoire, organisé dans le cadre du procès, fournit l’occasion aux parties de
confronter leurs arguments respectifs en vue de convaincre le juge de trancher le
litige en leur faveur.

II. Les règles du jeu du procès : la procédure

A. Notion

Le déroulement de l’instance ainsi que l’organisation du débat


contradictoire obéissent à des règles juridiques spécifiques et précises : les règles
de procédure*. Ces règles tendent à établir un compromis entre deux exigences
divergentes : d’une part, le souci de vérité et de justice qui impose d’accorder le
maximum de temps et de ressources à l’examen et à la discussion des questions
de fait et de droit ; d’autre part, l’exigence de sécurité juridique qui commande de
mettre fin au litige de manière définitive dans un délai raisonnable.
La procédure façonne et organise le procès, de son introduction à
l’exécution de la décision qui le clôture. Elle règle notamment la compétence des
juridictions, la forme dans laquelle les actions en justice sont intentées, la
présentation des moyens* par les parties en cause, les pièces invoquées à l’appui
de ces moyens, les modes d’intervention des parties à l’audience, les éléments sur
lesquels le juge peut fonder sa décision, l’autorité de la décision judiciaire, les
voies par lesquelles cette autorité peut être mise en question, les modes de
contrainte pour exécuter la décision, l’ensemble des délais qui ponctuent le
déroulement du procès, etc. A tous les stades de l’instance, la procédure tend à

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

mettre en œuvre le principe du contradictoire qui est l’âme et le cœur du procès


et de la raison judiciaire.
Mais la procédure a également un coût, celui de l’administration de la
justice. Dans un contexte de déficit budgétaire récurrent, le gouvernement
cherche systématiquement à réduire ce coût. Il est aussi confronté de la part des
citoyens à une demande croissante de justice, qui est un service public. La loi met
dès lors en place des réformes managériales qui visent à augmenter le
« rendement » des institutions judiciaires. Il s’agit en substance de traiter
davantage d’affaires en moins de temps et avec un personnel réduit. Ces réformes
s’inscrivent dans le cadre du « nouveau management public » de la justice, qui
pose des problèmes délicats en particulier quant à l’indépendance des juges et du
pouvoir judiciaire (supra, ch. 3, III, C). Elles affectent également en profondeur
les règles de la procédure judiciaire qui font l’objet de réformes substantielles264.
La préoccupation d’efficacité et de rendement tend ici à remettre en cause des
équilibres, des principes et des garanties qui avaient été acquis et marque un
recul certain de l’Etat de droit, d’ailleurs dénoncé par la doctrine et les
magistrats eux-mêmes, jusqu’au plus haut niveau de la pyramide judiciaire
(supra ch. 6, s. 1, III). On constate ainsi, au niveau pénal, un accroissement des
prérogatives du ministère public qui perturbe, d’une part, l’équilibre délicat entre
les parties au procès (l’accusation et la défense) et, d’autre part, la répartition des
rôles entre la partie poursuivante et le juge.
Les règles de procédure varient suivant la nature de la contestation.
Devant les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, la distinction pertinente
repose sur le caractère civil ou pénal du litige (supra, ch. 3, s. 1). L’instance civile
est régie par les règles de procédure civile*, appelées aussi règles de droit
judiciaire*, qui sont contenues pour l’essentiel dans le Code judiciaire (C.J.)265. Ce
Code édicte le droit commun de la procédure en ce sens qu’il a vocation à régir
l’ensemble des procès. Sauf dérogation expresse, il s’applique à tous les litiges
(art. 2 C.J.). Les spécificités de l’instance pénale appellent néanmoins de
nombreux aménagements aux dispositions du Code judiciaire. Le procès pénal est
plus particulièrement soumis aux règles de la procédure pénale* qui figurent
dans le Code d’instruction criminelle (C.I.C.)266. Aux côtés des contentieux civil et
pénal existent d’autres contentieux soumis à des règles de procédure
particulières qui ne seront pas examinées ici. Il en va, par exemple, ainsi du
contentieux objectif* que connaissent la Cour constitutionnelle et le Conseil
d’Etat.

264Voyez en particulier, les lois de réforme de la justice, intitulées élégamment « Pot-pourri »,


adoptées notamment le 19 octobre 2015 (M.B., 22 octobre 2015), le 5 février 2016 (M.B., 19 février
2016) et le 4 mai 2016 (M.B., 13 mai 2016).
265 Loi organique du 10 octobre 1967, M.B., 31 octobre 1967.
Le Code d’instruction criminelle a été adopté, sous Napoléon, par un « décret » du 17 novembre
266

1808. Il est précédé d’un important titre préliminaire qui a fait l’objet d’une loi datant du 17 avril
1878 (M.B., 25 avril 1878).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

B. Les garanties du procès équitable

Les principes généraux* de la procédure sont constitués par les garanties


du procès équitable qui s’imposent notamment aux instances civiles et pénales.
Ces garanties sont énoncées dans l’important article 6, § 1er de la Convention
européenne des droits de l’homme qui a donné lieu à une jurisprudence*
abondante de la Cour de Strasbourg (supra, ch. 6, s. 2). Cette disposition
s’articule autour de six garanties procédurales.
1. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ». En vertu de cette
garantie, toute personne doit être en mesure d’accéder à un tribunal pour y
porter sa cause. Ce droit d’accès à un tribunal doit être effectif. Il implique
notamment la mise sur pied d’un système d’assistance judiciaire* par
lequel une personne dépourvue de moyens financiers peut être dispensée,
en tout ou en partie, des frais de procédure (frais liés aux exploits*
d’huissier, à l’inscription de la cause au rôle*, etc.).
2. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ».
Cette garantie comprend deux volets : le principe du contradictoire et
l’égalité des armes qui relèvent du principe général de droit relatif au
respect des droits de la défense, d’une part ; la motivation circonstanciée
des décisions de justice, d’autre part. En vertu du principe du
contradictoire et de l’égalité des armes, chaque partie doit (1°) disposer de
la faculté de développer les éléments qui soutiennent sa position, (2°)
connaître exactement la demande et les prétentions de son adversaire, (3°)
avoir connaissance et être en mesure de discuter les pièces et observations
présentées au juge en vue d’influencer sa décision. Les droits de la défense
d’une partie ne seraient dès lors pas respectés si elle ne recevait pas
communication de tous les documents transmis au juge ou qu’elle ne
disposait pas du temps nécessaire pour y répondre.
3. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement ». La
publicité des audiences et des jugements est également garantie par la
Constitution (art. 148 et 149). Ce principe fondamental vise à éviter
l’arbitraire en permettant au public et à la presse de suivre le déroulement
du procès et d’assurer le contrôle de l’activité des cours et tribunaux
(supra, ch. 6). Le principe de publicité n’est toutefois pas absolu. L’article
6, § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme dispose à cet
égard que « le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la
salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la
totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre
public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque
les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au
procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le
tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de
nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ». La Constitution belge
adopte une position similaire dans son article 148 : « Les audiences des
tribunaux sont publiques, à moins que cette publicité ne soit dangereuse
pour l'ordre ou les mœurs ; et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

jugement ». Lorsque le tribunal prononce le huis clos pour tout ou partie


des débats, le juge, son greffier, les parties et/ou leurs avocats ainsi que, le
cas échéant, le ministère public se retirent en chambre du conseil*, c’est-à-
dire, le plus souvent, dans le bureau du juge.
4. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai
raisonnable ». Pour mesurer le respect de cette garantie, la Cour
européenne des droits de l’homme a égard à critères variables.
L’importance de l’enjeu du litige peut entrer en ligne de compte. La
Belgique, comme d’autres pays, connaît un arriéré judiciaire important qui
la met souvent en contravention avec les exigences du délai raisonnable,
telles qu’elles ont été précisées par la Cour de Strasbourg267.
5. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal
indépendant et impartial établi par la loi ». Cette indépendance est assurée
vis-à-vis du pouvoir exécutif par une série de principes : la nomination à
vie des magistrats assis*, l’inamovibilité de ceux-ci, la fixation de leur
statut pécuniaire par la loi et le régime strict d’incompatibilités auquel ils
sont soumis. L’indépendance à l’égard des parties est assurée par les
causes de récusation et la procédure de dessaisissement (supra, ch. 5, s.
1)268 . L’absence de préjugé qui doit caractériser le travail des juges
s’apprécie également sur un plan objectif dans la mesure où le juge doit
offrir toutes les apparences de l’impartialité. D’après une importante
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il ne suffit pas
que le juge soit personnellement dépourvu de préjugés, il importe en outre
qu’il ait l’air de ne pas en avoir (supra, ch. 3, s. 1).
6. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal
établi par la loi ». C’est notamment pour ce motif que la Belgique a été
condamnée à Strasbourg, suite à la décision de la Cour de cassation dans
l’affaire Inusop, d’étendre sa juridiction à des personnes qui n’avaient
jamais eu la qualité de ministre, mais dont les agissements présentaient
un lien de connexité avec ceux reprochés à un ministre269 (supra, ch. 6).

267Pour une condamnation de la Belgique à cet égard, voy. Cour eur. dr. h., Bouzalmad c.
Belgique, 3 mars 2004.
268Voy. l’art. 828 du Code judiciaire qui énumère les causes de récusation et l’article 542 du Code
d’instruction criminelle qui prévoit le renvoi d’un tribunal à un autre tribunal pour cause de
suspicion légitime.
269 Cour eur. dr. h., Coëme et autres c. Belgique, 22 juin 2000.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Section 2 : Les acteurs du procès

Les acteurs de la justice que l’on rencontre dans les salles d’audience sont
principalement les juges, les membres du ministère public, les avocats et les
greffiers.

I. Les juges

Les juges, chargés d’arbitrer le débat contradictoire et de trancher le


conflit, occupent une place centrale dans le procès. Appelés juges* ou conseillers*
suivant généralement qu’ils siègent dans un tribunal ou dans une cour270, ils
relèvent tous de la magistrature assise*, une terminologie inspirée du fait qu’ils
ne doivent pas se lever quand ils prennent la parole à l’audience. On les appelle
aussi les magistrats du siège*. Leur statut est organisé de sorte à garantir leur
indépendance et leur impartialité (supra, ch. 3, s. 1).
En fonction des juridictions, le siège est collégial ou composé d’un juge
unique. L’institution du « juge unique » s’est généralisée dans la mouvance des
mesures adoptées par le législateur pour lutter contre l’arriéré judiciaire en
réduisant les moyens limités alloués au service public de la justice.

II. Les officiers du ministère public

A. Organisation

Le ministère public ou parquet est un corps hiérarchisé composé de


procureurs, d’avocats généraux et d’auditeurs. Ces officiers du ministère public*,
appelés aussi membres du parquet, ont la qualité de magistrat. A la différence
des juges du siège, ils relèvent de la magistrature debout car, dans le procès, ils
se lèvent pour prendre la parole à l’audience.
L’organisation des parquets suit, dans une large mesure, celle des
juridictions de l’ordre judiciaire.
• Auprès de la Cour de cassation, le parquet général est présidé par le
procureur général, lequel est assisté par un premier avocat général et des
avocats généraux (art. 142 C.J.).

270Il existe des exceptions. On parle ainsi des juges à la Cour constitutionnelle, et non des
conseillers.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

• Auprès de chaque cour d’appel se tient un parquet général présidé par un


procureur général, assisté par des substituts du procureur général, un
premier avocat général et des avocats généraux (art 144 C.J.).
• Auprès de chaque cour du travail, on trouve un auditorat général du
travail composé d’un premier avocat général, d’avocats généraux et de
substituts généraux (art. 145 C.J.). Ce sont également les membres de cet
auditorat général du travail qui exercent l’action publique* devant les
chambres pénales des cours d’appel pour les infractions au droit social*.
• Au siège de chaque arrondissement judiciaire est institué un parquet du
procureur du Roi qui exerce les fonctions du ministère public auprès des
tribunaux de première instance, des tribunaux de commerce et des
tribunaux de police271. Chaque procureur du Roi est assisté par des
premiers substituts et des substituts (art. 150 et 151 C.J.).
• Au siège de chaque tribunal du travail est organisé un auditorat du travail
présidé par un auditeur du travail272, assisté par un ou plusieurs
substituts. Les auditeurs du travail exercent également l’action publique*
devant les tribunaux correctionnels et de police pour les infractions à la
législation sociale (art. 152 et 153 du C.J.).
• Devant la cour d’assises, les fonctions du ministère public sont exercées
par le procureur général près la cour d’appel qui, habituellement, délègue
cette tâche à un membre de son parquet général ou du procureur du Roi au
siège duquel les assises sont tenues (art. 149 C.J.).
• Il est établi en outre un parquet fédéral, composé d’un procureur fédéral et
de magistrats fédéraux, qui sont compétents sur l’ensemble du territoire
national273. Le parquet fédéral se substitue aux magistrats ordinaires des
parquets pour certaines poursuites notamment en matière de terrorisme,
de crime organisé, de trafic d’êtres humains et de violations du droit
humanitaire. Le parquet fédéral coordonne également l’exercice de l’action
publique entre les différents parquets et facilite la coopération judiciaire
internationale.

271 Par dérogation, il y a deux procureurs du Roi dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles (un
procureur du Roi de Bruxelles et un procureur du Roi de Hal-Vilvorde) ainsi que dans
l'arrondissement judiciaire du Hainaut (un procureur du Roi de Charleroi et un procureur du Roi
de Mons). Voy. art. 150, §§ 2 et 4 C.J.
272 Par dérogation, il y a deux auditeurs du travail dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles
(l'auditeur du travail de Hal-Vilvorde et l'auditeur du travail de Bruxelles). Voy. art 152, § 2 C.J.
273Loi du 22 décembre 1998 sur l'intégration verticale du ministère public, le parquet fédéral et le
conseil des procureurs du Roi, M.B., 10 février 1999.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

B. Fonctions

Bien qu’ils aient la qualité de magistrat, les membres du ministère public


exercent une fonction très différente de celle des magistrats du siège. Il ne leur
appartient pas de trancher les litiges. Ils ne sont pas titulaires d’un pouvoir
juridictionnel. Ils représentent la société devant les cours et tribunaux,
contrôlent le bon fonctionnement et la régularité du service public de la justice et
veillent au respect des lois et de l’ordre public. Les missions des officiers du
ministère public sont très différentes selon que le litige relève du pénal ou du
civil.

1. Au pénal

C’est au pénal que le ministère public exerce sa fonction principale. Il est


la partie nécessaire au procès à laquelle s’oppose, dans le cadre du débat
contradictoire, la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction. En tant
que partie poursuivante, il lui revient d’exercer l’action publique* pour la
répression des infractions (art. 138 C.J.). Afin de mener à bien cette tâche, la loi
reconnaît à différents membres du ministère public, la qualité d’officier de police
judiciaire* (art. 9 C.I.C.).
Certains parquets remplissent des missions spécifiques. Ainsi, le parquet
général près la Cour de cassation n’exerce pas l’action publique, même devant les
chambres pénales de la Cour (art. 141 C.J.). Il joue un rôle tout à fait particulier
de « conseiller » en donnant, sous forme de conclusions*, un avis à la Cour de
cassation sur l’issue du litige. C’est pourquoi, on dit généralement qu’il remplit
une fonction d’amicus curiae (infra, ce ch., s. 3). Quant au parquet fédéral, sa
compétence est limitée à la recherche et à la poursuite de certaines infractions,
liées notamment au trafic d’armes ou à la criminalité organisée (art. 143, § 3 et
144bis C.J.). Par ailleurs, il s’est vu attribuer plusieurs tâches particulières, dont
la surveillance du fonctionnement de la police fédérale.
De manière générale, le ministère public, et plus particulièrement le
procureur du Roi, est chargé de :
• (faire) rechercher les infractions,
• diriger l’enquête préliminaire (information* pénale),
• poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction,
• requérir l’application de la loi pénale à l’audience,
• et veiller à l’exécution des condamnations pénales274 .

274 Art. 138, § 1 C.J. ; art. 165, 197 et 376 C.I.C. Voy. infra, ce ch., s. 4.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2. Au civil

Devant les juridictions civiles, le ministère public n’est pas partie au


procès. Son rôle réduit consiste à assister le juge en lui donnant, dans certains
cas limités, un avis sur la bonne application de la loi. Cette fonction du ministère
public est aujourd’hui en net recul. Le ministère public émet un avis lorsqu’il le
juge convenable et dans la forme (orale ou écrite) qu’il juge appropriée (art. 764 et
s. C.J.)275. Certaines affaires doivent obligatoirement être communiquées au
ministère public. Elles sont alors dites « communicables ». Il s’agit notamment
d’affaires impliquant des mineurs et des incapables ou de certains litiges en
matière sociale ayant des implications pénales. Dans certains cas très limités
(harcèlement sexuel au travail, par exemple), le tribunal peut demander au
ministère public son avis.

C. Statut

Les officiers du ministère public sont soumis à un statut très différent de


celui des magistrats du siège. Ils ne sont ni irrévocables, ni inamovibles. Ils sont
constitués en un corps hiérarchisé et, dans une certaine mesure, ils dépendent du
pouvoir exécutif.

1. Pas d’irrévocabilité, ni d’inamovibilité

Aux termes de la Constitution, « Le Roi nomme et révoque les officiers du


ministère public près des cours et des tribunaux » (art. 153). Derrière le Roi se
profile le ministre de la Justice qui ne dispose toutefois pas d’une entière latitude
dans la nomination des membres du ministère public. Comme pour les
magistrats du siège, le Conseil supérieur de la Justice* joue un rôle fondamental
en organisant tant le concours qui ouvre l’accès au stage (qui est d’un an pour les
magistrats debout, au lieu de trois pour les magistrats assis), que l’examen
d’aptitude pour les candidats qui ont déjà une pratique du monde judiciaire. Il
revient également à ce Conseil de présenter les candidats retenus au ministre de
la Justice ainsi que d’intervenir lors de l’octroi des promotions.
En pratique, il n’est pas courant de déplacer d’autorité un officier du
ministère public d’un parquet à un autre selon les besoins du service ou pour des
raisons d’opportunité. Par ailleurs, la révocation qui constitue la sanction
disciplinaire la plus grave est rarissime.

275 Le Collège des procureurs généraux peut donner des instructions contraignantes à cet égard.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

2. Hiérarchie et unité

Le ministère public est organisé en un corps hiérarchisé, placé sous


l’autorité du ministre de la Justice. Chaque membre exerce son autorité sur ceux
qui lui sont hiérarchiquement inférieurs. Il en va, par exemple, ainsi du
procureur du Roi sur ses substituts, ou du procureur général près la cour d’appel
sur les procureurs du Roi situés dans son ressort. Cette subordination
hiérarchique n’est pas sans limite. Elle est relâchée à l’audience où les officiers
du ministère public retrouvent, du moins théoriquement, une liberté d’expression
pleine et entière, à la condition de faire part au tribunal des ordres écrits qu’ils
ont reçus. C’est pourquoi, on dit généralement des membres du parquet que
« leur plume est serve mais leur parole est libre ». Cette subordination
hiérarchique est également conçue de manière à éviter que le ministre de la
Justice ne puisse paralyser l’application de la loi pénale. Ainsi, si le ministre de
la Justice peut toujours, en vertu de son droit d’injonction positive*, intimer
l’ordre au procureur du Roi de poursuivre un suspect, il ne lui est reconnu aucun
pouvoir d’injonction négative. Il est donc incompétent pour intimer l’ordre au
procureur du Roi de classer un dossier sans suite* (infra, ce ch., s. 4).
Le lien hiérarchique entre ministère public et ministre de la Justice a
conduit les auteurs de doctrine* à s’interroger sur le pouvoir auquel ce corps de
magistrats appartient. S’agit-il du pouvoir judiciaire ou du pouvoir exécutif,
comme le prête à penser l’expression utilisée par le Code d’instruction criminelle
et le Code judiciaire « parquet près les cours et tribunaux » et non « au sein » des
cours et tribunaux ? A ce jour, cette question reste controversée. Quoi qu’il en
soit, seul le ministre de la Justice est politiquement responsable devant la
Chambre des représentants des agissements des membres du ministère public.
Quant à l’unité qui caractérise le ministère public, elle se manifeste par la
concentration, entre les mains du procureur général près la cour d’appel, de la
direction de l’activité des magistrats qui relèvent des parquets situés dans son
ressort. Dans la pratique, les procureurs généraux près les cours d’appels jouent
un rôle prépondérant dans la surveillance et la conduite des officiers du ministère
public qui dépendent de leur ressort territorial.
Les procureurs généraux des 5 cours d’appel forment ensemble le Collège
des procureurs généraux. Ce collège est en charge d’établir une politique
criminelle cohérente sur l’ensemble du territoire. Il élabore à cette fin des
circulaires qui ont beaucoup d’importance en pratique. Par exemple, une
circulaire du Collègue fixe les critères de la correctionnalisation* des crimes.

3. Indivisibilité

L’indivisibilité du ministère public repose sur le principe que chacun de ses


membres n’agit pas en son nom personnel, mais au nom d’un parquet dont il est,
en quelque sorte, l’organe*. Cette indivisibilité a pour conséquence que,
contrairement aux juges, les magistrats du parquet peuvent se suppléer et se
succéder dans la même cause.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

III. Les avocats

A. Fonctions

Intermédiaires entre les justiciables et les institutions judiciaires, les


avocats assurent en ordre principal la représentation et la défense de leurs
clients en justice. Ils remplissent en outre des missions multiples. En amont du
procès, ils informent les justiciables de leurs droits et obligations et jouent par là
un rôle de filtre entre les citoyens et les cours et tribunaux en évitant que les
prétoires ne soient envahis par des litiges auxquels une solution négociée peut
être donnée. Ce rôle de conseil se concrétise le plus souvent par la rédaction d’une
consultation juridique* dans laquelle l’avocat va informer son client de manière
objective sur sa situation au regard du droit positif.
Outre ce rôle de conseil, la fonction d’avocat se caractérise plus
spécialement par la représentation en justice. Cette position stratégique dans le
jeu judiciaire, occupée par des personnes versées dans la science du droit, permet
une mise en œuvre effective des droits de la défense. Devant les cours et
tribunaux, les avocats sont les porte-parole naturels des justiciables. Ils
disposent, et c’est ce qui les distingue des consultants, du monopole de plaidoirie :
ils sont les seuls habilités à représenter les justiciables en justice. Ce principe
souffre plusieurs exceptions prévues par la loi. Ainsi, par exemple, devant le juge
de paix, le tribunal du commerce et les juridictions du travail, les parties peuvent
être représentées par leur conjoint ou un parent porteur d’une procuration écrite
(art. 728, § 2 C.J.). Devant les juridictions du travail, les travailleurs peuvent
également se faire représenter par un délégué syndical, porteur d’une même
procuration.
Devant la grande majorité des cours et tribunaux, les parties peuvent
toujours choisir de ne pas recourir à un avocat et assurer elles-mêmes leur
défense. Afin de protéger la sérénité des débats, le juge peut néanmoins interdire
à un justiciable de plaider sa cause et l’inviter à faire appel à un avocat lorsqu’il
constate que « la passion ou l’inexpérience (l’) empêche de discuter (sa) cause avec
la décence convenable ou la clarté nécessaire » (art. 758 C.J.). Devant certaines
juridictions, le recours à un avocat s’impose néanmoins. Il en est ainsi devant la
cour d’assises et le juge de la jeunesse où, le cas échéant, un avocat sera désigné
d’office. Pour introduire un pourvoi en cassation en matière civile, commerciale,
sociale et disciplinaire, la loi exige de faire appel à un avocat à la Cour de
cassation qui est seul habilité à représenter les parties devant cette juridiction.

B. Organisation

La profession d’avocat est organisée de manière à promouvoir la défense


des justiciables. Il y a en Belgique 26 associations appelées « Ordre des avocats
du barreau de (…) » ou « Barreau de (…) », qui regroupent les avocats d’une zone

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

géographique.276 Chaque avocat, pour exercer sa profession, doit appartenir à un


barreau. Chaque barreau est encadré par un Conseil de l’Ordre et est présidé par
un bâtonnier. Les membres du Conseil de l’Ordre ainsi que le bâtonnier sont élus
directement par l’ensemble des avocats du barreau.
Chaque Conseil de l’Ordre est chargé d’élaborer et de faire respecter les
règles de déontologie de la profession d’avocat. Ces règles relèvent à la fois de
l’éthique et de la procédure. Sur le plan éthique, un avocat, s’il peut défendre
n’importe quelle affaire, ne peut plaider n’importe quoi. Un équilibre doit s’opérer
entre le rapport contractuel qu’il entretient avec son client et le concours loyal
qu’il doit apporter au service public de la justice. En d’autres termes, « tous les
coups » ne sont pas permis : un avocat doit plaider « en son âme et conscience »
(art. 429 C.J.). Sur le plan procédural, les règles de déontologie déterminent
notamment la manière dont se vident les conflits entre avocats dans le cadre d’un
procès. Ces incidents ne sont jamais soumis au juge mais au bâtonnier de l’Ordre
qui en assure le règlement. Le Conseil de l’Ordre est également un organe
disciplinaire. Il lui appartient de sanctionner les avocats qui ne respectent pas la
déontologie de la profession. Les sanctions vont de l’avertissement à la radiation.
Au sein de chaque barreau doit être mis en place un bureau d’aide
juridique pour assister les justiciables dont les revenus sont insuffisants pour
supporter en tout ou en partie les honoraires d’un avocat. Les avocats désignés
par le bureau d’aide juridique prêtent leurs services « Pro Deo ». En pratique, ils
reçoivent une indemnité du service public fédéral de la justice. Le droit à l’aide
juridique* est aujourd’hui garanti par la Constitution parmi les droits
économiques, sociaux et culturels fondamentaux (art. 23, al. 3, 2°)277.
Il n’existe plus un Ordre national des avocats établi pour l’ensemble du
territoire. Depuis 2001278, cohabitent désormais l’Ordre des barreaux
francophones et germanophone et l’Orde van Vlaamse Balies. Ces deux Ordres,
qui regroupent notamment les différents bâtonniers, visent à promouvoir la
concertation et l’harmonisation des règles et usages de la profession.
Par ailleurs, au niveau national toujours, un barreau spécialisé est
institué : l’Ordre des avocats à la Cour de cassation, appelé aussi Barreau de
cassation. Il comprend vingt avocats qui sont des officiers ministériels, au même
titre que les huissiers* de justice et les notaires*. Ces avocats sont nommés par le
ministre de la Justice sur une liste de trois candidats arrêtée par la Cour de
cassation. Dans les matières civile, commerciale et sociale, leur assistance est
indispensable pour saisir valablement la Cour d’un pourvoi.

Remarquez que dans l’agglomération bruxelloise coexistent un Ordre français du Barreau de


276

Bruxelles et un Ordre néerlandais du Barreau de Bruxelles.


277 Art. 23, al. 3, 2° de la Constitution.
278Loi du 4 juillet 2001 modifiant, en ce qui concerne les structures du barreau, le Code judiciaire
et la loi du 13 mars 1973 relative à l'indemnité en cas de détention préventive inopérante, M.B.,
25 juillet 2001.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

C. Accès à la profession

L’accès à la profession d’avocat est réglementé. Il faut être titulaire d’un


Master en droit (ou d’un diplôme équivalent dans l’Union européenne) et réaliser
un stage de trois ans chez un avocat expérimenté, appelé maître de stage. Durant
ces trois années, l’avocat stagiaire doit également suivre une série de cours
juridiques, parmi lesquels figure en bonne place celui de déontologie, afin de
décrocher un certificat d’aptitude à la profession d’avocat (C.A.P.A.).
Le candidat stagiaire commence par prêter serment devant la cour
d’appel : « Je jure fidélité au Roi, obéissance à la Constitution et aux lois du
peuple belge, de ne point m’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités
publiques, de ne conseiller ou défendre aucune cause que je ne croirai pas juste
en mon âme et conscience » (art. 429 C.J.). Cette prestation de serment entraîne
l’inscription du candidat sur la liste des stagiaires et lui permet d’exercer le
métier d’avocat et d’en porter le titre. A l’issue du stage, moyennant la réussite
des examens liés « aux cours C.A.P.A. », à celle d’une épreuve de plaidoirie et à la
prise en charge d’un certain nombre de dossiers dans le cadre de l’aide juridique,
l’avocat quitte la liste des stagiaires pour être inscrit au tableau.

IV. Les greffiers

Les greffes constituent en quelque sorte les secrétariats des juridictions.


Juriste ou détenteur d’un certificat d’accès à la profession, le greffier joue un rôle
essentiel dans le bon fonctionnement de la justice. Il tient le dossier de la
procédure* qui rassemble tous les actes de la procédure, de l’introduction de
l’instance au prononcé de la décision. Il est en charge du rôle général*, à savoir le
registre des causes pendantes devant le tribunal qui constitue un acte
authentique* public. Il assiste les juges lorsqu’ils siègent, notamment en tenant
la feuille d’audience qui constitue le compte rendu de l’audience. Il délivre les
expéditions* des décisions de justice qui en sont les copies officielles et intégrales,
nécessaires pour en permettre l’exécution.

Section 3 : Le procès civil

I. Présentation générale

En première instance, le procès civil oppose un demandeur*, c’est-à-dire le


justiciable qui entame le procès, à un défendeur* contre lequel le procès est

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

intenté. Plusieurs demandeurs et/ou plusieurs défendeurs peuvent s’affronter


dans le cadre du même procès.
Le procès se déroule en différentes étapes. Tout d’abord, le demandeur doit
convoquer son adversaire, le défendeur, devant le juge compétent et introduire
ainsi l’instance. Cet acte introductif d’instance* permet aux parties de « se fixer
un rendez-vous » devant le juge. Sauf pour les litiges pouvant être réglés en
débats succincts¸ c’est-à-dire susceptible d’être instruits et plaidés dès la
première audience, les parties doivent ensuite « mettre l’affaire en état *» d’être
jugée. Elles s’échangent leurs conclusions* c’est-à-dire leurs arguments par écrit.
Lorsque la cause est en état, une audience de plaidoiries* est fixée au cours de
laquelle le juge va entendre les parties ou leurs avocats. A l’issue de la phase
d’audience, le juge clôture les débats* et prend la cause en délibéré* afin
d’élaborer sa décision.
Le procès civil se caractérise essentiellement par le fait qu’il est « la chose
des parties ». Cette particularité, connue sous le nom de principe dispositif*,
implique que, dans une large mesure, la direction du procès est abandonnée aux
parties. Il revient au demandeur de libeller ses prétentions et les faits sur
lesquels il les fonde dans l’acte introductif d’instance. Il appartient ensuite au
défendeur de prendre attitude soit en s’inclinant, soit en présentant des moyens
de défense*. Le juge ne peut donc, en principe et sous réserve de moyens d’ordre
public, élever des contestations que les parties n’ont pas soulevées devant lui. Il
lui incombe uniquement de statuer sur la demande portée à sa connaissance. Le
principe dispositif signifie également qu’au cours de l’instance, les parties
peuvent déroger, de commun accord, aux règles du Code judiciaire qui ne sont
pas d’ordre public*. Elles peuvent, de surcroît, transiger, sous réserve des
matières où une telle possibilité ne leur est pas offerte, et se désister de l’instance
ou de l’action.

II. L’introduction de l’instance

A. Citation et signification

1. La citation à comparaître

En principe, la convocation de la partie défenderesse à l’instance civile se


fait par voie de citation*. La citation en justice est délivrée par exploit*
d’huissier, c’est-à-dire un acte authentique dressé par un huissier* de justice
dans l’exercice de son ministère. En pratique, la citation est rédigée par l’avocat
qui la communique à son huissier. Les huissiers de justice sont des officiers
ministériels, nommés par le ministre de la Justice qui leur attribue la charge
d’une étude. Ils jouent un rôle indispensable à différentes étapes de l’instance,
notamment pour assurer la communication de certains actes de procédure
(citation à comparaître*, signification* de la décision, etc.), pour exécuter les

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

décisions judiciaires (saisie, apposition de scellés, etc.) et pour rapporter des


éléments de preuve fiables (constat d’adultère, etc.).
La citation à comparaître est un document formel qui doit contenir un
certain nombre d’indications, parmi lesquelles figurent :
• l’identification du demandeur (nom, prénom, profession, et domicile s’il
s’agit d’une personne physique ; dénomination, forme commerciale
éventuelle, siège social et numéro d’immatriculation à la Banque Carrefour
des Entreprises s’il s’agit d’une personne morale) ;
• l’identification du défendeur (nom, prénom et domicile s’il s’agit d’une
personne physique ; dénomination, forme commerciale éventuelle, siège
social et numéro d’immatriculation à la Banque Carrefour des Entreprises
s’il s’agit d’une personne morale) ;
• l’identité du juge saisi de la demande, le lieu et l’heure de l’audience
d’introduction ;
• le libellé de la demande* c’est-à-dire la prétention du demandeur et les
éléments de fait et/ou de droit sur lesquels elle repose. En d’autres termes,
le demandeur doit préciser ce qu’il réclame (par exemple, le paiement de
loyers échus) et le fondement de sa prétention (par exemple, le contrat de
bail conclu avec le défendeur).

2. La signification

La citation à comparaître doit être signifiée à la partie défenderesse. De


manière générale, la signification* est la remise, par un huissier de justice, d’un
acte de procédure à son destinataire pour l’en informer.

3. La mise au rôle

L’original de la citation est déposée au greffe et inscrite sur un registre, le


rôle général* où elle est répertoriée sous un numéro d’ordre, le numéro de rôle,
qui lui servira de référence tout au long de l’instance. Au moment de l’inscription
de la cause au rôle, le greffier ouvre le dossier de la procédure* et y glisse
l’original de l’exploit de citation qui en constitue la première pièce. Ce dossier
permet de retracer l’historique de la procédure. Il est particulièrement utile au
magistrat du siège pour prendre connaissance, avant l’audience, des éléments de
la cause qui lui est soumise. En cas de recours, le dossier de la procédure est
transmis au greffe de la juridiction supérieure.

B. Autres modes d’introduction de l’instance

Le recours à un huissier est particulièrement performant dans la mise en


œuvre du principe du contradictoire. Ce procédé a, toutefois, un coût non

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

négligeable et est relativement contraignant. C’est pourquoi le Code judiciaire a,


dans certaines hypothèses, prévu des alternatives à la citation à comparaître
comme mode introductif d’instance.
En application du principe dispositif*, les parties peuvent, de commun
accord, se présenter volontairement devant le juge compétent pour lui demander
de trancher le différend qui les oppose en déposant à cette fin une requête
conjointe au greffe de la juridiction (art. 706 C.J.). On parle alors de comparution
volontaire.
Dans certains cas, la procédure peut également être introduite par une
requête signée par l’avocat du demandeur au greffe, qui convoque ensuite lui-
même les parties par pli judiciaire.

III. L’audience d’introduction

Lors de l’audience d’introduction, comme pour les audiences ultérieures,


les parties comparaissent en personne ou par avocat (art. 728 C.J.). L’audience
s’ouvre, le plus souvent, par l’appel du rôle au cours duquel le juge passe en revue
les causes inscrites ce jour-là au rôle particulier de la chambre où il siège afin
d’organiser les débats.

A. Le défaut

Lorsque le défendeur néglige de répondre à la citation et ne comparaît pas


à l’audience d’introduction, le demandeur peut demander au juge de le
condamner par défaut*. Le juge est contraint de faire droit à la demande sauf s’il
constate que la procédure, la demande ou les moyens sont contraires à l’ordre
public (art. 806 C.J.).
Dans ce cas, le juge prend sa décision sans être éclairé par le débat
contradictoire. Il s’agit clairement pour la loi de sanctionner celui qui ne
comparaît pas. Une voie de recours spéciale est toutefois ouverte contre un tel
jugement afin de sauvegarder les droits de la défense : l’opposition* (infra, ce ch.,
cette s.).

B. Les débats succincts

Les causes qui n’appellent que des débats succincts et qui sont en état
d’être jugées sont retenues à l’audience d’introduction.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

La loi prévoit que ne demandent des débats succincts que certains types
d’affaires, comme la récupération de créances incontestées279.

C. Le calendrier

Si la cause n’est pas en état d’être jugée, le juge fixe un calendrier pour
l’échange des conclusions, en prenant acte le cas échéant de l’accord des parties.
Il fixe également la date de l’audience prévue pour les plaidoiries.

D. Mesures d’instruction

Le juge peut, à la demande des parties, ordonner des mesures


d’instruction, comme une expertise par exemple, dès lors qu’il considère la
demande recevable. Il veille à n’ordonner que les mesures utiles et dont le coût
est proportionné à l’enjeu du litige, en privilégiant la mesure la plus simple, la
plus rapide et la moins onéreuse.

IV. La mise en état de la cause

La mise en état de la cause suppose la communication des pièces et


l’échange de conclusions ainsi que, le cas échéant, la réalisation des mesures
d’instruction* sollicitées par les parties ou ordonnées d’office par le juge.

A. La communication des pièces

En application du principe du contradictoire, chacune des parties est tenue


de communiquer à l’autre toutes les pièces qu’elle entend produire au cours de
l’instance, ainsi que l’inventaire de celles-ci (art. 736 C.J.). La nature de ces
pièces peut être très variée : contrat, courrier, rapport d’expertise non ordonnée
par le juge, photographies, etc. Les pièces communiquées deviennent communes
aux parties, chacune pouvant les invoquer. Par contre, les pièces non
communiquées devront être écartées des débats, sous peine de violer les droits de
la défense.

279 Art. 735, § 2 du Code Judiciaire

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

B. L’échange des conclusions

a) Conclusions et moyens

Les conclusions* consistent en un acte de procédure qui contient l’exposé


écrit des prétentions d’une partie, c’est-à-dire ce qu’elle demande au juge, ainsi
que les moyens qu’elle invoque à l’appui de celles-ci. Les conclusions doivent être
structurées de la manière suivante : 1° un exposé des faits pertinents de la
cause ; 2° les « prétentions » du concluant, c’est-à-dire ce qu’il souhaite obtenir ou
voir reconnaître ; 3° les moyens qu’il invoque, en les numérotant s’il y en a
plusieurs ; 4° le texte du dispositif qu’il souhaiterait que le juge adopte (art. 744
C.J.).
Quant au moyen*, il s’agit de l’énoncé d’un fait, d’un acte, d’une règle ou
d’un principe qui soutient, à la suite d’un raisonnement juridique, le bien-fondé
d’une demande* ou d’une défense*. Une défense* est une contre-attaque opposée
à la prétention du demandeur. On l’appelle aussi exception*.

b) Demandes incidentes

Dans certains cas, les conclusions comportent des demandes incidentes*,


c’est-à-dire des demandes qui s’ajoutent à la demande originaire* (dite aussi
demande principale*) contenue dans l’acte introductif d’instance.
Ces demandes incidentes peuvent émaner du demandeur ou du défendeur.
Il s’agit principalement de la demande nouvelle et de la demande
reconventionnelle.
1°) La demande nouvelle* est celle par laquelle le demandeur étend ou
modifie la demande originaire. Pour être recevable, cette nouvelle
prétention doit être fondée sur un fait ou un acte invoqué dans l’acte
introductif.
2°) La demande reconventionnelle* est celle par laquelle le défendeur,
mettant à profit l’instance engagée à son encontre, soumet au juge une
prétention contre le demandeur originaire. Celle-ci ne doit pas
nécessairement présenter un lien avec la demande principale.

c) Application pratique

Imaginons que monsieur Lenoir soit propriétaire d’un appartement et qu’il


ait conclu avec madame Leblanc un contrat de bail, le 1er janvier 2000, pour un
loyer de 600 euros par mois. Depuis 6 mois, madame Leblanc ne paie plus ses
loyers malgré plusieurs envois recommandés de monsieur Lenoir la mettant en
demeure de remplir ses obligations. Lassé, monsieur Lenoir introduit une action
en justice. Sa demande vise à recouvrer les loyers échus ainsi qu’à obtenir des
dommages-intérêts. Elle s’appuie sur un moyen tiré, d’une part, du principe de la
convention-loi énoncé par l’article 1134 du Code civil : « Les conventions tiennent

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

lieu de loi à ceux qui les ont faites » ainsi que, d’autre part, du principe de
l’exécution forcée des conventions.
A cette prétention, madame Leblanc oppose un dysfonctionnement
récurrent de l’installation de chauffage. Depuis plusieurs mois expose-t-elle, la
température de l’appartement n’a jamais dépassé 15 degrés, un fait qui a été
porté à la connaissance de monsieur Lenoir à plusieurs reprises sans que celui-ci
ne daigne intervenir. En conséquence, madame Leblanc a suspendu le paiement
de ses loyers. Elle justifie cette attitude par un moyen tiré de la combinaison de
l’article 1720 du Code civil et du principe jurisprudentiel de l’exception
d’inexécution. L’article 1720, alinéa 2 du Code civil dispose que le bailleur doit
« faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir
nécessaires, autres que locatives ». Or, développe l’avocat de madame Leblanc
avec références à l’appui, la lecture de la jurisprudence* nous enseigne que la
réparation d’une installation de chauffage n’est pas une charge « locative » et
incombe au bailleur. Quant au principe de l’exception d’inexécution consacré par
la Cour de cassation, il pose qu’une partie à un contrat synallagmatique peut
suspendre l’exécution de ses obligations lorsque l’autre partie est en défaut de
remplir les siennes. Madame Leblanc développe bien ici une défense au fond : il
s’agit de contester le fondement même de la demande de monsieur Lenoir.
Outre cette contre-attaque, l’avocat de madame Leblanc peut également
introduire, dans ses conclusions, une demande reconventionnelle par laquelle sa
cliente sollicite du juge qu’il l’autorise à faire appel à un entrepreneur, aux frais
de monsieur Lenoir, pour réparer l’installation de chauffage. Une telle demande
trouve un fondement juridique dans l’article 1144 du Code civil par lequel « le
créancier peut (…), en cas d’inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même
l’obligation aux dépens du débiteur ».
Quant à monsieur Lenoir, rien ne l’empêche, en cours d’instance, de
transformer sa demande originaire visant à obtenir l’exécution forcée du contrat
de bail, en introduisant une demande nouvelle par laquelle il solliciterait du juge
la résolution du contrat de bail avec dommages et intérêts en application de
l’article 1184 du Code civil. Suivant cette disposition, dans un contrat
synallagmatique, « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a
le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible,
ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts ».

d) L’organisation des débats écrits :

Les avocats s’échangent leurs conclusions selon des délais déterminés par
la loi ou par un calendrier fixé par le juge.
Le défendeur conclut le premier (en réponse aux moyens développés par le
demandeur dans la citation). Le demandeur lui répond. Le défendeur lui réplique
et le demandeur à son tour. Le défendeur peut demander en toute hypothèse à
avoir le dernier mot.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

V. Les plaidoiries

L’audience de plaidoirie est fixée par le juge en fonction du calendrier de


mise en état ou à la demande des parties.
En raison de l’arriéré judiciaire important qui frappe certaines
juridictions, il faut parfois plus d’une année, voire deux ou trois pour obtenir
cette audience.
A l’audience, les parties sont entendues (souvent, par l’intermédiaire de
leurs avocats), sauf si elles ont décidé conjointement de s’en tenir à la procédure
écrite. Le demandeur plaide le premier, le défendeur ensuite et parfois un droit
de réplique est accordé aux parties. Le dernier mot revient toujours à la défense.
La durée des plaidoiries dépend de l’affaire à traiter. Pour les affaires
importantes en raison de leur enjeu, du nombre de parties impliquées ou de la
longueur des conclusions déposées, plusieurs heures de plaidoiries peuvent être
accordées par le juge. Il n’est dès lors pas rare qu’une ou plusieurs audiences
soient intégralement consacrées à une seule affaire.
Les débats se fondent sur les pièces écrites déposées dans le dossier de la
procédure. Ce n’est que si le juge considère ces éléments écrits insuffisants au
regard des plaidoiries qu’il décidera de convoquer un témoin ou un expert à une
audience remise à une date rapprochée. Au civil, une telle initiative est peu
fréquente, comme il est rare que le juge pose directement des questions aux
parties lorsqu’elles sont présentes dans la salle d’audience.

VI. La clôture des débats et la mise en délibéré

Après avoir entendu les parties, le juge prononce la clôture des débats et
prend la cause en délibéré. A ce moment la cause est en état d’être jugée. Le
délibéré* est la phase non publique du procès au cours de laquelle les juges, s’ils
sont plusieurs à siéger, débattent entre eux des mérites des arguments respectifs
et décident de la solution à donner à l’affaire. Le débat contradictoire entre les
parties se double alors d’un autre débat, entre les juges. Lorsque le juge siège
seul, le délibéré est le moment de la réflexion et de la relecture des pièces et des
conclusions. C’est au cours du délibéré que la décision est élaborée et rédigée.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

VII. Le jugement

A. Principes

Le juge doit motiver sa décision en justifiant les raisons de fait et de droit


qui la commandent280. Il s’agit pour le juge d’exposer le raisonnement élaboré au
cours du délibéré à la lumière des éléments soumis par les parties dans leurs
conclusions et plaidoiries. Dans sa décision, le juge s’adresse d’abord aux parties.
Il répond aux arguments soulevés dans le cadre du débat contradictoire. Le juge
est d’ailleurs tenu de répondre à l’ensemble des moyens développés par les
parties dans leurs conclusions, dès lors que ces moyens sont libellés
conformément aux règles fixées à cet effet (supra, art. 744 C.J.). Le juge s’adresse
aussi aux juridictions supérieures dans l’hypothèse où sa décision fera l’objet d’un
recours. La motivation vise donc également à montrer que les règles de droit ont
été correctement appliquées. Enfin, dans sa motivation, le juge s’adresse encore à
la communauté des juristes ou même au public en général. Sa décision est en
effet susceptible d’être publiée et de faire (ou non) jurisprudence, dans la mesure
où la solution qu’elle préconise influencera l’issue d’autres litiges.
Dans l’élaboration de sa décision, le juge doit également respecter le
principe dispositif*. Il lui est défendu de statuer ultra petita*, c’est-à-dire au-delà
de ce qui lui a été demandé. Strictement tenu par la demande qui lui a été faite,
le juge ne peut en modifier l’objet soit en l’amplifiant, soit en substituant une
prétention à une autre, soit même en réduisant l’objet de la demande alors que
celui-ci n’a pas été contesté par le défendeur. Le juge doit cependant condamner,
en vertu de la loi, la partie qui a succombé à supporter les frais et dépens* (frais
d’huissier, droits de greffe, coût de l’expédition* du jugement, etc.).
En principe, la partie gagnante a en outre droit à une indemnité de
procédure à charge de la partie qui succombe. Celle-ci couvre de manière
forfaitaire une partie des honoraires de son avocat281.

B. Prononcé

Le juge rend, en principe, sa décision dans le mois de la mise en délibéré.


Ce délai n’est pas toujours respecté en pratique. Lorsque le juge prend trop de
retard, il peut être dessaisi de l’affaire.

280Sur les motifs, et plus généralement sur la structure formelle des décisions de justice, voy.
supra, ch. 4.
281Loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des frais et honoraires d’avocats (M.B., 31 mai
2007) et arrêté royal d’exécution (établissant les barèmes) du 26 octobre 2007.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

La Constitution prévoit que le juge prononce sa décision en audience


publique (art. 149). En pratique, les décisions ne sont plus lues intégralement en
audience publique devant les juridictions civiles. Les parties sont averties de la
décision par le greffe qui leur en communique, à titre purement informatif, une
copie non signée (art. 792 C.J.). L’original s’appelle la minute* de la décision. Il
s’agit d’un acte authentique qui est déposé au greffe et dont celui-ci ne peut se
dessaisir.

C. Catégories de jugements

1. Jugement avant dire droit ou interlocutoire

Au cours de l’instance et avant la clôture des débats, le juge peut rendre


des jugements avant dire droit* (ou interlocutoires*) par lesquels soit il ordonne
une mesure préalable à l’examen des droits des parties (mesure d’instruction*),
soit il s’attache à régler provisoirement la situation des parties. Dans un
jugement avant dire droit, le juge peut, par exemple, ordonner une expertise
judiciaire ou statuer sur l’occupation, pendant l’instance, d’un immeuble dont le
droit de propriété est contesté.

2. Jugement provisoire

Lorsque le juge des référés est saisi en raison de l’urgence, il statue


toujours au provisoire. Sa décision, qui s’appelle une ordonnance, ne lie pas le
juge du fond qui serait ultérieurement saisi du litige (art. 1039 C.J.). Elle a une
autorité de chose jugée restreinte : elle s’impose aux parties tant que les choses
restent en état, mais elle ne préjuge en rien d’une décision qui serait rendue en
première instance selon les formes ordinaires et qui constituerait un jugement
définitif*.

3. Jugement définitif

Le jugement définitif* épuise, de manière non provisoire, la juridiction du


juge de première instance sur une question litigieuse. Il peut être rendu au terme
d’une procédure contradictoire (on parle alors de jugement contradictoire*) ou
d’une procédure par défaut (on parle alors de jugement par défaut*).
Tout jugement définitif est revêtu, dès son prononcé, de l’autorité de la
chose jugée*. En vertu de cette autorité, ce qui a été jugé est présumé
correspondre à la vérité et ne peut être remis en cause que par l’exercice des voies
de recours.
Les jugements définitifs contradictoires sont en principe exécutoires par
provision, c’est-à-dire que la partie qui triomphe peut faire exécuter la décision
du juge, sans attendre que la décision ne soit coulée en force de chose jugée. Il

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

n’en va autrement que lorsque le juge décide, avec une motivation spéciale, que la
décision ne sera pas exécutoire. La partie qui exécute ainsi la décision le fait
toutefois à ses risques et périls, c’est-à-dire qu’elle devra restituer et remettre en
état si le jugement est renversé en appel ou en cassation par exemple.

4. Jugement coulé en force de chose jugée et jugement


irrévocable

Un jugement définitif est susceptible de faire l’objet de recours*. Il sera


coulé en force de chose jugée* (ou passé en force de chose jugée) lorsque les
recours ordinaires* que sont l’opposition* et l’appel* ne pourront plus être
exercés. Ce jugement deviendra irrévocable* lorsqu’il ne sera plus susceptible de
pourvoi en cassation* qui constitue une voie de recours extraordinaire*.

VIII. Les voies de recours

La seule manière de contester l’autorité d’un jugement consiste à mettre


en œuvre les voies de recours prévues par la loi dans les délais qu’elle prescrit.
Les voies de recours* sont donc les procédures ouvertes par le Code judiciaire en
vue d’obtenir une nouvelle décision dans un litige déjà jugé. Les plus courantes
sont l’opposition, l’appel et le pourvoi en cassation.
L’opposition et l’appel sont des voies de recours ordinaires* parce qu’elles
sont de droit, sauf lorsque la loi les interdit. Une telle exception concerne, par
exemple, les décisions du juge de paix lorsqu’il statue sur une demande dont le
montant ne dépasse pas 1860 euros (art. 617, al. 1er C.J.). Dans ce cas, on dit que
le juge de paix statue en premier et dernier ressort* : sa décision n’est pas
susceptible d’appel, mais bien d’opposition en cas de jugement rendu par défaut.
Le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire* : il n’est
ouvert que pour les causes déterminées par la loi.

A. L’opposition

L’opposition* est la voie de recours ordinaire mise à la disposition de la


partie défaillante en vue de faire rapporter le jugement par défaut prononcé
contre elle, que celui-ci ait été rendu en première instance ou en appel. Une
partie fait défaut lorsque, quoique convoquée régulièrement à l’instance, elle n’a
pas comparu et n’a pas conclu.
L’opposition vise à combler le déficit du débat contradictoire. Ce recours
doit être porté devant la même juridiction qui a statué par défaut. Dans la
pratique, il s’agira souvent du même magistrat, mais ce n’est pas obligatoire.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Le délai d’opposition est d’un mois à dater de la signification* du jugement


rendu par défaut. Si la partie opposante est une nouvelle fois défaillante, elle ne
sera plus admise à formuler une nouvelle opposition contre le second jugement
rendu par défaut et ce, en vertu du principe « opposition sur opposition ne vaut »
(art. 1049 C.J.).
Lorsqu’une partie fait opposition, ce recours suspend en principe
l’exécution de la décision attaquée dans l’attente de la nouvelle décision (effet
suspensif)282 .

B. L’appel

Voie de recours ordinaire, l’appel* permet à la partie qui se considère lésée


par un jugement de demander à la juridiction supérieure compétente de le
réformer. L’appel ouvre un deuxième degré de juridiction et permet le réexamen
complet du litige. Il peut être interjeté contre un jugement contradictoire ou
contre un jugement rendu par défaut puisque l’opposition constitue une simple
faculté reconnue par la loi à la partie défaillante.
Les parties disposent d’un mois pour faire appel à dater de la signification
de la décision rendue en première instance.
Bien que fondamental, le droit au double degré de juridiction n’est pas
garanti par la Constitution ou la Convention européenne des droits de l’homme.
Il ne s’agit ni d’un principe général* de droit, ni d’une garantie du procès
équitable*. Dans la pratique, la grande majorité des décisions sont susceptibles
d’appel. La partie qui interjette appel se nomme l’appelant*. Celle contre qui
l’appel est formé, l’intimé*.
L’instance d’appel est, dans une large mesure, calquée sur celle de
première instance.
L’appel n’a pas en principe d’effet suspensif de la décision attaquée.

C. Le pourvoi en cassation

Le pourvoi en cassation ouvre une voie de recours extraordinaire devant la


Cour de cassation contre les décisions qui ne sont plus susceptibles de recours
ordinaires (supra, ch. 3, s. 1). Devant cette juridiction suprême, le fond de
l’affaire n’est plus examiné, les faits ne sont plus débattus, aucune mesure
d’instruction n’est ordonnée. La Cour de cassation connaît des faits tels qu’ils ont
été constatés par le juge du fond. Sa tâche consiste à examiner si, de ces faits, le
juge a fait une correcte application de la loi. La mission de la Cour de cassation se

282 Sauf pour les jugements par défaut rendus par le tribunal de la famille.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

distingue donc de celle des juges du fond. Gardienne de la légalité, la Cour de


cassation est chargée de veiller à l’application exacte de la loi et des principes
généraux du droit. Ce faisant, elle assure l’uniformité de la jurisprudence, tout en
contribuant, par le jeu de l’interprétation* (infra, ch. 9), à son évolution.
Seuls des moyens tirés d’une « contravention à la loi » ou d’une « violation
des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité » peuvent être soumis à
la Cour de cassation (art. 608 C.J.). Parmi les formes particulièrement
importantes dont la violation est sanctionnée en cassation, figure en bonne place
une motivation insuffisante déduite d’une réponse parcellaire du juge aux
moyens soulevés par les parties dans leurs conclusions.
De manière succincte, les étapes de la procédure en cassation sont les
suivantes (art. 1073 et s. C.J.) :
1°) Les parties disposent de trois mois pour se pourvoir en cassation.
L’introduction d’un pourvoi en cassation n’a pas d’effet suspensif de la
décision.
2°) Le défendeur dispose, en principe, ensuite de trois mois pour adresser à
la Cour un mémoire en réponse.
3°) A l’expiration de ces délais, le président de la Cour désigne un
conseiller rapporteur qui va rédiger un rapport sur les mérites du
pourvoi.
4°) Le dossier est ensuite transmis au parquet général près la Cour de
cassation qui, rappelons-le, joue le rôle d’amicus curiae. Le membre de
ce parquet désigné dans l’affaire en cause va rendre un avis sous forme
de conclusions.
5°) La cause est alors fixée d’office par la Cour. A l’audience, le rapport du
conseiller est entendu. Ensuite, les avocats des parties sont invités à
plaider, mais ils se contentent généralement de renvoyer à leurs
mémoires écrits. Enfin, un membre du parquet général expose ses
conclusions. Celles-ci ne sont pas toujours contenues dans un écrit.
Suite à plusieurs condamnations de la Belgique par la Cour européenne
des droits de l’homme pour violation du principe de l’égalité des armes
et des droits de la défense, les parties ont désormais la possibilité de
répondre aux conclusions du parquet général par une note écrite ou
verbalement à l’audience283.
6°) Après le délibéré, la Cour de cassation prononce sa décision. Soit, la
Cour rejette le pourvoi et la décision du juge fond devient irrévocable ;
soit, la Cour casse, totalement ou partiellement, la décision du juge du
fond et les parties se retrouvent dans la situation antérieure au
prononcé de la décision attaquée. La Cour de cassation ne décide en

283Voy. les arrêts Borgers du 30 octobre 1991 et Vermeulen du 20 février 1996 (cités supra, ch. 6,
s. 2). Suite à ces décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, le législateur est
intervenu le 14 novembre 2000 pour modifier certaines dispositions du Code judiciaire
(notamment l’art. 1107 C.J.).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

principe jamais elle-même du sort à réserver à la demande. Elle renvoie


la cause devant une autre juridiction du fond de même degré que celle
qui a rendu la décision attaquée ou, à défaut, devant la même
juridiction du fond autrement composée. Les règles ordinaires de
l’instance président à l’adoption de cette nouvelle décision. Cette
dernière peut à nouveau faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Comme
le juge du fond n’est pas lié par l’arrêt de la Cour de cassation, il se peut
qu’un second pourvoi soit introduit sur un moyen identique à celui
ayant entraîné la première cassation. Dans ce cas, la Cour de cassation
examine ce second pourvoi « toutes chambres réunies ». En pratique, il
est examiné par 13 conseillers. Dans l’hypothèse d’une seconde
cassation, le nouveau juge du fond à qui la cause est renvoyée est tenu
de suivre la solution préconisée par la Cour de cassation sur le point de
droit litigieux (art. 1120 C.J.).

IX. L’exécution du jugement

La décision de justice qui ne fait pas l’objet d’un recours ou n’est


plus susceptible de recours (coulée en force de chose jugée) doit être exécutée par
les parties. L’exécution est soit volontaire, soit forcée.
La partie qui veut procéder à l’exécution forcée fait signifier à
l’adversaire la décision (par exploit d’huissier). Elle se fait délivrer par le greffe
une copie de la décision, revêtue de la formule exécutoire :
« Nous, Philippe, Roi des Belges,
A tous présents et à venir, faisons savoir :
[suivent les motifs et le dispositif de la décision]
Mandons et ordonnons à tous huissiers de justice et à ce requis de
mettre le présent (…) jugement (…) à exécution ;
A Nos procureurs généraux et à Nos procureurs du Roi près les
tribunaux de première instance, d’y tenir la main, et à tous
commandants et officiers de la force publique d’y prêter main forte
lorsqu’ils en seront légalement requis ;
En foi de quoi le présent (…) jugement (…) a été signé et scellé du
sceau (…) du tribunal (…) »284.

Elle pourra sur cette base faire exécuter la décision par les
autorités publiques et faire saisir les biens du débiteur par un huissier.

284Arrêté royal du 9 août 1993 modifiant l’arrêté royal du 27 mai 1971 déterminant la formule
exécutoire des arrêts, jugements, ordonnances, mandats de justice ou actes comportant exécution
parée, M.B., 9 août 1993.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Les biens saisis seront mis en vente publique et le créancier sera payé sur
le produit de la vente.

Section 4 : Le procès pénal

Le procès pénal constitue le cadre dans lequel sont jugées les personnes
soupçonnées d’avoir commis une infraction. A la différence du procès civil qui
traite d’un conflit relatif aux intérêts privés des parties en cause, le procès pénal
relève de l’ordre public dans la mesure où il oppose un particulier à la collectivité
représentée par un membre du ministère public. Cette asymétrie du procès pénal
influence profondément les règles relatives à son administration et à la charge de
la preuve* (infra, ch. 9). La procédure pénale tend à rétablir un certain équilibre
en dotant la personne à qui une infraction est reprochée d’une série de droits qui
viennent s’ajouter aux garanties du procès équitable. Mais la procédure pénale
est également organisée de manière à assurer une répression efficace des
infractions en conférant notamment aux enquêteurs des moyens spécifiques pour
accomplir au mieux leur tâche d’investigation (perquisitions, détentions
préventives, écoutes téléphoniques, etc.). De telles prérogatives sont susceptibles
de mettre à mal les libertés fondamentales (droit à la vie privée et à l’inviolabilité
du domicile, droit à la liberté individuelle, droit au secret de la correspondance,
etc.). Dans un Etat de droit, tout l’art de la procédure pénale consiste à concilier,
en amont et au cours du procès, ces deux impératifs qui tiennent à l’efficacité des
poursuites pénales, d’une part, et au respect des libertés fondamentales, d’autre
part.

I. Les principes fondamentaux propres à la procédure


pénale

Outre les garanties du procès équitable prévues par l’article 6, § 1er de la


Convention européenne des droits de l’homme qui s’appliquent aux instances
pénales comme aux instances civiles, le procès pénal est entouré de garanties
particulières en raison de sa nature spécifique.

A. La présomption d’innocence

En vertu de l’article 6, § 2 de la Convention européenne des droits de


l’homme : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente
jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Ce principe de la
présomption d’innocence a de nombreuses implications, notamment :

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

- l’interdiction du recours à la détention préventive pour exercer une


répression immédiate ;
- le fait que la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante et
que le doute profite à la personne poursuivie (infra, ch. 9) ;
- le fait que les preuves doivent, en principe, être recueillies de manière
loyale ;
- le devoir de réserve des magistrats dans les communications à la
presse.

B. Le droit au silence

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacre


expressément le droit au silence : « Toute personne accusée d’une infraction
pénale a droit (…) à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de
s’avouer coupable »285. Le droit au silence est également consacré par la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce droit au silence a
des implications fondamentales dans le procès pénal, notamment :
- la personne soupçonnée d’une infraction est libre de répondre ou non
aux questions qui lui sont posées ;
- elle ne peut être contrainte de collaborer à la production d’éléments de
preuve ;
- le silence de l’inculpé ne peut entraîner aucune sanction, notamment
sous la forme d’une détention préventive ;
- l’assistance d’un avocat dès le premier interrogatoire est de nature à
assurer l’effectivité du droit au silence (arrêt Salduz)286 .

C. Droits de la défense renforcés

Dans son article 6, § 3, la Convention européenne des droits de l’homme


énumère, de manière non limitative, les droits de la défense qui doivent être
reconnus à la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction :
« Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il
comprend et de manière détaillée, de la nature et de la cause de
l’accusation portée contre lui ;

Art. 14.3.g du Pacte signé à New-York le 19 décembre 1966 et ratifié par la Belgique le 15 mai
285

1981.
286 Cour eur. dr. h., Salduz c. Turquie, 27 novembre 2008.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de


sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son
choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur,
pouvoir être assisté gratuitement par un avocat désigné d’office,
lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la
convocation et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les
mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend
pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience ».

Les violations caractérisées des droits de la défense vicient, en principe, de


manière irrémédiable l’instance. Les autorités publiques se privent de la
possibilité d’exercer des poursuites si elles ne se plient pas aux règles du jeu qui
doivent encadrer un procès pénal dans un Etat de droit. Ce principe vise à
sanctionner les autorités, notamment policières, lorsqu’elles se livrent à des
manœuvres ou à des actes illégaux pour confondre les délinquants ou forger des
preuves contre eux. Toutefois, ce principe a été largement vidé de sa substance
par une série d’évolutions jurisprudentielles et législatives qui privilégient
nettement le souci de la répression sur celui du respect de la légalité.
Ainsi, depuis le début des années 1990, le principe a priori inconditionnel
d’exclusion de la preuve obtenue de manière illicite a progressivement été remis
en cause par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Dans un premier temps, la Cour de cassation a procédé à une distinction selon
que l’auteur de l’acte illicite est un particulier ou un agent de l’autorité. La Cour
va admettre que la preuve obtenue de manière illicite par un particulier est
recevable si l’acte illicite n’a pas été commis dans le but de dénoncer les faits à la
justice287.
Ensuite, la Cour de cassation a procédé à une distinction entre la preuve d’une
infraction et sa dénonciation. Pour la Cour, si le dénonciateur d’une infraction en
a connaissance à la suite de la commission d’une illégalité, la preuve de
l’infraction qui serait obtenue par la suite de manière régulière n’affecterait pas
la régularité de celle-ci288. Cette position, notamment pour des raisons de
pragmatisme, a été critiquée tant par la doctrine que la jurisprudence.

Cass., 17 janvier 1990, R.W., 1990-91, pp. 463 et s., et note L. HUYBRECHTS, Rev. dr. pén. crim.,
287

1990, p. 653 et Cass., 17 avril 1991, Rev. dr. pén. crim., 1992, pp. 94 et s., et note C. DE
VALKENEER.
288Cass., 30 mai 1995, J.L.M.B., 1998, pp. 489 et s., et note F. KUTY. Le faits ayant donné lieu au
pourvoi peuvent être résumés comme suit : la police française avait procédé à des écoutes
téléphoniques à une période où la France ne disposait pas encore d’une législation en la matière
compatible avec les exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme
(dénonciation irrégulière). Le résultat de ces écoutes avait, par contre, été communiqué de

149 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_B


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Depuis 2003, la jurisprudence de la Cour de cassation289, – dite « Antigone », du


nom de l’opération policière ayant donné lieu à l’arrêt dont elle allait résulter – a
glissé vers un principe de recevabilité de la preuve illicite, sauf lorsque l’usage de
la preuve obtenue compromettrait le droit à un procès équitable290 . Cette
jurisprudence a été validée tant par la Cour constitutionnelle291 que par le Cour
européenne des droits de l’homme292 .
Sur la base de la jurisprudence de la Cour de cassation, aujourd’hui consacrée
par le législateur293, le juge du fond apprécie souverainement si une preuve
recueillie à la suite d’une infraction par les autorités porte atteinte au caractère
équitable du procès en ayant égard aux éléments de la cause prise dans son
ensemble. Dans ce cadre, le juge du fond pourra examiner le caractère
intentionnel ou non de l’illicéité commise par les autorités, le fait que l’illicéité
accomplie est sans commune mesure avec la gravité de l’infraction que
l’irrégularité a permis de constater, le fait que la preuve illicite ne concerne qu’un
élément matériel de l’infraction, le fait que l’irrégularité est purement formelle
ou sans incidence sur le droit ou la liberté protégé par la règle transgressée.

II. Les deux phases du procès pénal

Une fois qu’une infraction a été commise, il s’agit d’en rechercher l’auteur
et, le cas échéant, de le juger. Cette double démarche, l’enquête et le jugement,
correspond aux deux étapes du procès pénal : la phase préliminaire, qui prend la
forme d’une information* ou d’une instruction*, et la phase de jugement
proprement dite.

A. La phase préliminaire

La phase préliminaire du procès pénal est consacrée à la recherche des


infractions et de leurs auteurs, au rassemblement des preuves ainsi qu’à la

manière régulière aux autorités belges qui, sur cette base, ont alors pu recueillir des preuves des
infractions en Belgique et initié une action en justice (preuve régulière).
289 Cass., 14 octobre 2003, R.G., P. 03.0762, N, Pas., 2003, I, p. 499.
290 La preuve illicite est irrecevable dans trois hypothèses, mais la dernière citée est de loin la
plus importante en pratique : (1) lorsqu’une règle de forme prescrite à peine de nullité a été
méconnue ; (2) lorsque l’irrégularité a entaché la fiabilité de la preuve obtenue ; (3) lorsque
l’usage de la preuve obtenue compromettrait le droit à un procès équitable.
291 C. const., 22 décembre 2010, n° 158/2010, J.L.M.B., 2011, p. 298.
292 Cour. eur. dr. h., Lee Davies c. Belgique, 28 juillet 2009.
293Nouvel article 32 introduit dans le Titre préliminaire du Code de procédure pénale par la loi
du 24 octobre 2013 (M.B., 12 novembre 2013).

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

constitution du dossier répressif*. Pour mener à bonne fin pareille entreprise,


deux voies sont prévues par la loi :
- l’ouverture d’une information* sous la direction du procureur du Roi*.
Cette forme d’enquête préliminaire concerne toutes les contraventions*,
certains délits* et les crimes* correctionnalisés* par le ministère
public ;
- l’ouverture d’une instruction* sous la responsabilité du juge
d’instruction*. Cette forme d’enquête préliminaire concerne certains
délits et certains crimes. Les crimes qui relèvent de la cour d’assises
doivent impérativement faire l’objet d’une instruction.
Lorsque les besoins de l’enquête relative à la commission d’un crime ou
d’un délit conduisent à poser des actes attentatoires aux libertés individuelles,
l’intervention du juge d’instruction est en principe requise, sauf dans les cas
exceptionnels où la loi autorise le procureur du Roi à les poser (art. 28bis, § 3 du
C.I.C.). Cette règle de compétence constitue une garantie importante pour la
protection des droits des suspects. Contrairement au procureur du Roi, le juge
d’instruction mène l’enquête en toute indépendance et impartialité : il relève de
la magistrature assise* et n’exerce pas l’action publique (infra, ce ch., cette s.).
Cette répartition des rôles est toutefois très largement remise en cause par
les réformes récentes de la procédure pénale (notamment loi « pot-pourri II ») qui
accroissent de manière considérable les prérogatives du ministère public. Celui-ci
prend de plus en plus le pas sur le juge d’instruction. En outre, il intervient de
manière très importante en pratique sur le règlement de l’affaire, qui était
auparavant l’apanage des juges (par exemple, au travers de la procédure de
reconnaissance préalable de culpabilité).

1. L’information

a) Le déroulement de l’information

1°) L’ouverture de l’information


Lorsqu’une infraction est constatée, elle est le plus souvent portée à la
connaissance du procureur du Roi par l’intermédiaire des services de police. Ce
sont en effet ces services qui, dans le cadre de leurs missions de police
judiciaire*294 , vont dresser les procès-verbaux* visant à constater les infractions à
la commission desquelles ils assistent directement, à enregistrer les plaintes des
personnes qui en sont victimes ou à recueillir les déclarations des témoins d’actes
pénalement répréhensibles.

294 Rappelons que parmi les fonctions de police, on distingue celles de police judiciaire qui visent
la recherche et la constatation des infractions et celles de police administrative qui ont pour objet
principal le maintien de l’ordre public (supra, ch. 6).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Les fonctionnaires de police sont tenus d’informer le procureur du Roi de


l’existence d’un crime ou d’un délit. A cet effet, ils établissent un procès–verbal
sur la base duquel un dossier est automatiquement ouvert au sein du parquet.
C’est par l’ouverture de ce dossier que l’information débute, sauf si le procureur
du Roi décide de confier immédiatement l’enquête au juge d’instruction.

2°) L’objet de l’information


L’information est définie par la loi comme « l’ensemble des actes destinés à
rechercher les infractions, leurs auteurs et les preuves et à rassembler les
éléments utiles à l’exercice de l’action publique » (art. 28bis, § 1er du C.I.C.). Ces
actes sont de nature très diverse. Il peut s’agir d’une descente sur les lieux par
laquelle le procureur du Roi, assisté des fonctionnaires de police, se déplace à
l’endroit des faits pour y procéder à toutes les constatations utiles. Les
magistrats du parquet ainsi que les fonctionnaires de police peuvent également
procéder à l’audition de personnes, qu’elles soient suspectes, témoins ou tiers, à
la condition qu’elles comparaissent volontairement. Comme tous les autres modes
de preuve, les auditions de personnes sont soumises au principe de loyauté de
l’administration de la preuve. Sont donc proscrites toutes formes de menace tant
verbale que physique à l’égard de la personne entendue ainsi que toute ruse ou
tromperie destinée à induire en erreur la personne entendue pour obtenir une
version particulière des faits.
Des règles spécifiques existent depuis l’arrêt Salduz concernant les droits
des personnes auditionnées en qualité de suspects. Celles-ci se voient informées
qu’elles ont le droit de faire une déclaration, de répondre aux questions qui leur
sont posées ou de se taire. Par ailleurs, si les faits susceptibles de leur être
imputés sont de nature à donner lieu à la délivrance d’un mandat d’arrêt, elles
ont le droit de se concerter confidentiellement avec un avocat avant leur première
audition. Les suspects qui ne sont pas privé de leur liberté ne bénéficient pas du
droit à la présence d’un avocat durant leur(s) audition(s) contrairement à ce qu’il
en est lorsque le suspect est privé de sa liberté suite à une arrestation judiciaire
et préalablement à la délivrance d’un mandat d’arrêt.
Outre les auditions, le procureur du Roi peut ordonner la saisie des pièces
à conviction. Il peut aussi commander l’arrestation d’une personne à l’égard de
laquelle existent des indices sérieux de culpabilité relatifs à un crime ou à un
délit. Il s’agit de l’arrestation judiciaire qui ne peut jamais entraîner une
privation de liberté pour une durée supérieure à vingt-quatre heures. Au-delà de
ce délai, une personne ne peut être privée de sa liberté qu’en vertu d’un mandat
d’arrêt* décerné par un juge d’instruction (infra, ce ch., cette s.)295.

295 L’arrestation judiciaire ne doit pas être confondue avec l’arrestation administrative. Cette
dernière relève de la décision d’un fonctionnaire de police et ne peut être ordonnée qu’en cas
« d’absolue nécessité » et dans les circonstances prévues par la loi, comme le trouble effectif pour
la tranquillité publique. L’arrestation administrative ne peut entraîner une privation de liberté
excédant 12 heures (la fameuse « nuit au poste »).

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

3°) L’information et les actes attentatoires aux libertés individuelles


En principe, les actes posés dans le cadre de l’information ne peuvent
comporter de mesures de contrainte, ni porter atteinte aux libertés et aux droits
individuels. Il n’y a donc pas, à ce stade, de perquisition sans le consentement de
la personne disposant de la jouissance des lieux (inviolabilité du domicile), pas
d’exploration corporelle sans le consentement écrit et préalable de la personne
majeure concernée (droit à l’intégrité physique), pas de mise sur écoute
téléphonique (droit au respect de la vie privée et au secret des « lettres »). Si de
tels actes étaient posés au cours de l’information, les éléments ainsi recueillis
devraient, sous réserve de l’application de la jurisprudence Antigone, être écartés
du dossier répressif.
Dans certaines circonstances, la loi habilite expressément le procureur du
Roi à poser des actes attentatoires aux libertés individuelles. En cas de flagrant
délit*, par exemple, le procureur du Roi et les fonctionnaires de police peuvent
procéder à des perquisitions, même nocturnes, à l’exploration corporelle, à la
mise sur écoute téléphonique, etc. Le flagrant délit, qui comprend également le
flagrant crime, vise « le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se
commettre » (art. 41, al. 1er du C.I.C.). Dans cette hypothèse, le législateur a
considéré que les dangers de poursuites arbitraires étaient réduits et que
l’efficacité de la justice pénale exigeait une intervention sans délai pour éviter le
dépérissement des preuves. Les prérogatives exorbitantes du procureur du Roi en
cas de flagrant délit sont limitées à la durée de ce dernier.
Le législateur a également organisé la mini-instruction qui permet au
procureur du Roi de solliciter du juge d’instruction l’accomplissement de certains
actes attentatoires aux libertés individuelles sans ouvrir de véritable instruction.
Au fil des réformes de la justice, ces actes sont de plus en plus nombreux. Le
procureur du Roi peut ainsi demander au juge d’instruction d’entendre un témoin
sous serment, de décerner un mandat d’amener* à charge d’un suspect ou d’un
témoin, de réaliser une enquête bancaire, d’ordonner un prélèvement forcé en vue
d’une analyse ADN, d’effectuer une perquisition. Il n’est, par contre, pas possible
de placer une personne sur écoutes téléphoniques ou de décerner un mandat
d’arrêt dans le cadre d’une mini-instruction. Lorsque le procureur du Roi a
recours à la mini-instruction, le juge d’instruction peut accepter ou refuser
d’exécuter l’acte demandé. Dans ces deux hypothèses, le juge d’instruction décide
également de la suite à réserver à l’enquête : soit il renvoie le dossier au
procureur du Roi, soit il se saisit de l’affaire et poursuit lui-même les
investigations en ouvrant une instruction en bonne et due forme.

b) La fin de l’information

L’information peut se clôturer de différentes manières qui vont du


classement sans suite à la citation devant le juge en passant par différentes
solutions intermédiaires où le ministère public joue un rôle décisif dans le
règlement de l’affaire.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

1°) Le classement sans suite


Une des prérogatives fondamentales du procureur du Roi est d’être seul
juge de l’opportunité des poursuites* (art. 28quater du C.I.C.). La décision de
poursuivre ou de ne pas poursuivre un suspect devant les cours et tribunaux
relève donc de l’entière discrétion du procureur du Roi. Ce dernier peut, au terme
de l’enquête, prendre une décision motivée de classement sans suite* où il
exprime les motifs pour lesquels il s’abstient de mettre l’action publique en
mouvement à l’égard d’une personne suspectée d’avoir commis une infraction. En
pratique, cette motivation est limitée et standardisée. Il s’agit d’une décision
d’opportunité qui ne repose pas sur des critères définis par la loi et qui ne préjuge
en rien de la culpabilité ou de la non-culpabilité de la personne ayant fait l’objet
de l’information. Elle s’inscrit dans la politique criminelle mise en œuvre à un
moment donné et dans la définition de laquelle les procureurs du Roi et le Collège
des procureurs généreux auprès des cours d’appel jouent un rôle essentiel.
L’opportunité des poursuites joue un rôle de tri. Elle permet d’éviter le
procès pénal dans des cas où il ne s’avère pas indispensable en raison, par
exemple, de l’évolution des mœurs ou de la situation particulière de la personne
suspecte. Elle permet également d’éviter l’asphyxie des tribunaux. Dans la
pratique, une très large majorité des affaires soumises au parquet fait l’objet d’un
classement sans suite.
La décision de classement sans suite est provisoire tant que l’action
publique n’est pas éteinte. Le dossier peut toujours être rouvert soit par une
autre décision d’opportunité suite à la survenance d’éléments nouveaux, soit sur
injonction positive du procureur général auprès de la cour d’appel ou du ministre
de la Justice, soit enfin en cas de constitution de partie civile* de la victime entre
les mains du juge d’instruction. Dans ces deux derniers cas, le procureur du Roi
est obligé de poursuivre et de mettre l’action publique en mouvement. Si les cas
d’injonction positive sont rarissimes en pratique, ceux de constitution de partie
civile sont nombreux et constituent un tempérament important au pouvoir
discrétionnaire du ministère public.
La décision de classement sans suite est définitive à partir du moment où
l’action publique est éteinte.
- Il en est ainsi lorsque l’auteur de l’infraction est décédé puisque le droit
belge ne connaît pas de principe de responsabilité pénale pour autrui.
Les héritiers ne peuvent donc ni être poursuivis, ni être punis pour les
infractions commises par le défunt.
- Il en va de même par le jeu de la prescription de l’action publique suite
à l’écoulement du temps. La durée de prescription augmente en
fonction de la gravité de l’infraction. Ainsi, les contraventions se
prescrivent par 6 mois, les délits contraventionnalisés par l’admission
de circonstances atténuantes par 1 an, les délits et certains crimes
correctionnalisés par 5 ans. La prescription des autres crimes varie de
10 à 20 ans selon leur nature et la gravité des peines prévues par la loi.
Enfin, les crimes du droit humanitaire, comme le génocide ou les autres

DROI-C-1001_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 154


Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

crimes contre l’humanité, sont imprescriptibles. Ils peuvent toujours


être poursuivis tant que leur auteur est vivant.

2°) La médiation pénale


L’action publique peut également être définitivement éteinte en cas de
médiation pénale* réussie (art. 216ter du C.I.C.). Pour autant que les faits
constatés ne lui paraissent pas de nature à être punis d’un emprisonnement de
plus de deux ans, le procureur du Roi peut inviter l’auteur présumé à réparer le
dommage qu’il a causé à la victime en lieu et place de poursuites devant les
juridictions pénales. Le procureur peut également convoquer la victime et mener
une médiation entre les parties sur l’indemnisation et ses modalités. Cette
dernière peut prendre les formes les plus diverses : réparation en nature,
réparation par équivalent, réparation symbolique, excuses orales ou écrites, etc.
Le procureur du Roi peut subordonner l’extinction des poursuites à d’autres
mesures comme le suivi d’une formation ou d’un traitement médical quand
l’assuétude à l’alcool ou aux stupéfiants est une des causes de l’infraction. Le
procureur du Roi peut également poser comme condition l’exécution d’un travail
d’intérêt général ou le fait de suivre une formation. Si toutes les conditions sont
respectées, alors l’action publique est éteinte.

3°) La transaction pénale


Pour autant que les faits constatés ne lui paraissent pas de nature à être
punis d’un emprisonnement de plus de deux ans, le procureur du Roi peut
proposer l’extinction de l’action publique contre le paiement d’une somme
d’argent (art. 216bis du C.I.C.). Cette proposition nécessite que les victimes de
l’infraction aient été préalablement dédommagées par l’auteur. Ce mode de
règlement de l’action publique est appelé transaction pénale* 296. L’objectif de la
transaction pénale est de permettre un règlement rapide des affaires dans le but
d’éviter l’encombrement des tribunaux déjà surchargés. Le recours à la
transaction pénale est particulièrement fréquent pour les infractions de
roulage297, mais elle peut s’appliquer à tous types d’infractions pour lesquelles il
n’y a pas d’atteinte grave à l’intégrité physique.
Par un arrêt du 2 juin 2016298, la Cour constitutionnelle a, sur question
préjudicielle, considéré que le nouveau §2 de l’article 216bis du C.I.C. tel
qu’inséré par la loi du 5 février 2016 était contraire aux articles 10 et 11 de la

296 Il ne faut pas confondre la transaction pénale avec la transaction civile qui est un contrat par
lequel les parties mettent fin à un litige par des concessions réciproques. Le point commune est le
fait de mettre fin à un litige, mais les moyens et les circonstances diffèrent complètement.
297En matière de roulage, le législateur a mis en place une procédure transactionnelle simplifiée
pour répondre au nombre élevé d’infractions au Code de la route (lois relatives à la police de la
circulation routière, coordonnées le 16 mars 1968 : art. 65 introduit par la loi du 29 février 1984 et
mis en œuvre par l’arrêté royal du 10 juin 1985 relatif à la perception et à la consignation d’une
somme lors de la constatation des infractions relatives à la loi sur la police de la circulation
routière et ses arrêtés d’exécution, M.B., 12 juin 1985).
298 C. Const., 2 juin 2016, Arrêt n° 83/2016.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Constitution combinés avec le droit au procès équitable et au principe de


l’indépendance des juges.
Pour la Cour constitutionnelle, si le ministère public peut initier l’action
publique, lorsqu’un juge d’instruction est intervenu ou lorsqu’un juge du fond
connaît de l’affaire, la proposition de recourir à la transaction doit, au motif
qu’elle est susceptible de mettre un terme à l’action publique, faire l’objet d’un
contrôle juridictionnel quant à la question de la proportionnalité de la
transaction envisagée et sa légalité.
Le contrôle prévu actuellement par l’article 216bis étant limité à la seule
vérification du respect des conditions formelles de la transaction pénale, le
législateur se devra d’intervenir pour remédier à l’inconstitutionnalité épinglée
par la Cour constitutionnelle.

4°) La reconnaissance préalable de culpabilité


Pour autant que les faits constatés ne lui paraissent pas de nature à être
punis d’un emprisonnement de plus de cinq ans299 et qu’aucun jugement définitif
au pénal n’ait été prononcé, le procureur du Roi peut proposer au suspect ou au
prévenu de reconnaître sa culpabilité moyennant l’application d’une peine
inférieure à celle que le parquet aurait normalement requis. Cette proposition
peut être effectuée à la demande du suspect ou prévenu ou de son avocat ou bien
d’office. Le suspect ou prévenu qui accepte doit être assisté d’un avocat. Les
déclarations par lesquelles il reconnaît sa culpabilité et accepte la peine proposée
sont consignés dans une convention dressée par le ministère public et
communiquée aux victimes connues.
La convention est déférée au tribunal compétent à une audience dite
d’« homologation ». Le juge vérifie, à cette occasion, si la procédure remplit les
conditions légales, si l’auteur a donné son consentement de manière libre et
éclairée, que les faits sont réels et leur qualification correcte et que la peine est
proportionnelle à la gravité des faits, à la personnalité de l’auteur et à sa volonté
de réparer le dommage. Si ces conditions sont réunies, le juge prononce les peines
prévues.
Dans le cas contraire, le juge rejette la requête en homologation de la
convention par une décision motivée. L’affaire est renvoyée devant une chambre
du tribunal autrement composée. La convention et les autres pièces relatives à la
reconnaissance de culpabilité sont écartées du dossier et ne peuvent être
retenues à charge du prévenu.

299 Il s’agit ici non pas du maximum de la peine prévue par la loi mais bien de la peine qui
pourrait être prononcée, notamment après application des circonstances atténuantes. En tout état
de cause, la loi exclut le recours à la reconnaissance préalable de culpabilité pour certains faits
tels que ceux punissables de plus de 20 ans de réclusion, le viol, certaines infractions à caractère
sexuel commises sur les mineurs ou à l’aide de mineurs, le meurtre, l’assassinat, etc.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

5°) La citation devant le tribunal


Dans les affaires où il décide d’entamer des poursuites, le procureur du Roi
va, le plus souvent, citer directement* le suspect devant le tribunal de police ou le
tribunal correctionnel en fonction de leur compétence respective (supra, ch. 3, s
1).
Le procureur du Roi peut contraventionnaliser* les délits et
correctionnaliser* les crimes par l’admission de circonstances atténuantes. Le
Collège des procureurs généraux donne instruction de présumer l’existence de
circonstances atténuantes. Le ministère public peut ainsi directement citer les
personnes soupçonnées d’un crime devant le tribunal correctionnel.

2. L’instruction

a) La mise à l’instruction

La loi définit l’instruction comme « l’ensemble des actes qui ont pour objet
de rechercher les auteurs d’infractions, de rassembler les preuves et de prendre
les mesures destinées à permettre aux juridictions de statuer en connaissance de
cause » (art. 55, al. 1er du C.I.C). Outre l’aspect d’investigation, l’instruction
comporte aussi une dimension juridictionnelle.
L’ouverture d’une instruction fait suite soit à la décision du procureur du
Roi d’introduire un réquisitoire aux fins d’instruire*, soit à la décision du juge
d’instruction de se saisir de l’affaire dont il a eu à connaître dans le cadre d’une
mini-instruction*, soit à la décision de la victime de mettre l’action publique en
mouvement en se constituant partie civile* entre les mains du juge d’instruction.
Si la loi ne fixe aucun critère pour déterminer quelles affaires doivent être mises
à l’instruction, les prérogatives conférées au juge d’instruction plaident pour
réserver son intervention aux affaires importantes susceptibles de mettre en
cause les droits et libertés individuels. A compter du jour où le juge d’instruction
est saisi d’un dossier, la direction et la responsabilité de l’enquête lui reviennent
et les services de police exécutent les devoirs judiciaires utiles à la manifestation
de la vérité sur ses directives. En pratique, les prérogatives de plus en plus
importantes conférées au ministère public réduisent considérablement la
nécessité de recourir à l’instruction.

b) Le rôle du juge d’instruction

Juge au tribunal de première instance, le juge d’instruction est désigné à


cette fonction particulière pour une durée déterminée au terme de laquelle il
retourne au siège (art. 79 du C.J.). En charge de l’enquête, le juge d’instruction
doit mener toutes les investigations nécessaires au bon déroulement de celle-ci.
Mais, comme son nom l’indique, le juge d’instruction, avant d’être un enquêteur,
est un juge qui se caractérise par son indépendance et son impartialité. Il n’a pas
la qualité de partie à l’action publique. Au contraire du ministère public, il
n’exerce pas de poursuites. Il doit instruire tant à charge qu’à décharge, c’est-à-

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

dire qu’il lui incombe de rechercher les éléments de preuve qui soutiennent à la
fois les thèses de l’accusation et celles de la défense.
Dans la phase préliminaire du procès pénal, le juge d’instruction exerce
des fonctions juridictionnelles en adoptant des décisions, appelées ordonnances*,
par lesquelles il prescrit les mesures d’instruction nécessaires à la manifestation
de la vérité. Au cours de l’instruction, il est susceptible de prescrire de nombreux
actes attentatoires aux libertés et droits fondamentaux, notamment :
- Il peut décider d’entendre personnellement les personnes mises en
cause dans le cadre de l’instruction. Pour ce faire, il est habilité à
décerner un mandat d’amener* qui constitue une injonction, aux agents
de la force publique, de lui amener la personne qu’il désigne.
- Il peut convoquer un témoin à comparaître, si besoin est en décernant
un mandat d’amener*. Le juge d’instruction est habilité à entendre un
témoin sous serment au terme duquel la personne auditionnée jure, en
levant la main droite, de dire toute la vérité et rien que la vérité. A la
différence de l’auteur présumé qui bénéficie du droit au silence, le
témoin est tenu de répondre aux questions qui lui sont posées, sous
peine de se voir condamner aux peines prévues par la loi pour refus de
témoignage.
- Il peut inculper une personne contre laquelle existent des indices
sérieux de culpabilité et, de ce fait, l’impliquer dans la procédure
pénale.
- Assisté de son greffier, il peut descendre sur les lieux pour faire
procéder aux premières constatations. Une telle descente sur les lieux
est d’usage pour les faits criminels particulièrement graves. Par
ailleurs, le juge d’instruction peut toujours revenir sur les lieux d’un
crime pour en organiser la reconstitution.
- Il peut rendre une ordonnance de perquisition* par laquelle, tout
officier de police judiciaire se voit habiliter à pénétrer dans un endroit
protégé par l’inviolabilité du domicile, en vue d’y rechercher des
preuves et, le cas échéant, de saisir les pièces à conviction d’un crime ou
d’un délit. Sauf exceptions prévues par la loi300 , aucune perquisition ne
peut avoir lieu entre 21 heures et 5 heures du matin.
- Il peut exiger des organismes bancaires et financiers de lui
communiquer tout renseignement utile à l’enquête portant sur les
comptes et avoirs de leurs clients.
- Il peut décréter l’investigation d’un système informatique.

300Voyez par exemple la loi du 27 avril 2016 relative à des mesures complémentaires en matière
de lutte contre le terrorisme, M.B., 9 mai 2016.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

- Il peut ordonner qu’un médecin procède à une exploration corporelle.


Selon la définition qu’en donne la Cour de cassation, il s’agit de toute
mesure d’instruction susceptible de porter atteinte à la pudeur301 .
- Il peut, à certaines conditions, ordonner, si besoin est sous la
contrainte, le prélèvement de cellules humaines (prélèvement sanguin,
de muqueuses de la joue, de bulbes pileux, etc.)302.
- Il peut faire procéder à toute expertise utile à la manifestation de la
vérité (autopsie, expertise en balistique, expertise comptable, expertise
psychiatrique, etc.).
- Il peut ordonner le repérage des données d’appels téléphoniques, leur
localisation et même, dans des conditions strictes prévues par la loi303,
la mise sur écoute et l’enregistrement de communications privées.
- Il peut décerner un mandat d’arrêt* au terme duquel une personne sera
mise en détention préventive. Le mandat d’arrêt est l’ordonnance
rendue par le juge d’instruction qui permet de priver une personne de
sa liberté au-delà du délai de vingt-quatre heures que ne peut dépasser
l’arrestation judiciaire*.
Pour mener à bien sa mission, le juge d’instruction dispose, on le voit,
d’une panoplie de mesures très variées, susceptibles de mettre directement à mal
les libertés individuelles. Dans un Etat de droit, il incombe au législateur
d’encadrer strictement de telles atteintes sans céder aux dérives sécuritaires
(supra, ch. 6).

c) Le rôle du procureur du Roi et les droits de l’inculpé

Dans le cadre de l’instruction, le procureur du Roi qui est, rappelons-le,


partie à la cause, continue à jouer un rôle fondamental. En raison du caractère
asymétrique du procès pénal, le procureur du Roi se voit même, à ce stade,
reconnaître des prérogatives plus importantes que l’inculpé. Il dispose, par
exemple, du droit de se faire communiquer, par le juge d’instruction, toutes les
pièces du dossier, à n’importe quel moment de la procédure. Il dispose également
d’un pouvoir général de réquisition qui lui permet de solliciter l’accomplissement
de tous les actes qu’il considère utiles à l’instruction.
Quant à l’inculpé, il a le droit de demander au juge d’instruction d’accéder
au dossier (et non d’en obtenir une copie). Sauf lorsqu’il est détenu
préventivement, l’inculpé ne dispose pas d’un droit d’accès automatique au
dossier. Le juge d’instruction peut lui refuser la communication du dossier ou de
certaines pièces au motif notamment que « les nécessités de l’instruction le
requièrent » ou que « la communication présente un danger pour les personnes ou

301 Cass., 1er avril 1968, Pas., 1968, I, p. 939.


302 Art. 90undecies du C.I.C.
303 Art. 90ter à 90decies du C.I.C.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

porte gravement atteinte à leur vie privée » (art. 61ter, § 3 du C.I.C.). Par
ailleurs, à l’instar du procureur du Roi, l’inculpé peut solliciter, de la part du juge
d’instruction, l’accomplissement d’un acte d’instruction complémentaire.

d) Le rôle des juridictions d’instruction

La mission du juge d’instruction est exercée sous le contrôle des


juridictions d’instruction*, c’est-à-dire de la Chambre du conseil* et de la
Chambre des mises en accusation*. La Chambre du conseil est une juridiction de
première instance rattachée au tribunal correctionnel. Elle est composée d’un
juge unique. La Chambre des mises en accusation est une juridiction d’appel
rattachée à la cour d’appel et composée de trois conseillers.

1°) La Chambre du conseil


La Chambre du conseil intervient principalement à deux occasions :
premièrement, pour contrôler le maintien de la détention préventive* décidée par
le juge d’instruction ; deuxièmement, au moment de la clôture de l’instruction,
pour statuer sur le règlement de la procédure*.
(a) La détention préventive
La mise en détention préventive est particulièrement délicate dans la
mesure où elle implique la privation de liberté d’une personne présumée
innocente qui n’a pas encore eu l’occasion de défendre sa cause devant un juge,
dans le cadre d’un débat contradictoire. Il est cependant des cas où la protection
de la sécurité publique justifie une telle atteinte à la liberté individuelle. Dans un
Etat de droit, ces cas doivent rester exceptionnels (supra, ch. 6, s. 2). Si les
législations qui se sont succédées en Belgique tendent à renforcer le caractère
exceptionnel de la détention préventive, dans la pratique, elle reste largement
utilisée.
Le régime de la détention préventive est subordonné au principe de la
liberté individuelle, telle qu’elle est garantie par la Constitution et la Convention
européenne des droits de l’homme. L’article 12 de la Constitution prévoit que
« Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu'en vertu de l'ordonnance
motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l'arrestation, ou au plus
tard dans les vingt-quatre heures ». Quant à la Convention européenne des droits
de l’homme, elle contient, dans son article 5, plusieurs dispositions destinées à
sauvegarder les droits de toute personne arrêtée et détenue dans le cadre d’une
instance pénale :
- « Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et
dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de
toute accusation portée contre elle ».
- « Toute personne arrêtée ou détenue (…) doit être aussitôt traduite devant
un juge (…) et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée
pendant la procédure ».
- « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit
d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est


illégale ».
Les garanties consacrées par la Convention européenne des droits de
l’homme sont reprises et précisées dans la loi belge relative à la détention
préventive304 . En cas de non-respect de ces dispositions, la détention est illégale*
et la personne qui en est victime doit obtenir réparation intégrale de son
dommage contre l’Etat305. Dans les vingt-quatre heures de son arrestation, la
personne privée de sa liberté doit être déférée devant un juge d’instruction. Celui-
ci peut, après avoir interrogé l’inculpé, décerner un mandat d’arrêt « en cas
d’absolue nécessité pour la sécurité publique seulement, et si le fait est de nature
à entraîner pour l’inculpé un emprisonnement correctionnel d’un an ou une peine
plus grave (…). Cette mesure ne peut être prise dans le but d’exercer une
répression immédiate ou toute autre forme de contrainte »306 . Ce mandat d’arrêt
doit être motivé en visant « les circonstances de fait de la cause et celles liées à la
personnalité de l’inculpé qui justifient la détention préventive »307. Dès la
délivrance du mandat d’arrêt, la personne détenue a le droit de communiquer
librement avec son avocat. Le mandat d’arrêt est valable pour une durée
maximale de cinq jours. Endéans ces cinq jours, l’inculpé doit comparaître devant
la Chambre du conseil ou être libéré. La Chambre du conseil examine tant la
légalité du mandat d’arrêt que l’opportunité de maintenir la détention préventive
au regard des critères prévus par la loi. Elle statue à huis clos sur le rapport du
juge d’instruction, après avoir entendu les réquisitions du ministère public et les
plaidoiries de la défense. L’ordonnance de la Chambre du conseil est susceptible
d’appel devant la Chambre des mises en accusation dont l’arrêt peut également
faire l’objet d’un pourvoi en cassation.
La Chambre du conseil est appelée à statuer de mois en mois, puis de deux
en deux mois, sur le maintien de la détention préventive. Elle contrôle la
persistance d’indices sérieux de culpabilité à charge de l’inculpé et vérifie si la
détention préventive se justifie toujours au regard d’une nécessité absolue pour la
sécurité publique. A tout moment de l’instruction, le juge d’instruction peut
ordonner la remise en liberté de l’inculpé en donnant mainlevée du mandat
d’arrêt.
Comme la détention préventive s’applique toujours à une personne
présumée innocente en attente d’un procès, il est des affaires où une personne
détenue préventivement est ultérieurement acquittée au fond ou est condamnée à
une peine de prison inférieure à celle déjà purgée. Dans ce cas, on parle de
détention inopérante ou injustifiée* pour laquelle l’Etat est tenu de réparer le
préjudice subi par la personne qui a ainsi été détenue. Une telle réparation
demandée au ministre de la Justice n’est jamais intégrale, car, contrairement à la

304 Loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, M.B., 14 août 1990.
305Art. 27 de la loi du 13 mars 1973 relative à l’indemnité en cas de détention préventive
inopérante, M.B., 10 avril 1973.
306 Art. 16, § 1er de la loi du 20 juillet 1990 précitée.
307 Art. 16, § 5 de la loi du 20 juillet 1990 précitée.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

détention illégale, le prescrit de la loi a été respecté. Son montant « est fixé en
équité en tenant compte de toutes les circonstances d’intérêt public et privé »308.
(b) Le règlement de la procédure
Au moment de la clôture de l’instruction intervient le règlement de la
procédure à l’occasion duquel la Chambre du conseil statue sur les mérites de
l’instruction et sur le sort à réserver à l’affaire qui a été instruite. A cette
occasion, la Chambre du conseil décide si le fait reproché est toujours punissable
et s’il existe des charges suffisantes pour renvoyer l’inculpé devant la juridiction
de fond compétente (le tribunal de police pour les délits contraventionnalisés et le
tribunal correctionnel pour des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime
correctionnalisé).
Il s’agit ici de déterminer si les éléments recueillis au cours de l’instruction
sont suffisants pour justifier un débat de fond sur la culpabilité. Dans
l’affirmative, la Chambre du conseil prononce une ordonnance de renvoi ; dans la
négative, une ordonnance de non-lieu. Une telle décision est motivée et est prise
aux termes d’une procédure contradictoire. A l’audience, les différents
protagonistes sont entendus : le juge d’instruction fait rapport, le procureur du
Roi prend des réquisitions, la défense et la partie civile*, qui ont eu dans
l’intervalle accès au dossier répressif, présentent leurs plaidoiries. Si l’inculpé est
toujours détenu, la Chambre du conseil doit statuer sur la détention préventive
en cas d’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Dans les autres
cas (ordonnance de non-lieu ou renvoi devant le tribunal de police), l’inculpé doit
être immédiatement libéré.

2°) La Chambre des mises en accusation


Juridiction d’instruction du second degré, la Chambre des mises en
accusation connaît notamment des appels des décisions de la Chambre du conseil
statuant sur la détention préventive ou sur la clôture de l’instruction. Elle est
également seule compétente pour statuer sur les recours dirigés contre les
ordonnances du juge d’instruction. Le caractère asymétrique de la procédure
pénale se manifeste à nouveau dans les possibilités de saisine de la Chambre des
mises en accusation. Le ministère public dispose du droit de faire appel d’un acte
juridictionnel posé au cours de l’instruction dans des hypothèses plus nombreuses
que l’inculpé. Un recours n’est ouvert à ce dernier que dans les cas expressément
prévus par la loi. Par exemple, l’inculpé pourra interjeter appel contre une
ordonnance de renvoi s’il invoque une cause d’extinction de l’action publique,
mais pas si la seule base de la contestation porte sur l’existence de charges
suffisantes (art. 135, § 2 du C.I.C.).
La Chambre des mises en accusation est également compétente pour
contrôler, outre la régularité de la procédure, le bon déroulement de l’instruction
et peut décider d’étendre celle-ci à des faits ou des personnes non visés par les

308Art. 28, 6 2 de la loi du 13 mars 1973 relative à l’indemnité en cas de détention préventive
inopérante, M.B., 10 avril 1973.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

poursuites, donner des injonctions au juge d’instruction voire même le décharger


de l’instruction en désignant un magistrat comme conseiller-instructeur.

3. La place de la victime

Dans le procès pénal, la victime occupe une place délicate. Sa présence


n’est absolument pas nécessaire au bon déroulement de l’instance qui oppose au
premier chef la personne poursuivie et le ministère public. Pourtant, l’issue du
procès pénal est, dans une large mesure, déterminante pour la situation de la
victime : si la personne poursuivie est reconnue coupable d’avoir commis une
infraction, elle aura nécessairement commis une faute sur le plan civil, faute
qu’elle devra réparer en application des principes de la responsabilité aquilienne
(art. 1382 et s. du Code civil, voy supra, ch. 1er).
Pour obtenir réparation, la victime est face à un choix : soit, elle introduit
une action en responsabilité devant la juridiction civile compétente qui, pour
statuer, devra attendre la décision du juge pénal (en application du principe
suivant lequel le criminel tient le civil en état) ; soit, elle se greffe au procès pénal
en se constituant partie civile*. Cette constitution de partie civile peut s’opérer
au stade de l’instruction, mais également au stade du procès au fond. Afin de
permettre à la personne victime d’une infraction d’être avisée de l’évolution
procédurale du dossier, une « déclaration de personne lésée » peut être effectuée
par ses soins. Une telle déclaration fait naître le droit d’être assistée ou
représentée par un avocat, de déposer au dossier tout document utile et surtout
d’être avisée du classement sans suite et de son motif, de la mise à l’instruction
du dossier et des actes de fixations devant les juridictions d’instruction et de
jugement. Cette dernière information permet alors à la victime de se constituer
partie civile.
La victime, rappelons-le, peut aussi mettre l’action publique en
mouvement en se constituant directement partie civile entre les mains du juge
d’instruction ou en citant directement l’auteur présumé devant le tribunal
correctionnel ou devant le tribunal de police. Par contre, sauf à de très rares
exceptions près (diffamation et calomnie, par exemple), la victime ne peut jamais
paralyser l’exercice de l’action publique. Retirer une plainte ne permet pas en soi
d’interrompre les poursuites pénales. Un tel acte peut néanmoins conduire le
procureur du Roi à classer un dossier sans suite.
Depuis les événements qui ont donné lieu à la « marche blanche », les
responsables politiques ont le souci de réserver une place plus importante à la
victime dans le procès pénal. De nouvelles dispositions législatives ont été
adoptées pour lui permettre, au même titre que l’inculpé, d’accéder au dossier
dans la phase préliminaire du procès, de solliciter copie du dossier (art. 61ter
C.I.C.) et, pour lui donner un droit de regard, de demander un contrôle sur le bon
déroulement de l’instruction après une année (art. 136 C.I.C.). Elle peut
également solliciter l’accomplissement de devoirs complémentaires (art.
61quinquies C.I.C.).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

4. Les caractéristiques de la phase préliminaire du procès

La phase préliminaire du procès pénal a un caractère inquisitoire en ce


sens qu’elle est, dans une large mesure, unilatérale et secrète. Ici, le procès n’est
pas « la chose des parties ». L’initiative revient au magistrat du ministère public
ou au juge d’instruction.

a) Caractère unilatéral

Dans la phase préliminaire du procès, les recherches sont menées


d’autorité par le parquet ou le juge d’instruction. Ces derniers dirigent, de
manière unilatérale, le cours de l’enquête. Ainsi, par exemple, alors que les
expertises* judiciaires sont en principe contradictoires, celles ordonnées par le
parquet, au stade de l’information, ou par le juge d’instruction, au cours de
l’instruction, ne le sont pas. La Cour constitutionnelle a pu considérer que cette
différence de traitement était raisonnablement justifiée : « le législateur a voulu
que la procédure pénale soit encore inquisitoire [au stade de l’information et de
l’instruction] afin, d’une part, compte tenu de la présomption d’innocence, d’éviter
de jeter inutilement le discrédit sur les personnes, d’autre part, dans un souci
d’efficacité, d’être en mesure d’agir vite, sans alerter les coupables »309.
Si la phase préparatoire du procès pénal reste principalement unilatérale
plusieurs applications du principe du contradictoire ont été introduites dès ce
stade. Tant la défense que la partie civile disposent d’une certaine emprise sur la
phase préliminaire du procès : elles peuvent demander l’accès au dossier ; elles
peuvent solliciter des devoirs complémentaires du juge d’instruction ; elles sont
habilitées à saisir la Chambre des mises en accusation lorsque l’instruction n’est
pas clôturée après une année d’investigations.

b) Caractère secret

Les raisons qui justifient le caractère unilatéral de l’information et de


l’instruction en motivent également le caractère secret : d’une part, il s’agit de
respecter l’intégrité morale et la vie privée de toute personne présumée
innocente ; d’autre part, il importe de mener l’enquête de manière efficace.
Ce secret implique que, dans la phase préliminaire du procès pénal, toutes
les pièces du dossier sont réservées à une utilisation judiciaire par des acteurs
tenus au secret professionnel (magistrats, policiers, avocats, etc.). La violation du
secret professionnel constitue une infraction punie par le Code pénal (art. 458).
Même devant les juridictions d’instruction, la procédure se déroule en principe à
huis clos.

309 C.A., 13 janvier 1999, arrêt n° 1/99, point B.5.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Trois exceptions viennent tempérer la rigueur du secret de l’information et


de l’instruction310 :
• Toute personne interrogée par le juge d’instruction, le procureur du Roi ou
les services de police peut demander une copie du procès-verbal de son
audition et doit être informée de ce droit.
• Les parties ont, dans certaines limites, la possibilité d’accéder au dossier.
• Tant le procureur du Roi, lorsque l’intérêt public l’exige, que l’avocat, dans
l’intérêt de son client, ont la faculté de communiquer des informations à la
presse. De tels communiqués doivent respecter la présomption d’innocence,
les droits de la défense des suspects, des victimes et des tiers, la vie privée
et la dignité de toute personne. Lorsque l’affaire est à l’instruction, le
procureur du Roi ne peut faire aucune déclaration à la presse sans l’accord
du juge d’instruction.
En outre, la presse et les médias ne sont pas tenus au respect du secret de
l’instruction, qui est une règle de la procédure. En vertu du principe de la liberté
de la presse, ils peuvent publier et rendre compte des informations qui leur
parviennent. Ils ne peuvent cependant, à peine de diffamation ou de calomnie,
présenter comme coupables des personnes qui n’ont pas encore été jugées ni
condamnées.

B. La phase de jugement

La phase de jugement se déroule devant les juridictions du fond qui sont,


en première instance, le tribunal de police, le tribunal correctionnel et la cour
d’assises311. Devant le tribunal de police et le tribunal correctionnel, la personne
poursuivie porte le nom de prévenu*. Devant la cour d’assises, on parle d’accusé*.
Le terme d’inculpé* est réservé à l’instruction.
Ces juridictions ont pour mission de connaître du fond de l’affaire, c’est-à-
dire de déclarer la prévention pénale établie ou non. Dans l’affirmative, elles
prononcent une peine ou une mesure substitutive de la peine et, si la victime s’est
constituée partie civile, elles statuent sur la réparation à lui accorder.
A la différence de la phase préliminaire du procès pénal qui a un caractère
inquisitoire, la phase de jugement repose sur une procédure de type plus
accusatoire : l’instance est contradictoire, publique et orale. L’oralité des débats
n’interdit cependant pas aux juges de fonder leur conviction sur les pièces du
dossier répressif constitué au cours de l’information ou de l’instruction. La règle
de l’oralité est toutefois plus stricte en assises où les jurés n’ont pas accès à
l’ensemble du dossier : ils ne peuvent pas avoir connaissance des déclarations

310 Voy. les articles 28quiquies, 57 et 61ter du C.I.C.


311 Pour les compétences respectives de ces juridictions, voy. supra, ch. 3, s. 1.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

faites par les témoins au cours de l’instruction préparatoire ; ces témoins doivent
être entendus sous serment à l’audience (art. 341 du C.I.C.).
La phase de jugement commence par la saisine de la juridiction
compétente qui conduit à la fixation d’une audience, laquelle débouche sur le
prononcé d’un jugement. Les spécificités de la procédure devant la cour d’assises
ne seront pas examinées ici de façon systématique.

1. L’introduction de l’instance et l’accès au dossier

Afin d’être valablement traduite devant les juridictions de jugement, la


personne poursuivie doit être avertie du procès pénal entamé à son encontre. Elle
le sera le plus souvent par citation dans des formes très proches de celles
prévalant en matière civile. La citation à comparaître doit énoncer les faits
reprochés afin de permettre au prévenu de préparer sa défense et, pour la même
raison, elle doit prévoir un délai de comparution suffisant. En règle, celui-ci est
de dix jours, mais il peut être abrégé par le juge, notamment si le prévenu est en
détention préventive.
A compter de la signification de la citation, le dossier répressif est déposé,
dans son intégralité, au greffe de la juridiction de jugement où il peut être
consulté par la personne poursuivie et par la partie civile. Une copie de ce dossier
ou de certaines de ses pièces peut également être obtenue à un prix souvent
qualifié d’exorbitant. Ce dossier contient des éléments très variés : procès-
verbaux, réquisitoire de mise à l’instruction, constitution de partie civile,
ordonnances du juge d’instruction, échanges de correspondance, rapports
d’expertise, plan des lieux de l’infraction et photographies, inventaire des pièces à
conviction, extrait du casier judiciaire de la personne poursuivie, rapport de
moralité établi par la police, etc. L’accès au dossier répressif est un élément
essentiel des droits de la défense. C’est en effet sur la base de ce dossier écrit de
la procédure, constitué dans le cadre de l’information ou de l’instruction, que le
débat judiciaire va se nouer devant la juridiction de fond.

2. L’audience

a) La comparution de la personne poursuivie

En règle et contrairement à l’instance civile, l’audience doit se dérouler en


présence de la personne poursuivie pour donner une effectivité pleine et entière à
l’instruction d’audience*. Le prévenu qui ne comparaît pas est jugé par défaut*.
La loi prévoit toutefois des tempéraments à cette règle en permettant au prévenu
de se faire représenter par son avocat. Il en est, par exemple, ainsi devant le
tribunal de police, sauf pour certaines affaires de roulage particulièrement graves

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

(homicide involontaire, coups et blessures involontaires avec délit de fuite, coups


et blessures involontaires en état d’ivresse, etc.)312.
La partie civile n’est nullement concernée par ce principe de comparution
en personne. Comme dans le cadre d’un procès civil, elle peut toujours se faire
représenter par un avocat.

b) L’instruction d’audience

L’instruction d’audience a pour but de mettre à plat les éléments du


dossier pénal. Comme ces derniers ont été recueillis au cours de la phase
préparatoire du procès qui se déroule, dans une large mesure de manière
unilatérale et secrète, l’instruction d’audience est l’occasion de les livrer au feu du
débat contradictoire afin qu’ils soient, le cas échéant, complétés ou réfutés. C’est
à l’occasion de l’audience d’instruction que les parties qui souhaitent différer
l’examen de l’affaire afin de déposer des conclusions peuvent le faire. Dans ce cas,
le juge détermine les délais dans lesquels les parties, en ce compris le ministère
public, échangeront leurs conclusions. Après échange des conclusions (si
conclusions il y a) le jour de l’audience prévue pour les plaidoiries, l’instruction
d’audience commence généralement par l’interrogatoire du prévenu pour se
poursuivre par l’audition des témoins et des experts.
L’instruction d’audience consiste tout d’abord en un face-à-face entre le
juge et le prévenu, en présence du ministère public, du greffier et, le cas échéant
de l’avocat de la défense et de la partie civile. C’est l’occasion pour le juge de
mieux cerner les tenants et les aboutissants de l’affaire qu’il doit trancher, tant
sur le plan des faits infractionnels eux-mêmes que sur celui de la personnalité du
prévenu. Cet interrogatoire est plus moins approfondi en fonction du juge qui le
mène. Il est parfois complété par des questions posées directement au prévenu
par le ministère public, sur invitation du juge.
Au cours de l’instruction d’audience, chaque partie peut demander que des
experts ou des témoins (agents verbalisant ou toute personne susceptible de
fournir des renseignements utiles) soient entendus. Le juge apprécie
souverainement si un témoin à charge ou à décharge doit être entendu pour
former sa conviction. Dans l’affirmative, le témoin est cité à comparaître et est
tenu de témoigner sous serment au risque d’encourir une peine pour refus de
témoignage. Le tribunal peut procéder à l’audition des témoins même s’ils ont
déjà été entendus au cours de l’information ou de l’instruction préparatoire.
Dès l’instruction d’audience, le juge doit contribuer activement à la
recherche de la vérité. Il n’est pas spectateur passif des éléments qui sont portés
devant lui par les parties au procès. Contrairement au procès civil, le procès
pénal n’est à aucun stade « la chose de parties ». Le juge doit prendre, d’office ou
à la demande des parties, toutes les initiatives nécessaires pour étayer les
investigations réalisées au cours de l’enquête si elles sont insuffisantes pour lui
permettre de trancher le litige. A la condition de respecter le principe du

312 Art. 152 du C.I.C.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

contradictoire, le juge peut donc ordonner que soit accompli tout devoir
complémentaire utile à la manifestation de la vérité : expertise, descente sur les
lieux, etc.
En pratique cependant, les audiences devant le tribunal de police et le
tribunal correctionnel n’utilisent guère les possibilités offertes par la loi quant à
l’instruction de l’audience. Les tribunaux acceptent rarement d’entendre des
témoins à la barre et s’en réfèrent exclusivement aux déclarations de ceux-ci tels
qu’elles ont été consignées dans les procès-verbaux dressés par le juge
d’instruction, le représentant du ministère public, ou le plus souvent par des
officiers de police judiciaire. L’ordonnance de mesures d’instruction
complémentaires ou une descente sur les lieux sont extrêmement rares.
L’instruction d’audience s’effectue pour l’essentiel sur dossier entre
professionnels du droit. Les parties elles-mêmes, les prévenus et les victimes n’y
comprennent pas grand chose et se bornent généralement à faire de la figuration.
Le principe de l’oralité des débats est donc fortement tempéré par cet examen de
l’affaire limité aux pièces du dossier. L’instruction d’audience en est également
fort accéléré. On constate ainsi que le traitement d’une affaire criminelle qui
prenait une semaine ou deux aux Assises est assurée en une ou deux audiences
d’une demi-journée chacune devant le tribunal correctionnel.

c) Les débats

A la fin de l’instruction d’audience, le juge donne la parole aux parties. La


plaidoirie de la partie civile précède généralement le réquisitoire du ministère
public. La défense plaide toujours en dernier lieu. Outre cet exposé oral, les
parties peuvent déposer un document écrit qui reprend leur argumentation. Ce
document porte le nom de conclusions* lorsqu’il émane du prévenu ou de la partie
civile et de réquisitions* lorsqu’il provient du ministère public. Le dépôt de
conclusions n’est pas anodin. Il oblige le juge, dans sa décision, à rencontrer
l’ensemble des moyens* qui y sont soulevés pour qu’elle soit correctement
motivée.

3. Le jugement

a) Principes

A l’issue des débats, le siège se retire pour délibérer s’il est composé de
plusieurs juges. Pour les affaires soumises à un juge unique, le moment du
délibéré est, comme en matière civile, le temps de la réflexion. Le tribunal ne
peut déclarer la prévention pénale établie que s’il a acquis l’intime conviction de
la culpabilité du prévenu sur la base d’éléments de preuve qui ont été
régulièrement produits et soumis au débat contradictoire. Nul ne peut être
condamné pénalement si la preuve de sa culpabilité n’a pas été rapportée par la
partie poursuivante au-delà de tout doute raisonnable (infra, ch. 9).

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

La décision est prononcée en audience publique. Ce prononcé intervient le


plus souvent au cours d’une audience ultérieure à une date annoncée par le juge.
Dans l’intervalle, le tribunal tient la cause en délibéré.
Au pénal, comme au civil, la décision du juge doit être motivée. Celui-ci
doit justifier en fait et en droit les raisons qui l’ont conduit à prendre son
jugement au regard des arguments qui ont été présentés devant lui. Ici aussi, le
juge s’adresse au justiciable en répondant à l’ensemble des moyens développés
dans les conclusions. Il s’adresse également à la juridiction supérieure
susceptible de connaître d’un recours contre sa décision ainsi qu’à la communauté
des juristes et des citoyens en général. La motivation est donc l’occasion de
développer le raisonnement juridique qui soutient le dispositif de la décision et de
montrer que les règles de droit ont été correctement appliquées. En vertu du
principe de légalité* du droit pénal (supra, ch. 5, s. 3 et ch. 6, s. 2), le juge doit
constater la réunion des éléments constitutifs de l’infraction au regard des
dispositions légales applicables.
La motivation doit porter tant sur la question de la culpabilité que sur
celle de la peine retenue. Le législateur reconnaît en effet au juge une marge
d’appréciation quant à la mesure (« fourchette » pour les peines d’amende et de
prison), à la nature (emprisonnement, travail, etc.) et aux modalités (suspension
du prononcé, sursis, etc.) de la peine. Il importe dès lors que le juge justifie son
choix : « le jugement indique, d’une manière qui peut être succincte mais doit être
précise, les raisons du choix que le juge fait de telle peine ou mesure parmi celles
que la loi lui permet de prononcer. Il justifie en outre le degré de chacune des
peines ou mesures prononcées » (art. 195, al. 2 du C.I.C.).
Même les jurés d’assises doivent désormais motiver leur verdict relatif à la
culpabilité en indiquant « les principales raisons de leur décision » lesquelles sont
consignées par le Président de la Cour313. La peine décidée par les magistrats et
le jury doit également être motivée.

b) Effets

Le jugement définitif est, comme au civil, revêtu de l’autorité de la chose


jugée. Il est censé représenter la vérité et ne peut être anéanti que par l’exercice
des voies de recours prévues par la loi. En vertu du principe général de droit* non
bis in idem, une personne condamnée ou acquittée ne peut plus être
ultérieurement poursuivie pour les mêmes faits (supra, ch. 6, s. 2).
Le jugement pénal n’est en principe pas exécutoire immédiatement. Il ne le
devient qu’après l’écoulement des délais prévus pour exercer les voies de recours.
Au pénal, contrairement au civil, le pourvoi en cassation a un effet suspensif.

313Art. 334 C.I.C. modifié par l’art. 150 de la loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la
cour d’assises. Le délibéré relatif à la culpabilité et à la peine est maintenant conjoint entre les
jurés et les magistrats professionnels, ces derniers ne prenant toutefois pas part au vote
concernant la culpabilité, sauf cas de déclaration de culpabilité sur le fait principal à la simple
majorité des 7/5ème.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

4. Les voies de recours

Comme au civil, les voies de recours au pénal sont l’opposition, l’appel et le


pourvoi en cassation. Dans une large mesure, les règles prévues par le Code
judiciaire s’appliquent également ici. Le Code d’instruction criminelle y apporte
cependant certains tempéraments pour tenir compte des spécificités du procès
pénal. Il en est notamment ainsi des délais qui sont beaucoup plus courts au
pénal qu’au civil en raison notamment du risque de dépérissement des preuves,
du caractère contre-productif d’une peine prononcée longtemps après les faits et
des règles particulières de prescription.

a) L’opposition

L’opposition est ouverte contre tout jugement rendu par défaut, c’est-à-
dire, au pénal, celui qui est pris contre la partie poursuivie qui n’a pas comparu
ou qui n’a pas présenté ses moyens de défense. L’opposition sera cependant
déclarée non avenue s’il est établi que l’opposant a eu connaissance de la citation
dans la procédure dans laquelle il a fait défaut et qu’il ne fait pas état d’un cas de
force majeure ou d’une excuse légitime justifiant son défaut lors de la procédure
attaquée. Réservée à la partie défaillante, l’opposition ne peut jamais être
introduite par le ministère public dont la présence est une condition substantielle
au déroulement du procès pénal. Elle ne peut non plus être introduite
valablement si l’opposant a déjà introduit un appel recevable.
Au pénal, le prévenu a 15 jours pour faire opposition à compter de la
signification de la décision (art. 187 du C.I.C.). Si l’opposant comparaît et que
l’opposition est déclarée recevable, une nouvelle instance est ouverte et le
jugement contradictoire se substituera au jugement rendu par défaut.
L’opposition n’étant pas susceptible de nuire à l’opposant, le tribunal ne pourra
jamais prononcer une condamnation plus grave que celle portée par le jugement
rendu par défaut.

b) L’appel

Toutes les décisions judiciaires rendues en première instance sont en


principe susceptibles d’appel. La loi prévoit toutefois des exceptions à ce principe
dont la plus importante concerne la cour d’assises qui statue en premier et
dernier ressort. Les parties à l’instance du premier degré (prévenu, ministère
public, partie civile) peuvent interjeter appel dans un délai de 30 jours à compter
du jour où le jugement a été prononcé s’il est contradictoire ou à partir de sa
signification s’il a été rendu par défaut, et ce afin de préserver le principe du
contradictoire. Le ministère public dispose d’un délai supplémentaire de 10 jours
après que le prévenu ou la partie civile a fait appel. La partie qui fait appel, qu’il
s’agisse du prévenu ou du ministère public, doit préciser dans sa requête les
griefs, c’est-à-dire les critiques qu’elle adresse au jugement et préciser les points
sur lesquels il y a lieu de modifier la décision prise en première instance.
Comme en première instance, les différentes parties sont entendues à
l’audience et le juge d’appel peut ordonner toutes les mesures nécessaires à la

DROI-C-1001_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 170


Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

manifestation de la vérité : audition ou ré-audition de témoins, désignation


d’experts, etc. Si l’appel est interjeté uniquement par le prévenu, la juridiction
d’appel ne peut rendre une décision plus sévère que le juge de première instance.
Si, par contre, l’appel est interjeté par le ministère public, la décision de la
juridiction d’appel pourra être favorable ou défavorable au prévenu puisque le
ministère public agit, non pour son compte personnel, mais dans l’intérêt de la
bonne application de la loi. L’unanimité au sein du siège de la juridiction d’appel
est toutefois requise en cas d’aggravation de la situation du prévenu.
En pratique, le ministère public fait systématiquement appel lorsque le
prévenu fait appel de sa condamnation en première instance. La loi lui accorde
d’ailleurs un délai supplémentaire de 10 jours pour ce faire. L’objectif est
dissuasif : le condamné qui fait appel sait qu’il risque aussi une aggravation de sa
peine.

c) Le pourvoi en cassation

Un pourvoi en cassation peut être introduit contre toute décision rendue en


dernier ressort par toute partie au procès pénal. Le délai pour saisir la Cour de
cassation est de 15 jours. Contrairement au civil, il n’est pas nécessaire d’agir à
l’intervention d’un avocat à la Cour de cassation, mais le pourvoi doit être motivé.

5. L’exécution du jugement

C’est au ministère public qu’il incombe d’exécuter le jugement rendu sur


l’action publique314 . En cas de condamnation à une peine d’emprisonnement sans
sursis, le ministère public envoie au prévenu non détenu préventivement un
billet d’écrou par lequel ce dernier est invité à se présenter à la date indiquée
dans l’établissement pénitentiaire désigné pour y purger sa peine. Si ce billet
d’écrou reste sans effet, le ministère public délivre une ordonnance de capture
aux termes de laquelle les agents de la force publique sont habilités à arrêter le
condamné et à le conduire manu militari dans un établissement pénitentiaire. La
Belgique, comme de nombreux pays européens, fait face à un problème récurrent
de surpopulation pénitentiaire. Dans le but de répondre partiellement à cette
situation le ministre de la Justice peut enjoindre le ministère public de ne pas
exécuter certaines condamnations. Il en va ainsi des « courtes peines » n’excédant
pas quatre mois d’emprisonnement. Ces dernières ont, par ailleurs, été critiquées
par de nombreux criminologues pour leur caractère inefficace et leur effet
désocialisant.

314 Art. 165, 197 et 376 du C.I.C. ; art. 139 du C.J.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Section 5 : Les modes alternatifs de règlement des conflits

I. Aperçu

Aux côtés du contentieux soumis aux cours et tribunaux, une série de


litiges sont appréhendés différemment, par des procédures qui procèdent non pas
d’une approche judiciaire, mais d’une logique de régulation*. Les procédures aux
termes desquelles les litiges sont soustraits à la décision des juges et réglés par la
voie de la négociation sont indifféremment qualifiées de modes alternatifs de
règlement des conflits* (M.A.R.C.), de modes alternatifs de règlement des litiges
(M.A.R.L.) ou, en anglais, d’alternative dispute resolution (A.D.R.)315.
Ces dispositifs constituent donc des alternatives à l’engagement ou à la
poursuite d’une action judiciaire. Leur mise en œuvre peut répondre à un souci
de rapidité et d’efficacité ou à éviter les affrontements et le formalisme qui sont
souvent le lot des procédures judiciaires classiques.
Une telle démarche est particulièrement efficace dans les conflits entre
personnes qui sont amenées à rester en contact ou pour régler des différends
humainement délicats (famille, voisinage, travail, relations d’affaires régulières,
etc.). De surcroît, les solutions auxquelles aboutissent les modes alternatifs de
règlement des conflits posent, par définition, peu de problèmes d’exécution
puisqu’elles sont souvent le résultat d’une négociation. Ces dernières années, le
législateur et les différents acteurs du monde judiciaire tentent de favoriser
l’essor des M.A.R.C, et en particulier la médiation, afin de désengorger les
tribunaux.
Nous aborderons successivement, la médiation qui connaît un essor
considérable depuis plusieurs années dans de nombreux pays, et l’arbitrage dont
l’implantation est plus ancienne.

II. La médiation

A. Notion

La médiation* se conçoit comme un processus volontaire et confidentiel de


gestion et de résolution des conflits par l’intermédiaire d’un tiers indépendant et
impartial, le médiateur. Avec le concours du médiateur, les parties vont tenter

315Voy. V. D’HUART, « Modes alternatifs de règlement des conflits », Arbitrage et modes alternatifs
de règlement des conflits, Liège, 2002, éd. Formation permanente CUP, vol. 59, pp. 11-56.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

d’élaborer une solution équitable, prise en pleine connaissance de cause, dans le


respect des intérêts de chacun des intervenants.
Le rôle du médiateur est d’écouter les parties, aidées ou non par leur
avocat, de rétablir un climat de confiance pour permettre un dialogue en vue de
trouver une solution amiable au litige. Dans le cadre d’une médiation, les
questions abordées par les parties pour régler leur différend de manière globale
ne se limitent pas aux aspects purement juridiques. D’autres aspects sont
souvent pris en compte afin d’aborder le conflit dans sa dimension relationnelle
ou émotionnelle et de tenir compte des intérêts commerciaux en présence ainsi
que, par exemple, de la réputation d’une des parties.
Dans le cadre de la médiation, contrairement à l’arbitrage* (infra, ce ch.,
cette s., point III) ou à une procédure judiciaire, aucune décision n’est imposée
par le médiateur. Ce sont les parties qui recherchent, construisent et trouvent,
avec l’aide du médiateur, la solution à leur différend.
En Belgique, la médiation s’est développée dans plusieurs domaines et
sous des formes différentes. Dans les matières familiales, sociales, civiles et
commerciales, la médiation, soit se déroule de manière privée (médiation
volontaire), soit même se greffe sur une procédure judiciaire déjà engagée
(médiation judiciaire). Dans ce dernier cas, la médiation permet, en cas de
réussite, d’éviter un jugement contentieux par la réalisation d’un accord entre les
parties. Le législateur est également intervenu pour mettre en place des
mécanismes spécifiques de médiation judiciaire (médiation de dette et médiation
pénale, par exemple). Par ailleurs, la médiation s’est développée au sein de
certaines entreprises publiques et institutions (médiation institutionnelle).
L’engouement pour la médiation est également présent au sein des
instances européennes. Une directive sur la médiation en matière civile et
commerciale applicable aux litiges transfrontaliers a ainsi été adoptée en 2008316.
Elle vise à promouvoir le recours à la médiation et tend à harmoniser, à l’échelle
de l’Union européenne, le cadre réglementaire dans lequel la médiation doit se
dérouler.

B. De quelques mécanismes de médiation

1. La médiation civile, commerciale et sociale

Le Code judiciaire consacre et organise désormais la médiation comme un


des modes de règlement des litiges civils, à l’instar de l’arbitrage*317. La
médiation s’est développée depuis quelques années en matière civile,

316Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, sur certains


aspects de la médiation en matière civile et commerciale.
Loi du 21 février 2005, modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne la médiation (M.B. 22
317

mars 2005).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

commerciale et sociale. Les parties à un contrat peuvent s’engager par avance à


recourir à la médiation en cas de litige (clause de médiation) ou décider d’y
recourir de commun accord après la survenance du litige.
Lorsque le litige qui oppose les parties est déjà soumis à un juge, on parle
de médiation judiciaire. Le juge suspend l’examen de la cause, à son initiative ou
celle des parties, jusqu’à l’issue de la médiation. L’affaire est confiée à un
médiateur agréé. La procédure est confidentielle et les documents et
communications échangés dans ce cadre ne peuvent servir de preuve en justice.
En cas d’accord, le juge acte les termes de celui-ci dans un jugement. Il ne peut
refuser d’homologuer l’accord que lorsque celui-ci est contraire à l’ordre public ou,
en matière de médiation familiale*, à l’intérêt des enfants mineurs. En cas
d’échec, la procédure judiciaire reprend son cours.
Depuis le 1er juin 2015, le SPF Economie a mis en place un Service de
Médiation pour le Consommateur, qui est un service public auquel tout
consommateur peut s’adresser pour résoudre un conflit l’opposant à une
entreprise318.

2. La médiation familiale

La médiation familiale* est en pratique la forme la plus fréquente de


recours à la médiation en matière civile. Elle tend à apporter des solutions
négociées aux conflits qui surgissent dans le cadre des familles et qui concernent
des matières diverses : obligations qui naissent du mariage ou de la filiation (art.
203 et s. du Code civil), droits et devoirs respectifs des époux (art. 212 et s. du
Code civil), cohabitation de fait, etc. La médiation se conçoit soit à titre privé, soit
dans le cadre d’une procédure judiciaire. Dans le premier cas, les personnes font
appel à un médiateur reconnu qui les aidera à trouver une solution au problème
qu’elles rencontrent. Les médiateurs familiaux ont suivi une formation
spécialisée et sont agréés par des organismes indépendants. Dans le cadre d’une
médiation judiciaire, c’est le juge qui, saisi d’un litige, désigne un médiateur. Les
parties doivent marquer leur accord sur le recours à la médiation et sur la
désignation du médiateur. Si la médiation aboutit, le juge se contente d’acter la
solution. Si la médiation échoue, le différend sera tranché par le juge dans le
cadre d’une instance civile.
Le recours à la médiation en matière familiale permet de résoudre des
conflits souvent extrêmement complexes et chargés d’émotions de façon plus
souple et évolutive. Les parties peuvent, par exemple, convenir d’une solution
pour la garde des enfants et se retrouver quelques mois plus tard, avec le
médiateur, pour réévaluer la situation et modifier la solution retenue ou la
maintenir dans l’intérêt de tous.

318Loi du 4 avril 2014 portant insertion du Livre XVI, « Règlement extrajudiciaire des litiges de
consommation » dans le Code de droit économique, M.B., 12 mai 2014.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

3. La médiation de dettes

La médiation de dettes*, introduite en 1998319, vise à apporter une réponse


au surendettement. Il s’agit d’une médiation judiciaire. Lorsqu’une personne se
trouve dans l’impossibilité d’honorer ses dettes et qu’elle n’a pas organisé son
insolvabilité, elle peut introduire une requête* devant le juge pour obtenir un
règlement collectif de dettes. Si le juge accède à cette demande, il désigne un
médiateur de dettes chargé d’élaborer un plan de règlement amiable des dettes
du débiteur. Ce plan va être soumis à l’ensemble des créanciers* et, moyennant
l’accord de toutes les parties en cause, il sera acté par le juge sans débat
judiciaire.

4. La médiation pénale ( supra , s. 4)

5. La médiation institutionnelle

Indépendamment de toute saisine du juge, la médiation institutionnelle


constitue un mode alternatif de règlement des conflits entre les institutions
publiques et les administrés. Elle prend la forme d’un contrôle interne lorsque
des médiateurs chargés de traiter des plaintes de consommateurs sont rattachés
à des entreprises publiques (comme la Poste, la S.N.C.B., Belgacom, etc.). La
médiation peut également prendre la forme d’un contrôle externe lorsque le
médiateur est indépendant de l’autorité administrative qui fait l’objet de
réclamations. Il en est ainsi des médiateurs fédéraux (les « ombudsmen »)
rattachés au parlement fédéral qui relèvent du pouvoir législatif320. Ils sont
chargés de connaître des plaintes des particuliers contre un acte de l’autorité
administrative ainsi que de dénoncer les dysfonctionnements de l’administration
à la Chambre des représentants. Les entités fédérées ont également établis des
médiateurs. Ainsi, la Région wallonne et la Communauté française disposent
d’un médiateur commun321.

319 Art. 1675/2 à 1675/17 du C.J. introduits par la loi du 5 juillet 1998 relative au règlement
collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis, M.B., 31
juillet 1998.
320 Loi du 22 mars 1995 instaurant des médiateurs fédéraux, M.B., 7 avril 1995.
321Décret de la Communauté française du 17 mars 2011 portant assentiment à l’accord de
coopération conclu le 3 février 2011 entre la Communauté française et la Région wallonne portant
création d'un service de médiation commun à la Communauté française et à la Région wallonne,
M.B., 15 septembre 2011 ; Décret wallon du 31 mars 2011 portant assentiment à l’accord de
coopération conclu le 3 février 2011 entre la Communauté française et la Région wallonne portant
création d'un service de médiation commun à la Communauté française et à la Région wallonne,
M.B., 15 septembre 2011.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

III. L’arbitrage

En Belgique, comme dans de nombreux pays, l’arbitrage a toujours


coexisté avec le contentieux judiciaire, contrairement aux autres modes
alternatifs de règlement de conflits dont l’essor est plus récent. Le recours à
l’arbitrage suppose que les parties se mettent d’accord, dans une convention,
nommée convention d’arbitrage* ou clause compromissoire*, de soumettre le
litige qui les oppose (ou qui pourrait les opposer dans l’avenir) à un ou plusieurs
arbitres dont elles s’engagent à respecter la décision, appelée sentence arbitrale*.
Dans la convention d’arbitrage, les parties s’engagent donc à ne pas soumettre
leur litige aux cours et tribunaux.
L’arbitrage s’est considérablement développé durant ces dernières
décennies, notamment en droit économique*, et ce malgré son coût relativement
élevé en raison des honoraires que chaque partie doit payer à l’arbitre. Le ou les
arbitres sont désignés par un mécanisme convenu par les parties. Il s’agit le plus
souvent d’experts et très souvent des juristes, en particulier des avocats. Les
avantages généralement reconnus à l’arbitrage, par rapport à la voie judiciaire,
sont la rapidité et la confidentialité, deux atouts majeurs dans la vie des affaires.
Par ailleurs, le fait que l’arbitrage mette en présence les parties et/ou leurs
avocats sans le décorum et l’atmosphère polémique des salles d’audience permet
parfois au dialogue de se renouer sans que l’arbitre n’ait à se prononcer par une
sentence*.
L’arbitrage se conclut par une sentence qui a autorité de chose jugée et qui
peut être exécutée par la contrainte moyennant demande au juge de lui conférer
force exécutoire* (demande d’exequatur).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

Chapitre 9 : Le raisonnement juridique

Le raisonnement juridique a pour objet de résoudre des questions dans la


perspective de l’application du droit à des cas particuliers.
La position du juge constitue le point de vue focal du raisonnement
juridique. Cela signifie que lorsqu’une personne raisonne en droit, elle est
normalement amenée à se placer hypothétiquement dans la position d’un juge
qui serait appelé à connaître de l’affaire en question. Tel est le cas, par exemple,
d’un avocat qui évalue pour son client les chances de succès d’une action
judiciaire.
Le raisonnement juridique s’opère donc sur le modèle du raisonnement
judiciaire. Nous en analyserons la structure (I), de même que les principaux
procédés de résolution des questions de fait (II) et des questions de droit (III).

I. Le syllogisme judiciaire

Le raisonnement du juge est traditionnellement présenté sous la forme


d’un syllogisme*. Le syllogisme est un mode de raisonnement déductif dans
lequel une conclusion est déduite du rapprochement de deux prémisses, tenues
pour vraies. La prémisse générale se nomme la majeure ; la prémisse particulière
se nomme la mineure. Ainsi dans l’exemple classique :
Majeure : Tous les hommes sont mortels
Mineure : Socrate est un homme
Conclusion : Socrate est mortel.
Dans le syllogisme judiciaire*, la majeure énonce une règle de droit
générale ; la mineure indique un fait singulier ; la conclusion représente la
décision du juge.
Cette présentation se retrouve grosso modo dans la structure formelle
habituelle des décisions de justice (supra, ch. 4). Les prémisses sont développées
dans les motifs* du jugement, qui séparent normalement les éléments de fait et
les éléments de droit. La conclusion équivaut au dispositif* de la décision.
Cette présentation présente un intérêt pratique dans la mesure où elle
permet de distinguer les questions de fait et les questions de droit. Celles-ci ne
sont pas soumises au même régime juridique. Ainsi, la Cour de cassation connaît
seulement des questions de droit, tandis que les questions de fait sont tranchées
souverainement par le juge du fond (supra, ch. 3 et 8).
Le syllogisme judiciaire représente cependant moins le raisonnement
judiciaire que le résultat de celui-ci. L’essentiel du travail se situe en effet en

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

amont, au niveau de la discussion et de l’établissement des deux prémisses, c’est-


à-dire du fait et du droit.
L’établissement des questions de fait s’appelle la preuve. La solution des
questions de droit s’appelle l’interprétation.

II. Les questions de fait

Les questions de fait* ont pour objet de déterminer la réalité des faits
auxquels le droit doit s’appliquer. L’établissement de la réalité juridique des faits
s’appelle la preuve*. Le recours à la preuve est nécessaire pour établir les faits
qui sont à la fois contestés et pertinents. La décision des questions de fait permet
d’établir la vérité judiciaire*. Les faits établis doivent encore être qualifiés, c’est-
à-dire se voir attribuer un certain statut juridique.

A. La sélection des faits pertinents

Dans la masse infinie des données et des circonstances contingentes de la


vie, le juriste ne s’intéresse qu’à certains éléments déterminés, qu’il sélectionne
comme pertinents. La sélection des faits pertinents d’une situation dépend
directement de leur qualification*, c’est-à-dire du statut juridique qu’on prétend
leur appliquer.
Par exemple, la mort d’un homme peut donner lieu à un procès criminel
pour assassinat ou pour meurtre, ou à un procès correctionnel pour homicide par
imprudence ou encore à une action civile en dommages-intérêts fondée sur la
responsabilité civile. Dans chaque cas, en fonction de l’action engagée et de la
qualification juridique qu’elle suppose, les éléments de faits pertinents à prendre
en considération seront différents. Ainsi, outre le fait du décès, le procès criminel
impliquera la preuve du caractère volontaire de l’homicide, l’assassinat exigeant
en outre la démonstration de son caractère prémédité. L’action en dommages-
intérêts supposera la prise en compte d’autres éléments : il suffira de prouver la
faute, même involontaire, de l’auteur de l’homicide, mais il faudra également
faire la preuve d’un dommage en relation causale directe avec le décès.
Plus généralement, le procès pénal* supposera l’établissement des faits
constitutifs de l’infraction reprochée. Le procès civil* exigera la réunion des
conditions requises pour la reconnaissance du droit subjectif invoqué et plus
généralement encore la démonstration, par une partie, de tous les éléments
qu’elle allègue et qui sont contestés par l’autre (art. 870 du Code judiciaire).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

B. La preuve

Les faits contestés doivent être prouvés. Il faut distinguer la charge de la


preuve et les modes de preuves admissibles.

1. La charge de la preuve

La charge de la preuve* détermine la partie au procès à qui la preuve


incombe. Elle détermine par là même la partie qui supportera les conséquences
de l’échec dans l’administration de la preuve.

a) Au pénal

Dans le procès pénal, la charge de la preuve incombe au ministère public.


Ce principe est le corollaire de la présomption d’innocence*. Elle implique que le
doute profite à l’accusé.
L’accusation doit prouver la réunion de tous les éléments de fait
constitutifs de l’infraction. En outre, lorsque le prévenu invoque, avec des
éléments de nature à donner quelque crédit à son affirmation, une cause de
justification (comme la légitime défense ou l’état de nécessité), il appartient à
l’accusation de montrer que cette cause n’est pas établie322.

b) Au civil

Dans le procès civil, la charge de la preuve incombe au demandeur* (art.


1315, al. 1 du Code civil). Celui-ci doit prouver les éléments de fait contestés qui
fondent sa prétention. Toutefois, lorsque le défendeur soulève une exception*
(c’est-à-dire un moyen de défense323), il lui appartient d’en apporter la
démonstration (art. 1315, al. 2 du Code civil). Dès lors, chacune des parties à la
charge de prouver ce qu’elle allègue (art. 870 du Code judiciaire).
Les parties doivent en outre collaborer loyalement à la production des
preuves dans le cours du procès. Ainsi, la tromperie ou la dissimulation d’un
élément de preuve ne saurait être admis. Le juge pourra, le cas échéant, ordonner
la production d’un élément de preuve (un écrit, par exemple) qu’une partie retient
par-devers elle (art. 871 du Code judiciaire).

322 Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Voy. M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et


A. MASSET, Manuel de procédure pénale, Collection de la Faculté de droit de l’Université de Liège,
4e éd., 2012, Larcier, Bruxelles, pp. 1137-1138.
323 Supra, ch. 8.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

c) Les présomptions légales

La charge de la preuve peut être modifiée par l’effet d’une


présomption légale*. On distingue les présomptions simples, appelées aussi
présomptions non-irréfragables ou présomptions juris tantum, et les
présomptions irréfragables, aussi nommées présomptions juris et de jure.
Les présomptions simples* sont susceptibles d’une preuve contraire. Elles
ont pour effet de transférer la charge de la preuve à la partie adverse. Ainsi, en ce
qui concerne les cas de responsabilité complexe* (supra, ch. 1) des parents ou des
instituteurs pour les fautes commises par les enfants qui sont sous leur garde ou
leur surveillance (art. 1384, al. 2 et al. 4 du Code civil). Ces dispositions créent
une présomption de faute à charge des parents et des instituteurs. S’il appartient
au demandeur en réparation de prouver la faute de l’enfant, il est cependant
dispensé d’apporter la preuve d’un défaut de surveillance et/ou d’éducation de la
part des parents ou de l’instituteur. Il appartient, par contre, aux parents et aux
instituteurs de renverser la présomption en apportant la preuve qu’ils ont bien
gardé et surveillé l’enfant (art. 1384, al. 5 du Code civil).
Les présomptions irréfragables* dispensent de prouver un fait qui est
considéré comme établi par la loi, nonobstant toute preuve contraire. Tel est le
cas de la présomption de faute établie à la charge des commettants (les
employeurs) en ce qui concerne les fautes commises par leurs préposés (les
travailleurs) en vertu de l’article 1384 alinéa 3 du Code civil. Si la faute du
travailleur est établie, et que celle-ci se déroule à l’occasion des fonctions, la faute
de l’employeur sera reconnue ipso facto sans qu’il soit permis à l’employeur de
démontrer le caractère irréprochable de la surveillance qui lui incombait.

2. Les modes de preuve

La preuve est soit libre, soit réglementée. La preuve est libre lorsqu’elle
peut être apportée par toutes voies de droit, c’est-à-dire par tout moyen régulier
de nature à emporter rationnellement la conviction. La preuve est réglementée
lorsque la loi détermine, et donc limite, les modes de preuve admissibles.
En matière pénale, la preuve est en principe libre, sauf lorsque la loi en
dispose autrement. Les éléments de preuve produits doivent avoir été
régulièrement obtenus. Ainsi, ne sera pas admissible la preuve tirée d’une
retranscription d’une écoute téléphonique illégale. En d’autres termes, la preuve
obtenue par des moyens illégaux est irrecevable et doit être écartée des débats.
En matière civile, il faut distinguer le régime des faits et des actes
juridiques. La preuve des faits juridiques* peut être établie par toute voie de
droit. La preuve des actes juridiques* doit en principe être établie par un écrit*
lorsqu’elle porte sur des choses excédant la valeur de 375 euros (art. 1341, al. 1er
du Code civil). Cette règle ne s’applique pas en matière commerciale et sociale.
Même en matière civile, il est parfois fait exception à l’obligation de la preuve par

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

écrit, notamment lorsqu’il apparaissait physiquement ou moralement impossible


pour le demandeur de se procurer un écrit (art. 1348 du Code civil)324.

a) La preuve par écrit

Comme on l’a dit, la preuve par écrit est obligatoire en matière civile pour
les actes juridiques excédant une certaine valeur. Bien entendu, l’écrit constitue
également un mode de preuve admissible en dehors de cette hypothèse pour
démontrer l’existence d’un fait ou d’un acte juridique. On distingue deux sortes
d’écrits : les actes authentiques et les actes sous seing privé.
L’acte authentique* est un écrit dressé par un officier public dans les
formes requises par la loi325. Il s’agit, par exemple, de l’acte de naissance dressé
par l’officier d’état civil ou encore de l’acte authentique de vente d’un immeuble
dressé par un notaire. L’acte sous seing privé* est un écrit établi par de simples
particuliers. Tant les actes authentiques que les actes sous seing privé doivent
être signés.
Ces deux types d’actes n’ont pas la même force probante. Les actes sous
seing privé valent jusqu’à preuve contraire (qui doit le cas échéant être fournie
par écrit326). Les actes authentiques valent jusqu’à inscription de faux.
Les écrits constatant les conventions synallagmatiques (comme la vente ou
le bail à loyer, par exemple) doivent être établis en autant d’exemplaires qu’il y a
de parties à l’acte ayant un intérêt distinct (art. 1325 du Code civil).
En matière civile, le juge peut ordonner soit à une partie, soit même à un
tiers, la production d’un document lorsque celui-ci peut permettre d’établir la
preuve d’un fait pertinent (art. 877 et suivants du Code judiciaire).

b) Les présomptions de l’homme

Les présomptions de l’homme* sont des conséquences que le juge tire d’un
fait connu à un fait inconnu (art. 1349 du Code civil). Elles doivent être
distinguées des présomptions légales*. Par exemple, le juge peut présumer au
départ de la longueur de traces de freinage sur le sol, la vitesse du véhicule
impliqué dans un accident. Les présomptions de l’homme sont abandonnées à la
lumière et à la prudence du magistrat qui ne doit cependant les admettre que
lorsqu’elles sont « graves, précises et concordantes » (art. 1353 du Code civil). Les
présomptions peuvent résulter du rapport d’un expert auquel le juge a demandé
un avis sur la question ou des constatations faites lors d’une descente sur les
lieux (art. 1007 et s. du Code judiciaire).

324 Il est également fait exception à la nécessité d’un écrit dans le cas de la production d’un
commencement de preuve par écrit, c’est-à-dire d’un écrit non signé émanant de celui à qui on
l’oppose ou de son représentant (art. 1347 du Code civil).
325 Art. 1317 et suivants du Code civil.
326 Art. 1341 du Code civil.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

L’expertise* est une mesure d’instruction ordonnée par le juge qui


demande à un ou plusieurs spécialistes de procéder à des constatations ou de
donner un avis d’ordre technique (art. 962 du Code judiciaire). Un tel avis ne lie
jamais le magistrat qui l’a sollicité.

c) Le témoignage

Le témoignage* est l’affirmation, sous serment, par une personne de


l’existence d’un fait dont elle a eu personnellement connaissance. L’importance de
la preuve testimoniale diffère selon les familles d’ordre juridique. Le témoignage
joue un rôle essentiel dans la procédure de common law (supra, ch. 2) et sa
production fait l’objet d’un régime détaillé : par exemple, le principe du contre-
interrogatoire (cross examination) et l’interdiction en principe de rapporter les
propos d’autrui (ouï-dire ou hear say).
Dans les systèmes de droit civil, le témoignage joue un rôle plus accessoire,
sauf devant la cour d’assises*. La mesure d’instruction par laquelle le juge
ordonne de recueillir des témoignages s’appelle l’enquête* (art. 915 et s. du Code
judiciaire).

d) L’aveu

L’aveu* est la reconnaissance par une personne d’un fait de nature à


produire contre elle des conséquences juridiques défavorables. On distingue
l’aveu judiciaire et l’aveu extrajudiciaire.
L’aveu judiciaire* est celui qui est obtenu dans le cours même du procès. Il
aboutit à supprimer le caractère contesté du fait avoué et donc à dispenser l’autre
partie de la charge de le prouver. L’aveu judiciaire peut être obtenu dans le cadre
de l’interrogatoire des parties par le juge (art. 992 et s. du Code judiciaire).
L’aveu extrajudiciaire* est fait en dehors du procès. Il peut résulter du
comportement même de la partie à laquelle on l’oppose. Ainsi, l’exécution
volontairement donnée par les parties à une convention in tempore non suspecto
(c’est-à-dire avant la survenance du litige) peut constituer un aveu
extrajudiciaire de la portée et du contenu réel de celle-ci.
L’aveu doit être volontaire. Il ne peut être ni surpris ni contraint. En vertu
du droit au silence* (supra, ch. 6, s. 2), une personne suspectée d’avoir commis
une infraction ne peut être contrainte à répondre à une question lorsque la
réponse implique l’aveu d’un fait de nature à l’incriminer.

e) Le serment

Le serment* est l’affirmation devant le juge d’un fait favorable au


déclarant. Il peut être déféré par l’autre partie pour décider de l’issue du procès
(serment décisoire) ou par le juge pour apporter un élément de conviction
supplémentaire (serment supplétoire). Dans ce dernier cas, il n’a que la valeur
d’un témoignage. La partie à laquelle le serment est déféré peut accepter ou

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

refuser de prêter celui-ci. De nos jours, le serment ne joue qu’un rôle très
marginal.

C. La qualification des faits

La qualification* est l’attribution d’un statut juridique aux faits établis ou


prétendus.
En matière pénale, il revient au juge et à la juridiction d’instruction de
qualifier les faits reprochés à une personne, c’est-à-dire de déterminer la nature
de l’infraction que ces faits constituent. Le juge du fond devra vérifier cette
qualification et, le cas échéant, requalifier les faits qui auront été établis dans le
cours de la procédure327.
La qualification peut donner lieu à un certain pouvoir d’appréciation,
spécialement lorsqu’elle porte sur des « standards » ou des notions à contenu
variable. Tel est le cas, par exemple, lorsque le juge doit apprécier si tel acte ou
omission constitue ou non une faute* ou encore si un comportement est ou non
conforme aux bonnes mœurs*.
La qualification opère le rapprochement du fait et du droit. Elle peut
donner lieu au contrôle et à la censure de la Cour de cassation lorsque le juge, en
qualifiant le fait, méconnaît ou viole la notion légale qu’il applique.

III. Les questions de droit

A. L’application du droit

A supposer les faits établis, le juge doit appliquer le droit, c’est-à-dire


déterminer les règles juridiques qui sont appelées à régir la situation ou le cas.
L’application du droit aux faits correspond à la qualification juridique des faits.
On appelle question de droit* les contestations qui portent sur la règle à
appliquer ou sur le contenu ou le sens de celle-ci. La détermination du contenu ou
du sens d’une règle de droit s’appelle l’interprétation juridique.

327 Sous réserve des particularités de la procédure devant la cour d’assises.

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B. L’interprétation des règles

1. Vue d’ensemble

a) Le triangle de la communication

Au sens le plus général, interpréter consiste à décrypter le sens d’un


message. Tout message suppose un acte de communication. Un tel acte implique
l’intervention d’un émetteur, qui diffuse le message, et d’un récepteur, qui le
capte. Pour que la communication puisse réussir, il est encore nécessaire que le
message soit rédigé dans un certain code, maîtrisé tant par l’émetteur que par le
récepteur. Ces différentes instances définissent ce que les spécialistes appellent
le triangle de la communication. Chacun des pôles de ce triangle est susceptible
d’orienter la signification du message.

Le triangle de la communication

Code

Emetteur Récepteur
Message

b) Les méthodes générales d’interprétation

De manière plus spécifique, interpréter*, c’est rechercher les différentes


significations possibles d’un texte et en déterminer le sens pertinent. Il existe
plusieurs méthodes d’interprétation possibles en fonction du contexte ou du point
de vue où se place l’interprète. On peut à cet égard dégager quatre points de vue
principaux, qui correspondent aux différents éléments dégagés dans le triangle
de la communication.
1. Le texte peut être considéré isolément, indépendamment de tout contexte,
comme une entité se suffisant à elle-même. C’est ce qu’on appelle
l’interprétation littérale.
2. Le texte peut ensuite être considéré du point de vue de son auteur et du
contexte dans lequel il a été produit. Cette méthode d’interprétation se
base sur l’idée selon laquelle comprendre un texte, c’est comprendre ce que
son auteur a voulu dire, en référence avec ses propres systèmes de
signification.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

3. On peut encore interpréter un texte en rapport avec le contexte plus large


dans lequel il s’inscrit. Par exemple, interpréter un paragraphe en fonction
du chapitre où il est inséré, ou du livre dont ce chapitre est une partie, ou
de l’œuvre dans laquelle ce livre s’insère. Cette méthode d’interprétation
repose sur l’idée selon laquelle la partie doit être interprétée en fonction du
tout et de la cohérence de celui-ci.
4. Enfin, une dernière méthode préconise d’interpréter le texte du point de
vue de ses destinataires, en fonction du contexte où il doit être appliqué.
Cette méthode repose sur l’idée que le sens véhiculé correspond à ce qui est
compris et qu’il faut comprendre les textes de manière à leur donner un
effet utile.

c) Les méthodes juridiques d’interprétation

Ces différentes méthodes d’interprétation peuvent être appliquées aux


textes juridiques, notamment aux textes de loi (au sens large), dans la
perspective de la solution des questions de droit. Il suffit de spécifier les
différents pôles du triangle de la communication dans l’hypothèse de l’application
d’une loi en vue de la solution d’un procès. L’auteur de la loi est le législateur ;
l’ordre juridique fournit le contexte de référence dans laquelle la loi s’insère ; le
cas d’espèce constitue le contexte d’application de la loi.
On peut alors préciser les quatre méthodes suivantes.
1. L’interprétation littérale : l’interprétation de la formule de la loi considérée
isolément.
2. L’interprétation historique : l’interprétation de la loi en fonction de la
volonté du législateur, c’est-à-dire de l’intention de l’auteur de l’acte au
moment de son établissement.
3. L’interprétation systématique : l’interprétation de la loi en fonction de la
cohérence de l’ordre juridique considéré dans son ensemble.
4. L’interprétation sociologique : l’interprétation de la loi en fonction du cas
d’application de manière à donner à celle-ci un effet utile et de donner à
l’affaire en discussion une solution juste.
Les mêmes méthodes s’appliquent mutatis mutandis à l’interprétation des
autres actes juridiques et notamment des conventions*328.

328L’interprétation des Conventions internationales est réglée dans la Convention de Vienne sur
le droit des traités (1969). L’interprétation des contrats privés est réglée dans les articles 1156 à
1164 du Code civil.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Schéma des méthodes juridiques d’interprétation

Ordre juridique
int. systématique

Législateur Société / Cas


int. historique int. sociologique
Loi
int. littérale

2. Analyse des méthodes d’interprétation

a) L’interprétation littérale

1°) Le sens des mots


L’interprétation littérale* consiste à déterminer le sens du texte
uniquement à partir du sens des différents mots qui le composent. En ce qui
concerne les textes juridiques, les règles à suivre pour la détermination du sens
littéral sont les suivantes.
1. De manière générale, il faut donner aux mots leur sens usuel ou courant.
2. Cependant, les termes juridiques doivent être entendus dans le sens
technique.
3. Enfin, lorsque le terme à interpréter est expressément défini dans l’acte (la
loi, le code, etc.), cette définition particulière prévaut.

2°) La doctrine du sens clair


En vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsque le sens qui
résulte de l’interprétation littérale est clair, le juge ne peut en principe
poursuivre au-delà le travail d’interprétation et notamment recourir aux autres
méthodes. Toutefois, la portée pratique de cette doctrine ne doit pas être
exagérée. En effet, souvent le texte n’apparaît plus clair lorsque son sens est
contesté, ce qui est précisément le cas dans les questions de droit.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

3°) Interprétation restrictive et extensive


(a) L’interprétation restrictive et l’interprétation stricte
On parle d’interprétation restrictive* lorsque l’interprète réduit la portée
du texte en deçà du sens littéral. On enseigne, de manière générale, que les
exceptions, c’est-à-dire les régimes dérogatoires au droit commun, sont
d’interprétation restrictive.
On parle d’interprétation stricte lorsque l’interprète ne peut étendre le
texte au-delà du sens littéral. L’interprétation stricte s’impose dans plusieurs
situations notamment en droit pénal*, en vertu du principe de légalité des délits
et des peines*.
(b) L’interprétation extensive
On parle d’interprétation extensive* lorsque l’interprète étend la portée du
texte au-delà de son sens littéral. L’interprétation extensive suppose donc la mise
en œuvre d’autres méthodes d’interprétation que l’interprétation littérale.
Toutefois, l’interprétation extensive peut chercher un appui dans le texte lui-
même, notamment par le recours aux arguments dits quasi logiques. Ceux-ci sont
au nombre de trois.
1. L’argument a pari* permet d’étendre la portée d’un terme ou d’une
situation à un autre terme ou une autre situation non visé par le sens
littéral, mais qui présente avec celui-ci un rapport de ressemblance. C’est
ce qu’on appelle le raisonnement par analogie*. Ce raisonnement doit
pouvoir s’appuyer sur la ratio legis, sur la raison ou la motivation qui sous-
tend la règle exprimée dans le texte.
2. L’argument a fortiori qui constitue une analogie renforcée, la ratio legis,
imposant à plus forte raison l’application de la même règle à la situation
non visée par le sens littéral. Par exemple, on admet que l’article 2265 du
Code civil qui permet au possesseur de bonne foi d’acquérir la propriété
d’un immeuble par dix ou vingt ans doit s’appliquer a fortiori aux autres
droits réels immobiliers qui constituent un démembrement de la propriété.
Cette application du raisonnement a fortiori fonctionne ici sur le principe
« qui peut le plus, peut le moins ».
3. L’argument a contrario consiste à inférer du sens littéral d’une règle
l’application de la règle contraire aux situations différentes ou inverses.
Par exemple, l’article 6 du Code civil indique : « On ne peut déroger, par
des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public* et les
bonnes mœurs ». On peut en déduire a contrario qu’il est permis de déroger
par conventions aux autres lois, comme les lois supplétives*.

b) L’interprétation historique

La méthode historique a pour but de déterminer la volonté du législateur


ou, plus largement, l’intention de l’auteur de l’acte à interpréter.
La méthode historique trouve son fondement dans la conception politique
de l’ordre juridique. Elle se base sur l’idée que les règles de droit sont des

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

commandements adressés par les autorités aux sujets de droit. Elles manifestent
donc une volonté qui doit être obéie. La loi est l’expression de la volonté du
législateur. Cette volonté doit être dégagée par l’interprète afin de s’y soumettre
et d’y soumettre les parties au procès.
L’interprète recherche la volonté du législateur historique et non du
législateur actuel. Lorsque ce dernier veut faire entendre sa volonté, il dispose de
la voie de l’interprétation authentique*. La méthode historique recherche la
volonté du législateur au moment de la rédaction de l’acte. Cette recherche
s’effectue en ordre principal par le recours aux travaux préparatoires* de la loi.
Ceux-ci doivent cependant être maniés avec prudence dans la mesure où ils
relatent des discussions contradictoires et des avis, qui n’ont pas nécessairement
prévalu, à propos de versions successives du texte en discussion. Il faut donc
s’attacher à sélectionner les passages pertinents et significatifs qui expriment la
volonté politique qui sous-tend le texte finalement adopté. Constituent
généralement les bases les plus intéressantes l’exposé des motifs*, l’exposé du
rapporteur* et les interventions en commission ou en séance du ministre en
charge ou des parlementaires, auteurs de la proposition de loi ou qui soutiennent
le projet de loi.
Au-delà des travaux préparatoires, l’interprète pourra également se référer
aux sources matérielles*, c’est-à-dire au contexte historique et politique qui a
donné naissance au texte à interpréter, afin d’y puiser des indices de la volonté
du législateur de l’époque.

c) La méthode systématique

La méthode systématique* détermine le sens et la portée d’une règle


juridique en fonction de l’ensemble dans lequel elle s’inscrit. L’horizon de
référence de la règle est l’ordre juridique dont elle relève, considéré comme un
système cohérent et complet. Cette méthode d’interprétation se fonde donc de
manière évidente sur la conception systématique de l’ordre juridique.
L’interprétation systématique peut également prendre en considération un
ensemble moins large, par exemple, l’acte juridique qui contient la règle ou la
branche du droit dont elle relève. Le contexte juridique d’interprétation de la
règle est donc à géométrie variable. On indique ici les modes d’interprétation
systématique les plus répandus, du contexte le plus étroit au plus étendu.
1. Le sens de la règle juridique peut d’abord être recherché dans la cohérence
de l’acte où elle trouve sa source. Le principe en est exprimé, en matière de
contrats, par l’article 1161 du Code civil : « Toutes les clauses des
conventions s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le
sens qui résulte de l’acte entier ». Ce principe peut être étendu à toutes les
catégories d’actes juridiques, notamment à la loi.
2. Le sens peut encore être déterminé par une interprétation conciliante de
deux règles juridiques distinctes, qui relèvent de la même branche* du
droit ou même de branches différentes. On en a vu un exemple, dans
l’arrêt Connerotte, avec le « rapprochement » par la Cour de cassation de
l’article 542 du Code d’instruction criminelle relatif au dessaisissement

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

pour cause de suspicion légitime avec l’article 828 du Code judiciaire


énonçant les causes de récusation (supra, ch. 5, s. 2).
3. Les règles permettant de résoudre les conflits de normes* au sein d’un
ordre juridique participent également de l’interprétation systématique. Tel
est le cas des principes lex superior derogat inferiori*, lex posterior derogat
priori*, lex specialis derogat generali*, ainsi que des règles de compétence*
(supra, ch. 5, s. 3).
4. Le recours aux principes généraux du droit* en vue de la détermination du
sens d’une règle de droit constitue enfin un moyen de renforcer la solution
en l’appuyant sur la cohérence de l’ordre juridique dans son ensemble
(supra, ch. 5, s. 2).

d) La méthode sociologique

La méthode sociologique* détermine l’interprétation de la règle juridique


en fonction du contexte où cette règle doit trouver à s’appliquer, qu’il s’agisse de
la situation sociale en général ou, plus particulièrement, du cas à trancher.
La méthode sociologique se fonde bien entendu sur la conception
sociologique de l’ordre juridique comme ordre social, en s’intéressant
principalement aux effets de la règle sur l’organisation de la société et à la
manière d’arbitrer le conflit d’intérêts dont le procès en cours est le théâtre.
Plusieurs modes d’interprétation sont ici aussi utilisés en fonction de
l’ampleur du contexte d’application pris en compte. Ils sont présentés ici en
partant du plus général au plus particulier.
1. L’interprétation téléologique considère le but de la législation, afin
d’assurer à tout le moins que l’interprétation confère à la règle de droit en
cause un effet utile et, dans le meilleur des cas, qu’elle contribue à réaliser
les valeurs ou les intérêts que la législation s’est proposée de protéger ou
de renforcer. Ainsi, par exemple, une disposition prise en faveur des
travailleurs pourra être interprétée, en cas de doute ou de contestation,
dans un sens favorable à ceux-ci, correspondant au but de la règle en
question.
2. La méthode de la mise en balance des intérêts constitue le principal
instrument de l’interprétation sociologique. Cette méthode consiste à
envisager sous les droits invoqués par les parties au procès les intérêts
concrets en concurrence afin soit de privilégier l’intérêt le plus important,
soit d’aménager une situation d’équilibre de nature à pacifier le conflit en
question.
3. Enfin, le recours à l’équité* (supra, ch. 1er), qui corrige, dans un cas
particulier, le sens ou la portée de la règle afin de favoriser une solution
juste, constitue une forme ponctuelle d’interprétation de la règle en
fonction des circonstances singulières propres à la cause.

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Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

3. Le choix de la meilleure interprétation

La mise en œuvre des différentes méthodes d’interprétation conduit, on le


comprend, à déterminer non pas un seul et unique sens mais bien plusieurs
significations possibles pour une même règle de droit. Or il n’existe pas de
métarègles d’interprétation satisfaisantes permettant de déterminer, dans
chaque cas, quelle méthode précisément doit être préférée et quel sens doit être
retenu.
Le juge cherchera idéalement à combiner les différentes méthodes et à
trouver le sens qui, correspondant à l’intention du législateur, respecte la
cohérence de l’ordre juridique, tout en assurant une solution juste à l’espèce, sans
démentir pour autant le sens littéral. Mais un tel résultat, qui relève presque de
la quadrature du cercle, sera souvent hors de portée. Il faudra dès lors
inévitablement se résoudre à choisir un sens plutôt qu’un autre.
Pour l’aider dans sa tâche, le juge recourra bien entendu à l’enseignement
des précédents* et, au premier chef, à la jurisprudence* des juridictions
suprêmes chargées d’assurer l’interprétation uniforme du droit (supra, ch. 4).
Le choix de la meilleure interprétation sera également éclairé par les
débats contradictoires organisés entre les parties dans le cadre du procès. Les
questions de droit, tout comme les questions de fait, ne se démontrent pas à la
manière des mathématiques ; elles se discutent. Chaque partie présentera donc
au juge son argumentation et la victoire ira en principe à celui qui aura su, par le
choix et la présentation judicieuse de ses arguments, se montrer le plus
convaincant.

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Table des matières

CHAPITRE 5 : LE SYSTÈME JURIDIQUE ............................................................................................................. 1


SECTION 1 : NOTION ............................................................................................................................................... 1
SECTION 2 : LES PRINCIPES GENERAUX DU DROIT ........................................................................................................... 2
I. Définition et exemples ............................................................................................................................ 2
II. Caractéristiques et distinctions ............................................................................................................. 3
III. Origine et reconnaissance .................................................................................................................... 5
IV. Mise en œuvre ...................................................................................................................................... 7
SECTION 3 : LES CONFLITS DE NORMES ...................................................................................................................... 11
I. L’application de la loi dans l’espace ...................................................................................................... 11
A. Principe : le caractère territorial du droit ......................................................................................................... 11
B. Tempérament : l’application de la loi étrangère .............................................................................................. 12
II. L’application de la loi dans le temps .................................................................................................... 14
A. La règle nouvelle remplace la règle ancienne ................................................................................................... 15
B. La règle nouvelle a un effet immédiat .............................................................................................................. 17
C. La règle nouvelle s’applique de manière non rétroactive ................................................................................. 18
III. La hiérarchie des normes ................................................................................................................... 19
A. Norme de droit international v. norme de droit interne .................................................................................. 19
B. Conflit entre normes européennes de rangs différents ................................................................................... 24
C. Constitution v. autre norme de droit interne ................................................................................................... 25
D. Norme de nature législative v. norme de nature réglementaire ...................................................................... 26
E. Conflit entre normes de nature réglementaire de rangs différents ................................................................. 27
F. La place des principes généraux du droit .......................................................................................................... 28
IV. La compétence ................................................................................................................................... 28
A. Dans l’ordre juridique belge ............................................................................................................................. 28
B. Dans l’ordre juridique européen ....................................................................................................................... 29
SECTION 4 : LES BRANCHES DU DROIT ........................................................................................................................ 31
I. Présentation ......................................................................................................................................... 31
A. La summa divisio : droit public et droit privé ................................................................................................... 31
B. Les branches du droit public ............................................................................................................................. 32
C. Les branches du droit privé ............................................................................................................................... 35
II. Limite et importance de la classification en branches du droit ........................................................... 38
CHAPITRE 6 : LES FONDEMENTS JURIDIQUES DE L’ORDRE SOCIAL ................................................................. 40
SECTION 1 : LE CONTROLE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE ................................................................................................. 40
I. La puissance publique ........................................................................................................................... 40
A. Notion ............................................................................................................................................................... 40
B. Prérogatives ...................................................................................................................................................... 41
C. Les limites de la puissance publique ................................................................................................................. 43
II. Le service public ................................................................................................................................... 43
A. Notion ............................................................................................................................................................... 43
B. Les sujétions de l’action administrative ............................................................................................................ 44
C. Les lois du service public ................................................................................................................................... 44
III. L’Etat de droit ..................................................................................................................................... 48
A. Notion ............................................................................................................................................................... 48
B. La division des pouvoirs .................................................................................................................................... 49
C. La hiérarchie des normes .................................................................................................................................. 52
D. La responsabilité des pouvoirs publics ............................................................................................................. 54
E. Appréciation finale ............................................................................................................................................ 67
IV. La démocratie ..................................................................................................................................... 68
A. Notion ............................................................................................................................................................... 68
B. La démocratie représentative ........................................................................................................................... 68
C. La participation des citoyens au contrôle et à l’exercice de la puissance publique. ......................................... 70
D. La protection juridique de l’ordre démocratique ............................................................................................. 76
SECTION 2 : LES VALEURS ET FONCTIONS DE L’ORDRE JURIDIQUE ..................................................................................... 78

DROI-C-1001_B PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles I


Volume 2 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

I. La sécurité ............................................................................................................................................. 79
A. L’Etat, agent de sécurité ................................................................................................................................... 79
B. La fonction de police ......................................................................................................................................... 80
C. Le contrôle de la police ..................................................................................................................................... 81
II. La liberté .............................................................................................................................................. 82
A. L’Etat libéral et la garantie des libertés individuelles ....................................................................................... 82
B. Principaux droits de l’homme et libertés fondamentales ................................................................................. 84
C. L’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle ........................................................................................... 95
III. L’égalité .................................................................................................................................................. 96
A. Egalité formelle et inégalités matérielles ......................................................................................................... 96
B. L’Etat social et son droit ................................................................................................................................... 97
C. Les droits économiques, sociaux et culturels ...................................................................................................... 100
D. Le contrôle effectif de l’égalité et la sanction des discriminations ..................................................................... 103
IV. La régulation .................................................................................................................................... 105
A. Les conséquences juridiques de la mondialisation ......................................................................................... 105
B. Du gouvernement à la gouvernance ............................................................................................................... 105
C. De la réglementation à la régulation .............................................................................................................. 107

PARTIE LA MISE EN ŒUVRE DES DROITS ............................................................................................ 109


EME
II
CHAPITRE 7 : LES PERSONNES ET LEURS DROITS ......................................................................................... 111
I. Les personnes ...................................................................................................................................... 111
A. Les catégories de personnes ........................................................................................................................... 111
B. L’état et la capacité des personnes ................................................................................................................ 114
II. Les catégories de droits ..................................................................................................................... 117
A. Les droits de la personnalité ........................................................................................................................... 118
B. Les droits patrimoniaux .................................................................................................................................. 118
III. Les sources des droits subjectifs ........................................................................................................... 120
IV. La relation juridique ............................................................................................................................. 120
V. L’action en justice .................................................................................................................................. 121
CHAPITRE 8 : LE PROCES ............................................................................................................................. 122
SECTION 1 : LE PROCES, SA STRUCTURE ET LA PROCEDURE ........................................................................................... 122
I. La structure du procès ........................................................................................................................ 122
II. Les règles du jeu du procès : la procédure ......................................................................................... 122
A. Notion ............................................................................................................................................................. 122
B. Les garanties du procès équitable .................................................................................................................. 124
SECTION 2 : LES ACTEURS DU PROCES ...................................................................................................................... 126
I. Les juges ............................................................................................................................................. 126
II. Les officiers du ministère public ......................................................................................................... 126
A. Organisation ................................................................................................................................................... 126
B. Fonctions ........................................................................................................................................................ 128
C. Statut ................................................................................................................................................................... 129
III. Les avocats ........................................................................................................................................... 131
A. Fonctions ........................................................................................................................................................ 131
B. Organisation ................................................................................................................................................... 131
C. Accès à la profession ....................................................................................................................................... 133
IV. Les greffiers .......................................................................................................................................... 133
SECTION 3 : LE PROCES CIVIL ................................................................................................................................. 133
I. Présentation générale ......................................................................................................................... 133
II. L’introduction de l’instance ............................................................................................................... 134
A. Citation et signification ................................................................................................................................... 134
B. Autres modes d’introduction de l’instance ......................................................................................................... 135
III. L’audience d’introduction ..................................................................................................................... 136
A. Le défaut ......................................................................................................................................................... 136
B. Les débats succincts ........................................................................................................................................ 136
C. Le calendrier ................................................................................................................................................... 137
D. Mesures d’instruction ..................................................................................................................................... 137
IV. La mise en état de la cause .................................................................................................................. 137
A. La communication des pièces ......................................................................................................................... 137
B. L’échange des conclusions .............................................................................................................................. 138

II PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_B


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 2

V. Les plaidoiries ........................................................................................................................................ 140


VI. La clôture des débats et la mise en délibéré ......................................................................................... 140
VII. Le jugement ......................................................................................................................................... 141
A. Principes .............................................................................................................................................................. 141
B. Prononcé ............................................................................................................................................................. 141
C. Catégories de jugements ................................................................................................................................ 142
VIII. Les voies de recours ............................................................................................................................ 143
A. L’opposition .................................................................................................................................................... 143
B. L’appel ............................................................................................................................................................ 144
C. Le pourvoi en cassation .................................................................................................................................. 144
IX. L’exécution du jugement ...................................................................................................................... 146
SECTION 4 : LE PROCES PENAL ............................................................................................................................... 147
I. Les principes fondamentaux propres à la procédure pénale .............................................................. 147
A. La présomption d’innocence .......................................................................................................................... 147
B. Le droit au silence ........................................................................................................................................... 148
C. Droits de la défense renforcés ........................................................................................................................ 148
II. Les deux phases du procès pénal ....................................................................................................... 150
A. La phase préliminaire ..................................................................................................................................... 150
B. La phase de jugement ..................................................................................................................................... 165
SECTION 5 : LES MODES ALTERNATIFS DE REGLEMENT DES CONFLITS .............................................................................. 172
I. Aperçu ................................................................................................................................................. 172
II. La médiation ...................................................................................................................................... 172
A. Notion ............................................................................................................................................................. 172
B. De quelques mécanismes de médiation ......................................................................................................... 173
III. L’arbitrage ............................................................................................................................................ 176
CHAPITRE 9 : LE RAISONNEMENT JURIDIQUE .............................................................................................. 177
I. Le syllogisme judiciaire ....................................................................................................................... 177
II. Les questions de fait .......................................................................................................................... 178
A. La sélection des faits pertinents ..................................................................................................................... 178
B. La preuve ........................................................................................................................................................ 179
C. La qualification des faits .................................................................................................................................. 183
III. Les questions de droit ....................................................................................................................... 183
A. L’application du droit ...................................................................................................................................... 183
B. L’interprétation des règles .............................................................................................................................. 184

TABLE DES MATIERES ...................................................................................................................................... I

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évaluation des enseignements

pour :
Dès le quadrimestre terminé, 4 Donner une rétroaction à vos enseignants
évaluez vos enseignements 4 proposer des améliorations
4 participer à l’évolution des enseignements
4 Valoriser les activités d’enseignement

portant sur :
une évaluation 4 La prestation des enseignants
à plusieurs dimensions 4 L’organisation de l’enseignement
4 Le déroulement des séances
4 L’évaluation des apprentissages

VotrE aVis ComptE !

4 www.ulb.be/enseignements/evaluation

L’évaluation institutionnelle des enseignements est L’étudiant répond anonymement à un questionnaire


organisée par l’ULB. pour chaque enseignement auquel il a participé. Chaque
Elle a lieu dès que les enseignements sont terminés. questionnaire est analysé et les résultats sont envoyés aux
Elle se déroule en deux campagnes d’enquête en ligne enseignants et à la commission pédagogique facultaire.
après les sessions de janvier et de juin.
Les étudiants et les enseignants ont l’obligation de
participer aux évaluations.
Le label FSC : la garantie d’une gestion responsable des forêts
Les Presses Universitaires de Bruxelles s’engagent !
Les PUB impriment depuis de nombreuses années les syllabus sur du papier recyclé. Les différences de qualité
constatées au niveau des papiers recyclés ont cependant poussé les PUB à se tourner vers un papier de meilleure
qualité et surtout porteur du label FSC.
Sensibles aux objectifs du FSC et soucieuses d’adopter une démarche responsable, les PUB se sont conformé aux
exigences du FSC et ont obtenu en avril 2010 la certification FSC (n° de certificat COC spécifique aux PUB : SCS-
COC-005219-HA
Seule l’obtention de ce certificat autorise les PUB à utiliser le label FSC selon des règles strictes. Fortes de leur
engagement en faveur de la gestion durable des forêts, les PUB souhaitent dorénavant imprimer tous les syllabus
sur du papier certifié FSC. Le label FSC repris sur les syllabus vous en donnera la garantie.

Qu’est-ce que le FSC ? Quelles garanties ?


FSC signifie “Forest Stewardship Council” ou Le système FSC repose également sur la traçabilité du
“Conseil de bonne gestion forestière”. Il s’agit d’une produit depuis la forêt certifiée dont il est issu jusqu’au
organisation internationale, non gouvernementale, consommateur final. Cette traçabilité est assurée
à but non lucratif qui a pour mission de promouvoir par le contrôle de chaque maillon de la chaîne de
dans le monde une gestion responsable et durable commercialisation/transformation du produit (Chaîne
des forêts. de Contrôle : Chain of Custody – COC). Dans le cas du
Se basant sur dix principes et critères généraux, papier et afin de garantir cette traçabilité, aussi bien le
le FSC veille à travers la certification des forêts au producteur de pâte à papier que le fabricant de papier,
respect des exigences sociales, écologiques et le grossiste et l’imprimeur doivent être contrôlés.
économiques très poussées sur le plan de la gestion Ces contrôles sont effectués par des organismes de
forestière. certification indépendants.

Les 10 principes et critères du FSC 6. Les fonctions écologiques et la diversité biologique de la


forêt doivent être protégées.
1. L’aménagement forestier doit respecter les lois nationales, 7. Un plan d’aménagement doit être écrit et mis en œuvre.
les traités internationaux et les principes et critères du FSC. Il doit clairement indiquer les objectifs poursuivis et les
2. La sécurité foncière et les droits d’usage à long terme sur moyens d’y parvenir.
les terres et les ressources forestières doivent être claire- 8. Un suivi doit être effectué afin d’évaluer les impacts de la
ment définis, documentés et légalement établis. gestion forestière.
3. Les droits légaux et coutumiers des peuples indigènes à la 9. Les forêts à haute valeur pour la conservation doivent être
propriété, à l’usage et à la gestion de leurs territoires et de maintenues (par ex : les forêts dont la richesse biologique
leurs ressources doivent être reconnus et respectés. est exceptionnelle ou qui présentent un intérêt culturel ou
4. La gestion forestière doit maintenir ou améliorer le bien- religieux important). La gestion de ces forêts doit toujours
être social et économique à long terme des travailleurs fo- être fondée sur un principe de précaution.
restiers et des communautés locales. 10. Les plantations doivent compléter les forêts naturelles,
5. La gestion forestière doit encourager l’utilisation efficace mais ne peuvent pas les remplacer. Elles doivent réduire
des multiples produits et services de la forêt pour en ga- la pression exercée sur les forêts naturelles et promouvoir
rantir la viabilité économique ainsi qu’une large variété de leur restauration et leur conservation. Les principes de 1 à
prestations environnementales et sociales. 9 s’appliquent également aux plantations.

Le label FSC apposé sur des produits


en papier ou en bois apporte la garan-
tie que ceux-ci proviennent de forêts
gérées selon les principes et critères
FSC.
® FSC A.C. FSC-SECR-0045

FSC, le label du bois et du papier responsable

Plus d’informations ?
www.fsc.be
A la recherche de produits FSC ?
www.jecherchedufsc.be

Cette page d’information n’est pas comptée dans le prix du syllabus.


NOTES

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