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interprétatif et non-herméneutique
Nous publions ci-joint la présentation doctorale de l'Islamologue Al Ajami
Moreno. Cette dernière porte sur l'analyse littérale des termes dîn et islâm
dans le Coran.
Cette démarche critique concerne en premier lieu les ressources lexicales, les
sources interprétatives et l’intertextualité : corpus exégétique, corpus juridico-
canonique, corpus hadistique, corpus biblique, corpus islamologique, corpus
traductionnel. S’y ajoute les sources historiques : circonstances de révélation,
hagiographies, histoire musulmane et non-musulmane. Cet examen serré a mis en
évidence les biais propres à ces matériaux et leur responsabilité directe majeure sur
les circularités herméneutiques interprétatives qui tiennent lieu de compréhension
du texte coranique. Notre méthodologie ne fait donc pas recours à l’intertextualité
et, à l’opposé, elle est strictement intra-coranique, intratextuelle. Elle diffère donc
tout autant des approches exégétiques musulmanes classiques que des « Nouvelles
approches du Coran » développées par l’islamologie.
Nantis de ces outils théoriques et pratiques nous avons appliqué notre méthodologie
d’analyse littérale aux termes-clefs dîn et islâm. Autrement dit, quels sens littéraux
peut-on déterminer pour ces deux concepts qui, de toute évidence, ne sont compris
qu’en fonction de la grille de lecture fournie par l’Islam ? Précisons qu’en fonction
de la démarche intratextuelle propre à l’analyse littérale, la détermination de ces
sens littéraux, outre les versets occurrents pour ces deux termes, a mobilisé 820
versets impliqués en cette démarche croisée.
• Dans un premier temps ont été analysées les 92 occurrences coraniques du terme
dîn, soit 79 versets, nous citerons les faits principaux suivants :
- Fait important, dès lors qu’on ne lit pas ce terme selon la grille de lecture de
l’Islam, mais selon une approche analytique littérale, nous n’avons pas identifié de
versets où dîn pourrait prendre le sens de religion.
- Tout aussi notable, nous avons constaté que le choix lexical coranique était
directement lié aux contextes et, qu’à un même contexte, correspondait une même
signification. Cette observation confirme rétrospectivement l’importance de
l’analyse contextuelle. Pour le terme dîn, nous avons relevé 10 contextes différents
: théologico-dogmatique ; eschatologique ; théologico-religieux ; politico-religieux
; théologique et politique ; théologico-spirituel ; politico-militaire ; évènement
circonstancié ; théologie ontologique ; pragmatique. Or, plus de la moitié des
occurrences de dîn s’exprime en trois contextes, dans l’ordre d’importance :
contexte théologico-dogmatique (dîn/foi, 29 occurrences) ; contexte eschatologique
(dîn/Rétribution, 19 occurrences) ; contexte théologico-religieux (dîn/voie, 15
occurrences). L’on note que les significations majoritaires traduisent un
détournement sémantique et conceptuel du terme dîn – qui pour les Arabes était
principalement représenté par la notion de dîn al–‘arab, voie culturelle et cultuelle
des Arabes – vers le concept de foi monothéiste, ce qui cerne avec précision les
intentions coraniques en matière de dîn.
- Ces observations indiquent que le Coran n’emploie donc pas le terme-clef dîn
pour traiter ou même définir une nouvelle religion, mais pour qualifier et définir la
nouvelle foi/dîn portée par le message coranique. Logiquement donc d’un point de
vue littéral, mais contrairement à l’affirmation courante en islamologie, nous
n’avons pas noté d’évolution diachronique significative de l’emploi du terme dîn
dans le Coran en fonction des périodes dites mecquoise et médinoise.
- Au final, l’on déduit de ces faits littéraux que le Coran n’avait pas pour fonction
principale de définir une nouvelle religion, mais bien une nouvelle foi, foi/dîn
monothéiste dont la nature et le contenu sont didactiquement explicités en
opposition au polythéisme arabe ambiant. Ce n’est donc que postérieurement au
Coran que la construction de l’Islam a conféré au terme dîn le sens de religion.
• Dans un deuxième temps, les 8 occurrences coraniques du terme islâm ont été
analysées, soit 8 versets seulement. Notons que si l’on suppose un lien direct et fort
entre Coran et Islam, cette rareté terminologique interpelle. En réalité, la force de
ce lien ne résulte que de l’efficacité des boucles herméneutiques mises en place, car
l’analyse littérale a mis en évidence les faits littéraux suivants :
- Nous n’avons trouvé que deux lignes de sens littéral coranique pour islâm :
abandon plénier de soi à Dieu (ou remise de soi à Dieu) et reddition, sujétion. Par
ailleurs, aucun argument étymologique ou sémantique ne permet d’affirmer
qu’islâm en tant que substantif de la forme verbale IV aslama signifie paix ou
soumission contrairement aux idées reçues ou plaidées.
- Le terme islâm dans le Coran ne qualifie pas la religion éponyme, mais la Voie
spirituelle proposée par le Coran. De fait, le sens d’abandon de soi à Dieu/al–islâm
est un néologisme coranique, affirmation démontrable par le Coran lui-même et en
6 versets le terme islâm s’inscrit bien en un contexte théologico-spirituel. L’étude
contextuelle montre que le concept coranique islâm indique la modalité de la Voie
de réalisation spirituelle. Cette démarche est purement intérieure et d’ordre
ésotérique, elle est sans liens orthopraxiques établis. Le terme islâm n’a donc pas
de dimension religieuse, mais une portée pleinement spirituelle.
- Tout comme pour l’emploi du terme dîn, nous n’avons pas constaté d’évolution
diachronique du terme islâm dans le Coran. Il revêt sa totale portée spirituelle
première dès la fin de la période mecquoise.
- Comme nous allons l’expliciter infra, l’’ensemble des données relatives au sens
littéral du terme-clef islâm décrit le concept coranique d’islam-relation (à Dieu) que
l’on peut opposer au concept islamique d’islam-religion (l’Islam).
- Notre recherche sur l’emploi des termes dîn et islâm par le Coran lu à la lumière
des lignes de fractures qui se dégagent de la comparaison entre propos coranique et
propos de l’Islam a permis de distinguer deux concepts radicalement différents,
l’un est coranique, l’autre islamique. Le premier compose l’islam-relation : le
Coran à partir des sens de foi, voie, Voie, qu’il confère à l’ancien terme arabe dîn et
de la notion d’entier abandon de soi à Dieu/al-islâm formalise la réalisation
spirituelle en Dieu. Cette Voie est entièrement fondée sur la foi monothéiste, elle
constitue le cœur mystique du message coranique. Le second, l’islam-religion,
résulte de l’histoire post-coranique qui a investi différemment la terminologie du
Coran en construisant la notion de dîn/religion et en réduisant le terme islâm à un
simple dénominatif de ladite religion : l’Islam. Nous avons par ailleurs en notre
thèse exploré les raisons terminologiques ayant justifié le choix sémantique et
technique de ce détournement herméneutique.
– Si le Coran ne traite pas d’une nouvelle religion, mais d’une nouvelle foi, il est
attendu qu’il n’établisse pas de « Loi ». Ainsi, l’analyse de l’occurrence en S9.V29
a montré que la notion de jizya comprise comme impôt de capitation est une
construction exégétique et que le sens littéral coranique en est tribut de capitulation,
propos sans aucun rapport avec le statut des dhimmis, concept politique post-
coranique donc. De même, en S24.V2, la « Loi divine/dînu–llâh » censée traiter des
cas d’adultère s’est révélé seulement être une sentence de Dieu rendue au sujet
d’un cas particulier et ne faisant pas loi. Pareillement, il appert que le segment-clef
de S5.V3 ne signifie pas « ce jour, J’ai parachevé votre religion/dîna-kum », mais a
pour sens littéral : « ce jour, J’ai parfait votre rituel/dîna-kum », le rituel en
question ayant uniquement trait au Pèlerinage.
Conclusion
La mise en évidence de l’existence d’un sens littéral non interprétatif et non-
herméneutique n’est en rien une anti-herméneutique, mais représente une avancée
théorique et pratique au sein de l’Herméneutique. D’un point de vue islamologique
et exégétique, l’Analyse littérale que nous avons pratiquée s’est avérée un outil
efficace de contournement des nombreuses boucles herméneutiques à l’œuvre dans
l’ensemble des études coraniques. Pragmatiquement, cette méthodologie permet de
désigner les interprétations et de les déconstruire, ainsi que d’envisager le texte
coranique selon une approche originale pleinement intratextuelle, il est ainsi
possible de comprendre le Coran par le Coran.
Puisque le sens littéral est hors champ de l’interprétation, les résultats de notre
recherche quant au termes-clefs dîn et islâm différent grandement des
interprétations classiques, mais aussi islamologiques. Globalement, ces résultats
remettent en question le lien entre le Message coranique et l’Islam compris en tant
que religion. Ce faisant, ils mettent en lumière le biais principal des études
coraniques : comprendre le Coran en fonction des paradigmes de l’Islam et non par
le Coran lui-même et idem pour les démarches islamologiques qui sont en réalité
toutes aussi dépendantes des paradigmes islamiques. Il en est de même pour les
emprunts et apports extra-islamiques mis en jeu par l’islamologie alors qu’ils sont
très incertains et à haute valeur interprétative. La détermination du sens littéral
permet aussi d’expliquer les difficultés de compréhension du texte coranique
lorsqu’elles résultent de différences et divergences entre le propos du Coran et les
affirmations de l’Islam. Il est ainsi possible de restaurer la cohérence interne du
texte coranique qui s’avère le plus souvent engendrée par des interprétations
inadéquates voulues par et pour la construction de l’Islam.
Dr Moreno Al Ajamî
(1) En effet, ce que l’on nomme littéralisme n’est en rien une lecture de la lettre, mais un
ensemble d’interprétations superposées au texte coranique. Ce système interprétatif détermine
la compréhension du Coran à partir d’un vaste corpus exégétique extra-coranique de nature
interprétative ; l’on peut y distinguer cinq catégories principales : les hadîths exégétiques
prophétiques et les propos/khabar de Compagnons ; les circonstances de révélations/asbâb an–
nuzul ; l’hagiographie prophétique/Sîra ; les avis exégétiques/aqwâl d’autorités anciennes ; les
isrâ’îlliyyât/sources judéo-chrétiennes. La lettre du Coran dont tant se réclame le littéralisme
est ainsi l’otage herméneutique de l’Islam. Concrètement, la fidélité à la lettre revendiquée par
le littéralisme n’est que fidélité à l’opinion d’interprètes reconnus par l’orthodoxie
musulmane. Ceci explique aussi que le mouvement salafo-wahhabite actuel se revendique du
littéralisme, non pas qu’il soit ainsi conforme ou contraint par le Coran, mais, qu’au contraire,
le littéralisme lui permet par un recours sélectif à ces sources extra-coraniques de justifier plus
aisément , prétendument au nom du Coran, ses propres croyances.