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droits et les juridictions, passablement encombrées, hésitent peut être à se lancer dans de
nouveaux contentieux tant que les plaintes et les besoins ne se font pas pressants.
Il demeure que l’omniprésence du droit pénal a permis de policer les pratiques,
parfois de façon un peu inattendue. La société se contractualise, la loi s’élaborant de plus en
plus fréquemment autour d’un consensus5. L’individualisme crée le désir chez chacun de fixer
sa propre norme ou de se voir appliquer une norme particulière, en parfaite harmonie avec ses
besoins et ses aspirations. Par ailleurs, il n’est plus question pour quiconque de subir les
conséquences des activités, voire de la cupidité des autres ; les personnes faibles s’organisent
et les actions de groupes (de consommateurs, de syndicats, …) sont désormais possibles. Il
devient indispensable et urgent, pour tout professionnel, de connaître parfaitement la
réglementation en cours ; faire savoir à ses clients qu’il porte la plus grande attention à leur
droit devient même un argument publicitaire. L’ensemble de ces facteurs contribue à
l’émergence de conventions, chartes, codes, élaborés par des secteurs professionnels de plus
en plus nombreux et garantissant la « bonne conduite » de chacun des adhérents : ceux-ci
s’engagent à respecter la loi dont les dispositions sont fréquemment rappelées dans ces
conventions, ainsi que des stipulations particulières que le corps professionnel a jugé bon
d’édicter.
Le juge pénal peut connaître de nombreuses inexécutions contractuelles qui
font l’objet plus ou moins directement d’incriminations pénales (section 1). Certaines
inexécutions de conventions non incriminées peuvent-elles intéresser le juge pénal ? En effet,
il convient de se demander si les juridictions répressives ont la possibilité de sanctionner
l’inexécution des conventions d’autodiscipline qui, pour la plupart, contiennent de
nombreuses dispositions rappelant ou complétant le droit pénal des conventions (section 2).
5 Voir supra n° 1.
97. Dans certaines conditions, l’activité du juge pénal vient sanctionner une
inexécution contractuelle. Quelles sont les exigences communes du juge pénal et du juge
civil ? Plusieurs points de convergence entre inexécution contractuelle et droit pénal sont
envisageables : on peut penser qu’une sanction pénale serait utile lorsque l’inexécution de la
convention trouble l’ordre public ou bien lorsque c’est une obligation de résultat qui est
inexécutée. L’intervention du juge pénal est-elle recommandée lorsque la défaillance du
contractant intéresse l’ordre public ? Ce critère semble peu éclairant puisque le juge civil est
lui-même chargé de la protection de l’ordre public. Il est vrai cependant qu’une sanction
pénale de la force obligatoire des conventions avait été envisagée dès l’antiquité6. « La
violation du contrat apparaissant comme le non-respect d’un devoir moral, susceptible de
troubler l’ordre social, les conditions de l’intervention du droit pénal semblent réunies »7.
Violation d’un devoir moral, en effet, puisque la confiance du créancier est déçue ; trouble de
l’ordre social puisque l’inexécution déjoue les prévisions économiques et crée une forme
d’insécurité juridique. Mais il n’existe pas de sanction pénale de la violation de l’article 1134
du Code civil qui édicte la force obligatoire des conventions8. Le principe contemporain de
légalité criminelle interdirait une incrimination aussi large9.
L’intervention du juge pénal est-elle fonction du type d’obligation contractuelle
inexécutée ? L’intensité de l’obligation, que les auteurs ont pu qualifier de « moyens » ou de
« résultat », ne semble pas avoir d’influence sur le rôle du juge pénal10. Si une incrimination
sanctionne une inexécution contractuelle, celle-ci pourra être de résultat (restituer un objet
préalablement confié pour l’abus de confiance) ou de moyens (l’omission de porter secours est
utilisée en matière médicale où la convention est réputée, en matière civile, ne comporter pour
l’essentiel que des obligations de moyens). L’inexécution de l’obligation contractuelle, quelle
que soit son intensité, devra toujours être démontrée dans l’éventualité où cette inexécution
constitue le résultat pénal de l’infraction ou l’un de ses éléments matériels. Il en est de même
en matière civile : comme en droit pénal, la démonstration de l’inexécution devra toujours être
rapportée devant le juge civil, puisqu’elle constitue le dommage. La distinction entre
obligation de moyens et de résultat ne joue qu’en droit civil, lorsque l’inexécution est traitée
par le système de la responsabilité contractuelle ; elle module les exigences de preuve : la
recherche d’un fait générateur de cette inexécution, intervenu dans la sphère d’autorité du
contractant défaillant, est obligatoire si l’obligation transgressée est de moyens, alors que si
l’obligation est de résultat, la seule inexécution suffit pour la mise en œuvre du régime de
6 Deprez, Rapport sur les sanctions qui s’attachent à l’inexécution des obligations contractuelles en droit civil
et commercial français, Travaux de l’association Capitant, T. XVII, 1964, p. 31.
7 M. Muller, L’inexécution pénalement répréhensible du contrat, thèse Paris II, 1977, n° 1.
8 M. Muller, préc., n° 1.
9 M. Ancel, L’inexécution des contrats et le droit pénal, rapport général, Travaux de l’association Capitant, T.
XVII, 1964, p. 294.
10 Contra : M. Muller, préc., n° 12 et s.
réparation. Pour le juge pénal, cette distinction civiliste des obligations contractuelles ne
connaît pas d’écho. Les exigences de preuve ne sont pas dictées par l’intensité de l’obligation
mais par le nombre d’éléments définissant l’infraction.
Ces critères de l’atteinte à l’ordre public ou de l’ampleur de l’obligation
inexécutée sont inopérants. Comme en matière de formation de la convention, la juridiction
pénale peut intervenir dans le domaine de l’inexécution contractuelle si des textes
d’incriminations sanctionnent ces exécutions défectueuses11. Cette évidence ne suffit pas à
cerner avec précision le champ d’action du juge répressif. L’étude attentive des points de
rencontre du droit contractuel et du droit pénal montre que la notion de fait générateur,
d’influence croissante dans le droit civil de l’inexécution, est aussi la clé indispensable pour
décrire le champ d’action de la juridiction pénale.
punissables d’emprisonnement »17. Le législateur, débordé par les sollicitations, pare au plus
pressé, résolvant les problèmes au cas par cas. Désireux de garantir les dispositions nouvelles
de la meilleure efficacité, il choisirait la sanction pénale à cette fin18 : les textes sont de type
réglementaires et interventionniste19 ; ces incriminations ne seraient pas de vraies règles de
droit pénal, porteuses d’un projet et de morale20. Si le droit pénal conserve une certaine
efficacité dans ses secteurs traditionnels, où la norme pénale a une véritable fin de
moralisation, il n’en a guère lorsque cette norme est ravalée au rang de technique, où elle est
seulement « le moyen de rendre effectif des ensembles normatifs autonomes »21.
Il convient de nuancer ces observations pessimistes en rappelant la progression
régulière et constante du nombre de condamnations pour infraction aux règles économiques et
financières. Ceci signifie peut-être que ces infractions suscitent peu à peu une moindre
indulgence : le caractère particulièrement grave de ces comportements apparaît et la
juridiction pénale se voit progressivement dotée de moyens pour les sanctionner. Le
législateur compte de plus en plus sur l’activité des juridictions répressives pour modifier les
comportements dans le monde des affaires. Ces secteurs de délinquance sont apparus
relativement récemment et les sanctions civiles ou commerciales paraissent peu dissuasives.
C’est en cela que le principe de nécessité de la loi pénale peut être considéré comme respecté
par le législateur qui impose de lourdes sanctions pour des comportements que l’on veut tenter
d’éradiquer à l’aide de menaces impressionnantes22, non seulement parce que le joug d’une
sanction pénale donne de la publicité à la mesure légale, mais aussi parce que ces normes
correspondent bel et bien à un besoin de moralisation de la vie contractuelle23.
Après avoir défini quels peuvent être les points de rencontre du droit
contractuel et du droit pénal, dans le but de sérier théoriquement le domaine d’action de la
juridiction pénale, (paragraphe 1) il convient d’en préciser les principales incriminations,
quelles obligations elles ajoutent aux conventions et d’en vérifier l’effectivité (paragraphe 2).
17 M. Delmas-Marty, Le flou du droit, PUF 1986, p. 33. Voir aussi les références citées supra n° 17, p. 37 : M.
Delmas-Marty, Les conditions de rationalité d’une dépénalisation partielle du droit pénal de l’entreprise,
in Bilan et perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989, p. 89. J. Deveze, De la diversité des
sources du droit pénal de l’entreprise, même ouvrage, p. 15.
18 M. Delmas-Marty, le flou du droit, préc., p. 44. B. Vatier, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?,
Petites affiches 1997, n° 12, p. 4 ; P. Devedjian, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, même revue, p. 7.
19 Sur la confusion entre le droit et l’Etat et l’Etat-providence en matière juridique, voir L. Cadiet, Le spectre de
la société contentieuse, in Mélanges Cornu, PUF 1994, p. 36.
20 Voir supra n° 20.
21 M. Delmas-Marty, préc., p. 174. Dans le même sens, notamment, M.-T. Calais-Auloy, La dépénalisation en
droit des affaires, D. 1988, Chron. p. 315. G. Stéfani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, préc., n°
7. R. Merle, A. Vitu, Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 8. A. Roger, Ethique des affaires et
droit pénal, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 261. A. Garapon, D. Salas, La République pénalisée, Hachette,
1996, p. 96. J.-F. Verny, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, Petites affiches 1997, n° 12, p. 16.
22 Contra : B. Bouloc, La liberté et le droit pénal, Revue des sociétés 1989, p. 391 et s.
23 Voir supra n° 18 et 20.
autres de traiter l’inexécution contractuelle ; le choix du juge civil est vaste : exception
d’inexécution, résolution, exécution forcée, etc. Cependant, c’est seulement, lorsqu’il choisit
d’appliquer la responsabilité contractuelle que le juge civil examine véritablement l’origine et
la nature de l’inexécution25. Or c’est sur l’inexécution elle-même, ainsi que sur l’événement
qui l’a provoquée, qu’il est possible de caractériser avec précision le champ d’action du juge
pénal par comparaison avec celui du juge civil. L’origine de l’inexécution peut toujours être
caractérisée de la même manière que l’on caractérise les « faits générateurs ». Pour que le
recours à une sanction pénale puisse être envisagé, il faut que l’origine de l’inexécution,
normalement traitée par le juge civil, recouvre les composantes matérielles et morales d’une
infraction.
Certaines incriminations envisagent directement une inexécution contractuelle,
sans qu’il soit nécessaire d’en déterminer l’origine. Conformément au principe de légalité
criminelle, l’élément matériel devrait être décrit précisément par le texte. Si l’inexécution de
la convention fait l’objet d’une infraction, le juge pénal devrait exiger la preuve de l’acte
illicite à l’origine de l’inexécution. Pourtant, les textes contemporains accusent quelques
faiblesses pour la formule « par quelque moyen que ce soit ... ». Il arrivera donc que cet acte
illicite à l’origine de l’inexécution fasse partie de ces « moyens quelconques ». C’est le cas,
par exemple, dans l’infraction de tromperie. L’article L. 213-1 du Code de la consommation26
dispose : « Quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le
contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit,... ». Une tromperie lors de la livraison
constitue bien une inexécution contractuelle qu’a voulu éviter le législateur, mais la preuve de
l’acte illicite précis à l’origine de cette inexécution est superflue. En général, la preuve de
cette origine ne sera exigée que si elle est détaillée parmi les éléments matériels de
l’infraction.
101. Le fait que les juridictions répressives soient amenées, quoi qu’il en
soit, à examiner l’inexécution contractuelle et ses origines, a peut-être contribué à l’émergence
de la notion de fait générateur dans le droit civil des contrats. La recherche attentive de
l’origine de l’inexécution dans le domaine de la responsabilité contractuelle n’a échappé à
personne. Alors que jadis les juges se contentaient de la notion d’inexécution fautive, la faute
étant bien souvent présumée ou relevant de la fiction27, la jurisprudence analyse aujourd’hui
attentivement le fait générateur, admettant que l’inexécution puisse être due au fait d’une
chose ou au fait d’autrui28.
Les autres régimes de traitement civil des inexécutions contractuelles ne
nécessitent pas, en principe, cet examen du fait générateur pour leur mise en œuvre. Certains
semblent pourtant connaître cette même tendance, de façon peut être moins légitime. Par
exemple, la résolution pour inexécution peut être conventionnelle grâce à une clause
résolutoire, ou judiciaire grâce à l’article 1184 du Code civil29. Le juge civil, lorsqu’il procède
à l’examen d’une demande en résolution judiciaire, n’examine pas en principe l’origine de
cette inexécution. Celle-ci peut toujours être la faute, le fait d’une chose ou le fait d’autrui,
intervenu dans la sphère de responsabilité du contractant défaillant, mais le juge ne le
recherche pas, de même que l’indiffère un événement extérieur, dit de force majeure30. Dès
lors, la résolution est encourue par la simple constatation de l’inexécution. Il convient
cependant de nuancer ces propos en signalant un élément, dans l’arrêt rendu par la première
chambre civile de la Cour de cassation le 4 janvier 199531, qui semble indiquer que le juge
civil s’oriente peut être vers une considération qualitative de l’inexécution. En effet, la cour
précise que « les retards de paiement constituaient une inexécution fautive suffisamment
grave pour justifier la résolution du contrat de vente ». La jurisprudence, jusqu’alors, se
contentait d’évaluer la gravité de l’inexécution, en termes quantitatifs, sans en rechercher
l’origine et encore moins, comme ici, l’origine psychologique.
Quoi qu’il en soit, l’origine de l’inexécution en matière pénale peut toujours
être caractérisée de la même manière que l’on détermine, en responsabilité civile, les « faits
générateurs ». Pour que le recours à une sanction pénale puisse être envisagé, il faut que
l’origine de l’inexécution, normalement traitée par le juge civil, recouvre les composantes
matérielles et morales d’une infraction.
29 B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Contrats, préc., n° 1665. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations,
préc., n° 624.
30 Comme l’a établi l’arrêt fondateur de la chambre civile de la Cour de cassation du 14 avril 1891 : « L’article
1184 ne distingue pas entre les causes d’inexécution des conventions et n’admet pas la force majeure comme
faisant obstacle à la résolution pour le cas où l’une des deux parties ne satisfait pas à son engagement ». D.P.
1891, 1, p. 329, note Planiol ; S. 1894, 1, p. 391. Plus récemment, dans le même sens : Cass. 1re civ., 2 juin
1982, GP 1982, 2, pan. 363 ; Bull. civ. I, n° 205 ; RTD civ. 1983, p. 340, obs. Chabas. Cass. 1re civ., 12 mars
1985, Bull. civ. I, n° 94, RTD civ. 1986, p. 345, obs. Mestre.
31 Bull. civ. I. n° 14. Dans le même sens, notamment, Cass. 1re civ., 10 octobre 1995, pourvois n° 94-10. 649 et
n° 93-14. 581. Ces arrêts rejoignent la position d’auteurs classiques qui pensaient que la résolution ne pouvait
intervenir qu’en cas d’inexécution fautive : J. Carbonnier, Les obligations, préc. n° 191 ; G. Marty, P.
Raynaud, Droit civil, les obligations, T. II, Les effets par P. Raynaud et P. Jestaz, Sirey 2ème éd. 1989, n° 329 ;
Mazeaud (H., L., J.), F. Chabas, Leçons de droit civil, T. II, 1er vol., Obligations théorie générale, par F.
Chabas, 8ème éd. 1991, n°1100 . Contra : B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Contrats, préc., n° 1668. F. Terré,
P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 629.
103. Parmi les trois faits générateurs retenus par les juridictions civiles, seule
la faute peut intéresser le juge pénal. Pour que l’inexécution puisse être envisagée par le juge
pénal, elle doit revêtir toutes les composantes de l’infraction, à commencer par une
composante psychologique puisque dans toute infraction, il faut un élément moral. L’article
121-3 du nouveau Code pénal dispose à cet égard : « Il n’y a point de crime ou de délit sans
intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas d’imprudence,
de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d’autrui »32. Or, en matière
contractuelle, l’inexécution peut être due à une chose ou à un préposé du débiteur : « La faute
n’est qu’un cas particulier d’exécution défectueuse du contrat, cas à côté duquel il faudrait
faire place ... à la défaillance des choses utilisées »33 et ajoutons : au fait illicite de la
personne que l’on s’est substituée pour l’exécution. La jurisprudence civile admet aujourd’hui
explicitement divers faits générateurs en matière de responsabilité contractuelle34 : la faute,
bien sûr, mais aussi le fait d’autrui35 et, depuis peu, le fait des choses. En effet, l’arrêt de la
première chambre civile de la Cour de cassation du 17 janvier 199536 précise : un
établissement d’enseignement est responsable contractuellement des dommages qui sont
causés aux élèves, « non seulement par sa faute, mais encore par le fait des choses qu’il met
en œuvre pour l’exécution de son obligation contractuelle ».
104. A priori, seule l’inexécution contractuelle due à une faute pourra être
éventuellement considérée par le juge pénal. On a pu parler d’admission jurisprudentielle de la
responsabilité pénale du fait d’autrui37. L’hypothèse la plus courante est la suivante : un
membre du personnel d’une entreprise viole des prescriptions légales pénalement sanctionnées
en matière de droit du travail, de droit des sociétés, de droit fiscal, ... à l’occasion de son
activité dans l’entreprise. Le commettant peut-il être déclaré personnellement et pénalement
32 Cette nouvelle disposition élimine d’ailleurs tout risque d’imprécision quant à l’élément moral de l’infraction,
et donc, toute entorse au principe de légalité criminelle, comme on pouvait en rencontrer par le passé. Il arrivait,
en effet, que le législateur incrimine un comportement, sans préciser si la sanction était possible quand
l’infraction résultait d’une simple imprudence : ainsi, l’article 44 de la loi du 27 décembre 1973 sur la publicité
mensongère ne disait pas si l’inexécution devait avoir été intentionnelle ou pas.
33 N. Dejean de la Bâtie, JCP 1968, II, 15698, in fine.
34 G. Viney, Introduction à la responsabilité civile, LGDJ 1995, 2ème éd., n° 169 et s. F. Terré, P. Simler, Y.
Lequette, Les obligations, préc., n° 557.
35 Cass. 1re civ., 18 janvier 1989, Bull. civ. I, n° 32, RTD civ. 1989, p. 330, obs. P. Jourdain ; 4 juin 1991, JCP
1991, II, 21730, note J. Savatier : la cour relève que le contrat médical a été conclu entre le patient et une
fondation, et que le médecin en cause était salarié de la fondation. C’est donc la fondation qui doit réparer
contractuellement les dommages subis par le patient du fait du médecin salarié ; plus récemment, Cass. com. 7
juin 1994, Bull. civ. IV, n° 205 ; D 1994, IR, 184, dans le domaine banquaire. La jurisprudence ne passe plus,
comme elle a pu le faire dans des arrêts tels que celui du 18 juillet 1983 (Bull. civ. I, n° 209, p. 186), par une
pseudo défaillance du cocontractant de la victime : ici, la responsabilité du chirurgien était engagée,
implicitement pour le fait anormal de l’anesthésiste, mais explicitement parce que le chirurgien était tenu de faire
bénéficier la patiente de soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science.
36 Cass. 1re civ., 17 janvier 1995, D. 1995, p. 350 note Jourdain ; JCP 1995, I, 3853, n° 14, obs. G. Viney ; H.
Groutel, Obligation de sécurité et fait des choses, Responsabilité civile et assurance, 1995, n° 16 ; JCP 1996, I,
3944, Chron. Viney n° 6 ; RTD civ. 1995, p. 634, obs. P. Jourdain.
37 Voir notamment M. Delmas-Marty, Le flou du droit, PUF 1986, p. 54 et s.
responsable de ce fait commis par autrui ? Une réponse positive, comme en donnaient
jusqu’alors les juges, semble peu conforme à l’article 121-1 du nouveau Code pénal qui pose
le principe général suivant : « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». Ce
principe était jusqu’alors affirmé, non par le Code pénal, mais par la jurisprudence elle-
même38. On en retrouve les racines dans l’ancien droit lorsque Loysel affirmait : « En crime, il
n’y a point de garants ». Cependant, le législateur a admis la responsabilité pénale du fait
d’autrui : ainsi, l’article 25 de la loi du 15 juillet 1975 incrimine les entrepreneurs qui ont
sciemment laissé méconnaître les dispositions légales, par toute personne relevant de leur
autorité ; en matière de publicité mensongère, l’annonceur pour le compte duquel on fait la
publicité, est responsable à titre principal de l’infraction commise (article 40 de la loi du 27
décembre 1973). Hors ces cas prévus par la loi, la jurisprudence a montré ses faveurs pour la
responsabilité pénale du fait d’autrui en refusant par principe aux dirigeants d’invoquer une
délégation de pouvoir : celle-ci était exclue, presque systématiquement ; elle n’était admise
que très rarement, pour certaines infractions, si le chef d’entreprise démontrait qu’il avait été
mis dans l’impossibilité de connaître les agissements coupables de ses préposés, par ailleurs
pourvus de compétence et d’autorité39.
Les arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 11 mars 1993
ont marqué une nette évolution40, ouvrant largement les portes de la délégation de pouvoir,
qui devient admissible par principe, quelle que soit l’infraction : « Sauf si la loi en dispose
autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de
l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a
délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens
nécessaires ». La responsabilité pénale du fait d’autrui voit son domaine diminuer
considérablement. Déjà inadmissible avant le nouveau Code pénal, elle le devient d’autant
plus sous l’égide de l’article 121-1, accompagné de l’article 121-3 qui exige un élément
moral, une intention ou une imprudence (donc une faute) pour toute infraction. Les motifs du
projet de nouveau Code pénal, déposé en 1986, montraient que, si les parlementaires
38 Cass. crim., 16 décembre 1948, Bull. crim. n° 291. R. Merle, A. Vitu, Problèmes généraux de la science
criminelle, préc., n° 489. G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, préc., n° 345.
39 Pour des décisions refusant par principe les délégations de pouvoir : Cass. crim., 13 janvier 1981, Bull. crim.
n° 18 (fraudes commerciales) ; Cass. crim., 22 janvier 1990, Bull. crim. n° 38 (infraction en matière fiscale) ;
Cass. crim., 19 décembre 1977, Bull. crim. n° 402 et 17 juillet 1990, Bull. crim. n° 287 (infractions
économiques). Décisions admettant par exception, souvent grâce à une autorisation des textes, la preuve d’une
délégation à un préposé « investi de la compétence et pourvu de l’autorité nécessaire » et d’une impossibilité
totale de connaître les méfaits de ce préposé : Cass. crim., 12 janvier 1988, Bull. crim. n° 15 (droit du travail,
hygiène et sécurité) ; Cass. crim. 2 février 1982, Bull. crim. n° 36 (publicité fausse) ; Cass. crim., 20 octobre
1986, Revue des sociétés 1987, p. 48, note B. Bouloc (droit des sociétés). L’arrêt Cass. crim., 29 janvier 1985,
JCP 1985, II, 20491, rattache la faute à la seule qualité de chef d’entreprise, pourtant dans le cadre de
l’application de l’article L. 263-2 du Code du travail, prévoyant la possible responsabilité d’un préposé : la
présomption de responsabilité du fait d’autrui prend ici un tour irréfragable. Voir J. Larguier, P. Conte, Droit
pénal des affaires, préc., n° 38 ; D. Bayet, La responsabilité pénale du chef d’entreprise à l’issue des arrêts de
plénière de la chambre criminelle, GP 20 juillet 1993, 2, doctrine p. 923. G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc,
préc., n° 355. A. Supiot, Le juge et le droit du travail, thèse Bordeaux I, 1979, p. 623 et s.
40 Cass. crim., 11 mars 1993, Bull. crim. n° 112 (cinq arrêts), Bull. Joly 1993, p. 666, note M.-E. Cartier ; Rev.
sc. crim ; 1994, p. 101, obs. Bouloc ; GP 20 juillet 1993, 2, doctrine p. 923, D. Bayet. Confirmation : Cass.
crim., 3 mai 1995, Bull. crim. n° 162 (infractions économiques).
n’entendaient pas revenir sur la responsabilité pénale du fait d’autrui retenue par la
jurisprudence, ils voulaient tout au moins dans ce Code, empêcher que cette présomption ne
devienne irréfragable41.
La présomption de responsabilité demeure, sans doute parce qu’on ne peut
réduire cette responsabilité pénale du dirigeant à une simple responsabilité du fait d’autrui : si
le dirigeant ne parvient pas à démontrer qu’un préposé détenait le pouvoir et les compétences
nécessaires pour remplir les obligations, il est nécessairement fautif. C’est donc une
responsabilité pour faute préalable du commettant qui est alors sanctionnée. « L’entrepreneur
est le principal responsable puisque sans sa négligence son préposé se serait conformé aux
prescriptions textuelles »42. Les lois qui permettent ce type de responsabilité « du fait
d’autrui » autorisent d’ailleurs le dirigeant à prouver son absence de faute43. Il demeure que,
s’il est possible de reprocher moralement l’infraction au dirigeant, les faits matériels sont
accomplis par autrui et « prêtés » ensuite au dirigeant, car sa faute est la cause de l’élément
matériel44.
105. En droit pénal, contrairement au droit civil, un pur fait matériel anormal
ou un fait illicite d’autrui, intervenus dans la sphère d’autorité du contractant défaillant, ne
suffisent pas : il leur manque une composante morale. Le droit pénal pourra envisager la
responsabilité pour faute personnelle ou pour fait d’autrui, si cette dernière est fondée sur une
faute personnelle du commettant. La faute personnelle est donc le seul fait générateur
d’inexécution, éventuellement pris en compte dans une incrimination. Mais elle demeure
insuffisante, admise dans son strict sens civiliste, puisqu’elle est alors privée de sa
composante d’imputabilité45. Elle ne pourra être traitée par le juge pénal après quelques
« compléments ».
106. La faute personnelle civile est conçue dans son seul élément objectif et
matériel : le fait illicite, à l’exclusion de toute considération pour l’élément subjectif, moral46,
41 F. Desportes, F. Le Gunehec, Présentation des dispositions du nouveau Code pénal, JCP 1992, I, 3615, n°
31.
42 W. Jeandidier, Droit pénal général, Montchrestien 1991, n° 307. Dans le même sens, J. Larguier, P.
Conte, préc. n° 38 ; G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 359.
43 Par exemple, l’article L. 263-2 du code du travail, traitant des infractions à la réglementation sur l’hygiène et
la sécurité des travailleurs.
44 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, préc., n° 366.
45 L’élément d’imputabilité est désormais rejeté par le droit civil positif, dans un mouvement amorcé dès les
années soixante. Les arrêts suivants suppriment la notion d’imputabilité dans la garde pour l’adulte inconscient et
l’enfant : Cass. 2e civ., 18 décembre 1964 (Trichard), D. 1965, p. 191, et Cass. ass. plén., 9 mai 1984 (Gabillet),
JCP 1984, II, 20255, note Dejean de la Bâtie, D. 1984, p. 525, concl. Cabannes, note F. Chabas. L’article 489-
2 du Code civil (datant de 1968), et Cass. ass. plén. 9 mai 1984 (Lemaire et Derguini), références préc.,
suppriment l’imputabilité dans la faute. L’arrêt Cass. 2e civ., 7 juin 1989, D 1989, p. 559, confirme et généralise
cette dernière position, en précisant que la faute traitée par la loi de 1985 sur l’indemnisation des victimes
d’accidents de la circulation, est une faute civile ce qui implique que la composante d’imputabilité ne doit pas
être prise en compte.
46 Contra : F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 691.
a - La culpabilité.
seule la faute intentionnelle pouvant toujours être prise en compte. Rappelons que le délit
commis par imprudence ne peut entraîner une condamnation que si le texte d’incrimination a
prévu cette possibilité54. Le juge a tenté parfois d’assimiler une imprudence très grossière à
une intention et a prononcé une culpabilité même si le texte d’incrimination ne l’avait pas
prévue. C’est le cas en matière de dol indéterminé comme de dol éventuel55. Il y aura ainsi dol
éventuel lorsqu’un dirigeant de droit d’une société laisse toute latitude à un dirigeant de fait
qui commet des malversations. Il y aura dol indéterminé si une personne gifle une autre et
provoque le décès de cette dernière qui est cardiaque56. Ces cas d’imprudence devraient
empêcher le juge de prononcer la culpabilité en vertu du principe « nullum crimen sine lege »,
si la faute par imprudence n’est pas prévue par le texte d’incrimination. Mais la juridiction
pénale ne respecte pas toujours cette règle et prononce des sanctions dans le silence des
textes57.
Une telle gradation des fautes existe aussi en droit civil. La notion de faute
contient le comportement personnel anormal comme seul élément l’illicéité. Mais en plus de
cette notion de faute, le juge civil utilise la gradation des fautes lorsqu’il applique le régime
contractuel : la faute peut être légère (imprudence), lourde (négligence grave), ou dolosive
(conscience de nuire au cocontractant)58. De cette gradation des fautes dépend l’étendue de la
réparation devant le juge civil : l’article 1150 (qui limite la réparation aux dommages
prévisibles) et les clauses limitatives de responsabilité sont écartées si la faute occasionnant
l’inexécution est dolosive ou inexcusable59. En matière d’accident du travail, la réparation ne
dépasse certains plafonds que lorsque la faute est inexcusable60.
108. Alors que la gradation des fautes n’est pas évoquée systématiquement
en responsabilité contractuelle, une preuve de l’existence de l’intention ou d’une imprudence
doit toujours être rapportée devant la juridiction pénale. Cependant, les infractions dites
« matérielles », dont on a dit qu’elles étaient constituées dès que le résultat matériel est
constaté, sont-elles toujours d’actualité ? De nombreux textes imposent des obligations
légales supplémentaires dans certaines conventions, par exemple en matière d’environnement,
d’urbanisme, de droit du travail ou de droit des sociétés. Leur violation est constitutive
d’infraction de type disciplinaire, que la doctrine qualifie de « matérielle » car souvent, ces
textes ne donnent aucune précision concernant l’élément moral ; la sanction semble encourue
dès que le résultat matériel de l’infraction est atteint, même sans intention délictueuse61. Or,
54 Article 121-3 du Code pénal, modifié par la loi n° 96-393 du 13 mai 1996.
55 Voir supra n° 37.
56 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 394 et s.
57 Voir les exemples jurisprudentiels cités par P. Conte et P. Maistre du Chambon, préc. n° 394 et s.
58 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 550.
59 En vertu de l’adage « Culpa lata dolo aequiparatur » : la faute lourde équivaut au dol. G. Cornu, Vocabulaire
juridique, PUF 1998, p. 856. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 551 et 599.
60 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, préc., n° 879 et 884.
61 M.-L. Rassat, Droit pénal, PUF 1987, n° 258. R. Merle, A. Vitu, Problèmes généraux de la science
criminelle, préc., n° 555 et s.
selon l’article 121-3 du Code pénal, une infraction ne peut être sanctionnée que si elle a été
commise intentionnellement, à moins que le texte d’incrimination ne précise que
l’imprudence est punissable. Seules les contraventions commises par imprudence peuvent être
sanctionnées sans que le texte ne précise cet élément moral. Ces infractions matérielles,
souvent constitutives de délits, ne devraient être sanctionnées qu’avec la preuve d’une
intention.
Des auteurs se sont demandés si l’article 121-3 transformait alors en délits
intentionnels tous ces types de délits dits « matériels » situés hors Code62. Selon M. Pradel 63,
il faut distinguer les infractions intentionnelles, les infractions par imprudence et les
infractions matérielles. L’article 121-3 supprime effectivement les infractions matérielles et
n’admet plus que les délits intentionnels ou par imprudence si le texte d’incrimination le
précise. L’article 339 de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992 confirme d’ailleurs cette
conception des choses. Il édicte que les délits non intentionnels réprimés par des textes
antérieurs au nouveau Code pénal sont des délits punissables « en cas d’imprudence, de
négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ». La réforme de l’article
121-3 par la loi du 13 mai 1996 renforce encore cette évolution puisque le texte précise que
l’élément moral peut consister en un « manquement à une obligation de prudence et de
sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences
normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses
compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait »64. La précision exigée par
l’article 121-3 a été rajoutée à ces anciens textes et l’élément moral devient nécessairement
l’imprudence ; celle-ci doit être démontrée. Ceci rétablit le respect de la légalité criminelle
quant à l’élément moral et réhabilite le droit français auprès de la Cour européenne des droits
de l’homme de Strasbourg qui avait déclaré, le 7 octobre 1988, à l’occasion de l’arrêt
Salabiaku : « Tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit ... les Etats
contractants (ne doivent cependant pas) dépasser les limites raisonnables prenant en compte
la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense »65. Dès lors, le caractère
« matériel » de ces infractions sous l’empire de l’ancien Code pénal n’existe plus depuis
l’avènement de l’article 121-3. Pour obtenir sanction de ces infractions, l’élément matériel se
prouve par la seule constatation de l’inexécution de l’obligation ; l’élément moral, une
imprudence selon la loi d’adaptation, doit être démontré, comme pour toute autre infraction.
62 F. Desportes, F. Le Gunehec, Présentation des dispositions du nouveau Code pénal, JCP 1992, I, 3615, n°
25.
63 J. Pradel, Le nouveau Code pénal, partie générale, ALD 1993, commentaire législatif, p. 186, n° 45.
64 C. Ruet, Commentaire de la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits
d’imprudence ou de négligence, Rev. sc. crim. 1998, p. 23.
65 CEDH, 7 octobre 1988, Série A n° 141-A, Rev. sc. crim. 1989, p. 167, obs. Teitgen.
la chose, d’autrui, ou d’une véritable faute. En tout état de cause, à l’occasion d’une action
devant le juge pénal, la défaillance personnelle dans l’exécution défectueuse du contrat devra
être prouvée, qu’il s’agisse d’obligation de moyens ou de résultat.
La notion civiliste de faute en matière d’inexécution rejoint la notion d’élément
matériel (le comportement anormal) et la notion d’élément moral dans sa composante de
culpabilité. L’élément moral en droit pénal contient aussi un élément d’imputabilité qui
constitue l’élément supplémentaire indispensable pour qu’une faute civile, à l’origine d’une
inexécution contractuelle, intéresse la juridiction pénale.
b - L’imputabilité.
74 P. Conte, P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, préc., n° 350 et s. G. Levasseur, L’imputabilité en
droit pénal, in IVe congrès de l’association française de droit pénal, Rev. sc. crim. 1983, p. 1, spéc. p. 13.
75 G. Stefani, G. Levasseur, B. Bouloc, Droit pénal général, préc., n° 416 et s. M.-L. Rassat, préc., n° 259 et s.
R. Merle, A. Vitu, Problèmes généraux de la science criminelle, préc., n° 586 et s.
76 P. Conte, P. Maistre du Chambon, préc., n° 363 et s. R. Merle, A. Vitu, préc., n° 579.
77 Voir supra n° 105 note 45.
78 Article 121-2 du Code pénal.
79 Par exemple, A. Mestre, Les personnes morales et le problème de leur responsabilité pénale, Thèse Paris,
1899. Il n’est pas inutile de rappeler que ce type de responsabilité existait dans l’ancien droit ; voir M. Delmas-
Marty, Le flou du droit, PUF 1986, p. 56.
morale, malgré toute la réalité et l’absence de facticité dont on veut bien la doter, n’est pas
capable de discernement et la question de l’imputabilité n’est pas envisageable.
Certes, la responsabilité pénale de la personne morale n’empêche pas les
poursuites à l’encontre de la personne physique qui a personnellement commis l’acte
litigieux91. Cependant, les travaux préparatoires et les auteurs prônent de ne poursuivre le
dirigeant qu’en cas d’acte manifestement intentionnel92, ce qui exclut toute poursuite pour les
infractions par imprudence, notamment les infractions dites jadis matérielles. De fait, les
montages complexes de sociétés permettent de mieux dissimuler les responsabilités93. La
responsabilité pénale des personnes morales est manifestement une réaction contre
l’« inflation pénale » et une tentative d’échapper à ces diverses incriminations94. L’article 121-
2 dispose d’ailleurs qu’une personne morale ne peut être responsable que des infractions
commises par ses organes dirigeants. Cette esquive ne sera pas toujours possible : la
responsabilité pénale des personnes morales n’est pas systématique dans le droit des contrats
puisqu’elle a été écartée du droit de la consommation95 et du droit économique96 ; les
personnes morales subissent néanmoins les sanctions du Conseil de la concurrence, de nature
pénale97. Il demeure que cette innovation rompt avec la personnalité des peines et la nécessité
d’un élément moral ; elle oublie la dimension morale et amendante de la peine pour y
substituer une sanction collective, donc peu dissuasive …
homicide involontaire, vol ayant lieu dans un magasin, etc. Ces infractions préservent un
secteur de l’ordre public éloigné de quelconques considérations contractuelles. Des
incriminations sont spécialement élaborées pour sanctionner l’inexécution d’obligations
contractuelles posées par la loi : c’est le cas en droit du travail pour les infractions tenant à
l’hygiène ou à la sécurité, ou en droit de la consommation avec les fraudes et les tromperies,
l’abus de confiance. Le juge pénal est destiné à participer au « forçage » du contrat, dénoncé
de longue date, consistant à ajouter au contrat de nombreuses obligations non envisagées
spontanément par les contractants98. L’inexécution des conventions peut avoir pour origine
une atteinte à la personne (A) ou une atteinte aux biens (B).
98 « forçage du contrat » dénoncé par Josserand, au sujet des obligations de sécurité insérées dans les contrats
par la jurisprudence en matière de responsabilité contractuelle (L. Josserand, Le contrat dirigé, D.H. 1933,
chron. p. 89).
99 Articles 221-6 et 222-19 du Code pénal.
100 Par exemple, une obligation de sécurité fut imposée dans les contrats de transport dans le célèbre arrêt de
Cass. civ, 21 novembre 1911, D.P. 1913, 1, 249, note L. Sarrut, S. 1912, 1, 73, note Lyon-Caen.
En ce sens, B. Py, Recherche sur les justifications pénales de l’activité médicale, thèse Nancy 1990, p. 94 et s ;
R. Merle, A. Vitu, Problèmes généraux de la science criminelle, préc., p. 559, note 1 ; C.
Barberger, Protection du corps humain et / ou protection du corps médical ?, Petites affiches 1996, n° 25, p. 4,
spéc. p. 6.
111 Articles 223-1 et s. du Code pénal.
112 Article 226-6 alinéa 2 du Code pénal.
113 Par exemple, les produits pharmaceutiques sont sounis à une autorisation de mise sur le marché (articles L.
601 et s.).
114 Articles L. 230-2 et s. du Code du travail.
115 Articles L. 263-2 à L. 263-7 du Code du travail.
116 M. Puech, De la mise en danger d’autrui, D. 1994, chron., p. 157. M. Pralus, Le délit de risques causés à
autrui, JCP 1995, I, 3830, n° 9 et s.
117 C’est la position des deux auteurs précités. Pour un auteur favorable au cumul, B. Bourdeau, Mise en oeuvre
de l’article 223-1 du Code pénal, ALD 1994, comm. leg., p. 188.
118 Articles L. 213-2 et L. 213-3 du Code de la consommation.
le cadre d’une procédure pénale127. La même interdiction est opposée aux commissaires aux
comptes128.
Le secret médical se voit reconnaître une noblesse certainement plus grande
puisqu’il est décrit par la jurisprudence comme « général et absolu »129, deux qualités qui
furent écartées en matière de secret bancaire130. Pourtant, cette obligation du médecin supporte
de nombreuses exceptions. Les dispositions du Code de déontologie suggèrent que ce secret
ne puisse jouer à l’encontre des intérêts du patient : celui-ci doit être informé le plus
précisément possible de son état, tant que cette révélation ne va pas à l’encontre de son intérêt.
Le secret n’est concevable que dans l’intérêt thérapeutique ou psychologique du malade131 et
son accès au dossier médical prévu par la loi doit être autorisé, nonobstant d’éventuels intérêts
contraires du médecin132, craignant par exemple la révélation d’une erreur ou d’une faute. De
plus, les autres médecins participant à la prise en charge du patient ne peuvent se voir opposer
la confidentialité des informations133. C’est principalement en dérogation à ce secret médical
que dispose l’article 226-14 du Code pénal : l’information des autorités judiciaires de sévices
ou privations subies par une personne jeune ou vulnérable est vivement encouragée et le
médecin doit, avec l’accord de la victime, porter à la connaissance du procureur de la
République les violences sexuelles qu’il peut soupçonner au regard des sévices qu’il
constate134. La jurisprudence admet des exceptions en multiples circonstances135, parfois très
contestables puisqu’un médecin a pu se défendre en justice contre une escroquerie au moyen
d’un certificat, en révélant des faits confidentiels justifiant de sa bonne foi136. L’usage de
l’information ne s’est pas fait ici dans l’intérêt du patient.
La juridiction pénale a le pouvoir de sanctionner l’inexécution d’obligations
imposées par la loi aux contractants, dans le but de protéger le contractant le plus vulnérable.
Ce rééquilibrage des conventions est observable aussi dans le domaine des atteintes aux biens.
117. Afin que les juges répressifs puissent sanctionner les inexécutions
contractuelles provoquées par une atteinte aux biens, les infractions classiques, dites
« astucieuses »137, ont souvent subi quelques adaptations dans le but d’accroître leur efficacité
et leur domaine dans la convention. Ces infractions bénéficient d’une effectivité certaine dans
le contentieux (1). Elles sont relayées par de multiples incriminations, souvent de facture plus
récente et affiliées directement à la législation économique et financière qui, ici encore,
impose des obligations supplémentaires aux contractants, atténuant ainsi l’autonomie de la
volonté ; le but est de protéger le contractant faible. Ces infractions, plus récentes et
nécessitant pour leur répression de moyens d’investigation plus précis, souffrent d’une
certaine ineffectivité (2).
138 W. Jeandidier, Abus de confiance, Juris-classeur pénal, articles 314 -1 à 314 –4 ; Droit pénal des affaires,
préc., n° 13 et s. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, préc., n° 130 et s. J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des
affaires, préc., n° 177.
139 M. Delmas-Marty, Droit pénal des affaires, T. II, PUF Thémis 1990, p. 35 : « Il ne faut pas considérer
l’infraction d’abus de confiance comme la sanction pénale de l’inexécution du contrat, car c’est le
détournement de la chose – d’où résulte indirectement seulement l’inexécution – qui consomme l’infraction ».
Contra, C. Souweine, Le domaine de l’abus de confiance dans le nouveau Code pénal, Mélanges Larguier, PUG
1993, p. 303, n° 3 ; J. Léauté, Le rôle de la théorie civiliste de la possession dans la jurisprudence relative au
vol, à l’escroquerie et à l’abus de confiance, Mélanges Patin, Cujas 1966, p. 233.
qu’il contient, le préjudice ne disparaît pas du simple fait de cette nullité : une condamnation
peut être obtenue140. Dès lors, cette infraction protège, certes, le contractant d’une éventuelle
inexécution, mais cette protection n’est qu’une conséquence secondaire. Pour la doctrine
traditionnelle, cette incrimination sanctionne une forme d’atteinte à la propriété141, d’autres
atteintes pouvant être portées par vol ou escroquerie. La protection de la confiance dans les
relations d’affaires semble aussi essentielle : « En réalité, la loi pénale n’entend pas, en
réprimant l’abus de confiance, voler au secours du contractant menacé : elle veut protéger la
confiance accordée et qui, il faut le reconnaître, est la même, que le contrat soit valable ou
nul »142.
Cependant il demeure que le législateur a cru bon d’élaborer une infraction
spécifique contre les atteintes à la propriété intéressant plus particulièrement une inexécution
contractuelle. La protection du contractant était une motivation essentielle et cet objectif est
renforcé avec le nouveau texte. Comme au sujet de l’escroquerie143, la comparaison des
découpages de l’ancien et du nouveau Code pénal montre que le législateur porte aujourd’hui
un moindre intérêt pour la propriété puisque ces infractions défendent plus les « biens », en
général, que cette institution ; or les obligations contractuelles sont des biens. Certes, le
nouveau texte sur l’abus de confiance ne précise plus une liste définie de contrats ; mais c’est
pour mieux sanctionner l’ensemble des situations contractuelles défaillantes.
L’éventail des situations contractuelles intéressant la juridiction pénale pourrait
s’étendre au point d’englober les contrats ayant entraîné un transfert de propriété. Le
législateur ne précise plus le titre de la remise dans l’incrimination de l’abus de confiance ;
selon Mme Souweine, il sera possible d’admettre la constitution de cette infraction lorsque le
contrat emporte remise de la propriété du bien144, ce qui était jusqu’alors inenvisageable. Cet
auteur évoque le cas où le contrat transmet la propriété à titre de garantie145, ou accompagne
ce transfert de « l’obligation pour l’accipiens de donner au bien une affectation spéciale »146.
Rappelons que la définition du détournement consiste toujours en une interversion de titre,
conformément à la définition de Garçon, mais sans qu’il soit nécessaire de faire référence à un
comportement semblable à celui d’un propriétaire.
Le critère de définition de l’élément matériel de l’abus de confiance s’est
déplacé. Alors que, dans l’ancien Code pénal, l’infraction n’existait que dans le cadre de
certains contrats nommés (on se penchait donc sur le moment de conclusion du contrat afin de
le qualifier), dans le nouveau Code pénal, il s’agit de démontrer l’obligation de restituer.
L’examen du moment de la conclusion du contrat est simplifié, le juge s’attachera moins à
vérifier la définition du contrat en cause et la preuve de sa réelle existence ; son exécution
défectueuse comptera davantage. Le législateur a souhaité protéger plus largement les
contractants, quel que soit le contrat qu’ils aient conclu ; l’inexécution contractuelle est
devenue une préoccupation à part entière du droit pénal.
147 Article 313-5 du Code pénal. M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, préc., n° 174. J.-Y. Lassalle, Filouteries,
Juris-classeur pénal, article 313-5.
148 par exemple, Cass. 1re civ., 4 février 1969, G.P. 1969, 1, p. 204 ; CA Paris, 15 septembre 1992, D 1993, p.
48, note Delebecque.
149 Cass. crim., 24 novembre 1900, Bull. crim. n° 551 ; 21 avril 1976, Bull. crim. n° 120 ; 17 mars 1987, GP
1987, 2, somm. p. 294 note Doucet.
150 C.A. Toulouse, 10 mars 1881, DP 1881. 2. 187.
151 M. Muller, L’inexécution pénalement répréhensible du contrat, Thèse dactyl. 1977, Paris II, n° 19.
121. Les statistiques issues de l’étude du casier judiciaire livrent des chiffres
de condamnation pour ces infractions par année153. Cette appellation comprend l’abus de
confiance, les filouteries ou les détournements, mais aussi des infractions intéressant la
formation des contrats : les escroqueries, extorsions ou chantages. Une fois encore, nous
constatons que cette distinction entre la formation et l’exécution de la convention est
didactique et n’a aucun intérêt pour la juridiction pénale. Nous étudierons ici l’effectivité des
infractions tenant à la formation de la convention comme à son exécution et correspondant à
l’intitulé :
1988 1995
1987 (amnistie) 1989 1990 1991 1992 1993 1994 (amnistie) 1996
Ensemble des
condamnations
Pour infractions 17605 9259 14570 16373 16415 17321 17771 14358 8150 11104
"astucieuses" contre
les biens
Escroquerie 6468 3971 5680 6185 6147 6555 6916 6214 3861 4988
Extorsion de fonds,
chantage 800 481 647 651 713 820 833 837 807 1360
Abus de confiance 5206 2962 4315 4748 4697 4868 5198 4180 2310 2862
Détournement,
destruction d’objet 2374 962 1729 2253 2354 2598 2530 1541 490 467
saisi, gagé
Filouteries, ensembles 2757 883 2199 2536 2504 2480 2267 1586 682 1427
Filouterie d’hôtel 1094 387 959 1166 1161 1218 1152 779 273 539
Filouterie d’aliments 907 309 698 730 734 662 567 341 210 388
Autres filouteries 756 187 542 640 609 600 575 466 199 500
1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
Condamnations pour
infractions
"astucieuses" contre les 17605 9259 14570 16373 16415 17321 17771 14358 8150 11104
biens
Infractions traitées,
encourant une lourde 84,5 % 90,5 % 85 % 84,5 % 85 % 86 % 87 % 89 % 91,5 % 87 %
peine
Infractions encourant
une peine plus légère 16 % 9,5 % 15 % 15,5 % 15,5 % 14,5 % 13 % 11 % 8,5 % 13 %
Emprisonnements
72 % 79,5 % 73 % 74 % 74 % 75,5 % 76 % 74,5 % 83,5 % 77 %
Amendes
20,5 % 15,5 % 21,5 % 20,5 % 19,5 % 17,5 % 17 % 16,5 % 10,5 % 14 %
Peines de substitution,
mesures d’éducation, 7,5 % 5% 5,5 % 6% 7% 7% 7% 8,5 % 6% 9%
dispenses de peines
Cette liste de chiffres peut paraître bien fastidieuse mais les énumérer année
après année permet de montrer la régularité des taux. Cependant, afin de résumer, il convient
de souligner que, en moyenne, de 1987 à 1993 160, 85 % de ces infractions « astucieuses »
contre les biens, traitées par le juge répressif, encouraient une lourde peine, 15 % une peine
plus légère.
L’abus de confiance et les détournements d’objets saisis ou gagés, nous
intéressent plus particulièrement, puisqu’ils touchent à l’exécution contractuelle en toutes
circonstances. Ces infractions représentent environ la moitié des condamnations parmi les
infractions traitées encourant une lourde peine. Mais il est probable que le juge pénal traite à
peu près de la même manière l’ensemble de ces infractions.
Si l’on observe que
- 73,6 % de ces condamnations prononcent des peines d’emprisonnement,
- 20 % une peine d’amende,
et que les dispenses de peine ou les peines personnalisées ne représentent qu’une faible
proportion, voisine de 6 %, il est possible de conclure à une relative sévérité du juge pénal.
Celui-ci, en particulier, n’hésite pas à prononcer des peines d’emprisonnement.
123. Pourtant, une analyse plus détaillée des peines prononcées permet
d’infirmer ce sentiment. Le tableau suivant présente la proportion de peines
d’emprisonnement en fonction de leur taux. Nous avons choisi de regrouper les peines de
moins de trois mois à six mois d’emprisonnement d’une part et les peines de six mois
jusqu’aux peines de cinq ans et plus d’autre part : cela correspond à peu près à la classification
« peines lourdes », « peines plus légères » que nous avons retenue précédemment pour classer
les infractions. Nous indiquons la proportion des condamnations pour infraction « astucieuse »
contre les biens sanctionnées par de lourdes peines d’emprisonnement, et la proportion de ces
160 Sans compter l’année 1988 dont les chiffres sont trop influencés par la loi d’amnistie.
infractions sanctionnées par des peines d’emprisonnement plus légères. Quelques détails
supplémentaires sont apportés en ce qui concerne les peines d’amendes et les mesures de
personnalisation161.
1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
Emprisonnements
fermes ou assortis de
19,7 % 15,1 % 13,9 % 17 % 19,7 % 20,1 % 19,2 % 16% 13,7 % 13,9%
sursis partiel, moins de
3 mois à 6 mois
Fermes ou sursis partiel,
13,9 % 26,3 % 16,8 % 12,9 % 11,9 % 11 % 11,5 % 13 % 24,2 % 18 %
6 mois et plus
Sursis total 38,3 % 38 % 42,4 % 43,8 % 42,3 % 44,4 % 45,2 % 45,6 % 45,4 % 45 %
Moyennes des peines
2636 f. 5752 f. 5086 f. 4436 f. 4344 f. 4549 f. 4504 f. 4938 f. 7879 f. 6303 f.
d’amende en francs
Peines de substitution
4,3 % 3% 3,1 % 3,4 % 3,8 % 3,7 % 3,8 % 5,5 % 5,3 % 6,8 %
ou mesures éducatives
Dispenses de peine 3,2 % 2% 2,2 % 2,6 % 3,1 % 3,2 % 3,4 % 3,2 % 0,7 % 2,16 %
161 Sources : annuaire statistique de la justice éd. 1994, p. 137 et 1998, p. 141.
162 Moyenne calculée hors année 1988, comme précédemment.
124. De nombreuses infractions ont été élaborées dans le but d’assurer une
exécution correcte des conventions dans le domaine économique ou financier : sont
concernées les obligations promises expressément et envisagées par les contractants, mais
également certaines obligations légales supplémentaires imposées pour rétablir l’équilibre
entre contractants et prestations. Un arsenal permet de sanctionner des inexécutions
contractuelles spécifiques aux contrats de travail, de société, ou de consommation. Cependant,
le contentieux existe-t-il réellement ? Il semble que le faible nombre de plaintes et le manque
de moyens des instances judiciaires ne permettent pas la constatation et la sanction correcte de
ces infractions. Nous donnerons quelques éléments de statistiques concernant la sanction de
ces divers types d’infractions présentés en particulier (a). Puis, une étude statistique plus
globale permettra de constater l’ineffectivité de ces sanctions pénales dans le domaine
économique et financier (b).
α - Les tromperies.
163 Codifiée et modifiée dans le Code de la consommation aux articles L. 213-1 à L. 217-10.
164 J. Calais-Auloy, F. Steinmetz, Droit de la consommation, Dalloz Précis 1996, 4ème éd., n° 194 et s. R.
Merle, A. Vitu, Droit pénal spécial T. I, préc., n° 1050. W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 408.
D. Garreau, Fraudes : tromperies et falsifications, Juris-classeur concurrence consommation, fasc. 1010.
165 Voir supra n° 40. l’article 1 de la loi, aujourd’hui article L. 213-1 du Code de la consommation qui définit la
tromperie dispose : « Quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le
contractant ... soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en
principes utiles de toutes marchandises, ... soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du
mensonge concernant le bien objet du contrat, lors de l’exécution ; mais les éléments
constitutifs de l’infraction, matériel et intentionnel, sont réunis plus tôt, puisqu’ils visent à
obtenir le consentement de la victime à un contrat dont l’objet ne répondra pas à son attente.
Pourtant, cette loi sur les fraudes et falsifications n’exclut pas les tromperies ayant lieu au
stade de l’exécution du contrat, ce qui met en échec, une fois encore, la distinction entre
formation et exécution du contrat. En effet, l’article L. 213-1 du Code de la consommation
sanctionne les tromperies « sur la quantité des choses livrées ou leur identité par la livraison
d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ».
Le principe d’effet relatif des conventions166 connaît des exceptions en matière
pénale : la tromperie à l’encontre du sous-acquéreur est punie de la même façon que celle du
contractant direct ; la seule exigence concernant la victime est qu’elle soit partie à un contrat,
même si ce n’est pas celui dans le cadre duquel le coupable a opéré. Quant au coupable lui-
même, sa qualité de contractant n’est pas exigée : la loi de 1978 qui a modifié le texte de 1905
considère comme éventuel coupable « quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat ». Dès
lors, les tromperies commises à l’occasion de prestations de services167, de mandats,
commissions, courtages ou entreprises ont pu être sanctionnées168, en plus de la vente, seul
contrat initialement envisagé dans le texte de 1905. Enfin, l’incrimination ne protège pas
seulement les consommateurs, mais tout contractant quelle que soit sa qualité. Le champ de
protection est très étendu, un état de faiblesse particulier de la victime n’étant pas requis.
produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre, sera puni d’un
emprisonnement de deux ans et d’une amende de 250 000 francs ou de l’une des deux peines seulement »
166 Article 1165 du Code civil.
167 Cass. crim., 17 mars 1993, Bull. crim. n°123, D 1933, IR 144, JCP 1994, II, 22192, note Couvrat, RTD
com. 1994, p. 145, obs. Bouzat, Contrats, conc., consom., 1993, 164, G. Raymond.
168 D. Garreau, préc., n° 21. W. Jeandidier, préc., n° 409.
169 J.-A. Roux, Traité de la fraude dans la vente des marchandises, 1925, n° 80 et s. ; J. Vivez, note JCP 1966,
II, 14663.
170 La « mise en danger délibérée de la personne d’autrui ».
171 Contrats, conc., consom., novembre 1993, n° 204 : un producteur de vin vendait des bouteilles étiquetées
« vin sans alcool » alors que l’administration lui avait déconseillé cette appellation, lui suggérant celle de « vin
désalcoolisé ».
prestation réelle correspondait à la prestation promise. Par exemple, un arrêt du 17 mars 1993
de la chambre criminelle de la Cour de cassation172, a condamné pour tromperie un agent de
voyage qui n’avait pas vérifié la prestation promise. Celle-ci comprenait, entre autres, une
villa meublée en Sicile, dont le linge de table convenu se réduisait à un torchon ; la chambre
au rez-de-chaussée n’était pas, contrairement au prévisions, indépendante de la salle de séjour.
L’élément moral, ici appelé « mauvaise foi », pouvait se déduire du fait que le prévenu s’est
« soustrait à l’obligation qui lui incombait personnellement de procéder aux contrôles
nécessaires pour vérifier la réalité des prestations ou leur exécution ». Ce type de
jurisprudence ne date pas d’hier. Certes, la jurisprudence ancienne refusait d’admettre la
fraude lorsque l’élément intentionnel n’était pas rapporté173. Ainsi, malgré une obligation de
vérifier la quantité et la composition du produit vendu, l’importateur du produit ne pouvait se
voir condamner pour fraude, sur la simple constatation qu’il n’avait pas exécuté cette
obligation de vérifier et que la quantité du produit en question était très différente de celle
indiquée sur l’emballage. Cependant, l’importateur recevait les produits déjà emballés par le
fabricant. Or, il semble que l’élément moral était présumé, dès cette époque, si le prévenu
avait eu un rôle direct dans la préparation du produit : le grossiste chargé d’emballer les
produits a été condamné car il n’avait pas vérifié correctement le poids des produits qu’il
emballait174. De même, un fabricant de pâtes alimentaires avait vendu des « pâtes aux œufs »
ne respectant pas la quantité d’œufs prévue par décret. Ce non-respect était dû à une
défaillance de la machine chargée de mélanger la pâte, mais la Cour de cassation confirma la
condamnation175.
Les comportements précédemment décrits peuvent être qualifiés, au pire, de
négligences grossières. Ils ne peuvent être assimilés qu’à des imprudences et certainement pas
à des intentions176. La jurisprudence s’est contentée d’une imprudence, d’une absence de
« diligences normales compte tenu de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses
compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait »177 : la condamnation du
professionnel a lieu en raison d’une mauvaise utilisation de ses pouvoirs178. Il est remarquable
que la jurisprudence en matière de fraude ne parle ni d’intention ni de négligence lorsqu’elle
caractérise l’élément moral. A ces termes de droit pénal sont préférés le terme civiliste de
« mauvaise foi »179 qui rappelle tout autant l’article 1134 alinéa 3 du code civil que la notion
d’élément moral : ceci confirme que le problème de l’inexécution contractuelle est bien
présent à l’esprit du juge, même si l’objectif essentiel de l’infraction est, plus largement, la
protection de la loyauté dans l’activité économique dont la stabilité dépend de la confiance180.
129. Les agents économiques sont vivement conviés par l’Etat à élaborer des
conventions ou se voient imposer des obligations lorsqu’ils se mettent dans certaines
situations contractuelles183 : contrat de consommation, de travail, de société, etc. La
juridiction pénale a souvent la charge de surveiller le respect par les contractants d’une grande
partie de ces obligations qui sont de véritables obligations contractuelles. Les branches de
droit concernées sont très diverses et l’énumération de quelques exemples semble utile. Il est
remarquable que le législateur ait imposé ces obligations essentiellement dans des contrats à
exécution successive où l’une des parties peut se trouver en état de faiblesse par rapport au
contractant auquel ces obligations sont imposées. De nombreuses obligations supplémentaires
sont intégrées au contrat de société (I) et au contrat de travail (II), dont l’inexécution entraîne
des sanctions pénales.
I - Contrats de société.
130. Il est possible de dénombrer environ cent trente délits et une vingtaine
de contraventions en droit des sociétés, une part importante concernant l’inexécution184 : par
180 R. Merle, A. Vitu, Droit pénal spécial T. I, préc., n° 1044 ; M. Delmas-Marty, Droit pénal des affaires,
PUF Thémis, 3ème éd. 1990, p. 35.
181 Annuaire statistique de la justice, éd. 1994, p. 149 et éd. 1998, p. 153.
182 Ces calculs ont été effectués à partir des données des annuaires de statistique de la justice précités, en
retranchant du nombre de condamnation pour infractions à la législation économique et financière le contentieux
sur les chèques sans provision, traité aujourd’hui par le système de la transaction pénale.
183 Voir supra n° 89.
184 B. Bouloc, La liberté et le droit pénal, Revue des sociétés 1989, p. 377 et s., spéc. p. 383.
exemple les règles attachées aux sociétés anonymes, concernant l’information des membres de
la société185 ou la participation des associés aux assemblées186. D’autres dispositions
concernent les infractions du dirigeant : abus des biens ou du crédit de la société187, délit de
comptabilité188, distribution de dividendes fictifs189, … Les mandataires sociaux ont des
obligations particulières concernant la direction et l’administration de la société. Nous
évoquerons ici plus précisément l’abus de biens sociaux, faute de gestion ayant lieu pendant la
vie normale de la société, et la banqueroute, faute de gestion ayant lieu en période de graves
difficultés.
homme politique par exemple) suffisait à considérer celui-ci comme contraire à l’intérêt
social197, même s’il était démontré arithmétiquement qu’il a apporté un avantage : le risque de
sanction pénale, fiscale et l’atteinte au crédit de la société contrebalançaient forcément ce gain
objectif198. La jurisprudence est revenue sur ce raisonnement un peu automatique199 : des
sommes utilisées à des fins illicites, mais de façon non occultes et dans l’intérêt de la société,
ne constituent plus forcément un abus de bien social ; les sommes prélevées de façon occulte,
en revanche laissent présumer l’abus de bien social dans le seul intérêt du dirigeant. D’une
façon générale, une prise de risque anormale est répréhensible200. S’il est vrai que l’intérêt de
la société est parfois considéré rétrospectivement, aux vues des résultats de l’acte201, la Cour
de cassation rappelle régulièrement que l’intérêt de l’acte pour la société doit être considéré au
moment de sa commission202. Enfin, les délais de prescription existent bien : ils ont une durée
de trois ans, comme tous les délits203. On reproche à la prescription de courir du jour où
l’infraction est apparue et a pu être constatée204, ce qui permet des poursuites longtemps après
la date de commission des faits. Mais ces règles sont identiques à celles de l’abus de
confiance ; elles sont une application de l’adage selon lequel « la prescription ne court pas
contre de celui qui ne peut agir » et sont indispensables compte tenu des pouvoirs dont
disposent les dirigeants et en particulier ceux, légitimes, dont ils disposent sur les objets ou
sommes détournés, ce qui ne rend possible l’apparition des faits qu’à la suite de passations de
pouvoir205.
197 La Cour de cassation affirmait de façon un peu automatique que L’usage des biens d’une société est
nécessairement abusif lorsqu’il est fait dans un but illicite » : Cass. crim., 22 avril 1992, D 1997, p. 589, note B.
Bouloc.
198 Pour un retour à une position moins systématique et plus argumentée, Cass. crim., 27 octobre 1997, JCP
1998, II, 10017, note Pralus. T. Dalmasso, L’arrêt Carignon : un retour à la rigueur ?, Petites affiches 1997, n°
146, p. 30.
199 Cass. crim., 11 janvier 1996, D. 1997, chron. p. 323, obs. M. Dobkine. Cass. crim., 6 février 1997, D. 1997,
J., p. 334, note J.-F. Renucci.
200 W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n° 261.
201 J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 375. Voir cependant Cass. crim., 6 février 1997, D.
1997, J., p. 334, note J.-F. Renucci : cet arrêt précise qu’un « véritable bilan coût-avantage » doit être effectué
pour évaluer l’atteinte à l’intérêt social (M. Dobkine, Réflexions itératives à propos de l’abus de biens sociaux,
D. 1997, chron. p. 323).
202 Cass. crim. 16 janvier 1989, Bull. crim. n°17, D 1989, p. 415, note Cosson, JCPE 1990, 15677, n°16, obs.
Viandier et Caussain ; 2 décembre 1991, Droit pénal 1992, 101.
203 Article 8 du Code de procédure pénale.
204 Cass. crim., 13 janvier 1970, D. 1970, p. 345, note J.-M. R ; Revue des sociétés 1970p. 474, note J. H.
205 M. Dobkine, Réflexions itératives à propos de l’abus de biens sociaux, D. 1997, chron. p. 323.
206 Voir supra n° 28 et, notamment, W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, préc., n°217. M. Delmas-
Marty, Les conditions de rationalité d’une dépénalisation partielle du droit pénal de l’entreprise, in Bilan et
perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989, p. 89. J. Azema, Droit pénal et relations
interentreprises, même ouvrage. F. Derrida, La dépénalisation dans la loi du 25 janvier 1985 relative au
redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, Rev. sc. crim. 1989, p. 658. A. Roger, Ethique des
affaires et droit pénal, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 261, spéc. p. 267 et s.
207 Il s’agit de l’achat en vue de revente en dessous du cours, ou l’emploi de moyens ruineux pour se procurer
des fonds, afin d’éviter une procédure de redressement judiciaire.
208 J. Larguier, P. Conte, Droit pénal des affaires, préc., n° 507. F. Derrida, Droit pénal et difficultés des
entreprises, in Bilan et perspectives du droit pénal de l’entreprise, Economica 1989, p. 205.
209 Ce cas avait été dépénalisé en 1985 et n’était plus sanctionné que par la faillite personnelle.
210 Pour la banqueroute consistant en l’achat en vue de la revente au-dessous du cours et de l’emploi de moyens
ruineux pour se procurer des fonds. Les articles 127-3 et 131-2 de la loi de 1967 les réprimaient au titre de
banqueroute simple obligatoire ; les sanctions encourues étaient donc un mois à trois ans d’emprisonnement et
une amende de 5000 à 100 000 francs. L’article 402 du Code pénal prévoit aujourd’hui un emprisonnement de
trois mois à cinq ans et une amende de 10 000 à 200 000 francs.
211 Article 196 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985.
212 Article 199 de la loi du 25 janvier 1985, mod. 16 décembre 1992 ; cet article porte le maximum des peines
encourues à sept ans d’emprisonnement, et 700 000 francs d’amende. Les peines normales prévues sont de cinq
ans d’emprisonnement et 500 000 francs d’amende (article 198).
213 Cass. crim. 18 novembre 1991, JCP 1993, II, 22102, note M.-C. Sordino ; GP 12-13 août 1992, p. 7, note J.-
P. Marchi. F. Derrida, Renaissance de la "faillite virtuelle" ?, Mélanges Larguier, PUG 1993, p. 95. Voir infra
n° 258 et s.
1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
Ensemble des condamnations pour
infractions en matière de sociétés 7884 6779 9902 11438 11117 12080 12640 10841 5455 8617
et de commerces 215
infraction à la législation sur les 2005 1649 1807 1955 2096 2141 2106 1889 1457 1354
sociétés
Banqueroute 51,6 % 55,7 % 60,6 % 56,7 % 55,8 % 55,8 % 54,6 % 54,1 % 58,3 % 50,4 %
Gestion et comptabilité
24,5 % 26,6 % 21,5 % 22,6 % 25,1 % 22,8 % 29,6 % 29,6 % 29,9 % 33,2 %
délictueuse
214 M. Delmas-Marty, Droit pénal des affaires T. II, PUF Thémis 1990, p. 342. B. Bouloc, La liberté et le droit
pénal, Revue des sociétés 1989, p. 383.
215 Cette catégorie comprend, outre les infractions à la législation sur les société, les fraudes et contrefaçons, les
infractions en matière de concurence et de prix, et des contraventions relatives à l’information du consommateur,
au stockage des marchandises,... Voir Annuaire statistique de la justice éd. 1994, p. 149 et éd. 1998, p. 153.
216 Annuaire satistique de la justice éd. 1998, p. 153.
1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996
Ensemble des
condamnations pour
infraction à la 2005 1649 1807 1955 2096 2141 2106 1889 1457 1354
législation sur les
sociétés
Emprisonnement 58,9% 64,7 % 69,6 % 67,5 % 64,7 % 63,7 % 69,1 % 64,7 % 70,6 % 69,7 %
6 mois à moins de 1 an
5,5 % 7,1 % 7,8 % 4,8 % 5,5 % 4,9 % 4,4 % 4,5 % 6,8 % 5,1 %
(ferme ou sursis partiel)
1 an et plus (ferme ou
5,8 % 7,1 % 5,3 % 6,9 % 5,1 % 5,3 % 4,8 % 5,4 % 6% 7%
sursis partiel)
Moyenne de la partie 10 10,8 9,1 10,5 9,6 8,8 9,7 10,2 9,5 10,8
ferme mois mois mois mois mois mois mois mois mois mois
Emprisonnements
42,3 % 45,2 % 49,8 % 48,8 % 48,3 % 46,2 % 55,1 % 49,8 % 51,9 % 52,4 %
assortis du sursis total
Moyenne de l’amende 10016 13463 22375 14703 14357 16707 17968 24132 28769 20146
ferme, en francs f. f. f. f. f. f. f. f. f. f.
Si l’on compare ces chiffres avec les chiffres des condamnations par type
d’infraction, on constate que le juge se montre d’une sévérité toute relative. Pour résumer, si,
en moyenne, 65% des condamnations pour infraction à la législation des sociétés infligent des
peines d’emprisonnement, 47 % de ces condamnations ne prononcent que du sursis total. Ces
condamnations sont édictées par le législateur et prononcées par le juge pénal pour effrayer les
« cols blancs ». Les peines d’amende sont prononcées dans 30 % des condamnations en
moyenne. Elles semblent assez élevées (18 260 francs en moyenne) si on les compare avec
celles prononcées pour les infractions de type classique217 et passent du simple au double en
dix ans. Mais cette impression de sévérité s’atténue si on considère que l’infraction de
banqueroute, qui concerne plus de la moitié des condamnations218, était punie dans l’article
402 de l’ancien Code pénal d’une amende de 10 000 à 200 000 francs. De plus, ces moyennes
ont été calculées en tenant compte des chiffres de l’année 1988, l’amnistie présidentielle
n’ayant apparamment pas soulagé le monde des affaires.
II - Contrats de travail.
219 C. Véron-Clavière, P. Lafarge, J. Clavière Schiele, Droit pénal du travail, Dalloz 1997, n° 811 et s.
220 notamment les articles R. 262-1 à R. 262-8 du Code du travail.
221 Articles L. 261-1 à L. 261-6 du Code du travail. C. Véron-Clavière, P. Lafarge, J. Clavière Schiele, préc.,
n° 392.
222 R. Merle, A. Vitu, Droit pénal spécial, T. II, préc., n° 1118.
223 C. Véron-Clavière, P. Lafarge, J. Clavière Schiele, préc., n° 1384 et s. G. Lyon-Caen, Jean Pélissier, A.
Supiot, Droit du travail, Dalloz Précis 1996, 18ème éd., n° 852.
224 Articles L. 132-25 alinéa 1, L. 132-28 et L. 132-29 du Code du travail.
225 M. Puech, L’obligation, au regard du droit pénal, d’engager une négociation annuelle dans les entreprises,
Droit social 1984, p. 49.
ne bénéficie pas de soutien pénal. L’employeur (comme les syndicats) n’est pas tenu de faire
des propositions sérieuses et une attitude totalement passive ne l’expose à aucune
répression226. Une sanction pénale préservant la qualité des négociations eut été délicate à
mettre en œuvre : comment mesurer le caractère sérieux des propositions de part et d’autre ? A
fortiori, les négociateurs ne sont pas tenus d’aboutir à un accord. La part du droit pénal
s’avère bien ténue.
Cette part est plus importante dans l’exécution des conventions collectives,
grâce à l’article L. 153-1 du Code du travail. Une sanction est encourue lorsque ne sont pas
exécutées les dispositions d’une convention qui dérogent à un texte de loi, à condition que ce
texte autorise expressément les dérogations227. La sanction sera la même que celle prévue par
le texte en question. On appliquera à l’inexécution de la convention la sanction prévue pour
l’inexécution de l’obligation légale écartée. Cette situation est ainsi envisageable en matière
de durée du travail, de congés ou de seuils d’effectif gouvernant la représentation du
personnel228. Si une convention y déroge et n’est pas exécutée, c’est la sanction pénale prévue
dans ces textes qui sera prononcée.
226 Cass. crim, 4 octobre 1989, Droit social 1990, p. 154, obs. J. Savatier ; D 1989, IR 309 : la chambre
criminelle a refusé la condamnation d’un employeur qui avait imposé comme préalable la dénonciation des
accords antérieurs et avait adopté au cours des discussions une « attitude passive, voire systématiquement
opposante n’ayant permis aucune discussion de fond »
227 Voir infra n° 164 et s.
228 Articles L. 212-2 alinéa 3 ou L. 412-21, ... du Code du travail. Pour une liste plus complète, voir Y.
Chalaron, La sanction pénale du droit conventionnel : une nouvelle base ?, Droit social 1984, p. 508.
229 E. Serverin, L’application des sanctions pénales en droit social : un traitement juridictionnel marginal,
Droit social, 1994, p. 656, n° 1.
230 E. Serverin, préc., n° 4. Voir infra n° 519, sur le rôle de l’inspection du travail.
1990, 1991 ou 1992231. Ceci montre que l’arsenal législatif pénal est fort loin d’être utilisé
dans sa totalité. Les statistiques232 révèlent que les condamnations pour infractions aux règles
d’hygiène et de sécurité représentent environ 40 % des condamnations pour tout type
d’infraction à la législation du travail et de la sécurité sociale. On relève aussi un certain
nombre de condamnations pour entrave à la représentation des salariés (deux cents à trois
cents par an) et des contraventions aux règles des congés (environ mille par an). Notons que le
nombre de condamnations est en constante augmentation : pour 4145 condamnations en 1987,
on en a 6432 en 1989, 6722 en 1991, 7215 en 1993, 7562 en 1995 et 8926 en 1996233.
Les condamnations sont-elles sévères ? Il semble que le juge pénal souhaite
davantage effrayer que punir, comme le montrent les statistiques suivantes234 :
Le juge pénal prononce très rarement des peines d’emprisonnement fermes. Les
peines d’amende sont fréquentes et fermes, mais les sommes exigées sont relativement
faibles. Il faut cependant remarquer que la proportion de peines d’emprisonnement s’accroît,
au détriment semble-t-il des peines d’amende. La sévérité pourrait augmenter dans ce secteur
du droit pénal.
Après une étude de l’effectivité des textes par type d’infraction, il convient
d’étudier de façon plus globale cette effectivité des textes d’infraction dans le domaine
économique et financier.
137. Les statistiques plus globales permettent de penser que ces textes du
domaine économique et financier pâtissent d’une certaine ineffectivité (α), que nous tenterons
d’expliquer (β).
1988 1995
1987 (amnistie) 1989 1990 1991 1992 1993 1994 (amnistie) 1996
Infractions économiques
63579 31116 42215 52427 37769 18642 19542 19500 15542 18448
et financières
1988 1995
1987 (amnistie) 1989 1990 1991 1992 1993 1994 (amnistie) 1996
Infractions économiques
et financières,
100 1 0 3 ,4 1 2 5 ,3 1 2 7 ,4 1 2 9 ,9 1 3 5 ,8 1 4 4 ,9 1 5 1 ,5 1 2 9 ,2 1 4 8 ,8
hors l’ensemble du
contentieux des chèques
Vols, recels 100 51,3 82,3 87,7 87,6 92,2 87,6 71,7 49,5 73
Escroqueries, abus de
100 52,6 82,8 93 93,2 98,4 100,9 81,6 46,2 63
confiance
Infractions sur les
100 84,5 97,4 101,4 97,2 108,5 111,8 102,2 102,6 117,2
stupéfiants
Blessures involontaires 100 91,5 93,3 84,7 82,5 81,7 72,6 66,8 62,9 57,7
241 Pour un constat identique, voir J.-F. Barbiéri, Morale et droit des sociétés, Petites affiches 1995, n° 68, p.
13.
242 Hors contentieux des chèques sans provision.
représentent que 3 à 4 % des condamnations, alors que, par exemple, les atteintes aux biens en
représentent 30 à 40 %, les atteintes aux personnes, environ 13 % et les seules infractions à la
circulation et aux transports, entre 20 et 30 % selon les années.
β – Tentatives d’explications.
139. Comment peut-on expliquer que ces textes soient moins appliqués que
les incriminations classiques ? La profusion de textes est souvent mise en avant243. La
compétence rationne materiae du juge pénal souffre d’imprécision, en particulier quant à son
critère. S’il est possible de présumer de la compétence des juridictions commerciales qui
s’occuperont, pour ce qui nous concerne, des contrats commerciaux (sous réserve –
seulement ! - de la définition de la commercialité retenue) ou des juridictions prud’homales
qui traiteront des contrats de travail, il est déjà moins aisé de définir le domaine porté à la
connaissance des juridictions civiles, qui, approximativement, s’occuperont des affaires
personnelles, mobilières et immobilières. Comment alors définir la compétence du juge pénal
? Si l’on en croit l’article 111-1 du Code pénal les affaires les plus « graves » lui sont
réservées. Cette disposition consacre, certes, la traditionnelle division tripartite entre les
infractions ; cependant cette classification ne se fait plus en fonction de la peine encourue,
mais en fonction de la gravité de l’infraction : « Les infractions pénales sont classées, suivant
leur gravité, en crimes, délits et contraventions ». Ce critère, pourtant, n’est guère précis, pas
plus que la notion de « matière pénale »244 utilisée dans l’article 6 de la Convention
européenne des droits de l’homme.
De nombreux discours soutiennent que le droit pénal n’a nullement sa place en
matière économique245, ce qui justifierait une ineffectivité de ces textes246. Mais ils sont
contredits par les chiffres puisque, peu à peu, le contentieux économique et financier prend sa
place. Le nombre de condamnation est en constante augmentation et l’accroissement le plus
remarquable est le fait des incriminations sur la concurrence, les prix et sur les sociétés247.