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LE COMMENTAIRE DU VERSET DE LA LUMIÈRE D'APRÈS IBN ‛ARABĪ

Author(s): Denis GRIL


Source: Bulletin d'études orientales, T. 29, MÉLANGES OFFERTS A HENRI LAOUST. VOLUME
PREMIER (1977), pp. 179-187
Published by: Institut Francais du Proche-Orient
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41604617
Accessed: 01-02-2016 14:26 UTC

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LE COMMENTAIRE DU VERSET DE LA LUMIÈRE

D'APRÈS IBN ÀRABI

PAR
Denis GRIL
IFAO

e
Il nous resterelativementpeu de traces de l'œuvreexégétiqueďlbn Arabi : commentaires
de souratesou de versetsisolés et courtstraitésde portéeherméneutique
(1). Son immensetafsîr
n'a pas été jusqu'à présentretrouvé,laissant pour nous dans l'ombre un élément sans doute
capital pour la compréhensionde son œuvre et un monumentdu tafsîrésotérique(2). Faut-il
pour autant renoncerà aborder l'étude de la place fondamentaletenue par le Coran comme
source et objet de méditation,chez un auteursi souventtaxé d'hérésiepar des adversairesqui
n'avaientguèrepris le tempsde le lire? En parcourantses principauxouvrages tels les Futûhât
al-makkiyyaou les Fusûs al-hikam,on se rend compte de la place qu'y tiennentles très nom-
breuxversetsou même souratesentièrescommentés,la Fâtiha par exemple ou Ylhlâs (3). Si on
pénètreson œuvre un peu plus, on ne peut manquer de constaterque la partie la plus méta-
physiqueet d'ailleursla plus controverséede sa doctrine,celle qui concerne l'Unité essentielle
de l'Etre et de toute existence,n'est que la stricteapplication du sens de quelques versets

1) On peut citerà titred'exemple,le kitâb nî (Ôâmic karâmâtal-awliyâ, t. 1, p. 207) et par


al-galâlwa l-èamâlet le kitâbal-qasamal-ilâhî(in eA. Badawî(Al-Andalus, XX, 1955) ainsique dans
Rasâiil, T. 1,Hyderabad, 1948)ou les ïsârâtal-qur'ân son fihris(éd. eAwwâd, Revuede l'Académiearabe
fî câlamal-insânet al-maqçidal-asmâfi l-ïsârâtfi de Damas,t. XXIX et XXX), où il précisequ'il y a
ma waqa'a fî l-qur'ân... (cf. O. Yahya, Histoireet commenté les versetscoraniquesselon troispoints
Classificationde l'Œuvreďlbn cArabî,Damas,1964, de vue successifs : la Majestéet la Beautédivines
pp. 317 et 363. (al-galâlwa l-gamâl ) et leursynthèse, la Perfection
2) Son titrecompletest : al-¿amewa l-taffil fi (al-kamâl ).
asrârma'ânial-tanzîl, (Synthèse et analysedes sens 3) Parexemple le 5e chapitre desFutûhât consa-
cachésde la Révélation) Ibn eArabîrenvoieà plu- cré au commentaire de la Basmalaet de la Fâtiha
sieursreprises dans le premier tomedes Futûhât,à (t. I, 101-117)ou bienle paragraphe sur la lecture
du
propos symbolisme des lettresnotamment; il le de la Fâtihadansla prière(t. I, 420-426)ou encore
cite aussien têtede la listede ses ouvragesdans celuide Vlhlâf{Futûhât, t. II, 579-582ou Fusûç,éd.
sonièâza au Mâlikal-Muzaffar publiéeparal-Nabhâ- 'Afîfî,p. 104-105).

13

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coraniques(4). D'une certainemanièremême, Ibn 'Arabî est un des auteursdu Tasawwufqui


reflètele mieux,par son styleclair et obscurà la fois,par le caractèreun et multiplede sa pensée
et par sa puissanced'expressionsymbolique,l'inspirationdu Verbe coranique,où Dieu se voile
et se dévoileen même temps.On le constateraiten relevantdans son œuvre,tout ce qui a trait
à l'herméneutique et au commentairecoranique. Dans le cadre limitéde cet article,nous nous
sommes efforcésde présenterune synthèsede quelques textes extraitsprincipalementdes
Futûhâtet se présentantà des degrésdivers,comme un commentairedu Verset de la Lumière
(C. XXIX, 35). Bien que le caractèrefragmentaire de ces extraitsne permettepas une vue
d'ensemblede la méthodeherméneutique d'Ibn eArabî,nous avons essayé d'en dégagerquelques
Son styleparticulieroù interfèrent
caractéristiques. constammentl'expressionsymboliqueet la
formulation doctrinale,ne rend guère aisé l'exposé completde tout ce qu'un seul ou plusieurs
de ces textespeuventexprimeret suggérer.Le Verset de la Lumière est loin d'êtrele versetle
plus commentépar Ibn eArabî,mais son interprétationlui donne l'occasion d'user de toute une
gamme de stylesexégétiques: depuis l'exposé doctrinalsimplementinspirédu verset,jusqu'au
commentaireserréet parfoismême littéral.Par ailleurs,la richessede son contenupermetau
commentateur de l'aborderselon diverspoints de vue, métaphysique,cosmologique,initiatique.
Il seraitarbitrairede vouloirreconstituer
un tafsîrcompletdu verset,car les textessur lesquels
nous nous fondonsn'en sont que des commentairespartiels.Néanmoinsen les regroupantselon
leur intentionprincipale,on constate qu'ils se situentà trois niveaux, lesquels correspondent
approximativement aux troispartiesdu verset.La première: « Allah est la lumièredes deux
et de la terre» en révèle surtoutl'espritmétaphysiqueet cosmologique,tandis que la seconde:
« Le symbolede Sa lumièreest comme une niche où se trouve un flambeau...que son huile
n'éclaire», porte sur les conditionsde l'expressionsymboliqueen général et sur l'analyse des
sens et correspondancesde ce symbole;enfinla troisième: « Lumière sur lumière...» donne au
commentairesa dimensionexistentielleet contemplative.Aussi nous sommes-nousconformés
à cet ordredans le développementqui suit.

« Allah est la lumièredes deux et de la terre.»

Si l'on en juge par les diversdéveloppementsqui s'y rapportent,cette premièrepartie du


versetcontienten puissance la doctrinemétaphysiqueet cosmologiqueque suppose le symbo-
lisme de la lumière.Dans la phrase,troisélémentsse succèdent: Allah, expressionde l'Absolu,
incluant,par son caractèresynthétique,tous les autres noms divins,immédiatement suivi par
Son attribut,« la lumière», un des noms de l'Essence (asmâ' al-dât), lui-mêmeconditionné
( muqayyad)ou relativisé(mudâf) par son complément,« des cieux et de la terre» (5). Ainsi en

4) Les plus souventcitéset commentés sont: et le Dernier,l'Extérieur » et « Et II


et l'Intérieur
« Toutechoseest périssable saufSa (ou sa) Face» est avec vous où que vous soyez.» (LVII, 3 et 4),
(XXVIII, 88), « Rienne lui est semblable; et II est pour ne mentionner que ceux-ci.
le
l'Oyant, Voyant.»(XLII, 11), «Il est le Premier 5) Futûhât,I, 393,chap.69, Le Caire,1329h.

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LE VERSETDE LA LUMIÈRED'APRÈSIBN*
ARABI 181

troisphases successives,la lumièredivine atteintle point extrêmede sa manifestation;il ne


sur soi, par lequel, tout en
s'agit point d'une chute mais plutôt d'une sorte d'infléchissement
s'éloignantapparemmentde son origine,elle atteintl'ultimelimitede l'existence,pour remonter
commepar un mouvementcirculaire,à sa source essentielle,en entraînantavec elle les êtres
qu'elle a manifestésau cours de son irradiation.Cette représentation permet de comprendre
pourquoiIbn £Arabînous dit à propos de ce verset,que tout être tend à l'accomplissement d'un
cycle (ma"il ilâ l-istidâra)(6). Cette remontéede la lumièrefait l'objet du symboleproprement
dit et de la conclusiondu verset.
Parce que cela dépasse sans doute les limitesde l'expressionhumaine et parce qu'à la
Cause suprêmeon ne peut assignerde cause, Ibn eArabî ne nous dit pas pourquoi, par un
processus de déterminationinterne,Allah produit la premièremanifestationsusceptible de
recevoirla lumièreessentielle,mais du moins nous donne-t-ilun exposé de ce processus sous
deux formeslégèrementdifférentes.
Dans la premièreil faitintervenirune notiondont il semble que la formulation lui appar-
) (7). De celle-ci on ne peut dire
tienneen propre: la Réalité universelle(al-haqîqa al-kulliyya
qu'elle est ou qu'elle n'estpas; elle est ce par quoi les choses sontou ne sontpas; elle est cet aspect
de l'Absolu qu'un auteur comme Guénon appelle la Possibilité Universelle(8), qui comprend
toutesles possibilitésde manifestation et de non-manifestation. L'action de la Volonté divine
sous formede manifestation lumineuse(tagallî) à l'égard de cette Réalité, marque le premier
dédoublementdu Principesuprêmeet absolu en deux principescomplémentaires d'où est issue
: la Matière primordiale(al-habâ') (9). Ce nom
une nouvelle réalité encore transcendante
signifiela finepoussièrede l'atmosphèrerévélée par un rayonde soleil, symbolisme
intraduisible
de l'obscuritéet de la lumièreque nous retrouvonsdans la seconde représentation, celle de la
Nuée ou de la Pénombre,selon les deux lecturesdu mot Çamâ' ou camâ) (10), où Allah était
avantqu'il ne crée la création,d'après les termesdu hadith(11). L'obscuritédésigneici l'indiffé-

6) F., II, 147,chap.289. 10) F., I, 148,chap. 13.


7) F., I, 119,chap. 6. Doit-on la
identifier notion 11) Le textedu hadithestle suivant: «D'après
de RéalitéUniverselle avec cellede Réalitédes réa- Waqîe b. Hads, son oncle Abû Razîn al-eUqaylî
lités Chaqiqatal-haqaîq), désignéeencorepar plu- demandaau Prophète : « O Envoyéd'Allah,où était
sieurstermes parfoiséquivalents, parfoisdistincts les notre Seigneur - Il est puissantet majestueux -
unsdes autres: Matièreprimordiale (hayûlâ al-kull
), avant qu'il ne crée ses ?
créatures Il répondit:
Réalité, Lumière ou Esprit muhammadiens ? Il sem- « Dans une nuée ( eamď ) au-dessous et au-dessusde
ble d'aprèsce texte,que le premier termerecouvre laquelleil n'y avaitpas d'air,puis il créa le Trône
un principe purement transcendant et le second,un à la surfacede l'eau.» (versionde Ibn Hanbal,
principe intermédiaire, un « isthme» (barzah)entre Musnad,t. IV, 11-12;voiraussiTirmidï, Sunantafsír;
le créé et l'incréé,participant des deux à la fois. S. XI et IbnMaga,Muqqadima, 13).SelonIbneArabî
Ajoutonstoutefois qu'Ibn'Arabîdonnede ces deux ce motpeutse lire eamď (avec hamza)' il signifie
termes pratiquement la mêmedéfinition (v. pourle alors la nuée ou le nuageporteurd'eau, donc de
secondIrisa al-dawâiréd. NybergLeiden,1919). vie,et symbolise le principe divindontémanetoute
8) Cf. R. Guénon,Les EtatsMultiples de l'Etre, chose,ou bieneamâ(sanshamza),dontle senspro-
chap.I, Paris,1932. preest la cécitéou l'aveuglement; ce termedésigne
9) F., I, 119; II, 432,chap. 198 § 14. alors la perplexité ou l'égarement (hayra) de celui

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rentiationprimordialeet son illumination,l'apparitionde l'Existence,par action de la lumière


essentiellesurce premierplan divin.
Dans la matricedivine de la Matière primordialeapparut la premièrecréation de pure
lumière: les Anges éperdusd'amour - ou de soif- (al-malâ'ika al-muhayyamun ) (12), dont le
nom suggèrel'unique tendanceà la réintégrationdans le Principe.Aussi fallut-ille choix d'un
d'entreeux pour être,à la limitedu créé et de l'incréé,l'instrument
de l'existenciationdes êtres;
ce futle Caíame ou l'Intellectpremier,ou encore la Réalité muhammadienne, qui fut « la plus
prompteà recevoirla lumière» (13). Par un processusanalogue à ce qui se produisitsur le plan
divin,ce premierprincipemanifesté,« lumièreinventrice » (nuribdaî) (14), se dédoubla en deux
principescomplémentaires,lui-mêmeet la Tablette (lawh) ou Ame universelle(al-nafsal-kull).
D'abord en mode synthétiquedans le Caíame, puis analytiquesur la Tablette,les archétypesdes
créaturesapparaissentdans une manifestationencore informelleet purementlumineuse,car ils
n'ontpas été encoremarquésdu sceau de la Nature ( tabVa), principelumineuxen soi, mais qui
imprimeaux êtresla premièretendanceversla manifestation formelle,subtilepuis grossière.
Ce n'est qu'une fois sortidu monde principel,que l'Etre - lumièrepure - se trouveen
oppositionavec le Néant - obscuritépure(15). Ce derniern'est d'ailleursque l'expressionde
l'impossibilité;aucun être n'est totalementténébreux,sans quoi son existence ne serait pas
possible. Allah est en effetla nature originelle{jiträ) de toutes les créatures;par Sa lumière
existenciatrice,Il les a séparées (fatara) et tirées de l'obscuritéde leur non-être,comme le
suggèrele rapprochement des deux versets: « Allah est le Séparateur(fâtir
) des cieux et de la
terre» (C. XXX, 1) et « Allah est la lumièredes cieux et de la terre» (16). Entre les deux
pôles de la manifestation,la lumière et l'obscurité,l'être et le néant ou l'impossible,l'être
possible participedes deux à un degré de plus ou moins grande luminositéou obscuritéqui
lui assigne son rang dans l'existence(17). Cette double participationest notammentexprimée
par le hadith selon lequel « Allah a soixante dix ou soixante dix mille voiles de lumière et
les créaturesatteintespar
d'obscurité;s'il les relevait,les Gloires de Sa Face consummeraient
Son regard» (18), hadithcité par Ibn eArabîen corrélationavec le début du verset.Selon une
premièreinterprétation,le premiervoile serait de lumièreet les autres d'obscurité;cette der-
nière représentel'aspect de potentialitédes êtres, refletdans le contingent,de la Possibilité
ou Réalité universelle,dont il a été question plus haut. Selon la seconde, la succession de

qui veuts'orienter versla Réalitéinsaisissable


d'Allah. 15) F., I, 148.
(Cf. kitâbal-ôalâla in Rasâ'il,t. I; trad,française 16) F., II, 70, chap.93, quest.43.
de M. Vâlsan, in Etudes Traditionnelles, 1948). 17) F., II, 647; III, 392,chap.369, § 15.
eAbd al-Karîmal-Gîlîinterprète l'expression« au- 18) F., II, 154, chap. 81; IV, 38, chap. 426
dessuset au-dessous »
de laquelleil n'yavaitpas d'air & 313,chap.558.
par : « ni ni
divinité créature », pourmarquerl'état Les versionsde Muslimet d'Ibn Hanbal don-
de non-dualité du Principe (al-lnsânal-kâmil,éd. Le nentsimplement : «... Son voileest la lumière (dans
Caire, 1300 t.
h., I, p. 43). certaines
versions les Gloires
: le feu),s'il le relevait,
12) F., I, 148,chap. 13; IV, 313,chap.558. de Sa Face consumeraient les créatures atteintes
par
13) F., I, 119. Son »
regard. (ÇabLÎh, t. I; K. al-imân,n° 293 et
14) F., II, 647. Musnad,t. IV, 401).

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LE VERSETDE LA LUMIÈRED'APRÈSIBN'ARABÏ 183

ces voiles lumineuxet obscurs (hugub nûriyyawa lalâmiyya)(19) symbolisel'identitéde l'être


possible avec son principelumineux,essentiel et transcendantet son éloignementd'avec lui
en tantque détermination (cayn)par une possibilitéparticulièred'existence(20). Tout le travail
spirituel,dont la méditationsur les symbolesdivins est un des supports,consisteraà séparer
en soi-mêmela lumièredes ténèbrespar un processus inverse à celui de la productiondu
monde,comme le suggèrela deuxièmepartie du verset: le symboleproprementdit.

« Le symbolede sa lumière...

Le symbole,représentation analogique d'une réalitésupérieuresur le plan humain,ne peut


avoirpour objet ce qui, par essencen'a ni semblableni analogue. Ibn eArabî rappellel'interdiction
divinede formulerquelque symboleque ce soit de la Réalité absolue et totale expriméepar le
nom Allah : « N'énoncez point pour Allah des symboles» (C. XVI, 74) (21). Aussi n'est-ce
pas la lumièreabsolue, attributde l'Essence, qui fournitau symboleson principed'analogie,mais
la lumièreilluminatrice et existenciatrice (22). Celle-ci
de tous les êtres,supérieurset inférieurs
est bien le lien véritableentreceux-ciet leur principe,d'où l'importancede son symbolismedont
la compréhension permetd'établirla jonction ( tawsll) entrel'Etre Véritable («al-wugûdal-haqq)
et l'êtrepossible (mumkin ) (23). Mais son emploi est délicat; reposantsur la similitude(tasbîh)
entredeux modes d'êtreincomparablessous le rapportde leur éternitéet contingencerespectives,
il doit respecterla transcendance( tanzîh) de l'un par rapportà l'autre(24). Seul le saint peut,
par sa contemplationimmédiatedes réalitésdivines,saisir le lien essentielÇayn al gâmï) entre
le symboleet son objet, et, soit par adab, s'en tenirà la stricteformulationdivine,soit, par le
caractèrequasi-révéléde son inspiration, (25). Dans
rapportertel quel le fruitde sa contemplation
ce verset,la fonctiondu symboleest double : il représented'abord le centrelumineux.de l'exis-
tenceet son enveloppement dans des voiles successifs,lumineuxdans la mesurede leur transpa-
renceet correspondant aux différentsélémentsconstitutifs de l'êtrehumainen vertude l'analogie
entre macrocosmeet microcosme;ensuite la perceptionpar l'être individuelde la présence
essentielleet subtilede la lumièreen lui, qui lui permettra
de découvrirla voie de sa réintégration
et de sa résorptiondans la lumièretotale.

... est comme une niche où se trouveun flambeau.Le flambeauest dans un verre.Le verreest
semblableà un astrebrillant.»

La niche (miskât) est l'exemplemêmede la pluralitéde niveauxd'interprétation


d'un même
symbole. Principalement elle représentel'existence des êtres dans la Matière primordiale

19) F., IV, 72, chap.458. 23) F., III, 392.


20) F., II, 70. 24) F., I, 659,chap.71.
21) F., III, 345,chap.367. 25) F., III, 345.
22) F., I, 393.

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(ial-habď) (26), tandis que sur le plan cosmologique,les créaturesdans « la niche de l'exis-
tence» (27), sont illuminéeset vivifiéespar l'éclat de la lumièreprophétiqueet « l'Esprit du
monde» (rûh al- âlam) (28), expressionséquivalentesqui mettenten évidence le parallélisme
de la propagationde la vie et de la lumière.
Au niveau de l'individu,l'aspect de cavité de la niche,en faitl'image du cœur illuminépar
la science divine que procure la foi(29). Dans une interprétation plus précise, elle désigne
l'enveloppeexternedu cœur qu'elle abritedu souffledes passions (maqâm al-sitrmin al-ahwď),
Le verreest alors le symboledu cœur ayantatteintla stationde la pureté{maqâm al-safď) (30);
plus il est transparent à la lumièremême,et tel est le cas, au plus haut
plus il sembles'identifier
degré,de la personnedu Prophète,dont le cœur est le flambeaudu Verbe prophétique(31) et
divin,« languede lumière» (lisân al-nûr) (32), car la lumièreen principeet en définitive
est une,
comme l'Essence et l'Etre ne sont qu'un.

« Elle est alluméeà un arbrebéni, un olivierni orientalni occidental.Peu s'en fautque son huile
n'éclaire, mêmesi aucun jeu ne la touche.»

En Islam comme ailleurs,le symbolismede l'arbre revêtde multiplesaspects; ici il prend


sa signification
la plus haute,tantsur le plan métaphysiqueoù il apparaîtcomme le principedes
principes,l'originedes origines,que sur celui de la réalisationspirituelle,dont il représente
l'ultimedegré.
Ibn 'Arabî faitcorrespondreles quatreélémentsdu symbole: la niche,le verre,le flambeau
et l'huile,et le cinquième,l'arbre,source de leur lumière,avec les quatre noms divins opposés
deux à deux et le Huwa, le Soi divindans le verset: « Il est le Premieret le Dernier,l'Extérieur
et l'Intérieuret II est au sujetde toutechose Très-Savant» (C. LVII, 3). Cet arbreest donc celui
de « l'Ipséité» (šagarat al-huwiyya)(33) où toutes les oppositionssont réduiteset contenues
implicitement, commeil ressortde l'étymologiesacrée par laquelle Ibn eArabî faitdériverle mot

26) F., I, 119. flambeau », le flambeau désigneson cœur,« le flam-


27) Šagaratal-kawn, p. 18. beau est dans le verre», le verreest sa poitrine...
28) F., III, 65, chap.317. (v. Gâmi'al-bayân, t. XVIII, 104-111).
29) L'interprétation traditionnelle
du versetvoit 30) F., I, 434.
le plus souventdansce symbole, soitune représen- 31) Šagaratal-kawn,id., Le Prophèteest lui-
tationde la personne et de la lumièreprophétique,mêmeappelédans le Coran « lampeilluminatrice »
soitson équivalent chezle croyant; témoin l'interpré-(XXXIII,46).
tationpar eUbayyb. Kaeb de « symbolede sa lu- 32) F., I, 193,chap.27.
mière» par : symbole de la lumièredu croyant, ou 33) Dans le taf sír attribuéà l'Imam Gaefar
encorecettetradition rapportée par Tabarî : « Ibn al-Sâdiq, la lumière suprêmeest appelée« lumière
eAbbâsvinttrouver Kaeb al-Ahbâr et lui demanda: de l'Ipséité » ou « du Soi » (nûr al-huwiyya). Cf.
- Parle-moi de la paroled'Allah« le symbolede P. Nwya, Le taf sir mystiqueattribuéà Ga'far
Sa lumière est commeune niche». Ka'b répondit : al-$âdiq,Mél. Univ.St Joseph,Beyrouth, 1968,t.
- La nicheestuntroudansle mur(kawwa ) qu'Allah XLIII, pp. 211-212 et et
Exégèsecoranique langage
a donnécommesymbole de Muhammad - qu'Allah mystique , Beyrouth, 1970,p. 172.
lui accordela Grâceet la Paix- « où se trouveun

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LE VERSETDE LA LUMIÈRED'APRÈSIHN'ARABI 185

arbre(sagarà) de la racine ŠaGaŘa, qui exprimel'idée de différend, d'antinomie,d'opposition


(ou tašágaraà la formeréciproque)(34). Dans son absolue transcendance,il est « l'arbre de la
différence ) (35) - car le Soi est inqualifiéet ne peut être connu que comme
» (sagaratal-hilâf
différendde ce qui est connu- sur « l'axe d'équilibre» (hattal-ietidâl)entretoutesles tendances
opposéeset complémentaires dontprocèdela manifestation (36).
Par analogie,l'olivier« ni orientalni occidental» est égalementle symboledu connaissant
Çârif) parvenuà la stationsuprêmequi est en faitune absence de stationou une transcendance
à l'égard de toute qualificationpar un état quelconque(37). Ainsi l'illuminationprogressivede
l'êtrepar la connaissancel'amène à la source même de la lumière,le Soi auquel il empreinteson
inconditionnement et son absoluité,et auquel finalementil s'identifie,comme on le verra par
la suite.
du symbolismedu flambeau aussi bien que de l'arbre, réside dans la
Mais la justification
présencede leur intermédiaire,l'huile. La permanencequ'elle procureà la lumièrede la lampe
la rendbeaucoup plus apte que le soleil, soumisà l'alternancedu jour et de la nuit,à représenter
la lumièredivine,dont la principalecaractéristiqueest la dissipation(nufûr) des ténèbres(38).
Si le flambeauest dit allumé directement à partirde l'arbre,c'est pour marquersa dépendance
directeà son égard. Quant à l'huile, elle est avec l'arbre dans un rapportéquivalent à celui
de la Réalité ou Possibilitéuniverselleavec le Principe absolu. Ainsi ce Principe absolu, le
Soi - l'arbre- peut être considérécomme l'aspect essentieldes êtres,et la Réalité univer-
selle - l'huile - comme leur aspect substantiel,comme le donnentà penser les termes de
« matière des lumières» (mâddat al-anwâr)(39) - au sens principal ou physique du mot
matière- et d'« influxdivin» (al-imdâd al-ilâhi) (40). Son rôle de soutien et son caractère
« humide» symboliseencore, dans la quête spirituelle,l'aliment indispensableque la crainte
pieuse ( taqwâ) apporte à la science intuitive( al-ilm al-irfânî)(41). Ibn eArabî rappelle à ce
propos,l'onctionrituellepratiquée par le Prophètelors du pèlerinage,car la signification des
rites ne peut être perçue sans un influxdivin spécial qui transformel'individu et l'illumine
aussi bien physiquement
que psychiquementet spirituellement
(42).

34) F., III, 198,chap.348. celuide madad,qui désigne, dansson acception ini-
35) F., I, 193. tiatique,le soutien spirituel
que le maître apporte
36) Sur la natureigneede l'arbreaxial, voir au disciple.
R. Guénon,L'Arbredu Mondein Symboles fonda- 41) F., I, 193; II, 646 et eAnqâ'mugrib, pp.
mentaux de la ScienceSacrée , p. 324. 58-59.
37) F., II, 646. 42) Commeon peutle constater, Ibn eArabîne
38) F., II, 154; IV, 39 et Kitâb al-sâhid,p. 4, se limitepas à un seulpointde vue ou niveaud'in-
in Rasâ'il. terprétation alors que chez ôazâlî par exemple,
39) F., I, 704, chap. 72. On peut rapprocherl'interprétation du symbole estsurtout d'ordremicro-
cetteexpression de cellede ôazâlî : « la matièredes cosmique,de mêmechez Qâsânî dans ses Ta'wilât,
flambeaux » (mâddatal-ma§âbîh ) cf.Miskâtal-anwâr, (cf.commentaire de la Sourateal-Nûr,trad.M. Val-
éd. 'Afîfî,Beyrouth, 1973,p. 80. san Et. 1973).
40) Ce termede imdâdpeutêtrerapproché de

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186 DENIS GRIL

« Lumière sur lumière.Allah guide vers Sa lumièrequi II veut... »

La « science spéciale » dont parle Ibn eArabîà propos de l'huile(43), est celle de la nature
essentiellementlumineusedes êtres et des modalitésde la réintégration ou résorption(indirâg)
de leur lumièreinférieure dans la lumièresupérieure(44). De cette science procède l'invocation
adresséeà Dieu par le Prophèteen ces termes: « O mon Dieu, met dans mon cœur une lumière,
dans mon ouïe une lumière,dans ma vue une lumière,à ma droiteune lumière,à ma gauche une
lumière,devantmoi une lumière,derrièremoi une lumière,au-dessus de moi une lumière,au-
dessous de moi une lumière,et RENDS-MOI LUMIÈRE » (45). Ibn 'Arabî interprètecette
mise de la lumièredans chaque faculté ou directionde l'individu,comme la dissipationdes
ténèbresqui les recouvrentpar suite de leur prétentionindividuelle(da'wâ) dûe à leur relative
autonomie.Quant à la dernièreproposition,elle lui permetd'aborder,dans le cadre privilégiédu
symbolismede la lumière,les questionsde l'unité essentiellede l'Etre et de la contemplation
(musâhada) comme mode de réalisationde cette unité. L'énoncé de cette doctrine,ainsi qu'il
ressortde ces texteset d'autres,est aussi simple que complexe. Sa simplicitéprovientde cette
évidence irréfutablequi fait que : « Rends-moi lumière» équivaut à : « Rends-moi Toi »,
puisqu'Allah est la lumièreabsolue et inconditionnée.Sa complexitéréside dans l'inexprimable
identitédu Toi et du moi sans le recoursà un troisièmetermedans lesquel ils se fondent: le Soi.
En effet,bien que le Prophètesoit dans son êtretoutentierlumièreet qu'il ait par là réalisé
au plus haut degrél'état de celui dont Allah dit dans le hadithqudsî « ... Je suis son ouïe par
laquelle il entend,sa vue par laquelle il voit...» (46), il n'en restepas moins limitépar l'aspect
obscur de son être particulieret déterminé.C'est pour cette raison qu'Ibn eArabî interprète
encore ce « Rends-moilumière» par « rends-moiabsent à moi-même» ( gayyibnîeannî), pour
pouvoir jouir de la pleine contemplationde l'Unité lumineusede l'Etre et de l'Existence. En
véritél'individune contemplepas Allah, c'est Allah qui Se contempleLui-mêmepar la lumière
) dans Sa propre détermination.
de l'être possible (nur imkânihï Il n'est de contemplationque
dans la mesureoù l'individudisparaît,et avec lui sa proprelimitation;il peut alors voir Allah,
non par sa proprelumièremas par celle de l'Etre (nur wugûdihï)ou du Soi. En d'autrestermes,
il n'y a identitéentreAllah et le serviteurque sous le rapportde la Huwiyya,le Soi ou Ipséité
divine.En tantque tel, le serviteurest son proprevoile; aussi le Prophèterépond-ilà celui qui

43) F., II, 646. de l'espace: «... et metsune lu-


des six directions
44) F., IV, 38 et 73. mièredansmonouïe,unelumière dansmonregard,
45) F., I, 434; III, 391-92;IV, 38-39. unelumière dansma chevelure, unelumièredansma
Rapporté dansces termes parAhmadb. Hanbal peau,une lumièredansma chair,une lumièredans
(Musnad,t. I, 284),Buhârî,Muslimdanssa variante monsang,une lumièredans mes os; ô monDieu,
et Tirmidîdonnent : « accorde-moi une lumière» fais que s'accroisse
ma lumière, donne-moi une lu-
(ig'al lì nurari) au lieu de : « rends-moi » mièreet rends-moi
lumière lumière! ».
(iè'al-nînûran ), ce qui évidemment n'a pas la même 46) Rapportépar Buhârî,kitâbal-raqâ'iq,chap.
force.La versionde Tirmidîajouteaprèsla mention 38 et par Ibn Mâga,kitâbal-fitan, 16.

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LE VERSETDE LA LUMIÈRED'APRÈSIBN*
ARABI 187

lui demande s'il avait vu Allah : « Lumière! Comment L'aurais-je vu(e) » (47). La lumière
voile et dévoile tout à la fois; grâce à elle l'hommevoit et contemple,mais elle-mêmene peut
être vue et contempléesans absorber tout le reste. Dans cette alternativele connaissantreste
perplexe: « Si je ne suis plus là c'est que Tu m'as faitlumièreet si je suis encore là, c'est que
Tu as mis en moi une lumièrequi me guide dans les ténèbresde mon être individuel» (48). Ce
guide est la « lumièresur lumière», la Loi divine(sari a ), entenduedans son sens le plus large,
surimposée(magûl) à la faibleclartéde la contingencehumaine,pour l'amenervers la lumière
une et essentiellequi résideau plus profondd'elle-même(49).

47) « D'après Qatâda, d'aprèseAbd Allah b. Comment vu(e)? ». Le hadithest rapporté


l'aurais-je
Šaqíq,ce dernierdità AbûDarr: - Si j'avaisconnu dans les mêmestermespar Muslim,kitâbal-îmân,
le Prophète de son vivant,- qu'Allahlui accorde n° 291,Tirmidî, sir,s. III, et Ahmadb. Hànbal,
taf
- Sur
la Grâceet la Paix - je l'auraisinterrogé. t. V, pp. 157,171,175.
?
quoi demanda -
AbûDarr, Jelui auraisdemandé : 48) F., I, 434.
Muhammad ? - Je l'ai déjà
a-t-ilvu son Seigneur 49) Pour toutce passage,voirF., I, 434; III,
fait,dit Abû Darr,et il me répondit: « Lumière ! 391-92;IV, 38-39et 312-13.

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