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ARRÊT
STRASBOURG
26 janvier 2017
DÉFINITIF
26/04/2017
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut
subir des retouches de forme.
ARRÊT IVANOVA ET IVASHOVA c. RUSSIE 1
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 797/14
et 67755/14) dirigées contre la Fédération de Russie et dont deux
ressortissantes de cet État, Mmes Mira Vasilyevna Ivanova et Valentina
Ilyinichna Ivashova (« les requérantes »), ont saisi la Cour les 6 décembre
2013 et 24 septembre 2014 respectivement en vertu de l’article 34 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par
M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la
Cour européenne des droits de l’homme.
3. Les requérantes allèguent, en particulier, que leur droit d’accès à un
tribunal a été méconnu.
4. Le 3 février 2015, ce grief a été communiqué au Gouvernement.
EN FAIT
13. À une date non précisée, la requérante introduisit une action civile
contre une société privée. Le 18 février 2014, le tribunal du district
Vassileostrovski de Saint-Pétersbourg accueillit en partie la demande de la
requérante. Lors de l’audience, le tribunal ne lut que le dispositif de la
décision.
14. Selon le Gouvernement, le texte intégral de la décision comprenant
les considérants fut finalisé le 25 février 2014.
15. La requérante indique que, les 20, 24, 25 février et 3 mars 2014, sa
représentante demanda par écrit au greffe du tribunal de mettre le dossier à
sa disposition pour qu’elle en prenne connaissance. Selon la requérante, ces
demandes furent rejetées.
16. Le 3 mars 2014, la représentante déposa une plainte écrite auprès du
président du tribunal. Elle lui demandait de prendre les mesures nécessaires
afin que sa demande fût mise à exécution.
17. Par une lettre du 5 mars 2014, le président du tribunal de district
informa la requérante que le procès-verbal de l’audience avait été finalisé le
18 février 2014, que le texte intégral de la décision avait été rédigé le
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25 février 2014 et qu’il avait ensuite été envoyé par courrier à la requérante
le 3 mars 2014. Selon le président, le dossier entier avait été disponible au
greffe du tribunal à compter du 4 mars 2014.
18. Se référant au site internet de la poste, la requérante affirme qu’une
copie de la décision lui a été envoyée le 7 mars 2014 et qu’elle lui est
parvenue le 25 mars 2014.
19. Le 18 mars 2014, la requérante interjeta appel. Cet appel était
succinct : l’intéressée indiquait qu’elle n’était pas en mesure d’expliciter les
motifs de son recours car elle n’aurait toujours pas été en possession du
texte intégral de la décision. Elle précisait qu’elle présenterait ses
conclusions d’appel après réception du texte intégral du jugement.
20. Par une décision avant dire droit du 21 mars 2014, le tribunal de
district invita la requérante à remédier aux irrégularités du recours : il lui
demanda de présenter les moyens d’appel et de les communiquer au
défendeur avant le 12 avril 2014. Le tribunal précisait que, à défaut, le
recours serait déclaré irrecevable. La requérante n’ayant pas satisfait à cette
demande, le 23 avril 2014, le tribunal déclara le recours irrecevable pour ce
motif.
21. Le 25 avril 2014, la requérante interjeta appel. Elle joignit à son
dossier d’appel une demande de relevé de forclusion au motif qu’elle avait
reçu tardivement (le 25 mars 2014) le texte intégral de la décision du
tribunal. Elle argua en outre que la décision du 21 mars 2014 lui enjoignant
de remédier aux irrégularités de son appel ne lui était parvenue que le 9 avril
2014 et que le délai imparti par cette décision, à savoir le 12 avril 2014, était
manifestement insuffisant pour qu’elle pût s’y conformer.
22. Par une décision avant dire droit du 20 mai 2014, le tribunal de
district déclara l’appel irrecevable pour tardiveté. La requérante forma un
recours contre cette décision. Elle alléguait qu’elle avait agi conformément
à la loi qui lui permettait d’interjeter appel dans un délai de 30 jours à partir
de la réception du texte intégral de la décision. Elle ajoutait que le tribunal
n’avait pas le droit de réduire ce délai et concluait que, ayant déposé l’appel
le 25 avril 2014, elle avait respecté le délai imparti.
23. Par un arrêt du 23 juillet 2014, la cour de la ville de
Saint-Pétersbourg confirma, en appel, la décision du 20 mai. Elle jugea que,
en effet, la requérante avait reçu le texte intégral de la décision par la poste
le 25 mars 2014. Elle estima toutefois que cette circonstance n’était pas de
nature à ébranler la conclusion de tardiveté établie par le tribunal de district
car, d’une part, la représentante de la requérante avait pris connaissance du
dossier le 11 mars 2014 et avait ainsi été informée que le délai imparti pour
interjeter appel avait déjà commencé à courir et, d’autre part, la requérante
avait été avertie de la nécessité de compléter son appel par la décision du
21 mars 2014, qu’elle avait reçue le 9 avril.
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EN DROIT
des règles de procédure, ont été déclarés irrecevables pour tardiveté. Les
requérantes invoquent à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention qui, dans
sa partie pertinente en l’espèce, est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par
un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des
contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
B. L’appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
40. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens
de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à
aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
a) Principes généraux
41. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les
États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins,
lorsque de telles juridictions sont instituées, la procédure qui s’y déroule
doit présenter les garanties prévues à l’article 6 (Chatellier c. France,
no 34658/07, § 35, 31 mars 2011).
42. Par ailleurs, le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue
un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations
implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité
d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par
l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation.
Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un
justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en
trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec
l’article 6 § 1 de la Convention que si elles tendent à un but légitime et s’il
existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés
et le but visé (voir, parmi beaucoup d’autres, Edificaciones March Gallego
S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions
1998-I, Mikulová c. Slovaquie, no 64001/00, § 52, 6 décembre 2005, et
Kemp et autres c. Luxembourg, no 17140/05, § 47, 24 avril 2008).
43. En outre, le droit à un tribunal implique celui de recevoir une
notification adéquate des décisions judiciaires, en particulier dans les cas où
un appel doit être introduit dans un certain délai (Zavodnik c. Slovénie,
no 53723/13, § 71, 21 mai 2015).
44. La réglementation relative aux délais à respecter pour former un
recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en
particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent
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A. Dommage
B. Frais et dépens
C. Intérêts moratoires
68. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur
le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de pourcentage.
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à Mme Valentina Ilyinichna Ivashova,
dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif
conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes,
à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la
date du règlement) :
i) 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant
pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
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