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jeatà-Marie Fíocn

ipèmiotiqiie, marketing et
É|bmmiinication. j
Sous les signes, les s t r a t é g i e s

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to C p S&Pifi&ÇM
JEAN-MARIE FLOGH

FORMES SÉMIOTIQ.UES
GOLLEGTION DIRIGÉE PAR Sémiotique, marketing
ANNE HÉNAULT
et communication

SOUS LES SIGNES, LES STRATÉGIES

PREFACE DE CHRISTIAN PINSON

Presses Universitaires de France


à Régis Picton
l
SOMMAIRE

Préface de Christian Pinson Vil

« A sauts et à gambades » 1

4 ô j M\ « Hors d u texte, point de salut» 3

Plus d'intelligibilité 10
Plus de pertinence 12
Plus de différenciation 14

Etes-vous arpenteur ou somnambule? 19

Le trajei comme texte 21


Les quatre types de voyageurs 26
Deux applications de la typologie 37

Une étoile est née 49

« Clarté»: une relation au monde, une relation à Vautre 52


Le schéma narratif 58
Le classicisme de la clarté: une esthétique de marque 64
Une étoile pour logo - 76

Le refus de 1'euphorie i^*^^*"""-"^^^V 83

ISBN 2 13 043243 3 Un systéme semi-symbolique f £ O!.Í*CÍF\ \5


ISSN 0767-1970 Un discours basique sur la thymie | 3S \,! "TFCA •
L 3 I 1^)4
Dépôt legal — 1 " édition : 1990, septembre La syntaxe narrative \' J > j 109
2' édition : 1995, février La santé n'est pas 1'euphorie 115
C Presses Universitaires de France, 1990
Analyse narrative et analyse du contenu ^*° ^—~ ~~~^'
m m ^ '
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
VI Sous les signes, les stratégies

«J'aime, J'aime, J'aime...» H9

Le parcours génératif de la signification 123


Une axiologie de la consommation 126
Uapportde la publicite à Vimage Citroen (1982-1985) 137
Designs et axiologie de la vie quotidienne 145

LMmage, pour troubler les lettrés 153

Noir et blanc, gaúche vs droite : de necessite, vertu 155


Une forme d'expression classique 159
Sémantique structurale par A. J. Greitnas et non d'A. J. Greimas 161 Heureux auteur! qui a V opportunité et le mérite de nous donner le pre-
Signes, symboles, pictogrammes et mythogrammes 165 mier ouvrage de sémiotique structurale consacré au marketing et à la com-
L'émotion et le regard 1'5 munication. Heureux lecteur! qui trouve, ici, une invite à des «sauts et
gambades» aussi stimulants que plaisants.
« T u é s dans 1'ceuf!» 183 La sémiotique n'est pas une discipline étrangère ni réellement nouvelle
pour les chercheurs et praticiens du marketing et de la communication.
Publicite, sémiotique : même débat 184
Dans les années soixante, les écrits de R. Barthes, G. Bonsieppe, J. Durand,
La publicite référentielle 193
U. Eco, G. Peninou ont permis de fonder, en Europe, une théorie et une
La publicite oblique 196
pratique de la sémiotique appliquée à Vimage et aux techniques de la per-
La publicite mythique 201
suasion publicitaire. Mal connue ou méconnue dans les pays anglo-saxons,
La publicite substantielle 205
Quelques interprétations possibles 208 la sémiotique devint dans les années qui suivirent Vune des principales
méthodes d'étude qualitative de la création publicitaire et du design commer-
Bibliographie sémiotique 227 cial (packaging, produit, logo...), du moins en France.
Vouvrage de Jean-Marie Floch traduit un déplacement de la probléma-
Index des notns 229 tique exprimée non plus en termes de communication mais de signification :
le sémioticien n'est pas condamné à limiter son intervention a Vétude du
Index des termes sémiotiques 231 design commercial ou de messages publicitaires. II a, plus généralement,
vocation à fournir les outils conceptuels et méthodologiques utiles à une
meilleure intelligibilité des comportements de marche et à la création d'une
différence, bref d'un avantage concurrentiel. Si Vobjet du projet sémiotique
actuei est de faire en sorte que le sens devienne signification, on voit mal com-
ment le marketing peut se passer de la sémiotique dans sa réflexion straté-
gique. Le succés des montres Swatch, Véchec du positionnement de certaines
marques de panaché - est-ce plutôt une biere ou plutôt un soft d r i n k ? - ,
le marche de la reproduction ou s'affrontent fabricants de papier Car-
bone, photocopieuses, imprimantes... sont autant d'exemples de Vutilité d'un
déploiement méthodique - tel que peut le réaliser un sémioticien - des vir-
tualités offertes par un concept de produit-marché.
Le pendule - celui de la recherche Internationale en marketing - semble
VIII Sous les signes, les stratégies Préface IX

maintenant s'éloigner du paradigme positiviste, quantitativiste, jusqualors Pour le sémioticien, les trajets sont un «texte» et les différentes façons de
dominant, pour favoriser la reconnaissance d'approches plus qualitativistes, vivre le trajet représentent différentes stratégies de valorisation de ce trajet.
au rang desquelles la sémiotique. Heureux Jean-Marie Floch qui pourra On voit bien ici le présupposé de cette démarche : le sujet est Vobservateur
ainsi fort justement et légitimement bénéficier d'une attention Internationale de ses comportements et tend ensuite à en être le producteur. Sujet valori-
qui lui aurait été peut-être refusée, il y a seulement cinq ans. Ainsi vont sant, le voyageur «donne» du sens à son trajet. Le «psychosociologue », lui,
les modes! Mais peut-être s'agit-il, plus profondément, d'une crise du para- aura tendance à étudier les facteurs individueis ou collectifs qui font que le
digme (au sens de T. S. Kuhn) de la recherche académique en marketing? trajet «prend» du sens pour le sujet.
Cest ce qu'il faut espérer. Cest ce que f espere. Pourquoi? Parce qu'il me On comprend pourquoi les problématiques du «psychosociologue » - que
semble que le marketing a besoin de la sémiotique. Parce qu'il me semble les chercheurs qui ne se reconnaitraient pas dans ce raccourci me par-
que, confrontée aux réalités concrêtes du marketing et de la communication donnent! - ont trouvé spontanément crédit auprês des gens du marketing.
et de la présence plus ancienne d'autres disciplines (psychologie, sociologie, Uhomme du marketing se décrit volontiers comme créant et offrant des ser-
économie, etc), la sémiotique ne peut que s'enrichir de nouveaux chan- vices, des produits, bref de la valeur ou du sens que des cibles vont être
tiers conceptuels. invitées à décoder et consommer. Dans une étude plus traditionnelle, Jean-
Le cadre théorique utilisé par J.-M. Floch dans les six études qu'il nous Marie Floch montre que la communication publicitaire automobile offre au
presente s'inscrit dans le courant de Vapproche structurale européenne et, moins quatre — carré sémiotique «oblige» — virtualités de valorisation :
plus précisément, dans le prolongement des idées développées, à Paris, par pratique, utopique, ludique et critique. Au consommateur de faire un choix
A. J. Greimas et son Groupe de Recherches Sémio-Linguistiques. Au centre de ontologique que le psychosociologue accepte d'étudier. Le sémioticien pour sa
cette approche est Vidée que pour pouvoir comprendre les actes de langage part s'y refusant (dans Vinterprétation, point de salut, ai-je envie de dire!).
(1'énonciation) - cest Vobjet de la pragmatique - il convient de déga- Le consommateur... producteur de sens? N'est-ce pas déposséder le fabri-
ger d'abord les formes signifiantes sous-jacentes a Vénoncé, dans et par cant ou prestataire de services (Vénonciateur, pour le sémioticien) de son
lesquelles s'organise la signification d'un texte. La sémiotique structurale pouvoir? N'est-ce pas émettre une proposition hostile ou du moins dan-
s'attache donc à analyser en premier lieu Vénoncé dans son immanence, gereuse pour le marketing? Certainement pas, si par marketing on entend
pour que soit correctement aborde ensuite Vacte d'énonciation. vraiment recherche de la satisfaction du consommateur. Et quelle plus
La vertu principale, à mes yeux, des travaux presentes par J.-M. Floch noble ambition peut-on imaginer que celle de nouer un « contraí de commu-
est de montrer comment Vétude sémiotique peut s'articuler avec d'autres nication» entre énonciateur et énonciataire ou énonciateur et énonciataire
approches. Uauteur parle d'«épreuve qualifiante» pour la sémiotique; ne s'échangent du sens? Ou, par exemple (voir Vétude sur le Crédit du Nord),
peut-on aussi parler d'épreuve «édifiante» pour le marketing? la marque se veut parole, prise et ténue. Provocante la problématique sémio-
A quoi peut bien servir un sémioticien ? Prenons Vétude du comporte- tique ? sans doute, mais ô combien légitimisante pour Vhomme de marketing
ment des usagers du metro qui, a mes yeux, represente le mieux Vintérêt de moderne - oserai-je dire - éclairé! Et c'est bien de cet homme-là quil est
Vapproche sémiotique, utilisée en combinaison avec d'autres approches. implicitement question dans la pratique décrite par J.-M. Floch.
A Vétude psychologique du discours sur le trajet du metro, la sémiotique Cela ne veut pas dire que le sémioticien moderne, celui qui se hasarde
propose, en préalable, Vétude du trajet considere comme texte (le discours d u au-delà des textes de Vécrit, soit au bout de ses peines. On lui demandera,
trajet) pour savoir comment et non pas seulement pourquoi les gens voyagent sans doute, et je souscris pleinement à cette exigence, d'aider à mieux com-
dans le metro. Tout comme le «psychosociologue » — un personnage familier prendre comment s'opere cette «production de sens», en quoi consistent ces
des milieux d'étude de marche - le sémioticien va se pencher sur les «façons stratégies de valorisation consciemment ou inconsciemment mises en ceuvre
de vivre» le trajet. «Tout comme»... non! car, comme Vavoue J.-M. Floch, par les sujets pour produire du sens. On voit bien que le parti pris
cette expression (façon de vivre) est «bien peu sémiotique». Que veut-il dire scientifique de sémioticien ne peut exclure Vapport d'autres disciplines pour
par là ? Eh bien, que le sémioticien va se donner un projet d'étude différent. répondre à de telles questions. Comment, par exemple, parler de «parcours
X Sous les signes, les stratégies

génératif du sens », de « structures sémio-narratives et discursives » - je ren-


voie ici le lecteur à Vétude sur Vautomobile - sans associer une telle quête
aux travaux effectués en psychologie cognitive sur la perception, le codage REMERCIEMENTS
et le décodage, le développement de catégories et de traits cognitifs, Venchevê-
trement de structures mentales et fonctionnelles, Vutilisation de prototypes,
schémas, scripts, «frames», la formation d'impressions, dHnférences, etc?
Comment parler des fonctions narratives des divers actants (destinateur,
destinataire, adjuvant, opposant...) sans être amené par la nature même
de la problématique marketing à approfondir les motivations, structures et
processus sous-jacents aux conduites et comportements de ces actants ? Com-
ment peut-on se vouloir scientifique sans mieux expliciter les étapes méthodo- La conception de ce livre, la définition de son contenu et, finalement,
logiques de la démarche sémiotique qui la distinguerait, aux yeux du béotien, sa mise en forme ont beneficie du concours de nombreuses personnes
de la traditionnelle analyse de contenu ? Comment éluder éternellement le que je tiens à remercier ici.
problème de la «reproductivité» des résultats de Vanalyse sémiotique? Je voudrais remercier tout d'abord ceux qui m'ont donné 1'idée et
Le talent, et la modestie, de Jean-Marie Floch donnent un caractere moins la possibilite de faire ce livre : D. Truchot et J.-M. Lech qui dirigent
pressant à ces questions : les six études qu'il décrit tirent une excellente mais I P S O S et y ont favorisé le développement d'un département d'études
dangereuse légitimité de leur caractere manifestement «utile». Qui ne s'inté- sémiotiques, et J.-P. Martinez avec qui j ' a i créé ce département et qui
resserait pas, en effet, à cette typologie des voyageurs du metro (ami lecteur, m'a aidé dans nombre d'études à 1'origine des problématiques qui sont
es-tu arpenteur, flâneur, somnambule ou pro ?) ? Comment aussi ne pas abordées ici.
«voir» que Vétude des cent trente annonces de la communication publici- Je suis redevable d'autre part envers ceux qui ont travaillé avec moi
taire sur les psychotropes va bien «au-delà» de Vanalyse de contenu clas- sur certains «gros chantiers» tels que la communication pharmaceu-
sique ? II n'empêche que la question est posée et doit être posée pour donner à tique (cf. le chapitre «Le refus de 1'euphorie») : F. Bastide, J. Escande,
la sémiotique son véritable statut. J. Fontanille et le D M . Piquet, et envers ceux qui m'ont permis de
r

Un regrei finalement : que cet ouvrage ne reprenne pas plus en détail roder les différents chapitres de ce livre en en présentant le contenu
(voir p. 139-140) Vétude três originale effectuée par Vauteur sur le design de devant leurs étudiants : D. Bertrand du B E L C , G. Marion de l ' E S C de
Vhypermarché de nouvelle génération ni ne développe davantage Vapplica- Lyon, Ch. Pinson de 1 ' I N S E A D et St. Wargnier de 1'lFM.
tion de la sémiotique au design des objets. Enfin, j'exprime ici toute ma gratitude à ceux qui, d'une façon ou
L'ouvrage que nous donne Jean-Marie Floch est important et utile. II d'une autre, m'ont aidé lors de la réalisation du livre : D. Charbit
devrait devenir lecture obligatoire pour tous ceux, praticiens et théoriciens, (Crédit du Nord), A. Debray ( I P S O S ) , J. Feldman ( F C A ! ) , A. et H . Mou-
qui veulent faire évoluer la recherche en marketing et communication. Je vois lin ( E C O M E X ) , V. Relave ( R A T P ) , C. Roussiès ( I P S O S ) , J. Séguéla ( R S C G )
mal aussi comment il ne deviendrait pas rapidement un ouvrage de référence et F. Viellajus ( C L M / B B D O ) .
sur la scêne internationale. Cest, enfin, un livre três pédagogique dans sa
construction et plaisant à lire, et à relire, ce qui est plus rare. De cela, aussi,
Vauteur doit être remercié.

C H R I S T I A N PINSON,
vice-président de VAssiociation Française du Marketing,
professeur de marketing a 1'INSEAD.
«A SAUTS ET A G A M B A D E S »
AVERTISSEMENT A U L E C T E U R

Ce livre parle des «choses de la vie» : des voitures, du metro, de la


banque, de 1'hypermarché, de la lecture ou encore de la crise de foie
et des états dépressifs ; et il en parle concrètement. A propôs du
metro par exemple, il n'est pas question de la Ville, de 1'Urbanité ou
de l'« Aujourd'huité» (!?), mais des faits et gestes des voyageurs, des
différentes façons dont ils passent les portillons, parcourent les cou-
loirs et se placent sur le quai en attendant la rame. Et quand il s'agit
de publicite, on parle de campagnes publicitaires precises et non de
la Publicite en general : des campagnes comme celles de Manpower,
Eustucru, Eram ou «Super Glue 3» sont analysées pour definir les
grandes «philosophies de pub» développées par les Ogilvy, Feldman,
Séguéla, Michel...
Mais on ne peut parler de réalités aussi différentes qu'à la condition
de les aborder selon le même point de vue — à moins de parler de
tout, c'est-à-dire de rien. Ici, ces réalités sont abordées du seul point
de vue de leurs rapports au sens et à la signifícation. A partir de là,
si l'on refuse le discours du gourou, force est de se soucier de préci-
ser ce que l'on entend par sens et signifícation, et d'ouvrir la boíte à
OUtils dont on se sert pour leur analyse. Aussi le lecteur lira-t-il ces
pages «à sauts et à gambades», selon 1'expression de Montaigne : pas-
sam du concret à 1'abstrait et inversement. Ainsi, 1'analyse du concept
de clarté choisi pour être le concept clé de la communication globale
du Crédit du Nord amènera à la présentation des deux grandes
csthétiques opposées que sont le classique et le baroque mais, dans le
même chapitre, la présentation du «schéma narratif» débouchera sur
une méthodologie d'étude des effets de sens produits par des logos ou
par des projets de logo.
Sous les signes, les stratégies

Par ailleurs, ce livre a é t é conçu et écrit de telle sorte qu'on puisse à


p r e m i è r e lecture « s a u t e r » les pages t h é o r i q u e s : le lecteur d é s i r e u x
le connaitre d ' e m b l é e la façon de faire de la s é m i o t i q u e peut três bien
Yisser le premier chapitre, p r é s e n t a n t sa façon d'être (« Hors du texte,
loint de salut!»), et commencer par suivre avec nous les voyageurs « H O R S D U T E X T E , P O I N T DE S A L U T »
lans le metro. De m ê m e , i l pourra aller jusqu'au bout des ana- L'APPROCHE SÉMIOTIQUE
jses c o n c r è t e s sans devoir lire les pages de p r é s e n t a t i o n des grands
incepts t h é o r i q u e s qui, par moments, les interrompent.
Ce livre n'est donc n i un cours de sémiotique ni une suite de rap-
forts d ' é t u d e s . Ce n'est pas un cours parce que les réalités dont on
irle ne sont pas là pour é g a y e r quelque docte p r o p ô s sur les langages
t les signes; ce n'est pas non plus une suite de rapports ou de p r é s e n -
itions d ' é t u d e s parce q u ' i l convient — dans un rapport ou lors d'une
r é s e n t a t i o n — de ne pas laisser les outils dans le ventre du patient : Cette vigoureuse formule si souvent r é p é t é e par A . J. Greimas pour- 1

' é p a r g n e r au client 1'histoire et la p r é h i s t o i r e des concepts et des rait ê t r e la devise des sémioticiens. Elie indique ou rappelle assez que
r o c é d u r e s qui constituent la t h é o r i e et la pratique de la sémiotique. la sémiotique est d'abord une relation c o n c r è t e au sens, une attention
n fait, le lecteur ira « à sauts et à g a m b a d e s » tout simplement parce p o r t é e à tout ce qui a du sens; ce peut ê t r e u n texte bien súr mais ce
ue nous avons voulu illustrer ici une certaine façon de faire de la peut ê t r e n'importe quelle autre manifestation signifíante : un logo,
jmiotique : pas de t h é o r i e qui ne s ' é p r o u v e dans une pratique. un film, un comportement... Cette formule dit encore que les «objets
de sens » — comme on dit — sont les seules réalités dont s'occupe et
veut s'occuper la sémiotique. Ils constituent le point de d é p a r t et le
point d'ancrage de sa pratique : la s é m i o t i q u e ne cherche pas à rendre
compte des réalités m a t h é m a t i q u e s , physiques, idéelles ou autres. Par
contre, le contexte dans lequel s'inscrivent ou apparaissent les objets

1 La p e r s o n n a l i t é et la p r é s e n c e c T A . J . Greimas a p p a r a í t r o n t assez clairement — d u


moins nous 1'espérons — au fur et à mesure de la lecture de cet ouvrage. Pour les
a p p r é c i e r plus directement, le mieux est de lire les r é p o n s e s q u ' A . J . Greimas a faites
aux nombreuses questions qui l u i o n t é t é p o s é e s sur son parcours, ses travaux et ses
projets lors d u colloque de Cerisy c o n s a c r é à sa recherche et à celles des divers groupes
et centres français et é t r a n g e r s qui travaillent « à p a r t i r et autour » de l u i ; les actes de
ce colloque sont parus sous le t i t r e La sémiotique en jeu, à partir et autour de Vceuvre
d'A.J. Greimas aux Editions H a d è s - B e n j a m i n s , P a r i s / A m s t e r d a m , 1987 ( M . A r r i v é et
].-CI. Coquet ed.). I I existe de n o m b r e u x ouvrages p r é s e n t a n t 1'ensemble des travaux
d ' A . J. Greimas et du Groupe de Recherches s é m i o - l i n g u i s t i q u e s q u ' i l a f o n d é i l y a
quelque vingt ans et q u ' i l dirige toujours a u j o u r d ' h u i . Parmi les ouvrages en langue
I t a n ç a i s e , on peut citer :
J. C o u r t é s , Introduction à la sémiotique narrative et discursive (préface d ' A . J. Greimas)
Paris, H a c h e t t e - U n i v e r s i t é , 1976 ; A . H é n a u l t , Les enjeux de la sémiotique et Narratologie,
sémiotique générale, Paris, P U F , 1979 et 1983 ; J.-Cl. Coquet, Sémiotique. VEcole de Paris,
Paris, H a c h e t t e - U n i v e r s i t é , 1982 ; H . Parret et H . - G . Ruprecht (ed.), Recueil d'hommages
pour A. J. Greimas, A m s t e r d a m , Benjamins, 1985.
4 Sous les signes, les stratégies «Hors du texte, point de salut» 5

de sens — le fameux « c o n t e x t e de c o m m u n i c a t i o n » — sera pris en compte fait» mais cet espace et ce temps ne sont pas ceux de 1'activité
c o n s i d é r a t i o n . . . à partir du moment o ú i l est lui-même aborde comme sémiotique, dont la visée est et reste la description des conditions de
un objet de sens, comme un « t e x t e » . I I aura alors integre 1'ensemble production et de saisie du sens.
de ces réalités dont s'occupe la sémiotique et celle-ci n'aura pas perdu A u t r e p r í n c i p e : la s é m i o t i q u e recherche le système de relations que
de vue son projet. Bien plus, elle aura g a g n é la légitimité de son forment les invariants de ces productions et de ces saisies à partir de
intervention et conserve 1'autonomie de sa d é m a r c h e , parmi d'autres l'analyse de ces variables que sont les signes. Les signes, en effet, sont
approches autrement legitimes : 1'histoire, la sociologie, le marke- de dimensions et de m a t i è r e s três diverses; ils sont de plus relative-
ting... Le premier chapitre de cet ouvrage raconte justement com- ment interchangeables du simple fait — q u ' i l ne faut jamais perdre de
ment, pour comprendre les diverses interactions entre agents R A T P vue — qu'ils ne prennent leur valeur que dans et par leurs contextes . 2

et voyageurs, ainsi que la façon dont elles sont a p p r é c i é e s par ces der- Les signes ne constituent donc pas l'objet m ê m e de la s é m i o t i q u e : ce
niers, une equipe de sémioticiens a d'abord travaillé sur les parcours sont des u n i t é s de surface à partir desquelles i l s'agit de d é c o u v r i r
m é t r o / R E R dans lesquels s'inscrivent ces interactions, et comment on le j e u des significations sous-jacentes, «1'invariance dans la v a r i a t i o n »
a pu definir ces parcours comme la manifestation de quelques grandes pour reprendre la formule de R. Jakobson . Comme on appelle forme
3

stratégies signifiantes. La sémiotique a donc une position claire, en le niveau o ú se situent ces invariants, la s é m i o t i q u e peut ê t r e considé-
d é l i m i t a n t d ' e m b l é e son champ d'investigation : elle ne nie pas 1'exis- r é e — en ce sens — comme « u n e discipline de la f o r m e » . Le p r í n c i p e4

tence d'un contexte — qui le pourrait? — mais elle dit ne devoir ni ne que nous venons d'exposer — a p p e l é príncipe d'immanence — n'est pas
pouvoir intervenir que s'il est aborde comme « t e x t e » : si le contexte le fait d'une illumination soudaine ou d'un a priori. I I a une histoire,
est un bric à brac de d o n n é e s et de notations diverses, provenant dont l'âge moderne dans les disciplines du sens et des langages peut
d'approches ou de disciplines plus ou moins croisées, i l n'est pas 1'objet
de la s é m i o t i q u e . Et ceei n'est q u ' u n apparent paradoxe : la position
Sur ce poínt essentiel, on peut citer par exemple le linguiste danois L . Hjelmslev dont
de la s é m i o t i q u e est celle qui permet une interdisciplinarité réelle et 2

les travaux reprirent et approfondirent le projet saussurien : « Les significations dites


efficace, c'est-à-dire une articulation réfléchie — sur le partage d'un lexicales de certains signes ne sont jamais que des significations contextuelles artificiel-
m ê m e souci d'explicitatiòn des d é m a r c h e s et des concepts — entre lement isolées ou paraphrasées. Pris isolément, aucun signe n'a de signification. Toute
signification de signe naít d'un c o n t e x t e » (Prolégomènes à une théorie du langage, Paris,
plusieurs disciplines qui ont chacune leur propre p r o b l é m a t i q u e et par Kd. de Minuit, 1971, p. 62).
là m ê m e leur propre objet. La s é m i o t i q u e se définit par le domaine O n comprendra donc que linguistes et sémioticiens puissent être plus que sceptiques
devant les m é t h o d o l o g i e s d'études et les « m o d e l e s » prenant en considération les mots,
d'investigation qui est le sien : les langages — tous les langages —
isoles de leurs contextes, pour en mesurer les fréquences ou les écarts, avec 1'idée qu'on
et les pratiques signifiantes, qui sont essentiellement des pratiques aborde ainsi les p r o b l è m e s de signification.
sociales. Mais la s é m i o t i q u e doit aussi — sinon surtout — se definir Notons d'autre part qu'un projet sémiotique tel que celui d'A. J . Greimas est né d'une
critique du signe comme unité pertinente pour 1'analyse des formes signifiantes et des
par une certaine approche de ces réalités : par un certain projet qui systèmes de signification : «.Cest parce que j'ai vu, après un travail de cinq ou six ans,
va transformer ces réalités en son objet. Parlons donc de 1'approche que la lexicologie ne menait nulle part — que les unités l e x è m e s ou signes ne menaient
sémiotique et, pour la spécifier par rapport à d'autres approches pos- à aucune analyse, ne permettaient pas la structuration, la c o m p r é h e n s i o n globale des
p h é n o m è n e s — que j ' a i compris que c'est "sous" les signes que les choses se passent.
sibles, exposons les quelques príncipes sur lesquels elle repose. Kvidemment, une sémiotique, c'est un "système de signes", mais à condition de dépasser
ces signes et de regarder, j e me répète, ce qui se passe sous les signes. Ce genre de pos-
lulat ou d'intervention, il a faliu que j e le vive pour vraiment y adhérer. Pour moi, la
T o u t d'abord, pour la s é m i o t i q u e , le monde du sens est intelli- iidii pertinence du niveau des signes, j e l'ai v é c u e dans mon e x p é r i e n c e lexicologique
parce que c'est la lexicologie que nous avons c h e r c h é à fonder avec Georges Matoré
gible. La s é m i o t i q u e ne partage donc pas le g o ú t de 1'ineffable qui dans les a n n é e s 1 9 4 0 - 1 9 5 0 " » («Algirdas Julien Greimas mis à la question, in Sémiotique
caractérise certaines e s t h é t i q u e s ou certaines critiques. Par exemple, en jeu, op.cit. p. 302-303).
R. Jakobson, Une vie dans le langage, Paris, E d . de Minuit, Paris 1984, p. 155
un sémioticien repugne à dire que «1'efficacité de la publicite reside 1

4 A . J . Greimas, Entretien avec H . - G . Ruprecht in Recherches sémiotiques / Semiotic


dans son c h a r m e » . Cest p e u t - ê t r e vrai « q u e l q u e p a r t » et « t o u t Inquiry, vol 4, n° 1, Ottawa, ACA/CSA, p. 20.
6 Sous les signes, les stratégies «Hors du texte, point de salut» 7

ê t r e situe au moment de la publication du Mémoire de F. de Saussure des formes signifíantes, n'est donc pas issue d'une réflexion t h é o r i q u e ,
en 1878 . Sous des noms divers du fait notamment des disciplines
6
de nature philosophique ou logique, sur la p e n s é e ou les signes en
d'origine de ceux qui ont fait cette histoire — R. Jakobson, L . Hjelms- general; elle est n é e du besoin qu'ont eu les « p r a t i c i e n s » des réalités
lev, E. Benveniste, A . J. Greimas mais aussi G. Dumezil et Cl. Lévi- signifíantes d'expliciter leurs p r o c é d u r e s d'analyse et d ' i n t e r d é f í n i r
Strauss — cette discipline de la forme signifiante se r e c o n n a í t toujours leurs concepts. Elle est issue d'une « t r a d i t i o n de r i g u e u r » , à laquelle 7

à son objectif premier : rechercher le système de relations qui fait que se rattachent nombre de ceux qui veulent é c h a p p e r à 1'essayisme et
les signes peuvent signifier. rejoindre la pratique scientifíque, pour ses exigences de c o h é r e n c e ,
Dans le milieu du marketing et de la communication, i l est d'usage de transmissibilité et de mise à 1'épreuve des résultats.
de p r é s e n t e r une é t u d e en rappelant objectif et m é t h o d o l o g i e ; rappe- Cela dit, appeler sémiotique une telle discipline ou une telle
lons donc la « m é t h o d o l o g i e » de la discipline en question : travailler approche pose quelques p r o b l è m e s . Q u i n'a pas entendu parler de
à partir des textes, là o ú les signes signifíent... « H o r s du texte, point sémiologie ? Y a-t-il une différence entre sémiologie et sémiotique? Ne
de salut!» Tous ceux qui ont fait 1'histoire de la discipline ont eu le dit-on pas que les deux termes sont substituables puisqu'il s'agit tou-
souci du texte ou des objets de sens sur lesquels ils ont travaillé et sont jours de designer « l a science g é n é r a l e des signes» et que les langages
constamment revenus. Leurs formations? La philologie, la lexicolo- sont, par elles, conçus comme des systèmes de signes? N ' y a-t-il pas
gie, 1'ethnologie... « L ' é t u d e empirique conditionne 1'accès à la struc- d'autres sémiotiques, relevant d'autres histoires ou — pis — issues
t u r e » , rappelle C l . Lévi-Strauss . La s é m i o t i q u e , en tant qu'approche
6
d'autres « c h a p e l l e s » ? I c i , soyons clair, et concis. Nous appelons cette
approche des formes signifíantes sémiotique tout simplement parce que
— sous 1'impulsion de R. Jakobson — Cl. Lévi-Strauss, E. Benveniste,
5 Le titre exact est Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-euro- R. Barthes et A . J. Greimas ont f o n d é le Cercle parisien de s é m i o t i q u e
péennes.
en 1967 et que, et sans discontinuité depuis, u n grand nombre de tra-
" C l . Lévi-Strauss, Le regard éloigne', Paris, Plon, 1983, p. 145. V o i c i les réflexions q u i
p r é c è d e n t ce rappel : vaux, d'ouvrages, de centres en France et dans le monde utilisent le
« Mes c o l l è g u e s anglo-saxons taxent souvent " d ' i d é a l i s m e " o u de "mentalisme" la per- terme de s é m i o t i q u e pour designer de telles recherches sur les formes
spective structurale sous laquelle, depuis u n quart de siècle, j ' a b o r d e 1'étude des faits
sociaux. O n m'a m ê m e qualifié de h é g é l i e n . Certains critiques m'accusent de faire des signifíantes que sont, pour eux, les langages et les pratiques sociales.
structures de 1'esprit la cause de la culture, parfois m ê m e de les c o n f o n d r e ; o u bien ils Mais i l ne faut pas ignorer d'une part que le terme, saussurien, de
croient que j e p r é t e n d s m'attaquer directement aux structures de l'esprit afin d'y
« s é m i o l o g i e » est encore utilisé, notamment par des gens qui privile-
d é c o u v r i r ce qu'ils appellent par ironie des "universaux lévi-straussiens". Si tel é t a i t le
cas, l ' é t u d e des contextes culturels au sein desquels l'esprit opere et à travers lesquels giem la p r o b l é m a t i q u e du signe, attachant ainsi davantage d'impor-
il se manifeste offrirait en effet peu d ' i n t é r ê t . Mais alors, p o u r q u o i aurais-je choisi tance au discours didactique de F. de Saussure — à son Cours — 8

de devenir ethnologue au lieu de poursuivre la c a r r i è r e philosophique à laquelle mes


é t u d e s universitaires me destinaient? Et comment se fait-il que mes livres p o r t e n t tant
d'attention aux plus infímes détails ethnographiques ? Pourquoi m ' y efforçais-je d'iden- ner à tel o u tel é v é n e m e n t de son histoire, tel ou tel aspect de son habitat, p a r m i tous
tifier avec p r é c i s i o n les plantes et les animaux connus de chaque s o c i é t é , leurs emplois ceux qu'elle aurait aussi bien p u retenir p o u r leur c o n f é r e r un sens.
techniques particuliers et, s'agissant d ' e s p è c e s comestibles, les m a n i è r e s d i f f é r e n t e s « L ' a n t h r o p o l o g i e est avant t o u t une science e m p i r i q u e . Chaque culture represente
d o n t on les prepare : bouillies, cuites à 1'étouffée o u à la vapeur, r ô t i e s , grillées, frites, une occurrence unique à laquelle i l faut consacrer la plus minutieuse attention pour
ou bien s é c h é e s ou f u m é e s p o u r assurer leur conservation ? Voilà des a n n é e s que j e pouvoir d'abord la d é c r i r e , essayer de la c o m p r e n d r e ensuite. Seul cet examen r é v è l e
rrTentoure p o u r travailler de globes et de cartes celestes permettant de r e p é r e r la quels sont les faits, et les c r i t è r e s , variables d'une culture à 1'autre, en v e r t u desquels
position des étoiles et des constellations sous d i f f é r e n t e s latitudes et à diverses saisons, < hacune choisit certaines e s p è c e s animales o u v é g é t a l e s , certaines substances m i n é r a l e s ,
de t r a i t é s de g é o l o g i e , de g é o g r a p h i e et de m é t é o r o l o g i e , d'ouvrages de botanique, de certains corps celestes et autres p h é n o m è n e s naturels, p o u r les doter d'une significa-
livres sur les m a m m i f è r e s et sur les oiseaux... lion et mettre en forme logique un ensemble fini d ' é l é m e n t s . »
« L a raison est f o r t simple : on ne saurait entreprendre une recherche quelconque 7 C e s t le titre d ' u n entretien d ' A . J. Greimas et R.-P. D r o i t , d u Monde, dans le cadre
sans avoir, au p r é a l a b l e , r a s s e m b l é et vérifié toutes d o n n é e s . J'ai d i t souvent p o u r q u o i : d'une e n q u ê t e sur la s é m i o t i q u e , u n t i t r e q u i reprenait les p r o p ô s m ê m e s d u sémioti-
II n'existe pas de p r í n c i p e general, de d é m a r c h e d é d u c t i v e permettant d'anticiper les <ien (Le Monde, 7 j u i n 1974).
é v é n e m e n t s contingents dont est faite l'histoire de chaque société, les caracteres parti- " F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1964 ( p r e m i è r e é d i t i o n de
culiers d u milieu q u i 1'environne, les significations imprévisibles qu'elle choisit de don- Ce recueil de notes de cours : 1915).
8 Sous les signes, les stratégies «Hors du texte, point de salut» 9

q u ' à 1'apport m é t h o d o l o g i q u e et t h é o r i q u e majeur qu'a represente son qui le rendent intelligible à celles infiniment plus complexes qui le
Mémoire. Et i l ne faut pas ignorer d'autre part que le terme de sémio- rendent lisible, visible ou audible. La distinction et la h i é r a r c h i s a t i o n
tique designe aussi une science g é n é r a l e des signes et une recherche des niveaux dont nous parlons n'est donc pas statique; elle est fonda-
sur leur possible typologie f o n d é e par le philosophe et logicien a m é r i - mentalement dynamique . 9

cain Charles S. Peirce, contemporain de F. de Saussure : une «sémio- De m ê m e q u ' i l est d'usage de p r é s e n t e r une é t u d e en c o m m e n ç a n t
t i q u e » — c'est bien le mot choisi par Charles S. Peirce — o ú le par le rappel de 1'objectif et de la m é t h o d o l o g i e , de m ê m e i l convient
privilège est donc encore d o n n é au signe. R. Jakobson mais surtout — tout à fait à raison — d'indiquer dans un projet les « r é s u l t a t s
Cl. Lévi-Strauss, E. Benveniste, R. Barthes et A . J . Greimas ont-ils a t t e n d u s » , de penser donc à ces « A quoi cela va-t-il s e r v i r ? » , « Q u ' e s t -
fait le bon choix en adoptant le mot de s é m i o t i q u e à leurs yeux plus ce que cela va m ' a p p o r t e r ? » ou — plus brutal et plus « p r o » — à ce
international et donc a priori plus favorable à la p r o m o t i o n de 1'héri- « S o w h a t » qui, s'ils venaient à ê t r e poses, signifieraient assez votre
tage saussurien? Rien n'est moins súr. P e u t - ê t r e leur eút-il faliu alors contre-performance persuasive. En d'autres termes, ces grands p r í n -
quelque solide é t u d e de marketing ou quelque p r é c i e u x conseil en cipes que nous venons d'exposer, s'ils garantissem à la s é m i o t i q u e
packaging! T a n t pis : 1'essentiel est ici que le lecteur sache à quoi s'en son identité, garantissent-ils aussi quelque valeur ajoutée à celui qui
tenir et que 1'opérationnalité de 1'approche choisie puisse ê t r e correc- s'en sert dans sa propre pratique, pour parvenir à ses propres fins? A
tement et clairement illustrée. 1'homme de marketing ou de communication en 1'occurrence — mais
Enfin, troisième p r í n c i p e de la sémiotique, structurale donc : dis- ce pourrait ê t r e aux m é d e c i n s , aux juristes, ou aux historiens de l'art
tinguer et h i é r a r c h i s e r les différents niveaux o ú peuvent se situer les par exemple : à tous ceux qui ont t ô t ou tard à se colleter avec le sens.
invariants d'une communication ou d'une pratique sociale. Selon quels A partir de notre e x p é r i e n c e personnelle dans ces domaines du mar-
critères ces niveaux seront-ils hiérarchisés ? Selon qu'ils r e p r é s e n t e n t keting et de la communication, nous pensons que la s é m i o t i q u e peut
une é t a p e plus ou moins en amont ou plus ou moins en aval dans le r e p r é s e n t e r une réelle valeur ajoutée dans trois grands types de pro-
parcours que suit le sens depuis le « m o m e n t » o ú i l est articulable et duction ou de transformation : lorsqu'il faut obtenir plus d'intelligibi-
donc descriptible (le sens devient alors signification) jusqu'au moment lité, plus de pertinence, plus de différenciation. Nous n'avons pas dit
o ú i l est manifeste... par des signes, c'est-à-dire j u s q u ' à ce q u ' i l plus d'intelligence, plus d'expertise, plus de culture... De fait, bien
devienne ce texte que l ' o n analyse ou que l'on aide à concevoir. Voilà des exploitations fructueuses d ' é t u d e s sémiotiques ont pour origine le
pourquoi on parle de l'approche g é n é r a t i v e de la s é m i o t i q u e et d'un croisement des résultats de celles-ci et de la connaissance qu'un expert
parcours génératif de la signification. Voilà aussi pourquoi le titre de cet peut apporter sur le sujet du fait de sa familiarité avec 1'univers ana-
ouvrage, Sous les signes, les stratégies peut se lire comme 1'affirmation lyse — la s é m i o t i q u e fournissant alors une certaine puissance de struc-
des príncipes de base qui c a r a c t é r i s e n t la s é m i o t i q u e dont nous vou- turation, d'organisation et d'explicitation des enjeux concevables dès
lons illustrer l ' o p é r a t i o n n a l i t é . « S o u s les signes», pour poser le prín- lors que le p r o d u i t , le service ou le comportement est aborde comme
cipe d'immanence qui veut que les signes ne sont jamais que le point de signifiant. Quant à la culture, si tant est qu'on puisse à ce sujet en
d é p a r t de la recherche de formes signifiantes sous-jacentes. « Les stra- d é t e r m i n e r la valeur, elle ne saurait tenir lieu de m é t h o d o l o g i e .
tégies», pour s u g g é r e r déjà que ces formes r e p r é s e n t e n t des exploita-
tions particulières de tel ou tel système existant, et qu'elles doivent
se comprendre dans une relation plus ou moins contractuelle entre
ceux qu'il est convenu d'appeler les é m e t t e u r s et les r é c e p t e u r s . Nous
reviendrons sur ce concept central de « parcours g é n é r a t i f » (cf. p. 123);
disons simplement d è s maintenant q u ' i l se comprend comme la r e p r é - 9 Cette conception dynamique de la production de la signification conçue comme un
sentation de 1'enrichissement du sens, des relations les plus simples enrichissement progressif est l'un des apports majeurs des travaux d'A. J. Greimas au
projet d'une sémiotique générale.
10 Sous les signes, les stratégies «Hors du texte, point de salut» 11

toujours au p r i x d'une n é g a t i o n de 1'étrangeté. Des goúts et des cou-


leurs, des d é g o ú t s et des douleurs, la sémiotique veut en parler,
Plus d'intelligibilité
reprenant 1'idée que « l e cceur a ses r a i s o n s » ou qu'il existe aussi des
«logiques du c o n c r e t » . O n retrouve, ici encore, ce projet — presque
12

L'approche s é m i o t i q u e peut permettre d'y voir plus clair dans la réflexe — de la s é m i o t i q u e : faire en sorte que le sens devienne signi-
« n é b u l e u s e du sens» — pour reprendre la formule saussurienne fication. I I nous est ainsi a r r i v é de travailler sur la saveur tenace des
— que sont ou que finissent par devenir les concepts publicitaires : apéritifs à la gentiane, sur le d é p l o i e m e n t baroque d'une fragrance
la convivialité, le b i e n - ê t r e , le bon sens, la t o n i c i t é . . . C o n c r è t e m e n t ,
10
ou sur le mythe de la crise de foie.
c'est-à-dire tels qu'ils sont utilisés, trouvés, choisis ou transmis lors de La crise de foie, voilà un exemple de rationalité d'un autre type,
« b r i e f i n g s » , ces concepts sont le plus souvent des mots. Ce sont des plus mythologique que logique! Chacun sait que «les crises de foie, ça
e n t r é e s de dictionnaire, des « l e x è m e s » comme diraient les linguistes. n'existe p a s » . Le savent du moins les m é d e c i n s mais aussi les Anglais
O r qui a jamais ouvert u n dictionnaire sait d'une part qu'un mot est ou les Allemands qui se demandent bien ce que cela veut dire pour les
un é n o n c é condense — sa définition est 1'énoncé en expansion d o n n é Français. Une analyse des récits de crise de foie peut montrer com-
pour équivalent — et, d'autre part, q u ' i l possède le plus souvent deux ment cet organe, c o n ç u comme un filtre fragile, est dote d'une nature
ou trois acceptions du fait de 1'Histoire, du fait des divers usages ambivalente et j o u e le role d'un véritable m é d i a t e u r mythique : en
contextueis qui en ont é t é faits. La s é m i o t i q u e travaillera à partir tant que filtre, i l assurera le passage d'un état d'excès lié aux pratiques
de cette double leçon d o n n é e par le dictionnaire. Comme le mot, le alimentaires, culturelles, à un état d ' é q u i l i b r e d o n n é pour caractéris-
concept publicitaire constitue la petite partie é m e r g é e d'un iceberg de tique du n a t u r e l ; mais, de par sa fragilité, i l est aussi le responsable
sens : c'est une intrigue, des roles et des situations, un d é c o r et une de la transformation inverse. Bien plus, le consistant, le m é l a n g é , le
mise en s c è n e . Et, comme le mot, le concept publicitaire voit son
11
compact, le dilué et le gazeux s'organisent d è s lors selon une certaine
contenu sensiblement modifíé à chacune de ses exploitations : dans la logique, c o r r é l a n t les quatre é l é m e n t s naturels — l'eau, l'air, la terre
déclinaison d'une campagne ou avec 1'évolution de la communica- et le feu — aux quatre positions identifiables à partir de 1'opposition
tion. L'intelligibilité a p p o r t é e par la s é m i o t i q u e , lors du choix d'un n a t u r e - é q u i l i b r e vs culture-excès. La reconnaissance d'un tel système
concept, de sa reprise ou de sa confrontation avec ceux de la concur- sous-jacent aux récits des « v i c t i m e s » de la crise de foie fera com-
rence, consistera donc dans le d é p l o i e m e n t m é t h o d i q u e des virtualités prendre nombre de conduites t h é r a p e u t i q u e s plus q u ' é t o n n a n t e s :
offertes par ce concept d'une part et, d'autre part, dans la distinction se mettre le ventre contre un radiateur, é c o u t e r du Schubert p l u t ô t
et la h i é r a r c h i s a t i o n des variables et des invariants de son contenu. que du Mozart, du Beethoven p l u t ô t que du Berlioz...! Elie donnera
A p p o r t e r plus d'intelligibilité, ce peut ê t r e aussi inscrire — ou réin- d'autre part de précieuses indications sur les formes galéniques les
scrire — telle pratique, tel comportement, telle attitude dans 1'univers plus acceptables : les granules et les comprimes seront refusés selon la
des formes signifiantes : ce peut ê t r e de d é c o u v r i r — ou de r e d é c o u - m ê m e logique qui fera accepter les ampoules ou les sachets de
v r i r — d'autres types de rationalité. L'intelligibilité g a g n é e ne l'est pas poudre soluble.

10 Le terme même de concept, dans son usage publicitaire, constitue déjà une «nébu-
leuse du sens». Une étude historique et critique de celui-ci serait certainement três
riche d'enseignements sur les différentes approches réflexives que les publicitaires ont
de leurs créations et de leur pratique. Mais ceei est le sujet d'un des chapitres de cet
ouvrage (cf. «Tués dans l'ceuf»).
11 On trouvera dans Du sens II d'A. J. Greimas (Paris, Seuil, 1983) deux études sémio- 12 Ces logiques du concret ont déjà été abordées par le philosophe G. Bachelard, d'un
tiques de mots conçus comme des entrées de dictionnaire (étude de «sémantique lexi- point de vue épistémologique et poétique. Elles ont été étudiées selon une approche
cale» donc) : «Le défi» et «La colère». structurale, mythologique, par Cl. Lévi-Strauss et, sémiotique, par F. Bastide.
12 Sous les signes, les stratégies «Hors du texte, point de salut» 13

d è r e q u ' à tout changement d'expression doit correspondre u n chan-


Plus de pertinence gement de contenu, on reconnaitra les véritables qualités visuelles —
ou sonores — qui constituent 1'esthétique de la marque à ce qu'elles
Ce d e u x i è m e type de la valeur ajoutée, la sémiotique peut le pro- entrainent, par leur disparition ou apparition, une différence dans son
duire parce qu'elle s'attache à distinguer et à h i é r a r c h i s e r un certain contenu. Et les changements qui n ' e n t r a í n e n t pas une telle différence
nombre de niveaux h o m o g è n e s de description . O n retrouve ici cette 13
feront reconnaitre ce qui n'est que variable de réalisation. A u t r e m e n t
recherche de ce qui est invariant par rapport à ce qui est variable, de dit, 1'apport de la s é m i o t i q u e est alors de faire choisir ou conserver les
ce qui est nécessaire mais aussi suffísant pour definir un concept ou qualités de forme, de couleur, de volume ou de typographie qui sont
telle exploitation d'un concept qui fait 1'originalité et la spécificité de pertinentes : celles qui assurent que les packagings, le design-produits
la communication d'une marque, pour definir telle organisation narra- ou le logo signifient ce qu'ils ont à signifier. Liberte est ainsi d o n n é e ,
tive qui servira de canevas à un discours corporate, ou encore tel trai- ou r e t r o u v é e , de décliner ce qui est déclinable. Et le dialogue entre
tement de formes, de couleurs et de volumes qui constituera le design annonceurs et designers, par exemple, s'établit sur des bases qui
propre à une marque ou à une gamme-produits. Aussi la sémiotique conviennent à chacun : la recherche de la pertinence procede d'une
peut-elle contribuer à maitriser 1'évolution ou la déclinaison d'un logique de 1'économie que comprennent les annonceurs, mais elle
« m e s s a g e » tant du point de vue de son contenu que de son expres- exige aussi de leur part une réelle attention aux qualités dites for-
sion : à ne pas « j e t e r le b e b é avec l'eau du b a i n » . Cest de fait u n réel melles des propositions qui leur sont faites, et une reconnaissance de
souci pour un annonceur ou pour une agence dès lors qu'un produit fait q u ' i l existe des logiques à 1'oeuvre dans les domaines de la b e a u t é
ou une campagne a connu le succès, et q u ' i l faudra bien pourtant le et de la c r é a t i o n . Quant au sémioticien, son intervention dans ce dia-
ou la faire é v o l u e r : « Q u ' e s t - c e qui a marche?, que faut-il g a r d e r ? » logue lui donnera quelques occasions de recevoir de belles et salutaires
La s é m i o t i q u e peut aider à g é r e r un succès. leçons de s é m i o t i q u e « e n a c t e » de la part de certains designers, de
certains typographes ou encore de certains nez ! 15
Nous insisterons davantage ici sur cette p r o b l é m a t i q u e p a r t i c u l i è r e
de la pertinence qui est celle de la reconnaissance et de la définition
d'une e s t h é t i q u e de marque — qui est plus g é n é r a l e m e n t celle de
1'identification des qualités de forme, de volume ou de rythme consti-
linguistiques de « p h o n è m e » et de « t r a i t distinctif» et, par là m ê m e , constitua la phono-
t u a m le signijiant d'un message non verbal. Pour parvenir à une telle logie comme é t u d e de la forme de l'expression linguistique. Mais cette p r o c é d u r e est
identification, la s é m i o t i q u e use d'une p r o c é d u r e h é r i t é e de la linguis- en fait une p r o c é d u r e qui vaut pour la description de tous les langages; c'est une p r o -
tique structurale : la commutation. La commutation est 1'exploitation c é d u r e de s é m i o t i q u e g é n é r a l e . Elle est par ailleurs au coeur du travail dans toute ana-
lyse d'uTie communication, d'un packaging, d ' u n logo ou d ' u n espace, si l'on s'attache
de la relation de p r é s u p p o s i t i o n reciproque entre le plan de 1'expres- à en d é g a g e r les constituants invariants.
sion et le plan du contenu d'un ensemble signifiant, entre son signi- 1 5 C e s t ainsi que nous comprenons la fin de 1'entretien de R.-P. D r o i t avec
A . J. Greimas (dans le dossier du Monde, déjà cité) comme un é l o g e de la modestie que
jiant et son signifié . Expliquons : à partir du moment o ú l'on consi-
14
les sémioticiens apprennent d è s qu'ils travaillent c o n c r è t e m e n t sur des domaines non l i t -
t é r a i r e s ou, plus g é n é r a l e m e n t , non universitairement p r é e m b a l l é s (annonce-presse iso-
lée de la t o t a l i t é de la campagne, accroche c o n s i d é r é e i n d é p e n d a m m e n t de son visuel...).
1 3 O n appelle ces niveaux h o m o g è n e s de description de la signifícation des « i s o t o - Voici la f i n de cet entretien :
p i e s » . Nous reviendrons plus loin sur ce concept s é m i o t i q u e puisqu'il renvoit à la pro- « — Face à 1'inflation des analyses s é m i o l o g i q u e s , ce que vous dites n'est-il pas
b l é m a t i q u e , fondamentale, de la c o h é r e n c e du discours, et donc de son intelligibilité trop modeste?»
(cf. p. 29, note 6). — En ce qui me concerne, j ' e n t e n d s me rattacher à une t r a d i t i o n de r i g u e u r . O n
1 4 L a c o m m u t a t i o n est une p r o c é d u r e de reconnaissance des u n i t é s de l ' u n ou de 1'autre p o u r r a i t croire a u j o u r d ' h u i q u ' i l s'agit de transformer, voire de c r é e r les sciences
plan d u langage c o n ç u s comme le recto et le verso d'une feuille de papier : le plan de humaines. Je crois q u ' à plus longue é c h é a n c e on verra que la s é m i o t i q u e a j o u é au
1'expression et le plan du contenu, q u i sont respectivement le signifiant et le signifié moins ce role d ' é v e i l l e r la c u r i o s i t é dans des domaines exclus de la culture classique et
saussuriens, pris dans la t o t a l i t é de leurs articulations. C e s t g r â c e à cette p r o c é d u r e de d M n t é g r e r aux recherches scientifiques des univers de signifícation q u i ne faisaient pas
la c o m m u t a t i o n que 1'Ecole de Prague (Jakobson, Troubetzskoy) elabora les concepts partie de la r é f l e x i o n traditionnelle. Et ce sera déjà un grand m é r i t e . »
14 Sous les signes, les stratégies «Hors du texte, point de salut» 15

de Séguéla, d'Ogilvy, de Feldman et de Ph. Michel sont différentes


Plus de différenciation
(cf. p. 183) et comment la communication Citroen a évolué en quelque
dix ans (cf. p. 137). Car c'est l'un des i n t é r ê t s de cette topographie
Diversité des cibles et des perceptions d'une image, p l u r a l i t é des des relations permettant de g é n é r e r de la signifícation qu'est le c a r r é
m é d i a s et des supports, h é t é r o g é n é i t é voire derive d'une commu- s é m i o t i q u e , que d ' ê t r e achronique, c'est-à-dire en deçà des réalisations
nication, ou encore solidarité des « p o s i t i o n n e m e n t s différentiels»... historiques, marketing ou publicitaires, dont i l va rendre compte. Ce
A u t a n t de p r o b l è m e s de communication ou de marketing qui impli- « m o d e l e constitutif» peut donc servir à des é t u d e s synchroniques, qui
q u e m pour ê t r e résolus, ou m ê m e simplement abordes, qu'on analysent des situations historiques, aussi bien q u ' à des é t u d e s diachro-
s'entende sur la nature de ces différences et de ces ressemblances. niques, qui analysent des évolutions historiques.
La s é m i o t i q u e — d'origine structurale — peut aider ici à préciser la Les différenciations dont on vient de parler concernent les é n o n c é s ,
nature de ces différences — et du coup de ces ressemblances — dans les « t e x t e s » pour reprendre la formule du titre de ces pages. Mais la
la mesure o ú elle a d ú elle aussi se poser la question. A partir du s é m i o t i q u e peut aussi faire r e c o n n a í t r e une pluralité d ' é n o n c i a t e u r s
moment o ú elle aborde les langages comme des systèmes de relations dans une communication, un é n o n c i a t e u r é t a n t ce sujet logiquement
parce qu'elle s'attache à reprendre et approfondir 1'idée saussurienne p r é s u p p o s é par la production du discours. U n peu comme un expert
q u ' « i l n'y a de sens que dans et par la d i f f é r e n c e » , la s é m i o t i q u e en tableaux peut discerner plusieurs interventions dans la c r é a t i o n
ne pouvait pas ne pas s'interroger sur les différentes différences qui d'une m ê m e ceuvre uniquement par la reconnaissance d'une plura-
peuvent exister. Cest Forigine du c a r r é s é m i o t i q u e . Cest aussi —
16
lité de styles, bien avant donc que des analyses photographiques et
plus prosalquement — le fonds de commerce de la s é m i o t i q u e , quand chimiques ou que des e n q u ê t e s historiques ne r é v è l e n t 1'identité des
elle intervient en marketing et en communication. Le travail et la artistes et les conditions techniques de la production de cette oeuvre.
(relative!) c o m p é t e n c e de la sémiotique, c'est de passer de la saisie des Ainsi, une m ê m e communication de marque peut tenir des discours
différences a la définition des relations. Et, pour ce faire, la sémiotique différents sur le m ê m e produit ou sur la m ê m e marque dans divers
a du au p r é a l a b l e distinguer et h i é r a r c h i s e r un certain nombre de médias, ou sur plusieurs a n n é e s consécutives. Ce qui est encore plus
niveaux afin de pouvoir disposer son réseau de relations sur un plan ennuyeux, c'est de trouver des é n o n c i a t i o n s différentes dans la m ê m e
h o m o g è n e . La saisie des différences n'est pas le fait de la sémio-
1 7
campagne, pour le m ê m e support : des versions différentes d'un
tique : tout le monde saisit des différences puisqu'on s'inquiète juste- m ê m e concept dans une campagne-affichage, qui s'avèrent ê t r e non
ment de diversités, de pluralités et d ' h é t é r o g é n é i t é s . . . Mais c'est la pas c o m p l é m e n t a i r e s mais contradictoires. Cest un peu comme si la
valeur ajoutée de la s é m i o t i q u e — du moins vise-t-elle à la produire m ê m e pièce, la m ê m e intrigue était t r a i t é e par le m ê m e metteur en
— de m o n t r e r q u ' i l y a là des choses, ou p l u t ô t des positions, diffé- scène, lors de la m ê m e r e p r é s e n t a t i o n , dans des mises en scènes diffé-
rentes et c o m p l é m e n t a i r e s et d'autres qui sont différentes mais contra- rentes relevant d ' i n t e r p r é t a t i o n s contradictoires. Cela dit, le travail de
dictoires . Nous montrerons ainsi en quoi «les philosophies de p u b »
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la sémiotique se limitera à alerter sur de telles pluralités : elle aban-
donnerait son objet si elle envisageait d'identifier les « a u t e u r s » de ces
16 Le carré sémiotique est presente dans cet ouvrage p. 27.
" Ce travail caractéristique de la sémiotique, de distinction et de hiérarchisation d'un
certain nombre de niveaux ou plans homogènes — travail nécessaire à cette définition
des relations — est interprete comme une preuve du «réductionnisme» sémiotique, valeurs contextuelles qu'ils prennent dans tel ou tel texte, telle ou telle signifícation;
péché capital puisque cela nierait la richesse du «vécu». Disons simplement qu'une même chose pour tout autre «signe», les motifs visuels par exemple. Cest d'ailleurs
telle réduction est le fait de toute pratique scientifique ou, comme ici, de toute entre- ainsi qu'une analyse sémiotique peut montrer qu'un même mot, concept ou motif,
prise «à vocation scientifique». peut dans une même campagne ou sur plusieurs campagnes prendre des valeurs contex-
' Indiquons dès maintenant — nous y reviendrons lors de la présentation du carré —
8
tuelles et donc des positions contradictoires. II peut en aller de même des «images» et
que ce ne sont pas des «mots» qui sont positionnés sur le carré et qui apparaissent des thèmes, repris par un même chef d'entreprise dans ses Communications externes
ainsi complémentaires ou contradictoires entre eux; ce sont leurs acceptions, les et internes.
16 Sous les signes, les stratégies «Hors du texte, point de salut» 17

discours pluriels ou de dire ce q u ' i l faut faire ou ce q u ' i l aurait faliu veut pas dire pour autant qu'on ne soit pas raisonnablement persuade
faire . I I faut enfin noter que cet objectif de différenciation peut
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des apports de la s é m i o t i q u e lors de ces interventions! I I ne s'agit donc
concerner 1'autre instance de l'énonciation, celle de la saisie : 1'énon- pas ici de s é m i o t i q u e a p p l i q u é e pour la bonne et simple raison que la
ciataire. La m ê m e structure textuelle ou narrative invariante, et préci- sémiotique n'est pas encore faite. A u lieu de sémiotique a p p l i q u é e , i l
s é m e n t parce qu'elle est analysée comme telle par la s é m i o t i q u e , per- conyiendrait de parler de sémiotique à 1'épreuve.
mettra de reconnaitre une pluralité de « l e c t u r e s » , et donc d ' é n o n c i a - Cest ainsi d'ailleurs que la pratique sémiotique en publicite et en
taires... encore une fois i n d é p e n d a m m e n t du fait qu'on identifíe plus marketing pourra faire avancer le projet d'ensemble de cette disci-
tard les personnes qui incarnent ces différents é n o n c i a t a i r e s à par- pline en travaillant sur deux types d'objets de sens renvoyant à deux
tir de d o n n é e s historiques, s o c i o - d é m o g r a p h i q u e s , psychologiques ou grandes p r o b l é m a t i q u e s . Nous pensons d'abord aux Communications
autres. D'une certaine façon, la typologie des voyageurs d u metro de marque, qui visent à c r é e r ou à conserver une relation originale
et du RER dont nous allons b i e n t ô t parler ou celle des consomma- et spécifique entre le sens d'une part et les sens d'autre part, c'est-à-
teurs f r é q u e n t a n t les h y p e r m a r c h é s , que nous é v o q u e r o n s au chapitre dire à identifier la marque à une « s y n e s t h é s i e » , à une correspondance
« J ' a i m e , j ' a i m e , j'aime... » (p. 149), illustrent cette possible valeur ajou- particulière des sons, des couleurs et des parfums. Peuvent évidem-
t é e de la pratique s é m i o t i q u e . ment venir à 1'esprit les grandes marques du luxe et de la b e a u t é
Maintenant, un dernier mot : i l ne faudrait pas que le lecteur mais, d ' e x p é r i e n c e , nous savons que ces p r o b l è m e s d ' e s t h é t i q u e g é n é -
aborde les six chapitres qui suivent avec 1'idée qu'il va s'agir d'une rale se posent aussi aux grandes marques du secteur agro-alimentaire,
defense et illustration de la sémiotique appliquée à la publicite et au par exemple. Nous pensons ensuite à ces objets de sens que sont les
marketing. Cela supposerait que les six p r o b l è m e s concrets de publi- (omportements, les conduites et les é t i q u e t t e s . L'analyse de ces pra-
cite ou de marketing exposés ci-après aient pu ê t r e passes à la mouli- tiques signifiantes, qui i n t é r e s s e n t notamment le marketing des Ser-
nette de la s é m i o t i q u e , pour la plus grande gloire de celle-ci et le vices, d é b o u c h e rapidement sur la p r o b l é m a t i q u e des axiologies,
plus grand bénéfíce des masses laborieuses de ces c o n t r é e s . En sémio- des micro-systèmes de valeurs qui peuvent ê t r e aussi bien morales
tique, on appellerait une telle situation une épreuve glorifiante : la per- (|u'esthétiques. Ces deux axes de travail sont bien des axes de
formance du h é r o s se serait effectuée sur le mode du secret — dans recherche; i l n'y a pas grand chose à appliquer en 1'occurence. Cest
quelque obscur centre de recherches ou s é m i n a i r e universitaire — et, seulement en analysant de nombreuses e s t h é t i q u e s de marque ou de
g r â c e à cette sextuple é p r e u v e , le h é r o s pourrait j o u i r de la reconnais- nombreuses conduites sociales qu'on arrivera à é l a b o r e r et à roder les
sance de tous, et d'une juste r é t r i b u t i o n . N o n , ici, c'est tout le (oncepts et les p r o c é d u r e s nécessaires à leur description, et à augmen-
contraire qui est r a c o n t é : i l convient de lire ces six chapitres comme ter ainsi le savoir-faire et le pouvoir-faire de la s é m i o t i q u e : « hors du
épreuve qualifiante : selon les príncipes et suivant le projet qui sont texte, point de salut!».
les siens, la s é m i o t i q u e cherche, en intervenant dans la publicite et
le marketing, à se doter de plus de c o m p é t e n c e afin de mieux com-
prendre les conditions g é n é r a l e s de production et de saisie du sens,
et rendre compte davantage des diverses formes signifiantes. Cela ne

1 9C e s t ainsi qu'une sémiologie publicitaire, fortement inspirée de la rhétorique («art


de bien parler»), a trop souvent tenu des discours normatifs aux publicitaires, à tel
point que Le Publicitor de J . Lendrevie et B. Brochand, « b i b l e » de la profession, pre-
sente la sémiologie non pas dans le chapitre « T h é o r i e s de la communication » mais dans
le sous-chapitre « J u g e m e n t de la c r é a t i o n » !
ÊTES-VOUS ARPENTEUR OU SOMNAMBULE?
L'ÉLABORATION D'UNE T Y P O L O G I E C O M P O R T E M E N T A L E
DES V O Y A G E U R S D U M E T R O

La R A T P s'est donné pour objectif de mettre ses performances com-


merciales au niveau, incontesté, de ses performances techniques. Elie
veut ainsi augmenter ses recettes pour disposer des ressources néces-
saires au développement de ses services. Le service n'est-il pas son
véritable métier? Seulement, il lui faut pour cela apprendre — dans
les deux sens du terme — à considérer désormais les voyageurs non
comme des usagers mais comme des clients, et s'attacher à les fidéli-
ser ainsi qu'à en conquérir de nouveaux.
II lui faut aussi intégrer le fait que le personnel en station dans le
metro et dans le R E R est la plupart du temps absent des représenta-
tions des voyageurs quand ceux-ci parlent de ces moyens de transport,
et cet autre fait qu'on ne savait pas vraiment qui sont ces voyageurs,
si du moins l'on pose que chacun d'eux est d'abord/« par définition»,
quelqu'un qui vit un certain trajet. Qui le vit et non pas seulement qui
le fait. Comment un voyageur vit-il son trajet? Et quelles sont les diffé-
rentes manières de vivre un trajet? Car, d'expérience, chaque agent
de la R A T P comme chaque responsable du développement de la Régie
sait bien qu'il y a différents types de comportement chez ses clients.
Des questions d'autant plus legitimes que c'est lors d'un trajet que
1'essentiel du contact commercial s'établira, ou ne s'établira pas. Cela
est aussi vrai d'ailleurs — et se pose avec la même acuité — pour la
S N C F et pour toutes les sociétés de transport, les compagnies aériennes
par exemple. Cest ainsi que la R A T P a demande il y a deux ans qu'on
dressât 1'inventaire des occurrences possibles de contact du personnel
en station avec les voyageurs et surtout que fussent definis les roles
que les différents types de voyageurs attendent que le personnel rem-
20 Sous les signes, les stratégies Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? 21

plisse : information, vente, interventions de toutes sortes... O ú et à evite ainsi d'aborder directement, personnellement, la réalité du texte
quel moment peut-on ou doit-on intervenir vis-à-vis de tel ou tel type en se sécurisant g r â c e à tout un apparat critique, on s'engage avec ou
de voyageur? Cest la typologie comportementale des voyageurs du sans n a í v e t é dans une impasse : i l n'y a aucune raison de ne pas se
metro et du R E R é l a b o r é e pour mener à bien cette é t u d e que l'on va demander alors « c e que 1'auteur a voulu d i r e » quand i l a dit ce qu'il
p r é s e n t e r ici, avant d'indiquer comment elle a pu servir u l t é r i e u r e - a voulu dire... Si l'on ne se pose pas la question, c'est simplement
ment pour d'autres réflexions ou d'autres chantiers. qu'on considere ou qu'on veut fait croire qu'une ceuvre est noble et
Le premier travail a consiste en 1'observation détaillée et la notation par nature complexe, q u ' i l y a lieu alors de se poser la question, mais
rigoureuse des différentes phases du parcours d'un voyageur, depuis qu'un entretien avec 1'auteur, qu'une correspondance, qu'une note
son e n t r é e dans le metro j u s q u ' à sa sortie. I I ne s'agissait donc pas de de j o u r n a l intime sont simples, faciles, directs, qu'ils ne posent pas ou
recueillir le discours des voyageurs sur leurs trajets mais bien d'enre- moins le p r o b l è m e . Ce que l'on vient de dire du rapport entre le texte
gistrer leurs «faits et gestes» au cours de leurs d é p l a c e m e n t s , ce n'est et le discours sur le texte, on peut le dire aussi du rapport entre une
que bien plus tard q u ' o n chercha à interroger les voyageurs . A u t r e - 1
affiche, une annonce-presse, un film d'une part et leur copy-stratégie
ment dit, on a tenu à disposer d'abord, et de façon tout à fait indé- d'autre part. Mais revenons au trajet du voyageur comme texte à
pendante, du discours du trajet — du discours qu'est le trajet — avant constituer et à analyser.
de recueillir le discours sur le trajet. Les deux discours sont autant à
distinguer que le sont 1'oeuvre et 1'interprétation qu'en donne 1'écri-
vain ou 1'artiste. De m ê m e qu'on a pu dire que 1'auteur n'est jamais
que le premier lecteur de son texte, de m ê m e on peut penser que le Le trajet comme texte
voyageur ne donne à 1'enquêteur qu'une version, qu'une r é é c r i t u r e de
son trajet. Cette distinction n'est pas « n a t u r e l l e » — au sens o ú 1'habi- Pourquoi le trajet peut-il ê t r e aborde comme un texte, et relever ainsi
tude est une seconde nature. Q u i n'a pas entendu mille fois au cours d'une analyse s é m i o t i q u e ? T o u t d'abord parce que le trajet, comme
de sa scolarité le professeur de lettres aborder la signification d'un n'importe quel texte, possède une c l ô t u r e qui 1'individualise comme
texte en demandant à ses élèves : «qu'est-ce que l'auteur a voulu une totalité relativement autonome et rend possible son organisation
d i r e ? » , distillant ainsi la confusion entre la signifícation et le sens structurelle. T o u t trajet réalisé par un voyageur possède une clô-
intentionnellement c o m m u n i q u é . I n d é p e n d a m m e n t du fait que l ' o n ture : une sortie, impliquant s y m é t r i q u e m e n t une e n t r é e . A u t r e rai-
son : comme un texte, le trajet peut ê t r e 1'objet d'une segmentation,
c'est-à-dire d'un d é c o u p a g e en un nombre limite d ' u n i t é s , d ' é t a p e s
ou de « m o m e n t s » qui se relient entre eux selon certaines régies.
1 Rétrospectivement, à la lecture de 1'essai de M. Auge, Un ethnologue dans le metro, qui
parut quelques mois après cette e n q u ê t e , cette approche m é t h o d o l o g i q u e releve assez Ces unités ne coincidem pas f o r c é m e n t avec des espaces r e p é r é s et
de 1'ethnologie : « l e s couloirs du metro devraient fournir un bon "terrain" à 1'apprenti d é n o m m é s comme tels (couloirs, salles, quais, rames . . . ) . Reconnais-
ethnologue pour peu que, r e n o n ç a n t à interroger ceux qui les frequentem (mais à
bavarder avec eux si 1'occasion se presente), et encore plus (horresco referens!) à les sables dans la notation du suivi — on va le voir — par telle s é q u e n c e
sonder, il se contente de les observer et de les écouter, voire de les suivre. Sans doute ou m a c r o - s é q u e n c e gestuelle (mobile/immobile, debout/assis, accélé-
courra-t-il le risque d'accumuler les clichés (je Pentends au sens strictement photogra- r é / r a l e n t i ...) ou p r o x é m i q u e (ouverture aux autres/repli sur soi, dis-
phique) et de se perdre à vouloir ordonner les images à première vue arbitraires,
décousues et d é r o u t a n t e s de son kaléidoscope. Encore pourra-t-il essayer de les classer t a n c e / p r o x i m i t é , rencontre frontale ou tangente), ces u n i t é s , ces
par genres; peut-être alors son bilan prendra-t-il un début de forme, et de forme pro- syntagmes, peuvent r e d é c o u p e r les lieux usuels ou, au contraire, les
metteuse. S'il fait preuve d'optimisme et d'imagination : mille faits divers recensés, cent
p o è m e s possibles, dix romans à venir, ce qui correspond au moins à trois vocations. Mais regrouper en un seul espace. T r o i s i è m e raison : comme un texte, le
e n t ê t é et résolu à exercer son métier d'ethnologue, il pourra alors tenter d'autres clas- trajet a une o r i e n t a ç i o n ; c'est en cela q u ' i l peut ê t r e considere comme
sements, d'autres recoupements et commencer par le c o m m e n c e m e n t » (Un ethnologue une suite fínalisée. L'observation des d é p l a c e m e n t s dans le metro et
dans le metro, Paris, Hachette, 1986, p. 101-102).
22 Sous les signes, les stratégies Étes-vous arpenteur ou somnambule ? 23

le R E R m o n t r e q u e les trajets s u p p o s e n t u n e mise e n t e n s i o n , p l u s ENTRER 1'entrée


o u m o i n s g r a n d e , vers u n achèvement. P a r a p h r a s a n t E. Carrière q u i VALIDER la salle de billetterie
d i s a i t q u ' u n t a b l e a u est le d é v e l o p p e m e n t l o g i q u e d ' u n e lumière, o n
ACCF.DF.R A U Q U A I le sas
p o u r r a i t d i r e q u ' u n t r a j e t est le d é v e l o p p e m e n t l o g i q u e d ' u n pas. Sa
t

les couloirs
réalisation u n e fois achevée, t o u t t r a j e t p e u t être décomposé e n u n
c e r t a i n n o m b r e d e séquences se présupposant à r e b o u r s les unes les M O N T E R D A N S L A RAMF, le quai
a u t r e s . C e s t d ' a i l l e u r s la n a t u r e orientée d u t r a j e t q u i crée s o n la rame
r y t h m e . E n f i n et s u r t o u t , a b o r d e r le t r a j e t c o m m e u n t e x t e , c'est pos- I N DESCENDRE le quai
t u l e r q u ' i l est s i g n i f i a n t . U n t r a j e t n'est pas u n e suite g r a t u i t e de m o u - SORTIR les couloirs
vements et de stationnements, u n e p u r e gesticulation. Choisir d'analy-
la sortie.
ser sémiotiquement les t r a j e t s des v o y a g e u r s , c'est p o s t u l e r q u ' i l s o n t
d u sens, m ê m e si l ' o n n e sait pas e n c o r e c o m m e n t a r t i c u l e r c e l u i - c i ,
c o m m e n t e n c o n s t r u i r e la s i g n i f i c a t i o n . C r i te s r g m e n t a t i o n d u t e x t e , spatiale e t t e m p o r e l l e , était d o u -
L a n o t a t i o n des t r a j e t s suivis s'est f a i t e c r a y o n e n m a i n . A p r è s le W< < ( T I I I I C s r g m e n t a t i o n « a c t o r i e l l e » , c'est-à-dire p r e n a n t e n c o m p t e
r ô d a g e d ' u n e p r e m i è r e g r i l l e d e n o t a t i o n des t r a j e t s , les « s u i v e u r s » I nppiíi i i i o n ei la d i s p a r i t i o n des a u t r e s a c t e u r s e n j e u .
o n t disposé d ' u n e fiche p e r m e t t a n t à c h a c u n d e n o t e r de la m ê m e « »n a u r a i l p u c h o i s i r u n e a u t r e t e c h n i q u e d e r e c u e i l : 1'enregistre-
façon, aussi b r i è v e m e n t et précisément q u e possible, les modalités d u "" 111 vidéo p a r e x e m p l e . O n ne le fit pas p o u r des raisons a u t a n t
déplacement ( 1 ' i n s c r i p t i o n c o r p o r e l l e d u v o y a g e u r dans 1'espace) les i n . l h o d o l o g i q u e s q u e p r a t i q u e s . Les s u i v e u r s a u r a i e n t été v i t e repérés
modalités d u r e p é r a g e (le d e g r é de maítrise d e la t o p o g r a p h i e ) , la r e l a - ' i ' l i s l o r s ils a u r a i e n t c e r t a i n e m e n t modifié le c o m p o r t e m e n t d u
t i o n à F e n v i r o n n e m e n t (la sensibilité a u x espaces p a r c o u r u s , le r a p p o r t v<>\.i);< I H . S u r t o u t , e n r e g i s t r e r laisse e n t i e r le p r o b l è m e d e 1'inévi-
a u x a u t r e s ) , e n f i n la p e r c e p t i o n o u n o n d e la présence d u p e r s o n n e l i i U < < i nécessaire réduction q u ' e s t t o u t e n o t a t i o n . U n e n o t a t i o n est
de la R A T P . D e v a i e n t être notes évidemment tous les i n c i d e n t s o u évé- .1' l . n i u n e c o n s t r u c t i o n , le c h o i x f a i t d ' u n n i v e a u d e p e r t i n e n c e et
n e m e n t s q u i i m p l i q u a i e n t aussi b i e n le p e r s o n n e l q u e les v o y a g e u r s , o u ' l " i i « cTanalyse. Q u i p e u t n i e r d ' a i l l e u r s q u e la p r i s e de v u e , n e serait-
t o u t e autre personne presente lors d u trajet. • ' q u e p a r le c a d r a g e et la p r o f o n d e u r d e c h a m p , pose d e t o u t e s
U n e e q u i p e d e p s y c h o s o c i o l o g u e s f o r m e s à 1'analyse sémiotique s u i - I . i i " i i s l e problème. A m o i n s de f a i r e a c e r o i r e q u ' o n a a i n s i enregistré
v i t les v o y a g e u r s s u r des trajets d e t r o i s types : des t r a j e t s m e t r o o u li i r a l i t é » . La t r a n s c r i p t i o n des t r a j e t s s'est d o n c f a i t e p a r o b j e c t i v a -
R E R d i r e c t s , des t r a j e t s nécessitant u n c h a n g e m e n t d e l i g n e (selon l e • MU < essives p o u r a b o u t i r à la réduction des phénomènes observes
m ê m e m o d e d e t r a n s p o r t ) et des t r a j e t s nécessitant u n c h a n g e m e n t n i v s n i l r s séquences gestuelles ( m o u v e m e n t s et p o s i t i o n s globales)
de m o d e ( d u R E R a u m e t r o , o u d u m e t r o a u R E R ) . Les trajets a v a i e n t q u i > M c o n s t i t u e n t la m a n i f e s t a t i o n , et q u i f u r e n t notées s u r la fiche
été a u préalable systématiquement repérés, décomposés e n u n c e r t a i n i m r a u t a n t de micro-récits :
n o m b r e d'espaces disposés linéairement sur u n schéma et corrélés à . i l i s o i Ix- dans sa l e c t u r e , assis, tête baissée;
des p r o g r a m m e s d ' a c t i o n , c e u x p a r e x e m p l e q u i c o n s t i t u e n t le p a r - va <li><<tcment à u n e n d r o i t précis d u q u a i (départ f u t u r e c o r r e s -
c o u r s n a r r a t i f m i n i m a l d u voyageur//
2
11. i l i d a m e ) ;
s ' . n i r i r à 1'animation ( g u i t a r i s t e ) ;
•.< laisse p o r t e r p a r le f l u x , a d a p t a n t son r y t h m e à c e u x q u i pré-
. .-ilcni ;

2 Le parcours n a r r a t i f est u n enchainement logique de programmes oú chacun d'eux n e K . I t e s s e sur s o n siège p o u r v o i r le paysage (sortie a é r i e n n e ) ;
est présupposé par un autre p r o g r a m m e , «présupposant». <. M i n . - ( l a m u s i q u e de) s o n w a l k m a n , r e g a r d n o n fixe;
24 Sous les signes, les stratégies Étes-vous arpenteur ou somnambule ? 25

— t e n d F o r e i l l e p o u r écouter u n e conversation; nu i •. « c s ( ] u i v e r » . . . Des récurrences? des m o t i f s gestuels équivalents


— se f a u f i l e , s l a l o m e ; .< i< n o u v e n t t o u t a u l o n g d ' u n m ê m e t r a j e t , o u u n c o m p o r t e m e n t
— n ' a i d e pas ( u n e p e r s o n n e e n c o m b r é e ) à u n p o r t i l l o n ; i|ui i i i a p p e l l e t ô t o u t a r d u n a u t r e dans la c h a i n e c o m p o r t e m e n t a l e
— r e g a r d e u n à u n les p e t i t s c o m m e r c e s , sans s ' a r r ê t e r ; In liíijcl si |'on e x a m i n e u n c e r t a i n n o m b r e de fiches et de n o t a t i o n s
— n'est pas sensible ( c o m m e les a u t r e s v o y a g e u r s a r r i v a n t sur le q u a i ) m • u n |.cu d ' a t t e n t i o n , c'est-à-dire sans se laisser d i s t r a i r e p a r l e u r
à 1'effet d ' u n massif ( m ê m e a f f i c h e 4 x 3 répétée t o u t au long • I n - i M l e l i g u r a t i v e : le v o y a g e u r q u i se f a u f i l e est aussi c e l u i q u i va
du quai); 'I "" <' p l a c e r à u n e n d r o i t précis d u q u a i d ' a t t e n t e p o u r
111 s

— r e g a r d e les gens q u i m o n t e n t ; P " ' i < l ' < immédiatement sa c o r r e s p o n d a n c e , q u e l q u e s stations p l u s


— accélère p o u r n e pas se f a i r e c o i n c e r ( e n t r e d e u x f l u x contraíres de I • <|"i est sensible à 1'ambiance d ' u n e g r a n d e salle de b i l l e t t e -
voyageurs). 1 '' * T" 1 s rêtera o u r a l e n t i r a d e v a n t u n e a n i m a t i o n , n'est pas c e l u i
'I ' K"< ses virages dans les c o r r e s p o n d a n c e s ... O n a ainsi «dissé-
L e t r a v a i l d'analyse consista, à p a r t i r des fiches et des n o t a t i o n s , à
les d a j e t s des v o y a g e u r s , et « c l a s s e » les comportements, en
reconnaitre le n o m b r e finalement r e s t r e i n t de ces micro-récits de
" i j o u r s sur la m ê m e a p p r o c h e : s'intéresser a u x p o s i t i o n s et
comportement et à d é g a g e r les s i m i l i t u d e s et les récurrences, avec
M I » n i u i i v e m e n t s : a u x états et a u x t r a n s f o r m a t i o n s gestuels et p r o x é -
1'idée três sémiotique q u ' « i l d o i t y a v o i r d e r r i è r e t o u t ç a » quelque |Mc-s. A b s l r a c t i o n f a i t e d o n c des ages et d u sexe des v o y a g e u r s , de
logique . 3
IIMIIH • < |>< i s o n n e s » : i l n'étaient a l o r s , c'est v r a i , q u e les sujets de t e l o u
Des s i m i l i t u d e s ? la p l o n g é e dans u n e l e c t u r e , 1'écoute d u w a l k m a n , la I P I vi il>< , les simples réalisateurs de t e l o u t e l p r o g r a m m e d ' a c t i o n . 4

p r a t i q u e d u t r i c o t s o n t a u t a n t de figures de 1 ' a b s o r p t i o n q u i p e u v e n t faite aussi — o n 1'aura r e m a r q u e — des raisons, d u b u t


1

s ' o p p o s e r a u r e g a r d sur u n paysage aérien, à l'écoute d ' u n e c o n v e r s a - • I ' I ' n i v o y a g e , m ê m e si l ' o n s'est attaché dês le début de 1'analyse à
t i o n , a u passage e n r e v u e des p e t i t s c o m m e r c e s , figures d e 1 ' a t t e n t i o n . i | ' ' i < i <-c | u i était c o m p a r a b l e
( : des t r a j e t s faits a u x mêmes h e u r e s
O n reconnaít v i t e d ' a u t r e p a r t la s y n o n y m i e de « s e f a u f i l e r » , « s l a l o - I l i i m l c s •, <>u « c r e u s e s » o u — c o m m e le d i s e n t j o l i m e n t les gens de la
I A T I » — a des heures « b l ê m e s » . I I s'agissait, à c e t t e étape de 1'étude, 5

3 « L'invariance dans la variation : c'est là le thème d o m i n a m , mais aussi 1'outil métho- II i i p m u l r e c o m m e n t les gens v o y a g e a i e n t , et n o n dans q u e l b u t .
dologique sous-jacent, de mes travaux certes divers mais homogènes.» Cette réflexion '.< i i l < m u ( c l l e m é t h o d e p e r m e t t a i t e n s u i t e de l e u r d e m a n d e r o u d e
de R. Jakobson (Une vie dans le langage, Paris, Ed. de M i n u i t , 1984) illustre assez bien
cette « i d é e » , q u i peut ainsi devenir u n véritable projet de vie p o u r u n chercheur. U n e
• i l - m . i i i . l c t p o u r q u o i ils v o y a g e n t a i n s i . C e s t u n p e u c o m m e si l ' o n
idée au sens p r o p r e fondamentale dans ces disciplines — et dans ces études — dites
«structurales» : toute manifestation verbale ou non-verbale présuppose logiquement
quelque chose de manifeste : une structure invariante, une « f o r m e » . Peut-on d i r e ' n l i H l r a i liou
' " ' est purement méthodologique; elle permet de s'en tenir à u n
cela plus simplement et plus concrètement? O u i , si l ' o n est Cl. Lévi-Strauss : «Si l ' o n I< ilrs< r i p i i o n homogène et suffisamment simple. Elle permet de plus d'éviter
invoque u n seul príncipe, 1'échange des femmes entre les sous-groupes de la société, 1 »H I " » P subjective. I I n'est pas question ici de nier que ces situations
> ; t r

pour rendre compte de toutes les régies de mariage, i l faut bien que ces régies, diffé- I" "" " " I ' l ' riches ou que les voyageurs sont aussi ou d'abord des individus, des
l l l s

rentes selon les temps et les lieux, se ramènent à des états d'une même transformation. l '" • Ainsi il faut prendre, selon nous, le papier que Claude Sarraute écrivit sur
De même, quand le linguiste dresse le répertoire des phonèmes que 1'appareil vocal est '<•«' In i'i'<' <i'un article de L a u r e n t Rigoulet dans Liberation : « M e t r o , c'est
s

susceptible d'articuler, et dégage les contraintes auxquelles chaque langue doit se plier mu " I uviil 1 9 8 7 ) pour ce q u ' i l est : un billet d ' h u m e u r , u n genre journalistique q u i
p o u r prélever dans ce fonds c o m m u n les éléments de son système phonologique p a r t i - 1 •' •»«•"«• vigueur de t o n : « I l s sont marrants à la R A T P ! V O U S savez à quoi
1

culier. La n o t i o n même de phonème implique que les propriétés divergentes des sons, il» |M M I > M I b u i temps et notre argent? A nous étudier in vivo, nous les rats d u m e t r o .
telles que la phonétique les enregistre, soient des transformations optionnelles o u " , ''-i •<' façon de vivre u n trajet (sic), d e n f i l e r les couloirs au petit t r o t ,
l w

contextuelles d'une réalité invariante à un niveau plus profond » (c'est nous qui soulignons •J '" " M T un escalator et u n escalier, de freiner en passant sous u n vidéo-clip et
pour proposer une autre f o r m u l a t i o n de 1'immanence) Cl. Lévi-Strauss et D. E r i b o n , De Hl li ' iliins les virages. Ils ont même envoyé des enquêteurs à notre poursuite (re-sic).
1

prés et de loin, Paris, Ed. Odile Jacob, 1988). s royez pas? Vous avez t o r t . J ' a i vu ça dans Libe'. J ' a i vérifíé, c'est exact. Ils
Cette réalité est-elle dans la «réalité» des choses ou dans 1'esprit humain? La question liW-qués, éli(iuetés et classes en quatre types d'usagers, qui vont faire l'objet
n'est pas d u ressort de la sémiotique. Pour paraphraser de célebres propôs, l'ontologie um- rapport ...» (Le monde, avril 1987).
est une chose t r o p sérieuse p o u r être laissée aux mains des sémioticiens. I • In M U s blêmes» commencent après 21 h.
26 Sous les signes, les stratégies Étes-vous arpenteur ou somnambule ? 27

e n était à d e f i n i r u n e église r o m a n e e t u n e église g o t h i q u e types p o u r l"' • \i de là, q u a n d la r e l e c t u r e des fiches e t des n o t a t i o n s


p o u v o i r analyser e n s u i t e des églises b i e n réelles, e n s a c h a n t d ' a v a n c e la p c t t i n e n c e d e la catégorie, discontinuité vs continuité, i l
1

q u ' a u c u n e de celles-ci n e représentera la p u r e réalisation d ' u n des PM u l l l c i|<- s a i r e t e r s u r elle, d e réfléchir à t o u t ce q u ' e l l e p e u t o f f r i r .
types d e f i n i s , e t q u ' i l f a u d r a p a r a i l l e u r s s ' i n t e r r o g e r s u r l e u r c o n t e n u , I ' T" sémioticien, c'est p r o j e t e r , c o m m e i l d i t , la caté-
sur les pensées q u e ces d e u x types d ' a r c h i t e c t u r e r e l i g i e u s e repré- i 111 m i ( a r r e sémiotique p o u r t e n d r e le réseau d e r e l a t i o n s q u i
sentent. m i c r o - u n i v e r s sémantique q u e c e t t e catégorie r e p r e s e n t e ,
II | 1 l e c o n n a i t r e les p o s i t i o n s de sens v i r t u e l l e s q u ' u n t e l réseau
.1. i.nii

Les quatre types de voyageurs 1 II 1 I H ( i i i r e m e , i l i n s t a l l e r a le d i s p o s i t i f s u i v a n t :

L e t r a j e t u n e fois constitué e n procès s i g n i f i a n t et les s i m i l i t u d e s e t


Discontinuité Continuité
o p p o s i t i o n s des différents micro-récits mises e n système, i l est pos-
sible d e r e c o n n a i t r e q u e les faits e t gestes des v o y a g e u r s s ' o r g a n i s e n t
à p a r t i r d ' u n e g r a n d e catégorie f o n d a m e n t a l e : discontinuité vs c o n t i -
nuité. " A la base" d u système, si l ' o n p e u t d i r e , i l y a b i e n u n e r e l a t i o n
q u i s o u s - t e n d la diversité des séquences gestuelles, de ces micro-récits non-continuité
t X t non-discontinuité
faits d e démarrages, de r a l e n t i s s e m e n t s , de r e p r i s e s , d e t e n s i o n s o u d e
glissements. C e r t a i n s t r a j e t s relèvent d ' u n e stratégie d e mise e n c o n t i - | i lIlCK I H I . I ; I C M éprouver la rentabilité dans u n e n o u v e l l e réorga-
nuité, c'est-à-dire q u ' i l s s o n t faits d ' u n e série d e p r o d u c t i o n s o u d e 111 I< sc(|iicnces analysées. Arrêtons-nous là p o u r présenter ce
s

saisies d e continuités. O n se laisse p o r t e r p a r le f l u x , o n n e f a i t pas ioli(|ue», d ' u n e p a r t p a r c e q u e la t y p o l o g i e des v o y a g e u r s


a t t e n t i o n a u x m a r q u e s , a u x l i m i t e s , a u x b o r n e s ; o n n e réagit pas a u x '•'' l ' l l ° ' e n dépendra, et d ' a u t r e p a r t p a r c e q u e le l e c t e u r
, l s n

t e m p s f o r t s d u p a r c o u r s . L ' e n v i r o n n e m e n t est neutralisé; sa seule pré- v r i a dans d ' a u t r e s c h a p i t r e s cet o u t i l d e base d u métier sémio-
sence sensible est celle d ' u n b r u i t d e f o n d , d ' u n e nébuleuse d e f o r m e s ||||IH I . . i i i c l o i s s'il le désire, le l e c t e u r p e u t sauter allègrement les
et d e c o u l e u r s . Q u e la l i g n e d e v i e n n e aérienne o u s o u t e r r a i n e , o n n o t e • | H . |i|in -. pagcs q u i s u i v e n t ; i l p o u r r a t o u j o u r s r e v e n i r à c e t t e présen-
a l o r s la m ê m e p o s t u r e , le m ê m e r e g a r d , la m ê m e c o n c e n t r a t i o n s u r Ull I " c a t r e sémiotique p u i s q u ' e l l e est n e t t e m e n t signalée p a r u n e
le l i v r e o u le j o u r n a l o u v e r t dès q u e possible, s u r le t r i c o t v i t e s o r t i i \ i i p l i i e différente.
1

d u sac. A 1'opposé, d ' a u t r e s t r a j e t s r e c h e r c h e n t o u apprécient les


r y t h m e s , les itérations. R e l e v a n t d ' u n e stratégie d e mise e n d i s c o n t i - 1 ' i i ' i s o n t o n s le c a r r é s é m i o t i q u e e n p r e n a n t u n exemple,

nuité, ils m a n i f e s t e n t u n e sensibilité a u x j e u x d'identité et d'altérité iiniujinons deux personnes en train de discuter. O n a là u n e mini-intrigue

q u e p r o p o s e n t les passages symétriques dans les salles d e b i l l e t t e r i e "i cest c e l a q u i n o u s f a i t c h o i s i r c e t e x e m p l e c a r il f a u t c o n c e v o i r le carré


•.ómiotique c o m m e une petite dramaturgie. Les deux personnes ont engagé
d'entrée et d e s o r t i e , o u les découpages des lignes selon 1'allure o u
nu dòbat houleux o u une discussion amicale, peu importe. Les opinions se
1 ' o r i g i n e sociale des v o y a g e u r s q u i e n t r e n t o u s o r t e n t d e la r a m e . Déli-
cnlent 1'une par rapport à 1'autre; les j u g e m e n t s émis trouvent ainsi une
m i t e r , r y t h m e r , r e t r o u v e r , opposer, segmenter... t o u t u n vocabulaire
• H i j n í f i c a t i o n : bien n e s e c o m p r e n d q u e p a r r a p p o r t à mal e t mal par rapport
q u i se r e t r o u v e dans les n o t a t i o n s de c e r t a i n s t r a j e t s : c e u x a u c o u r s
ii bien. Le sémioticien considérera c e t t e r e l a t i o n e n t r e bien e t mal comme
desquels les v o y a g e u r s témoignent, p a r l e u r façon d'être, d ' u n e réelle un « a x e sémantique» oú chacune des deux positions présuppose l'autre.
méticulosité, d ' u n e aisance t r a n q u i l l e e t d ' u n e o u v e r t u r e à ce q u i les II p n r l e r a d e catégorie, en l'occurrence d e la c a t é g o r i e d u j u g e m e n t . II d i r a
e n t o u r e q u ' o n n e s a u r a i t p o u r a u t a n t interpréter c o m m e d e la s u r - i|iio les d e u x o p i n i o n s s o n t e n relation qualitative o u e n relation de contra-
Sous les signes, les stratégies
Étes-vous arpenteur ou somnambule ? 29

riété, et tracera une horizontale dont les deux positions seront les termes
tion, et la relation de complémentarité, verticale, qui correspond à 1'opération
aboutissants : d'assertion qu'on vient de voir.
bien ... vs ... mal

Mais la discussion peut évoluer, s'approfondir. Les protagonistes pourront bien vs mal
alors avoir besoin, souci ou envie de rectifier, de mieux cerner leur pensée :
«je disais pas mal et non b/en!», ou demander à 1'autre de distinguer: «Tu
dis que c'est mal ou que c'est pas bien ?" Là, le sémioticien reconnaitra un
autre type de relation qui peut exister entre deux positions : la relation de
contradiction. Cest une relation qui s'établit à partir d'une négation, ce qui
ne signifie pas que pas mal et pas bien soient des absences d'opinion, des
positions vides. On peut les tenir, les nourrir, en donner 1'aspect positif. Par
exemple, pour exprimer positivement pas mal, on dit que c'est «correct», ou
que c'est «honnête, sans plus». Que l'on songe à la fameuse déclaration
pas mal pas bien
de Chimène à Rodrigue : «Va, je ne te hais point.» On voit bien qu'on peut i >'
tenir une telle position, avec d'autant plus de force et d'émotion qu'elle est — relation de contrariete
la seule en 1'occurrence à concilier la décence et le sentiment, et qu'elle a ^ / relation de contradiction
pour contenu positif 1'aveu de la passion amoureuse. On notera de plus qu'il \ relation de complémentarité
faut bien distinguer entre une position de sens — un des coins du carré —
et sa manifestation à la surface du texte. Une même position peut se mani- Le carré, on le constate, est un modele tout à la fois statique et dynamique :
fester sous la forme d'un mot, d'une expression, d'une phrase voire sous la il est fait de positions, purement différentielles, et de parcours, réalisables
forme d'un paragraphe; 1'élasticité est une des qualités du discours. selon des régies. D'aucuns trouveront cette structure par trop élémentaire,
Maintenant que se passe-t-il quand on pose que Cest pas mal, et qu'on simplificatrice ou réductrice. Le sémioticien répondra que le carré est, en
tient ferme une telle position ? On rend possible — mais non inéluctable — le 1'état actuei des choses, un modele simple et économique (deux opérations,
passage à bien : un passage qui, s'il est effectué, est interprete sémiotique- trois relations), et quil constitue un réel progrès dans la représentation de
ment comme une opération d'assertion. Bien súr, le même parcours, symé- la mise en branle de la signification, des conditions minimales de sa produc-
trique, doit être conçu pour le passage de pas bien à mal. Voilà le carré tion ou de sa saisieyívlais, surtout, le carré presente le grand avantage d'être
construit et parcouru «en aile de papillon» à 1'aide de deux opérations, méthodologiquement contraignant — ce qui, pour certains esprits, n'est pas
négation et assertion. pardonnable! En le maniant, on s'astreint à devoir comparer ce qui est com-
parable, isotope, c'est-à-dire de même niveau . Tout de même le néophyte
6

zélé ne sera-t-il pas tente de carréifier à tout-va? on pose locomotive


bien vs mal
et raton-laveur, et l'on obtient un carré avec non-locomotive et non-raton-

t X t
laveur! Après tout, pourquoi pas... si l'on a su justifier de la présupposi-
tion reciproque de ces deux figures par 1'analyse de leurs roles ou de leurs
contenus respectifs dans telle ou telle histoire, et si l'on a pu montrer qu'une
pas-mal pas bien projection sur le carré était rentable parce qu'elle avait fait reconnaítre

• L'isotopie est cette homogénéité de niveau que crée la reprise, 1'itération d'une même
Et voilà aussi les quatre positions interdéfinies grâce à trois relations : la unité de sens tout au long d'un texte ou d'un propôs. Parler de force (de vente), d'agres-
relation, horizontale, de contrariété (on l'a vue tout à 1'heure), la relation de sions, de stratégie et de (marketing de) combat, c'est installer une isotopie guerrière. Et
une fable est un discours dit «bi-isotopique», puisque, selon les régies du genre, «on
contradiction représentóe par une oblique et qui correspond à une néga- parle des animaux pour parler des hommes».
30 Sous les signes, les stratégies Étes-vous arpenteur ou somnambule ? 31

les deux autres positions de sens et que celles-ci ótaient effectivement la transgression — au sens littéral de «passer au-dessus». Le prefixe
occupées ou occupables par d'autres personnages ou d'autres objets! II trans-, qu'on retrouve dans transmission, transfusion ou tradition, est,
faut bien noter ici que ce ne sont pas les mots, les signes ou les figures qui en français, l'une des manifestations linguistiques de la non-disconti-
importent, ce sont leurs valeurs contextuelles. Ce que l'on met en carré, ce n u i t é . La projection sur le c a r r é s é m i o t i q u e fait aussi r e c o n n a í t r e la
ne sont pas des entrées du dictionnaire (des lexèmes) mais telles ou telles stratégie contraire, celle de la n o n - c o n t i n u i t é ; elle correspond à la
de leurs acceptions (des sémèmes). D'ailleurs et à linverse, un même mot, cesure, au suspens ou à 1'interruption, non à la r u p t u r e . Ceux qui 7

un même geste, un même symbole peut, après 1'analyse de ses diverses valorisent la n o n - c o n t i n u i t é attendent ... 1'inattendu. Ils s ' a r r ê t e n t aux
mises en contexte, se trouver distribua sur plusieurs positions du carré, animations et sont sensibles aux incidents; ils aiment tout ce qui peut
positions qui peuvent être au mieux complémentaires, au pire contradictoires les surprendre, les saisir ou les ravir.
(ce qui ne manquera pas de provoquer tôt ou tard des effets de sens dan-
Ces quatre façons de vivre le trajet representem quatre valorisations
gereux de «contradiction interne» ou de «double langage»). On se souvient
d u n Ecossais vantant, à la radio, un whisky de cinq ans d'âge qui pro- différentes du trajet comme d é r o u l e m e n t , comme procès-,'mais toutes
curait «la belle vie». Ses propôs donnaient à ce concept pas moins de trois supposent que le voyageur se fait le propre observateur de ses trajets
valeurs, de trois acceptions dont deux étaient contradictoires. En quelque et tend ensuite à en ê t r e le producteur. Et, comme chacune de ces
trente secondes, «la belle vie» signifiait la fierté d'être ecossais, le plaisir valorisations implique logiquement un sujet valorisant, quatre types de
d'oublier son identité écossaise avec les petites femmes de Paris et enfin la voyageurs peuvent ê t r e interdéfinis et constituer une typologie quali-
beauté de 1'amitié entre Ecossais et Français I tative des clients du metro et du R E R : les arpenteurs, les pros, les
Nous aurons 1'occasion de revenir sur d'autres aspects et d'autres exploita- somnambules et les flâneurs. Les arpenteurs recherchent et a p p r é -
tions du carré. Revenons à nos voyageurs et servons-nous du carré sémio- cient les trajets discontinus, que nous avons appelés les « p a r c o u r s » .
tique pour definir les quatre grandes façons de vivre un trajet et reconnaítre Les pros, eux, réalisent ou cherchent à réaliser des « e n c h a i n e m e n t s » .
qu'il existe bien des voyageurs qui les vivent. | L ' e n c h a í n e m e n t est un mot de sportif, de gymnaste ou de varappeur;
on Fa choisi parce q u ' i l evoque assez bien la fluidité, la tension et la
maitrise technique qui c a r a c t é r i s e n t les véritables performances réali-
Deux stratégies de trajet dans le metro et le R E R ont é t é reconnues
sées par les pros. Les somnambules, ce sont les voyageurs de la conti-
plus haut : une stratégie de mise en discontinuité, et une stratégie de
n u i t é ; ils réalisent des « t r a j e c t o i r e s » . Enfin, les flâneurs sont les ama-
mise en c o n t i n u i t é . La projection de la c a t é g o r i e s é m a n t i q u e disconti-
teurs de « p r o m e n a d e s » , c'est-à-dire de trajets o ú les n o n - c o n t i n u i t é s
n u i t é vs c o n t i n u i t é sur le c a r r é sémiotique permet d'en r e c o n n a í t r e
deux autres, correspondam aux n é g a t i o n s respectives des p r e m i è r e s .
Nier les discontinuités, c'est relier, enjamber, prendre en é c h a r p e . ' O n se représentera mieux cette position si l'on prend 1'exemple des différents aspects
Cest chercher à anticiper 1'obstacle pour le gommer. Les stratèges de que peuvent prendre les surfaces déployées : une mer étale, un mur nu, un plan lisse
sont des figures de la c o n t i n u i t é ; un pli, une aspérité ou une tache celles de la non-
la n o n - d i s c o n t i n u i t é , ce sont les virtuoses de 1'introduction du ticket continuité. L a discontinuité, elle, sera illustrée par la crevasse, la fracture ou le fosse.
dans la fente d u p o r t i l l o n : ils n'ont pas attendu d ' ê t r e dessus pour Enfin, la non-discontinuité le sera par le bord à bord ou le raccord.
sortir leur titre de transport. Le geste est súr, é c o n o m e ; 1'allure est Fracture plan lisse
crevasse Mur nu
coulée. Ce sont eux qui esquivent, slaloment et se faufílent, eux qui se fosse mer étale
mettent à un endroit précis sur le quai d'attente pour attaquer i m m é - Discontinuité Continuité
diatement le couloir de correspondance et qui, dans le couloir, n é g o -
cient au mieux les virages; ils prennent garde de ne pas se laisser
enfermer en se tenant à la corde, en restant trop p r é s des murs. Si la
non-continuité
X non-discontinuité
stratégie de la d i s c o n t i n u i t é est celle du parcours, de la mesure et du pli bord à bord
releve, celle de la n o n - d i s c o n t i n u i t é est celle de 1'enchaínement, de tache raccord
(2 Sous les signes, les stratégies Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? 33

iont valorisées. Arpenteurs, pros, somnambules et flâneurs, presentes encore a b o r d é e jusqu'ici : celle du signifié des trajets réalisés par les
ians 1'ordre du parcours possible du c a r r é , sont positionnés ainsi sur voyageurs et du mode de p e n s é e que chacun des types represente. En
:elui-ci : cherchant à saisir ou à produire des discontinuités ou des c o n t i n u i t é s ,
ces voyageurs c o n ç o i v e n t e u x - m ê m e s le metro comme une pratique
ARPENTEURS SOMNAMBULES signifiante : par des discontinuités o p é r é e s tout au long du trajet,
certains donnent du sens ou, plus exactement, de la signification à ce
"trajectoires" trajet. Articule, s t r u c t u r é , différencié, le trajet acquiert une richesse
parcours
et une d e n s i t é s é m a n t i q u e / A 1'inverse, en saisissant ou en produisant
un continuum, d'autres voyageurs « d é s é m a n t i s e n t » leurs trajets en
valorisation valorisation 1'automatisant. Le trajet dans le metro et le R E R figure alors parmi les
des discontinuités des continuités programmes d'action plus ou moins nombreux que chacun d'entre

t
valorisation
X t
valorisation
nous automatise et vide de signification ou de contenu, tout simple-
ment parce qu'on ne peut vivre tout ce que l'on fait dans la vie, ou
m ê m e dans une j o u r n é e , comme signifiant : d é j e u n e r , s'habiller, mon-
des non-continuités desnon-discontinuités ter dans sa voiture et conduire quand on est citadin, ou encore fau-
cher, ratisser ou baratter quand on vit à la campagne. Et pourtant ce
sont là des faits de culture, qui ont necessite un apprentissage, qui
"promenades" "enchainements" permettent de c a r a c t é r i s e r un mode de vie par rapport à d'autres et
de rendre lisible, c o m p r é h e n s i b l e telle et telle situation, telle ou telle
relation aux autres. T o u t se passe comme si la q u o t i d i e n n e t é était
FLÂNEURS PROS
pour les uns une r é c u r r e n c e et par là m ê m e une possibilite d'identi-
Ces types de voyageurs, on l'a vu, sont des constructions. Ils sont fier, d'opposer, de c o r r é l e r , et qu'elle était pour d'autres un facteur
definis les uns par rapport aux autres — par d é d u c t i o n , si l'on peut d'indifférenciation à tout ce qui pouvait ou peut marquer et rendre
dire, à partir du d é p l o i e m e n t d'une c a t é g o r i e conceptuelle. Mais, les choses signifiantes. Pour les uns — ce sont nos arpenteurs — les
parce que cette c a t é g o r i e a é t é auparavant reconnue comme perti- trajets quotidiens peuvent ê t r e consideres comme des variations et
nente dans 1'analyse des trajets suivis, chacun de ces types represente des j e u x de transformation producteurs de sens. Pour les autres — ce
en fait un ensemble de comportements, de «faits et gestes», que sont nos somnambules — ces trajets quotidiens r e p r é s e n t e n t 1'instance
peut reconnaitre d'ailleurs tout observateur attentif des voyageurs neutre à partir de laquelle certains peuvent greffer d'autres pratiques
du m e t r o .
8
signifiantes : lire, tricoter. Somnambule n'est pas ici à prendre dans
un sens péjoratif ou pathologique; les somnambules ne sont pas non
Nous avons parle tout à 1'heure de façons de vivre le trajet.
plus des zombies, des morts-vivants. O n a choisi ce terme parce q u ' i l
L'expression est bien vague : bien peu s émi o t i q u e. L'employer cepen-
evoque un é t a t d'automatisme mais aussi une réelle activité, de type
dant était une m a n i è r e de designer toute une p r o b l é m a t i q u e non
onirique. De fait, ces voyageurs marchent ou s'assoient automatique-
ment mais en m ê m e temps ils r ê v e n t , ils lisent ou é c o u t e n t de
8 Bien des comportements et des faits et gestes releves lors des suivis peuvent ainsi se la musique.
retrouver dans les remarques faites à ce propôs par 1'ethnologue M. Auge dans son
essai (op.cit). Gageons que certains arpenteurs, ethnologues d'esprit sinon de métier, se Qu'en est-il des pros et des flâneurs? Quels types de saisie ou de
sont e u x - m ê m e s bricolé une certaine typologie des voyageurs, sans intention ou souci production du sens constituent le signifié de leurs comportements
sémiotique de la construire de telle sorte que les types soient interdéíinis avec é c o n o -
mie. respectifs? Si l'on estime que nous avons tous c o m m e n c é par ê t r e des
34 Sous les signes, les stratégies Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? 35

sujets parcourants, des arpenteurs, dans la mesure oú il a bien faliu un propre séquençage du trajet. Dans un deuxième temps, on recen-
jour apprendre à se déplacer et à se repérer dans le metro, 1'enchaí- tra 1'entretien sur les éléments signifícatifs qu'ils avaient mentionnés
nement réalisé par le pro doit être conçu comme une entreprise de spontanément, puis sur ceux qui 1'étaient pour 1'enquêteur-suiveur.
désémantisation, d'abstraction et de formalisation. Ce sont des suites Les voyageurs parlèrent ainsi des lieux empruntés (salles, couloirs,
entières de faits et gestes qui deviennent alors des unités indécompo- quai...), des animations, du mobilier (Bureaux d'Information ou
sables et comme sténographiées. La pratique signifiante du flâneur "escargots", Bureaux d'Informations Sur le Quai, écrans de TUBE),
est, on 1'imagine, à 1'opposé : ce que cherche à vivre le flâneur, c'est mais aussi des divers agents RATP et de tous ceux qui travaillent dans
1'émotion; ce sont ces situations de surgissement et d'émergence de le metro (colleurs d'affiches, personnel de nettoyage, T U C . . . ) . Enfin,
1'inattendu. Le flâneur est amateur du bizarre et de tous ces moments après le recueil de ses discours sur le trajet, on en vint à des ques-
oú le sens apparait sans qu'il soit encore structuré, sans qu'on puisse tions sur les attentes en termes d'information, de vente, d'assistance,
d'emblée projeter sur lui une quelconque grille de lecture; il veut de controle de sécurité . Comme on peut Fimaginer, chaque type de
être étonné, surpris. Aussi le flâneur sait-il se rendre disponible aux voyageurs réagit différemment par rapport à ce qui peut être consi-
différents spectacles insolites que peuvent offrir le metro et le RER. dere comme 1'offre du metro. Les arpenteurs seront les plus sensibles
Autant le pro exalte dans ses enchainements sa propre maitrise des aux travaux de décoration et de rénovation qui, depuis 1975, person-
choses et sa connaissance du réseau, autant le flâneur se plait à sentir nalisent les stations en y incorporant des éléments renvoyant explicite-
le monde le posséder, et sa compétence se perdre. Aussi les compor- ment ou symboliquement aux lieux de la ville et aux quartiers qu'elles
tements des voyageurs du metro et du RER, pris dans leur totalité, desservent . Ainsi, pour ne parler que de la ligne n° 1, les stations
9

relèvent-ils d'une activité véritablement sémiotique puisque ces divers LOUVRE, HÔTEL-DE-VILLE, et SAINT-PAUL - LE MARAIS seront citées
comportements consistent fínalement à saisir ou à produire du sens, à en exemples. Le parcours du metro pourra être imagine alors comme
1'enrichir ou à 1'appauvrir, voire à le nier au profít d'autres pratiques. 1'inventaire d'un patrimoine. I I faut cependant noter que la relation
A 1'analyse des divers comportements qui en constituem la manifesta- du design de la station à son territoire doit être concrète et motivée :
tion, les trajets des voyageurs, consideres comme des textes, montrent un simple changement de couleur sera considere par les arpenteurs
que ces voyageurs vivent eux-mêmes le metro comme un texte. Cest comme tout à fait gratuit, banalisant voire destructeur. A 1'égard
un peu comme si les enquêteurs qui les avaient suivis avaient observe, des affiches, ils auront une attitude analogue. En effet, celles-ci fonc-
par dessus 1'épaule, des peintres ou des amateurs d'art, des ethno- tionnent comme des repères spatiaux et temporels: elles identifient
logues attentifs ou encore des touristes qui ont payé pour «faire» un par leur disposition une station ou un quai; elles rappellent par leur
pays en trois jours. Le metro peut être, selon les types de voyageurs, thème une saison, un moment de 1'année (le «blanc», la rentrée,
des textes aussi différents qu'un portulan (pour les arpenteurs), un Noel,...). Les arpenteurs auront souvent plaisir à retrouver et identi-
diagramme (pour les pros), un gribouillage (pour les somnambules) fier des affiches déjà vues ou des motifs publicitaires repris
ou un calligramme (pour les flâneurs). d'anciennes campagnes . Quant aux animations, elles ne prendront
10

Plusieurs dizaines d'interviews furent réalisés auprès des voyageurs


dont les déplacements avaient été suivis. Ces voyageurs étaient des 9 Le verbe «desservir» est gênant en Poccurrence : il suggère une opposition, tradi-
actifs ou des inactifs, et leurs trajets avaient des motifs, des fréquences tionnelle en architecture, entre espaces servis et espaces servants. Or les stations pour
et des horaires três différents. On prit soin aussi de vérifier que ces les «arpenteurs» et surtout ces stations « personnalisées » ne sont pas des espaces ser-
vants mais presque des figures métonymiques du quartier : il s'établit un rapport sub-
voyageurs aient emprunté une diversité représentative de lignes et stitutif de la partie au tout.
de stations. On demanda d'abord aux interesses de raconter le trajet 10 On reviendra plus loin dans ce chapitre sur ce concept de motif publicitaire. Disons
qu'ils venaient d'effectuer, d'en donner les temps forts, les événe- simplement ici que la communication publicitaire est pleine de ces motifs, de ces micro-
récits figuratifs (quelquefois appelés «gimmicks visuels») : la petit cuillère de Maxwell
ments marquants (s'il y en avait selon eux) pour obtenir aussi leur en est un exemple célebre.
36 Sous les signes, les stratégies Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? 37

sens et valeur que si elles s'inscrivent dans des genres definis aiment les stations qui donnent à voir autre chose que le metro l u i -
(musicaux, sportifs, t h é â t r a u x ) : cultivant les valeurs de r é f é r e n c e , m ê m e : ainsi ils privilegiem celles qui sont les plus riches en pro-
les arpenteurs aiment mieux retrouver ce qu'ils connaissent déjà que grammes déviants : spectacles, animations, rencontres. La station L E S
d é c o u v r i r une nouvelle musique, un nouveau spectacle. « A h , le violo- H A L L E S represente le type accompli de la station-carrefour, autant par
niste de la CONCORDE!...». son ampleur favorable à la circonscription d'espaces de fíction que par
Les pros seront les plus interesses à 1'accessibilité des stations ainsi la d e n s i t é des croisements qui la constituent. Bien sur d'autres stations
q u ' à leur é q u i p e m e n t : ils parleront des locaux techniques, des escala- telles que M O N T P A R N A S S E , A U B E R ou R E P U B L I Q U E peuvent j o u e r ce
tors, des types de p o r t i l l o n , de la longueur des couloirs, ou de la role, mais sans jamais pouvoir rivaliser vraiment avec L E S H A L L E S . Les
largeur des escaliers. Les stations seront d'abord p e r ç u e s selon leur affiches retiendront 1'attention des flâneurs par leurs valeurs dyna-
fonctionnalité. Et leur personnalisation perdra de son i n t é r ê t ; pour miques : teasing, nouvelles affiches ou effets de «massif» c r é e n t ces
un peu, elle en deviendrait un divertissement quasi-pascalien. I I en va é v é n e m e n t s , ces ruptures o ú ce qui est vu est presque plus le sujet,
de m ê m e pour les affiches. Enfin, si les animations, a b o r d é e s sur le au sens syntaxique du terme, que celui qui voit. I I en va de m ê m e de
registre du « ç a ne me d é r a n g e p a s » , apparaissent t ô t ou tard toutes les formes d'action ou d'interaction qui suspendent un moment
comme des entraves, des occasions de bouchons et d ' é t r a n g l e m e n t s , le cours du trajet, le cours des choses.
c'est qu'elles incitent à autant de comportements e s t h é t i q u e s hors de
p r o p ô s : s ' é t o n n e r , regarder, é c o u t e r , applaudir... De véritables anti-
programmes . « P o u r q u o i ne pas r é s e r v e r des coins à ces animations,
11

Deux applications de la typologie


ou les limiter à quelques grandes s t a t i o n s - c a r r e f o u r s ? » La reserve
dMndiens n'est pas l o i n !
Les somnambules ont p e u t - ê t r e la relation la plus physique à Nous n'allons pas ici continuer à rendre compte de tout ce qui a é t é
1'espace des stations; ils les classent selon la qualité, la d e n s i t é et la recueilli au cours de ces entretiens réalisés a p r è s les suivis. Ce qui
r é g u l a r i t é qu'elles proposent aux flux des corps en mouvement. L e u r nous importait, c'était de m o n t r e r comment chacun des quatre types
souci est d ' é v i t e r autant que faire se peut les ruptures brutales. de voyageurs parlait de ses trajets et fournissait ainsi les temps, les
Aussi préfèreront-ils les petites correspondances aux stations-carre- espaces et les acteurs qu'implique sa façon de vivre le metro et le R E R .
fours, O B E R K A M P F p l u t ô t que R E P U B L I Q U E , ou encore la t r a n q u i l l i t é Parlons p l u t ô t de deux exploitations de cette typologie. La p r e m i è r e a
des places assises p l u t ô t que les places de part et d'autre des portes ou é t é 1'élaboration d'un questionnaire permettant de recruter pour des
autour des mats. Les affiches seront a p p r é c i é e s dans la mesure o ú elles r é u n i o n s de groupe des ensembles h o m o g è n e s d'arpenteurs, de pros,
donnent 1'occasion d'une évasion. Ce sont enfin des voyageurs parti- de somnambules et de flâneurs. Chaque partie de ce questionnaire est
c u l i è r e m e n t sensibles aux différentes animations, à leur façon. Ils a x é e sur un t h è m e de discours sur le metro p a r t i c u l i è r e m e n t révéla-
supportent mal en effet le caractere i m p o s é de la musique j o u é e dans teur de spécificités de p e n s é e des quatre types. Quatre é n o n c é s par
les rames, qui vient exacerber leur sentiment de huis-clos et perturber t h è m e , repris des p r o p ô s m ê m e s des interviewés, r e p r é s e n t e n t ces
leurs stratégies de d é c o n n e x i o n du réel. quatre pensées, dans 1'ordre logique du parcours d u c a r r é sémio-
Quelles sont les attentes et les attitudes des flâneurs? Ces derniers tique : 1) arpenteurs, 2) pros... Les personnes, r e c r u t é e s par télé-
phone, avaient la possibilite de noter ces items sur une échelle de 1 à
5. Voici le questionnaire qui permit, d è s le premier recrutement, de
" Cest un des acquis de la sémiotique narrative que d'avoir montré 1'existence d'un
véritable dédoublement propre à toute organisation narrative : les récits se conçoivent disposer de groupes h o m o g è n e s . I I fut encore a m é l i o r é et complete au
comme des suites de confrontations oú, sur des programmes contraíres, s'opposent cours d'autres é t u d e s .
héros et traitre, Sujet et anti-Sujet... S'étonner, regarder, écouter, applaudir sont les
programmes de cet anti-Sujet qu'est le flâneur pour le pro.
Sous les signes, les stratégies Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? 39

A. Uapproche globale du metro D. Les commerces


1. Les commerces dans le metro, il y en a de plus en plus, j'en ai
1. Quand je suis dans le metro, j'aime bien voir tout ce qui change,
repéré quelques-uns; j'y vais à 1'occasion.
en fonction des heures, des différentes lignes, suivant les quartiers
aussi ... 2. Dans le metro fai pas le temps pour m'arrêter et acheter quoi
que ce soit.
2. On voit tout de suite dans le metro les gens qui ne sont pas
habitues, qui vont lentement ... moi, fessaie de me faufiler et 3. Je me demande vraiment s'ils vendent beaucoup dans le
d'aller le plus vite possible. metro, moi personnellement ça ne me vient pas à 1'esprit d'acheter
comme ça.
3. Quand je prends le metro, je ne pense pas à ce que je fais,
je vais toujours un peu au radar. 4. Les commerces dans le metro, c'est une petite ambiance pas
désagréable, ça permet de trouver des trucs marrants.
4. Quand je prends le metro, c'est une occasion de flâner un
peu, de voir ce qui se passe.
E. La publicite
1. Ce qu'il y a de bien dans la publicite dans le metro, c'est que ça
B. Les stations
permet d'être un peu au courant des nouveautés.

1. J'aime bien les stations qui sont bien arrangées, les stations qui 2. La publicite dans le metro, je ne peux pas dire que ça m'inté-
ont un rapport avec le quartier, comme la station du Marais ou la resse vraiment. Je ne les vois pas trop.
station du Palais de la découverte. 3. Heureusement qu ii y a la pub dans le metro, ça fait quelque
2. Le plus important pour moi dans les stations, c'est de ne perdre chose à voir quand on n'a pas envie de lire son Journal ou de
pas de temps ... quelquefois prendre un couloir à contre sens, ça regarder ses voisins.
evite de faire tout un détour... 4. Ce que j'aime bien dans la publicite, c'est que c'est vivant, et
3. Si j'ai le choix, je prefere faire un bout de chemin dans la rue si puis ça se renouvelle souvent.
ça peut m'éviter une grosse correspondance.
Grace à ce questionnaire de recrutement, on entreprit de mener
4. J'aime bien les grandes stations, comme Auber ou les Halles,
oú il se passe toujours quelque chose.
une investigation plus approfondie sur les services et prestations
attendus par chacun des types de voyageurs. Les voyageurs reunis en
groupes homogènes, réagirent à la présentation de croquis illustrant
C. Les animations des situations plus ou moins habituelles dans le metro et le RER.
1. L'animation, il ne faut pas que ce soit nlmporte quoi... ce qui est On notera que ces croquis étaient suffísamment imprécis ou, plutôt,
bien, c'est de reconnaítre une musique ou un acteur. Cest bien ambigus pour que les participants des réunions de groupe puissent
aussi quand c'est annoncé à 1'avance. donner des interprétations différentes sous la forme de bulles de
2. Le problème des animations, c'est que ça gene ceux qui nont
bande dessinée rattachées à tel ou tel acteur de la scène. Voici, en
pas envie de s'arrêter; s i l ne tenait qu'à moi, on pourrait exemple, quatre de ces scènes :
les supprimer. 1 / un agent se dirige vers un attroupement; on ne sait ce qu'il a
3. La musique, ça rrTaccompagne quand je marche mais je ne dans la main, on ne distingue ni corps allongé (un accident?, un
m'arrête pas devant les musiciens. malaise ?) ni poing leve (une altercation ?);
4. Les animations, quand ça me plaít je rrTarrête; ça permet de 2 / une jeune femme encombrée de sa poussette, son enfant dans les
passer un petit moment sympa. bras, arrive à un portillon; on distingue, dans une cabine, deux
42 Sous les signes, les stratégies Êtes-vous arpenteur ou somnambule f 43

agents de la RATP dont l'un est (déjà?) debout (pour venir indique : TUBE réalisait bien deux des objectifs prioritaires qui l u i ont
1'aider ?); é t é assignés : 1'animation et la s é c u r i s a t i o n ; un consensus positif se
3 / une autre jeune femme s'avance vers un BISQ (un Bureau d'Infor- faisait ici tant a u p r è s des arpenteurs et des flâneurs que des som-
mation Sur le Quai) d ' o ú sort (vers elle ?) un agent; nambules et des pros. Mais, g r â c e à une nouvelle e n q u ê t e f o n d é e sur
4 / un agent en station punaise une affiche (un document RATP? une la typologie, on put nettement différencier les diverses critiques for-
annonce relative à la vie du quartier ?) en parlant à des voyageurs. m u l é e s à 1'encontre de TUBE. Pour les arpenteurs, qui accordent une
Ces croquis ont été conçus comme de véritables motifs, c'est-à-dire grande importance au r e p é r a g e et p r ê t e n t une attention p a r t i c u l i è r e
comme des micro-récits fíguratifs dotes d'une autonomie suffisante à 1'espace architectural des stations, le design et 1'implantation du
pour ê t r e extraits d'un contexte et resitués dans un autre, ce nouveau mobilier de TUBE é t a i e n t critiques dans la mesure oú ils n ' a g r é m e n -
contexte donnant au motif une signifícation p a r t i c u l i è r e . Les r é u n i o n s taient ni ne valorisaient ces stations. Les bornes notamment, é t a i e n t
de groupe typologiquement h o m o g è n e s fournirent donc les valeurs considérées comme des robots ou comme les é m a n a t i o n s de quelque
contextuelles de ces situations selon les arpenteurs, les pros, les som- «Big B r o t h e r » . Pour les pros, 1'emplacement des bornes en faisait
1 2

nambules et les flâneurs, et les roles que chaque type donnait aux des obstacles g ê n a n t leurs enchainements; TUBE allait à l'encontre de
agents de la RATP. leur logique d'optimisation. De plus, Fessentiel des sujets ne corres-
pondait pas à leur besoin d'informations utilitaires. Ce n ' é t a i e n t pas
La typologie comportementale des clients de la RATP a permis aussi des exercices de style ou d ' é c r i t u r e filmique q u ' i l fallait, c'étaient des
de comprendre comment — et dans quelle mesure — les é c r a n s et les informations claires et nettes sur le réseau ferre ou routier de la
programmes de TUBE ont modifíé la pratique du metro et du RER. Ins- RATP. Et celles-ci pouvaient tout à fait passer sur une simple bande
tallé progressivement depuis 1986 sur les quais d'un certain nombre vidéo-texte. Les somnambules qui accordent, eux, un i n t é r ê t tout
de stations, TUBE est un r é s e a u de v i d é o c o m m u n i c a t i o n câblé en particulier au traitement des sujets p r o p o s é s par TUBE critiquaient le
fíbres optiques. Des programmes de quelque quarante minutes, repris contenu de certains «Dossiers» q u i , loin de r é p o n d r e à leur désir de
en continu, sont diffusés sur des é c r a n s de télévision installés sur des s'abstraire de l'espace du metro, les confrontait t r o p é v i d e m m e n t à la
bornes à m ê m e le quai ou suspendus au dessus (voir ci-contre). Vis-à- réalité vécue. N o m b r e de ces dossiers é t a i e n t consacrés à des formes
vis des voyageurs, TUBE se voyait fíxer un certain nombre de mis- de d é t o u r n e m e n t ou de subversion plus ou moins ludiques des pra-
sions dont 1'information en temps réel comme en temps p r o g r a m m é , tiques urbaines. Pour é t o n n a n t e s qu'elles fussent, ces réalisations mar-
la démultiplication en direct des animations organisées dans le metro, ginales ne pouvaient pas ne pas renvoyer le spectateur à son incapacite
la c r é a t i o n de programmes et de sujets adaptes « a u x quelques minutes presente voire permanente à se j o u e r ainsi de la ville et de la quoti-
pendant lesquelles les voyageurs circulem dans un couloir ou sta- d i e n n e t é . Pour les flâneurs enfin, le fait que TUBE ne permette aucune
tionnent sur un quai» ainsi que la diffusion de messages individualisés intervention de leur part allait à l'encontre de leur logique de dispo-
par station ou par groupe de stations «favorisant la vie locale des nibilité et de leur désir de zapper. TUBE les plaçait devant 1'alterna-
quartiers de Paris comme des communes de b a n l i e u e » . I I s'agissait de tive : voir ou ne pas voir. Ce sont les flâneurs qui comprennent vite
plus de ne pas importuner le voyageur « q u i aspire au calme » en p r é -
voyant des « zones de silence ». De fait, 1'objectif global de TUBE était
d ' « e x i s t e r en tant que support a u p r è s d'un public nombreux et diver- 12Chaque type de voyageurs imagine de nouveaux moniteurs T U B E conformément à
sifíé». ses attentes et à sa logique de trajet. Ainsi les arpenteurs verront ces moniteurs comme
des bornes pour se repérer ou même comme de véritables périscopes sur le quartier.
Une e n q u ê t e faite auprès de chacun des types comportementaux de Les pros souhaiteront en faire des antennes PC qui fourniraient les informations néces-
voyageurs confirmait d'abord ce que de p r é c é d e n t s sondages a u p r è s saires à 1'anticipation, au dégagement. Les somnambules des écrans-fenêtres pour rever.
Enfin, les flâneurs concevront les moniteurs à 1'image d'un caisson multisensoriel qui
d'échantillons représentatifs de 1'ensemble des voyageurs avaient déjà leur offrirait toutes les possibilites d'entrer en interaction créative.
Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? 45

tout le parti interactif qu'on aurait pu tirer, selon eux, de ce réseau


câblé qui innerve le dispositif des implantations de T U B E . Ils imagi-
naient des espaces de jeux individueis ou collectifs, des messageries,
des consultations de banques d'images ou de films, de télésondages en
temps réel...
Les attentes des flâneurs vis-à-vis de T U B E et d'une exploitation
maximale d'un réseau câblé posent aussi le problème des différentes
formes d'interaction possibles dans 1'univers du metro et du R E R . Or,
d'une autre façon, 1'étude qui était à 1'origine de cette typologie com-
portementale des voyageurs posait le même problème puisqu'elle por-
tait sur les diverses occasions de contact du personnel en station avec
les clients de la R A T P . I I est donc tout naturel qu'on ait envie d'aller
chercher du côté des linguistes, des philosophes et des sociologues ce
qui se dit sur 1'interaction. Prenons par exemple ce qui s'est dit en
Juillet 1985 au Colloque d'Urbino sur les interactions conversation-
nelles . Parmi toutes les Communications, on retiendra ici celle de
13

F. Jacques qui, précisément, proposait une typologie des stratégies


interactionnelles en différenciant négociation, conversation et dia-
logue. Une telle problématique ne peut pas laisser indifférents ceux
qui ont à reconnaitre 1'existence des différentes façons de vivre un tra-
jet dans le metro et de reagir par rapport aux autres personnes qui le
fréquentent ou y travaillent. On imagine aisément tout 1'intérêt que
représenterait une typologie des interactions conversationnelles pou-
vant correspondre à celle de nos arpenteurs, flâneurs, pros et autres
somnambules. Dans la mesure oú l'on peut reprendre brièvement les
définitions de F. Jacques, on dira que la conversation se caractérise
par un aspect ludique, hétérogène, aléatoire alors que la négociation
releve, elle, d'un certain rapport de force et qu'elle doit être conçue
comme une technique de règlement des conflits. Quant au dialogue,
«soustrait au champ des forces et des intérêts», il «vise un protocole
d'accord sur la valeur de vérité d'une thèse... ou sur le sens d'une
unité de code». Dans le dialogue, «les partenaires s'efforcent de
parvenir à croire ensemble ce qui est, d'élaborer conjointement une
information commune et non de s'en emparer» . 14

,13 Echanges sur la conversation, sous la direction de J . Cosnier, N . Gelas et C . Kerbrat-


Orecchioni, Paris, E d . du C N R S , 1988.
F . Jacques, T r o i s stratégies interactionnelles : conversation, négociation, dialogue, in
1 4

Echanges sur la conversation, op. cit, p. 45-68.

Dessins de J.-P. Laubal


46 Sous les signes, les stratégies Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? 47

A i n s i d e f i n i , le d i a l o g u e p a r a i t d i f f í c i l e m e n t r e c o n n a i s s a b l e dans les i n d i q u e n t o u i l l u s t r e n t u n a u t r e a b o r d d e ces p h é n o m è n e s socio-


d i f f é r e n t e s s t r a t é g i e s i n t e r a c t i o n n e l l e s des v o y a g e u r s . P a r c o n t r e , la s é m i o t i q u e s , u n e a p p r o c h e m i c r o s c o p i q u e et quasi é t h o l o g i q u e , si l ' o n
n é g o c i a t i o n s e m b l e assez b i e n c o r r e s p o n d r e à celle des p r o s : c'est p e u t d i r e : o n ne t r a v a i l l e pas sur u n e o u d e u x i n t e r a c t i o n s o u sur
u n e t e c h n i q u e , o n Pa d i t , u n s a v o i r - f a i r e q u i vise e m p i r i q u e m e n t le u n e c o l l e c t i o n d ' i n t e r a c t i o n s q u ' o n se d o n n e a priori et h o r s c o n t e x t e .
c o m p r o m i s . C o m m e le n é g o c i a t e u r , le p r o a g i t c o m m e si u n r o l e é t a i t A u c o n t r a i r e , ces i n t e r a c t i o n s sont i c i a b o r d é e s dans l e u r s c o n t e x t e s
a l l o u é à c h a c u n dans u n s y s t è m e , et « c o m m e si les i n t é r ê t s é t a i e n t et s u r t o u t dans des c o n t e x t e s d é j à a n a l y s é s , r e c o n s t r u i t s et i n t e g r e s
o p p o s é s , n é g a t i v e m e n t c o r r é l é s » . M a i s s u r t o u t , ce q u e d i t F . Jacques dans u n e p r o b l é m a t i q u e d u sens, c e l l e i c i des p r a t i q u e s s i g n i f í a n t e s
d e la c o n v e r s a t i o n r a p p e l l e n o m b r e d e c o m p o r t e m e n t s des f l â n e u r s q u e s ' a v è r e n t ê t r e les d i v e r s c o m p o r t e m e n t s dans le m e t r o . Les situa-
mais aussi des a r p e n t e u r s . « L a d i m e n s i o n l u d i q u e , avec son i n v e n t i - t i o n s , les c o n t e x t e s ne sont p l u s ainsi des r é a l i t é s h é t é r o g è n e s d o n t o n
v i t é , sa s p o n t a n é i t é i n d i v i d u e l l e , ses f r e q u e n t e s p l a i s a n t e r i e s , r e l è v e n t se d e m a n d e t o u j o u r s e n q u o i elles r e l è v e n t d ' u n e t h é o r i e des signes
d ' u n a r t d e c o n v e r s e r . E l i e n o u s assujettit a u p r í n c i p e de p l a i s i r dans et d e la s i g n i f i c a t i o n : ce sont des s i t u a t i o n s o u des c o n t e x t e s « s é m i o -
1'exercice m ê m e d e la p a r o l e , p l u t ô t q u ' a u p r í n c i p e d e r é a l i t é . C e s t la t i s é s » , et p a r là m ê m e susceptibles d ' ê t r e p r i s e n c o m p t e avec u n e
c o m p a g n i e q u ' o n y c h e r c h e , pas des i n f o r m a t i o n s . E n t o u t r i g u e u r ,
réelle pertinence . 1 5

la c o n v e r s a t i o n ne p r o g r e s s e pas, elle n ' a pas b e s o i n d e p r o g r e s s e r » .


D ' o ú cet aspect « r a m i f í é et o u v e r t d e la c o n v e r s a t i o n avec ses r é p o n s e s
i n a c h e v é e s , ses c h e v a u c h e m e n t s , ses r e p l i q u e s soudaines q u i m o d i f i e n t
le « t o u r d e p a r o l e » . U n e t e l l e d é f i n i t i o n d e la c o n v e r s a t i o n r e n c o n t r e
t o u t à f a i t la l o g i q u e des f l â n e u r s . M a i s F. Jacques e v o q u e p l u s l o i n
d'autres conversations : « N é a n m o i n s , o n aurait t o r t d'y voir une pro-
d u c t i o n l i b r e . Dans b i e n des cas, P é t i q u e t t e d e la c o n v e r s a t i o n g o u -
v e r n e u n e m u l t i t u d e de gestes, d e p a r o l e s et d ' é v é n e m e n t s f u g i t i f s
p a r lesquels c h a c u n s y m b o l i s e son p e r s o n n a g e . Elle e n j o i n t d e p r o j e -
t e r u n e i m a g e de soi c o n v e n a b l e , u n respect a p p r o p r i é d e 1'image des
autres, t o u t e n a c c o r d a n t a t t e n t i o n a u x t h è m e s c h o i s i s » . Ces cas par-
t i c u l i e r s q u e F . Jacques c h e r c h e à d i s t i n g u e r des cas d e c o n v e r s a t i o n
l u d i q u e et a l é a t o i r e r e l è v e n t p a r n o u s d e la l o g i q u e q u a s i - e t h n o l o -
g i q u e des a r p e n t e u r s , a t t e n t i f s — o n Pa v u — a u x i d e n t i t é s m u l t i p l e s
et a u x t e r r i t o i r e s c i r c o n s c r i t s . I I y a u r a i t d o n c d e u x types d i f f é r e n t s d e
c o n v e r s a t i o n s mais u n e l o g i q u e c o m m u n e les o p p o s e r a i t à la n é g o c i a -
t i o n des p r o s ; i l r e s t e r a i t e n f í n à c h e r c h e r q u e l l e s t r a t é g i e i n t e r a c t i o n -
n e l l e c a r a c t é r i s e les s o m n a m b u l e s et les f a i t a p p a r a i t r e c o m m e r e p l i é s
sur e u x - m ê m e s . D e f a i t , o n n e v o i t pas t h é o r i q u e m e n t p o u r q u o i t o u t e s
les s t r a t é g i e s i n t e r a c t i o n n e l l e s d é b o u c h e r a i e n t sur u n e o u v e r t u r e
a u x autres.

F i n a l e m e n t , à la l e c t u r e d ' u n e c o m m u n i c a t i o n c o m m e celle d e
F. Jacques, o n c o n ç o i t m i e u x ce q u e p e u v e n t a p p o r t e r des é t u d e s
15 Sur la position de la sémiotique structurale quant à la prise en compte des contextes
s é m i o t i q u e s c o n c r è t e s a u x r e c h e r c h e s q u i se f o n t u n p e u p a r t o u t
et des situations de communication, on lira : A . J . Greimas et E . Landowski, Pragma-
a u t o u r des actes d e langage et des d i s c o u r s e n s i t u a t i o n . Ces é t u d e s tique et sémiotique, in Actes sémiotiques - Documents, C N R S - F . H F . S S V , 50, 1983.
U N E É T O I L E EST NÉE
L A DÉFINITION DE L ' l D E N T I T É V I S U E L L E DU C R É D I T D U NORD

Clarté. En 1984, la clarté devint le concept clé de 1'ensemble de la


communication du Crédit du Nord, externe comme interne, médias
comme hors médias, verbale comme non verbale. Le public réagit
comme si la banque venait d'ouvrir 600 agences d'un coup : nouveau
logo, nouvelle typographie de la dénomination, nouvelle architecture
des agences... Le surlendemain de 1'annonce du plan d'entreprise qui
correspondait à ce repositionnement de la banque, le personnel des
agences avait reçu la nouvelle papeterie et les nouvelles affiches. De
plus, alors que ce dernier voyait se mettre en place un nouveau
réseau de transmission de 1'information interne, les publics externes,
eux, étaient vises par une campagne de relations publiques, par
le lancement d'un magazine et, enfin, par une campagne presse
particulièrement remarquée : «L'argent meurt...» 1 . Comme le souli-
gnèrent alors les professionnels de la communication et de la banque,
c'était la première fois, depuis la fameuse campagne «Votre argent
m'intéresse» de la BNP, qu'une banque parlait d'argent 2 . La rapidité,
la force et la cohérence d'une action de telle ampleur montraient à
1'évidence qu'une véritable stratégie de communication globale avait
été d'abord conçue puis menée à bien.

1 Cette annonce — c o n ç u e , comme toute la campagne, par Pagence Ogilvy & Mather —
parut dans quatre quotidiens début novembre 1984 ; elle fut ensuite déclinée par quatre
annonces qui correspondaient à quatre p r o b l è m e s spécifíques, chacune s'accompagnant
de la phrase : « V o t r e argent et la banque C r é d i t du N o r d » .
2 Une puissante campagne affichage, radio et presse c o n ç u e par D. Robert en 1973,
alors à Publicis-Conseil.
50 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 51

était remise à plat. Mission était d o n n é e au Creative Business de réali-


3

ser un audit de communication et de proposer une stratégie qui fasse


Pour parler franchemerrt, en sorte que la communication contribue au d é v e l o p p e m e n t m ê m e de
votre argent nfirrtéresse. la banque, à un accroissement sensible des ouvertures de comptes sur
les deux a n n é e s suivantes. Le rapport du Creative Business ne manqua
pas de... clarté :
S faut que je vous asetavérité: cest
grow ô votre argent que je fais rnon métier — une bonne n o t o r i é t é assistée du C r é d i t du N o r d mais faible en
Vous tJêposez vare argent pendas s p o n t a n é , forte dans le N o r d mais três moyenne ailleurs;
ur%purnei@?Japeuxleprã^pendQTtuneiix<Tiâe.
Vastereprenez Beaucoup íouires persamés
7
— une image de clientèle vieillie et peu active;
corra»* vous metoisserasde toga* pendam
unejoumée. deuxojrrées.fxjptus. — un personnel vivant difficilement une fusion qui n'en était pas une
Vaki- Cest c o m e eo que je ftís
tncn métier de fcaxuer à ses yeux (il y avait toujours le N o r d et Paris, la chaleur et la
Vous cornprenez martenarH pour
qua fo mis au port toute une sane de servces c o m p é t e n c e , les Particuliers et les Affaires...) et qui attendait un
pour que vous ayez vraiment envie davcsr un réel changement;
oon-ipte cheques BN.P Venez me vor á b BMP
Je vous domera vare chéquer — des publics institutionnels eux aussi sensibles à cette dualité de la
banque mais qui avaient un a p r i o r i favorable vis-à-vis de la nou-
velle d i r e c t i o n ;
— un bloc-marque qui apparaissait comme la manifestation m ê m e de
la dualité : un logo de forme simple et de couleur orange é v o q u a n t
la grande distribution et la v o l o n t é d'impact, mais une typographie
s u g g é r a n t le luxe, la distinction et la d i s c r é t i o n ;
4

U n peu d'historique afin de situer 1'intervention de la s é m i o t i q u e — enfin u n concept de communication : «la banque de 1'informa-
dans 1'exploration et 1'exploitation de ce concept de clarté. Depuis dix t i o n » , renvoyant à deux univers qui n'appartiennent pas à la
ans, le C r é d i t du N o r d souffrait d'une image floue. Depuis sa fusion banque : le service public et la communication à long terme d'une
en 1974 avec la Banque de 1'Union Parisienne, le C r é d i t du N o r d part, et la p r o m o t i o n et la communication à court terme d'autre
était tiraillé entre sa propre ancienne image de banque provinciale de part.
d é p ô t — une banque proche de ses clients, «sérieuse et brave » — et
A partir de ce constat et compte tenu d'autres d o n n é e s , de marke-
celle de la BUP, une banque d'affaires é v o l u a n t dans la haute fínance.
ting bancaire essentiellement, Le Creative Business proposa une stra-
Le fait que le C r é d i t du N o r d avait encore au moment de sa nationa-
tégie de p e r s o n n a l i t é en termes de physique, de style et de caractere . 5
lisation — par 1'intermédiaire de son actionnaire majoritaire Paribas
Cinq caracteres avaient é t é testes selon des m é t h o d e s projectives :
— son siège social à Lille et son siège central à Paris ne contribuait
convivial, fiable, direct, ouvert et clair. Le Creative Business choisit
certes pas à lutter contre une telle image, aussi bien en interne qu'en
de retenir la c l a r t é . Celle-ci signifiait la recherche de 1'efficacité mais
externe. L ' a r r i v é e d'un p r é s i d e n t qui ne venait ni du C r é d i t du N o r d
aussi 1'ouverture, la v o l o n t é et une m a n i è r e originale de concevoir le
ni de la BUP puis la c r é a t i o n par celui-ci d'une Direction de la Com-
munication c r é a i e n t les conditions nécessaires au réveil du c i n q u i è m e
réseau bancaire français. Une fois e n g a g é e s de profondes reformes 3 Et à François Schwebel, son directeur, qui, notamment, conçut l'ensemble de la
de structures — refonte du réseau commercial, raccourcissement des méthodologie et y integra 1'étude sémiotique.
lignes h i é r a r c h i q u e s , modernisation du système informatique — c'était 4 Cétaient du moins les effets de sens produits par la typographie Baskerville, la plus
souvent utilisée pour le bloc-marque du Crédit du Nord.
logiquement 1'ensemble de la communication du C r é d i t du N o r d qui 5 On reconnaitra là les trois composantes de la star-stratégie chère à R S C G .
52 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 53

m é t i e r de banquier qui renvoyait dos à dos le « b a r a t i n » et la « b r u t a - ture de Punivers s é m a n t i q u e de la clarté s ' o p è r e , ne serait-ce que
lité». Ce concept de clarté correspondait bien d'autre part à la v o l o n t é provisoirement. Ainsi, lâche, rare, ouvert — d o n n é s pour des syno-
de la Direction de la Communication d u C r é d i t du N o r d de s'appuyer nymes possibles de clair — s u g g è r e n t une é t e n d u e . O r cette é t e n d u e
sur la c o m p é t e n c e fínancière dont elle avait h é r i t é et de se recentrer sera b i e n t ô t c o n s i d é r é e comme une manifestation p a r t i c u l i è r e , spa-
sur son m é t i e r : 1'argent. « Plus question de communication alibi, nous tiale, d'un processus de d é p l o i e m e n t plus abstrait : clair peut aussi
avons d é c i d é de ne communiquer que sur notre m é t i e r de banquier signifier serein, calme, ou qualifier un «esprit m é t h o d i q u e , marchant
du point de vue du client. Nous voulons faire c o n n a í t r e le C r é d i t du de c o n s é q u e n c e en c o n s é q u e n c e » . Le d é p l o i e m e n t c a r a c t é r i s t i q u e de
N o r d tel q u ' i l est, et nous voulons faire de cette nouvelle politique de la clarté n'est donc pas seulement spatial; i l peut ê t r e temporel ou
communication une aide à notre d é v e l o p p e m e n t c o m m e r c i a l » . Res-
6
m ê m e purement intellectuel. L'analyse d'autres synonymes permet
tait à explorer et à exploiter ce concept : quelle acception une banque d'aller plus loin, de caractériser ce d é p l o i e m e n t . Des synonymes tels
pouvait-elle donner de la c l a r t é ? Comment pouvait-elle 1'exprimer par que net, précis ou encore formei indiquent q u ' i l s'agit là d'une conti-
1'ensemble de sa communication et, en premier lieu, par ces médias n u i t é faite de discontinuités. Une segmentation est possible, voire
permanents que constituent 1'identité visuelle (logo, bloc-marque...) a s s u r é e ; des unités sont identifiables, dans leur i m m é d i a t e visibilité
et les agences elles-mêmes (façade, i n t é r i e u r , mobilier...)? Ce fut là le et lisibilité. La c l a r t é s u g g è r e le contour, la délimitation et surtout,
travail de la s é m i o t i q u e . puisqu'elle est d'abord un d é p l o i e m e n t , une articulation ou un espace-
ment mesure. Le clair s'oppose au trouble comme au fiou — qualités
visuelles fabriquées, si l'on peut dire, à base de non-discontinuités,
Clarté : une relation au monde, une relation à Vautre de passages, de chevauchements, d'effets de lisière... Clair et clarté
s'avèrent ainsi qualifier un certain type de d é p l o i e m e n t , en opposition
à d'autres types de d é p l o i e m e n t . Et celui-ci peut se manifester sous
Lumineux, serein, transparent, limpide, lâche, aigu, diverses formes sensibles, sonores aussi bien que visuelles. O n parle
accessible, net, précis, éclatant, explicite, pur, distinct,
d'un « t a m b o u r à son clair» ou de la « n o t e claire d'un... c l a i r o n » .
formei, ouvert, rare, évident, intelligible, sur, apparent,
certain, manifeste... Mais en travaillant à c a r a c t é r i s e r ce d é p l o i e m e n t particulier impli-
que par la clarté, on s'aperçoit bien vite que les adjectifs qualificatifs
que l'on manipule constituent, d'un autre point de vue, de véritables
O u v r i r le dictionnaire aux mots clair et clarté rassure et effraie tout à petits récits. Des situations é v o l u e n t , des changements s ' o p è r e n t , des
la fois. O n est s ú r que le nceud pourra se desserrer : on trouve des personnages gagnent quelque c o m p é t e n c e ou rencontrent quelque
acceptions, des synonymes et des antonymes. Mais le nombre de ces obstacle. La clarté, c'est aussi un récit. Distinct, intelligible, accessible,
acceptions, c o n c r è t e s ou abstraites, et de ces synonymes et antonymes explicite ou encore limpide ou transparent... autant de synonymes qui
qui vous renvoient, comme une boule de flipper, à d'autres mots, à racontent une histoire : celle d'un sujet c o n s i d é r a n t une manifestation
d'autres e n t r é e s , a de quoi vous effrayer. Fermera-t-on jamais ce dic- sensible et d é c i d a n t que le paraitre des choses correspond à leur ê t r e .
tionnaire? En fait, au fur et à mesure de 1'analyse des acceptions et des Les choses ne peuvent ê t r e des p h é n o m è n e s — conçus alors comme
systèmes de renvois, les ressemblances et les différences s'organisent à des énoncés du monde naturel — ou des discours, tenus par un autre
partir d'un nombre relativement restreint d'oppositions, plus exacte- sujet. La clarté renvoie ainsi à la p r o b l é m a t i q u e de 1'énonciation, à
ment de c a t é g o r i e s . Et, par un p h é n o m è n e de redondance, une clô- la production et à la saisie d'un sens et, surtout, à Pacceptation par
un sujet en position d ' é n o n c i a t a i r e — c'est-à-dire de destinataire de
6 Alain Margaron, alors directeur de la Communication du Crédit du Nord, interview
P é n o n c é — des propositions contractuelles qui lui sont faites quant à
à Stratégies, n" 446, 12 novembre 1984. la vérité et aux marques du dire-vrai. A u t r e m e n t dit, la définition
54 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 55

narrative de la clarté nous apprend que celle-ci parle de 1'établisse- Fiable. La fiabilité, elle, évoquait «le professionnalisme qui commu-
ment de relations contractuelles entre deux sujets. Elie nous apprend nique la s é c u r i t é » ; et les images voulaient illustrer « u n e m é c a n i q u e
d'autre part qu'un discours clair place celui qui le j u g e tel en position puissante qui impose sa propre logique». Cette fois, la c o m p é t e n c e
de sujet c o m p é t e n t , statuant sur 1'être des actions ou des p r o p ô s qui aurait é t é valorisée : le concept permettait d'affirmer le réel « m é t i e r »
lui sont soumis, du C r é d i t du N o r d . Mais à quel prix? Quelle aurait é t é la qualité de
O n peut maintenant revenir sur les caracteres qui avaient é t é envi- la relation établie entre le banquier et son client ? Quel statut, quelle
sagés pour le C r é d i t du N o r d — convivial, fiable, direct, ouvert et clair c o m p é t e n c e aurait eu celui-ci ? La relation contractuelle i m p l i q u é e par
— et mieux saisir ce que va signifier le choix du concept de clarté aux la fiabilité (telle qu'elle a é t é définie lors des tests projectifs, i l faut le
d é p e n s des autres caracteres. rappeler) renverse ici la h i é r a r c h i e entre client et banque établie par
La conviviabilité avait é t é d o n n é e , lors des tests projectifs sur les le concept de clarté : choisir une banque fiable, c'est tôt ou tard lui
caracteres, pour le caractere actuei du C r é d i t du N o r d : obéir, ê t r e en situation de ne-pas-pouvoir-ne-pas-faire. Le rapport de
— une sensibilité et une p r o x i m i t é naturelles; forces, au moment de 1'établissement de la relation, n'est plus au b é n é -
— le partage d'une m ê m e histoire, d'un m ê m e système de valeurs; fice du client qui, dans la clarté, a d h é r a i t au dire vrai de la banque
— Pabstraction faite des c o m p é t e n c e s et des statuts qui pourraient dif- en statuant sur celui-ci. Notons cependant la p r o x i m i t é s é m a n t i q u e et
narrative des deux concepts pour indiquer ce qui peut ê t r e 1'une des
f é r e n c i e r ou é l o i g n e r .
limites commercialement dangereuses de la clarté. Les synonymes de
L'image du banquier était celle du généraliste, m é d e c i n de famille. clair tels que catégorique ou évident par exemple — qui se disent de tout
O n notera de plus qu'en termes de c o m p é t e n c e cognitive et de véri- « c e qui, é t a n t considere, ne peut ê t r e nié quand on le v o u d r a i t » ou
diction on n'est pas loin du concept de « b o n sens p r é s de chez vous» s'avère «sans condition ni a l t e r n a t i v e » — indiquent bien qu'il existe
qui a é t é longtemps celui du C r é d i t Agricole. Or, d ' a p r è s sa défini- une contrepartie au gain d'intelligibilité et de vérité, un contre-don à
tion narrative, ê t r e clair, ce n'est pas ê t r e convivial : faire. La clarté ne signifie pas seulement 1'acquisition d'une m a í t r i s e
— le relation est établie et non pas naturelle; et 1'exercice d'une s o u v e r a i n e t é qui accepte finalement de croire-vrai;
— un accord s'est fait sur la valeur des valeurs (ce ne sont pas forcé- elle est é c h a n g e et donc aussi engagement.
ment les m ê m e s valeurs qui sont p a r t a g é e s : banquier et client ne La clarté peut ê t r e dès lors c o n ç u e comme la figure visuelle d'un
í u s i o n n e n t pas dans un m ê m e ê t r e collectif, ils peuvent avoir des récit de contrat, et plus p r é c i s é m e n t d'un contrat de véridiction. U n
programmes d'action distincts); contrat de véridiction, c'est un croire-vrai installé aux deux e x t r é -
— enfin, des c o m p é t e n c e s spécifiques sont affírmées et les roles hié- mités de la communication, entre 1'énonciateur et P é n o n c i a t a i r e ; or
rarchisés (la clarté sera une qualité a c c o r d é e par l'énonciataire- cet equilibre, plus ou moins fragile, resulte d'un véritable é c h a n g e :
client). d o n / c o n t r e - d o n ; c'est pourquoi i l est legitime de parler de contrat.
Aussi le concept de clarté apparait-il comme le choix fait d'une cer- «Si, en parlant de la véridiction, nous employons le terme de contrat,
taine relation entre banquier et client : une relation c o n ç u e comme ce n'est pas dans j e ne sais quel sens m é t a p h o r i q u e , mais parce que la
une « bonne distance », f o n d é e sur la reconnaissance de la c o m p é t e n c e communication de la vérité repose sur la structure d ' é c h a n g e qui lui
et de la s o u v e r a i n e t é du client et caractérisée en outre par une foca- est sous-tendue. En effet, 1'échange le plus é l é m e n t a i r e de deux objets
lisation sur l'objet m ê m e de la relation bancaire, sur son essence : la de valeur — une aiguille contre une c h a r r e t é e de foin, par exemple
fiducie. De ce point de vue, le choix d'un concept comme la clarté — p r é s u p p o s e la connaissance de la "valence" des valeurs é c h a n g é e s ,
la "connaissance de la valeur" n ' é t a n t rien d'autre que le savoir-vrai
pour organiser 1'ensemble d'une communication bancaire releve
sur les valeurs-objets. Dès lors, le marchandage qui precede, recouvre
d'une « p h i l o s o p h i e substantielle», au sens que nous donnons à ce
et conditionne 1'opération gestuelle de 1'échange se presente comme
terme (p. 205).
56 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 57

un faire cognitif reciproque, c'est-à-dire comme un faire persuasif la c o n f o r m i t é entre le paraitre et 1'être d'une action, d'un comporte-
ayant en face de l u i un faire i n t e r p r é t a t i f tout aussi exigeant, et ment ou d'un p r o p ô s . A u t r e m e n t dit encore, Fouverture se situe nar-
inversement. Ces deux discours cognitifs cependant qui manipulent de rativement bien en amont d'une entreprise ou d'un contrat (c'est le
m a n i è r e différente, à 1'aide d'un savoir-faire a p p r o p r i é , le savoir sur g o ú t des «voies nouvelles») alors que la clarté implique un souci du
les valeurs ne constituent que les p r é l i m i n a i r e s de 1'échange qui ne se r é g l a g e ou du calage entre les deux sujets d'une communication. Bref,
fait, l u i , q u ' à la suite de la conclusion du c o n t r a t » . 7 Fouverture, ce peut ê t r e la p r é h i s t o i r e d'un contrat, mais ce n'est
C o n s i d é r o n s maintenant le caractere direct. Direct, toujours en pro- pas le contrat : un univers nouveau s'ouvre, nouveau et encore insé-
jectif, qualifiait u n tout autre caractere. I I signifiait «1'efficacité, la curisant. Cette dimension non contractuelle de Fouverture fait mieux
franchise, la virilité» ou encore «la rigueur et la vigueur : on n'est comprendre les t h è m e s illustrés par les collages r e p r é s e n t a n t Fesprit
pas là pour faire plaisir». Là encore, une c o m p é t e n c e était reconnue, ou le caractere ouvert : Faventure, Foriginalité, la m a r g i n a l i t é avec
essentiellement définie selon un pouvoir-faire (puissance, vigueur, effica- des photos de Cousteau, du tennisman Gerulaitis, d'Yves Montand en
cite'...), mais ce caractere se comprenait et s'appréciait dans des situa- habit d'artiste de music-hall et celle d'un « m é d e c i n du m o n d e » , le
tions o ú les relations ne sont pas — ou ne sont pas encore — t h è m e aussi de la malice avec la reprise de la publicite pour la Fiat
contractuelles, ou encore dans des situations oú les relations contrac- Panda («la voiture à malices»).
tuelles doivent ê t r e considérées comme des programmes d'usage à Si Fon reprend maintenant Fensemble des différences et des ressem-
1'intérieur de contextes essentiellement conflictuels (regard tendu blances qui organisent les positions respectives que prennent les cinq
de B. Borg au service, sortie entre n é g o c i a t e u r s japonais...). Ainsi, caracteres les uns par rapport aux autres et qui font ressortir la spéci-
contrairement à celui qui est clair, celui qui est direct a p p a r a í t plus ficité de la clarté, on remarquera que ces caracteres se comprennent
soucieux de son propre pouvoir que de celui de 1'énonciataire, du des- et se disposent par rapport à une organisation narrative : par rapport
tinataire de ses p r o p ô s ou de son comportement; 1'heure est encore au à une histoire qui commence par la possibilite d'une rencontre et
d é p l o i e m e n t des stratégies respectives, aux manipulations reciproques. qui raconte ensuite Finstallation d'une confiance, la réalisation d'une
Ouvert, enfin, caractérisait quelqu'un de curieux, d'attentif aux mission ou la concrétisation d u n e certaine façon de vivre, puis la
autres : « q u e l q u ' u n qui sait é c o u t e r et a g i r » . L'ouverture signifiait «le reconnaissance d'une a d é q u a t i o n entre ce q u ' i l était convenu de faire
g o ú t des voies nouvelles et de la vitalité c r é a t r i c e » . Les portraits cha- ou de dire et ce qui a é t é fait ou dit. Le paradigme des caracteres pos-
leureux du commandant Cousteau ou de la nation italienne, d o n n é s sibles pour le C r é d i t du N o r d peut ainsi se construire sur cet enchai-
pour illustrer le caractere ouvert, en faisaient un concept apparem- nement des « é p i s o d e s » d'un récit. Ils se comprennent selon un
ment assez intéressant, conjuguant disponibilité et dynamisme. Mais schéma narratif qui raconte la banque. Qu'est-ce qu'un s c h é m a narra-
une telle définition projective indiquait assez que Fouverture est le tif? Quelle est Fhistoire de ce concept? Etant d o n n é qu'il s'agit là
fait d'une personne en position d ' é n o n c i a t a i r e . C é t a i t donc le ban- d'un des « o u t i l s » de la sémiotique dont Fusage, à notre e x p é r i e n c e ,
quier qui, cette fois, était celui qui é c o u t a i t et recevait. Bien plus, i l dépasse largement le cadre de Fanalyse d u n e communication ban-
ne s'agissait que de r é c e p t i o n et non d ' i n t e r p r é t a t i o n : celui qui est caire, fút-elle globale, a r r ê t o n s - n o u s ici un moment. Le lecteur se
ouvert ne statue pas sur le dire-vrai de ceux qui lui parlent, a fortiori rappellera q u ' i l peut passer ces quelques pages en caractere différent
n'a-t-il pas déjà conclu quelque contrat. L'ouverture precede 1'accord s'il veut poursuivre le récit de Fexploration et de 1'exploitation du
sur la valeur des valeurs. L'ouverture est une disponibilité, une capa- concept de clarté pour la communication du C r é d i t du N o r d .
cite a n t é r i e u r e à toute entreprise et m ê m e à tout engagement; elle ne
signifíe pas, comme c'est le cas de la clarté, le souci de faire accepter

7 A . J. Greimas, Le contrat de v é r i d i c t i o n , i n Du Sens II, Paris, Seuil, 1983, p. 111-112.


58 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 59

unités narratives — discontinues par rapport à la trame du récit, mais cons-


tituées par des relations paradigmatiques rapprochant leurs prédicats-fonc-
Le schéma narratif
tions — apparaissent ainsi comme des couples du type :
/départ/ vs /retour/
Pour se représenter la façon dont les récits s'organisent, quelles que soient /création du manque/ vs /liquidation du manque/
leurs dimensions et quelles que soient leurs variantes, la sémiotique a ini- /établissement de 1'interdit/ vs /rupture de 1'interdit/, etc.
tialement tiré profit des travaux de V. Propp, sur le conte populaire russe .8
«A 1'intérieur du schéma syntagmatique, ces unités paradigmatiques jouent
L'enchaTnement des trente et une fonctions, par lequel ce dernier rendait
le role organisateur du récit et en constituem en quelque sorte 1'armature.
compte des três nombreuses variantes des contes analysés, a fourni la
Bien plus : la simple «succession» d'énoncés narratifs n'étant pas un cri-
première définition du récit comme suite ordonnée d'épisodes formeis inter-
tère suffisant pour rendre compte de 1'organisation du récit, ce n'est que la
définis. Depuis, la sémiotique a profondément révisé cet enchainement. Le
reconnaissance des projections paradigmatiques qui permet de parler de
nombre des fonctions, ainsi que celui des personnages qui, globalement,
1'existence des structures narratives» . 9

leur correspondaient, ont été réduits et du coup redefinis pour aboutir


Troisième et dernier point. Uanalyse des fonctions révélait 1'existence de
aujourd'hui à ce quil est convenu d'appeler le schéma narratif. Tout d'abord,
récurrences, de répétitions d'épreuves par exemple, le héros s'y reprenant
les fonctions proppiennes recouvraient des sphères d'action de nature hété-
à deux ou trois fois pour réussir. Les récurrences étudiées, il était possible
rogène : le départ du héros correspond à une activité, à un faire alors qu'une
de distinguer ce qui constituait 1'invariant de 1'épreuve et ce qui en repré-
autre fonction comme le manque correspond, elle, à une situation, à un état.
sentait les investissements variables, et de considérer ces unités narratives
II convenait donc de réécrire de façon homogène 1'enchaínement des fonc-
selon les seules positions qu'elles oceupent dans 1'enchaínement syntagma-
tions conçu par V. Propp en se dotant d'une forme canonique valable pour
tique que devient le récit. En procédant ainsi à 1'examen critique des fonc-
la notation de tous les énoncés narratifs et en fixant ce qui est à considérer
tions proppiennes, 1'idée d'un dispositif oriente se substituait à la notion de
comme invariant et comme variable : soit 1'action, dófinie comme une relation
simple succession; le récit devait être considere comme dote d'un sens,
entre des personnages (comme un prédicat), soit le personnage, defini par
d'une direction : il ne se comprenait que sous-tendu par une certaine inten-
ses actions et ses relations avec les autres personnages (constitua ainsi en
tionnalité. De fait, la Morphologie du conte indique la récurrence de trois
Actant). Une telle réécriture a ainsi permis de déplier, si l'on peut dire, la
grandes épreuves dont 1'articulation constitue une histoire complete, histoire
structure profonde du récit alors qu'à un niveau de surface certains énoncés
que l'on retrouve dans bien d'autres contes sous bien d'autres cieux :
narratifs étaient reunis, en syncrétisme, dans une, même fonction prop-
pienne. Autre point dans 1'examen critique de la morphologie proppienne : — épreuve qualifiante : le sujet se rend compétent, apte à faire par des exa-
le séquençage des trente et une fonctions ne rendait pas compte de 1'exis- mens, des concours, des rituels d'initiation...;
tence de projections paradigmatiques, c'est-à-dire de couplages à distance — épreuve décisive : le sujet s'accomplit en réalisant un certain nombre
de certaines fonctions entre elles. Or c'est la reconnaissance de tels cou- d'actions;
plages qui permet de parler de 1'existence de structures narratives. lei lais- — épreuve glorifiante : le sujet obtient la reconnaissance de ce qu'il a fait et,
sons la parole à A. J. Grei mas : par là, de ce quil est.
«Cl. Lévi-Strauss a été le premier à attirer 1'attention des chercheurs sur
Encore faut-il bien noter que 1'emploi du mot histoire est ici assez dange-
1'existence des projections paradigmatiques recouvrant le déroulement syn-
reux : il risque de faire croire que ces trois épreuves restent des épisodes
tagmatique du récit proppien, et à insister sur la necessite de proceder à des
temporels alors qu'elles doivent être conçues comme des positions établies
couplages de fonctions. En effet, les énoncés narratifs peuvent être couplés
selon un ordre de présupposition, reconnaissable par une lecture à rebours :
non du fait de leur contiguíté textuelle, mais à distance, tel énoncé appelant
«Si la succession proppienne, interprétée comme une intentionnalité signi-
— ou plutôt rappelant — son inverse antérieurement posé; de nouvelles

9 A. J . Greimas, Préface à Introduction à la sémiotique narrative et discursive (J. Courtés),


8 V . Propp, Morphologie du conte, Paris, Seuil, 1970. Paris, Hachette, 1976, p. 8
60 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 61

fiante et située à un niveau plus profond que la simple linéarité de la selon la conformité ou la non-conformité de 1'action réalisée par rapport au
manifestation discursive, permet de postuler 1'existence d'un schéma nar- contrat. Les deux séquences — contrat en amont d'une part et sanction
ratif organisateur, 1'articulation logique de ce schéma donne, au contraire, en aval d'autre part — sont en fait symétriques. Au moment du contrat,
1'image d'une "succession à rebours". Les trois épreuves, pour ne par- le maitre du contrat — le Destinateur — qui incarne le système de valeurs
ler que d'elles, se succèdent effectivement, sur la ligne temporelle (ou gra- exerce un faire persuasif sur le Sujet qui, lui, exerce un faire interprétatif
phique), les unes aux autres, mais il n'existe aucune necessite logique pour qui va 1'amener à accepter ou refuser le «deal». Par contre, au moment de
que 1'épreuve qualifiante soit suivie d'une épreuve décisive ou que celle- la sanction, c'est le Sujet qui va exercer un faire persuasif auprès du Desti-
ci soit sanctionnée : que d'exemples de sujets compétents qui ne passent nateur — appelé alors Destinateur-judicateur — pour obtenir la reconnais-
jamais à 1'action, que d'actions méritoires jamais reconnues! La lecture à sance de la bonne réalisation de son action; et c'est le Destinateur-
rebours installe, au contraire, un ordre logique de présupposition : la judicateur qui va exercer un faire interprétatif, qui va examiner si le paraítre
reconnaissance du héros présuppose l'action héroíque; celle-ci, à son tour, correspond à 1'être des choses. Nous revoici en terrain connu? Concluons
présuppose une qualification suffisante du héros (abstraction faite, évidem- cette petite histoire de 1'élaboration du schéma narratif en indiquant que ce
ment, du dispositif des valeurs de vérité qui, en surdéterminant différemment moment oú le Sujet travaille à se faire reconnaítre, c'est 1'épreuve glori-
les épreuves, introduit de nouvelles variables). L'intentionnalité du discours fiante, désormais restituée, mieux circonscrite dans 1'économie générale de
narratif, simple hypothèse au départ, trouve sa justification, à la manière la narrativité.
du développement de 1'organisme en génétique, dans 1'agencement logique Présentons maintenant 1'armature générale du schéma narratif, en en souli-
reconnaissable après coup»' .0
gnant précisément la symétrie :
II y eut encore deux grandes autres étapes dans la construction du schéma
narratif, tel qu'on peut le représenter aujourd'hui.
LE SCHEMA NARRATIF
Tout d'abord, 1'analyse du noyau central du récit, de la performance du héros
qui remplissait sa mission et par là se róalisait, a montré que cette perfor-
mance se concevait dans le cadre d'une confrontation : seule la présuppo- CONTRAT SANCTION
sition d'un anti-Sujet pouvait faire comprendre ces épreuves, ces rapts, ces
Dans le cadre d'un Comparaison du
traítrises ou ces dominations qui faisaient du héros le Sujet d'un parcours système de valeurs, COMPÉTENCE PERFORMANCE programme réalisé
narratif. II convenait donc de proceder à un dédoublement du récit, de consi- propositlon par le avec le contrat à
dérer qu'il y avait le parcours d'un Sujet et le parcours d'un anti-Sujet. Du Destinateur et Acquisition de Réalisation du remplir:
même coup, le héros n'était jamais le héros que selon tel point de vue — acceptation par le 1'aptitude à réaliser programme, ou "épreuve glorifiante"
selon telle axiologie, tel système de valeurs. Selon le point de vue contraire, Sujet d'un programme un programme, ou "épreuve décisive" (côté sujet) et
àexécuter "épreuve qualifiante" "reconnaissance"
il apparaissait comme une franche crapule. Considérer que le Christ, le Petit
(côté Destinateur/judicateur)
Poucet ou le pansement Urgo sont des héros est affaire de point de vue —
d'investissement axiologique, pour parler jargon. II convient — narrativement
parlant, bien sur! — de réhabiliter Judas, 1'ogre et le cutter.
Pour les besoins de lexploration du concept de clarté, nous avons surtout
Seconde grande étape. Le croisement même des parcours de ces deux
parle du contrat et de la sanction; parlons un peu de la compétence et de
Sujets et la reconnaissance de deux logiques de valorisation contraíres
la performance. La performance, c'est le faire-être; la compétence est ce
amenaient à concevoir l'existence d'un encadrement axiologique : l'action
qui fait être. Cette double définition est bien abstraite mais elle presente le
d'un Sujet est encadrée par deux «épisodes» oú la question des valeurs
grand avantage de definir compétence et performance par leur relation (un
— et de la valeur des valeurs — est la question centrale : 1'établissement,
tic chez les sémioticiens!): une relation de présupposition. La performance
en amont de l'action, d'un contrat et, en aval, le rappel de ce contrat et
présuppose la compétence. Si l'on prend le verbe faire pour dénommer la
son achèvement par une sanction, celle-ci pouvant être positive ou négative
performance, la compétence se definira par 1'organisation et la hiérarchie
des modalités du devoir-, du vouloir-, du savoir- et du pouvoir-faire, c'est-à-
1 0 A . J . Greimas, ibid., p. 10-11. dire par ce qui rend un sujet apte à se réaliser en réalisant son programme
Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 63

d'action. Pour tuer le dragon, le héros va, par exemple, gagner une épée et offre à ce propôs une belle diversité de compétences syntagmatique-
un cheval (un pouvoir-faire) et trouver le plan de la grotte (un savoir-faire). ment définies.
Cest un exemple; en voici un autre : le curriculum vitae. Un cv, c'est un Souvent, le héros beneficie de 1'aide d'un autre «personnage». Aussi
véritable petit schéma narratif. On s'y met en valeur, on raconte : souvent, un autre le gene et contrarie son projet. En fait, ces personnages
représentent, sous la forme d'acteurs, des augmentations ou des déperdi-
— son sens des responsabilités ou son sérieux (le postulant sera un «bon
tions de competence. Celui qui aide — et qui est appelé pour cela un adju-
sujet», selon le devoir-faire);
vant — est une sorte d'extériorisation du pouvoir-faire du Sujet sous la forme
— sa motivation, sa force de caractere (vouloir-faire); d'un autre acteur. Celui qui contrarie 1'action du Sujet represente, selon la
— ses diplomes et son expérience (savoir-faire); même logique, un ne-pas-pouvoir-faire; il est appelé 1'Opposant. On retrouve
— enfin, sa disponibilité («mariée, des enfants?») ou sa puissance de travail donc encore ce phénomène de dédoublement du récit, transversal en fait
(«quel âge?»), c'est-à-dire son pouvoir-faire. aux quatre grandes séquences du schéma narratif. Uenseignement à retenir
est la nécessaire distinction entre les différents roles et statuts narratifs; et
Le poste convoité, parmi ceux offerts dans 1'annonce, représentera la perfor-
leurs représentations sous la forme d'acteurs, la correspondance ne se fai-
mance; les «prétentions» et le plan de carrière souhaité la sanction. Quant
sant pas toujours terme à terme. Nous verrons cela lors de la présentation
au contrat, 1'envoi même du cv mais aussi quelques hobbies bien choisis
de la syntaxe narrative (p. 109).
se chargeront de signifier 1'acceptation virtuelle de 1'offre et le système de
Enfin, là aussi pour annoncer ces pages consacrées à la syntaxe narra-
valeurs auquel on adhère (qui se trouve être bien súr três proche de celui de
tive, plus «profonde» que le schéma, nous rappellerons au lecteur cette
1'entreprise, si l'on en croit sa présentation et son logo!).
notion d'épreuve, qualifiante, décisive, ou glorifiante, qui suggère 1'existence
Le Sujet concerne par le schéma narratif peut-être collectif: une entreprise,
d'unités narratives plus petites ou plutôt plus invariantes. Le schéma narratif
un groupe industriei, une collectivité locale ou territoriale. Mais ce Sujet
est un modele particulièrement intéressant pour analyser un projet de vie ou
peut-être... un objet : un appareil électroménager, pourquoi pas! Comment
un projet d'entreprise, ou encore les lettres de voeux d'un dirigeant à ses
le design d'un robot-multifonctions raconte-t-il son contrat avec 1'utilisateur,
personnels (l'occasion de sanctionner 1'année écoulée et de contractualiser
sa puissance, sa docilité et son intelligence (sa competence), ses fonctions
la nouvelle). Son intérêt reside aussi dans sa grande généralité. Cela dit, il
elles-mêmes (sa performance) et sa quête de reconnaissance d'un travail
doit être conçu comme le lieu de croisement de différents parcouís narratifs
bien fait (sa sanction)? Nous ferons trois remarques pour clore cette présen-
et d'une démultiplication de ceux-ci. L'Adjuvant, dans un récit complexe, a
tation du schéma narratif; deux concernem encore la competence, la troi-
lui aussi son propre programme, et donc son propre contrat, sa propre com-
sième concerne la syntaxe narrative sous-jacente au schéma narratif.
petence à acquérir... et, pour ce faire, il peut avoir la chance de rencontrer
Nous avons defini plus haut la competence comme une organisation et une
lui-même un Adjuvant. Cest ainsi qu'une banque régionale avait choisi pour
hiérarchie de modalites. Précisons. La competence d'un sujet ne se définit
signature «une grande banque pour une grande région».
pas par une simple addition de modalites. Elie se définit par la façon parti-
culière dont une modalité régit une autre modalité : «quand on veut, on
peut!, là oú il y a une volonté, il y a un chemin»; le volontarisme peut se
Voilà le schéma narratif presente. Puisque nous revenons mainte-
definir par une certaine hiérarchie des modalites. On peut dês lors envi-
nant à notre concept de clarté et à 1'univers bancaire, indiquons au
sager une caractérologie modale ou, certains caracteres ainsi definis étant
donnés en exemples, aborder le problème des idéologies ou des éthiques. passage que le schéma narratif permet souvent d'organiser les effets
Une autre définition des compétences est possible, une définition syntagma- de sens produits par les logos ou les projets de logos, bancaires et
tique : les littératures nous fournissent bien des exemples de compétences financiers par exemple, et de montrer ainsi à quel point un logo est
três différentes selon 1'enchaTnement, le processus d'acquisition des moda- déjà un récit de l'entreprise — un récit qui privilegie, de par ses effets
lites. II y a des héros qui disposent déjà du pouvoir, du savoir mais qui ne de sens, telle ou telle séquence du schéma narratif. Certains logos
seront compétents, aptes à remplir leur mission, qu'après avoir acquis enfin racontent la philosophie et la mission de la banque, d'autres sa puis-
un vouloir ou un devoir. D'autres sont d'emblée des sujets du vouloir mais sance ou son intelligence, d'autres encore sa relation au client ou
doivent rechercher et acquérir les autres modalites pour agir. La publicite son peu de souci d'être reconnu. Nous donnerons ci-dessous quelques
64 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 65

effets de sens produits par des logos d'organismes financiers (banques avons parle du mode particulier de d é p l o i e m e n t qu'induisait la clarté,
et assurances) a u p r è s de leurs cibles, effets distribués sur le s c h é m a à l'analyse du signifié de certaines de ses définitions ou de certains de
narratif :11
ses synonymes. Cest cet acquis de 1'exploration du concept qui va per-
mettre au sémioticien de donner quelques indications sur son exploi-
contrat compétence performance sanction tation visuelle et spatiale. Nous avons m o n t r é que la clarté qualifiait
solidaire fragile un espace lumineux dont les unités sont identifiables g r â c e aux dis-
gagne-petit m'as-tu-vu
humaniste dynamique interactif suffisant c o n t i n u i t é s et aux articulations ici s y s t é m a t i q u e m e n t privilégiées. U n
charitable ambitieux touche à tout fier tel d é p l o i e m e n t peut ê t r e defini comme classique. Si nous disons
roublard usé arnaqueur modeste « d e f i n i » , c'est que cette conception classique va ê t r e caractérisée par
facho puissant innovant prétentieux rapport à une autre conception, baroque, à partir de cinq grandes
timoré secret catégories concernant le role a c c o r d é à la ligne, le traitement de la
resigne
« t r o i s i è m e d i m e n s i o n » , 1'attention p o r t é e au format ou aux limites de
Une telle distribution — si grossière soit-elle — va inciter celui qui 1'ceuvre, 1'autonomie plus ou moins a c c o r d é e aux parties par rapport
poursuit 1'analyse sémiotique à : au tout et enfin à la qualité de la l u m i è r e et sa relation à la forme. La
conception classique sera donc bien définie, c'est-à-dire — pour un
a / chercher si les effets de sens produits par la typographie du bloc-
sémioticien — interdéfinie : par rapport au baroque et sur un certain
marque et par 1'architecture des agences sont identiques ou, s'ils
nombre de niveaux. De plus, i l convient de noter, avant m ê m e de
sont différents, en quoi ils peuvent ê t r e c o m p l é m e n t a i r e s ou
revenir sur chacune de ces catégories, qu'elles définissent une concep-
contradictoires;
tion classique i n d é p e n d a m m e n t de sa réalisation historique à telle
b / identifíer les qualités formelles et chromatiques qui, par leur
é p o q u e — i l sera ainsi legitime de parler de classicisme contemporain
apparition ou disparition, constituem les signifíants de ces effets
— et i n d é p e n d a m m e n t aussi de telle ou telle substance : la peinture,
de sens à conserver ou à é l i m i n e r ;
l'architecture, la sculpture — i l sera ainsi legitime de parler de logo,
c / disposer sur les autres séquences du s c h é m a narratif induit par le
de design ou d ' i d e n t i t é visuelle classiques, nous y reviendrons. La
logo les autres discours tenus par la m ê m e société, pour a p p r é -
définition que nous allons d é v e l o p p e r est donc sémiotique, ou p l u t ô t
cier ainsi le role j o u é par le logo dans 1'économie g é n é r a l e de
sa communication. 11 conviendrait de dire p r o t o s é m i o t i q u e : elle est le fait de 1'historien
de l'art H . Wõllflin qui — bien avant qu'on ne parle de s é m i o t i q u e
mais, i l est vrai, en 1915 c'est-à-dire à une é p o q u e aussi proche de
Le classicisme de la clarté : une esthétique de marque celle de Saussure que de celle de Propp — a c o n s a c r é ses Príncipes
fondamentaux de Vhistoire de Vart à 1'interdéfinition de ces deux formes
signifiantes que sont le classique et le baroque . 12

Avant de parler de la c l a r t é comme d'une figure visuelle du contrat O n a donc ici 1'exemple de Fapport de 1'histoire de l'art à 1'analyse
de véridiction établi entre deux sujets communiquant ensemble et leur sémiotique ainsi q u ' à 1'exploitation systématique et rationnelle d'une
garantissant quelque equilibre entre leurs croire-vrai respectifs, nous qualité visuelle. Venons-en aux cinq catégories (en indiquant en pre-
mier le trait qui correspond à la vision classique, par exemple : style
« l i n é a i r e » , classique, — vs — style « p i c t u r a l » , baroque).
11 Ces effets de sens, recueillis lors de réunions de groupes, sont juste ici distingues
selon les quatre séquences du schéma narratif. Naturellement, il s'agit, dans une étude,
de les organiser véritablement. C e s t ainsi que les effets de sens relevant de la c o m p é -
tence sont à organiser selon la distinction et la hiérarchisation des quatre modalités : H . Wõllflin, Príncipes fondamentaux
1 2 de Vhistoire de Vart, dernière réédition française :
vouloir et devoir, savoir et pouvoir. Brionne, E d . G . Montfort,1984.
66 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 67

Premiere catégorie : linéaire vs pictural forme « a t e c t o n i q u e » visera donc à produire un effet de d é c o u p a g e


d'un fragment du monde entrevu pendant un instant. La forme clas-
Dans le style linéaire, qui correspond donc à la vision classique, les sique, « t e c t o n i q u e » , recherchera au contraire, par des j e u x de symé-
choses sont vues en termes de lignes, de délimitations tandis qu'elles trie, de parallélisme ou encore par des contrastes formeis, le súr appui
sont saisies et appréciées en termes d é masses dans le style pictural (qui des figures sur le cadre.
correspond au baroque). La vision classique est plastique; elle s'appuie
sur les contours et isole les objets. Pour 1'ceil baroque au contraire, les
objets s ' e n c h a í n e n t : « d ' u n côté, on est en p r é s e n c e d'une structure Quatríeme catégorie : multiplicité vs unité
stable, de 1'autre, d'une apparition mouvante »;yle baroque veille à ce
que les formes s'entrelacent et se confondent, le classique vise une Multiplicité et u n i t é ou, plus exactement, u n i t é multiple et u n i t é indi-
« p r é h e n s i o n m o r c e l é e du monde des c o r p s » et privilegie les formes visible. Devant une composition classique, « o n est en p r é s e n c e d'un
p u r é s , vraies et palpables. H . Wõllflin r é p è t e souvent dans son tout articule o ú chaque partie, demeurant distincte, a son langage
ouvrage que le classique exalte les valeurs tactiles, le baroque les propre, et ne laisse pas n é a n m o i n s de s'accorder à 1'ensemble, de
valeurs visuelles. proclamer ce qui la rattache à la totalité f o r m e l l e » . Le propre du
baroque, par contre, est de c r é e r « u n e u n i t é absolue oú chaque par-
tie a perdu son droit particulier à 1'existence», le baroque met en
Deuxiime catégorie : plans vs profondeur é v i d e n c e un m o t i f dominant auquel tout est s u b o r d o n n é . Là encore
1'effet de sens r e c h e r c h é , c'est 1'instant, et non plus le d é p l o i e m e n t
La seconde c a t é g o r i e concerne la r e p r é s e n t a t i o n de 1'espace : le clas- dans la d u r é e .
sique opte pour une p r é s e n t a t i o n en plans distincts et frontaux par
rapport à celui qui regarde; le baroque opte pour une p r é s e n t a t i o n en
profondeur. La p r é s e n t a t i o n en plans est liée au style linéaire, puisque Cinquieme catégorie : clarté vs obscurité
toute ligne-contour d é p e n d d'un plan. La r e p r é s e n t a t i o n baroque de
1'espace va, elle, s'efforcer de d é c l e n c h e r un mouvement du regard Bien súr, Wõllflin sait — et i l le rappelle d ' e m b l é e — que « t o u t e
d'avant en a r r i è r e , d ' é v i t e r toute p r é s e n c e de deux figures cote à é p o q u e a exige de son art q u ' i l fút clair». I I n'en recourt pas moins à
cote, et tout parallélisme de plans; elle demande « d ' a b s o r b e r toute une opposition entre la clarté classique et 1'obscurité baroque. « P o u r
la profondeur et 1'espace en une seule respiration, comme une réalité l'art classique, i l n'y a pas de b e a u t é si la forme ne se dévoile pas en
u n i q u e » . Pour cela, elle privilegie la diagonale et la brusque r é d u c - sa totalité. Pour l'art baroque, en revanche, la clarté absolue s'assom-
tion des grandeurs due à la p r o x i m i t é i m m é d i a t e des points de vue. brit, m ê m e quand Partiste vise à rendre une réalité m a t é r i e l l e en son
entier. L'image ne coincide plus avec la pleine clarté de 1'objet, mais
elle s'en é c a r t e . » La clarté relative du baroque j o u i t d'un «privi-
lège d ' i r r a t i o n a l i t é » : elle n'assure plus le recouvrement exact de
Troisieme catégorie : forme fermée vs forme ouverte
la l u m i è r e et du modele et va m ê m e j u s q u ' à la contradiction entre la
Classique et baroque s'opposent aussi quant à la prise en compte forme et la l u m i è r e : une l u m i è r e de ciei d'orage p r o j e t é e sur le sol
du cadre par leurs compositions respectives. Dans la vision classique, o ú elle se reflète en taches isolées, des rayons qui tombent du haut
«les bords du cadre et les angles sont é p r o u v é s dans leur rapport et d'une église et viennent se briser contre les parois et les colonnes... le
trouvent une r é s o n a n c e dans toute la c o m p o s i t i o n » ; dans la vision classique, l u i , s'astreint à un mode de p r é s e n t a t i o n oú «la forme, claire-
baroque, « r i e n ne doit laisser supposer que la composition a é t é ment déployée, porte le sceau du définitif et ne laisse place à aucun doute»
c o n ç u e p r é c i s é m e n t pour entrer dans le cadre du t a b l e a u » . Une (c'est nous qui soulignons).
Sous les signes, les stratégies Une étoile est née
72 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 73

Nous revoilà donc revenus au contrat de véridiction! Avant de surtout de la sensibilité de ceux qui étaient chargés de 1'élaboration
poursuivre, représentons de façon synthétique et frontale l'interdéfi- de cette identité visuelle. Cest un peu comme si la sémiotique avait
nition de ces deux visions o u esthétiques contraíres que sont le clas- f o u r n i une langue; i l restait 1'essentiel : prendre la parole, produire
sique et le baroque : un discours.; Citons quelques-uns de ces príncipes :
— le príncipe de frontalité,
VISION VISION — la distinction des différents plans rencontrés par le regard o u
CLASSIQUE BAROQUE éprouvés lors d'un parcours,
— 1'affirmation des lignes-contours,
LINEAIRE vs PICTURAL — la soumission de la lumière à la forme,
— 1'ajustement des formes et des motifs architecturaux à 1'ensemble
Ligne-contour signifiante Ligne simple élément de hachure
de la façade o u de 1'intérieur d'un espace. /
PLANS vs PROFONDEUR
Ces príncipes concernent la façon de traiter le déploiement d'une
Division de Pespace Mouvement prenant toutes surface o u d ' u n espace; ils n'imposent a p r i o r i aucune couleur o u
en zones parallèles choses en profondeur gamme chromatique, pas plus qu'ils n'exigent qu'on travaille sur telle
FORME FERMEE vs FORME OUVERTE
forme ou tel m o t i f architectural. O n peut être classique en choisissant
des couleurs froides ou des couleurs chaudes, en travaillant sur des
L'organisation plastique prend La forme (format) carrés, des rectangles ou des ronds, ou encore en adoptant tel type de
en compte les qualités du formai semble fortuite
fénêtre ou de sas d'entrée... à condition que la luminosité de ces cou-
MULTIPLICITE vs UNITE leurs ne nuise pas à la netteté des contours par u n phénomène de
réfraction, que la transparence de certaines cloisons ne produisent pas
Une (relatíve) autonomie est Toute partie perd son droit u n effet-mirage (un paraitre qui ne correspondrait pas à u n être) et
accordée aux différentes parties à une existence autonome
que les motifs choisis puissent acquérir cette autonomie que recherche
CLARTE vs OBSCURITE la vision classique. Laissons au lecteur le plaisir d'analyser la façon
dont Le Creative Business a travaille selon ces príncipes pour definir
La forme se dévoile La lumière ne coincide plus
dans sa totalité le nouveau concept d'agence de la banque, en tous cas ici 1'agence-
avec la forme de 1'objet
ment de la façade, et pour résoudre les problèmes techniques et
esthétiques que posait une rénovation qui fút manifeste, rapide et
Analyser la clarté comme la figure visuelle d ' u n contrat de véridic- relativement peu coúteuse. Nous ne pouvons ici reproduire et analy-
tion et 1'inscrire dans le schéma narratif permettait d'en proposer ser la conception des espaces intérieurs des agences remodelées par
une exploitation en termes de discours sur le métier de la banque, et Le Creative Business; disons simplement que cette conception releve
sur la relation fiduciaire entre banque et client. Analyser cette fois la finalement de véritables «jeux optiques», d'une scénographie de la
clarté comme une des composantes de la vision classique permettait de véridiction et du contrat, comme o n a pu parler de scénographie d u
donner quelques indications concrètes sur ce que pouvait être 1'iden- Pouvoir à propôs d'architectures d u X V I , x v i l , et X I X siècles. En
C e e

tité visuelle d u Crédit d u N o r d , à partir d u moment oú celui-ci voulait parlant de j e u x optiques, nous faisons référence aux travaux d'E. Lan-
être la banque de la clarté. En fait, i l conviendrait de parler moins dowski, sémioticien des discours sociaux, sur les regimes de visibilité
d'indications que de príncipes ou d'axes de création.Jcar tout restait et les confrontations modales de l'être-vu entre différents partenaires
à faire et tout dépendait encore de 1'expérience, de 1'intelligence et sociaux. La conclusion de son propôs indique assez la pertinence de
74 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 75

c e l u i - c i q u a n d i l s'agit de r é f l é c h i r à la s c é n o g r a p h i e d ' u n e v é r i d i c - n o n p l u s « d ' a b o r d et a v a n t t o u t » u n signe, u n e g r i f f e o u u n m y t h e :


t i o n et d ' u n e r e l a t i o n f i d u c i a i r e : « q u e l ' o n songe a u x s t r a t é g i e s d e de telles d é f í n i t i o n s s o n t d é j à des p h i l o s o p h i e s de la m a r q u e , des a t t e n -
la p a r t i e o b s e r v a n t e — susceptible de se m o n t r e r o u de se d i s s i m u l e r t i o n s exclusives p o r t é e s à t e l l e o u t e l l e de ses d i m e n s i o n s . L a m a r q u e
c o m m e t e l l e — o u à celles de la p a r t i e o b s e r v é e ( q u i , de son c ô t é , est u n e p a r o l e : 1'instauration d ' u n e r e l a t i o n . Engagement, caution, pro-
e n f o n c t i o n d u c a r a c t e r e plus o u m o i n s o b s e r v a b l e de 1'instance q u i messe o u responsabilité d ' u n e p a r t , confiance, attachement o u m ê m e affec-
1'observe, p e u t e n p r í n c i p e r é g l e r les c o n d i t i o n s de sa p r o p r e mise tion d ' a u t r e p a r t : i l f a u t ê t r e d e u x p o u r c r é e r u n e m a r q u e . L a m a r q u e
e n s c è n e ) , o n t o u c h e alors à u n o r d r e de p r o b l è m e s q u i d é p a s s e n t n a i t d ' u n e f i d u c i e , d ' u n e c o n f i a n c e d o n n é e et m a i n t e n u e ; elle m e u r t
le c a d r e de la r e l a t i o n s c o p i q u e a u sens s t r i c t et r e l è v e n t d i r e c t e - p a r t r a h i s o n o u d é c e p t i o n . I I n'est pas de m a r q u e sans c o n t r a t i m p l i -
m e n t de la d i m e n s i o n c o g n i t i v e p r o p r e m e n t d i t e . . . L'espace p r a g m a - c i t e m e n t o u e x p l i c i t e m e n t passe. A u s s i p e u t - o n d i r e q u e le C r é d i t d u
t i q u e , « o b j e c t i f » , dans l e q u e l s ' i n s c r i v e n t les r a p p o r t s de « v i s i b i l i t é » , N o r d n a i t e n t a n t q u e m a r q u e avec le c o n c e p t de c l a r t é : avec la
u n e fois a i n s i r é f l é c h i p a r la « c o n s c i e n c e » q u ' e n p r e n n e n t r é c i p r o q u e - f i d u c i e q u e le c o n t r a t de v é r i d i c t i o n i m p l i q u e . D e p l u s , i l n ' y a pas de
m e n t les sujets, se t r a n s f o r m e n t alors e n c h a m p de manceuvres c o g n i - m a r q u e sans p r i s e d e p a r o l e , et ce sont les prises de p a r o l e q u i c r é e n t
tives (faire-savoir / f a i r e - c r o i r e ) . » I SB i e n a b s t r a i t v o i r e abscons, ce 1 ' i d e n t i t é de la m a r q u e . P r e n d r e la p a r o l e , c'est f a i r e e n t e n d r e sa v o i x
d i s c o u r s ? Pas d u t o u t ! p o u r u n d e s i g n e r o u u n c o n c e p t e u r d'espace et c'est t e n i r u n p r o p ô s . C o m m e u n e p a r o l e , la m a r q u e se r e c o n n a í t à
c o m m e r c i a l , ces j e u x o p t i q u e s , ces r e g i m e s de v i s i b i l i t é s o n t r é a l i t é u n e c e r t a i n e f a ç o n c T a r t i c u l e r et u n e c e r t a i n e f a ç o n de p e n s e r ; a u t r e -
et p r a t i q u e q u o t i d i e n n e s ; ce sont des m o b i l i e r s - s y s t è m e ( b u r e a u , c l o i - m e n t d i t , elle p o s s è d e des constantes d ' e x p r e s s i o n et des constantes de
sons, d i s p o s i t i o n s des é c r a n s ) , ce sont des m o b i l i e r s de d i r e c t i o n o u c o n t e n u q u i l u i assurent son i d e n t i t é . Si F o n c o n s i d e r e ses constantes
e n c o r e des sas o u des c o m p t o i r s . de c o n t e n u , l a m a r q u e est u n e a p p r o c h e p a r t i c u l i è r e d u m a r c h e , u n e
Elargissons m a i n t e n a n t le p r o p ô s sur 1 ' e s t h é t i q u e , et sur la possibi- « v i s i o n d u m o n d e » d i f f é r e n t e des a u t r e s d è s la c o n c e p t i o n d u p r o d u i t
lite d ' u n e e s t h é t i q u e de m a r q u e . Ce q u e nous avons d i t de la c o n c e p - o u d u service. D e ce p o i n t de v u e , le p r o d u i t o u le service ne p r e e x i s t e
t i o n classique ne v a u t pas s e u l e m e n t p o u r la d é f i n i t i o n d ' u n e i d e n t i t é pas à la m a r q u e . Si l ' o n c o n s i d e r e c e t t e fois les constantes de 1'expres-
visuelle et d ' u n d e s i g n d ' e n v i r o n n e m e n t . L a c o n c e p t i o n classique — ce s i o n de son i d e n t i t é , le t e r r i t o i r e d ' u n e m a r q u e , c'est u n e f o r m e — a u
p ú t ê t r e la c o n c e p t i o n b a r o q u e — a é t é p r é s e n t é e c o m m e u n e c e r t a i n e sens s é m i o t i q u e d u t e r m e d e f i n i p l u s h a u t (cf. supra p . 6 5 ) — q u i va
f a ç o n de t r a i t e r u n processus, de t r a i t e r le d é p l o i e m e n t o u le d é r o u l e - s é l e c t i o n n e r et o r g a n i s e r des q u a l i t é s d'espaces, de r y t h m e s . . . C o m m e
m e n t d ' u n p h é n o m è n e . O r u n e n c h a í n e m e n t p e u t se r é a l i s e r dans le o n v i e n t de le s u g g é r e r e n p a r l a n t de p a r f u m s , u n e e s t h é t i q u e de
t e m p s c o m m e dans 1'espace, et selon d ' a u t r e s codes sensoriels. U n p a r - m a r q u e p e u t c o n s t i t u e r son s i g n i f i a n t sur u n s y s t è m e de C o r r e s p o n -
f u m — u n e f r a g r a n c e — se c a r a c t é r i s e p a r u n e « n o t e de t ê t e » , u n e dances « o ú les sons, les c o u l e u r s et les p a r f u m s se r é p o n d e n t » . D e
« n o t e de c c e u r » et u n e « n o t e de b a s s e » : la p e r s o n n a l i t é d ' u n p a r f u m telles e s t h é t i q u e s sont-elles le fait des seules m a r q u e s de l u x e e t de
s e p r o u v e aussi selon u n processus. E t i l est des p a r f u m s classiques, et b e a u t é ? N o n , elles p e u v e n t ê t r e aussi le f a i t des g r a n d e s m a r q u e s
des p a r f u m s b a r o q u e s . . . N o t r e p r o p ô s n'est pas de d i r e q u e t o u t est agro-alimentaires, par exemple.
classique o u b a r o q u e ! Ce sur q u o i nous v o u l o n s a t t i r e r 1'attention, A i n s i defini c o m m e u n e r e l a t i o n e n t r e u n s i g n i f i é et u n s i g n i f i a n t ,
c'est sur la l é g i t i m i t é d ' u n e a p p r o c h e e s t h é t i q u e — e x a c t e m e n t s é m i o - 1 ' e s t h é t i q u e d ' u n e m a r q u e n'est p l u s d é p e n d a n t e d ' u n signe o u d ' u n e
e s t h é t i q u e — des m a r q u e s ( o u des enseignes). manifestation p a r t i c u l i è r e . L e c h o i x d'une c o u l e u r , la r é p é t i t i o n d ' u n
L a m a r q u e est u n e p a r o l e , p r i s e et t é n u e . L a m a r q u e n'est pas u n m o t o u e n c o r e la p r é e m p t i o n d ' u n u n i v e r s m y t h o l o g i q u e ne p e u v e n t
p u r t r a i t d i s t i n c t i f , sans a u t r e f o n c t i o n q u e d ' a i d e r à i d e n t i f í e r le f a b r i - q u e g ê n e r la m a n i f e s t a t i o n v i v a n t e de l ' i d e n t i t é de la m a r q u e , son
c a m d ' u n p r o d u i t o u le p r e s t a t a i r e d ' u n service. L a m a r q u e n'est pas é v o l u t i o n o u son a d a p t a t i o n . C o n s e r v e r et a c c u m u l e r t o u s les signes
et t o u t e s les r é a l i s a t i o n s « e n t a r t r e » la m a r q u e o u m ê m e la fossilise.
13 E . Landowski, La société réfléchie, Paris, Seuil, 1989 p. 135. A u s s i la c o n c e p t i o n d ' u n signe p a r t i c u l i e r q u i p e r m e t t r a d ' i d e n t i f i e r
76 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 77

la marque doit-elle proceder d'une définition p r é a l a b l e de son esthé- p r o x é m i q u e (ce cube est-il vu d'en haut et de la droite ou d'en bas et
tique. Cest bien súr le cas d'un logo. Et ce fut bien le cas de 1'étoile de la g a ú c h e : en p l o n g é e ou en c o n t r e - p l o n g é e ? ) , ce logo, contraire-
du C r é d i t du N o r d . ment à la quasi-totalité des autres logos bancaires existants , n'assu- 14

rait pas cette frontalité qui contribue à produire un effet de sens de


franchise et d'attention p e r s o n n a l i s é e , et aurait ainsi servi le discours
Une étoile pour logo de la clarté. De plus, sa forme c a r r é e et relativement f e r m é e ainsi que
sa couleur non spectrale ne renvoyaient pas à 1'univers a é r i e n associe à
A partir du moment o ú l'on optait pour une identité visuelle relevant la clarté (ouvert, non-couvert , limpide, lumineux, serein, parsemé...).
d'une e s t h é t i q u e classique, on ne pouvait pas ne pas remettre en ques- U n nouveau logo s'avérait nécessaire, qui r e p r é s e n t e r a i t 1'énoncé
tion le logo existant, un cube orange et disposé de biais. « c o n d e n s e » de 1'identité et de 1'offre nouvelles du C r é d i t du N o r d .
Quelles é t a i e n t les caractéristiques plastiques de ce logo : Le choix d'un nouveau logo est toujours une grande affaire dès lors
— une forme apparemment simple mais tout à la fois ouverte et fer- qu'on n'ignore pas le role de la communication dans une société de
m é e , aux contours continus et discontinus; service. Si Fon accepte Fidée que la communication peut ê t r e compa-
r é e à la navigation, i l faut c o n s i d é r e r qu'un logo est un super-tanker;
— une orientation dans deux directions opposées : vers le bas à
pas question de naviguer à vue. Le lancement, Fappareillage pour la
g a ú c h e et vers le haut à d r o i t e ;
haute mer et les changements de cap ne se font pas à Fimproviste; le
— un effet de profondeur, de par une mise en perspective biaise qui
passage des d é t r o i t s demande qu'un pilote monte à b o r d . Mais, dans le
donc interdisait tout rapport frontal à celui qui le regarde (1'effet
cas du nouveau logo du C r é d i t du N o r d , i l faudrait parler du Creative
était encore plus sensible quand le logo était placé à côté de la
Business comme de Farchitecte naval. Ce fut le m é t i e r de cette agence
d é n o m i n a t i o n sociale dont le bloc s u g g è r e un plan disposé face
de reprendre Fexemple de 1'étoile qu'on avait d o n n é dans le rapport
au lecteur);
de F é t u d e s é m i o t i q u e pour illustrer la symbolisation possible d'une
— une couleur orange, « s e c o n d a i r e » et non spectrale, é v o q u a n t Funi-
banque claire, à partir des acquis de F é t u d e . Mais ce m é t i e r ne
vers signalétique de la grande distribution (un renvoi d'autant plus
consista pas seulement à entrevoir toutes les potentialités de ce qui
navrant que, devant la difficulté à comprendre ou à d é n o m m e r la
n ' é t a i t d o n n é que pour un exemple. Une étoile peut ê t r e t r a i t é e de
forme du logo, les r é f é r e n c e s faites à celui-ci dans les textes du
mille façons différentes. Et i l existe, de fait, des étoiles aussi diffé-
C r é d i t du N o r d concernaient toujours cette couleur).
rentes que Fétoile de David, celle de RSCG ou celles de Publicis-
D'autre part, si l'on quitte le niveau de la forme expressive (des Etoiles, Fétoile soviétique ou les étoiles du drapeau américain... I I y
caractéristiques invariantes qui différencient le logo par rapport aux a bien entendu cette fameuse «Etoile du N o r d » de Faffiche que Cas-
autres et l u i servent de plan de 1'expression) pour le niveau de la sub- sandre a c o n ç u e pour le train q u i portait ce nom. L'étoile du C r é d i t
stance (celui des variables de réalisation), on notera que ce logo était du N o r d , elle, ne devait é v o q u e r ni la gloire n i le spectacle, ni Fidée
assez fragile; à 1'impression, disparaissaient souvent les discontinuités d'un Etat ni celle d'une V é r i t é . En f i n de compte, pris isolément, le
obliques qui s é p a r a i e n t les deux L formant le cube, comme pouvait m o t i f de Fétoile a le m ê m e statut qu'un mot en tant q u ' e n t r é e de dic-
disparaitre ou s'affaiblir le contraste des deux branches de ces L . tionnaire : c'est un ensemble, historiquement c o n s t i t u é , de diverses
Quant à la couleur orange, elle pouvait facilement virer au rose, au acceptions possibles, pour certaines encore virtuelles et pour d'autres
m a r r o n ou au rouge selon les encrages et les supports, ou la liberte déjà réalisées. Pourquoi donc avoir parle d'étoile en concluant sur
que s'accordaient tel et tel concepteur de plaquettes ou de documents.
L'ancien logo du C r é d i t du N o r d ne pouvait donc servir un discours
14L'exception la plus notable est celle du logo de la Société Générale, à double
de la clarté. Par sa perspective biaise et ses ambivalences formelles et perspective biaise.
78 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née

1'exploration et 1'exploitation du concept de c l a r t é ? Parce qu'une Sovou* rlairs.


étoile renvoit aux deux configurations discursives de la c l a r t é , c'est-à-
i'ar*í<Mit <|ui dort,
dire à ces deux micro-récits que sont :
c*èst aè r&rgent qui incuti.
— pour la dimension visuelle, le d é p l o i e m e n t d'un espace fait de dis-
c o n t i n u i t é s et de formes identifíables;
— pour la dimension narrative, 1'établissement d'un contrat de véri-
diction entre deux Sujets distincts, pouvant avoir chacun sa
logique propre.

Qu'est-ce qu'une étoile en effet?


— Cest une figure de 1'univers a é r i e n , visible dans un espace
ouvert, d é g a g é et discontinu. Etoilé signifie ainsi semi, parsemé, clair-
semé. De plus, une étoile fait partie d'une constellation, qui est une
forme identifíable... et un r é s e a u . La spatialité induite par 1'étoile
n'est donc pas é t r a n g è r e à celle de la banque. íSntlS iHtiix nf!g<if!i'iilis a ff <jtl<< i,ii!f Htp'tlt

— Cest aussi une marque, un r e p è r e et quelquefois m ê m e un


signe : 1'étoile permet de s'assurer d'une direction prise. L'étoile
polaire ne vous trompera pas sur la position du N o r d et donc sur Crédit d u Nord
votre position. Aussi, 1'étoile peut-elle r e p r é s e n t e r quelque chose de
tout à la fois distant et de cependant três personnel : on « c r o i t en son
étoile», on estime ê t r e « n é sous une bonne étoile»... Dire-vrai, Croire-
vrai : la communication induite par 1'étoile n'est pas d'autre nature
que celle d'une banque parlant clair.
L'étoile a enfin une d e r n i è r e qualité, qui n'est pas la moins impor-
tante en 1'occurrence : c'est une figure lisible, reconnaissable et iden-
tifíable, i m m é d i a t e m e n t et par tous. Le logo qu'elle peut constituer
sera figuratif, et non abstrait : i l sera p e r ç u comme disant clairement
ce qu'il veut dire, alors que les logos abstraits, quelles que soient leurs
qualités d'impact, de c o h é r e n c e ou d'expressivité, produisent de fait
un effet de sens de non i m m é d i a t e intelligibilité. Ce peut ê t r e une
grande force et le gage d'une grande p é r e n n i t é . Mais, en tout état de
cause, ces qualités ne pouvaient convenir pour un logo de la clarté.
Voilà donc pourquoi Le Creative Business estima intéressant de
retenir et de travailler cet exemple de 1'étoile. I I reste encore une fois,
que c'est Le Creative Business qui decida d'en faire le logo du C r é d i t
du N o r d , qui persuada la banque de 1'intérêt de ce choix et , surtout,
qui donna à cette étoile les qualités formelles et chromatiques lui
permettant de servir les deux configurations discursives de la clarté
80 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 81

( d é p l o i e m e n t d'un espace, établissement d'un contrat), d ' i n t é g r e r


1'univers de la signalétique bancaire (oú p r é d o m i n e n t les bleus), et de
(3 CréditduNord se p r ê t e r aux multiples mises en page et mises en espace qu'implique
la réalisation d'une communication qui se veut globale (signatures, en-
t ê t e , enseignes...).
Le récit que l'on vient de faire de la naissance de cette étoile
indique au lecteur — du moins nous 1'espérons — la façon dont
la s é m i o t i q u e peut travailler avec des gens de c r é a t i o n qui ont déjà
leur idée, qui ont déjà effectué leur « s a u t créatif». Elie peut aider à
d é m o n t e r le petit moteur s é m a n t i q u e qui fait marcher 1'idée envisa-
g é e ou retenue, et permettre ainsi 1'explicitation ou 1'argumentation
de sa pertinence a u p r è s de 1'interne (une equipe nombreuse de créa-
tifs, d'autres partenaires dans la réalisation d'une communication glo-
bale...). Elie peut donc ainsi aider três c o n c r è t e m e n t , três p r é c i s é m e n t ,
aux choix de réalisation et de finalisation de 1'idée, et risquer ainsi de
surprendre ceux qui croyaient que la s é m i o t i q u e se satisfait d'abstrac-
tions et de grandes généralités.

CréditduNord
LE REFUS DE L ' E U P H O R I E
UN DÉSACCORD ENTRE LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES
ET MÉDECINS GÉNÉRALISTES

Pour des raisons démographiques et socio-économiques d'une part et


du fait de Pévolution des relations psychologiques entre médecins et
malades d'autre part, les médecins en general et les omnipraticiens
en particulier deviennent de plus en plus sensibles aux attentes des
patients ainsi qu'à leurs discours. Les patients s'expriment plus facile-
ment et, davantage aujourd'hui qu'autrefois, attendent de leur méde-
cins non seulement une écoute mais aussi une compréhension, une
intelligence de leur propôs. Cette attente d'une intelligence commu-
nicationnelle et discursive du médecin de la part des patients et cette
sensibilité accrue des médecins à ce que disent leurs patients sont au
coeur même de la relation médecin-patient lorsqu'il s'agit de consul-
tations pour des troubles psychologiques. Une telle situation semble
ne pouvoir qu'inciter les laboratoires à utiliser les propôs des patients
dans 1'interface entre eux-mêmes et leurs cibles, lors des visites médi-
cales bien súr — c'est le premier des médias en communication phar-
maceutique — mais aussi dans les annonces paraissant en presse pro-
fessionnelle. Les laboratoires savent cependant que la simple reprise
du vocabulaire des patients dans leurs Communications est rejetée par
le corps medicai. Celui-ci n'accepte pas qu'on imite le patient ou qu'on
utilise à son intention un discours grand public voire grande consom-
mation; c'est pourquoi la communication psychotropes cherche à
reprendre non les mots eux-mêmes, mais le récit que les patients font
de leurs troubles et les images qu'ils donnent pour faire comprendre
ce qu'ils vivent; ces récits et ces images se retrouvent surtout dans les
visuels des annonces-presse. Us permettent de mettre en scène les états
anxieux et dépressifs ou, par inversion si l'on peut dire, à illustrer le
84 Sous les signes, les stratégies Le refus de Veuphorie 85

résultat du traitement t h é r a p e u t i q u e . Ils fournissent des intrigues, des


Un système semi-symbolique
modes d'organisation narrative, et assurent ainsi une r e p r é s e n t a t i o n
dynamique de la symptomatologie de 1'anxiété et de la dépression. Les
visuels des annonces visent, autrement dit, à faire reconnaitre la réalité Les quelque cent trente annonces soumises à l'analyse r e p r é s e n t a i e n t
de ce qu'ils representem, m ê m e si ce qu'ils representem est imagé ou pratiquement l'ensemble de la communication psychotropes des der-
symbolisé dans le but d'obtenir un plus fort impact et une meilleure n i è r e s a n n é e s . La p r e m i è r e chose que l'on puisse dire, c'est que leurs
m é m o r i s a t i o n . O r les laboratoires qui communiquent sur les psycho- visuels assurent 1'essentiel de leur discours, un discours sur le patient,
tropes ont pu constater 1'existence de distorsions entre leur discours sur ses états psychopathologiques et la restauration de sa santé.
d'une part et celui des généralistes d'autre part, distorsions qui abou- L ' é t u d e de leur expression plastique et de leur dimension figu-
tissent à des rejets de leur communication-presse, qui est déjà diffi- rative montre qu'effectivement les visuels ne tiennent pas ce dis-
cile : elle ne presente pas 1'avantage de cette é n o n c i a t i o n vivante et cours n'importe comment, mais selon un codage três particulier dont
p e r s o n n a l i s é e qui fait la force de la visite médicale. la connaissance permet de ne plus prendre pour gratuits des détails
Les pages qui suivent rendent compte d'une é t u d e des annonces- d ' é x é c u t i o n tels que la finesse d'un trait, la dissymétrie d'une forme, le
presse de la communication psychotropes c e n t r é e , pour les raisons graphisme d'un dessin ou le contraste de deux valeurs, ou pour des
qu'on vient d'exposer, sur leurs visuels; cette é t u d e était i n t é g r é e à delires de créatifs des images de patients dans une goutte d'eau ou
un programme de recherches beaucoup plus vaste puisqu'il portait dans un cube, des envols de cadres dynamiques ou des ares en ciei
sur Les distorsions du sens entre le discours de 1'industrie pharmaceutique d é c o u p é s en tranches.
et le discours des généralistes; ce programme de recherches, conçu par Ce codage repose sur un couplage de la c a t é g o r i e qui sous-tend la
le D . Michel Piquet, directeur d'Indice medicai, avait fait 1'objet d'un
r globalité du contenu de la communication, euphorie vs dysphorie,
contrat entre cette société d ' é t u d e s et 1'Association pour le Dévelop- avec les douze catégories visuelles qui en constituent 1'expression : des
pement de la S é m i o t i q u e qui avait, pour ce faire, c r é é une u n i t é de catégories de valeurs et de couleurs, des catégories de composition,
recherche c o m p o s é e de quatre chercheurs. Le discours des labora- et une c a t é g o r i e de techniques ou de «styles» — La c a t é g o r i e séman-
toires à travers leurs brochures scientifiques et les aides de visite tique euphorie vs dysphorie doit ê t r e c o n s i d é r é e comme 1'articulation,
médicale fut analysé par Françoise Bastide, biologiste et sémioti- la structuration minimale de l'univers de la thymie c'est-à-dire du
cienne, le discours des généralistes fut analysé par Jacques Fontanille, champ que couvrent les notions de b i e n - ê t r e , de plaisir, de tranquillité
qui accepta en outre la charge de la r é d a c t i o n du rapport general et de calme d'une part et d'autre part de tristesse, d ' a n x i é t é , de dou-
remis aux souscripteurs de 1'étude. Avec Jacques Escande, nous nous leur et d'angoisse'. U n tel couplage entre expression et contenu d'un
p a r t a g e â m e s la pige des annonces-presse de la communication publi- langage constitue un «système semi-symbolique». Prenons un exemple
citaire. L'objectif de cette analysé de la communication-presse était de système semi-symbolique, un des plus simples et aussi un des plus
double. I I s'agissait de reconnaitre le discours que tient 1'ensemble du quotidiens : celui qui, dans la conversation, couple une c a t é g o r i e de
secteur à travers les visuels des annonces et d'en expliciter le codage l'expression gestuelle avec une c a t é g o r i e propositionnelle ( s é m a n t i q u e
dont tous les annonceurs et agences percevaient plus ou moins intui- donc). La c a t é g o r i e gestuelle est celle des mouvements de la t ê t e hori-
tivement l'existence et la force. I I s'agissait surtout de contribuer à zontaux et verticaux, la c a t é g o r i e s é m a n t i q u e qui lui est c o u p l é e est la
1'identification des sources et des types de distorsion du sens qui exis-
taient entre le discours pharmaceutique et le discours des g é n é r a -
listes en confrontam les résultats de 1'analyse des annonces-presse à 1 L e lecteur disposera d'une première approche théorique de la thymie en consultam
ceux des autres analyses e n g a g é e s p a r a l l è l e m e n t , notamment celle des 1'article « t h y m i q u e » dans le premier et le second tomes de Sémiotique, dictionnaire rai-
sonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979 et 1986 ( A . J . Greimas et
entretiens réalisés a u p r è s des m é d e c i n s . J . Courtés).
86 Sous les signes, les stratégies Le refus de Veuphorie 87

c a t é g o r i e de 1'opinion, si l'on peut dire : celle de 1'affirmation et de la


n é g a t i o n . O n peut r e p r é s e n t e r ce système semi-symbolique simple de
la façon suivante :

Expression verticalité vs horizontalité

Contenu affirmation («oui») vs négation («non»)

II existe des systèmes semi-symboliques beaucoup plus complexes,


dans la mesure o ú ils régissent ces énoncés syncrétiques, qui m ê l e n t texte
et image, langages verbaux et non verbaux. Ainsi 1'annonce de la
campagne de lancement pour la cigarette News reproduite ci-contre 2

repose sur le couplage suivant :

Expression discontinuité vs Continuité

Contenu /identité/ vs /altérité/

Par ce couplage d'une c a t é g o r i e d'expression rythmique et d'une


c a t é g o r i e s é m a n t i q u e de nature axiologique, l'annonce valorise la
cigarette en la comparant à un j o u r n a l . De m ê m e qu'un j o u r n a l est
une c r é a t i o n p a r t i c u l i è r e à partir de nouvelles et d'images sélection-
nées et c o m p o s é e s , de m ê m e la cigarette « N e w s » est la c r é a t i o n d'un
plein arome particulier g r â c e à un m é l a n g e de tabacs.
Le j o u r n a l et la cigarette réunissent tous deux ces c o n t r a í r e s que
sont 1'identité et 1'altérité. En fait, ce que propose cette annonce
« N e w s » au lecteur, c'est un mythe; c'est un style de vie qui concilie
deux états c o n t r a í r e s : la participation à la vie trepidante des autres et
la jouissance d'un rythme, d'une t e m p o r a l i t é personnelle. Ce style de
vie, m é t o n y m i q u e m e n t Figure par la cigarette, fait qu'on é c h a p p e tout
à la fois à la solitude et à 1'aliénation.

a L ' é t u d e c o m p l e t e d u codage s e m i - s y m b o l i q u e d e c e t t e a n n o n c e r é a l i s é e p a r 1'agence


I n t e r m a r c o a é t é p u b l i é e d a n s n o t r e o u v r a g e Petites mythologies de Vceil et de Vesprit
(Hadès-Benjamins, 1985), e n t i è r e m e n t c o n s a c r é au p h é n o m è n e d u semi-symbolisme
d a n s les l a n g a g e s v i s u e l s . S u r le m ê m e s u j e t , o n c i t e r a le t e x t e d ' A . J . G r e i m a s , S é m i o -
t i q u e f i g u r a t i v e e t s é m i o l i q u e p l a s t i q u e , Actes sémiotiques - Documents V I , 60 1984
(F.HF.SS-CNRS).
88 Sous les signes, les stratégies Le refus de 1'euphorie 89

Voici comment le codage semi-symbolique est réalisé dans les deux ne sont donc pas lies à une manifestation p a r t i c u l i è r e , verbale ou non
langages de manifestation de 1'annonce, comment sa réalisation peut- verbale. O n conçoit que les systèmes semi-symboliques constituent
ê t r e à la fois visuelle (dans 1'image) et sonore (dans le slogan : « Take a un troisième type é t a n t d o n n é qu'ils r e l è v e n t d'une autre forme de
Break in T h e R u s h » ) : sémiosis, d'une autre relation entre expression et contenu.
Les douze c a t é g o r i e s visuelles.
Oimension v i s u e l l e Dimension l i n g u i s t i q u e C o n s i d é r o n s maintenant les douze catégories visuelles que 1'analyse
de l'annonce de 1'annonce systématique des cent trente annonces a reconnues comme constitu-
c o m p o s i t i o n en c o m p o s i t i o n en tives du plan de l'expression de la communication publicitaire des psy-
régularité — irrégularité chotropes. O n a mis entre p a r e n t h è s e s le nom des psychotropes qui,
ou ou
chromatisme c h r o m a t i sme consonnes consonnes
dans leurs annonces, exploitent plus p a r t i c u l i è r e m e n t telle ou telle
par s a u t s p a r degrés occlusives constrictives catégorie :
— Clair vs sombre (Sedatonyl, A t h y m i l , Cantor, Victan, Anafra-
discbntinuité continuité nyl, Deparon).
y_5
/identité/ /altérité/ — Nuancé vs contraste (Laroxyl).
— Polychromatisme vs mono chromatisme ( T r a n x è n e 50, Conflictan,
d i scours d i scours ~initiative pari icipation Urbanyl, Laroxyl). Le monochromatisme peut ê t r e figure par des
personnel d'aut r u i d'un arrêt vs à l a ruée
murs u n i f o r m é m e n t grisâtres ou v e r d â t r e s , le polychromatisme, l u i ,
par la palette d'un paysage, un are en ciei ou encore un plu-
permanence unes
vs »-j• mage bariolé.
du j o u r n a l — quot1diennes
ou ou — Traitfin vs trait épais (Athymil). Dans 1'annonce « A t h y m i l états
choi x clichés
dépressifs», un petit village de campagne est dessiné aux traits fins
rédactionnel vs rapportés
ou ou dans la seule trace claire oú apparaissent le nom du produit et
photographies vs événements sa définition chimique internationale; partout ailleurs que dans cette
trace qui semble réalisée par un coup de chiffon sur une vitre sale, le
Maintenant pourquoi parler de système « s e m i - s y m b o l i q u e » ? Pour paysage, sombre et couvert, est dessiné en traits épais.
distinguer ce type de système des deux autres types definis par — T r a i t continu vs trait discontinu (Dipiperon, Stresam, Alival).
L . Hjelmslev : les systèmes symboliques et les systèmes sémiotiques L'annonce Dipiperon montre une fígurine humaine s u r m o n t é e d'une
proprement dits. Les systèmes symboliques, ce sont les langages dont colombe tenant dans son bec un rameau; 1'ensemble est dessiné d'un
les deux plans — le plan de 1'expression et le plan du contenu — sont trait fin continu. A 1'opposé de cette r e p r é s e n t a t i o n d'un état paisible
en c o n f o r m i t é totale; à chaque é l é m e n t de l'expression correspond un (euphorique, ou du moins non-dysphorique), on peut citer 1'annonce
et un seul é l é m e n t du contenu, à tel point q u ' i l n'est plus rentable Stresam oú le mot a n x i é t é est écrit en lettres d é c h i q u e t é e s , et
de distinguer encore les deux plans puisqu'ils ont la m ê m e forme. Les celle d'Alival, reproduisant une gravure de T r é m o i s et montrant un
langages formeis sont de ce point de vue des systèmes symboliques, « m a l a d e triste, fatigue, qui a perdu le g o ú t de vivre, d ' a g i r . . . » , t ê t e
comme le s é m a p h o r e ou les feux de circulation r o u t i è r e . Les systèmes r e n v e r s é e face à une p l a n è t e volant en éclat — le dessin de T r é -
sémiotiques proprement dits, ce sont les langages o ú i l n'y a pas de mois, comme à 1'habitude, est incisif et privilegie ici les biffures et
c o n f o r m i t é entre les deux plans, o ú i l faut donc distinguer — et étu- les hachures.
dier s é p a r é m e n t — expression et contenu. Les « l a n g u e s n a t u r e l l e s » — Plan net vs plan fiou (Lexomil, A t r i u m 300). Jouant la profon-
(le français, le russe...) constituent le type m ê m e de tels systèmes qui deur de champ, les photographies de Lexomil representem des indi-
90 Sous les signes, les stratégies

5 tous les cas. la prescnplion se lera en une ou ueu<


FORMES ET PflÊSENTATIONS: es vespérales. par exemple moilié au dinar, moilie au
Comprime» sécables f « Doile de 20 ctier Les suiels épilepliques leronl I ot)|el 0 une surveil
Goutles (lacon de 30 ml ;e plus ngoureuse i risque de pólen
r e

sauon desefieis dei álcool. Touleloisceluiciesimoms


qué qu'iv«c cerUins psycholropes (1r»nqu>ll>sanls) el
e lonction de la tolerance à lalcool de criaque mdmdu
parkinsonrens ne recevronl C« neurolepuque que s ils
on eipliquéa et saccompagnani de

EFFETS IN0ÊSIRAB1.ES :
eglace amidonde "Z. acido algm Ceu. des neurolepliques, 1 sevo» phénom.
. . . :l • ••• < a-- f P" *'
Goutles***'» p ml{20 goulles) p fiacon
E.cepnonnellemeni I I M l possiol* d'observer. c
Pipampofone (DCII dictiiornydrati loul neuioleptiQue. des dyskinesia» lardivea su
(DCDbase
Conte rvaieui

ique
l_e Oipiperon esl un medicament psycnolrope, dont la pam-
Cularile «sl une acliO" éleclive sur le comporlemenl.
I numeur. I agressivilé i impulsivité el les reaclions clasli
oues el aniisociaies Celie propiiéií o naimonis?non des
'< "ÔZZ
rapporis s accompagne d une action normaiisalnce du

riiques. níviotiques.

les psycnoses chronir. lf2 a 2 comp 1/2 comp

10 a 40 glies

ou5gtlesl 5 gtles Sanes

PRAGMAZ0NE 25
TABLEAU A
V.sa NL 21 .SiComn i A M M 313 00« S igoulles
r

PRECAUTIONS D'EMPlOI : Com-ne.fal.sedepu.s 197'


II laul oDierver la prudente naOi Pn. Comp see 1t,*0F - SMP looiíe de 201
lenncomptecneí iMCOndWCtMn GouTle* IT.W F . S H P [tl de 30 ml|
saleuis de macn.nes <! une leger
Rembourse S S el Co*

Dipiperon
en debul de na.temem

TRADEMARK
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TRAZODONE
F o r m e « présenLitinn : t t l u t n (NMM •Wftl K>«e de 4
C o m p o c i t í o n : T n c u J u n c chltwhrJrMi p. zél.U : m

psychotrope
p. bt*U« I I0CV n n - Extipieni : U c U M , M n N f t . stéar.iCc
irupiésiuin. tak*. Tuniqut de U ^rlulr yjmtHkCi UMVtfe
itx pune, inJw'tine. h i w \ d e d e t i i j n c I V o p r í c t é i : L'acm
de P R A C i M A Z l > K E 2 S M r 4 « J e , U p l . » T J n a n w l i i < n i K >
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des états
pipampérone K manifeitant rn PRUÍM d 'une IcfflMrw Indications : Et
arwiinièpremt* du sujer .iyr C o n l r e indicafiom : Ne p
1

comprimes et gouttes associei M M 1 M A O . Precaution.»; f i í m h LlWKiUllWi


d a k o o l pendam le nanemcnt. EHet* indetirabte* : Qu

anxio-
questj* de tomnolence, ipiniQlKfc** ecnajtmM éfé it^iw
M o d e d V m p l o i *t pOMilonk ! Mwm unte • W tn*ftu
ílrflule»* í Si»u;pjriii»ir,p.iri«ieí J * V | t m i s w r n > u v r U H
Cítut J u RawemnH H U I U S I M I . T 7 I T a H o w C AM

dépressifs
122.517 1 • G i m n i r u a U . n I W 0 - f V a : Ú j | F - f SIH
J A N S S E N - L E BRUN 5. r u e d e L u b e c k 75116 Paris • lei 723 6 1 6 2 RemKiureemcn' Sécutiti- S i v u l e i 7CHf - Ct4erv.HVM
U h M M O Í K I U P S A • I 2 , . t u , l^nmrt - 4 2 W R U t l
h

MALMA.ISON i Téttflhonc 34».<HiTÕ| ei 47ÍVX>M i

du 3 âge
è m e Labora toiros U P S f l
92 Sous les signes, les stratégies
Le refus de Veuphorie 93

vidus souriants devant des espaces urbains suggérés par les silt
houettes « b o u g é e s » d'automobiles et de personnages pressés. Cellç
d ' A t r i u m 300 represente le visage fiou d'une jeune femme alcooliqué.
Lautre maladie de votre
Le codage semi-symbolique ne régit pas seulement les couleurs, les malade
lignes et les surfaces; i l r é g i t aussi les qualités des composition g é n é -
rale des visuels. O n trouve ainsi les catégories suivantes :
— Forme simple vs forme complexe : Une annonce Myolastan titre
par exemple, « d é n o u e les muscles», et montre une corde n o u é e de
façon t r ê s complexe puis d é n o u é e .
— Forme syme'trique vs forme dissymétrique (Sédatonyl, Vivalan 100,
Droleptan, Pragmazone 25). Le calme et la sécurité r e t r o u v é s peuvent
ê t r e figures par le triangle isocèle d'une position de yoga (Sédatonyl)
ou de la silhouette d'un volcan éteint et majestueux (Droleptan); sans
reparler de la symétrie de la figurine à la colombe de Dipiperon,
citons encore la symétrie des deux mains tendues de Vivalan 100 et,
plus originale, celle du triangle forme par le « c o n t a c t r é t a b l i » entre
les g é n é r a t i o n s dans la vignette de Pragmazone 25, triangle lui-même
inscrit dans un c a r r é . Cette vignette s'oppose ainsi au visuel principal
de 1'annonce r e p r é s e n t a n t par deux moitiés d'une photographie déchi-
rées, la g r a n d - m è r e p r o s t r é e d'un côté et la relation complice entre
parents et enfant de 1'autre.
— Forme unique vs forme démultipliée (Tercian, A t r i u m 300, Can-
tor, Mogadon, Lysanxia, Mepronizine...). O n pourrait reprendre ici
!\?ín!r.j.if?í!.?''.«••t,'.;.'.'.. 0:.i;iif-<i;;i*s Ad^fe. Fv*w ".,i>-. 6ÍÍ,V ::>•• /[). ..çu^iv. .J-J^,. i* í.ísnváwtf.-de diftur
pour exemple le bloc typographique d é m u l t i p l i é e de Stresam cité plus !eífir.a.-,ií tfe-i r
;
:
aselagie í h
ÇmwQ$É9D.:. 0>':'.|.«>XÍ i;íi*t a iafci-Tinuíe Fíbarba/riííe (DCfi • 11'ATíl'i.íM Í00 fr. nas i}'-jt..iii;j,>r: «,nto«itar=te de t míraeptifs
st : OT

150fivgpar comprime i g » • b-íW; D»'ét;,s-'tta™te [DCl) 105 par comprime, iiíi!iser dertasages3 3C (oifíígraiTifneí dtriíjopiíwii i>tca.M(iont aerapiwÍNe pis
2.1 gpar btfi*. f'*é'irt»r!M.i! (DC!) 45 mg par comprir*. 0,9 giiar bofie. • « ; <v
haut; nous avons choisi p l u t ô t de reproduire l'annonce d ' A t r i u m 300 c.:'.ce cúfoiriai» Í.^I.IP. iniid&rs, fe. «!êars;e Je rrég^ít.vm. (j.s.p. r-. r.omprimé
u
KJmimtwef pendamfciutefa Jurec cí'i=n :.Mrt--"r!*n! i ; Ãr.-.i'uif .X 'atieJniòíí'sf •:
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attifée. ívstammení che; íes ísmjyí-t-ur;. õe vehir.i ie« "i !e*> utHiv>teurs se r-^-;h'r.tt
J

terminei 600 mt; wrtai,-PfqpriÉt*?;AMC tfc»e» haÉMtxMwMM uSteémw ;ur íes 'isques de SLsrineiefieç aftacníi i Pen-ipio* de ce •nétv-.ir.-iem. -L aiMc-rpiw
«tranquillisant antitremorique du malade buveur excessif» o ú une dinkjue. ATRIUM 300 Ml 4&nporUtQR>BM: -un trtrM)uilsani lafli effeí h)i*wg*nç.
- iiPi anrâiytique, • un inbsrfcjsoriiisje. ir.ijiçgtiprrc therape-utquef; Arwiete
sTaitooi pendant * faiíe.-neníestfe-iíieilewen; deconseiBee SurctaMfeti eywfa^
Jjr^eaCK : hnoadoton asgsiê: gHramienrs {yr..vant è«ohMT Vtn h-COffl*.
nêvrotjque tmportanl*, TreTCÍÍSOI-ti. •fcíí <riime;'ironíhje. - Etati de "rartt^sfit: diurtie .
série de verres-ballons à demi remplis sont p h o t o g r a p h i é s en enfilade, :

frttJttnunv Ç p n v e - i o ^ ^ - £ w <* thoc. Tiy*slhèfl«. grnutet ^ > / n m « cimoiique. TableauC.


• exales n*patujuei ou (Mdoquti. ".odetfetnptoi« HQKtoifK. í* nwyonnt 2 1
d é m u l t i p l i a n t ainsi une forme identique. 4 compruneí par ,oui penAir! 1 i r w i n . 1 'er-ouxler awii lo-g;e.T.p; D M wg*
«*<es»re. Vo* orate. QrX^^i/yterp.-,- Jo.CISS*: -o^eMwaar-ti i 34FS
3.68r £fej} Indfrafflfrt^ SUMwi S arSSSm er. «Rbnt de *-a<ten«ii q„i
1S71.BSM r>" 8.022^
W X ^ 3 4 0 F f 0,45
atrium 300
Les qualités topographiques p r o p o s é e s par la composition g é n é r a l e , traienienicwl-nu 'nterattWTs Par «4ji;ioricnqmMtQUe, pu«»)M>» ^ ' t t o i ^
Bfcrobeufs*rn*rrt. S.S.
70K.-Ctrfteei'vné».

c'est-à-dire par 1'organisation de la surface plane de l'annonce, sont


elles aussi exploitées. Notons que nous ne parlons pour le moment C O M P L E X E DE 3 PRÍNCIPES ACTlFS

que des qualités topologiques de 1'espace signifiant et non de celles Atrium 300. Tranquillisant antitremorique
de 1'espace signifié (celui qui est represente) dont nous allons b i e n t ô t
rendre compte. Deux catégories topologiques i n t è g r e n t elles aussi le
du malade buveur excessif.
codage semi-symbolique : K!OH lABOftATOiftB CFHM
RCXJTÍ Dí MARiAJ . MaaRlOM CCEKX - TÉLEPHONE : (73) 38.07.35
— Haut vs bas (Stresam, Myolastan, Sédatonyl). I c i , contrairement à Synapx, ftvekr SS. n' 10

ce qui se passe dans 1'espace signifié, la verticalité e x p l o i t é e est celle


96 Sous les signes, les stratégies
Anxiété et troubles neuro-végétcrtifs
de la page, et de son parcours par le regard du lecteur; aussi le bas
représente-t-il Pétat final, euphorique, et le haut 1'état initial, dyspho-
rique.
— Dispositif en conjonction vs dispositif en disjonction (Moxadil,
Pragmazone 25, Havlane). Là encore, i l s'agit de conjonctions et de
disjonctions concernant la composition des é l é m e n t s sur la surface du
visuel, et non la situation des objets et des personnages dans 1'espace
represente. Les disjonctions, par exemple, servent à 1'expression de la
perte de 1'unité de soi ou à celle de la rupture des liens sociaux
ou familiaux.
Enfin, on peut aussi reconnaitre une c a t é g o r i e de techniques :
Formo el Présentation
— Technique picturale vs technique graphique. Ainsi Alival, dans Goimos - Racon de 30 ml
Composition
Phénobarbital 3 7 2 g
deux annonces différentes, choisit le graphisme, le trait incisif de T r é - extrail fluide d'aubépine 11.16 g
extrail fluido de saule 4.65 g
exlrari de moefle épmtére 0.23 g
mois (on Fa vu) pour la r e p r é s e n t a t i o n de la dysphorie et la touche extrai! de matière cérebrale 0.23 g
extrail orcfutique 0,46 g
impressionniste pour la r e p r é s e n t a t i o n , euphorique, d'un jeune couple Exdpient hydro-alcooliqueq s.p lOOml
(arome = esseneede mentrie)
Xgoufles = 0.01 g de phénobarbital
faisant du sport dans un pare de. loisirs. Nous pouvons maintenant Proprlétés
Effots neuro-sédatifs du phénobarbilal
Los extraits végétau* ei opothérapiques contribuem
schématiser le système semi-symbolique de la communication psycho- à uno act ion sedativo et cardiolonique légère
L' adm mi sti a i Kxi en gounes permet pour les entants
tropes de la façon suivante : et les sujeis Ages. une répartrtiofi f acile
des doses quotidiennes
Indlcatlona
- anxiété. hyperérnolivilé. imtabil>té
Expression : Clair vs Sombre • troubles du aomméi.
• troubles neuro-wéoétatits
Nuancé vs Contraste EHets Indéslrablee
Eflets indésirables du phénobarbilal: dépress<on
respiralotra. somnolence diurne. eruplions culanees.
Polychromatique vs Monochromatique syndrome épaule-rnain. induction enzymatique
susceptible de modilter 1'actrviié de certains
Fin tis Epais médicamenls tanttcoagulants oraux. conlraceplils
oraux.corticotdes). excitation paradoxale cftei
Continu vs Discontinu k*s eniarits el les sujeis Ages.
Ces orleis appvarssent rarement a dose sêdairve
el en administration de courle durèe
Net vs Fiou Posologia

Simple vs Complexe Aoulles : 20 1 50 goutles. 2 4 3 lois par jour


Enlants : 10 a 20 goutles. 2 à 3 lo<s par jour.
Nourrissons : 5 à lígouttes. 2 3 3 lois par jour
Symétrique vs Dissymétrique Coui du Iraitement joumalier; de 0.269 F à 1.008 F
Tabteau C. Visa 19333. Commercialise en 1938
Unique vs Démultiplié Prix 7.50 F + 0.40 F S.H.P. - Flacon de 30 ml
Remboursé Sécurtlé Sociale à 70%
Haut vs Bas
Conjonction vs Disjonction Laboratolre* MEOICIA
Pictural vs Graphique 36 rue Jules Veme • 69003 lyon - Tél (7) 853 02 34
7. bd Ft Rolland - 92128 Montrooge - Tél. ( I ) 657 13 3!

Contenu Euphorie vs Dysphorie

La reconnaissance de ce codage semi-symbolique des cent trente


annonces é t u d i é e s permet et autorise un certain nombre de remarques
sur sa réalisation dans Pensemble de la communication psychotropes
ainsi que sur telle ou telle annonce de ce point de vue particulière-
ment interessante.
— I I existe plusieurs modes de réalisation de ce codage. Une seule TONTL
une certaine quietude
98 Sous les signes, les stratégies Le refus de 1'euphorie

annonce peut ne montrer que 1'euphorie ou la dysphorie, et n'exploi


ter que les qualités plastiques correspondantes à l'un ou 1'autre terme;
Dipiperon, par exemple, ne parle que de calme, de s é r é n i t é et de
paix de 1'esprit. A 1'inverse, Temesta 2,5 mg represente une femme
anxieuse, le visage tendu, en j o u a n t sur les valeurs c o n t r a s t é e s , le gris
monochrome et le fond sombre. Mais, bien plus souvent, la m ê m e
annonce j o u e la co-présence des deux qualités plastiques c o n t r a í r e s ,
c'est-à-dire le contraste. Sédatonyl, Cantor, Laroxyl, A t h y m i l , Urba-
nyl, pour ne citer qu'eux, ont choisi de r e p r é s e n t e r tout à la fois
1'euphorie et la dysphorie g r â c e à de tels contrastes plastiques. Le
choix peut s'expliquer par le souci de valoriser le produit comme
1'opérateur efficace d'une transformation, comme le véritable h é r o s
de 1'action; la transformation de 1'état pathologique initial en état
« s a i n » final est rendue plus evidente par cette c o - p r é s e n c e des deux
états dans le m ê m e visuel, et donc par le j e u contraste des qualités
plastiques qui leurs sont c o r r é l é e s .
— Le codage peut encore se manifester dans un couple d'annonces
pour le m ê m e m é d i c a m e n t . Cest le cas de L u d i o m i l 75. Une p r e m i è r e
image montre une situation p a r t i c u l i è r e m e n t dysphorique : en bas de
1'image, un homme prostre sous une v o ú t e (les valeurs sont contras-
tées) et pour base-line « a d i e u tristesse...». Une seconde page, une
page de droite, a pour base-line «... bonjour la v i e » ; elle ne comporte
sur un fond clair que le nom du produit, les mentions légales et Traitement au long cours des psychoses
la posologie.
— Dans u n nombre important d'annonces, i l existe une redon- PIPORTIL L 4
dance semi-symbolique : y sont l i t t é r a l e m e n t empilées deux, trois ou
quatre catégories plastiques pour constituer les signifiants respectifs Trois propriéíés determinantes:
de 1'euphorie et de la dysphorie. Ainsi Laroxyl exploite quatre catégo- qualitê, durêe et Constance de 1'effet thérapeutique, tolêrance satisfaisante.
ries : Clair vs Sombre, N u a n c é vs Contraste, Continu vs Discontinu,
et Pictural vs Graphique, sans parler du codage semi-symbolique de Présentatiom Securtíi-
Colmuutes
SacUde et açréi-o, a. J'n.iugt' des
P I diu-rs Servi fe* Pnbíky
!V!ise en ganiu
S k i k i t i o n h u i l e t H e k 2.5 p . 100, p o u r mjcc- í.-.ii CJS. d T i y p e r m t i f T í i e . i ! i r r t p é r a i i f de
Fespace represente — nous y reviendrons. Sédatonyl, pour sa part, t i o n s i n t r a m u s c u t í i i t c s <*) : i u s p e n t Í T « te P i p o í i i i L.4, car ce i i g n e peuv.
- a m p o u l e s de 4 m l d o s f e s á 100 m g CÍTCIÍ. C i i t >"kui des é í ê m c m s í i » síndro-
exploite trois catégories pour visualiser le retour à la paix i n t é r i e u r e : ( í i o í i e de !. a m p o i i k » . P r i x : F ííS.fift •••
S . H . l ' , - A - M . M . .3!4.04fí.f>; (soít 3 mi) par mjeaioft. is í*n:o«vekr
me oííifw ípãieur. hypmhetmie, troubíes
végcíaíjfs) a és.è d é c r i í avcc les n e i t r o -
Clair vs Sombre, Simple vs Complexe, S y m é t r i q u e vs Dissymétrique. - a m p o u l e s de ) m ! d o s ê c . s à 25 m g ( b o í i e
de í a m p o u l e s ) , i * r i \ F 7.1,## S.H.R -
tcuttes Irs 4 sertiaínsjs. Cosi; nioyni <íe
t f d í t e m e n í i m i r r i , i r i e r .: i ; 2,22. P r é c a u l i o n s d"cmpioí
A M M . 313.723.!., :
— Le codage semi-symbolique s u r d é t e r m i n e le codage symbolique. ("es deux présenttitiona M»if inscrite* <ui
Cont rfe-intlicíiíífxis
Afiíccédsíií». i f i í t r a r i í J i O t / i ' " ' ^ i o \ k ; uc:, Ce s o r t i - c e a x de í;i p k i p a r í des n e u r o f e p -
Ttthíeati A, rzmbúur subia ti 70*;', par la
Ainsi la colombe de la paix r e t r o u v é e est t r a i t é e en traits fins et sa • * > ! a ! : d e s xeritig&n- ci: i.-rrc.
tíc p o r p i í y r i e : giawwOíne p ; i ; i t r n ^ i i í r e i l e l i q u e s . St r e p ó r t e r á i& m o n o g r a p h í e
í'a.ngK'; r i s q u e r t i e r i ú a í ! «ruvifrí:. íic à i t g t í í a n í tiíui* !es D s c í i o n n a i r c s de S p & i a -
forme participe au mieux de la symétrie g é n é r a l e de la figurine.Autre ,\'i> pax iniecier par vate xefmMte; íU:s t f o n í j i e í l i r c t r o - p í C . i í i i l i q í i t í iti 0-y r»hJirH'!i:CCii!ií!iitfS-

exemple, 1'annonce T r a n x è n e 50 joue sur le polychromatisme de 1'arc


en ciei, symbole du renouveau et de la n é g a t i o n de la dysphorie : SPKIA
100 Sous les signes, les stratégies

Dropéridol (D.C.I.)
FORMES ET PRESENTATIONS : En cas d hypeilhermie non expliquée el s accompagnanl de pàlei
Soloíé m/eclab/e á 0.5 % . Flacorvampoule de.10 ml Iroubles végélattts. le iraiiement doit éirp suspendu en ratson de l é v i
Solaté Duvable ã 2 % Flacon compte-gouties de 30 ml d un " syndrome m a l m " des neurolepltquíís

COMPOSITION : ACTIONS INDÉS1RABLES :


Dropéridol (DCI) 50 mg p flacon-amp.. 600 mg p flacon cpie-g Celles des neuroieptiques á savoir syndi
Etcipient acide lactique olficmai lemeni reversible par les antiparkmsonier

urbanyl
orthostalique
Conservateuts . parahydroxybenzoates de melfiyie e l de propyle Enceptionnellemeni il esl possible d observer comme avec tout neuroiepiique
des dyskmésies lardives survenant lors de cures prolongees
SORT DU MEDICAM ENT :
Chez le rat. apfès admimstration sous-cutanee I excrélion de Drolepian tntie MODE DEMPLOI ET POSOLOGIE :
dans l u n n e et les fèces esl max.male en 24 heures e l totale en 72 heures • Elats dagilalion
La déalkylation oxydative, pnncipale voie metabolique. aboulit á la formalson La posologie dépend de l é i a i d agilalion du maiaoe de son ãge et de sonpoids
d a c i d e 8-<p-fluorobenzoyl) propiomque - Ttaitement d aitaque

anxiolytique pour les gens actifs


P R O P R I É T É S : Neuroleptique sedam En géne<al par voie l M . 1/2 á 2 amp (24 n ou par voie I V . 1/2 a 1 amp /24 ti
• Sedalit psychomoieur. La voie orale peul êlre uliltsée d emblee pour un malade moms aigu ou coopé
• Anxiolytique. protecieur neurovegetalif. a ranl a rai^on.de 50 ã 100 mg (50 à lOOgoulles) pouvant êlre auqmenles jusqu a
tiaiisateui des naixoiiques e l des barbiiuru 300 mg el repartis en 3 a 6 prises
puissanle
- Ttailemem d erifreíien /e /ou/; respecte au mieux la vigilance, la nuil améliore la qualité du sommeil.
INDICATIONS: par voie orale 50 a 100 mg (50 á 100 gouttes) en 3 a 4 prnt*S
Etats dagilalion et de lurbulence au COL • Troublcs du sornmeil tndicatfons:v. . ag;' riar .-•'v 'Th --''!V.;i:
3 r -j !r*\'tiC'""i'Í!('s L;/•:.'^ov•.•—^^^^.•
el dans les l<oubles du caractere iroub 0*§*mm Po—iaili.-CHKVAOtAn ACTIF en
Une seule prise le soir de 25 a 50 mq (25 a 50 gouites) •.<••>>:CV.ÍÍ'..;:- i?--?,i-.;q™'vwi.'ii
CONTRE-INDICATION : Grossesse • e - : : - CHEZLENrANTETC*ktlE SUJET->Gf
SURDOSAGE: O * si»'aucoiiC"e! CçnfeiA.si>:g -••"oi^^!*--
PRÉCAUTIONS : -i 2 '.:L.'r:--;;r.,"ns;i tt&n [juses auolrí (>jfVJ*f en rr-<,yenr« EH PSYCr1IAlll<£
L"hypertonie constitue le symplome le plus Irequent. anlagonisé par les anli
II exisle. à dose élevee. un ; d hypol»TiM ; sedahve du • aiíe^líinest fi^-^er noiammeni c i e ^ 'es LQ^KÍOOV^
neurolepdque. en pailiculie <if: vén^^-eterasuíiísaleuisdeíTiachira mowx» a:iacCves 31 «mptõidect-rr^ed-i-a^T^^ - l a c a ^ y n o r
anlagonisé par 1'admtnistralion d un an.ileptique cardiovasculaire TABLEAU A.
II faul lenir compie. cnez les conducleurs d\iuiomoOiles el les ulilisaleurs do V I S A NL 2 519 (Fliicon-ampoulel A M M 319 3*b 5 (Fiai; cf>5\if: Conlie-ifid-catlon:^vjsir.írfte WcoMOfíWta sfcC3C'esOvsesa'Cm30r?cioi;a7am>ntfii.'o
rnachmes d une legere somnolence possitilc v i r l o u l en debtil de trailemei'1 Commeraalise dopuis 1 9 6 5 el 1976 fierre SS CoO - IA8LfcAOA
Les sujeis epilepliques leront l ob|C( d une surveillance plus ngoureuse
L attenlion des palienls sera alliree sur le risque de poieniiahsation des e l l e l i PRIX :
de ialcool Touletois. celui-ci est moms marque q u a v e c ceriains psychotropcs Fl amp 1 0 ml 10.40 F - S H P
(IranquillisanIS) el reste lonclion de la tolerance a l álcool de chaque indmdu F| tiple goulles 30 ml S4.60 F . S H P
L A 6 O R A 0 ! R E S Dl AMAN I ceie»
r 3 9208C Í W J 0e'ense I
Les paíkinsoniens ne recevronl ce neuioleplique que s'ils sont sous traitemenl Rpmri S S a ? 0 ' . Coll An i i s A M G AP

IS JANSSEN-LE BRUN 5 1 iteLulMiCk 7 5 1 1 6 P a r t s lél ' ' 2 3 6 ( 6 2


102 Sous les signes, les stratégies Le refus de 1'euphorie 103

ce polychromatisme est o p p o s é au monochromatisme des bandes p u L'exploitation de la verticalité de l'espace represente peut m ê m e se
paysage campagnard ne correspondam pas à l'un des dosages possibles retrouver dans tel ou tel effet de perspective. Ainsi, par une forte
pour les anxieux. T o u t se passe donc comme si 1'iconographie popu- p l o n g é e , on peut installer celui qui regarde Pimage en position haute
laire fournissait aux créatifs un m a t é r i a u constitué en un système sym- c'est-à-dire en situation euphorique : le jeune cadre auquel on a pres-
bolique (1'arc en ciei : le renouveau, la colombe au rameau : la paix crit Lysanxia emerge d'un univers à la Wall-Street pour venir saluer
r e t r o u v é e . . . ) toujours r é o r g a n i s a b l e et r é e x p l o i t a b l e selon un sys- de la main son m é d e c i n traitant. La c o n t r e - p l o n g é e produira 1'effet
t è m e semi-symbolique. inverse, et un changement de role : dans 1'annonce Tercian, le regard
O n vient de parler de la seule dimension plastique de la communi- du lecteur, assimile au patient, s'élève vers le ciei dans 1'interstice de
cation psychotropes, du couplage de douze catégories de 1'expression deux gratte-ciel.
avec la c a t é g o r i e du contenu : euphorie vs dysphorie. Mais 1'analyse
du contenu des annonces de cette communication montre que leur
dimension figurative est, elle aussi, soumise à un codage du m ê m e
type. La m ê m e c a t é g o r i e thymique y est s y s t é m a t i q u e m e n t couplée à
trois catégories qui sous-tendent les divers lieux, d é c o r s et mouve-
ments representes : les catégories de la verticalité, de la c l ô t u r e et de
Uísanxia
la r e p r é s e n t a t i o n e l l e - m ê m e , c'est-à-dire Haut vs Bas (de 1'espace signi-
Forme elpréjenlation :'.c!i|i'nn . ,i\jr". hfiilnile.nj Compnsiiion: r|ií^[-'A,i irjiiig Lmpenl:q.
v

fié, cette fois), Ouvert vs F e r m é , et Figuratif vs Abstrait. La commu-


,

ment adapte a la pratique infdn.,i;e u.Mr.vire. II -IÍMW. 1e:p|,l-j', ii.uvénl li vKilrtrn:i-«1 pi-rrwl 'ishitiiellíTiií
Jyl nu* • .IMÍ-CIC •,i-i)!if'1f! .:v.-:if nV'.i Mi''. "liinricsM;-rir.-, jv.yt M:i- n-i-ilif^i'". •.ii«ntf-
í 'ií-vi:
t-.jr-i;n'-,-,e:.f-i..n->:ir'íí-!'t Irm :-.IÍ«.-.:.T:I'.!Í.TIÍ' ••• flf-•'•Viyliiju*'-!! •Iru.itiif, il« ijContre-indicatian . yv.i*.|-irr f Pr^cautians rJ'emplot: C:j-n-npttiut niíoi
rlf • !• IVI-I', l.illfriNcr .»:! d[i(,fliv.-ii.il,,iiir.'.'ri1 ::hi'.-1.-. i-.virl.ir Curi ')>:• .• fhfl.uk". V. *• ri .-iini-i". *u' « ÍI.(|IRV-de -iTn »"L.Í-rfllrfi-hí»,,i 'f-rri|.liin1i'(f"!(!itii..-i
nication psychotropes est pleine d'envols, de survols, d'enjambements, 15ans.Fnpiatiquei'iíirli::,il('i::Hji.cilf>.l,: I.I.M:.:-^-!'
1
:

IÍCÍI- . ili'(;r|it€i-iniLJi!j'pfií.i!i.O(i -:--t !W.v:i-,- llcp f;'i rõnui' des í isq.ií», il»! :»:lenli.i-,.ilir:i POSOIORÍB et modn demplni: l\' |i„'wi:iniini-;lr>;i .1,1.1 1 iljrits de f SiJe
ti ;

uiin-'r :1. 1 ii i:.:,ri i>r,nf/V au-|.ilu in i''.|HiM'<'Píjjrli.>,„L.í.uijí •••


: !'• I.^unciíp CU • ii 53J1.&CF í npsyíhHlni!
2i6compnmís/jOUf.C.T.J L.Ob 3 J.iiii lAbl LAU A. - A.M M N' .SlH.Jfi6.Z - ComnieraahiÉ en 1979 - Ptin 2I.30F + .1 .W' S M P. lítmbour5eS.S. 70%-ColleclMtes.
de redressements, mais aussi de d é p l a c e m e n t s , de recouvrements et ES
!-5! i ,it:.'j|i„r ;s fSUfíSTANnA. i:. jwenue LHitjj|-.-:er '!:-4(;,' f:i.ii:FíBF WJIF :mrx Irl 7A10/01
de pesanteurs. Ces actions, dans leur composante figurative, peuvent :j 1 C

s'organiser à partir de la c a t é g o r i e de la verticalité. Le bonhomme


d'Urbanyl survole à grandes e n j a m b é e s la masse g r i s â t r e des situa- Les espaces representes r e l è v e n t d'autre part d'une exploitation
tions et des objets dysphoriques : t é l é p h o n e , embouteillage, pluie pen- semi-symbolique de la c a t é g o r i e de la c l ô t u r e : espace Ouvert vs espace
dant les labours, usines... L'annonce T r a n x è n e montre une blanche F e r m é . L i t t é r a l e m e n t — si l'on peut dire : visuellement conviendrait
silhouette e n t r a i n é e dans u n ciei multicolore par un ballon en forme davantage — le m é d e c i n est invité à aider le patient à « s ' e n s o r t i r » .
de lèvres souriantes; 1'annonce H u m o r y l fait voir un homme sautant O n comprend ainsi la r é c u r r e n c e des sorties, des p e r c é e s , des é c h a p -
par dessus un paysage bucolique et j o u a n t avec le soleil comme avec pées mais aussi des fenêtres, des portes, des plages, des pares, ou des
un ballon. L'annonce Piportil L 4 (psychotrope indique dans le «trai- ruelles étroites, des grilles et des voútes surbaissées. L à encore, le lec-
tement au long cours des psychoses») represente de façon plus dra- teur m é d e c i n peut ê t r e inscrit dans 1'espace represente, par le j e u de
matique une figurine de terre cuite se levant difficilement, au centre la perspective et de la disposition p a r t i c u l i è r e des différents plans de
d'un espace grillagé entrouvert. A 1'inverse, le « p r o c e s s u s dépressif profondeurs (premier-plan, arrière-plan...). Le lecteur est situe dans
dans sa phase initiale» est illustré par une formidable vague défer- 1'espace sombre et r e s s e r r é d ' o ú s'échappe le personnage libéré par
lante dans le visuel de T i m a x e l 50 m g ; et la « r é a c t i o n dépressive» Cantor : i l revit, dans ce cas, la situation pathologique initiale de son
dont parle Moxadil est illustrée par deux portraits (de Renoir et de patient. Une annonce c é l e b r e d'Anafranil avait pour aceroche « p o u r
Modigliani) oú les sujets soutiennent de la main leur tête pensive . 3
1'aider à en s o r t i r » ; la photographie montrait une jeune femme ébau-
chant un sourire en regardant à travers une f e n ê t r e f e r m é e couverte
3 II s'agit d'une exploitation semi-symbolique du motif de la main a la maisselle, de la de toiles d ' a r a i g n é e . Le lecteur était alors situe à 1'extérieur de la
main à la machoire qui figure, depuis 1'Antiquité, les divers avatars de la tristesse. (cf.
ici m ê m e «1'image, pour troubler les lettrés» p. 163).
maison, dans la clarté d ' u n j a r d i n fleuri.
104 Sous les signes, les stratégies Le refus de Feuphorie 105

Enfin, t r o i s i è m e c a t é g o r i e exploitée dans le codage de Fespace tique de F é t u d e et dire à quoi peut servir la reconnaissance d'un tel
represente, la c a t é g o r i e de la r e p r é s e n t a t i o n justement : espace abs- codage dans la c o m p r é h e n s i o n d u discours tenu par la communication
trait vs espace figuratif. Les espaces abstraits sont c o r r é l é s aux situa- psychotropes? O n r é p o n d r a que ce travail s'avère doublement utile : i l
tion dysphoriques, les espaces fíguratifs aux situations euphoriques. peut contribuer directement à la décision d'une stratégie de commu-
Ainsi Laroxyl — encore une fois — oppose le cube abstrait, noir nication pour tel ou tel psychotrope, et i l sert, indirectement, à definir
et vide o ú se trouve encore la quasi-totalité du corps de 1'homme ce qui peut ê t r e Forigine des distorsions du sens entre Fémission de
et Fespace ouvert et lumineux o ú se situe la branche multicolore que cette communication par les laboratoires et sa r é c e p t i o n par les m é d e -
ce dernier cherche à saisir. M ê m e opposition dans Fannonce Cantor, cins généralistes. Parlons d'abord de F i n t é r ê t direct. Par la reconnais-
déjà citée elle aussi, o ú le premier plan represente Fespace abstrait et sance de ce semi-symbolisme, laboratoires et agences savent q u ' i l
sombre d ' o ú s ' é c h a p p e le patient et F a r r i è r e - p l a n Fespace figura- n'existe j u s q u ' à p r é s e n t dans la communication psychotropes ni code
t i f et clair de la campagne idyllique vers laquelle i l court. D'ailleurs plastique ni code fíguratif — c'est-à-dire aucun code visuel — propre
cette perspective installée dans Fannonce Cantor (avant-plan abstrait à telle classe de psychotropes par rapport à telle autre : les m ê m e s
vs a r r i è r e - p l a n fíguratif), se retrouve dans Fannonce Dogmatil : une motifs iconographiques, les m ê m e s qualités visuelles de traitement de
jeune femme y ouvre une f e n ê t r e sur un champ de coquelicots. La Fimage peuvent se retrouver aussi bien pour les anxiolytiques que
c o r r é l a t i o n de Feuphorie avec Fespace fíguratif peut ê t r e i n t e r p r é t é e , pour les a n t i - d é p r e s s e u r s ou les hypnotiques. Les annonces nécessitent
selon nous, comme Fexpression du t h è m e de Fadaptation ou de la donc une accroche verbale — ou encore une signature de marque qui
r é a d a p t a t i o n du sujet à la réalité. De la m ê m e façon que nous avons convoque la m é m o i r e du lecteur — pour préciser la classe t h é r a -
schématisé le système semi-symbolique entre les douze catégories de peutique. De m ê m e , i l n'existe aucun code fíguratif ou plastique qui
Fexpression plastique et la c a t é g o r i e du contenu abstrait euphorie vs soit spécifique de telle action du m é d i c a m e n t : efficacité, d u r é e . . . O u
dysphorie, nous pouvons schématiser ainsi le système semi-symbolique encore : le fait que le codage soit en quelque sorte transversal par
des trois catégories du contenu fíguratif avec cette m ê m e c a t é g o r i e rapport aux différentes classes de psychotropes révèle Fabsence d'un
abstraite : discours de Fensemble des laboratoires sur les différenciations entre la
d é p r e s s i o n ou F a n x i é t é pathologique d'une part et Fangoisse, Finquié-
Haut vs Bas tude ou F a n x i é t é non pathologique d'autre part. O n ne discourt que
Composante sur la c a t é g o r i e fondamentale certes mais três g é n é r a l e de la thy-
figurative Ouvert vs Fermé mie, qui sous-tend Fensemble des passions. Pour les professionnels de
du contenu fíguratif vs Abstrait
la communication, i l est clair aussi q u ' u n tel codage peut a p p a r a í t r e
des a n n o n c e s
comme un véritable gaspillage : douze catégories plastiques et trois
catégories figuratives pour Fexpression et Fillustration d'un discours
Discours r , i-v u • somme toute basique sur la thymie! Cest beaucoup, surtout si les
, , . Euphorie Dysphorie
s u r la t h y m i e '
r r
m ê m e s professionnels en viennent à se demander si ce codage est
vraiment spécifique de la communication psychotropes, ou m ê m e tout
simplement de la communication pharmaceutique. Une recente cam-
Un discours basique sur la thymie pagne de Black &; White, par exemple, est là pour les conforter dans
leurs doutes . 4

Maintenant, a p r è s tout ce travail sur le codage des visuels des


annonces, ne sommes-nous pas devenus c o m p l è t e m e n t myopes?
4 Cf. ici m ê m e « T u é s dans l ' o e u f » , p . 213. Sans ariticiper sur la suite de ces pages et sur
Autrement dit, peut-on encore c o n s i d é r e r Fensemble de la p r o b l é m a - les raisons d u rejet de la d é f i n i t i o n de la vie normale par les m é d e c i n s , on indiquera que
106 Sous les signes, les stratégies , Le refus de l'euphorie 107

I I reste que ce codage presente quelques intérêts non négligeables. une, comme jouer, voyager ou commercer avec les autres . O n com- 5

T o u t d'abord, i l est manifestement utilisé par tous les laboratoires, prend dês lors le grand nombre d'images d'envol, de marche facile,
et depuis longtemps. Son exploitation, qui serait d é s o r m a i s d'autant de regard attentif, d'espaces ouverts ou accessibles dans la communi-
plus pertinente qu'on en connait le système, donne 1'assurance de se cation psychotropes : ce sont les illustrations d'une n o r m a l i t é , d'une
conformer avantageusement au code de communication sectoriel (on santé c o n ç u e narrativement comme une c o m p é t e n c e essentiellement
sait ce que coute 1'instauration d'un autre code que le code secto- définie selon le vouloir (la q u ê t e , le g o ú t , le désir...) et le pouvoir (la
riel pour lancer une marque ou un produit). Ensuite, ce codage puissance, la capacite, 1'aisance...). En regardant les annonces de cette
laisse encore beaucoup de liberte. I I n'impose aucune substance pour communication, les m é d e c i n s généralistes retrouvent donc bien cer-
1'expression comme pour le contenu des messages : les douze catégo- tains é l é m e n t s , certaines configurations du discours de leurs patients :
ries plastiques peuvent se trouver réalisées en dessin comme en pho- laboratoires et patients racontent de fait 1'anxiété et la d é p r e s s i o n
tographie — ainsi Cantor a su réaliser les traits plastiques c o r r é l é s à comme la perte d'un vouloir et d'un pouvoir vivre.
1'euphorie aussi bien par un dessin à la gouache dans son ancienne
Comment alors expliquer les malentendus existants entre annon-
campagne que par des photographies dans sa nouvelle campagne. De
ceurs et cibles? Par un refus d è la part des m é d e c i n s des innombrables
m ê m e , les trois catégories fíguratives peuvent — a p r i o r i en tout cas
m é t a p h o r e s , m é t o n y m i e s , hyperboles et autres figures r h é t o r i q u e s u t i -
— definir des r e p r é s e n t a t i o n s d'espaces euphoriques ou dysphoriques
lisées dans les annonces? S ú r e m e n t pas : les m ê m e s us et abus de la
qui r e l è v e n t d'univers socio-culturels t r ê s différents : en d'autres
r h é t o r i q u e se retrouvent dans les autres Communications sectorielles
termes, le d é c o r de l'euphorie n'est pas n é c e s s a i r e m e n t un coin de
pharmaceutiques. Ils rencontrent alors les m ê m e s rejets, ou la m ê m e
campagne bucolique, celui de la dysphorie n é c e s s a i r e m e n t une zone
t o l é r a n c e . N o n , i l faut aller plus loin, ou p l u t ô t plus profond si l'on se
urbaine ou p é r i - u r b a i n e . Enfín et surtout, ce qui est t r a i t é plastique-
r é f è r e au parcours g é n é r a t i f de la signification . Cest alors que l'ana-
6

ment et figurativement comme r e p r é s e n t a n t la santé r e c o u v r é e ou,


lyse de ces annonces sur la santé et sa restauration pourra rejoindre les
inversement, comme r e p r é s e n t a n t 1'état pathologique correspond
résultats de celle, m e n é e en parallèle, du discours des généralistes
bien aux récits des patients qu'entendent les généralistes. Bien súr, les
sur la question. Nous aurons ainsi m o n t r é 1'intérêt indirect de la
patients ne se plaignent pas d'avoir perdu leurs ailes ou de vivre sous
reconnaissance du codage semi-symbolique des visuels de la com-
une v o ú t e . Ils ne disent pas non plus enjamber le monde ou la cam-
munication psychotropes. Reprenons à partir de la définition que
pagne quand ils sont en bonne santé, ou rester assis dans un cube noir
ces visuels donnent de 1'état normal, de la santé r e c o u v r é e , en notant
quand ils sont malades. Mais les patients definissem bien leur état
déjà que la communication psychotropes tient un discours e n t i è r e -
comme une perte de c o m p é t e n c e .
ment focalisé sur le patient — le m é d e c i n n'est pratiquement jamais
Expliquons. Quand les patients parlent de leur état « n o r m a l » a n t é - represente. Cet état, final, peut ê t r e conçu comme 1'énoncé d'une
rieur, ils se racontent comme des sujets voulant et pouvant faire. Et,
quand ils parlent de leurs troubles, ils se disent prives pour tout ou
partie de cette c o m p é t e n c e à vivre, si l'on admet du moins avec la 5 Nombre d'annonces montrent des situations relationnelles dysphoriques, ou au
sémiotique narrative que le vouloir et le pouvoir sont les deux moda- contraire euphoriques. Mains tendues, sourires, collaborations passionnées s'opposent
ainsi aux replis sur soi, aux méfiances et aux manifestations trop frequentes d'une
lités qui, avec le devoir et le savoir, constituent la c o m p é t e n c e logi- irritabilité insupportable pour soi et pour les autres. L a perte de c o m p é t e n c e dont se
quement p r é s u p p o s é e par toute performance. Et travailler en est plaignent les patients concerne autant la communication que 1'action ou la production.
T o u t se passe d'ailleurs comme si 1'irritabilité constituait le seuil d'entrée de 1'anxiété
pathologique, aux dires des généralistes interviewés. L'irritabilité devient un s y m p t ô m e
1'ensemble de la campagne ainsi que 1'afTiche correspondante (reproduite p. 173) définit de 1'anxiété. Définie comme une propension et une promptitude à se mettre en colère,
la vie, les situations « e x i s t e n t i e l l e s » comme des termes complexes, articulam noir et elle indique que le patient s'estime trahi dans les contrats implicites qu'il a passes avec
blanc, euphorie et dysphorie. U n discours persuasif sur 1'alcool qui rencontre celui des les autres : avec sa femme, ses enfants, ses collègues de travail.
médecins quant à la nature de la «vraie v i e » ! 6 Cf. ici m ê m e «J'aime, j'aime, j ' a i m e » , p. 123.
108 Sous les signes, les stratégies Le refus de 1'euphorie 109

\
conjonction euphorique : celle d'un sujet (le malade) et d'un objet de
valeur un peu particulier puisqu'il s'agit de deux des modalités de la La syntaxe narrative
compétence (le vouloir et le pouvoir). L'état initial correspondant est
la disjonction, dysphorique, du sujet et de cette double valeur modale.
Le lecteur peut ici suspendre sa lecture de 1'analyse de la communica-
Les sémioticiens, qui s'attachent à formuler les structures narratives
tion psychotropes pour explorer un moment cet univers de la narrativité. La
comme autant de circulations d'objets de valeur , écriront ces deux
7
reconnaissance de l a r m a t u r e relationnelle organisatrice du récit que consti-
états de la façon suivante : tue le schéma narratif (cf. supra p. 58) déplaça tout d'abord la problématique
de la narrativité du domaine des fonctions proppiennes — dont la définition
Etat initial Etat final était encore três largement tributaire des notions de temps et d'espace — à
celui des actants, c'est-à-dire à celui des roles fondamentaux et purement
SI V O (vouloir + pouvoir) SI A O (vouloir + pouvoir) relationnels qui sont jouós sur la scène de l'histoire, comme d'autres en
linguistique le sont sur la scène qu'est la phrase o u plutôt la proposition :
SI : le sujet d'état «Nous avons été frappé, a écrit A. J . Greimas, par une remarque de Tes-
V : la relation de disjonction nière; comparant 1'énoncé élémentaire à un spectacle. Si l'on se rappelle
A : la relation de conjonction que les fonctions, selon la syntaxe traditionnelle, ne sont que des roles
O : 1'objet de valeur joués par des mots — le sujet y est «quelqu'un qui fait 1'action»; l'objet,
«quelqu'un qui subit 1'action», etc. — La proposition, dans une telle concep-
tion, n'est en effet qu'un spectacle que se donne à lui-même 1'homo loquens.
N'est-ce là quun simple jeu d'écriture, une formalisation gratuite Le spectacle a cependant ceei de particulier qu'il est p e r m a n e n t : le contenu
sans valeur ajoutée? La réponse est non, pour plus d'une raison. des actions change tout le temps, les acteurs varient, mais l'énoncé-spec-
La formalisation montre déjà ceei : en focalisant sur le patient et en tacle reste toujours le même, car sa permanence est garantie par la distri-
bution unique des roles» .
«illustrant» la maladie et la santé, la'communicatión pharmaceutique 8

raconte le traitement thérapeutique sous la forme d'énoncés d'état, et La sémiotique narrative va alors distinguer deux relations fondamentales, et
non sous la forme de 1'énoncé de faire que le changement de 1'état ini- par suite quatre actants de la narration : la première, la relation Sujet/Objet,
est une relation de visée, de quête; elle crée la tension nécessaire à lenclen-
tial à 1'état final postule. Du coup, on ne sait qui est le sujet de faire,
chement du récit. La seconde, la relation Destinateur/Destinataire, est une
qui est le sujet de la transformation. Est-ce le médicament, le médecin
relation de communication de 1'objet. Par ailleurs, la réflexion sur les circons-
ou le patient lui-même qui est le sujet de ce programme narratif ? Ce
tances de 1'action ainsi que sur ces personnages qui soutiennent 1'action du
qui fait ainsi défaut, c'est une syntaxe narrative complete, une organi- héros ou qui y font obstacle, en attirant 1'attention sur une autre relation
sation des transformations et des jonctions qui fournisse la structure actantielle : celle d'Adjuvant et d'Opposant, persuada de proceder à ce véri-
signifiante d'un récit. Le problème ainsi posé est tout simplement — table dédoublement du récit dont nous avons parle lors de la présentation
si Fon peut dire! — celui du role du médicament et de la part active du schéma narratif. Confrontations, épreuves, opposant et a d j u v a n t : il fallait
que le médecin estime être sienne ou être celle de son patient dans le bien, considérer que le récit est autant celui du traítre que celui du héros, les
traitement engagé ou envisagé. deux sujets gagnant ou perdant ou encore óchangeant les objets de valeur
qu'ils convoitent. Au bout d u c o m p t e , le récit sera considere comme une
circulation d'objets de valeur entre sujets, o u chaque état (chaque «étape»
logique) est defini soit par une conjonction soit par une disjonction et oú le
sujet d'état disjoint ou conjoint est aussi, o u ríest pas aussi, le sujet opérant

7 Cf. A. J . Greimas, U n p r o b l è m e de sémiorique narrative : les objets de valeur, in Du


Sens II, Paris, E d . du Seuil, 1983, p. 19 à 48. 8 A. J . Greimas, Sémantique structurale, Paris, 1966, p. 173.
/
110 Sous les signes, les stratégies Le refus de 1'euphorie 111

la dis-ou con-jonction. On le voit, la syntaxe narrative se sert d'un minimum cours du sujet defini comme la quête de tel ou tel objet de valeur que vont
de catégories fondamentales : se reconnaítre et se caler les différents autres actants : le Destinateur, le
a / conjonction vs disjonction; Destinataire, 1'Adjuvant et 1'Opposant... et que les divers acteurs situes à
b I sujet d'état (dis- ou con- joint) vs sujet de faire (sujet opérant le passage la surface de 1'histoire vont trouver leur(s) fonction(s) narrative(s). Pourquoi
d'un état à un autre). ces pluriels entre parenthèses ? Parce que la distribution actantielle sur ces
A partir de là, acteurs peut aboutir à ce qu'un acteur ait plusieurs fonctions, à ce qu'il
selon qu'on passe d'une disjonction à une conjonction ou 1'inverse, represente plusieurs Actants, comme il peut se faire qu'un même Actant
selon que le sujet d'état et le sujet de faire sont identiques ou pas, soit represente par plusieurs acteurs. Actants et acteurs ne correspondem
selon que 1'objet peut être conjoint à deux sujets d'état «en même temps» ou pas toujours terme à terme; on peut avoir ces trois schémas de distribu-
que sa conjonction avec l'un entraine automatiquement sa disjonction tion entre le niveau narratif (celui des Actants, des fonctions narratives) et
d'avec 1'autre, le niveau discursif (celui des acteurs, des personnages ou des objets issus
on obtiendra des enchaínements relativement complexes; surtout, un calcul de tel univers de référence) :
est dès lors possible des différents programmes narratifs c'est-à-dire des
acteur 1 ^acteur 2 acteur acteur Niveau discursif (plus superficiel)
transformations entre états : appropriation et dépossession d'une part, attri-
bution et renonciation d'autre part. On a ainsi les deux grandes figures de
Actant Actant Actant 1 Actant 2 Niveau narratif (plus profond)
circulation des objets :

Avoir toujours en tête cette non-correspondance a priori des Actants et


acquisition privation des acteurs doit être un souci constant du sémioticien quand il analyse un
récit. Sinon, gare aux schématisations réductrices et erronées qui «apla-
1 «épreuve» appropriation tissent» les récits en confondant les niveaux que la sémiotique a su distin-
dépossession
guer et hiérarchiser au fur et à mesure de ses études concrètes et de ses
avancées théoriques et — ce qui n'est pas moins grave — qui trompent
2 «don» attribution renonciation 1'analyste lui-même, mais três rarement le commanditaire de 1'étude!
Nous sommes maintenant revenus au niveau de description qui était le
nôtre tout à 1'heure, dans notre analyse des visuels de la communication
psychotropes, quand nous constations labsence de syntaxe narrative dans
Ce qu'il faut bien noter ici, c'est que le programme narratif est 1'unité
ce qui était donné à voir. Qui vise la restauration de la santé du malade?
narrative minimale, une sorte d'unité moléculaire du récit. Par contre, si l'on
Le malade lui-même, le médecin ? Le malade représente-t-il un ou plusieurs
considere les suites, les enchaínements combinant plusieurs programmes
actants : Sujet et Destinataire, Sujet et Opposant? Le médicament est-il le
narratifs, on a affaire alors à des parcours narratifs. Et l'on a changé
Sujet de 1'action thérapeutique ou simplement l'Adjuvant?
de niveau : les suites ou enchaínements résultent de complexifications,
d'expansions diverses :
— des duplications ou des triplications d'épreuves (le héros s'y remet à plu- La distinction faite ou non entre le sujet d'état et le sujet de faire
sieurs fois pour accomplir la même action); d'une part et les différentes distributions possibles des roles entre
— des démultiplications (le héros fait d'abord ceei, et ensuite cela...); les acteurs d'autre part sont à 1'origine des profondes divergences
— des cascades : des relations hypotaxiques (le héros fait ceei pour pouvoir de conception que les médecins et les laboratoires peuvent avoir de
faire cela...);
la médicalisation dans un processus psychothérapeutique, de l'action
— des corrélations (le héros accomplit des actions symétriques).
souhaitée d'un psychotrope ou encore du type ou du degré de gra-
Laction du héros est concevable maintenant comme un de ces parcours vite des troubles et des traitements. Aussi le médecin lecteur de ces
narratifs : c'est le parcours narratif du sujet. Et c'est en fonction de ce par- annonces peut-il s'interroger — et il le fait plus ou moins consciem-
112 Sous les signes, les stratégies Le refus de Veuphorie 113

ment, ou agressivement, a u p r è s des visiteurs m é d i c a u x ou des e n q u ê - retrouve aussi dans le discours des généralistes sur les troubles du
teurs — sur les raisons d'une telle absence de syntaxe narrative. Le sommeil. Une insomnie due à 1'excitation ou à 1'angoisse n'est pas
laboratoire veut-il éviter de parler du role précis du m é d i c a m e n t , ou grave : i l suffit de supprimer cette excitation ou cette angoisse par un
de sa classe t h é r a p e u t i q u e : cherche-t-il à «ratisser l a r g e » ? Cherche- anxiolytique, qualifié alors de r é g u l a t e u r . Mais une insomnie de type
t-il à ne pas entrer dans le d é b a t sur le moment de la médicalisation dépressif, o ú le sommeil est retire au patient par cet anti-sujet qu'est la
des traitements de ces pathologies? Quelques questions sans r é p o n s e s maladie, est une atteinte autrement plus grave : i l faut alors l u i redon-
parmi d'autres, que le m é d e c i n peut c o n s i d é r e r comme le fait de ner le sommeil, voire le lui imposer par un hypnotique. A u t r e m e n t dit,
stratégies marketing d'autant plus vivement c o n d a m n é e s qu'elles le un m é d i c a m e n t qui donne le sommeil est un m é d i c a m e n t dangereux,
privent finalement d'une organisation narrative possible de ces traite- ou du moins i l releve d'un traitement délicat, lourd. U n bon m é d i -
ments, si délicats à engager et à g é r e r soi-même. cament — ou u n m é d i c a m e n t g é r a b l e par le m é d e c i n g é n é r a l i s t e —
A u t r e constat possible à partir de la formulation du récit de la res- est u n m é d i c a m e n t qui supprime le stress de la j o u r n é e , qui ô t e tout
tauration de la santé en deux é n o n c é s d'états modaux : quel qu'en soit pouvoir aux « f a c t e u r s de t r o u b l e s » .
le sujet, le faire correspondant au passage de 1'énoncé cTétat initial à T r o i s i è m e constat, enfin, toujours à partir de la formulation : la
1'énoncé d ' é t a t final est un faire conjonctif : le patient est finalement définition de 1'état initial, pathologique, comme disjonction d'avec le
conjoint à une valeur positive (à une certaine c o m p é t e n c e ) . Le traite- pouvoir faire et le vouloir faire ne dit rien d'une distinction faite ou
ment est ainsi un apport de quelque chose de positif, et la maladie un à faire entre 1'anxiété d'une part et la d é p r e s s i o n d'autre part. Si
manque. O r cette conception du traitement renvoit, dans le discours la santé r e s t a u r é e est définie à travers les diverses situations choi-
des généralistes tel qu'il a pu ê t r e analysé p a r a l l è l e m e n t , à une classi- sies pour les annonces de la communication par ces deux modalités,
fication des troubles selon leur gravite ou plus exactement selon la dif- 1'anxiété et la dépression, elles, ne trouvent pas leurs définitions
ficulté de leur traitement et 1'engagement quasi i d é o l o g i q u e du m é d e - modales respectives à partir de ces modalités. En d'autres termes, on
cin traitant. O n dira globalement qu'il vaut mieux, selon les g é n é r a - s'attendrait à ce que 1'anxiété et la d é p r e s s i o n puissent ê t r e distinguées
listes, avoir à retirer quelque chose au patient ( o p é r e r une disjonction à partir du pouvoir et du vouloir. De fait, certains visuels et certaines
d'avec un objet négatif) qu'avoir à lui « a j o u t e r » quelque chose (opé- situations r e p r é s e n t é e s montrent bien des d é g o ú t s , des fatigues, des
rer une conjonction avec u n objet positif). L ' a n x i é t é , par exemple, qui efforts, des activismes inquiets : autant de positions modales selon le
est d é c r i t e comme un surplus négatif par les m é d e c i n s , parait pouvoir vouloir et le pouvoir, de combinaisons de ces positions différentes et
ê t r e soignée sans difficulté majeure : «il suffit» de retirer au patient de transformations possibles de ces combinaisons. Mais quelles com-
un surplus de réactivité, d'activisme et de tension. En revanche, la binaisons définissent respectivement les deux pathologies? Quelles
dépression, qui est d é c r i t e comme un manque, ne peut ê t r e soignée transformations de ces combinaisons du pouvoir et du vouloir rendent
que par 1'apport de quelque chose : une dynamisation, une stimula- compte du passage de 1'anxiété à la dépression par exemple? Les
tion, un s u p p l é m e n t d'envie et de force. O r cet apport est le annonces, sur ce point, ne fournissent aucune r é p o n s e . Dans une
plus souvent associe à des évaluations péjoratives du traitement : é t u d e déjà anciennne sur le discours des patients , nous avons indi- 9

O n « d e f o r m e le c o m p o r t e m e n t » , on « c h a n g e la p e r s o n n a l i t é » , on que comment leurs récits s'organisaient sur la permanence d'un ne-


« t o u c h e à la nature de 1'individu»... Ainsi, tout se passe comme si les pas-pouvoir-faire et sur sa combinaison avec les différentes positions
troubles fondés sur la conjonction avec un objet négatif, qu'on doit modales du vouloir : le vouloir-faire, le ne-pas-vouloir-faire, le vouloir-
seulement neutraliser, é t a i e n t plus b é n i n s que les troubles fondés sur ne-pas-faire et le ne-pas-vouloir-ne-pas-faire. Des positions nettement
la disjonction d'avec un objet positif, qu'il faut alors presque «injec-
t e r » dans le patient. Nous indiquerons ici que cette r e p r é s e n t a t i o n ,
M . Piquet et J . - M . Floch, Analyse s é m i o t i q u e du discours des anxieux et des deprimes,
cette typologie narrative des différentes actions t h é r a p e u t i q u e s se 9

in Psychiatrie française, n" 2, mars-avril 1985.


114 Sous les signes, les stratégies Le refus de Veuphorie 115

distinctes du point de vue s é m a n t i q u e et que peuvent recouvrir des é t é formes à l'analyse du discours et qu'ils se soucient tout particuliè-
notions telles que 1'envie, le « g o ú t à r i e n » , le refus et 1'accepta- rement de ne «passer à c o t e » d'aucun signe, clinique ou discursif, qui
tion passive. Une véritable « l o g i q u e de la d é p r e s s i o n » , pour rependre leur permette de reconnaitre une dépression « c a c h é e d e r r i è r e » une
1'expression du P D . W i l d l õ c h e r , sous-tendait ainsi ces discours, et
r 10 a n x i é t é . Dans ces conditions, la communication des laboratoires peut
proposait une sorte de calcul modal des phases de la maladie — de la leur apparaitre comme d é c e v a n t e voire suspecte. Elie ne contribue
maladie r a c o n t é e et non réelle, précisons bien. O n pourrait visualiser pas à augmenter la c o m p é t e n c e i n t e r p r é t a t i v e du généraliste (sa capa-
une telle syntaxe de la façon suivante : cite à diagnostiquer); bien plus, pour certains, elle trahirait là encore
sa d é p e n d a n c e vis à vis de stratégies purement marketing recherchant,
ne pas pouvoir-faire ne pas pouvoir-faire ne pas pouvoir-faire ne pas pouvoir-faire à travers « 1 ' a m a l g a m e » ou le «fiou a r t i s t i q u e » , la c o n q u ê t e ou la sau-
+ + + + vegarde facile de quelque part de marche.
vouloir-faire ne pas vouloir-faire vouloir ne pas faire ne pas vouloir
ne pas faire
La santé n'est pas Veuphorie
inquietude goút à rien accès de violence contention
activisme et grande fatigue sur soi ou crispation Les trois constats q u i viennent d ' ê t r e faits montrent, on 1'espère,
anxiété pathologique abattement sur les autres effort 1'intérêt indirect de la formalisation des états de troubles et de santé
selon la syntaxe narrative. Cest en descendant ainsi au niveau m o l é -
I I e ú t é t é possible de trouver, dans la communication psychotropes, culaire, si l'on peut dire, du programme narratif que l'on pou-
1'anxiété et la d é p r e s s i o n distinguées de la sorte puisque le discours vait, en interface avec l'analyse des discours des généralistes, identifíer
des laboratoires rejoint celui des patients dans le m ê m e privilège quelques unes des raisons de disfonctionnement s é m a n t i q u e de la
a c c o r d é au pouvoir et au vouloir pour definir la c o m p é t e n c e " . O r i l communication entre ces derniers et les annonceurs. I I reste que ces
n'en est rien. Aussi peut-on trouver une raison s u p p l é m e n t a i r e aux états sont definis selon la thymie, c'est-à-dire à partir de la c a t é g o r i e
diffícultés entre é m e t t e u r s et r é c e p t e u r s de cette communication d è s euphorie vs dysphorie. I I s'agit m ê m e de défínitions largement sursi-
lors qu'on sait, par 1'analyse du discours des généralistes, à quel gnifíées, comme on l'a vu par le codage semi-symbolique qui consti-
point 1'opposition a n x i é t é / d é p r e s s i o n permet à ces derniers d'organi- tue 1'essentiel du message tenu par les annonces-presse à 1'adresse des
ser leurs discours et leurs pratiques en ce domaine. Les généralistes m é d e c i n s . O r c'est là que se situe sans aucun doute la raison majeure
sont demandeurs — pas toujours explicitement, i l est vrai — de tout de 1'antagonisme entre émission et r é c e p t i o n , entre la logique de la
approfondissement de cette opposition fondamentale, et ils le sont persuasion t e n t é e par les annonceurs et celle de 1'interprétation enga-
d'autant plus si cet approfondissement procede d'une analyse du dis- g é e par la cible des généralistes. Si ces derniers admettent que la
cours de leurs patients. Car c'est un fait que les praticiens n'ont pas santé est 1'objet de valeur r e c h e r c h é par u n traitement, que la santé
est une certaine c o m p é t e n c e à vivre et que c'est bien de thymie dont
il est question dans ce type de troubles, l'analyse de leur discours
1 0 D. Wildlõcher, Les logiques de la dépression, Paris, Fayard, 1983. montre qu'ils refusent la confusion entre la santé et 1'euphorie propo-
11 Signalons que ce privilège accordé au vouloir et au pouvoir dans la définition de la sée par la communication pharmaceutique. Dans le discours persuasif
c o m p é t e n c e à vivre peut-être interprete comme un fait de nature idéologique. Ainsi
1'issue heureuse racontée par certains anciens patients définit leur nouvelle c o m p é - des laboratoires en effet, les résultats du traitement, positifs bien súr,
tence à vivre en termes de devoir et de savoir. Un psychothérapeute ou un professeur sont toujours representes sous la forme d'une réconciliation radieuse,
de yoga leur ont fait découvrir les lois du monde auxquelles il convient d'obéir ou les
ont initiés à quelque philosophie ou civilisation. L a dépression serait alors à concevoir
d'une harmonie souveraine ou d'un bonheur sans ombre. La santé,
comme une « m a l a d i e » propre à une culture qui exalte la puissance ou le pouvoir, le c'est l'euphorie ou, au moins, la non-dysphorie. O r les contraintes de
désir ou la volonté, ce aux dcpens des autres modalités constitutives de la com- la vie quotidienne, les malheurs, les pertes et les stress ne sont pas
p é t e n c e humaine.
116 Sous les signes, les stratégies Le refus de 1'euphorie 117

des d o n n é e s sociales ou psychologiques contre lesquelles le m é d e c i n cins généralistes raisonnent en termes de phases, de « m o m e n t s » , de
estime avoir à lutter. I I veut seulement aider son patient à les suppor- « c a p » , d ' é v o l u t i o n , de d u r é e , d'apparition ou de disparition. En tant
ter et à vivre de son mieux « l a vie telle qu'elle e s t » . Ce n'est pas u n que praticiens, ils se considerem comme les observateurs de ce p r o c è s
signe de santé que 1'euphorie constante, et le psychotrope ne saurait qu'est la vie de leurs patients. Cest pourquoi, estimant que leur
ê t r e une pilule du bonheur. T o u t au contraire, le traitement doit per- m é t i e r est d'abord et avant tout le diagnostic, les m é d e c i n s cherchent
mettre au patient de retrouver une amplitude moyenne de r é a c t i o n s , pour signes de ces troubles psychologiques certains aspects du 13

un juste milieu entre les peines et les joies, en fonction des pertes « v é c u » du patient ou de la relation que celui-ci a avec eux : la fré-
et des gains dont 1'alternance est c o n s i d é r é e comme inéluctable. La quence de leurs visites, le prolongement demande d'un a r r ê t maladie,
p r é o c c u p a t i o n majeure des m ç d e c i n s est de « r e m e t t r e le patient en Fampleur soudainement prise par tel p r o b l è m e conjugal, familial ou
selle», ou de le maintenir en activité et cela signifie pour eux que la professionnel...
vie quotidienne, avec ses aléas, est bien la valeur de base. N o m b r e
de généralistes vont j u s q u ' à affirmer que le stress est un p h é n o m è n e
positif puisqu'il signifie que 1'individu est bien e n g a g é dans le monde, Analyse narrative et analyse du contenu
« i m m e r g é dans la r é a l i t é » . Le traitement ne doit pas changer la vie :
ni vallée des larmes, n i utopie heureuse, le monde, toujours selon les Finalement, au-delà de 1'analyse de cette communication p a r t i c u l i è r e
m é d e c i n s , s'impose comme une suite d ' é v é n e m e n t s auxquels f i n d i - qu'est la communication psychotropes, quel enseignement peut-on
vidu doit s'adapter. Cest pourquoi la notion d ' é q u i l i b r e dynamique tirer d'une telle é t u d e ? Nous dirons qu'elle rappelle — si besoin est —
est si importante pour eux. Cest la r e p r é s e n t a t i o n de cette oscillation les dangers d'une approche exclusivement lexicale du discours d'une
moyenne des plaisirs et des peines qui devrait fígurer la santé ou plu-
tôt la vie normale, et qui valoriserait les psychotropes comme adju-
vants c'est-à-dire comme ce qui aide à passer ici un cap difficile. impliques par 1'organisation effective de Pobjet analyse; le p r o c è s , c'est l'ensemble
L ' é q u i l i b r e est donc le véritable résultat visé par faction t h é r a p e u - des agencements des é l é m e n t s s é l e c t i o n n é s , combines, et d o n t la c o - p r é s e n c e constitue
1'objet réalisé. A p a r t i r d u moment o ú l'on considere Pobjet comme un objet s é m i o -
tique. Le bon psychotrope sera celui qui permet d ' é v i t e r les ampli- tique, c'est-à-dire comme un fait de langage, 1'étude de son s y s t è m e renvoie à 1'axe
tudes excessives, de la dysphorie comme de l'euphorie d'ailleurs, ou paradigmatique, et celle de son p r o c è s à 1'axe syntagmatique. Le langage, approche de
d ' e m p ê c h e r que celles-ci ne perdurent au-delà de la normale. Les façon paradigmatique, sera donc c a r a c t é r i s é par une h i é r a r c h i e de relations d u type
ou...ou... et ce m ê m e langage, approche de façon syntagmatique, sera c a r a c t é r i s é par
m é d e c i n s estiment que ce sont 1'amplitude et la d u r é e des états thy- une h i é r a r c h i e de relations et...et....
miques qui importent, que ce sont eux qui définissent la santé, elle- 13 p r e n ol verbe m a n g e r ; i l designe une action qui peut ê t r e temporalisée et aspectua-
n s e

lisée. O n peut d i r e : i l mange, i l a m a n g é , il mangera o u encore i l mangea. Ce faisant,


m ê m e c o n ç u e comme une aptitude à s'adapter aux aléas de la vie. on a t e m p o r a l i s é cette action en Vembrayant o u en la débrayant par r a p p o r t à 1'instance
Ce n'est certainement pas 1'euphorie, comme le laissent accroire les de 1'énonciation. L e m ê m e p h é n o m è n e d'embrayage et de d é b r a y a g e concerne aussi
annonces de la communication des laboratoires. O n notera ici à quel 1'espace et les acteurs. Ici, la embrayent I'espace de 1'énoncé par r a p p o r t à 1'énonciation :
ailleurs le d é b r a y e . Je, tu, nous, vous constituent de leur c ô t é des embrayages actoriels,
point 1'approche de la santé, de la maladie et du traitement, chez il(s) o u elle(s) des d é b r a y a g e s actoriels. II est des récits q u i commencent par un t r i p l e
les généralistes du moins, est fondamentalement syntagmatique : les d é b r a y a g e : i l était une Íbis ( d é b r a y a g e temporel), dans un pays fort lointain ( d é b r a y a g e
spatial), une belle princesse ( d é b r a y a g e actoriel)...
«choses de la vie» sont vécues par les patients et saisies par les m é d e -
En quoi consiste cette seconde p r o c é d u r e qu'est 1'aspectualisation ? O n peut dire, en se
cins dans leur e n c h a í n e m e n t , dans des relations et... et... . Les m é d e - 12 p l a ç a n t en observateur de 1'action et en la transformant par là m ê m e en procès : j e suis
en t r a i n de manger, j e finis de manger, j e ne cesse de manger ou j e commence à man-
ger... A u t a n t de points de vue sur l'action q u i d é f i n i s s e n t respectivement la durativité,
la terminativité, Vitérativité, et Vinchoativite'. Ce sont ces q u a l i t é s de d é r o u l e m e n t o u de
1 2N ' i m p o r t e quel p h é n o m è n e , d è s lors q u ' i l est pris comme objet d'analyse, peut ê t r e marche de f a c t i o n — a p p e l é s aspects — q u i p o u r r o n t ê t r e interpretes par le m é d e c i n ,
considere sous deux aspects, celui d u système et celui d u p r o c è s . L e s y s t è m e , c'est observateur de la vie ou des comporteinents de ses patients, c o m m e des symp-
1'ensemble des relations de d i f f é r e n c e s et de ressemblances q u i d é f i n i s s e n t les possibles t ô m e s de troubles.
118 Sous les signes, les stratégies

cible, directe ou indirecte. En effet, il s'avère encore une fois que la


considération des mots utilisés par celle-ci, leur comptage ou la
mesure de leurs écarts sur quelque échelle que ce soit sont des
entreprises vaines dès lors qu'on veut maitriser la signification d'un
discours. Mais P«analyse de contenu» elle-même, pourtant plus perti-
nente dans son souci d'aborder le contenu des discours, peut appa- «J'AIME, J'AIME, J'AIME... »
raitre comme une approche aussi dangereuse dans 1'utilisation opéra- P U B L I C I T E A U T O M O B I L E E T SYSTÈME
tionnelle de ses résultats si elle ne s'attache pas à rendre compte des DES V A L E U R S DE C O N S O M M A T I O N
structures narratives que les thèmes identifíés impliquent nécessaire-
ment. Comme on vient de le voir, c'est la définition narrative,
syntaxique et thymique, que les annonces presse donnent des états
anxieux et dépressifs qui est à 1'origine du rejet du discours pharma-
ceutique par la cible des médecins généralistes, alors même que les
thèmes repris sont bien ceux que la cible attribue au discours de Un vampire qui s'attaque à une pompe à essence, des chiffres qui se
référence. De même, pour prendre un exemple dans un tout autre téléscopent en freinant, un tapis rouge qui refait la route... Des lions,
domaine, c'est aussi au niveau de la mise en intrigue du monde que des lapins, un zebre, un papillon, une lionne, un chameau et mainte-
peut se rompre le contrat entre une publication et son lectorat, c'est-à- nant une fourmi... Un suicide et une résurrection (!?!) Des routes
dire au niveau des structures narratives, des roles actantiels donnés à bleues et des colonnes grecques, un château fort et un palais vien-
tel ou tel individu ou à tel ou tel groupe, et non au seul niveau, plus nois... Trois philosophes, un homme préhistorique, une humanoíde
superficiel, des structures discursives, des thèmes choisis, de la défini- sexy et une grosse Walkyrie ... Enfin (façon de parler), des voitures qui
tion de Factualité ou des jeux de regard entre personnages en cou- sortent d'un dé à coudre ou d'un cânon, qui échappent aux indiens ou
verture et lecteurs. Notre expérience en études de presse nous a se faufilent entre des moutons à roulettes, d'autres qui ratent 1'affiche
convaincu d'ailleurs de la plus grande gravite de ces ruptures ou de ou font de la gymnastique . Ce pourrait être un inventaire à la Pré-
1

ces distorsions narratives, qu'il s'agisse de presse magazine, de presse vert; c'est la façon dont se presente la communication automobile de
quotidienne nationale ou de presse régionale . 14
ces dernières années — et encore! quelques fílms et quelques affiches
de cette communication. Comment organiser un discours aussi touffu,
aussi divers et bariolé si l'on fait 1'hypothèse qu'une telle organisa-

1 L e lecteur amateur de publicite automobile aura reconnu, dans 1'ordre, les cam-
pagnes :
Peugeot 205 1983 ( L e vampire); Austin Mini 850 1978 (Les chiffres qui se télés-
copent); Citroen GSA 1979 (Le tapis rouge); Peugeot 305 G T 1983 (Les lions); Wolk-
swagen Golf « R a b b i t » 1983 (Les lapins); Peugeot 104 Z 1980 ( L e zebre); Fiat Panda
1985 (Le papillon); Wolkswagen Jetta 1980 (La lionne); Citroen GSA 6 L 1981 (Le cha-
meau); Wolkswagen 1979 (Le suicide); Audi 89 Diesel 1981 ( L a résurrection); Citroen
BX 1982 (Les routes bleues); Renault 9 Diesel 1983 (Les colonnes grecques); Renault
18 1983 (Le château-fort); Renault 18 1982 (Le palais viennois); Renult 5 « C a m p u s »
(Les trois philosophes); Wolkswagen Passat 1988 (L'homme préhistorique); Autobian-
1 4Cf. J . - M . Floch, L e changement de formule d'un quotidien ; 1'approche d'une double chi Y 10 1985 (L'humanoide sexy); Peugeot 309 1986 (La Walkyrie); Opel Corsa
exigence : la m o d e r n i t é du discours et la fidélité au lectorat, in Médias : expériences, 1983 ( L e d é à coudre); Renault 18 T u r b o 1981 (Le c â n o n ) ; Peugeot 205 1983
recherches actuelles, applkations, I R E P , 1985. (Les Indiens); Wolkswagen Polo 1986 (L'embouteillage de moutons); Renault 5 1983
(L'affiche « r a t é e » ) ; Renault 5 1985 ( L a gymnastique).
120 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » 121

t i o n p e r m e t t r a i t de m i e u x c o m p r e n d r e 1 ' o r i g i n a l i t é de la c o m m u n i c a - p o u r t a n t c a p i t a l : n o n s e u l e m e n t i l s'agissait de p é n é t r e r le m a r -
t i o n d ' u n e m a r q u e , le s u c c è s d ' u n e c a m p a g n e de l a n c e m e n t et m ê m e c h e p o r t e u r de la g a m m e m o y e n n e s u p é r i e u r e des 6 / 7 c h e v a u x mais
c e l u i d ' u n f i l m q u i f u t , sans c o n t e s t e , l ' u n des plus m a r q u a n t s des i l f a l l a i t aussi r a j e u n i r la m a r q u e , l u t t e r c o n t r e la « p é p é r i s a t i o n » d e
a n n é e s 80? Rappelez-vous : « J ' a i m e , j ' a i m e , j ' a i m e » . . . , u n air de C i t r o e n , p o u r r e p r e n d r e 1'expression de J . S é g u é l a l u i - m ê m e . E n f i n ,
J . C l e r c sur t r o i s notes ascendantes, u n e v o i t u r e r o u g e q u i p l o n g e o n r a p p e l l e r a q u e , d e p u i s 1 9 8 2 , la c o m m u n i c a t i o n d e C i t r o e n a
dans la m e r ! L e f d m T V de l a n c e m e n t de la C i t r o e n B X a f o r t e m e n t s o u v e n t e x p l o i t é le c a p i t a l d ' i m a g e de m a r q u e c r é é p a r cet a i r et ce
m a r q u e le g r a n d p u b l i c à son é p o q u e , e n s e p t e m b r e 1 9 8 2 . I I o b t i e n t p l o n g e o n : le m ê m e a i r a é t é r e p r i s p o u r les a u t r e s c a m p a g n e s B X ,
des scores I P S O S d ' i m p a c t et d ' a g r é m e n t t r ê s é l e v é s . Les r é s u l t a t s d u p o u r le f i l m d i t i n s t i t u t i o n n e l des C h e v r o n s Sauvages e n 1 9 8 4 et p o u r
S T C m o n t r è r e n t n o t a m m e n t la b o n n e association d u f d m à la m a r q u e
2
les c a m p a g n e s d e l ' A X d e p u i s 1 9 8 5 ; et u n e V I S A a p l o n g é dans la m e r
et 1 ' a g r é m e n t t r ê s p o s i t i f r e n c o n t r é a u p r è s des j e u n e s et des c a t é g o r i e s d e p u i s la piste d ' e n v o l d ' u n p o r t e - a v i o n . D e p l u s , c o m m e o n le m o n -
socio-professionnelles a i s é e s q u i é t a i e n t v i s é e s p a r c e t t e c a m p a g n e et t r e r a p l u s l o i n , des e n q u ê t e s m e n é e s t a n t a u p r è s des c o n d u c t e u r s q u e
ce l a n c e m e n t . L ' a i r c h a n t é p a r J . C l e r c et le p l o n g e o n de la v o i t u r e des c o n c e s s i o n n a i r e s c i t r o è n i s t e s et n o n - c i t r o é n i s t e s o n t m o n t r é la
dans la m e r f u r e n t les i t e m s les p l u s f r é q u e n t s dans les r é p o n s e s f o u r - r é e l l e c o n t r i b u t i o n d e c e t t e c o m m u n i c a t i o n à 1'image d e la m a r q u e .
nies p o u r é t a b l i r le score prouve, c ' e s t - à - d i r e la connaissance e f f e c t i v e M a i s n e b r ú l o n s pas les é t a p e s ; r e v e n o n s à la f a ç o n d o n t o n p e u t
d u f i l m p o s t - t e s t é . Par a i l l e u r s , d e u x m o i s a p r è s le l a n c e m e n t , o n a o r g a n i s e r la c o m m u n i c a t i o n s e c t o r i e l l e de 1 ' a u t o m o b i l e et a u d i s c o u r s
p u c o n s t a t e r q u e C i t r o e n avait v e n d u q u e l q u e 1 2 0 0 B X p a r j o u r , d o n t si p a r t i c u l i e r q u ' y a t e n u le f d m de l a n c e m e n t de la B X .
c i n q u a n t e p o u r c e n t de c o u l e u r r o u g e , u n e c o u l e u r q u i n ' a v a i t j a m a i s
m a r c h e chez les c o n s t r u c t e u r s f r a n ç a i s . L e s u c c è s d u l a n c e m e n t de la Imaginons deux é n o n c é s t r ê s différents, u n badge r e p r é s e n t a n t une
B X ne f u t d o n c pas s e u l e m e n t p u b l i c i t a i r e ; i l f u t aussi c o m m e r c i a l . E t c h a i n e d'esclave b r i s é e et u n t é m o i g n a g e d i f f u s é à la r a d i o . Dans ce
le t a u x d e c o m m a n d e d e ces m o d e l e s r o u g e s é t a b l i t c l a i r e m e n t q u ' i l y dernier, u n opposant politique raconte comment, il y a d i x mois, i l
a v a i t b i e n e n 1'occurrence u n e r e l a t i o n d i r e c t e e n t r e la c o m m u n i c a t i o n s'est fait passer p o u r m a l a d e a u p r è s d e ses g a r d i e n s d e p r i s o n et a
p u b l i c i t a i r e et les ventes. U n t e l l a n c e m e n t é t a i t a u d a c i e u x : le b u d - r é u s s i à sauter d u f o u r g o n c e l l u l a i r e l o r s de son t r a n s f e r t à 1 ' h ô p i t a l d e
get n ' a v a i t r i e n d e c o m p a r a b l e avec c e u x q u e les c o n s t r u c t e u r s L . . . Ces d e u x é n o n c é s sont t r ê s d i f f é r e n t s l ' u n d e 1'autre, à p l u s d ' u n
c o n c u r r e n t s , R e n a u l t e n t ê t e , p o u v a i e n t à la m ê m e é p o q u e i n v e s t i r t i t r e . L ' e x p r e s s i o n d u p r e m i e r est c o n s t i t u é d e q u e l q u e s lignes et d e
dans ce t y p e d ' o p é r a t i o n . D e p l u s , c o n t r a i r e m e n t a u x usages, le f i l m q u e l q u e s f o r m e s c o l o r é e s , l ' e x p r e s s i o n d u s e c o n d des sons d e la l a n g u e
n e p a r l a i t n i des c a r a c t é r i s t i q u e s t e c h n i q u e s de la v o i t u r e n i d e son p a r l é e p a r cet o p p o s a n t . L e p r e m i e r se m a n i f e s t e dans le d é p l o i e m e n t
p r i x . O n n ' y t r o u v a i t aucune « s u b l i m a t i o n de 1'objet», aucune vedette d ' u n espace et s e l o n u n e saisie i m m é d i a t e , le s e c o n d dans le d é r o u l e -
au v o l a n t , pas m ê m e u n p o r t r a i t d e c o n d u c t e u r a u q u e l o n a u r a i t p u m e n t d u t e m p s et selon u n e saisie m é d i a t e , d e m a n d a n t d e p r e n d r e e n
a v a n t a g e u s e m e n t s ' i d e n t i f i e r . L ' e n j e u d u l a n c e m e n t d e la B X é t a i t c o m p t e P u n a p r è s l ' a u t r e les signes et l e u r s e n c h a í n e m e n t s . L e b a d g e
est u n é n o n c é e x t r ê m e m e n t c o n c i s ; o r à c e t t e condensation, c o m m e
2 L e «Suivi T é l é v i s i o n C i n e m a » d'lPSOS Publicite a pour objet cTétablir un diagnostic d i s e n t les s é m i o t i c i e n s , s'oppose Yexpansion d u t é m o i g n a g e ( o n p e u t
précis de 1'impact et de 1'agrément des campagnes audio-visuelles en tenant compte i m a g i n e r q u e l ' i n t e r v i e w é a i t d é v e l o p p é t e l o u t e l é p i s o d e d e son r é c i t ,
des caractéristiques des produits qu'elles mettent en avant, de leur plan média et de
o u q u ' i l 1'ait p l u s i e u r s fois s u s p e n d u p o u r t e l o u t e l c o m m e n t a i r e ) . C e
leur création publicitaire. L e STC fournit des scores d'impact brut, spécifique, prouve et
de reconnaissance ainsi que des scores d'agrément positif, négatif et indifférent. Préci- n'est pas t o u t : le p e t i t dessin est s y m b o l i q u e , i l est certes f i g u r a t i f
sons que le score spécifique dont nous parlons est elabore à partir des «souvenirs spéci- p u i s q u ' o n y r e c o n n a í t u n o b j e t , c e t t e figure d u m o n d e t e r r i b l e d e la
fiques», c'est-à-dire du verbatim (des paroles m ê m e s de 1'interviewé) et qu'il exprime
en fait 1'étendue du territoire d'expression que la marque s'est acquis par cette action T r a i t e des N o i r s , mais i l ne p o s s è d e r i e n d e c o m p a r a b l e à ces n o m s
publicitaire particulière; il est analysé qualitativement afin de reconnaítre les « p o i n t s p r o p r e s de l i e u x o u d e p e r s o n n e s , à ces dates o u à ces a n c r a g e s a u
d'ancrage» memorieis. C e s t donc ici qu'apparaissent les campagnes e n t i è r e m e n t nou-
t e m p s p r é s e n t q u i c a r a c t é r i s e n t le t é m o i g n a g e et le d o n n e n t p o u r u n e
velles, qui ne doivent leur succès qu'à elles-mêmes.
122 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » 123

histoire r é e l l e m e n t vécue. Enfín, le monde du xvm e et ses instruments lequel la s é m i o t i q u e cherche à rendre compte de la constitution pro-
de coercition n'a pas grand chose à voir c o n c r è t e m e n t avec celui du gressive d'un é n o n c é ressemble à une coupe g é o l o g i q u e ou à la falaise
xx et avec ses systèmes c a r c é r a u x et ses formes de répression : les
e
d'une c a r r i è r e s'élevant depuis les couches les plus basses et les plus
objets, les lieux et les personnages ont c h a n g é . constitutives d'un terrain jusqu'aux couches les plus superficielles qui
supportent directement le paysage dans toute la diversité et la com-
I I n ' e m p ê c h e : dans l ' u n et 1'autre cas, on parle d'une évasion, d'une
plexité de sa manifestation. O n trouvera dans les pages qui suivent
libération. D'une évasion puisque 1'action consiste à s ' é c h a p p e r physi-
une p r é s e n t a t i o n du parcours g é n é r a t i f de la signifícation mais, là
quement d'un lieu, quel q u ' i l soit; d'une libération puisque le sujet de
encore, le lecteur pour le moment plus interesse par 1'organisation
l'action, ou son bénéficiaire, y a g a g n é la liberte. I I y a donc bien de ce
du discours publicitaire sur 1'automobile que par les grands concepts
point de vue, c'est-à-dire à ce niveau de .pertinence, une similitude de
t h é o r i q u e s que celle-ci engage, peut t r ê s bien sauter ces quelques
contenu entre les deux é n o n c é s , le badge et 1'interview diffusé. Mais
pages et poursuivre 1'analyse de notre communication sectorielle.
notre travail de reconnaissance, de distinction et de h i é r a r c h i s a t i o n
d'un certain nombre de niveaux d'analyse doit continuer : i l faut dis-
tinguer 1'évasion de la libération. L'évasion est encore quelque chose
Le parcours génératif de la signifícation
d'assez concret. La libération est une notion plus abstraite, qui se situe
en deçà de toute précision sur la nature de 1'acte l i b é r a t o i r e : l'évasion
implique une mise en espace, un acte physique — du moins dans son Le parcours génératif est une reconstitution dynamique de la façon dont la
sens propre. O r i l existe des libérations d'ordre culturel, i d é o l o g i q u e , signifícation d'un énoncé (texte, image, film,...) se construit et s'enrichit selon
affectif ou sexuel. Le concept — pour reprendre la terminologie des un «parcours» donc qui va du plus simple au plus complexe, du plus abs-
trait au plus figuratif, jusqu'aux signes qui en assurent la manifestation ver-
publicitaires — de libération est plus profond, plus abstrait et plus
bale ou non-verbale. Autant dire que le parcours génératif represente
invariant que celui d'évasion. A u niveau de profondeur o ú se situe
1'économie générale d'une théorie sémiotique, et non seulement linguistique.
cette valeur qu'est la liberte, on peut encore choisir de descendre
Insistons bien sur le fait quil s'agit ici de gónération et non de genèse. II
jusqa'aux positions de sens purement différentielles que défínit et n'est pas question de reconstitution historique. Le sémioticien ne cherche
visualise le c a r r é s é m i o t i q u e ; on peut aussi s ' a r r ê t e r là et travailler,
3
pas à retrouver la succession temporelle des phases du travail de la cróa-
à 1'horizontal cette fois, pour d é p l o y e r tout le contenu du concept de tion, ni la mesure dans laquelle les circonstances extérieures ont pu la
libération : pour y reconnaitre une o p é r a t i o n faite par un sujet, pour conditionner. La fulgurance de 1'idée créative ou les difficultés d'un tournage,
l u i - m ê m e ou pour un autre, o p é r a t i o n qui aboutira à la c o n q u ê t e ou par exemple, n'ont rien à voir avec la signifícation d'un film. La richesse de
à la conservation de cette valeur qu'est la liberte. L'investigation à ce signifícation d'une création publicitaire ou même d'une simple idée, d'un
niveau se poursuivra pour savoir si la liberte est, dans 1'énoncé que simple concept n'a «en soi» rien à voir avec le temps passe à briefer ou
l'on est en train d'analyser, une valeur de base, le but final de 1'action débriefer, à réaliser ou à écrire. Reconstitution ne signifie pas non plus tra-
du h é r o s («vivre libre»), ou si elle est une valeur d'usage, un pouvoir- vail a posteriori sur des campagnes déjà réalisées ou, au mieux sur des
projets de campagne finalisés soumis à quelque pré-test. Le sémioticien tra-
faire ( « ê t r e libre p o u r . . . » ) .
vaille sur des énoncés — sur nimporte quel type d'énoncé — et un concept
O n aura compris, à la lecture de ces lignes, que le sémioticien se ou une idée sont des énoncés dès qu'ils sont exprimes, formules, écríts.
donne une r e p r é s e n t a t i o n verticale du sens, ou plus exactement de la Comme le sont aussi des «images» du type voiture-plongeant-dans-la-mer
signifícation c'est-à-dire du sens tel q u ' i l peut ê t r e o r g a n i s é et articule. (Citroen BX), lapin-jouant-du-1ambour (Duracell), ou lapin-utilisé-en-pochette-
Cest d'ailleurs ainsi que le parcours g é n é r a t i f de la signifícation par de-veston (Crédit agricole de 1'lle-de-France), ce que la sémiotique appelle
des motifs.
Venons-en maintenant aux étapes par lequelles passe la production de
Rappelons que le carré sémiotique a été presente p. 27, dans le chapitre «Etes-vous
la signifícation d'un objet sémiotique, c'est-à-dire à la constitution progres-
3

arpenteur ou somnambule?»
124 Sous les signes, les stratégies
«J'aime, J'aime, J'aime... » 125

sive d'une signification. On distingue deux grandes étapes dans le parcours


tions ainsi établies. Cest vraiment 1'instance ab quo du parcours génératif;
génératif de la signification : les structures sémio-narratives et les structures
le carré sémiotique est une représentation de ce qui se passe à ce niveau. A
discursives.Tout d'abord, posons que, de m ê m e que tout produit implique
un niveau plus superficiel, les positions sont converties en valeurs recher-
une production, de m ê m e tout é n o n c é implique une énonciation. Entendons
c h é e s par les sujets et les parcours en programmes narratifs. Enfin, le
par là une instance logique de production du sens. U é n o n c i a t i o n sera alors
niveau profond des structures sémio-narratives, son niveau superficiel
définie comme la prise en charge par le sujet énonçant des virtualités que lui
comme les structures discursives, p o s s è d e n t deux « v e r s a n t s » , qui sont les
offre le langage ou le sytème de signification qu'il utilise; et le sujet é n o n -
deux composantes de toute grammaire : une composante syntaxique (ce qui
çant — 1'énonciateur — sera defini comme 1'instance de production logique-
releve d'une logique des parcours) et une composante sémantique (ce qui
ment p r é s u p p o s é e par 1'énoncé. Ce sujet pourra être individuei ou collectif
releve d'une logique des positions et des valeurs). On peut maintenant
(un créatif ou une agence, un journaliste ou une Rédaction), mais il ne sera
représenter le parcours génératif en reprenant nos exemples du badge et
jamais, par définition, ce je, ce nous ou ce on qui n'en sont que des repré-
de 1'interview, et en disposant dans une remontée vers la surface de ces
sentations dans le texte («je est un a u t r e » disait Rimbaud...). La distinction
signes les différents niveaux que nous avions distingues et hiérarchisés lors
entre les structures sémio-narratives et les structures discursives doit être
de 1'analyse de leur contenu.
comprise par rapport à 1'énonciation, à 1'image d'un amont (les structures
sémio-narratives) et d'un aval (les structures discursives). Les structures
sémio-narratives, c'est 1'ensemble des virtualités dont dispose le sujet é n o n -
ç a n t ; c'est le stock des valeurs et des programmes d'action dans lequel il
vers la manifestation
peut puiser pour raconter son histoire ou tenir son p r o p ô s . Les structures (la "surface des signes")
discursives, elles, correspondent à la sélection et à 1'agencement de ces vir-

í
tualités. Cest le choix de tel ou tel univers de référence — 1'installation de tel
ou tel décor, si l'on veut — mais aussi la gestion des temps et des espaces chaine brisée maladie feinte
et mouvement retrouvé et prise de parole
ou la distribution des rôlçs : c'est là que 1'énonciateur choisira de faire rem-
plir le m ê m e role par un ou plusieurs acteurs ou deux roles différents par (niveau figuratif)

t
le m ê m e acteur. Cest là encore qu'il pourra dépayser 1'interlocuteur ou, au un temps révolu ou le temps présent...
contraire, 1'impliquer et lui donner 1'impression qu'il s'agit bien de la « r é a - structures
discursives un peuple ou un individu...
lité». Si l'on veut prendre une comparaison, dangereuse comme toutes une évasion
les comparaisons, on dira que les structures sémio-narratives fournissent (distribution des temps, des espaces, des acteurs) * (niveau thématique)
1'intrigue, dans ce qu'elle a de plus abstrait et de plus essentiel pour la
signification de 1'histoire, et que les structures discursives correspondent à
la mise en scène et à la distribution. Si l'on reprend nos exemples du badge
niveau t
superficiel la liberte recherchée
et de 1'interview de 1'opposant politique, on dira que la recherche de la le donoulaconquêtede...
liberte par le sujet ainsi que la f a ç o n dont celui-ci devient libre (par lui- structures (le système de valeurs)
sémio-narratives (le programme narratif)
m ê m e ou g r â c e à un autre sujet) relèvent de 1'intrigue abstraite : de la com-
posante sémio-narrative, alors que la focalisation sur 1'action elle-même ou niveau parcours positions
sur le sujet, le fait que celui-ci soit un peuple ou un individu ou 1'inscription profond transformations relations
de 1'évasion dans le monde du xvir siècle ou dans le temps présent relèvent,
3
(carré sémiotique)
eux, de la mise en scène : de la composante discursive. composante composante
syntaxique sémantique
Pour pouvoir présenter le parcours génératif de f a ç o n complete, disons
encore qu'il convient de distinguer deux niveaux dans les structures s é m i o -
narratives. A un niveau fondamental, on a la mise en place des différences Pourquoi suggérer par une ligne si tourmentée l'aboutissement du par-
qui font naTtre la signification ainsi que des régies de parcours entre les posi- cours g é n é r a t i f ? Pour deux raisons, au moins. Tout d'abord, un discours
peut être abstrait ou figuratif, voire abstrait à certains moments et figuratif
<r]'aime, J'aime, J'aime... » 127
126 Sous les signes, les stratégies

t é c u r r e n t s : des t h è m e s aussi différents que la civilisation, le combat,


à d'autres. Mais comme un discours — fút-il le plus abstrait — ne peut pas
ne pas impliquer une énonciation, la ligne sinueuse figurant 1'aboutissement la confection, la nervosité ou le raffmement, et des valeurs telles que
du parcours génératif ne peut pas descendre jusqu'au niveau des seules le confort, le plaisir, la b e a u t é , la puissance, le p r i x ou 1'état sauvage.
structures sémio-narratives. Deuxième raison : le discours est élastique, Cest la définition narrative de ces t h è m e s (le Petit Robert est alors le
c'est-à-dire qu'il existe des régies d'expansion ou de condensation du dis- meilleur ami du sémioticien!) et 1'étude des récits dans lesquels ces
cours (nous en avons dójà parle à propôs du badge et de 1'interview). Pre- valeurs sont r e c h e r c h é e s qui permettent de dépasser la simple liste
nons un exemple. Dans une histoire, un même épisode peut être réduit à un des « c o n c e p t s » dont se contente trop souvent la traditionnelle analyse
simple et unique programme d'action, mais il peut aussi être traité en pou- de contenu. O n r e c o n n a í t alors la double fonctionnalité de 1'automo-
pée russe, ou en cascade si l'on veut, sur un certain nombre de niveaux de b i l e , « p r a t i q u e » et « m y t h i q u e » p o u r r e p r e n d r e les termes
dérivation : on peut scier sa chaíne avec une scie à métaux, on peut aussi
d ' A . J . Greimas dans son analyse des objets de valeur . Quand on 4

apprendre en prison le métier de menuisier pour se faire affecter à 1'atelier


exalte et qu'on illustre d'une façon ou d'une autre la maniabilité, la
de réparation pour se construire petit à petit une scie pour... Cest ce que
sobriété, l'habitabilité ou la fiabilité de la voiture, celle-ci est valori-
les sémioticiens appellent le phénomène de récursivité. Ainsi, le lecteur se
rend bien compte que plus on rejoint la surface des signes, plus la significa- sée comme un moyen de transport; elle est investie de valeurs
tion se complexifie et s'enrichit. Uanalyse d'une communication — ou d'un d'usage. Par contre, quand la voiture represente 1'identité m ê m e de
simple concept, encore une fois — correspond à une descente vers les son conducteur ou de sa conductrice , son statut social, sa virilité ou sa
5

couches profondes, vers les premières articulations du sens; aussi peut- féminité, ou quand elle est la figure de la vie ou de la b e a u t é , la voi-
elle apparaítre à certains, et à cette phase d'une étude, appauvrissante ou ture est alors investie d'une valeur de base. O n entend ici par valeur
réductrice. Mais lors de la «remontée» vers la manifestation, vers la diver- de base, une de ces valeurs qui correspondent au plan des p r é o c -
sité des messages et des signes, le parcours génératif montre — ou mieux, cupations fondamentales de 1'être et dont la q u ê t e sous-tend la
simule — 1'enrichissement de la signification. En sémiotique, le superficiel, vie et donne sens à la réalisation de multiples programmes d'action
c'est le riche. secondaires, plus superficiels, plus « p r a t i q u e s » . Mais un constat
s'impose à l'analyse de la communication sectorielle automobile, si du
moins l'on veut rendre compte de 1'ensemble des campagnes et de la
logique des scenarii, des accroches et des visuels : la double fonction-
Une axiologie de la consommation
nalité de la voiture est d o n n é e implicitement mais aussi souvent expli-
citement pour antinomique. Les valeurs d'usage et les valeurs de
La rapide analyse comparative du badge et du t é m o i g n a g e montrait base sont d o n n é e s pour c o n t r a í r e s . T o u t se passe comme s'il fallait
comment on pouvait reconnaitre un certain nombre de plans et de — a p r i o r i — choisir entre Vutilisation d'une voiture qui reponde à
niveaux de pertinence selon lesquels ces deux é n o n c é s étaient dif- vos besoins et la possession voire la puissance d'une voiture qui cor-
férents ou ressemblants. Sans parler de leur expression, visuelle ou respond à vos envies ou à vos désirs. « T r o p belle pour ê t r e s a g e » , 5

sonore, ou de leur manifestation, i m m é d i a t e ou m é d i a t e , le badge et le « L u x u s pas c h e r u m » , « V r o o m , vroom, pas g l o u - g l o u » ou encore


7 8

t é m o i g n a g e voyaient leurs contenus respectifs convoquer des univers


figuratifs três différents mais exploiter u n m ê m e t h è m e , 1'évasion, et
renvoyer finalement à une valeur abstraite, la liberte. De la m ê m e
1 A . J . Greimas, U n p r o b l è m e de s é m i o t i q u e narrative : les objets de valeur, i n Du Sens
façon, c'est-à-dire selon ces m ê m e s niveaux figuratif, t h é m a t i q u e et II, Paris, Seuil, 1983.
abstrait, on peut analyser comparativement et s y s t é m a t i q u e m e n t les 5 O n pense ici à la campagne Opel Corsa 1985 dans'laquelle une j e u n e femme affir-
mait : « M a Corsa, c'est tout m o i » .
films et les affiches de la communication automobile. O n y reconnai- 6 Campagne Renault 18 (afíiche) 1979.
tra, d e r r i è r e la richesse Figurative é v o q u é e au d é b u t de ce chapitre ' Affiche Renault 5 Campus 1982,
et qui illustre assez le g é n i e des créatifs, des t h è m e s et des valeurs 8 Affiche Renault 5 GTL 1983.
128 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » \9

«Sous la b e a u t é , la s é c u r i t é » , « 9 C V sur le pare-brise, 129 C V sous le


9

c a p o t » , « A é r o d y n a m i q u e et r a f f i n é e » " , « L a voie de 1'équilibre» ...


10 12

autant d ' é n o n c é s qui exploitent d'une façon ou d'une autre la mise en


c o n t r a r i é t é des valeurs d'usage et des valeurs de base dont la voiture
peut ê t r e investie. Ils 1'exploitent telle quelle — si l'on peut dire —
dans le cas de « T r o p belle pour ê t r e s a g e » ou en p r é t e n d a n t avoir
enfin r o m p u le paradigme ou concilie les c o n t r a í r e s comme dans les
autres accroches citées. Car la voiture represente moins une valeur
ou un type de valeurs qu'une relation entre ces valeurs d o n n é e s
pour c o n t r a í r e s . Nous disons bien d o n n é e s pour c o n t r a í r e s ou mise en
c o n t r a r i é t é parce que la chose n'est pas evidente. Si l'on prend la tra-
ditionnelle et p é d a g o g i q u e histoire du singe qui va chercher un b â t o n
pour pouvoir d é c r o c h e r la banane , la recherche du b â t o n est un
13

programme d'usage — le b â t o n figure, « matérialise » la valeur corres-


pondante — et la q u ê t e de la banane le programme de base. Dans ce
cas, le programme d'usage est un programme simplement p r é s u p p o s é
par la réalisation du programme de base. Et de fait, quand on analyse
à rebours une histoire ou une d e s t i n é e , on peut d é g a g e r son é c o n o -
mie g é n é r a l e , 1'implication des différentes actions entre elles, et don-
ner à chaque programme sa valeur, d'usage ou de base. Seulement
voilà : les gens, dans la vie quotidienne ou dans la vie tout court,
ne raisonnent pas en sémioticiens dotes d'un savoir sur le point final.
Ce ne sont pas davantage des robots sans état d ' â m e sur leurs pro-
grammes d'action complexes ou des sages qui peuvent tout classer en
choses nécessaires ou non nécessaires, naturelles ou non naturelles.
Pour leur malheur — ou leur bonheur, peu importe — les gens se
mettent tôt ou tard à se dire : et si mes moyens s'opposaient à mes
fins? Une grande partie de leurs états d ' â m e , de leurs pratiques et
de leurs consommations — au grand bonheur, cette fois, des gens du
marketing et de publicite — vient de cette transformation d'une impli-
cation entre valeurs d'usage et valeurs de base en une c o n t r a r i é t é ,
et de la recherche plus ou moins systématique d'une conciliation

9 Affiche Ford Taunus 7 cv 1984.


Affiche B M W 5201 1985.
Nouveíie Simca 1100TI.
Vos envies et vos besoins sont enfin daccord.
1 0

11 Affiche Audi 100 Ascot 1986.


1 2Affiche Renault 9 1983.
14 H J u Man»; Í9TI et 197A • I a Matra &«nc* Shell I
1 5Cf. 1'article Valeur dans Sémiotique, A. J . Greimas et J . Courtés, Dictionnaire raisonné
de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979 (t. 1), p. 415.
130 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » 131

mythique entre ces valeurs d é s o r m a i s vécues comme c o n t r a í r e s . O n — la valorisation ludique *, correspondant à la n é g a t i o n des valeurs
1

r ê v e de j o i n d r e «1'utile à 1'agréable» ou de pouvoir, m ê m e temps, « u t i l i t a i r e s » (la valorisation ludique et la valorisation pratique sont
« r e n d r e à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu»... Etre donc contradictoires entre elles; les valeurs ludiques sont le luxe,
aventurier et inscrit à la Sécurité sociale! Quelquefois, le p r o g r è s la g r a t u i t é , le raffinement, la « p e t i t e folie»...);
technologique aide bien à rationaliser : «la passion et la r a i s o n » sont — la valorisation critique , correspondant à la n é g a t i o n des valeurs
19

enfin conciliées g r â c e au turbo-diesel . Et ce discours m y t h i q u e ne


14 16
«existentielles» qu'on pourrait investir dans l'automobile (valo-
date pas d'hier. L'ouvrage classique de J. Lendrevie et B. Brochand risations critique et existentielle sont contradictoires, les rapports
Le Publicitor 16 reproduit une annonce pour la Simca 1 1 0 0 T I divisée en q u a l i t é / p r i x ou i n n o v a t i o n / c o ú t sont des valeurs critiques).
m o i t i é haute et moitié basse : dans la m o i t i é haute une photographie
met en valeur la splendide et lisse c r é a t i o n culturelle en 1'opposant à Des exemples de ces deux d e r n i è r e s valorisations? Sans parler déjà
un d é c o r naturel alors que, dans la m o i t i é basse, un dessin a sélec- de la fameuse s é q u e n c e du plongeon de la B X , on peut citer comme
t i o n n é tous les « p l u s » techniques qu'offre le modele. La photographie exemple de valorisation ludique 1'accroche d'une affiche pour la
a pour accroche «la voiture dont vous avez envie », le dessin «la voi- B M W 3201 « c o n d u i r e sans m o t i f a p p a r e n t » : une expression littérale
ture dont vous avez besoin ». En base-line, sous le nom du modele, on de la n é g a t i o n de la valorisation pratique. Comme exemples de valori-
peut lire : « V o s envies et vos besoins sont enfin d ' a c c o r d » . sation critique, on peut citer 1'allusion au slogan du L o t o : « C e s t pas
A p a r t i r du moment o ú l'on reconnait que cette mise en contra- cher et ça peut transporter g r o s » — 1'affiche Fiat Panda (1985) — ou
r i é t é des valeurs d'usage et des valeurs de base sous-tend les diverses encore cette accroche pour la Ford Escort Manhattan : « L'affaire du
r e p r é s e n t a t i o n s et exaltations de 1'automobile, on est a m e n é à en t i r e r
les c o n s é q u e n c e s : à en exploiter la pertinence, à en é p r o u v e r la ren- valorisation valorisation
tabilité. Le sémioticien le fera en « p r o j e t a n t » sur le c a r r é s é m i o t i q u e pratique utopique
la c a t é g o r i e ainsi reconnue. O n identifiera et definira alors quatre maniabilité vs vie
grands types de valorisation : confort valeurs "utilitaires" valeurs "existentielles" identité
fiabilité (valeurs cTusage) valeurs de base) aventure
— la valorisation pratique, correspondant aux valeurs d'usage conçues
comme les c o n t r a í r e s des valeurs de base (on peut aussi parler de
valeurs « u t i l i t a i r e s » : ce sont la maniabilité, le confort, la robus-
tesse...); coút/bénéfices valeurs "non-existentielles"
X t
valeurs "non-utilitaires" gratuité
qualité/prix raffinement
— la valorisation utopique '', correspondant aux valeurs de base
1
valorisation valorisation
conçues, encore une fois, comme les c o n t r a í r e s des valeurs d'usage critique ludique
(on p o u r r r a i t aussi parler de valeurs «existentielles» : ce sont
1'identité, la vie, 1'aventure . . . ) ;

1 8I I convient ici de souligner que le terme de ludique est certainement t r o p restrictif.


Nous 1'avons choisi en nous rappelant la conception du ludique q u i é t a i t celle de R. Cail-
1 4 Affiche Peugeot 505 Turbo Diesel 1981. lois. Pour ce dernier, le ludique est l'«activité libre par e x c e l l e n c e » . Insistons bien sur
1 5O n entendra ici mythique au sens p r é c i s d ' u n type de discours dont la logique narra- le fait que la valorisation ludique dont nous parlons est d'abord — et strictement —
tive vise à é t a b l i r la conciliation des deux termes c o n t r a í r e s d'une c a t é g o r i e . définie par le s y s t è m e de relations et d ' o p é r a t i o n s dans lequel elle s'inscrit. P e u t - ê t r e
1 6J. Lendrevie et B. Brochand, Le Publicitor, Paris, Dalloz, 1983, p. 114. est-ce le terme de g r a t u i t é q u i est le plus a p p r o p r i é p o u r assurer la d é n o m i n a t i o n de ce
17 Utopique n'est pas ici à prendre au sens d'illusoire, mais au sens de visée finale. O n type de valorisation. Mais 1'adjectif gratuit l u i - m ê m e ne saurait convenir.
appelle espace utopique, en s é m i o t i q u e narrative, 1'espace o ú le h é r o s se réalise, le lieu '* L à encore, la d é n o m i n a t i o n doit ê t r e comprise, et a c c e p t é e , comme relativement
o ú s'effectue sa performance. arbitraire. P r é c i s o n s que ce type de valorisation correspond à une logique de 1'examen,
132 Sous les signes, les stratégies «J'aime, ]'aime, J'aime... » 133

siècle» (1987). Disposons maintenant ces quatre grands types de valo-


risation sur le carré sémiotique, qui a cet avantage de f o u r n i r une
topographie des positions et surtout de leurs relations.
On a illustré par ces quelques affiches les quatre types de valorisa-
tion de 1'automobile. D'autres illustrations pourraient être tirées de la
communication f i l m . Ce qui importe au sémioticien une fois le carré
construit, c'est de «nourrir» chacune des positions en remontant vers
la «surf ace» des diverses manifestations publicitaires du secteur, de
reconnaítre quels concepts, quels symboles, quels motifs et même
quel bestiaire peuvent être corrélés à ces positions, et de s'assurer qu'il
existe bien alors des régies de transformation qui font de cette com-
munication u n système. O u t r e 1'organisation progressive de la com-
munication sectorielle et la reconnaissance que tel détail apparem-
ment gratuit ne 1'était pas du tout, 1'analyse montre à quel point une
même accroche, un même visuel, une même campagne peut manifes-
ter des valorisations qui ne relèvent pas d'un seul et même type. Se
pose alors le problème de la cohérence des discours : cohérence de
la campagne, de la communication, de son évolution dans le temps.
Se pose aussi celui de 1'adéquation entre le statut donné à la voiture
(«Macadam Star» pour la Renault 9) et les concepts sur lesquels
reposent la déclinaison de la campagne (précision, confort...en 1'occur-
rence). D ' u n point de vue encore plus general, on peut ainsi aborder
des problèmes de syncrétisme dans une affiche, une annonce ou un
f i l m , en analysant les rapports, les relations entre les différentes
manifestations verbales et non verbales de 1'énoncé, ou des problèmes
de marketing-mix, la «réalité-produit», le p r i x , 1'étiquette, la mise en
rayon et la communication publicitaire pouvant valoriser différem-
ment un même produit. De plus, si ce modele topographique et rela-
tionnel permet de travailler en synchronie (en analysant la communi-
cation sectorielle de la même année), il sert aussi à travailler en
diachronie une communication sectorielle ou une communication de
marque. O n va le voir avec Citroen.

de la distanciation el d u calcul, économique ou technique. Simplicité, travail bien fait,


solution elegante ou astucieuse ... autant de valeurs q u i , Finalement, sont celles de
1'industrieux. Celles que représentait Ulysse, «aux mille ruses»? Valorisation pratique
Valorisation ludique
«J'aime, J'aime, J'aime... » 137

Vapport de la publicite a 1'image Citroen (1982-1985)

La bonne s a n t é d'un c a r r é s ' é p r o u v e au parcours qu'on peut en faire;


il est en effet à la base d'un système de relations et de positions —
d'une s é m a n t i q u e — mais aussi d'une syntaxe puisqu'il propose deux
types d ' o p é r a t i o n s et, g r â c e à elles, un parcours possible « e n ailes de
p a p i l l o n » . I I nous semble que le film de lancement de la BX montre
bien les qualités syntaxiques du c a r r é et que, par un juste retour des
choses, le parcours ainsi reconnu fait mieux comprendre la simplicité
et la force de son s c é n a r i o ; venons-en donc à ce film et à la façon
dont i l valorise ce qui était alors le nouveau modele tant attendu
de Citroen.

Minuit, Paris ... une voiture débouche d'une bretelle d'autoroute


sombre et mouillée. L'heure, la ville, les points de suspension en sur-
impression, comme les redoublements de batterie, suggèrent 1'atmo-
sphère d'un polar. Le premier plan du film construit ainsi une
voiture rapide, súre : la voiture idéale pour un gang. La BX est-elle
1'héritière de la Traction Avant? Lejour se leve; la voiture, rouge,
file dans la campagne. A son bord, une passagère, une jeune femme
bourgeoise, souriante, enleve son chapeau. Julien Clerc, en voix off,
chante : «j'aime, j'aime, j'aime ...» Gros plans d'un phare avant et
d'un phare arrière. Nouveau plan sur la jeune femme confortable-
ment installée et plans généraux sur la voiture qui poursuit sa course
jusqu'à la mer. Aucune séquence de ravitaillement, aucun plan sur
le conducteur. Au dixième plan, dix-sept secondes après le début du
film, la voiture roule sur la plage. Une nouvelle surimpression appa-
rait sur l'image : «... 8 heures, la mer», une surimpression symé-
trique de la première. Les points de suspension devancent cette fois
1'indication de 1'heure et du lieu.

temps, lieu temps, lieu

points de suspension points de suspension


Ou alors, achetez MINUIT, PARIS ... ... 8 HEURES, LA MER

une>felkswagen.® Le chiasme ainsi constitué assure la c l ô t u r e d'un récit o ú la voiture


est le moyen sur, rapide et confortable de s'évader de la vie quoti-
Valorisation critique dienne et citadine : « A v e c elle, o n peut partir, quitter Paris sous la
138 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » 139

pluie et foncer vers le s o l e i l » . Avec elle, on passe de la nuit au j o u r ,


20
Cest en effet à la fin du film que la voiture peut ê t r e définie selon
de la terre à la mer. Le film pourrait s ' a r r ê t e r là, sur la plage. Mais Vetre, qu'elle est investie de cette valeur de base qu'est la vie. Pas
cette fois-ci, le film continue : la voiture plonge dans la mer, b i e n t ô t avant. Le scénario, d'autre part, est simple si l'on reconnait que les
suivie par ses occupants. Piquer une t ê t e dans la grande bleue, c'est plans et séquences du film r e p r é s e n t e n t la seule suite logique de deux
normalement ce que vous pouvez faire a p r è s que votre voiture s ú r e , o p é r a t i o n s : la n é g a t i o n , soudaine, d'une position progressivement ins-
rapide et confortable vous a a m e n é en huit heures à la mer. I c i , c'est tallée et t é n u e , et Fassertion consécutive de la position contraire. Pen-
la voiture elle-même qui plonge, sans qu'on puisse attribuer cette d a m dix-sept secondes, le film a construit une voiture utilitaire (súre,
« p e t i t e folie», cet acte gratuit, au conducteur, qu'on a jamais vu. Ce rapide et confortable) pour soudain la nier en tant que telle, et 1'exal-
plongeon, inattendu et sans raison, represente la n é g a t i o n des valeurs ter comme existentielle. Voici comment le c a r r é s é m i o t i q u e des types
utilitaires investies dans la BX durant les dix-sept p r e m i è r e s secondes de valorisation, elabore pour rendre compte du discours publicitaire
du film. La BX n'est plus ce pur instrument, ce véhicule efficace; elle automobile, peut formaliser et visualiser cet effet de linéarité et de
peut d é s o r m a i s devenir sujet, un sujet accompli dans la mesure o ú i l simplicité, syntaxique donc, du scénario de la BX.
a réalisé son programme de base : « C i t r o e n BX. Elle vit». La der-
n i è r e surimpression fait de la voiture une personne, et une personne
vivante. Q u i la désire n'est plus en q u ê t e dVavoir mais en q u ê t e d'être fc;*Minuil,í <tríw
x \

pour reprendre 1'opposition s é g u é l i e n n e . La BX devient une star —


toujours selon Séguéla — dans la mesure o ú elle incarne une valeur * 1
de base . 21
MINUIT, PARIS 8 H E U R E S , LA M E R valorisation valorisation "CITROEN B X . E L L E VIT."
rapide, súre, confortable pratique vs utopique
utopiqu
Cela dit, la façon dont on vient de rendre compte du film, en alter-
n a m description et analyse ne saurait reproduire cet effet de simplicité
et de linéarité si frappant quand on le voit et revoit. Celui qui s'inté-
resse à la g e n è s e des choses, au « processus de c r é a t i o n publicitaire » , 22
valorisation valorisation
attribuera cet effet réussi au privilège que J. Séguéla donne toujours à critique ludique la "folie" du plongeon
la qualité du scénario. O n sait que ce dernier a 1'habitude de rappeler
ces mots de Sam Goldwin : « P o u r faire un bon film, i l faut d'abord
un bon scénario, ensuite un bon scénario, enfin un bon s c é n a r i o » . Le
sémioticien, l u i , retrouvera la m ê m e idée en montrant — du moins
l'espère-t-il — en quoi le scénario est à 1'origine de la production du
sens, et en quoi i l est simple. Le scénario est à 1'origine de la valori-
O n ajoutera que cette simplicité syntaxique et narrative, assurée
sation, utopique, de la BX : si la voiture est vivante, c'est bien le fait
dès ces couches profondes de la signification — pour qui se r é f è r e au
du récit de cette évasion de Paris puis de cette «folie» du plongeon.
parcours g é n é r a t i f de la signification — est d'autant plus i m m é d i a t e -
ment perceptible pour le spectateur qu'elle est prise en charge
j u s q u ' à la manifestation filmique par des p r o c é d u r e s discursives a d é -
2 0 Nous citons ici les p r o p ô s m ê m e s de Richard Raynal, directeur de la C r é a t i o n à R S C C ,
qui a c o n ç u cette campagne de lancement de la B X , et notamment, le s c é n a r i o du f i l m quates. Les points de vue impliques par les mouvements l a t é r a u x de la
(Médias, n " 6 1 , septembre 1983). c a m é r a , la frontalité soudaine du plongeon et 1'arrêt sur image pour
2 1 C e s t d'ailleurs la t h è s e que d é f e n d J. S é g u é l a dans son dernier ouvrage Demain, il le dernier p l a n - s é q u e n c e assurent les c o n t i n u i t é s et discontinuités cor-
sera trop star, Paris 1989.
2 2 Nous faisons allusion ici à 1'ouvrage d ' H . Joannis, Le processus de la création publici- respondam à chacune de ces positions parcourues. O n pourrait enfin
taire, Paris, D u n o d , 1972. indiquer le travail du syncrétisme des bande-son et bande-image. La
140 Sous les signes, les stratégies «]'aime, J'aime, J'aime... » 141

film, le logo de Citroen devient le symbole de la liberte et de la


chanson de J. Clerc precede en quelque sorte le scénario du film :
puissance sauvage; comme dans un rêve, des chevaux s ' é c h a p p e n t
« J ' a i m e , j ' a i m e , j ' a i m e ... j ' a i m e les routes bleues, les routes C i t r o e n ! »
des espaces souterrains de la ville et, lances au galop, se rassemblent
Une logique de valorisation utopique est ainsi manifestée, avant m ê m e
dans le d é s e r t pour former les deux chevrons. Ces chevrons ne sont
qu'elle ne porte sur la voiture. Une voix chaude et puissante chante
plus dès lors un m o t i f h é r a l d i q u e , abstrait, q u o n aurait pu croire sans
1'amour, 1'amour des routes qui ne sont pas de simples vecteurs mais
signification. I I est redevenu c h a r g é de sens, comme i l 1'était à 1'ori-
qui ont une couleur et un n o m . 23
gine : A n d r é Citroen avait produit pour l'industrie des engrenages à
Ce parcours d'une valorisation pratique à une valorisation utopique chevrons, une révolution à l ' é p o q u e . Figure e m b l é m a t i q u e de la tech-
de la voiture, c'est globalement le parcours que la publicite Citroen a nologie, les chevrons parlaient alors de technologie et de confort (des
fait depuis 1982, à 1'instigation de R S C G et notamment sous la direc- valeurs non existentielles et utilitaires). Cette fois, avec le film réalisé
tion de R. Raynal. Cest bien ce qui frappe quand on reprend
1'ensemble de cette publicite et qu'on dispose les différentes cam-
1981:en avant le confort
pagnes — tous modeles confondus — sur les positions définies par le
c a r r é des logiques de valorisation. T o u t se passe comme si le scénario

"ff
du film de lancement de la B X était, en r é s u m é , celui de l'évolution de
la communication de la marque, jusqu'aux Chevrons Sauvages. Avant
1980, avec la publicite de la G S A , on en est encore à la valorisation
de type pratique, voire critique : la G S A «refait la r o u t e » . Son animal rm**ntcimènl\
1981: en avant raenxtynamisme
symbolique est domestique : c'est le dromadaire dont la bosse est celle
des é c o n o m i e s . Mais 1'essentiel des accroches et des scenarii pour la
V I S A et la C X tourne aussi autour des valeurs utilitaires et non existen-
tielles; les voitures sont accueillantes, «basses calories», performantes, 1985: les chevrons
sobres, confortables et, naturellement, la concurrence est secouée, sauvages
Fdfivnntcytmfínl
distancée, d o u b l é e . A partir de 1982, la communication bascule. Les
campagnes sont axées sur une valorisation ludique et utopique. La L E S C H E V R O N S S A U V A G E S 1985
"EN AVANT L E C O N F O R T '
V I S A s'illustrera dans des paris fous; ses e m b l è m e s seront ceux du UN AVANT L'AERODYNAMISME
plaisir et de la b e a u t é (la pomme et la rose). La C X , elle, prendra les valorisation valorisation

i Xt
pratique vs utopique
traits d'un requin, avant de devenir quelques a n n é e s plus tard un ê t r e
mythique, mi-femme m i - d é m o n . Par ailleurs, dans la campagne dite 1981
institutionnelle de 1981 illustrée par Savignac, les chevrons servent
à exprimer la r a p i d i t é , le confort, la sécurité ... Bientôt ils symbolise- valorisation valorisation
CA V A DÉCOIFFER 1984
ront la g r a t u i t é du sport olympique puis le plaisir de la vitesse et le E N AVANT L ' E C O N O M I E critique ludique

refus de la sagesse : « Ç a va d é c o i f f e r ! » . Enfin viendront les fameux


24

Chevrons Sauvages, un film-culte comme on dit aujourd'hui. Avec ce 84 cava décoiffer!

2 3Les « r o u t e s b l e u e s » font en effet allusion aux panneaux de signalisation routière


Citroen qui étaient disposés le long des routes de France au début du siècle. Ces pan-
neaux, par leur graphisme jaune sur fond bleu, renvoyaient à Pidentité visuelle
Citroen de 1'époque. En avant Citroen!
2 4Campagne « i n s t i t u t i o n n e l l e » 1984.
142 Sous les signes, les stratégies
<rJ'aime, J'aime, J'aime... » 143

par R. Raynal lui-même, les chevrons racontent la c o n q u ê t e de la X X siècle, on vit a v e c » , ou encore « d a n s les fílms, on peut vraiment
e

liberte défínie comme une valeur de base ; ils r e l è v e n t d'une valori-


25
faire passer des messages d'action et de r a p i d i t é » . T r o i s i è m e enseigne-
sation utopique et signifíeront désormais des valeurs existentielles. O n ment : interviews et groupes aboutissent à un consensus sur la commu-
peut reprendre maintenant le c a r r é des quatre grands types de valori- nication Citroen. Cest une communication qui frappe, qui séduit et
sation en illustrant, par quelques campagnes três r e p r é s e n t a t i v e s , ce qui se demarque nettement de la concurrence; il y a un style Citroen,
parcours de la communication publicitaire de Citroen condense, si une signature. Elie suscite de 1'intérêt mais aussi et surtout du r ê v e ,
Pon peut dire, dans le scénario du fílm de lancement de la B X . de la sympathie et de 1'émotion... prolongeant ainsi la communication
A partir du moment o ú l'on reconnait que la communication Citroen telle qu'elle était c o n ç u e par A n d r é Citroen lui-même. Enfin,
Citroen a évolué selon ce parcours logique, 1'apport de cette commu- «les pubs Citroen, c'est un coup de fouet à la m a r q u e » , « C i t r o e n est
nication à 1'image de la marque sera saisie et définie en disposant sur en train de changer son image, ils sont en train de se d é c r o t t e r , de se
le c a r r é les images ancienne et actuelle de celle-ci d'une part et d'autre d é p o u s s i é r e r ; ils ont pris un v i r a g e » . Car 1'image désormais ancienne
part ce que l'on peut appeler le capital d'image de la marque, dont les de Citroen était celle d'une marque aux incontestables innovations
images ancienne et actuelle ne sont jamais que des exploitations plus technologiques mais par trop liée à 1'âge des conducteurs de certains
ou moins partielles. En 1985, IPSOS-opinion a m e n é une investigation, de ses modeles : la fameuse « p é p é r i s a t i o n » dont parlait J. Séguéla. Du
de nature qualitative, sur l'image de Citroen. Des concessionnaires sérieux, du rapide, du confortable... pas d'existentiel, rien de ludique
Citroen et Renault et des fournisseurs Citroen furent i n t e r v i e w é s ; des ou d'utopique. Et pourtant le capital de Citroen n'est pas r é d u c t i b l e
jeunes conducteurs et des citroênistes, d'hier et d'aujourd'hui, clients à cette ancienne image; le travail de la publicite séguélienne ne s'est
fidèles ou r é c e m m e n t acquis, furent reunis en groupe. Tous par- pas fait ex nihilo.
lèrent de la publicite automobile en general, de celle de Citroen et Le capital de Citroen, c'est son mythe — si l'on admet qu'un mythe
de Renault en particulier et des images respectives des deux marques. est u n récit qui se construit de telle sorte qu'une conciliation des
Les conducteurs p a r l è r e n t aussi de la voiture, des voitures et de la contraires tels que nature et culture, vie et m o r t ou identité et altérité
conduite : i l s'agissait de savoir si leurs logiques de valorisation de est d o n n é e comme possible. Citroen, pour les professionnels comme
1'automobile recoupaient bien celles qui sous-tendent la communica- pour les conducteurs, ce sont des voitures : la T r a c t i o n Avant, la
tion publicitaire, auquel cas — et ce fut le cas — le c a r r é sémiotique 2 C V , la DS. Cest aussi un homme : A n d r é Citroen. Ce sont enfin les
construit plus haut pouvait l é g i t i m e m e n t servir de topographie com- fameuses Croisières, Noire et Jaune. O r , à 1'analyse des p r o p ô s tenus
mune au discours des marques et au discours des cibles. Premier sur ces voitures, sur cet homme et sur ces croisières, on retrouve
enseignement : de 1'avis des professionnels comme du grand public, la toujours cette conciliation enfin réalisée des valeurs utilitaires et des
publicite automobile a évolué nettement d'une publicite produit vers valeurs existentielles : de la technologie et de la m a r g i n a l i t é avec la
une publicite de marque, et le role de Citroen dans cette évolution T r a c t i o n Avant, de la robustesse et de la jeunesse avec la 2 C V , d u
est unanimement reconnu. D e u x i è m e enseignement : le film T V est le confort et de 1'Histoire française avec la DS (de Gaulle, le Petit-Cla-
m é d i a le plus p r é g n a n t en communication automobile. P e u t - ê t r e cette mart...), du t o r t u r e test et de 1'épopée avec les Croisières et, enfin,
force du fílm T V est d'autant plus admise que trop d'affiches dans le de 1'ingénieur et de 1'aventurier (industriei) avec A n d r é Citroen l u i -
secteur automobile ne sont pas traitées comme telles mais comme de m ê m e . Désormais, i l est possible d'identifier ce que la publicite a
pseudo-vitrines. Toujours est-il que conducteurs, et concessionnaires a p p o r t é en une demi-douzaine d ' a n n é e s (1982-1985) à 1'image de
plus encore, estiment que le m é d i a T V est en parfaite a d é q u a t i o n avec marque : elle a rétabli les conditions d'une p é r é n n i t é du mythe
l'automobile : «la voiture et la télé sont les deux grands objets de Citroen en exaltant les valeurs non-utilitaires et existentielles qui
étaient en passe de disparaitre de son capital. L'image de Citroen
2 5 Campagne «institutionnelle» 1985. n'aurait b i e n t ô t r e p o s é que sur les seules valeurs non-existentielles
144 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » 145

et u t i l i t a i r e s : u n e i m a g e o ú les p o i n t s f o r t s , t e c h n o l o g i q u e s , d e la
m a r q u e a u r a i e n t été certes r e c o n n u s mais aussi a t t e n d u s , e t o ú l a Designs et axiologie de la vie quotidienne
c o n d u i t e p é p è r e d e c e r t a i n s possesseurs d e G S A e t s u r t o u t d e D S a u r a i t
e m p ê c h é t o u t e e x a l t a t i o n ultérieure des v a l e u r s n o n - e x i s t e n t i e l l e s . 26
L ' o r g a n i s a t i o n des q u a t r e types d e v a l o r i s a t i o n à p a r t i r d e l a m i s e e n
V o i c i d o n c c o m m e n t l e carré des l o g i q u e s d e v a l o r i s a t i o n p e u t a i d e r à contrariété des v a l e u r s d ' u s a g e e t des v a l e u r s d e base a p e r m i s d e d e f i -
i d e n t i f i e r e t visualiser c e t a p p o r t d e la p u b l i c i t e à 1'image C i t r o e n : n i r 1'apport d e la p u b l i c i t e à 1'image d e C i t r o e n . M a i s c e t t e o r g a n i s a -
t i o n o f f r e u n c a r a c t e r e d e p l u s g r a n d e généralité p u i s q u e ces v a l o r i -
(~ L E CAPITAL MYTHIQUE
sations s o n t indépendantes des c o n t e n u s investis e t des u n i v e r s
DE CITROEN
figuratifs q u i e n s o n t l a m a n i f e s t a t i o n concrète. D e f a i t , o n la r e t r o u v e
L e bane cTessai CROISffiRES J A U N E & N O I R E Laventure dans b i e n d ' a u t r e s s e c t e u r s ; r a p p e l o n s - n o u s , p a r e x e m p l e , c e t t e dis-
révolution technologique TRACTION aventure de la marginalité p u t e e n t r e j o g g e r s e t g o u r m e t s à propôs d ' u n e h u i l e q u i finissait p a r
(gang, résistance) les réconcilier : « E l i e est b o n n e , e t e n p l u s elle est b o n n e » . M a i s elle 2 7

aérodynamisme DS l a France et de Gaulle est aussi p r e s e n t e a i l l e u r s q u e dans la p u b l i c i t e . R. B a r t h e s o p p o s a i t


et suspension
écrivant e t écrivain. L ' u n écrit p o u r témoigner, a n n o n c e r o u dénon-
robustesse 2CV .jeunesse, aventure
c e r ; l ' a u t r e conçoit 1'écriture c o m m e s o n m o d e d ' e x i s t e n c e m ê m e .
1'ingénieur ANDRE CITROEN 1'aventurier
P o u r 1'écrivant, l'écriture est u n e v a l e u r d ' u s a g e ; p o u r 1'écrivain u n e
v a l e u r d e base. L'écriture n'est pas le seul p r o g r a m m e d ' a c t i o n sus-
c e p t i b l e d'être i n v e s t i d e v a l e u r s d ' u s a g e o u d e v a l e u r s d e base ténues
p o u r contraíres. D a n s l e m ê m e u n i v e r s d e la c u l t u r e e t d e la c o m m u -
de par les innovations n i c a t i o n , la l e c t u r e p e u t être traitée d e cette façon. L e p h i l o s o p h e
technologiques et les E. L e v i n a s i n t r o d u i t s o n l i v r e Ethique et Infini p a r les réflexions s u i -
bénéfices du conducteur VALEURS VALEURS
vantes : « L e r o l e des littératures n a t i o n a l e s p e u t être i c i três i m p o r -

X
UTILITAIRES EXISTENTIELLES
t a m . N o n pas q u ' o n y a p p r e n n e des m o t s , mais o n y v i t u n e v r a i e v i e

i
q u i est absente... J e pense q u e , dans l a g r a n d e p e u r d u l i v r e s q u e ,
L1MAGE UAPPORTDE
CITROEN o n sous-estime la référence o n t o l o g i q u e d e 1 ' h u m a i n a u l i v r e q u e
LA PUBLICITE
avant1982 1982-1985 l ' o n p r e n d p o u r u n e source d ' i n f o r m a t i o n s , o u p o u r u n ustensile d e
VALEURS VALEURS 1 ' a p p r e n d r e , p o u r u n m a n u e l , a l o r s q u ' i l est u n e modalité d e n o t r e
être» . 2 8
NON EXISTENTIELLES NON UTILITAIRES
de par 1'image de ses
L a r e c o n n a i s s a n c e d e l a généralité d e ce système d e v a l e u r s , d e ce
conducteurs "pépères"
q u i paraít b i e n être u n e a x i o l o g i e d e l a v i e q u o t i d i e n n e e t n o n d e la
seule c o n s o m m a t i o n , suggère a l o r s u n e r e l e c t u r e d u f a m e u x Système
2 6 L a « p é p é r i s a t i o n » , c o n t r e l a q u e l l e c h e r c h e à l u t t e r la p u b l i c i t e séguélienne, n'est- des objets d e J . B a u d r i l l a r d . D a n s ce l i v r e , J . B a u d r i l l a r d p o s a i t « l a
e l l e p a s e n fin d e c o m p t e c c p r o c e s s u s d e « p r o m o t i o n p e t i t e - b o u r g e o i s e » d e l ' a u t o m o - q u e s t i o n d e savoir c o m m e n t les objets s o n t vécus, à quels besoins
b i l e p a r le p u b l i c d e s années c i n q u a n t e d é n o n c é e p a r la j e u n e génération s u i v a n t e ? D a n s
ses Mythologies ( 1 9 5 7 ) , p . 1!>2, R. B a r t h e s n o t a i t à p r o p ô s d e l a « D é e s s e » q u e l e p u b l i c
a u t r e s q u e f o n c t i o n n e l s ils répondent, quelles s t r u c t u r e s m e n t a l e s
« s ' e f f o r c e três v i t e d e r é i n t é g r e r u n e c o n d u i t e d ' a d a p t a t i o n e t d ' u s t e n s i l i t é » . L ' e x p o - s'enchevêtrent avec les s t r u c t u r e s f o n c t i o n n e l l e s e t y c o n t r e d i s e n t , s u r
s i t i o n a u t o m o b i l e est « l a g r a n d e p h a s e t a c t i l e d e l a d é c o u v e r t e , l e m o m e n t o ú l e m e r -
v e i l l e u x v i s u e l v a s u b i r 1'assaut r a i s o n n a n t d u t o u c h e r ... P a r t i e d u c i e i d e M é t r o p o l i s , l a
Déesse est e n u n q u a r t d ' h e u r e m é d i a t i s é e , a c c o m p l i s s a n t d a n s c e t e x o r c i s m e l e m o u v e -
2 7 C a m p a g n e F i l m TV L e s i e u r 1 9 8 6
m e n t m ê m e d e la p r o m o t i o n p e t i t e - b o u r g e o i s e » .
2 8 F.. L e v i n a s , Ethique et Infini, Paris, L i v r e d e Poche, 1 9 8 4 .
146 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » 147

quel système culturel, infra - ou transculturel, est fondée leur quoti- pratique, 1'autre qui est d'être possédé. La première releve du champ
dienneté vécue» . Après avoir organisé 1'ensemble des oppositions
29
de la totalisation pratique du monde par le sujet, 1'autre d'une entre-
et des signifícations latentes de 1'intérieur domestique sur «la grande prise de totalisation abstraite du sujet par lui-même en dehors du
opposition rangement/ambiance», le sociologue s'attaque à cet «élé- monde. Ces deux fonctions sont en raison inverse l'une de 1'autre.
ment extérieur qui constitue à lui seul une dimension du système des A la limite, l'objet strictement pratique prend un statut social : c'est
objets quotidiens», 1'automobile : «objet par excellence en ce qu'il la machine. A 1'inverse, l'objet pur, dénué de fonction ou abstrait de
resume tous les aspects de 1'analyse : 1'abstraction de toute fin pratique son usage, prend un aspect subjectif : il devient objet de collection » . 32

dans la vitesse, le prestige — la connotation formelle — la connotation Plus loin dans 1'ouvrage, à propôs de 1'opposition entre machine et
technique — la différenciation forcée — 1'investissement passionné — machin, J. Baudrillard donnera de la négation d'une valorisation pra-
la projection phantasmatique» . 31
tique une interprétation psychanalytique : «N'importe quel objet d'ail-
leurs est un peu machin : dans la mesure oú son instrumentalité pra-
Puis, dans la deuxième partie de son livre, J. Baudrillard aborde
tique s'efface, il peut être investi d'une instrumentalité libidinale» . 33
le système non-fonctionnel dont relèvent toute une catégorie d'objets
Là, les chemins du sémioticien et du psycho-sociologue se séparent ou,
qui semblent échapper au système qu'il vient d'analyser : «ils sembient
plutôt, le sémioticien laisse le psycho-sociologue aller jusqu'à 1'inter-
contredire aux exigences de calcul fonctionnel pour répondre à un
prétation, se refusant par discipline — aux deux sens du mot —
vceu d'un autre ordre : témoignage, souvenir, nostalgie, évasion».
d'opter pour telle ou telle ontologie. La définition narrative (en
L'objet fonctionnel est alors opposé à 1'objet mythologique : l'un est
valeurs d'usage et valeurs de base) de l'opposition pratique/mythique
«efficace», 1'autre est «accompli». Bien plus, si l'on se rappelle qu'un
d'A. J. Greimas permet la reconnaissance des relations et des opéra-
système signifíant est d'abord un système de relations et que cette
tions qui definissem quatre types fondamentaux de valorisation des
axiologie de la vie quotidienne que nous avons définie plus haut
objets de la vie quotidienne. L'axiologie ainsi constituée rend compte,
repose sur une mise en contrariété, la réflexion de J. Baudril-
selon nous, des mêmes pratiques signifiantes analysées par le socio-
lard devient pour nous d'autant plus pertinente et suggestive qu'elle
logue ; elle en retrouve de plus 1'économie pour la formaliser davan-
s'attache à definir la relation qui existe entre ces deux types d'objets,
tage, notamment dans son dynamisme, sa syntaxe. Enfin — et peut-
une relation qui correspond en fait à une contrariété, au sens oú
être surtout — elle s'origine et s'autorise de la seule analyse concrète
nous 1'avons définie lors de la présentation du carré sémiotique :
d'énoncés, que ce soient des campagnes publicitaires ou des propôs
«Sur le plan vécu, ces postulations contradictoires (du fonctionnel et
de consommateurs.
du mythologique) coexistent à Fintérieur du même système comme
complémentaires... une complémentarité illustrée à la limite par la Comment peut-on exploiter cette définition narrative de 1'opposi-
double propriété, maintenant courante : appartement de ville-maison tion? Quelle peut être la rentabilité d'une telle formalisation? Tout
de campagne. Ce duel d'objets est au fond un duel de conscience» . 31 d'abord, il est possible d'élaborer à partir de cette topographie des
valorisations une typologie des sujets valorisants correspondants, une
Bientôt, le sociologue en arrive logiquement à 1'idée que tout objet typologie de clientes et de clients par exemple. Nous avons presente
peut réaliser, incarner si l'on peut dire, les deux types contraíres de ailleurs une telle typologie, fondée sur la même axiologie : celle des
34

la valorisation, mais confondant virtualité et actualisation, il se risque


Md., p. 121.
à affirmer : «Tout objet a ainsi deux fonctions : l'une qui est d ê t r e 3 2

» Md., p. 165.
M J . - M . Floch, T h e contribution of structural semiotics to the design of a hypermar-
ket, in International Journal of Research in Marketing, Amsterdam, North-Holland, vol. 4,
2 9 J . Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 9 (éd. T e l ) . n° 4, C h . Pinson (ed.), 1988, é d . française : L a contribution d'une sémiotique structu-
3 0 Md., p. 92. P
rale à la conception d'un hyperniarché, in Recherche et Applications en Marketing, vol. I V ,
31 Md., p. 114-1 15. n" 2 / 1 9 8 9 , Paris, P U F , 1989.
148 Sous les signes, les stratégies *J'aime, J'aime, J'aime... » 149

visiteurs, des chalands d'un h y p e r m a r c h é dont on avait analysé les Trouver le produil. vile. en qualité suffí-
"J'aime me trouver dans quelque chose à
sante. touiours au même ravon."
récits de visite, les critiques à 1'encontre des h y p e r m a r c h é s actueis Pourquoi croyez-vous qu'on aille dans un taille humaine, et non pas dans quelque
hyper, sinon pour réduire lefacteur temps ? chose d'immense, de démesuré."
et les attentes vis-à-vis d'un h y p e r m a r c h é « d e nouvelle g é n é r a t i o n » .
Pourquoi ne pas faire un hyper oà on irait "Dans les hypers d'aujourd'hui, il n'y a pas
L'analyse de 1'ensemble de ces é n o n c é s montrait que 1'hypermarché encore plus vite. (On ferait) des parkings à de convivialité. Ce terme me plait beau-
peut ê t r e c o n ç u comme un moyen de s'approvisionner rapidement, étages pour rendre plus compact 1'espace, coup. Ilfaut avoir envie d'y aller. Ce nest
pour être encore plus prés des produits. pas mon cos aujourd'hui;j'y vais par neces-
efficacement et é c o n o m i q u e m e n t ou q u ' i l peut, au contraire, r e p r é - Avec des systèmes de descentes et de mon- site. Dans mon hvper convivial. ilvauraiten
senter 1'espace d'une nouvelle façon de vivre, le dernier avatar du tées pour les caddies; ce serait três effi- plein milieu un endroit oú s'asseoir. discu-
cace." ter. manger des crepes."
marche ou de la foire, espaces quelque peu mythiques de la convi-
vialité. En d'autres termes, 1'hypermarché, r é e l l e m e n t ou potentielle-
ment, est investi de valeurs pratiques ou, au contraire, de valeurs
utopiques : convivialité, m o d e r n i t é ou equilibre enfin possible entre Le "corvéable" Le "convivia!"
la nature et la culture. PRATIQUE UTOPIQUE

Le fait que la c a t é g o r i e pratique/utopique assure 1'organisation


minimale du fonds commun des valeurs r e c h e r c h é e s dans la visite
d'un h y p e r m a r c h é s u g g è r e la possibilite d'une typologie des chalands
t X t
CRITIQUE LUDIQUE
selon 1'accent qu'ils mettent sur tel ou tel type de valeurs investies Le "consumériste" Le "chineur"
dans 1'hypermarché. Certains, pour s'en réjouir ou pour le d é p l o r e r ,
définissent 1'hypermarché comme exclusivement u t i l i t a i r e ; d'autres
"Mon mari, il nen a rien à faire qu'ily ait "Je fais d'abord la partie utilitaire et après
assurent q u ' i l permet et exprime une certaine façon de vivre. D'autres des pompons, de la convivialité... Ce qu'il je maccorde unpetitplus... je vais trainer
encore, estiment ou imaginent qu'il concilie tant bien que mal 1'utile voit, c'est son porte-monnaie. Lui, il re- dans le rayon bouquins".
garde la qualité duproduit et leprix."
et 1'agréable, la necessite et le plaisir. Davantage, certains chalands, "Ilfaut avoir envie d'aller (à 1'hypermar-
"Je ne veux pas de lexotisme ou d'un vieux ché), se sentir chez soi et avoir autre chose à
qui pouvaient par ailleurs rechercher avant tout la r a p i d i t é et la fonc- village; je veux que les gens de 1'hyper faire que d'aller remplir son caddie de ce
tionnalité, ont insiste sur le plaisir qu'ils trouvaient en certaines occa- soient repérables pour leur demander des dont on a besoin".
renseignements quand c'est nécessaire, et
sions à flâner, à rêvasser voire à errer... ou sur ce plaisir paradoxal qui que rien ne me gene pour aller vite".
consiste à ne « r i e n faire» du temps g a g n é à ne pas en perdre lors de
ses « a c h a t s de necessite». Et d'autres chalands, enfin, s'en sont tenu à
Signalons ici qu'une exploitation similaire du système des quatre
nier tout investissement personnel dans 1'hypermarché, et ont affirmé
types de valorisations serait 1'élaboration d'une véritable typologie des
leur souci constant de le démythifier, de le parcourir et de le vivre
tensions entre sujets et objets relevant de chacun des types. Le c a r r é
en « a c h e t e u r s et non en consommateurs naífs». L'ensemble de ces
s é m i o t i q u e pourrait permettre une p r e m i è r e articulation et organisa-
p r o p ô s dessine en creux quatre types fondamentaux de chalandise qui
tion de cet univers s é m a n t i q u e : celui du désir, de 1'envie, du besoin et
peuvent ê t r e d'ailleurs diversement incarnes par les consommateurs-
de 1'intérêt. I I y a là, selon nous, tout un champ d'investigations, rejoi-
visiteurs d'un h y p e r m a r c h é . Voici comment on a pu d é n o m m e r alors
gnant celui des passions, qui est aujourd'hui au centre de nombreuses
ces quatre types et comment on peut illustrer leurs logiques de valori-
recherches non seulement en p s y c h o s é m i o t i q u e mais aussi en sémio-
sation respectives par quelques-uns de leurs p r o p ô s :
tique g é n é r a l e 35

3 5O n citera notamment : H . Parret, Eléments pour une t h é o r i e raisonnée des passions,


in Actes sémiotiques - Documents ( E H F S S - C N R S ) , I V , 37, 1982; D. Bertrand (éd), Les pas-
sions in Actes sémiotiques - Bulletin ( E H F . S S - C N R S ) , I X , 39, 1986 ; E . Landowski, La société
150 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » 151

Nous conclurons ce chapitre en indiquant une toute autre exploi- mobilier ou celui d'une société de vente par correspondance pour
tation de cette axiologie : 1'analyse s é m i o t i q u e du design. Par leurs reconnaitre d e r r i è r e les trois ou quatre «styles» p r o p o s é s 1'exaltation,
designs, un meuble, un t é l é p h o n e , une montre peuvent se donner loute convenue, de telle ou telle valorisation du c a n a p é , de la table
pour pratiques, ludiques, utopiques... Les formes, les m a t i è r e s , les ou du l i t . Là encore, ce sont des analyses c o n c r è t e s portant sur des
lignes, les couleurs et les volumes mais surtout la conception m ê m e gammes ou des univers-produits circonscrits et h o m o g è n e s qui per-
des objets constituent les signifiants de leur valorisation. Selon mettent dMdentifier les traits d'expression (les qualités de formes,
leurs designs, les objets seront luxueux et raffinés, traditionnels ou (Tagencements, les accords chromatiques...) qui sont solidaires, dans
modernes, solides et modulables, astucieux et é c o n o m i q u e s . Le design lei secteur particulier, de chacun des grands types de valorisation, ou
a déjà une longue histoire; i l y a des mouvements, des écoles, des qui constituent le signifiant d'une articulation ou d'une conciliation de
manifestes, des ceuvres majeures... et des marques! Les objets et les certains d'entre eux. Cest en p r o c é d a n t ainsi par commutation, c'est-à-
environnements qui ont é t é créés t é m o i g n e n t de la diversité de leurs dire en cherchant s y s t é m a t i q u e m e n t les c o r r é l a t i o n s qui existent entre
valorisations, comme de 1'âpreté des d é b a t s idéologiques entre écoles é l é m e n t s ou grandeurs de 1'expression d'une part et du contenu axio-
ou de la sophistication des stratégies marketing des marques. U n télé- logique des produits d'autre part q u ' i l est possible de d é g a g e r une
phone peut devenir un objet ludique, un produit de b e a u t é signifier logique du design sectoriel, é t a n t entendu ici que, selon nous, un
F u r b a n i t é yuppie et les valeurs existentielles de la « g é n é r a t i o n vidéo- design releve d'une sémiosis, c'est-à-dire de 1'instauration d'une rela-
r o c k » . . . Et i l n'est que de consulter le catalogue d'une marque de
36 tion de p r é s u p p o s i t i o n reciproque entre la forme de l'expression et la
forme du contenu d'un système d'objets . A u t r e m e n t dit, le design
37

n'est pas du seul ordre du signifiant; un design est tout à la fois signi-
réfléchie, Paris, Seuil, 1989 (chap. 4 ) ; A.-J. Greimas, Du Sens II, Paris, Seuil, 1983; fiant et signifié, plus exactement c'est une relation entre un signifiant
J. Fontanille, Le d é s e s p o i r , in Actes Sémiotiques - Documents, I I , 16, 1 9 8 0 ; P. Fabbri et
I . Pezzini (éd), Affettività e sistemi semiotici. L e passioni nel discorso, in Versus,
4 7 / 4 8 , 1987.
3 8 C e s t ainsi, par exemple, q u ' o n t é t é c o n ç u s au Japon le Musica de Panasonic, q u i
devrait devenir le p r o d u i t leader de la gamme des t é l é p h o n e s de la marque ainsi que quelque modele que ce soit, le design les r é d u i t à deux composantes rationnelles, deux
la ligne de produits de b e a u t é pour hommes T r e n d y de Shiseido. Selon Creation Maga- modeles g é n é r a u x : 1'utile et 1'esthétique, q u ' i l isole et oppose artiFiciellement l ' u n à
zine, n" 43, d é c . 1988-janv. 1989, Musica, designe par Shigaru Okasaki, est « d e s t i n e 1'autre. I n u t i l e d'insister sur le f o r ç a g e d u sens, sur 1'arbitraire q u ' i l y a à le cerner par
aux jeunes gens c é l i b a t a i r e s de 18 à 29 ans p o u r lesquels le t é l é p h o n e est devenu un Ces deux Finalités restreintes. En fait, elles ne sont qu'une : ce sont deux formes d é d o u -
o u t i l essentiel p o u r s'amuser... L'appareil est le r é s u l t a t des cogitations entre les desi- blées de la m ê m e r a t i o n a l i t é , scellées par le m ê m e système de valeurs. Mais ce d é d o u -
gners et un groupe d ' é t u d i a n t s reunis par W o r k s (à la fois base de recueil d'informa- blement artificiei permet ensuite d ' é v o q u e r leur r é u n i f i c a t i o n comme s c h è m e ideal. O n
tions, bureau de style et o u t i l de réflexion). L ' i d é e de base pour ce t é l é p h o n e comme separe 1'utile de l ' e s t h é t i q u e , on les n o m m e s é p a r é m e n t (car ils n ' o n t pas d'autre r é a -
pour les autres produits issus de W o r k s : la technique doit ê t r e au service du plaisir. lité, l ' u n et l'autre, que d ' ê t r e n o m m é s s é p a r é m e n t ) , puis on les rejoint i d é a l e m e n t , et
L'ef'Ficacité et les fonctions ne suffisent p l u s » . Quant aux produits T r e n d y , leur packa- toutes les contradictions sont r é s o l u e s par cette o p é r a t i o n magique ... T e l l e est la fonc-
ging réalisé par les designers anglais de Pentagram pour Shiseido restitue « t o u t e s les tion i d é o l o g i q u e du design (c'est nous q u i soulignons) : avec le concept d ' « e s t h é t i q u e
ambiances de la ville et les é m o t i o n s des jeunes ... Habitues à lire entre les signes, les f o n c t i o n n e l l e » , i l propose un modele de r é c o n c i l i a t i o n , de d é p a s s e m e n t formei de la
Japonais r e t r o u v e n t dans le graphisme de Pentagram 1'architecture de la ville, ses cou- spécialisation (la division d u travail au niveau des objets) par 1'enveloppement d'une
leurs et 1'univers sonore du walkman. Ce packaging est un condense du monde artifi- valeur u n i v e r s e l l e » (Pour une critique de 1'économie politique du signe, Paris, G a l l i m a r d ,
ciel dans lequel planent les jeunes T o k y o T t e s » . 1972, é d . T e l , p. 235). I I conviendrait davantage de parler des designs : de celui certes
Les deux exemples, tires de l'univers des produits japonais, n ' o n t pas é t é choisis par historiquement d é t e r m i n a n t d u Bauhaus mais aussi de ceux q u i proposent o u induisent
souci d'exotisme; ils Pont é t é parce qu'ils illustrent la relative t r a n s c u l t u r a l i t é de d'autres idéologies que la conciliation m y t h i q u e des valeurs utilitaires et existentielles.
1'axiologie que nous avons p r é s e n t é e , par ailleurs c o n F i r m é e par des é t u d e s m e n é e s Cela p e r m e t t r a i t d'ailleurs de ne pas confondre 1'axiologie f o n d é e sur la mise en contra-
par iPSOS-Sémiotique. Ils 1'ont é t é aussi pour a t t i r e r 1'attention sur le fait que le design rité de ces valeurs — ce q u i est une chose, ce qui est déjà un fait de culture et Bau-
aujourd'hui ne releve plus d'une et d'une seule i d é o l o g i e , celle de la m y t h i q u e concilia- d r i l l a r d a raison de tenter d'en rendre compte — et les diverses i d é o l o g i e s o u q u ê t e s
tion des valeurs utilitaires et existentielles mises p r é a l a b l e m e n t en relation de contra- de valeurs qui peuvent en d é r i v e r et q u i n'en sont alors que des r é a l i s a t i o n s partielles,
r i é t é . En 1972, J . Baudrillard parlait un peu t r o p rapidement du design et de sa encore plus é t r o i t e m e n t culturelles et historiques.
fonction dans ce q u i est, selon l u i , 1'économie politique du signe q u i c a r a c t é r i s e notre 5 7 Cf. 1'article « S é m i o s i s » dans S é m i o t i q u e , Dictionnaire raisonné de la théorie du langage
société : « T o u t e s les valences possibles d'un objet, toute son ambivalence i r r é d u c t i b l e à ( A . J . Greimas et J . C o u r t é s ) , Paris, Hachette, 1979, t. 1, p . 339.
152 Sous les signes, les stratégies

(agencement, formes, volumes...) et u n signifié (un contenu axiolo-


gique, pour s'en tenir ici à notre p r o p ô s ) .
Quel est 1'intérêt d'une telle exploitation du c a r r é des types de valo-
risation en termes d ' é t u d e s et d'intervention de la s é m i o t i q u e dans la
communication et le marketing? Nous dirons q u ' i l est double. D'une L'IMAGE, POUR TROUBLER LES L E T T R É S
part, elle permet de disposer sur la m ê m e topographie ce qui releve
LES RAPPORTS ÉDITEUR-LECTEUR
de la communication et ce qui releve de la « r é a l i t é p r o d u i t » , pour ce
I N D U I T S PAR D I X ANS DE C O M M U N I C A T I O N P U F
qui est de la seule é t u d e du sens émis (mais on peut y disposer aussi
1'image de la marque ou les attentes des consommateurs, on Pa v u ) ;
1'analyse s é m i o t i q u e peut ainsi constituer une approche interessante
pour des é t u d e s de marketing mix. D'autre part, la reconnaissance des
traits d'expression pertinents dans la production de tel ou tel effet de
sens, pour telle ou telle valorisation du produit par son design, contri-
bue souvent à une meilleure c o m p r é h e n s i o n entre designers et annon- U n livre n'est pas a priori un produit comme les autres. Le livre dis-
ceurs-fabricants dans les phases de briefing et d'examen de projets pose déjà d'une forme : i l peut raconter, exposer, d é n o n c e r , analyser
soumis. Les annonceurs, qui se trouvent non pas sans culture mais ou encore « q u e s t i o n n e r le m o n d e » ; dans tous les cas, c'est un sujet
sans formation dans ces domaines issus de F e s t h é t i q u e , disposent d'un qui est traité ou aborde, une vision des choses qui est p r o p o s é e , c'est-à-
langage de description et d'une m é t h o d o l o g i e d'analyse qui leur per- dire une certaine façon de mettre en forme, d'organiser ce m a t é r i a u
mettent d'expliciter leurs p r o p ô s , d è s lors aussi moins subjectifs. Acte que sont les idées et les concepts, les t h è m e s et les r é f é r e n c e s . Cette
de f o i , p r é s o m p t i o n ? Nous pensons vraiment que la sémiotique peut mise en forme pourra ê t r e par la suite caractéristique d'un auteur ou
j o u e r un role, limite certes mais non négligeable, dans la sensibilisa- m ê m e d'une collection ou d'un é d i t e u r , mais elle est toujours d'abord
tion croissante au design des milieux du marketing et de la communi- ce qui fait ce livre, son contenu et sa valeur. Aussi le publicitaire doit-
cation, en France notamment o ú t r o p souvent le design n'a pas encore il promouvoir le livre en tenant compte de cette signification déjà là,
été considere comme une des composantes essentielles d'une straté- riche et complexe, en c r é a n t à partir d'une c r é a t i o n , qui est à la fois
gie de marque . Mais «ceei est une autre h i s t o i r e » , et le projet d'un
38
virtualités et contraintes. De ce point de vue, 1'annonce qui r é s u l t e r a
autre ouvrage. du travail de 1'agence est déjà une lecture : elle donne du sens au
sens. Elle est la transposition d'une forme dans une autre forme. Cest
pourquoi 1'annonce peut ê t r e c o m p a r é e à une traduction, et ceux qui
la c o n ç o i v e n t aux traducteurs des CEuvres completes de Freud dont
parle le texte « T r a d u c t i o n T r a h i s o n » écrit pour le lancement de cette
édition historique entreprise par les P U F et réalisée en 1989 : « L e s
traducteurs de Freud se reconnaissent dans 1'excellente- réflexion
d'Antoine Berman lorsqu'il stigmatise le risque d'un triomphe de la
communication sur P a u t h e n t i c i t é : "J'appelle mauvaise traduction la
traduction qui, g é n é r a l e m e n t sous couvert de transmissibilité, opere
une n é g a t i o n systématique de 1'étrangeté de 1'ceuvre é t r a n g è r e " . O n
3 8 Sur les raisons marketing d'un nouveau dialogue entre 1'industriel et le créateur, on ne substitue pas une syntaxe à une autre. O n ne remplace pas des
lira les réflexions três éclairantes de G . Marion dans son récent ouvrage : Les images de
1'entreprise. Paris, Editions d'Organisation, 1989, p. 126-131. r é p é t i t i o n s par des synonymes...»
154 Sous les signes, les stratégies Uimage, pour troubler les lettrés 155

Les c o n t r a i n t e s d u l i v r e , d e son t e x t e c o m m e de son t i t r e , ne sont o u d u p o r t r a i t H a r c o u r t . O n y r e v i e n d r a , la p h o t o g r a p h i e d ' a u t e u r


pas les seules q u i c o n s t i t u e n t u n d é f í à la c r é a t i v i t é p u b l i c i t a i r e . Les sert le l i v r e , son t e x t e o u son t i t r e .
b u d g e t s investis dans la p u b l i c i t e d ' é d i t i o n n ' o n t r i e n de c o m p a r a b l e , Les pages q u i s u i v e n t p r o p o s e n t u n e analyse des t r a i t s i n v a r i a n t s de
la p l u p a r t d u t e m p s , avec c e u x d o n t b é n é f i c i e n t les l a n c e m e n t s des la c o m m u n i c a t i o n des P U F , p o u r e n r e c o n n a í t r e l ' o r i g i n a l i t é , la c o h é -
p r o d u i t s d i t s de g r a n d e c o n s o m m a t i o n , n i m ê m e avec c e u x des c a m - r e n c e et la c o n t i n u i t é . C e t t e analyse p o r t e r a sur les i n v a r i a n t s des
pagnes de l a n c e m e n t d e f i l m s , c a m p a g n e s q u i sont aussi des c r é a t i o n s d e u x plans de l ' e x p r e s s i o n e t d u c o n t e n u , sur leurs f o r m e s respectives
à p a r t i r de c r é a t i o n s . L a p a r u t i o n d ' u n ouvrage, q u i aura é t é choisi e n t r a v a i l l a n t sur les e x p l o i t a t i o n s des f o r m a t s , les c o m p o s i t i o n s plas-
p a r m i b e a u c o u p d ' a u t r e s p o u r ê t r e p r o m u e n presse, ne sera s i g n a l é e t i q u e s , les r a p p o r t s q u e celles-ci é t a b l i s s e n t e n t r e t e x t e et i m a g e e t le
q u ' u n e fois, sauf cas d ' e s p è c e : n o n s e u l e m e n t 1'agence va c r é e r u n e d i s c o u r s ainsi t e n u p a r les P U F sur la p e n s é e , le l i v r e , la l e c t u r e et 1'édi-
a n n o n c e p o u r u n o u v r a g e et passer e n s u i t e à u n e a u t r e a n n o n c e p o u r t i o n . N o u s c h e r c h e r o n s f i n a l e m e n t à r e c o n n a í t r e la s t r a t é g i e é n o n c i a -
u n a u t r e o u v r a g e , mais ces a n n o n c e s n e passeront q u ' u n e seule fois. I I t i v e des P U F vis-à-vis d e sa c i b l e e n analysant la f a ç o n t r ê s p a r t i c u l i è r e
est d è s l o r s c a p i t a l q u e 1'annonce — d o n t la presse est le m é d i a p r i v i - d o n t sont e x p l o i t é s les r e l a t i o n s textes et visuels ainsi q u e les types de
legie p u i s q u ' i l est le p l u s facile à m a n i e r e n f o n c t i o n des cibles d e mise e n espace d e c e u x - c i .
lecteurs visées — que cette annonce t o u c h e n o n seulement ceux q u i
sont t o u j o u r s a t t e n t i f s a u x p u b l i c a t i o n s dans le d o m a i n e mais aussi
t o u s c e u x d o n t le sujet d u l i v r e p e u t r e c o u p e r les c e n t r e s d ' i n t é r ê t .
Noir et blanc, gaúche vs droite : de necessite, vertu
U n e f u s é e u n i q u e , u n seul l a n c e m e n t , d e u x missions a u m o i n s . . . E n
f a i t , u n e t r o i s i è m e m i s s i o n est a s s i g n é e à ces annonces-presse. Si
é p h é m è r e q u ' e l l e soit, c h a c u n e d'elles d o i t c o n t r i b u e r à 1'expression A q u e l q u e s e x c e p t i o n s p r é s , les a n n o n c e s p u b l i é e s p a r les P U F
2

et à 1'enrichissement d e 1'image d e 1 ' é d i t e u r a u p r è s d e ses d i f f é r e n t s o c c u p e n t des espaces l i m i t e s dans les pages d ' u n q u o t i d i e n . E t p o u r -
p u b l i c s , ainsi q u ' à 1 ' o r i g i n a l i t é , à la c o h é r e n c e et à la c o n t i n u i t é d e t a n t elles a c c r o c h e n t i m m é d i a t e m e n t et d u r a b l e m e n t le r e g a r d d u
sa c o m m u n i c a t i o n . l e c t e u r . Ce q u i f a i t d ' e m b l é e la p a r t i c u l a r i t é de ces a n n o n c e s , c'est
q u ' e l l e s t r o u v e n t l e u r f o r c e et l e u r i d e n t i t é dans 1 ' e x p l o i t a t i o n des q u a -
P o u r q u i v i e n t d e r e t r o u v e r les d i x ans d'annonces-presses r é a l i s é e s
l i t és visuelles d e la page de q u o t i d i e n . L ' o r t h o g o n a l i t é d u e a u c o l o n -
sous la d i r e c t i o n d e J . - M . L e y d i e r p a r l'agence A l i c e p o u r les P U F et
nage et au t i t r a g e , le « g r i s » general c r é é p a r la d e n s i t é des espace-
r é c e m m e n t r e p r o d u i t s dans Le? livres des PUF quest fonnent le mondV,
m e n t s et des i n t e r l i g n a g e s et le p a r c o u r s o r i e n t e d u r e g a r d q u e
la c o h é r e n c e et la c o n t i n u i t é d e la c o m m u n i c a t i o n des P U F o n t u n
p r o p o s e la l e c t u r e sont, là, consideres et e x p l o i t é s c o m m e de v é r i t a b l e s
caractere d ' é v i d e n c e : p r a t i q u e m e n t aucune critique é l o g i e u s e rappor-
m a t é r i a u x : l i s c o n s t i t u e n t la substance de 1'expression d e c e t t e c o m m u -
t é e , a u c u n e f f e t d e v i t r i n e d e l i b r a i r e p r é s e n t a n t le l i v r e d r e s s é c ô t é
n i c a t i o n , c ' e s t - à - d i r e le m a t é r i a u sensible, visuel e n 1'occurrence, q u i
c o u v e r t u r e o u s a v a m m e n t integre à u n e c o m p o s i t i o n d e c i t a t i o n s , de
est t r a i t é p a r u n e f o r m e , p a r u n e c e r t a i n e f a ç o n i n v a r i a n t e d e s é l e c -
c o u p u r e s d e presse et d ' i l l u s t r a t i o n s d e t o u t e s sortes, o u a u c u n effet
t i o n n e r et d ' a g e n c e r les choses, et q u i , p a r la m ê m e , p e r m e t à c e t t e
d e p a n n e a u d ' a f f i c h a g e p u b l i c i t a i r e d é v e l o p p a n t sur t o u t e la l a r g e u r
f o r m e de se m a n i f e s t e r . Les f o r m a t s sont t o u j o u r s n e t t e m e n t a f f i r m é s
d ' u n e page d e q u o t i d i e n le n o m de 1'auteur o u le p r i x r e m p o r t é p a r
p a r ce b o r d n o i r é p a i s q u i est l ' u n des é l é m e n t s d u c o d e d e c o m m u n i -
le l i v r e . S u r les q u e l q u e q u a t r e cents a n n o n c e s , à p e i n e u n e d i z a i n e
c a t i o n des P U F , ainsi q u e p a r le l a r g e b a n d e a u h o r i z o n t a l o ú s ' i n s c r i t
c o m p o r t e u n e a c c r o c h e , et t r ê s v i t e a d i s p a r u la r e p r o d u c t i o n d u l i v r e
la devise. Les p r o p o r t i o n s o u les d i s p r o p o r t i o n s d e v i e n n e n t d è s l o r s
c o m m e o b j e t d é t o u r é . B i e n s ú r , o n r e t r o u v e la p h o t o g r a p h i e d ' a u t e u r
mais elle ne d o n n e j a m a i s a l o r s 1'effet, h a b i t u e i , de la p h o t o d ' i d e n t i t é

2 Uannonce du livre de M. Duverger, Le bréviaire de la cohabitation (1986), et celles de


1 Paris, P U F , 1989. la traduction des oeuvres completes de S. Freud (1989) sont parues pleine page.
156 Sous les signes, les stratégies L'image, pour troubler les lettrés 157

un moyen cTexpression. Les formats standard s u g g è r e n t la couverture Mais le choix du noir et du blanc et leur mise en contraste ne
ou la double page d'un livre, plus rarement la planche anatomique, le sont pas limites aux seuls sujets tragiques, tout simplement parce qu'il
panorama didactique ou m ê m e 1'afflche politique. Les formats parti- existe dans la réalité, dans les innombrables figures du monde et
c u l i è r e m e n t étirés sont, eux, motives par le sujet m ê m e du livre ou dans les univers de r é f é r e n c e les plus divers, des « c h o s e s » en noir et
par la forme de ce qui est choisi pour la Figure exclusive du visuel : un des « c h o s e s » en blanc. La craie est blanche, et le tableau est noir : ils
fusil, u n stylo de luxe, un crayon, le dos d'un livre f e r m é , la c h a í n e seront choisis pour r e p r é s e n t e r , dans sa réalité c o n c r è t e et sensible, le
des composants d'un embryon ou encore la forme linéaire, matérielle monde de 1'école et de 1'éducation. La l i t t é r a t u r e ? Cest u n palimp-
et sensible, d'un é n o n c é , qu'il soit d a c t y l o g r a p h i é , t r a n s c o d é en signes seste, des textes et des auteurs, des manuscrits et des signatures c'est-à-
gestuels ou furtivement b o m b é . dire de 1'écriture, de 1'encre noire sur le papier blanc. La paix, quant à
A u t r e m a t é r i a u e x p l o i t é : la couleur de la page du quotidien, le elle, est une blanche et fragile colombe. Les derniers jours de VAfrique
« g r i s » c r é é par la r é g u l a r i t é des espacements et les interlignages. du Sud sont, eux, conçus comme une partie de bras de fer entre Noirs
Cette couleur offre la possibilite de j o u e r sur des noirs et des blancs et et Blancs...
de c r é e r 1'impact en rompant 1'étendue du r é d a c t i o n n e l ; i l n'est pas Le parfum de la salle en noir ne pouvait pas ne pas donner 1'une des
dès lors nécessaire de recourir à d'autres couleurs, un rouge ou un plus belles exploitations plastiques de la l u m i è r e et de 1'obscurité. Le
bleu (c'est-à-dire à un autre passage à 1'impression) pour donner un texte de 1'annonce indique que le livre « s i t u e le cceur de cette atti-
fort impact à 1'annonce. Mais ces noirs et ces blancs n'ont pas une rance (pour le S e p t i è m e A r t ) dans la salle de cinema, lieu par
seule valeur d'impact. Comme pour les formats, on s'aperçoit, à la lec- excellence mythologique. Ainsi se dessinent quelques raisons de plus
ture du titre ou du sujet, que les qualités d'expression offertes par le d'aimer le cinema, dont tout prouve qu'il conserve la faveur du public
m a t é r i a u chromatique de la page de quotidien ont é t é sélectionnées face à la télévision». O r ce qui se dessine dans le visuel, c'est le galbe
et exploitées en fonction du t h è m e du livre. des jambes de 1'ouvreuse souligné par la couture de ses bas noirs, et
Prenons 1'exemple des r e p r é s e n t a t i o n s de la m o r t . Bien súr la m o r t cette autre projection, non pas horizontale sur 1'écran mais verticale
peut ê t r e symbolisée t r ê s conventionnellement par la couleur noire. dans la t r a v é e . Comme le projecteur invisible dessine sur 1'écran des
Mais, le plus souvent, la m o r t est e x p r i m é e par le noir selon une véri- j e u x changeants de l u m i è r e et d'ombre et fait rever le spectateur qui
table parcours de la p e n s é e — intuitive ? — qui part de la m o r t que le ne peut a r r ê t e r 1'image, les mouvements de la lampe de l'ouvreuse
t h è m e implique, « e n a m o n t » si l'on peut dire, à la situation qui peut font apparaitre et disparaitre les objets imprécis qui servent la trou-
la c o n c r é t i s e r « e n aval». blante s c é n o g r a p h i e de ses allées et venues.
Dans 1'annonce du livre Le héros et 1'Etat dans la tragedie de Pierre T r o i s i è m e m a t é r i a u exploité par les annonces : le parcours oriente
Corneille, par exemple, la m o r t du h é r o s , sa destruction par l'Etat qu'il du regard p r o p o s é par la lecture de la page du quotidien, c'est-à-dire
a pourtant c r é é , est illustrée par 1'étonnante strangulation du buste le privilège d o n n é à 1'horizontalité et la mise en tension de cet axe, de
d'un general r o m a i n ; 1'assassin est u n technocrate anonyme au strict g a ú c h e à droite dans notre culture. T o u t d'abord, comme le ferait un
veston noir. La c r é a t i o n , en 1'occurrence, c'est non seulement une judoka, 1'annonce va utiliser la force d'inertie de la lecture pour don-
idée figurative, une mise en scène moderne et quelque peu surréaliste ner plus d'impact à la r e p r é s e n t a t i o n d'un passage, ou d'un chemine-
du drame c o r n é l i e n , mais aussi et surtout une idée plastique, propre- ment : ce qui passe est d'autant mieux p e r ç u comme tel qu'il va à
ment visuelle : 1'enserrement de la t ê t e claire du h é r o s par la masse 1'encontre du mouvement de 1'ceil. O n rencontre maints exemples de
sombre de l'Etat. Et l'on retrouve le parcours g é n é r a t i f (cf. supra, cette technique dans les annonces des P U F . L ' h o m m e p r é h i s t o r i q u e
p. 123) : en amont du t h è m e de la destruction du h é r o s , la m o r t , et en passe devant nous en trainant une femme par les cheveux pour illus-
aval une scène t r ê s c o n c r è t e qui va permettre d'exploiter la puissance trer «la substitution de l'Etat patriarca] à la société de clans matris-
d'une masse noire sur une page de j o u r n a l . tiques». O n pourrait citer bien d'autres mouvements; une é m i g r a t i o n
158 Sous les signes, les stratégies Uimage, pour troubler les lettrés 159

protestante, une j o i e cTaller à Pécole « p r o p o r t i o n n e l l e aux efforts et Une forme d'expression classique
aux o b l i g a t i o n s » , ou encore un « é l a n c u l t u r e l » ou 1'échappée atmo-
s p h é r i q u e de particules nucléaires invisibles. M ê m e les Republiques
passent à contre-courant du sens de la lecture! Cest la maquette de 1'annonce, sa conception g é n é r a l e qui va d é t e r m i -
L'opposition g a ú c h e vs droite ne sert pas seulement, par sa mise en ner les proportions, les dispositions et les rythmes. Et cette mise en
tension, à 1'expression d'un récit de mouvement. Elie propose aussi forme, dans la mesure oú elle sera p r é f é r é e à d'autres et reprise pour
une symétrisation de 1'espace de 1'annonce et, par là, l'expression chaque nouvelle annonce, deviendra ce que l'on appelle souvent une
topologique d'une confrontation. Cest une t r ê s vieille mais encore identité visuelle, en 1'occurrence celle d'une c o o p é r a t i v e d ' é d i t i o n : les
três actuelle utilisation semi-symbolique de 1'espace . La plupart du 3
PUF. Le fait que les annonces des PUF s u g g è r e n t davantage la double
temps, 1'opposition figure celle des idéologies voire des partis. Cette page d'un livre bien ouvert que la vitrine d'un libraire indique déjà
version i d é o l o g i q u e de l'opposition g a ú c h e vs droite est tellement p r e - que des qualités formelles particulières existent dans ces annonces qui,
sente à 1'esprit des lecteurs auxquels s'adresse la communication des absentes, a l t é r e r a i e n t ou modifieraient les effets de sens qu'elles pro-
PUF qu'elle autorise à j o u e r sur la symétrie des chutes r a c o n t é e s dans duisent. Comment definir cette mise en forme? Quels sont les traits
deux visuels différents, pour deux livres différents. Pour Véconomie de d ' i d e n t i t é de la maquette d'une annonce des PUF, qui la font
Marx. Histoire d'un échec, le visuel represente un buste de Marx et sa reconnaitre parmi tant d'autres? O n dira que c'est sa forme classique,
stèle dorique tombant vers la d r o i t e ; pour Le patronat américain ou la en renvoyant le lecteur aux pages 65 à 72 o ú nous avons repris et
mort du libéralisme, le dessin represente cette fois un gros capitaliste à e x p o s é les cinq traits qui c a r a c t é r i s e n t la vision classique, selon l'his-
cigare et gibus en train de tomber raide de son piédestal ionique, vers torien de l'art H . Wõllflin, et qui la donne pour o p p o s é e à la
la g a ú c h e . Cela dit, Marx tombe-t-il à droite et le capitaliste à g a ú c h e ? vision baroque.
Rien n'est moins súr. I I serait plus juste de dire que Marx tombe à sa Ainsi, la maquette des annonces réalisée par 1'agence Alice prend
g a ú c h e , sur sa g a ú c h e ; et la capitaliste sur sa droite : du c ô t é de leur en compte les qualités du format rectangulaire, que ce format soit
camp, si l'on peut dire. Pourquoi peut-on parler de «justesse» de puissamment affirmé par un épais b o r d noir ou seulement s u g g é r é —
cette autre lecture? Parce que la disposition g a ú c h e vs droite à partir dans le code de la collection « Q u a d r i g e » — par un b o r d três fin. Le
de 1'espace represente, et non à partir du lecteur, se retrouve maintes décalage, par rapport au cadre toujours affirmé et e x p l o i t é dans ses
fois dans les visuels des PUF. Ainsi, de façon plus secrète et plus sophis- qualités plastiques devient du coup un é v é n e m e n t visuel, exceptionnel,
t i q u é e , le visuel de L'URSS vue de gaúche place le lecteur d e r r i è r e et par là m ê m e reserve aux annonces d'une publication p a r t i c u l i è r e :
un Kremlin qui n'est pour l u i qu'un d é c o r de t h é â t r e . L'orientation en 1'occurrence la revue Pouvoirs. La partition de 1'espace repose donc
de biais de ce d é c o r et le point de vue que la perspective choisie fait sur des parallélismes et des o r t h o g o n a l i t é s , ou sur 1'attention p o r t é e à
adopter au lecteur permettent de raconter une histoire, celle d'une la mise en valeur des angles du cadre (il n'est pour en j u g e r que de
désillusion. Moscou n'est pas ce que l'on croyait; i l fallait pour s'en regarder comment le logo des PUF se cale dans 1'angle bas droit). Les
rendre compte s'approcher et contourner par la g a ú c h e ce socialisme visuels et les corps de texte sont e u x - m ê m e s souvent réinscrits dans un
soviétique qui n ' é t a i t en fait qu'une apparence trompeuse, qu'un effet cadre. Autres manifestations d'une p e n s é e « l i n é a i r e » privilegiam les
de réalité. délimitations et les discontinuités : les frequentes s é p a r a t i o n s du titre
et du nom de 1'auteur par un trait fin ou par un point, ou encore les
e n c a d r é s de legendes. De plus, les annonces des PUF ont aussi ceei de
classique qu'elles assurent une « m u l t i p l i c i t é » de la maquette : une
relative autonomie des différents é l é m e n t s . Ce p r í n c i p e , classique,
de multiplicité de la maquette est d'ailleurs devenu en 1987 le trait
3 Sur la p r o b l é m a t i q u e du semi-symbolisme, cf. ici m ê m e p. 85.
160 Sous les signes, les stratégies Uimage, pour troubler les lettrés 161

d ' i d e n t i t é visuelle de la collection phare, historique, des PUF : les nalité» pour reprendre la formule d ' H . Wõllflin. L'image est cepen-
« Q u e sais-je?» O n ne trouve pas dans les annonces des PUF ces che- dant traitée de telle sorte qu'elle s ' i n t è g r e à la maquette de 1'annonce :
vauchements du texte, de la couverture et de quelques illustrations, bien súr, les formes ne sont que partiellement éclairées, mais ce qui est
si frequente dans les Communications concurrentes et qui soumettent éclairé est s y s t é m a t i q u e m e n t disposé par rapport au cadre : les mon-
les différents é l é m e n t s de 1'annonce à u n effet unique, g é n é r a l e m e n t tants de siège, la main verticale de Pouvreuse et m ê m e le trait lumi-
la s c é n o g r a p h i e du nom de 1'auteur. Le fait qu'il n'y ait pas dans les neux horizontal à sa droite. Cest d'ailleurs ce j e u des verticales
annonces des PUF d'effet-vitrine de libraire mais qu'y abondent les partant des bords verticaux d u cadre qui donne toute leur b e a u t é au
effets de double page de livre bien ouvert ou de couverture dressée galbe des jambes et à la fínesse du talon. Quel exemple plus précis,
face au lecteur, ce fait m ê m e indique assez le souci du plan, de la sur- quelle illustration plus c o n c r è t e peut-on trouver de cette forme
face plane constituam un plan nettement situe dans 1'espace, et non la d'expression et de cette c o m p l é m e n t a r i t é a priori paradoxale entre la
recherche baroque d'une profondeur. lisibilité et le trouble qui fait 1'originalité de la communication
des PUF.
Bien súr, i l est possible de trouver quelques tentations de «vision»
baroque dans les premiers temps de la communication avec la repro-
duction du livre en profondeur ou la mise en p r o x i m i t é i m m é d i a t e
des points de vue. Mais on doit surtout remarquer la façon dont la «Sémantique structurale » par A. J. Greimas et non d'A. J. Greimas
maquette se rend maitre d'un visuel qui est baroque d'expression ou
de contenu.
Exemples. L'effet de profondeur que pouvait produire la perspec- Parlons maintenant de la « f o r m e du c o n t e n u » propre à la communi-
tive biaise d'une r a n g é e de dossiers et de documents illustrant une cation des PUF. La forme du contenu, c'est ce q u i informe cette
Enquête sur les femm.es et la politique en France est évité par la place don- m a t i è r e qu'est le sens; ce sont les invariants du « m e s s a g e » des PUF
n é e à la tache blanche du chemisier de l ' u n des auteurs posant devant qui en garantissent la permanence et 1'identité, au-delà mais en m ê m e
la b i b l i o t h è q u e . Une statue baroque ne pouvait pas ne pas illustrer temps g r â c e aux divers discours sur tel ou tel ouvrage, telle ou telle
1'annonce pour les Actes d'un colloque c o n s a c r é à cet a r t ; c'est pour- collection. Les discours sont donc des variables de réalisation : ils
tant la sinueuse calligraphie du titre disposé p a r a l l è l e m e n t au b o r d constituem la « s u b s t a n c e du c o n t e n u » du langage des PUF. Abordons
superieur du visuel qui va redonner le privilège au plan, contre la les choses de façon c o n c r è t e , sur un exemple précis, pour travailler
profondeur. Les annonces et les couvertures de la collection « Q u a - ensuite à un niveau de plus grande g é n é r a l i t é et de plus grande abs-
d r i g e » c o m p o r t e m toutes un portrait, au dessin, de l'auteur; la col- traction.
lection offre ainsi une belle série de dessins contemporains, três Assez souvent — mais non s y s t é m a t i q u e m e n t , comme le font
différents les uns des autres. O r certains sont de facture tout à fait d'autres é d i t e u r s — les annonces des PUF donnent un portrait de
baroque, comme les portraits de V . J a n k é l é v i t c h et de F.-A Hayek. 1'auteur ou des auteurs. Ces portraits font alors partie integrante du
Dans ce cas, c'est le cadrage serre du dessin, la délimitation ainsi faite visuel. Bien plus, ils le servent. L'attitude et la t é n u e de tel auteur
de ses hachures et de ses masses sombres qui inscrivent celui-ci dans le interpretam le politique comme « l ' e n j e u masque d'une t r a g i - c o m é -
dispositif classique de la maquette. d i e » sont celles d'un homme tout à la fois attentif et a m u s é ; le geste
Enfin, pour illustrer une d e r n i è r e fois cette « p h a g o c y t o s e » du de tel autre est celui de 1'orateur attirant 1'attention de son auditoire
baroque par le classique, on reviendra — avec plaisir, avouons-le — sur quelque rappel ou avertissement, et i l est dit dans le texte de
sur 1'annonce pour Le parfum de la salle en noir. Voilà un sujet baroque p r é s e n t a t i o n que 1'auteur « n ' h é s i t e pas ainsi à é b r a n l e r bien des idées
par excellence : un faisceau lumineux qui é c r è t e les formes, les sort recues tant parmi les Á r a b e s que chez les n o n - Á r a b e s » .
de 1'obscurité et les y replonge, avec tous les «privilèges de 1'irratio- L'utilisation d u portrait peut aller beaucoup plus loin : elle peut se
162 Sous les signes, les stratégies Vimage, pour troubler les lettrés 163

f a i r e a u d é t r i m e n t d e la r e c o n n a i s s a n c e des t r a i t s d e 1'auteur. C e s t le chaque annonce a c t u a l i s e la s i g n a t u r e des P U F : les l i v r e s des P U F


cas d u p o r t r a i t d ' A . J . G r e i m a s dans 1'annonce d e la p u b l i c a t i o n de q u e s t i o n n e n t le m o n d e . Q u e s t i o n n e r , n'est-ce pas « p o s e r des ques-
Sémantique structurale. L a p h o t o g r a p h i e d ' A . J . G r e i m a s est d é c o u p é e tions d'une m a n i è r e suivie»?
e n u n p u z z l e d e b a n d e s d i s j o i n t e s . O n v o i t b i e n s ú r le r a p p o r t q u ' i l On c o m p r e n d m i e u x a i n s i u n e c e r t a i n e pose p r i v i l é g i é e dans les
p e u t y a v o i r e n t r e u n e s é m a n t i q u e s t r u c t u r a l e et le j e u d e ces d i f - p o r t r a i t s d ' a u t e u r des a n n o n c e s des P U F . E n r e g a r d a n t a t t e n t i v e m e n t
férents é l é m e n t s q u i , à 1'analyse, a r r i v e n t à s ' a r t i c u l e r les uns aux mais r a p i d e m e n t les d i x a n n é e s de la c o m m u n i c a t i o n P U F , o n s'aper-
a u t r e s s e l o n ce q u ' i l s r e p r é s e n t e n t , c ' e s t - à - d i r e selon l e u r s i g n i f i é . M a i s ç o i t d e la r é c u r r e n c e d u m o t i f d e la main à la maisselle, de la m a i n à
o n i m a g i n e q u ' u n t e l t r a i t e m e n t puisse c h o q u e r c e u x des l e c t e u r s q u i la m â c h o i r e . C e m o t i f é t a i t d é j à c o n n u des G r e c s , des R o m a i n s et des
c o n n a i s s e n t A . J . G r e i m a s et t o u t p a r t i c u l i è r e m e n t les c h e r c h e u r s q u i , B y z a n t i n s . O n l e r e t r o u v e a u M o y e n A g e et à la Renaissance... E t c'est,
c o m m e 1'auteur de ces l i g n e s , f o n t p a r t i e d u G r o u p e d e Recherches s e m b l e - t - i l , à la Renaissance — avec D ú r e r — q u e c e t t e pose d e v i e n t
q u e le s é m i o t i c i e n d i r i g e : a-t-on j a m a i s t r a i t é a i n s i u n a u t e u r ? E n f a i t , celle d u c h e r c h e u r o u d u savant m é l a n c o l i q u e . L ' h i s t o r i e n a l l e m a n d
ce q u i c h o q u e p e u t - ê t r e d a v a n t a g e les s é m a n t i c i e n s et p l u s l a r g e m e n t E. P a n o f s k y a e n e f f e t m o n t r é q u e la Melancolia I de D í i r e r relevait de
le p u b l i c des l i n g u i s t e s , des l e x i c o l o g u e s et des t h é o r i c i e n s d u l a n g a g e d e u x sources i c o n o g r a p h i q u e s d i s t i n c t e s : c e l l e , p o p u l a i r e , d e la r e p r é -
q u i t o u s c o n n a i s s e n t cet « o u v r a g e d e r é f é r e n c e p o u r 1 ' é t u d e s c i e n t i - s e n t a t i o n d e la m é l a n c o l i e dans les c a l e n d r i e r s et c e l l e , savante, d'un
f i q u e d e la g r a m m a i r e d u s e n s » , c'est p r é c i s é m e n t que, p o u r eux, Fypus Geometriae dans les t r a i t é s et les e n c y c l o p é d i e s . C e t t e i m a g e d e
Sémantique structurale est u n o u v r a g e de G r e i m a s . la m é l a n c o l i e et, p a r l à - m ê m e , c e t t e u t i l i s a t i o n de la main à la maisselle
Q u e l l e p e u t ê t r e d o n c la s i g n i f i c a t i o n d e ce par, s u r t o u t q u a n d o n se l e r a i e n t d e la m é l a n c o l i e 1'état d ' â m e des g é n i e s et des savants, des
r e n d c o m p t e q u ' i l est s y s t é m a t i q u e m e n t s u b s t i t u é au de a t t e n d u dans ê t r e s susceptibles d o n c d ' a v o i r des é t a t s d ' â m e ! E n r e p r e s e n t a m 1'atti-
1'ensemble des a n n o n c e s é m i s e s p a r les P U F ? L ' u s a g e d e la p r é p o s i t i o n t u d e d u f a m e u x Penseur de R o d i n , les c r é a t i f s d ' A l i c e p u i s e n t dans le
par s u i v i e d ' u n n o m p r o p r e et p r é c é d é e d u t i t r e d ' u n e o e u v r e r e n v o i e t r é s o r des m o t i f s et des i m a g e s les p l u s p o p u l a i r e s . Les q u e s t i o n s q u e
a u x u n i v e r s de la m u s i q u e , d u t h é â t r e d e la p e i n t u r e o u d e la p h o t o - pose, p a r e x e m p l e , 1 ' a u t o b i o g r a p h i e c o m m e g e n r e l i t t é r a i r e sont i l l u s -
g r a p h i e e t , d a n s ces u n i v e r s , a u x p e r f o r m a n c e s i n t e r p r é t a t i v e s . O n a ( r é e s p a r le p o r t r a i t e n n é g a t i f p h o t o g r a p h i q u e d e 1'auteur, le m e n t o n
é c o u t é la C i n q u i è m e par H . v o n K a r a y a n , o n va v o i r L e S o n g e d ' u n e dans la m a i n . Les s o c i o l o g u e s q u e s t i o n n e n t - i l s la v i e q u o t i d i e n n e o u
N u i t d ' E t é par P. B r o o k e , o n a d m i r e le p o r t r a i t d e M a r i l y n M o n r o e 1 ' u n i v e r s i t é , les h i s t o r i e n s d e la l i t t é r a t u r e q u e s t i o n n e n t - i l s la « p o é s i e
par A n d y W a r h o l o u par C e c i l B e a t o n , o u e n c o r e o n s ' e f f o r c e r a d ' a n a - é c l a t é e » , le r o m a n d ' a v e n t u r e s o u e n c o r e la « p e n s é e indéterminée»?
lyser Les M e n i n e s o u les F e m m e s d ' A l g e r par Picasso. Les ceuvres, IIs s o n t a l o r s r e p r e s e n t e s e u x aussi m a i n à la m â c h o i r e . L e m o t i f se
dans ce c o n t e x t e , g a g n e n t une certaine objectivité, deviennent des r e t r o u v e a i l l e u r s : dans les p o r t r a i t s des p h i l o s o p h e s d e 1'esprit et d u
r é f é r e n t s et d o n n e n t 1'effet d ' e x i s t e r e n soi. C e s o n t a i n s i m o i n s des p s y c h a n a l y s t e , c o m m e dans c e l u i d e 1'enfant d o n t la c a p a c i t e à ques-
r é a l i s a t i o n s o u des c r é a t i o n s q u i f o c a l i s e n t 1 ' a t t e n t i o n sur l e u r a u t e u r t i o n n e r le m o n d e dans « l e s six p r e m i è r e s a n n é e s » f a i t e l l e - m ê m e ques-
q u e des r é f l e x i o n s o u des i n t e r r o g a t i o n s sur u n e « c h o s e d é j à l à » . D è s t i o n p o u r les m é d e c i n s - p s y c h o l o g u e s : «Comment definir 1'enfant?
l o r s , Sémantique structurale n'est pas t a n t 1'ouvrage d ' u n sémioticien C o m m e n t r é a g i t - i l ? Q u e p e u t - i l f a i r e ? C o m m e n t v o i t - i l le monde?
q u e la q u e s t i o n p o s é e p a r u n s é m i o t i c i e n a u m o n d e d u sens a b o r d e Cest à toutes ces q u e s t i o n s et à b i e n d ' a u t r e s q u e répondent les
c o m m e u n s y s t è m e d e r e l a t i o n s . L a f o c a l i s a t i o n se f a i t a i n s i sur 1'objet, D r s A m e s et I l g d e 1 ' I n s t i t u t G e s e l l . »
sur le m o n d e ( q u ' i l puisse ê t r e u n m o n d e d ' i d é e s , p e u i m p o r t e i c i ) et
Les a n n o n c e s des P U F d o n n e n t a i n s i u n e r e p r é s e n t a t i o n d e la p r o -
n o n sur l ' h o m m e q u i 1'aborde et P i n t e r r o g e . C h a q u e t i t r e s u i v i de par
d u c t i o n i n t e l l e c t u e l l e o u p l u s p r é c i s é m e n t d u q u e s t i o n n e m e n t q u i est
et c h a q u e r e c h e r c h e a i n s i p r é s e n t é e p e r s u a d e m u n p e u p l u s le lec-
1'activité m ê m e des a u t e u r s , c o m m e le r a p p e l l e c h a q u e fois la signa-
t e u r d e la p r é s e n c e d u m o n d e c o m m e s i g n i f í a n t o u p o u v a n t 1 ' ê t r e , et
t u r e i n s c r i t e e n r e s e r v e b l a n c h e d a n s le l a r g e b a n d e a u n o i r . Par ce
l é g i t i m e n t d u c o u p le p r o j e t de son q u e s t i o n n e m e n t . C e s t - à - d i r e q u e
m o t i f de la m a i n à la m â c h o i r e , les a n n o n c e s des P U F d é f i n i s s e n t ce
164 Sous les signes, les stratégies Uimage, pour troubler les lettrés 165

q u e s t i o n n e m e n t t o u t à la fois c o m m e u n f a i r e et c o m m e u n ê t r e :
c o m m e le t r a v a i l et 1'état passionnel q u i c a r a c t é r i s e n t u n sujet face à Signes, symboles, pictogrammes et mythogrammes
u n m o n d e q u i , p o u r l u i , p e u t o u d o i t a v o i r d u sens. S i g n a l o n s d ' a i l -
l e u r s i c i q u e le m o t i f , t e l q u ' i l est r e p r i s et t r a i t é dans les a n n o n c e s L a f o r m e d u c o n t e n u de la c o m m u n i c a t i o n des PUF n'est pas seule-
des PUF, est d é b a r r a s s é d e ses a n c i e n n e s c o n n o t a t i o n s p s y c h o p a t h o l o - m e n t c o n s t i t u é e p a r le r é c i t d u q u e s t i o n n e m e n t q u i d o n n e sens et
giques et q u ' i l n ' e x p r i m e j a m a i s u n m a l - ê t r e . L ' é t a t passionnel d e v a l e u r a u x l i v r e s q u e les Presses é d i t e n t ; elle est aussi c o n s t i t u é e p a r
1 ' i n t e l l e c t u e l , o u p l u s g é n é r a l e m e n t d u sujet q u e s t i o n n a n t le m o n d e , la r e l a t i o n i m p l i c i t e e n t r e a n n o n c e u r et l e c t e u r q u i est, e l l e , le f a i t d u
n'est certes pas 1'euphorie mais i l n e s i g n i f i e plus 1'abattement d e c e l u i t r a i t e m e n t d o n n é à ce r é c i t . A u t r e m e n t d i t , la f o r m e d u c o n t e n u pos-
q u i sait les l i m i t e s d u s a v o i r o u le spleen d u g é n i e q u i r ê v e de la « v i e s è d e u n e c o m p o s a n t e s é m i o - n a r r a t i v e et u n e c o m p o s a n t e d i s c u r s i v e —
a n t é r i e u r e » ( p o u r r e p r e n d r e la v i s i o n b a u d e l a i r i e n n e ) . et le p a r c o u r s g é n é r a t i f est, r a p p e l o n s - l e , la r e p r é s e n t a t i o n d y n a m i q u e ,
Ce m o n d e face a u q u e l se t r o u v e le sujet q u e s t i o n n a n t est aussi cons- d e 1 ' a r t i c u l a t i o n de l ' u n e à 1'autre. Q u e l l e r e l a t i o n au l e c t e u r est i m p h -
t i t u é d e t e x t e s , p l u s e x a c t e m e n t des g r a n d s textes selon les PUF : ces c i t é e p a r les a n n o n c e s des PUF, et d e q u e l l e s t r a t é g i e r e l è v e - t - e l l e ?
« t e x t e s d ' h i e r et d ' a u j o u r d ' h u i q u i sont aussi des textes p o u r d e m a i n » I n t é r e s s o n s - n o u s donc m a i n t e n a n t à 1 ' é n o n c i a t i o n c a r a c t é r i s t i q u e de
et q u e les PUF é d i t e n t dans la c o l l e c t i o n « Q u a d r i g e » . O n a n o t e plus cette c o m m u n i c a t i o n . P o u r cela, c o n s i d é r o n s les r a p p o r t s e n t r e les
d ' u n e fois la s p é c i f i c i t é d e ces a n n o n c e s : l e u r c l a r t é , l e u r e f f e t - c o u v e r - visuels et les t e x t e s et les r o l e s q u i l e u r sont a t t r i b u é s p u i s q u e le
t u r e , le p r i v i l è g e s y s t é m a t i q u e m e n t d o n n é a u dessin ( i l c o n v i e n t d ' y p r o p r e de l ' é n o n c i a t i o n , e n t a n t q u ' a c t e , est d ' a s s u r e r la m a n i f e s t a t i o n
a j o u t e r 1'inversion t y p o g r a p h i q u e d u t i t r e et d u n o m d e 1'auteur). d u d i s c o u r s sous la f o r m e de signes et d e r a p p o r t s e n t r e les signes.
Ce q u i les d i s t i n g u e des a u t r e s , a u p l a n d u c o n t e n u c e t t e fois, c'est L ' é n o n c i a t i o n se c a r a c t é r i s e a i n s i — e n t r e a u t r e s t r a i t s — p a r la p r i s e
1'absence d e la p r é p o s i t i o n par, c o m m e d e la p r é p o s i t i o n de. P o u r q u o i e n c o m p t e des s i g n i f i a n t s , p a r l e u r c h o i x d ' a b o r d et p a r la s o u m i s s i o n
c e t t e s u p p r e s s i o n ? Q u e l est le c o n t e n u d e ce q u i ainsi é n o n c é ? Ces d u s i g n i f í é a u x c o n t r a i n t e s de l e u r s n a t u r e s respectives e n s u i t e .
a n n o n c e s p o u r « Q u a d r i g e » p r é s e n t e n t des o u v r a g e s t o u t à f a i t p a r t i - L e t y p e d e s y n c r é t i s m e c h o i s i — t e x t e - i m a g e i c i mais ce p o u r r a i t
c u l i e r s ; ce sont des textes a u t a n t q u e des n o m s : « K a n t , A l t h u s s e r , ê t r e a i l l e u r s texte-gestes — d o i t ê t r e c o n s i d e r e c o m m e l ' u n des a b o r d s
D u r k h e i m , Bergson, Poulantzas, A t t a l i , Bachelard, D u m e z i l . . . autant p r i v i l e g i e s d e 1'analyse d e l ' é n o n c i a t i o n et d e la s t r a t é g i e a d o p t é e
d e t e x t e s . . . » T o u t se passe d o n c c o m m e si l ' a u t e u r d i g n e d e cette p a r 1 ' é n o n c i a t e u r ( l ' a n n o n c e u r ) vis-à-vis de 1 ' é n o n c i a t a i r e (la c i b l e ) . E n
c o l l e c t i o n était le m o n d e q u e s t i o n n é , c o m m e si les t e x t e s r é a l i s a i e n t effet, le s y n c r é t i s m e se d é f í n i s s a n t c o m m e la m i s e e n o e u v r e d e p l u -
la r e l a t i o n m ê m e e n t r e le sujet q u e s t i o n n a n t et le m o n d e s i g n i f i a n t . sieurs langages de m a n i f e s t a t i o n , i l i n d i q u e assez 1 ' e x p l o i t a t i o n f a i t e de
D a n s les a n n o n c e s Q u a d r i g e , les t i t r e s et les n o m s d ' a u t e u r s n ' o n t - i l s la c u l t u r e d e la c i b l e et de 1'image q u e celle-ci a de 1'annonceur : q u e l
pas c h a q u e fois le m ê m e c a r a c t e r e t y p o g r a p h i q u e , la m ê m e graisse, le s t a t u t est a c c o r d é à 1'image o u a u t e x t e , quels langages sont a t t e n d u s
m ê m e c o r p s ? L a p r é s e n t a t i o n des l i v r e s d e la c o l l e c t i o n a p p a r a i t d ê s d u f a i t de 1'image d e la m a r q u e ? 4

l o r s c o m m e 1'aboutissement d ' u n c h a n g e m e n t d e f o c a l i s a t i o n sur l ' u n O n ne p e u t r e c h e r c h e r les d i f f é r e n t e s f a ç o n s d o n t la m a q u e t t e clas-


des é l é m e n t s c o n s t i t u t i f s d e t o u t q u e s t i o n n e m e n t . A la f o c a l i s a t i o n sique des a n n o n c e s PUF i n t e g r e p l a s t i q u e m e n t t e l l e o u t e l l e i m a g e sans
h a b i t u e l l e et a t t e n d u e sur le sujet , sur 1'auteur, s'est d ' a b o r d substi- ê t r e f r a p p é d e la t r ê s g r a n d e d i v e r s i t é de ces images. O n t r o u v e u n e
t u é e la f o c a l i s a t i o n sur le m o n d e q u e s t i o n n é . M a i s avec les textes d e g r a v u r e d u M o y e n A g e , u n e c a r i c a t u r e c o n t e m p o r a i n e , des d o c u m e n t s
« Q u a d r i g e » , c'est d é s o r m a i s la r e l a t i o n s u j e t / o b j e t d u q u e s t i o n n e - p h o t o g r a p h i q u e s . O n r e c o n n a i t aussi des ceuvres d e W a t t e a u , D a u -
m e n t — p r e m i è r e , c o n s t i t u t i v e — q u i est a f f i r m é e et v a l o r i s é e .

4 Sur la problématique du syncrétisme et des sémiotiques syncrétiques, on pourra lire


J . - M . Floch (ed.), Sémiotiques syncrétiques, Actes Sémiotiques - Bulletin V I , 27,
h.HF.SS-CNRS, 1983.
166 Sous les signes, les stratégies L'image, pour troubler les lettrés 167

mier, Delacroix, Hugo, Baudelaire, M u n c h , K l i m t , Rockwell, Moe- encore ou déjà — une configuration topologique : celle d'un entre-
bius et, dans les ceuvres plus anciennes, s'avoue une réelle p r é d i l e c t i o n lacs. Aussi peut-on l u i donner la forme c o n c r è t e d'une ficelle défaite
pour Michel-Ange. De plus, les r é f é r e n c e s peuvent ê t r e indirectes : et r a m a s s é e sur elle-même. L'image d'un t r o u noir au b o r d duquel se
des dessins, des photographies ou des collages renvoient à des pein- penche, perplexe, 1'essayiste illustrera plus tard cette m ê m e p e n s é e .
tures de Magritte, Bacon, Ernst, W a r h o l ou encore à des photogra- Dire ici que 1'image illustre le titre ou le texte de p r é s e n t a t i o n du
phies de Cartier-Bresson, ou de Michals. Beaux exemples d'intertex- livre est en fait inexact. I I s'agit p l u t ô t en 1'occurrence d'un rapport
tualité visuelle. Mais i l est une autre source d'images : ce sont les comparable à celui existant entre une image de couverture et le texte
signes. Toutes les sortes de signes : les caracteres typographiques, d é c o u v e r t en ouvrant le livre. O n ne peut pas douter que c'est l'image
les symboles, qu'ils soient m a t h é m a t i q u e s , m o n é t a i r e s , idéologiques, qui est vue la p r e m i è r e dans la perception de 1'annonce, ne serait-ce
m a ç o n n i q u e s , d é m o g r a p h i q u e s , corporatifs et bien súr religieux; que par son d é p l o i e m e n t dans 1'espace. Circonscrite par le b o r d noir
Pétoile de David est ainsi l'un des symboles r é c u r r e n t s de la commu- qui signe toute annonce des PUF, l'image est i m m é d i a t e m e n t p e r ç u e
nication, le nombre de ses avatars égale ceux des h ô t e s privilegies des dans son rapport au titre et au texte. Alors 1'image en p r o f i t e ; elle
PUF : Marx et Freud. O n trouve encore des drapeaux, un panneau use du fait qu'elle est vue avant que ne soient lus le titre et le texte
de circulation et une multitude de pictogrammes... Les annonces des de p r é s e n t a t i o n . L'image use aussi de son statut d'illustration du sujet
PUF puisent donc à 1'envi dans le t r é s o r des signes; elles dispensent du livre, d ' é q u i v a l e n c e visuelle m ê m e sommaire ou partielle. Les lec-
ces signes ou les e n c h e v ê t r e n t , les brisent ou les font s'affronter. Dès teurs sont ainsi faits — du moins dans une culture livresque — qu'ils
lors, les logiques du sensible r é a p p a r a i s s e n t ; les qualités formelles de ne s'attendent jamais à ce que 1'image ne reproduise pas ou n'annonce
ces signes redeviennent p r é g n a n t e s , en m ê m e temps que se révèle pas simplement le contenu du texte. Les visuels des PUF j o u e n t sur
1'omniprésence du visuel dans la vie et les pratiques quotidiennes des 1'existence de ce contrat tacite et três souvent refusent de j o u e r le
intellectuels et de tous ceux dont les livres ou les lectures visent à role du hallebardier n'intervenant sur scène que pour clamer 1'arrivée
questionner le monde. Ces qualités formelles, ces signifiants, sont dis- des h é r o s . Ils se veulent des i n t e r p r é t a t i o n s p r é l i m i n a i r e s du sujet
ponibles ainsi pour une autre utilisation voire pour un discours autre. du livre.
Certains sont traités de façon calligrammatique, de telle sorte que Dans l'annonce pour Le Patriarcat un homme p r é h i s t o r i q u e , la mas-
1'arbitraire relation entre signifiant et signifíé disparaisse. Apollinaire sue sur 1'épaule, passe devant le lecteur en t r a í n a n t une femme par
disait à p r o p ô s des calligrammes qu'«il faut que notre intelligence les cheveux. L ' h o m m e et la femme, sensibles à la p r é s e n c e du lecteur,
s'habitue à comprendre s y n t h é t i c o - i d é o g r a p h i q u e m e n t au lieu d'ana- le regardent attentifs, un peu é t o n n é s . Le lecteur est 1'étranger, c'est
lytico-discursivement». lui qui fait 1'événement. Car la p r é h i s t o i r e , elle, passe d'un pas tran-
Les annonces des PUF rappellent à 1'esprit de lecteurs t r o p habi- quille, égal... ou se laisse t r a í n e r sans résistance, donc sans à-coup. Le
tues aux manifestations linéaires et presque immatérielles de la p e n s é e rapport de forces est clair, d'une b r u t a l i t é admise, evidente. La scène
les formes d'intelligence et de production du sens qui prennent en est dessinée três simplement, c r o q u é e avec une é c o n o m i e certaine de
compte la spatialité m ê m e de leur support, son d é p l o i e m e n t sensible. moyens. De plus, c'est une image d'Epinal : un de ces lieux communs
Bien plus, tout se passe comme si la créativité de 1'agence consistait à visuels sur la p r é h i s t o i r e qu'on prend pour tel, c'est-à-dire qu'il est
nier 1'abstraction des sujets des livres des PUF, en partant du p r í n c i p e là pour signifier 1'absence de toute p r é t e n t i o n historique, descriptive
que toute question au monde ou toute p e n s é e , si intellectuelle soit- ou explicative. Autant dire que tout dans ce visuel s'avère ê t r e le
elle, ne peut se comprendre et ne peut vraiment toucher sans qu'elle contraire de ce que va dire le texte de p r é s e n t a t i o n . Dans celui-ci, on
ne s u g g è r e ou implique u n dispositif visuel minimal, sans qu'il n'y ait parle de discontinuité, de chronologie et de substitution. I I y est ques-
quelque part de visible : un espace, une o b s c u r i t é , une l u m i è r e . . . Ainsi tion d'explication, d ' é v o l u t i o n et de production là o ú i l n'y a dans le
la « p e n s é e i n d é t e r m i n é e » n'est pas le comble de l'abstraction, c'est — dessin que la suggestion d'une b r u t a l i t é sans valeur ajoutée. I I est
168 Sous les signes, les stratégies Uimage, pour troubler les lettrés 169

m ê m e question d'entreprise intellectuelle r i s q u é e , de tentative « d ' é t a - d e ce t i t r e , et a n n o n c e la l i b e r t e d ' e s p r i t d u l i v r e et ce q u i fait la


b l i r u n e c h r o n o l o g i e d e la p r é h i s t o i r e , f o n d é e sur 1 ' é v o l u t i o n des v a l e u r d e 1'ouvrage. A u t r e e x e m p l e d e visuel q u i s ' o f f r e a u x l e c t e u r s -
m o y e n s d e p r o d u c t i o n , p o u r e x p l i q u e r la s u b s t i t u t i o n d e 1'Etat p a t r i a r - cibles de l ' a n n o n c e et d u l i v r e c o m m e u n o b j e t d'analyse p r i v i l e g i e , et
cal à la S o c i é t é d e clans m a t r i s t i q u e s » . L a c o m p l e x i t é s y n t a x i q u e d u q u i l u i aussi c o n c e r n e F r e u d : l ' a n n o n c e p o u r le « Q u e sais-je ? » consa-
t e x t e c o n t r a s t e , elle aussi, avec la s i m p l i c i t é d u dessin. L ' h u m o u r d u c r é au f o n d a t e u r d e la psychanalyse. L e visuel n ' y represente r i e n : i l est
visuel et la f o r c e d ' i m p a c t ainsi d o n n é s à 1'annonce r é s u l t e n t d ' u n l u i - m ê m e l ' u n e d e ces p e t i t e s choses de la v i e q u o t i d i e n n e faites sans
m o n t a g e s é m a n t i q u e en d e u x temps — u n peu c o m m e o n parle y penser et q u e F r e u d n o u s a a p p r i s à c o n s i d é r e r c o m m e s i g n i f i a n t e s
d ' u n m o n t a g e financier. T o u t d ' a b o r d 1'image dessine e n c r e u x , sans d e « l a puissance d u d é s i r a u t a n t q u e (de) celle des forces d e d e s t r u c -
le r e p r é s e n t e r u n l e c t e u r - o b s e r v a t e u r d o n t les raisons d ' o b s e r v e r j u s - t i o n » , p o u r r e p r e n d r e les t e r m e s d u t e x t e d e p r é s e n t a t i o n d u l i v r e .
t e m e n t s o n t b i e n p e u e v i d e n t e s p o u r les p r o t a g o n i s t e s de la s c è n e . P o u r les disciples de F r e u d , q u e l l e m a g n i f i q u e i d é e de c o r p u s —
Q u ' a - t - i l d o n c à n o u s r e g a r d e r ? I I f a u t q u e ce t y p e soit é t r a n g e r p o u r c o m m e d i s e n t les u n i v e r s i t a i r e s — q u ' u n e c o l l e c t i o n d e ces g r i b o u i l l i s
o b s e r v e r u n e s c è n e sans h i s t o i r e ! Dans u n d e u x i è m e t e m p s , le t e x t e r é a l i s é s dans le t e m p s d ' u n e c o n f é r e n c e e n n u y e u s e o u d ' u n c o u p d e
d o n n e u n e i d e n t i t é à cet o b s e r v a t e u r i m p l i q u e p a r le dessin. L e l e c t e u r - t é l é p h o n e i n t e r m i n a b l e et q u i d é m a r r e n t à p a r t i r d ' u n t i t r e de c o m -
o b s e r v a t e u r est i d e n t i f i é a u psychanalyste : ce d e r n i e r n ' e s t - i l pas ici e n m u n i c a t i o n o u d ' u n e n c a r t p u b l i c i t a i r e dans le B o t t i n ! Dans les d e u x
t r a i n d'essayer d e c o m p r e n d r e le m o n d e d e la p r é h i s t o i r e ? L ' h u m o u r e x e m p l e s q u i v i e n n e n t d ' ê t r e d o n n é s , o n a u r a r e m a r q u e q u e le visuel
est « u n e f o r m e d ' e s p r i t q u i consiste à p r é s e n t e r la r é a l i t é d e m a n i è r e à n'est pas là u n i q u e m e n t p o u r r e n v o y e r à a u t r e chose, à 1'objet d e sens
en d é g a g e r les aspects plaisants et i n s o l i t e s » , n o u s d i t Le Petit Robert. q u ' e s t le l i v r e a n n o n c é : i l est l u i - m ê m e u n o b j e t de sens p l a c é d e v a n t
C e s t b i e n , s e l o n n o u s , la f o r m e d ' e s p r i t d e ce visuel q u i d é g a g e d ' u n e le l e c t e u r . O n r e v i e n d r a , à la f i n d e ces pages, sur c e t t e mise e n p r é -
r é e l l e t e n t a t i v e i n t e l l e c t u e l l e 1'aspect i n s o l i t e et p l a i s a n t q u e p r e n d r a i t sence et sur son effet.
t o u t e r e n c o n t r e e f f e c t i v e e n t r e 1'historien et l ' â g e q u ' i l p r é t e n d r e s t i -
I I f a u t e n f i n p a r l e r i c i d ' u n e a u t r e r e l a t i o n i m a g e et t e x t e r é a l i -
t u e r , s u r t o u t si vous ê t e s v o u s - m ê m e le psychanalyste h é r o s de la r e n -
s é e p a r A l i c e p o u r le Bréviaire de la cohabitation. A la p a r u t i o n d e
c o n t r e et q u e 1'histoire est sans p a r o l e s , sans é t a t s d ' â m e et sans
l ' a n n o n c e e n p l e i n e page d e q u o t i d i e n , le l e c t e u r n e p o u v a i t pas n e
complexité.
pas v o i r d ' a b o r d 1'image; la r e p r o d u c t i o n d e l ' a n n o n c e a u f o r m a t d u
Par son h u m o u r , le visuel de l ' a n n o n c e p o u r Le Patriarcat vise à p r é s e n t v o l u m e n e r e d o n n e pas la p r é s e n c e q u ' e l l e a p u a v o i r ce j o u r -
g a g n e r u n p u b l i c p l u s l a r g e q u e c e l u i des seuls s p é c i a l i s t e s . L e visuel là p o u r le l e c t e u r . M a i s , m ê m e ainsi r e p r o d u i t e , 1'image reste f r a p -
d e l ' a n n o n c e p o u r Freud et le Diable, c h e r c h e , l u i , à s é d u i r e les c o n n a i s - p a n t e ; elle reste ce q u i est v u d ' e m b l é e . E t le l e c t e u r q u i a u r a l u
seurs des t e x t e s d e F r e u d . E n effet la t r a n s f o r m a t i o n i c o n o c l a s t e d e e n s u i t e le t i t r e d u l i v r e saisira t o u t à la fois le r a p p o r t e n t r e 1'image et
F r e u d e n d i a b l e n'est pas s e u l e m e n t i n s p i r é e d u t e x t e d e p r é s e n t a t i o n le t i t r e et 1 ' a d é q u a t i o n p a r t i e l l e e n t r e c e u x - c i . Ces d e u x fauves gueules
q u i m e t e n a v a n t 1 ' i n d i s c r é t i o n , 1'inconvenance d e 1'auteur. C e s t u n o u v e r t e s et serres l ' u n c o n t r e 1'autre dans u n e mise e n p r é s e n c e c o n t r e
visuel c o n ç u c o m m e u n c a l e m b o u r , à p a r t i r d u t i t r e d u l i v r e , c ' e s t - à - n a t u r e , ce sont b i e n les d e u x forces p o l i t i q u e s q u i d o i v e n t c o h a b i t e r .
d i r e c o m m e u n d e ces é n o n c é s s p i r i t u e l s d o n t F r e u d a m o n t r é la Mais r i e n dans 1'image n ' a n n o n c e 1'idée d u b r é v i a i r e ( a u c u n e f i g u r e ,
richesse et la l o g i q u e et q u e les connaisseurs d e son ceuvre a p p r é - a u c u n o b j e t e c c l é s i a s t i q u e ) , r i e n dans 1'expression v i s u e l l e e l l e - m ê m e
c i e n t et r e c h e r c h e n t . T r ê s p r o c h e des p h o t o g r a p h i e s u t i l i s é e s dans les ne c o n n o t e la r e l i g i o n o u le l i v r e de 1'office d i v i n . L a r é f é r e n c e q u i
a n n o n c e s d e la t r a d u c t i o n i n t é g r a l e d e F r e u d a u x P U F , 1'image quasi v i e n t à 1'esprit, p a r la p r é s e n c e i r r é a l i s t e des d e u x a n i m a u x c o m m e p a r
i n s t i t u t i o n n e l l e d e F r e u d est i c i p i r a t é e , d é t o u r n é e ; e l l e d o n n e à v o i r le c h o i x t e c h n i q u e d e la g r a v u r e , c'est la f a b l e . L ' i m a g e serait 1'illus-
— l i t t é r a l e m e n t — q u e le t i t r e t r o u v é p a r l ' a u t e u r , Freud et le Diable, t r a t i o n p a r f a i t e d ' u n l i v r e i n t i t u l e Fable de la cohabitation. C e p e n d a n t ,
s ' e n t e n d aussi c o m m e « F r e u d est le D i a b l e » . L e r a j o u t des p e t i t e s c e t t e r é f é r e n c e à la f a b l e i n d i q u e q u e l ' a d é q u a t i o n d e 1'image a u t i t r e
c o r n e s et d e la q u e u e p o i n t u e p e r m e t t e n t u n e l e c t u r e h o m o n y m i q u e est m o i n s p a r t i e l l e q u ' i l n ' y paraissait : la f a b l e aussi c o n t i e n t u n ensei-
170 Sous les signes, les stratégies

gnement et dit ce que l'on doit faire; elle illustre aussi u n p r é c e p t e .


Ainsi 1'image-fable des deux fauves visualise une partie du contenu
m ê m e du mot b r é v i a i r e . U n bréviaire contient lui aussi un enseigne-
m e n t ; i l dit aussi ce que 1'on doit faire — comment louer Dieu
chaque j o u r et à chaque heure. Cest d'ailleurs ainsi que le b r é v i a i r e
est defini dans le texte de p r é s e n t a t i o n , écrit dans un style de dic-
tionnaire : « P e t i t livre o ú sont clairement expliquées les régies...»
O ú reside dès lors, la différence entre la fable prise pour r é f é r e n c e
de discours normatif par Thomme d'image et le b r é v i a i r e choisi par
1'auteur du livre? O n ne peut penser raisonnablement qu'un homme
d'image, fút-il soucieux d'impact, soit moins inspire par un b r é v i a i r e
et par 1'univers ecclésiastique. La raison est autre. Et elle est assez
suggestive de la stratégie énonciative de 1'annonceur : la fable est un
discours politique traditionnel, populaire, et qui, chez n'importe quel
lecteur, est r a t t a c h é à des souvenirs personnels, três forts, t r ê s anciens
et surtout t r ê s visuels. Encore une fois, on peut ici saisir Pune des
constantes créatives de la communication des P U F réalisée par Alice :
r é v é l e r aux gens de texte que sont avant tout les lecteurs des livres
des P U F la part v é r i t a b l e m e n t essentielle du visible et de 1'image dans
leur propre formation, dans leur propre relation au sens.
Mais revenons à cette spatialisation de 1'écriture déjà e n g a g é e par le
traitement calligrammatique de certains titres. Les annonces des P U F
peuvent r o m p r e la linéarité du verbal en recourant au calligramme.
Mais i l arrive m ê m e que 1'espace du visuel de certaines annonces aille
j u s q u ' à se d é p l o y e r , j u s q u ' à « r a y o n n e r » et devenir le lieu de réali-
sation d'un mythogramme. O n sait que A . Leroi-Gourhan définit le
mythogramme par opposition au pictogramme non seulement comme
un certain type d'images mais aussi comme un certain mode de p e n s é e
proprement mythique : « C e qui caractérise le pictogramme, dans ses
liens avec l ' é c r i t u r e , c'est la linéarité : comme c'est le cas par 1'aligne-
ment successif des phases d'une action. Quand on represente les états
successifs des phases d'une action en de petits dessins, comme en
ont fait les Eskimos, on est indiscutablement en p r é s e n c e d'un picto-
gramme. O n peut é t e n d r e cela à une action o ú le geste evoque le
d é r o u l e m e n t du temps, comme on le voit à Lascaux : 1'homme ren-
versé par le bison, c'est un pictogramme, c'est-à-dire une image qui a
un passe, un p r é s e n t et u n futur. Le mouvement m ê m e du bison qui
renverse Fhomme fait q u ' i l y a un avant o ú l'homme n ' é t a i t pas encore
Pictogrammes
ILYADELURGO ILYA DEL AIR
DANSLAIR. DANS URGO.

Ecriture et folie

Mythogrammes Mythogrammes
174 Sous les signes, les stratégies L'image, pour troubler les lettrés 175

r e n v e r s é , un pendant et u n après o ú 1'acte était fíni. Le mythogramme, voir, u n j o u r , les disposer selon des arrangements qui n'auront rien à
lui, presente non pas les états successifs d'une action, mais les per- voir avec leurs usages premiers; c'est ainsi par bricolage — au sens
sonnages non s t r u c t u r é s l i n é a i r e m e n t qui sont les protagonistes d'une cognitif que C l . Lévi-Strauss a d o n n é à ce terme — que la rencontre
o p é r a t i o n mythologique..." . Et A . Leroi-Gourhan d'ajouter : « D a n s
5 de cet entonnoir et de cette plume c r é e un mythogramme. « R e n d r e
nos sociétés, q u a n t i t é s de r e p r é s e n t a t i o n s sont mythographiques. 1'idée de paix en plaçant une femme sous un toit ouvre une perspec-
L'affiche en offre beaucoup d'exemples. Dans Le geste et la parole, j ' a i tive proprement mythographique parce que cela ne correspond ni à la
reproduit une figure publicitaire : "Le t h o n , c'est bon". Elle repre- transcription d'un son ni à la r e p r é s e n t a t i o n pictographique d'un acte
sente un thon c o u p é en plusieurs morceaux, l'un correspondam à la ou d'une qualité, mais à Fassemblage de deux images qui entrent en
boite de conserve (du côté de la queue), 1'autre à la t ê t e et au buste jeu avec toute la profondeur de leur contexte e t h n i q u e » , écrivait
d'une Bretonne; et le tout avec 1'inscription : le t h o n , c'est b o n . » 6 A. Leroi-Gourhan à p r o p ô s des plus anciennes inscriptions chinoises . 8

De fait, bien des affiches célebres relèv en t du m y t h o g r a m m e ; i l suf- Rendre la follittérature en plaçant une plume sous un entonnoir ren-
fit, pour s'en convaincre visuellement, de penser aux affiches Bouil- versé procede la m ê m e logique. Et la figure mythographique ainsi
lon K u b de Cappiello ou Monsavon de Savignac, ou plus r é c e m m e n t c o n s t i t u é e p o s s è d e , d ê s lors, « u n e extensibilité o r a l e » . Enfin, i l faut
à celles d ' U r g o ou de Benetton. Le visuel conçu pour Ecriture et folie r e c o n n a í t r e la stricte c o n f o r m i t é s é m a n t i q u e du visuel c o n ç u pour
constitue un exemple t r ê s r e p r é s e n t a t i f de la p e n s é e mythographique. Ecriture et folie avec le texte qui presente ce livre : « Quel rapport entre
Une plume et un entonnoir r e n v e r s é sont les deux figures du visuel folie et ecriture?... Quel chemin Maupassant, Woolf, Beckett, Duras,
de 1'annonce ^Ecriture et folie. Les deux objets ne sont pas disposés Highsmith et d'autres ont-ils e m p r u n t é pour partir à la rencontre de
l'un par rapport à l'autre selon un axe horizontal qui renverrait à la folie? Cest à toutes ces interrogations que r é p o n d Monique Plaza,
1'énoncé du titre. L ' u n est au-dessus de l'autre; et 1'image qu'ils docteur en psychologie et p s y c h o t h é r a p e u t e . » Le mythogramme a
forment s'organise à partir de 1'intersection de 1'axe vertical de bien la p a r t i c u l a r i t é de solliciter un commentaire. Comme le mytho-
Pentonnoir et de celui, horizontal, de la plume. Ecriture et folie s'écrit gramme est une occasion de raconter telle ou telle legende ou tel
dans 1'espace linéaire d'un t i t r e ; 1'écriture et la folie sont d o n n é s à ou tel mythe, le mythogramme publicitaire est une occasion pour
voir, dans un « e s p a c e r a y o n n a n t » . Les deux objets, dont le dessin le public de se raconter une histoire. Les affiches mythographiques
evoque quelque vieux catalogue de vente par correspondance, sont tirent, selon nous, leur force et leur p e r é n n i t é de cette incitation du
mis en p r é s e n c e l'un de 1'autre, sans autre contexte que celui de public à les mettre en récit, à imaginer mille actions et intrigues là
1'espace blanc de 1'annonce. Cette rencontre est du m ê m e ordre que oú i l n'y a que quelques relations établies et mises en espace. Cest la
celle, i m a g i n é e par M . Ernst, d'une machine à coudre et d'un para- force du visuel conçu pour Ecriture et folie; c'est aussi sa perti-
pluie sur une table de dissection. Comme celle-ci, elle invite l'ceil et nence et son p r o p ô s : Maupassant, Woolf, Beckett, Duras, H i g h s m i t h
1'esprit « a u double j e u d'opposition et de c o r r é l a t i o n , d'une part entre et d'autres ne d é s i g n e n t jamais que certains des « c h e m i n s » , des récits
une figure complexe et le fond sur lequel elle se profile, d'autre part que la l i t t é r a t u r e a conçus à partir du t h è m e ecriture et folie.
entre les deux é l é m e n t s constitutifs de la figure e l l e - m ê m e » , un j e u
dans lequel, selon Cl. Lévi-Strauss, se reconnait la m é t h o d e structura-
liste . Des objets hors de leurs contextes sont conserves afin de pou-
7 L'émotion et le regard

La plupart des annonces-presse des é d i t e u r s donnent 1'effet de pan-


5A . L e r o i - G o u r h a n , Les racines du monde, Paris, Ed. Belfond, 1982, p. 64
neaux publicitaires ou de vitrines de libraire. Ces effets ne sont certes
6L'affiche est reproduite dans A . L e r o i - G o u r h a n , Le geste et la parole, Paris, Ed. A l b i n
Michel, 1964, p. 284.
7C l . Lévi-Strauss, Le regard éloigné, Paris, Plon, 1983, p. 328 8 A . L e r o i - G o u r h a n , Le geste et la parole, op. cit, p. 280.
176 Sous les signes, les stratégies Uimage, pour troubler les lettrés 177

pas le fruit du hasard. Ce sont de véritables codes de communica- de couverture ou la p r e m i è r e double page. Cest 1'instant oú se conju-
tion choisis en fonction d'une stratégie et d'effets de sens r e c h e r c h é s guem non pas « l e son et le sens» comme dans la parole , mais les 9

a u p r è s de cibles clairement identifiées et visées. Et chacun de ces lignes, les formes et le sens.
choix est é v i d e m m e n t signifícatif d'une certaine conception du livre, T o u t au long de ces pages, nous avons reconnu que la part de
de r é d i t i o n et du choix d'un certain lectorat. Quand on regarde les 1'image et plus g é n é r a l e m e n t du visible est essentielle dans 1'établisse-
annonces des P U F , les effets sont tout autres. O n a indique 1'effet de ment de la relation entre F é d i t e u r et sa cible. Les visuels et la
couverture produit par cette collection p a r t i c u l i è r e qu'est Quadrige. qualité m ê m e de Fespace des annonces ne sont pas le seul fait d'une
O n remarque surtout, au regard des autres annonces, u n effet qu'on recherche d'impact. Cette part de Fimage et du visible actualise et
proposera d'appeler « effet-frontispice » p r o d u i t par la bipartition ver- enrichit, chaque annonce davantage, la signature des PUF. L'image et
ticale de la surface de 1'annonce. Cette partition divise é g a l e m e n t la le visible servent le positionnement de F é d i t e u r : le questionnement
surface en une moitié g a ú c h e pour le visuel et une moitié droite pour du monde par les livres, c'est-à-dire tout à la fois une certaine concep-
le texte de p r é s e n t a t i o n . La relation entre ces moitiés p r o d u i t l'effet tion de la réflexion intellectuelle — et non uniquement universitaire
d'un livre ouvert sur une double page, plus p r é c i s é m e n t sur la pre- — et le privilège d o n n é aux ouvrages plus q u ' à F é d i t e u r ou aux
m i è r e double page de ces livres classiques oú la partie g a ú c h e était auteurs e u x - m ê m e s . L'image et le visible servent aussi la stratégie
o c c u p é e par un frontispice, une gravure que le typographe et F é d i t e u r a d o p t é e dans la communication pour faire passer ce positionnement.
plaçaient face au titre — la plupart du temps suivi d'un texte d'explici- L ' é d i t e u r et son agence, connaissant les façons de penser et de lire
tation. de leur cible, s'en servent pour troubler et s é d u i r e , en r é a c t i v a n t des
Aussi différentes soient-elles, les annonces-couvertures de Quadrige façons d ' ê t r e au sens que ces lecteurs ont oubliées ou qu'ils ne pen-
et les três nombreuses annonces-doubles pages traitées en effet-fron- saient pas devoir adopter en telle circonstance. I I convient d'ailleurs
tispice produisent finalement un m ê m e effet general, tout à fait parti- de remarquer que ce travail n'est possible que si F é d i t e u r - a n n o n c e u r
culier quand on considere la communication publicitaire du secteur. dispose d'un solide capital de sérieux mais cherche aussi — et ce n'est
T r a i t e r la totalité de la surface de l'annonce comme une couverture qu'apparemment un paradoxe — à contrecarrer s y s t é m a t i q u e m e n t
ou comme la p r e m i è r e double page d'un livre — traiter pleine page, tout ce qui peut y avoir de l i m i t a t i f et d'attendu dans Fimage tradi-
comme disent les maquettistes — c'est c r é e r un rapport direct entre le tionnelle du monde universitaire.
livre et le lecteur; c'est le l u i rendre p r é s e n t . Le lecteur est devant une Le monde ainsi q u e s t i o n n é par les livres des P U F est u n monde
couverture, devant une double page, et non devant une mise en scène p r é s e n t , encore bizarre et qui vous regarde autant que vous le regar-
ou une reproduction du livre. Mis en scène ou reproduit, le livre est dez. Les livres des P U F questionnent le monde comme les lecteurs des
un objet physique et commercial médiatisé : i l est s c é n o g r a p h i é , annonces sont a m e n é s à questionner celles-ci. E n o n c é et é n o n c i a t i o n
comme disent les spécialistes de la distribution. Par contre, dans les relèvent de la m ê m e t h é m a t i q u e . Dans un cas comme dans Fautre —
annonces des PUF, le livre est davantage un objet sensible et un objet qu'il s'agisse de produire une signification ou d'en saisir une — Fintel-
de sens. O n pourrait dire — en retrouvant ainsi H . Wõllflin une nou- ligibilité est située à la « b o n n e d i s t a n c e » entre le sujet et Fobjet. Bien
velle fois — que le rapport de 1'annonce au lecteur s u g g è r e des valeurs plus, elle le constitue. Le sémioticien d'acquiescer!
tactiles, ce qui pour 1'auteur des Príncipes fondamentaux de 1'histoire de
Vart correspond bien à une vision classique. Le livre est là, p r é s e n t ,
d'une m a n i è r e i m m é d i a t e . Et i l s ' é p r o u v e comme objet sensible dans
le m ê m e instant o ú i l est saisi comme objet de sens, et par son visuel
et par son texte. O n peut d'ailleurs préciser la nature de cet instant :
9 Allusion est faite ici au livre de R. Jakobson, Six leçons sur le son et le sens, Paris, Ed.
c'est un d é b u t , une o r é e , une ouverture. O n a devant soi la p r e m i è r e de M i n u i t , 1976.
178 Sous les signes, les stratégies LHmage, pour troubler les lettrés 179

Qui sera le maitre du monde ?

LES R E L A T I O N S SOVIETO-
A M E R I C A I N E S par A. de Tinguy

Depuis la 2' gucrre mondiale, à


cause de leur force et de 1'etendue
de leurs réalisations, les Etars-Unis
sont à la fois le grand rival et le modele auquel
1'URSS se refere. Ils sont aussi le pays q u i , aux
yeux de 1'Union Sovietique, compte le plus
dans la vie internai ionale. "Que sais-je?"n"2348.

Aulrtí Nouveautés: LAGRESSION, par G. Moser


n 2349 • LE DROIT DE
a L'ENVIRONNEMENT, SEMANT1QUE STRUCTURALE
par J. Morand-DtviUer n'2334 • LE PARLE-
Par Aigirdas Julien Greimas
MENTARISME, par P. Lauvaux n"2343 • LA
"Sémaniiquc simctutale" fut le texie fondateur de 1'Ecole
PSYCHO-PEDAGOGIE,par G. Mialartt n 2357.
a

sémiotique de Paris. I I demeure 1'ouvrage de r í l í r c i


pour 1'étude scicnrifiquc de la grammaire du sens: concepts
inauguraux, eludes narraiivcs ei discursives des tentes.
Colltaion "Forma úmiotuiuii" dirigét par Anni I M t T)ll|
264 papi SSF U r 1 I
COLLECTION 'QUE SA1S-JE?
Uencyclopedie i formal de poche —

UU.R.S.S. V U E D E GAÚCHE.
PUBUÊSOUS LAD1RECT10N DE ULLY MARCOU.
puf
ColUction "Poláiqiu iTAujourtfhui"-296 paia • 10OF

LES LIVRES DES PUF QUESTIOXXF.NT LE MONDE


L 'image, pour troubler les lettrés 181

LE CAS SCHREBER.
Contributions psychanalytiqu.es
de langue anglaise par
Franz Baumeyer et divers auteurs.
T E cas Schreber rcvêt une impor-
X-tftance capilalc en psychanalyse;
les « Mémoires d'un névropathe », auto-
biographie d'un psychotique dc génie,
sont, selon Freud, un document irrem-
plaçable.
Ce recucil presente les recherches
faites sur Schicber par les auteurs de
langue anglaise dans la période allant
de 1949 ã 1975. II comprend aussi
bien les dossiers cliniques des hôpitaux
que les découvertes concernant les mé-
thodes d'éducation préconisées par le
père de Schreber, médecin
célebre en Allemagne. puf
LES LIVRES DES PVF QUESTIOSSENT I I MOXDE

BREVIAIRE DE LA COHABITATION
Maurice Duverger
"Petit livre oú sont clairement expliquées les régies que la cohabitation
politique impose à ses adversaires comme à ses partisans"
Définition de 1'auieur, 1986.
160 pagts. 65F.
LES LIVRES DES PVF QCESIIOXXEXT LE MONDE
285. Montage Damien Peyrel

158. Document Roger-Viollel, photomontage Diane Dupuy


« T U É S D A N S L'CEUF!»
L E S E N J E U X SÉMIOTIQUES DES DIFFÉRENTES
«PHILOSOPHIES DE PUB»

— Germaine et les martiens tués dans 1'ceuf! 1989 sera une date
historique en publicite, moins par ses spectaculaires O P A sur Ogilvy
et BMP — celles-ci ne sont connues que des gens du business —
que par les «meurtres en série» de nos héros familiers : dispanis,
1

1'Oncle Ben's, le père Ducros et Marie-Pierre qui plizzait de terreur


les conseils d'administration. Disparue donc elle aussi, Germaine, peut-
être pour avoir voulu que la fourchette fút aux pâtes ce que la cuillèi <•
est au café soluble.
— Non, il faut faire montre de plus de distance, de plus de hauteur
de vue : 1989 marquera en fait le passage de l'ère des trois R à celle
des trois S. Cest du moins ce qu'affirme J. Séguéla : «Nous sommes
passes de l'ère des trois R (rêve, rire, risque) à celle des trois S (sim-
plicité, substance, spectacle)... On entre dans une époque de sobriété
et de puritanisme à la mode Thatchero-reaganienne» . 2

— Mais faut-il vraiment choisir entre le fait divers et l'épopée?


Décidons une bonne fois pour toutes que tout cela n'est que discours
convenu. Sinon chaque année sera 1'année du siècle, à lire les revues
consacrées à la publicite et à entendre la defense et illustration que
les publicitaires font de leurs campagnes et de leurs agences? Ce nYst
pas que ces articles et ces déclarations soient sans importance; ils sont
simplement sans signification. Ils ne renvoient à rien qui de prés ou

1 « M e u r t r e s en série» et « G e r m a i n e et les Martiens tués dans Poeuf» sont deux titres


qui introduisaient les articles consacrés à ces é v é n e m e n t s par Communication ICB News
(n° 109,janvier 1989).
2 J . Séguéla, propôs recueillis par Médias dans son numero 277 de mai 1989.
184 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 185

de loin puisse relever d'une histoire de la publicite ou de réels enga- a u p r è s de Ph. Gavi, alors journaliste à Liberation, la s u r e n c h è r e des
gements personnels... publicites spectaculaires et les stars systèmes sur 1'autel desquels on
A u risque de passer pour un gobe-mouches, on dira ici que nous sacrifíe le produit au profit du produit publicitaire l u i - m ê m e : « A u
pensons tout le contraire, et les pages qui suivent chercheront à faire lieu de se demander prioritairement quel produit on devrait concevoir
r e c o n n a í t r e «sous les signes» de 1'évidente c o m p é t i t i o n commerciale et comment ensuite en exploiter les vertus pour faire de sa nature pro-
entre agences, un véritable d é b a t d'idées, des conceptions différentes fonde la vraie star, les publicitaires se sont e m p o i g n é s dans un mano
et parfois antinomiques de la valeur ajoutée que represente la créa- a mano d'images spectaculaires et de plus en plus coúteuses » . 9

tion : des idéologies de la publicite. Autrement dit, quand D. Ogilvy R. Raynal, qui a fait plonger des Visa du haut d'un porte-avion et
écrit Les confessions d'un publicitaire^, J.-M. D r u Le Saut créatif, jeter des pneus du haut d'un sommet des Andes, semblait dans le
P. Lemonnier Quand la publicite est aussi un roman et J. Séguéla Holly-
5
m ê m e article lui r é p o n d r e : « N o u s venons de franchir une f r o n t i è r e
wood lave plus blanc ou Demain il sera trop star , i l est possible de n'y
6
en publicite automobile, celle de la crédibilité. Jusqu'ici, ce que l'on
voir que des coups de pub, mais i l est possible aussi — et p e u t - ê t r e montrait à 1'écran s'inspirait d'un p r í n c i p e de réalité. Là, on se situe
m ê m e legitime — d'y r e c o n n a í t r e des q u ê t e s de valeurs , des prises
7
sur un autre plan, celui de la sympathie, de la vivacité...»
en charge individuelles ou collectives de telles ou telles conceptions Ainsi la presse grand public, à 1'instar de la presse professionnelle,
du faire publicitaire. I I en va de m ê m e des p r o p ô s d'un J. Feldman se fait 1'écho des controverses entre publicitaires. Cest un fait assez
ou d'un Ph. Michel quand ils s'expriment sur leur m é t i e r et sur leurs r é c e n t , qu'on peut dater du milieu des a n n é e s 80, et qui t é m o i g n e
campagnes; i l en va de m ê m e encore des « c o n c e p t s d ' a g e n c e » par8 sinon de la « p u b l i p h i l i e » du grand public du moins de sa culture
lesquels celles-ci cherchent à se positionner en termes de c r é a t i o n . publicitaire : de son attention à la diversité des approches publici-
taires. De m ê m e , L'Express du 5 avril de la m ê m e a n n é e 1985
exposait p é d a g o g i q u e m e n t à ses lecteurs les d é m a r c h e s respectives
de Ph. Michel ( C L M / B B D O ) , J . Séguéla (RSCG), J . Feldman (FCAl) et
Publicite', sémiotique : même débat D. Robert (à 1'époque, patron de Robert & Partners) à partir de cam-
pagnes exemplaires : Mamie Nova (pour Ph. Michel), Citroen (pour
En février 1985, J. Feldman donnait indirectement sa propre concep- J. Séguéla), Yoplait (pour J. Feldman) et Médecins sans F r o n t i è r e s
tion de la publicite en lançant « u n pavé dans la m a r e » : i l d é n o n ç a i t (pour D. Robert). U n news apprenait donc à ses lecteurs, sinon
éclairés du moins sensibilisés, q u ' i l existe de véritables idéologies
publicitaires et qu'elles peuvent ê t r e três différentes les unes des
3 David Ogilvy, Les confessions d'un publicitaire, Paris, Dunod, 1985 (pour la der- autres, que les campagnes sont des discours sur les produits mais
nière édition).
4 Jean-Marie Dru, Le Saut créatif, Paris, Ed. J.-C. Lattès, 1984.
qu'elles peuvent ê t r e aussi analysées comme des discours implicites
5 Pierre Lemonnier, Quand la publicite est aussi un roman, Paris, Hachette, 1985. sur la bonne ou mauvaise façon de discourir sur le produit, et donc
6 Jacques Séguéla, Hollywood lave plus blanc, Paris, Flammarion, 1985; Demain il sera de faire de la publicite. La presse professionnelle n ' é t a i t pas en reste;
trop star, Paris, Flammarion, 1989.
7 Sémiotiquement 1'idéologie se définit comme une quête de valeurs, comme leur Stratégies parlait m ê m e de r h é t o r i q u e : « L e dernier film de FCA!
«actualisation» par un sujet — individuei ou collectif — qui les prend en charge et pour Yoplait Nature est un film à message et à parodie. Le message,
vise à les réaliser. L'axiologie, elle, se définit comme le système de valeurs encore
«virtuelles». L'axiologie est donc de nature paradigmatique, 1'axe paradigmatique étant
c'est celui de 1'annonceur tout puissant; la parodie, elle, porte sur le
celui du système. L'idéologie est de nature syntagmatique; les valeurs — à partir du
moment o.ú elles sont prises en charge et quêtées — apparaissent comme des potentia-
lités de procès.
8 Nous faisons ici allusion à 1'enquête réalisée par Stratégies sur les philosophies
d'agences; «Concepts d'agence : la philosophie dans les boudoirs» (n° 626, octobre
1988). 9 J. Feldman, Liberation, 25 février 1985.
186 Sous les signes, les stratégies «Tués dans 1'ceuf!» 187

d é t o u r n e m e n t d u genre publicitaire. L a r h é t o r i q u e feldmanienne per- v e n u à u n s é m i o t i c i e n . — Mais elle e m p ê c h e de d i r e n ' i m p o r t e q u o i —


siste et s i g n e . »1 0
f u t la r é p o n s e . E n e f f e t , c'est u n e n o b l e t a c h e q u e d e s e r v i r d e g a r d e -
U n e t e l l e s i t u a t i o n ( h i s t o r i q u e , p o u r le c o u p ? ) ne p e u t pas ne pas f o u p a r ces t e m p s d e l a x i s m e , o ú face à u n Tout est permis é p i s t é m o -
p r o v o q u e r les s é m i o t i c i e n s à i n t e r v e n i r . L a s é m i o t i q u e n ' a - t - e l l e pas l o g i q u e p a r t r o p f r é q u e n t , o n est a m e n é à r é p é t e r , i n c e s s a m m e n t , le
p o u r o b j e t Panalyse d e la s i g n i f i c a t i o n et d o n c d u d i s c o u r s ? B i e n p l u s , Tout se tient saussurien. E t ceei sous p e i n e d e p e r d r e son â m e , c ' e s t - à -
le p r í n c i p e m ê m e d e 1 ' i n t e r v e n t i o n d e la s é m i o t i q u e — s t r u c t u r a l e e n d i r e son « i d e n t i t é n a r r a t i v e » , p o u r r e p r e n d r e u n e h e u r e u s e f o r m u l e
de Paul Ricceur.il parait que, lors d ' u n r é c e n t c o n g r è s , u n é m i n e n t
tous cas — c'est d ' a i d e r à passer d e la saisie des d i f f é r e n c e s à la d é f i -
p r o f e s s e u r s'est i n t e r r o g é sur la d i f f é r e n c e q u i e x i s t a i t e n t r e les s é m i o -
n i t i o n des r e l a t i o n s . T o u t le m o n d e sait d é s o r m a i s q u e J . F e l d m a n n e
t i q u e s a m é r i c a i n e et e u r o p é e n n e . C e t t e d e r n i è r e n e r e c o n n a i t r a i t pas
pense pas c o m m e J . S é g u é l a , q u e P h . M i c h e l n ' a pas la m ê m e p o s i t i o n
1'existence d u r é f é r e n t , d e la r é f é r e n c e d u signe à la « r é a l i t é » , a l o r s
q u e D . O g i l v y . E n c o r e s ' a g i t - i l , si l ' o n v e u t a l l e r p l u s l o i n , d e savoir d e
q u e celle-ci serait d e 1'ordre de 1 ' é v i d e n c e . L a s é m i o t i q u e e u r o p é e n n e
q u o i l ' o n p a r l e , d e p r é c i s e r la n a t u r e d e ces d i f f é r e n c e s . C e s t a l o r s
aurait donc tort. U n tel raisonnement p o u r r a i t a i s é m e n t ê t r e pris
q u ' o n p o u r r a r e c o n n a í t r e les c o m p l é m e n t a r i t é s o u les c o n t r a d i c t i o n s
c o m m e u n c o m p l i m e n t : t o u t en s ' e m p ê c h a n t de d i r e n ' i m p o r t e
e n t r e p h i l o s o p h i e s d'agences o u e n t r e p r a t i q u e s p u b l i c i t a i r e s . Dans le
q u o i , la s é m i o t i q u e p a r e n t h é t i s e e n q u e l q u e s o r t e t o u t e p o s i t i o n g n o -
d é b a t q u i s'instaure, la s é m i o t i q u e p e u t a p p o r t e r u n e c e r t a i n e o b j e c t i -
s é o l o g i q u e , l i e u des « c o n v i c t i o n s i n t i m e s » , et d o n n e ainsi la p a r o l e à
v a t i o n o u u n e c e r t a i n e e x p l i c i t a t i o n d e ces e n j e u x n o n e x c l u s i v e m e n t
n ' i m p o r t e q u i . L a l i b e r t e d u sujet et la c o h é r e n c e d e 1'objet s é m i o -
c o m m e r c i a u x , e n disposant ces p h i l o s o p h i e s les unes p a r r a p p o r t a u x
t i q u e sont à ce p r i x » .
a u t r e s r e l a t i v e m e n t à l e u r p r o b l é m a t i q u e c o m m u n e : le r a p p o r t e n t r e
le d i s c o u r s p u b l i c i t a i r e e t la « r é a l i t é - p r o d u i t » . O n c o m p r e n d r a a i n s i A u s s i le d é b a t des p u b l i c i t a i r e s est-il à sa f a ç o n c e l u i des s é m i o t i -
ciens. Q u e les p u b l i c i t a i r e s p a r l e n t d u r a p p o r t e n t r e la p u b l i c i t e et le
les v é r i t é s respectives de c h a c u n des p r o t a g o n i s t e s . Dans u n e i n t e r v i e w
p r o d u i t o u q u e les t h é o r i c i e n s d u l a n g a g e p a r l e n t d u r a p p o r t e n t r e le
a c c o r d é e à C h . Blachas {Stratégies, n° 4 3 1 ) , J. F e l d m a n disait t r è s j u s -
d i s c o u r s et le m o n d e , c'est t o u j o u r s la m ê m e q u e s t i o n : c e l l e d e la
t e m e n t : « J e n ' e x p r i m e pas la v é r i t é . J ' e x p r i m e m a v é r i t é . L e m a r c h e
f o n c t i o n d u langage — q u e celui-ci soit v e r b a l o u n o n - v e r b a l p e u
p u b l i c i t a i r e a besoin de d i f f é r e n c e s , de talents divers. S é g u é l a e x p r i m e
i m p o r t e . Les p u b l i c i t a i r e s se d e m a n d e n t si la v a l e u r d u p r o d u i t , p o u r
la v é r i t é d e S é g u é l a . P h i l i p p e M i c h e l e x p r i m e l a v é r i t é d e
le c o n s o m m a t e u r , p r e e x i s t e à la p u b l i c i t e o u si c'est la p u b l i c i t e q u i
Ph. M i c h e l . » Mais, beaucoup plus essentiellement, plus i n t i m e m e n t
la l u i d o n n e ; les s é m i o t i c i e n s si le l a n g a g e est la r e p r é s e n t a t i o n d ' u n
p o u r r a i t - o n d i r e , les s é m i o t i c i e n s se s e n t e n t i c i c o n c e r n e s d u fait q u e
sens d é j à là o u s'il e n est la c o n s t r u c t i o n . Q u ' o n y v i e n n e p a r la p r a -
la s é m i o t i q u e e l l e - m ê m e est n é e d ' o p t i o n s prises et d e c o n t r o v e r s e s
t i q u e o u la t h é o r i e , la p u b l i c i t e et la s é m i o t i q u e d é b o u c h e n t e n fait
t é n u e s sur le m ê m e sujet : le r a p p o r t d u d i s c o u r s et d u sens à
sur la m ê m e d o u b l e p r o b l é m a t i q u e : la f o n c t i o n d u l a n g a g e et « 1 ' o r i -
la « r é a l i t é » .
g i n e » d u sens.
Dans sa p r é f a c e à la p r e m i è r e p u b l i c a t i o n des Nouveaux Actes sémio-
tiques ( L i m o g e s , E d . T r a m e s , 1 9 8 9 ) , A . J . G r e i m a s i n d i q u a i t assez P a r l o n s d e choses c o n c r ê t e s : d e la p e t i t e c u i l l è r e d e M a x w e l l , des
C h e v r o n s Sauvages d e C i t r o e n , d u t u n n e l d e B l a c k & W h i t e e t des
1 ' a c t u a l i t é v o i r e la p e r m a n e n c e d e ce d é b a t , et la p o s i t i o n q u i est c e l l e
c i n q Ecossais d e L a b e l 5 ; o u e n c o r e d u p e n d u d e S u p e r G l u e 3,
d e la s é m i o t i q u e s t r u c t u r a l e , h i s t o r i q u e m e n t d ' o r i g i n e e u r o p é e n n e :
d u c o w - b o y d e M a r l b o r o , d u c h a m p a g n e P i p e r - H e i d s i e c k et la b i è r e
« A q u o i sert la s é m i o t i q u e ? — d e m a n d a i t u n e fois u n e s p r i t n o n p r é -
T u b o r g , ces c a m p a g n e s p o u v a n t r e s p e c t i v e m e n t se s u b s t i t u e r a u x p r e -
1 0Cette idée d'un métadiscours publicitaire, d'un discours de la publicite sur e l l e - m ê m e
cedentes, c o m m e o n va le v o i r . T o u t e s sont de g r a n d e s c a m p a g n e s a u x
dans ses messages se retrouve dans cette réflexion de Ph. Gavi citée par J . - M . Dru : y e u x des p r o f e s s i o n n e l s ; t o u t e s r e p r é s e n t e n t des sauts c r é a t i f s p o u r
« Du "dites-nous combien cette voiture est chouette", on a sauté, en Pespace de quelques r e p r e n d r e 1'expression d e J . - M . D r u mais elles r e l è v e n t , selon n o u s ,
années, au "Dites-nous coniment vous savez dire combien elle est c h o u e t t e " » (Le saut
d e d i s c i p l i n e s aussi d i f f é r e n t e s q u e le saut e n l o n g u e u r , le saut à la
créatif, p. 233).
188 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 189

perche, le j u m p i n g et le plongeon. La cuillère de Maxwell pro- trait à la c r é a t i o n et au role de la publicite. Donnons ici quelques
cede d'une d é m a r c h e qui s'oppose à celle des Chevrons Sauvages. exemples de réflexions d'autres publicitaires qui s u g g è r e n t elles aussi
Et la d é m a r c h e dont p r o c è d e n t les cinq Ecossais peut ê t r e considé- une ligne de partage des genres à partir de la c a t é g o r i e fonction cons-
r é e comme le contraire de celle de Black & White : deux d é m a r c h e s tructive vs fonction r e p r é s e n t a t i o n n e l l e :
c o n t r a í r e s donc pour le m ê m e univers de produits. Si l'on veut justi-
fier ces différences et ces oppositions, et établir un lien entre les D. Ogilvy : « Une publicite doit être cohérente, vraie, crédible et
grandes options sur les rapports entre discours et « r é a l i t é » d'une agréable : un representam menteur et sans manière ne vendra
jamais rien... Je dis toujours à mes collaborateurs : «lorsque vous
part et les campagnes qu'on vient de citer d'autre part, on recourra
donnez à votre famille des informations sur un produit, vous ne lui
une nouvelle fois au modele constitutionnel de la signifícation qu'est racontez pas des mensonges. Alors ne dites pas de mensonges à ma
le c a r r é s é m i o t i q u e . Pour cela, posons tout d'abord que cette p r o b l é - famille... Si tous les annonceurs abandonnaient leur emphase et se
matique d i s c o u r s / r é a l i t é constitue un micro-univers s é m a n t i q u e (de tournaient vers une publicite factuelle et informative, non seulement
nature i d é o l o g i q u e , on l'a vu) susceptible d ' ê t r e articule selon une ils augmenteraient leurs ventes, mais ils se mettraient eux-mêmes du
côté des anges .» 11
c a t é g o r i e fondamentale et de devenir ainsi intelligible. La projection
Ph Michel : « La publicite n'est pas jeu de mots mais jeu de sens.
de la c a t é g o r i e sur le c a r r é fera reconnaitre quatre grandes idéolo- La pub represente et modifie le rapport de présentation. Elle fait qu'il y
gies de la publicite. O n s'attachera alors à illustrer ces idéologies par a une multiplicité des points de vue, qu'on peut et aimer et ne pas
quelques campagnes p a r t i c u l i è r e m e n t r e p r é s e n t a t i v e s . Sont choisies aimer une chose... La pensée latérale, c'est cette bizarre manière
bien sur certaines campagnes réalisées par les agences des quatre de déplacer le sujet en permanence pour le revoir de façon fraíche,
idéologues que sont D. Ogilvy, Ph. Michel, J. Séguéla et J. Feldman nouvelle, différente, significative, émouvante. Or, on est en train de
découvrir que c'est cette méthode qui communique le mieux : c'est
— nous allons voir en quoi ils le sont — mais aussi d'autres campagnes lorsqu'on décale sa vision d'un univers qu'on invente. II faut de la pro-
réalisées par d'autres agences afin de montrer la g é n é r a l i t é des diffé- vocation pour inventer» . 12

rentes options, leur possible transversalité par rapport aux médias, J.-M. Dru : «De nombreuses idées de campagnes sont inspirées
aux secteurs, voire aux cultures d'origine des agences et des créatifs. par le vécu du produit. Les campagnes Maxwell, Danette, Flandise,
Liebig, Orangina ou Petit Gervais... en sont des exemples. Chacune
A partir de quelle c a t é g o r i e peut-on articuler cet univers idéolo- est fondée sur Vobservation d'un détail de la vie quotidienne... Les films
gique des rapports entre discours et « r é a l i t é » ? A partir de la c a t é g o r i e Eram sont três divers.(Mais ils ont tous), malgré tout, quelque chose
de la fonction attribuable au discours : fonction constructive vs fonc- de commun. Ils sont ironiques, irrespectueux du produit lui-même,
tion r e p r é s e n t a t i o n n e l l e . Pour la p r é s e n t e r sans convoquer i m m é d i a t e - voire même iconoclastes...
ment toute 1'histoire des t h é o r i e s du langage, repartons de 1'affirma- «Ce qui vaut pour les démonstrations se vérifie pour toute forme
de publicite. Pour qu'un message soit vraisemblable, dire la vérité ne
tion de R. Raynal selon laquelle « n o u s venons de franchir une
suffit pas toujours. «Telling is not selling», disent les Américains. //
f r o n t i è r e en publicite automobile, celle de la crédibilité. Jusqu'ici, ce faut rechercher ce qui sera à la source de la crédibilité, le facteur qui
que Von montrait à Vécran s'inspirait d'un príncipe de réalité (c'est nous déterminera 1'adhésion...
qui soulignons); là, on se situe sur un autre plan, celui de la sympathie, «En fait, dans bien des cas, le critère «crédibilité» n'est pas per-
de la vivacité». Si une telle affirmation indique assez de quel côté de tinent. Ce sera le cas des campagnes oú la dimension rationnelle du
message est faible. II serait absurde de dire : je crois ou je ne crois
la f r o n t i è r e veut se situer R. Raynal et quel sens i l donne à 1'histoire
pas à la statue qui pleure des films pour les cassettes BASF. Publicites
de la publicite (et quelle est par là m ê m e son idéologie), elle n'est symboliques, évocatrices, émotionnelles, le langage publicitaire évolue
pas moins suggestive d'une typologie des genres de discours que ce en plus vers ces registres ou la crédibilité est inoperante. Regardez une
directeur de c r é a t i o n estime ê t r e comprise par tous. Mais, l'est-elle
vraiment?. I I semble bien que oui, si l'on considere les nombreuses et
" D . Ogilvy, Les Confessions d'un publicitaire, op.cité., p . 8-9.
diverses déclarations et publications de ces dix d e r n i è r e s a n n é e s ayant
Ph. Michel, interviews dans Stratégies n" 626 et n° 385.
1 2
190 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 191

série de spots télévisés, vous verrez que vous ne vous posez pas la P. L e m o n n i e r : « L e plus c é l e b r e (film E p é d a ) met en scène, ou
question : est-ce que j e crois à ce message? Dans la m a j o r i t é des cas, plus exactement au l i t , un homme et une femme; la femme dort,
la question apparait hors de p r o p ô s » . 1 3
é p a n o u i e . L ' h o m m e a le hoquet. I I essaie tout, le pincement des
J. Feldman : «(II faut) se demander prioritairement quel produit on narines, la position lótus, la respiration b l o q u é e , e t c , mais rien n'y
devrait concevoir et commeni ensuite en exploiter les vertus pour faire de fait. Soudain, i l a p e r ç o i t u n verre d'eau sur la table de nuit de sa
sa nature profonde la vraie star"... femme. I I veut Pattraper... et le renverse. La voix o f f de consta-
« C e s t fondamental de r é h a b i l i t e r la p a r t i c u l a r i t é de Lustucru : les ter : "Sur un matelas Multispire, on peut vivre sa nuit sans réveiller
oeufs. I I vaut mieux ê t r e des pâtes aux oeufs que des p â t e s c é l e b r e s 1'autre, ou presque." T o u t í'art de J e a n - R e n é Ruttinger (directeur
et sympathiques... Le spectacle n'a jamais é t é le leitmotiv de cette de la production audiovisuelle de 1'agence Impact, dont P. Lemon-
agence. C e s t davantage une relation de charme... (Dans une pub à nier est le PDG) est de ne rien imposer aux téléspectateurs qui ne soit
vocation e u r o p é e n n e ) , n'ont aucune chance les films pratiquant ressenti par eux comme une tranche de vie à peine outrée, tout juste plus
1'inceste local, ceux qui font 1'ultime private j o k e pour un quartier, vraie que vraie. » 17

une province, un pays, une c a t é g o r i e sociale».


« N o u s ne tournons jamais le p r o d u i t en d é r i s i o n » . 14
I I n o u s f a l l a i t a u m o i n s ces sept c i t a t i o n s de p u b l i c i t a i r e s p o u r q u e
D. Chevalier : «La star-stratégie, c'est une méthode, une philosophie,
une manière de voir la vie. En défmissant un physique, un caractere le l e c t e u r ne soit pas o b l i g é de n o u s c r o i r e sur p a r o l e q u a n d n o u s
et un style, on veut créer une analogie entre une marque et disions q u e les i d é o l o g i e s de la p u b l i c i t e p o u v a i e n t s ' o r g a n i s e r à p a r -
une p e r s o n n e » . 1 5 t i r de la c a t é g o r i e : f o n c t i o n r e p r é s e n t a t i o n n e l l e a t t r i b u é a u d i s c o u r s
J. Séguéla : « Le m é t i e r de la publicite est de donner du talent à versus f o n c t i o n c o n s t r u c t i v e . L e l e c t e u r a p u a i n s i r e p é r e r q u e c e r t a i n s
la consommation. Elie doit effacer 1'ennui de Vachai quotidien en habil-
p a r l a i e n t d'«informer sur le p r o d u i t » , á'«exploiter la v r a i e n a t u r e d u
lant de revê les produits qui, sans elle, ne seraient que ce quils sont...
Voyez M a r l b o r o , c'est une cigarette qui, dès la p r e m i è r e bouffée, p r o d u i t » , de «dire la vérité» o u e n c o r e de « p r o p o s e r u n e t r a n c h e de
vous métamorphose en cow-boy. Voici bien la magie de notre art. En vie tout juste plus vraie que vraie» alors q u e d ' a u t r e s , a u c o n t r a i r e , p a r -
tout consommateur, i l y a un poete q u i sommeille. C e s t l u i que la l a i e n t de f a i r e e n s o r t e q u e les p r o d u i t s ne soient plus ce q u ' i l s s o n t a u
publicite doit éveiller. Notre métier est de faire entrer de la fumée par q u o t i d i e n , de « r e p r é s e n t e r et modifier le r a p p o r t de p r é s e n t a t i o n », de
un còté du tunnel et de voir sortir une locomotive de Vautre» . 10
«décaler la v i s i o n d u m o n d e » o u de «créer u n e a n a l o g i e » . S'est e n g a g é ,
dans ces c i t a t i o n s , le d é b a t e n t r e le sens p r é e x i s t a n t a u l a n g a g e o u
c o n s t r u i t p a r l u i , c ' e s t - à - d i r e le d é b a t e n t r e les t e n a n t s de la f o n c t i o n
1 2 J . - M . D r u , Le saut créatif, op. cit., p. 47 (note 1), 57, 187, 200-201. P r é c i s o n s que le
chapitre 7 du saut créatif (p. 185 à 202) est intitule « L e vrai, le v r a i s e m b l a b l e » et q u i l
r e p r é s e n t a t i o n n e l l e d u l a n g a g e (par son d i s c o u r s , 1 ' h o m m e s'attache à
est c o n s a c r é t o u t entier à la p r o b l é m a t i q u e du c r é d i b l e et des rapports « réalité » / d i s - i n t e r p r é t e r la r é a l i t é — les objets d u m o n d e — et à e n saisir les sens
cours. « d é j à l à » ) et les partisans de la f o n c t i o n c o n s t r u c t i v e d u l a n g a g e :
1 4 J. Feldman, interview déjà cité p o u r la p r e m i è r e r é f l e x i o n et la t r o i s i è m e (Liberation,
25 février 1985); interview dans CommunicationsICB News, n° 109 de j a n v i e r 1989, n i a n t la p o s s i b i l i t e o u la l é g i t i m i t é d ' u n e t e l l e r e p r é s e n t a t i o n , 1 ' h o m m e
p o u r la d e u x i è m e .
1 5 D . Chevalier, i n t e r v i e w é dans 1'article de Stratégies (n" 626, d'octobre 88) c o n s a c r é
aux concepts d'agences.
1 6 J. S é g u é l a , Hollywood lave plus blanc, op. cit., p. 254-256. Ces p r o p ô s sont relativement confiance. Le "mode d'envie" (la pub audiovisuelle) restera r o i et v é h i c u l e r a l'imagi-
anciens, o n en conviendra. Mais J. S é g u é l a a-t-il vraiment c h a n g é d'avis a u j o u r d ' h u i en naire. La pub mode d'emploi (presse) et celle mode d'achat ( p r o m o t i o n ) c o n t i n u e r o n t
a n n o n ç a n t le passage de l ' è r e des trois R à celui des trois S? O n peut en douter. Dans de façon n a t i o n a l e . » Indiquons ici u n remarquable fait de connotation, c'est-à-dire de
une interview à CommunicationICB News (n° 108, de j a n v i e r 1989), i l declare : « Depuis mise en système (oppositions et h i é r a r c h i s a t i o n ) des fonctions d u discours : le discours
quelques a n n é e s , les publicitaires o n t voulu prendre le contre-pied et abandonner com- constructif, v é h i c u l e d'imaginaire, est lié aux langages audiovisuels et releve de 1'inter-
p l è t e m e n t le spectacle. Ils ont rase le piédestal qui les avaient fait rois, et la pub est n a t i o n a l i t é e u r o p é e n n e ; par contre, le discours r e p r é s e n t a t i o n n e l , v é h i c u l e d'informa-
par terre a u j o u r d ' h u i . L a machine à r ê v e s'est faite machine à sous. O r 1'argent ne fait t i o n , est lié à 1'écrit ou au verbal et releve des n a t i o n a l i t é s particularisantes. I I s'agit
pas rever. Je dis : "Marques, attention, danger." T o u t le paradoxe est que le consomma- d ' u n système c o n n o t a t i f individuei, comme la c o r r é l a t i o n discours s a c r é / d i s c o u r s pro-
teur veut le r ê v e et la r é a l i t é . . . C e s t la publicite e u r o p é e n n e qui fera bouger les choses. fane et langue latine/langue française a pu constituer, à une é p o q u e , u n s y s t è m e
Certes, au d é b u t , elle sera f o r c é m e n t u n peu moins c r é a t i v e , mais peu à peu ces bar- connotatif largement collectif.
r i è r e s vont tomber et les annonceurs r e t o u r n e r o n t vers la pub car ils auront de nouveau " P. L e m o n n i e r , Quand la publicite est aussi un roman, op. cit., p. 67.
«Tués dans 1'ceuf!» 193
192 Sous les signes, les stratégies

considere q u ' i l ne c o n n a í t les choses qu'en tant qu'elles sont cons- tiques. Ainsi D . Chevalier se r é f è r e à la philosophie de J . Séguéla o u
truites par son propre discours. En d'autres termes, plus profession- P. Lemonnier à celle de D . Ogilvy. J . - M . D r u n'est pas un i d é o l o g u e
nels, s'instaure une opposition entre la valeur i n h é r e n t e au p r o d u i t — ce n'est pas u n d é f a u t ! — qui considere les quatre positions a p r i o r i
(elle sera manifestée o u « e x p l o i t é e » par la publicite) et la valeur c r é é e aussi valables les unes que les autres; son p r o p ô s s U l créatif
r es a u t

par la publicite. A partir d u moment o ú l'on projette sur le c a r r é se situe en deçà o u au-delà de ces options, m ê m e si les exemples qu'il
s é m i o t i q u e la c a t é g o r i e fonction r e p r é s e n t a t i o n n e l l e vs fonction cons- donne s p o n t a n é m e n t r e l è v e n t le plus souvent de la publicite r é f é r e n -
tructive qui a pu ê t r e reconnue comme articulant 1'univers des idéolo- tielle.
gies de la publicite, on aura quatre positions possibles, interdéfinies
selon des relations de c o n t r a r i é t é , de contradiction o u de c o m p l é m e n -
t a r i t é . Et, par là m ê m e , quatre idéologies qu'on disposera et d é n o m - La publicite référentielle
mera ainsi (lançons i m m é d i a t e m e n t une O P A sur toutes d é n o m i n a t i o n s
plus astucieuses) :
La publicite référentielle, c'est celle de D. Ogilvy. C'est une publicite
de la vérité c o n ç u e comme a d é q u a t i o n à la « r é a l i t é » , comme la quasi-
D. OGILUV J.SEGUELR restitution de celle-ci : « D o n n e z les faits», clame O g i l ' « s'agit alors
v v

de re-produire une tranche de vie pour que le consommateur se dise


in petto : c'est bien çà, c'est bien vu, on parle de la r é a l i t é . O n cher-
PUBLICITE REFERENTIELLE PUBLICITE MYTHIQUE
chera le petit détail qui ne s'invente pas, version m o d du petit fait
e r n e

fonction représentationnelle fonction constructive vrai stendhalien. Ce sera le bruit de 1'horloge dans la Rolls-Royce 18

du langage du langage
ou la fameuse cuillère de Maxwell, ce réflexe de vouloir encore

tx t
fonction constructive fonction représentationnelle
reprendre u n peu de café soluble pour ê t r e assuré d ' bon café. L a
réalité de D. Ogilvy s'avère ê t r e celle de la vie quotidienne : des pra-
tiques, des gestes et des situations qui r é f è r e n t à d'autres pratiques,
u n

déniée déniée d'autres gestes et d'autres situations et fínissent ain^i par donner u n
PUBLICITE SUBSTANTIELLE PUBLICITE OBLIQUE
effet de d e n s i t é et d'épaisseur au « v é c u » . Cette icléologie r é f é r e n -
tielle, q u i vise à produire des films et des annonc^s realistes, peut
ê t r e à ce point a s s u m é e par D . Ogilvy qu'elle en devient une véri-
J. FELDMAN PH.MICHEL table é t h i q u e ; 1'honnêteté est finalement c o n s t i t u t i de la c o m p é -
ve

tence créative : « N ' é c r i v e z jamais une annonce que vous ne voudriez


pas mettre sous les yeux de votre famille. Vous ne mentiriez pas a
Illustrons maintenant les quatre positions par ces quatre idéologues votre femme. Ne mentez pas à la mienne. Ne f a i t pas à autrui... e s

de la publicite que sont D . Ogilvy, Ph. Michel, J. Séguéla et J . Feld-


man. Ce sont des idéologues en ce sens qu'ils ont opte pour une posi-
tion qu'ils valorisent aux d é p e n s des autres de façon polemique. Livres
1 8 Voici le début du texte de cette fameuse annonce Ogilvy pour jZolls-Royce : « Q u ' e s t -
ou interviews sont pour eux 1'occasion, r e c h e r c h é e , de reprendre sans ce qui fait de la Rolls-Royce la meilleure voiture du monde? II n'y a aucune magie là-
cesse son explicitation et la définition de sa différence par rapport aux dedans — seulement un soin patient apporté à chaque détail, dit U eminent ingenieur
n

de Rolls-Royce. "A 100 k m / h , ce qui fait le plus de bruit dans la fiouvelle Rolls-Royce,
autres. Ce sont aussi des idéologues dans la mesure o ú ils croient à c'est la pendule électrique", declare Péditorialiste technique de la yevue The Motor. L e
la puissance de leurs idées et que, de fait, elles le sont assez pour que silence du moteur est surprenant. T r o i s pots d'échappement é l i r * ' 1' fréquences
n e n t e s

d'autres publicitaires s'y r é f è r e n t en parlant de leurs propres pra- sonores par procede acoustique. »
194 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 195

Si vous dites des mensonges sur un produit, tôt ou tard vous serez ouvrage . Disons simplement que le faire-paraitre-vrai de la publicite
21

découvert — soit par le gouvernement, qui vous poursuivra, soit par référentielle repose sur des discours 1) narratifs, 2) figuratifs (et non
le consommateur qui vous punira en ne rachetant pas votre p r o d u i t ; abstraits) et 3) descriptifs (et non normatifs), c'est-à-dire en langagc
les bons produits se vendent grâce à une publicite honnête. » 19
ogilvyen : 1) des articulations avant/après, 2) des renseignements
Mais pour qui s'attache à rendre compte des différentes idéolo- concrets ou des attraits anecdotiques et 3) pas d'adjectifs ou de slo-
gies publicitaires et des conceptions de la production d u sens qu'elles gans.
representem, la publicite référentielle releve d'une certaine stratégie Plus essentiel, la constitution d'un référent interne : D. Ogilvy aime
discursive, c'est-à-dire d ' u n ensemble de procédures visant à présenter les démonstrations, les recettes, les annonces-presse («Je n'ai jamais
le discours comme vrai. La question n'est plus alors : ce discours cor- aimé les affiches») qui séparent nettement le texte et 1'image —
respond-il à la réalité? mais : quelles sont les conditions de production, u n «dessin realiste» ou mieux une photographie : «les photos repre-
internes au discours lui-même, qui le donnent pour vrai et le font sentem la réalité, alors que les dessins representem la fantaisie, qui esl
accepter comme tel?. Une telle approche fait 1'économie de tout posi- moins vraisemblable» . Quel rapport entre ces démonstrations, ces
22

tivisme. « Une fois le lieu de la réflexion sur la véridiction (le dire-vrai) recettes et ce type d'annonce? Dans tous les cas, i l s'agit de faire en
installé à 1'intérieur d u discours lui-même, des interrogations naives sorte qu'une partie d u discours renvoie à une autre partie du discours;
peuvent surgir pour le peupler : dans quelles conditions disons-nous la cette autre partie — oú sera situe le produit — est ainsi conslruile
vérité? Comment mentons-nous? Comment faisons-nous pour cacher comme u n référent interne. Le texte renvoit à la photo, la receite
et dévoiler les secrets? A cette série indéfmie de questions qui se au produit ou à 1'ustensile, telle phase de la démonstration aux prece-
placent toutes du point de vue du producteur d u discours, cor- dentes ou encore le commentaire à ce qui est montré en plan fixe. Le
respondem naturellement d'autres questions que peut f o r m u l e r leur référent s'autorise, l u i , de l'«évidente» fidélité de la photographie OU
récepteur : dans quelles conditions acceptons-nous les mensonges et du «bon sens», la chose du monde la mieux partagée, du moins pal-
les impostures? Quand les assumons-nous comme porteurs de vérités ies gens raisonnables et sérieux ... c'est-à-dire de conventions cultu-
profondes, peut-être même ineffables? Le problème du vraisemblable relles, d'un contrat social tacite. Enfin, la publicite référentielle veillc
s'intègre, l u i aussi, à cette interrogation sur la véracité des discours : à ce que le discours paraisse le pur énoncé des relations nécessaires
comment procede 1'énonciateur pour présenter son discours afin qu'il entre les choses, et que ce déroulement syntagmatique se retrouve
paraisse vrai ? Selon quels critères et quels procedes juge-t-on les dis- dans la linéarité d u film ou du texte. La suite logique de 1'histoire ou
cours des autres comme vraisemblables » . L'énumération de ces
20
de la démonstration se confond alors avec la succession temporelle des
procedes mais surtout 1'identification et la définition des procédures plans-séquences ou des paragraphes. A u t a n t que faire se peut, on évi-
discursives sur lesquelles se fonde la publicite référentielle demande- tera les suspensions ou les retours en arrière qui feraient de l'énon-
raient un tout autre espace que ces lignes, d'autant que les publicites ciation une construction.
oblique, mythique et substantielle seraient alors en droit d'être aussi Des exemples maintenant. Rolls-Royce, Sears, Hattaway ... pour les
exigeantes. Bien plus, elle impliqueraient la présentation de concepts grandes classiques de D. Ogilvy lui-même; et le film Super-Glue 3 de
et de problématiques de la théorie sémiotique (débrayage interne, 1'agence Ogilvy & Mather France : ce fameux pendu par les pieds qui
référentialisation...) présentation qui contredirait le propôs de cet démontre, sur la f o i d ' u n huissier!, la puissance instantanée de cette

2 1L e lecteur interesse par ces procédures discursives pourra lire 1'article «Référentia-
lisation», in Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, op. cit., t. 2,
D. Ogilvy, Les confessions d'un publicitaire, op. cit., p. 101.
p. 188-189.
1 9

A. J . Greimas, L e contrat de véridiction, in Du Sens


2 0 II, Paris, E d . du Seuil,
D. Ogilvy, Les confessions d'un publicitaire, op. cit., p. 101.
1983, p. 105.
2 2
196 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 197

c o l l e . B i e n súr, i l y a aussi les c r é a t i o n s de P. L e m o n n i e r , le d i s c i p l e : d e m a n d e a u l e c t e u r et ce q u e g a g n e u n e t e l l e s t r a t é g i e d i s c u r s i v e :


le film E p é d a d é j à c i t é mais e n c o r e les campagnes-presse p o u r M u m m < >n a u r a i t p u d i r e dans c e t t e a n n o n c e p o u r les b u g g y d ' E r a m "les
et P e r r i e r - J o u ê t , p o u r le bas T ê t u d e L e B o u r g e t et s u r t o u t les c a m - l l u ^ ^ y , des chaussures p i m p a n t e s et pas c h è r e s p o u r les j e u n e s " . M a i s
pagnes C a r r e f o u r . E n f í n , c e t t e i d é o l o g i e p u b l i c i t a i r e n'est pas le seul ' < n'est pas e n d i s a n t q u ' o n est p o u r les j e u n e s q u ' o n le s i g n i f i e , c'est
f a i t des O g i l v i e n s d e m é t i e r o u d e v o c a t i o n . J . - M . D r u a d o n n é plus i i i c i a n t j e u n e ! T o u t dans ce m a n i f e s t e i n d u i t la j e u n e s s e : la n a t u r e
h a u t b i e n d'autres campagnes d e ce t y p e , o u t r e celle d e Maxwell. 'In i r a j e t e f f e c t u é , le c l i n d'ceil d u c o n c e p t , le f a i t d ' a v o i r m i s e n
Q u a n t à n o u s , n o u s c i t e r o n s celle d e W i l k i n s o n o ú u n e succession de v a l e u r des chaussures s y m p a t h i q u e m e n t u s é e s et l é g è r e m e n t d é f a i t e s .
p l a n s - f i x e s m o n t r e p u i s d é m o n t r e la p e r f o r m a n c e de la l a m e : c o u p c r I i manifeste n e d i t pas la j e u n e s s e , i l 1 ' i n d u i t avec b e a u c o u p de
n e t u n e b o u g i e sans la f a i r e t o m b e r n i 1 ' é t e i n d r e . 23 I ', avec o r i g i n a l i t é et u n f o r t p o u v o i r d ' e m p a t h i e p a r r a p p o r t à
s.i < i b l e » . 2 4

U n e c a m p a g n e r e l e v a n t de la p u b l i c i t e o b l i q u e sera dès l o r s a p p r é -
La publicite oblique < i i r s c l o n c e t t e m a n i p u l a t i o n a c c e p t é e , r e c h e r c h é e , p u i s q u ' e l l e est
l'.i);i (Time m o d i f i c a t i o n e u p h o r i s a n t e de la p e r c e p t i o n o u d e la v i s i o n
que |'on a des choses. C e s t cela la p e n s é e l a t é r a l e : « L a p e n s é e l a t é -
L a p u b l i c i t e o b l i q u e , c'est la n é g a t i o n de la p u b l i c i t e r é f é r e n t i e l l e . Elie
nile <'est c e t t e b i z a r r e m a n i è r e de d é p l a c e r le sujet e n permanence
en sape 1'idéologie p o s i t i v i s t e . L e sens est à c o n s t r u i r e ; i l n'est pas
•DU] le r e v o i r d ' u n e f a ç o n f r a í c h e , n o u v e l l e , d i f f é r e n t e , s i g n i f i c a t i v e ,
d é j à là. P u b l i c i t e d u p a r a d o x e , q u i l i t t é r a l e m e n t va à 1 ' e n c o n t r e de
m i o u v a n t e . O r , o n est e n t r a i n d e d é c o u v r i r q u e c'est c e t t e m é t h o d e
1 ' o p i n i o n c o m m u n e , elle j o u e 1 ' i n c o n g r u et le n o n - i m m é d i a t : c e l u i
«|i m m u n i q u e le m i e u x : c'est l o r s q u ' o n d é c a l e sa v i s i o n d u m o n d e
qui r e g a r d e 1'affiche est le sujet d ' u n f a i r e i n t e r p r é t a t i f . L'efficacité
u n u n i n v e n t e . I I f a u t d e la p r o v o c a t i o n p o u r i n v e n t e r » . J a m a i s 2 5
d u d i s c o u r s ne se m e s u r e p l u s à la r a p i d i t é d e l e c t u r e o u d e r é a c t i o n
< tgilvy o u P. L e m o n n i e r n e s o u s c r i r a i t à d e tels p r o p ô s . P o u r e u x , i l
d e la c i b l e . C h e z O g i l v y , le c o n s o m m a t e u r est le sujet d ' u n e a c t i o n o u
ne s'agit là q u e d e « c l o w n e r i e » , o u de p r i v i l è g e i n d u d o n n é à la
plutôt d ' u n e réaction, c'est-à-dire d ' u n faire p r a g m a t i q u e : i l achète
" l o r m e » , a u x d é p e n s d u « f o n d » . P h . M i c h e l r é p o n d r a i t à cela q u e
le p r o d u i t , i l r e n v o i e le c o u p o n - r é p o n s e ... I I y a là q u e l q u e c o n c c p -
i < M la f o r m e q u i c r é e la d i f f é r e n c e et p r o d u i t d u sens, et q u e la
t i o n b e h a v i o r i s t e de la c o m m u n i c a t i o n . P o u r P h . M i c h e l , q u i est 1'idéo-
l e l . i i i o n e n t r e i n d u s t r i e i s et p u b l i c i t a i r e s d o i t p r é c i s é m e n t s ' é t a b l i r sur
l o g u e d e la p u b l i c i t e o b l i q u e , le c o n s o m m a t e u r a u q u e l o n s'adresse est
• « i i r base : « P o u r q u ' i l y a i t e n r i c h i s s e m e n t , i l f a u t q u ' i l y a i t f a b r i c a -
le sujet d ' u n f a i r e c o g n i t i f : o n m e t à 1'épreuve son i n t e l l i g e n c e .
iinii de v a l e u r . N o t r e r o l e est d ' a i d e r les i n d u s t r i e i s à f a i r e la v r a i e d i f -
A l o r s q u e la p u b l i c i t e o g y l v i e n n e r e c h e r c h e u n t e m p s d e l e c t u r e v o i s i n
l i K n i e... N o t r e m é t i e r , c'est d e f a b r i q u e r d e la d i f f é r e n c e dans u n e
d e z e r o et u n e c o m p r é h e n s i o n i m m é d i a t e p o u r u n e r é a c t i o n la plus
n u K i t - m o n o t o n e a u sens l i t t é r a l d u t e r m e » . O n c o m p r e n d q u e la
r a p i d e possible (le p a r c o u r s de 1'ceil le p l u s f a c i l e possible, le r a p p o i i
2 6

p u b l i c i t e o b l i q u e puisse ê t r e c o n s i d é r é e p a r ses d é t r a c t e u r s comme


t e x t e - i m a g e le p l u s n a t u r e l possible . . . ) , la p u b l i c i t e o b l i q u e f a i t d e la
m é d i a t e t é d e sa c o m p r é h e n s i o n u n e v a l e u r : le l i e n d ' u n e co-produ< - p u b l i c i t e i n t e l l e c t u e l l e a l o r s q u e ses p a r t i s a n s s o u t i e n d r o n t q u e
t i o n d u sens p a r 1 ' é n o n c i a t a i r e . U n e c é l e b r e annonce-presse Eram I Intelligence n e s a u r a i t ê t r e c o n f o n d u e avec r i n t e l l e c t u a l i s m e . D i a -
( u n des g r a n d s b u d g e t s C L M / B B D O ) m o n t r a i t u n e p a i r e d e chaussures l i ^ u e de s o u r d s ? I I f a u t le c r o i r e . C e q u e les u n s e x a l t e n t sous le n o m
u s é e s et d o n n a i t e n a c c r o c h e le p r i x d ' u n P a r i s - A m s t e r d a m a l l e r c l ili \i'rieux, les a u t r e s le r e j e t t e n t sous le t e r m e d e convenable, et ce q u e
r e t o u r : 30 F. L e c o m m e n t a i r e q u ' H . J o a n n i s f a i t de c e t t e a n n o i u r li premiers r e j e t t e n t sous le n o m d e clownerie, les seconds 1'exaltent
dans Le processus de création publicitaire i n d i q u e assez le «travail»

' l l i n i i (oannis, Le processus de création publicitaire, Bordas-Dunod, 1978, p . 13.


• l ' l i Mi< hei, Stratégies, n° 385.
2 3 L e film de Wilkinson a été réalisé en 1983 par 1'agence Chevassus-Vadon. " Ph Michel, Le Matin, 12 juin 1981.
198 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 199

sous le terme de liberte : « La pub, dit Ph. Michel, c'est justement la Autant dire que cette campagne ne parle ni de 1'origine, ni de l'âge,
revanche du creux sur le plein, du petit sur le grand, de 1'inculte sur ni des circonstances de consommation du whisky, comme le font les
le cultive, d u fils de prolo — et Dieu sait s'il y en a dans le milieu — autres Communications du secteur. L ' u n i o n des c o n t r a í r e s qui serait
sur celui de 1'universitaire. Cest 1'esprit libre par opposition au savoir- 1'essence m ê m e de la vie constitue 1'énoncé global de la campagne,
penser, au penser convenable. Etre convenable nuit à Partiste social un é n o n c é dont 1'expression est assurée par le contraste plastique du
qu'est le publicitaire. Et celui-ci, au bout du compte, fínit, esprit couple des petits chiens : une magnifique « p e t i t e m y t h o l o g i e » . O n 29

inductif, par surprendre plus de vérité que 1'esprit, déductif, du dog- notera que le whisky est ainsi valorisé comme la figure initiatique
matique b a s i q u e » .
27 d'une vision du monde : « Les gens n ' a c h è t e n t pas un produit mais une
La recente campagne-presse de Black & W h i t e réalisée par r e p r é s e n t a t i o n du m o n d e » , aime à r é p é t e r Ph. Michel. « E n o n c é s tels
C L M / B B D O illustre bien la publicite oblique de Ph. Michel telle que quels, remarque D. Bertrand, le dispositif culturel et le message qu'il
nous venons de la definir, m ê m e si elle n'en manifeste qu'une des comporte pourraient p a r a í t r e d'une ambition d i s p r o p o r t i o n n é e si cet
formes discursives : celle de 1'ironie. Cette campagne a é t é lon- effet n'était pas corrige — au moins partiellement — par un mode
guement analysée par D . Bertrand dans sa contribution au double d ' é n o n c i a t i o n et de mise en contexte qui invite à faire des objets de
numero de VInternational Journal of Research in Marketing : « S é m i o - r é f é r e n c e un usage parodique, c'est-à-dire d é t o u r n é de leur finalité
tique et M a r k e t i n g » . Nous reprendrons ici 1'essentiel de son é t u d e
28 p r e m i è r e , de leur signification au « d e g r é z e r o » de 1'information. U n
de la dimension é n o n c iativ e commune aux cinq manifestes de la cam- tel d é t o u r n e m e n t est réalisé par un j e u de ruptures systématiques
pagne puisque nous essayons de montrer que chaque conception du entre images et textes, par u n croisement et une association de réfé-
rapport entre discours et réalité — chaque idéologie — implique une rences h é t é r o g è n e s » . Ainsi le fait m ê m e de rassembler dans un bric
certaine intersubjectivité, une relation p a r t i c u l i è r e entre 1'énonciateur à brac un ange, un chevalier, Z o r r o et Dark Vedor fait perdre
et 1'énonciataire. Que r e p r é s e n t a i e n t ces cinq manifestes? toute crédibilité à leurs aventures particulières. Mais c'est p e u t - ê t r e
1. U n p o r t r a i t de groupe o ú des toiles d ' a r a i g n é e ré unis s a ie nt un l ' « a n n o n c e au t u n n e l » — si l'on peut dire — qui est la plus exem-
véritable bric à brac mythologique : un Chevalier, un ange, un fan- plaire, selon nous, de la publicite oblique dans la mesure o ú le d é t o u r -
t ô m e , une sorcière, Z o r r o et Dark-Vedor (l'un des personnages de La nement dont parle D. Bertrand se fait par la prise en compte du
Guerre des Etoiles de G. Lucas); la base-line indiquait : « Ceux qui sont support de 1'annonce : la convocation chez le lecteur d'une com-
tout noir ou tout blanc (sic), sont-ils vraiment de bons vivants?» p é t e n c e i n t e r p r é t a t i v e et critique se double et se sert d'une sorte de
2. U n tunnel au bout duquel apparaissait la l u m i è r e d'une sortie; révélation de la m a t é r i a l i t é m ê m e du signifiant de l'annonce : vous
1'accroche : « Si toute la page était noire, i l n'y aurait plus d ' e s p o i r . » n ' ê t e s pas dans cet horrible tunnel, vous avez devant vous une page avec
3. Le symbole du ying et du yang; accroche : « Personne n'est tout une certaine p r o p o r t i o n de noir et de blanc.
noir, personne n'est tout b l a n c . » Cette stratégie de mise à distance s'inscrit, selon D . Bertrand dans le
4. U n ciei é t o i l é ; accroche : « A v e c un peu de recul, tout est noir p h é n o m è n e general de l'ironie, auquel s'intéressent p a r t i c u l i è r e m e n t
et b l a n c . »
5. U n T e r r i e r noir e s s e u l é ; accroche : « U n seul ê t r e vous manque
et tout est d é p e u p l é . » 2 9Nous faisons ici allusion aux petites mythologies — l'expression est de C l . Levi-
Strauss — qui reposent sur un semi-symbolisme, et que nous avons étudiées dans
Petites Mythologies de Vceil et de 1'esprit, Paris/Amsterdam, E d . Hades/Benjamins, 1985.
L e p h é n o m è n e du semi-symbolisme a é t é presente et illustre ici m ê m e au chapitre « l e
2 7Ph. Michel, Stratégies, n° 626, oct. 1988. refus de 1'euphorie», p. 85. Indiquons que, pour nous, 1'affiche Black & White c o n ç u e
2 8D. Bertrand, T h e creation of complicity. A semiotic analysis of advertising campaign par C L M / B B D O et c o m p o s é e de deux surfaces abstraites noire et blanche reliées par le
for Black & White whisky, in International Journal of Research in Marketing (Ch. Pinson signe & constitue l'un des plus beaux — l'un des plus « p u r s » — exemples de
éd), vol. 4, n° 4, North-Holland, 1988. semi-symbolisme plastique.
200 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 201

philosophes, critiques et linguistes . D. Bertrand donne alors les trois


30
timent réalise alors, sur le mode d'une entente secrète — d'une conni-
« c a r a c t e r e s g é n é r a u x » qui permettent de saisir le p h é n o m è n e et qui, vence — la solidarité des sujets.»
chacun, focalise sur tel ou tel role actantiel a t t r i b u é aux deux sujets O n ne saurait mieux dire en parlant de solidarité des sujets. L ' i r o -
e n g a g é s , 1'énonciateur et 1'énonciataire : nie ainsi définie est au cceur des campagnes Leclere c o n ç u e s par
— « L ' i r o n i e est une citation : c'est-à-dire que l ' é n o n c i a t e u r C L M / B B D O . La solidarité intellectuelle, idéologique, y devient une soli-
convoque dans son discours un système axiologique établi dans d a r i t é é c o n o m i q u e , voire politique : « Q u a n d on voit les cinq affiches
d'autres discours que le sien, et dont i l n'assume pas les valeurs. La sur la banque, on se dit : "Tiens, Leclere s'attaque aux banques." Une
distance intellectuelle et le d é t a c h e m e n t , qui c a r a c t é r i s e n t 1'ironie et constante : le portrait du p è r e et du fils p h o t o g r a p h i é s par J.-B. M o n -
la rendent indifférente à tout engagement affectif, permettent de dino d é m a r r e chaque campagne. Cette affiche indique p r é c i s é m e n t de
definir son é n o n c i a t e u r comme u n sujet selon le savoir (le discours quel combat i l s'agit. I c i : "Nous voudrions que la carte bancaire coute
ironique se proclame i m p é r i e u s e m e n t omniscient) et, s i m u l t a n é m e n t , moins cher, pas vous?" Les quatre autres affiches traitent les points
selon le « n e pas c r o i r e » (1'ironiste est fondamentalement incroyant sensibles. I I y a le visuel typique banquier o ú Fon voit deux hommes se
et sceptique). serrer la main. Tellement contents qu'ils se congratulem! O n n'a pas
— L ' i r o n i e est renversement et dénégation, puisqu'elle fait entendre hésité à dresser un constat ironique. Pourquoi ne pas aller j u s q u ' à cas-
le contraire de ce qu'elle dit tout en le disant. Là reside le caractere ser sa tirelire! Des pièces tombent d'un cochon brisé. Histoire de dire,
anti-phrastique qui la définit ordinairement (três insuffisant toutefois pauvres banquiers, voyez, ils perdent de Fargent, c'est à nous de leur
pour en a p p r é h e n d e r la p o r t é e s é m a n t i q u e et communicative). D u en donner. » 31

m ê m e coup, elle apparait comme un instrument de d é n o n c i a t i o n


indirecte, son orientation allant du positif (énoncé) vers le négatif (à
entendre). Elle suppose, par c o n s é q u e n t , une « c i b l e » contre laquelle La publicite mythique
elle est d i r i g é e ; presente ou non, individuelle ou collective, susceptible
m ê m e de fusionner avec F é n o n c i a t e u r (cas de l'ironie sur soi), cette
La publicite mythique, c'est celle de J. Séguéla : « u n e machine à fabri-
cible represente tous ceux qui assument 1'univers axiologique de réfé-
quer du b o n h e u r » . Elle veut — tout simplement — prevenir la mise
rence.
à m o r t de ce qui fait notre siècle « e n faisant de Fauto et de Fhyper-
— L'ironie est enfin u n mode de conciliation des subjectivités. Elle
m a r c h é autre chose que ce qu'ils sont : une machine à rouler vers une
stipule 1'émergence d'un é n o n c i a t a i r e à qui F é n o n c i a t e u r p r ê t e une
machine à a c h e t e r » . L'initiatrice de Séguéla, c'est M m e Bata, « u n e
32

c o m p é t e n c e i n t e r p r é t a t i v e remarquable : i l le suppose apte à recons-


belle femme de soixante ans qui avait tout c o m p r i s » (sic) : « M e s
truire convenablement à la fois la citation et la d é n é g a t i o n , alors que
maquettes montraient de superbes photos de chaussures, une somp-
les marques en sont (plus ou moins) dissimulées. Insistons sur cette
tueuse nature morte en l u m i è r e anglaise. C é t a i t à F é p o q u e la fureur
relation p a r t i c u l i è r e entre F é n o n c i a t e u r et 1'énonciataire : ce dernier
des directeurs artistiques. "Jeune homme, me dit-elle, j e ne travaille-
est p r o m u à Fassentiment. Plus qu'aucune autre forme de discours,
rai jamais avec vous. U n marchand de souliers ne vend pas de chaus-
1'ironie en effet convoque 1'énonciataire, provoque chez l u i u n faire
sures. I I vend de jolis pieds..." Le m é t i e r de la publicite est de donner
i n t e r p r é t a t i f complexe, sur la base d'une confiance postulée. L'assen-
du talent à la consommation. Elle doit effacer Fennui de Fachat quoti-
dien en habillant de r ê v e des produits qui, sans elle, ne seraient que

3 0On citera par exemple : C. Kerbrat-Orecchioni, L'ironie, in Linguistique et Sémiologie, 31Bruno Lemoult et Serge Pichard, C I . M / B B D O , interviewés dans Communications &
Lyon, P U L , 1976; Poétiques; «Ironie» (numero collectif), Paris, Seuil, 1978; V. Janke- Business, n° 77, mai 1988.
levitch, Uironie, Paris, Flammarion, 1964. Jacques Séguéla, Hollywood lave plus blanc, op. cit, p. 254.
3 2
202 Sous les signes, les stratégies «Tués dans l'ceuf!» 203

ce qu'ils s o n t . » Quand on se rappelle ce que representem justement


33 ou de jeune prince, et le récit d é m a r r e , qui consistera à « v i d e r » ces
1'achat et le quotidien dans 1'idéologie ogylvienne, on imagine le face personnages, à les exploiter comme de véritables banques de situa-
à face qui défínit p o l é m i q u e m e n t la publicite mythique et la publi- tions et d'actions. I I y a, au contraire, des l i t t ér at ur es o ú le récit fait
cite référentielle. Dans ce face à face avec la publicite r é f é r e n t i e l l e , en sorte que les é v é n e m e n t s et le d é r o u l e m e n t progressif de 1'intrigue
la publicite mythique beneficie du soutien de la publicite oblique, du « r e m p l i s s e n t » , construisent petit à petit les personnages qui é t a i e n t
moins de son alliance objective. L ' i r o n i e ou la malice de la publicite vides au d é p a r t . Ainsi Fabrice dei Dongo, ainsi Ivan Denissovitch...
oblique a signifié — aux d é p e n s du bon sens et du sérieux de la publi- Par rapport au produit, la publicite référentielle veut travailler
cite r é f é r e n t i e l l e — que le sens n'est pas déjà là, « d a n s la r é a l i t é » , qu'il comme le fait la p r e m i è r e forme citée : le travail publicitaire, le saut
est à construire; la r ê v e r i e ou 1'imagination de la publicite mythique créatif r e p r é s e n t e r a la parfaite connaissance et 1'exploitation perti-
— ce que les Allemands d é s i g n e r a i e n t mieux par le mot de Phantasie nente de telle situation (ou « v é c u » ) ou de telle action (ou «plus»)
— est là pour affírmer que le sens est dans le fantasme (individuei?) qui sont en banque dans le produit. T y r a n , journaliste... comme ces
ou 1'imaginaire (collectif ?) p r o j e t é sur le monde pour 1'informer et le roles, la r é a l i t é - p r o d u i t met à la disposition du publicitaire une struc-
rendre signifiant. ture narrative (un Sujet et un Objet, ou un Sujet et un Anti-Sujet,
Nous venons de proposer une distinction syntagmatique entre publi- dans une relation polemique ou contractuelle) et une configuration
cite oblique et publicite mythique, c'est-à-dire en fonction de leur discursive (un univers de r é f é r e n c e et les diverses figures du monde
enchainement, de leurs positions dynamiques par rapport à la publi- qu'il permet de convoquer). O n trouve alors — si l'on est créatif! —
cite référentielle. Dans Hollywood lave plus blanc, J. Séguéla fait, l u i , la petite cuillère pour Maxwell ou le b r u i t de 1'horloge pour Rolls-
une distinction de type paradigmatique (Pautre approche possible de Royce. A 1'opposé, la publicite mythique travaille comme la seconde
la différence et du sens) en s u g g é r a n t une mise en système, une taxi- forme de l i t t é r a t u r e : le produit sera investi de sens et de valeur par
nomie des « c a r a c t e r e s » ; 1'autre i n t é r ê t de sa réflexion est de prendre 1'histoire i m a g i n é e et par 1'usage n a r r a t i f qu'on en a fait. Pour ce
pour exemples de ces deux types de publicite, deux grands A m é r i - faire, i l l u i arrive d'avoir recours à des legendes, des h é r o s , des sym-
cains : L é o Burnett et Bill Bernbach : « L e j u r y d'Advertising Age a boles (quasi-universels) qui sont déjà des roles t h é m a t i q u e s puissam-
classe M a r l b o r o d e u x i è m e meilleure campagne du siècle, d é c e r n a n t ment s t r u c t u r é s , e x t r ê m e m e n t connus et qui serviront de structure
1'Oscar à Bill Bernbach pour sa campagne-fleuve sur la Coccinelle. d'accueil au produit : 1'Homme de V i n c i , 1'Ouest a m é r i c a i n , Cléo-
J'aurais, pour ma part, inversé le classement. La preuve : le cow-boy p â t r e . . . Elie les exploitera tels quels ou les bricolera ensemble; ce
34

de M a r l b o r o court toujours la prairie de nos magazines. L ' h u m o u r sera 1'essor de 1'avion depuis les Champs-Elysées ou 1'Homme de V i n c i
j u i f new-yorkais de la Coccinelle est au m u s é e . Question de produit, et Farc-en-ciel . 35

argueront les grincheux. La V W est morte. La M a r l b o r o en pleine Mais on aurait t o r t de r é d u i r e la publicite mythique à cette exploita-
santé. Certes, mais le cow-boy est un symbole. La coccinelle un état tion directe ou indirecte de ces grands r é f é r e n t s culturels populaires.
d'esprit. Le premier est le génie. La seconde simplement le talent. (Cest Ce qui la définit d'abord et avant tout, c'est la construction de la
nous qui soulignons.) Simple affaire de c a r a c t e r e . » Nous reviendrons valeur s é m a n t i q u e du produit par le discours tenu dans le film ou
plus loin sur ces deux exemples a m é r i c a i n s . 1'affiche. Là encore i l faut citer le film de lancement de la B X ou les
Pour faire comprendre 1'opposition entre la publicite mythique et Chevrons Sauvages. O n a vu comment la structure narrative du film
la publicite référentielle, on la comparera à celle de deux grandes
formes de l i t t é r a t u r e . I I y a des l i t t é r a t u r e s o ú les personnages sont
« p l e i n s » dès le d é b u t : on parle de tyran ou de dragon, de journaliste 3 4Nous faisons ici allusion à la campagne de lancement de C l e ó p a t r a réalisée par
Publicis en 1986.
3 5Allusion est faite cette fois aux campagnes KSCG p o u r les A é r o p o r t s de Paris
3 3 Ibid., p. 254. et p o u r Manpower.
204 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 205

de lancement de la B X construisait en trois temps la valeur séman-


tique, axiologique, de la voiture :
La publicite substantielle
1 / investissement et exploitation de la position utilitaire;
2 / n é g a t i o n de cette position ( « g r a t u i t é » du plongeon : valorisa- La publicite substantielle, enfin, a pour i d é o l o g u e J. Feldman. Cette
tion « non-utilitaire »); publicite se définit par la n é g a t i o n de la publicite mythique et de son
3 / assertion finale et exploitation de la position « e x i s t e n t i e l l e » . idéologie. Celle-ci sera coupable, selon J. Feldman, de se servir du
produit comme d'un simple pretexte. La publicite substantielle refuse
O n se souvient aussi de la façon dont le film Les Chevrons Sauvages
é g a l e m e n t la « d é r i s i o n » , terme péjoratif d é s i g n a n t la distance, 1'ironie
r e s é m a n t i s a i t le logo Citroen (p. 141). La publicite mythique peut aussi
et la malice cultivées par la publicite oblique de Ph. Michel. La conni-
viser la construction de la valeur s é m a n t i q u e d'une marque, et non
vence, elle aussi, se ferait aux d é p e n s du produit et, de plus, interdirait
pas seulement d'un produit ou d'un service. Et elle peut se faire plus
1'appréciation p a r t a g é e de ses qualités essentielles. Ainsi à la question
ou moins progressivement et logiquement dans le temps, sur plusieurs
de CB News : « Quelle place la pub à vocation e u r o p é e n n e laisse-t-elle
a n n é e s . Nous avons vu la logique de 1'apport de la publicite à 1'image
à 1'originalité?», J. Feldman r é p o n d : « N ' o n t aucune chance les films
de Citroen au cours des a n n é e s 1982-1985. O n pourrait donner aussi
pratiquant l'"inceste" local, ceux qui font 1'ultime private joke, pour un
1'exemple des campagnes pour M a r l b o r o réalisées par L é o Burnett.
quartier, une province, un pays, une c a t é g o r i e sociale». Seul un dis-
D'une « p r é t e n t i e u s e cigarette pour f e m m e s » (dixit J. Séguéla), L é o
cours retournant à «1'essentiel», au produit, pourra ê t r e p a r t a g é par
Burnett a fait un « c o u n t r y » de la s é r é n i t é , a p r è s avoir erre du côté
tout le monde. Nous allons revenir b i e n t ô t sur cette lecture euro-
de la virilité t a t o u é e . 36
p é a n i s t e des positions du c a r r é des idéologies publicitaires. Pour le
Si l'on considere q u ' à chaque idéologie publicitaire correspond une moment, et à p r o p ô s de la « d é r i s i o n » ou de la distance oblique et de
certaine stratégie énonciative, et si l'on r e c o n n a í t d'autre part le «face son caractere national, on rappellera le mot du linguiste R. Jakobson :
à face» des idéologies r é f é r e n t i e l l e et mythique, on peut s'interro- « 1 ' é t r a n g e r est celui qui r i t de tout sauf d'une p l a i s a n t e r i e » .
ger sur le mode d ' é n o n c i a t i o n de 1'idéologie mythique par rapport à
celui de l'idéologie r é f é r e n t i e l l e . O n dira alors que, dans la publicite Revenons à la définition de la publicite substantielle. T o u t le travail
mythique, 1'énonciation tend à s'affirmer — autant que faire se peut de J. Feldman constitue un « r e c e n t r a g e » sur le produit dont on assure
— sans pour cela « s ' i n s t a l l e r » dans 1'énoncé. Elle affírme sa p r é s e n c e qu'il possède sa propre valeur; i l s'agit d'« en exploiter les vertus pour
par le bricolage ou 1'assemblage de deux motifs ou figures (1'avion qui faire de sa nature profonde la vraie s t a r » . Cest cette expression
décolle des Champs-Elysées, l'arc-en-ciel de 1'Homme de Vinci...), de « nature profonde » qui nous a s u g g é r é 1'épithète de substantielle;
mais aussi par le modelage, la r é o r g a n i s a t i o n de l'image selon le cet é p i t h è t e sejustifie d'autant mieux aujourd'hui que J. Séguéla l u i -
rythme d o n n é à celle-ci du fait de son propre d é p l o i e m e n t (nous m ê m e fait de la substance u n des trois S de sa nouvelle philosophie,
pensons ici aux visuels des campagnes M a r l b o r o o ú les vastes espaces m a r q u é e par le privilège reconnu au p r o d u i t . Vécu comme u n 37

de 1'Ouest a m é r i c a i n sont aussi là pour inscrire le cow-boy dans un « e f f a c e m e n t » par rapport au p r o d u i t et à sa réalité i n t r i n s è q u e , 1'acte
rythme general et lui donner ainsi une autre dimension). L ' é n o n c i a - créatif peut ici prendre la figure de 1'épure : le travail du publici-
tion mythique s'affirme donc; elle se veut construction, travail. Ses taire consiste à refuser toute mode ou toute connotation personnelle
d é t r a c t e u r s parleront, eux, de «spectacle pour le spectacle ».
3 7Deux recentes campagnes R S C G t é m o i g n e n t bien de ce substantialisme : la campagne
de lancement de la C i t r o e n X M et la campagne « c o l l e c t i v e » p o u r les brasseurs de
France o ú une b r a s s é e de c é r é a l e s a pour accroche « r é c o l t e de b i è r e » . L e texte com-
s 6 O n lira à ce p r o p ô s les pages admiratives que J. S é g u é l a a é c r i t e s sur la saga M a r l - mence ainsi : A u coeur de la b i è r e , i l y a tout l ' o r de la t e r r e : 1'orge, le hou-
b o r o dans Hollywood lave plus blanc (op. cit.), p. 78-83. blon, 1'eau p u r e . . . »
206 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 207

et viser le « d e g r é zero de 1'écriture» pour reprendre l'expression — A la lecture de cette liste d'exemples, le lecteur pourrait croire que
-et Putopie sémiologique — de R. Barthes. D ' o ú certainement ces la publicite substantielle est « n a t u r e l l e m e n t » la publicite pour les pro-
effets de sens de d é p o u i l l e m e n t classique ou de n é o - a c a d é m i s m e qui duits alimentaires et les boissons — cela d'autant plus que F C A ! est
pour certains c a r a c t é r i s e n t , en bien ou en mal, les campagnes conçues bien 1'une des grandes agences de ce secteur avec, entre autres, les
par J. Feldman. budgets Yoplait, Findus, Pacific... Pour le convaincre du contraire et
Des exemples de publicites substantielles feldmaniennes? Parlons par la m ê m e soutenir la t h è s e que les idéologies publicitaires sont
d'abord du whisky Label 5 ou de la b i è r e Georges Killian's. Des i n d é p e n d a n t e s de la nature des produits et des services, nous cite-
campagnes comme celles des cinq Ecossais de Label 5 sont tout à fait rons enfin le r é c e n t film Eponge S de Spontex : les fameux bagnards.
r e p r é s e n t a t i v e s de cette idéologie substantielle; le concept s'origine — La scène se passe en prison. Deux bagnards en t é n u e r a y é e r é g l e m e n -
et s'autorise — de la qualité essentielle, définitoire du produit qui en taire font la vaisselle tout en regardant un match de boxe à la télévi-
fait un vrai whisky ecossais : un whisky garanti d'au moins cinq ans sion. A r r i v e une gardienne, pulpeuse mais terrible, qui leur ordonne
d ' â g e . L'accroche d'origine allait j u s q u ' à exploiter cette motivation : du geste et de la voix de regagner leur cellule. Sitôt d e r r i è r e les bar-
« C i n q Ecossais comme Label 5 » . La campagne 1988 de G. Killian's : reaux, les deux bagnards, qui avaient conserve leurs é p o n g e s , se les
« J e suis rousse, et alors!» correspond à un repositionnement publici- partagent (le petit bagnard dit au grand : « T u prends la grande et
taire. Les campagnes G. Killian's de P. Lemonnier, fils spirituel moi la petite») et les couvrent de baisers ardents. Le tout sur une
d'Ogilvy reposaient sur un discours référentiel qui exploitait le per- musique jazz-hot : « S w i n g swing ma S p o n t e x » . En fait, nous venons
sonnage d'un « v r a i » brasseur ; le traitement publicitaire de J. Feld-
38
de três mal raconter ce film, ou p l u t ô t nous en avons r a p p e l é le scé-
man exploite par contre ce qui fait 1'essence m ê m e du produit, sa nario, la structure narrative si l'on veut. Mais nous n'avons rien dit
« r é a l i t é » plus que son origine : sa rousseur. Nous voici revenus à de son traitement, de sa forme discursive ... qui en fait le « f o n d » . 4 1

Germaine, aux martiens et aux pâtes Lustucru! «II est temps d'envi- T o u t e 1'attention du spectateur est c e n t r é e sur 1'éponge et plus parti-
sager un combat universel pour les pâtes Lustucru. Pour cela, i l faut c u l i è r e m e n t sa silhouette, à laquelle correspond le nom du produit.
que le public ait une três haute opinion du produit. I I faut insister Le film «focalise» sur cet acteur qu'est l ' é p o n g e pour en exalter la
sur la qualité du produit. D ' o ú 1'idée de j o u e r avec les oeufs et les nature galbée. La gestualité des laveurs de vaisselle comme celle de
p â t e s » . Philippe Lemaire de Medias a t r o u v é une image três juste
39
la pulpeuse surveillante reprennent l ' « a s p é r i t é » — si l'on peut dire
pour parler du substantialisme d'une telle d é m a r c h e : « L ' a g e n c e de en l'occurrence! — de ce produit d'entretien : les mouvements des
J. Feldman a estime que les personnages créés par 1'agence prece- bagnards dessinent des S sur les assiettes, le geste de la surveillante
dente n ' é t a i e n t pas les « a m b a s s a d e u r s de la m a r q u e » mais risquaient, («Allez, au d o d o ! » ) est un geste ondulant... Et quand l ' é p o n g e n'est
au contraire, de masquer sa principale aspérité: les ceufs » . Cest nous 40
pas au centre de 1'image, les cadrages gros plans des acteurs mettent
qui soulignons. en valeur la sinuosité de l'accroche-cceur du grand bagnard et celle de
la m è c h e de la surveillante ! 42

3 8 Dans 1'annonce-presse q u i p r é s e n t a i t « G e o r g e K i l l i a n , gentleman-brasseur i r l a n d a i s » , 4 1 Pour les s é m i o t i c i e n s , comme p o u r tous ceux q u i travaillent selon une approche
le texte de J.-R. R u t t i n g e r est un petit modele de discours r é f é r e n t i e l s'opposant explici- structurale, la distinction voire 1'opposition « f o n d » / « f o r m e » n'a g u è r e de sens. Le
tement au discours relevant de la publicite m y t h i q u e : «II était une fois en Irlande un « f o n d » désigne-t-il le contenu d'une oeuvre o u d'un message, o u plus p r é c i s é m e n t son
h o m m e q u i s'appelait G. K i l l i a n . O u i , G. Killian Lett, c'était son n o m . I I é t a i t brasseur contenu p r o f o n d , o u encore le m a t é r i a u conceptuel à traiter (: le « t h è m e » ) ? La f o r m e
de son é t a t et p o r t a i t une magnifique barbe rousse... Cela p o u r r a i t ê t r e le d é b u t d'une désigne-t-elle la mise en forme, 1'articulation du sens c'est-à-dire ce q u i est n é c e s s a i r e à
de ces bonnes histoires dont les Irlandais ont le secret et qu'ils aiment raconter le soir la constitution d'une signification ? Elie ne saurait ê t r e alors c o n s i d é r é e comme superfi-
au coin du feu. En 1'occurrence, 1'histoire — comme son h é r o s — est vraie. Elie se cielle, voire s u p e r f é t a t o i r e , mais comme ce q u i releve d u p r o f o n d , d u constitutif, de
passe maintenant, en 1976, en I r l a n d e , à Enniscorthy, là o ú G. Killian h a b i t e » . 1'invariant — à 1'opposé d u « f o n d » .
3 9J. Feldman in Stratégies, n" 639, j a n v i e r 1989. 4 2 Nous serions tente de reconnaitre dans la structure sonore de « S w i n g , Swing ma
4 0 Ph. Lemaire, Communication/CB News, n° 109, j a n v i e r 1989. S p o n t e x » 1'exploitation, au plan de Pexpression cette fois, de la substance sinueuse du
208 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 209

Comment rendre compte d u mode d ' é n o n c i a t i o n qui caractériserait MAXWELL (Young & Rubicam) MARLBORO (Leo Burnett)
la publicite substantielle ? I I ne s'agit pas ici de la production d'une CARREFOUR (Impact)
MAISONS BOUYGUES (RSCG)
illusion référentielle à proprement parler. Celle-ci est le fait de la SUPER GLUE 3 (Ogilvy & Mather France) CHEVRONS SAUVAGES (RSCG)
publicite référentielle justement et, surtout, 1'illusion référentielle MANPOWER (RSCG)
suppose u n certain accommodement avec la réalité qui semble repro-
duite, une sorte de « b o n n e d i s t a n c e » . O r 1'effet de sens produit par
publicite publicite
la publicite substantielle, c'est au contraire 1'étrangeté d u monde, la
référentielle mythique

iXt
p r é s e n c e de 1'objet face au sujet é n o n c i a t a i r e . O n a 1'impression que
le produit avance vers soi, j u s q u ' à pouvoir le toucher. De fait, 1'image
substantielle privilegie les valeurs tactiles. Gros plans, n e t t e t é absolue
des traits et des formes, rapport souvent frontal : la publicite substan- publicite publicite
tielle renverse la relation d u sujet au monde. Cest 1'événement, q u i substantielle oblique
provoque une suspension d u temps : ce sont les objets, les produits
« q u i vous observent avec des regards familiers», pour reprendre le KILLIAN'S (FCAI) BLACK & WHITE (CLM/BBDO)
vers de Baudelaire. Cette allusion aux « C o r r e s p o n d a n c e s » n'est pas I USTUCRU (FCA!) ERAM (CLM/BBDO)
gratuite. Elie veut introduire 1'idée que la stratégie énonciative de la SPONTEX (FCA!) MAMIE NOVA (CLM/BBDO)
publicite substantielle est de proposer une é m o t i o n e s t h é t i q u e . Nous
LU(Bélier) PIPER HEIDSIECK (DDB)
définirons ici 1'émotion e s t h é t i q u e comme une incapacite soudaine — IIRGO (TBWA)
et breve — d u sujet à maitriser le monde sensible, une incapacite qui
1'ébranle et l u i donne le sentiment d'une p r é s e n c e physique venant
exemplaires selon nous, qu'elles soient c o n ç u e s par les quatre idéo-
au-devant de l u i . Cette manifestation c o n c r è t e est d'autant plus forte
logues ou par d'autres publicitaires. Avant d'aborder les discours de
et «saisissante» que le sujet n'a pas encore réussi à projeter sur elle
deux t h é o r i c i e n s de la publicite et d u marketing qui, de façons três
une grille de lecture du monde qui 1'organise et la maintienne à bonne
différentes, parlent des rapports entre le discours et la « r é a l i t é » et
distance. S o u d a i n e t é , recherche d'une certaine perte de la maitrise à
donc de nos idéologies, restons u n moment sur les diverses i n t e r p r é -
comprendre o u à i n t e r p r é t e r : on 1'aura compris, le mode d ' é n o n c i a -
tations que l'on peut en faire. L e sémioticien s'est d o n n é pour tache
tion de la publicite substantielle est le contraire de celui de la publi-
de definir les relations existant entre ces différentes philosophies et de
cite oblique.
mieux faire comprendre celles-ci mais d'autres que l u i peuvent aller
au-delà : question de légitimité et de c o m p é t e n c e . Ils i n t e r p r è t e r o n t
— sans le savoir — le c a r r é en ce sens qu'ils donneront les raisons de
Quelques interprétations possibles ces différences, o u des « explications» à ces oppositions.
P r e m i è r e i n t e r p r é t a t i o n , de type socio-culturel : les publicites réfé-
rentielle et substantielle d'une part et mythique et oblique d'autre
Voilà, le c a r r é parcouru, les quatre grandes idéologies publicitaires.
part renverraient à des cultures o u à des styles de vie o p p o s é s . Annie
Nous 1'illustrons ci-contre par quelques campagnes p a r t i c u l i è r e m e n t
Prost d'Eurocom, dans u n document interne inédit, s'appuie sur sa
double e x p é r i e n c e française et a m é r i c a i n e , pour opposer « P u b l i c i t e
française versus publicite a m é r i c a i n e » :
produit. Mais, là, nous avouons notre totale i n c o m p é t e n c e en la matière. II faudrait ici
consulter quelqu'un comme J e a n - R é m y Julien, auteur de Musique et Publicite (Flam- «La publicite américaine est plutôt une publicite de faits, la publicite
marion, 1989). française est plutôt une publicite' de concepts. La différence tient à la
210 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 21

culture respective de chacun des pays. La française est une culture


conceptuelle et d'idées. Elie produit des idées, du style et de 1'esthé-
tisme ayant pour fonction de séduire en faisant appel à la sensibilité : MAXWELL
faire rire, plaire, émouvoir, faire rever. L'Amérique a une culture
de faits et d'argent. Elie produit des messages factuels destines à
convaincre en faisant appel à 1'argumentation rationnelle : ce que
j'obtiens de concret pour mon argent. Les Américains ne com-
prennent pas les démarches françaises parce qu'elles ne mettent pas
en avant les raisons factuelles d'acheter le produit. La culture matéria-
liste américaine est séduite par la réalité. La culture intellectuelle et
multi-sensorielle française est séduite par des idées et des impressions.
Les Américains ont invente 1'hyper-réalisme, les Français 1'impres-
sionnisme. Chacun a raison puisqu'il agit et réagit en fonction de sa
culture. Le meilleur exemple qui permet d'illustrer ce point, c'est la
controverse soulevée par le Grand Prix 1986 du Festival de Cannes :
John Hancock Insurance. Pour les Américains, c'est une publicite
formidable parce qu'elle véhicule des faits, des répon.ses precises à
un problème important aux Etats-Unis : 1'insécurité individuelle vis-à-
vis de son futur à partir d'une expression hyper-réaliste en résonance
avec le vécu de 1'individu. Pour les Français, il n'y a pas d'idée, pas de
concept publicitaire.»
La réflexion d'Annie Prost est d'autant plus interessante pour le
sémioticien qu'elle aborde le problème des «différences liées à la
structure de chacune des langues» :
«La différence vient des différences qui existent entre les deux
langues. Dans la langue anglaise, un mot peut être aussi bien un
adjectif, un verbe ou un nom, ce qui signifie qu'un même mot peut
exprimer à la fois un état, une action et une qualification. La langue
anglaise autorise la concision pour véhiculer le sens souhaité. De plus,
dans son usage américain, la langue anglaise est simplifiée à 1'extrême.
Elie est centrée sur la compréhension du message. Par opposition, la
langue française utilise une grande diversité de mots pour exprimer
une infinité de nuances. La langue française enrichit le message de la
diversité des mots.» Enfín, Pinterprétation socio-culturelle d'A. Prost
se donne explicitement pour telle dans la synthèse finale du
document : «Culture d'idées par comparaison à culture de faits et
Publicite référentielle
d'argent, séduction et adhésion par comparaison à conviction ration-
nelle, pensée globale et synthétique par comparaison à pensée analy-
SUPERGLUE

Publicite référentielle
Publicite oblique
MAISONS BOUYGUES

MARLBORO

íhxm f.uí
Publicite substantielle
Publicite mythique
«Tués dans Vceuf!» 219

CEuldu i i n | i i c , ncnc-ralistes p a r c o m p a r a i s o n à spécialistes : i l est évident q u e


li | contextes c u l t u r e l s français e t américains d e v a i e n t g é n é r e r des
i|>l D <>( lu-s d e c o m m u n i c a t i o n q u i se d i s t i n g u e r a i e n t dans l e u r s g r a n d e s
ii I H l . i t i c e s e t l e u r s expressions générales.»
( l e i t e o p p o s i t i o n A m é r i q u e vs F r a n c e n'est pas sans r a p p e l e r les
propôs d ' A . - J . G r e i m a s q u e n o u s avons rapportés p . 1 8 7 . S e u l e m e n t
vuilà : les rhoses sont-elles aussi simples? L é o B u r n e t t est 1'homme d e
M n l h o r o , référence séguélienne, e t B i l l B e r n b a c h a f a i t d e la c o m m u -
ini.iiiiiii Volkswagen F u n des archétypes d e la p u b l i c i t e o b l i q u e . E t
M I M isemeiit, J . F e l d m a n , p o u r être 1'idéologue d e la p u b l i c i t e s u b -
•.i.uiiielle, n ' e n e t pas m o i n s l ' u n des chefs d e f i l d e la p u b l i c i t e
11.HM,.use. Nous n'irons pas p l u s loin, personnellement, dans ce
ili k i t . Disons s i m p l e m e n t q u ' o n t o u c h e i c i a u x problèmes d u r e l a t i -
viMiie ( i i l t u r e l , analysable sémiotiquement e n t e r m e s d e c o n n o t a t i o n s
véi iclií l o i r e s o u , p o u r r e p r e n d r e 1'approche q u ' e n a v a i t f a i t e M . F o u -

wjm Lustucru. Bons oeufs, bonnes pâtes. I . I H I I , d'altitudes épistémiques; c h a q u e c u l t u r e se définirait ainsi selou
r . u t i l u d e q i f e l l e a d o p t e p a r r a p p o r t à ses p r o p r e s s i g n e s . U n e t e l l e
43

m i e i prétalion s o c i o - c u l t u r e l l e n o u s p a r a i t e n t o u s cas p l u s suggestive


inême si elle est c e r t a i n e m e n t m o i n s créative e t « m é t é o r o l o g i q u e »

BEURRE DACCORD, • IH
i|iir i e l l e q u i consiste à d i r e q u e la p u b l i c i t e o b l i q u e est u n e p u b l i -
il<- décalés e t la p u b l i c i t e s u b s t a n t i e l l e u n e p u b l i c i t e d e recentrés.
MAIS PETIT, POURQUOI? A i i l r i - inlerprétation, d e t y p e h i s t o r i q u e c e t t e fois ... oú l ' o n r e p a r l e
• li | Séguéla e t d u passage d e l'ère d e 3R à celle des 3S : Simplicité,
S H I I S I . U K c, Spectacle. P o u r l e p a t r o n d e R S C G , 1'évolution h i s t o r i q u e
de l.i p u b l i c i t e serait le f a i t des a n n o n c e u r s , e t n o n d u c o n s o m m a t e u r
q u i , l u i , « v e u t le rêve e t la r é a l i t é » : « L e s années p u b , les années folies
• i m o r t e s . Paralysés p a r la crise, les a n n o n c e u r s q u i s p o n s o r i s a i e n t
tios spcctacles o n t r e n o n c é . I l s e x i g e n t p l u s d ' a r g u m e n t a t i o n , p l u s d e
pi u i i i o i i o i i . L a r a i s o n est le g r a n d v a i n q u e u r d e la crise. E t crise n e
m i i e avec création q u e p o u r 1'oreille. E t e n c o r e , la r i m e est-elle três
I i.ni\ »•... N o u s s o m m e s e n t r e s dans u n e société l o u i s - p h i l i p p a r d e » . 44

1 A i n s i , les années 7 0 - 8 0 a u r a i e n t é t é celles d e 1'apogée d e la p u b l i c i t e


i n \ i l i i q u c a l o r s q u e les années 9 0 s ' a n n o n c e r a i e n t c o m m e celles d e la
|iulili< ité s u b s t a n t i e l l e . E n f a i t , o n p e u t se d e m a n d e r si J . Séguéla n e

ET
APPROUVÉ Cfi A.-J. G r e i m a s et J . Courtés, Sémiotique. Dictionnaire
, 1 raisonné de la théorie du lan-
WÊÊfi cit., a r t i c l e « V r a i s e m b l a b l e » , p. 4 2 2 - 4 2 3 .
|. Séguéla, i n t e r v i e w d a n s CBINews, n° 1 0 8 , 2 3 j a n v i e r 1 9 8 9 .
Publicite substantielle
220 Sous les signes, les stratégies «Tués dans 1'ceuf!» 221

croit pas davantage à une sorte de mouvement de balancier, à un l>iililu iié référentielle ou substantielle; viennent ici à 1'esprit bien des
mouvement paradigmatique de 1'histoire qui ferait se réaliser alter- marques dont la communication a é t é c o n ç u e et g é r é e par D. Ogilvy
nativement les deux grandes logiques c o n t r a í r e s : fonction construc- m i | Kcldman : Sears et Rolls-Royce, ou Findus et Yoplait. Cela dit,
tive du langage vs fonction r e p r é s e n t a t i o n n e l l e . . . « O n a perdu nos puisque J. H é n o c q aborde le p r o b l è m e de 1'approche marketing, par
marques culturelles. Quand on est perdu, on revient en désespoir de i>l«position — selon lui — à 1'approche créative, c o n s i d é r o n s mainte-
cause à la substance, c'est-à-dire, en pub, au produit. Je reviens à ii.mi le discours d'un homme de marketing, plus exactement d'un
Procter. La pub a é t é tellement a x é e sur le beau, 1'image, la starisa- •nielgnant en marketing : J.-N. Kapferer.
t i o n , la s u r m é d i a t i s a t i o n , la gonflette, qu'elle s'est c o n d a m n é e à bas- I».ms sa contribution à 1'ouvrage collectif La Marque , J.-N. Kap- 47

culer dans 1'autre sens. » 45


l ' n i s'attache à r é v é l e r «la face c a c h é e des m a r q u e s » à partir
L ' i n t e r p r é t a t i o n , historique elle aussi, de J. H é n o c q releve d'une ilVxrmples concrets : le changement radical de la communication
attitude pragmatique et non d'une idéologie. Une attitude qui N< s< .ilc en 1981 (l'apparition du petit train circulant dans les Andes),
n'exclut pas le g é n i e créatif; on doit par exemple à J. H é n o c q deux l< l . i i K c m e n t du « g r a t t o n l a v e u r » 3 M O U celui des Lotus Compacts
des plus grandes campagnes de la publicite substantielle : «II y a de l>.ii kaysersberg. J.-N. Kapferer est ici le promoteur d'une t h è s e :
1'Urgo dans 1'air; i l y a de l'air dans U r g o » ( T B W A 1980) et la recente I .i \.iic valeur ajoutée de la marque est dans le produit et sa remise
campagne L U , Bélier 1988 ( « C e n t ans et toutes ses d e n t s » ) : « P o u r • •<•• manente sur le m é t i e r pour a m é l i o r e r sa qualité, ses performances,
Dunlopillo, dans les a n n é e s 70, j e me serais certainement o p p o s é .1 valeur d'usage, son a d é q u a t i o n à 1'évolution des g o ú t s et besoins
aux matelas à ressorts. Mais aujourd'hui, Dunlopillo n'est pas la seule <l< s < onsommateurs. » Cette recherche permanente de 1'amélioration
48

marque à fabriquer des matelas de mousse... Je ne peux donc plus agir il«s (uoduits est la condition m ê m e de la survie d'une marque dans
comme en 1970, au risque de faire le j e u d'une collective du matelas um r r o n o m i e libérale o ú «le marche est un système de liberte :
mousse qui profite autant à ses concurrents directs q u ' à la marque \vs « o n s o m m a t e u r s votent chaque j o u r » . L'auteur — et c o - é d i t e u r
dont j e m'occupe. Je ne peux pas non plus distinguer mon système ili 1'ouvrage — définit alors la place de la publicite dans le sys-
de mousse de celui des concurrents. Je dois donc choisir un territoire !• m r : «II faut avertir et convaincre les consommateurs des nou-
publicitaire (en 1'occurrence, celui de 1'érotisme) et fabriquer une M lies d i l í é r e n c e s et performances a p p o r t é e s p é r i o d i q u e m e n t par les
c r é a t i o n p o é t i q u e , irrationnelle, sympathique, amusante ... Une com- m t t t q u e s . » . O n ne peut ê t r e plus clair sur la fonction seconde de la
49

munication de marque. Cest pour cela que les créatifs ont pris le DUblicité : une fonction d'information persuasive et non de c r é a t i o n
pouvoir dans la publicite depuis quinze ans. I I s'agit v é r i t a b l e m e n t de (ou de contribution à la c r é a t i o n ) de valeur ajoutée .
l'échec du m a r k e t i n g . » La position de J. H é n o c q est, on le voit bien,
46
\e et relire les pages de ce chapitre, on ne peut q u ' ê t r e f r a p p é
une position militante, sans pour cela — encore une fois — p r ô n e r <l< l.i i c d i r r e n c e des expressions verbales qui definissem la fonction
telle ou telle idéologie créative. Elle peut, cependant, laisser accroire r r p i é s e n t a t i o n n e l l e de la publicite et qui font de J.-N. Kapferer l'un
que les c o m p l é m e n t a r i t é s des publicites référentielle et substantielle tlrs tliuriféraires de la publicite r é f é r e n t i e l l e — p e u t - ê t r e du fait que
d'une part et mythique et oblique d'autre part r e l è v e n t respecti- ••• '• ' • < M I I C C S (1'inspiration sont essentiellement anglo-saxonnes : le slo-
vement d'une communication-produit et d'une communication de K.in T o u t arome de Nescafé en 1 9 6 2 » reflétait... la stratégie marke-
marque. I I ne nous semble pas, quant à nous, qu'on puisse légitime- ting'", la communication est nécessaire pour «faire savoir ... et aver-
ment en tirer cette conclusion. D'ailleurs, on ne voit pas pourquoi, a
priori, une communication de marque ne pourrait pas relever d'une
" I N. Kapferer et J . - C l . Thoenig , La Marque, Paris, E d . McGraw Hill, 1989.
'* I N Kapferer, L a face cachée des marques, in La Marque, op. cit. p. 22.
4 5 J . Séguéla, interview dans Challenges, n° 574, 21 septembre 1987. " Wd . p. 43.
4 6 ]. H é n o c q , interview dans Stratégies, n° 574, 21 septembre 1987. • U;,l , p. 11.
222 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 22H

tir» , une campagne publicitaire cTenvergure sert à «faire connaitre


5i
raient vite sur le message de « fond ». Les mots, eux, sont mieux consi-
la nouvelle différence au m a r c h e » , c'est la communication qui «signe
5 2
deres mais ceux qui sont disponibles pour « a v e r t i r et c o n v a i n c r e » sont
Vantécédence et qui permet de proteger la c r é a t i o n » , «sans la publi-
53
en nombre r é d u i t et constant. Comment dès lors signifíer les réalités-
cite, la marque ne pourrait atteindre aussi vite sa clientèle. Elie devrait produits, les performances des produits qui, elles, é v o l u e n t ? J.-N. Kap-
attendre les effets beaucoup plus lents du bouche à oreille des consom- ferer s'en r é f è r e alors três s é r i e u s e m e n t à Coluche : « E n se renouve-
m a t e u r s . . . » . Enfin, la marque « d o i t communiquer pour avertir et
54
lant en permanence, elle doit communiquer pour avertir et convaincre
convaincre de (la) d i f f é r e n c e » . O n retrouve la m ê m e conception et
55
de cette différence. O r le nombre des mots disponibles est r é d u i t . Le
pratiquement les m ê m e s tournures que chez Ogilvy : la publicite est r e g r e t t é Coluche, dans un sketch c é l e b r e , se moquait des publicites
un véhicule, elle gagne sa légitimité du fait qu'elle represente un gain de lessives passant du blanc au plus blanc que blanc, puis au plus plus
de temps (annonce, a n t é c é d e n c e , accélération, ...) et d'espace (plus que blanc. Sans le savoir, i l identifiait une des sources des p r o b l è m e s
large clientèle). De fait, la publicite semble bien suspecte par nature; de la marque : la marque a m é l i o r e la performance de ses produits
on trouve curieusement publicite ou publicitaire associes à images et effet mais ne dispose que des m ê m e s mots pour le signifíer. La communica-
de manches, habillage ou artífice. Si la publicite est d ' e m b l é e suspecte, tion publicitaire semble alors piétiner, se r é p é t e r dans le temps : elle
c'est qu'elle releve du paraitre et non de 1'être, de la « f o r m e » et non bute sur 1'absence de vocabulaire, alors que la r é a l i t é - p r o d u i t , elle, a
du « f o n d » . Et le paraitre sans 1'être, c'est le mensonger; la « f o r m e » bien évolué. » Comme on le voit, les idéologies publicitaires peuvent
5 7

sans le « f o n d » c'est le spectacle. Sans statut quant à ce qui fait-être se retrouver dans le discours du marketing, comme se retrouvent avec
(«ce n'est pas la communication qui fait les marques : on ne peut com- elles des systèmes connotatifs r é g l a n t 1'usage des différents langages,
muniquer que sur ce qui existe »), la publicite, et p e u t - ê t r e m ê m e plus par exemple en fonction de leur rapport à la réalité ou de telle
largement la communication, doit justifier de son emploi — au sens ou telle typologie des signes. Le slogan de Paris-Match, « l e poids des
quasi domestique du mot — par 1'illustration parfaite et constante de mots, le choc des p h o t o s » en est un autre bel exemple.
ces valeurs ancilliaires que sont la célérité et 1'efficacité. La pub, c'est Enfin citons une d e r n i è r e i n t e r p r é t a t i o n du système des idéologies
le saute-ruisseau du marketing : « P a s s a n t par dessus la distribution, la publicitaires : 1'interprétation sémiologique de G. Peninou. L'auteur
publicite s'adresse directement aux consommateurs, d é c i d e u r s ultimes d'Intelligence de la publicita distingue fondamentalement deux grands
de la validité de chaque marque presente sur le marche, dans une éco- regimes qui partagent la c r é a t i o n publicitaire : l'un releve de la « d é n o -
nomie l i b é r a l e . » 56 tation référentielle, à visée i n f o r m a t i v e » , 1'autre de la « c o n n o t a t i o n , ;i
. Mais ce qui est le plus intéressant selon nous, c'est que, là encore, visée p s y c h o l o g i q u e » . Dans un s c h é m a , reproduit ci-contre, G. Peni-
correspond au choix i d é o l o g i q u e une certaine défínition du discours nou presente les dix oppositions qui « r a s s e m b l e n t les différences»
et des statuts respectifs des langages : les langages, ce sont des signes, entre les deux regimes. O r la d e r n i è r e de ces différences — mimesisl -
les signes signifient dans la mesure o ú ils renvoient à la réalité, et i l poiesis — ne peut pas ne pas ê t r e r a p p r o c h é e de la c a t é g o r i e fonc-
faut distinguer signes verbaux et signes non-verbaux. L'image — le tion r e p r é s e n t a t i o n n e l l e vs fonction constructive, à partir de laquelle
spot télévisé ou 1'affiche — serait dangereuse parce qu'elle aurait u n nous avons reconnu et interdéfini les quatre idéologies. Et les termes
pouvoir de s é d u c t i o n tel que les c o n s i d é r a t i o n s de « forme » Pemporte- employés par G. Peninou pour parler du passage entre la publicite de
dénotation et la publicite de connotation autorisent de fait un tel rappi <>-

51 lbid., p. 26.
52 lbid., p. 26.
5 3 lbid., p. 27.
57 lbid., p. 38-39.
5 4 lbid., p. 27.
5 5 lbid., p. 38. 5 8G . Peninou, Intelligence de la publicite, Paris, E d . Robert Laffont, 1972. U n ouvrage
5 6 lbid., p. 43. qui reste le texte de référence de la sémiologie publicitaire.
224 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 225

chement : « C e s t délaisser la praxis — et la mimesis qu'elle appelle —


LES DEUX GRANDS REGIMES
pour le mythe — et la p o é t i q u e qu'il favorise. » 59

O ú y a-t-il donc i n t e r p r é t a t i o n de la part de G. Peninou, et en quoi


R e g i m e do Regime de celle-ci est-elle s é m i o l o g i q u e ? Pour G. Peninou, la « d é n o t a t i o n réfé-
ta d é n o t a t i o n la c o n n o t a t i o n
r e n t i e l l e » est u n sens littéral : i l y a un en-soi, un « r é f é r e n t » — en
publicite, le produit. La d é n o t a t i o n est le rapport de c o n f o r m i t é à
celui-ci; et la fonction référentielle «établit la relation entre le mes-
sage et 1'objet auquel i l r é f è r e » . La connotation, quant à elle, sera
60

le fait des «associations d é r i v é e s » , de la non-coincidence entre le dis-


L'information La signification
cours et la réalité, et par là m ê m e le fait d'une production de sens.
Nous pensons avoir m o n t r é c o n c r è t e m e n t , et aussi clairement que pos-
La représentation L'émotion
sible, que les campagnes référentielles tout autant que les campagnes
mythiques r e l è v e n t de stratégies discursives complexes, et que le dis-
cours r é f é r e n t i e l , comme tout discours, est une production, en 1'occur-
L'analytique Le synthétique rence la production d'une illusion référentielle, par 1'exploitation —
entre autres procedes — des systèmes connotatifs qui font accorder à
tel ou tel type de signes ou de langages des vertus de plus ou moins
L'objet Le stgne grande ressemblance à la « r é a l i t é » . La publicite référentielle telle
que nous 1'avons définie n'a donc rien à voir avec un sens littéral qui
coínciderait avec la réalité. A u t r e m e n t dit, cette littéralité est 1'effet
Le produit L a valeur de sens qu'elle cherche à p r o d u i r e ; c'est sa visée et non sa nature.
Croire que c'est sa nature ou que c'est le devoir de la publicite, ou sa
noblesse, est justement un fait d'idéologie.
La connaissance La connívence
Comme on peut le remarquer ici, un sémioticien, travaillant selon
1'approche structurale qui a é t é initiée par Saussure, s'attache à
L'instruction L'empathie
reconnaitre et à analyser les logiques et les p r o c é d u r e s dont r e l è v e n t
chacun des regimes publicitaires; le s é m i o l o g u e influencé par le posi-
tivisme d'une certaine s é m i o t i q u e a m é r i c a i n e — via R. Jakobson et
Le nom L a caractere R. Barthes — veut pour sa part distinguer et classer ces regimes
61

selon leur rapport à la réalité. I I s'agit là, pour le sémioticien, d'une


entreprise qui ne peut que faire perdre à un projet d'une science
La pratique Le mythique des langages et de la signification toute autonomie et tout objet spéci-

5 9 G. Peninou, Intelligence de la publicite, op. cit., p. 112.


La mimesis La potesis
6 0 Ibid., p. 115.
6 1 U n e telle conception est sensible dans la d é f i n i t i o n de la fonction r é f é r e n t i e l l e d u
langage chez R. Jakobson, par r a p p o r t aux cinq autres fonctions, et dans les d é f i n i t i o n s
G. Peninou, Intelligence de la publicite de la d é n o t a t i o n , de la connotation et d u m é t a l a n g a g e chez R. Barthes, E l é m e n t s de
s é m i o l o g i e , Communications, n° 4, Paris, Seuil, 1964.
226 Sous les signes, les stratégies

fique. Definir les discours ou les regimes publicitaires par rapport à la


réalité ou à quelque r é f é r e n t autre que discursif ou langagier revient
à livrer pieds et poings lies toute sémiotique ou sémiologie — peut
importe alors 1'étiquette — à n'importe quelle discipline qui p r é t e n -
drait avoir la « r é a l i t é » ou ce r é f é r e n t pour objet propre : la physique, BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
la biologie, 1'économie... Pourquoi pas, a p r è s tout, les m a t h é m a t i q u e s
ou la philosophie?
O n conclura ce chapitre non sur une nouvelle i n t e r p r é t a t i o n mais
sur une recente interrogation à p r o p ô s de ces idéologies. Dans le
A r r i v é M . et Coquet J.-Cl., La sémiotique en jeu, à partir et autour de Vceuvre
numero spécial Eté 89 que UExpansion a consacré à la publicite , 62
d'A. J . Greimas, P a r i s / A m s t e r d a m , Ed. H a d è s - B e n j a m i n s , 1987.
R. Alexandre presente nos quatre idéologies publicitaires. Le j o u r n a - A u g e M . , Un ethnologue dans le metro, Paris, Hachette, 1986.
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de faire réfléchir sur 1'influence que peut avoir la publicite et ses dif- Baudrillard J., Le systéme des objets, Paris, Gallimard, 1968.
f é r e n t e s idéologies sur ses cibles, c'est-à-dire sur tout un chacun : « Si Baudrillard J., Pour une critique de 1'économie politique du signe, Paris, Gallimard,
les discours des publicitaires r e c è l e n t tant de positions contradictoires, Ed. T e l , 1972.
Benveniste E., Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, t. 1/1966 ; t. 2 / 1 9 7 4 .
eh bien, tout cela doit finir par s'annuler dans nos têtes. De sorte que
Bertrand D . , T h e creation o f complicity. A semiotic analysis o f advertising campaign
c'est p e u t - ê t r e G. Peninou qui a raison quand i l conclut : « E n fin de for Black & W h i t e whisky, in International Journal of Research in Marketing (Ch. Pin-
compte, que retient-on de la publicite ? Rien. C'est tout son c h a r m e . » son ed.), v o l . 4, n" 3, Amsterdam, N o r t h - H o l l a n d , 1988.
Bertrand D . (ed.), Les passions, in Actes sémiotiques - Bulletin, I X , 39, C N R S /
Et çà, comme disait la reclame « Enfoncez-le vous bien dans la t ê t e . » 63
EHESS, 1986.
T o u t en reconnaissant à G. Peninou 1'autorité qu'il faut pour établir Coquet J.-Cl., Sémiotique. L'Ecole de Paris, Paris, H a c h e t t e - U n i v e r s i t é , 1982.
effectivement une «fin de c o m p t e » , nous pensons, pour notre part, C o u r t é s J., lntroduction à la sémiotique narrative et discursive, Paris, Hachette-Uni-
que ce serait au contraire une belle entreprise socio-sémiotique que versité, 1976.
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Propp V., 58, 65. 204, 205, 219.
Prost A., 209, 210.
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Trobetzskoy N., 12 note 14.
Raynal R., 140, 142, 185, 188.
Rigoulet L., 25 note 4. Wildlócher D., 114. Achronique, 15. Contrastes plastiques, 98.
Robert D., 185. Wõllflin H., 65, 66, 67, 159, 161. Actant, 58, 109, 111. Contrat, 55, 57, 58, 61, 64.
Acteur, 63, 111, 124. Contrat de véridiction, 55, 64, 72, 75,
Adjuvant, 111. 78.
Anti-phrastique, 200. Contre-don, 55.
Anti-programme, 36. Conversation, 45.
Anti-Sujet, 60. Corrélation, 151.
Appropriation, 110. Croire, 200.
Aspectualisation, 117 note 13.
Assertion, 28, 29. Débrayage interne, 194.
Attitudes épistémiques, 219. Débrayage temporel, spatial, acto-
Attribution, 110. riel, 117 note 13.
Axe sémantique, 27. Dépossession, 110.
Axiologie, 17, 60, 126, 145, 146, 147, Désémantisation, 33, 34.
150. Destinataire, 53, 109, 111.
Axiologique, 60, 86, 151, 152, 200, Destinateur, 109, 111.
204. Devoir, 106.
Diachronique, 15.
Bi-isotopique, 29 note 6. Dialogue, 45.
Bricolage, 175. Dimension figurative, 85, 102.
Don, 110.
Carré sémiotique, 27, 122, 125, 188, Durativité, 117 note 13.
192.
Catégorie sémantique, 27, 30, 85. Elasticité du discours, 28.
Chiasme, 137. Embrayage actoriel, 117 note 13.
Clôture, 21, 52. Enoncé d'état, 108.
Codage semi-symbolique, 98, 107. Enoncé de faire, 108.
Codage symbolique, 98. Enoncé narratif, 58, 59.
Commutation, 12. Enoncé syncrétique, 86.
Compétence, 61, 62, 63, 106, 107. Enonciataire, 16, 53, 55, 56, 165, 200,
Composante discursive, 124, 125. 208.
Composante sémantique, 125. Enonciateur, 15, 55, 124, 165, 194,
Composante sémio-narrative, 124, 125. 200.
Composante syntaxique, 125. Enonciation, 124, 126, 165, 177, 194,
Condensation, 121, 126. 204.
Configuration discursive, 78, 203. Epreuve, 59, 63, 110.
Connotation véridictoire, 219. Epreuve décisive, 59.
Contexte de communication, 4. Epreuve glorifiante, 16, 59, 61.
232 Sous les signes, les stratégies Index des termes sémiotiques 233

Epreuve qualifiante, 16, 59. Objet de valeur, 108, 126. Signifiant, 9, 12. Syntaxe narrative, 63, 109.
Espace rayonnant, 174. Observateur, 117 note 13. Signification, 8, 11, 20, 123. Système semi-symbolique, 87, 94, 108,
Etat final, 108. Opérations, 28, 29. Signifié, 39. 150.
Etat initial, 108. Opposant, 63. Socio-sémiotique, 226. Systèmes connotatifs, 225.
Etat modal, 112. Statut narratif, 63. Systèmes sémiotiques, 88.
Expansion, 121, 126. Parcours génératif de la signification, Stratégie discursive, 194, 225. Systèmes symboliques, 88.
123, 156. Stratégies interactionnelles, 46.
Structure discursive, 118, 124. Terminativité, 117 note 13.
Faire cognitif, 196. Parcours narratif, 22, 60, 63, 110.
Structure narrative, 58, 108, 124, 203. Texte, 4.
Faire conjonctif, 112. Performance, 60, 61, 62, 106.
Structure sémio-narrative, 124, 125. Thématique, 125.
Faire interprétatif, 56, 61. Phonologie, 12 note 14.
Thymie, 85.
Faire persuasif, 56, 61. Pictogramme, 165. Substance, 65, 76.
Transformation, 108.
Faire pragmatique, 196. Plan de 1'expression, 12, 88. Substance de 1'expression, 155.
Fiducie, 54, 75. Plan du contenu, 12, 88. Substance du contenu, 161. Unité narrative, 63.
Focalisation, 54. Pouvoir, 113. Sujet, 60. Unité paradigmatique, 58.
Forme, 5, 75, 76. Prédicat, 58, 59. Sujet d'état, 108. Univers figuratif, 126.
Présupposition, 61. Sujet de faire, 110.
Grandeur, 151. Príncipe d'immanence, 5. Synchronie, 132. Valeur contextuelle, 30.
Procès, 31, 117. Synchronique, 15. Valeur d'usage, 123, 127, 130.
Hypotaxique, 110. Programme d'usage, 128. Syncrétisme, 58, 132. Valeur de base, 123, 127, 130.
Programme de base, 128. Synesthésie, 17. Variables, 5.
Idéologie, 184 note 7. Programme narratif, 108, 110, 125. Syntagmatique, 58, 59, 62, 117. Véridiction, 54, 74, 194.
Illusion référentielle, 208, 225. Projection paradigmatique, 58. Syntagmes, 21. Virtualité, 124.
Inchoativité, 117 note 13. Proxémique, 21. Syntaxe, 125. Vouloir, 114.
Intentionnalité, 59, 60.
Interaction, 45. Récurrence, 24, 25.
Intertextualité, 166. Récursivité, 126.
Invariants, 5. Redondance, 52.
Ironie, 200. Référent interne, 195.
Isotope, 29. Référentialisation, 194.
Isotopie, 29 note 6. Relation de complémentarité, 29.
Itérativité, 117 note 13. Relation de conjonction, 108.
Relation de contradiction, 28, 29.
Lexèmes, 30. Relation de contrariété, 28.
Relation de disjonction, 108.
Manifestation, 126. Relation fiduciaire, 74.
Médiateur mythique, 11. Relation paradigmatique, 58.
Micro-univers sémantique, 27, 188. Renonciation, 110.
Modalités, 61, 62, 106, 113, 114. Role, 63, 111, 124.
Motif, 42, 123. Roles actantiels, 200.
Mythe, 86. Roles thématiques, 203.
Mythogramme, 165, 174, 175.
Sanction, 61, 62.
Nébuleuse du sens, 10. Savoir, 106, 200.
Négation, 28. Schéma narratif, 58, 6 1 , 64.
Négociation, 45. Segmentation, 21.
Niveau abstrait, 126. Segmentation «actorielle», 23.
Niveau de dérivation, 126. Sémantique, 125, 137.
Niveau figuratif, 126. Sémantique lexicale, 10 note 11.
Niveau profond, 125. Semèmes, 30.
Niveau superficiel, 125. Sémiologie, 7, 226.
Niveau thématique, 126. Sémiosis, 89.
FORMES SÉMIOTIQUES
O O L L E C T I O N DIRIGÉE P A R

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