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ipèmiotiqiie, marketing et
É|bmmiinication. j
Sous les signes, les s t r a t é g i e s
'•iA-.-i;/-
to C p S&Pifi&ÇM
JEAN-MARIE FLOGH
FORMES SÉMIOTIQ.UES
GOLLEGTION DIRIGÉE PAR Sémiotique, marketing
ANNE HÉNAULT
et communication
« A sauts et à gambades » 1
Plus d'intelligibilité 10
Plus de pertinence 12
Plus de différenciation 14
maintenant s'éloigner du paradigme positiviste, quantitativiste, jusqualors Pour le sémioticien, les trajets sont un «texte» et les différentes façons de
dominant, pour favoriser la reconnaissance d'approches plus qualitativistes, vivre le trajet représentent différentes stratégies de valorisation de ce trajet.
au rang desquelles la sémiotique. Heureux Jean-Marie Floch qui pourra On voit bien ici le présupposé de cette démarche : le sujet est Vobservateur
ainsi fort justement et légitimement bénéficier d'une attention Internationale de ses comportements et tend ensuite à en être le producteur. Sujet valori-
qui lui aurait été peut-être refusée, il y a seulement cinq ans. Ainsi vont sant, le voyageur «donne» du sens à son trajet. Le «psychosociologue », lui,
les modes! Mais peut-être s'agit-il, plus profondément, d'une crise du para- aura tendance à étudier les facteurs individueis ou collectifs qui font que le
digme (au sens de T. S. Kuhn) de la recherche académique en marketing? trajet «prend» du sens pour le sujet.
Cest ce qu'il faut espérer. Cest ce que f espere. Pourquoi? Parce qu'il me On comprend pourquoi les problématiques du «psychosociologue » - que
semble que le marketing a besoin de la sémiotique. Parce qu'il me semble les chercheurs qui ne se reconnaitraient pas dans ce raccourci me par-
que, confrontée aux réalités concrêtes du marketing et de la communication donnent! - ont trouvé spontanément crédit auprês des gens du marketing.
et de la présence plus ancienne d'autres disciplines (psychologie, sociologie, Uhomme du marketing se décrit volontiers comme créant et offrant des ser-
économie, etc), la sémiotique ne peut que s'enrichir de nouveaux chan- vices, des produits, bref de la valeur ou du sens que des cibles vont être
tiers conceptuels. invitées à décoder et consommer. Dans une étude plus traditionnelle, Jean-
Le cadre théorique utilisé par J.-M. Floch dans les six études qu'il nous Marie Floch montre que la communication publicitaire automobile offre au
presente s'inscrit dans le courant de Vapproche structurale européenne et, moins quatre — carré sémiotique «oblige» — virtualités de valorisation :
plus précisément, dans le prolongement des idées développées, à Paris, par pratique, utopique, ludique et critique. Au consommateur de faire un choix
A. J. Greimas et son Groupe de Recherches Sémio-Linguistiques. Au centre de ontologique que le psychosociologue accepte d'étudier. Le sémioticien pour sa
cette approche est Vidée que pour pouvoir comprendre les actes de langage part s'y refusant (dans Vinterprétation, point de salut, ai-je envie de dire!).
(1'énonciation) - cest Vobjet de la pragmatique - il convient de déga- Le consommateur... producteur de sens? N'est-ce pas déposséder le fabri-
ger d'abord les formes signifiantes sous-jacentes a Vénoncé, dans et par cant ou prestataire de services (Vénonciateur, pour le sémioticien) de son
lesquelles s'organise la signification d'un texte. La sémiotique structurale pouvoir? N'est-ce pas émettre une proposition hostile ou du moins dan-
s'attache donc à analyser en premier lieu Vénoncé dans son immanence, gereuse pour le marketing? Certainement pas, si par marketing on entend
pour que soit correctement aborde ensuite Vacte d'énonciation. vraiment recherche de la satisfaction du consommateur. Et quelle plus
La vertu principale, à mes yeux, des travaux presentes par J.-M. Floch noble ambition peut-on imaginer que celle de nouer un « contraí de commu-
est de montrer comment Vétude sémiotique peut s'articuler avec d'autres nication» entre énonciateur et énonciataire ou énonciateur et énonciataire
approches. Uauteur parle d'«épreuve qualifiante» pour la sémiotique; ne s'échangent du sens? Ou, par exemple (voir Vétude sur le Crédit du Nord),
peut-on aussi parler d'épreuve «édifiante» pour le marketing? la marque se veut parole, prise et ténue. Provocante la problématique sémio-
A quoi peut bien servir un sémioticien ? Prenons Vétude du comporte- tique ? sans doute, mais ô combien légitimisante pour Vhomme de marketing
ment des usagers du metro qui, a mes yeux, represente le mieux Vintérêt de moderne - oserai-je dire - éclairé! Et c'est bien de cet homme-là quil est
Vapproche sémiotique, utilisée en combinaison avec d'autres approches. implicitement question dans la pratique décrite par J.-M. Floch.
A Vétude psychologique du discours sur le trajet du metro, la sémiotique Cela ne veut pas dire que le sémioticien moderne, celui qui se hasarde
propose, en préalable, Vétude du trajet considere comme texte (le discours d u au-delà des textes de Vécrit, soit au bout de ses peines. On lui demandera,
trajet) pour savoir comment et non pas seulement pourquoi les gens voyagent sans doute, et je souscris pleinement à cette exigence, d'aider à mieux com-
dans le metro. Tout comme le «psychosociologue » — un personnage familier prendre comment s'opere cette «production de sens», en quoi consistent ces
des milieux d'étude de marche - le sémioticien va se pencher sur les «façons stratégies de valorisation consciemment ou inconsciemment mises en ceuvre
de vivre» le trajet. «Tout comme»... non! car, comme Vavoue J.-M. Floch, par les sujets pour produire du sens. On voit bien que le parti pris
cette expression (façon de vivre) est «bien peu sémiotique». Que veut-il dire scientifique de sémioticien ne peut exclure Vapport d'autres disciplines pour
par là ? Eh bien, que le sémioticien va se donner un projet d'étude différent. répondre à de telles questions. Comment, par exemple, parler de «parcours
X Sous les signes, les stratégies
Un regrei finalement : que cet ouvrage ne reprenne pas plus en détail roder les différents chapitres de ce livre en en présentant le contenu
(voir p. 139-140) Vétude três originale effectuée par Vauteur sur le design de devant leurs étudiants : D. Bertrand du B E L C , G. Marion de l ' E S C de
Vhypermarché de nouvelle génération ni ne développe davantage Vapplica- Lyon, Ch. Pinson de 1 ' I N S E A D et St. Wargnier de 1'lFM.
tion de la sémiotique au design des objets. Enfin, j'exprime ici toute ma gratitude à ceux qui, d'une façon ou
L'ouvrage que nous donne Jean-Marie Floch est important et utile. II d'une autre, m'ont aidé lors de la réalisation du livre : D. Charbit
devrait devenir lecture obligatoire pour tous ceux, praticiens et théoriciens, (Crédit du Nord), A. Debray ( I P S O S ) , J. Feldman ( F C A ! ) , A. et H . Mou-
qui veulent faire évoluer la recherche en marketing et communication. Je vois lin ( E C O M E X ) , V. Relave ( R A T P ) , C. Roussiès ( I P S O S ) , J. Séguéla ( R S C G )
mal aussi comment il ne deviendrait pas rapidement un ouvrage de référence et F. Viellajus ( C L M / B B D O ) .
sur la scêne internationale. Cest, enfin, un livre três pédagogique dans sa
construction et plaisant à lire, et à relire, ce qui est plus rare. De cela, aussi,
Vauteur doit être remercié.
C H R I S T I A N PINSON,
vice-président de VAssiociation Française du Marketing,
professeur de marketing a 1'INSEAD.
«A SAUTS ET A G A M B A D E S »
AVERTISSEMENT A U L E C T E U R
' é p a r g n e r au client 1'histoire et la p r é h i s t o i r e des concepts et des rait ê t r e la devise des sémioticiens. Elie indique ou rappelle assez que
r o c é d u r e s qui constituent la t h é o r i e et la pratique de la sémiotique. la sémiotique est d'abord une relation c o n c r è t e au sens, une attention
n fait, le lecteur ira « à sauts et à g a m b a d e s » tout simplement parce p o r t é e à tout ce qui a du sens; ce peut ê t r e u n texte bien súr mais ce
ue nous avons voulu illustrer ici une certaine façon de faire de la peut ê t r e n'importe quelle autre manifestation signifíante : un logo,
jmiotique : pas de t h é o r i e qui ne s ' é p r o u v e dans une pratique. un film, un comportement... Cette formule dit encore que les «objets
de sens » — comme on dit — sont les seules réalités dont s'occupe et
veut s'occuper la sémiotique. Ils constituent le point de d é p a r t et le
point d'ancrage de sa pratique : la s é m i o t i q u e ne cherche pas à rendre
compte des réalités m a t h é m a t i q u e s , physiques, idéelles ou autres. Par
contre, le contexte dans lequel s'inscrivent ou apparaissent les objets
de sens — le fameux « c o n t e x t e de c o m m u n i c a t i o n » — sera pris en compte fait» mais cet espace et ce temps ne sont pas ceux de 1'activité
c o n s i d é r a t i o n . . . à partir du moment o ú i l est lui-même aborde comme sémiotique, dont la visée est et reste la description des conditions de
un objet de sens, comme un « t e x t e » . I I aura alors integre 1'ensemble production et de saisie du sens.
de ces réalités dont s'occupe la sémiotique et celle-ci n'aura pas perdu A u t r e p r í n c i p e : la s é m i o t i q u e recherche le système de relations que
de vue son projet. Bien plus, elle aura g a g n é la légitimité de son forment les invariants de ces productions et de ces saisies à partir de
intervention et conserve 1'autonomie de sa d é m a r c h e , parmi d'autres l'analyse de ces variables que sont les signes. Les signes, en effet, sont
approches autrement legitimes : 1'histoire, la sociologie, le marke- de dimensions et de m a t i è r e s três diverses; ils sont de plus relative-
ting... Le premier chapitre de cet ouvrage raconte justement com- ment interchangeables du simple fait — q u ' i l ne faut jamais perdre de
ment, pour comprendre les diverses interactions entre agents R A T P vue — qu'ils ne prennent leur valeur que dans et par leurs contextes . 2
et voyageurs, ainsi que la façon dont elles sont a p p r é c i é e s par ces der- Les signes ne constituent donc pas l'objet m ê m e de la s é m i o t i q u e : ce
niers, une equipe de sémioticiens a d'abord travaillé sur les parcours sont des u n i t é s de surface à partir desquelles i l s'agit de d é c o u v r i r
m é t r o / R E R dans lesquels s'inscrivent ces interactions, et comment on le j e u des significations sous-jacentes, «1'invariance dans la v a r i a t i o n »
a pu definir ces parcours comme la manifestation de quelques grandes pour reprendre la formule de R. Jakobson . Comme on appelle forme
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stratégies signifiantes. La sémiotique a donc une position claire, en le niveau o ú se situent ces invariants, la s é m i o t i q u e peut ê t r e considé-
d é l i m i t a n t d ' e m b l é e son champ d'investigation : elle ne nie pas 1'exis- r é e — en ce sens — comme « u n e discipline de la f o r m e » . Le p r í n c i p e4
tence d'un contexte — qui le pourrait? — mais elle dit ne devoir ni ne que nous venons d'exposer — a p p e l é príncipe d'immanence — n'est pas
pouvoir intervenir que s'il est aborde comme « t e x t e » : si le contexte le fait d'une illumination soudaine ou d'un a priori. I I a une histoire,
est un bric à brac de d o n n é e s et de notations diverses, provenant dont l'âge moderne dans les disciplines du sens et des langages peut
d'approches ou de disciplines plus ou moins croisées, i l n'est pas 1'objet
de la s é m i o t i q u e . Et ceei n'est q u ' u n apparent paradoxe : la position
Sur ce poínt essentiel, on peut citer par exemple le linguiste danois L . Hjelmslev dont
de la s é m i o t i q u e est celle qui permet une interdisciplinarité réelle et 2
ê t r e situe au moment de la publication du Mémoire de F. de Saussure des formes signifíantes, n'est donc pas issue d'une réflexion t h é o r i q u e ,
en 1878 . Sous des noms divers du fait notamment des disciplines
6
de nature philosophique ou logique, sur la p e n s é e ou les signes en
d'origine de ceux qui ont fait cette histoire — R. Jakobson, L . Hjelms- general; elle est n é e du besoin qu'ont eu les « p r a t i c i e n s » des réalités
lev, E. Benveniste, A . J. Greimas mais aussi G. Dumezil et Cl. Lévi- signifíantes d'expliciter leurs p r o c é d u r e s d'analyse et d ' i n t e r d é f í n i r
Strauss — cette discipline de la forme signifiante se r e c o n n a í t toujours leurs concepts. Elle est issue d'une « t r a d i t i o n de r i g u e u r » , à laquelle 7
à son objectif premier : rechercher le système de relations qui fait que se rattachent nombre de ceux qui veulent é c h a p p e r à 1'essayisme et
les signes peuvent signifier. rejoindre la pratique scientifíque, pour ses exigences de c o h é r e n c e ,
Dans le milieu du marketing et de la communication, i l est d'usage de transmissibilité et de mise à 1'épreuve des résultats.
de p r é s e n t e r une é t u d e en rappelant objectif et m é t h o d o l o g i e ; rappe- Cela dit, appeler sémiotique une telle discipline ou une telle
lons donc la « m é t h o d o l o g i e » de la discipline en question : travailler approche pose quelques p r o b l è m e s . Q u i n'a pas entendu parler de
à partir des textes, là o ú les signes signifíent... « H o r s du texte, point sémiologie ? Y a-t-il une différence entre sémiologie et sémiotique? Ne
de salut!» Tous ceux qui ont fait 1'histoire de la discipline ont eu le dit-on pas que les deux termes sont substituables puisqu'il s'agit tou-
souci du texte ou des objets de sens sur lesquels ils ont travaillé et sont jours de designer « l a science g é n é r a l e des signes» et que les langages
constamment revenus. Leurs formations? La philologie, la lexicolo- sont, par elles, conçus comme des systèmes de signes? N ' y a-t-il pas
gie, 1'ethnologie... « L ' é t u d e empirique conditionne 1'accès à la struc- d'autres sémiotiques, relevant d'autres histoires ou — pis — issues
t u r e » , rappelle C l . Lévi-Strauss . La s é m i o t i q u e , en tant qu'approche
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d'autres « c h a p e l l e s » ? I c i , soyons clair, et concis. Nous appelons cette
approche des formes signifíantes sémiotique tout simplement parce que
— sous 1'impulsion de R. Jakobson — Cl. Lévi-Strauss, E. Benveniste,
5 Le titre exact est Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-euro- R. Barthes et A . J. Greimas ont f o n d é le Cercle parisien de s é m i o t i q u e
péennes.
en 1967 et que, et sans discontinuité depuis, u n grand nombre de tra-
" C l . Lévi-Strauss, Le regard éloigne', Paris, Plon, 1983, p. 145. V o i c i les réflexions q u i
p r é c è d e n t ce rappel : vaux, d'ouvrages, de centres en France et dans le monde utilisent le
« Mes c o l l è g u e s anglo-saxons taxent souvent " d ' i d é a l i s m e " o u de "mentalisme" la per- terme de s é m i o t i q u e pour designer de telles recherches sur les formes
spective structurale sous laquelle, depuis u n quart de siècle, j ' a b o r d e 1'étude des faits
sociaux. O n m'a m ê m e qualifié de h é g é l i e n . Certains critiques m'accusent de faire des signifíantes que sont, pour eux, les langages et les pratiques sociales.
structures de 1'esprit la cause de la culture, parfois m ê m e de les c o n f o n d r e ; o u bien ils Mais i l ne faut pas ignorer d'une part que le terme, saussurien, de
croient que j e p r é t e n d s m'attaquer directement aux structures de l'esprit afin d'y
« s é m i o l o g i e » est encore utilisé, notamment par des gens qui privile-
d é c o u v r i r ce qu'ils appellent par ironie des "universaux lévi-straussiens". Si tel é t a i t le
cas, l ' é t u d e des contextes culturels au sein desquels l'esprit opere et à travers lesquels giem la p r o b l é m a t i q u e du signe, attachant ainsi davantage d'impor-
il se manifeste offrirait en effet peu d ' i n t é r ê t . Mais alors, p o u r q u o i aurais-je choisi tance au discours didactique de F. de Saussure — à son Cours — 8
q u ' à 1'apport m é t h o d o l o g i q u e et t h é o r i q u e majeur qu'a represente son qui le rendent intelligible à celles infiniment plus complexes qui le
Mémoire. Et i l ne faut pas ignorer d'autre part que le terme de sémio- rendent lisible, visible ou audible. La distinction et la h i é r a r c h i s a t i o n
tique designe aussi une science g é n é r a l e des signes et une recherche des niveaux dont nous parlons n'est donc pas statique; elle est fonda-
sur leur possible typologie f o n d é e par le philosophe et logicien a m é r i - mentalement dynamique . 9
cain Charles S. Peirce, contemporain de F. de Saussure : une «sémio- De m ê m e q u ' i l est d'usage de p r é s e n t e r une é t u d e en c o m m e n ç a n t
t i q u e » — c'est bien le mot choisi par Charles S. Peirce — o ú le par le rappel de 1'objectif et de la m é t h o d o l o g i e , de m ê m e i l convient
privilège est donc encore d o n n é au signe. R. Jakobson mais surtout — tout à fait à raison — d'indiquer dans un projet les « r é s u l t a t s
Cl. Lévi-Strauss, E. Benveniste, R. Barthes et A . J . Greimas ont-ils a t t e n d u s » , de penser donc à ces « A quoi cela va-t-il s e r v i r ? » , « Q u ' e s t -
fait le bon choix en adoptant le mot de s é m i o t i q u e à leurs yeux plus ce que cela va m ' a p p o r t e r ? » ou — plus brutal et plus « p r o » — à ce
international et donc a priori plus favorable à la p r o m o t i o n de 1'héri- « S o w h a t » qui, s'ils venaient à ê t r e poses, signifieraient assez votre
tage saussurien? Rien n'est moins súr. P e u t - ê t r e leur eút-il faliu alors contre-performance persuasive. En d'autres termes, ces grands p r í n -
quelque solide é t u d e de marketing ou quelque p r é c i e u x conseil en cipes que nous venons d'exposer, s'ils garantissem à la s é m i o t i q u e
packaging! T a n t pis : 1'essentiel est ici que le lecteur sache à quoi s'en son identité, garantissent-ils aussi quelque valeur ajoutée à celui qui
tenir et que 1'opérationnalité de 1'approche choisie puisse ê t r e correc- s'en sert dans sa propre pratique, pour parvenir à ses propres fins? A
tement et clairement illustrée. 1'homme de marketing ou de communication en 1'occurrence — mais
Enfin, troisième p r í n c i p e de la sémiotique, structurale donc : dis- ce pourrait ê t r e aux m é d e c i n s , aux juristes, ou aux historiens de l'art
tinguer et h i é r a r c h i s e r les différents niveaux o ú peuvent se situer les par exemple : à tous ceux qui ont t ô t ou tard à se colleter avec le sens.
invariants d'une communication ou d'une pratique sociale. Selon quels A partir de notre e x p é r i e n c e personnelle dans ces domaines du mar-
critères ces niveaux seront-ils hiérarchisés ? Selon qu'ils r e p r é s e n t e n t keting et de la communication, nous pensons que la s é m i o t i q u e peut
une é t a p e plus ou moins en amont ou plus ou moins en aval dans le r e p r é s e n t e r une réelle valeur ajoutée dans trois grands types de pro-
parcours que suit le sens depuis le « m o m e n t » o ú i l est articulable et duction ou de transformation : lorsqu'il faut obtenir plus d'intelligibi-
donc descriptible (le sens devient alors signification) jusqu'au moment lité, plus de pertinence, plus de différenciation. Nous n'avons pas dit
o ú i l est manifeste... par des signes, c'est-à-dire j u s q u ' à ce q u ' i l plus d'intelligence, plus d'expertise, plus de culture... De fait, bien
devienne ce texte que l ' o n analyse ou que l'on aide à concevoir. Voilà des exploitations fructueuses d ' é t u d e s sémiotiques ont pour origine le
pourquoi on parle de l'approche g é n é r a t i v e de la s é m i o t i q u e et d'un croisement des résultats de celles-ci et de la connaissance qu'un expert
parcours génératif de la signification. Voilà aussi pourquoi le titre de cet peut apporter sur le sujet du fait de sa familiarité avec 1'univers ana-
ouvrage, Sous les signes, les stratégies peut se lire comme 1'affirmation lyse — la s é m i o t i q u e fournissant alors une certaine puissance de struc-
des príncipes de base qui c a r a c t é r i s e n t la s é m i o t i q u e dont nous vou- turation, d'organisation et d'explicitation des enjeux concevables dès
lons illustrer l ' o p é r a t i o n n a l i t é . « S o u s les signes», pour poser le prín- lors que le p r o d u i t , le service ou le comportement est aborde comme
cipe d'immanence qui veut que les signes ne sont jamais que le point de signifiant. Quant à la culture, si tant est qu'on puisse à ce sujet en
d é p a r t de la recherche de formes signifiantes sous-jacentes. « Les stra- d é t e r m i n e r la valeur, elle ne saurait tenir lieu de m é t h o d o l o g i e .
tégies», pour s u g g é r e r déjà que ces formes r e p r é s e n t e n t des exploita-
tions particulières de tel ou tel système existant, et qu'elles doivent
se comprendre dans une relation plus ou moins contractuelle entre
ceux qu'il est convenu d'appeler les é m e t t e u r s et les r é c e p t e u r s . Nous
reviendrons sur ce concept central de « parcours g é n é r a t i f » (cf. p. 123);
disons simplement d è s maintenant q u ' i l se comprend comme la r e p r é - 9 Cette conception dynamique de la production de la signification conçue comme un
sentation de 1'enrichissement du sens, des relations les plus simples enrichissement progressif est l'un des apports majeurs des travaux d'A. J. Greimas au
projet d'une sémiotique générale.
10 Sous les signes, les stratégies «Hors du texte, point de salut» 11
L'approche s é m i o t i q u e peut permettre d'y voir plus clair dans la réflexe — de la s é m i o t i q u e : faire en sorte que le sens devienne signi-
« n é b u l e u s e du sens» — pour reprendre la formule saussurienne fication. I I nous est ainsi a r r i v é de travailler sur la saveur tenace des
— que sont ou que finissent par devenir les concepts publicitaires : apéritifs à la gentiane, sur le d é p l o i e m e n t baroque d'une fragrance
la convivialité, le b i e n - ê t r e , le bon sens, la t o n i c i t é . . . C o n c r è t e m e n t ,
10
ou sur le mythe de la crise de foie.
c'est-à-dire tels qu'ils sont utilisés, trouvés, choisis ou transmis lors de La crise de foie, voilà un exemple de rationalité d'un autre type,
« b r i e f i n g s » , ces concepts sont le plus souvent des mots. Ce sont des plus mythologique que logique! Chacun sait que «les crises de foie, ça
e n t r é e s de dictionnaire, des « l e x è m e s » comme diraient les linguistes. n'existe p a s » . Le savent du moins les m é d e c i n s mais aussi les Anglais
O r qui a jamais ouvert u n dictionnaire sait d'une part qu'un mot est ou les Allemands qui se demandent bien ce que cela veut dire pour les
un é n o n c é condense — sa définition est 1'énoncé en expansion d o n n é Français. Une analyse des récits de crise de foie peut montrer com-
pour équivalent — et, d'autre part, q u ' i l possède le plus souvent deux ment cet organe, c o n ç u comme un filtre fragile, est dote d'une nature
ou trois acceptions du fait de 1'Histoire, du fait des divers usages ambivalente et j o u e le role d'un véritable m é d i a t e u r mythique : en
contextueis qui en ont é t é faits. La s é m i o t i q u e travaillera à partir tant que filtre, i l assurera le passage d'un état d'excès lié aux pratiques
de cette double leçon d o n n é e par le dictionnaire. Comme le mot, le alimentaires, culturelles, à un état d ' é q u i l i b r e d o n n é pour caractéris-
concept publicitaire constitue la petite partie é m e r g é e d'un iceberg de tique du n a t u r e l ; mais, de par sa fragilité, i l est aussi le responsable
sens : c'est une intrigue, des roles et des situations, un d é c o r et une de la transformation inverse. Bien plus, le consistant, le m é l a n g é , le
mise en s c è n e . Et, comme le mot, le concept publicitaire voit son
11
compact, le dilué et le gazeux s'organisent d è s lors selon une certaine
contenu sensiblement modifíé à chacune de ses exploitations : dans la logique, c o r r é l a n t les quatre é l é m e n t s naturels — l'eau, l'air, la terre
déclinaison d'une campagne ou avec 1'évolution de la communica- et le feu — aux quatre positions identifiables à partir de 1'opposition
tion. L'intelligibilité a p p o r t é e par la s é m i o t i q u e , lors du choix d'un n a t u r e - é q u i l i b r e vs culture-excès. La reconnaissance d'un tel système
concept, de sa reprise ou de sa confrontation avec ceux de la concur- sous-jacent aux récits des « v i c t i m e s » de la crise de foie fera com-
rence, consistera donc dans le d é p l o i e m e n t m é t h o d i q u e des virtualités prendre nombre de conduites t h é r a p e u t i q u e s plus q u ' é t o n n a n t e s :
offertes par ce concept d'une part et, d'autre part, dans la distinction se mettre le ventre contre un radiateur, é c o u t e r du Schubert p l u t ô t
et la h i é r a r c h i s a t i o n des variables et des invariants de son contenu. que du Mozart, du Beethoven p l u t ô t que du Berlioz...! Elie donnera
A p p o r t e r plus d'intelligibilité, ce peut ê t r e aussi inscrire — ou réin- d'autre part de précieuses indications sur les formes galéniques les
scrire — telle pratique, tel comportement, telle attitude dans 1'univers plus acceptables : les granules et les comprimes seront refusés selon la
des formes signifiantes : ce peut ê t r e de d é c o u v r i r — ou de r e d é c o u - m ê m e logique qui fera accepter les ampoules ou les sachets de
v r i r — d'autres types de rationalité. L'intelligibilité g a g n é e ne l'est pas poudre soluble.
10 Le terme même de concept, dans son usage publicitaire, constitue déjà une «nébu-
leuse du sens». Une étude historique et critique de celui-ci serait certainement três
riche d'enseignements sur les différentes approches réflexives que les publicitaires ont
de leurs créations et de leur pratique. Mais ceei est le sujet d'un des chapitres de cet
ouvrage (cf. «Tués dans l'ceuf»).
11 On trouvera dans Du sens II d'A. J. Greimas (Paris, Seuil, 1983) deux études sémio- 12 Ces logiques du concret ont déjà été abordées par le philosophe G. Bachelard, d'un
tiques de mots conçus comme des entrées de dictionnaire (étude de «sémantique lexi- point de vue épistémologique et poétique. Elles ont été étudiées selon une approche
cale» donc) : «Le défi» et «La colère». structurale, mythologique, par Cl. Lévi-Strauss et, sémiotique, par F. Bastide.
12 Sous les signes, les stratégies «Hors du texte, point de salut» 13
discours pluriels ou de dire ce q u ' i l faut faire ou ce q u ' i l aurait faliu veut pas dire pour autant qu'on ne soit pas raisonnablement persuade
faire . I I faut enfin noter que cet objectif de différenciation peut
19
des apports de la s é m i o t i q u e lors de ces interventions! I I ne s'agit donc
concerner 1'autre instance de l'énonciation, celle de la saisie : 1'énon- pas ici de s é m i o t i q u e a p p l i q u é e pour la bonne et simple raison que la
ciataire. La m ê m e structure textuelle ou narrative invariante, et préci- sémiotique n'est pas encore faite. A u lieu de sémiotique a p p l i q u é e , i l
s é m e n t parce qu'elle est analysée comme telle par la s é m i o t i q u e , per- conyiendrait de parler de sémiotique à 1'épreuve.
mettra de reconnaitre une pluralité de « l e c t u r e s » , et donc d ' é n o n c i a - Cest ainsi d'ailleurs que la pratique sémiotique en publicite et en
taires... encore une fois i n d é p e n d a m m e n t du fait qu'on identifíe plus marketing pourra faire avancer le projet d'ensemble de cette disci-
tard les personnes qui incarnent ces différents é n o n c i a t a i r e s à par- pline en travaillant sur deux types d'objets de sens renvoyant à deux
tir de d o n n é e s historiques, s o c i o - d é m o g r a p h i q u e s , psychologiques ou grandes p r o b l é m a t i q u e s . Nous pensons d'abord aux Communications
autres. D'une certaine façon, la typologie des voyageurs d u metro de marque, qui visent à c r é e r ou à conserver une relation originale
et du RER dont nous allons b i e n t ô t parler ou celle des consomma- et spécifique entre le sens d'une part et les sens d'autre part, c'est-à-
teurs f r é q u e n t a n t les h y p e r m a r c h é s , que nous é v o q u e r o n s au chapitre dire à identifier la marque à une « s y n e s t h é s i e » , à une correspondance
« J ' a i m e , j ' a i m e , j'aime... » (p. 149), illustrent cette possible valeur ajou- particulière des sons, des couleurs et des parfums. Peuvent évidem-
t é e de la pratique s é m i o t i q u e . ment venir à 1'esprit les grandes marques du luxe et de la b e a u t é
Maintenant, un dernier mot : i l ne faudrait pas que le lecteur mais, d ' e x p é r i e n c e , nous savons que ces p r o b l è m e s d ' e s t h é t i q u e g é n é -
aborde les six chapitres qui suivent avec 1'idée qu'il va s'agir d'une rale se posent aussi aux grandes marques du secteur agro-alimentaire,
defense et illustration de la sémiotique appliquée à la publicite et au par exemple. Nous pensons ensuite à ces objets de sens que sont les
marketing. Cela supposerait que les six p r o b l è m e s concrets de publi- (omportements, les conduites et les é t i q u e t t e s . L'analyse de ces pra-
cite ou de marketing exposés ci-après aient pu ê t r e passes à la mouli- tiques signifiantes, qui i n t é r e s s e n t notamment le marketing des Ser-
nette de la s é m i o t i q u e , pour la plus grande gloire de celle-ci et le vices, d é b o u c h e rapidement sur la p r o b l é m a t i q u e des axiologies,
plus grand bénéfíce des masses laborieuses de ces c o n t r é e s . En sémio- des micro-systèmes de valeurs qui peuvent ê t r e aussi bien morales
tique, on appellerait une telle situation une épreuve glorifiante : la per- (|u'esthétiques. Ces deux axes de travail sont bien des axes de
formance du h é r o s se serait effectuée sur le mode du secret — dans recherche; i l n'y a pas grand chose à appliquer en 1'occurence. Cest
quelque obscur centre de recherches ou s é m i n a i r e universitaire — et, seulement en analysant de nombreuses e s t h é t i q u e s de marque ou de
g r â c e à cette sextuple é p r e u v e , le h é r o s pourrait j o u i r de la reconnais- nombreuses conduites sociales qu'on arrivera à é l a b o r e r et à roder les
sance de tous, et d'une juste r é t r i b u t i o n . N o n , ici, c'est tout le (oncepts et les p r o c é d u r e s nécessaires à leur description, et à augmen-
contraire qui est r a c o n t é : i l convient de lire ces six chapitres comme ter ainsi le savoir-faire et le pouvoir-faire de la s é m i o t i q u e : « hors du
épreuve qualifiante : selon les príncipes et suivant le projet qui sont texte, point de salut!».
les siens, la s é m i o t i q u e cherche, en intervenant dans la publicite et
le marketing, à se doter de plus de c o m p é t e n c e afin de mieux com-
prendre les conditions g é n é r a l e s de production et de saisie du sens,
et rendre compte davantage des diverses formes signifiantes. Cela ne
plisse : information, vente, interventions de toutes sortes... O ú et à evite ainsi d'aborder directement, personnellement, la réalité du texte
quel moment peut-on ou doit-on intervenir vis-à-vis de tel ou tel type en se sécurisant g r â c e à tout un apparat critique, on s'engage avec ou
de voyageur? Cest la typologie comportementale des voyageurs du sans n a í v e t é dans une impasse : i l n'y a aucune raison de ne pas se
metro et du R E R é l a b o r é e pour mener à bien cette é t u d e que l'on va demander alors « c e que 1'auteur a voulu d i r e » quand i l a dit ce qu'il
p r é s e n t e r ici, avant d'indiquer comment elle a pu servir u l t é r i e u r e - a voulu dire... Si l'on ne se pose pas la question, c'est simplement
ment pour d'autres réflexions ou d'autres chantiers. qu'on considere ou qu'on veut fait croire qu'une ceuvre est noble et
Le premier travail a consiste en 1'observation détaillée et la notation par nature complexe, q u ' i l y a lieu alors de se poser la question, mais
rigoureuse des différentes phases du parcours d'un voyageur, depuis qu'un entretien avec 1'auteur, qu'une correspondance, qu'une note
son e n t r é e dans le metro j u s q u ' à sa sortie. I I ne s'agissait donc pas de de j o u r n a l intime sont simples, faciles, directs, qu'ils ne posent pas ou
recueillir le discours des voyageurs sur leurs trajets mais bien d'enre- moins le p r o b l è m e . Ce que l'on vient de dire du rapport entre le texte
gistrer leurs «faits et gestes» au cours de leurs d é p l a c e m e n t s , ce n'est et le discours sur le texte, on peut le dire aussi du rapport entre une
que bien plus tard q u ' o n chercha à interroger les voyageurs . A u t r e - 1
affiche, une annonce-presse, un film d'une part et leur copy-stratégie
ment dit, on a tenu à disposer d'abord, et de façon tout à fait indé- d'autre part. Mais revenons au trajet du voyageur comme texte à
pendante, du discours du trajet — du discours qu'est le trajet — avant constituer et à analyser.
de recueillir le discours sur le trajet. Les deux discours sont autant à
distinguer que le sont 1'oeuvre et 1'interprétation qu'en donne 1'écri-
vain ou 1'artiste. De m ê m e qu'on a pu dire que 1'auteur n'est jamais
que le premier lecteur de son texte, de m ê m e on peut penser que le Le trajet comme texte
voyageur ne donne à 1'enquêteur qu'une version, qu'une r é é c r i t u r e de
son trajet. Cette distinction n'est pas « n a t u r e l l e » — au sens o ú 1'habi- Pourquoi le trajet peut-il ê t r e aborde comme un texte, et relever ainsi
tude est une seconde nature. Q u i n'a pas entendu mille fois au cours d'une analyse s é m i o t i q u e ? T o u t d'abord parce que le trajet, comme
de sa scolarité le professeur de lettres aborder la signification d'un n'importe quel texte, possède une c l ô t u r e qui 1'individualise comme
texte en demandant à ses élèves : «qu'est-ce que l'auteur a voulu une totalité relativement autonome et rend possible son organisation
d i r e ? » , distillant ainsi la confusion entre la signifícation et le sens structurelle. T o u t trajet réalisé par un voyageur possède une clô-
intentionnellement c o m m u n i q u é . I n d é p e n d a m m e n t du fait que l ' o n ture : une sortie, impliquant s y m é t r i q u e m e n t une e n t r é e . A u t r e rai-
son : comme un texte, le trajet peut ê t r e 1'objet d'une segmentation,
c'est-à-dire d'un d é c o u p a g e en un nombre limite d ' u n i t é s , d ' é t a p e s
ou de « m o m e n t s » qui se relient entre eux selon certaines régies.
1 Rétrospectivement, à la lecture de 1'essai de M. Auge, Un ethnologue dans le metro, qui
parut quelques mois après cette e n q u ê t e , cette approche m é t h o d o l o g i q u e releve assez Ces unités ne coincidem pas f o r c é m e n t avec des espaces r e p é r é s et
de 1'ethnologie : « l e s couloirs du metro devraient fournir un bon "terrain" à 1'apprenti d é n o m m é s comme tels (couloirs, salles, quais, rames . . . ) . Reconnais-
ethnologue pour peu que, r e n o n ç a n t à interroger ceux qui les frequentem (mais à
bavarder avec eux si 1'occasion se presente), et encore plus (horresco referens!) à les sables dans la notation du suivi — on va le voir — par telle s é q u e n c e
sonder, il se contente de les observer et de les écouter, voire de les suivre. Sans doute ou m a c r o - s é q u e n c e gestuelle (mobile/immobile, debout/assis, accélé-
courra-t-il le risque d'accumuler les clichés (je Pentends au sens strictement photogra- r é / r a l e n t i ...) ou p r o x é m i q u e (ouverture aux autres/repli sur soi, dis-
phique) et de se perdre à vouloir ordonner les images à première vue arbitraires,
décousues et d é r o u t a n t e s de son kaléidoscope. Encore pourra-t-il essayer de les classer t a n c e / p r o x i m i t é , rencontre frontale ou tangente), ces u n i t é s , ces
par genres; peut-être alors son bilan prendra-t-il un début de forme, et de forme pro- syntagmes, peuvent r e d é c o u p e r les lieux usuels ou, au contraire, les
metteuse. S'il fait preuve d'optimisme et d'imagination : mille faits divers recensés, cent
p o è m e s possibles, dix romans à venir, ce qui correspond au moins à trois vocations. Mais regrouper en un seul espace. T r o i s i è m e raison : comme un texte, le
e n t ê t é et résolu à exercer son métier d'ethnologue, il pourra alors tenter d'autres clas- trajet a une o r i e n t a ç i o n ; c'est en cela q u ' i l peut ê t r e considere comme
sements, d'autres recoupements et commencer par le c o m m e n c e m e n t » (Un ethnologue une suite fínalisée. L'observation des d é p l a c e m e n t s dans le metro et
dans le metro, Paris, Hachette, 1986, p. 101-102).
22 Sous les signes, les stratégies Étes-vous arpenteur ou somnambule ? 23
les couloirs
réalisation u n e fois achevée, t o u t t r a j e t p e u t être décomposé e n u n
c e r t a i n n o m b r e d e séquences se présupposant à r e b o u r s les unes les M O N T E R D A N S L A RAMF, le quai
a u t r e s . C e s t d ' a i l l e u r s la n a t u r e orientée d u t r a j e t q u i crée s o n la rame
r y t h m e . E n f i n et s u r t o u t , a b o r d e r le t r a j e t c o m m e u n t e x t e , c'est pos- I N DESCENDRE le quai
t u l e r q u ' i l est s i g n i f i a n t . U n t r a j e t n'est pas u n e suite g r a t u i t e de m o u - SORTIR les couloirs
vements et de stationnements, u n e p u r e gesticulation. Choisir d'analy-
la sortie.
ser sémiotiquement les t r a j e t s des v o y a g e u r s , c'est p o s t u l e r q u ' i l s o n t
d u sens, m ê m e si l ' o n n e sait pas e n c o r e c o m m e n t a r t i c u l e r c e l u i - c i ,
c o m m e n t e n c o n s t r u i r e la s i g n i f i c a t i o n . C r i te s r g m e n t a t i o n d u t e x t e , spatiale e t t e m p o r e l l e , était d o u -
L a n o t a t i o n des t r a j e t s suivis s'est f a i t e c r a y o n e n m a i n . A p r è s le W< < ( T I I I I C s r g m e n t a t i o n « a c t o r i e l l e » , c'est-à-dire p r e n a n t e n c o m p t e
r ô d a g e d ' u n e p r e m i è r e g r i l l e d e n o t a t i o n des t r a j e t s , les « s u i v e u r s » I nppiíi i i i o n ei la d i s p a r i t i o n des a u t r e s a c t e u r s e n j e u .
o n t disposé d ' u n e fiche p e r m e t t a n t à c h a c u n d e n o t e r de la m ê m e « »n a u r a i l p u c h o i s i r u n e a u t r e t e c h n i q u e d e r e c u e i l : 1'enregistre-
façon, aussi b r i è v e m e n t et précisément q u e possible, les modalités d u "" 111 vidéo p a r e x e m p l e . O n ne le fit pas p o u r des raisons a u t a n t
déplacement ( 1 ' i n s c r i p t i o n c o r p o r e l l e d u v o y a g e u r dans 1'espace) les i n . l h o d o l o g i q u e s q u e p r a t i q u e s . Les s u i v e u r s a u r a i e n t été v i t e repérés
modalités d u r e p é r a g e (le d e g r é de maítrise d e la t o p o g r a p h i e ) , la r e l a - ' i ' l i s l o r s ils a u r a i e n t c e r t a i n e m e n t modifié le c o m p o r t e m e n t d u
t i o n à F e n v i r o n n e m e n t (la sensibilité a u x espaces p a r c o u r u s , le r a p p o r t v<>\.i);< I H . S u r t o u t , e n r e g i s t r e r laisse e n t i e r le p r o b l è m e d e 1'inévi-
a u x a u t r e s ) , e n f i n la p e r c e p t i o n o u n o n d e la présence d u p e r s o n n e l i i U < < i nécessaire réduction q u ' e s t t o u t e n o t a t i o n . U n e n o t a t i o n est
de la R A T P . D e v a i e n t être notes évidemment tous les i n c i d e n t s o u évé- .1' l . n i u n e c o n s t r u c t i o n , le c h o i x f a i t d ' u n n i v e a u d e p e r t i n e n c e et
n e m e n t s q u i i m p l i q u a i e n t aussi b i e n le p e r s o n n e l q u e les v o y a g e u r s , o u ' l " i i « cTanalyse. Q u i p e u t n i e r d ' a i l l e u r s q u e la p r i s e de v u e , n e serait-
t o u t e autre personne presente lors d u trajet. • ' q u e p a r le c a d r a g e et la p r o f o n d e u r d e c h a m p , pose d e t o u t e s
U n e e q u i p e d e p s y c h o s o c i o l o g u e s f o r m e s à 1'analyse sémiotique s u i - I . i i " i i s l e problème. A m o i n s de f a i r e a c e r o i r e q u ' o n a a i n s i enregistré
v i t les v o y a g e u r s s u r des trajets d e t r o i s types : des t r a j e t s m e t r o o u li i r a l i t é » . La t r a n s c r i p t i o n des t r a j e t s s'est d o n c f a i t e p a r o b j e c t i v a -
R E R d i r e c t s , des t r a j e t s nécessitant u n c h a n g e m e n t d e l i g n e (selon l e • MU < essives p o u r a b o u t i r à la réduction des phénomènes observes
m ê m e m o d e d e t r a n s p o r t ) et des t r a j e t s nécessitant u n c h a n g e m e n t n i v s n i l r s séquences gestuelles ( m o u v e m e n t s et p o s i t i o n s globales)
de m o d e ( d u R E R a u m e t r o , o u d u m e t r o a u R E R ) . Les trajets a v a i e n t q u i > M c o n s t i t u e n t la m a n i f e s t a t i o n , et q u i f u r e n t notées s u r la fiche
été a u préalable systématiquement repérés, décomposés e n u n c e r t a i n i m r a u t a n t de micro-récits :
n o m b r e d'espaces disposés linéairement sur u n schéma et corrélés à . i l i s o i Ix- dans sa l e c t u r e , assis, tête baissée;
des p r o g r a m m e s d ' a c t i o n , c e u x p a r e x e m p l e q u i c o n s t i t u e n t le p a r - va <li><<tcment à u n e n d r o i t précis d u q u a i (départ f u t u r e c o r r e s -
c o u r s n a r r a t i f m i n i m a l d u voyageur//
2
11. i l i d a m e ) ;
s ' . n i r i r à 1'animation ( g u i t a r i s t e ) ;
•.< laisse p o r t e r p a r le f l u x , a d a p t a n t son r y t h m e à c e u x q u i pré-
. .-ilcni ;
2 Le parcours n a r r a t i f est u n enchainement logique de programmes oú chacun d'eux n e K . I t e s s e sur s o n siège p o u r v o i r le paysage (sortie a é r i e n n e ) ;
est présupposé par un autre p r o g r a m m e , «présupposant». <. M i n . - ( l a m u s i q u e de) s o n w a l k m a n , r e g a r d n o n fixe;
24 Sous les signes, les stratégies Étes-vous arpenteur ou somnambule ? 25
s ' o p p o s e r a u r e g a r d sur u n paysage aérien, à l'écoute d ' u n e c o n v e r s a - • I ' I ' n i v o y a g e , m ê m e si l ' o n s'est attaché dês le début de 1'analyse à
t i o n , a u passage e n r e v u e des p e t i t s c o m m e r c e s , figures d e 1 ' a t t e n t i o n . i | ' ' i < i <-c | u i était c o m p a r a b l e
( : des t r a j e t s faits a u x mêmes h e u r e s
O n reconnaít v i t e d ' a u t r e p a r t la s y n o n y m i e de « s e f a u f i l e r » , « s l a l o - I l i i m l c s •, <>u « c r e u s e s » o u — c o m m e le d i s e n t j o l i m e n t les gens de la
I A T I » — a des heures « b l ê m e s » . I I s'agissait, à c e t t e étape de 1'étude, 5
3 « L'invariance dans la variation : c'est là le thème d o m i n a m , mais aussi 1'outil métho- II i i p m u l r e c o m m e n t les gens v o y a g e a i e n t , et n o n dans q u e l b u t .
dologique sous-jacent, de mes travaux certes divers mais homogènes.» Cette réflexion '.< i i l < m u ( c l l e m é t h o d e p e r m e t t a i t e n s u i t e de l e u r d e m a n d e r o u d e
de R. Jakobson (Une vie dans le langage, Paris, Ed. de M i n u i t , 1984) illustre assez bien
cette « i d é e » , q u i peut ainsi devenir u n véritable projet de vie p o u r u n chercheur. U n e
• i l - m . i i i . l c t p o u r q u o i ils v o y a g e n t a i n s i . C e s t u n p e u c o m m e si l ' o n
idée au sens p r o p r e fondamentale dans ces disciplines — et dans ces études — dites
«structurales» : toute manifestation verbale ou non-verbale présuppose logiquement
quelque chose de manifeste : une structure invariante, une « f o r m e » . Peut-on d i r e ' n l i H l r a i liou
' " ' est purement méthodologique; elle permet de s'en tenir à u n
cela plus simplement et plus concrètement? O u i , si l ' o n est Cl. Lévi-Strauss : «Si l ' o n I< ilrs< r i p i i o n homogène et suffisamment simple. Elle permet de plus d'éviter
invoque u n seul príncipe, 1'échange des femmes entre les sous-groupes de la société, 1 »H I " » P subjective. I I n'est pas question ici de nier que ces situations
> ; t r
pour rendre compte de toutes les régies de mariage, i l faut bien que ces régies, diffé- I" "" " " I ' l ' riches ou que les voyageurs sont aussi ou d'abord des individus, des
l l l s
rentes selon les temps et les lieux, se ramènent à des états d'une même transformation. l '" • Ainsi il faut prendre, selon nous, le papier que Claude Sarraute écrivit sur
De même, quand le linguiste dresse le répertoire des phonèmes que 1'appareil vocal est '<•«' In i'i'<' <i'un article de L a u r e n t Rigoulet dans Liberation : « M e t r o , c'est
s
susceptible d'articuler, et dégage les contraintes auxquelles chaque langue doit se plier mu " I uviil 1 9 8 7 ) pour ce q u ' i l est : un billet d ' h u m e u r , u n genre journalistique q u i
p o u r prélever dans ce fonds c o m m u n les éléments de son système phonologique p a r t i - 1 •' •»«•"«• vigueur de t o n : « I l s sont marrants à la R A T P ! V O U S savez à quoi
1
culier. La n o t i o n même de phonème implique que les propriétés divergentes des sons, il» |M M I > M I b u i temps et notre argent? A nous étudier in vivo, nous les rats d u m e t r o .
telles que la phonétique les enregistre, soient des transformations optionnelles o u " , ''-i •<' façon de vivre u n trajet (sic), d e n f i l e r les couloirs au petit t r o t ,
l w
contextuelles d'une réalité invariante à un niveau plus profond » (c'est nous qui soulignons •J '" " M T un escalator et u n escalier, de freiner en passant sous u n vidéo-clip et
pour proposer une autre f o r m u l a t i o n de 1'immanence) Cl. Lévi-Strauss et D. E r i b o n , De Hl li ' iliins les virages. Ils ont même envoyé des enquêteurs à notre poursuite (re-sic).
1
prés et de loin, Paris, Ed. Odile Jacob, 1988). s royez pas? Vous avez t o r t . J ' a i vu ça dans Libe'. J ' a i vérifíé, c'est exact. Ils
Cette réalité est-elle dans la «réalité» des choses ou dans 1'esprit humain? La question liW-qués, éli(iuetés et classes en quatre types d'usagers, qui vont faire l'objet
n'est pas d u ressort de la sémiotique. Pour paraphraser de célebres propôs, l'ontologie um- rapport ...» (Le monde, avril 1987).
est une chose t r o p sérieuse p o u r être laissée aux mains des sémioticiens. I • In M U s blêmes» commencent après 21 h.
26 Sous les signes, les stratégies Étes-vous arpenteur ou somnambule ? 27
q u ' a u c u n e de celles-ci n e représentera la p u r e réalisation d ' u n des PM u l l l c i|<- s a i r e t e r s u r elle, d e réfléchir à t o u t ce q u ' e l l e p e u t o f f r i r .
types d e f i n i s , e t q u ' i l f a u d r a p a r a i l l e u r s s ' i n t e r r o g e r s u r l e u r c o n t e n u , I ' T" sémioticien, c'est p r o j e t e r , c o m m e i l d i t , la caté-
sur les pensées q u e ces d e u x types d ' a r c h i t e c t u r e r e l i g i e u s e repré- i 111 m i ( a r r e sémiotique p o u r t e n d r e le réseau d e r e l a t i o n s q u i
sentent. m i c r o - u n i v e r s sémantique q u e c e t t e catégorie r e p r e s e n t e ,
II | 1 l e c o n n a i t r e les p o s i t i o n s de sens v i r t u e l l e s q u ' u n t e l réseau
.1. i.nii
t e m p s f o r t s d u p a r c o u r s . L ' e n v i r o n n e m e n t est neutralisé; sa seule pré- v r i a dans d ' a u t r e s c h a p i t r e s cet o u t i l d e base d u métier sémio-
sence sensible est celle d ' u n b r u i t d e f o n d , d ' u n e nébuleuse d e f o r m e s ||||IH I . . i i i c l o i s s'il le désire, le l e c t e u r p e u t sauter allègrement les
et d e c o u l e u r s . Q u e la l i g n e d e v i e n n e aérienne o u s o u t e r r a i n e , o n n o t e • | H . |i|in -. pagcs q u i s u i v e n t ; i l p o u r r a t o u j o u r s r e v e n i r à c e t t e présen-
a l o r s la m ê m e p o s t u r e , le m ê m e r e g a r d , la m ê m e c o n c e n t r a t i o n s u r Ull I " c a t r e sémiotique p u i s q u ' e l l e est n e t t e m e n t signalée p a r u n e
le l i v r e o u le j o u r n a l o u v e r t dès q u e possible, s u r le t r i c o t v i t e s o r t i i \ i i p l i i e différente.
1
nuité, ils m a n i f e s t e n t u n e sensibilité a u x j e u x d'identité et d'altérité iiniujinons deux personnes en train de discuter. O n a là u n e mini-intrigue
riété, et tracera une horizontale dont les deux positions seront les termes
tion, et la relation de complémentarité, verticale, qui correspond à 1'opération
aboutissants : d'assertion qu'on vient de voir.
bien ... vs ... mal
Mais la discussion peut évoluer, s'approfondir. Les protagonistes pourront bien vs mal
alors avoir besoin, souci ou envie de rectifier, de mieux cerner leur pensée :
«je disais pas mal et non b/en!», ou demander à 1'autre de distinguer: «Tu
dis que c'est mal ou que c'est pas bien ?" Là, le sémioticien reconnaitra un
autre type de relation qui peut exister entre deux positions : la relation de
contradiction. Cest une relation qui s'établit à partir d'une négation, ce qui
ne signifie pas que pas mal et pas bien soient des absences d'opinion, des
positions vides. On peut les tenir, les nourrir, en donner 1'aspect positif. Par
exemple, pour exprimer positivement pas mal, on dit que c'est «correct», ou
que c'est «honnête, sans plus». Que l'on songe à la fameuse déclaration
pas mal pas bien
de Chimène à Rodrigue : «Va, je ne te hais point.» On voit bien qu'on peut i >'
tenir une telle position, avec d'autant plus de force et d'émotion qu'elle est — relation de contrariete
la seule en 1'occurrence à concilier la décence et le sentiment, et qu'elle a ^ / relation de contradiction
pour contenu positif 1'aveu de la passion amoureuse. On notera de plus qu'il \ relation de complémentarité
faut bien distinguer entre une position de sens — un des coins du carré —
et sa manifestation à la surface du texte. Une même position peut se mani- Le carré, on le constate, est un modele tout à la fois statique et dynamique :
fester sous la forme d'un mot, d'une expression, d'une phrase voire sous la il est fait de positions, purement différentielles, et de parcours, réalisables
forme d'un paragraphe; 1'élasticité est une des qualités du discours. selon des régies. D'aucuns trouveront cette structure par trop élémentaire,
Maintenant que se passe-t-il quand on pose que Cest pas mal, et qu'on simplificatrice ou réductrice. Le sémioticien répondra que le carré est, en
tient ferme une telle position ? On rend possible — mais non inéluctable — le 1'état actuei des choses, un modele simple et économique (deux opérations,
passage à bien : un passage qui, s'il est effectué, est interprete sémiotique- trois relations), et quil constitue un réel progrès dans la représentation de
ment comme une opération d'assertion. Bien súr, le même parcours, symé- la mise en branle de la signification, des conditions minimales de sa produc-
trique, doit être conçu pour le passage de pas bien à mal. Voilà le carré tion ou de sa saisieyívlais, surtout, le carré presente le grand avantage d'être
construit et parcouru «en aile de papillon» à 1'aide de deux opérations, méthodologiquement contraignant — ce qui, pour certains esprits, n'est pas
négation et assertion. pardonnable! En le maniant, on s'astreint à devoir comparer ce qui est com-
parable, isotope, c'est-à-dire de même niveau . Tout de même le néophyte
6
t X t
laveur! Après tout, pourquoi pas... si l'on a su justifier de la présupposi-
tion reciproque de ces deux figures par 1'analyse de leurs roles ou de leurs
contenus respectifs dans telle ou telle histoire, et si l'on a pu montrer qu'une
pas-mal pas bien projection sur le carré était rentable parce qu'elle avait fait reconnaítre
• L'isotopie est cette homogénéité de niveau que crée la reprise, 1'itération d'une même
Et voilà aussi les quatre positions interdéfinies grâce à trois relations : la unité de sens tout au long d'un texte ou d'un propôs. Parler de force (de vente), d'agres-
relation, horizontale, de contrariété (on l'a vue tout à 1'heure), la relation de sions, de stratégie et de (marketing de) combat, c'est installer une isotopie guerrière. Et
une fable est un discours dit «bi-isotopique», puisque, selon les régies du genre, «on
contradiction représentóe par une oblique et qui correspond à une néga- parle des animaux pour parler des hommes».
30 Sous les signes, les stratégies Étes-vous arpenteur ou somnambule ? 31
les deux autres positions de sens et que celles-ci ótaient effectivement la transgression — au sens littéral de «passer au-dessus». Le prefixe
occupées ou occupables par d'autres personnages ou d'autres objets! II trans-, qu'on retrouve dans transmission, transfusion ou tradition, est,
faut bien noter ici que ce ne sont pas les mots, les signes ou les figures qui en français, l'une des manifestations linguistiques de la non-disconti-
importent, ce sont leurs valeurs contextuelles. Ce que l'on met en carré, ce n u i t é . La projection sur le c a r r é s é m i o t i q u e fait aussi r e c o n n a í t r e la
ne sont pas des entrées du dictionnaire (des lexèmes) mais telles ou telles stratégie contraire, celle de la n o n - c o n t i n u i t é ; elle correspond à la
de leurs acceptions (des sémèmes). D'ailleurs et à linverse, un même mot, cesure, au suspens ou à 1'interruption, non à la r u p t u r e . Ceux qui 7
un même geste, un même symbole peut, après 1'analyse de ses diverses valorisent la n o n - c o n t i n u i t é attendent ... 1'inattendu. Ils s ' a r r ê t e n t aux
mises en contexte, se trouver distribua sur plusieurs positions du carré, animations et sont sensibles aux incidents; ils aiment tout ce qui peut
positions qui peuvent être au mieux complémentaires, au pire contradictoires les surprendre, les saisir ou les ravir.
(ce qui ne manquera pas de provoquer tôt ou tard des effets de sens dan-
Ces quatre façons de vivre le trajet representem quatre valorisations
gereux de «contradiction interne» ou de «double langage»). On se souvient
d u n Ecossais vantant, à la radio, un whisky de cinq ans d'âge qui pro- différentes du trajet comme d é r o u l e m e n t , comme procès-,'mais toutes
curait «la belle vie». Ses propôs donnaient à ce concept pas moins de trois supposent que le voyageur se fait le propre observateur de ses trajets
valeurs, de trois acceptions dont deux étaient contradictoires. En quelque et tend ensuite à en ê t r e le producteur. Et, comme chacune de ces
trente secondes, «la belle vie» signifiait la fierté d'être ecossais, le plaisir valorisations implique logiquement un sujet valorisant, quatre types de
d'oublier son identité écossaise avec les petites femmes de Paris et enfin la voyageurs peuvent ê t r e interdéfinis et constituer une typologie quali-
beauté de 1'amitié entre Ecossais et Français I tative des clients du metro et du R E R : les arpenteurs, les pros, les
Nous aurons 1'occasion de revenir sur d'autres aspects et d'autres exploita- somnambules et les flâneurs. Les arpenteurs recherchent et a p p r é -
tions du carré. Revenons à nos voyageurs et servons-nous du carré sémio- cient les trajets discontinus, que nous avons appelés les « p a r c o u r s » .
tique pour definir les quatre grandes façons de vivre un trajet et reconnaítre Les pros, eux, réalisent ou cherchent à réaliser des « e n c h a i n e m e n t s » .
qu'il existe bien des voyageurs qui les vivent. | L ' e n c h a í n e m e n t est un mot de sportif, de gymnaste ou de varappeur;
on Fa choisi parce q u ' i l evoque assez bien la fluidité, la tension et la
maitrise technique qui c a r a c t é r i s e n t les véritables performances réali-
Deux stratégies de trajet dans le metro et le R E R ont é t é reconnues
sées par les pros. Les somnambules, ce sont les voyageurs de la conti-
plus haut : une stratégie de mise en discontinuité, et une stratégie de
n u i t é ; ils réalisent des « t r a j e c t o i r e s » . Enfin, les flâneurs sont les ama-
mise en c o n t i n u i t é . La projection de la c a t é g o r i e s é m a n t i q u e disconti-
teurs de « p r o m e n a d e s » , c'est-à-dire de trajets o ú les n o n - c o n t i n u i t é s
n u i t é vs c o n t i n u i t é sur le c a r r é sémiotique permet d'en r e c o n n a í t r e
deux autres, correspondam aux n é g a t i o n s respectives des p r e m i è r e s .
Nier les discontinuités, c'est relier, enjamber, prendre en é c h a r p e . ' O n se représentera mieux cette position si l'on prend 1'exemple des différents aspects
Cest chercher à anticiper 1'obstacle pour le gommer. Les stratèges de que peuvent prendre les surfaces déployées : une mer étale, un mur nu, un plan lisse
sont des figures de la c o n t i n u i t é ; un pli, une aspérité ou une tache celles de la non-
la n o n - d i s c o n t i n u i t é , ce sont les virtuoses de 1'introduction du ticket continuité. L a discontinuité, elle, sera illustrée par la crevasse, la fracture ou le fosse.
dans la fente d u p o r t i l l o n : ils n'ont pas attendu d ' ê t r e dessus pour Enfin, la non-discontinuité le sera par le bord à bord ou le raccord.
sortir leur titre de transport. Le geste est súr, é c o n o m e ; 1'allure est Fracture plan lisse
crevasse Mur nu
coulée. Ce sont eux qui esquivent, slaloment et se faufílent, eux qui se fosse mer étale
mettent à un endroit précis sur le quai d'attente pour attaquer i m m é - Discontinuité Continuité
diatement le couloir de correspondance et qui, dans le couloir, n é g o -
cient au mieux les virages; ils prennent garde de ne pas se laisser
enfermer en se tenant à la corde, en restant trop p r é s des murs. Si la
non-continuité
X non-discontinuité
stratégie de la d i s c o n t i n u i t é est celle du parcours, de la mesure et du pli bord à bord
releve, celle de la n o n - d i s c o n t i n u i t é est celle de 1'enchaínement, de tache raccord
(2 Sous les signes, les stratégies Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? 33
iont valorisées. Arpenteurs, pros, somnambules et flâneurs, presentes encore a b o r d é e jusqu'ici : celle du signifié des trajets réalisés par les
ians 1'ordre du parcours possible du c a r r é , sont positionnés ainsi sur voyageurs et du mode de p e n s é e que chacun des types represente. En
:elui-ci : cherchant à saisir ou à produire des discontinuités ou des c o n t i n u i t é s ,
ces voyageurs c o n ç o i v e n t e u x - m ê m e s le metro comme une pratique
ARPENTEURS SOMNAMBULES signifiante : par des discontinuités o p é r é e s tout au long du trajet,
certains donnent du sens ou, plus exactement, de la signification à ce
"trajectoires" trajet. Articule, s t r u c t u r é , différencié, le trajet acquiert une richesse
parcours
et une d e n s i t é s é m a n t i q u e / A 1'inverse, en saisissant ou en produisant
un continuum, d'autres voyageurs « d é s é m a n t i s e n t » leurs trajets en
valorisation valorisation 1'automatisant. Le trajet dans le metro et le R E R figure alors parmi les
des discontinuités des continuités programmes d'action plus ou moins nombreux que chacun d'entre
t
valorisation
X t
valorisation
nous automatise et vide de signification ou de contenu, tout simple-
ment parce qu'on ne peut vivre tout ce que l'on fait dans la vie, ou
m ê m e dans une j o u r n é e , comme signifiant : d é j e u n e r , s'habiller, mon-
des non-continuités desnon-discontinuités ter dans sa voiture et conduire quand on est citadin, ou encore fau-
cher, ratisser ou baratter quand on vit à la campagne. Et pourtant ce
sont là des faits de culture, qui ont necessite un apprentissage, qui
"promenades" "enchainements" permettent de c a r a c t é r i s e r un mode de vie par rapport à d'autres et
de rendre lisible, c o m p r é h e n s i b l e telle et telle situation, telle ou telle
relation aux autres. T o u t se passe comme si la q u o t i d i e n n e t é était
FLÂNEURS PROS
pour les uns une r é c u r r e n c e et par là m ê m e une possibilite d'identi-
Ces types de voyageurs, on l'a vu, sont des constructions. Ils sont fier, d'opposer, de c o r r é l e r , et qu'elle était pour d'autres un facteur
definis les uns par rapport aux autres — par d é d u c t i o n , si l'on peut d'indifférenciation à tout ce qui pouvait ou peut marquer et rendre
dire, à partir du d é p l o i e m e n t d'une c a t é g o r i e conceptuelle. Mais, les choses signifiantes. Pour les uns — ce sont nos arpenteurs — les
parce que cette c a t é g o r i e a é t é auparavant reconnue comme perti- trajets quotidiens peuvent ê t r e consideres comme des variations et
nente dans 1'analyse des trajets suivis, chacun de ces types represente des j e u x de transformation producteurs de sens. Pour les autres — ce
en fait un ensemble de comportements, de «faits et gestes», que sont nos somnambules — ces trajets quotidiens r e p r é s e n t e n t 1'instance
peut reconnaitre d'ailleurs tout observateur attentif des voyageurs neutre à partir de laquelle certains peuvent greffer d'autres pratiques
du m e t r o .
8
signifiantes : lire, tricoter. Somnambule n'est pas ici à prendre dans
un sens péjoratif ou pathologique; les somnambules ne sont pas non
Nous avons parle tout à 1'heure de façons de vivre le trajet.
plus des zombies, des morts-vivants. O n a choisi ce terme parce q u ' i l
L'expression est bien vague : bien peu s émi o t i q u e. L'employer cepen-
evoque un é t a t d'automatisme mais aussi une réelle activité, de type
dant était une m a n i è r e de designer toute une p r o b l é m a t i q u e non
onirique. De fait, ces voyageurs marchent ou s'assoient automatique-
ment mais en m ê m e temps ils r ê v e n t , ils lisent ou é c o u t e n t de
8 Bien des comportements et des faits et gestes releves lors des suivis peuvent ainsi se la musique.
retrouver dans les remarques faites à ce propôs par 1'ethnologue M. Auge dans son
essai (op.cit). Gageons que certains arpenteurs, ethnologues d'esprit sinon de métier, se Qu'en est-il des pros et des flâneurs? Quels types de saisie ou de
sont e u x - m ê m e s bricolé une certaine typologie des voyageurs, sans intention ou souci production du sens constituent le signifié de leurs comportements
sémiotique de la construire de telle sorte que les types soient interdéíinis avec é c o n o -
mie. respectifs? Si l'on estime que nous avons tous c o m m e n c é par ê t r e des
34 Sous les signes, les stratégies Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? 35
sujets parcourants, des arpenteurs, dans la mesure oú il a bien faliu un propre séquençage du trajet. Dans un deuxième temps, on recen-
jour apprendre à se déplacer et à se repérer dans le metro, 1'enchaí- tra 1'entretien sur les éléments signifícatifs qu'ils avaient mentionnés
nement réalisé par le pro doit être conçu comme une entreprise de spontanément, puis sur ceux qui 1'étaient pour 1'enquêteur-suiveur.
désémantisation, d'abstraction et de formalisation. Ce sont des suites Les voyageurs parlèrent ainsi des lieux empruntés (salles, couloirs,
entières de faits et gestes qui deviennent alors des unités indécompo- quai...), des animations, du mobilier (Bureaux d'Information ou
sables et comme sténographiées. La pratique signifiante du flâneur "escargots", Bureaux d'Informations Sur le Quai, écrans de TUBE),
est, on 1'imagine, à 1'opposé : ce que cherche à vivre le flâneur, c'est mais aussi des divers agents RATP et de tous ceux qui travaillent dans
1'émotion; ce sont ces situations de surgissement et d'émergence de le metro (colleurs d'affiches, personnel de nettoyage, T U C . . . ) . Enfin,
1'inattendu. Le flâneur est amateur du bizarre et de tous ces moments après le recueil de ses discours sur le trajet, on en vint à des ques-
oú le sens apparait sans qu'il soit encore structuré, sans qu'on puisse tions sur les attentes en termes d'information, de vente, d'assistance,
d'emblée projeter sur lui une quelconque grille de lecture; il veut de controle de sécurité . Comme on peut Fimaginer, chaque type de
être étonné, surpris. Aussi le flâneur sait-il se rendre disponible aux voyageurs réagit différemment par rapport à ce qui peut être consi-
différents spectacles insolites que peuvent offrir le metro et le RER. dere comme 1'offre du metro. Les arpenteurs seront les plus sensibles
Autant le pro exalte dans ses enchainements sa propre maitrise des aux travaux de décoration et de rénovation qui, depuis 1975, person-
choses et sa connaissance du réseau, autant le flâneur se plait à sentir nalisent les stations en y incorporant des éléments renvoyant explicite-
le monde le posséder, et sa compétence se perdre. Aussi les compor- ment ou symboliquement aux lieux de la ville et aux quartiers qu'elles
tements des voyageurs du metro et du RER, pris dans leur totalité, desservent . Ainsi, pour ne parler que de la ligne n° 1, les stations
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relèvent-ils d'une activité véritablement sémiotique puisque ces divers LOUVRE, HÔTEL-DE-VILLE, et SAINT-PAUL - LE MARAIS seront citées
comportements consistent fínalement à saisir ou à produire du sens, à en exemples. Le parcours du metro pourra être imagine alors comme
1'enrichir ou à 1'appauvrir, voire à le nier au profít d'autres pratiques. 1'inventaire d'un patrimoine. I I faut cependant noter que la relation
A 1'analyse des divers comportements qui en constituem la manifesta- du design de la station à son territoire doit être concrète et motivée :
tion, les trajets des voyageurs, consideres comme des textes, montrent un simple changement de couleur sera considere par les arpenteurs
que ces voyageurs vivent eux-mêmes le metro comme un texte. Cest comme tout à fait gratuit, banalisant voire destructeur. A 1'égard
un peu comme si les enquêteurs qui les avaient suivis avaient observe, des affiches, ils auront une attitude analogue. En effet, celles-ci fonc-
par dessus 1'épaule, des peintres ou des amateurs d'art, des ethno- tionnent comme des repères spatiaux et temporels: elles identifient
logues attentifs ou encore des touristes qui ont payé pour «faire» un par leur disposition une station ou un quai; elles rappellent par leur
pays en trois jours. Le metro peut être, selon les types de voyageurs, thème une saison, un moment de 1'année (le «blanc», la rentrée,
des textes aussi différents qu'un portulan (pour les arpenteurs), un Noel,...). Les arpenteurs auront souvent plaisir à retrouver et identi-
diagramme (pour les pros), un gribouillage (pour les somnambules) fier des affiches déjà vues ou des motifs publicitaires repris
ou un calligramme (pour les flâneurs). d'anciennes campagnes . Quant aux animations, elles ne prendront
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sens et valeur que si elles s'inscrivent dans des genres definis aiment les stations qui donnent à voir autre chose que le metro l u i -
(musicaux, sportifs, t h é â t r a u x ) : cultivant les valeurs de r é f é r e n c e , m ê m e : ainsi ils privilegiem celles qui sont les plus riches en pro-
les arpenteurs aiment mieux retrouver ce qu'ils connaissent déjà que grammes déviants : spectacles, animations, rencontres. La station L E S
d é c o u v r i r une nouvelle musique, un nouveau spectacle. « A h , le violo- H A L L E S represente le type accompli de la station-carrefour, autant par
niste de la CONCORDE!...». son ampleur favorable à la circonscription d'espaces de fíction que par
Les pros seront les plus interesses à 1'accessibilité des stations ainsi la d e n s i t é des croisements qui la constituent. Bien sur d'autres stations
q u ' à leur é q u i p e m e n t : ils parleront des locaux techniques, des escala- telles que M O N T P A R N A S S E , A U B E R ou R E P U B L I Q U E peuvent j o u e r ce
tors, des types de p o r t i l l o n , de la longueur des couloirs, ou de la role, mais sans jamais pouvoir rivaliser vraiment avec L E S H A L L E S . Les
largeur des escaliers. Les stations seront d'abord p e r ç u e s selon leur affiches retiendront 1'attention des flâneurs par leurs valeurs dyna-
fonctionnalité. Et leur personnalisation perdra de son i n t é r ê t ; pour miques : teasing, nouvelles affiches ou effets de «massif» c r é e n t ces
un peu, elle en deviendrait un divertissement quasi-pascalien. I I en va é v é n e m e n t s , ces ruptures o ú ce qui est vu est presque plus le sujet,
de m ê m e pour les affiches. Enfin, si les animations, a b o r d é e s sur le au sens syntaxique du terme, que celui qui voit. I I en va de m ê m e de
registre du « ç a ne me d é r a n g e p a s » , apparaissent t ô t ou tard toutes les formes d'action ou d'interaction qui suspendent un moment
comme des entraves, des occasions de bouchons et d ' é t r a n g l e m e n t s , le cours du trajet, le cours des choses.
c'est qu'elles incitent à autant de comportements e s t h é t i q u e s hors de
p r o p ô s : s ' é t o n n e r , regarder, é c o u t e r , applaudir... De véritables anti-
programmes . « P o u r q u o i ne pas r é s e r v e r des coins à ces animations,
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1. J'aime bien les stations qui sont bien arrangées, les stations qui 2. La publicite dans le metro, je ne peux pas dire que ça m'inté-
ont un rapport avec le quartier, comme la station du Marais ou la resse vraiment. Je ne les vois pas trop.
station du Palais de la découverte. 3. Heureusement qu ii y a la pub dans le metro, ça fait quelque
2. Le plus important pour moi dans les stations, c'est de ne perdre chose à voir quand on n'a pas envie de lire son Journal ou de
pas de temps ... quelquefois prendre un couloir à contre sens, ça regarder ses voisins.
evite de faire tout un détour... 4. Ce que j'aime bien dans la publicite, c'est que c'est vivant, et
3. Si j'ai le choix, je prefere faire un bout de chemin dans la rue si puis ça se renouvelle souvent.
ça peut m'éviter une grosse correspondance.
Grace à ce questionnaire de recrutement, on entreprit de mener
4. J'aime bien les grandes stations, comme Auber ou les Halles,
oú il se passe toujours quelque chose.
une investigation plus approfondie sur les services et prestations
attendus par chacun des types de voyageurs. Les voyageurs reunis en
groupes homogènes, réagirent à la présentation de croquis illustrant
C. Les animations des situations plus ou moins habituelles dans le metro et le RER.
1. L'animation, il ne faut pas que ce soit nlmporte quoi... ce qui est On notera que ces croquis étaient suffísamment imprécis ou, plutôt,
bien, c'est de reconnaítre une musique ou un acteur. Cest bien ambigus pour que les participants des réunions de groupe puissent
aussi quand c'est annoncé à 1'avance. donner des interprétations différentes sous la forme de bulles de
2. Le problème des animations, c'est que ça gene ceux qui nont
bande dessinée rattachées à tel ou tel acteur de la scène. Voici, en
pas envie de s'arrêter; s i l ne tenait qu'à moi, on pourrait exemple, quatre de ces scènes :
les supprimer. 1 / un agent se dirige vers un attroupement; on ne sait ce qu'il a
3. La musique, ça rrTaccompagne quand je marche mais je ne dans la main, on ne distingue ni corps allongé (un accident?, un
m'arrête pas devant les musiciens. malaise ?) ni poing leve (une altercation ?);
4. Les animations, quand ça me plaít je rrTarrête; ça permet de 2 / une jeune femme encombrée de sa poussette, son enfant dans les
passer un petit moment sympa. bras, arrive à un portillon; on distingue, dans une cabine, deux
42 Sous les signes, les stratégies Êtes-vous arpenteur ou somnambule f 43
agents de la RATP dont l'un est (déjà?) debout (pour venir indique : TUBE réalisait bien deux des objectifs prioritaires qui l u i ont
1'aider ?); é t é assignés : 1'animation et la s é c u r i s a t i o n ; un consensus positif se
3 / une autre jeune femme s'avance vers un BISQ (un Bureau d'Infor- faisait ici tant a u p r è s des arpenteurs et des flâneurs que des som-
mation Sur le Quai) d ' o ú sort (vers elle ?) un agent; nambules et des pros. Mais, g r â c e à une nouvelle e n q u ê t e f o n d é e sur
4 / un agent en station punaise une affiche (un document RATP? une la typologie, on put nettement différencier les diverses critiques for-
annonce relative à la vie du quartier ?) en parlant à des voyageurs. m u l é e s à 1'encontre de TUBE. Pour les arpenteurs, qui accordent une
Ces croquis ont été conçus comme de véritables motifs, c'est-à-dire grande importance au r e p é r a g e et p r ê t e n t une attention p a r t i c u l i è r e
comme des micro-récits fíguratifs dotes d'une autonomie suffisante à 1'espace architectural des stations, le design et 1'implantation du
pour ê t r e extraits d'un contexte et resitués dans un autre, ce nouveau mobilier de TUBE é t a i e n t critiques dans la mesure oú ils n ' a g r é m e n -
contexte donnant au motif une signifícation p a r t i c u l i è r e . Les r é u n i o n s taient ni ne valorisaient ces stations. Les bornes notamment, é t a i e n t
de groupe typologiquement h o m o g è n e s fournirent donc les valeurs considérées comme des robots ou comme les é m a n a t i o n s de quelque
contextuelles de ces situations selon les arpenteurs, les pros, les som- «Big B r o t h e r » . Pour les pros, 1'emplacement des bornes en faisait
1 2
nambules et les flâneurs, et les roles que chaque type donnait aux des obstacles g ê n a n t leurs enchainements; TUBE allait à l'encontre de
agents de la RATP. leur logique d'optimisation. De plus, Fessentiel des sujets ne corres-
pondait pas à leur besoin d'informations utilitaires. Ce n ' é t a i e n t pas
La typologie comportementale des clients de la RATP a permis aussi des exercices de style ou d ' é c r i t u r e filmique q u ' i l fallait, c'étaient des
de comprendre comment — et dans quelle mesure — les é c r a n s et les informations claires et nettes sur le réseau ferre ou routier de la
programmes de TUBE ont modifíé la pratique du metro et du RER. Ins- RATP. Et celles-ci pouvaient tout à fait passer sur une simple bande
tallé progressivement depuis 1986 sur les quais d'un certain nombre vidéo-texte. Les somnambules qui accordent, eux, un i n t é r ê t tout
de stations, TUBE est un r é s e a u de v i d é o c o m m u n i c a t i o n câblé en particulier au traitement des sujets p r o p o s é s par TUBE critiquaient le
fíbres optiques. Des programmes de quelque quarante minutes, repris contenu de certains «Dossiers» q u i , loin de r é p o n d r e à leur désir de
en continu, sont diffusés sur des é c r a n s de télévision installés sur des s'abstraire de l'espace du metro, les confrontait t r o p é v i d e m m e n t à la
bornes à m ê m e le quai ou suspendus au dessus (voir ci-contre). Vis-à- réalité vécue. N o m b r e de ces dossiers é t a i e n t consacrés à des formes
vis des voyageurs, TUBE se voyait fíxer un certain nombre de mis- de d é t o u r n e m e n t ou de subversion plus ou moins ludiques des pra-
sions dont 1'information en temps réel comme en temps p r o g r a m m é , tiques urbaines. Pour é t o n n a n t e s qu'elles fussent, ces réalisations mar-
la démultiplication en direct des animations organisées dans le metro, ginales ne pouvaient pas ne pas renvoyer le spectateur à son incapacite
la c r é a t i o n de programmes et de sujets adaptes « a u x quelques minutes presente voire permanente à se j o u e r ainsi de la ville et de la quoti-
pendant lesquelles les voyageurs circulem dans un couloir ou sta- d i e n n e t é . Pour les flâneurs enfin, le fait que TUBE ne permette aucune
tionnent sur un quai» ainsi que la diffusion de messages individualisés intervention de leur part allait à l'encontre de leur logique de dispo-
par station ou par groupe de stations «favorisant la vie locale des nibilité et de leur désir de zapper. TUBE les plaçait devant 1'alterna-
quartiers de Paris comme des communes de b a n l i e u e » . I I s'agissait de tive : voir ou ne pas voir. Ce sont les flâneurs qui comprennent vite
plus de ne pas importuner le voyageur « q u i aspire au calme » en p r é -
voyant des « zones de silence ». De fait, 1'objectif global de TUBE était
d ' « e x i s t e r en tant que support a u p r è s d'un public nombreux et diver- 12Chaque type de voyageurs imagine de nouveaux moniteurs T U B E conformément à
sifíé». ses attentes et à sa logique de trajet. Ainsi les arpenteurs verront ces moniteurs comme
des bornes pour se repérer ou même comme de véritables périscopes sur le quartier.
Une e n q u ê t e faite auprès de chacun des types comportementaux de Les pros souhaiteront en faire des antennes PC qui fourniraient les informations néces-
voyageurs confirmait d'abord ce que de p r é c é d e n t s sondages a u p r è s saires à 1'anticipation, au dégagement. Les somnambules des écrans-fenêtres pour rever.
Enfin, les flâneurs concevront les moniteurs à 1'image d'un caisson multisensoriel qui
d'échantillons représentatifs de 1'ensemble des voyageurs avaient déjà leur offrirait toutes les possibilites d'entrer en interaction créative.
Êtes-vous arpenteur ou somnambule ? 45
F i n a l e m e n t , à la l e c t u r e d ' u n e c o m m u n i c a t i o n c o m m e celle d e
F. Jacques, o n c o n ç o i t m i e u x ce q u e p e u v e n t a p p o r t e r des é t u d e s
15 Sur la position de la sémiotique structurale quant à la prise en compte des contextes
s é m i o t i q u e s c o n c r è t e s a u x r e c h e r c h e s q u i se f o n t u n p e u p a r t o u t
et des situations de communication, on lira : A . J . Greimas et E . Landowski, Pragma-
a u t o u r des actes d e langage et des d i s c o u r s e n s i t u a t i o n . Ces é t u d e s tique et sémiotique, in Actes sémiotiques - Documents, C N R S - F . H F . S S V , 50, 1983.
U N E É T O I L E EST NÉE
L A DÉFINITION DE L ' l D E N T I T É V I S U E L L E DU C R É D I T D U NORD
1 Cette annonce — c o n ç u e , comme toute la campagne, par Pagence Ogilvy & Mather —
parut dans quatre quotidiens début novembre 1984 ; elle fut ensuite déclinée par quatre
annonces qui correspondaient à quatre p r o b l è m e s spécifíques, chacune s'accompagnant
de la phrase : « V o t r e argent et la banque C r é d i t du N o r d » .
2 Une puissante campagne affichage, radio et presse c o n ç u e par D. Robert en 1973,
alors à Publicis-Conseil.
50 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 51
U n peu d'historique afin de situer 1'intervention de la s é m i o t i q u e — enfin u n concept de communication : «la banque de 1'informa-
dans 1'exploration et 1'exploitation de ce concept de clarté. Depuis dix t i o n » , renvoyant à deux univers qui n'appartiennent pas à la
ans, le C r é d i t du N o r d souffrait d'une image floue. Depuis sa fusion banque : le service public et la communication à long terme d'une
en 1974 avec la Banque de 1'Union Parisienne, le C r é d i t du N o r d part, et la p r o m o t i o n et la communication à court terme d'autre
était tiraillé entre sa propre ancienne image de banque provinciale de part.
d é p ô t — une banque proche de ses clients, «sérieuse et brave » — et
A partir de ce constat et compte tenu d'autres d o n n é e s , de marke-
celle de la BUP, une banque d'affaires é v o l u a n t dans la haute fínance.
ting bancaire essentiellement, Le Creative Business proposa une stra-
Le fait que le C r é d i t du N o r d avait encore au moment de sa nationa-
tégie de p e r s o n n a l i t é en termes de physique, de style et de caractere . 5
lisation — par 1'intermédiaire de son actionnaire majoritaire Paribas
Cinq caracteres avaient é t é testes selon des m é t h o d e s projectives :
— son siège social à Lille et son siège central à Paris ne contribuait
convivial, fiable, direct, ouvert et clair. Le Creative Business choisit
certes pas à lutter contre une telle image, aussi bien en interne qu'en
de retenir la c l a r t é . Celle-ci signifiait la recherche de 1'efficacité mais
externe. L ' a r r i v é e d'un p r é s i d e n t qui ne venait ni du C r é d i t du N o r d
aussi 1'ouverture, la v o l o n t é et une m a n i è r e originale de concevoir le
ni de la BUP puis la c r é a t i o n par celui-ci d'une Direction de la Com-
munication c r é a i e n t les conditions nécessaires au réveil du c i n q u i è m e
réseau bancaire français. Une fois e n g a g é e s de profondes reformes 3 Et à François Schwebel, son directeur, qui, notamment, conçut l'ensemble de la
de structures — refonte du réseau commercial, raccourcissement des méthodologie et y integra 1'étude sémiotique.
lignes h i é r a r c h i q u e s , modernisation du système informatique — c'était 4 Cétaient du moins les effets de sens produits par la typographie Baskerville, la plus
souvent utilisée pour le bloc-marque du Crédit du Nord.
logiquement 1'ensemble de la communication du C r é d i t du N o r d qui 5 On reconnaitra là les trois composantes de la star-stratégie chère à R S C G .
52 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 53
m é t i e r de banquier qui renvoyait dos à dos le « b a r a t i n » et la « b r u t a - ture de Punivers s é m a n t i q u e de la clarté s ' o p è r e , ne serait-ce que
lité». Ce concept de clarté correspondait bien d'autre part à la v o l o n t é provisoirement. Ainsi, lâche, rare, ouvert — d o n n é s pour des syno-
de la Direction de la Communication d u C r é d i t du N o r d de s'appuyer nymes possibles de clair — s u g g è r e n t une é t e n d u e . O r cette é t e n d u e
sur la c o m p é t e n c e fínancière dont elle avait h é r i t é et de se recentrer sera b i e n t ô t c o n s i d é r é e comme une manifestation p a r t i c u l i è r e , spa-
sur son m é t i e r : 1'argent. « Plus question de communication alibi, nous tiale, d'un processus de d é p l o i e m e n t plus abstrait : clair peut aussi
avons d é c i d é de ne communiquer que sur notre m é t i e r de banquier signifier serein, calme, ou qualifier un «esprit m é t h o d i q u e , marchant
du point de vue du client. Nous voulons faire c o n n a í t r e le C r é d i t du de c o n s é q u e n c e en c o n s é q u e n c e » . Le d é p l o i e m e n t c a r a c t é r i s t i q u e de
N o r d tel q u ' i l est, et nous voulons faire de cette nouvelle politique de la clarté n'est donc pas seulement spatial; i l peut ê t r e temporel ou
communication une aide à notre d é v e l o p p e m e n t c o m m e r c i a l » . Res-
6
m ê m e purement intellectuel. L'analyse d'autres synonymes permet
tait à explorer et à exploiter ce concept : quelle acception une banque d'aller plus loin, de caractériser ce d é p l o i e m e n t . Des synonymes tels
pouvait-elle donner de la c l a r t é ? Comment pouvait-elle 1'exprimer par que net, précis ou encore formei indiquent q u ' i l s'agit là d'une conti-
1'ensemble de sa communication et, en premier lieu, par ces médias n u i t é faite de discontinuités. Une segmentation est possible, voire
permanents que constituent 1'identité visuelle (logo, bloc-marque...) a s s u r é e ; des unités sont identifiables, dans leur i m m é d i a t e visibilité
et les agences elles-mêmes (façade, i n t é r i e u r , mobilier...)? Ce fut là le et lisibilité. La c l a r t é s u g g è r e le contour, la délimitation et surtout,
travail de la s é m i o t i q u e . puisqu'elle est d'abord un d é p l o i e m e n t , une articulation ou un espace-
ment mesure. Le clair s'oppose au trouble comme au fiou — qualités
visuelles fabriquées, si l'on peut dire, à base de non-discontinuités,
Clarté : une relation au monde, une relation à Vautre de passages, de chevauchements, d'effets de lisière... Clair et clarté
s'avèrent ainsi qualifier un certain type de d é p l o i e m e n t , en opposition
à d'autres types de d é p l o i e m e n t . Et celui-ci peut se manifester sous
Lumineux, serein, transparent, limpide, lâche, aigu, diverses formes sensibles, sonores aussi bien que visuelles. O n parle
accessible, net, précis, éclatant, explicite, pur, distinct,
d'un « t a m b o u r à son clair» ou de la « n o t e claire d'un... c l a i r o n » .
formei, ouvert, rare, évident, intelligible, sur, apparent,
certain, manifeste... Mais en travaillant à c a r a c t é r i s e r ce d é p l o i e m e n t particulier impli-
que par la clarté, on s'aperçoit bien vite que les adjectifs qualificatifs
que l'on manipule constituent, d'un autre point de vue, de véritables
O u v r i r le dictionnaire aux mots clair et clarté rassure et effraie tout à petits récits. Des situations é v o l u e n t , des changements s ' o p è r e n t , des
la fois. O n est s ú r que le nceud pourra se desserrer : on trouve des personnages gagnent quelque c o m p é t e n c e ou rencontrent quelque
acceptions, des synonymes et des antonymes. Mais le nombre de ces obstacle. La clarté, c'est aussi un récit. Distinct, intelligible, accessible,
acceptions, c o n c r è t e s ou abstraites, et de ces synonymes et antonymes explicite ou encore limpide ou transparent... autant de synonymes qui
qui vous renvoient, comme une boule de flipper, à d'autres mots, à racontent une histoire : celle d'un sujet c o n s i d é r a n t une manifestation
d'autres e n t r é e s , a de quoi vous effrayer. Fermera-t-on jamais ce dic- sensible et d é c i d a n t que le paraitre des choses correspond à leur ê t r e .
tionnaire? En fait, au fur et à mesure de 1'analyse des acceptions et des Les choses ne peuvent ê t r e des p h é n o m è n e s — conçus alors comme
systèmes de renvois, les ressemblances et les différences s'organisent à des énoncés du monde naturel — ou des discours, tenus par un autre
partir d'un nombre relativement restreint d'oppositions, plus exacte- sujet. La clarté renvoie ainsi à la p r o b l é m a t i q u e de 1'énonciation, à
ment de c a t é g o r i e s . Et, par un p h é n o m è n e de redondance, une clô- la production et à la saisie d'un sens et, surtout, à Pacceptation par
un sujet en position d ' é n o n c i a t a i r e — c'est-à-dire de destinataire de
6 Alain Margaron, alors directeur de la Communication du Crédit du Nord, interview
P é n o n c é — des propositions contractuelles qui lui sont faites quant à
à Stratégies, n" 446, 12 novembre 1984. la vérité et aux marques du dire-vrai. A u t r e m e n t dit, la définition
54 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 55
narrative de la clarté nous apprend que celle-ci parle de 1'établisse- Fiable. La fiabilité, elle, évoquait «le professionnalisme qui commu-
ment de relations contractuelles entre deux sujets. Elie nous apprend nique la s é c u r i t é » ; et les images voulaient illustrer « u n e m é c a n i q u e
d'autre part qu'un discours clair place celui qui le j u g e tel en position puissante qui impose sa propre logique». Cette fois, la c o m p é t e n c e
de sujet c o m p é t e n t , statuant sur 1'être des actions ou des p r o p ô s qui aurait é t é valorisée : le concept permettait d'affirmer le réel « m é t i e r »
lui sont soumis, du C r é d i t du N o r d . Mais à quel prix? Quelle aurait é t é la qualité de
O n peut maintenant revenir sur les caracteres qui avaient é t é envi- la relation établie entre le banquier et son client ? Quel statut, quelle
sagés pour le C r é d i t du N o r d — convivial, fiable, direct, ouvert et clair c o m p é t e n c e aurait eu celui-ci ? La relation contractuelle i m p l i q u é e par
— et mieux saisir ce que va signifier le choix du concept de clarté aux la fiabilité (telle qu'elle a é t é définie lors des tests projectifs, i l faut le
d é p e n s des autres caracteres. rappeler) renverse ici la h i é r a r c h i e entre client et banque établie par
La conviviabilité avait é t é d o n n é e , lors des tests projectifs sur les le concept de clarté : choisir une banque fiable, c'est tôt ou tard lui
caracteres, pour le caractere actuei du C r é d i t du N o r d : obéir, ê t r e en situation de ne-pas-pouvoir-ne-pas-faire. Le rapport de
— une sensibilité et une p r o x i m i t é naturelles; forces, au moment de 1'établissement de la relation, n'est plus au b é n é -
— le partage d'une m ê m e histoire, d'un m ê m e système de valeurs; fice du client qui, dans la clarté, a d h é r a i t au dire vrai de la banque
— Pabstraction faite des c o m p é t e n c e s et des statuts qui pourraient dif- en statuant sur celui-ci. Notons cependant la p r o x i m i t é s é m a n t i q u e et
narrative des deux concepts pour indiquer ce qui peut ê t r e 1'une des
f é r e n c i e r ou é l o i g n e r .
limites commercialement dangereuses de la clarté. Les synonymes de
L'image du banquier était celle du généraliste, m é d e c i n de famille. clair tels que catégorique ou évident par exemple — qui se disent de tout
O n notera de plus qu'en termes de c o m p é t e n c e cognitive et de véri- « c e qui, é t a n t considere, ne peut ê t r e nié quand on le v o u d r a i t » ou
diction on n'est pas loin du concept de « b o n sens p r é s de chez vous» s'avère «sans condition ni a l t e r n a t i v e » — indiquent bien qu'il existe
qui a é t é longtemps celui du C r é d i t Agricole. Or, d ' a p r è s sa défini- une contrepartie au gain d'intelligibilité et de vérité, un contre-don à
tion narrative, ê t r e clair, ce n'est pas ê t r e convivial : faire. La clarté ne signifie pas seulement 1'acquisition d'une m a í t r i s e
— le relation est établie et non pas naturelle; et 1'exercice d'une s o u v e r a i n e t é qui accepte finalement de croire-vrai;
— un accord s'est fait sur la valeur des valeurs (ce ne sont pas forcé- elle est é c h a n g e et donc aussi engagement.
ment les m ê m e s valeurs qui sont p a r t a g é e s : banquier et client ne La clarté peut ê t r e dès lors c o n ç u e comme la figure visuelle d'un
í u s i o n n e n t pas dans un m ê m e ê t r e collectif, ils peuvent avoir des récit de contrat, et plus p r é c i s é m e n t d'un contrat de véridiction. U n
programmes d'action distincts); contrat de véridiction, c'est un croire-vrai installé aux deux e x t r é -
— enfin, des c o m p é t e n c e s spécifiques sont affírmées et les roles hié- mités de la communication, entre 1'énonciateur et P é n o n c i a t a i r e ; or
rarchisés (la clarté sera une qualité a c c o r d é e par l'énonciataire- cet equilibre, plus ou moins fragile, resulte d'un véritable é c h a n g e :
client). d o n / c o n t r e - d o n ; c'est pourquoi i l est legitime de parler de contrat.
Aussi le concept de clarté apparait-il comme le choix fait d'une cer- «Si, en parlant de la véridiction, nous employons le terme de contrat,
taine relation entre banquier et client : une relation c o n ç u e comme ce n'est pas dans j e ne sais quel sens m é t a p h o r i q u e , mais parce que la
une « bonne distance », f o n d é e sur la reconnaissance de la c o m p é t e n c e communication de la vérité repose sur la structure d ' é c h a n g e qui lui
et de la s o u v e r a i n e t é du client et caractérisée en outre par une foca- est sous-tendue. En effet, 1'échange le plus é l é m e n t a i r e de deux objets
lisation sur l'objet m ê m e de la relation bancaire, sur son essence : la de valeur — une aiguille contre une c h a r r e t é e de foin, par exemple
fiducie. De ce point de vue, le choix d'un concept comme la clarté — p r é s u p p o s e la connaissance de la "valence" des valeurs é c h a n g é e s ,
la "connaissance de la valeur" n ' é t a n t rien d'autre que le savoir-vrai
pour organiser 1'ensemble d'une communication bancaire releve
sur les valeurs-objets. Dès lors, le marchandage qui precede, recouvre
d'une « p h i l o s o p h i e substantielle», au sens que nous donnons à ce
et conditionne 1'opération gestuelle de 1'échange se presente comme
terme (p. 205).
56 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 57
un faire cognitif reciproque, c'est-à-dire comme un faire persuasif la c o n f o r m i t é entre le paraitre et 1'être d'une action, d'un comporte-
ayant en face de l u i un faire i n t e r p r é t a t i f tout aussi exigeant, et ment ou d'un p r o p ô s . A u t r e m e n t dit encore, Fouverture se situe nar-
inversement. Ces deux discours cognitifs cependant qui manipulent de rativement bien en amont d'une entreprise ou d'un contrat (c'est le
m a n i è r e différente, à 1'aide d'un savoir-faire a p p r o p r i é , le savoir sur g o ú t des «voies nouvelles») alors que la clarté implique un souci du
les valeurs ne constituent que les p r é l i m i n a i r e s de 1'échange qui ne se r é g l a g e ou du calage entre les deux sujets d'une communication. Bref,
fait, l u i , q u ' à la suite de la conclusion du c o n t r a t » . 7 Fouverture, ce peut ê t r e la p r é h i s t o i r e d'un contrat, mais ce n'est
C o n s i d é r o n s maintenant le caractere direct. Direct, toujours en pro- pas le contrat : un univers nouveau s'ouvre, nouveau et encore insé-
jectif, qualifiait u n tout autre caractere. I I signifiait «1'efficacité, la curisant. Cette dimension non contractuelle de Fouverture fait mieux
franchise, la virilité» ou encore «la rigueur et la vigueur : on n'est comprendre les t h è m e s illustrés par les collages r e p r é s e n t a n t Fesprit
pas là pour faire plaisir». Là encore, une c o m p é t e n c e était reconnue, ou le caractere ouvert : Faventure, Foriginalité, la m a r g i n a l i t é avec
essentiellement définie selon un pouvoir-faire (puissance, vigueur, effica- des photos de Cousteau, du tennisman Gerulaitis, d'Yves Montand en
cite'...), mais ce caractere se comprenait et s'appréciait dans des situa- habit d'artiste de music-hall et celle d'un « m é d e c i n du m o n d e » , le
tions o ú les relations ne sont pas — ou ne sont pas encore — t h è m e aussi de la malice avec la reprise de la publicite pour la Fiat
contractuelles, ou encore dans des situations oú les relations contrac- Panda («la voiture à malices»).
tuelles doivent ê t r e considérées comme des programmes d'usage à Si Fon reprend maintenant Fensemble des différences et des ressem-
1'intérieur de contextes essentiellement conflictuels (regard tendu blances qui organisent les positions respectives que prennent les cinq
de B. Borg au service, sortie entre n é g o c i a t e u r s japonais...). Ainsi, caracteres les uns par rapport aux autres et qui font ressortir la spéci-
contrairement à celui qui est clair, celui qui est direct a p p a r a í t plus ficité de la clarté, on remarquera que ces caracteres se comprennent
soucieux de son propre pouvoir que de celui de 1'énonciataire, du des- et se disposent par rapport à une organisation narrative : par rapport
tinataire de ses p r o p ô s ou de son comportement; 1'heure est encore au à une histoire qui commence par la possibilite d'une rencontre et
d é p l o i e m e n t des stratégies respectives, aux manipulations reciproques. qui raconte ensuite Finstallation d'une confiance, la réalisation d'une
Ouvert, enfin, caractérisait quelqu'un de curieux, d'attentif aux mission ou la concrétisation d u n e certaine façon de vivre, puis la
autres : « q u e l q u ' u n qui sait é c o u t e r et a g i r » . L'ouverture signifiait «le reconnaissance d'une a d é q u a t i o n entre ce q u ' i l était convenu de faire
g o ú t des voies nouvelles et de la vitalité c r é a t r i c e » . Les portraits cha- ou de dire et ce qui a é t é fait ou dit. Le paradigme des caracteres pos-
leureux du commandant Cousteau ou de la nation italienne, d o n n é s sibles pour le C r é d i t du N o r d peut ainsi se construire sur cet enchai-
pour illustrer le caractere ouvert, en faisaient un concept apparem- nement des « é p i s o d e s » d'un récit. Ils se comprennent selon un
ment assez intéressant, conjuguant disponibilité et dynamisme. Mais schéma narratif qui raconte la banque. Qu'est-ce qu'un s c h é m a narra-
une telle définition projective indiquait assez que Fouverture est le tif? Quelle est Fhistoire de ce concept? Etant d o n n é qu'il s'agit là
fait d'une personne en position d ' é n o n c i a t a i r e . C é t a i t donc le ban- d'un des « o u t i l s » de la sémiotique dont Fusage, à notre e x p é r i e n c e ,
quier qui, cette fois, était celui qui é c o u t a i t et recevait. Bien plus, i l dépasse largement le cadre de Fanalyse d u n e communication ban-
ne s'agissait que de r é c e p t i o n et non d ' i n t e r p r é t a t i o n : celui qui est caire, fút-elle globale, a r r ê t o n s - n o u s ici un moment. Le lecteur se
ouvert ne statue pas sur le dire-vrai de ceux qui lui parlent, a fortiori rappellera q u ' i l peut passer ces quelques pages en caractere différent
n'a-t-il pas déjà conclu quelque contrat. L'ouverture precede 1'accord s'il veut poursuivre le récit de Fexploration et de 1'exploitation du
sur la valeur des valeurs. L'ouverture est une disponibilité, une capa- concept de clarté pour la communication du C r é d i t du N o r d .
cite a n t é r i e u r e à toute entreprise et m ê m e à tout engagement; elle ne
signifíe pas, comme c'est le cas de la clarté, le souci de faire accepter
fiante et située à un niveau plus profond que la simple linéarité de la selon la conformité ou la non-conformité de 1'action réalisée par rapport au
manifestation discursive, permet de postuler 1'existence d'un schéma nar- contrat. Les deux séquences — contrat en amont d'une part et sanction
ratif organisateur, 1'articulation logique de ce schéma donne, au contraire, en aval d'autre part — sont en fait symétriques. Au moment du contrat,
1'image d'une "succession à rebours". Les trois épreuves, pour ne par- le maitre du contrat — le Destinateur — qui incarne le système de valeurs
ler que d'elles, se succèdent effectivement, sur la ligne temporelle (ou gra- exerce un faire persuasif sur le Sujet qui, lui, exerce un faire interprétatif
phique), les unes aux autres, mais il n'existe aucune necessite logique pour qui va 1'amener à accepter ou refuser le «deal». Par contre, au moment de
que 1'épreuve qualifiante soit suivie d'une épreuve décisive ou que celle- la sanction, c'est le Sujet qui va exercer un faire persuasif auprès du Desti-
ci soit sanctionnée : que d'exemples de sujets compétents qui ne passent nateur — appelé alors Destinateur-judicateur — pour obtenir la reconnais-
jamais à 1'action, que d'actions méritoires jamais reconnues! La lecture à sance de la bonne réalisation de son action; et c'est le Destinateur-
rebours installe, au contraire, un ordre logique de présupposition : la judicateur qui va exercer un faire interprétatif, qui va examiner si le paraítre
reconnaissance du héros présuppose l'action héroíque; celle-ci, à son tour, correspond à 1'être des choses. Nous revoici en terrain connu? Concluons
présuppose une qualification suffisante du héros (abstraction faite, évidem- cette petite histoire de 1'élaboration du schéma narratif en indiquant que ce
ment, du dispositif des valeurs de vérité qui, en surdéterminant différemment moment oú le Sujet travaille à se faire reconnaítre, c'est 1'épreuve glori-
les épreuves, introduit de nouvelles variables). L'intentionnalité du discours fiante, désormais restituée, mieux circonscrite dans 1'économie générale de
narratif, simple hypothèse au départ, trouve sa justification, à la manière la narrativité.
du développement de 1'organisme en génétique, dans 1'agencement logique Présentons maintenant 1'armature générale du schéma narratif, en en souli-
reconnaissable après coup»' .0
gnant précisément la symétrie :
II y eut encore deux grandes autres étapes dans la construction du schéma
narratif, tel qu'on peut le représenter aujourd'hui.
LE SCHEMA NARRATIF
Tout d'abord, 1'analyse du noyau central du récit, de la performance du héros
qui remplissait sa mission et par là se róalisait, a montré que cette perfor-
mance se concevait dans le cadre d'une confrontation : seule la présuppo- CONTRAT SANCTION
sition d'un anti-Sujet pouvait faire comprendre ces épreuves, ces rapts, ces
Dans le cadre d'un Comparaison du
traítrises ou ces dominations qui faisaient du héros le Sujet d'un parcours système de valeurs, COMPÉTENCE PERFORMANCE programme réalisé
narratif. II convenait donc de proceder à un dédoublement du récit, de consi- propositlon par le avec le contrat à
dérer qu'il y avait le parcours d'un Sujet et le parcours d'un anti-Sujet. Du Destinateur et Acquisition de Réalisation du remplir:
même coup, le héros n'était jamais le héros que selon tel point de vue — acceptation par le 1'aptitude à réaliser programme, ou "épreuve glorifiante"
selon telle axiologie, tel système de valeurs. Selon le point de vue contraire, Sujet d'un programme un programme, ou "épreuve décisive" (côté sujet) et
àexécuter "épreuve qualifiante" "reconnaissance"
il apparaissait comme une franche crapule. Considérer que le Christ, le Petit
(côté Destinateur/judicateur)
Poucet ou le pansement Urgo sont des héros est affaire de point de vue —
d'investissement axiologique, pour parler jargon. II convient — narrativement
parlant, bien sur! — de réhabiliter Judas, 1'ogre et le cutter.
Pour les besoins de lexploration du concept de clarté, nous avons surtout
Seconde grande étape. Le croisement même des parcours de ces deux
parle du contrat et de la sanction; parlons un peu de la compétence et de
Sujets et la reconnaissance de deux logiques de valorisation contraíres
la performance. La performance, c'est le faire-être; la compétence est ce
amenaient à concevoir l'existence d'un encadrement axiologique : l'action
qui fait être. Cette double définition est bien abstraite mais elle presente le
d'un Sujet est encadrée par deux «épisodes» oú la question des valeurs
grand avantage de definir compétence et performance par leur relation (un
— et de la valeur des valeurs — est la question centrale : 1'établissement,
tic chez les sémioticiens!): une relation de présupposition. La performance
en amont de l'action, d'un contrat et, en aval, le rappel de ce contrat et
présuppose la compétence. Si l'on prend le verbe faire pour dénommer la
son achèvement par une sanction, celle-ci pouvant être positive ou négative
performance, la compétence se definira par 1'organisation et la hiérarchie
des modalités du devoir-, du vouloir-, du savoir- et du pouvoir-faire, c'est-à-
1 0 A . J . Greimas, ibid., p. 10-11. dire par ce qui rend un sujet apte à se réaliser en réalisant son programme
Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 63
d'action. Pour tuer le dragon, le héros va, par exemple, gagner une épée et offre à ce propôs une belle diversité de compétences syntagmatique-
un cheval (un pouvoir-faire) et trouver le plan de la grotte (un savoir-faire). ment définies.
Cest un exemple; en voici un autre : le curriculum vitae. Un cv, c'est un Souvent, le héros beneficie de 1'aide d'un autre «personnage». Aussi
véritable petit schéma narratif. On s'y met en valeur, on raconte : souvent, un autre le gene et contrarie son projet. En fait, ces personnages
représentent, sous la forme d'acteurs, des augmentations ou des déperdi-
— son sens des responsabilités ou son sérieux (le postulant sera un «bon
tions de competence. Celui qui aide — et qui est appelé pour cela un adju-
sujet», selon le devoir-faire);
vant — est une sorte d'extériorisation du pouvoir-faire du Sujet sous la forme
— sa motivation, sa force de caractere (vouloir-faire); d'un autre acteur. Celui qui contrarie 1'action du Sujet represente, selon la
— ses diplomes et son expérience (savoir-faire); même logique, un ne-pas-pouvoir-faire; il est appelé 1'Opposant. On retrouve
— enfin, sa disponibilité («mariée, des enfants?») ou sa puissance de travail donc encore ce phénomène de dédoublement du récit, transversal en fait
(«quel âge?»), c'est-à-dire son pouvoir-faire. aux quatre grandes séquences du schéma narratif. Uenseignement à retenir
est la nécessaire distinction entre les différents roles et statuts narratifs; et
Le poste convoité, parmi ceux offerts dans 1'annonce, représentera la perfor-
leurs représentations sous la forme d'acteurs, la correspondance ne se fai-
mance; les «prétentions» et le plan de carrière souhaité la sanction. Quant
sant pas toujours terme à terme. Nous verrons cela lors de la présentation
au contrat, 1'envoi même du cv mais aussi quelques hobbies bien choisis
de la syntaxe narrative (p. 109).
se chargeront de signifier 1'acceptation virtuelle de 1'offre et le système de
Enfin, là aussi pour annoncer ces pages consacrées à la syntaxe narra-
valeurs auquel on adhère (qui se trouve être bien súr três proche de celui de
tive, plus «profonde» que le schéma, nous rappellerons au lecteur cette
1'entreprise, si l'on en croit sa présentation et son logo!).
notion d'épreuve, qualifiante, décisive, ou glorifiante, qui suggère 1'existence
Le Sujet concerne par le schéma narratif peut-être collectif: une entreprise,
d'unités narratives plus petites ou plutôt plus invariantes. Le schéma narratif
un groupe industriei, une collectivité locale ou territoriale. Mais ce Sujet
est un modele particulièrement intéressant pour analyser un projet de vie ou
peut-être... un objet : un appareil électroménager, pourquoi pas! Comment
un projet d'entreprise, ou encore les lettres de voeux d'un dirigeant à ses
le design d'un robot-multifonctions raconte-t-il son contrat avec 1'utilisateur,
personnels (l'occasion de sanctionner 1'année écoulée et de contractualiser
sa puissance, sa docilité et son intelligence (sa competence), ses fonctions
la nouvelle). Son intérêt reside aussi dans sa grande généralité. Cela dit, il
elles-mêmes (sa performance) et sa quête de reconnaissance d'un travail
doit être conçu comme le lieu de croisement de différents parcouís narratifs
bien fait (sa sanction)? Nous ferons trois remarques pour clore cette présen-
et d'une démultiplication de ceux-ci. L'Adjuvant, dans un récit complexe, a
tation du schéma narratif; deux concernem encore la competence, la troi-
lui aussi son propre programme, et donc son propre contrat, sa propre com-
sième concerne la syntaxe narrative sous-jacente au schéma narratif.
petence à acquérir... et, pour ce faire, il peut avoir la chance de rencontrer
Nous avons defini plus haut la competence comme une organisation et une
lui-même un Adjuvant. Cest ainsi qu'une banque régionale avait choisi pour
hiérarchie de modalites. Précisons. La competence d'un sujet ne se définit
signature «une grande banque pour une grande région».
pas par une simple addition de modalites. Elie se définit par la façon parti-
culière dont une modalité régit une autre modalité : «quand on veut, on
peut!, là oú il y a une volonté, il y a un chemin»; le volontarisme peut se
Voilà le schéma narratif presente. Puisque nous revenons mainte-
definir par une certaine hiérarchie des modalites. On peut dês lors envi-
nant à notre concept de clarté et à 1'univers bancaire, indiquons au
sager une caractérologie modale ou, certains caracteres ainsi definis étant
donnés en exemples, aborder le problème des idéologies ou des éthiques. passage que le schéma narratif permet souvent d'organiser les effets
Une autre définition des compétences est possible, une définition syntagma- de sens produits par les logos ou les projets de logos, bancaires et
tique : les littératures nous fournissent bien des exemples de compétences financiers par exemple, et de montrer ainsi à quel point un logo est
três différentes selon 1'enchaTnement, le processus d'acquisition des moda- déjà un récit de l'entreprise — un récit qui privilegie, de par ses effets
lites. II y a des héros qui disposent déjà du pouvoir, du savoir mais qui ne de sens, telle ou telle séquence du schéma narratif. Certains logos
seront compétents, aptes à remplir leur mission, qu'après avoir acquis enfin racontent la philosophie et la mission de la banque, d'autres sa puis-
un vouloir ou un devoir. D'autres sont d'emblée des sujets du vouloir mais sance ou son intelligence, d'autres encore sa relation au client ou
doivent rechercher et acquérir les autres modalites pour agir. La publicite son peu de souci d'être reconnu. Nous donnerons ci-dessous quelques
64 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 65
effets de sens produits par des logos d'organismes financiers (banques avons parle du mode particulier de d é p l o i e m e n t qu'induisait la clarté,
et assurances) a u p r è s de leurs cibles, effets distribués sur le s c h é m a à l'analyse du signifié de certaines de ses définitions ou de certains de
narratif :11
ses synonymes. Cest cet acquis de 1'exploration du concept qui va per-
mettre au sémioticien de donner quelques indications sur son exploi-
contrat compétence performance sanction tation visuelle et spatiale. Nous avons m o n t r é que la clarté qualifiait
solidaire fragile un espace lumineux dont les unités sont identifiables g r â c e aux dis-
gagne-petit m'as-tu-vu
humaniste dynamique interactif suffisant c o n t i n u i t é s et aux articulations ici s y s t é m a t i q u e m e n t privilégiées. U n
charitable ambitieux touche à tout fier tel d é p l o i e m e n t peut ê t r e defini comme classique. Si nous disons
roublard usé arnaqueur modeste « d e f i n i » , c'est que cette conception classique va ê t r e caractérisée par
facho puissant innovant prétentieux rapport à une autre conception, baroque, à partir de cinq grandes
timoré secret catégories concernant le role a c c o r d é à la ligne, le traitement de la
resigne
« t r o i s i è m e d i m e n s i o n » , 1'attention p o r t é e au format ou aux limites de
Une telle distribution — si grossière soit-elle — va inciter celui qui 1'ceuvre, 1'autonomie plus ou moins a c c o r d é e aux parties par rapport
poursuit 1'analyse sémiotique à : au tout et enfin à la qualité de la l u m i è r e et sa relation à la forme. La
conception classique sera donc bien définie, c'est-à-dire — pour un
a / chercher si les effets de sens produits par la typographie du bloc-
sémioticien — interdéfinie : par rapport au baroque et sur un certain
marque et par 1'architecture des agences sont identiques ou, s'ils
nombre de niveaux. De plus, i l convient de noter, avant m ê m e de
sont différents, en quoi ils peuvent ê t r e c o m p l é m e n t a i r e s ou
revenir sur chacune de ces catégories, qu'elles définissent une concep-
contradictoires;
tion classique i n d é p e n d a m m e n t de sa réalisation historique à telle
b / identifíer les qualités formelles et chromatiques qui, par leur
é p o q u e — i l sera ainsi legitime de parler de classicisme contemporain
apparition ou disparition, constituem les signifíants de ces effets
— et i n d é p e n d a m m e n t aussi de telle ou telle substance : la peinture,
de sens à conserver ou à é l i m i n e r ;
l'architecture, la sculpture — i l sera ainsi legitime de parler de logo,
c / disposer sur les autres séquences du s c h é m a narratif induit par le
de design ou d ' i d e n t i t é visuelle classiques, nous y reviendrons. La
logo les autres discours tenus par la m ê m e société, pour a p p r é -
définition que nous allons d é v e l o p p e r est donc sémiotique, ou p l u t ô t
cier ainsi le role j o u é par le logo dans 1'économie g é n é r a l e de
sa communication. 11 conviendrait de dire p r o t o s é m i o t i q u e : elle est le fait de 1'historien
de l'art H . Wõllflin qui — bien avant qu'on ne parle de s é m i o t i q u e
mais, i l est vrai, en 1915 c'est-à-dire à une é p o q u e aussi proche de
Le classicisme de la clarté : une esthétique de marque celle de Saussure que de celle de Propp — a c o n s a c r é ses Príncipes
fondamentaux de Vhistoire de Vart à 1'interdéfinition de ces deux formes
signifiantes que sont le classique et le baroque . 12
Avant de parler de la c l a r t é comme d'une figure visuelle du contrat O n a donc ici 1'exemple de Fapport de 1'histoire de l'art à 1'analyse
de véridiction établi entre deux sujets communiquant ensemble et leur sémiotique ainsi q u ' à 1'exploitation systématique et rationnelle d'une
garantissant quelque equilibre entre leurs croire-vrai respectifs, nous qualité visuelle. Venons-en aux cinq catégories (en indiquant en pre-
mier le trait qui correspond à la vision classique, par exemple : style
« l i n é a i r e » , classique, — vs — style « p i c t u r a l » , baroque).
11 Ces effets de sens, recueillis lors de réunions de groupes, sont juste ici distingues
selon les quatre séquences du schéma narratif. Naturellement, il s'agit, dans une étude,
de les organiser véritablement. C e s t ainsi que les effets de sens relevant de la c o m p é -
tence sont à organiser selon la distinction et la hiérarchisation des quatre modalités : H . Wõllflin, Príncipes fondamentaux
1 2 de Vhistoire de Vart, dernière réédition française :
vouloir et devoir, savoir et pouvoir. Brionne, E d . G . Montfort,1984.
66 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 67
Nous revoilà donc revenus au contrat de véridiction! Avant de surtout de la sensibilité de ceux qui étaient chargés de 1'élaboration
poursuivre, représentons de façon synthétique et frontale l'interdéfi- de cette identité visuelle. Cest un peu comme si la sémiotique avait
nition de ces deux visions o u esthétiques contraíres que sont le clas- f o u r n i une langue; i l restait 1'essentiel : prendre la parole, produire
sique et le baroque : un discours.; Citons quelques-uns de ces príncipes :
— le príncipe de frontalité,
VISION VISION — la distinction des différents plans rencontrés par le regard o u
CLASSIQUE BAROQUE éprouvés lors d'un parcours,
— 1'affirmation des lignes-contours,
LINEAIRE vs PICTURAL — la soumission de la lumière à la forme,
— 1'ajustement des formes et des motifs architecturaux à 1'ensemble
Ligne-contour signifiante Ligne simple élément de hachure
de la façade o u de 1'intérieur d'un espace. /
PLANS vs PROFONDEUR
Ces príncipes concernent la façon de traiter le déploiement d'une
Division de Pespace Mouvement prenant toutes surface o u d ' u n espace; ils n'imposent a p r i o r i aucune couleur o u
en zones parallèles choses en profondeur gamme chromatique, pas plus qu'ils n'exigent qu'on travaille sur telle
FORME FERMEE vs FORME OUVERTE
forme ou tel m o t i f architectural. O n peut être classique en choisissant
des couleurs froides ou des couleurs chaudes, en travaillant sur des
L'organisation plastique prend La forme (format) carrés, des rectangles ou des ronds, ou encore en adoptant tel type de
en compte les qualités du formai semble fortuite
fénêtre ou de sas d'entrée... à condition que la luminosité de ces cou-
MULTIPLICITE vs UNITE leurs ne nuise pas à la netteté des contours par u n phénomène de
réfraction, que la transparence de certaines cloisons ne produisent pas
Une (relatíve) autonomie est Toute partie perd son droit u n effet-mirage (un paraitre qui ne correspondrait pas à u n être) et
accordée aux différentes parties à une existence autonome
que les motifs choisis puissent acquérir cette autonomie que recherche
CLARTE vs OBSCURITE la vision classique. Laissons au lecteur le plaisir d'analyser la façon
dont Le Creative Business a travaille selon ces príncipes pour definir
La forme se dévoile La lumière ne coincide plus
dans sa totalité le nouveau concept d'agence de la banque, en tous cas ici 1'agence-
avec la forme de 1'objet
ment de la façade, et pour résoudre les problèmes techniques et
esthétiques que posait une rénovation qui fút manifeste, rapide et
Analyser la clarté comme la figure visuelle d ' u n contrat de véridic- relativement peu coúteuse. Nous ne pouvons ici reproduire et analy-
tion et 1'inscrire dans le schéma narratif permettait d'en proposer ser la conception des espaces intérieurs des agences remodelées par
une exploitation en termes de discours sur le métier de la banque, et Le Creative Business; disons simplement que cette conception releve
sur la relation fiduciaire entre banque et client. Analyser cette fois la finalement de véritables «jeux optiques», d'une scénographie de la
clarté comme une des composantes de la vision classique permettait de véridiction et du contrat, comme o n a pu parler de scénographie d u
donner quelques indications concrètes sur ce que pouvait être 1'iden- Pouvoir à propôs d'architectures d u X V I , x v i l , et X I X siècles. En
C e e
tité visuelle d u Crédit d u N o r d , à partir d u moment oú celui-ci voulait parlant de j e u x optiques, nous faisons référence aux travaux d'E. Lan-
être la banque de la clarté. En fait, i l conviendrait de parler moins dowski, sémioticien des discours sociaux, sur les regimes de visibilité
d'indications que de príncipes ou d'axes de création.Jcar tout restait et les confrontations modales de l'être-vu entre différents partenaires
à faire et tout dépendait encore de 1'expérience, de 1'intelligence et sociaux. La conclusion de son propôs indique assez la pertinence de
74 Sous les signes, les stratégies Une étoile est née 75
la marque doit-elle proceder d'une définition p r é a l a b l e de son esthé- p r o x é m i q u e (ce cube est-il vu d'en haut et de la droite ou d'en bas et
tique. Cest bien súr le cas d'un logo. Et ce fut bien le cas de 1'étoile de la g a ú c h e : en p l o n g é e ou en c o n t r e - p l o n g é e ? ) , ce logo, contraire-
du C r é d i t du N o r d . ment à la quasi-totalité des autres logos bancaires existants , n'assu- 14
CréditduNord
LE REFUS DE L ' E U P H O R I E
UN DÉSACCORD ENTRE LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES
ET MÉDECINS GÉNÉRALISTES
Voici comment le codage semi-symbolique est réalisé dans les deux ne sont donc pas lies à une manifestation p a r t i c u l i è r e , verbale ou non
langages de manifestation de 1'annonce, comment sa réalisation peut- verbale. O n conçoit que les systèmes semi-symboliques constituent
ê t r e à la fois visuelle (dans 1'image) et sonore (dans le slogan : « Take a un troisième type é t a n t d o n n é qu'ils r e l è v e n t d'une autre forme de
Break in T h e R u s h » ) : sémiosis, d'une autre relation entre expression et contenu.
Les douze c a t é g o r i e s visuelles.
Oimension v i s u e l l e Dimension l i n g u i s t i q u e C o n s i d é r o n s maintenant les douze catégories visuelles que 1'analyse
de l'annonce de 1'annonce systématique des cent trente annonces a reconnues comme constitu-
c o m p o s i t i o n en c o m p o s i t i o n en tives du plan de l'expression de la communication publicitaire des psy-
régularité — irrégularité chotropes. O n a mis entre p a r e n t h è s e s le nom des psychotropes qui,
ou ou
chromatisme c h r o m a t i sme consonnes consonnes
dans leurs annonces, exploitent plus p a r t i c u l i è r e m e n t telle ou telle
par s a u t s p a r degrés occlusives constrictives catégorie :
— Clair vs sombre (Sedatonyl, A t h y m i l , Cantor, Victan, Anafra-
discbntinuité continuité nyl, Deparon).
y_5
/identité/ /altérité/ — Nuancé vs contraste (Laroxyl).
— Polychromatisme vs mono chromatisme ( T r a n x è n e 50, Conflictan,
d i scours d i scours ~initiative pari icipation Urbanyl, Laroxyl). Le monochromatisme peut ê t r e figure par des
personnel d'aut r u i d'un arrêt vs à l a ruée
murs u n i f o r m é m e n t grisâtres ou v e r d â t r e s , le polychromatisme, l u i ,
par la palette d'un paysage, un are en ciei ou encore un plu-
permanence unes
vs »-j• mage bariolé.
du j o u r n a l — quot1diennes
ou ou — Traitfin vs trait épais (Athymil). Dans 1'annonce « A t h y m i l états
choi x clichés
dépressifs», un petit village de campagne est dessiné aux traits fins
rédactionnel vs rapportés
ou ou dans la seule trace claire oú apparaissent le nom du produit et
photographies vs événements sa définition chimique internationale; partout ailleurs que dans cette
trace qui semble réalisée par un coup de chiffon sur une vitre sale, le
Maintenant pourquoi parler de système « s e m i - s y m b o l i q u e » ? Pour paysage, sombre et couvert, est dessiné en traits épais.
distinguer ce type de système des deux autres types definis par — T r a i t continu vs trait discontinu (Dipiperon, Stresam, Alival).
L . Hjelmslev : les systèmes symboliques et les systèmes sémiotiques L'annonce Dipiperon montre une fígurine humaine s u r m o n t é e d'une
proprement dits. Les systèmes symboliques, ce sont les langages dont colombe tenant dans son bec un rameau; 1'ensemble est dessiné d'un
les deux plans — le plan de 1'expression et le plan du contenu — sont trait fin continu. A 1'opposé de cette r e p r é s e n t a t i o n d'un état paisible
en c o n f o r m i t é totale; à chaque é l é m e n t de l'expression correspond un (euphorique, ou du moins non-dysphorique), on peut citer 1'annonce
et un seul é l é m e n t du contenu, à tel point q u ' i l n'est plus rentable Stresam oú le mot a n x i é t é est écrit en lettres d é c h i q u e t é e s , et
de distinguer encore les deux plans puisqu'ils ont la m ê m e forme. Les celle d'Alival, reproduisant une gravure de T r é m o i s et montrant un
langages formeis sont de ce point de vue des systèmes symboliques, « m a l a d e triste, fatigue, qui a perdu le g o ú t de vivre, d ' a g i r . . . » , t ê t e
comme le s é m a p h o r e ou les feux de circulation r o u t i è r e . Les systèmes r e n v e r s é e face à une p l a n è t e volant en éclat — le dessin de T r é -
sémiotiques proprement dits, ce sont les langages o ú i l n'y a pas de mois, comme à 1'habitude, est incisif et privilegie ici les biffures et
c o n f o r m i t é entre les deux plans, o ú i l faut donc distinguer — et étu- les hachures.
dier s é p a r é m e n t — expression et contenu. Les « l a n g u e s n a t u r e l l e s » — Plan net vs plan fiou (Lexomil, A t r i u m 300). Jouant la profon-
(le français, le russe...) constituent le type m ê m e de tels systèmes qui deur de champ, les photographies de Lexomil representem des indi-
90 Sous les signes, les stratégies
EFFETS IN0ÊSIRAB1.ES :
eglace amidonde "Z. acido algm Ceu. des neurolepliques, 1 sevo» phénom.
. . . :l • ••• < a-- f P" *'
Goutles***'» p ml{20 goulles) p fiacon
E.cepnonnellemeni I I M l possiol* d'observer. c
Pipampofone (DCII dictiiornydrati loul neuioleptiQue. des dyskinesia» lardivea su
(DCDbase
Conte rvaieui
ique
l_e Oipiperon esl un medicament psycnolrope, dont la pam-
Cularile «sl une acliO" éleclive sur le comporlemenl.
I numeur. I agressivilé i impulsivité el les reaclions clasli
oues el aniisociaies Celie propiiéií o naimonis?non des
'< "ÔZZ
rapporis s accompagne d une action normaiisalnce du
riiques. níviotiques.
10 a 40 glies
PRAGMAZ0NE 25
TABLEAU A
V.sa NL 21 .SiComn i A M M 313 00« S igoulles
r
Dipiperon
en debul de na.temem
TRADEMARK
m m
TRAZODONE
F o r m e « présenLitinn : t t l u t n (NMM •Wftl K>«e de 4
C o m p o c i t í o n : T n c u J u n c chltwhrJrMi p. zél.U : m
psychotrope
p. bt*U« I I0CV n n - Extipieni : U c U M , M n N f t . stéar.iCc
irupiésiuin. tak*. Tuniqut de U ^rlulr yjmtHkCi UMVtfe
itx pune, inJw'tine. h i w \ d e d e t i i j n c I V o p r í c t é i : L'acm
de P R A C i M A Z l > K E 2 S M r 4 « J e , U p l . » T J n a n w l i i < n i K >
up
des états
pipampérone K manifeitant rn PRUÍM d 'une IcfflMrw Indications : Et
arwiinièpremt* du sujer .iyr C o n l r e indicafiom : Ne p
1
anxio-
questj* de tomnolence, ipiniQlKfc** ecnajtmM éfé it^iw
M o d e d V m p l o i *t pOMilonk ! Mwm unte • W tn*ftu
ílrflule»* í Si»u;pjriii»ir,p.iri«ieí J * V | t m i s w r n > u v r U H
Cítut J u RawemnH H U I U S I M I . T 7 I T a H o w C AM
dépressifs
122.517 1 • G i m n i r u a U . n I W 0 - f V a : Ú j | F - f SIH
J A N S S E N - L E BRUN 5. r u e d e L u b e c k 75116 Paris • lei 723 6 1 6 2 RemKiureemcn' Sécutiti- S i v u l e i 7CHf - Ct4erv.HVM
U h M M O Í K I U P S A • I 2 , . t u , l^nmrt - 4 2 W R U t l
h
du 3 âge
è m e Labora toiros U P S f l
92 Sous les signes, les stratégies
Le refus de Veuphorie 93
vidus souriants devant des espaces urbains suggérés par les silt
houettes « b o u g é e s » d'automobiles et de personnages pressés. Cellç
d ' A t r i u m 300 represente le visage fiou d'une jeune femme alcooliqué.
Lautre maladie de votre
Le codage semi-symbolique ne régit pas seulement les couleurs, les malade
lignes et les surfaces; i l r é g i t aussi les qualités des composition g é n é -
rale des visuels. O n trouve ainsi les catégories suivantes :
— Forme simple vs forme complexe : Une annonce Myolastan titre
par exemple, « d é n o u e les muscles», et montre une corde n o u é e de
façon t r ê s complexe puis d é n o u é e .
— Forme syme'trique vs forme dissymétrique (Sédatonyl, Vivalan 100,
Droleptan, Pragmazone 25). Le calme et la sécurité r e t r o u v é s peuvent
ê t r e figures par le triangle isocèle d'une position de yoga (Sédatonyl)
ou de la silhouette d'un volcan éteint et majestueux (Droleptan); sans
reparler de la symétrie de la figurine à la colombe de Dipiperon,
citons encore la symétrie des deux mains tendues de Vivalan 100 et,
plus originale, celle du triangle forme par le « c o n t a c t r é t a b l i » entre
les g é n é r a t i o n s dans la vignette de Pragmazone 25, triangle lui-même
inscrit dans un c a r r é . Cette vignette s'oppose ainsi au visuel principal
de 1'annonce r e p r é s e n t a n t par deux moitiés d'une photographie déchi-
rées, la g r a n d - m è r e p r o s t r é e d'un côté et la relation complice entre
parents et enfant de 1'autre.
— Forme unique vs forme démultipliée (Tercian, A t r i u m 300, Can-
tor, Mogadon, Lysanxia, Mepronizine...). O n pourrait reprendre ici
!\?ín!r.j.if?í!.?''.«••t,'.;.'.'.. 0:.i;iif-<i;;i*s Ad^fe. Fv*w ".,i>-. 6ÍÍ,V ::>•• /[). ..çu^iv. .J-J^,. i* í.ísnváwtf.-de diftur
pour exemple le bloc typographique d é m u l t i p l i é e de Stresam cité plus !eífir.a.-,ií tfe-i r
;
:
aselagie í h
ÇmwQ$É9D.:. 0>':'.|.«>XÍ i;íi*t a iafci-Tinuíe Fíbarba/riííe (DCfi • 11'ATíl'i.íM Í00 fr. nas i}'-jt..iii;j,>r: «,nto«itar=te de t míraeptifs
st : OT
150fivgpar comprime i g » • b-íW; D»'ét;,s-'tta™te [DCl) 105 par comprime, iiíi!iser dertasages3 3C (oifíígraiTifneí dtriíjopiíwii i>tca.M(iont aerapiwÍNe pis
2.1 gpar btfi*. f'*é'irt»r!M.i! (DC!) 45 mg par comprir*. 0,9 giiar bofie. • « ; <v
haut; nous avons choisi p l u t ô t de reproduire l'annonce d ' A t r i u m 300 c.:'.ce cúfoiriai» Í.^I.IP. iniid&rs, fe. «!êars;e Je rrég^ít.vm. (j.s.p. r-. r.omprimé
u
KJmimtwef pendamfciutefa Jurec cí'i=n :.Mrt--"r!*n! i ; Ãr.-.i'uif .X 'atieJniòíí'sf •:
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attifée. ívstammení che; íes ísmjyí-t-ur;. õe vehir.i ie« "i !e*> utHiv>teurs se r-^-;h'r.tt
J
terminei 600 mt; wrtai,-PfqpriÉt*?;AMC tfc»e» haÉMtxMwMM uSteémw ;ur íes 'isques de SLsrineiefieç aftacníi i Pen-ipio* de ce •nétv-.ir.-iem. -L aiMc-rpiw
«tranquillisant antitremorique du malade buveur excessif» o ú une dinkjue. ATRIUM 300 Ml 4&nporUtQR>BM: -un trtrM)uilsani lafli effeí h)i*wg*nç.
- iiPi anrâiytique, • un inbsrfcjsoriiisje. ir.ijiçgtiprrc therape-utquef; Arwiete
sTaitooi pendant * faiíe.-neníestfe-iíieilewen; deconseiBee SurctaMfeti eywfa^
Jjr^eaCK : hnoadoton asgsiê: gHramienrs {yr..vant è«ohMT Vtn h-COffl*.
nêvrotjque tmportanl*, TreTCÍÍSOI-ti. •fcíí <riime;'ironíhje. - Etati de "rartt^sfit: diurtie .
série de verres-ballons à demi remplis sont p h o t o g r a p h i é s en enfilade, :
que des qualités topologiques de 1'espace signifiant et non de celles Atrium 300. Tranquillisant antitremorique
de 1'espace signifié (celui qui est represente) dont nous allons b i e n t ô t
rendre compte. Deux catégories topologiques i n t è g r e n t elles aussi le
du malade buveur excessif.
codage semi-symbolique : K!OH lABOftATOiftB CFHM
RCXJTÍ Dí MARiAJ . MaaRlOM CCEKX - TÉLEPHONE : (73) 38.07.35
— Haut vs bas (Stresam, Myolastan, Sédatonyl). I c i , contrairement à Synapx, ftvekr SS. n' 10
Dropéridol (D.C.I.)
FORMES ET PRESENTATIONS : En cas d hypeilhermie non expliquée el s accompagnanl de pàlei
Soloíé m/eclab/e á 0.5 % . Flacorvampoule de.10 ml Iroubles végélattts. le iraiiement doit éirp suspendu en ratson de l é v i
Solaté Duvable ã 2 % Flacon compte-gouties de 30 ml d un " syndrome m a l m " des neurolepltquíís
urbanyl
orthostalique
Conservateuts . parahydroxybenzoates de melfiyie e l de propyle Enceptionnellemeni il esl possible d observer comme avec tout neuroiepiique
des dyskmésies lardives survenant lors de cures prolongees
SORT DU MEDICAM ENT :
Chez le rat. apfès admimstration sous-cutanee I excrélion de Drolepian tntie MODE DEMPLOI ET POSOLOGIE :
dans l u n n e et les fèces esl max.male en 24 heures e l totale en 72 heures • Elats dagilalion
La déalkylation oxydative, pnncipale voie metabolique. aboulit á la formalson La posologie dépend de l é i a i d agilalion du maiaoe de son ãge et de sonpoids
d a c i d e 8-<p-fluorobenzoyl) propiomque - Ttaitement d aitaque
ce polychromatisme est o p p o s é au monochromatisme des bandes p u L'exploitation de la verticalité de l'espace represente peut m ê m e se
paysage campagnard ne correspondam pas à l'un des dosages possibles retrouver dans tel ou tel effet de perspective. Ainsi, par une forte
pour les anxieux. T o u t se passe donc comme si 1'iconographie popu- p l o n g é e , on peut installer celui qui regarde Pimage en position haute
laire fournissait aux créatifs un m a t é r i a u constitué en un système sym- c'est-à-dire en situation euphorique : le jeune cadre auquel on a pres-
bolique (1'arc en ciei : le renouveau, la colombe au rameau : la paix crit Lysanxia emerge d'un univers à la Wall-Street pour venir saluer
r e t r o u v é e . . . ) toujours r é o r g a n i s a b l e et r é e x p l o i t a b l e selon un sys- de la main son m é d e c i n traitant. La c o n t r e - p l o n g é e produira 1'effet
t è m e semi-symbolique. inverse, et un changement de role : dans 1'annonce Tercian, le regard
O n vient de parler de la seule dimension plastique de la communi- du lecteur, assimile au patient, s'élève vers le ciei dans 1'interstice de
cation psychotropes, du couplage de douze catégories de 1'expression deux gratte-ciel.
avec la c a t é g o r i e du contenu : euphorie vs dysphorie. Mais 1'analyse
du contenu des annonces de cette communication montre que leur
dimension figurative est, elle aussi, soumise à un codage du m ê m e
type. La m ê m e c a t é g o r i e thymique y est s y s t é m a t i q u e m e n t couplée à
trois catégories qui sous-tendent les divers lieux, d é c o r s et mouve-
ments representes : les catégories de la verticalité, de la c l ô t u r e et de
Uísanxia
la r e p r é s e n t a t i o n e l l e - m ê m e , c'est-à-dire Haut vs Bas (de 1'espace signi-
Forme elpréjenlation :'.c!i|i'nn . ,i\jr". hfiilnile.nj Compnsiiion: r|ií^[-'A,i irjiiig Lmpenl:q.
v
ment adapte a la pratique infdn.,i;e u.Mr.vire. II -IÍMW. 1e:p|,l-j', ii.uvénl li vKilrtrn:i-«1 pi-rrwl 'ishitiiellíTiií
Jyl nu* • .IMÍ-CIC •,i-i)!if'1f! .:v.-:if nV'.i Mi''. "liinricsM;-rir.-, jv.yt M:i- n-i-ilif^i'". •.ii«ntf-
í 'ií-vi:
t-.jr-i;n'-,-,e:.f-i..n->:ir'íí-!'t Irm :-.IÍ«.-.:.T:I'.!Í.TIÍ' ••• flf-•'•Viyliiju*'-!! •Iru.itiif, il« ijContre-indicatian . yv.i*.|-irr f Pr^cautians rJ'emplot: C:j-n-npttiut niíoi
rlf • !• IVI-I', l.illfriNcr .»:! d[i(,fliv.-ii.il,,iiir.'.'ri1 ::hi'.-1.-. i-.virl.ir Curi ')>:• .• fhfl.uk". V. *• ri .-iini-i". *u' « ÍI.(|IRV-de -iTn »"L.Í-rfllrfi-hí»,,i 'f-rri|.liin1i'(f"!(!itii..-i
nication psychotropes est pleine d'envols, de survols, d'enjambements, 15ans.Fnpiatiquei'iíirli::,il('i::Hji.cilf>.l,: I.I.M:.:-^-!'
1
:
IÍCÍI- . ili'(;r|it€i-iniLJi!j'pfií.i!i.O(i -:--t !W.v:i-,- llcp f;'i rõnui' des í isq.ií», il»! :»:lenli.i-,.ilir:i POSOIORÍB et modn demplni: l\' |i„'wi:iniini-;lr>;i .1,1.1 1 iljrits de f SiJe
ti ;
Enfin, t r o i s i è m e c a t é g o r i e exploitée dans le codage de Fespace tique de F é t u d e et dire à quoi peut servir la reconnaissance d'un tel
represente, la c a t é g o r i e de la r e p r é s e n t a t i o n justement : espace abs- codage dans la c o m p r é h e n s i o n d u discours tenu par la communication
trait vs espace figuratif. Les espaces abstraits sont c o r r é l é s aux situa- psychotropes? O n r é p o n d r a que ce travail s'avère doublement utile : i l
tion dysphoriques, les espaces fíguratifs aux situations euphoriques. peut contribuer directement à la décision d'une stratégie de commu-
Ainsi Laroxyl — encore une fois — oppose le cube abstrait, noir nication pour tel ou tel psychotrope, et i l sert, indirectement, à definir
et vide o ú se trouve encore la quasi-totalité du corps de 1'homme ce qui peut ê t r e Forigine des distorsions du sens entre Fémission de
et Fespace ouvert et lumineux o ú se situe la branche multicolore que cette communication par les laboratoires et sa r é c e p t i o n par les m é d e -
ce dernier cherche à saisir. M ê m e opposition dans Fannonce Cantor, cins généralistes. Parlons d'abord de F i n t é r ê t direct. Par la reconnais-
déjà citée elle aussi, o ú le premier plan represente Fespace abstrait et sance de ce semi-symbolisme, laboratoires et agences savent q u ' i l
sombre d ' o ú s ' é c h a p p e le patient et F a r r i è r e - p l a n Fespace figura- n'existe j u s q u ' à p r é s e n t dans la communication psychotropes ni code
t i f et clair de la campagne idyllique vers laquelle i l court. D'ailleurs plastique ni code fíguratif — c'est-à-dire aucun code visuel — propre
cette perspective installée dans Fannonce Cantor (avant-plan abstrait à telle classe de psychotropes par rapport à telle autre : les m ê m e s
vs a r r i è r e - p l a n fíguratif), se retrouve dans Fannonce Dogmatil : une motifs iconographiques, les m ê m e s qualités visuelles de traitement de
jeune femme y ouvre une f e n ê t r e sur un champ de coquelicots. La Fimage peuvent se retrouver aussi bien pour les anxiolytiques que
c o r r é l a t i o n de Feuphorie avec Fespace fíguratif peut ê t r e i n t e r p r é t é e , pour les a n t i - d é p r e s s e u r s ou les hypnotiques. Les annonces nécessitent
selon nous, comme Fexpression du t h è m e de Fadaptation ou de la donc une accroche verbale — ou encore une signature de marque qui
r é a d a p t a t i o n du sujet à la réalité. De la m ê m e façon que nous avons convoque la m é m o i r e du lecteur — pour préciser la classe t h é r a -
schématisé le système semi-symbolique entre les douze catégories de peutique. De m ê m e , i l n'existe aucun code fíguratif ou plastique qui
Fexpression plastique et la c a t é g o r i e du contenu abstrait euphorie vs soit spécifique de telle action du m é d i c a m e n t : efficacité, d u r é e . . . O u
dysphorie, nous pouvons schématiser ainsi le système semi-symbolique encore : le fait que le codage soit en quelque sorte transversal par
des trois catégories du contenu fíguratif avec cette m ê m e c a t é g o r i e rapport aux différentes classes de psychotropes révèle Fabsence d'un
abstraite : discours de Fensemble des laboratoires sur les différenciations entre la
d é p r e s s i o n ou F a n x i é t é pathologique d'une part et Fangoisse, Finquié-
Haut vs Bas tude ou F a n x i é t é non pathologique d'autre part. O n ne discourt que
Composante sur la c a t é g o r i e fondamentale certes mais três g é n é r a l e de la thy-
figurative Ouvert vs Fermé mie, qui sous-tend Fensemble des passions. Pour les professionnels de
du contenu fíguratif vs Abstrait
la communication, i l est clair aussi q u ' u n tel codage peut a p p a r a í t r e
des a n n o n c e s
comme un véritable gaspillage : douze catégories plastiques et trois
catégories figuratives pour Fexpression et Fillustration d'un discours
Discours r , i-v u • somme toute basique sur la thymie! Cest beaucoup, surtout si les
, , . Euphorie Dysphorie
s u r la t h y m i e '
r r
m ê m e s professionnels en viennent à se demander si ce codage est
vraiment spécifique de la communication psychotropes, ou m ê m e tout
simplement de la communication pharmaceutique. Une recente cam-
Un discours basique sur la thymie pagne de Black &; White, par exemple, est là pour les conforter dans
leurs doutes . 4
I I reste que ce codage presente quelques intérêts non négligeables. une, comme jouer, voyager ou commercer avec les autres . O n com- 5
T o u t d'abord, i l est manifestement utilisé par tous les laboratoires, prend dês lors le grand nombre d'images d'envol, de marche facile,
et depuis longtemps. Son exploitation, qui serait d é s o r m a i s d'autant de regard attentif, d'espaces ouverts ou accessibles dans la communi-
plus pertinente qu'on en connait le système, donne 1'assurance de se cation psychotropes : ce sont les illustrations d'une n o r m a l i t é , d'une
conformer avantageusement au code de communication sectoriel (on santé c o n ç u e narrativement comme une c o m p é t e n c e essentiellement
sait ce que coute 1'instauration d'un autre code que le code secto- définie selon le vouloir (la q u ê t e , le g o ú t , le désir...) et le pouvoir (la
riel pour lancer une marque ou un produit). Ensuite, ce codage puissance, la capacite, 1'aisance...). En regardant les annonces de cette
laisse encore beaucoup de liberte. I I n'impose aucune substance pour communication, les m é d e c i n s généralistes retrouvent donc bien cer-
1'expression comme pour le contenu des messages : les douze catégo- tains é l é m e n t s , certaines configurations du discours de leurs patients :
ries plastiques peuvent se trouver réalisées en dessin comme en pho- laboratoires et patients racontent de fait 1'anxiété et la d é p r e s s i o n
tographie — ainsi Cantor a su réaliser les traits plastiques c o r r é l é s à comme la perte d'un vouloir et d'un pouvoir vivre.
1'euphorie aussi bien par un dessin à la gouache dans son ancienne
Comment alors expliquer les malentendus existants entre annon-
campagne que par des photographies dans sa nouvelle campagne. De
ceurs et cibles? Par un refus d è la part des m é d e c i n s des innombrables
m ê m e , les trois catégories fíguratives peuvent — a p r i o r i en tout cas
m é t a p h o r e s , m é t o n y m i e s , hyperboles et autres figures r h é t o r i q u e s u t i -
— definir des r e p r é s e n t a t i o n s d'espaces euphoriques ou dysphoriques
lisées dans les annonces? S ú r e m e n t pas : les m ê m e s us et abus de la
qui r e l è v e n t d'univers socio-culturels t r ê s différents : en d'autres
r h é t o r i q u e se retrouvent dans les autres Communications sectorielles
termes, le d é c o r de l'euphorie n'est pas n é c e s s a i r e m e n t un coin de
pharmaceutiques. Ils rencontrent alors les m ê m e s rejets, ou la m ê m e
campagne bucolique, celui de la dysphorie n é c e s s a i r e m e n t une zone
t o l é r a n c e . N o n , i l faut aller plus loin, ou p l u t ô t plus profond si l'on se
urbaine ou p é r i - u r b a i n e . Enfín et surtout, ce qui est t r a i t é plastique-
r é f è r e au parcours g é n é r a t i f de la signification . Cest alors que l'ana-
6
\
conjonction euphorique : celle d'un sujet (le malade) et d'un objet de
valeur un peu particulier puisqu'il s'agit de deux des modalités de la La syntaxe narrative
compétence (le vouloir et le pouvoir). L'état initial correspondant est
la disjonction, dysphorique, du sujet et de cette double valeur modale.
Le lecteur peut ici suspendre sa lecture de 1'analyse de la communica-
Les sémioticiens, qui s'attachent à formuler les structures narratives
tion psychotropes pour explorer un moment cet univers de la narrativité. La
comme autant de circulations d'objets de valeur , écriront ces deux
7
reconnaissance de l a r m a t u r e relationnelle organisatrice du récit que consti-
états de la façon suivante : tue le schéma narratif (cf. supra p. 58) déplaça tout d'abord la problématique
de la narrativité du domaine des fonctions proppiennes — dont la définition
Etat initial Etat final était encore três largement tributaire des notions de temps et d'espace — à
celui des actants, c'est-à-dire à celui des roles fondamentaux et purement
SI V O (vouloir + pouvoir) SI A O (vouloir + pouvoir) relationnels qui sont jouós sur la scène de l'histoire, comme d'autres en
linguistique le sont sur la scène qu'est la phrase o u plutôt la proposition :
SI : le sujet d'état «Nous avons été frappé, a écrit A. J . Greimas, par une remarque de Tes-
V : la relation de disjonction nière; comparant 1'énoncé élémentaire à un spectacle. Si l'on se rappelle
A : la relation de conjonction que les fonctions, selon la syntaxe traditionnelle, ne sont que des roles
O : 1'objet de valeur joués par des mots — le sujet y est «quelqu'un qui fait 1'action»; l'objet,
«quelqu'un qui subit 1'action», etc. — La proposition, dans une telle concep-
tion, n'est en effet qu'un spectacle que se donne à lui-même 1'homo loquens.
N'est-ce là quun simple jeu d'écriture, une formalisation gratuite Le spectacle a cependant ceei de particulier qu'il est p e r m a n e n t : le contenu
sans valeur ajoutée? La réponse est non, pour plus d'une raison. des actions change tout le temps, les acteurs varient, mais l'énoncé-spec-
La formalisation montre déjà ceei : en focalisant sur le patient et en tacle reste toujours le même, car sa permanence est garantie par la distri-
bution unique des roles» .
«illustrant» la maladie et la santé, la'communicatión pharmaceutique 8
raconte le traitement thérapeutique sous la forme d'énoncés d'état, et La sémiotique narrative va alors distinguer deux relations fondamentales, et
non sous la forme de 1'énoncé de faire que le changement de 1'état ini- par suite quatre actants de la narration : la première, la relation Sujet/Objet,
est une relation de visée, de quête; elle crée la tension nécessaire à lenclen-
tial à 1'état final postule. Du coup, on ne sait qui est le sujet de faire,
chement du récit. La seconde, la relation Destinateur/Destinataire, est une
qui est le sujet de la transformation. Est-ce le médicament, le médecin
relation de communication de 1'objet. Par ailleurs, la réflexion sur les circons-
ou le patient lui-même qui est le sujet de ce programme narratif ? Ce
tances de 1'action ainsi que sur ces personnages qui soutiennent 1'action du
qui fait ainsi défaut, c'est une syntaxe narrative complete, une organi- héros ou qui y font obstacle, en attirant 1'attention sur une autre relation
sation des transformations et des jonctions qui fournisse la structure actantielle : celle d'Adjuvant et d'Opposant, persuada de proceder à ce véri-
signifiante d'un récit. Le problème ainsi posé est tout simplement — table dédoublement du récit dont nous avons parle lors de la présentation
si Fon peut dire! — celui du role du médicament et de la part active du schéma narratif. Confrontations, épreuves, opposant et a d j u v a n t : il fallait
que le médecin estime être sienne ou être celle de son patient dans le bien, considérer que le récit est autant celui du traítre que celui du héros, les
traitement engagé ou envisagé. deux sujets gagnant ou perdant ou encore óchangeant les objets de valeur
qu'ils convoitent. Au bout d u c o m p t e , le récit sera considere comme une
circulation d'objets de valeur entre sujets, o u chaque état (chaque «étape»
logique) est defini soit par une conjonction soit par une disjonction et oú le
sujet d'état disjoint ou conjoint est aussi, o u ríest pas aussi, le sujet opérant
la dis-ou con-jonction. On le voit, la syntaxe narrative se sert d'un minimum cours du sujet defini comme la quête de tel ou tel objet de valeur que vont
de catégories fondamentales : se reconnaítre et se caler les différents autres actants : le Destinateur, le
a / conjonction vs disjonction; Destinataire, 1'Adjuvant et 1'Opposant... et que les divers acteurs situes à
b I sujet d'état (dis- ou con- joint) vs sujet de faire (sujet opérant le passage la surface de 1'histoire vont trouver leur(s) fonction(s) narrative(s). Pourquoi
d'un état à un autre). ces pluriels entre parenthèses ? Parce que la distribution actantielle sur ces
A partir de là, acteurs peut aboutir à ce qu'un acteur ait plusieurs fonctions, à ce qu'il
selon qu'on passe d'une disjonction à une conjonction ou 1'inverse, represente plusieurs Actants, comme il peut se faire qu'un même Actant
selon que le sujet d'état et le sujet de faire sont identiques ou pas, soit represente par plusieurs acteurs. Actants et acteurs ne correspondem
selon que 1'objet peut être conjoint à deux sujets d'état «en même temps» ou pas toujours terme à terme; on peut avoir ces trois schémas de distribu-
que sa conjonction avec l'un entraine automatiquement sa disjonction tion entre le niveau narratif (celui des Actants, des fonctions narratives) et
d'avec 1'autre, le niveau discursif (celui des acteurs, des personnages ou des objets issus
on obtiendra des enchaínements relativement complexes; surtout, un calcul de tel univers de référence) :
est dès lors possible des différents programmes narratifs c'est-à-dire des
acteur 1 ^acteur 2 acteur acteur Niveau discursif (plus superficiel)
transformations entre états : appropriation et dépossession d'une part, attri-
bution et renonciation d'autre part. On a ainsi les deux grandes figures de
Actant Actant Actant 1 Actant 2 Niveau narratif (plus profond)
circulation des objets :
ment, ou agressivement, a u p r è s des visiteurs m é d i c a u x ou des e n q u ê - retrouve aussi dans le discours des généralistes sur les troubles du
teurs — sur les raisons d'une telle absence de syntaxe narrative. Le sommeil. Une insomnie due à 1'excitation ou à 1'angoisse n'est pas
laboratoire veut-il éviter de parler du role précis du m é d i c a m e n t , ou grave : i l suffit de supprimer cette excitation ou cette angoisse par un
de sa classe t h é r a p e u t i q u e : cherche-t-il à «ratisser l a r g e » ? Cherche- anxiolytique, qualifié alors de r é g u l a t e u r . Mais une insomnie de type
t-il à ne pas entrer dans le d é b a t sur le moment de la médicalisation dépressif, o ú le sommeil est retire au patient par cet anti-sujet qu'est la
des traitements de ces pathologies? Quelques questions sans r é p o n s e s maladie, est une atteinte autrement plus grave : i l faut alors l u i redon-
parmi d'autres, que le m é d e c i n peut c o n s i d é r e r comme le fait de ner le sommeil, voire le lui imposer par un hypnotique. A u t r e m e n t dit,
stratégies marketing d'autant plus vivement c o n d a m n é e s qu'elles le un m é d i c a m e n t qui donne le sommeil est un m é d i c a m e n t dangereux,
privent finalement d'une organisation narrative possible de ces traite- ou du moins i l releve d'un traitement délicat, lourd. U n bon m é d i -
ments, si délicats à engager et à g é r e r soi-même. cament — ou u n m é d i c a m e n t g é r a b l e par le m é d e c i n g é n é r a l i s t e —
A u t r e constat possible à partir de la formulation du récit de la res- est u n m é d i c a m e n t qui supprime le stress de la j o u r n é e , qui ô t e tout
tauration de la santé en deux é n o n c é s d'états modaux : quel qu'en soit pouvoir aux « f a c t e u r s de t r o u b l e s » .
le sujet, le faire correspondant au passage de 1'énoncé cTétat initial à T r o i s i è m e constat, enfin, toujours à partir de la formulation : la
1'énoncé d ' é t a t final est un faire conjonctif : le patient est finalement définition de 1'état initial, pathologique, comme disjonction d'avec le
conjoint à une valeur positive (à une certaine c o m p é t e n c e ) . Le traite- pouvoir faire et le vouloir faire ne dit rien d'une distinction faite ou
ment est ainsi un apport de quelque chose de positif, et la maladie un à faire entre 1'anxiété d'une part et la d é p r e s s i o n d'autre part. Si
manque. O r cette conception du traitement renvoit, dans le discours la santé r e s t a u r é e est définie à travers les diverses situations choi-
des généralistes tel qu'il a pu ê t r e analysé p a r a l l è l e m e n t , à une classi- sies pour les annonces de la communication par ces deux modalités,
fication des troubles selon leur gravite ou plus exactement selon la dif- 1'anxiété et la dépression, elles, ne trouvent pas leurs définitions
ficulté de leur traitement et 1'engagement quasi i d é o l o g i q u e du m é d e - modales respectives à partir de ces modalités. En d'autres termes, on
cin traitant. O n dira globalement qu'il vaut mieux, selon les g é n é r a - s'attendrait à ce que 1'anxiété et la d é p r e s s i o n puissent ê t r e distinguées
listes, avoir à retirer quelque chose au patient ( o p é r e r une disjonction à partir du pouvoir et du vouloir. De fait, certains visuels et certaines
d'avec un objet négatif) qu'avoir à lui « a j o u t e r » quelque chose (opé- situations r e p r é s e n t é e s montrent bien des d é g o ú t s , des fatigues, des
rer une conjonction avec u n objet positif). L ' a n x i é t é , par exemple, qui efforts, des activismes inquiets : autant de positions modales selon le
est d é c r i t e comme un surplus négatif par les m é d e c i n s , parait pouvoir vouloir et le pouvoir, de combinaisons de ces positions différentes et
ê t r e soignée sans difficulté majeure : «il suffit» de retirer au patient de transformations possibles de ces combinaisons. Mais quelles com-
un surplus de réactivité, d'activisme et de tension. En revanche, la binaisons définissent respectivement les deux pathologies? Quelles
dépression, qui est d é c r i t e comme un manque, ne peut ê t r e soignée transformations de ces combinaisons du pouvoir et du vouloir rendent
que par 1'apport de quelque chose : une dynamisation, une stimula- compte du passage de 1'anxiété à la dépression par exemple? Les
tion, un s u p p l é m e n t d'envie et de force. O r cet apport est le annonces, sur ce point, ne fournissent aucune r é p o n s e . Dans une
plus souvent associe à des évaluations péjoratives du traitement : é t u d e déjà anciennne sur le discours des patients , nous avons indi- 9
distinctes du point de vue s é m a n t i q u e et que peuvent recouvrir des é t é formes à l'analyse du discours et qu'ils se soucient tout particuliè-
notions telles que 1'envie, le « g o ú t à r i e n » , le refus et 1'accepta- rement de ne «passer à c o t e » d'aucun signe, clinique ou discursif, qui
tion passive. Une véritable « l o g i q u e de la d é p r e s s i o n » , pour rependre leur permette de reconnaitre une dépression « c a c h é e d e r r i è r e » une
1'expression du P D . W i l d l õ c h e r , sous-tendait ainsi ces discours, et
r 10 a n x i é t é . Dans ces conditions, la communication des laboratoires peut
proposait une sorte de calcul modal des phases de la maladie — de la leur apparaitre comme d é c e v a n t e voire suspecte. Elie ne contribue
maladie r a c o n t é e et non réelle, précisons bien. O n pourrait visualiser pas à augmenter la c o m p é t e n c e i n t e r p r é t a t i v e du généraliste (sa capa-
une telle syntaxe de la façon suivante : cite à diagnostiquer); bien plus, pour certains, elle trahirait là encore
sa d é p e n d a n c e vis à vis de stratégies purement marketing recherchant,
ne pas pouvoir-faire ne pas pouvoir-faire ne pas pouvoir-faire ne pas pouvoir-faire à travers « 1 ' a m a l g a m e » ou le «fiou a r t i s t i q u e » , la c o n q u ê t e ou la sau-
+ + + + vegarde facile de quelque part de marche.
vouloir-faire ne pas vouloir-faire vouloir ne pas faire ne pas vouloir
ne pas faire
La santé n'est pas Veuphorie
inquietude goút à rien accès de violence contention
activisme et grande fatigue sur soi ou crispation Les trois constats q u i viennent d ' ê t r e faits montrent, on 1'espère,
anxiété pathologique abattement sur les autres effort 1'intérêt indirect de la formalisation des états de troubles et de santé
selon la syntaxe narrative. Cest en descendant ainsi au niveau m o l é -
I I e ú t é t é possible de trouver, dans la communication psychotropes, culaire, si l'on peut dire, du programme narratif que l'on pou-
1'anxiété et la d é p r e s s i o n distinguées de la sorte puisque le discours vait, en interface avec l'analyse des discours des généralistes, identifíer
des laboratoires rejoint celui des patients dans le m ê m e privilège quelques unes des raisons de disfonctionnement s é m a n t i q u e de la
a c c o r d é au pouvoir et au vouloir pour definir la c o m p é t e n c e " . O r i l communication entre ces derniers et les annonceurs. I I reste que ces
n'en est rien. Aussi peut-on trouver une raison s u p p l é m e n t a i r e aux états sont definis selon la thymie, c'est-à-dire à partir de la c a t é g o r i e
diffícultés entre é m e t t e u r s et r é c e p t e u r s de cette communication d è s euphorie vs dysphorie. I I s'agit m ê m e de défínitions largement sursi-
lors qu'on sait, par 1'analyse du discours des généralistes, à quel gnifíées, comme on l'a vu par le codage semi-symbolique qui consti-
point 1'opposition a n x i é t é / d é p r e s s i o n permet à ces derniers d'organi- tue 1'essentiel du message tenu par les annonces-presse à 1'adresse des
ser leurs discours et leurs pratiques en ce domaine. Les généralistes m é d e c i n s . O r c'est là que se situe sans aucun doute la raison majeure
sont demandeurs — pas toujours explicitement, i l est vrai — de tout de 1'antagonisme entre émission et r é c e p t i o n , entre la logique de la
approfondissement de cette opposition fondamentale, et ils le sont persuasion t e n t é e par les annonceurs et celle de 1'interprétation enga-
d'autant plus si cet approfondissement procede d'une analyse du dis- g é e par la cible des généralistes. Si ces derniers admettent que la
cours de leurs patients. Car c'est un fait que les praticiens n'ont pas santé est 1'objet de valeur r e c h e r c h é par u n traitement, que la santé
est une certaine c o m p é t e n c e à vivre et que c'est bien de thymie dont
il est question dans ce type de troubles, l'analyse de leur discours
1 0 D. Wildlõcher, Les logiques de la dépression, Paris, Fayard, 1983. montre qu'ils refusent la confusion entre la santé et 1'euphorie propo-
11 Signalons que ce privilège accordé au vouloir et au pouvoir dans la définition de la sée par la communication pharmaceutique. Dans le discours persuasif
c o m p é t e n c e à vivre peut-être interprete comme un fait de nature idéologique. Ainsi
1'issue heureuse racontée par certains anciens patients définit leur nouvelle c o m p é - des laboratoires en effet, les résultats du traitement, positifs bien súr,
tence à vivre en termes de devoir et de savoir. Un psychothérapeute ou un professeur sont toujours representes sous la forme d'une réconciliation radieuse,
de yoga leur ont fait découvrir les lois du monde auxquelles il convient d'obéir ou les
ont initiés à quelque philosophie ou civilisation. L a dépression serait alors à concevoir
d'une harmonie souveraine ou d'un bonheur sans ombre. La santé,
comme une « m a l a d i e » propre à une culture qui exalte la puissance ou le pouvoir, le c'est l'euphorie ou, au moins, la non-dysphorie. O r les contraintes de
désir ou la volonté, ce aux dcpens des autres modalités constitutives de la com- la vie quotidienne, les malheurs, les pertes et les stress ne sont pas
p é t e n c e humaine.
116 Sous les signes, les stratégies Le refus de 1'euphorie 117
des d o n n é e s sociales ou psychologiques contre lesquelles le m é d e c i n cins généralistes raisonnent en termes de phases, de « m o m e n t s » , de
estime avoir à lutter. I I veut seulement aider son patient à les suppor- « c a p » , d ' é v o l u t i o n , de d u r é e , d'apparition ou de disparition. En tant
ter et à vivre de son mieux « l a vie telle qu'elle e s t » . Ce n'est pas u n que praticiens, ils se considerem comme les observateurs de ce p r o c è s
signe de santé que 1'euphorie constante, et le psychotrope ne saurait qu'est la vie de leurs patients. Cest pourquoi, estimant que leur
ê t r e une pilule du bonheur. T o u t au contraire, le traitement doit per- m é t i e r est d'abord et avant tout le diagnostic, les m é d e c i n s cherchent
mettre au patient de retrouver une amplitude moyenne de r é a c t i o n s , pour signes de ces troubles psychologiques certains aspects du 13
un juste milieu entre les peines et les joies, en fonction des pertes « v é c u » du patient ou de la relation que celui-ci a avec eux : la fré-
et des gains dont 1'alternance est c o n s i d é r é e comme inéluctable. La quence de leurs visites, le prolongement demande d'un a r r ê t maladie,
p r é o c c u p a t i o n majeure des m ç d e c i n s est de « r e m e t t r e le patient en Fampleur soudainement prise par tel p r o b l è m e conjugal, familial ou
selle», ou de le maintenir en activité et cela signifie pour eux que la professionnel...
vie quotidienne, avec ses aléas, est bien la valeur de base. N o m b r e
de généralistes vont j u s q u ' à affirmer que le stress est un p h é n o m è n e
positif puisqu'il signifie que 1'individu est bien e n g a g é dans le monde, Analyse narrative et analyse du contenu
« i m m e r g é dans la r é a l i t é » . Le traitement ne doit pas changer la vie :
ni vallée des larmes, n i utopie heureuse, le monde, toujours selon les Finalement, au-delà de 1'analyse de cette communication p a r t i c u l i è r e
m é d e c i n s , s'impose comme une suite d ' é v é n e m e n t s auxquels f i n d i - qu'est la communication psychotropes, quel enseignement peut-on
vidu doit s'adapter. Cest pourquoi la notion d ' é q u i l i b r e dynamique tirer d'une telle é t u d e ? Nous dirons qu'elle rappelle — si besoin est —
est si importante pour eux. Cest la r e p r é s e n t a t i o n de cette oscillation les dangers d'une approche exclusivement lexicale du discours d'une
moyenne des plaisirs et des peines qui devrait fígurer la santé ou plu-
tôt la vie normale, et qui valoriserait les psychotropes comme adju-
vants c'est-à-dire comme ce qui aide à passer ici un cap difficile. impliques par 1'organisation effective de Pobjet analyse; le p r o c è s , c'est l'ensemble
L ' é q u i l i b r e est donc le véritable résultat visé par faction t h é r a p e u - des agencements des é l é m e n t s s é l e c t i o n n é s , combines, et d o n t la c o - p r é s e n c e constitue
1'objet réalisé. A p a r t i r d u moment o ú l'on considere Pobjet comme un objet s é m i o -
tique. Le bon psychotrope sera celui qui permet d ' é v i t e r les ampli- tique, c'est-à-dire comme un fait de langage, 1'étude de son s y s t è m e renvoie à 1'axe
tudes excessives, de la dysphorie comme de l'euphorie d'ailleurs, ou paradigmatique, et celle de son p r o c è s à 1'axe syntagmatique. Le langage, approche de
d ' e m p ê c h e r que celles-ci ne perdurent au-delà de la normale. Les façon paradigmatique, sera donc c a r a c t é r i s é par une h i é r a r c h i e de relations d u type
ou...ou... et ce m ê m e langage, approche de façon syntagmatique, sera c a r a c t é r i s é par
m é d e c i n s estiment que ce sont 1'amplitude et la d u r é e des états thy- une h i é r a r c h i e de relations et...et....
miques qui importent, que ce sont eux qui définissent la santé, elle- 13 p r e n ol verbe m a n g e r ; i l designe une action qui peut ê t r e temporalisée et aspectua-
n s e
ces distorsions narratives, qu'il s'agisse de presse magazine, de presse vert; c'est la façon dont se presente la communication automobile de
quotidienne nationale ou de presse régionale . 14
ces dernières années — et encore! quelques fílms et quelques affiches
de cette communication. Comment organiser un discours aussi touffu,
aussi divers et bariolé si l'on fait 1'hypothèse qu'une telle organisa-
1 L e lecteur amateur de publicite automobile aura reconnu, dans 1'ordre, les cam-
pagnes :
Peugeot 205 1983 ( L e vampire); Austin Mini 850 1978 (Les chiffres qui se télés-
copent); Citroen GSA 1979 (Le tapis rouge); Peugeot 305 G T 1983 (Les lions); Wolk-
swagen Golf « R a b b i t » 1983 (Les lapins); Peugeot 104 Z 1980 ( L e zebre); Fiat Panda
1985 (Le papillon); Wolkswagen Jetta 1980 (La lionne); Citroen GSA 6 L 1981 (Le cha-
meau); Wolkswagen 1979 (Le suicide); Audi 89 Diesel 1981 ( L a résurrection); Citroen
BX 1982 (Les routes bleues); Renault 9 Diesel 1983 (Les colonnes grecques); Renault
18 1983 (Le château-fort); Renault 18 1982 (Le palais viennois); Renult 5 « C a m p u s »
(Les trois philosophes); Wolkswagen Passat 1988 (L'homme préhistorique); Autobian-
1 4Cf. J . - M . Floch, L e changement de formule d'un quotidien ; 1'approche d'une double chi Y 10 1985 (L'humanoide sexy); Peugeot 309 1986 (La Walkyrie); Opel Corsa
exigence : la m o d e r n i t é du discours et la fidélité au lectorat, in Médias : expériences, 1983 ( L e d é à coudre); Renault 18 T u r b o 1981 (Le c â n o n ) ; Peugeot 205 1983
recherches actuelles, applkations, I R E P , 1985. (Les Indiens); Wolkswagen Polo 1986 (L'embouteillage de moutons); Renault 5 1983
(L'affiche « r a t é e » ) ; Renault 5 1985 ( L a gymnastique).
120 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » 121
t i o n p e r m e t t r a i t de m i e u x c o m p r e n d r e 1 ' o r i g i n a l i t é de la c o m m u n i c a - p o u r t a n t c a p i t a l : n o n s e u l e m e n t i l s'agissait de p é n é t r e r le m a r -
t i o n d ' u n e m a r q u e , le s u c c è s d ' u n e c a m p a g n e de l a n c e m e n t et m ê m e c h e p o r t e u r de la g a m m e m o y e n n e s u p é r i e u r e des 6 / 7 c h e v a u x mais
c e l u i d ' u n f i l m q u i f u t , sans c o n t e s t e , l ' u n des plus m a r q u a n t s des i l f a l l a i t aussi r a j e u n i r la m a r q u e , l u t t e r c o n t r e la « p é p é r i s a t i o n » d e
a n n é e s 80? Rappelez-vous : « J ' a i m e , j ' a i m e , j ' a i m e » . . . , u n air de C i t r o e n , p o u r r e p r e n d r e 1'expression de J . S é g u é l a l u i - m ê m e . E n f i n ,
J . C l e r c sur t r o i s notes ascendantes, u n e v o i t u r e r o u g e q u i p l o n g e o n r a p p e l l e r a q u e , d e p u i s 1 9 8 2 , la c o m m u n i c a t i o n d e C i t r o e n a
dans la m e r ! L e f d m T V de l a n c e m e n t de la C i t r o e n B X a f o r t e m e n t s o u v e n t e x p l o i t é le c a p i t a l d ' i m a g e de m a r q u e c r é é p a r cet a i r et ce
m a r q u e le g r a n d p u b l i c à son é p o q u e , e n s e p t e m b r e 1 9 8 2 . I I o b t i e n t p l o n g e o n : le m ê m e a i r a é t é r e p r i s p o u r les a u t r e s c a m p a g n e s B X ,
des scores I P S O S d ' i m p a c t et d ' a g r é m e n t t r ê s é l e v é s . Les r é s u l t a t s d u p o u r le f i l m d i t i n s t i t u t i o n n e l des C h e v r o n s Sauvages e n 1 9 8 4 et p o u r
S T C m o n t r è r e n t n o t a m m e n t la b o n n e association d u f d m à la m a r q u e
2
les c a m p a g n e s d e l ' A X d e p u i s 1 9 8 5 ; et u n e V I S A a p l o n g é dans la m e r
et 1 ' a g r é m e n t t r ê s p o s i t i f r e n c o n t r é a u p r è s des j e u n e s et des c a t é g o r i e s d e p u i s la piste d ' e n v o l d ' u n p o r t e - a v i o n . D e p l u s , c o m m e o n le m o n -
socio-professionnelles a i s é e s q u i é t a i e n t v i s é e s p a r c e t t e c a m p a g n e et t r e r a p l u s l o i n , des e n q u ê t e s m e n é e s t a n t a u p r è s des c o n d u c t e u r s q u e
ce l a n c e m e n t . L ' a i r c h a n t é p a r J . C l e r c et le p l o n g e o n de la v o i t u r e des c o n c e s s i o n n a i r e s c i t r o è n i s t e s et n o n - c i t r o é n i s t e s o n t m o n t r é la
dans la m e r f u r e n t les i t e m s les p l u s f r é q u e n t s dans les r é p o n s e s f o u r - r é e l l e c o n t r i b u t i o n d e c e t t e c o m m u n i c a t i o n à 1'image d e la m a r q u e .
nies p o u r é t a b l i r le score prouve, c ' e s t - à - d i r e la connaissance e f f e c t i v e M a i s n e b r ú l o n s pas les é t a p e s ; r e v e n o n s à la f a ç o n d o n t o n p e u t
d u f i l m p o s t - t e s t é . Par a i l l e u r s , d e u x m o i s a p r è s le l a n c e m e n t , o n a o r g a n i s e r la c o m m u n i c a t i o n s e c t o r i e l l e de 1 ' a u t o m o b i l e et a u d i s c o u r s
p u c o n s t a t e r q u e C i t r o e n avait v e n d u q u e l q u e 1 2 0 0 B X p a r j o u r , d o n t si p a r t i c u l i e r q u ' y a t e n u le f d m de l a n c e m e n t de la B X .
c i n q u a n t e p o u r c e n t de c o u l e u r r o u g e , u n e c o u l e u r q u i n ' a v a i t j a m a i s
m a r c h e chez les c o n s t r u c t e u r s f r a n ç a i s . L e s u c c è s d u l a n c e m e n t de la Imaginons deux é n o n c é s t r ê s différents, u n badge r e p r é s e n t a n t une
B X ne f u t d o n c pas s e u l e m e n t p u b l i c i t a i r e ; i l f u t aussi c o m m e r c i a l . E t c h a i n e d'esclave b r i s é e et u n t é m o i g n a g e d i f f u s é à la r a d i o . Dans ce
le t a u x d e c o m m a n d e d e ces m o d e l e s r o u g e s é t a b l i t c l a i r e m e n t q u ' i l y dernier, u n opposant politique raconte comment, il y a d i x mois, i l
a v a i t b i e n e n 1'occurrence u n e r e l a t i o n d i r e c t e e n t r e la c o m m u n i c a t i o n s'est fait passer p o u r m a l a d e a u p r è s d e ses g a r d i e n s d e p r i s o n et a
p u b l i c i t a i r e et les ventes. U n t e l l a n c e m e n t é t a i t a u d a c i e u x : le b u d - r é u s s i à sauter d u f o u r g o n c e l l u l a i r e l o r s de son t r a n s f e r t à 1 ' h ô p i t a l d e
get n ' a v a i t r i e n d e c o m p a r a b l e avec c e u x q u e les c o n s t r u c t e u r s L . . . Ces d e u x é n o n c é s sont t r ê s d i f f é r e n t s l ' u n d e 1'autre, à p l u s d ' u n
c o n c u r r e n t s , R e n a u l t e n t ê t e , p o u v a i e n t à la m ê m e é p o q u e i n v e s t i r t i t r e . L ' e x p r e s s i o n d u p r e m i e r est c o n s t i t u é d e q u e l q u e s lignes et d e
dans ce t y p e d ' o p é r a t i o n . D e p l u s , c o n t r a i r e m e n t a u x usages, le f i l m q u e l q u e s f o r m e s c o l o r é e s , l ' e x p r e s s i o n d u s e c o n d des sons d e la l a n g u e
n e p a r l a i t n i des c a r a c t é r i s t i q u e s t e c h n i q u e s de la v o i t u r e n i d e son p a r l é e p a r cet o p p o s a n t . L e p r e m i e r se m a n i f e s t e dans le d é p l o i e m e n t
p r i x . O n n ' y t r o u v a i t aucune « s u b l i m a t i o n de 1'objet», aucune vedette d ' u n espace et s e l o n u n e saisie i m m é d i a t e , le s e c o n d dans le d é r o u l e -
au v o l a n t , pas m ê m e u n p o r t r a i t d e c o n d u c t e u r a u q u e l o n a u r a i t p u m e n t d u t e m p s et selon u n e saisie m é d i a t e , d e m a n d a n t d e p r e n d r e e n
a v a n t a g e u s e m e n t s ' i d e n t i f i e r . L ' e n j e u d u l a n c e m e n t d e la B X é t a i t c o m p t e P u n a p r è s l ' a u t r e les signes et l e u r s e n c h a í n e m e n t s . L e b a d g e
est u n é n o n c é e x t r ê m e m e n t c o n c i s ; o r à c e t t e condensation, c o m m e
2 L e «Suivi T é l é v i s i o n C i n e m a » d'lPSOS Publicite a pour objet cTétablir un diagnostic d i s e n t les s é m i o t i c i e n s , s'oppose Yexpansion d u t é m o i g n a g e ( o n p e u t
précis de 1'impact et de 1'agrément des campagnes audio-visuelles en tenant compte i m a g i n e r q u e l ' i n t e r v i e w é a i t d é v e l o p p é t e l o u t e l é p i s o d e d e son r é c i t ,
des caractéristiques des produits qu'elles mettent en avant, de leur plan média et de
o u q u ' i l 1'ait p l u s i e u r s fois s u s p e n d u p o u r t e l o u t e l c o m m e n t a i r e ) . C e
leur création publicitaire. L e STC fournit des scores d'impact brut, spécifique, prouve et
de reconnaissance ainsi que des scores d'agrément positif, négatif et indifférent. Préci- n'est pas t o u t : le p e t i t dessin est s y m b o l i q u e , i l est certes f i g u r a t i f
sons que le score spécifique dont nous parlons est elabore à partir des «souvenirs spéci- p u i s q u ' o n y r e c o n n a í t u n o b j e t , c e t t e figure d u m o n d e t e r r i b l e d e la
fiques», c'est-à-dire du verbatim (des paroles m ê m e s de 1'interviewé) et qu'il exprime
en fait 1'étendue du territoire d'expression que la marque s'est acquis par cette action T r a i t e des N o i r s , mais i l ne p o s s è d e r i e n d e c o m p a r a b l e à ces n o m s
publicitaire particulière; il est analysé qualitativement afin de reconnaítre les « p o i n t s p r o p r e s de l i e u x o u d e p e r s o n n e s , à ces dates o u à ces a n c r a g e s a u
d'ancrage» memorieis. C e s t donc ici qu'apparaissent les campagnes e n t i è r e m e n t nou-
t e m p s p r é s e n t q u i c a r a c t é r i s e n t le t é m o i g n a g e et le d o n n e n t p o u r u n e
velles, qui ne doivent leur succès qu'à elles-mêmes.
122 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » 123
histoire r é e l l e m e n t vécue. Enfín, le monde du xvm e et ses instruments lequel la s é m i o t i q u e cherche à rendre compte de la constitution pro-
de coercition n'a pas grand chose à voir c o n c r è t e m e n t avec celui du gressive d'un é n o n c é ressemble à une coupe g é o l o g i q u e ou à la falaise
xx et avec ses systèmes c a r c é r a u x et ses formes de répression : les
e
d'une c a r r i è r e s'élevant depuis les couches les plus basses et les plus
objets, les lieux et les personnages ont c h a n g é . constitutives d'un terrain jusqu'aux couches les plus superficielles qui
supportent directement le paysage dans toute la diversité et la com-
I I n ' e m p ê c h e : dans l ' u n et 1'autre cas, on parle d'une évasion, d'une
plexité de sa manifestation. O n trouvera dans les pages qui suivent
libération. D'une évasion puisque 1'action consiste à s ' é c h a p p e r physi-
une p r é s e n t a t i o n du parcours g é n é r a t i f de la signifícation mais, là
quement d'un lieu, quel q u ' i l soit; d'une libération puisque le sujet de
encore, le lecteur pour le moment plus interesse par 1'organisation
l'action, ou son bénéficiaire, y a g a g n é la liberte. I I y a donc bien de ce
du discours publicitaire sur 1'automobile que par les grands concepts
point de vue, c'est-à-dire à ce niveau de .pertinence, une similitude de
t h é o r i q u e s que celle-ci engage, peut t r ê s bien sauter ces quelques
contenu entre les deux é n o n c é s , le badge et 1'interview diffusé. Mais
pages et poursuivre 1'analyse de notre communication sectorielle.
notre travail de reconnaissance, de distinction et de h i é r a r c h i s a t i o n
d'un certain nombre de niveaux d'analyse doit continuer : i l faut dis-
tinguer 1'évasion de la libération. L'évasion est encore quelque chose
Le parcours génératif de la signifícation
d'assez concret. La libération est une notion plus abstraite, qui se situe
en deçà de toute précision sur la nature de 1'acte l i b é r a t o i r e : l'évasion
implique une mise en espace, un acte physique — du moins dans son Le parcours génératif est une reconstitution dynamique de la façon dont la
sens propre. O r i l existe des libérations d'ordre culturel, i d é o l o g i q u e , signifícation d'un énoncé (texte, image, film,...) se construit et s'enrichit selon
affectif ou sexuel. Le concept — pour reprendre la terminologie des un «parcours» donc qui va du plus simple au plus complexe, du plus abs-
trait au plus figuratif, jusqu'aux signes qui en assurent la manifestation ver-
publicitaires — de libération est plus profond, plus abstrait et plus
bale ou non-verbale. Autant dire que le parcours génératif represente
invariant que celui d'évasion. A u niveau de profondeur o ú se situe
1'économie générale d'une théorie sémiotique, et non seulement linguistique.
cette valeur qu'est la liberte, on peut encore choisir de descendre
Insistons bien sur le fait quil s'agit ici de gónération et non de genèse. II
jusqa'aux positions de sens purement différentielles que défínit et n'est pas question de reconstitution historique. Le sémioticien ne cherche
visualise le c a r r é s é m i o t i q u e ; on peut aussi s ' a r r ê t e r là et travailler,
3
pas à retrouver la succession temporelle des phases du travail de la cróa-
à 1'horizontal cette fois, pour d é p l o y e r tout le contenu du concept de tion, ni la mesure dans laquelle les circonstances extérieures ont pu la
libération : pour y reconnaitre une o p é r a t i o n faite par un sujet, pour conditionner. La fulgurance de 1'idée créative ou les difficultés d'un tournage,
l u i - m ê m e ou pour un autre, o p é r a t i o n qui aboutira à la c o n q u ê t e ou par exemple, n'ont rien à voir avec la signifícation d'un film. La richesse de
à la conservation de cette valeur qu'est la liberte. L'investigation à ce signifícation d'une création publicitaire ou même d'une simple idée, d'un
niveau se poursuivra pour savoir si la liberte est, dans 1'énoncé que simple concept n'a «en soi» rien à voir avec le temps passe à briefer ou
l'on est en train d'analyser, une valeur de base, le but final de 1'action débriefer, à réaliser ou à écrire. Reconstitution ne signifie pas non plus tra-
du h é r o s («vivre libre»), ou si elle est une valeur d'usage, un pouvoir- vail a posteriori sur des campagnes déjà réalisées ou, au mieux sur des
projets de campagne finalisés soumis à quelque pré-test. Le sémioticien tra-
faire ( « ê t r e libre p o u r . . . » ) .
vaille sur des énoncés — sur nimporte quel type d'énoncé — et un concept
O n aura compris, à la lecture de ces lignes, que le sémioticien se ou une idée sont des énoncés dès qu'ils sont exprimes, formules, écríts.
donne une r e p r é s e n t a t i o n verticale du sens, ou plus exactement de la Comme le sont aussi des «images» du type voiture-plongeant-dans-la-mer
signifícation c'est-à-dire du sens tel q u ' i l peut ê t r e o r g a n i s é et articule. (Citroen BX), lapin-jouant-du-1ambour (Duracell), ou lapin-utilisé-en-pochette-
Cest d'ailleurs ainsi que le parcours g é n é r a t i f de la signifícation par de-veston (Crédit agricole de 1'lle-de-France), ce que la sémiotique appelle
des motifs.
Venons-en maintenant aux étapes par lequelles passe la production de
Rappelons que le carré sémiotique a été presente p. 27, dans le chapitre «Etes-vous
la signifícation d'un objet sémiotique, c'est-à-dire à la constitution progres-
3
arpenteur ou somnambule?»
124 Sous les signes, les stratégies
«J'aime, J'aime, J'aime... » 125
í
tualités. Cest le choix de tel ou tel univers de référence — 1'installation de tel
ou tel décor, si l'on veut — mais aussi la gestion des temps et des espaces chaine brisée maladie feinte
et mouvement retrouvé et prise de parole
ou la distribution des rôlçs : c'est là que 1'énonciateur choisira de faire rem-
plir le m ê m e role par un ou plusieurs acteurs ou deux roles différents par (niveau figuratif)
t
le m ê m e acteur. Cest là encore qu'il pourra dépayser 1'interlocuteur ou, au un temps révolu ou le temps présent...
contraire, 1'impliquer et lui donner 1'impression qu'il s'agit bien de la « r é a - structures
discursives un peuple ou un individu...
lité». Si l'on veut prendre une comparaison, dangereuse comme toutes une évasion
les comparaisons, on dira que les structures sémio-narratives fournissent (distribution des temps, des espaces, des acteurs) * (niveau thématique)
1'intrigue, dans ce qu'elle a de plus abstrait et de plus essentiel pour la
signification de 1'histoire, et que les structures discursives correspondent à
la mise en scène et à la distribution. Si l'on reprend nos exemples du badge
niveau t
superficiel la liberte recherchée
et de 1'interview de 1'opposant politique, on dira que la recherche de la le donoulaconquêtede...
liberte par le sujet ainsi que la f a ç o n dont celui-ci devient libre (par lui- structures (le système de valeurs)
sémio-narratives (le programme narratif)
m ê m e ou g r â c e à un autre sujet) relèvent de 1'intrigue abstraite : de la com-
posante sémio-narrative, alors que la focalisation sur 1'action elle-même ou niveau parcours positions
sur le sujet, le fait que celui-ci soit un peuple ou un individu ou 1'inscription profond transformations relations
de 1'évasion dans le monde du xvir siècle ou dans le temps présent relèvent,
3
(carré sémiotique)
eux, de la mise en scène : de la composante discursive. composante composante
syntaxique sémantique
Pour pouvoir présenter le parcours génératif de f a ç o n complete, disons
encore qu'il convient de distinguer deux niveaux dans les structures s é m i o -
narratives. A un niveau fondamental, on a la mise en place des différences Pourquoi suggérer par une ligne si tourmentée l'aboutissement du par-
qui font naTtre la signification ainsi que des régies de parcours entre les posi- cours g é n é r a t i f ? Pour deux raisons, au moins. Tout d'abord, un discours
peut être abstrait ou figuratif, voire abstrait à certains moments et figuratif
<r]'aime, J'aime, J'aime... » 127
126 Sous les signes, les stratégies
couches profondes, vers les premières articulations du sens; aussi peut- féminité, ou quand elle est la figure de la vie ou de la b e a u t é , la voi-
elle apparaítre à certains, et à cette phase d'une étude, appauvrissante ou ture est alors investie d'une valeur de base. O n entend ici par valeur
réductrice. Mais lors de la «remontée» vers la manifestation, vers la diver- de base, une de ces valeurs qui correspondent au plan des p r é o c -
sité des messages et des signes, le parcours génératif montre — ou mieux, cupations fondamentales de 1'être et dont la q u ê t e sous-tend la
simule — 1'enrichissement de la signification. En sémiotique, le superficiel, vie et donne sens à la réalisation de multiples programmes d'action
c'est le riche. secondaires, plus superficiels, plus « p r a t i q u e s » . Mais un constat
s'impose à l'analyse de la communication sectorielle automobile, si du
moins l'on veut rendre compte de 1'ensemble des campagnes et de la
logique des scenarii, des accroches et des visuels : la double fonction-
Une axiologie de la consommation
nalité de la voiture est d o n n é e implicitement mais aussi souvent expli-
citement pour antinomique. Les valeurs d'usage et les valeurs de
La rapide analyse comparative du badge et du t é m o i g n a g e montrait base sont d o n n é e s pour c o n t r a í r e s . T o u t se passe comme s'il fallait
comment on pouvait reconnaitre un certain nombre de plans et de — a p r i o r i — choisir entre Vutilisation d'une voiture qui reponde à
niveaux de pertinence selon lesquels ces deux é n o n c é s étaient dif- vos besoins et la possession voire la puissance d'une voiture qui cor-
férents ou ressemblants. Sans parler de leur expression, visuelle ou respond à vos envies ou à vos désirs. « T r o p belle pour ê t r e s a g e » , 5
mythique entre ces valeurs d é s o r m a i s vécues comme c o n t r a í r e s . O n — la valorisation ludique *, correspondant à la n é g a t i o n des valeurs
1
r ê v e de j o i n d r e «1'utile à 1'agréable» ou de pouvoir, m ê m e temps, « u t i l i t a i r e s » (la valorisation ludique et la valorisation pratique sont
« r e n d r e à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu»... Etre donc contradictoires entre elles; les valeurs ludiques sont le luxe,
aventurier et inscrit à la Sécurité sociale! Quelquefois, le p r o g r è s la g r a t u i t é , le raffinement, la « p e t i t e folie»...);
technologique aide bien à rationaliser : «la passion et la r a i s o n » sont — la valorisation critique , correspondant à la n é g a t i o n des valeurs
19
"ff
du film de lancement de la B X était, en r é s u m é , celui de l'évolution de
la communication de la marque, jusqu'aux Chevrons Sauvages. Avant
1980, avec la publicite de la G S A , on en est encore à la valorisation
de type pratique, voire critique : la G S A «refait la r o u t e » . Son animal rm**ntcimènl\
1981: en avant raenxtynamisme
symbolique est domestique : c'est le dromadaire dont la bosse est celle
des é c o n o m i e s . Mais 1'essentiel des accroches et des scenarii pour la
V I S A et la C X tourne aussi autour des valeurs utilitaires et non existen-
tielles; les voitures sont accueillantes, «basses calories», performantes, 1985: les chevrons
sobres, confortables et, naturellement, la concurrence est secouée, sauvages
Fdfivnntcytmfínl
distancée, d o u b l é e . A partir de 1982, la communication bascule. Les
campagnes sont axées sur une valorisation ludique et utopique. La L E S C H E V R O N S S A U V A G E S 1985
"EN AVANT L E C O N F O R T '
V I S A s'illustrera dans des paris fous; ses e m b l è m e s seront ceux du UN AVANT L'AERODYNAMISME
plaisir et de la b e a u t é (la pomme et la rose). La C X , elle, prendra les valorisation valorisation
i Xt
pratique vs utopique
traits d'un requin, avant de devenir quelques a n n é e s plus tard un ê t r e
mythique, mi-femme m i - d é m o n . Par ailleurs, dans la campagne dite 1981
institutionnelle de 1981 illustrée par Savignac, les chevrons servent
à exprimer la r a p i d i t é , le confort, la sécurité ... Bientôt ils symbolise- valorisation valorisation
CA V A DÉCOIFFER 1984
ront la g r a t u i t é du sport olympique puis le plaisir de la vitesse et le E N AVANT L ' E C O N O M I E critique ludique
par R. Raynal lui-même, les chevrons racontent la c o n q u ê t e de la X X siècle, on vit a v e c » , ou encore « d a n s les fílms, on peut vraiment
e
et u t i l i t a i r e s : u n e i m a g e o ú les p o i n t s f o r t s , t e c h n o l o g i q u e s , d e la
m a r q u e a u r a i e n t été certes r e c o n n u s mais aussi a t t e n d u s , e t o ú l a Designs et axiologie de la vie quotidienne
c o n d u i t e p é p è r e d e c e r t a i n s possesseurs d e G S A e t s u r t o u t d e D S a u r a i t
e m p ê c h é t o u t e e x a l t a t i o n ultérieure des v a l e u r s n o n - e x i s t e n t i e l l e s . 26
L ' o r g a n i s a t i o n des q u a t r e types d e v a l o r i s a t i o n à p a r t i r d e l a m i s e e n
V o i c i d o n c c o m m e n t l e carré des l o g i q u e s d e v a l o r i s a t i o n p e u t a i d e r à contrariété des v a l e u r s d ' u s a g e e t des v a l e u r s d e base a p e r m i s d e d e f i -
i d e n t i f i e r e t visualiser c e t a p p o r t d e la p u b l i c i t e à 1'image C i t r o e n : n i r 1'apport d e la p u b l i c i t e à 1'image d e C i t r o e n . M a i s c e t t e o r g a n i s a -
t i o n o f f r e u n c a r a c t e r e d e p l u s g r a n d e généralité p u i s q u e ces v a l o r i -
(~ L E CAPITAL MYTHIQUE
sations s o n t indépendantes des c o n t e n u s investis e t des u n i v e r s
DE CITROEN
figuratifs q u i e n s o n t l a m a n i f e s t a t i o n concrète. D e f a i t , o n la r e t r o u v e
L e bane cTessai CROISffiRES J A U N E & N O I R E Laventure dans b i e n d ' a u t r e s s e c t e u r s ; r a p p e l o n s - n o u s , p a r e x e m p l e , c e t t e dis-
révolution technologique TRACTION aventure de la marginalité p u t e e n t r e j o g g e r s e t g o u r m e t s à propôs d ' u n e h u i l e q u i finissait p a r
(gang, résistance) les réconcilier : « E l i e est b o n n e , e t e n p l u s elle est b o n n e » . M a i s elle 2 7
X
UTILITAIRES EXISTENTIELLES
t a m . N o n pas q u ' o n y a p p r e n n e des m o t s , mais o n y v i t u n e v r a i e v i e
i
q u i est absente... J e pense q u e , dans l a g r a n d e p e u r d u l i v r e s q u e ,
L1MAGE UAPPORTDE
CITROEN o n sous-estime la référence o n t o l o g i q u e d e 1 ' h u m a i n a u l i v r e q u e
LA PUBLICITE
avant1982 1982-1985 l ' o n p r e n d p o u r u n e source d ' i n f o r m a t i o n s , o u p o u r u n ustensile d e
VALEURS VALEURS 1 ' a p p r e n d r e , p o u r u n m a n u e l , a l o r s q u ' i l est u n e modalité d e n o t r e
être» . 2 8
NON EXISTENTIELLES NON UTILITAIRES
de par 1'image de ses
L a r e c o n n a i s s a n c e d e l a généralité d e ce système d e v a l e u r s , d e ce
conducteurs "pépères"
q u i paraít b i e n être u n e a x i o l o g i e d e l a v i e q u o t i d i e n n e e t n o n d e la
seule c o n s o m m a t i o n , suggère a l o r s u n e r e l e c t u r e d u f a m e u x Système
2 6 L a « p é p é r i s a t i o n » , c o n t r e l a q u e l l e c h e r c h e à l u t t e r la p u b l i c i t e séguélienne, n'est- des objets d e J . B a u d r i l l a r d . D a n s ce l i v r e , J . B a u d r i l l a r d p o s a i t « l a
e l l e p a s e n fin d e c o m p t e c c p r o c e s s u s d e « p r o m o t i o n p e t i t e - b o u r g e o i s e » d e l ' a u t o m o - q u e s t i o n d e savoir c o m m e n t les objets s o n t vécus, à quels besoins
b i l e p a r le p u b l i c d e s années c i n q u a n t e d é n o n c é e p a r la j e u n e génération s u i v a n t e ? D a n s
ses Mythologies ( 1 9 5 7 ) , p . 1!>2, R. B a r t h e s n o t a i t à p r o p ô s d e l a « D é e s s e » q u e l e p u b l i c
a u t r e s q u e f o n c t i o n n e l s ils répondent, quelles s t r u c t u r e s m e n t a l e s
« s ' e f f o r c e três v i t e d e r é i n t é g r e r u n e c o n d u i t e d ' a d a p t a t i o n e t d ' u s t e n s i l i t é » . L ' e x p o - s'enchevêtrent avec les s t r u c t u r e s f o n c t i o n n e l l e s e t y c o n t r e d i s e n t , s u r
s i t i o n a u t o m o b i l e est « l a g r a n d e p h a s e t a c t i l e d e l a d é c o u v e r t e , l e m o m e n t o ú l e m e r -
v e i l l e u x v i s u e l v a s u b i r 1'assaut r a i s o n n a n t d u t o u c h e r ... P a r t i e d u c i e i d e M é t r o p o l i s , l a
Déesse est e n u n q u a r t d ' h e u r e m é d i a t i s é e , a c c o m p l i s s a n t d a n s c e t e x o r c i s m e l e m o u v e -
2 7 C a m p a g n e F i l m TV L e s i e u r 1 9 8 6
m e n t m ê m e d e la p r o m o t i o n p e t i t e - b o u r g e o i s e » .
2 8 F.. L e v i n a s , Ethique et Infini, Paris, L i v r e d e Poche, 1 9 8 4 .
146 Sous les signes, les stratégies «J'aime, J'aime, J'aime... » 147
quel système culturel, infra - ou transculturel, est fondée leur quoti- pratique, 1'autre qui est d'être possédé. La première releve du champ
dienneté vécue» . Après avoir organisé 1'ensemble des oppositions
29
de la totalisation pratique du monde par le sujet, 1'autre d'une entre-
et des signifícations latentes de 1'intérieur domestique sur «la grande prise de totalisation abstraite du sujet par lui-même en dehors du
opposition rangement/ambiance», le sociologue s'attaque à cet «élé- monde. Ces deux fonctions sont en raison inverse l'une de 1'autre.
ment extérieur qui constitue à lui seul une dimension du système des A la limite, l'objet strictement pratique prend un statut social : c'est
objets quotidiens», 1'automobile : «objet par excellence en ce qu'il la machine. A 1'inverse, l'objet pur, dénué de fonction ou abstrait de
resume tous les aspects de 1'analyse : 1'abstraction de toute fin pratique son usage, prend un aspect subjectif : il devient objet de collection » . 32
dans la vitesse, le prestige — la connotation formelle — la connotation Plus loin dans 1'ouvrage, à propôs de 1'opposition entre machine et
technique — la différenciation forcée — 1'investissement passionné — machin, J. Baudrillard donnera de la négation d'une valorisation pra-
la projection phantasmatique» . 31
tique une interprétation psychanalytique : «N'importe quel objet d'ail-
leurs est un peu machin : dans la mesure oú son instrumentalité pra-
Puis, dans la deuxième partie de son livre, J. Baudrillard aborde
tique s'efface, il peut être investi d'une instrumentalité libidinale» . 33
le système non-fonctionnel dont relèvent toute une catégorie d'objets
Là, les chemins du sémioticien et du psycho-sociologue se séparent ou,
qui semblent échapper au système qu'il vient d'analyser : «ils sembient
plutôt, le sémioticien laisse le psycho-sociologue aller jusqu'à 1'inter-
contredire aux exigences de calcul fonctionnel pour répondre à un
prétation, se refusant par discipline — aux deux sens du mot —
vceu d'un autre ordre : témoignage, souvenir, nostalgie, évasion».
d'opter pour telle ou telle ontologie. La définition narrative (en
L'objet fonctionnel est alors opposé à 1'objet mythologique : l'un est
valeurs d'usage et valeurs de base) de l'opposition pratique/mythique
«efficace», 1'autre est «accompli». Bien plus, si l'on se rappelle qu'un
d'A. J. Greimas permet la reconnaissance des relations et des opéra-
système signifíant est d'abord un système de relations et que cette
tions qui definissem quatre types fondamentaux de valorisation des
axiologie de la vie quotidienne que nous avons définie plus haut
objets de la vie quotidienne. L'axiologie ainsi constituée rend compte,
repose sur une mise en contrariété, la réflexion de J. Baudril-
selon nous, des mêmes pratiques signifiantes analysées par le socio-
lard devient pour nous d'autant plus pertinente et suggestive qu'elle
logue ; elle en retrouve de plus 1'économie pour la formaliser davan-
s'attache à definir la relation qui existe entre ces deux types d'objets,
tage, notamment dans son dynamisme, sa syntaxe. Enfin — et peut-
une relation qui correspond en fait à une contrariété, au sens oú
être surtout — elle s'origine et s'autorise de la seule analyse concrète
nous 1'avons définie lors de la présentation du carré sémiotique :
d'énoncés, que ce soient des campagnes publicitaires ou des propôs
«Sur le plan vécu, ces postulations contradictoires (du fonctionnel et
de consommateurs.
du mythologique) coexistent à Fintérieur du même système comme
complémentaires... une complémentarité illustrée à la limite par la Comment peut-on exploiter cette définition narrative de 1'opposi-
double propriété, maintenant courante : appartement de ville-maison tion? Quelle peut être la rentabilité d'une telle formalisation? Tout
de campagne. Ce duel d'objets est au fond un duel de conscience» . 31 d'abord, il est possible d'élaborer à partir de cette topographie des
valorisations une typologie des sujets valorisants correspondants, une
Bientôt, le sociologue en arrive logiquement à 1'idée que tout objet typologie de clientes et de clients par exemple. Nous avons presente
peut réaliser, incarner si l'on peut dire, les deux types contraíres de ailleurs une telle typologie, fondée sur la même axiologie : celle des
34
» Md., p. 165.
M J . - M . Floch, T h e contribution of structural semiotics to the design of a hypermar-
ket, in International Journal of Research in Marketing, Amsterdam, North-Holland, vol. 4,
2 9 J . Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 9 (éd. T e l ) . n° 4, C h . Pinson (ed.), 1988, é d . française : L a contribution d'une sémiotique structu-
3 0 Md., p. 92. P
rale à la conception d'un hyperniarché, in Recherche et Applications en Marketing, vol. I V ,
31 Md., p. 114-1 15. n" 2 / 1 9 8 9 , Paris, P U F , 1989.
148 Sous les signes, les stratégies *J'aime, J'aime, J'aime... » 149
visiteurs, des chalands d'un h y p e r m a r c h é dont on avait analysé les Trouver le produil. vile. en qualité suffí-
"J'aime me trouver dans quelque chose à
sante. touiours au même ravon."
récits de visite, les critiques à 1'encontre des h y p e r m a r c h é s actueis Pourquoi croyez-vous qu'on aille dans un taille humaine, et non pas dans quelque
hyper, sinon pour réduire lefacteur temps ? chose d'immense, de démesuré."
et les attentes vis-à-vis d'un h y p e r m a r c h é « d e nouvelle g é n é r a t i o n » .
Pourquoi ne pas faire un hyper oà on irait "Dans les hypers d'aujourd'hui, il n'y a pas
L'analyse de 1'ensemble de ces é n o n c é s montrait que 1'hypermarché encore plus vite. (On ferait) des parkings à de convivialité. Ce terme me plait beau-
peut ê t r e c o n ç u comme un moyen de s'approvisionner rapidement, étages pour rendre plus compact 1'espace, coup. Ilfaut avoir envie d'y aller. Ce nest
pour être encore plus prés des produits. pas mon cos aujourd'hui;j'y vais par neces-
efficacement et é c o n o m i q u e m e n t ou q u ' i l peut, au contraire, r e p r é - Avec des systèmes de descentes et de mon- site. Dans mon hvper convivial. ilvauraiten
senter 1'espace d'une nouvelle façon de vivre, le dernier avatar du tées pour les caddies; ce serait três effi- plein milieu un endroit oú s'asseoir. discu-
cace." ter. manger des crepes."
marche ou de la foire, espaces quelque peu mythiques de la convi-
vialité. En d'autres termes, 1'hypermarché, r é e l l e m e n t ou potentielle-
ment, est investi de valeurs pratiques ou, au contraire, de valeurs
utopiques : convivialité, m o d e r n i t é ou equilibre enfin possible entre Le "corvéable" Le "convivia!"
la nature et la culture. PRATIQUE UTOPIQUE
Nous conclurons ce chapitre en indiquant une toute autre exploi- mobilier ou celui d'une société de vente par correspondance pour
tation de cette axiologie : 1'analyse s é m i o t i q u e du design. Par leurs reconnaitre d e r r i è r e les trois ou quatre «styles» p r o p o s é s 1'exaltation,
designs, un meuble, un t é l é p h o n e , une montre peuvent se donner loute convenue, de telle ou telle valorisation du c a n a p é , de la table
pour pratiques, ludiques, utopiques... Les formes, les m a t i è r e s , les ou du l i t . Là encore, ce sont des analyses c o n c r è t e s portant sur des
lignes, les couleurs et les volumes mais surtout la conception m ê m e gammes ou des univers-produits circonscrits et h o m o g è n e s qui per-
des objets constituent les signifiants de leur valorisation. Selon mettent dMdentifier les traits d'expression (les qualités de formes,
leurs designs, les objets seront luxueux et raffinés, traditionnels ou (Tagencements, les accords chromatiques...) qui sont solidaires, dans
modernes, solides et modulables, astucieux et é c o n o m i q u e s . Le design lei secteur particulier, de chacun des grands types de valorisation, ou
a déjà une longue histoire; i l y a des mouvements, des écoles, des qui constituent le signifiant d'une articulation ou d'une conciliation de
manifestes, des ceuvres majeures... et des marques! Les objets et les certains d'entre eux. Cest en p r o c é d a n t ainsi par commutation, c'est-à-
environnements qui ont é t é créés t é m o i g n e n t de la diversité de leurs dire en cherchant s y s t é m a t i q u e m e n t les c o r r é l a t i o n s qui existent entre
valorisations, comme de 1'âpreté des d é b a t s idéologiques entre écoles é l é m e n t s ou grandeurs de 1'expression d'une part et du contenu axio-
ou de la sophistication des stratégies marketing des marques. U n télé- logique des produits d'autre part q u ' i l est possible de d é g a g e r une
phone peut devenir un objet ludique, un produit de b e a u t é signifier logique du design sectoriel, é t a n t entendu ici que, selon nous, un
F u r b a n i t é yuppie et les valeurs existentielles de la « g é n é r a t i o n vidéo- design releve d'une sémiosis, c'est-à-dire de 1'instauration d'une rela-
r o c k » . . . Et i l n'est que de consulter le catalogue d'une marque de
36 tion de p r é s u p p o s i t i o n reciproque entre la forme de l'expression et la
forme du contenu d'un système d'objets . A u t r e m e n t dit, le design
37
n'est pas du seul ordre du signifiant; un design est tout à la fois signi-
réfléchie, Paris, Seuil, 1989 (chap. 4 ) ; A.-J. Greimas, Du Sens II, Paris, Seuil, 1983; fiant et signifié, plus exactement c'est une relation entre un signifiant
J. Fontanille, Le d é s e s p o i r , in Actes Sémiotiques - Documents, I I , 16, 1 9 8 0 ; P. Fabbri et
I . Pezzini (éd), Affettività e sistemi semiotici. L e passioni nel discorso, in Versus,
4 7 / 4 8 , 1987.
3 8 C e s t ainsi, par exemple, q u ' o n t é t é c o n ç u s au Japon le Musica de Panasonic, q u i
devrait devenir le p r o d u i t leader de la gamme des t é l é p h o n e s de la marque ainsi que quelque modele que ce soit, le design les r é d u i t à deux composantes rationnelles, deux
la ligne de produits de b e a u t é pour hommes T r e n d y de Shiseido. Selon Creation Maga- modeles g é n é r a u x : 1'utile et 1'esthétique, q u ' i l isole et oppose artiFiciellement l ' u n à
zine, n" 43, d é c . 1988-janv. 1989, Musica, designe par Shigaru Okasaki, est « d e s t i n e 1'autre. I n u t i l e d'insister sur le f o r ç a g e d u sens, sur 1'arbitraire q u ' i l y a à le cerner par
aux jeunes gens c é l i b a t a i r e s de 18 à 29 ans p o u r lesquels le t é l é p h o n e est devenu un Ces deux Finalités restreintes. En fait, elles ne sont qu'une : ce sont deux formes d é d o u -
o u t i l essentiel p o u r s'amuser... L'appareil est le r é s u l t a t des cogitations entre les desi- blées de la m ê m e r a t i o n a l i t é , scellées par le m ê m e système de valeurs. Mais ce d é d o u -
gners et un groupe d ' é t u d i a n t s reunis par W o r k s (à la fois base de recueil d'informa- blement artificiei permet ensuite d ' é v o q u e r leur r é u n i f i c a t i o n comme s c h è m e ideal. O n
tions, bureau de style et o u t i l de réflexion). L ' i d é e de base pour ce t é l é p h o n e comme separe 1'utile de l ' e s t h é t i q u e , on les n o m m e s é p a r é m e n t (car ils n ' o n t pas d'autre r é a -
pour les autres produits issus de W o r k s : la technique doit ê t r e au service du plaisir. lité, l ' u n et l'autre, que d ' ê t r e n o m m é s s é p a r é m e n t ) , puis on les rejoint i d é a l e m e n t , et
L'ef'Ficacité et les fonctions ne suffisent p l u s » . Quant aux produits T r e n d y , leur packa- toutes les contradictions sont r é s o l u e s par cette o p é r a t i o n magique ... T e l l e est la fonc-
ging réalisé par les designers anglais de Pentagram pour Shiseido restitue « t o u t e s les tion i d é o l o g i q u e du design (c'est nous q u i soulignons) : avec le concept d ' « e s t h é t i q u e
ambiances de la ville et les é m o t i o n s des jeunes ... Habitues à lire entre les signes, les f o n c t i o n n e l l e » , i l propose un modele de r é c o n c i l i a t i o n , de d é p a s s e m e n t formei de la
Japonais r e t r o u v e n t dans le graphisme de Pentagram 1'architecture de la ville, ses cou- spécialisation (la division d u travail au niveau des objets) par 1'enveloppement d'une
leurs et 1'univers sonore du walkman. Ce packaging est un condense du monde artifi- valeur u n i v e r s e l l e » (Pour une critique de 1'économie politique du signe, Paris, G a l l i m a r d ,
ciel dans lequel planent les jeunes T o k y o T t e s » . 1972, é d . T e l , p. 235). I I conviendrait davantage de parler des designs : de celui certes
Les deux exemples, tires de l'univers des produits japonais, n ' o n t pas é t é choisis par historiquement d é t e r m i n a n t d u Bauhaus mais aussi de ceux q u i proposent o u induisent
souci d'exotisme; ils Pont é t é parce qu'ils illustrent la relative t r a n s c u l t u r a l i t é de d'autres idéologies que la conciliation m y t h i q u e des valeurs utilitaires et existentielles.
1'axiologie que nous avons p r é s e n t é e , par ailleurs c o n F i r m é e par des é t u d e s m e n é e s Cela p e r m e t t r a i t d'ailleurs de ne pas confondre 1'axiologie f o n d é e sur la mise en contra-
par iPSOS-Sémiotique. Ils 1'ont é t é aussi pour a t t i r e r 1'attention sur le fait que le design rité de ces valeurs — ce q u i est une chose, ce qui est déjà un fait de culture et Bau-
aujourd'hui ne releve plus d'une et d'une seule i d é o l o g i e , celle de la m y t h i q u e concilia- d r i l l a r d a raison de tenter d'en rendre compte — et les diverses i d é o l o g i e s o u q u ê t e s
tion des valeurs utilitaires et existentielles mises p r é a l a b l e m e n t en relation de contra- de valeurs qui peuvent en d é r i v e r et q u i n'en sont alors que des r é a l i s a t i o n s partielles,
r i é t é . En 1972, J . Baudrillard parlait un peu t r o p rapidement du design et de sa encore plus é t r o i t e m e n t culturelles et historiques.
fonction dans ce q u i est, selon l u i , 1'économie politique du signe q u i c a r a c t é r i s e notre 5 7 Cf. 1'article « S é m i o s i s » dans S é m i o t i q u e , Dictionnaire raisonné de la théorie du langage
société : « T o u t e s les valences possibles d'un objet, toute son ambivalence i r r é d u c t i b l e à ( A . J . Greimas et J . C o u r t é s ) , Paris, Hachette, 1979, t. 1, p . 339.
152 Sous les signes, les stratégies
et à 1'enrichissement d e 1'image d e 1 ' é d i t e u r a u p r è s d e ses d i f f é r e n t s o c c u p e n t des espaces l i m i t e s dans les pages d ' u n q u o t i d i e n . E t p o u r -
p u b l i c s , ainsi q u ' à 1 ' o r i g i n a l i t é , à la c o h é r e n c e et à la c o n t i n u i t é d e t a n t elles a c c r o c h e n t i m m é d i a t e m e n t et d u r a b l e m e n t le r e g a r d d u
sa c o m m u n i c a t i o n . l e c t e u r . Ce q u i f a i t d ' e m b l é e la p a r t i c u l a r i t é de ces a n n o n c e s , c'est
q u ' e l l e s t r o u v e n t l e u r f o r c e et l e u r i d e n t i t é dans 1 ' e x p l o i t a t i o n des q u a -
P o u r q u i v i e n t d e r e t r o u v e r les d i x ans d'annonces-presses r é a l i s é e s
l i t és visuelles d e la page de q u o t i d i e n . L ' o r t h o g o n a l i t é d u e a u c o l o n -
sous la d i r e c t i o n d e J . - M . L e y d i e r p a r l'agence A l i c e p o u r les P U F et
nage et au t i t r a g e , le « g r i s » general c r é é p a r la d e n s i t é des espace-
r é c e m m e n t r e p r o d u i t s dans Le? livres des PUF quest fonnent le mondV,
m e n t s et des i n t e r l i g n a g e s et le p a r c o u r s o r i e n t e d u r e g a r d q u e
la c o h é r e n c e et la c o n t i n u i t é d e la c o m m u n i c a t i o n des P U F o n t u n
p r o p o s e la l e c t u r e sont, là, consideres et e x p l o i t é s c o m m e de v é r i t a b l e s
caractere d ' é v i d e n c e : p r a t i q u e m e n t aucune critique é l o g i e u s e rappor-
m a t é r i a u x : l i s c o n s t i t u e n t la substance de 1'expression d e c e t t e c o m m u -
t é e , a u c u n e f f e t d e v i t r i n e d e l i b r a i r e p r é s e n t a n t le l i v r e d r e s s é c ô t é
n i c a t i o n , c ' e s t - à - d i r e le m a t é r i a u sensible, visuel e n 1'occurrence, q u i
c o u v e r t u r e o u s a v a m m e n t integre à u n e c o m p o s i t i o n d e c i t a t i o n s , de
est t r a i t é p a r u n e f o r m e , p a r u n e c e r t a i n e f a ç o n i n v a r i a n t e d e s é l e c -
c o u p u r e s d e presse et d ' i l l u s t r a t i o n s d e t o u t e s sortes, o u a u c u n effet
t i o n n e r et d ' a g e n c e r les choses, et q u i , p a r la m ê m e , p e r m e t à c e t t e
d e p a n n e a u d ' a f f i c h a g e p u b l i c i t a i r e d é v e l o p p a n t sur t o u t e la l a r g e u r
f o r m e de se m a n i f e s t e r . Les f o r m a t s sont t o u j o u r s n e t t e m e n t a f f i r m é s
d ' u n e page d e q u o t i d i e n le n o m de 1'auteur o u le p r i x r e m p o r t é p a r
p a r ce b o r d n o i r é p a i s q u i est l ' u n des é l é m e n t s d u c o d e d e c o m m u n i -
le l i v r e . S u r les q u e l q u e q u a t r e cents a n n o n c e s , à p e i n e u n e d i z a i n e
c a t i o n des P U F , ainsi q u e p a r le l a r g e b a n d e a u h o r i z o n t a l o ú s ' i n s c r i t
c o m p o r t e u n e a c c r o c h e , et t r ê s v i t e a d i s p a r u la r e p r o d u c t i o n d u l i v r e
la devise. Les p r o p o r t i o n s o u les d i s p r o p o r t i o n s d e v i e n n e n t d è s l o r s
c o m m e o b j e t d é t o u r é . B i e n s ú r , o n r e t r o u v e la p h o t o g r a p h i e d ' a u t e u r
mais elle ne d o n n e j a m a i s a l o r s 1'effet, h a b i t u e i , de la p h o t o d ' i d e n t i t é
un moyen cTexpression. Les formats standard s u g g è r e n t la couverture Mais le choix du noir et du blanc et leur mise en contraste ne
ou la double page d'un livre, plus rarement la planche anatomique, le sont pas limites aux seuls sujets tragiques, tout simplement parce qu'il
panorama didactique ou m ê m e 1'afflche politique. Les formats parti- existe dans la réalité, dans les innombrables figures du monde et
c u l i è r e m e n t étirés sont, eux, motives par le sujet m ê m e du livre ou dans les univers de r é f é r e n c e les plus divers, des « c h o s e s » en noir et
par la forme de ce qui est choisi pour la Figure exclusive du visuel : un des « c h o s e s » en blanc. La craie est blanche, et le tableau est noir : ils
fusil, u n stylo de luxe, un crayon, le dos d'un livre f e r m é , la c h a í n e seront choisis pour r e p r é s e n t e r , dans sa réalité c o n c r è t e et sensible, le
des composants d'un embryon ou encore la forme linéaire, matérielle monde de 1'école et de 1'éducation. La l i t t é r a t u r e ? Cest u n palimp-
et sensible, d'un é n o n c é , qu'il soit d a c t y l o g r a p h i é , t r a n s c o d é en signes seste, des textes et des auteurs, des manuscrits et des signatures c'est-à-
gestuels ou furtivement b o m b é . dire de 1'écriture, de 1'encre noire sur le papier blanc. La paix, quant à
A u t r e m a t é r i a u e x p l o i t é : la couleur de la page du quotidien, le elle, est une blanche et fragile colombe. Les derniers jours de VAfrique
« g r i s » c r é é par la r é g u l a r i t é des espacements et les interlignages. du Sud sont, eux, conçus comme une partie de bras de fer entre Noirs
Cette couleur offre la possibilite de j o u e r sur des noirs et des blancs et et Blancs...
de c r é e r 1'impact en rompant 1'étendue du r é d a c t i o n n e l ; i l n'est pas Le parfum de la salle en noir ne pouvait pas ne pas donner 1'une des
dès lors nécessaire de recourir à d'autres couleurs, un rouge ou un plus belles exploitations plastiques de la l u m i è r e et de 1'obscurité. Le
bleu (c'est-à-dire à un autre passage à 1'impression) pour donner un texte de 1'annonce indique que le livre « s i t u e le cceur de cette atti-
fort impact à 1'annonce. Mais ces noirs et ces blancs n'ont pas une rance (pour le S e p t i è m e A r t ) dans la salle de cinema, lieu par
seule valeur d'impact. Comme pour les formats, on s'aperçoit, à la lec- excellence mythologique. Ainsi se dessinent quelques raisons de plus
ture du titre ou du sujet, que les qualités d'expression offertes par le d'aimer le cinema, dont tout prouve qu'il conserve la faveur du public
m a t é r i a u chromatique de la page de quotidien ont é t é sélectionnées face à la télévision». O r ce qui se dessine dans le visuel, c'est le galbe
et exploitées en fonction du t h è m e du livre. des jambes de 1'ouvreuse souligné par la couture de ses bas noirs, et
Prenons 1'exemple des r e p r é s e n t a t i o n s de la m o r t . Bien súr la m o r t cette autre projection, non pas horizontale sur 1'écran mais verticale
peut ê t r e symbolisée t r ê s conventionnellement par la couleur noire. dans la t r a v é e . Comme le projecteur invisible dessine sur 1'écran des
Mais, le plus souvent, la m o r t est e x p r i m é e par le noir selon une véri- j e u x changeants de l u m i è r e et d'ombre et fait rever le spectateur qui
table parcours de la p e n s é e — intuitive ? — qui part de la m o r t que le ne peut a r r ê t e r 1'image, les mouvements de la lampe de l'ouvreuse
t h è m e implique, « e n a m o n t » si l'on peut dire, à la situation qui peut font apparaitre et disparaitre les objets imprécis qui servent la trou-
la c o n c r é t i s e r « e n aval». blante s c é n o g r a p h i e de ses allées et venues.
Dans 1'annonce du livre Le héros et 1'Etat dans la tragedie de Pierre T r o i s i è m e m a t é r i a u exploité par les annonces : le parcours oriente
Corneille, par exemple, la m o r t du h é r o s , sa destruction par l'Etat qu'il du regard p r o p o s é par la lecture de la page du quotidien, c'est-à-dire
a pourtant c r é é , est illustrée par 1'étonnante strangulation du buste le privilège d o n n é à 1'horizontalité et la mise en tension de cet axe, de
d'un general r o m a i n ; 1'assassin est u n technocrate anonyme au strict g a ú c h e à droite dans notre culture. T o u t d'abord, comme le ferait un
veston noir. La c r é a t i o n , en 1'occurrence, c'est non seulement une judoka, 1'annonce va utiliser la force d'inertie de la lecture pour don-
idée figurative, une mise en scène moderne et quelque peu surréaliste ner plus d'impact à la r e p r é s e n t a t i o n d'un passage, ou d'un chemine-
du drame c o r n é l i e n , mais aussi et surtout une idée plastique, propre- ment : ce qui passe est d'autant mieux p e r ç u comme tel qu'il va à
ment visuelle : 1'enserrement de la t ê t e claire du h é r o s par la masse 1'encontre du mouvement de 1'ceil. O n rencontre maints exemples de
sombre de l'Etat. Et l'on retrouve le parcours g é n é r a t i f (cf. supra, cette technique dans les annonces des P U F . L ' h o m m e p r é h i s t o r i q u e
p. 123) : en amont du t h è m e de la destruction du h é r o s , la m o r t , et en passe devant nous en trainant une femme par les cheveux pour illus-
aval une scène t r ê s c o n c r è t e qui va permettre d'exploiter la puissance trer «la substitution de l'Etat patriarca] à la société de clans matris-
d'une masse noire sur une page de j o u r n a l . tiques». O n pourrait citer bien d'autres mouvements; une é m i g r a t i o n
158 Sous les signes, les stratégies Uimage, pour troubler les lettrés 159
protestante, une j o i e cTaller à Pécole « p r o p o r t i o n n e l l e aux efforts et Une forme d'expression classique
aux o b l i g a t i o n s » , ou encore un « é l a n c u l t u r e l » ou 1'échappée atmo-
s p h é r i q u e de particules nucléaires invisibles. M ê m e les Republiques
passent à contre-courant du sens de la lecture! Cest la maquette de 1'annonce, sa conception g é n é r a l e qui va d é t e r m i -
L'opposition g a ú c h e vs droite ne sert pas seulement, par sa mise en ner les proportions, les dispositions et les rythmes. Et cette mise en
tension, à 1'expression d'un récit de mouvement. Elie propose aussi forme, dans la mesure oú elle sera p r é f é r é e à d'autres et reprise pour
une symétrisation de 1'espace de 1'annonce et, par là, l'expression chaque nouvelle annonce, deviendra ce que l'on appelle souvent une
topologique d'une confrontation. Cest une t r ê s vieille mais encore identité visuelle, en 1'occurrence celle d'une c o o p é r a t i v e d ' é d i t i o n : les
três actuelle utilisation semi-symbolique de 1'espace . La plupart du 3
PUF. Le fait que les annonces des PUF s u g g è r e n t davantage la double
temps, 1'opposition figure celle des idéologies voire des partis. Cette page d'un livre bien ouvert que la vitrine d'un libraire indique déjà
version i d é o l o g i q u e de l'opposition g a ú c h e vs droite est tellement p r e - que des qualités formelles particulières existent dans ces annonces qui,
sente à 1'esprit des lecteurs auxquels s'adresse la communication des absentes, a l t é r e r a i e n t ou modifieraient les effets de sens qu'elles pro-
PUF qu'elle autorise à j o u e r sur la symétrie des chutes r a c o n t é e s dans duisent. Comment definir cette mise en forme? Quels sont les traits
deux visuels différents, pour deux livres différents. Pour Véconomie de d ' i d e n t i t é de la maquette d'une annonce des PUF, qui la font
Marx. Histoire d'un échec, le visuel represente un buste de Marx et sa reconnaitre parmi tant d'autres? O n dira que c'est sa forme classique,
stèle dorique tombant vers la d r o i t e ; pour Le patronat américain ou la en renvoyant le lecteur aux pages 65 à 72 o ú nous avons repris et
mort du libéralisme, le dessin represente cette fois un gros capitaliste à e x p o s é les cinq traits qui c a r a c t é r i s e n t la vision classique, selon l'his-
cigare et gibus en train de tomber raide de son piédestal ionique, vers torien de l'art H . Wõllflin, et qui la donne pour o p p o s é e à la
la g a ú c h e . Cela dit, Marx tombe-t-il à droite et le capitaliste à g a ú c h e ? vision baroque.
Rien n'est moins súr. I I serait plus juste de dire que Marx tombe à sa Ainsi, la maquette des annonces réalisée par 1'agence Alice prend
g a ú c h e , sur sa g a ú c h e ; et la capitaliste sur sa droite : du c ô t é de leur en compte les qualités du format rectangulaire, que ce format soit
camp, si l'on peut dire. Pourquoi peut-on parler de «justesse» de puissamment affirmé par un épais b o r d noir ou seulement s u g g é r é —
cette autre lecture? Parce que la disposition g a ú c h e vs droite à partir dans le code de la collection « Q u a d r i g e » — par un b o r d três fin. Le
de 1'espace represente, et non à partir du lecteur, se retrouve maintes décalage, par rapport au cadre toujours affirmé et e x p l o i t é dans ses
fois dans les visuels des PUF. Ainsi, de façon plus secrète et plus sophis- qualités plastiques devient du coup un é v é n e m e n t visuel, exceptionnel,
t i q u é e , le visuel de L'URSS vue de gaúche place le lecteur d e r r i è r e et par là m ê m e reserve aux annonces d'une publication p a r t i c u l i è r e :
un Kremlin qui n'est pour l u i qu'un d é c o r de t h é â t r e . L'orientation en 1'occurrence la revue Pouvoirs. La partition de 1'espace repose donc
de biais de ce d é c o r et le point de vue que la perspective choisie fait sur des parallélismes et des o r t h o g o n a l i t é s , ou sur 1'attention p o r t é e à
adopter au lecteur permettent de raconter une histoire, celle d'une la mise en valeur des angles du cadre (il n'est pour en j u g e r que de
désillusion. Moscou n'est pas ce que l'on croyait; i l fallait pour s'en regarder comment le logo des PUF se cale dans 1'angle bas droit). Les
rendre compte s'approcher et contourner par la g a ú c h e ce socialisme visuels et les corps de texte sont e u x - m ê m e s souvent réinscrits dans un
soviétique qui n ' é t a i t en fait qu'une apparence trompeuse, qu'un effet cadre. Autres manifestations d'une p e n s é e « l i n é a i r e » privilegiam les
de réalité. délimitations et les discontinuités : les frequentes s é p a r a t i o n s du titre
et du nom de 1'auteur par un trait fin ou par un point, ou encore les
e n c a d r é s de legendes. De plus, les annonces des PUF ont aussi ceei de
classique qu'elles assurent une « m u l t i p l i c i t é » de la maquette : une
relative autonomie des différents é l é m e n t s . Ce p r í n c i p e , classique,
de multiplicité de la maquette est d'ailleurs devenu en 1987 le trait
3 Sur la p r o b l é m a t i q u e du semi-symbolisme, cf. ici m ê m e p. 85.
160 Sous les signes, les stratégies Uimage, pour troubler les lettrés 161
d ' i d e n t i t é visuelle de la collection phare, historique, des PUF : les nalité» pour reprendre la formule d ' H . Wõllflin. L'image est cepen-
« Q u e sais-je?» O n ne trouve pas dans les annonces des PUF ces che- dant traitée de telle sorte qu'elle s ' i n t è g r e à la maquette de 1'annonce :
vauchements du texte, de la couverture et de quelques illustrations, bien súr, les formes ne sont que partiellement éclairées, mais ce qui est
si frequente dans les Communications concurrentes et qui soumettent éclairé est s y s t é m a t i q u e m e n t disposé par rapport au cadre : les mon-
les différents é l é m e n t s de 1'annonce à u n effet unique, g é n é r a l e m e n t tants de siège, la main verticale de Pouvreuse et m ê m e le trait lumi-
la s c é n o g r a p h i e du nom de 1'auteur. Le fait qu'il n'y ait pas dans les neux horizontal à sa droite. Cest d'ailleurs ce j e u des verticales
annonces des PUF d'effet-vitrine de libraire mais qu'y abondent les partant des bords verticaux d u cadre qui donne toute leur b e a u t é au
effets de double page de livre bien ouvert ou de couverture dressée galbe des jambes et à la fínesse du talon. Quel exemple plus précis,
face au lecteur, ce fait m ê m e indique assez le souci du plan, de la sur- quelle illustration plus c o n c r è t e peut-on trouver de cette forme
face plane constituam un plan nettement situe dans 1'espace, et non la d'expression et de cette c o m p l é m e n t a r i t é a priori paradoxale entre la
recherche baroque d'une profondeur. lisibilité et le trouble qui fait 1'originalité de la communication
des PUF.
Bien súr, i l est possible de trouver quelques tentations de «vision»
baroque dans les premiers temps de la communication avec la repro-
duction du livre en profondeur ou la mise en p r o x i m i t é i m m é d i a t e
des points de vue. Mais on doit surtout remarquer la façon dont la «Sémantique structurale » par A. J. Greimas et non d'A. J. Greimas
maquette se rend maitre d'un visuel qui est baroque d'expression ou
de contenu.
Exemples. L'effet de profondeur que pouvait produire la perspec- Parlons maintenant de la « f o r m e du c o n t e n u » propre à la communi-
tive biaise d'une r a n g é e de dossiers et de documents illustrant une cation des PUF. La forme du contenu, c'est ce q u i informe cette
Enquête sur les femm.es et la politique en France est évité par la place don- m a t i è r e qu'est le sens; ce sont les invariants du « m e s s a g e » des PUF
n é e à la tache blanche du chemisier de l ' u n des auteurs posant devant qui en garantissent la permanence et 1'identité, au-delà mais en m ê m e
la b i b l i o t h è q u e . Une statue baroque ne pouvait pas ne pas illustrer temps g r â c e aux divers discours sur tel ou tel ouvrage, telle ou telle
1'annonce pour les Actes d'un colloque c o n s a c r é à cet a r t ; c'est pour- collection. Les discours sont donc des variables de réalisation : ils
tant la sinueuse calligraphie du titre disposé p a r a l l è l e m e n t au b o r d constituem la « s u b s t a n c e du c o n t e n u » du langage des PUF. Abordons
superieur du visuel qui va redonner le privilège au plan, contre la les choses de façon c o n c r è t e , sur un exemple précis, pour travailler
profondeur. Les annonces et les couvertures de la collection « Q u a - ensuite à un niveau de plus grande g é n é r a l i t é et de plus grande abs-
d r i g e » c o m p o r t e m toutes un portrait, au dessin, de l'auteur; la col- traction.
lection offre ainsi une belle série de dessins contemporains, três Assez souvent — mais non s y s t é m a t i q u e m e n t , comme le font
différents les uns des autres. O r certains sont de facture tout à fait d'autres é d i t e u r s — les annonces des PUF donnent un portrait de
baroque, comme les portraits de V . J a n k é l é v i t c h et de F.-A Hayek. 1'auteur ou des auteurs. Ces portraits font alors partie integrante du
Dans ce cas, c'est le cadrage serre du dessin, la délimitation ainsi faite visuel. Bien plus, ils le servent. L'attitude et la t é n u e de tel auteur
de ses hachures et de ses masses sombres qui inscrivent celui-ci dans le interpretam le politique comme « l ' e n j e u masque d'une t r a g i - c o m é -
dispositif classique de la maquette. d i e » sont celles d'un homme tout à la fois attentif et a m u s é ; le geste
Enfin, pour illustrer une d e r n i è r e fois cette « p h a g o c y t o s e » du de tel autre est celui de 1'orateur attirant 1'attention de son auditoire
baroque par le classique, on reviendra — avec plaisir, avouons-le — sur quelque rappel ou avertissement, et i l est dit dans le texte de
sur 1'annonce pour Le parfum de la salle en noir. Voilà un sujet baroque p r é s e n t a t i o n que 1'auteur « n ' h é s i t e pas ainsi à é b r a n l e r bien des idées
par excellence : un faisceau lumineux qui é c r è t e les formes, les sort recues tant parmi les Á r a b e s que chez les n o n - Á r a b e s » .
de 1'obscurité et les y replonge, avec tous les «privilèges de 1'irratio- L'utilisation d u portrait peut aller beaucoup plus loin : elle peut se
162 Sous les signes, les stratégies Vimage, pour troubler les lettrés 163
q u e s t i o n n e m e n t t o u t à la fois c o m m e u n f a i r e et c o m m e u n ê t r e :
c o m m e le t r a v a i l et 1'état passionnel q u i c a r a c t é r i s e n t u n sujet face à Signes, symboles, pictogrammes et mythogrammes
u n m o n d e q u i , p o u r l u i , p e u t o u d o i t a v o i r d u sens. S i g n a l o n s d ' a i l -
l e u r s i c i q u e le m o t i f , t e l q u ' i l est r e p r i s et t r a i t é dans les a n n o n c e s L a f o r m e d u c o n t e n u de la c o m m u n i c a t i o n des PUF n'est pas seule-
des PUF, est d é b a r r a s s é d e ses a n c i e n n e s c o n n o t a t i o n s p s y c h o p a t h o l o - m e n t c o n s t i t u é e p a r le r é c i t d u q u e s t i o n n e m e n t q u i d o n n e sens et
giques et q u ' i l n ' e x p r i m e j a m a i s u n m a l - ê t r e . L ' é t a t passionnel d e v a l e u r a u x l i v r e s q u e les Presses é d i t e n t ; elle est aussi c o n s t i t u é e p a r
1 ' i n t e l l e c t u e l , o u p l u s g é n é r a l e m e n t d u sujet q u e s t i o n n a n t le m o n d e , la r e l a t i o n i m p l i c i t e e n t r e a n n o n c e u r et l e c t e u r q u i est, e l l e , le f a i t d u
n'est certes pas 1'euphorie mais i l n e s i g n i f i e plus 1'abattement d e c e l u i t r a i t e m e n t d o n n é à ce r é c i t . A u t r e m e n t d i t , la f o r m e d u c o n t e n u pos-
q u i sait les l i m i t e s d u s a v o i r o u le spleen d u g é n i e q u i r ê v e de la « v i e s è d e u n e c o m p o s a n t e s é m i o - n a r r a t i v e et u n e c o m p o s a n t e d i s c u r s i v e —
a n t é r i e u r e » ( p o u r r e p r e n d r e la v i s i o n b a u d e l a i r i e n n e ) . et le p a r c o u r s g é n é r a t i f est, r a p p e l o n s - l e , la r e p r é s e n t a t i o n d y n a m i q u e ,
Ce m o n d e face a u q u e l se t r o u v e le sujet q u e s t i o n n a n t est aussi cons- d e 1 ' a r t i c u l a t i o n de l ' u n e à 1'autre. Q u e l l e r e l a t i o n au l e c t e u r est i m p h -
t i t u é d e t e x t e s , p l u s e x a c t e m e n t des g r a n d s textes selon les PUF : ces c i t é e p a r les a n n o n c e s des PUF, et d e q u e l l e s t r a t é g i e r e l è v e - t - e l l e ?
« t e x t e s d ' h i e r et d ' a u j o u r d ' h u i q u i sont aussi des textes p o u r d e m a i n » I n t é r e s s o n s - n o u s donc m a i n t e n a n t à 1 ' é n o n c i a t i o n c a r a c t é r i s t i q u e de
et q u e les PUF é d i t e n t dans la c o l l e c t i o n « Q u a d r i g e » . O n a n o t e plus cette c o m m u n i c a t i o n . P o u r cela, c o n s i d é r o n s les r a p p o r t s e n t r e les
d ' u n e fois la s p é c i f i c i t é d e ces a n n o n c e s : l e u r c l a r t é , l e u r e f f e t - c o u v e r - visuels et les t e x t e s et les r o l e s q u i l e u r sont a t t r i b u é s p u i s q u e le
t u r e , le p r i v i l è g e s y s t é m a t i q u e m e n t d o n n é a u dessin ( i l c o n v i e n t d ' y p r o p r e de l ' é n o n c i a t i o n , e n t a n t q u ' a c t e , est d ' a s s u r e r la m a n i f e s t a t i o n
a j o u t e r 1'inversion t y p o g r a p h i q u e d u t i t r e et d u n o m d e 1'auteur). d u d i s c o u r s sous la f o r m e de signes et d e r a p p o r t s e n t r e les signes.
Ce q u i les d i s t i n g u e des a u t r e s , a u p l a n d u c o n t e n u c e t t e fois, c'est L ' é n o n c i a t i o n se c a r a c t é r i s e a i n s i — e n t r e a u t r e s t r a i t s — p a r la p r i s e
1'absence d e la p r é p o s i t i o n par, c o m m e d e la p r é p o s i t i o n de. P o u r q u o i e n c o m p t e des s i g n i f i a n t s , p a r l e u r c h o i x d ' a b o r d et p a r la s o u m i s s i o n
c e t t e s u p p r e s s i o n ? Q u e l est le c o n t e n u d e ce q u i ainsi é n o n c é ? Ces d u s i g n i f í é a u x c o n t r a i n t e s de l e u r s n a t u r e s respectives e n s u i t e .
a n n o n c e s p o u r « Q u a d r i g e » p r é s e n t e n t des o u v r a g e s t o u t à f a i t p a r t i - L e t y p e d e s y n c r é t i s m e c h o i s i — t e x t e - i m a g e i c i mais ce p o u r r a i t
c u l i e r s ; ce sont des textes a u t a n t q u e des n o m s : « K a n t , A l t h u s s e r , ê t r e a i l l e u r s texte-gestes — d o i t ê t r e c o n s i d e r e c o m m e l ' u n des a b o r d s
D u r k h e i m , Bergson, Poulantzas, A t t a l i , Bachelard, D u m e z i l . . . autant p r i v i l e g i e s d e 1'analyse d e l ' é n o n c i a t i o n et d e la s t r a t é g i e a d o p t é e
d e t e x t e s . . . » T o u t se passe d o n c c o m m e si l ' a u t e u r d i g n e d e cette p a r 1 ' é n o n c i a t e u r ( l ' a n n o n c e u r ) vis-à-vis de 1 ' é n o n c i a t a i r e (la c i b l e ) . E n
c o l l e c t i o n était le m o n d e q u e s t i o n n é , c o m m e si les t e x t e s r é a l i s a i e n t effet, le s y n c r é t i s m e se d é f í n i s s a n t c o m m e la m i s e e n o e u v r e d e p l u -
la r e l a t i o n m ê m e e n t r e le sujet q u e s t i o n n a n t et le m o n d e s i g n i f i a n t . sieurs langages de m a n i f e s t a t i o n , i l i n d i q u e assez 1 ' e x p l o i t a t i o n f a i t e de
D a n s les a n n o n c e s Q u a d r i g e , les t i t r e s et les n o m s d ' a u t e u r s n ' o n t - i l s la c u l t u r e d e la c i b l e et de 1'image q u e celle-ci a de 1'annonceur : q u e l
pas c h a q u e fois le m ê m e c a r a c t e r e t y p o g r a p h i q u e , la m ê m e graisse, le s t a t u t est a c c o r d é à 1'image o u a u t e x t e , quels langages sont a t t e n d u s
m ê m e c o r p s ? L a p r é s e n t a t i o n des l i v r e s d e la c o l l e c t i o n a p p a r a i t d ê s d u f a i t de 1'image d e la m a r q u e ? 4
mier, Delacroix, Hugo, Baudelaire, M u n c h , K l i m t , Rockwell, Moe- encore ou déjà — une configuration topologique : celle d'un entre-
bius et, dans les ceuvres plus anciennes, s'avoue une réelle p r é d i l e c t i o n lacs. Aussi peut-on l u i donner la forme c o n c r è t e d'une ficelle défaite
pour Michel-Ange. De plus, les r é f é r e n c e s peuvent ê t r e indirectes : et r a m a s s é e sur elle-même. L'image d'un t r o u noir au b o r d duquel se
des dessins, des photographies ou des collages renvoient à des pein- penche, perplexe, 1'essayiste illustrera plus tard cette m ê m e p e n s é e .
tures de Magritte, Bacon, Ernst, W a r h o l ou encore à des photogra- Dire ici que 1'image illustre le titre ou le texte de p r é s e n t a t i o n du
phies de Cartier-Bresson, ou de Michals. Beaux exemples d'intertex- livre est en fait inexact. I I s'agit p l u t ô t en 1'occurrence d'un rapport
tualité visuelle. Mais i l est une autre source d'images : ce sont les comparable à celui existant entre une image de couverture et le texte
signes. Toutes les sortes de signes : les caracteres typographiques, d é c o u v e r t en ouvrant le livre. O n ne peut pas douter que c'est l'image
les symboles, qu'ils soient m a t h é m a t i q u e s , m o n é t a i r e s , idéologiques, qui est vue la p r e m i è r e dans la perception de 1'annonce, ne serait-ce
m a ç o n n i q u e s , d é m o g r a p h i q u e s , corporatifs et bien súr religieux; que par son d é p l o i e m e n t dans 1'espace. Circonscrite par le b o r d noir
Pétoile de David est ainsi l'un des symboles r é c u r r e n t s de la commu- qui signe toute annonce des PUF, l'image est i m m é d i a t e m e n t p e r ç u e
nication, le nombre de ses avatars égale ceux des h ô t e s privilegies des dans son rapport au titre et au texte. Alors 1'image en p r o f i t e ; elle
PUF : Marx et Freud. O n trouve encore des drapeaux, un panneau use du fait qu'elle est vue avant que ne soient lus le titre et le texte
de circulation et une multitude de pictogrammes... Les annonces des de p r é s e n t a t i o n . L'image use aussi de son statut d'illustration du sujet
PUF puisent donc à 1'envi dans le t r é s o r des signes; elles dispensent du livre, d ' é q u i v a l e n c e visuelle m ê m e sommaire ou partielle. Les lec-
ces signes ou les e n c h e v ê t r e n t , les brisent ou les font s'affronter. Dès teurs sont ainsi faits — du moins dans une culture livresque — qu'ils
lors, les logiques du sensible r é a p p a r a i s s e n t ; les qualités formelles de ne s'attendent jamais à ce que 1'image ne reproduise pas ou n'annonce
ces signes redeviennent p r é g n a n t e s , en m ê m e temps que se révèle pas simplement le contenu du texte. Les visuels des PUF j o u e n t sur
1'omniprésence du visuel dans la vie et les pratiques quotidiennes des 1'existence de ce contrat tacite et três souvent refusent de j o u e r le
intellectuels et de tous ceux dont les livres ou les lectures visent à role du hallebardier n'intervenant sur scène que pour clamer 1'arrivée
questionner le monde. Ces qualités formelles, ces signifiants, sont dis- des h é r o s . Ils se veulent des i n t e r p r é t a t i o n s p r é l i m i n a i r e s du sujet
ponibles ainsi pour une autre utilisation voire pour un discours autre. du livre.
Certains sont traités de façon calligrammatique, de telle sorte que Dans l'annonce pour Le Patriarcat un homme p r é h i s t o r i q u e , la mas-
1'arbitraire relation entre signifiant et signifíé disparaisse. Apollinaire sue sur 1'épaule, passe devant le lecteur en t r a í n a n t une femme par
disait à p r o p ô s des calligrammes qu'«il faut que notre intelligence les cheveux. L ' h o m m e et la femme, sensibles à la p r é s e n c e du lecteur,
s'habitue à comprendre s y n t h é t i c o - i d é o g r a p h i q u e m e n t au lieu d'ana- le regardent attentifs, un peu é t o n n é s . Le lecteur est 1'étranger, c'est
lytico-discursivement». lui qui fait 1'événement. Car la p r é h i s t o i r e , elle, passe d'un pas tran-
Les annonces des PUF rappellent à 1'esprit de lecteurs t r o p habi- quille, égal... ou se laisse t r a í n e r sans résistance, donc sans à-coup. Le
tues aux manifestations linéaires et presque immatérielles de la p e n s é e rapport de forces est clair, d'une b r u t a l i t é admise, evidente. La scène
les formes d'intelligence et de production du sens qui prennent en est dessinée três simplement, c r o q u é e avec une é c o n o m i e certaine de
compte la spatialité m ê m e de leur support, son d é p l o i e m e n t sensible. moyens. De plus, c'est une image d'Epinal : un de ces lieux communs
Bien plus, tout se passe comme si la créativité de 1'agence consistait à visuels sur la p r é h i s t o i r e qu'on prend pour tel, c'est-à-dire qu'il est
nier 1'abstraction des sujets des livres des PUF, en partant du p r í n c i p e là pour signifier 1'absence de toute p r é t e n t i o n historique, descriptive
que toute question au monde ou toute p e n s é e , si intellectuelle soit- ou explicative. Autant dire que tout dans ce visuel s'avère ê t r e le
elle, ne peut se comprendre et ne peut vraiment toucher sans qu'elle contraire de ce que va dire le texte de p r é s e n t a t i o n . Dans celui-ci, on
ne s u g g è r e ou implique u n dispositif visuel minimal, sans qu'il n'y ait parle de discontinuité, de chronologie et de substitution. I I y est ques-
quelque part de visible : un espace, une o b s c u r i t é , une l u m i è r e . . . Ainsi tion d'explication, d ' é v o l u t i o n et de production là o ú i l n'y a dans le
la « p e n s é e i n d é t e r m i n é e » n'est pas le comble de l'abstraction, c'est — dessin que la suggestion d'une b r u t a l i t é sans valeur ajoutée. I I est
168 Sous les signes, les stratégies Uimage, pour troubler les lettrés 169
Ecriture et folie
Mythogrammes Mythogrammes
174 Sous les signes, les stratégies L'image, pour troubler les lettrés 175
r e n v e r s é , un pendant et u n après o ú 1'acte était fíni. Le mythogramme, voir, u n j o u r , les disposer selon des arrangements qui n'auront rien à
lui, presente non pas les états successifs d'une action, mais les per- voir avec leurs usages premiers; c'est ainsi par bricolage — au sens
sonnages non s t r u c t u r é s l i n é a i r e m e n t qui sont les protagonistes d'une cognitif que C l . Lévi-Strauss a d o n n é à ce terme — que la rencontre
o p é r a t i o n mythologique..." . Et A . Leroi-Gourhan d'ajouter : « D a n s
5 de cet entonnoir et de cette plume c r é e un mythogramme. « R e n d r e
nos sociétés, q u a n t i t é s de r e p r é s e n t a t i o n s sont mythographiques. 1'idée de paix en plaçant une femme sous un toit ouvre une perspec-
L'affiche en offre beaucoup d'exemples. Dans Le geste et la parole, j ' a i tive proprement mythographique parce que cela ne correspond ni à la
reproduit une figure publicitaire : "Le t h o n , c'est bon". Elle repre- transcription d'un son ni à la r e p r é s e n t a t i o n pictographique d'un acte
sente un thon c o u p é en plusieurs morceaux, l'un correspondam à la ou d'une qualité, mais à Fassemblage de deux images qui entrent en
boite de conserve (du côté de la queue), 1'autre à la t ê t e et au buste jeu avec toute la profondeur de leur contexte e t h n i q u e » , écrivait
d'une Bretonne; et le tout avec 1'inscription : le t h o n , c'est b o n . » 6 A. Leroi-Gourhan à p r o p ô s des plus anciennes inscriptions chinoises . 8
De fait, bien des affiches célebres relèv en t du m y t h o g r a m m e ; i l suf- Rendre la follittérature en plaçant une plume sous un entonnoir ren-
fit, pour s'en convaincre visuellement, de penser aux affiches Bouil- versé procede la m ê m e logique. Et la figure mythographique ainsi
lon K u b de Cappiello ou Monsavon de Savignac, ou plus r é c e m m e n t c o n s t i t u é e p o s s è d e , d ê s lors, « u n e extensibilité o r a l e » . Enfin, i l faut
à celles d ' U r g o ou de Benetton. Le visuel conçu pour Ecriture et folie r e c o n n a í t r e la stricte c o n f o r m i t é s é m a n t i q u e du visuel c o n ç u pour
constitue un exemple t r ê s r e p r é s e n t a t i f de la p e n s é e mythographique. Ecriture et folie avec le texte qui presente ce livre : « Quel rapport entre
Une plume et un entonnoir r e n v e r s é sont les deux figures du visuel folie et ecriture?... Quel chemin Maupassant, Woolf, Beckett, Duras,
de 1'annonce ^Ecriture et folie. Les deux objets ne sont pas disposés Highsmith et d'autres ont-ils e m p r u n t é pour partir à la rencontre de
l'un par rapport à l'autre selon un axe horizontal qui renverrait à la folie? Cest à toutes ces interrogations que r é p o n d Monique Plaza,
1'énoncé du titre. L ' u n est au-dessus de l'autre; et 1'image qu'ils docteur en psychologie et p s y c h o t h é r a p e u t e . » Le mythogramme a
forment s'organise à partir de 1'intersection de 1'axe vertical de bien la p a r t i c u l a r i t é de solliciter un commentaire. Comme le mytho-
Pentonnoir et de celui, horizontal, de la plume. Ecriture et folie s'écrit gramme est une occasion de raconter telle ou telle legende ou tel
dans 1'espace linéaire d'un t i t r e ; 1'écriture et la folie sont d o n n é s à ou tel mythe, le mythogramme publicitaire est une occasion pour
voir, dans un « e s p a c e r a y o n n a n t » . Les deux objets, dont le dessin le public de se raconter une histoire. Les affiches mythographiques
evoque quelque vieux catalogue de vente par correspondance, sont tirent, selon nous, leur force et leur p e r é n n i t é de cette incitation du
mis en p r é s e n c e l'un de 1'autre, sans autre contexte que celui de public à les mettre en récit, à imaginer mille actions et intrigues là
1'espace blanc de 1'annonce. Cette rencontre est du m ê m e ordre que oú i l n'y a que quelques relations établies et mises en espace. Cest la
celle, i m a g i n é e par M . Ernst, d'une machine à coudre et d'un para- force du visuel conçu pour Ecriture et folie; c'est aussi sa perti-
pluie sur une table de dissection. Comme celle-ci, elle invite l'ceil et nence et son p r o p ô s : Maupassant, Woolf, Beckett, Duras, H i g h s m i t h
1'esprit « a u double j e u d'opposition et de c o r r é l a t i o n , d'une part entre et d'autres ne d é s i g n e n t jamais que certains des « c h e m i n s » , des récits
une figure complexe et le fond sur lequel elle se profile, d'autre part que la l i t t é r a t u r e a conçus à partir du t h è m e ecriture et folie.
entre les deux é l é m e n t s constitutifs de la figure e l l e - m ê m e » , un j e u
dans lequel, selon Cl. Lévi-Strauss, se reconnait la m é t h o d e structura-
liste . Des objets hors de leurs contextes sont conserves afin de pou-
7 L'émotion et le regard
pas le fruit du hasard. Ce sont de véritables codes de communica- de couverture ou la p r e m i è r e double page. Cest 1'instant oú se conju-
tion choisis en fonction d'une stratégie et d'effets de sens r e c h e r c h é s guem non pas « l e son et le sens» comme dans la parole , mais les 9
a u p r è s de cibles clairement identifiées et visées. Et chacun de ces lignes, les formes et le sens.
choix est é v i d e m m e n t signifícatif d'une certaine conception du livre, T o u t au long de ces pages, nous avons reconnu que la part de
de r é d i t i o n et du choix d'un certain lectorat. Quand on regarde les 1'image et plus g é n é r a l e m e n t du visible est essentielle dans 1'établisse-
annonces des P U F , les effets sont tout autres. O n a indique 1'effet de ment de la relation entre F é d i t e u r et sa cible. Les visuels et la
couverture produit par cette collection p a r t i c u l i è r e qu'est Quadrige. qualité m ê m e de Fespace des annonces ne sont pas le seul fait d'une
O n remarque surtout, au regard des autres annonces, u n effet qu'on recherche d'impact. Cette part de Fimage et du visible actualise et
proposera d'appeler « effet-frontispice » p r o d u i t par la bipartition ver- enrichit, chaque annonce davantage, la signature des PUF. L'image et
ticale de la surface de 1'annonce. Cette partition divise é g a l e m e n t la le visible servent le positionnement de F é d i t e u r : le questionnement
surface en une moitié g a ú c h e pour le visuel et une moitié droite pour du monde par les livres, c'est-à-dire tout à la fois une certaine concep-
le texte de p r é s e n t a t i o n . La relation entre ces moitiés p r o d u i t l'effet tion de la réflexion intellectuelle — et non uniquement universitaire
d'un livre ouvert sur une double page, plus p r é c i s é m e n t sur la pre- — et le privilège d o n n é aux ouvrages plus q u ' à F é d i t e u r ou aux
m i è r e double page de ces livres classiques oú la partie g a ú c h e était auteurs e u x - m ê m e s . L'image et le visible servent aussi la stratégie
o c c u p é e par un frontispice, une gravure que le typographe et F é d i t e u r a d o p t é e dans la communication pour faire passer ce positionnement.
plaçaient face au titre — la plupart du temps suivi d'un texte d'explici- L ' é d i t e u r et son agence, connaissant les façons de penser et de lire
tation. de leur cible, s'en servent pour troubler et s é d u i r e , en r é a c t i v a n t des
Aussi différentes soient-elles, les annonces-couvertures de Quadrige façons d ' ê t r e au sens que ces lecteurs ont oubliées ou qu'ils ne pen-
et les três nombreuses annonces-doubles pages traitées en effet-fron- saient pas devoir adopter en telle circonstance. I I convient d'ailleurs
tispice produisent finalement un m ê m e effet general, tout à fait parti- de remarquer que ce travail n'est possible que si F é d i t e u r - a n n o n c e u r
culier quand on considere la communication publicitaire du secteur. dispose d'un solide capital de sérieux mais cherche aussi — et ce n'est
T r a i t e r la totalité de la surface de l'annonce comme une couverture qu'apparemment un paradoxe — à contrecarrer s y s t é m a t i q u e m e n t
ou comme la p r e m i è r e double page d'un livre — traiter pleine page, tout ce qui peut y avoir de l i m i t a t i f et d'attendu dans Fimage tradi-
comme disent les maquettistes — c'est c r é e r un rapport direct entre le tionnelle du monde universitaire.
livre et le lecteur; c'est le l u i rendre p r é s e n t . Le lecteur est devant une Le monde ainsi q u e s t i o n n é par les livres des P U F est u n monde
couverture, devant une double page, et non devant une mise en scène p r é s e n t , encore bizarre et qui vous regarde autant que vous le regar-
ou une reproduction du livre. Mis en scène ou reproduit, le livre est dez. Les livres des P U F questionnent le monde comme les lecteurs des
un objet physique et commercial médiatisé : i l est s c é n o g r a p h i é , annonces sont a m e n é s à questionner celles-ci. E n o n c é et é n o n c i a t i o n
comme disent les spécialistes de la distribution. Par contre, dans les relèvent de la m ê m e t h é m a t i q u e . Dans un cas comme dans Fautre —
annonces des PUF, le livre est davantage un objet sensible et un objet qu'il s'agisse de produire une signification ou d'en saisir une — Fintel-
de sens. O n pourrait dire — en retrouvant ainsi H . Wõllflin une nou- ligibilité est située à la « b o n n e d i s t a n c e » entre le sujet et Fobjet. Bien
velle fois — que le rapport de 1'annonce au lecteur s u g g è r e des valeurs plus, elle le constitue. Le sémioticien d'acquiescer!
tactiles, ce qui pour 1'auteur des Príncipes fondamentaux de 1'histoire de
Vart correspond bien à une vision classique. Le livre est là, p r é s e n t ,
d'une m a n i è r e i m m é d i a t e . Et i l s ' é p r o u v e comme objet sensible dans
le m ê m e instant o ú i l est saisi comme objet de sens, et par son visuel
et par son texte. O n peut d'ailleurs préciser la nature de cet instant :
9 Allusion est faite ici au livre de R. Jakobson, Six leçons sur le son et le sens, Paris, Ed.
c'est un d é b u t , une o r é e , une ouverture. O n a devant soi la p r e m i è r e de M i n u i t , 1976.
178 Sous les signes, les stratégies LHmage, pour troubler les lettrés 179
LES R E L A T I O N S SOVIETO-
A M E R I C A I N E S par A. de Tinguy
UU.R.S.S. V U E D E GAÚCHE.
PUBUÊSOUS LAD1RECT10N DE ULLY MARCOU.
puf
ColUction "Poláiqiu iTAujourtfhui"-296 paia • 10OF
LE CAS SCHREBER.
Contributions psychanalytiqu.es
de langue anglaise par
Franz Baumeyer et divers auteurs.
T E cas Schreber rcvêt une impor-
X-tftance capilalc en psychanalyse;
les « Mémoires d'un névropathe », auto-
biographie d'un psychotique dc génie,
sont, selon Freud, un document irrem-
plaçable.
Ce recucil presente les recherches
faites sur Schicber par les auteurs de
langue anglaise dans la période allant
de 1949 ã 1975. II comprend aussi
bien les dossiers cliniques des hôpitaux
que les découvertes concernant les mé-
thodes d'éducation préconisées par le
père de Schreber, médecin
célebre en Allemagne. puf
LES LIVRES DES PVF QUESTIOSSENT I I MOXDE
BREVIAIRE DE LA COHABITATION
Maurice Duverger
"Petit livre oú sont clairement expliquées les régies que la cohabitation
politique impose à ses adversaires comme à ses partisans"
Définition de 1'auieur, 1986.
160 pagts. 65F.
LES LIVRES DES PVF QCESIIOXXEXT LE MONDE
285. Montage Damien Peyrel
— Germaine et les martiens tués dans 1'ceuf! 1989 sera une date
historique en publicite, moins par ses spectaculaires O P A sur Ogilvy
et BMP — celles-ci ne sont connues que des gens du business —
que par les «meurtres en série» de nos héros familiers : dispanis,
1
de loin puisse relever d'une histoire de la publicite ou de réels enga- a u p r è s de Ph. Gavi, alors journaliste à Liberation, la s u r e n c h è r e des
gements personnels... publicites spectaculaires et les stars systèmes sur 1'autel desquels on
A u risque de passer pour un gobe-mouches, on dira ici que nous sacrifíe le produit au profit du produit publicitaire l u i - m ê m e : « A u
pensons tout le contraire, et les pages qui suivent chercheront à faire lieu de se demander prioritairement quel produit on devrait concevoir
r e c o n n a í t r e «sous les signes» de 1'évidente c o m p é t i t i o n commerciale et comment ensuite en exploiter les vertus pour faire de sa nature pro-
entre agences, un véritable d é b a t d'idées, des conceptions différentes fonde la vraie star, les publicitaires se sont e m p o i g n é s dans un mano
et parfois antinomiques de la valeur ajoutée que represente la créa- a mano d'images spectaculaires et de plus en plus coúteuses » . 9
tion : des idéologies de la publicite. Autrement dit, quand D. Ogilvy R. Raynal, qui a fait plonger des Visa du haut d'un porte-avion et
écrit Les confessions d'un publicitaire^, J.-M. D r u Le Saut créatif, jeter des pneus du haut d'un sommet des Andes, semblait dans le
P. Lemonnier Quand la publicite est aussi un roman et J. Séguéla Holly-
5
m ê m e article lui r é p o n d r e : « N o u s venons de franchir une f r o n t i è r e
wood lave plus blanc ou Demain il sera trop star , i l est possible de n'y
6
en publicite automobile, celle de la crédibilité. Jusqu'ici, ce que l'on
voir que des coups de pub, mais i l est possible aussi — et p e u t - ê t r e montrait à 1'écran s'inspirait d'un p r í n c i p e de réalité. Là, on se situe
m ê m e legitime — d'y r e c o n n a í t r e des q u ê t e s de valeurs , des prises
7
sur un autre plan, celui de la sympathie, de la vivacité...»
en charge individuelles ou collectives de telles ou telles conceptions Ainsi la presse grand public, à 1'instar de la presse professionnelle,
du faire publicitaire. I I en va de m ê m e des p r o p ô s d'un J. Feldman se fait 1'écho des controverses entre publicitaires. Cest un fait assez
ou d'un Ph. Michel quand ils s'expriment sur leur m é t i e r et sur leurs r é c e n t , qu'on peut dater du milieu des a n n é e s 80, et qui t é m o i g n e
campagnes; i l en va de m ê m e encore des « c o n c e p t s d ' a g e n c e » par8 sinon de la « p u b l i p h i l i e » du grand public du moins de sa culture
lesquels celles-ci cherchent à se positionner en termes de c r é a t i o n . publicitaire : de son attention à la diversité des approches publici-
taires. De m ê m e , L'Express du 5 avril de la m ê m e a n n é e 1985
exposait p é d a g o g i q u e m e n t à ses lecteurs les d é m a r c h e s respectives
de Ph. Michel ( C L M / B B D O ) , J . Séguéla (RSCG), J . Feldman (FCAl) et
Publicite', sémiotique : même débat D. Robert (à 1'époque, patron de Robert & Partners) à partir de cam-
pagnes exemplaires : Mamie Nova (pour Ph. Michel), Citroen (pour
En février 1985, J. Feldman donnait indirectement sa propre concep- J. Séguéla), Yoplait (pour J. Feldman) et Médecins sans F r o n t i è r e s
tion de la publicite en lançant « u n pavé dans la m a r e » : i l d é n o n ç a i t (pour D. Robert). U n news apprenait donc à ses lecteurs, sinon
éclairés du moins sensibilisés, q u ' i l existe de véritables idéologies
publicitaires et qu'elles peuvent ê t r e três différentes les unes des
3 David Ogilvy, Les confessions d'un publicitaire, Paris, Dunod, 1985 (pour la der- autres, que les campagnes sont des discours sur les produits mais
nière édition).
4 Jean-Marie Dru, Le Saut créatif, Paris, Ed. J.-C. Lattès, 1984.
qu'elles peuvent ê t r e aussi analysées comme des discours implicites
5 Pierre Lemonnier, Quand la publicite est aussi un roman, Paris, Hachette, 1985. sur la bonne ou mauvaise façon de discourir sur le produit, et donc
6 Jacques Séguéla, Hollywood lave plus blanc, Paris, Flammarion, 1985; Demain il sera de faire de la publicite. La presse professionnelle n ' é t a i t pas en reste;
trop star, Paris, Flammarion, 1989.
7 Sémiotiquement 1'idéologie se définit comme une quête de valeurs, comme leur Stratégies parlait m ê m e de r h é t o r i q u e : « L e dernier film de FCA!
«actualisation» par un sujet — individuei ou collectif — qui les prend en charge et pour Yoplait Nature est un film à message et à parodie. Le message,
vise à les réaliser. L'axiologie, elle, se définit comme le système de valeurs encore
«virtuelles». L'axiologie est donc de nature paradigmatique, 1'axe paradigmatique étant
c'est celui de 1'annonceur tout puissant; la parodie, elle, porte sur le
celui du système. L'idéologie est de nature syntagmatique; les valeurs — à partir du
moment o.ú elles sont prises en charge et quêtées — apparaissent comme des potentia-
lités de procès.
8 Nous faisons ici allusion à 1'enquête réalisée par Stratégies sur les philosophies
d'agences; «Concepts d'agence : la philosophie dans les boudoirs» (n° 626, octobre
1988). 9 J. Feldman, Liberation, 25 février 1985.
186 Sous les signes, les stratégies «Tués dans 1'ceuf!» 187
perche, le j u m p i n g et le plongeon. La cuillère de Maxwell pro- trait à la c r é a t i o n et au role de la publicite. Donnons ici quelques
cede d'une d é m a r c h e qui s'oppose à celle des Chevrons Sauvages. exemples de réflexions d'autres publicitaires qui s u g g è r e n t elles aussi
Et la d é m a r c h e dont p r o c è d e n t les cinq Ecossais peut ê t r e considé- une ligne de partage des genres à partir de la c a t é g o r i e fonction cons-
r é e comme le contraire de celle de Black & White : deux d é m a r c h e s tructive vs fonction r e p r é s e n t a t i o n n e l l e :
c o n t r a í r e s donc pour le m ê m e univers de produits. Si l'on veut justi-
fier ces différences et ces oppositions, et établir un lien entre les D. Ogilvy : « Une publicite doit être cohérente, vraie, crédible et
grandes options sur les rapports entre discours et « r é a l i t é » d'une agréable : un representam menteur et sans manière ne vendra
jamais rien... Je dis toujours à mes collaborateurs : «lorsque vous
part et les campagnes qu'on vient de citer d'autre part, on recourra
donnez à votre famille des informations sur un produit, vous ne lui
une nouvelle fois au modele constitutionnel de la signifícation qu'est racontez pas des mensonges. Alors ne dites pas de mensonges à ma
le c a r r é s é m i o t i q u e . Pour cela, posons tout d'abord que cette p r o b l é - famille... Si tous les annonceurs abandonnaient leur emphase et se
matique d i s c o u r s / r é a l i t é constitue un micro-univers s é m a n t i q u e (de tournaient vers une publicite factuelle et informative, non seulement
nature i d é o l o g i q u e , on l'a vu) susceptible d ' ê t r e articule selon une ils augmenteraient leurs ventes, mais ils se mettraient eux-mêmes du
côté des anges .» 11
c a t é g o r i e fondamentale et de devenir ainsi intelligible. La projection
Ph Michel : « La publicite n'est pas jeu de mots mais jeu de sens.
de la c a t é g o r i e sur le c a r r é fera reconnaitre quatre grandes idéolo- La pub represente et modifie le rapport de présentation. Elle fait qu'il y
gies de la publicite. O n s'attachera alors à illustrer ces idéologies par a une multiplicité des points de vue, qu'on peut et aimer et ne pas
quelques campagnes p a r t i c u l i è r e m e n t r e p r é s e n t a t i v e s . Sont choisies aimer une chose... La pensée latérale, c'est cette bizarre manière
bien sur certaines campagnes réalisées par les agences des quatre de déplacer le sujet en permanence pour le revoir de façon fraíche,
idéologues que sont D. Ogilvy, Ph. Michel, J. Séguéla et J. Feldman nouvelle, différente, significative, émouvante. Or, on est en train de
découvrir que c'est cette méthode qui communique le mieux : c'est
— nous allons voir en quoi ils le sont — mais aussi d'autres campagnes lorsqu'on décale sa vision d'un univers qu'on invente. II faut de la pro-
réalisées par d'autres agences afin de montrer la g é n é r a l i t é des diffé- vocation pour inventer» . 12
rentes options, leur possible transversalité par rapport aux médias, J.-M. Dru : «De nombreuses idées de campagnes sont inspirées
aux secteurs, voire aux cultures d'origine des agences et des créatifs. par le vécu du produit. Les campagnes Maxwell, Danette, Flandise,
Liebig, Orangina ou Petit Gervais... en sont des exemples. Chacune
A partir de quelle c a t é g o r i e peut-on articuler cet univers idéolo- est fondée sur Vobservation d'un détail de la vie quotidienne... Les films
gique des rapports entre discours et « r é a l i t é » ? A partir de la c a t é g o r i e Eram sont três divers.(Mais ils ont tous), malgré tout, quelque chose
de la fonction attribuable au discours : fonction constructive vs fonc- de commun. Ils sont ironiques, irrespectueux du produit lui-même,
tion r e p r é s e n t a t i o n n e l l e . Pour la p r é s e n t e r sans convoquer i m m é d i a t e - voire même iconoclastes...
ment toute 1'histoire des t h é o r i e s du langage, repartons de 1'affirma- «Ce qui vaut pour les démonstrations se vérifie pour toute forme
de publicite. Pour qu'un message soit vraisemblable, dire la vérité ne
tion de R. Raynal selon laquelle « n o u s venons de franchir une
suffit pas toujours. «Telling is not selling», disent les Américains. //
f r o n t i è r e en publicite automobile, celle de la crédibilité. Jusqu'ici, ce faut rechercher ce qui sera à la source de la crédibilité, le facteur qui
que Von montrait à Vécran s'inspirait d'un príncipe de réalité (c'est nous déterminera 1'adhésion...
qui soulignons); là, on se situe sur un autre plan, celui de la sympathie, «En fait, dans bien des cas, le critère «crédibilité» n'est pas per-
de la vivacité». Si une telle affirmation indique assez de quel côté de tinent. Ce sera le cas des campagnes oú la dimension rationnelle du
message est faible. II serait absurde de dire : je crois ou je ne crois
la f r o n t i è r e veut se situer R. Raynal et quel sens i l donne à 1'histoire
pas à la statue qui pleure des films pour les cassettes BASF. Publicites
de la publicite (et quelle est par là m ê m e son idéologie), elle n'est symboliques, évocatrices, émotionnelles, le langage publicitaire évolue
pas moins suggestive d'une typologie des genres de discours que ce en plus vers ces registres ou la crédibilité est inoperante. Regardez une
directeur de c r é a t i o n estime ê t r e comprise par tous. Mais, l'est-elle
vraiment?. I I semble bien que oui, si l'on considere les nombreuses et
" D . Ogilvy, Les Confessions d'un publicitaire, op.cité., p . 8-9.
diverses déclarations et publications de ces dix d e r n i è r e s a n n é e s ayant
Ph. Michel, interviews dans Stratégies n" 626 et n° 385.
1 2
190 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 191
série de spots télévisés, vous verrez que vous ne vous posez pas la P. L e m o n n i e r : « L e plus c é l e b r e (film E p é d a ) met en scène, ou
question : est-ce que j e crois à ce message? Dans la m a j o r i t é des cas, plus exactement au l i t , un homme et une femme; la femme dort,
la question apparait hors de p r o p ô s » . 1 3
é p a n o u i e . L ' h o m m e a le hoquet. I I essaie tout, le pincement des
J. Feldman : «(II faut) se demander prioritairement quel produit on narines, la position lótus, la respiration b l o q u é e , e t c , mais rien n'y
devrait concevoir et commeni ensuite en exploiter les vertus pour faire de fait. Soudain, i l a p e r ç o i t u n verre d'eau sur la table de nuit de sa
sa nature profonde la vraie star"... femme. I I veut Pattraper... et le renverse. La voix o f f de consta-
« C e s t fondamental de r é h a b i l i t e r la p a r t i c u l a r i t é de Lustucru : les ter : "Sur un matelas Multispire, on peut vivre sa nuit sans réveiller
oeufs. I I vaut mieux ê t r e des pâtes aux oeufs que des p â t e s c é l e b r e s 1'autre, ou presque." T o u t í'art de J e a n - R e n é Ruttinger (directeur
et sympathiques... Le spectacle n'a jamais é t é le leitmotiv de cette de la production audiovisuelle de 1'agence Impact, dont P. Lemon-
agence. C e s t davantage une relation de charme... (Dans une pub à nier est le PDG) est de ne rien imposer aux téléspectateurs qui ne soit
vocation e u r o p é e n n e ) , n'ont aucune chance les films pratiquant ressenti par eux comme une tranche de vie à peine outrée, tout juste plus
1'inceste local, ceux qui font 1'ultime private j o k e pour un quartier, vraie que vraie. » 17
considere q u ' i l ne c o n n a í t les choses qu'en tant qu'elles sont cons- tiques. Ainsi D . Chevalier se r é f è r e à la philosophie de J . Séguéla o u
truites par son propre discours. En d'autres termes, plus profession- P. Lemonnier à celle de D . Ogilvy. J . - M . D r u n'est pas un i d é o l o g u e
nels, s'instaure une opposition entre la valeur i n h é r e n t e au p r o d u i t — ce n'est pas u n d é f a u t ! — qui considere les quatre positions a p r i o r i
(elle sera manifestée o u « e x p l o i t é e » par la publicite) et la valeur c r é é e aussi valables les unes que les autres; son p r o p ô s s U l créatif
r es a u t
par la publicite. A partir d u moment o ú l'on projette sur le c a r r é se situe en deçà o u au-delà de ces options, m ê m e si les exemples qu'il
s é m i o t i q u e la c a t é g o r i e fonction r e p r é s e n t a t i o n n e l l e vs fonction cons- donne s p o n t a n é m e n t r e l è v e n t le plus souvent de la publicite r é f é r e n -
tructive qui a pu ê t r e reconnue comme articulant 1'univers des idéolo- tielle.
gies de la publicite, on aura quatre positions possibles, interdéfinies
selon des relations de c o n t r a r i é t é , de contradiction o u de c o m p l é m e n -
t a r i t é . Et, par là m ê m e , quatre idéologies qu'on disposera et d é n o m - La publicite référentielle
mera ainsi (lançons i m m é d i a t e m e n t une O P A sur toutes d é n o m i n a t i o n s
plus astucieuses) :
La publicite référentielle, c'est celle de D. Ogilvy. C'est une publicite
de la vérité c o n ç u e comme a d é q u a t i o n à la « r é a l i t é » , comme la quasi-
D. OGILUV J.SEGUELR restitution de celle-ci : « D o n n e z les faits», clame O g i l ' « s'agit alors
v v
fonction représentationnelle fonction constructive vrai stendhalien. Ce sera le bruit de 1'horloge dans la Rolls-Royce 18
du langage du langage
ou la fameuse cuillère de Maxwell, ce réflexe de vouloir encore
tx t
fonction constructive fonction représentationnelle
reprendre u n peu de café soluble pour ê t r e assuré d ' bon café. L a
réalité de D. Ogilvy s'avère ê t r e celle de la vie quotidienne : des pra-
tiques, des gestes et des situations qui r é f è r e n t à d'autres pratiques,
u n
déniée déniée d'autres gestes et d'autres situations et fínissent ain^i par donner u n
PUBLICITE SUBSTANTIELLE PUBLICITE OBLIQUE
effet de d e n s i t é et d'épaisseur au « v é c u » . Cette icléologie r é f é r e n -
tielle, q u i vise à produire des films et des annonc^s realistes, peut
ê t r e à ce point a s s u m é e par D . Ogilvy qu'elle en devient une véri-
J. FELDMAN PH.MICHEL table é t h i q u e ; 1'honnêteté est finalement c o n s t i t u t i de la c o m p é -
ve
de Rolls-Royce. "A 100 k m / h , ce qui fait le plus de bruit dans la fiouvelle Rolls-Royce,
autres. Ce sont aussi des idéologues dans la mesure o ú ils croient à c'est la pendule électrique", declare Péditorialiste technique de la yevue The Motor. L e
la puissance de leurs idées et que, de fait, elles le sont assez pour que silence du moteur est surprenant. T r o i s pots d'échappement é l i r * ' 1' fréquences
n e n t e s
d'autres publicitaires s'y r é f è r e n t en parlant de leurs propres pra- sonores par procede acoustique. »
194 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 195
Si vous dites des mensonges sur un produit, tôt ou tard vous serez ouvrage . Disons simplement que le faire-paraitre-vrai de la publicite
21
découvert — soit par le gouvernement, qui vous poursuivra, soit par référentielle repose sur des discours 1) narratifs, 2) figuratifs (et non
le consommateur qui vous punira en ne rachetant pas votre p r o d u i t ; abstraits) et 3) descriptifs (et non normatifs), c'est-à-dire en langagc
les bons produits se vendent grâce à une publicite honnête. » 19
ogilvyen : 1) des articulations avant/après, 2) des renseignements
Mais pour qui s'attache à rendre compte des différentes idéolo- concrets ou des attraits anecdotiques et 3) pas d'adjectifs ou de slo-
gies publicitaires et des conceptions de la production d u sens qu'elles gans.
representem, la publicite référentielle releve d'une certaine stratégie Plus essentiel, la constitution d'un référent interne : D. Ogilvy aime
discursive, c'est-à-dire d ' u n ensemble de procédures visant à présenter les démonstrations, les recettes, les annonces-presse («Je n'ai jamais
le discours comme vrai. La question n'est plus alors : ce discours cor- aimé les affiches») qui séparent nettement le texte et 1'image —
respond-il à la réalité? mais : quelles sont les conditions de production, u n «dessin realiste» ou mieux une photographie : «les photos repre-
internes au discours lui-même, qui le donnent pour vrai et le font sentem la réalité, alors que les dessins representem la fantaisie, qui esl
accepter comme tel?. Une telle approche fait 1'économie de tout posi- moins vraisemblable» . Quel rapport entre ces démonstrations, ces
22
tivisme. « Une fois le lieu de la réflexion sur la véridiction (le dire-vrai) recettes et ce type d'annonce? Dans tous les cas, i l s'agit de faire en
installé à 1'intérieur d u discours lui-même, des interrogations naives sorte qu'une partie d u discours renvoie à une autre partie du discours;
peuvent surgir pour le peupler : dans quelles conditions disons-nous la cette autre partie — oú sera situe le produit — est ainsi conslruile
vérité? Comment mentons-nous? Comment faisons-nous pour cacher comme u n référent interne. Le texte renvoit à la photo, la receite
et dévoiler les secrets? A cette série indéfmie de questions qui se au produit ou à 1'ustensile, telle phase de la démonstration aux prece-
placent toutes du point de vue du producteur d u discours, cor- dentes ou encore le commentaire à ce qui est montré en plan fixe. Le
respondem naturellement d'autres questions que peut f o r m u l e r leur référent s'autorise, l u i , de l'«évidente» fidélité de la photographie OU
récepteur : dans quelles conditions acceptons-nous les mensonges et du «bon sens», la chose du monde la mieux partagée, du moins pal-
les impostures? Quand les assumons-nous comme porteurs de vérités ies gens raisonnables et sérieux ... c'est-à-dire de conventions cultu-
profondes, peut-être même ineffables? Le problème du vraisemblable relles, d'un contrat social tacite. Enfin, la publicite référentielle veillc
s'intègre, l u i aussi, à cette interrogation sur la véracité des discours : à ce que le discours paraisse le pur énoncé des relations nécessaires
comment procede 1'énonciateur pour présenter son discours afin qu'il entre les choses, et que ce déroulement syntagmatique se retrouve
paraisse vrai ? Selon quels critères et quels procedes juge-t-on les dis- dans la linéarité d u film ou du texte. La suite logique de 1'histoire ou
cours des autres comme vraisemblables » . L'énumération de ces
20
de la démonstration se confond alors avec la succession temporelle des
procedes mais surtout 1'identification et la définition des procédures plans-séquences ou des paragraphes. A u t a n t que faire se peut, on évi-
discursives sur lesquelles se fonde la publicite référentielle demande- tera les suspensions ou les retours en arrière qui feraient de l'énon-
raient un tout autre espace que ces lignes, d'autant que les publicites ciation une construction.
oblique, mythique et substantielle seraient alors en droit d'être aussi Des exemples maintenant. Rolls-Royce, Sears, Hattaway ... pour les
exigeantes. Bien plus, elle impliqueraient la présentation de concepts grandes classiques de D. Ogilvy lui-même; et le film Super-Glue 3 de
et de problématiques de la théorie sémiotique (débrayage interne, 1'agence Ogilvy & Mather France : ce fameux pendu par les pieds qui
référentialisation...) présentation qui contredirait le propôs de cet démontre, sur la f o i d ' u n huissier!, la puissance instantanée de cette
2 1L e lecteur interesse par ces procédures discursives pourra lire 1'article «Référentia-
lisation», in Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, op. cit., t. 2,
D. Ogilvy, Les confessions d'un publicitaire, op. cit., p. 101.
p. 188-189.
1 9
U n e c a m p a g n e r e l e v a n t de la p u b l i c i t e o b l i q u e sera dès l o r s a p p r é -
La publicite oblique < i i r s c l o n c e t t e m a n i p u l a t i o n a c c e p t é e , r e c h e r c h é e , p u i s q u ' e l l e est
l'.i);i (Time m o d i f i c a t i o n e u p h o r i s a n t e de la p e r c e p t i o n o u d e la v i s i o n
que |'on a des choses. C e s t cela la p e n s é e l a t é r a l e : « L a p e n s é e l a t é -
L a p u b l i c i t e o b l i q u e , c'est la n é g a t i o n de la p u b l i c i t e r é f é r e n t i e l l e . Elie
nile <'est c e t t e b i z a r r e m a n i è r e de d é p l a c e r le sujet e n permanence
en sape 1'idéologie p o s i t i v i s t e . L e sens est à c o n s t r u i r e ; i l n'est pas
•DU] le r e v o i r d ' u n e f a ç o n f r a í c h e , n o u v e l l e , d i f f é r e n t e , s i g n i f i c a t i v e ,
d é j à là. P u b l i c i t e d u p a r a d o x e , q u i l i t t é r a l e m e n t va à 1 ' e n c o n t r e de
m i o u v a n t e . O r , o n est e n t r a i n d e d é c o u v r i r q u e c'est c e t t e m é t h o d e
1 ' o p i n i o n c o m m u n e , elle j o u e 1 ' i n c o n g r u et le n o n - i m m é d i a t : c e l u i
«|i m m u n i q u e le m i e u x : c'est l o r s q u ' o n d é c a l e sa v i s i o n d u m o n d e
qui r e g a r d e 1'affiche est le sujet d ' u n f a i r e i n t e r p r é t a t i f . L'efficacité
u n u n i n v e n t e . I I f a u t d e la p r o v o c a t i o n p o u r i n v e n t e r » . J a m a i s 2 5
d u d i s c o u r s ne se m e s u r e p l u s à la r a p i d i t é d e l e c t u r e o u d e r é a c t i o n
< tgilvy o u P. L e m o n n i e r n e s o u s c r i r a i t à d e tels p r o p ô s . P o u r e u x , i l
d e la c i b l e . C h e z O g i l v y , le c o n s o m m a t e u r est le sujet d ' u n e a c t i o n o u
ne s'agit là q u e d e « c l o w n e r i e » , o u de p r i v i l è g e i n d u d o n n é à la
plutôt d ' u n e réaction, c'est-à-dire d ' u n faire p r a g m a t i q u e : i l achète
" l o r m e » , a u x d é p e n s d u « f o n d » . P h . M i c h e l r é p o n d r a i t à cela q u e
le p r o d u i t , i l r e n v o i e le c o u p o n - r é p o n s e ... I I y a là q u e l q u e c o n c c p -
i < M la f o r m e q u i c r é e la d i f f é r e n c e et p r o d u i t d u sens, et q u e la
t i o n b e h a v i o r i s t e de la c o m m u n i c a t i o n . P o u r P h . M i c h e l , q u i est 1'idéo-
l e l . i i i o n e n t r e i n d u s t r i e i s et p u b l i c i t a i r e s d o i t p r é c i s é m e n t s ' é t a b l i r sur
l o g u e d e la p u b l i c i t e o b l i q u e , le c o n s o m m a t e u r a u q u e l o n s'adresse est
• « i i r base : « P o u r q u ' i l y a i t e n r i c h i s s e m e n t , i l f a u t q u ' i l y a i t f a b r i c a -
le sujet d ' u n f a i r e c o g n i t i f : o n m e t à 1'épreuve son i n t e l l i g e n c e .
iinii de v a l e u r . N o t r e r o l e est d ' a i d e r les i n d u s t r i e i s à f a i r e la v r a i e d i f -
A l o r s q u e la p u b l i c i t e o g y l v i e n n e r e c h e r c h e u n t e m p s d e l e c t u r e v o i s i n
l i K n i e... N o t r e m é t i e r , c'est d e f a b r i q u e r d e la d i f f é r e n c e dans u n e
d e z e r o et u n e c o m p r é h e n s i o n i m m é d i a t e p o u r u n e r é a c t i o n la plus
n u K i t - m o n o t o n e a u sens l i t t é r a l d u t e r m e » . O n c o m p r e n d q u e la
r a p i d e possible (le p a r c o u r s de 1'ceil le p l u s f a c i l e possible, le r a p p o i i
2 6
sous le terme de liberte : « La pub, dit Ph. Michel, c'est justement la Autant dire que cette campagne ne parle ni de 1'origine, ni de l'âge,
revanche du creux sur le plein, du petit sur le grand, de 1'inculte sur ni des circonstances de consommation du whisky, comme le font les
le cultive, d u fils de prolo — et Dieu sait s'il y en a dans le milieu — autres Communications du secteur. L ' u n i o n des c o n t r a í r e s qui serait
sur celui de 1'universitaire. Cest 1'esprit libre par opposition au savoir- 1'essence m ê m e de la vie constitue 1'énoncé global de la campagne,
penser, au penser convenable. Etre convenable nuit à Partiste social un é n o n c é dont 1'expression est assurée par le contraste plastique du
qu'est le publicitaire. Et celui-ci, au bout du compte, fínit, esprit couple des petits chiens : une magnifique « p e t i t e m y t h o l o g i e » . O n 29
inductif, par surprendre plus de vérité que 1'esprit, déductif, du dog- notera que le whisky est ainsi valorisé comme la figure initiatique
matique b a s i q u e » .
27 d'une vision du monde : « Les gens n ' a c h è t e n t pas un produit mais une
La recente campagne-presse de Black & W h i t e réalisée par r e p r é s e n t a t i o n du m o n d e » , aime à r é p é t e r Ph. Michel. « E n o n c é s tels
C L M / B B D O illustre bien la publicite oblique de Ph. Michel telle que quels, remarque D. Bertrand, le dispositif culturel et le message qu'il
nous venons de la definir, m ê m e si elle n'en manifeste qu'une des comporte pourraient p a r a í t r e d'une ambition d i s p r o p o r t i o n n é e si cet
formes discursives : celle de 1'ironie. Cette campagne a é t é lon- effet n'était pas corrige — au moins partiellement — par un mode
guement analysée par D . Bertrand dans sa contribution au double d ' é n o n c i a t i o n et de mise en contexte qui invite à faire des objets de
numero de VInternational Journal of Research in Marketing : « S é m i o - r é f é r e n c e un usage parodique, c'est-à-dire d é t o u r n é de leur finalité
tique et M a r k e t i n g » . Nous reprendrons ici 1'essentiel de son é t u d e
28 p r e m i è r e , de leur signification au « d e g r é z e r o » de 1'information. U n
de la dimension é n o n c iativ e commune aux cinq manifestes de la cam- tel d é t o u r n e m e n t est réalisé par un j e u de ruptures systématiques
pagne puisque nous essayons de montrer que chaque conception du entre images et textes, par u n croisement et une association de réfé-
rapport entre discours et réalité — chaque idéologie — implique une rences h é t é r o g è n e s » . Ainsi le fait m ê m e de rassembler dans un bric
certaine intersubjectivité, une relation p a r t i c u l i è r e entre 1'énonciateur à brac un ange, un chevalier, Z o r r o et Dark Vedor fait perdre
et 1'énonciataire. Que r e p r é s e n t a i e n t ces cinq manifestes? toute crédibilité à leurs aventures particulières. Mais c'est p e u t - ê t r e
1. U n p o r t r a i t de groupe o ú des toiles d ' a r a i g n é e ré unis s a ie nt un l ' « a n n o n c e au t u n n e l » — si l'on peut dire — qui est la plus exem-
véritable bric à brac mythologique : un Chevalier, un ange, un fan- plaire, selon nous, de la publicite oblique dans la mesure o ú le d é t o u r -
t ô m e , une sorcière, Z o r r o et Dark-Vedor (l'un des personnages de La nement dont parle D. Bertrand se fait par la prise en compte du
Guerre des Etoiles de G. Lucas); la base-line indiquait : « Ceux qui sont support de 1'annonce : la convocation chez le lecteur d'une com-
tout noir ou tout blanc (sic), sont-ils vraiment de bons vivants?» p é t e n c e i n t e r p r é t a t i v e et critique se double et se sert d'une sorte de
2. U n tunnel au bout duquel apparaissait la l u m i è r e d'une sortie; révélation de la m a t é r i a l i t é m ê m e du signifiant de l'annonce : vous
1'accroche : « Si toute la page était noire, i l n'y aurait plus d ' e s p o i r . » n ' ê t e s pas dans cet horrible tunnel, vous avez devant vous une page avec
3. Le symbole du ying et du yang; accroche : « Personne n'est tout une certaine p r o p o r t i o n de noir et de blanc.
noir, personne n'est tout b l a n c . » Cette stratégie de mise à distance s'inscrit, selon D . Bertrand dans le
4. U n ciei é t o i l é ; accroche : « A v e c un peu de recul, tout est noir p h é n o m è n e general de l'ironie, auquel s'intéressent p a r t i c u l i è r e m e n t
et b l a n c . »
5. U n T e r r i e r noir e s s e u l é ; accroche : « U n seul ê t r e vous manque
et tout est d é p e u p l é . » 2 9Nous faisons ici allusion aux petites mythologies — l'expression est de C l . Levi-
Strauss — qui reposent sur un semi-symbolisme, et que nous avons étudiées dans
Petites Mythologies de Vceil et de 1'esprit, Paris/Amsterdam, E d . Hades/Benjamins, 1985.
L e p h é n o m è n e du semi-symbolisme a é t é presente et illustre ici m ê m e au chapitre « l e
2 7Ph. Michel, Stratégies, n° 626, oct. 1988. refus de 1'euphorie», p. 85. Indiquons que, pour nous, 1'affiche Black & White c o n ç u e
2 8D. Bertrand, T h e creation of complicity. A semiotic analysis of advertising campaign par C L M / B B D O et c o m p o s é e de deux surfaces abstraites noire et blanche reliées par le
for Black & White whisky, in International Journal of Research in Marketing (Ch. Pinson signe & constitue l'un des plus beaux — l'un des plus « p u r s » — exemples de
éd), vol. 4, n° 4, North-Holland, 1988. semi-symbolisme plastique.
200 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 201
3 0On citera par exemple : C. Kerbrat-Orecchioni, L'ironie, in Linguistique et Sémiologie, 31Bruno Lemoult et Serge Pichard, C I . M / B B D O , interviewés dans Communications &
Lyon, P U L , 1976; Poétiques; «Ironie» (numero collectif), Paris, Seuil, 1978; V. Janke- Business, n° 77, mai 1988.
levitch, Uironie, Paris, Flammarion, 1964. Jacques Séguéla, Hollywood lave plus blanc, op. cit, p. 254.
3 2
202 Sous les signes, les stratégies «Tués dans l'ceuf!» 203
de M a r l b o r o court toujours la prairie de nos magazines. L ' h u m o u r sera 1'essor de 1'avion depuis les Champs-Elysées ou 1'Homme de V i n c i
j u i f new-yorkais de la Coccinelle est au m u s é e . Question de produit, et Farc-en-ciel . 35
argueront les grincheux. La V W est morte. La M a r l b o r o en pleine Mais on aurait t o r t de r é d u i r e la publicite mythique à cette exploita-
santé. Certes, mais le cow-boy est un symbole. La coccinelle un état tion directe ou indirecte de ces grands r é f é r e n t s culturels populaires.
d'esprit. Le premier est le génie. La seconde simplement le talent. (Cest Ce qui la définit d'abord et avant tout, c'est la construction de la
nous qui soulignons.) Simple affaire de c a r a c t e r e . » Nous reviendrons valeur s é m a n t i q u e du produit par le discours tenu dans le film ou
plus loin sur ces deux exemples a m é r i c a i n s . 1'affiche. Là encore i l faut citer le film de lancement de la B X ou les
Pour faire comprendre 1'opposition entre la publicite mythique et Chevrons Sauvages. O n a vu comment la structure narrative du film
la publicite référentielle, on la comparera à celle de deux grandes
formes de l i t t é r a t u r e . I I y a des l i t t é r a t u r e s o ú les personnages sont
« p l e i n s » dès le d é b u t : on parle de tyran ou de dragon, de journaliste 3 4Nous faisons ici allusion à la campagne de lancement de C l e ó p a t r a réalisée par
Publicis en 1986.
3 5Allusion est faite cette fois aux campagnes KSCG p o u r les A é r o p o r t s de Paris
3 3 Ibid., p. 254. et p o u r Manpower.
204 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 205
de 1'Ouest a m é r i c a i n sont aussi là pour inscrire le cow-boy dans un « e f f a c e m e n t » par rapport au p r o d u i t et à sa réalité i n t r i n s è q u e , 1'acte
rythme general et lui donner ainsi une autre dimension). L ' é n o n c i a - créatif peut ici prendre la figure de 1'épure : le travail du publici-
tion mythique s'affirme donc; elle se veut construction, travail. Ses taire consiste à refuser toute mode ou toute connotation personnelle
d é t r a c t e u r s parleront, eux, de «spectacle pour le spectacle ».
3 7Deux recentes campagnes R S C G t é m o i g n e n t bien de ce substantialisme : la campagne
de lancement de la C i t r o e n X M et la campagne « c o l l e c t i v e » p o u r les brasseurs de
France o ú une b r a s s é e de c é r é a l e s a pour accroche « r é c o l t e de b i è r e » . L e texte com-
s 6 O n lira à ce p r o p ô s les pages admiratives que J. S é g u é l a a é c r i t e s sur la saga M a r l - mence ainsi : A u coeur de la b i è r e , i l y a tout l ' o r de la t e r r e : 1'orge, le hou-
b o r o dans Hollywood lave plus blanc (op. cit.), p. 78-83. blon, 1'eau p u r e . . . »
206 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 207
et viser le « d e g r é zero de 1'écriture» pour reprendre l'expression — A la lecture de cette liste d'exemples, le lecteur pourrait croire que
-et Putopie sémiologique — de R. Barthes. D ' o ú certainement ces la publicite substantielle est « n a t u r e l l e m e n t » la publicite pour les pro-
effets de sens de d é p o u i l l e m e n t classique ou de n é o - a c a d é m i s m e qui duits alimentaires et les boissons — cela d'autant plus que F C A ! est
pour certains c a r a c t é r i s e n t , en bien ou en mal, les campagnes conçues bien 1'une des grandes agences de ce secteur avec, entre autres, les
par J. Feldman. budgets Yoplait, Findus, Pacific... Pour le convaincre du contraire et
Des exemples de publicites substantielles feldmaniennes? Parlons par la m ê m e soutenir la t h è s e que les idéologies publicitaires sont
d'abord du whisky Label 5 ou de la b i è r e Georges Killian's. Des i n d é p e n d a n t e s de la nature des produits et des services, nous cite-
campagnes comme celles des cinq Ecossais de Label 5 sont tout à fait rons enfin le r é c e n t film Eponge S de Spontex : les fameux bagnards.
r e p r é s e n t a t i v e s de cette idéologie substantielle; le concept s'origine — La scène se passe en prison. Deux bagnards en t é n u e r a y é e r é g l e m e n -
et s'autorise — de la qualité essentielle, définitoire du produit qui en taire font la vaisselle tout en regardant un match de boxe à la télévi-
fait un vrai whisky ecossais : un whisky garanti d'au moins cinq ans sion. A r r i v e une gardienne, pulpeuse mais terrible, qui leur ordonne
d ' â g e . L'accroche d'origine allait j u s q u ' à exploiter cette motivation : du geste et de la voix de regagner leur cellule. Sitôt d e r r i è r e les bar-
« C i n q Ecossais comme Label 5 » . La campagne 1988 de G. Killian's : reaux, les deux bagnards, qui avaient conserve leurs é p o n g e s , se les
« J e suis rousse, et alors!» correspond à un repositionnement publici- partagent (le petit bagnard dit au grand : « T u prends la grande et
taire. Les campagnes G. Killian's de P. Lemonnier, fils spirituel moi la petite») et les couvrent de baisers ardents. Le tout sur une
d'Ogilvy reposaient sur un discours référentiel qui exploitait le per- musique jazz-hot : « S w i n g swing ma S p o n t e x » . En fait, nous venons
sonnage d'un « v r a i » brasseur ; le traitement publicitaire de J. Feld-
38
de três mal raconter ce film, ou p l u t ô t nous en avons r a p p e l é le scé-
man exploite par contre ce qui fait 1'essence m ê m e du produit, sa nario, la structure narrative si l'on veut. Mais nous n'avons rien dit
« r é a l i t é » plus que son origine : sa rousseur. Nous voici revenus à de son traitement, de sa forme discursive ... qui en fait le « f o n d » . 4 1
Germaine, aux martiens et aux pâtes Lustucru! «II est temps d'envi- T o u t e 1'attention du spectateur est c e n t r é e sur 1'éponge et plus parti-
sager un combat universel pour les pâtes Lustucru. Pour cela, i l faut c u l i è r e m e n t sa silhouette, à laquelle correspond le nom du produit.
que le public ait une três haute opinion du produit. I I faut insister Le film «focalise» sur cet acteur qu'est l ' é p o n g e pour en exalter la
sur la qualité du produit. D ' o ú 1'idée de j o u e r avec les oeufs et les nature galbée. La gestualité des laveurs de vaisselle comme celle de
p â t e s » . Philippe Lemaire de Medias a t r o u v é une image três juste
39
la pulpeuse surveillante reprennent l ' « a s p é r i t é » — si l'on peut dire
pour parler du substantialisme d'une telle d é m a r c h e : « L ' a g e n c e de en l'occurrence! — de ce produit d'entretien : les mouvements des
J. Feldman a estime que les personnages créés par 1'agence prece- bagnards dessinent des S sur les assiettes, le geste de la surveillante
dente n ' é t a i e n t pas les « a m b a s s a d e u r s de la m a r q u e » mais risquaient, («Allez, au d o d o ! » ) est un geste ondulant... Et quand l ' é p o n g e n'est
au contraire, de masquer sa principale aspérité: les ceufs » . Cest nous 40
pas au centre de 1'image, les cadrages gros plans des acteurs mettent
qui soulignons. en valeur la sinuosité de l'accroche-cceur du grand bagnard et celle de
la m è c h e de la surveillante ! 42
3 8 Dans 1'annonce-presse q u i p r é s e n t a i t « G e o r g e K i l l i a n , gentleman-brasseur i r l a n d a i s » , 4 1 Pour les s é m i o t i c i e n s , comme p o u r tous ceux q u i travaillent selon une approche
le texte de J.-R. R u t t i n g e r est un petit modele de discours r é f é r e n t i e l s'opposant explici- structurale, la distinction voire 1'opposition « f o n d » / « f o r m e » n'a g u è r e de sens. Le
tement au discours relevant de la publicite m y t h i q u e : «II était une fois en Irlande un « f o n d » désigne-t-il le contenu d'une oeuvre o u d'un message, o u plus p r é c i s é m e n t son
h o m m e q u i s'appelait G. K i l l i a n . O u i , G. Killian Lett, c'était son n o m . I I é t a i t brasseur contenu p r o f o n d , o u encore le m a t é r i a u conceptuel à traiter (: le « t h è m e » ) ? La f o r m e
de son é t a t et p o r t a i t une magnifique barbe rousse... Cela p o u r r a i t ê t r e le d é b u t d'une désigne-t-elle la mise en forme, 1'articulation du sens c'est-à-dire ce q u i est n é c e s s a i r e à
de ces bonnes histoires dont les Irlandais ont le secret et qu'ils aiment raconter le soir la constitution d'une signification ? Elie ne saurait ê t r e alors c o n s i d é r é e comme superfi-
au coin du feu. En 1'occurrence, 1'histoire — comme son h é r o s — est vraie. Elie se cielle, voire s u p e r f é t a t o i r e , mais comme ce q u i releve d u p r o f o n d , d u constitutif, de
passe maintenant, en 1976, en I r l a n d e , à Enniscorthy, là o ú G. Killian h a b i t e » . 1'invariant — à 1'opposé d u « f o n d » .
3 9J. Feldman in Stratégies, n" 639, j a n v i e r 1989. 4 2 Nous serions tente de reconnaitre dans la structure sonore de « S w i n g , Swing ma
4 0 Ph. Lemaire, Communication/CB News, n° 109, j a n v i e r 1989. S p o n t e x » 1'exploitation, au plan de Pexpression cette fois, de la substance sinueuse du
208 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 209
Comment rendre compte d u mode d ' é n o n c i a t i o n qui caractériserait MAXWELL (Young & Rubicam) MARLBORO (Leo Burnett)
la publicite substantielle ? I I ne s'agit pas ici de la production d'une CARREFOUR (Impact)
MAISONS BOUYGUES (RSCG)
illusion référentielle à proprement parler. Celle-ci est le fait de la SUPER GLUE 3 (Ogilvy & Mather France) CHEVRONS SAUVAGES (RSCG)
publicite référentielle justement et, surtout, 1'illusion référentielle MANPOWER (RSCG)
suppose u n certain accommodement avec la réalité qui semble repro-
duite, une sorte de « b o n n e d i s t a n c e » . O r 1'effet de sens produit par
publicite publicite
la publicite substantielle, c'est au contraire 1'étrangeté d u monde, la
référentielle mythique
iXt
p r é s e n c e de 1'objet face au sujet é n o n c i a t a i r e . O n a 1'impression que
le produit avance vers soi, j u s q u ' à pouvoir le toucher. De fait, 1'image
substantielle privilegie les valeurs tactiles. Gros plans, n e t t e t é absolue
des traits et des formes, rapport souvent frontal : la publicite substan- publicite publicite
tielle renverse la relation d u sujet au monde. Cest 1'événement, q u i substantielle oblique
provoque une suspension d u temps : ce sont les objets, les produits
« q u i vous observent avec des regards familiers», pour reprendre le KILLIAN'S (FCAI) BLACK & WHITE (CLM/BBDO)
vers de Baudelaire. Cette allusion aux « C o r r e s p o n d a n c e s » n'est pas I USTUCRU (FCA!) ERAM (CLM/BBDO)
gratuite. Elie veut introduire 1'idée que la stratégie énonciative de la SPONTEX (FCA!) MAMIE NOVA (CLM/BBDO)
publicite substantielle est de proposer une é m o t i o n e s t h é t i q u e . Nous
LU(Bélier) PIPER HEIDSIECK (DDB)
définirons ici 1'émotion e s t h é t i q u e comme une incapacite soudaine — IIRGO (TBWA)
et breve — d u sujet à maitriser le monde sensible, une incapacite qui
1'ébranle et l u i donne le sentiment d'une p r é s e n c e physique venant
exemplaires selon nous, qu'elles soient c o n ç u e s par les quatre idéo-
au-devant de l u i . Cette manifestation c o n c r è t e est d'autant plus forte
logues ou par d'autres publicitaires. Avant d'aborder les discours de
et «saisissante» que le sujet n'a pas encore réussi à projeter sur elle
deux t h é o r i c i e n s de la publicite et d u marketing qui, de façons três
une grille de lecture du monde qui 1'organise et la maintienne à bonne
différentes, parlent des rapports entre le discours et la « r é a l i t é » et
distance. S o u d a i n e t é , recherche d'une certaine perte de la maitrise à
donc de nos idéologies, restons u n moment sur les diverses i n t e r p r é -
comprendre o u à i n t e r p r é t e r : on 1'aura compris, le mode d ' é n o n c i a -
tations que l'on peut en faire. L e sémioticien s'est d o n n é pour tache
tion de la publicite substantielle est le contraire de celui de la publi-
de definir les relations existant entre ces différentes philosophies et de
cite oblique.
mieux faire comprendre celles-ci mais d'autres que l u i peuvent aller
au-delà : question de légitimité et de c o m p é t e n c e . Ils i n t e r p r è t e r o n t
— sans le savoir — le c a r r é en ce sens qu'ils donneront les raisons de
Quelques interprétations possibles ces différences, o u des « explications» à ces oppositions.
P r e m i è r e i n t e r p r é t a t i o n , de type socio-culturel : les publicites réfé-
rentielle et substantielle d'une part et mythique et oblique d'autre
Voilà, le c a r r é parcouru, les quatre grandes idéologies publicitaires.
part renverraient à des cultures o u à des styles de vie o p p o s é s . Annie
Nous 1'illustrons ci-contre par quelques campagnes p a r t i c u l i è r e m e n t
Prost d'Eurocom, dans u n document interne inédit, s'appuie sur sa
double e x p é r i e n c e française et a m é r i c a i n e , pour opposer « P u b l i c i t e
française versus publicite a m é r i c a i n e » :
produit. Mais, là, nous avouons notre totale i n c o m p é t e n c e en la matière. II faudrait ici
consulter quelqu'un comme J e a n - R é m y Julien, auteur de Musique et Publicite (Flam- «La publicite américaine est plutôt une publicite de faits, la publicite
marion, 1989). française est plutôt une publicite' de concepts. La différence tient à la
210 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 21
Publicite référentielle
Publicite oblique
MAISONS BOUYGUES
MARLBORO
íhxm f.uí
Publicite substantielle
Publicite mythique
«Tués dans Vceuf!» 219
wjm Lustucru. Bons oeufs, bonnes pâtes. I . I H I I , d'altitudes épistémiques; c h a q u e c u l t u r e se définirait ainsi selou
r . u t i l u d e q i f e l l e a d o p t e p a r r a p p o r t à ses p r o p r e s s i g n e s . U n e t e l l e
43
BEURRE DACCORD, • IH
i|iir i e l l e q u i consiste à d i r e q u e la p u b l i c i t e o b l i q u e est u n e p u b l i -
il<- décalés e t la p u b l i c i t e s u b s t a n t i e l l e u n e p u b l i c i t e d e recentrés.
MAIS PETIT, POURQUOI? A i i l r i - inlerprétation, d e t y p e h i s t o r i q u e c e t t e fois ... oú l ' o n r e p a r l e
• li | Séguéla e t d u passage d e l'ère d e 3R à celle des 3S : Simplicité,
S H I I S I . U K c, Spectacle. P o u r l e p a t r o n d e R S C G , 1'évolution h i s t o r i q u e
de l.i p u b l i c i t e serait le f a i t des a n n o n c e u r s , e t n o n d u c o n s o m m a t e u r
q u i , l u i , « v e u t le rêve e t la r é a l i t é » : « L e s années p u b , les années folies
• i m o r t e s . Paralysés p a r la crise, les a n n o n c e u r s q u i s p o n s o r i s a i e n t
tios spcctacles o n t r e n o n c é . I l s e x i g e n t p l u s d ' a r g u m e n t a t i o n , p l u s d e
pi u i i i o i i o i i . L a r a i s o n est le g r a n d v a i n q u e u r d e la crise. E t crise n e
m i i e avec création q u e p o u r 1'oreille. E t e n c o r e , la r i m e est-elle três
I i.ni\ »•... N o u s s o m m e s e n t r e s dans u n e société l o u i s - p h i l i p p a r d e » . 44
ET
APPROUVÉ Cfi A.-J. G r e i m a s et J . Courtés, Sémiotique. Dictionnaire
, 1 raisonné de la théorie du lan-
WÊÊfi cit., a r t i c l e « V r a i s e m b l a b l e » , p. 4 2 2 - 4 2 3 .
|. Séguéla, i n t e r v i e w d a n s CBINews, n° 1 0 8 , 2 3 j a n v i e r 1 9 8 9 .
Publicite substantielle
220 Sous les signes, les stratégies «Tués dans 1'ceuf!» 221
croit pas davantage à une sorte de mouvement de balancier, à un l>iililu iié référentielle ou substantielle; viennent ici à 1'esprit bien des
mouvement paradigmatique de 1'histoire qui ferait se réaliser alter- marques dont la communication a é t é c o n ç u e et g é r é e par D. Ogilvy
nativement les deux grandes logiques c o n t r a í r e s : fonction construc- m i | Kcldman : Sears et Rolls-Royce, ou Findus et Yoplait. Cela dit,
tive du langage vs fonction r e p r é s e n t a t i o n n e l l e . . . « O n a perdu nos puisque J. H é n o c q aborde le p r o b l è m e de 1'approche marketing, par
marques culturelles. Quand on est perdu, on revient en désespoir de i>l«position — selon lui — à 1'approche créative, c o n s i d é r o n s mainte-
cause à la substance, c'est-à-dire, en pub, au produit. Je reviens à ii.mi le discours d'un homme de marketing, plus exactement d'un
Procter. La pub a é t é tellement a x é e sur le beau, 1'image, la starisa- •nielgnant en marketing : J.-N. Kapferer.
t i o n , la s u r m é d i a t i s a t i o n , la gonflette, qu'elle s'est c o n d a m n é e à bas- I».ms sa contribution à 1'ouvrage collectif La Marque , J.-N. Kap- 47
marque à fabriquer des matelas de mousse... Je ne peux donc plus agir il«s (uoduits est la condition m ê m e de la survie d'une marque dans
comme en 1970, au risque de faire le j e u d'une collective du matelas um r r o n o m i e libérale o ú «le marche est un système de liberte :
mousse qui profite autant à ses concurrents directs q u ' à la marque \vs « o n s o m m a t e u r s votent chaque j o u r » . L'auteur — et c o - é d i t e u r
dont j e m'occupe. Je ne peux pas non plus distinguer mon système ili 1'ouvrage — définit alors la place de la publicite dans le sys-
de mousse de celui des concurrents. Je dois donc choisir un territoire !• m r : «II faut avertir et convaincre les consommateurs des nou-
publicitaire (en 1'occurrence, celui de 1'érotisme) et fabriquer une M lies d i l í é r e n c e s et performances a p p o r t é e s p é r i o d i q u e m e n t par les
c r é a t i o n p o é t i q u e , irrationnelle, sympathique, amusante ... Une com- m t t t q u e s . » . O n ne peut ê t r e plus clair sur la fonction seconde de la
49
munication de marque. Cest pour cela que les créatifs ont pris le DUblicité : une fonction d'information persuasive et non de c r é a t i o n
pouvoir dans la publicite depuis quinze ans. I I s'agit v é r i t a b l e m e n t de (ou de contribution à la c r é a t i o n ) de valeur ajoutée .
l'échec du m a r k e t i n g . » La position de J. H é n o c q est, on le voit bien,
46
\e et relire les pages de ce chapitre, on ne peut q u ' ê t r e f r a p p é
une position militante, sans pour cela — encore une fois — p r ô n e r <l< l.i i c d i r r e n c e des expressions verbales qui definissem la fonction
telle ou telle idéologie créative. Elle peut, cependant, laisser accroire r r p i é s e n t a t i o n n e l l e de la publicite et qui font de J.-N. Kapferer l'un
que les c o m p l é m e n t a r i t é s des publicites référentielle et substantielle tlrs tliuriféraires de la publicite r é f é r e n t i e l l e — p e u t - ê t r e du fait que
d'une part et mythique et oblique d'autre part r e l è v e n t respecti- ••• '• ' • < M I I C C S (1'inspiration sont essentiellement anglo-saxonnes : le slo-
vement d'une communication-produit et d'une communication de K.in T o u t arome de Nescafé en 1 9 6 2 » reflétait... la stratégie marke-
marque. I I ne nous semble pas, quant à nous, qu'on puisse légitime- ting'", la communication est nécessaire pour «faire savoir ... et aver-
ment en tirer cette conclusion. D'ailleurs, on ne voit pas pourquoi, a
priori, une communication de marque ne pourrait pas relever d'une
" I N. Kapferer et J . - C l . Thoenig , La Marque, Paris, E d . McGraw Hill, 1989.
'* I N Kapferer, L a face cachée des marques, in La Marque, op. cit. p. 22.
4 5 J . Séguéla, interview dans Challenges, n° 574, 21 septembre 1987. " Wd . p. 43.
4 6 ]. H é n o c q , interview dans Stratégies, n° 574, 21 septembre 1987. • U;,l , p. 11.
222 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 22H
sans le « f o n d » c'est le spectacle. Sans statut quant à ce qui fait-être se retrouver dans le discours du marketing, comme se retrouvent avec
(«ce n'est pas la communication qui fait les marques : on ne peut com- elles des systèmes connotatifs r é g l a n t 1'usage des différents langages,
muniquer que sur ce qui existe »), la publicite, et p e u t - ê t r e m ê m e plus par exemple en fonction de leur rapport à la réalité ou de telle
largement la communication, doit justifier de son emploi — au sens ou telle typologie des signes. Le slogan de Paris-Match, « l e poids des
quasi domestique du mot — par 1'illustration parfaite et constante de mots, le choc des p h o t o s » en est un autre bel exemple.
ces valeurs ancilliaires que sont la célérité et 1'efficacité. La pub, c'est Enfin citons une d e r n i è r e i n t e r p r é t a t i o n du système des idéologies
le saute-ruisseau du marketing : « P a s s a n t par dessus la distribution, la publicitaires : 1'interprétation sémiologique de G. Peninou. L'auteur
publicite s'adresse directement aux consommateurs, d é c i d e u r s ultimes d'Intelligence de la publicita distingue fondamentalement deux grands
de la validité de chaque marque presente sur le marche, dans une éco- regimes qui partagent la c r é a t i o n publicitaire : l'un releve de la « d é n o -
nomie l i b é r a l e . » 56 tation référentielle, à visée i n f o r m a t i v e » , 1'autre de la « c o n n o t a t i o n , ;i
. Mais ce qui est le plus intéressant selon nous, c'est que, là encore, visée p s y c h o l o g i q u e » . Dans un s c h é m a , reproduit ci-contre, G. Peni-
correspond au choix i d é o l o g i q u e une certaine défínition du discours nou presente les dix oppositions qui « r a s s e m b l e n t les différences»
et des statuts respectifs des langages : les langages, ce sont des signes, entre les deux regimes. O r la d e r n i è r e de ces différences — mimesisl -
les signes signifient dans la mesure o ú ils renvoient à la réalité, et i l poiesis — ne peut pas ne pas ê t r e r a p p r o c h é e de la c a t é g o r i e fonc-
faut distinguer signes verbaux et signes non-verbaux. L'image — le tion r e p r é s e n t a t i o n n e l l e vs fonction constructive, à partir de laquelle
spot télévisé ou 1'affiche — serait dangereuse parce qu'elle aurait u n nous avons reconnu et interdéfini les quatre idéologies. Et les termes
pouvoir de s é d u c t i o n tel que les c o n s i d é r a t i o n s de « forme » Pemporte- employés par G. Peninou pour parler du passage entre la publicite de
dénotation et la publicite de connotation autorisent de fait un tel rappi <>-
51 lbid., p. 26.
52 lbid., p. 26.
5 3 lbid., p. 27.
57 lbid., p. 38-39.
5 4 lbid., p. 27.
5 5 lbid., p. 38. 5 8G . Peninou, Intelligence de la publicite, Paris, E d . Robert Laffont, 1972. U n ouvrage
5 6 lbid., p. 43. qui reste le texte de référence de la sémiologie publicitaire.
224 Sous les signes, les stratégies «Tués dans Vceuf!» 225
Epreuve qualifiante, 16, 59. Objet de valeur, 108, 126. Signifiant, 9, 12. Syntaxe narrative, 63, 109.
Espace rayonnant, 174. Observateur, 117 note 13. Signification, 8, 11, 20, 123. Système semi-symbolique, 87, 94, 108,
Etat final, 108. Opérations, 28, 29. Signifié, 39. 150.
Etat initial, 108. Opposant, 63. Socio-sémiotique, 226. Systèmes connotatifs, 225.
Etat modal, 112. Statut narratif, 63. Systèmes sémiotiques, 88.
Expansion, 121, 126. Parcours génératif de la signification, Stratégie discursive, 194, 225. Systèmes symboliques, 88.
123, 156. Stratégies interactionnelles, 46.
Structure discursive, 118, 124. Terminativité, 117 note 13.
Faire cognitif, 196. Parcours narratif, 22, 60, 63, 110.
Structure narrative, 58, 108, 124, 203. Texte, 4.
Faire conjonctif, 112. Performance, 60, 61, 62, 106.
Structure sémio-narrative, 124, 125. Thématique, 125.
Faire interprétatif, 56, 61. Phonologie, 12 note 14.
Thymie, 85.
Faire persuasif, 56, 61. Pictogramme, 165. Substance, 65, 76.
Transformation, 108.
Faire pragmatique, 196. Plan de 1'expression, 12, 88. Substance de 1'expression, 155.
Fiducie, 54, 75. Plan du contenu, 12, 88. Substance du contenu, 161. Unité narrative, 63.
Focalisation, 54. Pouvoir, 113. Sujet, 60. Unité paradigmatique, 58.
Forme, 5, 75, 76. Prédicat, 58, 59. Sujet d'état, 108. Univers figuratif, 126.
Présupposition, 61. Sujet de faire, 110.
Grandeur, 151. Príncipe d'immanence, 5. Synchronie, 132. Valeur contextuelle, 30.
Procès, 31, 117. Synchronique, 15. Valeur d'usage, 123, 127, 130.
Hypotaxique, 110. Programme d'usage, 128. Syncrétisme, 58, 132. Valeur de base, 123, 127, 130.
Programme de base, 128. Synesthésie, 17. Variables, 5.
Idéologie, 184 note 7. Programme narratif, 108, 110, 125. Syntagmatique, 58, 59, 62, 117. Véridiction, 54, 74, 194.
Illusion référentielle, 208, 225. Projection paradigmatique, 58. Syntagmes, 21. Virtualité, 124.
Inchoativité, 117 note 13. Proxémique, 21. Syntaxe, 125. Vouloir, 114.
Intentionnalité, 59, 60.
Interaction, 45. Récurrence, 24, 25.
Intertextualité, 166. Récursivité, 126.
Invariants, 5. Redondance, 52.
Ironie, 200. Référent interne, 195.
Isotope, 29. Référentialisation, 194.
Isotopie, 29 note 6. Relation de complémentarité, 29.
Itérativité, 117 note 13. Relation de conjonction, 108.
Relation de contradiction, 28, 29.
Lexèmes, 30. Relation de contrariété, 28.
Relation de disjonction, 108.
Manifestation, 126. Relation fiduciaire, 74.
Médiateur mythique, 11. Relation paradigmatique, 58.
Micro-univers sémantique, 27, 188. Renonciation, 110.
Modalités, 61, 62, 106, 113, 114. Role, 63, 111, 124.
Motif, 42, 123. Roles actantiels, 200.
Mythe, 86. Roles thématiques, 203.
Mythogramme, 165, 174, 175.
Sanction, 61, 62.
Nébuleuse du sens, 10. Savoir, 106, 200.
Négation, 28. Schéma narratif, 58, 6 1 , 64.
Négociation, 45. Segmentation, 21.
Niveau abstrait, 126. Segmentation «actorielle», 23.
Niveau de dérivation, 126. Sémantique, 125, 137.
Niveau figuratif, 126. Sémantique lexicale, 10 note 11.
Niveau profond, 125. Semèmes, 30.
Niveau superficiel, 125. Sémiologie, 7, 226.
Niveau thématique, 126. Sémiosis, 89.
FORMES SÉMIOTIQUES
O O L L E C T I O N DIRIGÉE P A R
A N N E HÉNAULT
JEAN-FRANÇOIS BORDRON
JOSEPH COURTÉS
TERRY EAGLETON
UMBERTO E C O
UMBERTO E C O
JEAN-MARIE FLOCH
A N N E HÉNAULT
A N N E HÉNAULT
LOUIS HJELMSLEV
JEAN PETITOT-COCORDA
HENRI QUÉRÉ
Intermittences du sens
FRANÇOIS R A S T I E R
Sémantique interprétative
FRANÇOIS R A S T I E R
CLAUDE ZILBERBERG