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L’économie, reine des sciences humaines

Comprendre le monde nécessite d’étudier l’économie. Cette science reste


au cœur des problèmes sociaux et est la principale contrainte de tout
gouvernement.
Et, appréhender la monnaie en est la première étape. Si la monnaie est bien
cernée, alors toute action économique sera comprise.
L’Histoire de la Monnaie pour Comprendre l’Économie raconte de
manière passionnante et précise la monnaie et la banque depuis l’Antiquité
jusqu’à nos jours dans un langage accessible.
Le livre répond aux questions comme : Comment est-elle apparue ? Qu’est-
ce qu’une banque ? Où sont passées les pièces d’or ? Qu’est-ce que
l’inflation ? Qu’est-ce que le FMI ? Le déficit commercial américain est-il
tenable ?

Une solution monétaire, plus que politique


L’Histoire de la Monnaie pour Comprendre l’Économie rejoint une
nouvelle interprétation historique qui expose l’évolution du système
monétaire comme un catalyseur des grands événements de l’Histoire, de la
chute de l’Empire romain jusqu’aux Guerres mondiales du XXe siècle et au-
delà.
En considérant les influences monétaires passées, une solution au
réchauffement climatique pourrait-elle être monétaire ? De fait, Lannoye
propose au lecteur une innovation monétaire pour financer l’économie
verte.

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La continuation du livre – spécialement à propos du chapitre 10 – est
accessible sur strayfawn.com.

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L’Histoire de la Monnaie pour Comprendre l’Économie

Apprendre du passé pour influencer le futur

Essai

Deuxième édition

Vincent Lannoye

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© Le Cri Édition, 2005-2010 : La Monnaie et les Banques - De la
Mésopotamie à Manhattan
(ISBN: 2-87106-375-3)

© Vincent Lannoye, septembre 2011 : L’Histoire de la Monnaie pour


Comprendre l’Économie
(ISBN-13 : 978-1466200326 / ISBN-10 : 1466200324)

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À Marc et Didier qui ont collaboré à la rédaction.

À ceux qui ont échangé de bon gré leurs opinions politiques et


économiques. Plus spécialement à Eddie et à Carine, différents,
intéressants, et jamais rancuniers envers nos divergences.

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TABLE DES MATIERES

Définitions principales

Prologue

Avertissement !

1. La Monnaie : catalyseur de l’Antiquité


Économie de redistribution et écriture aux prémices de l’Histoire
Troc et marchés en parallèle à la redistribution au IIe millénaire av. J. C.
De l’échange contre « biens-intermédiaires » jusqu’au commerce en
monnaie
Pièces de monnaie au VIIe siècle av. J. C.
Pièces de monnaie au poids en Grèce
Les pièces de monnaie : ciment des empires
Changeurs-essayeurs et pièces variées de l’Antiquité
Naissance de la banque dans l’Antiquité
Coïncidence : Les pièces de monnaie, nerf de la guerre ou de la paix ?

2. L'Empire romain et les pièces de monnaie multipliées


Inquiétudes financières dans l’Empire au Ie siècle apr. J. C.
Nouveaux expédients aux crises de trésorerie dès le Ie siècle apr. J. C.
Inflation perceptible au Ie siècle apr. J. C.
Mécontents et profiteurs de l’inflation des prix dès le Ie siècle apr. J. C.
Déclin économique du Ie siècle jusqu’au début du IIIe siècle apr. J. C.
La « crise du IIIe siècle » apr. J. C.
Fiasco de la résorption de l’inflation à la fin du IIIe siècle apr. J. C.
L’inflation contournée pour redresser l’Empire au IVe siècle apr. J. C.
Coïncidence : L’Empire romain a chuté aussi sur des obstacles monétaires.

3. Manque récurrent de pièces de monnaie du Moyen Âge à la


Renaissance
Circulation des pièces en Occident du VIIe au XIIe siècle
Pièces de monnaie transmutées au XIIIe siècle
Déclin économique au XIVe siècle jusqu’à la déflation du XVe siècle
Déflation contournée par les commerçants italiens aux XIVe et XVe siècles
Intrusion des banquiers dans les sphères du pouvoir aux XIVe et XVe
siècles

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Déflation esquivée au XVIe siècle, et embellie économique
Inflation limitée par le mercantilisme au XVIe siècle
Coïncidence : Évolutions contrastées avec ou sans banques.

4. Du billet de banque à la Révolution industrielle en Grande-Bretagne


La rareté du numéraire à nouveau préoccupante au XVIIe siècle
Apparition du billet de banque en Angleterre au XVIIe siècle
Multiplication des crédits et Révolution industrielle au XVIIIe siècle
La Banque d’Angleterre et ses billets au XVIIIe siècle
Coïncidence : La Révolution industrielle et la monnaie.

5. Échecs et succès des billets de papier au XVIIIe siècle


Le billet de banque discrédité en France vers 1720
L’échec du premier papier-monnaie vers 1780 aux USA
Tentative avortée de monnaie amendée à Liège en 1783
L’effondrement des assignats de la Révolution française vers 1795
Les guerres napoléoniennes et les billets de banque
Coïncidence : Échecs monétaires et aléas des Couronnes de France et
d’Angleterre.

6. Le billet de banque, l’étalon-or et les cycles économiques


au XIXe siècle
Brève dépression économique en Grande Bretagne vers 1820
Cycles économiques remarqués après 1820
Propagation de la Révolution industrielle après 1830
L’étalon-or et la « Longue Dépression » dès 1873
Chamboulement de l’ordre économique mondial à la fin du XIXe siècle
Coïncidence : L’instabilité de la fin du XIXe siècle et le retour du
nationalisme.

7. Dollars, billets de banque et Keynes entre 1914 et 1971


Les années 1920 dans la lignée du XIXe siècle pour la plupart des pays
L’hyperinflation en Allemagne vers 1922 1923
Le violent krach boursier de Wall Street de 1929
Théories de Keynes vers 1930
Abandon partiel de la convertibilité-or à partir de 1931
Application plus large des théories keynésiennes aux USA dès 1932
Reprise économique fulgurante dans l’Allemagne nazie dès 1933
La Deuxième Guerre mondiale et les batailles monétaires

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Bretton Woods en 1944 et les Trente Glorieuses de 1945 à 1975
Coïncidence : Keynes en retrait, Schacht en avant, dans l’entre-deux-
guerres.

8. Montée du monétarisme dans les années 1970


Tensions sur le change, et fin de la convertibilité-or du dollar après 1971
La nouvelle âme et la source de la monnaie
Éclatement des parités fixes et dévaluations dès 1973
Montée de l’inflation et du chômage dans les années 1970
Lutte contre l’inflation pour relancer la croissance à la fin des années 1970
« Reaganomie » aux USA dès 1980
Le dollar à la place des pièces d’or depuis les années 1980
Les monnaies européennes stabilisées jusqu’à l’euro en 1999
Coïncidence : Les USA jugulent l’inflation, et leur économie domine le
monde.

9. Les turbulences du monétarisme


Deux accidents économiques vers la fin du XXe siècle
Troisième accident : la crise financière de 2008
Coïncidence à espérer : Une solution plus large
pour un problème planétaire

10. Les monnaies parallèles et le réchauffement climatique


Les cinq monnaies parallèles de l’Argentine de 2001
Le marché noir coincé par la monnaie
Les chèques-services en Europe
Un nouveau marché parallèle avec sa monnaie contre le réchauffement
climatique
Coïncidence à espérer : Une solution monétaire au réchauffement
climatique ?

Bibliographie

Origine des illustrations :

Définitions principales

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Prologue

Introduction à l’économie à travers l’Histoire

Pour décortiquer une matière scientifique, il s’avère judicieux d’étudier


ses origines et son évolution chronologique. Comparer l’actualité au passé
approfondit notre compréhension des faits. D’excellentes vulgarisations
sont ainsi axées sur l’Histoire, comme en sciences, en physique ou en
philosophie. Mais aucun livre concis et simple sur la monnaie n’existait.
Les publications qui retracent l’Histoire de la monnaie sont destinées à un
public averti en économie. Rien n’avait été écrit pour introduire un
néophyte aux questions monétaires par l’Histoire.

Le but de ce livre est donc d’expliquer la monnaie et la banque depuis


l’Antiquité jusqu’à la période actuelle. La présentation historique a une
tendance thématique, tout en respectant la chronologie et en conciliant les
divergences entre historiens.

Aussi, cet ouvrage explique les manipulations monétaires qui ont influé
sur l’Histoire, ou qui présentent un intérêt pour comprendre le système
monétaire actuel. Ce livre introduit au système monétaire de notre XXIe
siècle, plus qu’aux théories dépassées. Ce livre n’est donc pas un manuel
exhaustif de l’Histoire de la monnaie et de la banque, et il se concentre sur
l’Histoire occidentale en ignorant la Chine ou l’Inde. Enfin, cet ouvrage
présente une aventure originale confinée dans la ville de Liège vers 1783.
Cette tentative de réforme monétaire était encore embryonnaire avant son
interruption. Elle est ensuite tombée dans l’oubli des rayons de la
bibliothèque municipale. Néanmoins, ce véritable cas d’école me semble
pertinent pour illustrer l’usage des techniques monétaires.

L’économie sera mieux comprise si le rôle de la monnaie est bien cerné


et les causalités et les contraintes de l’économie couleront presque de

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source. Après tout, la monnaie n’est qu’un moyen en « économie » qui se
définit comme la science de la répartition des ressources, des échanges, du
commerce, des budgets, des taxes ou des impôts, et du rôle de l’État.

Quatre concepts encadreront les explications : monnaie, banque,


inflation et déflation. Ces quatre notions s’entremêlent étroitement. D’autres
définitions secondaires sont exposées et référencées dans l’index en fin de
livre. Les autres désignations basiques seront moins développées, car un
dictionnaire ou l’expérience quotidienne doivent suffire à les expliquer.
Aussi, le jargon économique et financier est évité.

En fin de compte, le livre inculquera la connaissance monétaire en


répondant aux questions suivantes :

Pourquoi et comment la monnaie est-elle apparue ?

Quel est le rôle de la banque ?

Quel est le lien entre les banques et la monnaie ?

La monnaie est-elle l’épine dorsale de l’économie ?

Où sont passées les pièces d’or qui circulaient jadis ?

Qu’y a-t-il derrière la valeur d’un billet de banque en papier ?

Qu’est-ce que l’inflation ?

Pourquoi appréhender la déflation ?

Quelles causes provoquent la dévaluation d’une devise ?

Qu’est-ce que le FMI ?

Comment a-t-on introduit l’euro ?

Le déficit commercial américain est-il intenable ?

Et bien d’autres notions prérequises à la compréhension approfondie de


l’économie.

Coïncidences historiques et réchauffement climatique

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L’incidence de l’efficacité du système monétaire sur l’Histoire est
soulignée. Elle est loin d’être négligeable. En effet, de nombreuses
manipulations ou nouvelles techniques monétaires coïncident avec les
grands événements historiques. Depuis une trentaine d’années, une autre
vision de l’Histoire apparaît dans ce sens, surtout chez les Anglo-saxons.
Certains historiens vont jusqu’à présenter l’évolution du système monétaire
comme une des causes primordiales des grands évènements. Ces thèses sont
présentées succinctement à la fin de chaque chapitre.

Dans le même esprit, et face aux piétinements d’un monde politique


paralysé par la crainte d’une remontée du chômage, ou s’accrochant aux
maigres perspectives d’énergies nouvelles ou de captage du carbone bon
marché, ou même se cachant derrière le protocole (sans méthode) de Kyoto,
il ne reste peut-être que le financement par de nouvelles techniques
monétaires pour lutte contre le réchauffement climatique ?

Ces techniques sont présentées dans les derniers chapitres du livre.


Elles ne sont cependant accessibles qu’après assimilation des premiers
chapitres.

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Avertissement !

Depuis la Magna Carta au XIIIe siècle en Angleterre jusqu’à la


déclaration universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies de 1948,
réaffirmée par la Convention Internationale des Droits Civiques et
Politiques de 1993, le droit à la propriété a gardé une place importante dans
la défense des individus contre les abus du pouvoir central. Sans ces
garanties contre la confiscation ou contre une taxation excessive, un exécutif
despotique – même représentant la majorité – étouffera toute opposition ou
toute minorité en les privant de toute ressource et de toute possibilité
d’expression. Rien de tel que d’astreindre les chefs de file de la
contestation à un labeur de subsistance pour les faire taire. Le malin n’aura
plus qu’à bâillonner les médias confisqués et manipuler les élections. Il
aura alors les mains libres pour éliminer ses derniers rivaux par un procès

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truqué ou dans un accident de voiture. Dans ce sens, la taxation abusive ou
la confiscation, même au nom des pauvres, est pernicieuse.

En revanche, une certaine taxation est impérative non seulement pour


raisons humanitaires ou sociales, mais aussi pour redistribuer les richesses
afin de maintenir un équilibre politique. Surtout, toute crise économique
tend à concentrer le pouvoir économique aux mains des plus riches à même
d’écraser les salaires des travailleurs menacés par le chômage. Cette
concentration du pouvoir peut s’étendre aux autres domaines de la vie
publique, politique, judiciaire ou médiatique. La démocratie s’enfonce alors
dans la ploutocratie.

Pour mieux jouer au funambule entre les solutions extrémistes ou ineptes


qui recherchent trop souvent des boucs émissaires entre groupes sociaux ou
entre nations, étudier l’économie est crucial. Cette science reste au cœur de
l’étude des solutions aux problèmes des inégalités. Et, étudier la monnaie et
la banque est la première étape vers la compréhension de l’économie.

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L’Histoire de la Monnaie pour Comprendre l’Économie

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1. La Monnaie :
catalyseur de l’Antiquité

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Économie de redistribution et écriture
aux prémices de l’Histoire

Économie de redistribution au IVe millénaire av.


J. C.
Au néolithique, les nomades chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisés
pour un approvisionnement plus régulier. Ils ont pu ainsi tirer parti de
l’élevage sur les terres incultes et de l’agriculture dans les champs rendus
arables par l’irrigation et d’autres techniques. Pour protéger les troupeaux
et les récoltes, les communautés s’étaient approprié des territoires, et elles
s’étaient regroupées en villages, puis en villes fortifiées ou en cités-États.

Parallèlement, les autorités se sont détachées d’un peuple imbibé de


croyances et de religion. Les sorciers sacralisés en prêtres, les guerriers
adoubés en nobles, les plus malins intronisés en rois et les autres
accointances des dieux décidaient pour le peuple dévot. Les pouvoirs
religieux et politiques se confondaient. Ils ne se sont distingués que
lentement par la suite, sans véritablement se séparer.

Au IVe millénaire, les autorités, les rois, et les prêtres collectaient la


production « en nature ». Ils ponctionnaient intégralement la production, ou
ils l’imposaient selon le terme moderne. Souvent le peuple l’offrait
spontanément dans les temples. Ensuite, les autorités éclairées par les
messages divins interprétables dans les augures ou dans les astres
centralisaient la redistribution de ces biens produits. La mise sur pied de
services communs émanait de cette redistribution, spécialement dans les
domaines militaires ou religieux pour prévenir des attaques des démons
réels ou imaginaires. Le rang, le statut d’esclave ou d’homme libre, ou
l’occupation civile, religieuse ou militaire quantifiaient les rations de la
production redistribuée. Comme annoncé dans le prologue, l’« économie »
est la science de la répartition des ressources, toujours limitées par les
moyens de production, pour satisfaire la consommation le mieux possible.
Au début, la simple et autoritaire redistribution de la production organisait
l’économique. L’ « économie de redistribution » était comparable à une
imposition totale des revenus de la production avant la répartition de ceux-
ci.

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Avec les siècles, les villes s’étendaient, et l’administration de
l’économie de redistribution se compliquait. Dans le Croissant Fertile entre
l’Euphrate et le Nil, les besoins de mémorisation comptables et
administratifs instiguaient l’invention de l’écriture en parallèle aux
quantités ou mesures de ponction et redistribution étalonnées en poids, en
pieds, en pouces ou en coudées royales. Vers la fin du IVe millénaire av.
J. C., les premiers pictogrammes marquaient des morceaux d’argile le long
de l’Euphrate, dans le pays de Sumer, et les hiéroglyphes apparaissaient en
Égypte. Cette invention fondamentale n’a eu de cesse de se propager.
L’Histoire commençait avec l’Antiquité racontée sur des murs en pierre, sur
des tablettes d’argile ou sur papyrus. En quelques siècles, les signes de
l’écriture progressaient pour formuler des idées, pour promulguer des lois,
ou pour relater des épopées. À l’aube du IIIe millénaire av. J. C., des textes
élaborés s’inscrivaient sur des tablettes d’argiles.

Codes et références au IIIe millénaire av. J. C.


Dès les débuts de l’écriture, les rois promulguaient des codes pour
établir les principes de droit et de justice. Le « Code d’Hammourabi » du

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premier quart du IIe millénaire était le plus fameux d’entre eux. Les règles à
respecter, les sanctions en cas de manquement recouvraient ainsi des
tablettes d’argiles d’écritures ou des stèles de gravures.

Les règles et les sanctions devaient parfois être chiffrées pour établir
les quantités, les salaires à payer ou les indemnités à délivrer en cas de
jugement suite à une plainte. Par souci de simplification des codes et des
lois, un unique bien principal définissait les quantités ou les montants de ces
règles et ces sanctions. Le grain constituait souvent ce bien central. Un
rapport au grain référençait autoritairement ou religieusement les valeurs
relatives des autres biens. Un autre bien équivalent au grain pouvait ainsi
régler l’apport ou l’amende selon le code et ses lois avec ses mesures
royales ou divines.

L’or et l’argent, références de valeurs


vers la fin du IIIe millénaire av. J. C.
L’or et l’argent étaient presque des biens comme les autres. Seule la
rareté naturelle de ces métaux les différenciait des autres valeurs. Parfois,
leur acquisition nécessitait l’importation d’autres contrées qui recelaient
des gisements aurifères ou argentifères. De plus, les mineurs s’épuisaient à
excaver des pépites hors de montagnes de minerai. L’orpaillage hors de
milliers de seaux d’eau n’était pas non plus une sinécure. La fonte du métal
brut hors du minerai nécessitait un paquet de bois pour les feux des fours.
L’or et l’argent inspiraient le respect par la débauche d’efforts du mineur et
de l’orpailleur jusqu’à l’orfèvre. Par ailleurs, l’or et l’argent reflétaient
mystiquement la lumière. Ils avaient la couleur du Soleil ou de la Lune. L’or
et l’argent ont toujours fasciné les hommes. Les bijoux d’or et d’argent
étaient esthétiques, durables, inaltérables. Ils ne se ternissaient pas au
contact de la sueur, et ils n’irritaient pas la peau.

Dès lors, les rois et les prêtres ont utilisé l’or et l’argent pour asséner
leur magnificence ou pour récompenser les plus fidèles en leur passant des
médailles dorées ou argentées autour du cou. Les serviles congénères du
royaume ou du temple révéraient une couronne en or sur le crâne.
Ornements somptueux et clinquants d’or ou d’argent étaient des symboles
vénérés et associés à la richesse et au pouvoir. Les rois et les prêtres, en
mal de persuasion de leurs sujets, recherchaient et demandaient avidement
ces métaux. La valeur de ces métaux rares et demandés s’élevait en
conséquence aux yeux des rois. Ces métaux étaient dits « précieux ».

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Dès la deuxième moitié du IIIe millénaire av. J. C., le très recherché
argent-métal servait de valeur pivot pour les autres biens produits dans les
codes et les lois, en remplacement du grain comme référence centrale,
tandis que l’or-métal était trop rare et donc inadéquat pour régler les
comptes des nombreuses transactions. Par exemple, au début du IIe
millénaire av. J. C. et deux siècles avant Hammourabi, le code du roi
Eshnunna de Mésopotamie du Nord stipulait une compensation d’une
« mina » d’argent (environ 500 grammes) en cas de morsure du nez. Une
amende de 10 « shekels » d’argent, soit six fois moins de métal que la
sanction précédente, punissait une gifle à la face.

Besoins de prêts
En parallèle à la redistribution, les prêtres pouvaient avancer une part
des revenus à redistribuer dans les temps à venir. Les autorités accordaient
ces « prêts »à partir des réserves collectées dans les temples. Un citoyen
pouvait souhaiter un prêt qu’il justifiait par des salaires des d’ouvriers
agricoles ou d’autres raisons. Les codes réglementaient également les
remboursements de ces prêts. Ils prévoyaient même des intérêts, souvent
pour éviter des charges d’intérêts abusives. En accordant ces prêts, les
prêtres répondaient doublement à leur vocation : ils s’attiraient la
reconnaissance de leurs contemporains, et ils contribuaient à la gloire des
dieux par les bénéfices sur les revenus issus des intérêts.

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Des traces archéologiques du IVe millénaire av. J. C. attestent de
l’existence de prêts. Les prêts étaient accordés le plus souvent en grains ou
en métal précieux. Chronologiquement, les premiers prêts étaient en grain.
L’argent-métal a ensuite été préféré pour constituer la somme avancée, car
ce métal ne pourrissait pas contrairement au grain. L’argent-métal
remplaçait le grain comme référence de valeur, surtout en Mésopotamie. Par
exemple au début du IIe millénaire, une tablette d’argile retrouvée détaillait
un prêt. Les inscriptions stipulaient un prêt en argent-métal accordé par un
temple, ainsi que les modalités de son remboursement prévu à la saison des
récoltes.

L’autre référence pour valoriser argent-métal ou


grain
Les autorités ne sont pas l’origine exclusive d’une définition arbitraire
de la valeur de l’argent-métal par rapport aux autres biens. Pourquoi un
panier de fruits valait-il un certain poids en shekels d’argent-métal ? Un
panier de fruits ne valait pas un certain poids en shekels d’argent-métal,
parce que les rois ou les prêtres l’avaient arbitrairement décidé. Même si le
rôle de l’État a été important, les historiens n’acceptent pas sa
prépondérance dans la définition de la valeur de référence de l’argent-métal
ou du grain, donc de la valeur relative des biens entre eux.

En fait, l’économie de redistribution ne régulait pas intégralement la


répartition de la production. Les autorités ne contrôlaient pas totalement la
vie des gens. Plus les villes s’étendaient, plus la population croissait, et
plus le régime tendait à s’assouplir. Au fil des siècles, les autorités ont
relâché leur emprise sur le peuple. En marge de l’économie de
redistribution, une économie d’échanges, de prêts de biens et de production
secondaire s’était épanouie. Les autorités ne ponctionnaient pas entièrement
la production. L’économie était mixte, à cheval sur la redistribution et sur
les échanges exonérés de l’imposition des autorités. Ainsi, l’économie
d’échanges – expliquée ci-après – déterminait aussi la valeur de la
référence de l’argent-métal ou du grain.
~

Avec la référence de valeur et les possibilités de prêts, l’argent-métal


ou le grain avaient deux des caractéristiques de la « monnaie ». Cependant,
la monnaie se définit par plus que ces deux caractéristiques. La monnaie est

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effectivement un objet ou un bien utilisé pour acquitter les paiements, pour
tenir la comptabilité, pour octroyer des prêts, mais la monnaie représente
également un objet manipulé par une grande partie des individus. Selon
cette définition, l’argent-métal utilisé en Mésopotamie n’était pas encore
complètement une monnaie. D’autres biens servaient à acquitter les
échanges, indépendamment du fait qu’ils étaient eux-mêmes référencés en
argent-métal. Souvent, une large partie de la population échangeait les biens
directement les uns contre les autres, sans passer systématiquement par un
intermédiaire monétaire. Le point suivant reviendra plus en détail sur ces
échanges.

Le développement de la monnaie couplé à l’évolution de l’économie de


la redistribution jusqu’aux échanges continuait sa longue Histoire.
L’économie de redistribution a subi une mutation étalée sur des millénaires
vers l’économie d’échanges entre individus qui échappait au contrôle des
autorités. Les nouveaux outils monétaires sont allés de pair avec cette
évolution de l’économie. Les outils monétaires ont même été des
catalyseurs de ce long cheminement. Le conflit entre la redistribution par les
autorités et les échanges entre les individus a pris place dans tous les
royaumes. L’évolution a eu un rythme différent d’un pays à l’autre. Par
exemple, vers le VIIe siècle av. J. C., Babylone avait une économie plus
mixte et moins rigide que l’Égypte voisine de la même époque.

Dans l’Histoire, des contre-exemples de civilisations sans monnaies


existent. Parmi ces exemples, les Incas avaient une organisation sociale très

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stratifiée, et un système de planification centralisé et rigide. Dès lors, ils
avaient moins besoin de l’usage d’une monnaie. Les Incas ont néanmoins
atteint un haut niveau de civilisation, sans écriture pour l’administration, et
sans monnaie pour l’économie. Restons-en dans ces pages aux civilisations
concernées par la monnaie.
~

À présent, l’autre aspect de l’origine de la valeur de la monnaie peut


être étudié. La monnaie et les prêts peuvent être redéfinis au travers des
marchés, du commerce et finalement des banques.

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Troc et marchés en parallèle à la redistribution au IIe
millénaire av. J. C.

Production spécialisée et échangée


Dans l’économie de redistribution comme dans l’économie d’échanges,
les tâches se spécialisaient progressivement autour des villes ou des cités.
Les hommes n’étaient plus tous chasseurs-cueilleurs. Ils étaient prêtres,
nobles, libres ou esclaves. Ils priaient, ils régnaient ou ils travaillaient
comme agriculteurs, éleveurs, pécheurs, mineurs, sculpteurs, potiers,
tisseurs, cordonniers, ferronniers, etc.. Chacun s’était spécialisé dans une
tâche afin qu’elle soit plus productive et qu’elle fournisse de meilleures
conditions de vie à la communauté.

Depuis le néolithique, à l’intérieur ou surtout à l’extérieur de la


communauté, les individus échangeaient leur production de biens et de
services spécialisés avec celle des villageois ou des citadins voisins. Ces
échanges faisaient profiter l’autre individu d’un avantage technique. Avec
l’échange de viande contre des outils, un boucher produisait davantage ou
avec des procédés plus économes. L’artisan d’outils trouvait plus intelligent
de fabriquer un outil pour l’échanger contre un pain nutritif que de produire
lui-même un pain malingre. Le monde extérieur ou étranger profitait ainsi
d’une mine de fer, d’une rivière poissonneuse, de terres fertiles, ou d’un
autre avantage géographique. Les hommes des communautés ou des régions

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échangeaient pour améliorer leur quotidien. Parfois, ces échanges étaient
vitaux. Par exemple, du poisson acquis contre du grain fournissait une
alimentation plus équilibrée à l’éleveur de bétail en plein engraissement.

Production troquée au marché local


Dans l’économie de redistribution, les cultivateurs et les éleveurs
devaient apporter leur production au temple. En marge de l’économie de
redistribution, ils complétaient l’apport à leur famille par une production
secondaire. Cette production était plus ou moins importante en fonction de
la rigidité du système politique. De plus, les revenus redistribués par le
temple, sous forme de grains ou d’argent-métal, ne pouvaient être ingérés
intégralement ou directement. Dans la pratique, ils étaient destinés à être
échangés.

Dès lors, un lieu de rencontre était convenu pour la présentation de ses


surplus à échanger. Un même rendez-vous pour échanger à l’endroit le plus
accessible et à un jour fixe. Ce lieu de rencontre était le « marché » ou la
foire rurale au cœur de l’économie d’échanges ou plutôt de l’« économie
de marché ». Les excédents, les réserves, les outils, les butins ou le savoir-
faire étaient échangés dans ces marchés urbains ou ruraux. Deux caisses de
fruits contre une amphore d’huile. Un poisson séché contre une coupe de
cheveux. Cet échange de sacs de grain, de tonneaux de poisson, de coudées
de corde, ou de têtes de bétail contre un autre bien s’appelait le « troc ».
Même s’il était référencé en grain ou en argent-métal, selon les valeurs
codifiées par l’économie de redistribution, l’échange sous forme de troc
était la règle dans cette économie de marché. Un bien s’échangeait souvent
directement contre un autre bien, et occasionnellement contre du grain ou de
l’argent-métal.

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Troc entre contrées hors économie de redistribution
Dans les premiers millénaires de l’Histoire, ce sont surtout les échanges
entre pays, cités-États ou contrées qui ont décloisonné l’économie de
redistribution. L’importance de ces échanges entre régions venait de la
neutralité des « négociants » étrangers. Avec leurs chariots à roues et leurs
bateaux, les négociants s’ingéniaient à regrouper et à transporter les
différentes marchandises des producteurs locaux pour aller les échanger
plus tard et plus loin. Les marchands se rendaient surtout dans les marchés
des ports fluviaux ou maritimes. Ils étaient souvent étrangers et ils
défendaient leur neutralité envers la cité-État ou envers le royaume, sous
peine de ne plus revenir décharger leurs cargaisons exotiques et appréciées.
À l’intérieur du pays, des considérations de droit, des obligations
religieuses et d’autres comportements propres à l’économie de
redistribution, restreignaient les échanges.

À la fin du IIe millénaire av. J. C., les Phéniciens (de l’ancien Liban)
avaient étendu leur réseau commercial par terre et ensuite par mer avec
leurs flottes de « bateaux ronds » propulsés à la voile. Les Phéniciens
profitaient ainsi pleinement de leur situation géographique à la jonction des
routes et des mers entre la Mésopotamie et l’Égypte. Toujours pour le
développement de leur société mercantile, les Phéniciens pouvaient utiliser
l’écriture sémitique voisine simplifiée en un alphabet de moins de
30 caractères. Ils exportaient du bois de cèdre et de pin, des tissus de lin,
des vêtements teints en pourpre, des broderies, des outils métalliques, du
verre, de la faïence, du vin, du sel, du poisson séché. En échange, ils

42
importaient du papyrus, de l’ivoire, de l’ébène, de l’ambre, des chevaux, du
cuivre, de l’or, de l’argent, des bijoux et des pierres précieuses. Ils
faisaient également transiter les biens entre l’Égypte, Babylone et les
caravanes de la péninsule arabique qui transportaient des épices, de la soie
et de l’encens venus de l’Inde et de l’Extrême-Orient dès le Ie millénaire
av. J. C..

Valeur des échanges aussi selon négociations et


marchandages
Sur les marchés et les foires, les négociations et le marchandage
quantifiaient le rapport des échanges de biens. Les valeurs relatives des
biens se décidaient après marchandages en fonction des besoins et des
arguments des uns et des autres. Chacun avait ses références et ses repères
pour supputer les valeurs et toper les quantités proposées de l’échange.

Souvent, utilité et journée de travail servaient de comparaison pour les


négociations. Par exemple, si 10 fagots de bois fumaient 200 livres de
poisson et si 40 livres de sel salaient aussi 200 livres de poisson, par
comparaison à la conservation du poisson, on acceptait de payer 10 fagots
de bois contre 40 livres de sel. Dans la foulée, si une journée en forêt
empilait 10 fagots de bois, une journée de travail valait 40 livres de sel.
Une journée de pêche devait capturer 200 livres de poisson dans les filets,
ou autant échanger 20 livres de poisson contre 4 livres de sel. Chacun
mémorisait ensuite ces valeurs relatives au fagot de bois, à la journée de
travail, au seau de poisson, ou à la livre de sel. Ces valeurs mémorisées
intervenaient dans les négociations postérieures. Si cinq livres de poisson

43
s’échangeaient habituellement contre une livre de sel, quatre livres de
poissons ne valaient pas une livre de sel sans justification.

L’on peut concevoir que les biens s’échangeaient en partie selon les
tarifs codifiés en grains ou en poids d’argent-métal d’après les principes de
l’économie de redistribution. Réciproquement, les tarifs codifiés se sont
peut-être inspirés des valeurs négociées dans les marchés et les foires
locales ou dans les ports fréquentés par les Phéniciens.

Les valeurs variaient au fil des saisons. Elles oscillaient selon les
négociations entre l’« offre » des biens étalés sur les échoppes des
fournisseurs et la « demande » en biens des clients présents dans les allées
du marché. Les variations de l’offre et de la demande déterminaient les
fluctuations des valeurs des biens. En toute liberté, chacun agréait ou non
une valeur exigée, ou alors il attendait la dernière heure du marché en
espérant la liquidation des stocks périssables pour une bouchée de pain.
Chacun était libre de refuser la valeur du poisson, si son estomac n’était pas
vide. L’abondance ou la pénurie des récoltes étaient des contraintes
décisives dans les négociations et les marchandages des valeurs des
échanges. Les niveaux des stocks et l’urgence des besoins influaient sur les
valeurs et sur les quantités des échanges.

Les négociants, tels les Phéniciens, étaient les spécialistes des valeurs
des échanges au quotidien et aussi à terme. Ils s’efforçaient d’échanger à
faible valeur ici, pour obtenir une meilleure contrepartie là-bas. Les
négociants acquiesçaient les valeurs des biens au marché local en fonction
des marges bénéficiaires espérées au marché étranger. Ils achetaient une
livre de sel au bord de la mer salée, et ils la revendaient avec profit au pied
des montagnes. Localement, les négociants rusés s’informaient des bonnes
pêches du jour. Pour la suite, les négociants savaient qu’un sac de blé ne
s’échangeait pas contre la même quantité d’eau en plein désert ou près d’un
puits. L’estimation d’une valeur ultérieure n’a jamais été évidente ou aisée.
Tout un art ou une science en soi pour les producteurs, consommateurs, et
négociants. Tous tenaient compte de la saison, des coutumes, des envies, des
codes et des valeurs en vigueur en Égypte ou à Babylone pour anticiper les
fluctuations des valeurs des biens.

44
De l’échange contre « biens-intermédiaires » jusqu’au
commerce en monnaie

Échanges contre biens-intermédiaires dès le


néolithique
Depuis néolithique jusqu’à l’aube de l’Histoire, l’échange sous forme
de troc pur a graduellement disparu au marché local. Le producteur
échangeait son bien, non pas directement contre le bien désiré, mais plutôt
contre un « bien-intermédiaire ». Un sac de sel était un exemple de bien-
intermédiaire. Ce sac de sel serait certainement écoulé plus tard au marché
local ou régional contre un bien désiré. La nécessité du sel pour conserver
la viande rendait infaillible la demande de sacs de sel. Avec les siècles,
l’échange contre des sacs de sel a détrôné l’échange exclusif contre le bien
désiré, donc le troc pur. Le poids de sel ou le sac de sel a effectivement été
utilisé comme bien-intermédiaire. Les mots « salaire » et « solde » ont
d’ailleurs dérivé de « sel ». Les récits de Marco Polo sur les tribus
primitives décrivaient également ces coutumes d’échange.

Les explications continueront avec les sacs de sel sans ignorer les
différents biens-intermédiaires de l’Antiquité. Ainsi, le bétail en têtes de
vaches, buffles, chèvres, moutons ou chameaux a servi de bien-
intermédiaire. D’ailleurs, le mot latin « pecus » se traduit par « bétail » en
français et a donné « pécuniaire ». Le bétail n’était pas une unité flexible ou
discrète comme le sac de sel, car un fractionnement en quarts de vache pour
l’échange écartait la possibilité de conservation. Il se conservait aussi
difficilement sans pâturage. Le bétail était un bien-intermédiaire répandu,
mais le sac de sel est plus pertinent pour les explications. Bien sûr, d’autres
biens-intermédiaires ont été utilisés comme l’argent-métal et le grain
stipulés dans les codes de l’économie de redistribution, comme les barres
de cuivre toujours salutaires pour fabriquer des outils et des armes, comme
le stère de bois pour cuisiner et fumer des aliments, ou comme le muid
d’orge pour nourrir le bétail en mauvaise saison.

45
Pour référencer et compter en mémorisant les prix
Sa commodité pour échanger représentait la première raison de l’usage
du bien-intermédiaire. Les négociations et les marchandages au marché ne
nécessitaient plus une mémoire d’éléphant pour garder en tête les valeurs et
les références des échanges en troc. Plus besoin de se souvenir qu’une jarre
d’huile d’olive valait deux amphores de vin, qu’un bœuf s’échangeait contre
30 poulets, et qu’un couteau ne s’obtenait pas à moins d’un baril de poisson
salé. Un rappel en nombre de biens-intermédiaires était vite venu dominer
les débats. Les multiples valeurs relatives entre biens étaient oubliées pour
quelques références par rapport à un unique bien-intermédiaire. Seul le
nombre de sacs de sel se fixait en mémoire pour chiffrer l’échange contre
une livre de viande, contre une jarre d’huile, ou contre une amphore de vin.
La quantité chiffrée en bien-intermédiaire servait de point de repère pour
les valeurs des échanges. Ces références, ou cet étalon de mesure s’appelait
le « prix ». Il signifiait le montant à payer en nombre ou en quantité de
biens-intermédiaires pour obtenir le bien désiré. Il s’imposait comme un
critère prééminent et mémorisable pour les prochaines négociations et
marchandages au marché. Sans explications additionnelles, payer 5 biens-
intermédiaires n’était pas justifié si 4 suffisaient la veille.

Le prix en biens-intermédiaires était apprécié pour les échanges


triangulaires : X a du poisson et voulait acquérir un filet de pêche. Y a un
filet et souhaitait une jarre d’huile. Z a une jarre d’huile et recherchait du
poisson. Un prix en bien-intermédiaire comme le sac de sel facilitait
l’échange. Chacun séparément, X, Y et Z échangeaient leur bien contre des

46
sacs de sel. Ensuite, ils payaient avec les sacs de sel obtenus contre le bien
désiré lors d’une deuxième négociation, qui solutionne ainsi le problème dit
de « double coïncidence ». Les échanges selon des prix mémorisés en sacs
de sel offraient un gain de temps considérable. Quelques instants suffisaient
pour échanger à une personne à la fois, toujours intéressée par des sacs de
sel. Avec le troc, chacun passait par des négociations interminables. X, Y et
Z devaient se localiser et négocier avant l’échange. Tous couraient les uns
vers les autres pour négocier une valeur en fonction d’une autre. Le temps
perdu au marché laissait aussi moins de temps pour pêcher, cultiver et
remplir les ventres.

Le prix simplifiait le calcul du moindre « coût » pour résoudre un


problème compliqué d’une combinaison d’achats impératifs pour la
solution. La somme des coûts donnait le « prix de revient », qui servait de
base pour négocier un « prix de vente ». Par exemple, comment acheminer
une cargaison : par voie d’eau, de route ou une combinaison des deux ?
Comment choisir la solution la moins chère en comparant les valeurs du
troc ? Comment comparer les 5 fagots de bois demandés par le batelier
avec les 20 livres de poisson exigées par le charretier ? Le risque existait
de choisir la solution la plus chère en fonction des valeurs de troc non
mémorisables. Le comptage selon les prix en sacs de sel clarifiait la
comparaison des coûts de transport.

Pour postposer la dépense en épargnant les surplus


La deuxième raison de l’usage d’un bien-intermédiaire comme le sac de
sel se déduisait de son utilité. Le sel était apprécié pour saler et conserver
la profusion de poisson frais. Le poisson salé remédiait à un jour de
carence, de pêches misérables ou de vaches maigres. Il s’échangeait après
un long transport contre du gibier fumé des lointaines forêts pour rompre la
monotonie de l’alimentation du littoral. Bien sûr, le poisson salé se
conservait jusqu’à un échange contre de la viande dodue, sans forcément
être échangé contre la maigre viande du jour. Les réserves de poisson salé
s’échangeaient pour une meilleure contrepartie, lors d’un contexte plus
opportun.

Le sel lui-même ne pourrit pas. Il peut être conservé contrairement à des


cruches de lait troquées. Le sac de sel s’échangerait toujours au marché
contre de la viande et du poisson. Bienheureux les exploitants des marais
salants ou de la carrière de sel, car ils écoulaient aisément leur production.

47
Pour saler la viande, les villages des prairies appréciaient toujours les sacs
de sel des marais salants. Pour conserver le surplus de poisson, les
pêcheurs nécessitaient des sacs de sel. Le sac de sel serait échangé au plus
offrant des producteurs de viande ou de poisson. Les sacs de sel seraient
toujours troqués plus tard contre les biens désirés.

Parfois, ces sacs de sel étaient entassés en réserves. Ces réserves de


sacs de sel garantissaient la possibilité d’un échange ultérieur contre des
denrées disponibles dans les villes voisines. Le sac de sel offrait
l’opportunité de biens « meilleur marché ». Les aléas du quotidien se
trouvaient atténués par les sacs de sel épargnés. Les repas n’étaient plus
seulement tributaires des récoltes, de la pêche, ou même des réserves de
poisson salé ou de viande fumée. Les bouches étaient mieux nourries par
l’écoulement des sacs de sel échangés au marché pour une contrepartie plus
opportune, spécialement lors de jours de profusion d’un bien ou l’autre.
L’« épargne » en sac de sel réconfortait les hommes angoissés par la
crainte d’une période creuse.

Du bien-intermédiaire jusqu’à la monnaie


Les mêmes habitudes se répandaient dans les marchés. Les biens
n’étaient plus échangés directement les uns contre les autres, comme de
l’huile échangée contre le poisson désiré. L’huile s’échangeait
indirectement par l’intermédiaire des sacs de sel contre le poisson salé.
L’amphore d’huile s’échangeait d’abord contre des sacs de sel, et ensuite
ces sacs de sel s’échangeaient contre le baril de poisson. Le troc pur avait
disparu.

48
Les hommes avaient confiance en l’utilité du sac de sel. Jamais ils ne
doutaient de pouvoir l’échanger plus tard. Peu à peu, les négociants
oubliaient qu’un sac de sel salait 5 livres de poisson. Dans la balance, seul
pesait le prix en nombre de sacs de sel ou en poids brut de sel. Le sac de
sel était alors le bien de référence, l’intermédiaire presque abstrait dont la
valeur intrinsèque avait été oubliée. Le sac de sel se mettait à circuler de
main en main sans être consommé. Le sac de sel n’était plus un bien-
intermédiaire consommable, mais une valeur numéraire ou « monnaie »
pour compter en prix, acquitter le paiement (pouvoir libératoire), et
postposer les échanges. Le bien-intermédiaire avait été considéré
jusqu’alors comme une protomonnaie. En circulant, la protomonnaie
évoluait vers la monnaie : un simple instrument pour compter, acquitter,
mettre en réserve ou épargner sans consommer. Les échanges se muaient en
« commerce » avec « vente » et « achat » contre monnaie. Les négociants
en biens se drapaient en commerçants en monnaie.

La transition s’est étalée sur des millénaires depuis les échanges contre
biens-intermédiaires jusqu’au commerce en monnaie « pure ». La monnaie
sera pure lorsque le bien-intermédiaire « non consommé » aura évolué en
monnaie « non consommable » et sera utilisée pour les transactions par
l’ensemble de la population. Ce stade sera atteint avec des monnaies
symboliques en pièces de cuivre ou en billet de papier. La monnaie se
transformera alors en un simple « outil de paiement et d’épargne »,
inutilisable à une fin comestible comme le sac de sel. Au cours de
l’Histoire monétaire, la monnaie n’a cessé de s’éloigner de la référence à
l’utilité d’un bien-intermédiaire consommable pour s’estomper en une
référence reconnue mais abstraite. Avec les siècles, les méprises quant à la
valeur intrinsèque de la monnaie se sont multipliées. La monnaie s’enfonçait
dans l’incompréhension, de pair avec les manipulations monétaires.

La nuance entre bien-intermédiaire et monnaie est ténue, et surtout


destinée à mieux expliquer la monnaie. Cette scission entre ces deux
définitions est propre à cet essai. D’autres ouvrages préfèrent utiliser le
terme de « monnaie marchandise » à la place du terme de bien-
intermédiaire. Ce terme qui inclut la notion de monnaie plonge dans
l’équivoque. Il exclut une scission nette entre les deux notions. Dans ces
pages, le bien-intermédiaire plus parlant s’est substitué à ce terme ambigu.

Préalable au choix de la monnaie

49
Probablement, les sacs de sel n’ont jamais été considérés et traités
comme monnaie. Une monnaie de sacs de sel était trop susceptible de
profiter aux producteurs de sel. Un pic soudain de production et les
producteurs de sel étaient à même de gruger les tenanciers des échoppes du
marché. De fait, si les produits se vendaient à des prix mémorisés en sacs
de sel, les producteurs de sel raflaient l’entièreté de la viande à un marché
habitué à vendre la livre de viande pour deux sacs de sel. La monnaie sac
de sel aurait inspiré méfiance. Ce désaveu mettait des bâtons dans les roues
du commerce en monnaie sacs de sel. Le sac de sel était toujours pesé,
jamais épargné à long terme. Il restait considéré comme un bien-
intermédiaire plus que comme une monnaie à l’usage familier et généralisé.

Les producteurs et commerçants voulaient des paiements fluides et la


possibilité d’épargner en conservant une bonne valeur, surtout à long terme.
Ils devaient donc dénicher un autre bien-intermédiaire plus laborieux à
produire,et qui risquait moins de privilégier son fabricant. Aucun détenteur
de bien-intermédiaire ne souhaitait mourir de faim parce que la viande
s’était envolée du marché, achetée par le producteur de bien-intermédiaire.
Ainsi, le bien-intermédiaire recherché serait digne de confiance pour
évoluer en monnaie. La circulation d’une monnaie n’était fluide qu’avec les
habitudes autorisées par l’apaisement de la méfiance. Quand un bien-
intermédiaire était accepté comme paiement pour son utilité intrinsèque, une
monnaie était acceptée comme paiement par la confiance dans les habitudes
et dans sa capacité à conserver l’épargne.

Lingots d’or ou d’argent au IIe millénaire av. J. C.


En Mésopotamie ou en Égypte ancienne, les lingots d’or et d’argent
étaient troqués au poids. Les métaux précieux d’or et d’argent ont imposé
leur usage dans les échanges et dans les prêts comme un bien-intermédiaire
recherché. Jamais ils ne risquaient de proliférer comme les sacs de sel. Les
métaux précieux n’étaient pas sujets au pourrissement ou aux fluctuations
saisonnières des prix comme le grain. Cette stabilité en faisait une référence
appréciée par les codes en vigueur dans l’économie de redistribution. Pour
estimer la valeur des lingots, la frappe d’une marque ou d’un sceau royal
certifiait le poids et le titre de l’or ou de l’argent du lingot sans composés
impurs de cuivre ou de zinc commun. Ce sceau était reconnu pour apprécier
le poids et surtout la pureté. Un titre sûr et un bon poids des lingots de métal
précieux assuraient la liquidité de ce bien-intermédiaire. Ces lingots étaient
encore un bien-intermédiaire avant d’être une monnaie. Une référence

50
occasionnelle de valeur ne suffisait pas à définir une monnaie. La véritable
marque de la monnaie était son usage généralisé dans le commerce.

Dès le IIe millénaire av. J. C., l’influence des marchands étrangers a été
importante pour diffuser l’usage de l’or et de l’argent-métal comme bien-
intermédiaire ou comme monnaie, selon les sources historiques. Les
Phéniciens acceptaient toujours ces lingots en paiement dans le commerce
ou dans les marchés des cités. Les commerçants appréciaient ces lingots en
paiement qui étaient inertes, aisément manipulés ou comptés, et dont un
volume compact représentait une valeur convenable pour les transactions
importantes. Du Moyen-Orient à la Méditerranée, ces commerçants-
voyageurs parcouraient de longues distances. À l’inverse, le bronze
commun pesait lourd pour représenter une contrepartie importante. Les
lingots permettaient aussi un placement en une réserve inaltérable, et non
multipliable contrairement aux sacs de sel. Cet engouement pour l’or et
l’argent n’a jamais été infirmé depuis. L’usage des métaux précieux comme
bien-intermédiaire s’est étendu en Méditerranée. Les Grecs l’ont notamment
adopté au Ie millénaire av. J. C.. Les lingots circulaient ainsi comme une
monnaie dont les origines de la valeur avaient presque été oubliées.

Lente évolution de l’économie de redistribution vers


l’économie de marché dans l’Antiquité
Dès les premiers millénaires de l’Antiquité, les échanges dans les
marchés par le troc, contre des biens-intermédiaires ou contre de la
monnaie ont contribué à la croissance des villes. Les échanges intérieurs ou
extérieurs aux communautés, aux villes ou au pays ont été des facteurs
importants dans l’évolution des sociétés et de l’extension de l’usage de la
monnaie. Les villes se transformaient en centre de production et de
commerce. En chœur, les marchés et les villes ont hâté l’évolution de
l’économie de redistribution vers l’économie de marché. Une nouvelle

51
classe urbaine se développait. Elle se composait d’artisans ou de scribes
détachés de l’agriculture ou de l’élevage, comme du sacerdoce ou de
l’anoblissement.

Les autorités gouvernantes et protectrices des cités n’étaient pas


perdantes dans cette économie plus productive par les échanges d’outils, de
savoirs et de techniques. Elles pouvaient augmenter les prélèvements de
leurs rentes royales selon les principes de la redistribution ancestrale. Elles
imposaient toujours la production selon les valeurs du grain en Égypte ou de
l’argent-métal en Mésopotamie. Les Pharaons et les Rois couvraient leurs
charges administratives et militaires en redistribuant ou en rétribuant leurs
serviteurs en biens-intermédiaires ou en monnaie de grains ou d’argent-
métal. Les soldats et les fonctionnaires achetaient ensuite des biens
consommables au marché en payant avec du grain ou de l’argent-métal.

L’usage des biens-intermédiaires ou de la monnaie se répandait. Le


grain ou l’argent-métal ont toujours été distribués avec le consentement du
peuple. Le peuple n’était jamais rassasié de grain ou d’argent-métal. Le
grain et surtout l’argent-métal seraient toujours acceptés par les marchands
étrangers. Ces biens-intermédiaires ou ces monnaies facilitaient les
échanges jusqu’au-delà du royaume par le comptage et l’acquittement des
paiements. Ils donnaient aussi accès à une épargne sûre, voire impérissable.

52
Pièces de monnaie au VIIe siècle av. J. C.

De minuscules lingots frappés d’un sceau royal


Au VIIe siècle av. J. C., les rois de Lydie (actuelle Turquie) avaient dû
lorgner vers les lingots d’or et d’argent marqués d’un sceau. Selon les
indices historiques, les Lydiens ont été les premiers à fondre de minuscules
lingots estampillés d’un sceau royal qui en certifiait la légalité, voire le
poids. Le nom du premier roi à avoir fondu ces minuscules lingots est
inconnu. Les rois intégraient ou imposaient ces micro-lingots dans leur
économie de redistribution. Les rois lydiens fabriquaient ces micro-lingots
plutôt qu’il fondait de volumineux lingots, car une poignée de micro-lingots
était certainement plus acceptée qu’un indivisible lingot. Les rois lydiens
écoulaient ainsi plus aisément le métal d’électrum (alliage naturel d’or et
d’argent) extrait de leurs fabuleuses mines ou du limon des rivières Pactole
et Hermos.

Par la suite, ces micro-lingots ont reçu le nom de « pièces de


monnaie ». Initialement, la fabrication des pièces de monnaie consistait à
couler des gouttelettes d’or ou d’argent en fusion sur une plaque. Avec les
siècles, des rondelles étaient obtenues en coulant le métal en fusion dans un
moule. Ensuite, un poinçon estampillait ces rondelles. Bien plus tard, un
sceau a fini par couvrir l’entièreté de la face de la rondelle, puis l’avers
comme le revers. Pour la « frappe », chaque rondelle était placée entre
deux coins, sortes de matrices ou de poinçons. Le choc entre le marteau et
l’enclume emboutissait alors la rondelle. Seuls des hommes costauds
frappaient les pièces de monnaie. Avec l’énergie du choc, la rondelle
prenait la marque des coins. La rondelle s’était transformée en une pièce de
monnaie avec des gravures pour authentifier ses origines. Avec les
millénaires, la frappe des pièces s’est affinée. Les rondelles ont fini par
être découpées dans des plaques métalliques préalablement laminées. À la
Renaissance, la presse à vis de l’imprimerie, la presse à rouleaux de
laminage, et la force motrice de chevaux ont remplacé la frappe au marteau
pour obtenir des pièces plus uniformes.

53
Profit sur ces pièces de monnaie
Les pièces de monnaie d’électrum étaient avalisées pour leur valeur
faciale selon les codes de l’économie de redistribution. L’économie de
redistribution était encore bien en place. Cependant, la motivation de la
frappe des pièces n’était pas seulement leur commodité pour l’économie de
redistribution. La valeur faciale était surfaite par rapport à la valeur au
poids de la pièce en métal précieux sur les marchés de l’économie des
échanges entre contrées. Les autorités engrangeaient un gain réel par rapport
aux valeurs des métaux pratiquées dans le commerce hors économie de
redistribution. Pour faire avaler cette différence, des symboles religieux
variés ont été frappés sur les pièces de monnaie pour en inciter l’accueil
comme paiement.

Par contre, les commerçants étrangers acceptaient exclusivement les


pièces de monnaie comme argent-métal au poids. L’époque était habituée à

54
traiter avec des poids minuscules, selon la précision des poids des pièces
de monnaie retrouvées par les archéologues.

L’influence du commerce étranger entrait aussi en ligne de compte quant


à l’écart entre la valeur faciale des pièces et leur valeur au poids. La valeur
au poids des pièces d’électrum était toujours comparable aux valeurs des
lingots. Les rois de Lydie ne pouvaient exagérer leur ponction. Sinon les
paiements en pièces de monnaie selon les valeurs codifiées étaient rejetés.
Difficile de décréter une ponction excessive quand les producteurs et les
commerçants risquaient de vendre en cachette contre des paiements plus
avantageux. La répression n’a jamais su éradiquer l’économie informelle.
D’autant plus que cette économie souterraine s’appuyait sur ces discrètes et
incontrôlables pièces pour acquitter les paiements sous la table. Avec ces
pièces, l’économie rigide de redistribution faisait un pas de plus vers
l’économie libre de marché.

Pièces d’argent en Grèce au VIe siècle av. J. C.


La Grèce connaissait déjà des quasi-pièces d’un format irrégulier dans
la première moitié du Ie millénaire av. J. C.. Ces quasi-pièces étaient
perçues au poids selon la quantité de fragments de pièces et de morceaux de
lingots retrouvés par les archéologues dans les magots perdus et datés de
l’époque de la propagation des pièces de monnaie. Et dès le VII-VIe siècle,
l’usage de la pièce de monnaie est diffusé par les commerçants lydiens aux
pays voisins. L’expansion du modèle monétaire lydien a été rapide dans
toute la Grèce.

Selon le modèle lydien, les nouvelles pièces grecques uniformes et


frappées d’une valeur faciale étaient surévaluées par rapport au poids des
quasi-pièces, des fragments et des lingots de métaux précieux dans le
commerce. Dès lors, chaque cité veillait à faire circuler ses propres pièces
pour plus de gain par surévaluation en poids. L’indépendance politique des
cités-États s’affirmait aussi dans la frappe de pièces de monnaie. En
conséquence, les pièces de monnaie ont circulé en Grèce sous des formes et
des dénominations hétérogènes.

La Grèce avait des mines d’argent. C’est donc la pièce d’argent qui
s’est répandue en Grèce. La pièce d’argent convenait également mieux pour
des transactions d’un petit montant. Les pièces d’or, même minuscules,
étaient d’une valeur disproportionnée. L’or était surtout thésaurisé sous

55
forme de lingot dans la perspective de transactions importantes. Ces pièces
convenaient mieux que les lingots pour les diverses opérations locales ou
les rétributions légales, comme les soldes des militaires ou les paiements
des fonctionnaires.

La propagation en Grèce de la frappe de pièce de monnaie ne s’explique


pas seulement selon des motivations de profit, de commodité relative, ou
d’influence du commerce étranger qui se satisfaisait de morceaux de lingots.
Une pièce d’argent, même de dimensions réduites, représentait toujours un
montant important pour le commerce intracommunautaire. Certaines
nécessités philosophiques ont également motivé cet usage. Dès le VIe
siècle, la naissance du droit, des poids et mesures, et de la démocratie en
Grèce ne sont pas neutres par rapport à l’extension rapide de l’usage des
pièces d’argent. Les philosophes réfléchissaient aux moyens d’appliquer les
lois. L’usage de la pièce de monnaie était adéquat pour accompagner la
transition d’une économie de redistribution royale vers une économie de
marché démocratique. L’un des mots grecs pour désigner la monnaie,
« nomisma », dérive d’ailleurs du mot pour désigner les lois, « nomos ».
Pour profiter librement du commerce et des produits étrangers, les pièces
étaient indubitablement plus indiquées pour les transactions. Les impulsions
vers l’adoption de l’usage de la pièce de monnaie étaient ainsi économiques
et philosophiques. Les historiens débattent encore de ces deux piliers de la
propagation des pièces de monnaie.

Pièce d’argent au poids en Méditerranée


Les commerçants étrangers assimilaient les pièces à des petits lingots
évalués au poids. Comme la Grèce commerçait avec ses colonies de
Méditerranée, c’est surtout la pièce d’argent qui s’est répandue dans le
monde antique. La pièce d’argent était aussi moins trouble que l’électrum
lydien aux proportions d’or et d’argent incertaines. D’ailleurs, avant
l’apparition des pièces, le lingot d’argent était déjà la monnaie la plus
répandue pour le commerce entre pays. De fait, les pays du Moyen-Orient et
de Méditerranée avaient souvent des mines d’argent, rarement des mines
d’or et exceptionnellement des gisements d’électrum.

Bimétallisme en pièces d’or et d’argent


au VIe siècle av. J. C.

56
Dans le commerce avec l’étranger, les rois lydiens ne profitaient pas
pleinement de la valeur des pièces d’électrum alliées d’or et d’argent. Dans
les négociations des échanges, les commerçants tendaient à sous-évaluer
l’indéterminable et contestable teneur en or, pourtant de plus forte valeur
que l’argent. Les pièces à la coloration suspecte de l’électrum étaient
considérées comme une masse d’argent en négligeant l’or contenu dans
l’alliage. Les pièces d’électrum lydien étaient comparées sur une balance
avec des pièces grecques d’argent ou des lingots d’argent fin.

Au VIe siècle av. J. C., la métallurgie des Lydiens parvenait à séparer


l’or et l’argent de l’électrum dans une longue procédure de manipulations
chimiques en four. Les rois de Lydie ont alors abandonné la frappe des
pièces d’électrum. Le roi Crésus de Lydie a probablement été le premier à
produire des pièces d’or et d’argent fin à partir de son électrum. Son sceau
sur les pièces de monnaie certifiait un titre fin d’or ou d’argent. Un simple
pesage avec une balance suffisait à vérifier la quantité intrinsèque des
pièces en métal fin, au contraire des alliages au titre incontrôlable. Les
commerçants étrangers ne dévaluaient plus les pièces en métal pur comme
ils le faisaient pour les pièces impures d’électrum. La Lydie profitait mieux
de l’abondance de ses métaux précieux. Dès le règne de Crésus, seule la
production de pièces d’or et d’argent fin et d’un poids strict a persisté.

Les codes de l’économie de redistribution déterminaient légalement la


valeur des pièces en métaux précieux affinés pour le commerce entre
lydiens. Chaque pièce d’or ou d’argent avait une valeur et un poids fixe
précisé dans les lois. Un ratio légal existait entre les poids d’or et d’argent.
Comme l’or avait une valeur plus forte que l’argent, une pièce d’or
équivalait à un nombre défini de pièces d’argent divisionnaires. Ces pièces
d’or et d’argent constituaient un système monétaire qualifié de

57
« bimétallique ». Et le rapport fixe de conversion entre les pièces d’or et
les pièces divisionnaires d’argent était le « ratio bimétallique » de change.

Pour un système viable, le roi maintenait le ratio par ses dépenses d’or
ou d’argent dosées par les extractions afin de permettre une conversion en
rue entre pièces d’or et pièces d’argent. Sans intervention royale, un
système monétaire d’or et d’argent n’était d’ailleurs pas considéré comme
bimétallique quand les pièces d’argent côtoyaient les pièces d’or avec un
échange au poids fixé selon le bon vouloir versatile de la rue.

En Lydie, ce ratio bimétallique a été décrété à environ 1 poids d’or pour


10 poids d’argent. Comme la Perse a conquis la Lydie de Crésus, ce ratio
bimétallique n’a pas duré longtemps.

Bimétallisme en Perse au VIe siècle av. J. C.


Dès le VIe siècle av. J. C., la Perse imitait le système bimétallique
lydien. La Perse avait des mines d’or et d’argent à mettre en valeur par la
frappe de pièces de monnaie. L’usage et la valeur des pièces de monnaie
d’or et d’argent étaient prescrits légalement, comme le ratio fixe de
conversion entre une once d’or et une dizaine d’onces d’argent. Avec ce
ratio, un équilibre était atteint entre quantités de pièces d’or et d’argent en
circulation pour satisfaire les besoins de conversion en rue. Les paiements
en pièces étaient toujours préférés au troc pénible et aux autres paiements
contre des biens-intermédiaires périssables ou multipliables. Toute fois, le
troc, peut-être référencé en or ou en argent-métal, côtoyait encore le
commerce contre des pièces de monnaie. Le troc convenait toujours pour
les transactions des besoins immédiats, tandis que les pièces étaient
appréciées pour la thésaurisation.

L’empereur perse jouissait de l’exclusivité de la frappe de pièces d’or.


Les délégués régionaux, les « satrapes », frappaient les pièces d’argent. Les
autorités avaient le monopole des mines sur le territoire. Durant l’Antiquité,
les gouvernants se sont toujours approprié les mines. Ainsi, l’empereur
redistribuait, ou plutôt il payait les soldes de ses soldats et les charges de
son administration en pièces d’or, tandis que les satrapes couvraient leurs
dépenses avec leurs pièces d’argent.

La Perse a haussé le ratio bimétallique lydien de 1:10 à 1:13,33. Des


calculs astrologiques et religieux du cycle céleste ont servi de prétexte à

58
cette hausse. Ainsi, non content de surévaluer la valeur des pièces par
rapport à la valeur au poids du métal pour le commerce étranger, le ratio
bimétallique surévaluait l’or à l’argent. L’empereur l’avait gonflé au profit
de son or. Avec ce ratio rehaussé à 1:13,33, l’empereur a augmenté
artificiellement la valeur de sa production d’or pour obtenir plus de biens
consommables de son économie, avec moins de métal jaune.

Bien sûr, ce ratio légal surévalué en faveur de l’or ne s’appliquait qu’en


Perse. Cependant, dans les pays voisins, le commerce avec la Perse jouait
sur la valeur des pièces de monnaie en rapport à leur poids de métal
précieux. Ainsi, en Grèce, le trafic avec la Perse a entraîné à la hausse le
cours de l’or. L’once d’or est ainsi montée à une valeur 12 fois supérieures
à l’once d’argent.

59
Pièces de monnaie au poids en Grèce

Propagation des pièces en Grèce au Ve siècle av.


J. C.
Durant le Ve siècle av. J. C., l’usage de la pièce de monnaie se
répandait en Grèce. Les pièces de monnaie convenaient mieux pour les
transactions modiques quand un lingot représentait un montant élevé et
indivisible. Au marché local, l’avantage de la valeur de référence des
pièces de monnaie facilitait les échanges.

En parallèle, la demande des pièces d’or et d’argent croissait aussi pour


satisfaire les besoins de thésaurisation. Dans l’embarras, les pièces de
monnaie thésaurisées acquittaient les paiements de vivres plus
avantageusement que n’importe quelle réserve de biens-intermédiaires. La
thésaurisation renforçait le sentiment de sécurité avant de satisfaire la
cupidité. Les nombreux magots exhumés par les archéologues illustrent
également ce besoin de thésauriser en lingots et surtout en pièces de
monnaie pour se rassurer en cas de détresse ou de maladie. Aussi, acheter a
toujours été plus pratique ou pacifique que voler ou mettre à sac.

Pour ces raisons, les anciens avaient confiance dans la reconnaissance


généralisée, la demande, et finalement la valeur des pièces de monnaie en
métaux précieux. Dès leur apparition, les pièces avaient rapidement
remplacé les lingots. À la fin du Ve siècle av. J. C., la plupart des classes
sociales avaient adopté l’usage de la pièce de monnaie, selon des
témoignages littéraires. Le monde antique a ainsi monétisé l’essentiel de ses
métaux précieux. Significativement moins de lingots que de pièces ont été
exhumés par les archéologues hors des trésors datés après la moitié du IVe
siècle av. J. C.. De tels magots sont repêchés au fond des mers, ou déterrés
sans avoir été récupérés par leurs propriétaires assassinés dans les assauts
de l’Histoire.

L’argent-métal n’était plus seulement une référence comptable selon les


codes. Il devenait palpable dans les échanges. Les échanges en troc
autrefois référencés en argent-métal se transformaient en commerce contre

60
des pièces d’argent. Les pièces de monnaie se transmutaient en une
référence universelle et incontournable pour tout paiement.

Financement des États axé sur les pièces de


monnaie
Les Trésors des États obtenaient l’or et l’argent-métal nécessaires à la
frappe des pièces par le monopole sur les mines. Les régions qui jouissaient
d’un accès aux filons d’or et d’argent avaient d’ailleurs un avantage. Les
rois et les empereurs ont également frappé des pièces d’or et d’argent à
partir des butins des conquêtes et des tributs. Les Trésors s’appuyaient de
plus en plus sur leur instance spécialisée en frappe de pièces de monnaie :
la Monnaie ou l’« Hôtel de la Monnaie ». Ces deux organes étaient bien
sûr des apanages royaux.

Les Trésors des États collectaient également les pièces de monnaie par
les offrandes aux temples ou par les impôts et les taxes, selon les principes
ancestraux de l’économie de redistribution. La levée d’impôts sur les
ressources ou les revenus en pièces était d’ailleurs plus fonctionnelle que la

61
ponction « en nature » de biens périssables, même référencés en argent-
métal. Raison supplémentaire pour les États d’encourager l’usage des
pièces de monnaie.

Les Trésors injectaient les pièces dans l’économie par les soldes des
armées et les dépenses royales. Les pièces satisfaisaient autant l’économie
de redistribution par une fiscalité fonctionnelle, qu’elles étaient acceptées
en paiements par l’économie de marché pour des transactions fluidisées et
pour une thésaurisation d’une valeur inaltérable. Les pièces de monnaie
contribuaient à perfectionner l’organisation de l’économie mixte de
redistribution et de marché qui était en vigueur.

Pièces grecques standardisées au Ve siècle av. J. C.


Au Ve siècle av. J. C., peu de cités grecques avaient autant de poids
commercial qu’Athènes avec son port, ses entrepôts et ses mines d’argent à
proximité de ses murailles. Athènes avait aussi bénéficié du savoir
métallurgique grec. Depuis le VIe siècle av. J. C., les Grecs savaient
séparer le plomb et l’argent du minerai local. L’existence de ces mines et de
ces techniques métallurgiques n’était pas pour rien dans l’essor d’Athènes.

Athènes avec son poids économique a pressé les cités alliées et quasi
rivales à ratifier bon gré mal gré une uniformisation du système monétaire.
Les Athéniens ont forcé la main de leurs alliés à signer des accords sur les
spécifications de poids et de formats des pièces de monnaie. Ce standard
« attique » définissait des pièces d’une valeur faciale identique à la valeur
au poids d’argent-métal, sans plus de ponction en rapport à la valeur au
poids des marchés étrangers. Les Grecs, et les Athéniens en premier, étaient
des hommes libres qui ne souhaitaient pas s’entendre dicter une valeur des
pièces pour le marché local qui différerait de la valeur des lingots des
marchés étrangers ou des autres cités. Dans le cas contraire, les paiements
en biens-intermédiaires, en lingots ou en pièces étrangères au poids étaient
susceptibles de circuler librement comme monnaie. Aussi, le prestige de la
cité s’affirmait dans la qualité des pièces.

L’uniformisation clarifiait les paiements acquittés par les citoyens grecs


sans s’emberlificoter avec une variété dérangeante des pièces. Dès lors, les
Grecs se plaignaient moins de devoir s’adresser à des professionnels du
change au poids : les changeurs-essayeurs apparus au VIe siècle av. J. C. et
décrits dans les prochaines pages.

62
L’uniformisation monétaire avait fait un premier pas en Grèce. Les
armées macédoniennes et romaines ont ensuite rythmé la marche. Avec la
synthèse des grands empires de l’Antiquité, un processus de plusieurs
siècles se mettait en route vers la frappe d’unités monétaires communes en
forme et en poids sur d’immenses territoires, et sur fond de monopole
impérial des mines d’or et d’argent.

63
Les pièces de monnaie : ciment des empires

Pièces bimétalliques dans l’Empire macédonien


L’or et l’argent pour la frappe de pièces de monnaie ont été des
prérequis aux ambitions impérialistes macédoniennes. La Macédoine était
effectivement riche en mines d’or et d’argent. L’organisation logistique et
financière des conquêtes macédoniennes a été largement axée sur les pièces
de monnaie. Les armées dépendaient des pièces de monnaie frappées hors
des lingots emportés, comme de l’or et de l’argent des butins. Les
populations autochtones, déjà familiarisées de longue date à l’usage des
pièces et à leurs avantages, recevaient volontiers les pièces en paiement des
victuailles et des fournitures achetées par les armées. Dans les territoires
conquis, les Macédoniens établissaient en priorité le monopole de la frappe
de pièces de monnaie.

Dans son empire, Alexandre le Grand décréta un système monétaire


bimétallique avec un ratio or-argent de 1 pour 10. Il conservait le ratio
instauré par son père en Macédoine. Les conquêtes d’Alexandre avaient
rapporté des trésors d’or et d’argent. Alexandre avait des réserves minières
suffisantes pour produire des pièces de l’un ou l’autre métal pour maintenir
fonctionnel ce ratio de change entre les pièces d’or et d’argent. Les pièces
frappées avec l’un ou l’autre métal judicieusement choisi, étaient injectées
dans l’empire principalement au travers des soldes des armées.

Cependant, malgré les conquêtes, les pièces de monnaie n’ont pas été
entièrement uniformisées. Alexandre tolérait les frappes de monnaies
locales. Les monnaies de l’empire servaient de référence de poids, d’unité
commune du système monétaire bimétallique. Les pièces impériales
assuraient la continuité du change entre les hétéroclites pièces d’or et les
multiples pièces d’argent.

64
République de Rome
Avec l’expansion de la République romaine, les pièces de monnaie d’or
et d’argent accentuaient leur usage selon le modèle propagé d’Orient en
Occident. Les pièces d’or et d’argent se substituaient aux sacs de sel, barres
de cuivre ou lingots d’argent alors utilisés dans le commerce de l’Ouest
méditerranéen. Même les pièces de bronze autrefois si populaires, mais si
volumineuses (coulées et non frappées), ont disparu au Ie siècle av. J. C..
Ces pièces de bronze avaient seulement circulé dans quelques économies de
redistribution locales avant leur annexion par la République romaine. Elles
cédaient la place aux plus sûres, plus transportables et plus universelles
pièces d’or et d’argent. Ces pièces de bronze allaient réapparaître après la
République, dès les premiers temps de l’Empire, pour des raisons
expliquées dans le chapitre suivant.

Le système monétaire romain était également bimétallique comme dans


diverses régions avant l’extension romaine. Le ratio bimétallique romain a
été porté par César de 1:10 en cours depuis Alexandre à 1:12 par souci de
profit sur la production d’or. Pour maintenir ce ratio, l’État romain régulait
la production de ses mines d’or et d’argent. Ce ratio de 1:12 a pratiquement

65
perduré comme référence légale pendant plus de mille ans, jusqu’à
Byzance. Comme depuis la Lydie, les pièces d’or ou d’argent nécessaires
au maintien du ratio étaient injectées en circulation par les soldes des
armées, les traitements des fonctionnaires, et les dépenses du sénat puis des
empereurs.

Les systèmes monétaires antérieurs à la conquête romaine ont persisté


jusqu’au Ie siècle apr. J. C.. Néanmoins, quelques pièces ont rapidement
formé l’ossature du système ou la référence pour les autres pièces. Le poids
intrinsèque d’argent ou d’or des pièces prévalait dans les échanges
commerciaux encore handicapés par une telle variété de pièces.
L’uniformisation des frappes de pièces a tardé jusqu’au temps de l’Empire.
Les pièces d’or et d’argent de tous types ont fini par converger vers Rome
ou les délégations impériales. Le monopole des mines, les tributs des
conquêtes, et les impôts ou taxes ont rendu possible cette unification. Le
système monétaire s’est normalisé à la cadence des frappes des ateliers de
pièces romaines.

Le volume des pièces en circulation a été multiplié par dix entre 157 et
50 av. J. C.. Rome a notamment eu des apports massifs d’or et d’argent par
les conquêtes, comme en Gaule. En parallèle à la hausse de la frappe, une
formidable expansion du commerce absorbait ces pièces nécessaires
comme numéraire pour acquitter les échanges et thésauriser. Les Romains
réclamaient des pièces pour commercer et thésauriser efficacement. Le troc
représentait une énorme perte de temps. La thésaurisation en pièces était
plus sûre qu’un placement dans un autre bien-intermédiaire périssable. Les
pièces représentaient une épargne plus liquide et accessible que
l’investissement en terres ou en bâtiments. Selon les historiens, l’or et
l’argent faisaient même défaut dans l’Antiquité, car les pièces manquaient
pour le commerce et la thésaurisation – cette indication importante sera
détaillée ultérieurement –. Malgré ce manque relatif de monnaie, le niveau
de vie de l’Empire romain allait égaler celui du XVIIe voire du XVIIIe
siècle de l’Europe des Temps modernes.

66
Changeurs-essayeurs et pièces variées de l’Antiquité

Nécessité des changeurs-essayeurs


L’usage des pièces de monnaie d’or et d’argent s’était propagé pour
commercer et thésauriser. Avec les pièces, plus besoin de vérifier
systématiquement le poids et la pureté en or ou en argent. En cas de doute,
le détenteur d’une pièce se rendait chez un « changeur-essayeur » de
monnaie. Ces changeurs étaient apparus du temps des pièces grecques
valorisées au poids, et non selon un code de l’économie de redistribution,
depuis le Ve siècle av. J. C.. Un seul critère de conversion s’imposait : la
quantité réelle d’or ou d’argent contenue dans la pièce. Cette quantité
déterminait la valeur intrinsèque de la pièce locale, étrangère, ou même
d’origine inconnue. Le poids en once, livre ou marc d’argent chiffrait
l’équivalent en pièces locales. Si une pièce d’argent étrangère pouvait
donner deux sesterces d’argent lors de la refonte, alors cette pièce valait
deux sesterces. L’offre et la demande de la rue, ou un ratio or-argent légal,
pouvait s’appliquer pour convertir une pièce d’or en pièces d’argent.

Les changeurs œuvraient à unifier la variété des pièces en circulation en


une même ville. Pas question de jouer avec une diversité dérangeante de
pièces de toutes les provenances du commerce entre contrées. Les
changeurs et leurs esclaves exerçaient leur profession près des ports, des
marchés, et des centres commerciaux. Ils convertissaient les pièces
étrangères des marchands en pièces locales. Les pièces locales se
transformaient aussi en pièces divisionnaires chez les changeurs de rue,
pour les riches commerçants comme pour la plèbe. Les changeurs-essayeurs
ponctionnaient un agio de quelques pour cent sur chaque opération de
change. Avec l’agio prélevé, eux seuls profitaient de la diversité des pièces.
Et en cas d’afflux de pièces étrangères, les changeurs les revendaient à
l’atelier officiel de frappe le plus proche. Ces pièces y étaient changées,
toujours au poids, contre des pièces locales.

67
Les changeurs étaient aussi essayeurs. En plus du poids de la pièce, ils
vérifiaient le titre de l’alliage et le fourrage éventuel de celle-ci avec un
noyau invisible. Depuis l’instauration des pièces grecques à haute valeur en
rapport au poids des lingots, les faux-monnayeurs étaient tentés de fabriquer
des pièces allégées en métal précieux qui étaient peu susceptibles d’être
systématiquement évaluées. La méfiance était constante pour détecter la
fausse monnaie, ou même l’altération furtive par le pouvoir central de la
teneur certifiée d’or ou d’argent des pièces.

Les stratagèmes des faussaires étaient éprouvés. Le métal précieux


s’obtenait parfois par rognage, grattage ou suage des pièces officielles. Le
suage consistait à secouer un sac de pièces. Le frottement des pièces entre
elles produisait une précieuse poussière collectée au fond du sac de cuir.
Avec les poussières et les copeaux récoltés, les faux-monnayeurs fondaient
des rondelles altérées et les frappaient au marteau en imitant les gravures
des pièces officielles. Également, un ajout de cuivre dévaluait le titre en
métal précieux. Le cuivre s’allie malicieusement à l’or ou à l’argent par
simple mélange des métaux en fusion. Aussi, la tentation était grande de
multiplier les pièces originales en de nombreuses fausses pièces. Il suffisait
de refondre ces pièces et d’en dévaluer la teneur en or ou en argent par
ajout de cuivre. Les pièces d’or et d’argent officielles contenaient elles-
mêmes environ 2 % de cuivre. L’or et l’argent purement affiné ne

68
donneraient que des pièces malléables et ductiles, au contraire des pièces
alliées avec une pincée de cuivre. Enfin, en plus du poids allégé et de
l’alliage dévalué, des fausses pièces étaient fourrées par coulage de
l’alliage d’or ou d’argent autour d’un noyau sans valeur.

Du temps de Rome, les historiens ignorent précisément ce qu’il advenait


des fausses pièces retirées par les changeurs-essayeurs. Probablement, ces
pièces étaient revendues comme matière au poids attesté d’or ou d’argent au
Trésor public ou à l’Hôtel de la Monnaie.

Pièces d’or inspectées


Pour vérifier le titre des pièces d’or, les changeurs de l’Antiquité
pratiquaient le test de la « pierre de touche ». Cette pierre se taillait dans
une roche spécifique telle l’ardoise ou le quartz lydien sur laquelle la pièce
ou le lingot frotté laissait une marque d’un éclat identifiable. Ce test titrait
l’or des pièces de manière fiable et probante, mais la présence d’argent
faussait l’éclat de la marque sur la pierre. Ceci explique peut-être la
profusion de fausses pièces d’or exhumées et composées d’un soupçon
d’argent en plus de la traditionnelle pointe du cuivre. Toujours pour vérifier
le titre, un test chimique existait, issu des procédés d’affinage de l’or à
partir de l’électrum. Toute fois, ce test chimique était onéreux par la main-
d’œuvre et les techniques employées. De plus, il impliquait la destruction
de la pièce. Il était donc inadapté pour un change praticable. Finalement, le
pesage et la mesure des dimensions donnaient une bonne estimation de la
teneur en or des lingots, car l’or est deux fois plus dense que n’importe quel
métal allié. Cependant, la méthode était inopérante pour les petites pièces
irrégulières et imprécises de la frappe au marteau. Selon certains historiens,
le pesage des pièces a surtout été pratiqué après la Renaissance, lorsque la
frappe s’est régularisée grâce à la presse à vis. Des gabarits et une balance
de précision, appelée le « trébuchet », ont alors été exploités pour
comparer les dimensions avec le poids des pièces.

Dans l’Antiquité, des techniques empiriques fondées sur les sens ont été
préférées. La pierre de touche abîmait trop les pièces. L’évaluation par la
détermination du poids et les dimensions était imprécise. Les changeurs-
essayeurs se sont rabattus sur l’examen de la gravure, des marques ou des
symboles de l’atelier de frappe d’origine. Ils tâtaient, faisaient tinter la
pièce et écoutaient le son si caractéristique de l’or plein et pur, d’où
l’expression de la monnaie « sonnante et trébuchante » (avec

69
« trébuchante » pour le trébuchet de la Renaissance comme expliqué plus
tard). En cas de fourrage deviné, la pièce était cisaillée pour visualiser son
cœur impur.

Pièces d’argent suspectées


Les techniques de vérification du titre des pièces d’or n’étaient pas
applicables pour les pièces d’argent. Un essai chimique pour déterminer le
titre d’un alliage argent-cuivre n’a été élaboré qu’au XIVe siècle de notre
ère. Ce même titre n’était pas plus vérifiable par pesage, car le cuivre et
l’argent ont une densité trop assimilable. Même avec les frappes régulières
de la Renaissance, l’estimation du titre par pesage et mesures n’a pas
concerné les pièces d’argent, contrairement aux pièces d’or.

Il ne restait que l’œil averti pour authentifier une pièce d’argent. Le


contrôle visuel des pièces portait sur les empreintes et les sceaux composés
d’effigies, de symboles, de sigles, de dates, ou d’arabesques. Par la
trivialité des techniques métalliques, les frappes ont dessiné des motifs
assez sommaires sur les pièces de l’Antiquité au Moyen Âge. Seulement à
la Renaissance, les frappes ont produit des pièces plus régulières et
raffinées, jusqu’à comporter, dès le XVIIe siècle, un cordonnet ou un
crénelage sur la tranche de la pièce, pour dissuader toute intention de
rognage.

Durant des millénaires, la falsification s’est ainsi acharnée sur les


pièces d’argent plus que sur les pièces d’or. Raison de plus pour conserver
les pièces d’or plus sûres, et faire circuler les pièces d’argent. Cette
justification de la circulation accrue des pièces d’argent s’ajoute aux autres
déjà expliquées précédemment. Rappelons-les : une pièce d’or, même de
dimensions réduites, représentait une forte valeur inappropriée aux
échanges, et les pièces d’or n’étaient pas assez nombreuses pour satisfaire
un grand nombre de transactions commerciales.

70
Naissance de la banque dans l’Antiquité

Monnaie en sécurité dans les banques


La « banque » était un établissement spécialisé dans les manipulations
de valeurs précieuses et principalement de pièces de monnaie. La banque
offrait divers services annexes à ces manipulations. Les services offerts par
la banque lui ont valu son succès. Le premier de ces services consistait en
la sécurisation des dépôts d’orge, de blé, de bijoux, de lingots, de pièces
d’or et d’argent dans un coffre-fort inexpugnable ou dans un temple
inviolable, parce que sacré.

Pour les dépôts en une monnaie commune, le coffre-fort cessait d’être


individuel. Le coût de sauvegarde s’allégeait d’autant. Le banquier tenait
juste compte des entrées et des sorties de monnaie du coffre ou du temple.
Ces mouvements étaient notés pour chaque client dans un registre sur
papyrus ou tablette d’argile, qu’on appellera après l’invention du livre en
feuilles de papier : le livre des comptes. Les clients pouvaient alors
effectuer des « virements » de monnaie entre leurs comptes par simple
mandat écrit. Acquitter un paiement de la sorte ne nécessitait aucun
déplacement d’unité de monnaie et évitait d’appâter les détrousseurs de
grand chemin. Dans une transaction entre comptes, le vendeur et l’acheteur
se contentaient de communiquer, par ordre oral ou par contrat écrit, le
montant à virer entre les deux comptes clients de la banque. Le banquier
retranscrivait méticuleusement et méthodiquement cet ordre de virement
dans le livre des comptes.

Évolution de la banque dans l’Antiquité


En Mésopotamie et en Égypte, la genèse de la banque était liée à la
monnaie de grains, puis à la monnaie d’argent-métal au poids, avant
l’introduction des pièces métalliques. Des traces d’un semblant de banque
dateraient du IIIe millénaire av. J. C. dans la région de l’Euphrate. C’est
aussi à Babylone que la première banque privée est attestée au VIIe siècle
av. J. C..

Avec l’extension de l’usage des pièces de monnaie métalliques dans


l’Antiquité, les banques ont connu un nouvel essor autour de cet outil de

71
paiement. En Méditerranée, ce genre de banque est apparu en Grèce dès le
Ve siècle av. J. C., et à Rome dès le IVe siècle av. J. C.. L’origine se
trouvait chez les changeurs-essayeurs aguerris à l’usage des pièces de
monnaie, et habitués à conserver les avoirs de leurs clients familiers. Ils
avaient peut-être eu vent de l’acquis et du doigté des banquiers
mésopotamiens ou égyptiens.
~

Fait remarquable : les banques égyptiennes atteignent le plus haut degré


de développement dans l’Égypte ptolémaïque de 323 à 30 av. J. C.. L’aide
des banquiers grecs et d’autres banquiers étrangers y était pour quelque
chose. Sur base de la monnaie de grain en Égypte, les Pharaons
ptolémaïques inauguraient et institutionnalisaient l’usage de la banque. Les
réserves de grain devaient légalement être entreposées en banque. Les
Pharaons ont ainsi pu asseoir leur autorité, et surtout surveiller les livres
des comptes pour lever les impôts avec moins de plaintes. Cette remarque
motivait à elle seule le caractère obligatoire du dépôt de grain en banque.
De plus, les traces écrites d’entrées et sorties de grains étaient aussi une
assurance contre les contentieux de paiement.

Par ailleurs, le contrôle de la monnaie n’est envisageable que par les


banques. Le contrôle de la monnaie en circulation hors compte bancaire est
inconcevable, par sa provenance indétectable, et par sa manipulation si
aisée sous la table.
~

Aussi, l’île de Délos est à signaler. Cette île était une sorte de premier
paradis fiscal pour le commerce maritime, et à la maîtrise bancaire
renommée en Méditerranée. Délos était le principal centre de
« compensation » (« clearing » en anglais) ou d’annulation des dettes entre
banques en Méditerranée. La banque X doit 100 à la banque Y qui doit elle-
même 100 à la banque Z. Comme la banque Z doit également 100 à la
banque X, les banquiers soldaient leurs dettes respectives sans déplacement
de monnaie, et dans cet exemple-ci, elles annulaient complètement leurs
dettes. Les différents centres de compensation en Méditerranée ont sécurisé
les transferts vers l’étranger. La majeure portion des transferts s’équilibrait
sur papier. Dès lors, un client pouvait déposer de la monnaie dans une
banque à Rome, et retirer son dépôt dans une banque de province, sans
redouter un scabreux déplacement de monnaie.

72
Prêts et crédits consécutifs aux dépôts en banque
Les prêts accordés par les banques ont emboîté le pas aux dépôts
bancaires de grains, de lingots, et surtout de pièces de monnaie. Bien sûr,
les prêts bancaires n’étaient plausibles qu’avec une monnaie acceptée par
tous. Le prêt se rattachait en sens inverse à l’un des avantages de la
monnaie : avancer la dépense et postposer le paiement devenu
remboursement. C’était avec les pièces de monnaie laissées en dépôt par
leurs clients que les changeurs se sont mués en banquiers. Enfin, il faut
distinguer les prêts bancaires accordés avec les pièces de monnaie d’autrui
en dépôt, et les simples prêts non bancaires effectués à partir de sa fortune
personnelle. Ces derniers prêts ont existé bien avant les prêts accordés par
les banques.

Des charges d’intérêts venaient bien sûr s’ajouter aux remboursements à


terme des prêts alloués. Les taux d’intérêt variaient au gré des prêteurs et
seule la concurrence tempérait ceux-ci. L’opprobre relatif sur les charges
d’intérêt prélevées ne limitait pas le volume des prêts dans l’Antiquité,
contrairement au Moyen Âge. L’Antiquité a toujours pris un malin plaisir à
contourner les éventuels interdits sur les intérêts.

73
Jamais la banque ne prêtait des pièces de monnaie sans limites. La
banque conservait toujours en coffre une importante « couverture » en
monnaie pour couvrir les retraits sporadiques des comptes de dépôt par les
clients. Une somme de pièces de monnaie constituait cette couverture pour
couvrir ces retraits des dépôts bancaires. Plus il y avait de dépôts, plus la
couverture devait être importante. Dans l’Histoire, de nombreuses banques
sont néanmoins célèbres pour avoir failli au retrait des dépôts, pour avoir
scandalisé les clients, et pour avoir vu le banquier s’évanouir dans la nature
pour fuir les représailles.

Pour augmenter les revenus issus des intérêts, la banque augmentait ses
avoirs, et donc sa couverture, en pièces de monnaie pour accorder plus de
prêts. Les banques attiraient les pièces thésaurisées enterrées au fond du
jardin par la rémunération d’un intérêt au dépôt. La « thésaurisation » de
pièces sous le lit se bonifiait en épargne de pièces en banque. Les gains
bancaires provenaient alors du solde entre les revenus des intérêts des prêts
déduits des intérêts payés aux déposants.

La banque privilégiait également les paiements acquittés sans retrait de


pièces pour augmenter la quantité de monnaie non retirée. Pour cela, elle
incitait les virements écrits ou oraux entre comptes. Elle acceptait les
endossements des reconnaissances écrites de dettes. L’endos était la simple
annotation du nom du nouveau titulaire et bénéficiaire de la reconnaissance
de dette après une transaction.

La banque sélectionnait aussi les emprunteurs enclins à laisser les


pièces du prêt en compte. Un « prêt » sans retrait de pièces de monnaie se
sécurisait en « crédit » inscrit dans le livre des comptes. Avec ces
techniques bancaires, le volume des prêts et des crédits s’accroissait,
comme les revenus issus des intérêts au plus grand profit de la banque.

Pratiques bancaires circonscrites au commerce


Les banques préféraient les clients qui ne retiraient pas les pièces
prêtées par la banque. D’autre part, le commerce impliquait de longs
déplacements risqués, donc un besoin de paiements sécurisés et
d’instruments de crédit, plus que de prêt. Les activités commerciales et
bancaires s’emboîtaient parfaitement. Les changeurs instruits en banquiers
avaient des affinités évidentes avec les commerçants complices. Les crédits
étaient orientés vers le commerce. Ils étaient presque confinés dans ce

74
domaine entre gens de confiance. Poignées de main, ordres ou mandats sur
papyrus, étaient nominatifs et circonscrits au cercle d’initiés. Les banques et
leurs crédits étaient circonscrits autour des commerçants.

Les prêts à la production ou aux industries étaient inexistants dans


l’Antiquité romaine. Le commerce était toujours plus rentable à court terme
que le lent développement de nouveaux produits et de nouvelles techniques
chacun dans son coin. De plus, seul l’enrichissement par le commerce de
gros était bien toléré à Rome. Il était perçu comme approvisionnement
nécessaire, contrairement au petit commerce.

L’Antiquité sans monnaie « créée » par les banques


Pour les banques, le volume des dépôts était normalement bien
supérieur au volume des crédits. Les banques parvenaient juste à réfréner
les retraits des dépôts et des crédits en favorisant l’usage d’ordres oraux ou
écrits entre comptes clients. Parfois, la banque parvenait à inciter un grand
nombre de déposants et d’emprunteurs à ne pas retirer les pièces des dépôts
ou des crédits. Les transactions commerciales s’acquittaient alors par ordre
de virement entre comptes clients. La probabilité de retrait des dépôts et
des crédits décroissait.

La banque parvenait alors à créditer une pièce de monnaie deux fois au


lieu d’une. La banque en arrivait même à accorder un volume de crédits
supérieur au volume de dépôts en pièces métalliques. Il y avait donc une
trace exclusivement écrite de ce « surplus » de monnaie créditée. L’on
parlait ainsi de « création monétaire » par la banque ou de « monnaie
scripturale » créée par jeux d’écritures dans les comptes des clients de la
banque.

D’ailleurs, il faut distinguer la création de monnaie scripturale par


rapport aux procédés utilisés pour favoriser les dépôts et éviter les retraits
de pièces. Les mandats et les virements n’étaient que les prémisses de la
monnaie scripturale. La monnaie scripturale était exclusivement créée par la
banque dans son livre des comptes, dès le moment où le volume des crédits
dépassait celui des dépôts.

Peu de vestiges bancaires étayent l’existence de monnaie scripturale


dans l’Antiquité. Peut-être a-t-on exhumé des tablettes de terre cuite qui
démontraient une certaine création monétaire dans les comptes des banques
de Babylone. Il n’est pas dit que ces pratiques se sont prolongées de

75
Babylone jusqu’à Rome. Les éventuels papyrus et tablettes de cire des
livres des comptes ont pour la plupart disparu. Seules des traces écrites
répétées auraient prouvé l’existence généralisée de monnaie scripturale,
donc d’un volume de crédits supérieur au volume des dépôts. Aucun
témoignage de la sorte n’a été retrouvé. Il est aussi plausible que, pour ne
pas affoler leurs clients, les banques ne pavoisaient pas en clamant haut et
fort qu’elles créditaient plus qu’elles avaient en caisse. Les historiens
n’attestent pas l’existence de monnaie scripturale dans l’Antiquité. De toute
manière, les activités bancaires de l’Antiquité se sont concentrées autour du
commerce. La création monétaire éventuelle a dû stagner parmi les seuls
négociants et notables reconnus par la banque. En conclusion, la monnaie
scripturale en masse allait être une quête pratiquement vaine avant des
siècles. En fait, jusqu’à la Révolution industrielle du XVIIIe siècle. Selon
certains, il s’agit bien là d’une des principales différences du monde romain
avec l’Europe moderne. Les chapitres suivants y reviendront plus
amplement.

Banques inaccessibles pour le monde non


commerçant
Les classes moyennes non-commerçantes et surtout les basses classes de
la plèbe n’ont pas eu accès aux banques sans restriction. Ces groupes non-
marchants avaient pour habitude de retirer les pièces des prêts, ce qui

76
barrait tout crédit écrit. Des intérêts dissuasifs ou un simple refus les
écartaient du crédit. Les banques évinçaient surtout la plèbe de l’accès aux
crédits. Les plébéiens ne possédaient aucune garantie à offrir aux banques
en cas de dédit de remboursement. L’obstacle des garanties bancaires,
comme un revenu infaillible ou un bien immobilier consolidé, s’est
d’ailleurs avéré intemporel pour l’obtention d’un crédit.

En cas de besoin, la plèbe et même les classes moyennes étaient livrées


à des prêts chargés d’un intérêt exorbitant, donc à l’« usure » pratiquée par
des individus sans scrupules. L’usure et l’endettement étaient des maux
invétérés à Rome. La faillite de l’emprunteur menait parfois à
l’asservissement, bien que cette forme de remboursement avait fini par être
abolie. Dans l’Antiquité, les tribus grecques qui découvraient la banque,
percevaient le prêt comme un facteur de paupérisation. Par ailleurs, pour
les usuriers, il n’était pas question de création de monnaie scripturale, car
les emprunteurs retiraient entièrement leurs prêts en pièces. Il n’était pas
non plus question d’intérêts perçus sur d’éventuels dépôts, pour un peuple
toujours criblé de dettes durant l’Antiquité, et même jusqu’à l’ère
préindustrielle.

Les banques n’étaient pas non plus développées uniformément dans


l’ensemble du monde romain. Des banques accessibles aux classes
moyennes ont existé, mais toujours sous la dépendance des banques
focalisées sur le commerce. Lorsque les commerçants ont commencé à
quitter la péninsule italienne en décadence, les services bancaires ont
régressé dans ces régions, et spécialement dans les campagnes. Dans
l’Occident romain, l’on peut même parler de stagnation du système bancaire

77
et financier. Les autorités romaines n’y ont jamais pu ou su développer un
système bancaire comme en Orient, jusqu’au modèle de l’Égypte
ptolémaïque. Les banques ne s’étaient pas disséminées dans l’entièreté du
monde romain. Les banques ont été cantonnées dans l’Orient de l’Empire.

L’exclusion du crédit concernait aussi l’État romain. Les aspirations


politiques des prêteurs, créanciers et banquiers étaient notoires. Sénat et
empereurs évitaient de s’endetter. L’État romain se rabattait sur un
financement par les taxes et par la frappe de pièces de monnaie. Mais des
contingences financières allaient s’extérioriser dès le Ie siècle apr. J. C..
Ces écueils allaient contribuer à la déliquescence économique de l’Empire
jusqu’à la « crise du IIIe siècle apr. J. C. », et à la chute de Rome.

78
Coïncidence : Les pièces de monnaie, nerf de la
guerre ou de la paix ?

Pour interpréter l’Histoire, les a priori quant à la monnaie et aux


banques doivent être surmontés. La méfiance du système monétaire est aussi
ancestrale que son incompréhension généralisée. La monnaie n’a pas été
pensée, inventée, ou même décrétée. La finalité du bien-intermédiaire en
têtes de bétail ou de la monnaie en pièces d’or n’a pas changé de la place
du marché de Babylone au marché boursier de Wall Street de New York :
faciliter les échanges par le comptage des biens, l’acquittement des
échanges, et offrir plus de sécurité en postposant la dépense par une épargne
sûre. L’avènement de cet usage provient autant de l’économie de
redistribution que de la pratique de l’économie de marché.

Comme la monnaie s’est détachée du bien-intermédiaire, ses avantages


se sont perdus en abstractions pour la majorité. Les méprises et le dédain
envers la monnaie trouvent leurs racines dès la naissance de la monnaie
dans l’Antiquité. Les écrits des philosophes grecs ont largement influencé
notre perception de la monnaie. Leur méfiance envers la monnaie, le
commerce et le travail était un développement tardif dans la société de la
Grèce antique. Les Grecs étaient parvenus à apprécier les loisirs d’une vie
culturelle aux dépens d’une main-d’œuvre bon marché et pas toujours libre.
Parmi ceux-ci, Hérodote faisait remarquer que la monnaie venait de la
Lydie et qu’en ce pays les commerçants prostituaient leurs filles et

79
ouvraient des commerces en permanence. Socrate considérait qu’être riche
et bon en même temps était impensable, et que l’or et l’argent favorisaient
l’accumulation de richesses. Il avait aussi été choqué par la démagogie des
sophistes qui défendaient une cause quelconque contre une discrète pièce de
monnaie. Les bons gardiens de la Cité ne devaient pas posséder de
monnaie. Certes, la monnaie représente un peu de liberté pour soi, mais
aussi un instrument pour soumettre d’autres. À son tour, Platon considérait
que la monnaie ne devait être qu’un symbole purement abstrait pour faciliter
les échanges. Il a proposé une monnaie en cuivre pour le commerce
intérieur. Pour Platon, la monnaie était de médiocre importance en
comparaison des biens de l’âme. Finalement, Aristote, peut-être inspiré par
son beau-père de banquier, semblait craindre le surplus et la fausse
monnaie. L’or et l’argent étaient des intermédiaires convenables pour un
troc amélioré, comme l’étaient aussi le bétail ou les sacs de sel. Il blâmait
néanmoins la recherche du superflu, du profit aux dépens des autres, et
surtout les intérêts prélevés sur les prêts.

Pour les Romains « Le nerf de la guerre, c’est la monnaie d’or et


d’argent » (« Pecunia nervus belli »). Empires et royaumes se sont étendu
grâce ou pour les butins d’or et d’argent des villes annexées. La logistique
des conquêtes d’Alexandre et de Rome a même été échafaudée sur l’usage
des pièces de monnaie. La frappe de pièces de monnaie à partir des tributs
d’or et d’argent était plus immédiate qu’une taxation en nature pour
rétribuer les fantassins et les mercenaires. Dans l’inconscient collectif, les
pièces de monnaie ont excité les va-t-en-guerre, plus qu’elles n’ont allégé
l’organisation logistique des invasions.

Des coïncidences existent entre les grands mouvements politiques et les


changements, non pas économiques, mais monétaires. Bien sûr, d’autres
facteurs ont joué comme les évidentes implications politiques, religieuses,
philosophiques, climatiques, techniques, scientifiques sur l’économie et sur
l’Histoire. Mais, les causes monétaires doivent être également intégrées
dans les analyses historiques. L’ensemble de ces éléments conditionne
l’Histoire.

80
Ainsi, d’autres coïncidences existent en marge d’un usage de la monnaie
intime avec le commerce et les conquêtes militaires dans l’Antiquité. En
effet, l’apparition de la monnaie coïncide avec le passage de l’économie
rigide et autarcique de redistribution vers une économie additionnée de
marché libre plus démocratique, plus ouverte et plus productive. La
propagation de l’usage de la monnaie coïncide aussi avec l’unification des
Empires. Finalement, la monnaie ne semble pas être la racine de tous les
maux ; au contraire, elle a plutôt favorisé le commerce des biens et des
techniques qui a contribué à l’éclosion de la civilisation jusqu’à la
floraison… de la Pax Romana.

81
2. L'Empire romain et
les pièces de monnaie multipliées

82
Inquiétudes financières dans l’Empire au Ie siècle apr. J. C.

De la monétisation de l’or et de l’argent


jusqu’au manque récurrent de pièces
De fil en aiguille, la pièce de monnaie représentait le seul système
organisé de paiement dans l’économie romaine. Les pièces d’or et d’argent
étaient toujours appréciées pour faciliter les comptages des paiements, pour
thésauriser dans un bas de laine, ou pour épargner en banque. Les autres
biens-intermédiaires primitifs avaient disparu… surtout dans les villes. En
effet, si l’usage des pièces était généralisé en milieu urbain, les habitudes
séculaires assimilables au troc ou à l’usage de biens-intermédiaires dans le
commerce persistaient en milieu rural. Par exemple, l’utilisation des pièces
n’a pas concerné les paysans de Grande-Bretagne avant le IIIe siècle apr.
J. C..

La raison de cette carence en milieu rural était le manque de métaux


précieux et l’accaparement de ceux-ci pour satisfaire la demande urbaine de
pièces. Au cours des siècles, le manque devenait criant. La rareté naturelle
de l’or et de l’argent jugulait toujours plus la frappe de nouvelles pièces.
Les mines s’épuisaient et les razzias des conquêtes s’espaçaient. Les deux
sources principales de nouvelles pièces de monnaie se tarissaient. À cette
pénurie d’or et d’argent, les fuites s’ajoutaient vers l’Inde et la Chine qui
pompaient une quantité non négligeable de métaux précieux. Les Romains
de l’Empire étaient friands de soie de Chine pour les vêtements et d’épices
d’Inde pour donner du goût à la viande salée. L’or et l’argent étaient
exportés contre ces biens d’Orient. Ces métaux ne revenaient jamais pour
acheter une production romaine insignifiante pour les peuples d’Asie. Une
dernière cause du manque de pièces de monnaie était l’augmentation de la
population urbaine de l’Empire. Chacun avait besoin de pièces en poche
pour ses dépenses quotidiennes. L’augmentation de la population devait
s’accompagner d’une production accrue de biens et d’autant de pièces de
monnaie pour acquitter les paiements plus nombreux. Ainsi, par une
demande en hausse et un approvisionnement insuffisant, le manque de
pièces était récurrent, et il s’aggravait au début de l’Empire.

83
Le troisième chapitre reviendra plus en détail sur le manque de
monnaie. Mais dès à présent, le besoin réel de monnaie peut être
raisonnablement lié à une production insuffisante de pièces d’or et d’argent
et à une démographie en hausse.

Accumulations des crédits


Sans pièces de monnaie en main, les citadins accoutumés aux pièces
comptaient à crédit dans un registre, en attendant d’acquitter les paiements
en pièces. Le crédit à la petite semaine chez le boucher ou le boulanger était
fréquent. Cette comptabilité des crédits sur de fragiles papyrus ou de
friables tablettes de cire est historiquement sujette à caution par l’absence
de preuves conservées. Cependant, l’on peut honnêtement concevoir que la
pièce de monnaie ait imposé ses avantages jusqu’à voir le crédit en pièces
remplacer le troc ou la circulation de biens-intermédiaires. Depuis des
siècles, la référence de valeur des pièces de monnaie facilitait le comptage.
En plus de cette facilité du comptage, la pièce de monnaie était appréciée
pour la thésaurisation ou l’épargne pour postposer la dépense à valeur
égale.

84
Finalement, les pièces du paiement à crédit étaient réclamées
matériellement tôt ou tard. Le paiement devait être acquitté pour satisfaire
le sentiment de sécurité. En cas de non-paiement, la faillite du débiteur était
déclarée. Dès lors, malheur à celui qui manquait de pièces ! De fait, les
revendications de la plèbe étaient constantes contre les sanctions pour les
faillis obérés par une usure endémique.

Crises financières occasionnelles


Avec le manque de numéraire, les listes de crédits finissaient par
s’allonger chez les commerçants. Ceux-ci insistaient de plus en plus pour
réclamer leurs dus. Les acteurs de l’économie se réclamaient l’un l’autre le
remboursement des dettes. À un moment donné, des rumeurs de faillites
couraient, et un vent de panique se mettait à souffler. La « crise
d’endettement » débouchait souvent sur une « crise des paiements » qui
déstabilisait les commerçants et les négociants. Tous arrêtaient de vendre à
crédit lors d’une crise des paiements. La thésaurisation augmentait souvent
dans l’affolement de la crise des paiements. Cette thésaurisation aggravait
le manque de monnaie, et donc la crise des paiements. La plèbe endurait le
manque de pièces de monnaie et la crise des paiements, tandis que les
classes aisées resserraient sans trop de douleurs leurs dépenses et
thésaurisaient. Le commerçant n’accordait aucun crédit additionnel. Il ne
vendait presque plus, malgré le besoin d’acheter pour manger. La ville
s’enflammait de l’agitation de la plèbe, non pas par manque de vivres, mais
par manque de pièces de monnaie (« inopia nummorum »). L’économie
ralentissait jusqu’à la résorption de la crise des paiements. Une vague de
dépenses ou de remises d’arriérés d’impôts par l’État résolvait souvent la
crise. Les fonds venaient de pièces en réserves ou d’autres expédients
comme des taxes ou des impôts exceptionnels.

L’État lui-même avait éprouvé quelques difficultés de trésorerie


ponctuelles au cours des siècles. Pour surmonter la crise des paiements
qu’il avait initié, l’État n’avait pas eu le choix. Il taxait plus ou frappait des
pièces de monnaie pour assurer la continuité de ses paiements. Le Trésor
peinait à payer en pièces les soldes des armées et les charges des
fonctionnaires toujours plus gourmands. Le manque de pièces de monnaie
risquait de générer des émeutes et des mutineries. Au Ie siècle apr. J. C., les
trous de trésorerie avaient empêché d’honorer soldes et charges. Les
troubles s’en étaient suivis sous les règnes d’Auguste et de Tibère.
L’Empire devait à tout prix crever l’abcès du manque incessant de pièces de

85
monnaie, et toujours en se refusant d’emprunter aux banquiers. De fait,
l’Empire a alors instauré plusieurs palliatifs pour atténuer le manque de
pièces, sans toutefois éradiquer les crises financières d’endettements, de
paiements ou de trésoreries.

86
Nouveaux expédients aux crises de trésorerie dès le Ie siècle
apr. J. C.

Réforme fiscale sous Auguste


Un système d’impôts sur les revenus et de taxes sur les transactions
existait déjà dans la République romaine. L’économie de redistribution était
encore présente. Le système fiscal en place au début de l’Empire était
inchangé depuis des générations, si pas des siècles. Au début du Ie siècle
apr. J. C., le fondateur de l’Empire, l’empereur Auguste, a réformé le
système fiscal, malgré l’impopularité de nouvelles charges. Trois nouvelles
mesures fiscales ponctionnaient les ventes, le patrimoine foncier et chaque
adulte en âge de travailler. L’impôt foncier est d’ailleurs passé au rang de
principale ressource financière de l’Empire. Malgré la réforme fiscale
d’Auguste, le désordre et les crises de trésorerie menaçaient encore. L’État
ne parvenait pas à remplir suffisamment les coffres du Trésor.

L’apport fiscal au Trésor était certainement fondamental, mais le


complément par la frappe de nouvelles pièces d’or et d’argent par l’Hôtel
de la Monnaie était plus que nécessaire. Les ressources des mines et des
tributs des conquêtes ne suffisaient plus à frapper assez de pièces. Un
apport frais de pièces de monnaie devait être organisé par d’autres moyens.

Frappe de pièces de billon dès Auguste


Les pièces de monnaie de « billon » étaient des pièces d’un petit
montant nominal. Elles étaient composées de métaux non précieux, comme
le cuivre pur ou le bronze. Des monnaies de bronze étaient apparues depuis
plusieurs siècles, mais elles n’avaient eu qu’une circulation localisée dans
une économie de redistribution. Des cités du sud de l’Italie avaient déjà
utilisé des pièces de bronze dès le Ve siècle av. J. C.. Ces monnaies de
bronze, parfois en forme de barres ou de lingots, avaient fini par être
retirées de la circulation. Au Ie siècle av. J. C., les lingots des « aes
signatum » ou les larges disques des « aes grave » de bronze avaient ainsi
pratiquement disparu. L’« aes » s’est traduit par « as » en français, d’où
l’expression « plein aux as ». Le succès des pièces d’or et d’argent plus
manipulables et d’une valeur sûre et universelle avait rendu ces « aes »
obsolètes.

87
L’empereur Auguste a introduit les pièces de billon. Ce reliquat de
l’usage des monnaies en barres de bronze a été réimplanté pour suppléer au
manque de pièces. Les pièces de billon étaient divisionnaires légales des
pièces d’argent, elles-mêmes subdivision des pièces d’or. Bien sûr, l’État
romain avait légalisé ces pièces de billon pour le paiement des impôts ou
des taxes. Comme les pièces de billon étaient « convertibles » en pièces
d’argent ou même d’or, la valeur des nouvelles pièces de billon de
l’Empire résidait dans la confiance en leur convertibilité en pièces d’argent
ou même d’or. Ces nouvelles pièces de billon ont germé de l’usage des
pièces d’or et d’argent qui les avaient remplacées un siècle plus tôt. L’as de
cuivre pur était ainsi introduit, et le sesterce en laiton remplaçait le sesterce
en argent. Les nouveaux as de l’Empire étaient bien plus légers et
manipulables que les anciens pavés des as de la République dont la valeur
s’accrochait au poids intrinsèque de bronze.

L’État ne se risquait pas à multiplier outre mesure les pièces de billon.


Les pièces de billon étaient frappées en proportion du volume des pièces
d’or et d’argent. Les changeurs-essayeurs assuraient la conversion des
pièces de billon vers les pièces d’argent ou même d’or. Les changeurs
auraient vite dénoncé une accumulation de pièces de billon à leurs tables,
contre une disparition des pièces de métaux précieux. Ces pièces de billon
étaient nombreuses, mais d’une valeur faciale totale très inférieure à la

88
valeur faciale cumulée des pièces d’or et d’argent. Les pièces de billon
représentaient entre 5 et 10 % de cette valeur faciale cumulée des pièces.

Les pièces de billon soulageaient le quotidien de la plèbe. Une demande


soutenue de pièces tolérait autant qu’elle se satisfaisait des pièces de
billon. Les pièces de billon contentaient la consommation immédiate de la
plèbe en circulant pour acquitter les paiements dans le commerce. Dans les
campagnes, les pièces de billon ont aidé également à remplacer le troc ardu
ou les paiements en biens-intermédiaires. Les pièces de billon circulaient
partout, sauf à l’évidence pour le commerce au-delà des frontières de
l’Empire.

Pour épargner en banque ou thésauriser sous le lit, les patriciens et la


classe moyenne préféraient les pièces d’or et d’argent. Et davantage de
lingots d’argent étaient disponibles pour l’épargne, car ils n’étaient plus
gaspillés pour la frappe de pièces de faible valeur nominale en circulation.
Dès que l’un avait assez de ces pièces de billon en circulation, il préférait
toujours les convertir contre la pièce d’argent ou d’or équivalente pour
thésauriser ou épargner. Les pièces de billon sans valeur intrinsèque ont
plus circulé qu’elles n’ont été thésaurisées. Les archéologues ont rarement
retrouvé des magots de pièces de billon. Ils ont seulement exhumé une
multitude de pièces isolées.

La circulation des pièces de billon a peut-être été décrétée par


l’application du « cours légal ». Le cours légal obligeait les vendeurs et les
marchands à accepter les pièces de monnaie des soldats et des
fonctionnaires comme moyen de paiement. Cette obligation était relative,
car souvent contournée. Devant des paiements en une monnaie suspecte, les
marchandises fuyaient l’économie officielle à grandes enjambées. Plus que
les coups de matraque du cours légal, l’avantage de référence de valeur de
la monnaie expliquait la propagation de l’usage de pièces de billon. Une
des raisons principales de la propagation de l’usage des pièces de monnaie
était leur commodité. La demande de pièces suffisait à les écouler. Toute
monnaie de billon, d’argent ou d’or devait être acceptée à l’usage, pas
seulement imposée.

Avec les siècles, les peuples romains s’habituaient à l’usage de pièces


de monnaie en différents métaux. Tout profit pour le Trésor de l’Empire,
dans la mesure où la frappe de pièces de billon était tolérée. Cependant, la
trésorerie de l’Empire était à peine soulagée, car les frais de frappe

89
n’étaient pas négligeables en regard de la valeur des pièces de billon. Les
pièces de billon étaient néanmoins une petite création monétaire sans or ou
argent. En ce sens, les pièces de billon étaient comparables à l’éventuelle
création de monnaie scripturale par les banques.

Multiplication des pièces par dévaluation dès Néron


L’empereur Néron est déjà renommé pour avoir eu recours aux
confiscations des condamnés, aux expropriations, et aux ventes des biens de
l’État. Ces pratiques démagogiques contribuaient à soulager un peuple
endetté et en peine de rembourser par manque de numéraire. « Vox populi,
vox dei ». Pour pallier au manque de pièces, Néron a inauguré une nouvelle
mode plus simple et discrète qu’un supplément d’impôt sur les revenus ou
de taxe sur les transactions. Effectivement, Néron devrait être fameux pour
avoir enclenché une multiplication des pièces pour renflouer la trésorerie…
et même plus que pour reboucher les déficits. Néron travestit l’État romain
en principal faux-monnayeur de l’Empire, en terme de teneur en or ou en
argent des pièces. Les pièces étaient multipliées par dévaluation de la
quantité intrinsèque d’or ou d’argent pour une valeur faciale inchangée. La
multiplication des pièces d’or et d’argent se répercutait en proportion sur
les frappes de pièces de billon.

Les pièces d’argent voyaient leur titre dévalué par ajout de cuivre lors
de leur fabrication. Une modification légère du titre d’argent était
imperceptible et même invérifiable du temps de Rome. La gravure

90
officielle, seule possibilité de détection de la fausse monnaie, n’était plus
un gage d’un titre fin d’argent. Les analyses métallographiques des pièces
exhumées par les archéologues le démontrent : les pièces d’argent
jusqu’alors quasi pures passent à 90 % d’argent sous Néron. Durant les
deux siècles qui ont suivi, le titre d’argent va progressivement tomber à
40 %.

Les pièces d’or étaient légèrement rapetissées selon la nouvelle norme


du nombre de pièces par livre d’or. Une telle modification était
difficilement détectable quand les techniques de frappe étaient encore
imprécises et produisaient des pièces irrégulières en poids. La pièce d’or
était néanmoins plus contrôlable et donc plus volontiers thésaurisée que les
pièces d’argent ou de billon. C’est sur la pièce d’or qu’il y a eu le moins de
dévaluation.

Sous son règne, Néron a maintenu le bimétallisme au ratio or-argent


habituel. Les nouvelles pièces étaient refondues et frappées en plus grands
nombres, mais toujours selon un poids d’or ou d’argent fixe et normalisé,
bien que revu subrepticement à la baisse. Et les pièces plus légères en
argent ou en or restaient frappées en proportion. Ensuite, avec les
successeurs de Néron, le ratio a lentement décliné en faveur de l’or.

L’empereur injectait simplement et discrètement ces pièces multipliées


par les filières habituelles des soldes des armées et des dépenses
impériales. Ces pièces se mélangeaient aux pièces en circulation sans
différencier les unes des autres. Le recyclage des pièces s’organisait en
continu à partir des rentrées fiscales régulières. En quelques années, la
teneur en or ou en argent de la plupart des pièces était ajustée au poids de la

91
nouvelle norme. La révision à la baisse des normes de poids des pièces
était réitérée de décennie en décennie. L’uniformisation de la teneur d’or ou
d’argent des pièces par le recyclage par la fiscalité ralentissait ce faux-
monnayage.

La dévaluation décidée par Néron de l’or et de l’argent dans les pièces


était peu perceptible. En tout cas, les réactions des Romains devant la
différence de coloration des nouvelles pièces ne sont relatées dans aucun
écrit. De toute façon, peu d’échappatoires existaient. Les commerçants et
les changeurs étrangers qui estimaient au poids les pièces d’argent de Lydie,
de Grèce ou de Perse étaient pratiquement intégrés au commerce national
sans plus de neutralité. Au moins en façade, ils étaient bien obligés
d’accepter les pièces d’or et d’argent des soldats et des fonctionnaires à la
valeur faciale. Le monopole impérial des mines combiné au système
monétaire enfin unifié sous l’Empire offrait moins d’alternatives de change
aux Romains. Ainsi, ce vaste Empire unifié avait reconduit aux lointaines
frontières le refuge en lingots ou en pièces étrangères concurrentes.
L’Empire avait échappé à la contrainte de la disparité entre la valeur légale
des métaux précieux et entre la valeur pratiquée par les commerçants
étrangers, comme du temps de la splendeur lydienne ou grecque.

Une multiplication modérée des pièces d’or, d’argent ou de billon


n’était peut-être pas une si mauvaise chose. Elle repoussait le dramatique
manque de pièces qui dégénérait parfois en crise des paiements. Les
dévaluations, et donc des multiplications des pièces, ont contribué à
soulager les crises de paiements. Pendant deux siècles, ces multiplications
se sont répétées occasionnellement et dans des chiffres mesurés. Cependant,
dès la fin du IIe siècle apr. J. C., elles sont établies en règle usuelle. Néron
avait improvisé un jeu litigieux, sans garde-fous, et sans comptes à rendre.
En effet, le danger venait de la confiance perdue dans la teneur d’or ou
d’argent des pièces. Les pièces de monnaie s’éloignaient de la perception
d’un bien-intermédiaire en poids d’or ou d’argent pour se rapprocher d’une
monnaie pure selon la seule valeur faciale. Si les paiements en pièces
légèrement dévaluées continuaient d’être gentiment acceptés pour leur
valeur faciale, une forte dévaluation de la teneur en métal précieux risquait
de provoquer une vague de refus des pièces pour acquitter les paiements.

De plus, un autre danger menaçait par la multiplication exagérée des


pièces. Si quelques pièces en plus soulageaient le manque de pièces,
quelques pièces en trop déclenchaient un nouveau phénomène : l’inflation.

92
Inflation perceptible au Ie siècle apr. J. C.

Hausse des prix en conséquence de la multiplication


des pièces
Un curieux phénomène apparaît alors dans l’Empire : une hausse légère
et continue de l’ensemble des prix. Le scénario plausible du mécanisme de
la hausse des prix a été le suivant. Un afflux de soldats, de fonctionnaires et
de clients aux mains pleines de pièces multipliées par Néron se présentait
dans l’échoppe du producteur ou du commerçant. Cet afflux de clients
riches en pièces était une aubaine. Devant tant de clients, le vendeur
s’empressait de négocier les prix plus âprement, sans octroyer l’habituelle
remise. En effet, tout commerçant chevronné souhaitait conserver quelques
réserves pour ses meilleurs clients. Comme la baisse des stocks de
l’échoppe était manifeste, le commerçant se laissait moins amadoué par les
clients et les prix augmentaient. Si l’afflux de clients aux mains pleines de
monnaie se maintenait, alors les prix mémorisés après négociation et
marchandage augmentaient de manière irrévocable. Si au bout de quelques
mois, la multiplication des pièces continuait, alors les prix se mettaient à
augmenter de mois en mois, d’année en année.

Les négociants avaient augmenté leurs prix assez vite, mais pas
instantanément. Juste le temps de percevoir et de mémoriser la hausse des
prix selon l’un des avantages du bien-intermédiaire ou de la monnaie : la
référence de valeur mémorisée. Après un certain laps de temps, les
commerçants et les clients avaient enregistré la hausse des prix conséquente
à une multiplication de la monnaie. Le commerçant avait lui-même besoin
de plus de pièces de monnaie pour maintenir son train de vie et acheter chez
les autres commerçants aux nouveaux prix mémorisés.

93
Cette hausse des prix était la marque d’une multiplication
disproportionnée des pièces de monnaie, relativement à la quantité de biens
produits. Avec la Pax Romana au début de l’Empire, l’expansion
économique et démographique avait absorbé l’injection colossale de
pièces. Au Ie siècle apr. J. C., cette expansion ralentissait. L’infléchissement
de la hausse de la production accentuait le déséquilibre entre les quantités
en hausse de pièces de monnaie injectées en circulation et les quantités
languissantes de réserves de biens dans les boutiques.

Hausse généralisée, continue et prolongée des prix,


ou inflation
Ce phénomène de hausse généralisée, continue et prolongée des prix est
appelé « inflation » depuis le XXe siècle. L’inflation persistante était
toujours due à trop de monnaie dans les mains des clients ou acheteurs
toujours plus nombreux par rapport à une quantité de biens inchangée. La
multiplication des pièces de monnaie dans les mains des clients pour une
production stable de biens, provoquait l’inflation des prix de vente par les
négociations entre clients et fournisseurs.

Selon les économistes les plus influents de notre XXIe siècle, l’inflation
est surtout un phénomène monétaire. La quantité de monnaie doit varier en
proportion de la quantité de biens pour éviter l’inflation. Assertion
raisonnable surtout en notre ère industrielle de production inoxydable, de

94
démographie stabilisée, et enfin d’un système monétaire élaboré et
compressible, comme expliqué dans les derniers chapitres. Du temps de
Rome, le volume de biens produit était aussi prépondérant que la quantité
incompressible de monnaie en circulation. La « compression » de la
quantité de monnaie en circulation sera étudiée par la suite.

Cette explication d’une inflation d’après une cause monétaire est la plus
écoutée en notre XXIe siècle. Ce livre va dans le sens de ces théories
dominantes. Expliquer la monnaie est plus concret en se raccrochant aux
théories actuellement en vogue.

Inflation des prix dans l’Empire


Du temps d’Aristote ou de l’Empire romain, l’inflation des prix était
déjà observée sans être mesurée. La mesure de l’inflation par
l’enregistrement méthodique du niveau des prix n’existait pas dans
l’Antiquité. Cet inventaire du niveau des prix n’était pas systématique. Ce
n’est qu’au XXe siècle que des historiens de l’économie ont compilé les
niveaux des prix à Rome à partir des annales de l’Antiquité. Ainsi, ils ont
pu estimer l’inflation du temps de l’Empire.

D’après les archives, l’inflation des prix par multiplication des pièces a
été longtemps modérée et constante dans l’Empire. Cette hausse est
généralement admise par les historiens dans l’Orient comme dans
l’Occident de l’Empire. Par exemple, la hausse de la solde du légionnaire
indiquait un accompagnement d’une inflation annuelle d’environ 1 % par an
entre l’an 100 et 220. Tendance confirmée par l’étude d’autres prix.

L’étude de l’inflation indique que les empereurs ont compensé avec un


excès relatif la défaillance des mines impériales d’or et d’argent. D’après
l’analyse métallographique des pièces retrouvées, les empereurs n’avaient
pourtant pas lésiné sur la dévaluation de l’or et de l’argent des pièces. La
dévaluation de la teneur en métal précieux se chiffrait en dizaines de pour
cent. Durant les premiers siècles de l’Empire, les pièces multipliées
continuaient cependant d’être acceptées pour leur valeur faciale dans le
commerce. Les pièces contenaient encore une quantité substantielle d’or ou
d’argent. Même si la multiplication des pièces était exubérante, elle
provoquait à peine l’inflation des prix.

95
Dans les derniers siècles de l’Empire, l’inflation a accéléré le tempo
quand la création monétaire par les frappes de pièces du Trésor redoublait.
L’appoint de financement par la multiplication des pièces devenait une règle
établie. Au tournant du IIIe siècle apr. J. C., la hausse de la solde annuelle
du légionnaire est passée de 600 à 1800 « denarius » sur 20 ans. Longtemps
modérée, la hausse de la solde du légionnaire est montée à un chiffre
inquiétant de 5 % par an au début du IIIe siècle apr. J. C.. La multiplication
des pièces et l’inflation résultante allaient contribuer à la dégradation
économique, à la « crise du IIIe siècle », et à la chute de l’Empire, comme
les pages suivantes vont l’expliquer.

Hausses ponctuelles des prix


Par contre, la hausse ponctuelle d’un seul prix n’est pas l’inflation. Un
prix isolé peut augmenter selon des facteurs occasionnels, climatiques ou
saisonniers. Chaque prix intervient individuellement dans l’inflation, mais
celle-ci englobe la hausse de l’ensemble des prix des biens et services. Les
flambées ponctuelles de prix ne sont pas à confondre avec l’inflation.
L’inflation dénote une hausse généralisée et prolongée de l’intégralité des
prix, comme celle rencontrée par l’Empire romain dont l’origine était
essentiellement monétaire.

Une hausse des salaires des paysans ne révélait pas directement une
poussée d’inflation des prix. En fait, les salaires ne rentrent pas dans la
mesure de l’inflation des prix. Ils n’y rentrent qu’indirectement, par les
coûts de main-d’œuvre pour produire les biens produits et les services
vendus. La hausse des salaires ou des soldes des légionnaires était plutôt le

96
reflet d’un accompagnement de l’inflation des prix. Dans ce cas, le salarié
n’était pas plus riche en biens, même s’il avait plus de pièces en main. Dans
d’autres cas, l’amélioration de la productivité entraînait une majoration des
salaires, tout en laissant les prix de vente inchangés. Cette hausse de salaire
indiquait que le salarié s’était enrichi en biens.

Par ailleurs, les économistes estiment que ces hausses des salaires sont
peu inflationnistes. Les ressources physiques et humaines limitent
l’amélioration de la productivité qui génère la hausse des revenus et des
salaires. Dans les belles années de prospérité, la hausse de la productivité
dépasse rarement quelques pour cent, et elle ne se répercute que
modérément sur les salaires et sur l’inflation des prix de vente.

Les dépenses des tributs des conquêtes, ou d’autres cadeaux


démagogiques des empereurs pouvaient faire s’envoler le niveau des prix,
du temps de Rome. Dans ce cas, la hausse des prix n’était que passagère, et
l’on parle d’une hausse ponctuelle des prix plus que d’inflation. La hausse
des prix est qualifiée d’inflation si elle est prolongée et liée à une
multiplication disproportionnée de pièces de monnaie par rapport aux
quantités de biens produits.

Toute calamité pouvait provoquer aussi une multiplication des pièces


vidées des bas de laine et réinjectées en circulation, par une ruée
d’acheteurs en quête de farine ou de viande salée. Dans le même désarroi
face à la crainte d’une famine et la peur du lendemain, les producteurs et les
commerçants conservaient quelques réserves, en refusant de vendre leurs
stocks… sauf à prix d’or. Ainsi, les producteurs prudents vendaient moins,
et contre plus de pièces. Les prix étaient en hausse pour cette double raison
de plus de monnaie pour moins de biens. Les crises des guerres puniques
ont éperonné les prix ponctuellement entre 3 et 4 % aux IIe et Ie siècles av.
J. C.. Ces hausses des prix ne sont pas considérées comme de l’inflation,
car elles ne sont que temporaires.

Après ces circonstances ponctuelles ou passagères, les prix


redescendaient dans le cas des calamités, ou se stabilisaient dans le cas
d’un apport de pièces. La quantité de pièces de monnaie en circulation
s’équilibrait à nouveau avec la quantité des biens. Les niveaux des réserves
des fabricants et commerçants étaient revenus à la normale. Stocks,
quantités de monnaie et prix étaient en accord. Fabricants, commerçants et

97
clients faisaient référence aux nouveaux prix, et ils oubliaient les anciens
prix.

La clé de l’inflation : excès de dépenses


et manque d’investissements par l’État romain
L’inflation provenait d’un déséquilibre entre la frappe de pièces et la
production de biens. La quantité de monnaie dépensée augmentait plus vite
que la quantité de biens produits.

Certes, les dépenses des pièces multipliées avaient des apports positifs
comme d’éviter les crises de trésorerie, et comme de généraliser l’usage de
la monnaie jusque dans les campagnes des provinces occidentales. Les
nouvelles pièces facilitaient le commerce en pleine croissance par le
comptage et l’acquittement. Elles permettaient la thésaurisation après le
change des pièces de billon en pièces d’argent. Elles rendaient possible
l’éventuel octroi de quelques prêts en pièces. Les dépenses de pièces de
monnaie, la paix et les voies romaines avaient presque inconsciemment
tonifié la formidable expansion du commerce du début de l’Empire. Le
volume de biens s’était accru en proportion aux frappes de monnaie
jusqu’au Ie siècle apr. J. C.. L’inflation était alors inexistante.

Ensuite, les dépenses multipliées en pièces dévaluées ont surpassé


l’augmentation de la production. Le vrai nœud du déséquilibre était lié aux
agissements du gouvernement.

D’une part, l’État dépensait trop ses nouvelles pièces pour les soldes
des armées, pour la bureaucratie et pour d’autres charges non productives.
Ces charges comprenaient bien sûr la construction de monuments de
prestige ou d’édifices religieux lénifiants, et les diversions démagogiques
en pourvoyant du pain et des jeux, surtout en Italie.

D’autre part, l’État investissait peu ses nouvelles pièces pour créer des
industries rentables ou améliorer valablement l’infrastructure à vocation
économique. Rome n’a pas su, ou n’a pas pu mettre sur pied des
programmes d’investissements féconds à la place de dépenses stériles. Il y
a bien eu des constructions de routes, d’aqueduc, de canaux, ou de ports,
mais ces ouvrages étaient destinés en priorité au militaire et au politique.

98
Avec plus de nouvelles pièces de monnaie dans les mains des acheteurs
que de nouveaux biens, l’inflation pointait son nez. La mesure de l’inflation
d’après les documents d’époque oriente les historiens vers cette conclusion.
Les Romains de l’Empire ignoraient les dangers de ce phénomène nouveau
de l’inflation. Excepté les hausses ponctuelles, la République n’avait jamais
rencontré une telle situation de manière aussi continue. Cette inflation usait
lentement l’économie. Elle pouvait dépasser un cap de non-retour jusqu’à
échapper à tout contrôle et amener à de graves convulsions économiques et
sociales.

99
Mécontents et profiteurs de l’inflation des prix dès le Ie
siècle apr. J. C.

Perte pour les uns


L’inflation des prix était une ponction comparable à une taxe. Cette
ponction était illicitement prélevée sur certains au profit d’autres spécifiés
dans le point suivant. Cette ponction frappait les possesseurs de pièces
thésaurisées dans un bas de laine, ou les épargnants de pièces en banque. Un
exemple permet de mieux l’expliquer. Au départ, un producteur vendait cinq
cochons contre dix pièces. Il thésaurisait ou épargnait ses dix pièces. Plus
tard, après la hausse du prix des cochons englobée dans l’inflation des prix
par l’afflux de nouvelles pièces, ses dix pièces ne valaient que quatre
cochons. L’inflation avait ponctionné un cochon. La ponction avait
virtuellement été prélevée durant le laps de temps d’adaptation des prix
mémorisés. La monnaie thésaurisée avait perdu son pouvoir d’achat en
rapport à l’inflation des prix. Dès lors, l’inflation des prix des biens
biaisait la possibilité offerte par la monnaie de postposer la dépense en
toute sécurité. La monnaie ne tenait plus la promesse, obtenue lors de l’acte
de vente, d’un achat équitable sur la production future. L’inflation des prix
rongeait la thésaurisation et l’épargne. L’inflation agissait comme une taxe
sur la thésaurisation et l’épargne. Aussi, plus le temps s’écoulait et plus la
ponction par l’inflation augmentait. Pour compenser l’inflation, le système
bancaire archaïque n’accordait pas à chacun l’accès à une épargne sûre et
rémunérée par des intérêts. La carence de banques en Occident réduisait de
nombreux Romains à la thésaurisation de pièces altérées. Les monopoles
des mines de l’État excluaient presque les placements en or ou en argent fin.
L’acquisition de terres représentait le seul placement solide, mais il était
grevé par l’impôt foncier.

L’inflation des prix était aussi une ponction qui agissait comme une taxe
sur les bénéfices espérés. Ce qui suit permet de l’illustrer. Ainsi, un potier
concluait un contrat pour vendre dans deux mois cinquante jarres en terre
cuite contre dix pièces. Le potier se mettait à produire en achetant de
l’argile et le bois pour le four selon des coûts en vigueur de 8 pièces. Deux
mois plus tard, il fournissait les cinquante jarres contre les dix pièces. Entre
temps, l’inflation s’était manifestée suite à l’afflux des nouvelles pièces
multipliées. Les prix du jour proposaient quarante jarres contre dix pièces.

100
L’inflation avait ponctionné dix jarres. Le potier se retrouvait grugé par le
contrat à terme tronqué par l’inflation. Le vol se faisait de la même manière
sur le dos du courageux tâcheron payé à la fin de son labeur, jamais au
début. Même en cas de poussée d’inflation durant l’exécution du contrat, le
travailleur restait payé au montant initialement convenu. Toutes les
transactions à terme voyaient ainsi leurs bénéfices rognés par l’inflation.

Si les transactions à terme anticipaient l’inflation, les prix mémorisés


augmentaient d’autant à terme. Dans ce cas, l’inflation des prix s’intensifiait
encore plus. Et l’anticipation de l’inflation des prix à court terme lésait
encore plus les épargnants qui étaient incapables de contrer l’inflation pour
leurs transactions à très long terme.

Gain pour les autres


Le gain était tangible pour les débiteurs des comptes de crédit en banque
et pour les emprunteurs de pièces de monnaie. L’inflation des prix délestait
le remboursement du crédit ou du prêt. Les revenus postérieurs s’alignaient
sur les prix de vente. La dette valait vingt pièces, et était autrefois
proportionnelle à vingt cochons. Après la hausse des prix, cette même dette
de vingt pièces correspondait peut-être à dix-neuf cochons, et son
remboursement s’allégeait d’autant pour l’emprunteur qui était éleveur de
cochons. La dette à rembourser avait fondu par l’effet de l’inflation des
prix.

101
Le gain était appréciable pour l’acheteur qui payait à terme. Il avait
précédemment convenu d’un prix de 10 pièces pour 50 jarres. Le jour du
paiement, il revendait 40 jarres pour obtenir 10 pièces selon les prix du
jour, il effectuait le paiement dans la journée au fabricant, et l’acheteur
conservait 10 jarres pour lui-même. Une bonne affaire pour l’acheteur qui
payait sa commande au prix antérieur à l’inflation.

Gain temporaire pour l’État


Le gain pour l’État romain était à peine lié à l’inflation. L’État romain
affranchi de dettes, ne gagnait rien par l’inflation. Seuls les débiteurs et
emprunteurs gagnaient ce que l’inflation rognait aux prêteurs et créanciers.
Le gain de l’État romain se montait à la dévaluation de métal précieux dans
chaque pièce, ou au nombre de pièces frappées sans scrupules en plus de la
valeur annoncée par rapport au lingot. L’État ne gagnait que par la dépense
de cet extra de pièces de monnaie multipliées. La ponction sur les pièces
d’or et d’argent était une taxe en métal précieux, plus qu’une taxe par
l’inflation.

Avec l’inflation, l’injection de pièces dans l’économie par l’État avait


cessé de vitaliser le commerce et de permettre l’épargne en banque ou la
thésaurisation dans une cassette. L’inflation déroutait les commerçants. Elle
frustrait les épargnants par la perte de valeur de leurs pièces en banque.
Elle démotivait les actifs qui travaillaient pour épargner ou thésauriser
leurs salaires. L’inflation perturbait l’économie, et les revenus fiscaux de la
production en pâtissaient, comme expliqué en détail ci-après. L’inflation a
effectivement contribué au déclin de l’Empire romain.

102
Déclin économique du Ie siècle jusqu’au début du IIIe siècle
apr. J. C.

Démagogie financée par la fiscalité


et la multiplication des pièces de monnaie
Depuis la République du Ie siècle av. J. C. et ensuite dans l’Empire, du
blé bon marché se déversait en Italie après les nouvelles conquêtes de
Sicile, d’Asie Mineure et d’Afrique. Cette nouvelle concurrence ruinait la
paysannerie des petits propriétaires d’Italie. Les grands propriétaires
terriens leur rachetaient leurs biens qu’ils exploitaient avec une main-
d’œuvre d’esclaves. Les hommes libres dépossédés de leurs terres
s’agglutinaient à la population urbaine de la plèbe sans source de revenus.
Les empereurs étaient perplexes et impuissants à donner du travail aux
désœuvrés. Ils ont éludé le problème par la démagogie qui a été la
principale cause de la décadence. Le désœuvrement et la démagogie étaient
manifestes à Rome et dans la péninsule italienne. « Du pain et des jeux ».
Prendre aux riches pour donner aux pauvres. Et 200 000 subsidiés à Rome
étaient autant de paires de bras en moins au travail. La bureaucratie était
aussi en hausse pour absorber les inactifs.

La démagogie a été rendue possible par un financement assuré par la


fiscalité, et également par la multiplication des pièces. Il était vrai que les
mêmes pratiques de frappe de pièces de monnaie contribuaient au
financement des États depuis l’invention des pièces de monnaie par les
Lydiens. À Rome, les pièces en étaient arrivées à donner le pouvoir
d’acheter tout bien ou service. Les pièces apparaissaient comme richesses
plus que les biens. Alors, pourquoi ne pas augmenter les distributions de
pain en les finançant par la frappe artificiellement de pièces de monnaie ?
Grave erreur ! Une sorte d’aveuglement devant le scintillement des pièces
de monnaie, et une inconscience du péril de l’excès. Qu’aurait-il fallu faire
pour remédier au cancer des cohortes de chômeurs ? Les siècles d’Histoire
qui ont suivi Rome éclairciront le sujet, comme expliqué dans les prochains
chapitres.

103
Travail dévalorisé aussi par l’inflation
À Rome, les réquisitions, les confiscations, la fiscalité en augmentation,
et surtout la démagogie dévalorisaient et décourageaient le travail. Un credo
peu productif surpassait les valeurs de l’huile de bras, de la rigueur et de
l’équité. L’État était obsédé de s’enrichir, notamment pour nourrir les
citadins inactifs. Le pouvoir s’accaparait la consommation. Dès lors, les
fardeaux de l’État sur le travail et l’échappatoire des villes où se
concentrait la démagogie des subsides, déforçaient la production. La
lassitude s’emparait de la société romaine. Bien sûr, d’autres causes
toujours débattues expliquent le déclin économique de l’Empire romain. La
question demeure ouverte en notre XXIe siècle.

Le découragement du travail résultait aussi de l’érosion de la valeur des


pièces épargnées et thésaurisées sous l’effet de l’inflation des prix. Même
si cette cause était apparemment limitée durant les deux premiers siècles de
l’Empire selon le diagnostic historique, elle n’a pas dû ragaillardir
l’activité économique. L’inflation dévalorisait et donc décourageait le dur
labeur accompli pour épargner ou thésauriser, comme le travail au prix du
jour et rétribué à terme. De même, les ventes à terme, les contrats à
échéance et les investissements perdaient en rentabilité. L’inflation, ajoutée
aux perceptions des impôts et des taxes, rognait inexorablement les
bénéfices de ces opérations.

104
Les commerçants et les producteurs éliminaient sèchement les activités
les moins profitables. Personne n’a jamais aimé perdre le fruit de ses
efforts grignoté par le temps, sans moyen de conserver son revenu pour ses
vieux jours. L’inflation rognait année après année la valeur de la pièce de
monnaie. Peu d’alternatives subsistaient pour placer ses revenus et en
conserver la valeur, car l’épargne en banque rémunérée par des intérêts
compensant l’inflation était rarement possible, et les placements fonciers
excitaient l’appétit des impôts.

Même le producteur de biens manufacturés non encore découragé


trouvait moins de débouchés. L’inflation rongeait l’épargne des
consommateurs, et ceux-ci se repliaient inévitablement sur
l’approvisionnement en vivres. Dès lors, les autres producteurs se
contentaient également de travailler pour produire et consommer un
minimum vital. La production des uns n’était plus l’émulation de la
production des autres. Les effets pervers de l’inflation décourageaient
l’économie, même légèrement. L’Empire s’appauvrissait globalement en
partie par l’effet de l’inflation. Au contraire, la stabilité de la monnaie a
toujours été un excellent incitant de la production, de la consommation, et
donc de l’économie.

Multiplication retenue des pièces et inflation


modérée jusqu’au IIIe siècle apr. J. C.
Les analyses métallographiques des pièces retrouvées éclairent les
historiens quant à la dévaluation et donc à la multiplication des pièces.
C’était surtout à la fin du IIe siècle apr. J. C., que la dévaluation s’était
accrue à une époque de dépenses du gouvernement en hausse et
d’approvisionnement affaibli en or et en argent. Les pièces d’argent se
ternissaient à une valeur intrinsèque en métal précieux médiocre, mais
encore appréciable. Ainsi, vers 250 apr. J. C., le titre d’argent était tombé à
40 %. Les pièces d’argent s’étaient partiellement éloignées du bien-
intermédiaire de métal précieux pour se rapprocher de la monnaie « pure »
selon la valeur faciale des pièces.

Pour les pièces de billon, le coût de fabrication avait fini par rattraper
la valeur nominale de ces pièces sous l’effet de la lente inflation. Ces
pièces ont donc disparu dans la plupart des régions de l’Empire à la fin du
IIe siècle apr. J. C. pour ne persister que dans les régions proches de Rome.

105
Jusqu’à la fin du IIe siècle apr. J. C., l’inflation des prix indisposait plus
qu’elle paralysait l’activité économique. L’inflation modérée des Ie et IIe
siècles apr. J. C. était un désagrément mineur. L’inflation était une cause
secondaire du déclin économique des deux premiers siècles de l’Empire.
L’inflation était plus un symptôme d’une anomalie que le virus de la
décadence.

Par contre au IIIe siècle, l’inflation s’est dégradée en une préoccupation


majeure. Le poids de l’inflation sur l’économie s’est effectivement alourdi
pendant la « crise du IIIe siècle ».

106
La « crise du IIIe siècle » apr. J. C.

Déclin économique accentué au début du IIIe siècle


Dès la fin du IIe siècle, le déclin économique s’accélérait, surtout en
Italie. Les contre-incitants au travail s’additionnaient. Le découragement
affectait toutes les classes sociales. La production périclitait lentement et
périlleusement. Les campagnes italiennes étaient désertées, et de
nombreuses terres retournaient en friches. L’industrie, qui avait émergé
considérablement depuis Auguste, ne trouvait plus de débouchés suffisants
parmi les masses urbaines inactives.

Les revenus fiscaux des empereurs s’amenuisaient en proportion de la


baisse de production, surtout en Italie. L’Italie importait davantage des
autres provinces. Le mécontentement de celles-ci s’accentuait devant la
décadence aggravée de l’Italie. La collecte des taxes était contestée, peut-
être éludée. De plus, les provinces occidentales avaient elles-mêmes épuisé
leur croissance tirée par la « Pax Romana », le droit romain, et le

107
commerce entre provinces. L’économie de ces provinces occidentales
végétait également sans un appui bien senti des banques. Le système
bancaire avait peu évolué depuis la conquête romaine : toujours développé
en Orient, encore rachitique en Occident. Au IIIe siècle, les banquiers
avaient même déserté la campagne italienne. La banque accaparée par le
commerce n’avait rien à gagner si la production locale chutait. À l’autre
bout de la Méditerranée, l’économie égyptienne continuait de s’appuyer sur
une longue tradition bancaire, et elle montrait moins de signes
d’essoufflement malgré la légère inflation. Grâce aux banques, la
rémunération en intérêts des dépôts persistait dans l’Orient de l’Empire.
Ceci contribuait peut-être à cela.

La « crise du IIIe siècle »


Entre 235 et 284, une crise autant politique qu’économique emportait
l’Empire au bord du précipice. Les historiens parlent de la « crise du IIIe
siècle ». La confiance, le commerce et la production s’étaient fortement
dégradés. Les légions, dont la morale se perdait, ou les estomacs se
vidaient, harcelaient et extorquaient les civils, ce qui n’améliorait pas la
situation. Une épidémie de peste ajoutait au désarroi économique et
politique dans les années 240.

L’Empire fragilisé économiquement et politiquement était incapable de


supporter les charges militaires pour se défendre. Les barbares et les
pirates, surtout dans l’Occident, se ruaient pour écumer terres et mers. La
sévérité de la crise est difficilement estimable vu l’insuffisance d’écrits
préservés. Néanmoins, l’archéologie illustre la situation : l’époque voyait
des palissades et des fortifications s’ériger autour des cités et des villas.

Apogée de la multiplication des pièces vers 260


Le Trésor de l’État subissait la baisse des revenus fiscaux. Sans
possibilité d’emprunt à un système bancaire efficace, il ne restait que la
folle multiplication des pièces de monnaie. La multiplication des pièces
bondissait à son apogée avec l’empereur Gallien (260-268). Seules la
vitesse de refonte et la frappe manuelle des pièces limitaient encore la
multiplication. La frappe de pièces de billon encore en circulation dans la
région de Rome finissait par disparaître totalement sous Gallien, faute de
rentabilité. La multiplication s’est alors portée sur les pièces d’argent. La
dévaluation de l’argent-métal dans les pièces a été abrupte pour compenser

108
l’arrêt des frappes des pièces de billon. En un peu plus d’une décennie, le
titre d’argent-métal des pièces plongeait de 40 % peu avant 260, à 4 % vers
270. Les pièces d’argent s’étaient dégradées en des rondelles de bronze
enrobées d’une pellicule d’argent. Les nouvelles pièces dévaluées en argent
étaient de plus en plus rejetées. La confiance en ces nouvelles pièces
s’effondrait. La monnaie n’était plus ni d’or ni d’argent. Les pièces de
monnaie étaient très éloignées d’un bien-intermédiaire avec une valeur
intrinsèque. Elles n’étaient acceptées en paiement que parce qu’il fallait
bien se nourrir, sans les rejeter systématiquement. Alors, chacun payait en
mauvaise monnaie pour s’en débarrasser, sans la thésauriser. La circulation
de cette mauvaise monnaie s’accélérait pour acheter des vivres ou des
biens-intermédiaires.

Les pièces d’or non dévaluées étaient thésaurisées depuis longtemps


sous le matelas et circulaient à peine. Moins les pièces ont circulé, plus
concentrées elles ont été retrouvées par les archéologues. Ainsi, la
prédominance de l’or sur l’argent est nette en terme de valeur faciale dans
les magots enfouis ou égarés lors de débandades, et exhumés depuis le
XIXe siècle. Le ratio entre pièces d’or et d’argent, déjà fort détendu, se
disloquait au temps de Gallien, selon les historiens. Également, les pièces
d’argent de qualité étaient thésaurisées quand elles avaient échappé au
cycle des taxes et de la multiplication des pièces. La bonne monnaie,
conservée chez soi, disparaissait du circuit. Gresham a énoncé cette loi

109
monétaire au XVIe siècle, d’où l’appellation de « loi de Gresham » : « La
mauvaise monnaie chasse la bonne », car la bonne monnaie est conservée à
la maison quand la mauvaise circule, imposée en paiement.

Décollage de l’inflation après 260


Ce rejet des nouvelles pièces aggravait l’inflation de prix. La quantité
de pièces en circulation augmentait par les nouvelles frappes et par le rejet
des pièces médiocres hors des bas de laine. L’inflation se nourrissait
d’elle-même. Les biens-intermédiaires et le marché noir réapparaissaient
pour se couvrir de la mauvaise qualité des pièces. Ou alors, les vendeurs
négociaient à la hausse les prix en mauvaises pièces. Vendeurs et acheteurs
finissaient même par programmer l’inflation dans le calcul des prix. Les
clients perdaient confiance dans les nouvelles pièces de monnaie et les
dépensaient au galop pour éviter l’inflation. Par là, ils accéléraient
également l’inflation.

Les clients des banques et les créanciers voyaient fondre leurs avoirs
dissous dans l’inflation, car dépôts et prêts étaient chiffrés en valeur faciale
des pièces. En conséquence, la demande des épargnants et créanciers
dégringolait. À leur tour, les producteurs étaient incapables de vendre et
donc de rembourser leurs dettes, même réduites par l’inflation. Le
ralentissement économique commençait à se généraliser.

Les effets d’impôts injustes, de taxes élevées, et de la perfide inflation


s’accroissaient. Le cycle infernal de crise économique, démagogie, taxes et
inflation s’accélérait. La multiplication des pièces continuait jusqu’au vice
et à la décrépitude économique. À juste titre, l’abus de multiplication des
pièces par le gouvernement a été comparé à l’alcoolisme : soulagement
après une rasade, mais pire après la nuit. Alcoolisme de la multiplication
de la monnaie pour les empereurs ; malnutrition du déclin économique pour
la plèbe bannie par une industrie effrayée par la crise, la démagogie, les
taxes et l’inflation. En rien la production de biens n’augmentait quand les
pièces de monnaie étaient multipliées. Seuls les prix s’en ressentaient. Au
bout du compte, l’État faux-monnayeur était pénalisé par des revenus
fiscaux à la baisse, en termes réels et proportionnels aux biens.

Crise monétaire et bancaire vers 265

110
Les crises des paiements avaient été partiellement éludées depuis Néron
en multipliant la monnaie, alors d’or et d’argent fin. Vers 265, une crise des
paiements resurgissait avec une monnaie rejetée par le mauvais aloi des
pièces et par l’inflation des prix. Les crises des paiements par manque de
monnaie, comme décrites au début de l’Empire, s’étaient muées en une crise
économique et bancaire par excès de monnaie. Jamais contents, ces
Romains !

Le système bancaire, déjà érodé par des décades de perte de confiance


et d’évaporation du désir d’emprunt, a même été temporairement suspendu
après la culbute des clients faillis. Cette crise du IIIe siècle a signifié une
coupure profonde pour les métiers bancaires et financiers. Dès la fin du IIIe
siècle, la thésaurisation des bonnes pièces prenait en partie la place de
l’épargne dans les banques vacillantes et à peine remises de la crise
bancaire.

Sauvetage militaire de l’Empire financé par…


la surmultiplication des pièces
L’empereur Aurélien (270-275) a sauvé l’Empire de la dislocation par
ses victoires militaires sur les insurgés ou les envahisseurs. Par contre, il
n’a pas résolu la crise économique. Au contraire, il a traficoté encore plus
le système monétaire, et a frappé de nouvelles pièces avec une
dénomination faciale qui équivalait à 2,5 fois la valeur des anciennes
pièces… toujours presque sans argent-métal. Chaque frappe au marteau
rapportait 2,5 fois plus. La rentabilité de la production manuelle restaurée,
Aurélien a repris la multiplication de plus belle. Aurélien est ainsi le
premier personnage de l’Histoire à avoir financé son gouvernement par la
« planche à monnaie », en ajoutant quelques chiffres à la valeur faciale de
la monnaie.

111
L’inflation des prix décollait avec ces nouvelles pièces en paiement.
Dès Aurélien, l’inflation est devenue rampante jusqu’à la chute de l’Empire.
De cause mineure de la déglingue économique, l’inflation s’était muée en
une cause majeure de la décadence. L’inflation galvaudait les avantages de
la monnaie : compter avec un étalon stable, acquitter les paiements, et
surtout postposer la dépense en épargnant à pouvoir d’achat égal. Sous
Aurélien, le commerce en pièces de monnaie s’arrêtait partiellement. Le
troc et autres biens-intermédiaires réapparaissent pour acquitter les
paiements. L’usage des pièces, pourtant si répandu, cédait la place à
d’autres monnaies ou au troc pour assurer le minimum vital. Peut-être
continuait-on à compter en pièces, mais on les acceptait moins volontiers
pour acquitter les paiements, ou alors à un prix en pièces surévalué en
prévision de l’inflation. L’économie était en plein chaos, surtout à
l’Occident de l’Empire. Le retour en friche des cultures s’accentuait par
manque de débouchés commerciaux ou par la hantise des raids barbares.

112
Fiasco de la résorption de l’inflation à la fin du IIIe siècle
apr. J. C.

Échec de la réforme monétaire pour mater


l’inflation
L’économie de l’Empire dépérissait grièvement à la mort d’Aurélien. La
baisse de la production combinée avec la hausse de la quantité de monnaie
en circulation avait multiplié les prix par 10 entre 256 et 280. Le cercle
vicieux inflation, démoralisation et baisse de la production pour encore plus
d’inflation continuait.

L’empereur Dioclétien (284-305) a alors entamé des réformes


monétaires profondes pour mettre un terme à la crise politique et
économique. Il a redéfini les normes des pièces. Il a frappé de nouvelles
pièces d’or et d’argent quasi pures. Les butins des nouvelles conquêtes de
Dioclétien y ont vraisemblablement contribué. Des pièces de bronze
divisionnaires des nouvelles pièces d’or et d’argent ont été également mises
en circulation. Les nouvelles pièces d’un titre et poids d’or ou d’argent
précis étaient à nouveau proches d’un bien-intermédiaire.

Au grand désespoir et à la grande stupéfaction de Dioclétien, l’inflation


continuait après l’introduction des nouvelles pièces. Dioclétien avait certes
injecté de bonnes pièces dans l’économie, mais il avait par là augmenté la
quantité de monnaie en circulation. En fait, les nouvelles pièces de
Dioclétien étaient thésaurisées à la place de pièces de moindre qualité qui
étaient remises en circulation. L’inflation des prix en pièces continuait
devant la baisse de production et le rapide rejet des mauvaises pièces en
circulation. Peut-être un marché noir se développait en marge de la
production officielle payée avec les pièces des soldats et des
fonctionnaires. Au contraire d’une taxe que l’on peut suspendre par un
simple décret, l’inflation avait créé un effet boule de neige incontrôlable.
L’inflation continuait irrésistiblement. Le rejet de la mauvaise monnaie et
l’inflation des prix s’aggravaient. Les empereurs avaient été impénétrables
aux travers de leur rituel monétaire. Après tout, les frappes de pièces de
monnaie étaient une institution séculaire pour contribuer au financement de
l’Empire.

113
Échec de « l’édit des prix » pour geler l’inflation
Dioclétien a alors pondu et promulgué son mémorable « édit des prix ».
Il établissait des prix maximums des transactions pour contrôler l’inflation
des prix des paiements en pièces. Les Romains encouraient la peine de mort
en cas de dépassement de ces prix plafond.

L’initiative s’est soldée par un échec cuisant pour terrasser l’inflation.


Les commerçants comme les fabricants dissimulaient leurs marchandises.
Le marché noir s’est développé malgré la menace des sanctions. Pourquoi
vendre à bas prix le jour, si l’on peut vendre à bon prix la nuit ? Les
fabricants et les marchands vendaient uniquement à leurs fidèles clients et à
un prix honorable. Dès lors, les biens vendus aux prix officiels se
volatilisaient contrairement à la quantité de pièces en circulation. Pour
survivre, les clients étaient obligés d’acheter la nuit les biens retirés des
échoppes du jour. Les prix du jour ont fini par s’aligner sur les prix de la
nuit, et sur l’inéluctable inflation. Et l’inflation n’a pu être contenue.

114
L’inflation contournée pour redresser l’Empire au IVe siècle
apr. J. C.

Réforme fiscale de Dioclétien


Parmi les réformes de Dioclétien, la grande réussite a été la révision du
système fiscal. Pour contourner l’inflation des prix en pièces, la fiscalité
était collectée en nature. Le montant des taxes et réquisitions en nature était
estimé comme pour l’économie de redistribution, ou pour un budget
moderne. D’une part, les besoins étaient supputés pour payer les armées et
subvenir aux grandes villes. D’autre part, la production était estimée en
fonction des récoltes, de la région, et d’autres critères. Le tout était chiffré
en unités fiscales, plutôt qu’en pièces de monnaie. Ces unités étaient
mesurées par individu pour les besoins, tandis que pour les ressources,
elles étaient déterminées selon les terres, l’équipement, la saison et d’autres
facteurs. Malgré sa complexité, ce système a augmenté les revenus de
l’empereur. Il a aussi amélioré l’équité fiscale, ce qui rendait moins
insupportables les charges réclamées pour les armées et l’administration.
Les taxes en nature remplaçaient les grandes transactions en pièces de
monnaie entre les provinces et Rome. Le fameux « édit des prix » a servi au
bouclage des budgets de cette fiscalité en nature.

Le système a remis d’aplomb les secteurs cruciaux de l’agriculture, des


armées et de l’administration. L’administration et l’armée étaient
restructurées loin de l’inflation pour garantir à nouveau la bonne marche et
la défense de l’Empire. Le commerce s’est récupéré en partie avec la paix
et la stabilité retrouvées. L’Empire en a été rafistolé pour un siècle.

Retour partiel de la circulation des pièces d’or ou


d’argent sous Constantin
L’empereur Constantin (306-337) a prolongé la vague de réformes de
Dioclétien. Il a créé un système monétaire parallèle fondé sur la frappe de
nouvelles pièces de qualité en titre et en poids d’or, et dans une moindre
mesure d’argent. Cette fois, aucune conversion fixe n’était assurée entre les
nouvelles et les anciennes pièces. Les valeurs de change entre les nouvelles
et les anciennes pièces variaient selon le bon vouloir des changeurs de rue.
Le poids intrinsèque en once d’or et once d’argent comptait seul à nouveau

115
pour ces nouvelles pièces. Constantin avait obtenu l’or de ses conquêtes en
Orient, et des confiscations hors des temples déclarés païens après sa
conversion au christianisme.

L’usage de bonnes pièces d’or et d’argent nouvellement frappées a été


instauré pour les paiements des charges de l’administration et les soldes des
armées. Ces secteurs échappaient ainsi à l’inflation des prix en mauvaises
pièces. Les taxes devaient être acquittées en ces nouvelles pièces, ou en
onces d’or ou d’argent. Cette mesure fiscale s’appliquait surtout aux
fonctionnaires. Pour l’économie privée en prise avec l’inflation, les pièces
ont été volontairement non pesées et comptées largement lors des rentrées
fiscales. La paix et la stabilité continuaient à favoriser la reprise du
commerce sous Constantin.

L’inflation des prix selon les valeurs nominales des anciennes pièces
n’était pas apaisée du tout. Les nouvelles pièces de monnaie s’ajoutaient et
ne remplaçaient pas les anciennes pièces détériorées et dévaluées. De plus,
les mines impériales continuaient à produire de l’or et de l’argent. Enfin,
les frappes de pièces selon les anciennes normes frelatées de poids et de
titre n’ont jamais vraiment cessé durant et après le règne de Constantin.

Cette inflation des prix en pièces aux anciennes normes touchait


essentiellement la plèbe qui manipulait ces pièces. La charge de l’inflation
était donc injuste, car elle affectait principalement les plus pauvres. De fait,
les pauvres continuaient de recevoir la mauvaise monnaie en paiement. Il
était impensable de refuser un paiement en pièces altérées quand l’estomac
criait famine.

116
La plèbe se prémunissait difficilement contre l’inflation conséquente à
la multiplication des pièces. Pas de temps à perdre à courir épargner,
vérifier, et changer si nécessaire, chaque pièce de monnaie après chaque
paiement. Impossible de fouiner partout pour se débarrasser de chaque
mauvaise pièce de monnaie contre une valeur refuge, un bien-intermédiaire,
ou une autre monnaie. Par la suite, l’Histoire a montré qu’il faut une
inflation bien plus forte que celle dans laquelle surnageait la plèbe romaine,
pour voir l’ensemble des gens en revenir intégralement au troc. Même dans
un tourbillon d’inflation, la monnaie garde longtemps ses avantages sur le
troc. La plèbe ne pouvait que dépenser les pièces et agiter encore plus la
circulation de la mauvaise monnaie, donc l’inflation et les convulsions de
l’économie. La situation était inextricable pour la plèbe. Et tandis que la
plèbe s’enfonçait dans l’inflation, les placements fonciers ou en pièces d’or
fin des classes aisées s’appréciaient par rapport aux prix en pièces
dévaluées.

Chute de l’Empire d’Occident au Ve siècle apr. J. C.


Un siècle après le règne de Constantin, économiquement à peine plus
avancé que quatre siècles auparavant, incapable de maintenir et d’équiper
ses armées correctement, l’Empire d’Occident chutait enfoncé par la
pression montante des barbares qui ont déferlé dans les invasions du Ve
siècle. L’Occident s’est disloqué en quelques décennies tandis que l’Orient
épargné par la décadence s’est maintenu avec Byzance… et autour d’un
solide système monétaire.

117
Coïncidence : L’Empire romain a chuté aussi
sur des obstacles monétaires.

Pour certains, la cause principale de la chute de l’Empire d’Occident


était la crise politique, religieuse et sociale interne qui a mené à la
démagogie, à la décadence et à un enchaînement de désastres politique et
économique suivis de rétablissements incomplets. Les codes mal définis de
successions des empereurs avaient généré trop de guerres civiles. La crise
religieuse due à la rencontre de tant de religions dans un Empire si vaste,
avait favorisé l’irruption de sectes qui avaient fragilisé l’unité politique.

Pour d’autres, les barbares, acculés par les migrations des Huns, ont
accentué leurs coups de boutoir. Pourtant, l’Empire d’Orient, avec les
forces vives romaines regroupées autour de Constantinople, a subsisté
pendant mille ans. Byzance a survécu avec le système monétaire stable de
Constantin et avec une tradition bancaire prospère et antérieure à Rome.
Byzance s’est longtemps arc-bouté devant la poussée des Arabes puis des
Turcs jusqu’à la chute de Constantinople au XVe siècle. Le monde arabe
lui-même a fleuri en laissant intacte l’administration byzantine des pays
conquis avant de plier devant les Turcs Seldjoukides puis Ottomans.

118
Depuis quelques décennies, des chercheurs explorent l’histoire hors du
cadre étroit de la philologie. Dans cette optique, une nouvelle thèse de la
désintégration de l’Empire romain a été avancée notamment par Moses
Finley. Selon Finley, l’écroulement de l’Empire romain d’Occident était
inéluctable par son incapacité à franchir le seuil de l’industrialisation ; et en
ce sens, maintenir une longueur d’avance technique sur les tribus barbares.
L’organisation et l’exploitation des forces productives butaient sur les
limites du savoir romain. Le système monétaire déficient n’est certainement
pas étranger à cet échec. Les Romains se sont leurrés avec la frappe de
pièces de monnaie. Les pièces acquittaient tous les achats, donc les pièces
apparaissaient comme la seule richesse. Tragique méprise, car la vraie
richesse est en biens, pas en pièces de monnaie ! Les Romains ont multiplié
les pièces de monnaie sans réexaminer le système monétaire, fiscal et
économique. Le système monétaire s’essoufflait au maximum de ses
capacités, sans possibilités de financement des investissements dans la
production industrielle. Des techniques disponibles pour une utilisation
industrielle existaient bien. Le savoir des penseurs, artisans et ingénieurs
englobait déjà l’architecture des aqueducs, la mécanique des catapultes, la
métallurgie des armes, le tissage du lin, les mathématiques, etc.. Mais le
talon d’Achille était le système monétaire qui signifiait des banques
orientées vers le commerce et des pièces frappées pour couvrir les
dépenses stériles de l’État, et non pour financer des investissements.
L’Empire d’Occident était ainsi resté essentiellement agricole. Presque
aucune ville romaine ne s’était développée autour de l’industrie. L’Empire
d’Occident n’a pas su franchir l’étape économique suivante :
l’industrialisation. Au contraire, le chômage et la décadence ont gangrené
l’Empire. Les peuples de l’Empire d’Occident sont passés d’un niveau qui
égalait celui de l’Europe du XVIIe siècle, à la quasi-préhistoire du Moyen
Âge.

119
Comment aurait-il fallu faire ? Tout Empire est-il voué à chuter à
l’instar de Rome ? Non, car le palier économique supérieur a été atteint
dans les Temps modernes. D’abord, la Renaissance a initié la pratique des
prêts à l’État accordés pour une relative stabilisation de la trésorerie en
pièces de qualité. Ensuite, la Révolution industrielle a été financée par le
déclic de techniques monétaires audacieuses pour assurer le décollage de la
production industrielle.

120
3. Manque récurrent
de pièces de monnaie
du Moyen Âge à la Renaissance

121
Circulation des pièces en Occident du VIIe au XIIe siècle

Sans pièces de monnaie ni banques depuis la chute


de Rome
Dans les siècles immédiatement postérieurs à la chute de Rome, une
économie de redistribution à l’image du début de l’Antiquité régissait la vie
des envahisseurs barbares, du moins à l’intérieur du village ou du territoire
contrôlé. De fait, les nouveaux immigrants ne nécessitaient aucune
organisation de financement charpentée sur une fiscalité en pièces de
monnaie de hautes et de basses dénominations. Ces peuplades n’avaient ni
armée, ni administration, ni infrastructure publique. Elles n’avaient aucune
ville axée sur le commerce, juste des villages qui subsistaient d’agriculture,
d’élevage et parfois de troc avec le monde extérieur. Le commerce était
moins fréquent que les pillages du voisin en cas de disette. Près d’un
millénaire allait s’écouler avant d’égaler l’efficience économique,
administrative, fiscale et donc monétaire de l’Empire romain.

L’or et l’argent n’étaient pas abandonnés pour autant par les


envahisseurs déjà familiers avec les pièces de l’Empire déchu. L’or et
l’argent gardaient toute leur valeur aux yeux des nouveaux venus. Ceux-ci
ont ratissé les pièces d’or et d’argent dans les débris calcinés de l’Empire
romain d’Occident. Les nouveaux maîtres des lieux ne voyaient pas les
pièces comme de simples trophées. Ils considéraient les pièces et les
lingots d’or et d’argent comme des biens-intermédiaires à échanger à
l’extérieur de la communauté. Ils utilisaient les pièces au poids pour
acquitter des transactions importantes. Les nobles et les évêques
thésaurisaient les pièces à cette fin commerciale. Des frappes de pièces
d’or et d’argent ont exceptionnellement eu lieu. Ces frappes rendaient le
commerce contre les biens de luxe d’Orient plus commode qu’avec des
lingots difficilement divisibles.

122
À l’Orient, l’Empire byzantin s’était maintenu avec une économie
florissante. Elle drainait l’or et l’argent vers Constantinople. Aucun bien
d’Europe occidentale, autre que l’or et l’argent, n’intéressait l’Orient.
Ainsi, les réserves d’or et d’argent s’évaporaient d’Occident en faveur de
l’Orient. Cet afflux contribuait au maintien du système monétaire byzantin
basé sur l’or. Plus tard, Byzance a connu son apogée vers l’an mil. Sur le
même héritage administratif issu de Rome, le monde musulman est venu
rivaliser avec Byzance. Un système monétaire similaire y était conservé
avec des pièces d’or et des sous-multiples d’argent, ainsi que des banques.
Le Califat de Cordoue culminait également à son zénith au Xe siècle, quand
l’Occident n’en terminait pas de se relever du néant politique, économique,
et aussi monétaire.

Retour des paiements en pièces de monnaie


au VIIe siècle
Dès le VIIe siècle, de nouvelles dynasties domptaient la pagaille en
Occident. À nouveau, une certaine organisation surgissait en certains lieux.
Des villes sortaient de terre notamment grâce au commerce et aux taxes
pour financer l’administration, les armées et les fortifications. Les taxes
étaient collectées en nature aux portes des villes. Également, les marchés,
les foires et le commerce renaissaient comme dans l’Antiquité. Le

123
commerce et la fiscalité insufflaient un besoin de numéraire. Le clergé
encensait aussi l’usage de pièces pour faciliter la collecte de donations. À
l’instar des rois de l’Antiquité, il s’accaparait l’or pour les ciboires,
calices et chandeliers de ses églises. Au VIIe siècle, des nouvelles pièces
étaient ainsi frappées en argent plus disponible que l’or.

Au VIIIe siècle, les Carolingiens instauraient une nouvelle pièce


d’argent : le « denier ». Cette pièce d’argent allait demeurer le ferment
monétaire du Moyen Âge. Parallèlement, l’or a longtemps circulé au poids,
ou a été frappé comme médaille pour les cérémonies avant d’être monétisé.
L’or et l’argent n’étaient pas encore liés par un ratio fixe, comme dans
l’Antiquité. La pièce d’argent était la seule référence. L’or n’était qu’un
bien-intermédiaire relatif à la pièce d’argent.

Les Carolingiens parvenaient à maintenir la circulation de leurs pièces


d’argent par la taxation et par la production des mines d’argent dans l’ouest
de la France. Les balbutiements du commerce équilibraient les flux d’or et
d’argent avec l’Orient et le monde arabe. Cependant, au IXe siècle, l’or et
l’argent se faisaient rares. Les quelques mines en activité ne compensaient
plus la fuite de l’or et de l’argent vers l’Orient ou les exigences de tributs
par la déferlante d’assaillants vikings. La frappe de pièces d’argent
déclinait. Enfin, au Xe siècle, l’expansion de l’Europe par la
christianisation et la colonisation vers l’est a conduit à la découverte de
mines d’argent dans les montagnes Harz de l’actuelle Allemagne. La frappe
et l’usage des pièces d’argent étaient relancés.

Aux Xe et XIe siècles, ces deniers d’argent se sont même répandus dans
l’Empire germanique, la bohème, la Hongrie, la Pologne, les pays
scandinaves, et enfin dans l’ouest de l’Europe de la féodalité. Ces pièces
d’argent étaient propagées par le commerce qui renaissait dans toute
l’Europe. Bien sûr, les pays sans mines d’argent devaient faire un effort
supplémentaire pour acquérir les pièces d’argent. Le jeu des pièces en
valait la chandelle. Comme toujours, la circulation des celles-ci facilitait le
comptage pour commercer, l’acquittement des paiements, et la
thésaurisation par besoin de sécurité. L’exploitation des mines représentait
aussi un effort considérable même s’il était largement rentable.

Vers la moitié du XIe siècle, les mines d’Allemagne ont fini par
s’épuiser. Néanmoins, la circulation des pièces d’argent s’est maintenue en

124
Europe. La balance commerciale avec Byzance et le monde arabe basculait
cette fois en faveur de l’Europe, quand l’arrivée des Turcs déforçait
l’Orient dès le début du XIe siècle, et quand l’Occident avait dépassé le
creux de l’an mil.

Pièces variées de la féodalité du Xe au XIIe siècle


Du Xe au XIIe siècle, la variété de pièces découlait des divisions
territoriales de la féodalité et du recyclage très localisé des pièces rendues
méconnaissables par l’usure. Pour se défrayer des charges de refonte,
d’étalonnage et de frappe, le potentat local prélevait la taxe du
« seigneuriage ». Le prélèvement du seigneuriage a commencé dès Pépin le
Bref, selon certaines sources historiques.

Souvent, les évêques et les suzerains ont ponctionné ce seigneuriage


pour eux-mêmes, plus que pour couvrir les coûts de frappe. De fait, le
seigneuriage était une ressource importante de pièces d’argent pour les
États. L’organisation fiscale était moins développée que celle de l’Empire
romain très axée sur la monnaie. Sans pièces en suffisance, la fiscalité était
souvent collectée en nature sous forme de « taille ». Ces tailles étaient
cependant impropres à payer les mercenaires, les tributs ou les rançons. La
pression pour obtenir de l’or et de l’argent était importante. Le seigneuriage
variait ainsi d’une ponction nulle… jusqu’à l’excès. L’on cite des
seigneuriages de plus de la moitié de l’argent-métal en cas de crise ou
d’urgence.

Pour mieux profiter du seigneuriage, les refontes étaient souvent


généralisées à l’intégralité des pièces en circulation, et répétées à intervalle
régulier par les autorités. Le seigneuriage était prélevé sur toute matière
d’argent thésaurisée ou en circulation sous forme de pièces ou de lingots.
Après la refonte et la frappe, les anciennes pièces étaient simplement
remboursées contre un nombre inférieur de pièces neuves en argent, et la
différence de poids d’argent-métal était la ponction du seigneuriage.

125
Les pièces changées étaient normalement d’un titre et poids d’argent
légaux, mais des dévaluations plus ou moins discrètes ont existé. La
ponction était alors double, par le seigneuriage et par la dévaluation
coupable en poids ou en titre. Une limite existait à cette ponction : les
nouvelles frappes devaient produire des pièces recevables par les
détenteurs d’anciennes pièces. Sinon, les pièces risquaient de disparaître
vers d’autres cieux plus cléments avant la refonte suivante. L’empreinte
faciale des pièces variait avec chaque refonte pour tenter de forcer l’apport
des anciennes pièces. L’on n’aimait pas non plus de voir des effigies
d’adversaires politiques sur les pièces locales. Dès lors, les frappes de
pièces féodales étaient variées, quasi anarchiques et d’une qualité inégale.
Au fil des refontes, nombre de pièces avaient perdu en brillance, en taille
ou en épaisseur. Par exemple, vers 1160, le denier se composait de 1,3 g
d’argent fin en Angleterre, mais seulement de 0,05 g à Venise. Le titre
d’argent était de 92,5 % en Angleterre, et fondait à 20 % à Barcelone.

126
Pièces de monnaie transmutées au XIIIe siècle

Nouvelles pièces d’argent et d’or diffusées par le


commerce
À la fin du XIIe siècle, de nouvelles et fabuleuses mines d’argent étaient
découvertes en Europe de l’Est. Suite à cette découverte, des nouvelles
pièces d’argent se répandaient par le commerce. En France, signe
d’abondance de numéraire, une très légère inflation des prix en pièces
d’argent se manifestait dès 1200, et jusqu’en à 1320 voire au-delà, selon les
historiens. Ces mines très productives ont contribué à établir la pièce
d’argent comme monnaie universelle dans toute l’Europe. L’argent
triomphait comme référence monétaire centrale pendant plusieurs siècles
avant l’usage exclusif de l’or. Depuis, le mot français « argent » désigne
effectivement la monnaie.

Dès le XIIIe siècle, les mines fournissaient assez d’argent pour frapper
de nouveaux multiples de forte valeur des pièces d’argent. Ces pièces
représentaient souvent 12 derniers d’argent. Elles s’appelaient « gros » en
France ou « grosso » en Italie. En Angleterre, le « groat » valait 4 derniers
ou 4 « pennies » (traduction du dernier en anglais). La profusion d’argent-
métal autorisait également la frappe de pièces divisionnaires ou des
subdivisions du denier d’argent. Des pièces de demi ou de quart de denier
étaient frappées en argent malgré une faible rentabilité due au coût de la
frappe. Ces pièces d’argent de petites valeurs ont aidé à populariser l’usage
de la pièce de monnaie dans les différentes couches sociales. Le troc
pénible reculait. La frappe de petites pièces pour toute transaction était
également préférée au crédit pour couvrir l’attente d’une grosse pièce. Les
interdits religieux médiévaux contre les intérêts prélevés sur les prêts
expliquaient en partie cela. Occasionnellement, la taxation s’effectuait en
pièces plus appréciées qu’une ponction en nature. Mais au XIIIe siècle,
l’usage de la pièce de monnaie n’avait pénétré les us et coutumes que de
manière encore relative. Les taxes en nature étaient encore la règle, comme
avec la « taille ». Les gouvernants payaient encore leurs gens en terres,
plutôt qu’en pièces de monnaie. Les armées étaient encore levées par
simple conscription parmi le peuple. Il n’y avait pas de pièces disponibles
en suffisance pour payer les mercenaires. L’organisation économique et la

127
fiscalité étaient bien en deçà de celles de l’Empire romain avec la fiscalité
et les dépenses généralisées en pièce de monnaie.

Dès la moitié du XIIIe siècle, des nouvelles pièces d’or ont également
commencé à se répandre dans toute l’Europe. Ces pièces provenaient des
échanges commerciaux des villes d’Italie comme Gènes, Florence, et Pise.
Ces villes capturaient l’or en provenance des mines du Soudan et d’Afrique
de l’Ouest et commercé par le Sahara et le monde arabe. Ensuite les pièces
frappées avec cet or se répandaient par le commerce vers le nord. À partir
du Haut Moyen Âge, le « florin » d’or était une pièce appréciée. Florence
était renommée pour frapper des pièces de bonne facture au contenu d’or
garanti. Le « ducat » vénitien a eu un franc succès similaire. Ces pièces
réputées étaient acceptées pour les paiements à leur juste poids de métal
précieux.

Ces nouvelles pièces d’or et d’argent étaient toujours appréciées pour le


commerce, comme pour satisfaire la demande de thésaurisation. Dans la
féodalité, les seuls deniers d’argent en circulation n’avaient pas suffi à
satisfaire la demande comme outils de paiement et de sécurisation de
l’épargne. Ces nouvelles pièces ont calmé la demande frustrée par le
manque de pièce de monnaie. L’apport massif d’argent et d’or a contribué à
la grande période d’expansion commerciale et économique dès la moitié du
XIIe et au long du XIIIe siècle.

Bimétallisme et ratio or-argent modifiable


Au XIIIe siècle, et pour la première fois depuis l’Antiquité, un système
monétaire bimétallique était lentement réintroduit. Cependant, l’argent-
métal constituait encore la base monétaire de toute comptabilité officielle.
Les pièces d’or étaient frappées à une valeur fonction de l’argent. Les
pièces d’or pouvaient être converties en pièces d’argent auprès des
changeurs de rue. Initialement, le ratio or-argent a fluctué selon les lois du
marché, les joyeuses dévaluations des pièces d’argent, une découverte de
mines d’or, une fuite de pièces par le commerce, ou en sens inverse, un
apport d’or ou d’argent. Contrairement à l’Antiquité, aucun monopole sur
les mines n’existait. Les autorités étaient incapables de réguler les quantités
des métaux précieux en circulation.

128
Au cours des siècles suivants, les Hôtels de la Monnaie ont
progressivement garanti un ratio bimétallique fixe. Le ratio ambitionnait la
continuité du change des pièces d’or en pièces d’argent afin de faciliter tout
paiement métallique, notamment pour la taxation. Ce ratio était d’environ
une once d’or pour quinze onces d’argent. Le ratio a été modifié selon les
nécessités. La révision du ratio consistait le plus souvent en une dévaluation
légale des pièces de l’un des deux métaux. L’Hôtel de la Monnaie allégeait
les pièces du métal manquant par révision à la baisse du poids ou du titre
des nouvelles pièces. Par exemple, si l’or se raréfiait, le ratio officiel
proche de 1 grain d’or pour 14 grains d’argent, se décalait vers 1 pour 15.
La refonte générale d’une pièce pouvait modifier celle-ci de 1/30 à 1/32 de
marc d’or. À titre non modifié, les pièces d’or rapetissaient. Le nouveau
ratio rééquilibrait les quantités de pièces d’or et de pièces d’argent en
circulation malgré la déperdition d’un des deux métaux. Les possesseurs
des pièces conservaient habituellement leurs poids d’or ou d’argent lors du
change de la refonte. Selon l’exemple précédent, l’Hôtel de la Monnaie
changeait 30 florins d’or anciens contre 32 florins d’or nouveaux. En tenant
compte du seigneuriage, les nouveaux florins changés étaient plus souvent
au nombre de 31. Quelques pièces divisionnaires complétaient l’échange
des florins si nécessaire. Les dévaluations étaient plus fréquentes que les
réévaluations. Les princes allaient en général dans le sens d’une

129
multiplication consentie de la quantité de pièces d’or ou d’argent.
L’éventuelle inflation des prix conséquente à la multiplication était
négligeable, car les pièces continuaient d’être très demandées. Ces
révisions du ratio n’étaient pas sans problèmes. Des tâtonnements et des
ratages célèbres ont caractérisé les oscillations du ratio pendant des
siècles. Les chapitres suivants reviendront sur les accidents du ratio or-
argent.

Changeurs-essayeurs toujours plus vigilants


Dès le XIIIe siècle, l’expansion progressive du commerce renforçait le
rôle de la pièce de monnaie. Naturellement, l’apparition des changeurs-
essayeurs accompagnait son développement. Ils usaient des mêmes
pratiques et techniques que dans l’Antiquité. Bien sûr, les changeurs
proposaient un change compétitif en agios par rapport à celui offert par
l’Hôtel de la Monnaie.

Dès la fin du XVe siècle, les frappes commençaient à utiliser la presse à


vis. Les pièces produites étaient plus régulières en poids et en dimensions.
Une balance de précision, le « trébuchet », était élaborée pour déterminer
la densité en or de ces pièces uniformes. La densité de l’or était
suffisamment plus élevée que celle du cuivre, de l’argent, ou que tout
fourrage par un noyau. Cette méthode convenait de surcroît pour toute pièce
ou lingot d’or allié avec n’importe quel métal de moindre valeur et
systématiquement plus léger que l’or. Cette vérification a remplacé la pierre
de touche pour tester les pièces d’or. Dans les siècles suivants, plus la
frappe s’est améliorée, plus la fausse monnaie trop grossière était
contrecarrée.

130
Au même XVe siècle, la vérification du titre du lingot ou de la pièce
d’argent était possible, contrairement à l’Antiquité. Le test métallurgique
« de la coupelle » était élaboré. Quelques copeaux de la pièce d’argent
polémique étaient fondus avec une quantité déterminée de plomb dans une
coupelle chauffée dans un four. Le plomb fusionnait avec le cuivre et
précipitait sous l’argent. Le pesage au trébuchet de l’argent pur refroidi et
gratté de l’alliage au plomb déterminait la différence de poids et donc le
titre des copeaux d’argent. Un essai similaire existait pour vérifier le titre
de l’alliage or-cuivre. Après l’ajout d’argent pur, suivait une recette de
séparation de l’or bien compliquée. Cette méthode ardue était moins utilisée
que l’estimation de la densité par simple pesage et mesurage de n’importe
quel alliage d’or.

Vers des pièces de qualité et un seigneuriage modéré


sous l’emprise du change
Les commerçants et les changeurs réclamaient des pièces de bon aloi
pour faciliter le commerce et le change lors des foires et marchés. Si un
commerçant ou un changeur doutait de la pureté d’une pièce, il se protégeait
d’une éventuelle perte de métal en sous-évaluant la teneur en or ou en
argent. Par contre, le prix était plus raisonnable en pièces concurrentes ou
étrangères réputées. Cette pratique de spéculer sur la piètre valeur d’une
monnaie est restée intemporelle, de l’Antiquité aux Temps modernes.

131
Par l’alternative du commerce et du change étranger, les changeurs
locaux pouvaient éviter l’Hôtel de la Monnaie diffamé pour son
seigneuriage élevé ou pour ses pièces dépréciées en cas de besoin de
change de pièces d’or en pièces d’argent. Une once d’or devait être changée
contre au moins quatorze onces d’argent, et pas treize. Le seigneuriage
devait aussi porter sur une ponction tolérable d’une pièce hors de vingt ou
trente changées, soit à peine quelques pour cent de prélèvement. En cas de
manquement à un change honnête ou à un seigneuriage modéré, les pièces à
changer disparaissaient vers d’autres cieux plus cléments. Les foires et les
marchés menaçaient aussi de se déplacer. Des cas ont été cités où les
commerçants choisissaient d’exporter contre de meilleures pièces
étrangères. Comme du temps de la Grèce antique, la concurrence des pièces
étrangères était latente. En conclusion, un change défavorable ou un
seigneuriage excessif amputait les revenus de l’Hôtel de la Monnaie.
Comme le précisait Montesquieu : « Le change gêne les États despotiques ».
L’once ou le marc de métal précieux conservait son statut de référence
universelle.

Dès lors, la qualité des frappes s’améliorait dans le Haut Moyen Âge.
En Italie et aux Pays-Bas, là où l’expansion du commerce était la plus
marquée, les pièces d’argent ont été restaurées à un titre fin. Les mines

132
découvertes au XIIIe siècle ont également favorisé une meilleure qualité des
pièces d’argent, comme ensuite les nouveaux tests de l’argent et de l’or, et
comme enfin les périodes de paix et de commerce. Même les pièces
divisionnaires étaient équitablement frappées au poids d’argent-métal
spécifié sur la face. En Angleterre, le titre d’argent était conservé, et des
pièces de petite valeur nominale étaient apparues avec des dimensions si
réduites qu’elles étaient délicates à manipuler. Dans d’autres pays, les
pièces de petite valeur faciale gardaient des dimensions manipulables, car
seul le titre d’argent-métal diminuait pour une même taille respectable des
pièces. L’alliage avec une bonne dose de cuivre noircissait les pièces
d’argent de basse dénomination. L’on parlait d’« argent noir ». Ces pièces
d’argent noir avaient néanmoins la quantité d’argent supposée. Si une
différence existait, elle ne dépassait pas la quantité d’argent-métal supposée
de plus de 10 ou 20 %.

Le Moyen Âge ne connaissait pas l’existence de pièces de billon, selon


les historiens. Des pièces sans argent-métal étaient impensables, au
contraire de l’Empire romain. La méfiance aurait été trop forte par rapport
aux pièces de billon, même échangeables contre une fraction de pièce
d’argent de bon aloi. La frappe grossière des pièces proscrivait le
billonnage trop imitable. Les métaux précieux signifiaient encore un bien-
intermédiaire plutôt qu’une monnaie. Au XIIIe siècle, les contrats
commerciaux commençaient à peine à préciser des prix en valeur faciale
des pièces plutôt qu’en poids d’or ou d’argent, sous l’influence de
l’amélioration de la qualité en or et en argent des systèmes monétaires. Un
pas plus près de la pièce de monnaie, un pas plus loin du bien-intermédiaire
de métal précieux. L’existence de pièces de billon se rapprochait.

Unification progressive des systèmes monétaires


royaux
Dès le XIIIe siècle, en plus de vérifier la teneur d’or et d’argent des
pièces, les commerçants se plaignaient de la variété des pièces de la
féodalité, au contraire des changeurs qui en bénéficiaient. Sous le poids du
rôle accru de la monnaie, du commerce et des unifications politiques, la
frappe était décrétée prérogative royale aux dépens des monnaies féodales.
Les frappes de pièces s’unifiaient, et les rois finissaient par jouir
exclusivement des privilèges de la frappe et du seigneuriage.

133
Aux XIIIe et XIVe siècles, les déroulements des unifications monétaires
différaient d’un pays à l’autre. En Angleterre, la frappe avait toujours été un
privilège royal. Les Hôtels de la Monnaie étaient circonscrits à une
poignée, et chapeautés par Londres. En France, les frappes royales
prenaient lentement le pas sur les frappes féodales. Dans le Saint-Empire
romain germanique, quelques pièces de qualités circulaient dans tout
l’Empire et fédéraient les frappes locales. Aux XIVe et XVe siècles, des
accords entre pays européens et ligues de commerçants ont défini des
normes communes en poids et en titre pour les frappes de pièces.

Au Moyen Âge, les changeurs s’étaient adaptés aux différentes échelles


articulées autour des pièces d’or subdivisées en pièces d’argent, elles-
mêmes subdivisées en d’autres pièces d’« argent noir ». Pour convertir les
pièces, les changeurs se servaient d’abaques, sortes de grilles de
conversion sur lesquelles des jetons circulaient d’une colonne à une autre.

134
Après le XIIIe siècle, ces échelles des pièces divisionnaires se sont
progressivement unifiées. Par exemple, sous Charles Quint, le florin, et de
sa subdivision en vingt, s’est généralisé autour des Pays-Bas. Ce n’est que
depuis le XXe siècle que les monnaies sont subdivisées en centimes.

Dévaluations endiguées
Dès le XIIIe siècle, les Hôtels de la Monnaie étaient sous pression et
devaient garantir une valeur intrinsèque d’or ou d’argent dans chaque pièce
changée. Leurs refontes, généralisées ou non, ont laissé lentement la place à
des frappes de qualité. Ces refontes incluaient de moins en moins de
dévaluation discrète. La valeur faciale de la pièce devait représenter un
poids déterminé de métal précieux.

Au long des siècles, la sophistication des techniques de frappe et


d’essayage de la monnaie allait également contribuer à espacer les
dernières dévaluations. Les frappes régulières à la presse à vis, le pesage
au trébuchet ou le test de la coupelle, allaient permettre une comparaison
plus précise des pièces. La qualité des monnaies s’améliorait au fur et à
mesure.

Aux XIVe et XVe siècles, des dévaluations n’ont ainsi eu lieu


qu’épisodiquement. Par exemple, la France a dévalué la valeur d’argent de
ses pièces vers 1340, au début de la guerre de Cent Ans. Elle est revenue
vers 1360 à un titre honorable. Malgré la guerre, le roi restaurait des pièces
de qualité sous la pression du change, et également comme affirmation de la
primauté royale sur les féodaux. Vers 1420, la France a encore succombé à
la tentation de la dévaluation, et elle a sombré dans l’anarchie monétaire.
En 1436, la rigueur était à nouveau de retour, et cette fois pour près d’un
siècle. La longue transition vers des pièces d’une absolue qualité allait
encore tarder jusqu’à la fin du XVIIe siècle. La stabilité n’était pas
exemplaire, mais moins de vols d’or et d’argent étaient possibles sur le dos
du détenteur de pièces.

Au XVIe siècle, une des dernières dévaluations a eu lieu en Angleterre


qui passait naguère pour un modèle de stabilité monétaire. L’Angleterre
s’est jetée dans la « grande dévaluation », ainsi appelée, dans les dernières
années du règne d’Henri VIII vers 1545, et aussi de son successeur
Édouard VI. Le titre des pièces a été fortement dévalué. Il a fallu toute

135
l’énergie d’Élisabeth I, conseillée par l’illustre Gresham déjà évoqué pour
sa loi éponyme, pour ramener l’ordre monétaire vers 1560. Gresham,
homme de son temps, a estimé qu’un penny d’argent altéré devait s’échanger
contre une fraction d’un penny nouveau en fonction de la dévaluation du
penny altéré. Seul le contenu d’argent comptait, non pas la valeur faciale.
Les jolies nouvelles pièces seraient certainement acceptées pour leur titre
élevé et leur forme régulière, car frappées en partie, et pour la première
fois, à l’aide de la presse à vis. Cependant, le poids d’argent des pièces
altérées a été volontairement sous-estimé, afin de faire supporter le coût de
la refonte générale par le public. Le peuple a donc rechigné au change en
contestant le poids d’argent, et non la valeur faciale. En fin de compte,
fatigué des altérations et des dévaluations sur son dos, le peuple a juré que
l’on ne l’y reprendrait plus.

Les États ont tenté de contourner légalement la vigilance des


commerçants et des changeurs des pays voisins afin de pouvoir dévaluer et
donc multiplier les pièces, à l’instar des sesterces. Ils ont interdit les
exportations d’or et d’argent, mais sans résultat probant. Les marchands
étrangers avaient parfois l’obligation de dépenser la monnaie gagnée.
L’interdiction de pratiquer le change sans lettre du roi a été promulguée.
Toutes ces lois restrictives pour le commerce et le change se sont avérées
inefficaces. Les marchés parallèles et la contrebande ont surnagé de tout
temps.

Dès lors, avec une monnaie liée à l’once de métal précieux plus qu’à la
valeur nominale, une autre implication est à épingler : plus moyen de
rééditer les exploits de Néron et de ses successeurs, du moins pour une
période aussi prolongée comme l’avait connue l’Empire romain. Les États
ne pouvaient plus soulager leurs finances par une improbable multiplication
sans fin des sesterces. Si des dévaluations notoires autant qu’abusives ont
bien pris place dans le Moyen Âge, aucune ne s’est éternisée comme pour
l’Empire romain. Comment allait-on combler un manque persistant de
pièces de monnaie ?

136
Déclin économique au XIVe siècle jusqu’à la déflation du
XVe siècle

Défaillance de l’appoint d’argent occultée par les


fléaux du XIVe siècle
Au XIVe siècle, les mines d’argent s’épuisaient, et le flot d’argent
s’asséchait dans toute l’Europe. La fuite des métaux contre les épices d’Inde
et la soie de Chine n’était pas bouchée. L’usage de pièces de monnaie
continuait de remplacer le troc et les paiements en biens-intermédiaires.
Enfin, en plein XIVe et XVe siècles, la crainte d’un avenir funeste incitait
chacun à thésauriser ses pièces d’argent. Pour les nantis, l’or et l’argent
étaient presque plus sûrs que les terres en ces temps de guerre de Cent Ans
et de déplacement des frontières. L’usage apprécié des pièces de monnaie
renforçait la certitude de leur acceptation même à l’étranger. Bien sûr, la
fonction de réserve de la monnaie concernait moins les indigents. Tenaillés
par le besoin de manger pour survivre, leurs dépenses étaient immédiates.

Cependant, les prix en pièces étaient plutôt à la hausse pendant la


majeure partie du XIVe siècle, malgré la raréfaction des métaux précieux en
circulation. Les quelques tentatives de multiplication des pièces par
dévaluation n’expliquaient pas cette inflation. Ces dévaluations
s’espaçaient par le changement de conduite monétaire vers l’unification et
la réévaluation. La vraie raison de l’inflation des prix est à chercher
ailleurs que dans la multiplication des pièces.

137
L’inflation trouvait sa source dans la chute de production. Le grand
mouvement d’expansion économique et démographique des deux siècles
précédents s’était achevé. Au XIVe siècle, les famines, les maladies et les
épidémies avaient un caractère presque permanent. De 1315 à 1317, des
pluies torrentielles provoquaient la « Grande Famine ». L’on considère
parfois qu’un « petit âge glaciaire » a débuté à cette date pour affecter
l’Europe pendant 400 ans. La peste noire avait ensuite débarqué par les
bateaux dans les ports d’Italie vers 1347. Elle a contaminé l’Europe dans le
sillage de l’Italie, et elle a tué environ un quart de la population européenne
en trois ans. La guerre de Cent Ans s’ajoutait aux fléaux et aux catastrophes
climatiques. La population était effroyablement décimée. La pénurie et la
chute de production par manque de bras, par la guerre ou par les
inondations étaient dramatiques. La baisse de production stimulait les prix
en pièces d’argent vers le haut. À quantité égale de monnaie, un contrat
libellé en pièces rapportait moins de biens. À proprement parler, il n’y
avait pas d’inflation des prix par la multiplication prolongée de la monnaie,
comme expliqué avec l’Empire romain, mais bien par la diminution de la
production. Quoi qu’il en soit, les pertes liées aux désagréments de
l’inflation des prix étaient anecdotiques comparées aux cataclysmes endurés
par les populations.

Déflation des prix, reflet du manque de pièces


Vers la moitié du XIVe siècle, la tendance des prix s’inversait. Dans la
deuxième moitié du XIVe et au XVe siècle, les baisses des prix sont plus

138
fréquentes et prolongées que les hausses. Ce phénomène de baisse
généralisée et prolongée des prix est appelé la « déflation » depuis le XXe
siècle. Il s’agissait bien d’une baisse généralisée des prix, et non d’une
baisse ponctuelle. La baisse d’un prix isolé était normalement une bonne
chose. Une saine concurrence dynamisait alors la production, et amenait les
prix à baisser. Aussi, un printemps clément expliquait la baisse des prix en
agriculture. Les baisses s’expliquaient exclusivement par la concurrence
entre vendeurs d’une production décuplée. Mais aux XIVe et XVe siècles,
les baisses généralisées des prix étaient étalées et prolongées sur des
décennies. De plus, les améliorations de production étaient rares en ces
siècles sinistres. Les baisses généralisées des prix, donc les déflations,
s’expliquaient surtout par le déficit ou le manque de pièces de monnaie par
rapport au besoin pour commercer ou pour satisfaire la thésaurisation.

Le mécanisme de baisse des prix était le suivant. D’abord, le manque de


pièces de monnaie se répercutait dans les mains des acheteurs ou clients.
Payer en pièces d’argent n’était alors plus possible pour chacun. Dans un
premier temps, les transactions s’acquittaient à crédit chez le boucher ou le
boulanger. Tôt ou tard, les crédits en pièces saturaient le boucher ou le
boulanger. Ils réclamaient leur dû aux clients, et ils exigeaient des
paiements en pièces. Ils souhaitaient aussi payer leurs dettes ou thésauriser
quelques pièces. Comme les clients aux mains pleines de pièces se faisaient
rares, les marchands négociaient leurs prix en pièces à la baisse avec ces
clients qui payaient en pièces à qui ils l’entendaient.

Sinon, les vendeurs devaient s’accommoder de troc ou d’échanges


contre des biens-intermédiaires moins pratiques que les pièces d’or ou
d’argent. Le troc et les biens-intermédiaires existaient encore. Le troc
expliquait peut-être le peu de cas des crises des paiements au Moyen Âge,
contrairement à l’Empire romain. Les paiements s’acquittaient en nature ou
en bien-intermédiaire avant la propagation d’une crise par obsession de
paiements en pièces des crédits. Les Européens du XIVe siècle grattaient la
terre, ignoraient l’hygiène, troquaient souvent, et se trucidaient allègrement.
Ils survivaient bien en deçà du niveau de vie des Romains et de
l’épanouissement de la production, du commerce, de l’usage de la monnaie
avec la fiscalité et les dépenses étatiques, et finalement du raffinement et de
la sérénité de la Pax Romana.

La déflation marquée par une lente baisse des prix

139
Fait remarquable : les baisses des prix des déflations étaient rarement
fortes, contrairement aux envolées possibles de l’inflation. Les gens ont
toujours résisté aux baisses des prix. La déflation était rarement marquée
par des chutes de prix de plus de quelques pour cent par an. Par contre,
l’inflation pouvait atteindre plusieurs dizaines de pour cent par an.

L’explication semblait être la suivante : contrairement à l’inflation qui


voyait les prix des marchands augmenter rapidement, la déflation était gênée
par les coûts des réserves, des stocks et des autres prix des fournisseurs.
Aucun fermier ou artisan n’acceptait de baisser les prix de son inventaire
avant ses voisins. Marchands et vendeurs refusaient de baisser les prix et
ils préféraient plutôt renvoyer leurs ouvriers. Les observations historiques
ont montré que les gens ont toujours traîné les pieds avant de vendre à
moindre prix. Seules une production rapide et une meilleure gestion des
stocks aidaient à diminuer les prix, pas un manque de pièces en circulation
qui était surtout synonyme d’une lente déflation.

Les épargnants en pièces gagnaient donc peu par la déflation des prix
des biens consommables. La déflation était surtout le reflet du manque de
pièces en circulation, ou du manque de numéraire. Ce manque de pièces
oppressait en laissant les besoins de thésaurisation inassouvis, et surtout en
gênant le commerce.

Commerce gêné par la « famine des métaux »


Au XVe siècle, les gens se plaignaient du manque de pièces d’or et
d’argent. Le vendeur craignait l’accumulation de crédits auprès de ses
clients déjà très endettés. Les transactions ou les dettes étaient épineuses à
acquitter sans pièces d’or ou d’argent, malgré l’envie et le besoin de
consommer. Hormis pour manger et pour le strict nécessaire, l’achat du jour
était reporté au lendemain dans l’espoir d’un paiement reçu en pièces. En
marge des paiements en pièces, le troc et les biens-intermédiaires
resurgissaient.

Le producteur de biens manufacturés était réticent à acheter des matières


premières en promettant un paiement rapide en pièces. Il craignait lui-même
les difficultés de vendre contre des pièces. Le troc contre des biens futiles
ou périssables n’intéressait pas toujours le producteur ou le vendeur des
biens manufacturés. Dès lors, tous se contentaient de produire le minimum
de poteries, de ferronneries, de tissus, de cuirs, de bijoux, ou de meubles.

140
Les activités des manufactures, du commerce, du négoce et finalement la
production de richesses fléchissaient. L’artisan renvoyait ses ouvriers
inactifs et la confiance se dégradait davantage. Le manque de monnaie
portait un préjudice grave au commerce et à la production des artisans.
Toute l’activité économique se comprimait vers l’agriculture de
subsistance.

La « famine des métaux » du XVe siècle, comme on l’a appelée, a freiné


le commerce et a appauvri même les riches. La déflation signalait une
situation plus chahutée pour l’économie qu’une lente inflation. Pour cette
raison, au XXIe siècle, l’on vise plus une inflation à 2 % plutôt qu’une
déflation. L’inflation agressait surtout l’économie lorsqu’elle dérapait
comme pendant la « crise du IIIe siècle » de l’Empire romain.

Plus de tolérance envers les intérêts sur les prêts


Au Haut Moyen Âge, les interdits religieux sur les intérêts prélevés sur
les prêts étaient assouplis. La condamnation de la perception d’intérêts
depuis Aristote, a été atténuée par saint Thomas d’Aquin au XIIIe siècle.
Depuis l’Antiquité, et encore davantage au Bas Moyen Âge, les hommes
répugnaient aux intérêts sur les prêts. Les dettes finissaient par obérer les
pauvres mortels. L’emprunteur ne savait plus rembourser, et il finissait
esclave ou serf du créancier. Pourtant, la méprise était grande quant au prêt.
La véritable disgrâce résultait du manque de monnaie reflété par la baisse
des prix. Il n’était pas normal d’avoir les gens constamment endettés les uns
envers les autres. Or, le travail et la production existaient bel et bien, et ils
étaient même déjà consommés à crédit, par simple manque de pièces.

Dès le XVe siècle en Italie, les monts de piété sont instaurés par les
moines franciscains dans ce nouvel esprit plus tolérant envers les prêts à
intérêt. Ces monts de piété prêtaient sur gage à taux d’intérêt nul d’abord,
puis raisonnable dans les siècles suivants. Les prêts étaient octroyés en
proportion à la valeur du bien laissé en gage. Le montant du prêt était
intégralement retiré, ce qui interdisait les crédits sur papier. Les monts de
piété n’étaient pas des banques qui prêtaient à partir des dépôts.
Néanmoins, ces trop rares établissements ont permis à certains d’éviter la
ruine et de conserver leurs biens. Ils protégeaient aussi des ravages des taux
d’intérêt élevés pratiqués par les usuriers.

141
142
Déflation contournée par les commerçants italiens aux XIVe
et XVe siècles

Réapparition des banques


La banque, disparue depuis la chute de l’Empire romain, était à nouveau
présente en Occident avec les Templiers. Ceux-ci avaient redécouvert la
banque lors de leurs irruptions au Moyen-Orient. Ils avaient instauré des
semi-banques pour organiser le financement des croisades et pour accorder
des prêts.

Ensuite, dans l’Italie du XIIIe siècle, l’économie urbaine et la


bourgeoisie des commerçants avaient émergé autour des marchés. L’essor
de la banque s’inscrivait chez les changeurs-essayeurs des cités italiennes.
Les changeurs tenaient les caisses de leurs clients commerçants qui
s’acquittaient entre eux par ordre écrit. L’accumulation des dépôts d’or
dégageait des fonds pour constituer une banque. Les changeurs-banquiers
pouvaient allouer des prêts à intérêts à partir de leurs réserves de pièces.
Ces changeurs-banquiers italiens s’appelaient les « Lombards ». C’était la
« renaissance » avant la lettre de la banque. Aux XIVe et XVe siècles, les
Lombards s’imposaient sur la scène publique forts de leur carte maîtresse
du prêt ou du crédit à intérêt. L’importance du crédit est difficile à supputer
pour cette époque de transactions en pièces de monnaie plus que d’ordres
bancaires écrits. Il y avait peu voire pas de crédit en compte et de création
monétaire par ces banques italiennes. Au moins, les banques offraient la
possibilité d’épargne et de prêt en pièces. Par là même, elles luttaient
contre la thésaurisation, si dramatique en période de déflation. Les banques
prêtaient les trop rares pièces de l’un à un autre. Par contre, les prêts
bancaires étaient la chasse gardée des riches commerçants.

Les Lombards contrôlaient le commerce européen grâce à de nouvelles


et originales pratiques commerciales ou financières. Aussi, ils proposaient
des assurances sur les voyages. Ils avaient également développé leur
capacité de crédit grâce à la comptabilité à doubles colonnes et surtout à la
lettre de change.

Une nouveauté : la lettre de change

143
Les Templiers, contemporains des Lombards, avaient déjà développé le
mandat, ou la lettre. Ce papier garantissait le paiement au porteur du mandat
dans une autre maison du Temple. Dorénavant, les chemins ténébreux se
parcouraient une lettre à la main plutôt qu’avec une bourse d’or ou d’argent
à la ceinture. Naturellement, ce contrat stipulait le change en fonction du
poids d’or ou d’argent, et non en fonction de la valeur faciale d’une pièce.

Au XIIIe siècle, les banquiers lombards se sont inspiré de la lettre des


Templiers, pour le commerce entre l’Orient et l’Occident via l’Italie qui
nécessitait de nouveaux outils monétaires. Ils ont réintroduit ce contrat de
change qui a évolué vers la « lettre de change », appelée aussi la « traite
de change ». La lettre de change s’est perfectionnée aux XIVe et XVe
siècles. La lettre de change était comparable au « chèque certifié » qui
existe au XXIe siècle. Il s’agissait d’un contrat souvent préimprimé par une
banque, avalisé et payable à cette même banque. Bien sûr, l’aval ou la
garantie bancaire était un service payant. Quand la lettre des Templiers
impliquait deux parties, la lettre de change des Lombards en impliquait une
troisième avec la banque qui assurait le paiement de la lettre sur base de sa
confiance au client, voire de pièces bloquées en dépôt. Pour le paiement, il
suffisait au signataire de contresigner la lettre à côté de la signature du
représentant de la banque pour acquitter le paiement au bénéficiaire de la
lettre.

Contrairement à un chèque certifié, la lettre de change n’était payable en


pièces qu’à terme à la banque italienne. Ce terme était de quelques mois,
pour laisser le temps du déplacement entre la foire à l’étranger et l’Italie.

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Les commerçants italiens présents à une foire étrangère évitaient de
trimballer de pièces d’or et d’argent grâce à la lettre de change. L’un
vendait contre des pièces à la foire et l’autre voulait acheter contre un
paiement en pièces à la même foire. Avec l’aval du représentant de la
banque, le vendeur et l’acheteur italiens se réglaient entre eux avec une
lettre de change contre les pièces. Juste une lettre de change nominative
dans les valises, plus de pièces à trimballer. Le change au poids d’or ou
d’argent s’effectuait ultérieurement à la banque, de retour en Italie.

Lettre de change source de crédits et de prêts


La lettre de change a connu un énorme succès pour les transactions
commerciales. Aussi, la lettre de change permettait d’acheter avant d’avoir
encaissé le paiement en pièce d’or ou d’argent de la lettre de change
obtenue par la vente précédente. Un marchand pouvait acheter en endossant
les lettres de change en sa possession. Il achetait ainsi sans pièces en poche,
et avec un crédit virtuel qui couvrait les quelques mois jusqu’à l’échéance
du paiement en pièces de la lettre de change. Avant la fin du terme, la lettre
de change pouvait être endossée plusieurs fois consécutivement. Elle
servait de moyen de paiement à la place de pièces de monnaie. La lettre de
change avait évolué en un outil de crédit et de paiement plus que de change.
La qualification de « change » a néanmoins perduré.

La lettre de change se substituait aux pièces de monnaie en poche. Avec


la lettre, les banques avaient trouvé le moyen de réduire les retraits des
dépôts, et donc d’augmenter les prêts en pièces, source de profitables
intérêts. En temps de déflation, la lettre de change était vitale pour les
banques. Les Lombards accordaient leurs prêts aux seuls clients capables
de rembourser rubis sur l’ongle. Il s’agissait bien de prêts en pièces de
monnaie versées aux emprunteurs, et non pas de crédit en compte bancaire.
Les quantités de pièces prêtées étaient fatalement moindres que les quantités
déposées. Les banques italiennes étaient encore loin de créer la fameuse
« monnaie scripturale » déjà évoquée, mais l’on s’en rapprochait. On
accorde aux banques italiennes d’avoir développé les prémisses de la
monnaie scripturale par la monnaie créditée sous forme de lettre de change.

145
Lettre de change parfois escomptée
La lettre de change était sensée être payée contre des pièces au terme
spécifié. Néanmoins, le bénéficiaire de la lettre de change pouvait recevoir
avant terme les pièces d’or et d’argent stipulées sur la lettre de change.
Pour cela, il devait « escompter » la lettre de change à sa banque. La
banque lui rachetait la lettre de change contre des pièces d’or et d’argent en
déduisant les frais d’escompte. Les frais d’escompte étaient des intérêts
destinés à couvrir le prêt virtuel entre le jour de l’escompte et la date du
terme spécifié sur la lettre de change pour le paiement. Les intérêts du prêt
virtuel étaient calculés sur un taux spécifique aux lettres de change : le
« taux d’escompte ». Les frais d’escompte englobaient aussi la marge
bénéficiaire de la banque. La banque se chargeait ensuite de recevoir le
paiement à terme de la lettre de change auprès de la banque du client qui
avait émis ou « tiré » la lettre de change.

146
Intrusion des banquiers dans les sphères du pouvoir aux
XIVe et XVe siècles

États, Église et emprunts aux banques


Au Moyen Âge, la situation des États était encore plus précaire que pour
l’Empire romain. Au moins, l’Empire romain pouvait frapper des pièces de
monnaie à partir du métal extrait des mines impériales, tout en continuant à
se financer par la fiscalité en pièces de monnaie. Dès le XIVe siècle, les
États ont fini par succomber à la tentation des emprunts. La nécessité des
emprunts surmontait les interdits religieux sur les charges d’intérêts.
L’affolement devant le Trésor vide et les tempêtes politiques faisait force de
loi. Les pièces de monnaie étaient aussi le meilleur moyen d’acquitter les
charges des armées, des mercenaires, et des importations de vivres en cas
de pénurie. Les prêts aux États permettaient de stabiliser la trésorerie. Les
États étaient obligés d’emprunter les rares pièces d’or et d’argent aux
banques lombardes fortes de leurs avoirs en caisse. Les États avaient
suffisamment de garanties à offrir aux banques. Les rentes foncières étaient
assurées. Les remboursements aux banques des prêts additionnés des
intérêts étaient effectués sur ces rentes. Les États concédaient aux banques
les revenus fonciers futurs, ou la collecte d’autres impôts à venir. Ces
revenus étaient souvent fixes ou fermes, d’où le nom de « fermage » et de
« fermiers » des taxes.

Les banquiers lombards prêtaient aux rois d’Europe. Les Lombards


étendaient leur réseau d’influence. Ils avaient déjà pressé à l’élimination de
la concurrence des Templiers, dont la puissance financière avait fini par
faire trop d’envieux. En échange, les banquiers niaient difficilement ces
prêts à la noblesse ou au clergé, quitte à se voir emportés en cas de faillite
du débiteur… ou quand leur ascendance vexait ces mêmes débiteurs. Les
impayés ont englouti quelques banquiers lombards. En 1343, une
banqueroute ruinait les Scali. En 1346, les impayés d’Édouard III
d’Angleterre anéantissaient également les Bardi. En 1494, même les
légendaires Médicis acculés politiquement font naufrage. Les banquiers
avaient des positions sociales brillantes, mais fragiles.

147
Emprunts et banques publics
Dès le XIIIe siècle, certains pouvoirs publics n’étaient pas en reste. Des
États, comme la France ou l’Angleterre, organisaient des emprunts publics,
sans recourir aux banques privées. Ces emprunts étaient gagés ou
consolidés sur l’immobilier, et remboursés par un fermage des taxes. Des
bouts de papier attestaient de ces emprunts de pièces en précisant la date et
les modalités du remboursement. Avec les siècles, ces documents ont été
remaniés jusqu’en « titre » au porteur. Les plus connus sont les
« obligations » ou « emprunts » d’État à long terme de plusieurs années, ou
les « Bons du Trésor » remboursables en pièces à court terme de quelques
mois avec intérêts, et souvent gagés sur les rentrées fiscales à venir. Les
gouvernements avaient recours de plus en plus couramment, et parfois
abusivement, à l’endettement étatique.

148
Au XVe siècle, les premières banques publiques sont constituées par
des villes espagnoles pour briser le monopole des banquiers juifs. Des
villes italiennes instituaient des entités semblables pour assainir leurs
finances lourdement grevées par les dettes.

149
Déflation esquivée au XVIe siècle, et embellie économique

Pièces de billon réintroduites


Dès la fin XVe siècle, les pièces de billon sont à nouveau frappées par
les Hôtels de la Monnaie. Les Royaumes de Naples et de Venise frappaient
des pièces de cuivre pur dès 1472, selon le modèle byzantin et selon la
longue expérience financière italienne. Peut-être, ces royaumes avaient
aussi entendu parler des villes assiégées qui avaient tenté des essais de
pièces de billon convertibles en pièces d’argent… ce qui permettait de
retirer quelques pièces d’argent de la circulation pour payer mercenaires ou
rançons. On cite ainsi une monnaie obsidionale et convertible en pièce
d’argent à Gérone vers 1462. Au XVIe siècle, les autres pays européens
sont ensuite entrés dans la danse des pièces de billon en cuivre quasi pur
allié parfois avec une infime quantité d’argent.

Un changement de perception des pièces expliquait également la frappe


de pièces de billon. Avec la Renaissance, les vertus de la monnaie étaient
redécouvertes dans les écrits antiques. Encore une autre renaissance de
l’Empire romain. La société s’était aussi accoutumée aux pièces de
monnaie. Les pièces étaient davantage considérées comme une monnaie que
comme un bien-intermédiaire. Dans cet esprit, les contrats légaux
mentionnaient la valeur faciale des pièces plutôt que le poids d’or ou
d’argent.

L’amélioration des techniques de frappe fournissait aussi des pièces de


billon moins imitables. Les frappes régulières à la presse à vis ou à
rouleaux et bardées de gravures tarabiscotées inspiraient une certaine
reconnaissance. Une frappe de bonne qualité pour un gain aussi minime se
supposait dissuasive pour le faux-monnayage. Le peuple comme les Hôtels
de la Monnaie redoutaient moins le change d’une vraie pièce d’argent
contre d’improbables fausses pièces de billon divisionnaires. La pièce de
billon pouvait avoir cours légal comme fraction d’une pièce d’argent.

150
Le besoin était aussi pressant pour les États toujours financièrement aux
abois. Les pièces de billon étaient un bénéfice net pour les Trésors des
États qui injectaient ces pièces reçues des Hôtels de la Monnaie dans leurs
budgets. Certains États ont exagéré les émissions de ces pièces. Parfois, ces
pièces ont été proches du discrédit. Elles ont même connu des périodes de
démonétisation à l’Hôtel de la Monnaie pour éviter la fuite des pièces d’or
et d’argent.

En pleine déflation, la pièce de billon était reçue comme moyen de


paiement sans trop rechigner. La pièce de billon a aidé à soulager les
crédits accumulés. Elle a facilité les paiements du commerce jusqu’à
contribuer à la généralisation des paiements en pièces de monnaie.
Évidemment, ces pièces circulaient surtout pour le commerce, sans jamais
être épargnées ou thésaurisées.

Nouvelles sources d’or et argent et embellie


économique
Au début du XVIe siècle, des mines d’argent sont découvertes au Tyrol
et en Bohème. Dès 1503, l’Espagne importait aussi des tonnes d’or et
d’argent des Amériques récemment découvertes. Durant le XVIe siècle, les
pays d’Europe commerçaient avec la Bohème, l’Espagne et le Portugal.

151
L’Europe entière a ainsi obtenu suffisamment de pièces d’or et d’argent
pour satisfaire la demande nationale de monnaie pour le commerce et pour
la thésaurisation. L’Europe entière a évité le problématique manque de
pièces de monnaie. Ces apports d’argent et d’or ont mis fin à la « famine de
métaux » du XVe siècle. Le manque de pièces de monnaie n’étranglait plus
les affaires. Le spectre de la déflation s’éloignait.

Les nouvelles pièces de monnaie ont accompagné l’expansion


économique de la Renaissance. Cette expansion démographique,
économique, monétaire, financière et commerciale a duré de 1500 à 1650.
Les deux pôles du renouveau étaient l’Espagne et le Portugal, principaux
importateurs de l’or et de l’argent des Amériques. Fait remarquable,
l’embellie économique a gagné toute l’Europe malgré les guerres de
religion entre les vents de la Réforme et les tempêtes de l’Inquisition.

Bien sûr, des nouveautés techniques ont accompagné ce renouveau


économique. Les innovations qui étaient apparues plutôt timidement au XVe
siècle, se succèdent à un rythme accéléré au XVIe siècle. Les paysans
augmentaient leur production avec de nouvelles techniques d’assolement, de
fumage des terres, ou des perfectionnements pour les charrues. Aussi, les
agriculteurs écoulaient leur production dans les marchés des villes peuplées
de clients et d’artisans capables d’acquitter les paiements avec des pièces
de monnaie en suffisance. L’économie de marché doit toujours composer
une entité cohérente. Si l’un des acteurs est absent, alors cette économie
boite.

Déflation écartée, et inflation très relative

152
Avant le XVIe siècle, les prix avaient été assez stables. De fait,
quelques légères poussées d’inflation les avaient à peine perturbés. La
délétère déflation n’était jamais considérable en rapport au niveau des prix,
même si elle était symptomatique d’un dérèglement économique grave.

Au XVIe siècle, une inflation des prix était constatée. Entre 1540 et
1640, les prix étaient multipliés par sept. Ce phénomène interpellait les
penseurs de la Renaissance, et ceux-ci tentaient d’interpréter cette inflation
des prix. Les premières explications de l’inflation des prix par
augmentation de la quantité monétaire apparaissaient. La paternité de
celles-ci est attribuée au penseur pluridisciplinaire Jean Bodin, inspirateur
des idées de tolérance religieuse au roi de France Henri IV à la fin du XVIe
siècle.

L’inflation des prix était très relative. Elle ne représentait qu’une


inflation moyenne de 2 % par an. Les frappes de pièces de billon et les
frappes avec l’or et l’argent de Bohème et des Amériques ont contribué à
cette inflation supportable. La quantité de pièces dans les mains des
acheteurs a augmenté, mais sobrement. Les historiens des XIXe et XXe
siècles parlent de la « grande inflation » du XVIe siècle. Ils sont surtout

153
fascinés par une évolution des prix à la hausse après une période de relative
stabilité.

L’inflation des prix ne peut s’expliquer par une augmentation de la


productivité insuffisante en regard à l’accroissement de la population,
comme l’avancent certains historiens. Après deux siècles d’épidémies de
peste et de tourmente économique et politique, le redressement
démographique s’était effectivement amorcé vers la moitié du XVe siècle. Il
provoquait un besoin de pièces en poche dont chacun a besoin pour acheter.
Selon ces historiens, la multiplication des pièces de monnaie dans les mains
des acheteurs, même plus nombreux, n’expliquait pas seule l’inflation. La
multiplication se serait combinée avec une production insuffisante de biens
pour nourrir les bouches supplémentaires. En aurait résulté une hausse des
prix négociés entre acheteurs et vendeurs de biens, surtout agricoles. Mais
d’où sont venues les pièces nécessaires pour acquitter les paiements ? Ces
historiens devraient savoir que les prix ne peuvent augmenter sans apport
supplémentaire de pièces. Cependant, le déficit prolongé de la production
aurait pu contribuer au démarrage de l’inflation en réinjectant en circulation
les pièces thésaurisées, certains biens-intermédiaires, et en allongeant les
crédits chez le boucher ou le boulanger.

En conclusion, l’apport de pièces a comblé le manque de pièces avec un


léger surnombre. L’inflation modeste a pu irriter les épargnants qui voyaient
leur capital rongé. Mais la perturbation était bien moindre que pour
l’Empire romain du IIIe siècle avec une inflation annuelle supérieure à 5 %.
Au XVIe siècle, les banques et emprunts d’État offraient aussi un rendement
sûr qui compensait en partie cette inflation. Au bout du compte, l’apport
d’or, d’argent et de billon a été bénéfique pour le commerce et l’économie.
Aussi, le besoin exacerbé de thésaurisation du mercantilisme naissant a pu
être satisfait, voire permis.

154
Inflation limitée par le mercantilisme au XVIe siècle

Accumulation autorisée avec la Renaissance


À l’encontre des idées médiévales, la Renaissance approuvait le
commerce et l’accumulation de richesses. Accidentellement, cette
thésaurisation des richesses limitait l’inflation. Elle était rendue possible
par l’apport d’or et d’argent de Bohème et des Amériques. Elle se justifiait
parce que la monnaie d’or et d’argent était perçue comme l’incontournable
« nerf de la guerre » depuis l’Antiquité. Les guerres de religion étaient alors
permanentes, et elles légitimaient ce réflexe de survie. Les pièces d’or et
d’argent étaient toujours utiles au Trésor afin de défendre le pays. L’or et
l’argent assuraient au royaume la capacité de lever promptement une armée
et d’embaucher des mercenaires. Ces réserves ostentatoires dans les coffres
du Trésor conjuraient les insurrections et les offensives étrangères. L’or et
l’argent acquittaient également les importations de vivres et de denrées en
cas de famine. Constituer une réserve de pièces d’or et d’argent de qualité
était souhaitable.

Pour accumuler les pièces, la taxation en pièces s’est ainsi développée


au XVIe siècle. Elle bouleversait les principes du financement des États
toujours plus axés sur la monnaie. La taxation en pièces supplantait les
tailles en nature et le seigneuriage. La taxation ne ponctionnait que quelques
pièces à l’entrée des villes ou des marchés. L’organisation fiscale se
rapprochait enfin du niveau d’efficacité de l’Empire romain avec le circuit
fermé entre taxations et dépenses en pièces.

155
Mise en place de politiques mercantilistes
La constitution d’une réserve d’or et d’argent justifiait une intervention
de l’État dans l’économie. L’État cherchait à favoriser les rentrées d’or et
d’argent dans le Trésor. Cette politique interventionniste de l’État était
qualifiée de « mercantiliste ». Par cette politique, l’État souhaitait aussi se
passer d’emprunts auprès de créanciers avides en intérêts et en droits de
regard sur le pouvoir.

Sans mines d’or ou d’argent, le gouvernement orientait le commerce en


vue d’obtenir de l’or et de l’argent aux dépens des autres nations. La
balance du commerce devait être favorable. Les importations devaient être
inférieures aux exportations payées en or et en argent. L’économie nationale
était sous la coupe du protectionnisme mercantiliste. Afin de stimuler les
exportations, les industries nationales étaient favorisées par des subsides et

156
protégées par des monopoles. Les colonies devaient absorber les biens finis
et fournir en matières premières les monopoles de la mère patrie. Conduite
économe et épargne étaient valorisées pour refouler la consommation
interne qui détournait les biens des exportations. Les importations étaient
défavorisées afin de conserver l’or et l’argent. Le luxe « inutile », tels
parfums ou alcools, était même interdit à l’importation, ou au moins grevé
de droits de douane. Vivres et médicaments importés étaient à peine tolérés
pour assurer un minimum vital.

Dès la première moitié du XVIe siècle, des politiques mercantilistes ont


été mises en place. Malgré les justifications rationalistes, le mercantilisme
était économiquement absurde. L’État a inconsciemment enserré son
économie dans un étau en la dépouillant de capitaux et de concurrence.
L’absence de capitaux empêchait le démarrage de nouvelles activités en
manque de financement. Les monopoles confortaient une production désuète
en assurant des revenus confortables aux compagnies protégées. Le
mercantilisme confondait la monnaie d’or et d’argent avec la vraie richesse
de la production de biens.

Le seul avantage du mercantilisme a peut-être été de limiter l’inflation.


En effet, l’État a absorbé partiellement l’afflux prodigieux des métaux
précieux en les accumulant et en résistant à vite les dépenser, ou au moins
en les captant dans la lente circulation à la vitesse des chariots entre
taxation et dépenses nationales.

Peut-être, une compétition libérée du mercantilisme aurait pu produire


davantage de biens en proportion des pièces en circulation et également
éviter l’inflation. Cependant, cette alternative économique était improbable
de par l’absence des outils financiers exposés dans le chapitre suivant.

Quoi qu’il en soit, les conséquences inflationnistes de l’apport d’or et


d’argent étaient inconscientes, comme la résultante de l’hypothèse inverse.
En effet, en cas d’un tarissement des sources d’or et d’argent, le
mercantilisme menaçait l’économie de déflation. Pour surmonter une
nouvelle période de déflation qui commençait dès 1650, le libéralisme de
l’Enlightenment et des Lumières allait contester le mercantilisme et épauler
la percée de nouvelles techniques monétaires.

157
Coïncidence : Évolutions contrastées avec ou
sans banques.

La coïncidence géographique existe.

En Italie, l’impulsion de la Renaissance s’explique par plusieurs


facteurs connus : poudre à canon, boussole, imprimerie. Bien sûr, le terrain
avait été préparé par la réapparition des ouvrages de l’Antiquité grecque
traduits en latin via le monde arabe dès le XIIe siècle. Aussi, la dynamique
de la Renaissance suivait l’émergence du commerce et des banques à partir
du XIIIe siècle. De fait, la renaissance du commerce et les ramifications du
pouvoir des banquiers ne sont pas à sous-estimer. L’octroi de prêts à un
gouvernement en manque de trésorerie se négociait durement en pleine
période de déflation. La lettre de change renforçait les dépôts, et donc de
ses possibilités de prêts par les banques. Les commerçants bourgeois
avaient la banque en leurs mains, et ils l’ont utilisé pour empiéter sur les
parcelles d’un pouvoir despotique, et imbriqué avec l’Église aux mœurs
dissolues, un temps divisée entre Avignon et Rome, et financée par ses
contestables ventes d’indulgences. Face aux risques de remboursements
impayés, les bourgeois créanciers ont pu se rapprocher du pouvoir de
l’Église et de la noblesse féodale. Les monopoles commerciaux concédés et
les nouvelles techniques monétaires ont favorisé le mécénat par les grands
commerçants. Les mécènes se livraient à une âpre compétition pour la
propagande de l’Église ou en faveur des écoles et des arts de la
Renaissance. Sans finances et sans la bienveillance obtenue par les prêts
accordés, ce mouvement de la Renaissance aurait-il été si puissant ? Sans
eau, les graines auraient-elles pu germer pour monter vers le changement
insufflé, ou étayé, par la Raison et l’Humanisme de la philosophie antique,
et avec en vitrine l’architecture de Brunelleschi, les sculptures de
Donatello, les peintures de Botticelli, les créations de Leonardo da Vinci ou
de Michelangelo ? Et la Renaissance a brillé jusqu’à conduire aux
interprétations philologiques de la Bible par ses savants, et ensuite inspirer
Luther, Calvin et la Réforme pour une nouvelle révolution aux retombées
infinies.

Sur l’autre rive de la Méditerranée, l’Espagne possédait beaucoup d’or


au XVIe siècle. L’Espagne n’avait que faire d’une bourgeoisie d’affaires
capable de défier les coups de sceptres et le gavage d’hosties. Elle a

158
expulsé les financiers juifs en 1492. L’Espagne, sans banques, s’est figée
devant les interdits religieux. Avec les pièces frappées avec l’or et l’argent
des Amériques, l’Espagne a vécu aux crochets de la production européenne,
comme l’Italie romaine aux dépens des provinces d’Orient. La Contre-
Réforme a enfoncé le clou en faisant preuve d’un rigorisme strict par
rapport à la monnaie et au crédit. Le clergé thésaurisait sans se cacher. La
Contre-Réforme a poussé l’Espagne à s’enliser. La première puissance
européenne du XVIe siècle sombrait en décadence au XVIIe siècle.

Avec le mercantilisme, l’Europe entière confondait les pièces d’or avec


la vraie richesse des biens. De trop rares contemporains s’en rendaient
compte. L’Espagne n’a ramené pratiquement que de l’or et de l’argent des
Amériques, en ignorant les autres produits de ses colonies. Les pays
européens ont favorisé les exportations de leur production contre des pièces
espagnoles ou portugaises d’or et d’argent. Ils auraient mieux fait de
développer les banques et les monnaies alternatives, sans inciter l’Espagne
et le Portugal à saccager inutilement un continent. Heureusement, la
perception de la monnaie continuait de s’éloigner du bien-intermédiaire
pour chasser le spectre de la chute de l’Empire romain ou du déclin du
Royaume d’Espagne. Au XVIIe siècle, les banques ont développé de

159
nouvelles techniques monétaires dans l’Europe du Nord. Cap vers une
Révolution d’un ordre jusqu’alors inconnu !

160
4. Du billet de banque
à la Révolution industrielle
en Grande-Bretagne

161
La rareté du numéraire à nouveau préoccupante au XVIIe
siècle

L’Europe en déflation de 1650 à 1730


À partir de 1650 et pour trois quarts de siècle, la stagnation, voire la
récession, a succédé au mouvement d’extension économique précédent. Les
causes étaient en partie politiques. Depuis la Renaissance et la Réforme, les
défenseurs des traditions catholiques de l’Église freinaient des quatre fers
la recherche d’un plus grand libéralisme. L’époque était aussi à la formation
des grands États continentaux, et les affrontements étaient continuels entre
ces nations pour l’hégémonie de l’Europe. La période était particulièrement
difficile.

Les autres explications étaient économiques. Les métaux précieux


étaient de plus en plus déviés de l’Espagne vers des mains étrangères par
les corsaires, la flibuste et la contrebande. L’économie dominante de
l’Espagne, dépendante de l’exploitation de ses mines d’or et d’argent
d’outre-Atlantique, périclitait en entraînant le commerce international à la
baisse. Quelques progrès et enrichissements existaient bien, mais ils étaient
hétérogènes. Avec le mercantilisme qui favorisait les manufactures et les
industries déjà en place et protégées par des monopoles, marchands et
manufacturiers s’enrichissaient rapidement, tandis que le paupérisme
caractérisait les masses européennes.

Au XVIIe siècle, le manque de pièces de monnaie aggravait les tensions


économiques. En plus des politiques mercantilistes, d’autres facteurs ont
accentué le manque d’or et d’argent. La production de métaux précieux
commençait à battre de l’aile. L’afflux d’argent des Amériques ralentissait
dès 1650. Le besoin de thésauriser se renforçait en ces périodes
belliqueuses. Comme dans l’Antiquité, la fuite d’or et d’argent vers l’Inde
et la Chine avait repris avec le commerce maritime autour de l’Afrique. La
balance commerciale avec ces pays, toujours désintéressés par la
production européenne, ne s’équilibrait que par l’or et l’argent. Le manque
de pièces de monnaie était aussi prononcé que la récession. La baisse des
prix, donc la déflation, se faisait sentir dès la moitié du XVIIe siècle. Elle
allait durer jusqu’au premier quart du XVIIIe siècle. Le manque de pièces

162
de monnaie générait la déflation des prix, et il accentuait la déprime
économique.

Récession et déflation moindres en Grande-Bretagne


et aux Pays Bas
Au XVIIe siècle, des pièces dévaluées étaient impensables pour les
peuples encore si focalisés sur le poids d’or et d’argent. Il ne restait qu’à
attirer l’or et l’argent chez soi. Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle,
deux pays y parvenaient et résistaient mieux que les autres à la déflation. La
déflation était effectivement moindre en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas,
encore appelés les Provinces-Unies avant 1795, qu’en France ou dans
d’autres pays du continent européen. Ce fait était d’autant plus remarquable
que l’augmentation démographique si vorace en monnaie était supérieure
aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne que dans les autres pays. Les Pays-Bas
et la Grande-Bretagne absorbaient les pièces d’or et d’argent par le
commerce. Les banques et le commerce y fructifiaient, toute fois sans
compenser la baisse du commerce de l’Espagne.

La politique économique des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne


s’inspirait du libéralisme naissant qui frondait le mercantilisme. Le
libéralisme s’incorporait dans la société et dans l’économie. Il avait comme
origine la Réforme qui avait bourgeonné après la Renaissance. Les grands
penseurs de la Réforme, Luther et Calvin, avaient apporté leur pierre à la
transformation des mentalités. Pour le monde financier, ils ont atténué la
condamnation de l’intérêt en blâmant seulement les excès. Au Nord de
l’Europe, l’abolition du modèle médiéval d’autorité faisait sauter les
restrictions morales traditionnelles imposées au commerce et aux prêts à
intérêts. Le libéralisme favorisait aussi les nouvelles techniques financières
issues de la Renaissance.

Nouvelles techniques financières


De nouvelles techniques financières s’étaient répandues depuis la
Renaissance. Le rayonnement des commerçants italiens avait aidé le
système bancaire encore élémentaire à se développer en Europe. Ils avaient
introduit la lettre de change jusque dans les Pays-Bas. L’Europe a aussi vu
fleurir de nouvelles pratiques financières pour soutenir le commerce
maritime qui évoluait du cabotage jusqu’aux voyages intercontinentaux. En
effet, les Portugais avaient ouvert d’autres routes en contournant l’Afrique

163
pour atteindre l’Inde lorsque les routes de la soie et des épices étaient
coupées après la chute de Constantinople aux mains des Turcs, en 1453.
Christophe Colomb avait tenté d’atteindre l’Asie par l’Ouest bien qu’il
avait surtout découvert accidentellement un nouveau continent.

Aux XVIe et XVIIe siècles, les « sociétés par actions » voyaient le jour
pour soutenir, favoriser et financer de tels projets ou voyages. Ces sociétés
étaient des entreprises aux mains des associés-fondateurs de la société. La
majorité de ces associés décidait de la marche à suivre de la société.
Chaque associé détenait des titres de copropriété, donc des actions achetées
contre des pièces de monnaie. Cette monnaie collectée permettait de
démarrer les activités de la société. En compensation, les détenteurs des
actions se répartissaient les bénéfices de la société. L’action donnait droit à
un « bénéfice par action ». Souvent les actionnaires de la société
consentaient à une distribution partielle des bénéfices. La société conservait
ainsi des fonds pour développer ses activités sans recourir à un prêt
bancaire additionnel avec de lourdes charges d’intérêts. La fraction restante
du bénéfice par actions dont les actionnaires se contentaient était le
« dividende ».

Pour faciliter les ventes d’actions, les « Bourses » à actions éclosaient.


Les Bourses étaient des sociétés privées qui organisaient des marchés aux
actions dans leurs locaux. Pour éviter le porte-à-porte, les autres sociétés
en recherche de financement, et les investisseurs potentiels disséminés dans
le public se rencontraient à la Bourse. Les sociétés levaient ainsi des fonds
par la vente d’actions pour démarrer leurs activités. Les Bourses d’actions
étaient également des marchés pour la revente d’actions par leurs détenteurs
en mal de liquidités. Les actions étaient des titres de propriété qui n’étaient

164
pas remboursables par la société, mais bien cessibles en Bourse contre des
pièces d’un autre particulier.

Les prix de cession de ces actions s’estimaient selon les bénéfices par
action espérés ou spéculés dans les prochaines années. Si une action
promettait de rapporter 10 par an, on concédait de l’acheter à 100 pour
briguer un rendement de 10 % par an. Les prix se déterminaient
véritablement par un nouveau système de cotation inspiré d’une mise aux
enchères. Ce système de cotation spécifique aux Bourses évitait à chacun de
comparer les prix dans chaque échoppe du marché. En un quart d’heure,
vendeurs et acheteurs d’actions fixaient entre eux un prix de transaction.
L’opération rapide était répétée quotidiennement, et elle donnait jour après
jour le « cours de l’action » en Bourse.

Les Bourses d’actions ont un caractère essentiel au développement de


l’activité. Au travers de celles-ci, des fonds à risque et à terme quasi infini
étaient levés dans le public. Les actions vendues composaient initialement
ces fonds. Ces actions servaient ensuite de garantie pour obtenir un prêt
bancaire additionnel, mais toujours à plus court terme que les actions. Les
sociétés à actions et les Bourses sont venues compléter le rôle des banques
et des assurances. L’ensemble de ces ressources financières confiées par
des individus à une société ou à une compagnie constitue le « capital ». Le
« capitalisme » est né vers le XVIe siècle avec les Bourses, même si ses
racines remontaient aux prêts bancaires.

Dans l’Europe du Nord, ces techniques, manipulées par les financiers


juifs et protestants bannis d’Europe, ont attiré des pièces de l’étranger pour
financer l’expansion du commerce. Au XVIe siècle, la grande ville de ce
renouveau était Anvers. Au XVIIe siècle, Amsterdam reprenait le flambeau
à Anvers, pour raisons politiques. De fait, après le Traité de Westphalie en
1648, les Pays-Bas septentrionaux obtenaient leur indépendance de
l’Espagne tandis que les Pays-Bas méridionaux, les Flandres, restaient
possession des Habsbourg d’Espagne. À la même époque, ce nouvel État
indépendant, les Provinces-Unies, a organisé le blocus maritime d’Anvers
qui a relégué la ville à l’arrière-plan économique.

Dès le début du XVIIe siècle, les Pays-Bas septentrionaux s’étaient


spectaculairement développés. Ils avaient innové notamment avec la
Banque d’Amsterdam. Cette banque d’État avait su unifier les pièces de
monnaie en circulation dans les Pays-Bas. La qualité de ses frappes de

165
pièces faisait la renommée d’Amsterdam comme centre de change. Cette
Banque reconnue accumulait les dépôts de pièces. Ce volume de dépôt
s’était converti en prêts et même en crédits pour les municipalités
néerlandaises. Également, le financement des flottes des Compagnies des
Indes, grâce à la Bourse et à la Banque d’Amsterdam, était remarquable.
Cependant, le libéralisme ne concernait que les entrées et les sorties de
capitaux, et donc de monnaie, du pays. Les monopoles protégeaient les
financiers et les industriels de toute concurrence interne, et l’économie du
pays stagnait sans parvenir à développer un socle industriel large. Dès la
fin du XVIIe siècle, les Pays-Bas entamaient leur déclin. Encore le
syndrome de la chute de l’Empire romain.

La Bourse, les banques et la finance de Londres tendaient à égaler


Amsterdam dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Pour attirer les lingots
et les pièces de l’étranger, les Hôtels de la Monnaie du Trésor de la
Couronne d’Angleterre avaient aboli la taxe du seigneuriage en 1666. Ils
avaient déclaré la « frappe libre » sans aucune restriction. Ils prélevaient
seulement le coût de la refonte à toute personne qui se présentait à eux avec
des matières d’or ou d’argent. Et contrairement aux Pays-Bas, la Grande-
Bretagne allait surmonter la malédiction de la chute de Rome et étendre les
crédits au développement de l’industrie, malgré le manque de pièces d’or et
d’argent. De nouvelles industries ont pu ainsi se développer dans le textile,
la verrerie, la papeterie, l’horlogerie et la métallurgie. C’est ce modèle de

166
financement que les pages suivantes vont expliquer jusqu’à la montée de la
Révolution industrielle du XVIIIe siècle.

167
Apparition du billet de banque en Angleterre au XVIIe
siècle

Naissance des banques anglaises


La naissance des banques à Londres s’est située vers 1640. Le roi
Charles I aspirait trop ouvertement à saisir les dépôts d’or laissés à la
citadelle royale de la Tour de Londres. Les marchands ont alors transféré
leurs dépôts d’or chez les orfèvres-changeurs de Londres. Le mouvement
s’est amplifié pendant la guerre civile dès 1642. Ces orfèvres-changeurs se
sont mis à accumuler les dépôts de bijoux et de pièces de monnaie de leurs
clients habituels.

Dès cet instant, ces orfèvres-changeurs se sont convertis en banquiers en


offrant la possibilité de prêts en pièces. Les banquiers effectuaient des prêts
au gouvernement contre les prochaines collectes de taxes ou de rentes. Les
banquiers octroyaient aussi des crédits dans les comptes de leurs clients qui
laissaient les pièces en dépôts et pratiquaient par chèque ou virement. Pour
augmenter le volume des dépôts et donc le volume de prêts ou de crédits,

168
des intérêts ont rémunéré les dépôts dès 1660, selon les archives. Les
intérêts perçus sur ces prêts et ces crédits couvraient les frais
d’administration des comptes, des coffres-forts, et laissaient de plantureux
bénéfices.

Apparition du billet de banque


Le récépissé nominatif témoignait d’un dépôt de pièces d’or ou d’argent
à la banque, autant que d’un prêt accordé par la banque et laissé en dépôt.
De plus en plus, les pièces étaient laissées en compte contre un récépissé
nominatif, plus sûr en cas de vol. Les clients évitaient ainsi de se balader
avec des pièces en poche. Ce talon était à son tour endossé et utilisé comme
moyen de paiement presque à l’égal des pièces de monnaie. En fait, les
Anglais ne faisaient qu’imiter les pratiques d’Italie ou des Pays-Bas.

En partie pour confirmer sa responsabilité, la banque apportait une


simplification dans l’octroi du prêt. Les pièces obtenues par prêts et
laissées en banque, donnaient droit non plus à un récépissé au nom du
titulaire du compte en banque, mais à un billet au porteur, et donc
exclusivement au nom de la banque. Avec cette seule mention du nom de la
banque, le « billet de banque » moderne était né. Sur simple présentation,
ce billet de banque était échangeable en pièce à la banque émettrice du
billet. Plus besoin de l’endosser, le billet de banque passait de main en
main jusqu’à ce que le montant de pièces d’or et d’argent inscrit sur le billet
soit réclamé à la banque émettrice de ce billet. Ces billets de banque ont
commencé à être reçus comme paiement à la place des pièces vers 1668 en
Angleterre. On considère que les fondations du billet de banque sont
établies à la fin du XVIIe siècle en Angleterre. La légalité de ces billets de
papier y est entérinée en 1704. Cependant, dans l’Angleterre du XVIIe
siècle, seuls les marchands, les banquiers et le gouvernement appréciaient
les services de ces nouvelles banques et de leurs billets. Les classes
populaires étaient exclues du système bancaire. Elles continuaient de
manipuler exclusivement des pièces d’or, d’argent et surtout de billon.

Les billets de banque étaient libellés en poids d’argent, convertible en


or selon le ratio bimétallique. Les montants stipulés sur les billets de
banque se sont progressivement arrondis aux centaines ou aux dizaines
d’unités de pièce de monnaie. L’unité du libellé des billets de banque était
souvent la « livre sterling », plutôt que le « shilling » de trop faible valeur
pour les marchands qui manipulaient les billets. Une livre sterling valait

169
20 shillings ou 240 pennies d’argent d’un titre quasi fin. Ce titre dit
« sterling » était de 92,5 % pour l’argent et de 91,6 % (22/24 ou 22 carats)
pour l’or. Le penny était la traduction anglaise du denier de Charlemagne.
Et, depuis Élisabeth I en 1601, 62 shillings valaient précisément un livre de
poids d’argent du système de mesures « troy » utilisé pour les matières
précieuses. Un shilling valait 1/62 de 373 g d’argent à un titre de 0,925,
donc 5,6 g d’argent fin. Bien sûr, les pièces d’or étaient en relation aux
pièces d’argent par le ratio légal or-argent. Avec un ratio bimétallique de
1:15, un livre sterling valait 112 g d’argent fin ou 7,46 g d’or fin.

De leur côté, les pièces étaient frappées et libellées en shillings plutôt


qu’en livres sterling de trop forte valeur. La livre sterling était surtout une
monnaie de compte. Les billets la visualisaient pratiquement pour la
première fois. Les principales pièces frappées en argent étaient la pièce du
shilling d’argent qui valait 12 pièces du penny d’argent. Le sixpence de
6 pennies et la demi-couronne d’argent de 30 pennies circulaient aussi. Les
pièces de moindre valeur comme le demi-penny (halfpence en anglais)
étaient en billon. La pièce d’or principale était la « guinée » d’or qui
fluctuait selon le ratio or-argent à environ 20 shillings. Le nom de
« guinée » provenait de l’origine africaine de l’or.

Pour information, une livre troy vaut 0,373 kilogramme, tandis que la
livre traditionnelle de poids (système des poids « avoirdupois » en anglais)
vaut 0,453 kilogramme. Une livre troy vaut 12 onces troy ou
240 pennyweight troy ou 5760 grains troy, mais une livre traditionnelle
(pound en anglais) vaut 16 onces ou 256 drachmes ou gros (drams en
anglais) ou 7000 grains. Vive le système métrique !

Banques et prêts en billets sous surveillance de la


convertibilité en pièces d’or et d’argent
Au XVIIIe siècle, l’usage du billet de banque s’étendait. Les prêts
étaient de plus en plus retirés, non pas en pièces, mais en billets de banque.
Les retraits de pièces s’amenuisaient grâce aux billets de banque. Ces
billets se substituaient occasionnellement aux pièces d’or et d’argent. Les
prêts retirés en billets de banque équivalaient à des crédits en compte sans
retraits de pièces. Les prêts sont alors presque des crédits, sous réserve de
demande de conversion-or. Grâce aux billets de banque, les quantités de
crédits alloués par les banques pouvaient augmenter. Dès lors, la
concurrence des banques riches en pièces… et en billets, incitait à offrir

170
des crédits aux conditions plus avantageuses. Les charges d’intérêts sur les
crédits se sont effectivement allégées à l’époque.

Les paiements en billets de banque s’étendaient également aux gens


extérieurs à la banque. Ces gens acceptaient ces billets au porteur qui
dépendaient d’une banque avec pignon sur rue, et non plus des avoirs en
compte d’un client caché derrière un masque souriant. Le vendeur de biens
avait le loisir d’échanger ces billets ultérieurement contre des pièces d’or
ou d’argent, et sans se soucier de l’état du compte du client au billet. Le bon
sens agréait les déplacements de billets en papier moins voyants ou
bruyants que des pièces, surtout pour des montants élevés. Ainsi, ces billets
de banque sont appelés « monnaie fiduciaire » pour leur acceptation
volontaire, et par la confiance en la banque émettrice à convertir le billet en
pièces d’or ou d’argent.

Déjà au début du XVIIIe siècle, les différentes formes de monnaie de


papier (récépissés nominatifs et billets de banque) commençaient à
dépasser la quantité de pièces en circulation. Le système bancaire anglais
était parvenu à augmenter la circulation monétaire sans or ou argent. Les
billets de banque et les pièces de billon allégeaient le manque de pièces
d’or et d’argent, donc la déflation. Comme déjà précisé, l’Angleterre
frissonnait d’une déflation effectivement moindre que les pays plus au Sud.

Prudentes, les banques mesuraient les quantités de monnaie créditées à


leurs clients. Même si l’emprunteur s’était contenté d’un retrait en billets,
ces billets acquittaient des paiements et revenaient pour être échangés
contre des pièces sonnantes et trébuchantes. Peut-être, ces billets étaient
placés en dépôt à la banque, mais la banque se devait à tout moment
d’assurer les retraits des dépôts de ses clients. Dès lors, la banque ne
prêtait qu’en proportion des pièces d’or et d’argent en dépôt dans ses
coffres. La banque conservait une « couverture » en pièces d’or ou d’argent
suffisante pour couvrir les retraits des comptes de dépôt et les échanges de
billets. La banque devait assurer la « convertibilité-or » ou argent de ses
billets.

171
Premières crises de retrait aux guichets des banques
En Europe, la première émission de billets de banque a eu lieu en Suède
en 1661. Le banquier en question s’est précipité dans la multiplication des
crédits et donc à la surémission de billets de banque. Quelques années plus
tard, il n’a pu racheter ses billets contre des pièces d’or et d’argent, et il est
tombé en faillite. Premier essai, premier échec. Peut-être a-t-il échappé à la
mort promise aux faussaires de pièces de monnaie, car l’on ne considéra
pas ses billets comme des fausses pièces ? Néanmoins, il a croupi en prison
pour le reste de sa vie.

Vers 1710, seuls deux banquiers britanniques de la première heure


avaient survécu aux différentes « crises de retrait » depuis 1640. Les
crises de retrait étaient sans pitié. La crise de retrait dans une banque avait
tendance à se propager et provoquer la faillite d’autres banques. Rumeurs
de multiplication des crédits, de créances dilapidées, de fausse monnaie de
papier, d’une couverture déficitaire en pièces, et la crise de retrait enfonçait
les portes. La banque était le théâtre des fameuses bousculades et
gémissements pour retirer son dépôt de pièces d’or ou d’argent, ou pour
échanger ses billets de banque qui mentionnaient expressément d’être
« payables à vue contre pièces ». Devant tant de demandes, la banque
n’était plus en mesure d’assurer la convertibilité-or ou argent de ses billets.
En fait, la banque n’avait plus la totalité des pièces déposées en coffre, dès
le premier prêt accordé en billets et revenu par la suite en dépôt. Le volume

172
des comptes en dépôt dépassait toujours le volume de pièces en couverture.
La crise de retrait, la suspension des paiements et la faillite de la banque
menaçaient dès le premier billet émis.

Pour désamorcer les rumeurs et les crises de retrait, les banques


refusaient toujours les mauvais clients susceptibles de faillir au
remboursement. En cas d’affaiblissement de la couverture-or et argent, les
banques devaient aussi penser à augmenter les taux d’intérêt pour favoriser
les dépôts comme pour défavoriser les prêts. Moins la banque avait de
liquidités, plus exigeantes étaient les garanties réclamées, ou plus élevés
étaient les taux d’intérêt de dépôt ou de crédit. Ces taux d’intérêt montaient
parfois jusqu’à 20 % en temps de crise pour tenter de reconstituer la
couverture en pièces d’or et d’argent en attirant les dépôts et en dissuadant
les crédits.

Malgré les crises sporadiques, le billet de banque s’installait dans les


usages et les habitudes. Le besoin de monnaie était le plus fort. Tout plutôt
que le manque de monnaie qui générait la récession économique et qui était
reflété par la déflation des prix.

La convertibilité des billets restreinte aux seules


pièces d’or par le « Great Recoinage »
À la fin du XVIIe siècle, les pièces étaient altérées après tant de laisser-
aller, surtout par rognage. Les pendaisons de quelques faux-monnayeurs
n’avaient pas effrayé les autres faussaires à s’enrichir honteusement.
Comme toujours, les pièces d’argent étaient les plus détériorées par l’usure
des manipulations et par les faux-monnayeurs. Les pièces d’or, de plus en
plus conservées en banque, étaient presque intactes.

En 1689, une nouvelle guerre de l’Angleterre contre la France de Louis


XIV éclatait. L’armée et surtout la marine nécessitaient des pièces d’or et
d’argent présentables pour assurer leur approvisionnement sur le continent
européen. Le parlement anglais votait une refonte généralisée des pièces. Le
« Great Recoinage » a commencé dès 1696 et s’est achevé en 1699. Cette
fois, une frappe systématique à la presse mécanique était mise en œuvre.
Elle était complétée par le marquage mécanisé du lacet du cordonnet ou des
crans du crénelage ou des grains du grènetis estampillés sur la tranche des
nouvelles pièces, pour témoigner de l’absence de rognage.

173
L’opération réévaluait les pièces d’argent, ou plutôt elle les ramenait à
leur poids légal. De longs débats avaient accouché de cette décision qui
excluait la dévaluation jusqu’au poids moyen d’argent des pièces altérées
en circulation. Le grand philosophe John Locke lui-même était intervenu
dans les débats en faveur d’une réévaluation. De toute façon, le peuple
anglais aurait difficilement admis un nouveau vol d’argent sur son dos,
comme sous Henri VIII et Élisabeth I. Les anciennes pièces même rognées
devaient être échangées contre des pièces nouvelles légalement
équivalentes. La quantité d’argent dans les nouvelles pièces devait être
réalignée sur l’ancien poids légal. Le Trésor a financé l’achat du métal
manquant grâce à une nouvelle taxe ponctionnée sur chaque fenêtre des
bâtiments.

La conséquence indirecte de cette réévaluation portait sur le ratio or-


argent. Ce ratio bimétallique selon les anciens poids des pièces était proche
de 1:16. Pourtant, les pièces défectueuses se changeaient au poids en rue et
sur le continent européen à 1:15. En effet, depuis 1680, l’argent se changeait
à un taux avantageux contre de l’or en Extrême-Orient ou au Brésil. Pour
s’adapter, chaque pays avait modifié ses pièces de monnaie et son ratio.
Sinon la rue l’avait fait à sa place par exportation vers l’Orient ou le Brésil,
ou par rognage. La rue et ses changeurs ont toujours compensé les ratages
du ratio or-argent.

174
Dès le début du « Great Recoinage », toute l’Europe s’est ainsi mise à
vendre ses onces d’or aux Hôtels de la Monnaie de la Couronne
d’Angleterre pour obtenir 16 onces d’argent par once d’or. Le gain était
donc d’une once d’argent par once d’or. L’or affluait de tous les pays, et en
sens inverse, l’argent disparaissait d’Angleterre. L’anomalie a été rectifiée
en 1717 en fixant la guinée d’or à 21 shillings d’argent au lieu de 20, ce qui
rapprochait le ratio de 1:15. Cette mesure était en toute logique jugée plus
rapide et adéquate qu’un allègement des pièces d’or lors d’une nouvelle et
coûteuse refonte généralisée. Le maître des Hôtels de la Monnaie
d’Angleterre était alors un certain Isaac Newton.

La réévaluation du ratio a involontairement tracé la voie vers la


circulation de la seule pièce d’or. En l’absence de pièces d’argent sur le sol
anglais, les banques n’avaient plus à assurer officieusement la convertibilité
des billets de banque qu’en pièces d’or. La seule convertibilité-or, et non

175
plus en argent, des billets des banques britanniques allait légalement s’en
suivre au XIXe siècle avec le célèbre « étalon-or » – détaillé plus tard –,
suite à cette surestimation involontaire de l’or dans le ratio or-argent.

Unifications annexes des pièces de monnaie


L’absence de frappe de pièces de billon par les Hôtels de la Monnaie
avait ponctué les années 1648 à 1672. Les Hôtels de la Monnaie de la
Couronne s’étaient considérés comme incapables de produire des pièces de
billon sûres quant à la contrefaçon. La convertibilité vers les pièces
d’argent et d’or était ingérable avec une profusion de fausses pièces de
billon. Pour remplir le vide, des milliers de particuliers avaient émis des
pièces de billon privées convertibles par eux-mêmes, à l’image du système
des billets de banque convertibles. Néanmoins depuis 1672, les Hôtels de
la Monnaie avaient repris la frappe des pièces de billon enfin mécanisée et
de bonne qualité. Le « Great Recoinage » laissait le système inchangé.

Les Hôtels de la Monnaie d’Écosse ont unifié les frappes de pièces


avec celles d’Angleterre vers 1707. Depuis, les systèmes monétaires
d’Écosse et d’Angleterre sont liés par les mêmes références de poids des
pièces en livre sterling, donc en livre d’argent à un titre de 92,5 % (argent
sterling). Une livre sterling d’Écosse valait une livre sterling d’Angleterre.
Au XXIe siècle, on parle toujours de « livre sterling » pour désigner l’union
des pièces de monnaie et des billets d’Écosse et d’Angleterre.

À la fin du XVIIe siècle, la Grande-Bretagne avait accompli un pas


important d’un système bimétallique en pièces d’or et d’argent vers un
système de billets de banque et de pièces de billon convertibles uniquement
en pièces d’or aux guichets des banques. La Grande-Bretagne y était arrivée
en partie involontairement.

176
Multiplication des crédits et Révolution industrielle au
XVIIIe siècle

Prêts avec garants en Écosse


Dans l’Écosse du XVIIIe siècle, la rareté du numéraire était plus criante
qu’ailleurs. Les banques avaient peu de dépôts en pièces de monnaie. Le
manque de dépôts pour assurer la couverture en pièces d’or ou d’argent
étranglait le volume de prêts et de crédits. Les banques réservaient les rares
crédits aux riches clients capables d’assurer le remboursement par de
solides garanties. Cet accès restrictif au crédit a incité les Écossais à
réfléchir davantage.

Vers 1730, les banques écossaises ont profité de l’usage naissant du


billet de banque de papier pour accorder plus de crédits. Les banques
écossaises ont décrété de nouvelles règles pour octroyer un crédit.
Désormais, l’intérêt serait payé sur la portion du crédit effectivement
retirée. Par cette mesure, les retraits des prêts en billets convertibles en
pièces étaient ainsi endigués et limités aux besoins immédiats de liquidités.
Avec plus de dépôts, moins de retraits en pièces, et moins de billets en
circulation, la couverture en pièces des dépôts et des billets s’épaississait.

Une autre règle était ajoutée. Un candidat-emprunteur même pauvre se


voyait octroyer un crédit à condition d’être parrainé par au moins deux
garants. Ces garants devaient être des clients sérieux de la banque, ou
reconnus par celle-ci. La banque s’assurait du remboursement du crédit en
dernier ressort auprès de ces garants privilégiés. Avec le système de prêts à
garants, le fournisseur vendait davantage. Il lui suffisait de se porter garant
de son client pour qu’il obtienne son prêt en billets synonyme d’un crédit en
monnaie scripturale. Le fournisseur connaissait son client mieux que la
banque. Restait à trouver un deuxième garant pour plus de sécurité pour la
banque, et peut-être pour un nouveau dépôt de pièces d’or ou d’argent à la
banque. Le crédit accordé, l’heureux client acceptait sans broncher les
billets que lui remettait la banque. Le fournisseur-garant recevait tout autant
le paiement du client-emprunteur acquitté en billets de banque. Plutôt que de
ne pas vendre du tout en pièces, autant vendre contre des billets de banque,
même en assumant une partie du risque du remboursement… avec les billets
reçus. L’achat fournissait au client-emprunteur de la matière pour travailler,

177
produire, vendre et rembourser les prêts. Pour vendre, l’emprunteur
parrainait à son tour ses propres clients-emprunteurs, et il évitait à son tour
le manque de pièces. Il agréait les paiements acquittés en billets de banque
de papier avec lesquels il remboursait le crédit et les intérêts.

Ainsi, l’usage du billet de banque s’étendait à de nouveaux clients de la


banque. Pour la banque, les revenus des intérêts augmentaient avec les
crédits judicieusement accordés. Les intérêts étaient peut-être payés en
billets, mais les billets étaient de plus en plus acceptés pour acquitter les
achats. Les banquiers n’étaient pas plus riches en pièces d’or, mais ils
s’étaient certainement enrichis en biens produits et payés en billets. Il s’agit
bien ici de la véritable richesse plutôt que d’illusoires pièces d’or. La
richesse est toujours liée au travail, jamais à l’or inerte qui ne permet que
l’achat de travail. Naturellement, les banquiers anglais ont rapidement imité
les banquiers écossais.

Début du capitalisme industriel et financement de la


Révolution industrielle
Jusqu’au XVIIIe siècle, l’Histoire avait favorisé les crédits aux
commerçants et les prêts aux États. Avec les crédits à garants, les services
de la banque sortaient du cercle des commerçants initiés, ou des emprunts
d’État. Avec la multiplication des crédits en compte ou des prêts en billets,
les Britanniques finançaient la production industrielle et même agricole.
Ces développements monétaires et financiers ont eu une incidence majeure
sur l’économie, même s’ils ont probablement été inconscients et non
planifiés. Pour la première fois de l’Histoire, des banques octroyaient des
crédits à des clients au savoir technique développé… et en relation avec de
riches garants. Les crédits, ou les prêts en billets, tombaient à pic pour
constituer ou compléter le capital de la compagnie. Le capital finançait
l’achat des machines, la construction de bâtiments, les paiements des
premiers salaires, la constitution de simples « stocks » pour les petits
commerçants, ou de « fonds de roulement » en ressources pour les ateliers.
Avec ces fonds, le capitalisme s’étendait à l’industrie.

Dans le même temps, de nouvelles techniques industrielles et agricoles


émergeaient continuellement en Europe. Depuis le XVIIe siècle, les
inventions pouvaient être brevetées. Au XVIIIe siècle, tout était en place
pour effectuer un changement quantitatif et qualitatif. L’exploitation de la

178
nouvelle force de la vapeur, l’utilisation accrue de machines, et une suite
ininterrompue d’inventions ont permis d’accroître la productivité par
individu. Les innovations les plus emblématiques étaient les machines
textiles et la machine à vapeur. Les répercussions de l’industrie sur
l’agriculture étaient également importantes, comme avec de nouveaux aciers
pour des socs de charrue plus profonds ou pour fabriquer des faux plus
efficaces que des courtes faucilles. Tout au long du XVIIIe siècle, paysans et
artisans se vendaient les uns aux autres leur production décuplée avec ces
nouvelles techniques en constante amélioration.

Enfin, dès le début du XVIIIe siècle, une nouvelle idéologie commençait


à influencer les décideurs. Le libéralisme philosophique et économique de
l’Enlightenment ripostait au rationalisme et au mercantilisme de la
Renaissance. Le libéralisme commençait à mettre une sourdine aux
donneurs de leçons enivrés par la Raison et si prompts à démontrer tout et
son contraire, comme le bien-fondé de l’ordre établi en s’opposant à toute
forme de progrès. Le libéralisme était lui-même intimement lié aux débuts
du régime parlementaire par la « Déclaration des droits » de 1689 quand
l’Empirisme et l’Enlightenment bourgeonnaient. Dans le sillage du
libéralisme, le « laisser-faire » gagnait du terrain pour favoriser la
concurrence nationale aux dépens des monopoles et les subsides accordés
par l’État mercantiliste.

La synthèse des nouveaux outils de crédit, des développements


technologiques, et de la montée du libéralisme a été la Révolution
industrielle. Celle-ci a démarré en Écosse et en Angleterre vers 1750.
Cependant, les développements monétaires ou bancaires ne peuvent être
sous-estimés pour expliquer la Révolution industrielle en regard aux
trouvailles techniques et au libéralisme ambiant. L’absence de financement
expliquerait la stagnation de l’industrie sur l’autre rive de la Manche
malgré la détention des nouvelles technologies et malgré la montée du
libéralisme des Lumières. Ainsi, durant la deuxième moitié du XVIIIe
siècle, l’explosion de la Révolution industrielle n’était remarquée qu’en
Grande-Bretagne. Sur le continent européen, la Révolution industrielle n’a
commencé qu’au XIXe siècle avec l’adoption des techniques financières
britanniques.

179
Tout n’était pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Au XVIIIe
siècle, les Anglais ont certainement apprécié une hausse du revenu
individuel et une meilleure santé qui a débouché sur une hausse de 80 % de
la population. En comparaison, la hausse démographique était de 30 % en
France. Malheureusement, cette brusque hausse a contribué au gonflement
d’un prolétariat industriel en Grande-Bretagne, comme en France dès le
XVIIIe siècle.

Multiplication de la monnaie sans inflation


La multiplication des crédits et des prêts en billets signifiait plus de
monnaie scripturale et fiduciaire. Ce complément de monnaie aux seules
pièces d’or et d’argent était substantiel. Risquait-on une poussée d’inflation
comme pour l’Empire romain ? Pas cette fois, car une contrepartie en biens
a compensé l’augmentation de la masse monétaire. Les crédits étaient
alloués pour investir et non pour dépenser ou consommer. Chaque
investissement était destiné à produire davantage ou à économiser le
charbon, les matières premières, les ressources diverses, et la quantité de
main d’œuvre par unité produite. Si la création monétaire était
proportionnelle à l’augmentation des biens produits, alors elle n’était pas
inflationniste. Dans la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle, plus de monnaie a
circulé dans les mains des acheteurs quand plus de biens ont également

180
composé les stocks des vendeurs. Peu de poussées d’inflation ont donc
découlé de la multiplication des crédits. Seuls les salaires ou les profits ont
pu augmenter, car les coûts unitaires de production s’abaissaient pour un
prix de vente égal. L’on se retrouve dans une situation comparable à celle
du début de l’Empire romain. L’augmentation des biens produits avait alors
été en proportion aux nouvelles frappes de pièces. Le commerce de la Pax
Romana avait progressé et favorisé la spécialisation de la production. La
multiplication des pièces de monnaie par l’extraction des mines et les rafles
des conquêtes avait alors laissé les prix stables.

L’inflation des prix de 1730 à 1775 coïncidait avec le retour des métaux
précieux. L’inflation touchait la Grande-Bretagne comme le continent
européen. Au XVIIIe siècle, l’apport d’or était 3 fois plus important qu’au
XVIe siècle. Entre 1720 et 1790, le stock mondial d’or a doublé avec les
découvertes de filons au Brésil et dans les montages de l’Oural en Russie.
La production d’argent-métal augmentait dramatiquement avec l’extraction
par amalgamation au mercure qui pouvait s’appuyer sur les mines
abondantes en mercure de Almadén en Espagne et Idrija en Slovénie. Les
mines pouvaient aussi descendre plus profondément grâce à la machine à
vapeur de Newcomen pour pomper les eaux de pluie. Et, avec la
démographie en hausse, le nouvel afflux d’or et d’argent était même le
bienvenu. Dans toute l’Europe, les besoins de pièces d’or et d’argent pour
la thésaurisation mercantiliste étaient à nouveau satisfaits.

Depuis 1730, la reprise du commerce et de l’économie était également


perceptible sur le continent européen, mais à un rythme moins rapide qu’en
Grande-Bretagne. Au XVIIIe siècle, peut-être rassasiés de pièces de
monnaie, les autres pays du continent européen n’ont pas senti le besoin de
copier l’exemple britannique. Quelques essais d’émission de billets
s’étaient également avérés catastrophiques, comme expliqué dans le
prochain chapitre. Ainsi, le continent européen restait plus dépendant des
pièces de monnaie d’or et d’argent que la Grande-Bretagne. Quand la
déflation a repris après 1780, le continent européen a souffert davantage de
cette dépendance. Les pages suivantes y reviendront.

181
Le volume des pièces de monnaie dépassé par le
volume de monnaie scripturale
Vers le début du XVIIIe siècle, le billet de banque de papier avait
grandement réduit les retraits des dépôts en pièces. Sur base des dépôts, les
banquiers en étaient arrivés à accorder des prêts en pièces qui n’étaient pas
retirées. Les crédits en compte remplaçaient les prêts en pièces. Ces crédits
étaient éventuellement retirés, mais en billets pour acquitter un paiement.
Même les billets qui revenaient à la banque après le paiement n’étaient pas
toujours convertis en pièces. Ils servaient à ouvrir de nouveaux comptes de
dépôt. Les pièces non retirées étaient créditées une deuxième ou même une
troisième fois toujours sous forme de crédit en compte ou de prêt en billets.
Une couverture moindre suffisait à assurer les demandes des retraits des
dépôts et la convertibilité en pièces des billets. En conséquence, le volume
des crédits avait pu augmenter.

182
Finalement, le volume des crédits, retirés ou non en billets, dépassait le
volume des dépôts en pièces. Si tous les crédits étaient retirés en billets,
alors ce nombre virtuel de billets dépassait le nombre de pièces. Les
banques créaient alors de la monnaie scripturale par jeux d’écritures dans
les comptes clients et par émission de billets de papier. Il est difficile de
préciser quand la monnaie scripturale a commencé à poindre son nez. En
d’autres termes, la date exacte du dépassement du volume des dépôts en
pièces par le volume des crédits est difficile à estimer.

À la fin du XVIIIe siècle, la situation à Londres est plus établie. En


1776, Adam Smith l’avait observé et des historiens l’ont confirmé : la
quantité de crédits accordés par les banques était nettement supérieure aux
volumes des pièces d’or et d’argent de l’Hôtel de la Monnaie en circulation
ou en dépôt. Les chiffres du crédit étaient tels que le volume de monnaie
scripturale créée par les banques égalait le volume de pièces frappées par
l’Hôtel de la Monnaie. Donc, il y avait virtuellement un premier billet pour
chaque pièce en dépôt en banque, ce qui atténuait la thésaurisation
déflationniste des pièces sous l’oreiller. Ensuite, il y avait un deuxième
billet que le banquier avait émis discrètement. Ce deuxième billet
symbolisait l’apparition de la monnaie scripturale en compte ou en billets.
Pour la première fois dans l’Histoire, de la monnaie était créée en masse
non pas exclusivement par le gouvernement et ses mines, mais par le marché
des particuliers qui empruntaient aux banques. Ce que les alchimistes
n’avaient jamais trouvé, les banquiers et leurs clients avaient su l’inventer :
changer le plomb, ou le papier sans valeur, en or. Les banques et les
émissions de billets de banque étaient un véritable transfert de pouvoir
digne d’une authentique révolution. En effet, ces banques privées prêtaient à
qui elles l’entendaient, noble ou roturier, marchand ou industriel, armurier
ou imprimeur, défenseur ou opposant des privilèges de la Couronne.

183
La Banque d’Angleterre et ses billets au XVIIIe siècle

La Banque d’Angleterre créée pour financer l’État


À la fin du XVIIe siècle, l’Angleterre était en guerre contre la France de
Louis XIV. Cette guerre avait déjà nécessité la refonte généralisée du
« Great Recoinage » pour fournir des pièces de qualité à l’armée et à la
marine. La guerre nécessitait aussi des dépenses faramineuses qui
surpassaient les revenus fiscaux et les prêts obtenus par le Trésor de
l’« Échiquier », donc du ministère des Finances de la Couronne. Le
gouvernement peinait à emprunter par les seules obligations, emprunts
d’État ou Bons du Trésor. En 1672, la crise des emprunts royaux sous le roi
Charles II avait traumatisé les créanciers. Ce roi avait renâclé à rembourser
ses dettes lorsque les banquiers lui avaient refusé un nouveau prêt. Ce haut
fait royal rebutait encore les épargnants devant les nouvelles levées
d’emprunts d’État.

En 1694, le gouvernement d’Angleterre a donc créé une banque semi-


privée pour ses propres besoins. Cette banque serait vouée à recevoir des
privilèges royaux en échange de bons et loyaux services au gouvernement.
L’ambition avouée de la Banque d’Angleterre était bien de financer l’État,
selon le modèle de la Banque d’Amsterdam.

Une souscription publique a été lancée pour financer le capital


nécessaire à la création de la Banque d’Angleterre. Une vente d’actions
contre des pièces de monnaie du public constituait le capital. Le roi
Guillaume et la reine Marie ont souscrit au capital comme de nombreux
particuliers. Le succès de la souscription a étonné les observateurs. Malgré
les risques, les banques rapportaient gros. Il s’agissait après tout d’une
banque presque comme une autre avec son coffre-fort, ses guichets, ses
clients, ses possibilités d’ouvrir des comptes de dépôt ou de crédit. De
plus, l’État était derrière cette banque-ci, ce qui rassurait peut-être certains.
Enfin, le boom spéculatif concernait déjà quantité de compagnies privées de
toute activité, dont les actions étaient cotées ou non en Bourse.

La Banque d’Angleterre nouvellement créée pouvait alors octroyer à


l’État un prêt d’un nouveau type : un emprunt perpétuel. Le Trésor ne payait
que les intérêts sans rembourser le montant de l’emprunt. Cet emprunt

184
perpétuel permettait de ne pas écraser les gens avec une lourde taxation
pour rembourser le prêt. Pour couvrir les intérêts du prêt, de nouvelles
taxes sur le tonnage des bateaux et sur les alcools approvisionnaient le
Trésor. La Banque a pu accorder un prêt perpétuel en pièces de monnaie au
Trésor public à partir de son capital obtenu par la souscription. La Banque
d’Angleterre était une société à actions. Un capital en actions d’une société
n’est jamais à rembourser tant que la société continue ses activités. Une
action détenue par un particulier peut juste être revendue à un autre
particulier confiant dans les dividendes à venir de l’action. En cas de
besoin de liquidités, si l’action était cotée dans une Bourse d’actions,
comme celle de Londres, il suffisait de s’accorder sur le prix de la cession
de l’action avec les candidats acheteurs de la Bourse.

Avantage aux billets de la Banque d’Angleterre


La Banque d’Angleterre acceptait les dépôts en pièces et octroyait des
crédits en compte éventuellement retirés en ses propres billets. Elles
émettaient des billets de banque convertibles en pièces à ses guichets,
comme ses consœurs. Certains ont perçu la Banque d’Angleterre comme
une concurrence intolérable aux banques privées. Des clients mécontents de
cette atteinte aux libertés individuelles ont même tenté d’acculer la Banque
d’Angleterre à la faillite par des retraits concertés des dépôts de pièces à la
Banque. Les rumeurs de manque de pièces en dépôts ont parfois déstabilisé
la Banque. Vers 1696, le cours en Bourse de l’action de la Banque chutait
fortement dans l’embarras de craintes et de rumeurs.

Pour affermir la Banque d’Angleterre, des avantages ont été accordés à


ses billets. Désormais, la peine de mort pour contrefaçon était applicable
pour les billets de la Banque d’Angleterre autant que pour les pièces du
Trésor. Dès 1722, la Banque s’est également constitué un fonds de réserve
en pièces d’or qui garantissait sa solvabilité. Un monopole d’émission de
billets lui a même été concédé, mais il a longuement été contourné.

185
Avec le temps, la popularité des billets de la Banque d’Angleterre
supplantait celle des billets des banques privées. Les clients des banques
privées les acceptaient même à la place des retraits en pièces d’or. Dès
lors, les banques privées avaient elles-mêmes un compte à la Banque
d’Angleterre. Pour les banques privées, la couverture des dépôts de pièces
d’or et des billets émis par elles-mêmes se constituait en partie de billets de
la Banque d’Angleterre. Au fil des décades, la convertibilité-or des
banques privées cédait du terrain à la convertibilité-billets-émis-par-la-
Banque-d’Angleterre. Pour les banques privées, la couverture des dépôts et
des billets émis se comptait en billets de livre sterling de la Banque
d’Angleterre plutôt qu’en pièces d’or ou d’argent en livre sterling de
l’Hôtel de la Monnaie, donc du Trésor.

De plus en plus, des clients réclamaient des billets de la Banque


d’Angleterre à la place des billets des banques privées. Dès lors, les
émissions des billets des banques privées tendaient à disparaître décennie
après décennie. Cependant, ce n’est qu’en 1844 que la Banque d’Angleterre
s’est arrogé le droit d’émission des billets de banque au détriment des
banques nouvellement fondées. Ensuite, le nombre des anciennes banques
privées conservant le droit d’émission de billets est allé en s’amenuisant.
C’est en 1921 que le dernier droit d’émission de billets d’une banque
privée anglaise est retiré lors d’une fusion de banques.

186
La Banque d’Angleterre sous contrôle
La Banque d’Angleterre continuait d’assurer la convertibilité-or de ses
propres billets. Les émissions de billets de la Banque étaient sous le
contrôle du public, par les demandes de conversion-or des billets, autant
que du Parlement. Les vraies mines restaient nécessaires pour fournir l’or et
l’argent afin d’assurer la convertibilité des billets de la Banque
d’Angleterre. Cependant, les demandes de conversions étaient éparses par
l’absence de succursales de la banque d’Angleterre hors de Londres. La
quantité d’or retirée aux lointains guichets de la Banque d’Angleterre était
donc réduite. Seules les banques privées étaient présentes en province. Le
système monétaire était « à étages ». Il se composait de billets de banques
privées convertibles en billets de la banque d’Angleterre, eux-mêmes
convertibles en pièces d’or. Ce système repoussait encore un peu la menace
de déflation liée à la seule monnaie en pièces d’or.

La Banque d’Angleterre ne pouvait se métamorphoser en mine de billets


de papier pour alimenter le Trésor public, comme le faisaient les Hôtels de
la Monnaie en pièces d’or ou d’argent. La Banque d’Angleterre n’était pas
autorisée à prêter ses billets de banque au Trésor sans l’aval du Parlement.
En tout cas, il y avait eu des promesses incantatoires de la Banque
d’Angleterre de limiter ces prêts au Trésor. Ces vœux pieux ont été plus
d’une fois oubliés, malgré les tensions suscitées par ces pratiques.

Stabilisation des banques privées


Au XVIIIe siècle, des règlements ont été instaurés pour supprimer les
émissions incontrôlées des billets par les banques. Les demandes de
conversion en pièces des petits billets de quelques shillings étaient rares, et
les banques avaient tendance à multiplier imprudemment les prêts en ces
billets. Dès lors, un montant minimal des billets a été instauré à une livre en
Écosse. En Angleterre, un montant minimal de cinq livres a été appliqué aux
billets de la Banque d’Angleterre, sans concerner les billets des banques
privées. Également, la mention « payable à vue » devenait incontournable et
mettait un terme à la « clause de délai » de convertibilité-or ou argent des
billets. Ce remboursement à terme des billets contre des pièces avait
favorisé les abus et les surémissions de billets. Certaines banques
écoutaient alors les sirènes des gains rapides sur des crédits beaucoup trop
risqués. Hormis ces quelques restrictions, les autres pratiques étaient
tolérées et parfois légalement confirmées pour les paiements et les contrats.

187
La Banque d’Angleterre était aussi le dernier prêteur pour les banques
privées en difficulté. Sous certaines conditions, elle accordait des prêts en
ses propres billets qui seront toujours acceptés en cas de panique aux
guichets d’une banque privée. Plusieurs contraintes devaient être respectées
pour octroyer ces prêts. La première était la couverture-or des billets de la
Banque d’Angleterre. La deuxième était le sérieux de la banque privée
menacée par la faillite. Une banque privée litigieuse se voyait refuser un
prêt en billets. Ainsi, la Banque d’Angleterre surveillait la bonne santé de
ses clients, dont les banques privées. Dorénavant, le rôle de la Banque
d’Angleterre incluait la stabilisation du système bancaire.

L’État était redevable de ce service aux banques privées sérieuses. Une


loi corsetait les banques privées contrairement à la Banque d’Angleterre.
Après 1720, les nouvelles banques privées obéissaient aux règlements sur
les compagnies à actions. Les banques privées étaient bridées dans leur
levée de capital. De fait, l’émission d’actions de ce capital avait été limitée
à six actionnaires. Le capital était donc rationné pour démarrer et assurer
les activités de la compagnie. Quelques années plus tôt, l’émission
d’actions avait été étroitement réglementée après une expérience
traumatisante de « bulle spéculative ». L’État souhaitait éviter un plongeon
groupé de milliers d’actionnaires d’une même compagnie. Un tel
mouvement de panique était susceptible de se propager à l’ensemble de
l’économie. En effet, en 1720, le cours en Bourse de l’action de la « South
Sea Company » avait grimpé à des sommets excessifs avant de se dégonfler
bruyamment suite aux rumeurs de déboires de la « Company ». La chute du
cours de l’action en Bourse avait ruiné de nombreux investisseurs. Cette loi
sur la restriction du nombre d’actionnaires n’a été assouplie qu’en 1826
pour les banques de la région de Londres, et finalement levée qu’en 1865 en
province pour des raisons expliquées dans les prochains chapitres.

188
189
Coïncidence : La Révolution industrielle et la
monnaie.

Les travaux récents des historiens ont étudié les quantités monétaires
créées par les banques. Les résultats ont montré l’aspect fondamental des
banques pour assurer le financement de la Révolution industrielle. Celle-ci
n’aurait pas eu lieu sans la Révolution financière en Grande-Bretagne.

Déjà au XVIIIe siècle, certains penseurs analysaient clairement la


situation. Ce siècle, moins belliqueux et imprégné des Lumières, ne justifiait
plus une accumulation d’or pour parer aux hostilités. Les abus et privilèges
du mercantilisme, comme les monopoles injustifiés ou l’accumulation
bornée d’or, étaient attaqués. Les biens commençaient à être perçus comme
la seule vraie richesse, plus que les illusoires pièces d’or et d’argent. Au
début de la Révolution industrielle, Hume, comme Berkeley, remarquait la
vraie richesse des commodités, telles les denrées et les victuailles, plus
profitables que la fausse richesse uniquement symbolique de l’immangeable
monnaie d’or et d’argent. Hume analysait aussi que la quantité de monnaie
en circulation devait être en rapport avec la quantité de biens.

Ensuite, Quesnay et les physiocrates ont professé en faveur d’une


politique libérée des abus du mercantilisme. Quesnay était médecin et
fasciné par la circulation sanguine et le pouvoir de guérison de la nature. De
là, il raisonnait pour aboutir à un « ordre naturel », opposé au mercantilisme
dirigiste. Quesnay est surtout considéré comme l’instigateur des écoles de
pensées économiques et plus seulement philologiques. Enfin, Adam Smith
était plus convaincant à présenter les institutions mercantilistes comme un
moyen de préserver les privilèges des nantis. Il fallait laisser le marché
déterminer librement les prix et les salaires plutôt que les monopoles d’État
légataires des économies de redistribution de l’Antiquité. La concurrence,
appelée « la main invisible » par Smith, ordonnera le « marché libre ».
Adam Smith analysait déjà l’accumulation d’un capital comme nécessaire
pour accroître une concurrence capable de dynamiser la productivité. L’État
ne devait pas, selon le modèle mercantiliste, s’accaparer ou rechercher
l’accumulation des pièces d’or et d’argent. Par là même, il empêchait la
constitution d’un capital, et il bloquait la création de la vraie richesse dans
le pays. Smith analysait que les banques pouvaient aider à sortir de
l’impasse de l’accumulation de capital en seules pièces de monnaie. De la

190
monnaie, il a abordé son aspect scriptural et en a conseillé l’usage sous
forme de papier à la place des pièces d’or et d’argent.

Par contre au XXIe siècle, trop d’historiens peu férus d’économie


inspirent de fausses explications quant aux origines de la Révolution
industrielle. Il faut tordre le cou à ces croyances populaires. La Grande-
Bretagne n’a pas financé sa Révolution industrielle avec l’or et l’argent
extirpés au prix d’atroces souffrances à d’autres continents. Au contraire,
c’est la carence de monnaie d’or et d’argent qui a incité Anglais et Écossais
à rechercher de nouvelles techniques monétaires pour accélérer l’activité
économique. D’ailleurs, la source de la Révolution industrielle ne peut pas
se trouver dans l’exploitation des richesses des colonies. Jusqu’à la moitié
du XVIIIe siècle, l’Angleterre n’avait que ses colonies d’Amérique du Nord
qui se sont émancipées ensuite pour une question d’impôts et pour constituer
les USA. L’Angleterre ne reçut le Canada et la plupart des comptoirs d’Inde
de la France qu’en 1763, après la guerre des Sept Ans, quand la Révolution
industrielle était déjà amorcée. C’est surtout au XIXe siècle que la Grande-
Bretagne a colonisé l’Inde avant les autres pays du Commonwealth, après

191
bien des atermoiements face au coût des conquêtes, même avec la force de
son industrie et de sa Royal Navy.

Une dernière constatation, mais pas la moindre : la Grande-Bretagne a


déjoué la malédiction de la chute de l’Empire romain. L’exemple de
l’industrialisation britannique financée par de nouvelles techniques
monétaires montre comment Rome aurait pu franchir le cap de l’ère
industrielle, au lieu de stagner voire de sombrer dans la décadence. Le
crédit et les billets ont libéré les forces vives du peuple britannique du
carcan de la déflation des pièces d’or et d’argent. Par contre, Rome est
passée des menaces de déflation aux accès de fièvre de l’inflation, car
Rome a dépensé plus qu’elle n’a investi la monnaie multipliée au seul profit
des empereurs et de leur gouvernement. Rome avait brillé d’un
développement comparable au XVIIe ou au XVIIIe siècle, avant de
s’éteindre dans les ténèbres du Moyen Âge. Treize siècles après la chute de
Rome, la Grande-Bretagne de l’Enlightenment, des nouvelles machines, des
investissements financés par la création monétaire aux mains des
particuliers via leurs banques, et donc de la Révolution industrielle,
s’apprêtait à franchir à plein régime le cap du XIXe siècle. Tandis qu’au-
delà de la Manche, les autres grandes nations occidentales tardaient à
développer leur système monétaire non sans avoir essayé.

192
5. Échecs et succès des billets de
papier au XVIIIe siècle

193
Le billet de banque discrédité en France vers 1720

Le système de John Law


En France, à la mort de Louis XIV en 1715, les finances royales étaient
exsangues, et le gouvernement était dans l’impossibilité d’emprunter
davantage aux banques françaises pauvres en dépôts de pièces. Les
Français conservaient ces pièces pour acquitter les paiements ou pour
thésauriser sous le matelas. Les pièces étaient la seule forme de monnaie en
circulation, car les banques françaises n’émettaient pas encore de billets de
banque. Le système bancaire français traînaillait derrière l’avance
britannique.

Le Régent Philippe d’Orléans a alors tendu une oreille attentive aux


idées de John Law. Le Régent s’est laissé convaincre du bien-fondé d’une
banque autorisée à émettre des billets. Quelques mois plus tôt, John Law
venait d’immigrer en France après avoir été déçu par le rejet de ses idées
bancaires par le Parlement d’Écosse. Law avait défendu sans succès la
création d’une banque qui émettrait des billets garantis non pas sur des
pièces d’or, mais sur des propriétés foncières. Law avait souligné la
possibilité de lutter contre le sous-emploi par le crédit et la monnaie de
papier. Le négoce avait besoin de numéraire pour rendre les échanges
possibles. L’Europe était effectivement en déflation, comme expliqué
précédemment. Un commerce prospère renflouerait également les caisses de
l’État par les impôts et les taxes.

En 1716, Law a obtenu les autorisations du Régent pour fonder une


banque privée avec ses fonds propres et les mises d’autres actionnaires. Le
capital contenait donc des pièces d’or et d’argent. La prudence et le bon
sens avaient exclu la création prématurée d’une banque fondée avec un
capital foncier. Sur base de ce capital, la banque de Law s’était vue
octroyer la seule licence pour émettre des billets de banque à Paris. La
banque avait faculté d’effectuer ses opérations avec des billets de banque
pour les particuliers. Essentiellement, l’escompte de lettres de change, donc
l’achat avant terme d’une lettre de change, pouvait être effectué en billets de
banque, et non contre des pièces d’or ou d’argent. Au terme de la lettre de
change, la banque se chargeait de collecter les pièces par l’émetteur de la
lettre. Bien sûr, la banque déduisait des agios pour couvrir ses frais et sa
marge bénéficiaire lors du paiement de l’escompte. Et à tout moment, la

194
banque acceptait de convertir à vue ses billets en pièces d’or ou d’argent.
Les billets étaient libellés en sommes de 10, 50 ou 100 « livres tournois ».
La livre tournois était l’unique unité monétaire de référence dans les
comptes ou pour les pièces jaugées elles-mêmes en fraction de livres
tournois.

Law a instigué des dispositions pour rendre ses billets de banque


attrayants, et en éviter la conversion trop rapide contre des pièces après
leur injection en circulation par l’escompte. Ainsi, l’obligation d’accepter
les billets de banque pour les paiements des impôts était déclarée auprès
des collecteurs des impôts. De plus, pour éviter l’épuisement pécuniaire
des provinces, et l’inutile voiturage des pièces vers Paris, les collecteurs
des impôts de l’État devaient transmettre les sommes collectées en billets
de la banque de Law à Paris. La circulation des billets augmentait par les
longs déplacements entre provinces et capitale. Et, la banque avait étendu
ses activités comme caisse de dépôt de tous les revenus publics.

195
Par ailleurs, Law s’était rendu compte que les vastes territoires de
Louisiane végétaient par manque de moyens. En 1717, Law donnait
l’impulsion pour créer la Compagnie d’Occident. Cette Compagnie avait
comme objectif de développer le commerce par l’achat de navires et
d’autres biens. La Compagnie a vite obtenu le monopole du commerce des
peaux avec le Canada, ainsi que l’entièreté des terres de Louisiane. Des
actions achetables exclusivement en billets de la banque constituaient le
capital de la Compagnie. Ces actions étaient cotées à la Bourse de Paris de
la rue Quincampoix. Les activités de la Compagnie promettaient des
dividendes généreux. Dès lors, les billets de banque gagnaient en attraction
devant les bonnes perspectives du rendement des actions de la Compagnie.
Effectivement, les demandes de convertibilité en pièces métalliques des
billets de la banque s’espaçaient par l’attrait des billets pour acheter des
actions. La banque voyait sa couverture en pièce s’épaissir. Aussi, les
activités de la Compagnie alimenteraient le pays en pièces métalliques par
le commerce avec l’étranger.

Émission désordonnée des billets et spéculation sur


les actions
En 1718, la banque privée est décrétée royale quand l’État a racheté les
actions du capital de la banque. L’impression des billets était alors exécutée

196
sur ordre du Conseil d’État. La tentation de multiplication des billets de
papier était trop forte pour le gouvernement, malgré les cris d’alarme de
Law. L’État céda à l’impression facile de billets pour couvrir certaines
charges. Les paiements de ces charges continuaient d’être acceptés en
alléchants billets, synonymes d’actions achetées et de dividendes
mirifiques. D’autres particuliers achetaient même des actions de la
Compagnie grâce à des prêts obtenus en billets à la banque. La situation de
la Compagnie était réellement brillante par sa flotte, ses monopoles, et ses
premiers résultats encourageants. L’usage du billet se répandait dans le
royaume de pair avec l’ascension du cours de l’action de la Compagnie en
Bourse. Celui-ci continuait effectivement de grimper en fanfare à la Bourse
de Paris. L’on parlait même de demandes de conversion de pièces d’argent
en billets de banque en vue d’acheter des actions. La banque aurait refusé
ces demandes de conversion-papier.

Law gardait le contrôle de La Compagnie d’Occident. En 1719, celle-ci


absorbait même les autres Compagnies de commerce avec les Indes et la
Chine, même si l’État français les avait cédées avec les dettes qu’elles
traînaient. Law avait en main tout le commerce maritime de la France. Dans
la même année, la Compagnie d’Occident absorbait la dette énorme de
l’État français contre promesse de revenus sur quelques impôts récurrents.
La Compagnie remboursait les nombreux créanciers par émissions
d’actions. Les rentiers de la dette passaient au statut d’actionnaires de la
Compagnie. À la place des rentes de l’ancienne dette, ils espéraient de
plantureux dividendes générés par l’activité commerciale ajoutée aux rentes
fiscales de la Compagnie. La dette avait été convertie en une sorte
d’emprunt perpétuel à l’image de l’emprunt de l’État anglais auprès de la
Banque d’Angleterre.

Par la suite, une déferlante de spéculation boursière a emporté la


cotation des actions de la Compagnie vers le firmament. Les Français
étaient encore novices en terme de pratiques boursières. Les prix des
actions étaient aussi cotés en billets de papier surmultipliés dans les mains
des acheteurs fébriles. Dans l’année 1720, les gens commençaient à prendre
conscience des difficultés éprouvées par la Compagnie. Les bénéfices ne
seraient pas aussi exceptionnels qu’annoncés. En même temps, des rumeurs
malveillantes circulaient qui chatouillaient la vigilance. Enfin, les gens
réalisaient que les prix en billets de livres tournois augmentaient, tandis que
les prix en pièces de livres tournois ne bougeaient pas. Avec l’affluence de
clients aux mains pleines de billets, les prix négociés dans les magasins

197
avaient augmenté, comme toujours, quand ces billets commençaient à être
dévalorisés par les commerçants qui leur préféraient les paiements en
pièces.

Effondrement du système de Law


En 1720, le cours boursier de l’action de la Compagnie a commencé à
baisser nettement. Dès lors, les billets de la banque perdaient leur âme. Au
fil de l’agonie du cours de l’action, de plus en plus de monde rejetait les
billets en paiement. Une foule de gens se trouvait ruinée par la dépréciation
des actions de la Compagnie et surtout des billets de la banque. La
suspension de la conversion-or ou argent des billets était inévitable, et la
faillite de la banque inéluctable. Les billets de banque pouvaient être
déchirés par ceux qui les détenaient. La banque était peut-être royale, mais
l’État s’en lavait les mains. Law avait créé le système, et c’est à lui qu’on
fit porter le chapeau de la culbute du cours de l’action de la Compagnie.
L’effondrement du cours en Bourse excusait le discrédit des billets et de la
faillite de la banque royale. Les détracteurs du système de Law ont fini par
forcer le Régent à révoquer l’Écossais. La Compagnie a ensuite été mutilée
de sa flotte, de ses monopoles, de ses avoirs, et réduite à l’impuissance en
1721. L’échec a retenti dans toute l’Europe et Law en était tenu pour unique
responsable.

Le système de Law avait sans conteste permis d’assainir les finances


publiques sur le compte des Français. Par là, certains ont conjecturé que le
système avait été monté de toutes pièces pour aboutir à cette banqueroute
déguisée. Des générations d’historiens se sont penchées sur le système de
Law avec des conclusions discordantes quant à ses motivations. Si le
gouvernement a épongé ses dettes sans scrupules, Law s’est-il enrichi
personnellement ? En tout cas, il a quitté hâtivement la France après l’échec
de son système. Il est mort dans la pauvreté quelques années après. Rien ne
dit que le système de Law n’était pas viable. Law a été destitué de ses
fonctions avant d’avoir eu le temps de rétablir la situation. Law était
probablement aussi génial que précipité. Il a également été poignardé dans
le dos par des rumeurs organisées par ses détracteurs. Il était un peu dupe
de sa confiance en l’État français.

Séquelles de l’échec de l’usage du billet de banque

198
Ce drame rendait difficilement envisageable toute autre expérience de
billet de banque en France. L’échec du système de Law avait été perçu
comme une banqueroute, et ses billets de papier ont longtemps hanté les
souvenirs. Après avoir iniquement épongé la dette publique, le peuple
français payait par là une deuxième fois le prix fort de la prévarication du
ministère des Finances. En bannissant les billets de banque, la France
restait sous la menace du manque de pièces d’or et d’argent reflété par la
déflation. Par manque de crédits bancaires en billets, elle risquait aussi de
rater le coche de la Révolution financière et industrielle. La France n’était
sauvée du manque de numéraire que par le retour des métaux précieux entre
1730 et 1775. Ce retour allait jusqu’à provoquer l’inflation des prix,
comme déjà expliqué.

Vers 1776 seulement, l’État français réimplantait un deuxième essai


d’institut d’émission de billets de banque, toujours selon le modèle de la
banque de Law. Cette « Caisse d’Escompte » proposait, moyennant agios,
l’escompte des lettres de change. L’escompte était payé avec des billets de
banque convertibles à vue en pièces. La Caisse octroyait également des
crédits. Elle s’est développée, car les impôts étaient payables en billets.
Dès 1778, les fermiers des taxes étaient sommés d’accepter les billets de la
banque. L’autre explication du succès de la Caisse d’Escompte était le
manque de monnaie qui se faisait à nouveau sentir dès 1780. Cette nouvelle
expérience de banque à émission de billets a duré pendant 10 ans, avant
d’être dissoute lorsque ses billets ont été échangés contre d’autres billets de
papier évoqués dans quelques pages : les assignats de la Révolution.

199
L’échec du premier papier-monnaie vers 1780 aux USA

Les émissions de billets de crédit


Au long du XVIIIe siècle, le manque de monnaie d’or et d’argent,
éventuellement reflété par la déflation, menaçait les colonies anglaises des
Amériques, donc les futurs États des USA. A fortiori, les colons américains
n’avaient pas assez d’or ou d’argent pour fonder des banques et pour
émettre des billets de banque convertibles en pièces d’or ou d’argent aux
guichets des banques. Pour les mêmes raisons, les autorités des colonies ne
pouvaient pas non plus créer une banque publique selon le modèle de la
Banque d’Angleterre.

Pour pallier au manque de monnaie, certaines colonies ont émis des


« billets de crédit ». Ces billets de crédit étaient des petites
reconnaissances de dette au porteur émises par les autorités. Ces billets de
crédit étaient donc des obligations d’État ou des Bons du Trésor d’un petit
montant nominal. Les autorités des colonies imprimaient ces billets de
crédit et les utilisaient en paiement de leurs frais. La dette que
représentaient ces billets était remboursée à terme et avec intérêts, contre
des pièces d’or et d’argent, ou parfois contre des lopins de terre.

Les billets de crédit avaient parfois cours légal notamment pour payer
les impôts. L’autre raison pour les accepter en paiement était l’âpre manque
de monnaie de la période. À défaut de pièces d’or et d’argent, les billets de
crédit circulaient dans les colonies d’Amérique. Les billets étaient libellés
selon les trop rares pièces en circulation : en livres anglaises et surtout en
dollars espagnols. Le manque de monnaie pouvait se refléter par une
déflation des prix, mais aucune donnée n’est disponible sur le sujet dans
cette période d’anarchie monétaire.

Le système monétaire était comparable à celui de l’Empire romain, avec


une création monétaire aux mains du gouvernement. Cette création
monétaire ne provenait pas de la synergie entre les particuliers et les
banques privées qui multipliaient les crédits, donc la monnaie scripturale
ou fiduciaire, et surtout qui investissaient plus qu’ils dépensaient.

Les « Continentals » de la Révolution américaine

200
En 1775, les colonies américaines décidaient de se gouverner par elles-
mêmes, et la guerre éclatait avec l’ex-mère patrie anglaise. Pour se
financer, le Congrès ne voulait pas recourir à la taxation. La taxation en
nature ou en pièces était honnie par les Américains. La taxation avait même
été un motif de premier plan de la rébellion contre l’Angleterre. « Pas
d’impôts sans représentation au Parlement de Londres », avaient longtemps
exigé les treize colonies.

Le Congrès confédéral (en anglais : le « Continental Congress ») des


États des Amériques n’a pas trouvé d’autre financement qu’un endettement
inscrit sur une nouvelle vague de billets de crédit appelés les
« Continentals ». L’acceptation de ces Continentals est restée volontaire, et
l’artifice pour en motiver l’usage comme paiement, était l’échange à terme
et avec intérêts contre or ou argent. Avec les Continentals de la Révolution
américaine, les colonies allaient basculer de l’extrême de la déflation vers
l’autre extrême de l’inflation.

Vers l’inflation
Le Congrès confédéral imprimait des liasses de billets de crédit. Le
Congrès s’en servait toujours pour couvrir ses dépenses. Également, les
États de la confédération émettaient leurs propres billets de crédit : les
« state notes ». Le Congrès confédéral et les États ont alors chacun multiplié
les Continentals ou les « state notes ». Tous ces billets de crédit ont
rapidement été émis en trop grandes quantités. La surimpression avec une

201
simple presse d’imprimerie avait fait sauter les limitations physiques de la
pénible frappe au marteau des sesterces de Gallien.

Inexorablement, les prix en ces billets de crédit ont grimpé. En quelques


années, cette inflation des prix est devenue vertigineuse. En rapport à
l’inflation galopante des jeunes États-Unis d’Amérique, l’inflation rampante
de l’Empire romain paraissait dérisoire. La dépréciation de ces
Continentals et « state notes » était rapide et les commerçants refusaient la
valeur nominale en or ou en argent inscrite sur ces billets. Cette monnaie
finissait par être rejetée. À l’inflation des prix en billets, avait succédé le
refus tranché des billets. Les billets étaient exceptionnellement acceptés,
mais à des prix en ces billets qui atteignaient des montants exorbitants et
spéculatifs. L’inflation explosait d’autant plus. La perte était presque totale
pour ceux qui avaient thésaurisé ces billets de crédit. Ainsi en 1781, les
Continentals sont tombés à 1/100 de la valeur en pièces d’or ou d’argent
libellée sur ces billets. Des troupes américaines se sont mutinées poussant
l’armée au bord de la débandade. La France a alors sauvé l’Amérique en
envoyant navires, soldats et bien sûr, de précieuses pièces d’argent. Par la
suite, les Continentals ont chuté à 1/1000. Le chaos financier a fait jaillir la
violence, malgré la fin de la guerre d’indépendance.

202
Liquidation des billets de crédit et séquelles de
l’échec des Continentals
En 1783, la guerre terminée et le traité d’indépendance entériné, les
Continentals ont cessé d’être émis. La promesse de rachat des Continentals
ne pouvait clairement pas être honorée selon la valeur libellée en pièces
d’or ou d’argent. Vers 1791 seulement, les Continentals ont
« généreusement » été échangés au centième de leur valeur libellée en
pièces d’or ou d’argent, et contre de nouveaux et solides Bons d’État. Le
gouvernement fédéral fit de même avec les « state notes ». Certains États
étaient plus endettés que d’autres. Quelques émissions de « state notes »
avaient continué après 1783. Dès lors, des compensations ont été accordées
aux États les plus vertueux. Par exemple, la Virginie a reçu Washington D.
C., la nouvelle capitale fédérale, sur son territoire (avec le Maryland).

Les nouveaux Bons d’État ont été achetés, forts de leur garantie
d’intérêts payés par l’État. Aussi, Alexander Hamilton - premier
« Secretary of the Treasury » ou ministre des Finances de l’Histoire des
USA - avait incité à la fondation d’une bourse pour assurer la liquidité des
Bons. Une nouvelle Bourse voyait le jour en 1792 sous un arbre de
New York… à Wall Street. Et, ces Bons ont opportunément servi de
complément monétaire pour tout paiement dans une économie toujours
déficiente en métaux précieux. Enfin, les Bons étaient libellés en une
nouvelle monnaie d’or et d’argent légalement instaurée. Elle était la pièce
de monnaie du dollar américain de près de 24 g d’argent (371,25 grains
troy) ou de 1,6 g d’or (24,75 grains troy), soit un système bimétallique au
ratio de 1:15. Le dollar était subdivisé en 100 cents sous forme de pièces
de billon. Ce nouveau dollar américain remplaçait les pièces des dollars
espagnols ou des livres anglaises en circulation.

Chaque crise financière laisse des traumatismes profonds dans le


système monétaire. Avec la confusion entre les États et l’autorité
confédérale pour les émissions de « state notes » et de « Continental
notes », le nouveau Congrès fédéral avait retenu la leçon lors de la
rédaction de la Constitution en 1787. Le Congrès reprenait aux États le
pouvoir de frapper monnaie. La nouvelle pièce du dollar devait être frappée
par l’Hôtel de la Monnaie fédéral inauguré en 1792 à Philadelphie.

La monnaie des Continentals est considérée comme le premier grand


essai de « papier-monnaie » de l’Histoire. Le papier-monnaie est donc une

203
monnaie de papier inconvertible, ou au moins inconvertible « à vue ». Le
papier-monnaie n’a pas de valeur intrinsèque contrairement à l’or ou à
l’argent des pièces. De son côté, le billet de banque était accepté par la
confiance en la banque émettrice à assurer la convertibilité en or, en argent,
ou même en terres. En conclusion, le billet de banque tendait encore vers le
bien-intermédiaire, tandis que le papier-monnaie s’approchait de la
monnaie pure.

204
Tentative avortée de monnaie amendée à Liège en 1783

L’économie liégeoise rattrapée par la déflation vers


1780
Comme Law, le Liégeois Philippe Comhaire, analysait que le manque de
monnaie, ou la déflation, handicapait l’économie. Depuis 1780, la déflation
ralentissait à nouveau le commerce, les affaires, l’embauche ou les salaires,
et donc le bien-être. La priorité de Comhaire était de surmonter la méfiance
envers le billet de banque née de la hantise de l’échec de Law et de
l’effondrement à peine antérieur des Continentals.

Comhaire a alors présenté ses idées à un concours apparemment sans


rapport avec la banque et les billets de banque qu’il voulait introduire. Son
projet s’est vu décerner le prix du concours de 1783 : « Des meilleurs
moyens de nettoyer la Ville et d’y entretenir la propreté sans augmenter, que
d’un dixième au plus, les frais ordinaires que la Ville fait à ce sujet ».
Jusqu’alors un financement inadéquat avait disqualifié les projets présentés.

205
Mesures proposées pour encadrer un système
monétaire parallèle lié au nettoyage
Avant d’en détailler les avantages et justifications, voici dès à présent le
système concocté par Comhaire. Il tenait en quelques concepts et autant de
projets de loi.

1. Banque : Création de la « Banque pour la Propreté », avec un


capital en actions vendues contre des florins-or.

2. Billets de banque : La Banque était autorisée à émettre des billets


de « florin-papier ». La conversion était assurée entre le florin-papier
et le florin-or à la banque avec un agio de 10 %. La Banque effectuait
des prêts avec intérêts en florin-papier mais seulement à ses
actionnaires.

3. Marché : Obligation de payer les « paiements-papier » en florin-


papier, ou même en florin-or, par tout auteur de « souillure ». Cette

206
souillure était décrite dans chaque « tâche-de-nettoyage » ratifiée par
un vote spécifique des Trois États. Les critères d’homologation de ces
« tâches » étaient contenus dans les « trois principes » énoncés ci-
après. Les florins-papier rendraient les paiements-papier plus
supportables qu’en rares et précieux florins-or.

4. Sans inflation, ni déflation : La quantité de monnaie devait égaler


la quantité de services de nettoyage. Chaque nouvelle tâche-de-
nettoyage entraînait une hausse du volume autorisé des prêts en florin-
papier. Les Trois États devaient consentir à cette hausse. La hausse du
volume autorisé serait calculée selon une savante équation de
Comhaire pour permettre d’acquitter les paiements-papier de la tâche-
de-nettoyage. En d’autres mots, le plafond du volume autorisé de prêts
en florin-papier était proportionnel aux besoins de monnaie pour
acquitter les services de nettoyage.

5. Régulation : Création de la « Compagnie de Surveillance ». Son


objectif était l’organisation du marché des paiements-papier entre
clients-salisseurs et compagnies-de-nettoyage, et la supervision des
prix en florin-papier. À cette dernière fin, la Compagnie de
Surveillance se voyait réserver un quart du volume autorisé des prêts
en florin-papier avec des charges d’intérêts raisonnables. Par là, la
« Compagnie » luttait contre tout monopole mercantiliste en assurant le
financement, le développement, et donc la concurrence entre plusieurs
compagnies-de-nettoyage. La Compagnie avait une relative
indépendance du pouvoir.

Le marché parallèle des tâches-de-nettoyage


sélectionnées selon trois principes
Chaque nouvelle tâche-de-nettoyage devait être compatible avec
3 principes qui visaient à rendre le paiement-papier acceptable ou justifié.

· Contrôle aisé de chaque tâche-de-nettoyage grâce aux unités de poids,


volume ou dimension, pour éviter toute régulation obscure des prix par
l’État ou par une sous-traitance à un monopole mercantiliste. Ce contrôle
impliquait des prix visibles car distincts. Ainsi, une saine concurrence
devait jouer pour modérer ces prix, selon les principes d’Adam Smith déjà
évoqués.

207
· Restriction des tâche-de-nettoyage au nettoyage de l’insalubrité aux
activités négligées et pourtant d’une incontestable utilité. Les corporations
liégeoises avaient encore quelques influences et chérissaient leurs
monopoles sur les activités juteuses pour satisfaire les besoins traditionnels
et indéfectibles.

· Utilisation de mendiants dans les compagnies-de-nettoyage afin de ne


pas débaucher la main-d’œuvre déjà employée.

Première tâche-de-nettoyage
En mars 1783, une première tâche-de-nettoyage a été appuyée par le
Prince-Évêque, et votée le parlement des Trois États. Il s’agissait du
ramassage du crottin dans les rues de la ville.

Durant les mois suivants, Comhaire a organisé le système à partir de


rien, et il a convaincu les trois principaux acteurs de participer :

· Chaque propriétaire de cheval, mule, ou âne devait acquitter le


paiement-papier en florins-papier, ou même en florins-or, pour circuler
dans l’enceinte de la ville.

· La « Cour de la Fermeté » collectait les paiements-papier auprès des


usagers de chevaux, mules ou ânes « salisseurs ». Cette « Cour » était déjà
en charge de la collecte d’une taxe fixe ou « ferme » de circulation pour la
maintenance du pavage des rues, d’où son nom « de la Fermeté ». La
collecte était organisée au jour le jour ou par abonnement.

· La Compagnie de Surveillance avait organisé une mise aux enchères


hebdomadaire en florin-papier de l’attribution par rue du ramassage du
crottin et son évacuation par épandage dans les champs. À partir des mises
aux enchères, la Compagnie de Surveillance obtenait les coûts
hebdomadaires de nettoyage exigés par les compagnies-de-nettoyage. La
Compagnie de Surveillance calculait publiquement le prix à la semaine du
paiement-papier hors du solde des revenus des mois précédents, et des
coûts hebdomadaires de nettoyage. La Compagnie de Surveillance affichait
ses résultats et ses comptes devant l’Hôtel de Ville.

Les autres projets rejetés ou postposés

208
D’autres projets devaient être mis en œuvre comme le nettoyage
complet des rues avec paiement-papier par piéton adulte ou par animal de
transport. L’épandage des détritus pouvait être une tâche-de-nettoyage
distincte et saisonnière, selon Comhaire. De nombreuses autres tâches-de-
nettoyage avaient été proposées comme d’attraper les rats pour prévenir des
morsures et comme de capturer les pigeons pour remédier aux
désagréments.

Certains projets avaient été refusés, car contraire à l’un ou l’autre des
3 principes. Les travaux publics et autres rénovations, étaient déjà entrepris
par différents corps de métiers. La Cour de la Fermeté assurait l’entretien
par les cantonniers ou les paveurs des routes et des rues. Des fonctionnaires
de la Ville entretenaient l’éclairage public installé depuis le début du
siècle. Le projet de construction d’égouts souterrains n’avait pas été retenu,
car Comhaire n’avait pas su définir une méthode de calcul possible pour
chiffrer les paiements-papier. Comhaire avait évincé le traitement des
produits toxiques, dont les déversements massifs empoisonnaient les
poissons de la rivière qui serpentait dans la ville. Aucun traitement des
substances nocives n’existait, et seule une interdiction de leur rejet dans la
rivière était envisageable. Un projet de contraception avait même été
évoqué et cloué au pilori. L’utilité universelle des « funestes secrets » était
totalement incongrue pour le clergé, et donc non conforme au deuxième
principe. Cette exclusion déçut Comhaire qui était bien conscient du casse-
tête de l’absorption des progrès économiques par une natalité incontrôlée.

Arguments pour étayer le système parallèle


Comhaire a défendu la présentation de son système dans le cadre du
concours. Il a axé son argumentation autour d’une seule idée : les
paiements-papier seraient mieux tolérés que les taxes.

· La concurrence écrêterait les prix, à condition d’être élargie par un


financement accessible des compagnies-de-nettoyage.

· Pour le peuple liégeois, la visibilité des prix en florins-papier, séparés


des prix en florins-or, facilitait le contrôle des prix bas. La séparation des
prix du nettoyage hors des prix de production simplifierait un calcul de coût
composé de plusieurs tâches-de-nettoyage ou opérations de nettoyage.

· Les mendiants obtenaient quelques pièces en travaillant plutôt qu’en


harcelant les passants. En somme, l’embauche de mendiants ne coûtait pas

209
grand-chose.

· La mise de départ en pièces d’or et d’argent était modeste pour


démarrer les activités de nettoyage. Le capital de la Banque de la Propreté
se chiffrait à 50 florins-or. Il avait été estimé par Comhaire pour couvrir la
conversion – découragée par une charge de 10 % – des 200 florins-papier
nécessaires pour une circulation aisée des billets entre payements-papier et
tâches-de-nettoyage. Comhaire avait estimé ce montant sur base du passage
quotidien dans la ville des chevaux, mules ou ânes et le calcul tenait ensuite
compte des salaires des mendiants pour ramasser le crottin.

Cette estimation du capital étonnait les Trois États. Le montant du


capital était bien en deçà des exigences du concours, même en tenant
compte de la réduction du nettoyage au seul ramassage du crottin. En
comparaison, l’ancien service de nettoyage des rues coûtait par
adjudication 4000 florins-or par an, pour une efficacité controversée. La
différence entre les 50 florins-or du ramassage du crottin et les
4000 florins-or du nettoyage des rues paraissait même diabolique aux yeux
des gens hermétiques à la monnaie. En fait, ces gens ne saisissaient pas que

210
la quantité de monnaie-papier n’était que de 200 florins-papier, mais qu’ils
circulaient en boucle.

Dans sa défense du système, Comhaire avait conclu que pour les tâches-
de-nettoyage négligées, il y avait quatre solutions possibles : « Ne rien
faire ; demander au Prince et à son administration de lever une taxe et
organiser le nettoyage ; adopter mon système ; proposer une meilleure
solution. », un commentaire exhaustif.

Application du système parallèle de 1783 à 1784


Dès juin 1783, quelques changeurs avaient acheté des actions de la
Banque pour la Propreté. La motivation était peut-être spéculative. En tant
qu’actionnaires, les changeurs avaient emprunté l’intégralité du volume
autorisé des prêts en florins-papier. Comme prévu par Comhaire, ils
changeaient en rue bien en deçà des 10 % exigés par la Banque de la
Propreté. L’essentiel était que les florins-papier ne soient pas convertis en
florins-or à la Banque. Les changeurs prêtaient également en florins-papier
à des charges d’intérêts moindres que pour les prêts en florins-or. La
Compagnie de Surveillance et ses prêts concurrentiels orientait aussi les
changeurs vers des prêts bon marché pour les compagnies-de-nettoyage.

Au début, la Compagnie de Surveillance avait organisé elle-même le


nettoyage avec des mendiants à un prix calculé et forfaitaire. Ensuite, le
marché de salissures démarrait par la mise aux enchères hebdomadaire des
activités de ramassage du crottin. Rapidement, une poignée de commerçants
étaient venus gérer le nettoyage de chaque quartier… sans trop se marcher
sur les pieds. Habitués des moindres recoins de la ville qu’ils sillonnaient
pour diverses activités commerciales, ils proposaient des prix honnêtes
pour le nettoyage. Les nettoyeurs ramassaient le crottin sous leur
supervision. Aussi, en l’absence de passage de chevaux, ils s’activaient à
nettoyer d’autres lieux selon les directives des commerçants.

Les nettoyeurs recevaient un salaire fixe, et ils pouvaient dépenser leurs


florins-papier chez les commerçants qui les avaient embauchés. Après
quelques semaines et avec la rareté du numéraire, les autres commerçants
acceptaient également les florins-papier. Lors des trajets à cheval, ils
acquittaient à leur tour les paiements-papier en florin-papier, plutôt qu’en
florin-or. Des prix de transport tracté par chevaux sont même apparus en
florin-or avec un supplément en florin-papier. Les riches propriétaires de
chevaux de la noblesse et du clergé manipulaient aussi le florin-papier.

211
Parfois, la monnaie rendue était exigée en florin-papier quand le
commerçant feignait de manquer de change en florin-or ou en sa subdivision
en 20 pièces de « patard ». Le florin-papier était également largement
subdivisé en pièces de billon qu’on avait appelé les « patards-Comhaire ».

Après un an de fonctionnement, le système tenait fermement sur ses


pieds, même s’il restait embryonnaire. Cinq mendiants avaient un travail
régulier pour ramasser le crottin. L’introduction restreinte du billet de
florin-papier dans une première étape était une réussite. Les avantages
intrinsèques à tout système de monnaie et de banques : compter, acquitter,
épargner, et financer étaient pleinement appliqués à cette économie
parallèle.

Tentatives d’extension du système parallèle, et


abandon soudain
En février 1784, Comhaire proposait alors d’étendre son projet à
d’autres tâches. Bizarrement, Comhaire s’est embarqué dans un
retournement d’objectif prématuré. Ce retournement illustre pertinemment le
système. Comhaire pressentait le blocage de l’instauration d’une banque
traditionnelle avec des billets pleinement convertibles. Comhaire espérait
financer le développement des technologies déjà bien présentes à Liège
avec son charbon et son savoir-faire en fonderies.

212
Certains s’y opposaient en craignant le financement d’une concurrence
dérangeante. Le tiers État s’était offusqué de l’usage à grande échelle de
billets en se remémorant les mésaventures de Law et des Continentals.
Jusqu’alors, le florin-papier avait été accepté par sa relative innocence
pour acquitter les paiements-papier du nécessaire nettoyage. Les changeurs
prêtaient ainsi sans encombre ces florins-papier. Les Liégeois s’amusaient
avec ces billets de papier réservés au nettoyage. Comhaire avait peut-être
des visées politiques depuis le début. Il recherchait plus de ressources pour
prêter à qui il l’entendait. Il s’est mis à réclamer le droit pour la Banque de
la Propreté d’octroyer des prêts en florin-papier à d’autres projets de
l’économie hors nettoyage. Il souhaitait libeller les billets en florins-or,
donc d’en faire des substituts de l’or en supprimant les charges de change
de la convertibilité-or. Il voulait aussi faire sauter le maximum du volume
autorisé de prêts. La démarche de Comhaire était incohérente et
incompréhensible dans le cadre du concours de nettoyage. Ce changement
d’attitude était à l’origine du discrédit de Comhaire.

La mort, le 30 avril 1784, du Prince-Évêque Velbruck portait un coup


d’arrêt aux querelles. Le Prince était le principal soutien de l’extension du
système de Comhaire. Le système déjà en place a été démantelé sans
ménagements. Tant pis pour les cinq mendiants-nettoyeurs et pour la
propreté. Seuls les actionnaires de la Banque ont été remboursés. Les autres

213
florins-papier ont été déclarés sans valeur. Dépité, Comhaire arrêta là sa
prise de notes. Les revendications politiques ont ensuite éclipsé la curiosité
de la Banque pour la Propreté et de son florin-papier. La Révolution
française a d’ailleurs débordé sur la principauté de Liège quelques années
plus tard. Il reste à espérer que l’aventure monétaire de Comhaire reprenne
sa place dans les manuels d’Histoire de la ville de Liège.

214
L’effondrement des assignats de la Révolution française
vers 1795

Création du billet de l’assignat en 1789


Et la France est entrée en Révolution en 1789. Le manque de pièces d’or
et d’argent était antérieur à la Révolution. La déflation régnait dans toute
l’Europe dès 1780. Avec la prise du pouvoir par les révolutionnaires, la
crainte des nantis déchus éperonnait la thésaurisation massive et la fuite
d’or et d’argent à l’étranger. La création d’une monnaie de substitution
devait compenser la disparition du numéraire.

Dès décembre 1789, les billets de papier des « assignats » libellés en


« livre tournois » commençaient à être imprimés selon la volonté de la
nouvelle Assemblée nationale. Pour le change en rue, une pièce d’or ou
d’argent d’une livre valait un assignat d’une livre. Les assignats
représentaient un titre au porteur de propriétés foncières. Ces propriétés
étaient les mêmes qui avaient été confisquées à l’Église. Les terres étaient
« assignées » en gage des billets selon les termes du vieux droit écrit
méridional. Cependant, les assignats n’étaient échangeables contre des
terres qu’après un terme de six mois, soit en juillet 1790. Un intérêt de 5 %
avait été ajouté comme sur une reconnaissance de dette ou un Bon du
Trésor. En pleine déflation, l’assignat était donc accepté pour acquitter les
paiements. Aussi, une part de spéculation pressait à le percevoir comme un
titre en Bourse. L’assignat était à mi-chemin entre le papier-monnaie et le
billet de banque. L’assignat ressemblait à du papier-monnaie, car il était
inconvertible « à vue ». L’assignat s’apparentait au billet de banque, car il
était convertible « à terme » en terres, selon le modèle de banque fondée sur
des propriétés foncières, comme imaginée par John Law avant 1720 ou
testée en 1772 avec l’Ayr Bank en Écosse qui avait failli par la suite.

L’Assemblée multipliait les assignats en rapport aux surfaces des terres


en gage. Cette monnaie compensait honorablement le retrait des pièces d’or
et d’argent de la circulation. Durant les deux premières années, la
multiplication des assignats compensait le manque de pièces sans inflation
des prix. Avec ses dépenses en assignats, l’Assemblée compensait la chute
de la consommation de ceux qui thésaurisaient les pièces de monnaie. Dans
le même temps, l’Assemblée parvenait heureusement à compenser la

215
laborieuse réforme fiscale par rapport au temps de la « tyrannie ». Des
impôts directs sur le revenu remplaçaient alors les impopulaires taxes
indirectes sur les transactions comme sous l’Ancien Régime. Ces impôts
collectés à hauteur des revenus rentraient mal. Les fonctionnaires du fisc
étaient inexpérimentés à déterminer les revenus des citoyens. Les assignats
compensaient providentiellement la chute des recettes fiscales.

À la fin du terme des six mois, le remboursement des assignats contre


des terres a été annulé sous prétexte du rendement de 5 % d’intérêts. Les
assignats étaient déclarés inconvertibles. Ces billets étaient officiellement
un simple papier-monnaie. Les révolutionnaires avaient découvert une mine
de papier à la place d’une mine d’or.

Inflation et crise économique


En avril 1792, la guerre se justifiait pour devancer l’invasion, comme
pour distraire le peuple des tribulations politiques et économiques internes.
Selon l’historien François Crouzet, des motivations monétaires ont peut-être
également pesé dans l’évolution guerrière de la Révolution. Elles
concernaient l’inquiétude de la perte de valeur de la livre en assignat dans
le change en pièces étrangères. Pour l’Assemblée, le souci d’asseoir les
assignats à l’étranger était une justification supplémentaire pour pousser
Louis XVI à déclarer la guerre. Cette guerre espérée courte et victorieuse
galvaniserait la croissance des manufactures, consoliderait le prestige de
l’assignat à l’étranger sans besoin de retour à une quelconque convertibilité
de ces billets, et assurerait l’irrévocabilité des ventes de biens nationaux.

216
Crescendo, la multiplication des assignats a augmenté, notamment pour
soutenir l’effort de guerre qui prenait les finances de l’État à la gorge. Dès
août 1792, la multiplication des assignats dans les mains des acheteurs
provoquait l’inflation des prix en ces billets. Les prix en assignats
différaient des prix en pièces d’or ou d’argent. La livre tournois en papier
se détachait de la livre tournois d’or ou d’argent. Le libellé de la monnaie
comptait moins que l’âme de papier futile ou de métal précieux accepté
universellement pour sa valeur intrinsèque. L’assignat valait de moins en
moins hors de France. La thésaurisation des pièces d’or et d’argent
augmentait. En avril 1793, l’interdiction des prix doubles en assignats et en
pièces a surtout aidé à faire disparaître le numéraire métallique.

La pénurie et l’inflation des prix désorganisaient réellement les


marchés. L’inflation des prix en assignats intensifiait la crise économique
liée aux insurrections et aux incertitudes. La production en était gravement
affectée. Les producteurs ou les commerçants se décourageaient de produire
pour vendre contre une monnaie qui ne tenait pas la promesse de report de
la dépense pour un pouvoir d’achat conservé. Par ce fait, le déséquilibre
était encore renforcé entre la quantité de monnaie en augmentation et entre
la quantité de biens en diminution. Le cercle vicieux de l’inflation,
dégradation de la production, et encore plus d’inflation s’accélérait
d’autant.

217
La perte de valeur des assignats était telle que la ponction par l’inflation
tournait à la confiscation. S’en suivait la kyrielle de refus déguisés de
l’assignat : prix exorbitants, ou rétention des céréales et d’autres produits.
Les acheteurs se voyaient exiger des paiements acquittés autrement qu’en
assignats. À l’occasion, les assignats étaient acceptés, mais par pure
spéculation. Dès lors, sans matières premières, sans ressources, l’économie
chutait vers le minimum vital et agricole. Le pouvoir d’achat des masses
était entamé et les passions exacerbées.

Selon certains historiens, l’inflation a été un facteur puissant de la


radicalisation de la Révolution vers la Terreur dès septembre 1793.
Ensuite, le besoin toujours plus pressant pour financer les armées a encore
aggravé la surmultiplication des assignats pendant la Terreur. Mais, les
menaces étrangères refoulées, l’impression des assignats et l’inflation
continuaient. Au moins, le temps était venu de mettre un terme à
l’extrémisme politique. Les Français étaient saturés des exécutions
massives à la guillotine. Robespierre et la Terreur étaient décapités à leur
tour, en juillet 1794.

En 1795, l’inflation atteint son apogée quand l’extrémisme économique


par l’impression d’assignats et l’inflation continuaient avec le Directoire.
Le seul changement est venu de l’apparition des assignats libellés en
« franc » de la Révolution, avec un franc valorisé à 4,5 grammes d’argent
pur à la gloire du système métrique, et d’une valeur pratiquement égale à la
livre tournois. En réalité, les assignats ne valaient presque rien par rapport
aux pièces d’or ou d’argent.

Liquidation des assignats


La déconfiture économique s’était aggravée avec l’inflation et avait
déclenché les émeutes des Parisiens affamés en mai 1795. Le chemin était
pavé pour Napoléon et les militaires, et un système monétaire d’or et
d’argent.

La planche d’impression des assignats était détruite en février 1796. Les


assignats ont encore circulé quelques mois malgré la généralisation de leur
refus comme paiement. Lorsque l’assignat était reçu comme paiement, il
chutait à moins de 1/300 de sa valeur faciale en pièces d’or ou d’argent.
Les assignats ont fini absorbés comme paiements autorisés pour acquitter un
quelconque impôt en août 1796.

218
La monnaie est redevenue la pièce d’or ou d’argent en 1796. La
déflation a été écartée grâce à l’embellie économique qui attirait les métaux
précieux de l’étranger, et par les pièces frappées à partir des lingots
ramenés des conquêtes militaires en Europe.

219
Les guerres napoléoniennes et les billets de banque

Timides émissions de billets en Europe continentale


sans Révolution industrielle
Au XVIIIe siècle, sur le continent européen, les crédits se concentraient
au sein du cercle fermé des commerçants et des clients familiers des
banques qui manipulaient les lettres de change, les chèques nominatifs et les
virements écrits, aux dépens du développement de la production. De la
même manière, les crédits des banques publiques étaient orientés vers les
États. La création de monnaie scripturale, quand elle existait, était
concentrée dans les mains des privilégiés. Les émissions de billets par les
banques privées ou publiques étaient exceptionnelles dans les pays du
continent européen. À la fin du XVIIIe siècle, l’extension des crédits grâce
aux paiements acquittés par billets restait une habitude britannique. La
Révolution industrielle et financière n’avait démarré qu’en Grande-
Bretagne.

Les Français se sont longtemps agrippés aux manipulations des pièces


d’or et d’argent depuis les appréhensions dues à l’échec de Law, et encore
renforcées par l’effondrement des assignats. Les banques privées
continuaient de prêter en pièces comme depuis des siècles. Elles
n’allouaient que peu de crédits visualisés par des billets de banque. Dans la
pratique, une forte couverture des dépôts et des billets était exigée. Les
banques privées ont longtemps mesuré leurs émissions de billets de banque.

220
En 1800, l’État s’immisce à nouveau dans l’impression de monnaie de
papier quand Napoléon fondait la Banque de France pour financer l’État.
Pour éviter de nouveaux troubles monétaires, la Banque de France a reçu
des privilèges exclusifs. Le monopole d’émission des billets de banque lui
a été accordé dans la région parisienne. Les billets ne pouvaient être d’un
montant inférieur à 250 francs, soit le salaire mensuel d’un ouvrier. Les
billets des banques privées destinés à circuler en province devaient être
imprimés sous contrôle dans la capitale. Sous l’Empire, la Banque de
France n’a pas dépassé les volumes de billets et de crédits de la Caisse
d’Escompte de l’Ancien régime. Les billets ont circulé fort modestement
par rapport à la Grande-Bretagne. Les pièces constituaient la base
monétaire bien plus que les billets suspects. Napoléon n’a jamais pu
envisager de recourir à l’expédient trompeur du papier-monnaie
inconvertible en or ou argent. Il n’y avait pratiquement jamais eu de guerre
sans dévaloriser la monnaie d’or, d’argent, de billon ou de papier.
Napoléon fit exception. La convertibilité-or ou argent des quelques billets
de la Banque de France a été mise à rude épreuve. Les crises de retrait
n’ont été surmontées que par les apports en pièces d’or et d’argent d’une
France conquérante ou riche de l’or de la vente de la Louisiane. Napoléon
n’a non plus jamais dévalué son franc « germinal » laissé à 4,5 g d’argent
ou à moins d’un tiers de gramme d’or, selon un ratio bimétallique de 1:15,5.

221
Dans les autres pays continentaux, ce n’était qu’en 1770 que la Banque
royale de Prusse émettait des billets de banque pour la première fois en
Allemagne. La Banque d’Amsterdam créait un important volume de monnaie
scripturale, même sans émettre des billets pour acquitter les paiements.
Comme déjà évoqué, depuis la fin du XVIIe siècle, les Pays-Bas
régressaient sans parvenir à développer leurs industries comme ils avaient
développé leur commerce.

Les « country banks » de Grande-Bretagne, et la


croissance industrielle autosoutenue
Comme le continent européen, le manque de monnaie reflété par la
déflation sévissait en Grande-Bretagne vers 1780. Le manque de pièces
détendait le ressort du commerce et de l’économie. Les Hôtels de la
Monnaie, donc le Trésor, n’avaient pas assez d’or et d’argent pour frapper
de nouvelles pièces. Dans tout le pays, les banques privées se sont alors
jetées dans la brèche. Les billets des banques privées circulaient
efficacement. Vers 1786, la Grande-Bretagne était sortie de la déflation
avant les pays du continent européen.

Dès 1793, les guerres avec la France en Révolution éclataient.


Paradoxalement, les menaces de débarquement des révolutionnaires
français ont favorisé les banques et l’économie. Le stationnement des
troupes dans les provinces anglaises a amené les pièces de monnaie
nécessaires aux couvertures-or pour stimuler les « country banks » et
l’économie de province. C’était le « pullulement des country banks », selon
l’historien François Crouzet. Le recours aux banques a été doublement
crucial pour les compagnies en peine de financement. D’abord, les banques
et leur création monétaire ont soulagé le manque de pièces dans les mains
des clients. Ensuite, les banques ont ouvert l’accès aux ressources
financières, quand jusqu’alors, la déflation avait gêné la vente d’actions,
autant que la limitation légale à six actionnaires, comme déjà évoqué. Enfin,
les sociétés pouvaient compléter leur capital par des crédits ou des prêts en
billets.

222
Depuis 1787, des marchands, des compagnies et des quasi-banques
émettaient également de larges quantités de pièces de billon privées avec
assurance de convertibilité en équivalent de pièces d’or ou billets de la
Banque d’Angleterre. C’était la première grande vogue de pièces de billon
privées de l’ère industrielle. Parfois, des banques émettaient des billets
pour les fortes valeurs, tandis que les pièces presque inusables étaient
destinées aux faibles valeurs très manipulées.

La Révolution industrielle explosait véritablement entre 1783 et 1802.


Selon certains historiens, la première croissance autosoutenue s’est
produite en cette fin de XVIIIe siècle. Le financement de la production
débouchait sur la consommation par les salaires et sur les investissements
par l’épargne et les placements. Ensuite, les revenus de la consommation et
des investissements entraînaient un cercle vertueux de production. La
Grande-Bretagne, qui était une nation presque entièrement agricole en 1750,
accélérait sa transformation en un pays de manufactures et d’industries.

Succès de l’inconvertibilité temporaire du billet de la


Banque d’Angleterre

223
Pendant les « guerres de coalition » contre la France, les troupes
britanniques stationnées sur le continent européen nécessitaient des soldes
en or. Les prêts au gouvernement et les subsides aux alliés devaient
également être accordés en or ou en argent. De plus, vers 1795, les
transferts de l’or anglais vers la France s’accéléraient. Le change de l’or y
était très favorable par rapport à l’argent plus abondant. La chute annoncée
de l’assignat français rendait inévitable le retour de la France à un système
bimétallique qui nécessitait des pièces d’or en plus des pièces d’argent.
Également, les particuliers anglais craignaient une invasion française et une
crise de retrait à la Banque d’Angleterre. La Banque d’Angleterre constatait
l’accélération angoissante des retraits des dépôts et des demandes de
conversion-or ou argent des livres sterling papier. Les réserves d’or et
d’argent fondaient. La convertibilité-or ou argent des billets de la Banque
d’Angleterre chancelait. Vers 1797, la France a même espéré la faillite de
la Banque d’Angleterre incapable de faire face aux conversions des livres
sterling papier en livres sterling or ou argent. Mais la Banque d’Angleterre
s’en est tirée par l’unique subterfuge possible.

En 1797, la Banque d’Angleterre a suspendu la convertibilité de ses


billets en livre sterling, et les dépôts ne pouvaient être retirés que sous
forme de billets. Le Trésor assurait ses échéances non plus en pièces, mais
avec des prêts en billets accordés par la Banque d’Angleterre. Les pièces
étaient virtuellement retirées de la circulation. La suspension allait durer
presque 25 ans. Le retour prévu à la convertibilité-or était la seule barrière
à l’appellation de papier-monnaie pour qualifier le livre sterling. Cette
inconvertibilité temporaire s’est avérée une arme salvatrice pour le
gouvernement britannique.

Les banques privées continuaient d’octroyer des crédits et d’émettre des


billets privés. La limite du crédit était la couverture pour assurer la
convertibilité de leurs billets privés en billets de la Banque d’Angleterre,
plutôt qu’en pièces d’or. Les billets de la Banque d’Angleterre étaient
acceptés à la place des pièces d’or. L’essentiel était sauvegardé : le
maintien de l’activité, du commerce et de la production de biens, seule
vraie richesse à la place des illusoires pièces d’or. Le financement de la
Révolution industrielle n’était pas stoppé.

224
L’État anglais n’a pas recouru à l’habituelle multiplication des sesterces
ou des assignats en cas de guerre. La récente catastrophe française était
l’exemple à ne pas suivre. L’État s’est financé par une simple hausse des
taxes pour supporter le coût de la guerre contre la France. Les taxes étaient
la seule alternative à la multiplication de la monnaie pour renflouer le
Trésor. L’État avait ensuite pris certaines mesures pour éviter la
surémission de billets des banques privées. Par exemple, une licence pour
l’émission de billets était exigée pour les banques privées dès 1808.

Cette stratégie fiscale évitait l’inflation des prix. La démarche était


presque inconsciente à une époque où les niveaux des prix n’étaient pas
mesurés. Ainsi, les revenus de la production étaient taxés sans récidives,
car l’épargne était ménagée par l’inflation. Elle était éventuellement
rémunérée par des intérêts bancaires, et conservait alors sa valeur. Là était
toute la différence pour ne pas décourager la production. L’inflation s’est

225
effectivement chiffrée à des taux raisonnables au début du XIXe siècle. Les
prix de 1810 étaient peut-être supérieurs de 75 % à ceux de 1790, mais cela
représentait moins de 3 % d’inflation annuelle. Les quantités de monnaie et
de biens produits sont restées en proportion. La hausse des prix interloquait
plus les contemporains habitués à des prix stables. Même la dépréciation de
la livre sterling papier par rapport au cours en rue de l’or et de l’argent
était modérée entre 1797 et 1821. Le système monétaire des billets
inconvertibles tenait le coup contrairement aux exemples américain ou
français.

226
Coïncidence : Échecs monétaires et aléas des
Couronnes de France et d’Angleterre.

L’usage du billet a longtemps révulsé les Français par le souvenir de


l’échec de la Banque de Law, torpillée en partie par les initiatives de la
Couronne. En résultait l’absence de possibilités de financement, ce qui
laissait beaucoup d’idées, d’énergies, et de bras au chômage. La France
continuait de manquer de forces endogènes qui œuvraient pour une
révolution économique.

Au retour de la déflation vers 1780, le royaume de France n’avait qu’un


organisme d’émission de billets : la Caisse d’Escompte. Ouverte en 1776,
elle était un signe tardif de modernité. Le royaume n’avait aucun système
bancaire développé sur lequel s’appuyer. Avec la flambée philosophique
des Lumières et pour remédier aux blocages économiques, les exigences
politiques sont satisfaites dans la Constitution en 1791 qui conservait
encore la monarchie héréditaire. Les épines politiques et religieuses ont
alors empoisonné la Révolution. Héritière des finances lessivées de la
Couronne, la France révolutionnaire s’empêtrait dans les déboires
financiers et monétaires des assignats qui ont sabordé l’économie par
l’inflation. La Terreur s’en suivit, jusqu’à mettre un terme au prestige de la
Couronne de France, en définitive victime des prévarications financières de
ses aïeux.

La Couronne d’Angleterre n’avait pas été moins tordue que son


homologue française quant aux questions monétaires. Involontairement, elle
a profité des erreurs de Charles I qui ont donné naissance aux banques
privées jusqu’à entériner l’existence légale des billets de banque. La
Couronne a subi ensuite les contrecoups des outrecuidances de Charles II en
devant se financer par la fondation de la Banque d’Angleterre. Celle-ci a
stabilisé grandement le Trésor public, mais aussi la monnaie et les banques.
La stabilité monétaire a même été assurée en pleine guerre. La déflation a
été surmontée pendant toute la période d’inconvertibilité de la livre sterling
papier de la Banque d’Angleterre.

À pile ou face, la pièce de monnaie était tombée du bon côté pour la


Couronne d’Angleterre. Dans la majeure partie du XIXe siècle, la Grande-
Bretagne allait étendre son hégémonie au monde. La Banque d’Angleterre

227
louvoyait assez bien entre les écueils de la déflation et de l’inflation.
L’Empire britannique allait hisser l’Union Jack aux quatre coins du monde,
et la Pax Britannica allait transcender le siècle pour le plus grand prestige
d’une Couronne d’Angleterre qui devait beaucoup… aux prévarications
financières de ses aïeux.

228
6. Le billet de banque, l’étalon-or
et les cycles économiques
au XIXe siècle

229
Brève dépression économique en Grande Bretagne vers
1820

La naissance de l’étalon-or pour les billets de la


Banque d’Angleterre
Conscient des antécédents calamiteux des Continentals et des
« assignats », l’État anglais était très prudent envers la prolongation de
l’inconvertibilité. Après la victoire de Wellington à Waterloo, le temps du
retour de la circulation des pièces de monnaie était venu, et la convertibilité
en pièces des billets de la Banque d’Angleterre devait être rétablie.

En 1821, le Trésor a réintroduit les pièces d’or en omettant la frappe de


pièces d’argent. Seules les pièces d’or et non plus les pièces d’argent
circulaient effectivement depuis le « Great Recoinage », comme déjà
expliqué. Durant le XVIIIe siècle, le système monétaire était déjà
officieusement monométallique, même s’il était encore officiellement
bimétallique. La pièce d’or et la convertibilité-or des billets s’étaient déjà
imposées de facto avant 1797. Dès lors, seules la pièce d’or et la
convertibilité-or des billets de banque seraient réintroduites. Le système
monétaire était édicté officiellement monométallique en or et en billets
convertibles-or.

La valeur de l’argent-métal n’était plus liée à l’or selon un ratio or-


argent officiel pratiqué par les Hôtels de la Monnaie. La valeur du poids
d’argent-métal fluctuait librement en rapport au prix des pièces d’or selon
le bon vouloir des changeurs en rue. L’argent était démonétisé en un simple
bien dont le prix fluctuait librement en livre sterling d’or, comme les autres
biens.

230
Sans frappes en argent-métal, la référence de la monnaie se détachait de
l’argent-métal. Pourtant, le poids en livre troy d’argent-métal à un titre
sterling (92,5 %) avait été la référence des pièces de monnaie depuis des
siècles. Pour bien marquer la rupture avec l’argent-métal, la référence d’or
d’une livre sterling ne s’appelait pas « livre », mais « souverain ». La
nouvelle pièce du souverain pesait 7,32 g d’or fin ou environ 8 g d’or
sterling. Avec le retour de la convertibilité des billets, la pièce du
souverain du Trésor équivalait à une livre sterling en billet ou en compte en
banque. Le libellé de la « livre sterling » était ainsi conservé pour les
billets ou les comptes en banque. L’« étalon-or » était ainsi défini et
instauré pour les billets de banque en livres sterling.

Par ailleurs, avec cette définition du poids du souverain, la parité entre


la pièce d’or et le billet d’une livre sterling papier de la Banque
d’Angleterre avait été restaurée selon les normes de poids d’or antérieures
à la suspension de 1797 de la convertibilité des billets. Les autorités
s’étaient accrochées à l’or. L’or était encore perçu comme la seule vraie
monnaie. Dès lors, pas question de voler de l’or aux détenteurs de billets de
la Banque d’Angleterre. En 1821, l’or, plus que les biens, était encore la
valeur principale et avait justifié le retour à la convertibilité selon les
normes de la parité d’antan.

La Banque d’Angleterre avait eu tendance à multiplier les billets durant


les guerres napoléoniennes. La Banque d’Angleterre devait donc rétablir

231
une situation calquée sur la période antérieure à la suspension de la
convertibilité.

Déflation organisée
Dès 1819, la Banque d’Angleterre commençait à reconstituer ses
réserves d’or. Premièrement, elle devait attirer des dépôts d’or
supplémentaires. Les particuliers, rassurés par le retour décidé à l’ancienne
parité, effectuaient des dépôts d’or. Deuxièmement, le commerce des lingots
et des pièces d’or a été libéralisé pour favoriser la circulation de l’or et
pour augmenter les chances de dépôt dans les coffres de la Banque
d’Angleterre. Troisièmement, la Banque d’Angleterre décidait d’allonger
de 2 à 3 mois la validité des lettres de change pour augmenter la circulation
de celles-ci à la place des pièces ou des billets. Quatrièmement, la Banque
d’Angleterre supprimait la circulation des billets de moins de 5 livres
sterling.

Mais avec cette réduction du volume de billets de la Banque


d’Angleterre, les banques privées peinaient à assurer une couverture
suffisante en or ou en billets de la Banque d’Angleterre. Les banques
privées devaient réduire les crédits et les prêts en conséquence de la
réduction de leur couverture. Enfin, pour s’aligner sur le volume rationné de
crédits ou de prêts, les entreprises étaient obligées de compresser les coûts,
les salaires, et donc les prix de vente.

232
Dans les années 1820-22, une déflation prononcée a découlé de cette
asphyxie monétaire. La déflation a ramené les prix vers ceux de 1789-1792.
Avec ces revenus en baisse, les particuliers et les entreprises craignaient de
consommer, ou peinaient à rembourser. Dans ces mêmes années, la déflation
débouchait sur une dépression économique. Une flopée d’entreprises et de
petites banques disparaissaient dans la tourmente forcée par la déflation.
L’Angleterre venait, pour la première fois du XIXe siècle, d’étrangler plus
ou moins inconsciemment son économie par la déflation. Dès 1822, la
Banque d’Angleterre faisait marche arrière, et elle reportait de quelques
années la suppression de la circulation des petites coupures. La quantité
monétaire augmentait, et l’abattement économique était vite surmonté et
oublié. L’économie s’était redressée rapidement après la courte dépression.

En 1821, forte de réserves suffisantes, la Banque d’Angleterre avait pu


rétablir la convertibilité de ses billets. Les billets étaient à nouveau
convertibles en pièces sonnantes et trébuchantes, mais uniquement en or.
L’étalon-or était officiellement instauré pour les billets des banques privées
ou publiques de Grande-Bretagne. L’opération s’était déroulée sans
anicroche. Le calme était revenu, et il n’y a pas eu de crise de retrait.
Aucune raison n’incitait à convertir les billets si la confiance régnait. Il est
vrai que les guichets de la Banque d’Angleterre existaient uniquement à
Londres.

233
Cycles économiques remarqués après 1820

Une société agricole en mutation vers un monde


industriel
Au XIXe siècle, l’activité économique européenne s’industrialisait. Elle
n’était plus seulement agricole comme pendant les siècles précédents. Cette
mutation économique s’accompagnait de deux évolutions majeures sur le
travail :

· En société semi-agricole, le sous-emploi était compensé par


l’exploitation d’un potager et par la débrouille. En société industrielle et
urbaine, une inactivité complète et en masse caractérisait certains
travailleurs. La démarcation entre ouvriers inactifs et ouvriers actifs était
plus nette. La distinction entre emploi et chômage dénotait clairement.

· En société agricole, les bonnes et les mauvaises récoltes expliquaient


simplement les hausses et les baisses économiques. En société industrielle,
les hausses et les baisses de l’activité des entreprises étaient moins
comprises. Elles étaient surtout constatées.

Hausses économiques avec embauche, et baisses


avec recrudescence du chômage
Au XIXe siècle, la hausse de l’activité, des investissements et de la
consommation économique entraînaient l’embauche d’ouvriers. Le chômage
tombait à 1 ou 2 % de la « population active », donc des gens
habituellement au travail. L’économie se redressait. Ceci stimulait le
foisonnement des affaires souvent accompagné d’un boom en Bourse qui
ballonnait parfois jusqu’à la spéculation.

Ensuite pour des raisons multiples et encore mal comprises, la tendance


s’inversait. La confiance s’évaporait. L’activité et la consommation
fléchissaient par manque d’enthousiasme à dépenser et à investir. La baisse
de la production prolongeait elle-même la chute de la consommation et des
investissements. La baisse de l’activité affectait toute l’économie.

234
Pour conserver leur marge bénéficiaire ou simplement pour rester à
flots, les entreprises mettaient au chômage des ouvriers inoccupés devant
les machines à l’arrêt. À l’échéance des remboursements des emprunts
obtenus pour acheter les machines, les patrons devaient même écraser les
salaires des ouvriers encore actifs. Avec la crainte du chômage, les ouvriers
pliaient devant les exigences patronales. La « loi d’airain » s’appliquait aux
salaires des ouvriers, quand seul un minimum vital était accordé. En
attendant la reprise, l’entreprise parvenait à baisser ses prix avec les
réductions des coûts et des salaires. L’entreprise espérait ainsi conserver
une position concurrentielle. Elle continuait alors à engranger les bénéfices
ou au moins rembourser les prêts bancaires. Pour d’autres entreprises,
c’était l’impossibilité d’honorer les prêts. La faillite était inévitable sous la
pression des créanciers qui réclamaient en justice l’application des
contrats. Le chômage grimpait à 8 ou 10 %.

Puis la tendance économique s’inversait à nouveau quand les gens


étaient fatigués de serrer la ceinture, de retarder un achat et d’économiser.
Ils se remettaient à consommer et s’en suivait le retour de la confiance, de
la hausse économique, et de l’embauche… jusqu’au prochain ralentissement
économique.

Baisses amplifiées par les krachs boursiers et les


crises de retrait en banque
Parfois, une baisse des cours en Bourse ébréchait la confiance. La
baisse se produisait lorsque les investisseurs boursiers se rendaient compte
de la surévaluation des cours des actions. Ils réalisaient que les estimations
des bénéfices par actions avaient été surévaluées. Les résultats financiers
affichés par les entreprises décevaient la spéculation boursière. La
déception se répercutait dans une dégradation parfois brutale des cours de
la Bourse. Les cotations chutaient de plusieurs dizaines de pour cent en
quelques jours. L’on parlait alors de « krach » boursier.

235
En se rendant compte de la perte en Bourse avec la chute des cours, les
investisseurs tiraient les rênes de leur consommation. Par la même, ils
accompagnaient ou entraînaient toute l’économie à la baisse. La baisse
s’accélérait avec la confiance qui s’effilochait. Le ramollissement de la
confiance déboulonnait le moteur de la consommation et de
l’investissement.

Les difficultés des entreprises aspiraient les banques dans la tourmente.


Lors des baisses économiques, les banques voyaient les entreprises en
difficultés peiner à rembourser les crédits. Devant ces craintes de faillites,
les particuliers retiraient leurs dépôts et convertissaient leurs billets en
pièces. Les banques peinaient à assurer leur couverture en pièces d’or ou en
billets de la Banque d’Angleterre. Avec les rumeurs, les crises de retrait se

236
propageaient comme une traînée de poudre. Des faillites de banques se
produisaient en série.

Plusieurs années étaient alors nécessaires pour assister au retour de la


confiance, et de l’envie de placer son épargne en Bourse. Le « capitalisme
de casino », comme il a été appelé par la suite, revenait dans les mœurs des
« vilains » bourgeois.

Crises économiques à répétition et début de la


contestation
Au XIXe siècle, les fluctuations économiques, boursières, et bancaires
de l’Angleterre sont transmises aux autres pays européens par le commerce
international. L’Angleterre était l’économie dominante dans les trois
premiers quarts du siècle. Par la suite, les crises partaient de n’importe quel
pays industrialisé. Les fluctuations économiques étaient souvent brutales.
Elles tournaient souvent à la panique et à la crise économique. Ces crises se
sont répétées en 1825 et 1836. La plus grande crise du siècle se produisait
en 1847-1848. L’économie bégayait encore par les crises de 1857, 1866,
1873, 1882 et 1893.

Avec les crises récurrentes et la crainte constante du chômage, le fossé


se creusait entre les revenus des riches et les salaires des pauvres. La
production était certes globalement en hausse, mais la répartition était très
inégale. Les pauvres trinquaient le plus. Aucune indemnité n’était accordée
aux chômeurs. Les désaccords et la contestation s’amplifiaient. Les
premiers mouvements ouvriers sont nés en Angleterre et en France après
1830. L’émigration vers le continent américain absorbait aussi une partie de
la misère. L’émigration, discrète dans la première moitié du siècle, s’est
accrue après la grande crise de 1848.

Cycles remarqués, mais incompris


Au XIXe siècle, les hausses et les baisses économiques, hachées de
krachs boursiers et de crises bancaires, se succédaient. On commençait à
détecter un phénomène de répétition qu’on a appelé les « cycles
économiques ». Même si ces cycles existaient par le passé, ils n’avaient
jamais été perçus. Au XIXe siècle, ces cycles se répétaient clairement à
intervalles assez réguliers. Ils commencent par une hausse de 4 ou 5 ans de

237
la consommation, autant que de l’investissement, de la production et de
l’embauche par les entreprises. Puis la tendance s’inversait pendant 3 ou
4 ans, la confiance se grippait, et l’activité économique se morfondait en
attendant le retour de la confiance et de la hausse économique.

Les cycles ont été étudiés notamment par Marx après 1850. Il a été l’un
des premiers à les analyser. À partir de ses conclusions, il a fustigé le
capitalisme intrinsèquement inique par les cycles implacables envers le
prolétariat. Seule une prise en main par l’État stabiliserait une économique
déboussolée. La fragile confiance des hommes, seul moteur économique du
marché libre, ne pouvait tenir à bout de bras la liberté de consommer,
d’investir, et donc de posséder les moyens de production. Ces théories
marxistes de la confiscation étatique et de la planche savonnée par-dessus
la fosse totalitaire ont été appliquées au XXe siècle avec le succès que l’on
sait. Ces théories criminelles qui méprisent les Droits de l’Homme ne
seront pas abordées ici.

Vers 1878, une autre théorie un peu farfelue a été développée par Jevon,
grand pionnier des statistiques économiques. Selon lui, le cycle de onze ans
des taches du soleil déterminait l’ensoleillement, donc l’économie agricole,
et le tout se répercutait sur l’économie industrielle. Au début du XXe siècle,
Nikolaï Kondratieff a également mis en avant l’existence de cycles longs de
50 à 60 ans, sur lesquels se greffaient les cycles courts de 10 ans. Depuis,
ces cycles longs sont appelés les « cycles de Kondratieff » en trame des

238
cycles courts dits « cycles de Juglar ». Clément Juglar avait été le premier
à observer les cycles courts. À côté de ces modélisations, si l’existence des
cycles n’est pas contestée, aucune théorie n’a jamais fait l’unanimité pour
expliquer les cycles qu’ils soient courts ou longs.

Débats incomplets au XIXe siècle


Au XIXe siècle, les économistes s’intéressaient évidemment aux cycles,
et au chômage. Ils réfléchissaient surtout en termes d’entreprises et
d’individus sans analyser les paramètres nationaux, comme la quantité de
monnaie nationale ou le volume national des investissements. Avec ces
lacunes, leur analyse était incomplète. Sans instruments de bord, ces
économistes ont jeté sur le tapis des diagnostics inexacts, et ils ont proposé
des actions parfois hasardeuses. Ils n’ont commencé à compiler et à utiliser
des statistiques économiques nationales que dans le dernier quart du XIXe
siècle.

L’incidence du système monétaire sur l’économie était moins étudiée.


Néanmoins, certains débats sur la monnaie avaient commencé depuis

239
longtemps. Déjà en 1696, avec le « Great Recoinage », le ratio or-argent à
1:16 avait été le sujet d’une controverse. En 1821, le rétablissement de la
convertibilité avait donné lieu à une autre polémique entre partisans du
retour, soit la plupart des économistes, ou de la suspension prolongée de la
convertibilité, soit la majorité des banquiers. Pendant le XIXe siècle, les
débats se prolongeaient sur les implications de la monnaie sur les crises
économiques entre les deux écoles des partisans du crédit (« Banking
School ») et des partisans de la monnaie (« Currency School »).

Selon les partisans du crédit, les banques et le volume de crédits


n’étaient pas en cause pour expliquer les crises boursières et le chômage.
La profusion de crédits et donc d’émission des billets incombait à la
spéculation boursière. Au contraire, ils dénonçaient le manque de crédits, et
donc de monnaie, pour le commerce et les entreprises. Ce manque était
provoqué par la trop contraignante convertibilité-or. Incapables de
démontrer leurs thèses, les partisans du crédit étaient ignorés. Ils n’avaient
pas de données statistiques monétaires sur lesquelles s’appuyer. Les
sciences économiques étaient encore rudimentaires, et les instituts de
statistiques inexistants. Les partisans du crédit sous-estimaient aussi les
excès de création monétaire par les crédits des banques privées, comme
l’ont montré les analyses chiffrées du XXe siècle.

Les partisans de la monnaie accusaient l’excès de crédit et la


surémission de billets des banques privées comme source de la spéculation
boursière. Les partisans de la monnaie pesaient de tout leur poids dans la
décision du maintien de la convertibilité-or des billets par les particuliers
pour prévenir les abus des banques. L’or était la seule vraie monnaie, et la
seule garantie contre les crédits ou les émissions excessives de billets si
dramatiques par le passé, comme pour les expériences des Continentals ou
des « assignats ». Pour cette école, l’or était l’origine de la monnaie. Ils
considéraient surtout la monnaie comme des pièces d’or, voire comme les
billets de la Banque d’Angleterre. Ils percevaient la monnaie comme un
bien-intermédiaire. La monnaie scripturale ou fiduciaire n’était qu’un
substitut dangereusement multipliable de la vraie monnaie.

Objectif des autorités : assurer la convertibilité-or


Suivant l’avis des partisans de la monnaie, la Banque d’Angleterre
devait avant tout défendre son encaisse pour assurer la convertibilité-or de
ses billets pendant les crises bancaires éventuellement issues des krachs

240
boursiers. Il fallait prévenir les crises de retrait pour les banques privées,
comme pour l’inébranlable Banque d’Angleterre. Ainsi, durant la première
moitié du XIXe siècle, une série de règles a été prise pour consolider la
capacité des banques à faire face aux demandes de convertibilité-or en cas
de rush des particuliers.

Augmenter la taille des banques paraissait primordial. La création de


banques privées sans restriction sur le nombre d’actionnaires était autorisée
hors de Londres. Quelques années plus tard, elles sont autorisées à ouvrir
des succursales à Londres, mais sans émettre des billets dans la capitale. En
compensation, la Banque d’Angleterre a gagné la possibilité de créer des
branches en province. Avec des agios modérés, les succursales de la
Banque d’Angleterre ont eu un franc succès pour escompter des lettres de
change contre paiements en billets. Cette mesure aidait à diffuser le billet
de la Banque d’Angleterre, utile pour les réserves des banques privées.
Encore un pas vers le monopole d’émission des billets par la Banque
d’Angleterre, malgré le desserrage de sa mainmise sur Londres.

Augmenter le montant minimal des billets de banque empêchait les


banques d’émettre en surnombre des billets d’une faible valeur nominale
qui étaient peu susceptibles d’être convertis. La crise de 1826 se résorbait à
peine que l’interdiction d’émission de billets de moins de 5 livres sterling
était élargie aux banques privées anglaises.

Pour démotiver les demandes de conversion-or des billets de la Banque


d’Angleterre, le cours légal du billet de la Banque d’Angleterre est décrété
en 1834. La livre sterling de papier de la Banque d’Angleterre équivalait
rigoureusement à la pièce du souverain d’or pour toute forme d’impôt ou de
contrat. Cependant, cette mesure ne freinait aucunement les demandes de
convertibilité-or qui émanaient de l’étranger.

Dès 1834, la Banque d’Angleterre était autorisée à varier son taux


d’escompte au-delà des taux du marché pour calculer les frais d’escompte
des lettres de change. Une hausse de ce taux incitait à ne pas escompter les
lettres de change contre des billets de la Banque d’Angleterre susceptibles
d’être convertis en pièces d’or. Il y avait plus de lettres de change en
circulation pour moins de billets convertibles-or. Les lois sur les intérêts
des crédits avaient dû être adaptées pour autoriser ces variations du taux
d’escompte. En fait, le taux d’escompte était décrété comme n’étant plus
concerné par les plafonds des taux d’intérêt, donc par les lois sur l’usure.

241
À la fin du XIXe siècle, les opérations d’« Open Market » sont venues
compléter l’utilisation du taux d’escompte comme outil de régulation de la
masse monétaire. Elles consistaient à vendre ou à racheter des titres du
Trésor voire des titres des banques privés (donc des reconnaissances de
dettes à long terme cotées sur les marchés financiers comme les « Bons du
Trésor » du Ministère des Finances, ou même les « bons de caisse » des
banques). Les paiements des titres étaient acquittés en billets, et la quantité
de billets en circulation diminuait ou augmentait en conséquence. Les
opérations d’Open Market étaient surtout plus efficaces, car plus rapides à
influencer le volume des billets en dépôts, quand les variations du taux
d’escompte ne donnaient des résultats sur la couverture-or qu’au bout de
quelques mois.

Enfin en 1844, l’État britannique a supprimé en plusieurs étapes les


émissions de billets des banques privées pour éviter l’instabilité gangrenée
par les abus. Aucune nouvelle licence pour émettre des billets n’a plus été
accordée. Les anciennes licences ont été suspendues les unes après les
autres par une série de mesures annexes. La dernière licence d’émission de
billets par une banque privée anglaise a finalement été retirée en 1921.
Cependant, l’État était loin de récupérer le privilège régalien de la frappe
de monnaie. Les banques privées continuaient à créer de la monnaie
scripturale déjà très répandue et qui circulait sous forme de chèque ou de
virement.

Avec ces règles, la couverture-or était ainsi mieux assurée pour


satisfaire les demandes de conversion-or. Déjà en 1832, l’on estimait que la
Banque d’Angleterre n’avait besoin que d’un tiers de couverture-or par
rapport aux dépôts et aux billets en circulation.

242
Influence monétaire postérieurement confirmée
Au cours du XIXe siècle, l’explication monétaire des perturbations
économiques a de plus en plus été mise en avant, notamment par Marx.
Faute d’arguments convaincants, ces explications ne prenaient toujours pas
l’ascendant. Au XXe siècle, avec le travail des historiens et des
économistes, le tangage économique du XIXe siècle est mieux expliqué. Une
composante monétaire est aujourd’hui acceptée parmi les influences
économiques, technologies ou politiques des cycles.

Ainsi, au XIXe siècle, le crédit bancaire généreux amplifiait


involontairement la hausse économique. Celui-ci favorisait surtout la
spéculation en bourse. Plus la confiance était élevée, moins les demandes
de retrait des dépôts de pièces d’or et de convertibilité-or des billets
étaient nombreuses. La concurrence entre banques faisait alors baisser les
taux d’intérêt du crédit. Les crédits étaient attractifs par ces taux d’intérêt
bas. La consommation et la hausse de l’économie étaient permises par un
crédit bon marché. En période de hausse de l’économie, les crédits, donc la
monnaie, étaient multipliés comme les sesterces dans les mains des
acheteurs émoustillés. L’inflation menaçait, et en tout cas, elle se reflétait
dans les hausses excessives des cours des actions en Bourse.

À l’inverse, la baisse économique était inconsciemment aggravée par la


hausse du taux d’escompte et des autres taux d’intérêt bancaires destinée à
parer aux retraits des pièces et aux conversions-or des billets par des
clients paniqués par une possible faillite bancaire.

Les deux premiers taux d’intérêt augmentés limitaient dramatiquement la


monnaie disponible pour les transactions. D’abord, la hausse des taux
d’intérêt de l’escompte ambitionnait d’augmenter la circulation des lettres
de change à la place des billets convertibles. Cette mesure entraînait certes
une circulation accrue des lettres de change nominatives à terme, mais
malheureusement moins de billets de banque pour des dépenses immédiates
et anonymes. Ensuite, la hausse des rémunérations d’intérêt des comptes de
dépôt stimulait les réserves bancaires en pièces d’or. Mais celles-ci
n’étaient alors pas dépensées, et laissaient les entreprises avec leurs stocks
et leurs travailleurs inactifs.

243
Le troisième taux d’intérêt affecté était le taux du crédit bancaire. Les
banques visaient à dissuader tout nouveau crédit susceptible d’être retiré
sous forme de billets convertible-or. Mais les crédits plus chers par les
intérêts élevés éloignaient aussi les bouées de sauvetage pour les
entreprises en difficultés. Sans crédit supplémentaire, certaines entreprises
tombaient en faillite en jetant les ouvriers à la rue. Cela accentuait la baisse
de la demande et la réduction de l’activité économique. Les autres
entreprises vendaient d’autant moins, et elles compressaient d’autant plus
les salaires ou licenciaient davantage pour éviter la faillite. À nouveau, ces
baisses des salaires et cette augmentation du chômage affectaient la
consommation de biens produits par les entreprises.

Il s’agissait bien d’une récession économique reflétée par une déflation


par manque de monnaie. Et la hausse des taux d’intérêt avait accentué cette
récession. L’économie avait touché le fond encore plus durement, avant de
se mettre à remonter avec la confiance quelques années plus tard.

244
Propagation de la Révolution industrielle après 1830

Billets de banque et conversion bimétallique entre


1830 et 1870
Au XIXe siècle, la Révolution industrielle et la Pax Britannica
s’étendaient au monde. La Révolution financière accompagnait autant
qu’elle stimulait cette mutation. Elle était marquée par l’usage des billets de
banque qui se répandait dans toute l’Europe. Les banques européennes se
mettaient à créditer en compte et prêter en billets.

Pour ces banques, la seule condition à respecter était d’assurer les


éventuels retraits des comptes de dépôt en pièces d’or ou d’argent, et aussi
des demandes de convertibilité de leurs billets propres en pièces d’or ou
d’argent. En cas d’excès de crédits en compte ou de prêts en billets, les
banques pouvaient faillir devant un pic de demandes de retraits. En d’autres
termes, trop de monnaie scripturale était créditée dans les comptes de la
banque, ou trop de billets étaient prêtés après surémission de ceux-ci.

Sur le continent européen, pour mieux contrôler les émissions abusives


des billets de banques privées, le monopole était souvent accordé à la
Banque d’État. La Banque d’État s’appelait alors « Banque Centrale »,
semblable à la Banque d’Angleterre. Les banques privées devaient alors
assurer uniquement les retraits des comptes de dépôt en billets sûrs de la
Banque Centrale. Les crises de retrait n’étaient pas résolues pour autant, car
même les Banques d’État ont parfois dû suspendre temporairement la
convertibilité or ou argent de leurs billets.

Sur le continent européen, le système de pièces le plus courant était le


bimétallisme d’or et d’argent. Le système monétaire bimétallique s’était
imposé de facto depuis le XIIIe siècle. De plus, sur le continent européen,
un système monétaire composé de pièces d’or et de billets, comme le
système britannique, n’aurait jamais satisfait ni la demande de pièces ni les
fréquentes demandes de conversion des billets. La méfiance envers les
billets était encore forte, surtout en France après les déboires de Law et des
assignats au XVIIIe siècle. En outre, l’apport d’un métal compensait souvent
le manque de l’autre métal du système bimétallique. Ainsi, dans la première

245
moitié du XIXe siècle, une bonne production d’or de Russie, du Brésil et
d’Amérique du Nord avait compensé le déclin de la production d’argent
d’autres mines américaines. En conséquence, la convertibilité des billets la
plus répandue était bimétallique.

Avec ces systèmes monétaires encore assez archaïques, la déflation


s’est atténuée jusqu’en 1830 avant une période de stabilisation des prix
jusqu’en 1848 sur le continent comme en Grande-Bretagne. Une légère
inflation a suivi les découvertes des mines d’or de Californie en 1849 et
d’Australie en 1851. Les prix étaient en effet orientés légèrement à la
hausse entre 1849 et 1870. En fin de compte, le bimétallisme a assuré une
circulation satisfaisante de pièces, ainsi qu’une couverture-or et argent
confortable pour garantir les retraits des dépôts ou les conversions des
billets de banque. Mais dans les années 1870, l’opinion sur la convertibilité
bimétallique allait changer, comme expliqué à la fin du chapitre.

Cadences variées sur le continent européen entre


1830 et 1870
La Révolution industrielle a démarré sur le continent européen dans la
première moitié du XIXe siècle. Cependant, la Grande-Bretagne a
longtemps gardé son avance économique. En 1860, le Royaume-Uni
représentait 2 % de la population mondiale, et il produisait encore 40 à
45 % de la production totale de la planète. Ce n’est que vers la fin du XIXe
siècle que l’économie de la Grande-Bretagne sera rattrapée et même
dépassée.

La Belgique était le premier pays du continent européen à voir son


industrialisation exploser vers 1835. Artisans, industries et mines de
charbon y étaient déjà en activité. Au début du XIXe siècle, Napoléon avait
renforcé les industries locales, notamment pour l’armement. En 1822, la
Société Générale était autorisée à émettre les billets de banque en
circulation. Dès 1835, le financement du réseau ferroviaire a dopé
l’économie avec des coûts de transport réduits. D’autres banques se sont
également mises à émettre des billets. La Belgique rattrapait le niveau
d’utilisation du billet de banque des autres pays européens. Après la grande
crise économique et bancaire de 1848, la Belgique unifiait même ses billets
de banque en octroyant le monopole d’émission à la Banque Nationale de
Belgique fondée en 1850.

246
L’Allemagne a commencé sa Révolution industrielle près d’un siècle
après la Grande-Bretagne. L’Allemagne encore fragmentée s’unifiait pour et
par le progrès économique. L’unification des pièces de monnaie et la
création de banques publiques émettrices de billets finançaient surtout le
commerce entre les régions. Dès 1835, l’industrialisation était mise sur
rails avec une première ligne de chemin de fer dans un grand marché
économique unifié autour de la Prusse : le Zollverein. Le pas s’accélérait
vers l’unification politique de l’Allemagne. Après 1850, l’industrialisation
bouillonnait véritablement. Cette période coïncidait avec le développement
des banques privées.

La France a vraiment commencé son industrialisation après 1836.


L’agriculture était alors arriérée, et le développement industriel concentré
dans les grandes villes. La France avait accumulé un retard considérable
par rapport à la Grande-Bretagne. Le rythme de croissance de la France
était même inférieur à celui de l’Allemagne. Les pièces de monnaie
circulaient considérablement plus qu’en Grande-Bretagne, pays du crédit et
du billet. Les échecs bancaires depuis John Law obligeaient la Banque de
France à maintenir une couverture bimétallique importante des dépôts et
billets émis. En comparaison, la Banque d’Angleterre se contentait au
contraire d’une couverture-or sommaire. Ce n’est qu’après la crise
économique et bancaire de 1848 que le système bancaire français a été
réformé. La Banque de France a vu son monopole d’émission de billets
étendu au pays. Le minimum légal de 250 francs pour les billets a également

247
été supprimé en 1846. Après 1852, les créations de banques privées ont été
favorisées sous le Second Empire. Les banques privées commençaient alors
à octroyer plus de crédits en monnaie scripturale éventuellement retirés en
billets de la Banque de France, plutôt qu’en pièces d’or ou d’argent.
L’industrialisation continuait lentement. En 1870, la production française
était encore dix fois inférieure à la production du Royaume-Uni.

248
L’étalon-or et la « Longue Dépression » dès 1873

Les problèmes du bimétallisme


Comme depuis le Moyen Âge, le ratio or-argent était mal aisé à chiffrer,
et le change entre pièces d’or et pièces d’argent était difficile à assurer. Un
ratio proche de 1:15 ici et de 1:16 là-bas signifiait des fuites d’or et
d’argent vers l’un ou l’autre pays. Une once d’or ici était changée contre
16 onces d’argent là-bas. Les 16 onces d’argent étaient alors changées ici
selon le ratio de 1:15. Avec une mise de départ d’une once d’or, le change
avait permis d’obtenir 1,06 once d’or. La manœuvre profitable était répétée
indéfiniment. Cependant, le coût de refonte était toujours déduit du change
dans la pratique, même avec la « frappe libre ». Les pièces changées étaient
aussi livrées après un certain délai. Enfin, des « unions monétaires »
s’étaient formées entre des groupes de pays qui maintenaient un système
bimétallique. Elles définissaient un même ratio or-argent afin d’annuler les
gains sur le change entre les pays d’une même union monétaire. Quoi qu’il
en soit, les difficultés éprouvées par les Hôtels de la Monnaie étaient
notoires pour maintenir les conversions entre les pièces d’or et les pièces
d’argent.

Après 1850, les embarras des Hôtels de la Monnaie empiraient. La


découverte des gisements aurifères en Californie en 1849 et en Australie en
1851 avait amené une dépréciation de l’or par rapport à l’argent. L’argent
était alors conservé ou exporté vers les pays au ratio plus avantageux,
comme les USA. La spéculation aggravait aussi le déséquilibre. Les pertes
de change liées au ratio étaient importantes.

Après 1870, la stabilisation du ratio bimétallique et du change devenait


exaspérante. De nouvelles mines d’argent étaient découvertes au Nevada.
Une nouvelle technique d’extraction au plomb était élaborée pour soutirer
l’argent hors de minerais pauvres. Ces raisons expliquaient l’afflux d’argent
et le revirement vers la dépréciation de l’argent par rapport à l’or. Les pays
d’une « union monétaire » étaient tiraillés pour déterminer le ratio. Des
quotas commençaient à être appliqués pour limiter le change.

Du bimétallisme vers le modèle anglais de l’étalon-


or

249
L’exemple de la Grande-Bretagne a alors inspiré le monde. Le Trésor
d’Angleterre frappait uniquement des pièces monométalliques en or. Les
billets de la Banque d’Angleterre étaient donc convertibles-or. À
l’évidence, la Grande-Bretagne n’avait aucun problème de change entre
pièces d’or et d’argent. Pourquoi ne pas imiter le système monétaire de
Grande-Bretagne ? L’usage du billet se répandait, et un système monétaire
de pièces d’or et de billets convertibles-or remplacerait avantageusement
un système instable de pièces bimétalliques. La deuxième raison était
l’adoption de fait du monométallisme or dans le commerce international.
Par sa suprématie économique, la Grande-Bretagne imposait la livre
sterling, donc l’or, dans les contrats internationaux de commerce.
L’économie britannique était suffisamment forte pour que sa livre sterling
soit synonyme de biens anglais, et soit exigée dans les paiements. Les
milieux d’affaires du monde entier ouvraient également des comptes
bancaires dans le quartier financier de Londres, la réputée « City », pour
les mêmes raisons.

Selon cet exemple, la plupart des pays ont opté pour l’abandon de leur
système bimétallique. Ils se débarrassaient ainsi du délicat et gênant ratio
or-argent. Également, ils stabilisaient leur monnaie par rapport à l’or, et
donc à la livre sterling en pièce du « souverain » ou en billet de la Banque
d’Angleterre. Par là, les pays passaient à un système monétaire composé
des seules pièces d’or et de billets convertibles-or. L’argent-métal
démonétisé était négociable au poids à un prix en pièces d’or comme un
bien quelconque.

Saut groupé vers l’étalon-or dans les années 1870


Dès 1871, le Trésor d’Allemagne a financé le passage aux seules pièces
d’or. Il a trouvé les fonds dans les indemnités payées en or par la France
vaincue à la guerre de 1870. L’Hôtel de la Monnaie a simplement changé
les pièces d’argent contre des pièces d’or selon le ratio or-argent. Une fois
retiré de la circulation, l’argent-métal était ensuite revendu au poids dans
les Bourses spécialisées en métaux précieux. D’autres pays ont suivi
l’exemple allemand après 1873, comme les Pays-Bas, l’Austro-Hongrie, la
Russie ou les pays scandinaves.

250
Aux USA, depuis la guerre civile de 1861 à 1865, la seule monnaie du
Trésor en circulation n’était plus les pièces du dollar, mais bien les fameux
billets « greenbacks ». Pour financer la guerre, le Trésor n’avait pu
emprunter à une inexistante Banque Centrale qui aurait suspendu la
convertibilité-or ou argent de ses billets, comme en temps de panique ou de
guerre. Le Trésor avait préféré reprendre la création monétaire en partie à
son compte. Il la retirait ainsi des mains des compagnies minières, sans
toutefois toucher à la création monétaire des banques privées et de leurs
crédits. Le Trésor a simplement émis un substitut de pièces d’or ou
d’argent : un billet de papier temporairement inconvertible. Ces greenbacks
étaient émis contre une promesse de convertibilité en pièce après la
victoire. L’inconvertibilité de ces billets greenbacks du Trésor a été
prolongée quelque temps après l’armistice… jusqu’en 1879.

Entre temps et après la guerre, en 1873, le Trésor avait réintroduit la


pièce du dollar en circulation. Mais, à la grande déception des producteurs
d’argent-métal, le bimétallisme était pratiquement abandonné, avant d’être
complètement démonétisé par la suite. L’argent était ignoré, car les dollars-
argent avaient disparu depuis longtemps par la faute d’un ratio surévalué à
1:16. En effet, dès 1834, ce ratio avait été volontairement surévalué en
faveur de l’or. Le gouvernement espérait par là voir les pièces d’argent en
circulation happées par l’étranger par un change favorable. Ainsi, le
gouvernement espérait étouffer une tentative de Banque Centrale
indépendante en l’acculant à la faillite devant une hausse de demande de
conversion de ses billets en pièces d’argent. Cette « inadmissible » Banque
Centrale indépendante s’arrêta finalement en 1836 lorsque la banque se vit
refuser les autorisations fédérales de continuer ses activités.

251
En 1878, le Trésor de France a dû emprunter pour changer les pièces
d’argent en pièces d’or afin de sortir du bimétallisme. En effet, après le
paiement de ses indemnités en or à l’Allemagne, l’afflux d’argent vendu par
le même Trésor d’Allemagne était problématique. Cet afflux risquait de
provoquer une déstabilisation insurmontable du ratio bimétallique si la
France conservait des pièces d’argent en circulation. Parmi les mesures
pour compenser la démonétisation des pièces d’argent, l’économie
française intensifiait l’usage des billets de la Banque de France
convertibles-or.

Seules la Chine et l’Inde ont gardé des pièces d’argent en circulation.


Pour les autres pays, l’argent était démonétisé et se transformait en un
simple bien évalué au prix en pièces d’or. Pour quelques rares pièces à la
circulation très contrôlée, l’argent-métal était encore utilisé comme monnaie
légale fixée à l’or avec un ratio surévalué par rapport au change de l’argent-
métal en rue, notamment aux USA et en France. L’argent-métal était aussi
occasionnellement utilisé comme un bien-intermédiaire.

Taux de changes fixes des billets par l’étalon-or


Le poids d’or se détachait de l’argent comme unique référence des
pratiques monétaires séculaires. Le bimétallisme disparu, le change était

252
fixe comme il ne l’avait plus été depuis Rome, quand les empereurs
stabilisaient l’or par rapport à l’argent en régulant la production du
monopole des mines impériales. Avec le monométallisme or et les billets
convertibles selon l’étalon-or durant le dernier quart du XIXe siècle, est né
un nouveau système monétaire international. Dans celui-ci, les billets
étaient donc convertibles selon des taux de change fixes en rapport à l’or.

Les pays réglaient leurs dettes internationales en or. Dans la réalité, les
billets étaient changés dans les réseaux interbancaires qui pratiquaient des
« compensations » (clearing) de plus en plus automatisées pour éviter les
transferts d’or ou de billets entre banques. Et, si un pays importait plus qu’il
exportait, il acquittait les importations contre des billets. Les banques
privées épongeaient les surplus de billets, et les changeaient contre de l’or
auprès de la Banque Centrale. La Banque Centrale soldait alors le surplus
des importations du pays avec des pièces d’or.

Si une Banque Centrale perdait de l’or, elle augmentait son taux


d’escompte et ses opérations d’Open Market pour maintenir sa couverture-
or. Cette augmentation provoquait la contraction des demandes de crédits et
donc la circulation des billets dans le pays. Dès lors, l’économie traînait les
pieds. La consommation et les importations diminuaient, comme les salaires
et les prix piétinés par une concurrence aux abois en plein ralentissement
économique. Avec ces coûts moindres, la production du pays redevenait
compétitive, et ses exportations augmentaient. Importations en baisse et
exportations en hausse, et l’or revenait. Dans le pays excédentaire en or, le
raisonnement était inversé. Cette méthode pour régler ses dettes avait donc
un double effet sur les importations et les exportations. En des termes plus
actuels, un pays garrottait son économie domestique pour faire baisser ses
prix et favoriser ses exportations. Ce système pervers était bien perçu au
XIXe siècle.

Heureusement, des études historiques ont montré que ce système n’a


jamais fonctionné tout à fait comme imaginé. Les variations des taux
d’intérêt ont influé surtout sur les capitaux à court terme de la finance et sur
la couverture-or, plus que sur les capitaux à long terme si fondamentaux à
l’économie de production. Les couvertures-or des Banques Centrales ont
aussi varié plus que prévu. Les variations absorbaient ainsi les oscillations
des flux commerciaux internationaux. Ainsi, l’économie a été préservée de
cette déflation par la hausse des taux d’intérêt, sans néanmoins éviter la
déflation pour une autre raison plus fondamentale.

253
Déflation et « Longue Dépression » entre 1873 et
1896
Après 1870, la plupart des pays se sont engouffrés simultanément dans
un système d’étalon-or. Ils ont créé une demande énorme d’or pour assurer
la convertibilité des billets des Banques Centrales. Pour assurer la
couverture-or des billets, les étranglements des crédits et donc de la
monnaie étaient la règle. Le passage à l’étalon-or international a précipité
l’économie vers une déflation importante jusqu’en 1896. La déflation était
la plus prononcée depuis les déflations de 1780 et 1820. Certains
dénonçaient l’abrutissant monométallisme. Aux USA, les lobbies du retour
au bimétallisme ont soutenu le malchanceux candidat Bryan à la présidence
de 1896 qui scandait que le pays était « crucifié sur une croix d’or ».

En 1873, une première crise bancaire et économique s’est produite


après un nouveau krach boursier en Allemagne et en Autriche. Cette crise
initialement locale dégénérait en panique mondiale. Le monde entrait dans
une ère de crises bancaires violentes et d’instabilité financière tenace qui se
répercutaient gravement sur l’économie. Après une longue dépression entre
1873 et 1879, prenait place un essor économique d’intensité faible jusqu’en
1896. Cet essor était entrecoupé de crises financières qui se sont répétées
en 1882 avec la France comme origine de la crise, en 1890 et 1893 avec
l’Angleterre. C’était la « Longue Dépression » de 1873 à 1896. En fait,
cette période de déflation, d’incertitudes et de contestations s’est prolongée
bien au-delà de la Première Guerre mondiale. Elle a ainsi duré jusqu’à la
Deuxième Guerre mondiale.

La Longue Dépression favorisait l’écrémage de la concurrence par les


faillites des entreprises les plus fragiles. C’était la naissance de grands
conglomérats et des oligopoles qui ne se gênaient pas pour fixer les prix
parfois de manière concertée pour éliminer la concurrence. Les capitaines
d’industrie capitalistes, tels Rockefeller et Carnegie, ont été étiquetés par
les historiens comme « Robber Barons » ou barons voleurs à l’instar des
vilains châtelains du Moyen Âge qui abusaient de leur position dominante
pour surtaxer les bateaux qui naviguaient sur le Rhin. En 1890 aux USA, les
lois antitrust ont résulté de cette conjoncture. Ces lois étaient capables de
démanteler un cartel pour protéger les consommateurs de ce quasi-retour au
mercantilisme.

254
À la même période, les mouvements ouvriers des pays industriels
émergeaient véritablement. Ces syndicats se structuraient en de réelles
forces dans le paysage politique. Leurs tendances étaient diverses et
aboutissaient à un panel varié de revendications. Celles-ci allaient
d’exigences juridiques jusqu’à des combats idéologiques. La gamme
s’étendait du socialisme réformiste au marxisme révolutionnaire. Les
bombes des plus désespérés ou radicaux, regroupés sous la bannière des
« anarchistes », pétaradaient aux quatre coins d’un monde désemparé. Les
mouvements ouvriers ont en tout cas obtenu des mesures d’hygiène, de
limitation de durée de travail, d’assurances-maladie, etc.

Le retour du protectionnisme dès 1873


Depuis la fin du XVIIIe siècle, le « libre-échange » se confrontait au
mercantilisme. Dans la foulée des Lumières, le bonheur social devait être
assuré en tambourinant la liberté de travail, loin des corporations, des
monopoles et du protectionnisme. Plus de concurrence entre les nations
stimulerait le commerce par des marchés plus larges. Ces marchés
inciteraient les entreprises à se spécialiser, à se remettre en question, à se
dynamiser, et à produire mieux ou plus, comme depuis l’aube de
l’Antiquité. Les barrières douanières du protectionnisme devaient être
abattues pour que le libre-échange favorise la concurrence internationale.
Au XIXe siècle, les accords internationaux de libre-échange avaient abouti
à des faits concrets. Ils s’étaient surtout étendus à partir de l’Angleterre et
dans l’Europe entière entre 1830 et 1870.

255
Dès 1873, le décor changeait. Avec la déflation de la Longue
Dépression, les entreprises ne trouvaient plus de clients aux mains pleines
de monnaie. Elles se tournaient vers les clients étrangers. Parfois, le
« dumping » était pratiqué. Le dumping était flagrant lorsqu’on enregistrait
des prix aux exportations inférieurs aux prix pratiqués sur les marchés
domestiques. Les cartels utilisaient les fonds perçus sur les ventes
nationales pour exporter avec un bénéfice minime sur les prix à
l’exportation. Le protectionnisme étatique était de retour. Il se justifiait par
les menaces de dumping. Les tarifs douaniers avantageaient les exportations
et protégeaient les entreprises nationales des importations déloyales. Les
traités de libre-échange étaient en recul global après 1870.

Le libéralisme cédait le pas non seulement au protectionnisme, mais


également au réveil des nationalismes prétextés par la dépression
économique sans précédent, et par les accusations de dumping.
Protectionnisme et nationalisme se renforçaient l’un l’autre comme ils
relançaient les dépenses d’armement.

Reprise accompagnée de spasmes après 1896


Après 1896, la dépression économique et la déflation se sont arrêtées,
sans enrayer l’inquiétant nationalisme agrémenté de protectionnisme. L’or
était de retour grâce à l’extraction améliorée par la cyanuration, et par de
nouvelles découvertes en Alaska, au Colorado et en Afrique du Sud.
L’augmentation du stock d’or était déficiente entre 1867 et 1893.
L’inversion de la tendance était nette entre 1893 et 1918. Dès 1896, la
déflation se muait même en inflation, cependant bien moins néfaste pour
l’économie que la déflation.

256
L’embellie économique relative subissait des spasmes. À nouveau, une
crise boursière, bancaire et économique touchait le monde en 1900. En
1907, une autre crise prenait sa source en Allemagne et affectait
spécialement les USA. Enfin, la crise de 1913 n’a pas été sans rapport avec
la déflagration de la Première Guerre mondiale. Cette période d’avant-
guerre est connue comme la « Belle époque » par le luxe et les vêtements
dans lesquels se pavanaient les plus riches et les plus privilégiés, quand les
plus pauvres étaient relativement moins écrasés par la Longue Dépression.

257
258
Chamboulement de l’ordre économique mondial à la fin du
XIXe siècle

L’industrie de Grande-Bretagne rattrapée par les


industries du continent européen
Malgré les crises à répétition, le chômage, la pauvreté endémique et les
violentes manifestations ouvrières, les pays d’Europe continentale
progressaient lentement et par à-coups. Leur rythme de croissance était
aussi moins lent qu’en Angleterre. Depuis 1850, bien avant la Longue
Dépression, l’Angleterre déforçait inconsciemment son industrie. Les pays
continentaux attiraient l’or anglais par des taux d’intérêt plus élevés. La
Longue Dépression a vu une recrudescence de l’exportation des capitaux.
La City de Londres aspirait l’essentiel du crédit pour le placer à l’étranger.
Dès 1870, la moitié de l’épargne anglaise se déversait dans les marchés
financiers, principalement européens, en profitant pleinement de
l’avènement du télégraphe pour interconnecter les places boursières et
financières. La City laissait l’industrie nationale démunie de crédits. Les
entreprises devaient s’autofinancer à 50 %. Elles n’obtenaient le reste du
financement qu’en levant péniblement des capitaux par la vente d’actions
auprès de gens de connaissance. Les marchés de capitaux étaient également
orientés vers l’étranger. L’Angleterre ignorait le manque de crédits
accordés à ses entreprises. Elle pensait confier le financement de son
industrie aux Bourses. Mais pour éviter la déflation, seules les banques
créaient de la monnaie scripturale, au contraire des Bourses.

259
Après 1870, l’Allemagne continuait avec une croissance globalement
faible, mais réelle. Les paiements des indemnités de guerre de la France
avaient fourni les fonds pour de multiples nouvelles banques. Le décollage
économique s’était précisé avec la libéralisation du droit des sociétés et
l’euphorie de l’unification de l’Allemagne sous la houlette de Bismarck.
L’Allemagne a néanmoins subi la crise de 1873 avant de remonter la pente
après 1879. L’Allemagne voyait la hausse de son activité, même faible et
instable, dépasser celle de la Grande-Bretagne. L’Allemagne grignotait son
retard économique. Au total, le cocktail banques-industrie a donné
cinquante ans de croissance économique avant 1914.

Durant le dernier quart du XIXe siècle, la France canalisait son épargne


mieux que jamais. Les banques françaises investissaient enfin dans
l’agriculture, l’industrie, les transports et les communications. Jusqu’alors
les banques avaient négligé l’industrie. Avec l’usage libéralisé du billet de
la Banque de France, comme déjà évoqué, les banques créditaient et donc
finançaient l’industrie. Les Français faisaient un pas pour se soigner de leur
phobie des billets de banque contractée depuis Law et les assignats.
L’extension de l’usage du billet était aussi nécessaire pour compenser en
partie le versement en pièces d’or et d’argent des paiements des indemnités
de guerre à l’Allemagne. Les banques encore à la traîne rattrapaient peu à
peu le niveau de savoir-faire britannique. Ce handicap a longtemps
embarrassé le financement du développement économique français.

Les USA, première économie au monde au début du


XXe siècle
Avec la « ruée vers l’or » de Californie dès 1849, les USA amassaient
l’or pour développer leur système bancaire et démarrer leur
industrialisation. Aussi, ils devenaient les principaux bénéficiaires du
capital européen. Après 1850, ces capitaux affluaient principalement
d’Angleterre.

Les USA ont longtemps eu une industrialisation erratique et freinée par


l’instabilité monétaire et bancaire qui rejaillissait notamment sur la grave
crise de 1857. Au long du XIXe siècle, aucune Banque Centrale de l’État
fédéral n’encadrait ou ne régulait les banques privées. La raison de cette
absence de coordination fédérale était le mutisme de la Constitution sur la
création d’une banque par les autorités fédérales. Cette ambiguïté

260
constitutionnelle a longtemps servi les adversaires d’une Banque Centrale
fédérale qui était considérée comme compétition injuste de Washington aux
États de l’Union et aux banques privées. Mais sans prêteur de dernier
ressort, les faillites des banques privées étaient nombreuses. L’émission des
billets par les banques privées, nécessaire pour soulager le manque de
monnaie, était anarchique. Ainsi, en 1861, à la veille de la guerre de
Sécession, 7000 modèles de billets de banques privées étaient dénombrés,
sans tenir compte de l’implacable falsification dans un tel fatras.

La guerre civile ralentissait encore un temps l’effort d’industrialisation.


Par ailleurs, l’éclatement de la guerre était lié aux tensions sur la création
d’une Banque Centrale qui s’étaient cristallisées dès l’écriture de la
Constitution. Les colonies du Sud s’opposaient alors déjà aux colonies du
Nord. Deux visions du monde s’affrontaient. Le Nord penchait pour une
société mercantile, industrielle, bancaire, et libérale. Le Sud s’accrochait
aux valeurs de la terre, de l’agriculture, et des esclaves. La confrontation a
finalement explosé en « guerre de Sécession ».

Après la guerre de Sécession, l’économie des USA décollait


véritablement dans les deux dernières décennies du siècle, donc bien après
l’Europe. Les progrès étaient agressifs dans le contexte de la Longue
Dépression, de l’immigration européenne, et de la « Conquête de l’Ouest »
avec l’achèvement des lignes de chemin de fer transcontinentales, avec les
guerres indiennes, ou avec les cow-boys assoiffés d’or. Dans le même
temps, la population se tournait progressivement vers l’industrie. Entre
1850 et 1890, la population active occupée par l’agriculture passait de
80 % à 45 % grâce aux nouvelles techniques agricoles. L’expansion de la
sidérurgie, toujours un facteur clé dans une économie industrielle, était
impressionnante. Vers 1900, les USA surpassaient la Grande-Bretagne dans
la production de fer et d’acier, et ils fournissaient un quart de la production
mondiale. En 1913, les USA avaient grimpé au rang de première économie
au monde en terme de production globale.

Les « National Banks » créées en 1863


En pleine guerre, en 1863, les spécifications des émissions de dollars-
billets avaient été partiellement unifiées autour des « National Banks ».
Ces banques étaient privées, mais elles devaient appliquer des directives
légales sur la couverture à maintenir pour ces billets de banque.

261
Ces banques obtenaient un quasi-monopole d’émission des billets de
banque grâce à deux mesures :

Premièrement, leurs dollars-billet avaient un avantage non négligeable :


ils étaient échangeables sans frais contre d’autres billets d’une autre
National Bank. Seul le nom de la banque variait sur les billets. Cette
pratique étendait la zone de circulation de ces billets, au contraire des
billets d’autres banques qui n’étaient reconnus que localement.

262
Deuxièmement, les dollars-billet des autres banques privées étaient
virtuellement démonétisés par le biais d’une taxe d’un montant prohibitif sur
leur circulation après 1865.

Mais ces National Banks étaient livrées à elles-mêmes, sans prêteur en


dernier ressort en cas de crise. Les faillites de banque continuaient à
toucher aléatoirement des individus malchanceux détenteurs d’un compte de
dépôt dans une mauvaise banque.

La Fed des USA créée en 1913


Après la crise financière de 1907, les derniers foyers de résistance à la
création d’une Banque Centrale de l’État fédéral ont été éteints. Les
ambiguïtés constitutionnelles étaient enfin bâillonnées pour inaugurer une
Banque d’État autorisée à émettre des billets de banque. Ses billets de
banque uniformisaient enfin les billets et régulaient les accès de fièvre des
banques privées. En 1913, la « Federal Reserve Bank » était inaugurée.
Elle est appelée familièrement la « Fed ».

La Fed avait des délégations dans chaque district : les « Reserve


Banks ». La délimitation des districts laissait chaque banque privée cliente
à moins d’une nuit de train d’une Reserve Bank en cas de besoin d’un sac
de billets. La création de ces délégations de la Fed découlait aussi des

263
rivalités entre les États de l’Union et le pouvoir fédéral de Washington,
comme des arguments s’appuyant sur les ambiguïtés de la Constitution.

Les banques privées pouvaient s’inscrire comme clientes ou membres


de la Fed, par l’abandon d’émission de billets privés et par le transfert à la
Fed de leur couverture constituée de dollars-or ou d’autres billets légaux
comme les greenbacks du Trésor et les dollars-billets émis par les National
Banks. Chaque National Bank était membre obligatoire d’une Reserve
Bank. Les autres banques se sont jointes progressivement au réseau fédéral
de la Fed, plus consistant qu’une banque d’un État isolé de l’Union.

Dans la pratique, un dépôt réglementé de « réserves minimales » sur un


compte à la Fed (« minimum reserves » ou « required reserves » en anglais)
a remplacé le transfert de la couverture à la Fed, contre l’obtention d’un
droit de retrait en dollars-billet en proportion du dépôt. La Fed était à même
de mieux surveiller ses membres privés qui pouvaient toutefois conserver
des réserves par exemple en pièces d’or. Au moins, les pièces de cent de
billon et les dollars-billet de la Fed seront frappés et imprimés en fonction
des réserves minimales en dollars-or ou en équivalent légal. Au fil du temps
et de la popularité de ses billets, la Fed tendait à émettre seule des dollars-
billet convertibles en dollars-or. Aussi, elle devait légalement assurer une
couverture-or qui se montait à 40 % de dollars-or en filigrane les dollars-
billet émis, et elle devait garantir 35 % des réserves minimales en dollars-
billet ou en dollars-or immédiatement disponibles pour les retraits. En
français, le terme des réserves minimales est souvent traduit par « réserves
obligatoires ». Le dépôt de « réserves » a toujours été obligatoire
notamment en France, quand ces mesures sont restées longtemps incitées
sans être forcées aux USA. Pour la cohérence des explications,
l’appellation « réserves minimales » a été choisie dans ces pages.

La nouvelle Fed serait mieux à même de coordonner sa couverture-or de


ses émissions de billets avec les besoins d’or du Trésor. Les National
Banks s’étaient parfois retrouvées en difficulté, pour accumuler les dollars-
or nécessaires à leur couverture-or, par la concurrence des Bons du Trésor
de l’État fédéral. À l’inverse, la Fed et le Trésor étaient deux organismes
établis à Washington et coordonnés par l’État fédéral. En fait, jusqu’en
1935, la Fed était semi-privée avec une partie de son directoire qui
représentait le monde de la banque. À l’instar de la Banque d’Angleterre, la
Fed variait ses deux outils monétaires pour contrôler sa propre couverture-
or proportionnelle aux quantités de dépôts, de crédits et donc de dollars en

264
circulation. Le premier de ces deux outils était le traditionnel taux
d’escompte des lettres de change. Le deuxième était les opérations d’Open
Market pour vendre ou acheter des titres divers sur les marchés financiers.
C’est avec ces deux instruments que la couverture-or a été stabilisée
pendant plusieurs décennies.

Certains considèrent la création de la Fed comme un évènement


économique et politique majeur. En 1920, le dollar était déjà la monnaie la
plus importante pour les échanges internationaux et les contrats
commerciaux.

265
Coïncidence : L’instabilité de la fin du XIXe
siècle et le retour du nationalisme.

Les erreurs monétaires du XIXe siècle sont une composante de


l’éclatement de la guerre de 1914-1918.

D’abord, l’économie allemande soutenue par ses banques a rattrapé une


économie anglaise ignorée par ses propres banques. Cette nouvelle
puissance économique renforça certainement l’arrogance du Kaiser.

Ensuite, l’Angleterre était « malheureusement » tombée dans l’étalon-or


vers 1821. Pour rappel, l’origine est à rechercher dans les décisions qui
entouraient le « Great Recoinage » de 1696. Si l’Angleterre du XIXe siècle
avait conservé un étalon bimétallique, le modèle de l’étalon-or ne se serait
pas généralisé. Selon l’économiste Milton Friedman, l’Histoire aurait pu
être tout autre avec un étalon bimétallique. Une plus grande quantité de
pièces d’or et d’argent aurait circulé pour assurer une plus large couverture
des dépôts pour plus de crédits et de billets dans le dernier quart du XIXe
siècle. La déflation aurait pu être évitée. Après 1896, l’inflation survenue
par le retour massif de l’or aurait également été atténuée. Dans un système
bimétallique, le surplus d’or aurait neutralisé la carence d’argent
simultanée.

Dans la réalité, l’étalon-or a supplanté l’étalon bimétallique. Le


mauvais génie de la déflation a alors détraqué l’économie jusqu’à la Longue
Dépression. La dépression a favorisé le protectionnisme en symbiose avec
le nationalisme. Moins d’échanges commerciaux avaient créé moins de
bonnes intelligences contre la guerre, et favorisé les propagandes haineuses
ou démagogiques. Le monde avait mis le doigt dans l’engrenage des crises
économiques de la Longue Dépression, et du repli sur soi par la faute de
l’autre. Les esprits étaient en crise, et les sentiments anti-allemands, anti-
français, antisémites ou autre propension à trouver un bouc-émissaire se
sont renforcés. Les alliances économiques et politiques entre des clans de
pays se sont ourdies. Étincelle à Sarajevo, les Austro-Hongrois ouvrent les
hostilités contre la Serbie, et le conflit devient mondial par ces mêmes
alliances.

266
267
7. Dollars, billets de banque et
Keynes entre 1914 et 1971

268
Les années 1920 dans la lignée du XIXe siècle pour la
plupart des pays

Les pièces d’or remplacées par les billets


pendant la guerre de 1914 1918
Le legs du XIXe siècle était un système monétaire de billets de Banque
Centrale convertibles en pièces d’or. Le droit d’émission de billet par les
banques privées avait pratiquement disparu, même en Angleterre suite aux
restrictions de 1844 enfin abouties. Sans plus créer de monnaie fiduciaire,
les banques privées continuaient de créer de la monnaie scripturale par les
crédits accordés et non retirés en billets de la Banque Centrale. Pour
diminuer les retraits, les chèques ou les virements bancaires relayaient les
billets proscrits des banques privées.

Au fil de la Première Guerre mondiale, la circulation des pièces d’or du


Trésor était plus contrôlée. L’embargo sur l’or s’est généralisé dans toute
l’Europe. Les citoyens étaient instamment priés de changer leurs pièces
contre des billets de la Banque Centrale. Pour sa part, le Trésor anglais a
été jusqu’à émettre des billets convertibles en pièces d’or, tout en
décourageant fortement la conversion-or. Devant la fuite d’or des coffres
des banques dans les poches des particuliers, les Banques Centrales des
pays belligérants ont fini par suspendre la convertibilité-or de leurs billets.
En place depuis le dernier quart du XIXe siècle, l’étalon-or était ignoré
avec ses parités fixes entre monnaies convertibles. Pour payer les
importations en provenance des pays neutres, les pays en guerre ont dû
utiliser leur stock d’or devant le rejet des billets de papier.

269
La Première Guerre mondiale a représenté un tournant dans l’usage du
billet de banque. Les pays en première ligne au front ont utilisé
intensivement le billet de banque temporairement inconvertible pour les
paiements en interne. Les paiements étaient acquittés par des billets ou des
chèques de monnaie fiduciaire, comme par des virements de monnaie
scripturale entre comptes en banque. Comme depuis des siècles, les petites
transactions de basses dénominations continuaient de s’acquitter en pièces
de billon. Par ailleurs, depuis la fin du XIXe siècle, ces pièces
divisionnaires étaient de moins en moins en cuivre verdissant, et de plus en
plus en alliage de nickel puis d’aluminium toujours brillant. Ce système de
pièces, de billets, et de chèques a remplacé les pièces d’or et d’argent
encore en circulation, comme en France où l’usage des pièces était encore
habituel avant la guerre. Le système monétaire ressemblait enfin à celui de
notre XXIe siècle. Avec l’usage intensif du billet de papier et de la pièce de
billon, l’on s’éloignait du bien-intermédiaire et l’on se rapprochait de la
monnaie abstraite et multipliable.

270
Financement de la guerre par déficit inflationniste
Sans convertibilité-or, les pays belligérants ont multiplié leurs billets de
banque en maintenant les taux d’intérêt bas. Aussi, les Banques Centrales
achetaient massivement des Bons du Trésor national en payant avec des
billets fraîchement imprimés. Les déficits des gouvernements explosaient.
Par exemple, les USA voyaient leurs dépenses multipliées par vingt et
financées essentiellement par la vente de Bons du Trésor.

Une telle multiplication des billets a généré une vague d’inflation dans
tous les pays. En fait, il était admis généralement (et faussement, comme
expliqué dans le prochain chapitre) que l’inflation stimulait l’économie
pendant un temps, mais que l’abus dans le temps conduisait à
l’hyperinflation. Ainsi, l’inflation était acceptée pendant la guerre. Par
exemple, les USA, dernier pays à entrer en guerre, ont vu leur prix
pratiquement doubler entre 1915 et 1920.

La hausse des prix signifiait aussi la chute de la monnaie nationale par


rapport à l’or. Les parités monnaie-or d’avant-guerre divergeaient dans tous
les sens.

Retour à la convertibilité-or du dollar après la


guerre
Sans étalon-or, il était généralement admis que l’anarchie monétaire
risquait de régner au sein de l’économie internationale. Sans étalon-or, rien
n’empêchait les abus d’une expansion illimitée du crédit, synonyme
d’inflation incontrôlable. L’exemple de l’inflation d’après-guerre en
Allemagne, expliqué ci-après dans ce chapitre, renforçait ce sentiment.

En 1920, les USA ont été les premiers à restaurer la convertibilité-or de


leur dollar-billet à la parité or-dollar d’avant-guerre. Les USA avaient
assez de stocks d’or, et la Fed a augmenté brutalement son taux d’escompte
de 2 % pour limiter la circulation des billets susceptibles d’être convertis
en or. Cette hausse a provoqué une déflation dramatique qui a sévèrement
déprimé l’économie, bien que la reprise moins d’un an plus tard a fait
oublier l’accroc. Cependant, les historiens ont lourdement critiqué la
politique de la Fed et des autorités américaines. Ils considèrent aujourd’hui
cet épisode comme la première erreur majeure de la jeune histoire de la
Fed.

271
Cette restauration de l’étalon-or pour le dollar renforçait la référence
internationale du dollar-billet dans les échanges commerciaux. Le dollar,
encore insignifiant avec la création de la Fed en 1913, devenait une
monnaie internationale par le commerce et les contrats. Le dollar rivalisait
déjà avec la livre sterling dès 1925 sur la scène internationale. Les USA
s’imposaient comme la première économie au monde et comme le moteur
économique de la planète. Dans les années 1920, les USA et leur dollar
entraînaient les autres pays victorieux dans une expansion économique
exubérante.

L’Europe et l’étalon-or dans les années 1920


En 1922, lors de la Conférence de Gênes, la plupart des Banques
Centrales européennes ont alors pris la décision de rétablir sous peu la
convertibilité-or de leurs billets. Temporairement, les Banques Centrales
assureraient au moins la convertibilité de leurs billets en une monnaie
restée convertible en or, tel le dollar-billet. Mais cette convertibilité-or
indirecte ne pouvait durer.

Les stocks d’or des pays belligérants avaient baissé pendant la guerre.
Les Banques Centrales de ses pays se sont mises à la chasse aux lingots
d’or. Elles ne se sont reconstitué une couverture-or suffisamment épaisse
qu’en une dizaine d’années après la fin de la guerre. Les Banques Centrales
ont alors pu rétablir la convertibilité-or de leurs billets. Un retour à la
convertibilité-or qui n’allait pas durer longtemps…

Certains pays ont pris la mesure habile de ne pas revenir à une


convertibilité-or des billets aux parités d’avant-guerre. Par exemple, la
parité du franc français avait perdu 80 % par rapport au dollar sur les
marchés de change. Il y fallait 5,18 francs français pour 1 dollar avant la
guerre et 25,5 francs pour 1 dollar après la guerre. En 1928, le franc-
germinal était donc simplement converti en franc-Poincaré. Le franc
français valait 0,29 g d’or fin avant la guerre, et chutait à 0,059 g d’or fin.
Ainsi, les montants s’inscrivaient inchangés dans les crédits et sur les
billets multipliés sans intention d’en revenir aux niveaux d’avant-guerre. Le
seul changement portait sur la quantité d’or reçue à la conversion-or d’un
billet de la Banque de France.

La livre sterling de la Banque d’Angleterre


fourvoyée dans les parités d’avant-guerre

272
À la fin de la guerre, la Grande-Bretagne avait connu un boom
économique comme les autres pays. Elle envisageait sereinement un retour
de la convertibilité-or des billets de la Banque d’Angleterre. Contrairement
à la France, la Banque d’Angleterre voulait voir sa livre sterling ramenée à
la parité de l’étalon-or d’avant-guerre, surtout envers le dollar des USA.
Londres devait conserver sa première place financière mondiale par ce
retour compulsif à la parité d’avant-guerre. La confiance des détenteurs de
livres sterling papier serait confortée par une convertibilité sans perte d’or
par rapport à l’avant-guerre.

La couverture-or des billets de la Banque d’Angleterre devait être


reconstituée pour satisfaire aux normes monétaires d’avant-guerre. En avril
1920, le taux d’escompte montait à 7 %, soit la plus forte hausse depuis
1873. La couverture-or devait retrouver son niveau par contraction du
crédit et expansion des dépôts de pièces d’or et par le retour des billets
dont ceux du Trésor émis pendant la guerre. Il paraissait évident qu’il
suffisait aux salaires et aux prix de s’ajuster pour s’accorder avec un
volume restreint de crédits. Il suffisait d’en revenir au niveau des prix
d’avant-guerre. Malgré les grèves, les salaires et les prix ont baissé d’un
tiers pendant les trois années suivantes. Moins consciemment, la
consommation et l’investissement interne étaient en lambeaux par manque
de monnaie pour vendre et acheter. Le boom économique d’après-guerre
s’est vite mué en une déflation par manque de monnaie. La production était
aspirée dans cette spirale déflationniste de moindre consommation, de
faibles investissements, et de rechute de production. L’Angleterre avait
organisé elle-même une absurde déflation, qui virait à la récession. La
manœuvre était jugée nécessaire pour le prestige de la finance de la City.
Finalement, en 1925, la Banque d’Angleterre a restauré la convertibilité-or
de ses billets à la parité d’avant-guerre entre la livre sterling et le dollar.

273
Dans le même temps, les exportations perdaient en compétitivité par
rapport aux autres pays qui avaient dévalué leur monnaie. Les entreprises
alignaient difficilement leurs prix sur ceux de la concurrence étrangère.
Elles étaient contraintes à réduire leur production et à licencier les
ouvriers. Le chômage atteignait déjà 18 % à la fin de l’année 1921. Les
entreprises pensaient faire baisser les salaires pour pouvoir écraser les prix
et relancer les exportations.

Fatigué de supporter les coupes salariales, le monde syndical faisait


front. Il faut dire que les ouvriers aux salaires rabotés devaient attendre
avant de voir les prix à la consommation s’ajuster aux coûts de production,
et enfin baisser après épuisement des stocks évalués aux anciens prix. Ce
souhait de nouvel ajustement des salaires n’a pas été exaucé. La Grande-
Bretagne ne goûtait que trop au climat de chienlit et de discordes des
ouvriers en grogne. Les exportations n’étaient toujours pas compétitives, et
le chômage ne désenflait pas. Les autorités en blâmaient les syndicats…

Néanmoins, la balance des paiements financiers s’équilibrait par les


revenus des placements à l’étranger. La parité de la livre avec l’or, et donc
avec le dollar, était maintenue au grand bonheur des financiers de la City de
Londres. Selon eux, la City pouvait ainsi conserver son premier rang
financier. Pour cette raison, les banquiers avaient fait pression sur le
chancelier de l’Échiquier, donc le ministre des Finances de la Couronne.

274
Churchill était ce chancelier. Même s’il était conscient de la calamité du
retour de l’étalon-or aux parités d’avant-guerre, il avait cédé à son
entourage. Par la suite, Churchill a reconnu cette décision comme la plus
grosse erreur de sa carrière politique. Et la Grande-Bretagne titubait dans la
récession des années 1920, quand les autres vainqueurs de 14-18 dansaient
dans les « années folles ».

275
L’hyperinflation en Allemagne vers 1922 1923

Une politique monétaire inflationniste pendant la


guerre
L’économie de l’Allemagne devait supporter le poids des réparations de
guerre. Sans aucune réserve d’or, l’Allemagne ne pouvait revenir à la
convertibilité-or. La situation était d’ailleurs identique pour les pays issus
de l’Empire austro-hongrois, mais seul le cas représentatif de l’Allemagne
sera expliqué ci-après.

Dès le début de la guerre, l’État allemand avait opté pour un


financement couvert par l’endettement. Les billets étaient inconvertibles, et
donc le crédit et les émissions de billets étaient libres d’un contrôle par le
public habitué à l’usage intensif des billets. La Banque Centrale n’avait pas
pu contenir les quantités de prêts en billets accordés au Trésor. La
multiplication des prêts accordés par la Banque Centrale signifiait une
véritable multiplication des sesterces pour le Trésor. Ce financement fondé
sur l’endettement était inflationniste, au contraire du financement par la
fiscalité pratiquée en Grande-Bretagne.

Au début, l’inflation paraissait bénéficier à l’économie, spécialement


aux emprunteurs, aux agriculteurs et aux industriels. L’on voyait même une
forte croissance de la production pour satisfaire une demande de clients
pleins de monnaie qui leur brûlait les mains. Le gouvernement était
doublement tenté par la multiplication de la monnaie qu’il était endetté
auprès de son système bancaire. Non seulement il dépensait la monnaie
multipliée, mais en plus ses dettes fondaient par rapport à l’inflation.

276
En multipliant la monnaie sans retenue, l’inflation apparaissait pour les
autres agents économiques, dont les épargnants. La surmultiplication de la
monnaie par l’État s’assimilait à un véritable impôt. Avec l’inflation, l’État
ponctionnait aux épargnants, comme un authentique imposteur et comme un
faux-monnayeur. Par la suite, les désavantages de l’inflation faisaient
apparaître la chute de la demande de biens par les épargnants au pouvoir
d’achat rongé par l’inflation. Les entreprises ne s’engageaient plus dans des
paiements à terme. La chute de la consommation et des investissements se
répercutait inévitablement sur la production. Baisse de la production,
augmentation de la masse monétaire, et l’Allemagne était prise dans une
spirale inflationniste. L’État voyait ses revenus réels baisser, et il
augmentait encore son endettement et donc la quantité de monnaie en
circulation.

277
Dérapage vers l’hyperinflation en 1922-1923
En 1922 et 1923, l’inflation dépassait les 10 % par mois. Elle avait
dégénéré en « hyperinflation ». L’épargne n’était plus rognée par
l’inflation, elle était carrément confisquée par l’hyperinflation. Les
épargnants en étaient ruinés. Aucune pièce d’or n’était disponible pour une
conversion et un placement sûr. Le troc, les biens-intermédiaires et les
autres palliatifs à l’inflation réapparaissent. L’économie s’affaiblissait au
pas de course. Les troubles acculaient le pays au bord de la guerre civile.
L’hyperinflation allemande est considérée comme une des causes de l’échec
de la République de Weimar (1919-1925). Avec les humiliantes réparations
de guerre, l’hyperinflation a contribué à mettre le pied du parti nazi à
l’étrier.
~

Ainsi, l’hyperinflation allemande a mis en évidence deux raisons


supplémentaires de combattre l’« inflation », en plus des autres déjà
évoquées avant le temps des monnaies de papier du XXe siècle : le danger
de déraillement vers l’hyperinflation, et la tentation des États à faire fondre
leur dette publique par l’inflation. Ces deux justifications étaient
inexistantes avec la lente multiplication des sesterces au marteau, ou avec
l’absence de dette contractée par l’État romain.

278
Résorption remarquée de l’hyperinflation
En 1924, l’Allemagne était parvenue à revenir à une monnaie stable
gagée sur des actifs de l’État, en l’absence de réserve d’or. La
« Rentenbank » était un nouvel organisme qui émettait des billets
convertibles en terres, à l’image des assignats de 1789. Le nouveau billet
du « rentenmark » était émis en quantité rigoureusement limitée par la
Rentenbank. Le rentenmark était valorisé selon le mark-or d’avant-guerre,
soit à 4,2 dollars convertibles-or. Les vieux billets du mark étaient changés
contre des billets du rentenmark. La référence du vieux mark-billet
n’existait qu’au travers du cours du change envers l’or ou bien le dollar
coté à… 4200 milliards de marks-billet inconvertibles. Un rentenmark était
donc changé contre 1000 milliards de marks-billet.

Simultanément, les anticipations de l’inflation des prix et surtout la


spéculation devaient être jugulées. Les spéculateurs étaient pour beaucoup

279
dans l’emballement de l’inflation. En schématisant, ils empruntaient
massivement des marks-billet pour placer en devises stables, et
remboursaient à terme les marks-billet après la hausse du cours des
devises. Par là, les crédits proliféraient, comme la quantité de monnaie en
circulation, et l’inflation s’accélérait. Ensuite, ils empochaient la différence
entre les cours d’achat du jour et de vente à terme des devises, en déduisant
les clopinettes des intérêts de l’emprunt.

En novembre 1923, les spéculateurs ont été pris à revers par


l’étranglement implacable du crédit et l’obligation de rembourser avant
terme toute opération financière. Simultanément, les cours du change du
rentenmark étaient énergiquement stabilisés avec les réserves de devises de
la Rentenbank. Le crédit spéculatif et donc la source principale de
l’hyperinflation avait été attrapé au lasso et terrassé. Le nouveau système
monétaire tenait le coup. Ce tour de force accentuait la reconnaissance et
l’appui international du nouveau président de la Reichsbank et de la
Rentenbank depuis 1923 : Hjalmar Schacht.

Retour à une relative convertibilité-or pour les


nouveaux reichsmarks
Dès lors, un prêt d’or à l’Allemagne s’avérait un placement en de
bonnes mains. L’or a été prêté par l’étranger confiant dans les compétences
de Schacht. Ce prêt était considéré comme nécessaire pour soutenir un
retour à la convertibilité-or jugée indispensable pour éviter un retour de
l’inflation. Le lien du reichsmark-billet avec un bien-intermédiaire d’or
était aussi jugé nécessaire pour rassurer les Allemands encore traumatisés
par l’hyperinflation. En août 1924, c’était le retour à la parité fixe envers un
étalon-or pour un nouveau « reichsmark » convertible-or et changé contre le
rentenmark.

Quelques restrictions étaient appliquées à la convertibilité-or des


reichsmarks-billets. Les reichsmarks-or n’étaient pas autorisés à circuler
pour acquitter les paiements, sauf avec l’étranger. Cette mesure
décourageait les conversions-or des reichsmarks-billets. Les reichsmarks-
or pouvaient néanmoins être thésaurisés. Une autre clé du succès, et donc du
contrôle de l’inflation, était la limitation de la quantité des prêts accordés
au Trésor de l’État. À cette fin, la Reichsbank avait obtenu son
indépendance du gouvernement pour sortir de la crise.

280
281
Le violent krach boursier de Wall Street de 1929

La spéculation boursière de Wall Street favorisée


par la Fed dans les années 1920
Pendant l’expansion des années 1920, la spéculation boursière battait
son plein aux USA, spécialement dans la fameuse Bourse de Wall Street à
New York, le « NYSE » (New York Stock Exchange). La Fed a alors laissé
les banques privées répéter les mêmes erreurs qu’au XIXe siècle.
Rassasiées de comptes de dépôt, ces banques privées assuraient aisément
leur couverture-or ou leurs réserves minimales sur un compte à la Fed.
Elles créditaient à tout venant à taux d’intérêt bon marché pour investir…
même en Bourse, où les spéculateurs espéraient un rendement supérieur aux
intérêts à rembourser ultérieurement.

Néanmoins, et contrairement au XIXe siècle, la Fed s’était rendu compte


du danger du crédit facile. Pour la première fois de son histoire, la Fed a
essayé de réguler le gonflement des crédits, plutôt que de se focaliser sur sa
couverture-or. Elle avait tenté d’infléchir la courbe furieusement croissante
du volume de crédits accordés. En 1921, la Fed a augmenté son taux
d’escompte jusqu’à 7 % pour inciter le public à conserver les lettres de
change pour ainsi limiter les dollars en circulation.

Pourtant, dès 1924, la Fed est ensuite revenue vers une tactique
classique de crédits bon marché et juste limités en fonction de la
couverture-or. Elle souhaitait alors aider la Banque d’Angleterre à
reconstituer, puis à maintenir, sa couverture-or. Objectif atteint en 1925,
puis en 1927. La Fed a effectivement manipulé le taux d’escompte et les
opérations d’Open Market afin de favoriser la circulation de monnaie… et
les placements d’or à Londres qui pratiquait une politique de taux d’intérêt
élevés et d’achat d’or. La Fed avait descendu son taux d’escompte jusqu’à
3,5 % en 1927, donc en dessous de celui de Londres. Avec ces taux
d’intérêt bon marché, le volume de crédits accordés aux spéculateurs
boursiers ne désenflait pas. Les cours des actions s’élevaient devant tant de
demandes d’acheteurs aux mains pleines de monnaie… empruntée.

Le krach de Wall Street d’octobre 1929

282
Après une hausse irréaliste des cours, les investisseurs ont commencé à
se rendre compte que les bénéfices par action ne seraient pas aussi
mirobolants qu’espérés. Les cours des actions cotées à la Bourse de Wall
Street s’effondraient finalement avec le krach d’octobre 1929. Le krach
dépassait les échelles de grandeur des crises boursières du XIXe siècle. La
confiance chutait aussi bas qu’elle était montée haut avec l’euphorie de la
fin de la guerre et la certitude d’une croissance infinie de la production, des
bénéfices et de la Bourse.

Avec le krach, certains avaient perdu, d’autres gagné. Les plus


embarrassés était les spéculateurs endettés qui n’avaient pas vendu avant le
krach. Impossible pour eux de rembourser les prêts effectués pour acheter
des actions qui terminaient presque en confettis. En effet, les cours des
actions industrielles chutaient d’un tiers en l’espace d’un mois. Les cours
ont continué de baisser pendant deux ans et demi. Vers le milieu de l’année
1932, ils ne valaient en moyenne qu’un sixième de leur cotation à la veille
du krach.

Les autres particuliers étaient conscients du sort des remboursements


des crédits accordés aux spéculateurs. La panique s’est vite installée. Le
sauve-qui-peut dû aux centaines de milliers de spéculateurs ruinés de Wall
Street se répandait aux millions d’innocents du pays. Les bousculades des
crises des retraits des dépôts en banques ont déclenché une avalanche de
fermetures des guichets, voire de faillites. Les demandes de conversion-or
des billets de la Fed n’étaient que difficilement satisfaites. Le montant total
des dépôts se repliait de près de moitié. Personne ne remboursait personne,
la crise bancaire se répercutait sur les entreprises, et l’économie
ralentissait dramatiquement.

Mauvais réflexes monétaires de la Fed et crise


économique mondiale
Selon les habitudes du XIXe siècle, la Fed a commis une double erreur
monétaire tragique avant le krach de 1929, en favorisant le crédit aux
spéculateurs, et après le krach en répondant par la rigidité monétaire. La
Fed a saigné à blanc l’économie américaine de tout fluide monétaire. La
politique monétaire cherchait à maintenir la convertibilité-or à tout prix. Le
retrait des dollars-billet des comptes de dépôt en banque privée s’était
généralisé par crainte de faillite bancaire. La Fed haussait son taux
d’escompte et multipliait les opérations d’Open Market pour absorber les

283
dollars-billet en circulation et éviter leur conversion en dollars-or à ses
guichets. Au début des années 1930, l’évaporation de la confiance incitait
chacun à thésauriser sa monnaie en dépensant le minimum et sans rien
déposer en banque par crainte de la faillite de celle-ci. Vidées de comptes
de dépôt et donc sans couverture-or ou billets, les banques refusaient les
demandes de crédits. Cette restriction du crédit limitait les possibilités de
consommation ou d’investissement. Les entreprises ne savaient plus vendre
leur production à des consommateurs tétanisés ou à des investisseurs
pétrifiés. Quantité d’entreprises endettées tombaient en faillite. Cela
aggravait encore les faillites des banques qui ne savaient plus rendre la
monnaie des épargnants prêtée aux entreprises. Aux USA, 2000 banques ont
failli en 1931 et 4000 en 1933.

Avec la raréfaction de la clientèle, la concurrence s’intensifiait entre


vendeurs, et les prix chutaient. La déflation des prix s’installait par ce
manque de monnaie en circulation. Elle reflétait le ralentissement des
affaires qui heurtait l’économie de plein fouet. La « Grande Dépression »
économique des années 1930 était cinglante. Pour la distinguer de la Longue
Dépression de 1873 à 1896, on l’a plutôt nommée la Grande Dépression.
Elle a été prononcée et généralisée. La production globale chutait de moitié
aux USA entre 1929 et 1933. Comme toujours, les biens de production non
agricoles étaient les plus touchés. La vente et donc la production de biens
industriels a chuté de 75 %. Aux USA, le nombre de chômeurs est passé de
1,5 million en 1929 à 12 millions en 1932. Les USA voyaient leur revenu
national chuter d’un tiers.

Dès après le krach de 1929, les banques des USA avaient rapatrié leur
or prêté en Europe et spécialement à l’Allemagne. À l’annonce de ce
rapatriement, les crises des retraits des dépôts et de convertibilité-or des
billets des Banques Centrales frappaient l’Europe. La crise bancaire avait
provoqué une rude contraction de la masse monétaire. La crise bancaire
dégénérait en choc économique. La mauvaise réaction de contraction de la
masse monétaire par la Fed aux USA, a largement contribué à propager la
grave crise de confiance à l’économique européenne. Contrairement aux
crises du XIXe siècle, la dépression prenait sa source aux USA, et non plus
en Grande-Bretagne ou en Europe continentale. Dans les années 1930,
l’économie était la proie de la déflation et de la dépression économique aux
USA et en Europe. La crise économique se répandait ensuite à travers le
monde par le commerce international.

284
285
Théories de Keynes vers 1930

Contestation keynésienne de la politique monétaire


Au cœur de l’Angleterre, pays du rigide étalon-or qui pressait à
l’absurde déflation, de nouveaux thérapeutes se penchaient au chevet de la
dépression économique et de la déflation. Ils étaient rassemblés autour de
John Keynes. L’exact diagnostique professé par Keynes sur les explications
des cycles économiques est secondaire. De fait, l’analyse de Keynes sera
démentie. Pourtant, Keynes a été à l’origine de solutions audacieuses pour
débarrasser l’économie des cycles et du chômage durant plusieurs
décennies. Ces théories monétaires de type « keynésien » ont commencé à
être appliquées pendant la Grande Dépression. La mise en pratique des
théories était articulée autour des deux principales recommandations
keynésiennes : le détachement du système monétaire de tout lien avec l’or
pour rendre le crédit abordable, et l’endettement étatique pour relancer
l’activité.

La quantité de monnaie libérée de l’étranglement


par l’étalon-or
Le credo de la réflexion keynésienne touchait à la rigidité de la
convertibilité-or, et donc au respect aveugle de la parité des monnaies
envers l’étalon-or. L’apport des métaux d’or ou d’argent n’a pas toujours su
accompagner l’augmentation de la quantité de biens du Moyen Âge au XIXe
siècle. Des phases de déflation en ont résulté. Selon Keynes, l’or était une
« relique barbare ». La quantité de monnaie ne devait plus augmenter selon
les frappes de pièce d’or par le Trésor. Le système monétaire ne devait plus
rechercher en priorité la convertibilité-or des billets de banque ou la parité
des monnaies envers l’étalon-or.

Les Banques Centrales d’avant-guerre ont mesurément écouté Keynes.


Elles n’ont assoupli qu’en partie les règles de la couverture-or. Les règles
appliquées sont expliquées dans les prochaines pages, car les Banques
Centrales ont imaginé de nouvelles règles de régulation des émissions de
billets par rapport à l’or. L’inconvertibilité pure n’a pas été la règle
absolue. Les responsables d’avant-guerre la jugeaient trop incoercible. Les

286
nations devaient être protégées de la multiplication excessive des billets
inconvertibles et de l’hyperinflation.

Les Banques Centrales ont choisi de relâcher le lien de la monnaie


envers l’étalon-or juste afin de pouvoir baisser le taux d’escompte. Une
telle politique monétaire injectait de nouveaux billets en circulation payés
contre les lettres de change facilement escomptées pour de faibles agios.

Ces nouvelles émissions de billets finissaient par gonfler les comptes de


dépôt et épaissir les couvertures en billets des banques privées. Celles-ci
pouvaient créer de la monnaie scripturale en octroyant plus de crédits, voire
des crédits moins chers par la concurrence entre banques et par la
concurrence du taux d’escompte. Les banques pouvaient octroyer plus de
crédits meilleur marché, mais toujours selon leurs réserves et les comptes
de dépôt libellés en billets émis par la Banque Centrale. Souvent, la
couverture en billets était substituée par des réserves minimales à la
Banque Centrale, selon l’exemple de la Fed. Ces réserves minimales
aidaient les Banques Centrales à surveiller le crédit.

En cas de surchauffe du crédit, les Banques Centrales devaient toujours


varier leurs taux d’escompte, et agir par leurs opérations d’Open Market.
En pratiquant de la sorte, les Banques Centrales influaient sur le volume des

287
billets dans les comptes de dépôt des banques privées, ce qui contingentait
le crédit par la probabilité des retraits en billets.

En fin de compte, dégagée de l’obsession de la couverture-or, la


quantité de crédits et de monnaie pouvait satisfaire raisonnablement les
besoins des entreprises et des particuliers. L’objectif sous-jacent des
nouvelles règles d’émission des billets était atteint : un crédit abordable à
taux d’intérêt bas.

Crédit pour redémarrer l’activité économique


L’activité économique reprendrait et se développerait grâce au crédit
accessible et bon marché. Notamment, les crédits de sauvetage étaient
déchargés d’une éventuelle remontée en cas de tension sur la convertibilité-
or. D’autres crédits aux entreprises financeraient l’achat de stocks, les
salaires des travailleurs et finalement le redémarrage de l’activité pour
satisfaire et entretenir la demande des ménages. Enfin, les taux d’intérêt
constamment bas éviteraient de renoncer systématiquement aux projets les
moins rentables.

Les salaires eux-mêmes contribueraient à relancer la consommation ou


l’épargne dans les dépôts en banque qui pouvaient être la base de nouveaux
crédits à l’investissement. Cette considération des salaires dans le système
économique a été dénommée « fordisme » en hommage à Ford, grand patron
de l’entreprise automobile. Il avait compris le premier l’importance des
salaires pour la consommation. De fait, la demande est composée des
investissements, mais aussi de la consommation. La stratégie de Ford avait
pour essence la circulation de salaires élevés pour absorber la production
de masse… mais aussi pour garder les ouvriers de fuir la production à la
chaîne. Cela était permis par des taux de croissance élevés dont les fruits
étaient répartis par des syndicats puissants et concertés avec les
gouvernements loin des craintes du chômage. Il ne s’agissait pas de relancer
l’économie par les salaires ! Il faut évidemment produire avant de
consommer. Les crédits à la production restaient à la base du système, pas
les augmentations salariales !

Ce n’est qu’après 1945 que les crédits aux ménages ont massivement
contribué à relancer la consommation, donc les ventes et la production. Les
crédits pouvaient être multipliés pour les producteurs, mais aussi pour les

288
consommateurs déjà enrichis et capables d’offrir des garanties foncières ou
immobilières aux banques contrairement aux siècles précédents.

L’impulsion étatique en appui


Selon Keynes, les ménages hésitaient parfois à consommer et à investir.
L’opinion orthodoxe fit un tollé à ce postulat keynésien. Elle n’imaginait
qu’une demande spontanée et harmonieuse. Toujours selon Keynes, l’État
devait alors s’endetter pour se substituer aux ménages. Une révolution en
soi, car le déficit de l’État était inconcevable à l’époque, et seulement
toléré en temps de guerre. Avec la monnaie collectée par des Bons du
Trésor ou des crédits bancaires, l’État devait investir, voire dépenser, pour
relancer la production, les salaires et la consommation. Ainsi, le
gouvernement ne devait pas chercher à équilibrer ses budgets en augmentant
les impôts pour compenser la chute de la fiscalité de par la récession. Au
contraire, le gouvernement pouvait même diminuer les impôts pour relancer
la consommation par les particuliers et les investissements par les
entreprises. Et si les taux d’intérêt étaient bas, le déficit public, couvert par
les Bons du Trésor ou les crédits bancaires, était bon marché pour l’État.

L’impulsion étatique de l’activité ramènerait la confiance dans les


ménages et dans les entreprises privées. Les commandes publiques
généreraient des salaires, et l’activité se réanimerait. Les ménages se
mettraient à consommer, spécialement s’ils bénéficiaient de réductions
d’impôts. À leur tour, les entreprises embrayeraient en investissant, en
produisant et en payant des salaires pour satisfaire la consommation. La
machine économique redémarrerait rapidement. Selon Keynes,
l’investissement créerait également l’épargne et celle-ci permettrait
d’autres crédits pour investir.

289
Par l’endettement pour couvrir les investissements étatiques et les
réductions d’impôts, Keynes visait surtout à redémarrer l’économie privée.
Keynes n’était pas un socialiste qui souhaitait la prise en charge de
l’économie par l’État. Keynes était un capitaliste adepte de l’efficacité du
secteur privé. Pour Keynes, comme pour les libéraux, la vision socialiste
avec une législation et des contrôles stricts est économiquement inefficace.
Surtout, ces contrôles stricts risquent de dériver vers un système de
coercition toujours plus rigide contre le marché noir et les méchants
producteurs. Un excès législatif, judiciaire ou même fiscal aux mains d’un
être pervers annihilerait toute velléité d’opposition et tournerait à une
répression incompatible avec les libertés fondamentales.

290
Abandon partiel de la convertibilité-or à partir de 1931

Nouveau système monétaire international autour du


dollar dans les années 1930
Dans les années de crise après 1929, la plupart des Banques Centrales
européennes ont tenté de s’accrocher à la convertibilité-or avant d’y
renoncer. En 1931, la Banque d’Angleterre a fini par suspendre la
convertibilité-or de ses billets. Les autres Banques Centrales européennes
ont suivi cet exemple. En 1936, la Banque de France était la dernière à
suspendre la convertibilité-or de ses billets.

Après 1936, seuls les USA disposaient encore d’une réserve d’or
suffisante pour maintenir une convertibilité-or des dollars-billets de la Fed.
Dans la pratique, il s’agissait d’une convertibilité-or circonscrite. La
conversion de dollars-billet était exclusivement autorisée à quelques
Banques Centrales étrangères, dont celles d’Angleterre et de France. La
convertibilité-or des dollars-billet avait vécu pour les particuliers.

Ces Banques Centrales étrangères adhéraient à une convention de


stabilité des parités entre leurs monnaies et le dollar convertible-or des
USA. Comme au temps de l’étalon-or, les parités de change étaient
maintenues plus ou moins fixes entre les principales puissances
économiques. La référence n’était plus l’or, mais le dollar alors seul billet
convertible-or. Dans le nouveau système monétaire international, l’or n’était
plus la référence centrale comme du temps de l’étalon-or. L’étalon-or avait
disparu pour de bon. L’or ne restait la référence qu’au travers du dollar. Le
dollar avait pris la place de l’or comme étalon de référence. Le dollar
s’imposait comme la véritable référence, comme l’étalon-dollar.

La plupart des Banques Centrales s’engageaient à assurer la


convertibilité-dollar de leur monnaie. Elles devaient acheter ou vendre des
billets de leurs monnaies contre des dollars en réserves. Pour sa part, la
Fed s’engageait, par le Trésor US, à acheter ou à vendre de l’or contre des
dollars aux Banques Centrales, selon la parité prévue entre le dollar et l’or.
Par cette convertibilité-dollar, chaque Banque Centrale ne pouvait laisser
ses billets nationaux se multiplier sous forme de crédits privés qui se
transformaient après paiement en nouveaux dépôts. Les Banques Centrales

291
surveillaient, au travers des comptes des réserves minimales, les volumes
des dépôts destinés à couvrir les retraits en billets nationaux. L’inflation et
les taux de change des monnaies nationales étaient stabilisés pour respecter
la convertibilité-dollar, ou la convertibilité-or dans le cas du dollar.

Avec ce système, les taux de change issus de l’étalon-or étaient donc


maintenus malgré l’abandon de l’étalon-or. Ce nouveau système monétaire
de l’étalon-dollar allait perdurer jusqu’au début de la guerre, et reprendre
avec la paix.

Pâle reprise économique sans impulsion étatique


« keynésienne » avant la guerre
La Grande-Bretagne suivait la première recommandation de Keynes : le
taux d’intérêt moyen pratiqué par les banques avait baissé grâce aux actions
de la Banque d’Angleterre. Le taux d’intérêt bancaire baissait à 3 % en
1930. Temporairement, il remontait à 6 % pendant la crise de retrait qui a
conduit à la suspension de la convertibilité-or de la livre sterling papier par
la Banque d’Angleterre en 1931. La suspension de la convertibilité-or
éradiquait les crises de retraits. C’était déjà ça. Ensuite, le taux d’intérêt
bancaire est redescendu à 2 % entre 1932 et 1939.

Cela ne suffisait pas pour relancer le moteur. L’économie redémarrait


plus lentement encore qu’après les crises du XIXe siècle. La crise de 1929
avait fortement ébranlé la confiance des consommateurs et des entreprises

292
en l’avenir économique. La reprise tardait à revenir. Avant la guerre, la
Grande-Bretagne tergiversait devant un redressement économique insufflé
par un endettement étatique prononcé et favorisé par des taux d’intérêt bon
marché. Les théories de Keynes n’ont inspiré qu’une baisse des taux
d’intérêt qui a au moins donné un coup de fouet au marché immobilier. La
reprise du secteur de la construction explique le léger regain de l’activité
économique des années 1930. Malgré la baisse des taux d’intérêt, le
chômage était toujours élevé. En 1939, l’Angleterre pataugeait dans un
chômage qui touchait encore 12 % de la population active.

La France était à peine en meilleure situation. En 1935, la production


était tombée à moins de 80 % du niveau de 1928. Le chômage enregistrait
500 000 personnes, sans compter l’émigration ou les travailleurs retournés
dans la ferme familiale. Ce n’est qu’en 1938 que l’activité commençait à
sortir de sa léthargie avec notamment les efforts de réarmement. La France
n’avait pas pleinement entamé un redressement économique inspiré des
crédits bon marché et de l’endettement keynésien. De même, les autres pays
n’étaient pas mieux lotis, quand ils n’étaient pas en guerre comme
l’Espagne, sous la botte des fascistes comme l’Italie, ou sous le joug des
soviets comme la Russie.

293
Application plus large des théories keynésiennes aux USA
dès 1932

Fin partielle de la convertibilité-or du dollar


En 1933, contrairement aux Banques Centrales européennes, la Fed
maintenait une certaine convertibilité-or de ses dollars, bien que le
président Roosevelt fraîchement élu avait décidé de l’assouplir
énergiquement en vue d’une reprise des crédits à l’État ou au secteur privé.

D’abord, les citoyens américains ont vu diverses mesures prises afin de


retirer l’essentiel des pièces d’or de la circulation. L’obligation avait été
décrétée pour les particuliers de convertir leurs dollars-or en dollar-billet
(sauf pour 100 dollars-or par personne). Les dépôts bancaires et les
réserves minimales de dollars-or encore détenus par certaines banques
privées étaient réquisitionnés par un change obligatoire contre des dollars-
billet. La plupart des pièces et lingots se sont entassés à la Fed depuis la fin
de la convertibilité-or.

294
Ensuite, la convertibilité-or du dollar-billet était suspendue pour les
particuliers américains. Cette mesure mettait un terme aux crises de retrait,
ce qui était très appréciable. En même temps, la circulation de l’or pour
acquitter les paiements internes était interdite aux USA. L’or n’était plus une
monnaie légale. L’or restant pouvait seulement être thésaurisé.

Finalement, les citoyens américains pouvaient toujours convertir leurs


dollars-billet en or sur les marchés financiers internationaux. Ces marchés
étaient surveillés et stabilisés par les autorités américaines (au travers du
Trésor après le transfert des réserves d’or de la Fed au Trésor). Ainsi, la
fixation du prix de l’or n’était pas laissée aux marchés comme cela avait été
le cas après la démonétisation de l’argent en 1870.

Le dollar dévalué par rapport à l’or et aux devises


En 1933, les autorités américaines décidaient de dévaluer le dollar-
billet par rapport à l’or, et donc, par rapport aux devises qui n’étaient pas
liées entre elles avant 1936. La manœuvre était destinée à remonter les prix
des produits agricoles et les prix des matières premières (coton, pétrole,
tabac, blé, etc.). Ils étaient essentiellement déterminés par le commerce
international, et ils avaient le plus souffert de la déflation au point où leurs
producteurs peinaient à rembourser leurs prêts.

La dévaluation était graduelle avec le Trésor US achetant de l’or et en


payant avec des dollars-billet, ce qui faisait monter la cotation de l’or dans
les marchés financiers. En fait, le Congrès avait toujours autorisé le Trésor
à imprimer des billets du Trésor convertibles or (« gold certificates »), et à
les échanger contre des dollars-billet auprès de la Fed, dans le but
d’acheter de l’or. Par contre, le Congrès interdisait d’autres formes de
création monétaires qui auraient pu mener à la même dévaluation du dollar.

Le dollar stabilisé à 35 dollars-billet par once d’or


En janvier 1934, le dollar-billet s’était déprécié de 40 % par rapport à
l’or sur les marchés de change. Roosevelt proclamait alors la stabilisation
du dollar à une nouvelle parité de 888,67 mg d’or fin. L’once troy d’or
(31,10 g) variait donc de 20,67 à 35 dollars-billet. Dans l’économie
interne, les prix se raccrochaient aux valeurs nominales en dollars-billet, et
ils n’étaient pas influencés directement par cette dévaluation, sauf par
l’intermédiaire des importations et des cours des devises. Par cette

295
stabilisation de l’once d’or à 35 dollars-billet, les autorités fixaient une
valeur plancher en or du dollar-billet qui rassurait les marchés.

Le Trésor US n’avait aucun mal à stabiliser l’once d’or à 35 dollars-


billet car il s’agissait surtout d’acheter de l’or et de payer avec des billets
de par l’afflux d’or fuyant la montée d’Hitler en Europe.

Dès 1936, la convertibilité or des dollars-billet était réservée aux


Banques Centrales partenaires d’une convention de stabilisation des
monnaies autour de l’or, comme expliqué précédemment.

La Fed sous contrôle plus démocratique


La surpression de la convertibilité-or pour les particuliers mettait un
terme au contrôle public d’éventuel abus d’émissions de billets par le
gouvernement. Des mesures ont été prises pour garantir la bonne marche de
la Banque Centrale.

Dès 1935, l’État avait veillé à établir un contrôle plus démocratique de


la Fed, ce qui la rendait plus indépendante des diktats du gouvernement. Les
membres du directoire de la Fed qui représentaient le monde de la banque
étaient démis. Chaque membre qui siégeait encore au directoire de la Fed
était nommé pour 14 ans par le président des USA avec l’aval du sénat. À
raison d’une nomination tous les deux ans d’un des sept membres, la
nomination d’une majorité des membres du directoire est indépendante d’un
seul mandat présidentiel de 4 ans. Dorénavant, la Fed était un organisme
étatique sous la coupe exclusive du pouvoir démocratique de Washington et
doté néanmoins d’une indépendance relative par rapport au gouvernement.

Taux d’intérêt bas


Sans plus de convertibilité-or des dollars-billets pour les particuliers,
les opérations de la Fed ne cherchaient plus à assurer le maintien d’une
couverture d’or. Les variations du taux d’escompte de la Fed n’étaient plus
nécessaires. Les opérations d’Open Market de la Fed d’achat ou de vente
de titre à un certain taux d’intérêt ne devaient plus influencer la couverture
d’or, et elles ne déterminaient plus par ricochet les taux d’intérêt de
rémunération des bons de caisse des banques ou des comptes de dépôt.

Les taux d’intérêt des banques privées ont pu être plafonnés. Dans la
pratique, une rémunération maximale en intérêts des dépôts bancaires a

296
légalement été instaurée. En conséquence, les taux d’intérêt exigés pour les
crédits étaient limités au taux des dépôts plus une marge bénéficiaire pour
la banque. La marge bénéficiaire des banques était bien sûr contenue par la
concurrence. Le taux d’intérêt des crédits était à peine plus élevé que le
taux d’intérêt maximal des dépôts. Les théories keynésiennes avaient inspiré
cette politique des taux d’intérêt bas pour les dépôts et les crédits
bancaires.

Le volume de crédits des banques privées toujours


sous surveillance
Sans frein par des taux d’intérêt élevés, les banques privées créditaient
néanmoins sous le coup du volume des dépôts susceptibles de retrait en
billets. Le droit d’émission supprimé, les banques privées ne prêtaient
finalement plus qu’en proportion des réserves minimales convertibles en
billets de la Fed. Les réserves minimales à la Fed, comme l’or autrefois,
couvraient en partie chaque dollar crédité par les banques privées. La Fed
vérifiait la validité de ces réserves minimales par rapport aux dépôts et
surveillait la proportion des comptes de crédit accordés par les banques
privées. D’autre part, les dollars-billets ne pouvaient être retirés par les
banques privées à la Fed qu’à hauteur des réserves minimales. Les banques
privées pouvaient donc encore faillir en cas de crise de retraits en dollars-
billets. La Fed était libre d’intervenir pour soutenir la banque privée, sauf
en cas de malversation. Les crédits de la Fed devaient s’orienter vers les
banques qui soutenaient un crédit bon marché aux entreprises afin accroître
production et salaires, mais pas vers les banques susceptibles de
banqueroutes !

En 1935, le directoire de la Fed se voyait également attribuer la


possibilité de varier les réserves minimales des banques à la Fed. En
variant ce taux des réserves minimales, la Fed étranglait ou détendait la
quantité des crédits accordés, comme l’aurait fait le public par la
convertibilité-or des billets. Cet instrument de modulation des réserves
minimales s’ajoutait aux outils de contrôle monétaire que sont les
opérations d’Open Market et la variation du taux d’escompte. Par absence
de menace inflationniste, ces outils n’ont pratiquement pas été utilisés
pendant la Grande Dépression.

297
Le New Deal et l’endettement timide de l’État US
Dans les années 1930, le président Roosevelt mettait son « New Deal »
en place. Le gouvernement US a développé sa propre banque publique : la
RFC (Reconstruction Finance Corporation). La RFC avait été créée peu
avant la présidence de Roosevelt. La création de la RFC était nécessaire
pour le gouvernement, car la Fed était un organisme qui échappait au seul
gouvernement par un capital aux mains d’actionnaires semi-privés. De leur
côté, les capitaux de la RFC provenaient du seul Trésor US. Ces capitaux
de la RFC en dépôts à la Fed permettaient des crédits en proportion
responsable des réserves minimales. Ensuite, la RFC créditait aux États des
USA pour financer des grands travaux d’infrastructure. Les États des USA
s’endettaient pour espérer relancer l’économie par ce soutien étatique à
l’activité, aux investissements et à la consommation. L’investissement dans
ces grands travaux était rentable. Il se basait sur le développement
d’industries primaires et secondaires (agriculture, acier, construction…).
Ces projets étaient « simples » à mettre en œuvre par l’État dans un pays
loin d’être saturé de barrages et de ponts. Ces projets généraient un revenu
rapide. Restait à espérer le retour de la consommation privée, conséquente
des salaires des grands travaux, qui réanimerait la production et donc
l’investissement des entreprises. Les USA continuaient de plaider pour
l’économie de marché libre et pour le capitalisme. Ils plaidaient pour un
travail volontaire et meilleur afin de produire et dépenser librement pour
soi-même.

298
Les crédits de la RFC ont également financé la réouverture des banques
privées. 7000 banques privées ont pu rouvrir. Aussi, le gouvernement avait
accordé une nouvelle assurance ou garantie des dépôts des épargnants
(FDIC for Federal Deposit Insurance Corporation). Depuis le traumatisme
de 1929 et l’hécatombe de faillites des banques qui avait suivi, les dollars
fuyaient les dépôts en banques. En échange de cette assurance, les banques
concédaient de soumettre leurs activités à plus de contrôles. Une distinction
était établie entre d’une part, les banques commerciales pour le crédit à la
consommation ou à l’investissement dans la production, et d’autre part, les
banques d’investissements pour les placements en Bourse. Les banques
commerciales n’étaient plus autorisées à accorder des prêts pour des
placements en Bourse. Les banques commerciales devaient prêter en billets
ou créditer en compte en vérifiant la destination du financement pour l’achat
d’une machine, d’un autre investissement productif, ou de dépenses de
consommation comme une maison ou une voiture.

Le New Deal a fonctionné timidement avant la guerre. Le New Deal


rejoignait en partie les vues de Keynes. Keynes comme d’autres
économistes postérieurs ont jugé l’endettement étatique insuffisant pour
ramener la confiance parmi les particuliers. Sans monnaie en main, cette
confiance tardait à revenir. Le séisme de 1929 traumatisait encore les
particuliers et les entreprises privées. Le public empruntait des volumes
rationnés aux banques prudentes. La consommation et l’investissement privé
demeuraient bas. Les machines restaient à l’arrêt, malgré les ouvriers qui ne
demandaient qu’à travailler. S’il y avait du chômage et des usines fermées,
alors des capacités inexploitées de production existaient. Au contraire, avec
l’accroissement démographique, le chômage se remettait à augmenter
jusqu’à 19 % en 1938. Ce n’est qu’à l’approche de la guerre et avec des
efforts de réarmement financés par un endettement plus substantiel, que la
demande s’est réanimée, que l’économie a suivi, et que le chômage est
redescendu à 10 % en 1941.

Déflation enrayée et inflation modérée


La déflation planait sans équivoque sur l’économie depuis 1929. Elle a
continué jusqu’en 1935. Ensuite seulement, les prix se sont mis à remonter.
Cette inflation qui succédait à la déflation était modérée malgré
l’endettement couvert par la multiplication des crédits et donc de la
monnaie. Roosevelt n’était pas Néron. Pour l’État US, pas question de jeter
l’argent des contribuables par les fenêtres. Les investissements

299
(construction de barrages, de routes, etc.) financés par un endettement
couvert par les crédits bancaires de la RFC devaient être profitables à court
terme. Dans ce système du New Deal, la masse monétaire augmentait en
proportion de la production. L’inflation se chiffrait dans des normes
convenables.

La dette publique jamais destinée à remplacer les


impôts
Le système keynésien du New Deal s’est toujours caractérisé par un
endettement essentiellement temporaire de l’État. L’endettement ne s’est
jamais substitué aux impôts pour financer l’État. Au contraire, l’État
renflouerait ses caisses dès le retour de la confiance, de la croissance de la
consommation privée, et donc de la hausse des revenus fiscaux.

L’endettement ne peut couvrir aucune forme de dépenses, pas même


sociales (éducation, santé, etc.). Ce serait à long terme que ces dépenses
sociales amèneraient le bien-être et favoriseraient la création de richesses.
Si les dépenses étaient financées par un endettement couvert par la
multiplication des crédits et de la monnaie, l’inflation des prix apparaîtrait.
En effet, l’endettement couvert par multiplication des crédits bancaires ne
serait pas accompagné d’une multiplication des biens produits. Dès lors, les
prix des biens s’envoleraient. Les dépenses pour le long terme doivent être
impérativement financées par la fiscalité.

300
301
Reprise économique fulgurante dans l’Allemagne nazie dès
1933

Endettement étatique prononcé


Vers 1928, l’économie allemande s’était péniblement remise de
l’hyperinflation de 1922-1923. Le climat politique était encore
profondément désabusé. La crise de 1929 a donné l’estocade à la stabilité
économique à peine retrouvée. Le retrait de l’or américain déclenchait des
crises de retrait et des rafales de faillites de banques. En plein marasme
bancaire, Schacht s’était retiré malgré les demandes insistantes du
gouvernement. Schacht considérait le gouvernement comme inapte. Dès
1930, l’Allemagne s’était enfoncée dans la déflation par la contraction du
crédit dû aux faillites des banques. L’économie ne travaillait qu’au tiers de
sa capacité. Cette crise économique a largement contribué à porter les nazis
au pouvoir en 1933. Hitler a su convaincre Schacht de mettre en œuvre son
« Neue Plan ». Schacht a accepté de revenir à la tête de la Reichsbank et
comme ministre de l’Économie des nazis.

L’Allemagne avait un endettement extérieur libellé en devises, donc en


or, et des stocks d’or largement insuffisants pour assurer la moindre
convertibilité-or des billets. Schacht n’eut d’autre choix que d’opter pour
des reichsmarks-billet inconvertibles en interne. Pour les Banques
Centrales étrangères, la convertibilité du reichsmark-billet en or ou en
dollar continuait d’être autorisée. Le change était également réservé aux
transactions commerciales en excluant les transactions financières. En fait,
la Reichsbank s’interposait entre les entreprises allemandes et les
partenaires étrangers payés en devises plus qu’en or.

Dans l’économie interne, les reichsmarks pouvaient être multipliés par


les prêts à l’État et les crédits des banques privées pour relancer la machine
économique. Le point commun avec le New Deal a effectivement été
l’endettement étatique, mais là s’arrêtent les comparaisons. L’endettement
du Neue Plan a été massif contrairement au timide New Deal. Schacht a
lancé un plan d’endettement étatique prononcé d’inspiration keynésienne.
L’État n’a pas non plus dépensé, et il a plutôt investi généreusement dans les
routes, les autoroutes, les chemins de fer et les autres grands aménagements

302
fonciers. L’État a soutenu également les investissements privés par des
subsides.

Inflation et taux de change sous contrôle


Dès 1933, Schacht a organisé le système monétaire en fonction d’un
financement par l’endettement keynésien. Bien sûr, Schacht savait qu’il
fallait conserver des prix stables, donc éviter l’inflation qui risquait de se
dilater en hyperinflation comme en 1922-1923. Il savait aussi qu’il fallait
maintenir des parités de change fixes pour supporter la dette extérieure.
C’est là qu’est intervenu le génie monétaire de Schacht.

L’État s’est endetté massivement en émettant une sorte de lettre de


change appelée la « traite de travail ». À tout moment, ces « traites » étaient
escomptables à 4 % avant terme à la Reichsbank. Contrairement aux lettres
de change classiques, ces traites étaient remboursables à très long terme, et
payaient des intérêts. Pour accumuler les intérêts, elles étaient conservées et
non systématiquement escomptées à la Reichsbank contre des reichsmarks
déposés en banque privée. Sans couverture-reichsmarks, ou sans réserves
minimales en reichsmarks, les volumes des crédits n’explosaient pas.
L’industrie redémarrait grâce aux lettres de change, et avec le strict
nécessaire de reichsmarks en circulation. La production de biens n’était pas
devancée par un dangereux gonflement de la masse monétaire par
l’endettement. Le délai de quelques mois entre la circulation de la monnaie
et entre la production était évité. L’inflation était sous contrôle.

L’État emprunta aussi des reichsmarks obtenus à la Reichsbank. Ces


reichsmarks étaient dépensés, et ils finissaient par se retrouver dans les
comptes de dépôt des banques privées. Les banques privées étaient alors en
mesure d’accorder des crédits. Cependant, Schacht avait mis sur pied un
contrôle de la multiplication des crédits accordés par les banques privées à
partir des reichsmarks en dépôt bancaire. Dès 1934, une licence était exigée
aux banques pour accorder des crédits. Le ministère de l’Économie
accordait cette licence pour un mois seulement. Le ministère de l’Économie
contrôlait rigoureusement les crédits octroyés par les détenteurs de la
licence. Lorsque les crédits dépassaient un million de reichsmarks, ils
étaient auscultés quant à la validité de leur rentabilité. Les crédits surveillés
concernaient les secteurs publics et privés. Le système analysait aussi la
décence ou la bienséance de la marge bénéficiaire entre les prix de vente et
les prix de revient. Ce financement par multiplication des sesterces était

303
proportionnel à la production, et il n’était donc pas inflationniste. Il s’agit là
d’un contrôle original de l’inflation, pas si keynésien que cela comme la
suite l’expliquera. Le système était donc dirigiste, paradoxe pour Schacht le
libéral.

Les prix en reichsmarks étaient stables. Un reichsmark valait un bien


aujourd’hui et autant demain. Les taux de change envers les devises
n’avaient pas de raison de bouger. Néanmoins, Schacht surveillait cette
stabilité des taux de change. Il en profitait pour maintenir différents taux du
reichsmark par rapport aux monnaies étrangères, en fonction du produit
importé ou exporté. Il s’agissait de mesures protectionnistes comparables à
des droits de douane, et tolérées par l’étranger au nom du nécessaire
redressement de l’Allemagne. Le but secondaire de ces mesures était de
détacher l’économie de la dépendance des importations. Cette orientation
autarcique de l’économie allemande renforçait encore plus la puissance et

304
les desseins belliqueux des nazis, détachés de toute menace de sanctions
économiques internationales.

Résorption du chômage dans l’Allemagne nazie


La confiance est revenue avec les salaires, la production, et l’absence
d’inflation rognant l’épargne et le désir de travail. La consommation des
ménages et les investissements des entreprises ont repris. L’appareil de
production jusqu’alors presque à l’arrêt s’est remis à tourner. Les
investissements pour graisser les machines inutilisées étaient vite
rentabilisés. Les reichsmarks circulaient entre l’État, les entreprises et les
consommateurs. Avec le redressement de l’économie, l’épargne revenait
dans les banques, confiante à ne pas être rongée par l’hyperinflation dont le
souvenir était récent. L’épargne permettait à son tour de nouveaux prêts ou
crédits pour des investissements dans l’industrie. La prospérité revenait en
Allemagne. L’embellie fiscale accompagnait le redressement économique.
L’État se finançait à nouveau par les impôts pour rembourser ses prêts.
Aussi, l’État abreuvait les nazis de budgets pour de nouvelles dépenses.

Le Neue Plan a fonctionné mieux que le New Deal aux USA. Alors que
les USA et la Grande-Bretagne luttaient contre un chômage qui flirtait avec
les 15 %, l’Allemagne nazie avait mis tous ses chômeurs au travail. La
popularité d’Hitler montait en flèche. Dès 1935, les investissements

305
discrets ou plutôt les dépenses dans le réarmement avaient commencé. Ces
dépenses étaient remboursables uniquement par les conquêtes. Les bruits de
bottes commençaient à résonner en Europe jusqu’à l’embrasement de la
Deuxième Guerre mondiale.

306
La Deuxième Guerre mondiale et les batailles monétaires

Keynésianisme pendant la guerre


Les USA ont évidemment suspendu toute convertibilité-or pour les
Banques Centrales étrangères en conflit. Dès lors, aucune convertibilité-or
n’existait plus pour aucun billet pendant la guerre. Pendant toute la guerre,
les USA ou la Grande-Bretagne maintenaient les taux d’intérêt bas des
rémunérations des dépôts bancaires. Les banques privées créditaient dans
les limites de la couverture-billets ou des réserves minimales à la Banque
Centrale. Les deux grands pays alliés se convertissaient enfin au
keynésianisme par un endettement massif et bon marché par des taux
d’intérêt bas.

Pour éviter un endettement abusif et inflationniste, les gouvernements


des USA et la Grande-Bretagne ont complété leur financement par la
fiscalité et par les Bons de Guerre vendus au public. Les Trésors nationaux
ont vendu ces Bons aux particuliers pendant toute la guerre. Si les
particuliers plaçaient dans ces Bons, alors ils ne dépensaient pas, et les
billets revenaient virtuellement à la case départ du Trésor et des Banques
Centrales. Cette stratégie évitait l’accumulation des billets en dépôts
bancaires, et un prêt volontaire plutôt qu’une confiscation fiscale conservait
la motivation de la population. Sans dépôts bancaires ou réserves
minimales en couverture, les crédits privés devaient être restreints. Le
financement inflationniste était évité. La quantité de monnaie augmentait en
proportion de la quantité de biens, et spécialement des commandes du
ministère de la Défense.

307
L’or et le commerce international pendant la guerre
Pour le commerce international, notamment avec les pays neutres
(Argentine, Suisse, Suède…), l’or était la seule monnaie acceptée pour
acquitter les paiements.

Pour le régime nazi, l’or de toute provenance était stratégique. Certains


pays, plus que d’autres, ont fermé les yeux sur l’origine criminelle de l’or.
L’Allemagne a pu ainsi prolonger la guerre en se fournissant à l’étranger,
parfois en transitant par des pays « neutres » qui blanchissaient l’or pillé
par les nazis.

La fausse monnaie de l’« Opération Bernhard »


La monnaie est même devenue une arme de guerre pendant les guerres
du XXe siècle. Les nazis avaient fabriqué de fausses livres sterling pour
couler l’économie britannique par l’inflation. Les services de
renseignements britanniques ont éventé à temps cette « Opération
Bernhard ». Le gouvernement britannique a annulé la validité des grosses
coupures supposées imprimées par les nazis. Cette suspension sauvait

308
l’essentiel de la monnaie de l’inflation. Cette masse monétaire se composait
des petites coupures et surtout de la monnaie scripturale des comptes en
banque. Ainsi, Hitler n’a heureusement pu rendre la pareille aux
Britanniques. En effet, les Britanniques avaient réussi un coup similaire
pendant la guerre 1914-1918. Cela avait été l’une des causes de
l’enfoncement des défenses de l’Empire du Kaiser, vidé de ses forces
économiques en partie par l’inflation.

Une nouvelle vague d’hyperinflation en Allemagne


à la fin de la guerre
Jusqu’en 1945, les nazis avaient contenu l’inflation. En mai 1945, la
production allemande s’arrêtait quand des quantités de billets circulaient
encore. À la fin de la guerre, le système monétaire implosait par
l’hyperinflation. L’hyperinflation des prix en billets a remis en circulation
des biens-intermédiaires comme les cigarettes ou le savon dans les mains
des Allemands. Un nouveau traumatisme pour les Allemands qui expliquent
leur appréhension des dangers de l’inflation dans la deuxième moitié du
XXe siècle.

309
Bretton Woods en 1944 et les Trente Glorieuses de 1945 à
1975

Retour à des parités de change fixes comme avant-


guerre
En 1944, quand les forces alliées se battaient en Normandie, les
délégués de 44 pays se réunissaient à la conférence de « Bretton Woods »,
petite localité dans le New Hampshire. Ils ont convenu de la forme du
système monétaire international d’après-guerre. Le système monétaire
international restait dans la lignée du système officieusement en place
depuis 1936, même s’il avait été suspendu dès le début des hostilités.

L’or était maintenu à 35 dollars-billet pour une once troy d’or. Comme
depuis 1936, la convertibilité-or du dollar-billet n’était plus autorisée aux
particuliers. Ce droit était réservé à quelques Banques Centrales hors USA
autorisées à vendre ou à acheter des dollars contre de l’or. Les particuliers
pouvaient seulement acheter de l’or en rue, à un prix parfois supérieur aux
35 dollars l’once d’or. Sous un certain angle, la convertibilité-or du dollar
devenait psychologique pour les particuliers, et symbolique pour les
gouverneurs des Banques Centrales peu sujets à réclamer de l’or tant que la
Fed jouait le jeu. Au moins, ce système éliminait les crises de retraits des
dépôts et les demandes de conversion-or des billets. Les pays s’habituaient
à vivre sans véritable monnaie d’or, mais toujours avec la convertibilité-
dollar. Le fonctionnement de la convertibilité-dollar s’appuyait sur les
principes de la convertibilité-or des siècles antérieurs.

Des nouveaux taux de change fixes étaient instaurés selon les directives
de la conférence de Bretton Woods. Chaque Banque Centrale s’engageait à
acheter et vendre sa monnaie contre des devises à ces taux fixes, et donc à
assurer la convertibilité-dollar. Une révision de la parité d’une monnaie
envers les autres devises était possible sous certaines conditions
spécifiques. Une révision de la parité entre le dollar-billet et l’or était aussi
possible pour les USA. C’était la naissance d’une nouvelle organisation du
système monétaire international, parfois appelé le « SMI » (Système
Monétaire International).

310
Selon les accords de Bretton Woods, les taux de change n’étaient pas
strictement fixes. Ils fluctuaient dans une bande de +/- 1 % autour d’une
parité fixée envers le dollar convertible-or. Les accords de Bretton Woods
ont préféré laisser les taux de change fluctuer légèrement. Les Banques
Centrales reproduisaient ainsi l’ancien système de l’étalon-or qui autorisait
jadis de petites variations du change entre les devises et l’or pour couvrir
les frais de transport de l’or entre banques. Les Banques Centrales
récupéraient ainsi l’infrastructure et le savoir-faire du système déjà en
place dans les marchés de change aux mains des banques privées. Les
Banques Centrales n’interviendraient sur ces marchés de change qu’en cas
de fluctuations au-delà de +/- 1 % des parités prévues envers le dollar.

Avec ce système, les fluctuations portaient à +/- 1 % autour de la parité


envers le dollar, et donc à +/- 2 % entre les devises. Par ce fait, le dollar
était la monnaie la plus stable. Une raison supplémentaire pour favoriser
l’usage du dollar dans les transactions internationales. L’avantage du dollar
comme monnaie de réserve sera vu en détail dans le chapitre suivant.

Les marchés de change autour du dollar


Comme depuis l’Antiquité, le change est lié au commerce international.
Au XXe siècle, le change est toujours la conséquence des paiements des
contrats commerciaux de marchandises, de services ou du tourisme étranger
en plein développement. Aussi, la paix d’après-guerre décuple les
demandes de change qui proviennent des transferts de capitaux pour investir
dans des entreprises filiales ou dans une Bourse étrangère.

Les demandes de change des devises-billet affluent dans les banques


héritières des changeurs de pièces d’autrefois. Les banques s’adressent
alors aux marchés de change. Ceux-ci sont organisés dans les places
financières des grandes villes. Ces marchés de change sont gérés
essentiellement par les banques privées. Avec télégramme et téléphone, des
banques équilibraient le change entre les différentes places financières
comme New York, Londres ou Francfort. Le marché des changes tissait une
toile d’araignée entre les grandes places internationales, et les cours de
Londres sont quasiment identiques aux cours de New York. En d’autres
termes, si des billets manquaient à Londres et étaient présents à New York,
les banques achetaient de la monnaie à New York pour la revendre à
Londres. Les banques achetaient aussi des billets ici à un instant, pour les
revendre là-bas plus tard. Les banques tenaient compte des variations des

311
demandes et des offres de devises ou de dollars qui faisaient fluctuer les
cours de change en fonction des disponibilités locales ou lointaines de
dollars. La marge bénéficiaire des banques était d’ailleurs obtenue en partie
sur la fluctuation du cours de change, en plus des agios de change.

Parfois, les banques privées refusaient d’éponger la profusion d’une


devise au taux de change supposé. Même l’achat de la devise à -1 % dans
l’espoir de vendre à +1 % dans l’attente du retour de sa demande, ne tentait
pas les banques privées. Elles craignaient un retour trop tardif de la
demande de la devise. Les phénomènes économiques cycliques ou
saisonniers, voire politiques expliquaient les craintes des banques privées.
Dans ce cas, placer ses avoirs sur un marché financier était plus rentable
pour la banque. Alors, les Banques Centrales, fortes de leurs réserves en
dollars plus qu’en or, intervenaient parfois de manière coordonnée pour
empêcher le taux de change de diverger de la parité convenue après Bretton
Woods. Elles achetaient ou vendaient pour absorber le surplus de l’offre ou
de la demande de leur monnaie ou de devises sur les marchés de change. En
d’autres termes, elles convenaient d’assurer la convertibilité-dollar de leur
monnaie. Au XXIe siècle, les Banques Centrales changent leur monnaie
contre des devises une fois par jour sur le marché international de change.

Création du FMI pour soutenir les taux de change


fixes
En cas de besoin supplémentaire, chaque Banque Centrale était libre de
s’adresser à une banque internationale : le « FMI » (Fonds Monétaire
International). À sa création, conformément aux accords de Bretton Woods,
le FMI ne créait aucune monnaie, ni n’émettait aucun billet de banque
propre. Cela a changé en 1969, comme expliqué dans le prochain chapitre.
Pour être membre du FMI, chaque pays, par son Trésor ou sa Banque
Centrale, déposait une quote-part essentiellement en or ou en dollars, et en
partie en monnaie nationale. L’or des pays adhérant à ces accords a été
rassemblé principalement à Fort Knox aux USA.

Depuis 1947, le FMI accorde des prêts, et non des crédits, en dollars ou
en devises fortes. Les ressources du FMI pour accorder les prêts sont les
quotes-parts des membres, et quelques emprunts extérieurs accordés par
certaines Banques Centrales au FMI. Le montant maximum du prêt accordé
à chaque pays est fonction du montant de sa quote-part. Les prêts sont
accordés à taux d’intérêt bas, ce qui constitue l’avantage à s’adresser au

312
FMI pour les pays membres. Les prêts sont accordés par le FMI uniquement
pour s’acquitter d’obligations financières en devises, et non pas pour
construire une autoroute ou un barrage.

La Banque Centrale du pays emprunteur parvenait ainsi à assurer la


convertibilité-dollar de sa monnaie. Avec le prêt du FMI, la Banque
Centrale rachetait sa monnaie contre des dollars ou des devises si la
demande excédait l’offre, par exemple suite à une vague de contrats
commerciaux libellés en l’une ou l’autre devise. La Banque Centrale
assurait la convertibilité-dollar de sa monnaie dans les marges de
fluctuation des taux prévues par Bretton Woods. L’on tentait ainsi d’éviter
aux États de renier leurs engagements de Bretton Woods par manque de
liquidités à court terme.

Rembourser les prêts du FMI devrait être aisé – théoriquement –


puisque la Banque Centrale du pays emprunteur n’a qu’à attendre que sa
monnaie remonte d’un ou deux pour cent pour revendre, avec profit, cette
monnaie qu’elle avait rachetée plus tôt. Pour autant que la Banque Centrale
en question n’ait pas laissé les crédits, et donc sa monnaie, se multiplier
excessivement en risquant par là de faillir à assurer la convertibilité-dollar.
Ce n’était pas le cas pendant les années d’après-guerre, bien que des parités
de taux de change ont été ponctuellement révisées.

Hausse économique des Trente Glorieuses soutenue


par le keynésianisme
Dès après la guerre, le prêt anglo-américain et les dons du plan
Marshall soutenaient l’Europe. Ils étaient accordés pour aider à

313
reconstruire les capacités industrielles et agricoles endommagées par la
guerre. Les dons finançaient les achats de matériel aux USA. L’Europe
obtenait le matériel nécessaire à sa reconstruction. Les USA craignaient la
montée de la pauvreté et des partis communistes en Europe.

Selon les accords de Bretton Woods, le groupe « Banque Mondiale »


était créé avec une première entité : la BIRD (Banque Internationale pour la
Reconstruction et le Développement). La BIRD octroyait des prêts, et non
des crédits, à partir de son capital ou d’emprunts sur les marchés financiers.
Aucune création de monnaie scripturale n’était autorisée à la BIRD, bien
que derrière les emprunts aux marchés financiers, se trouvaient une partie
de crédits en monnaie scripturale. Ainsi, dès 1947, la BIRD prêtait aux
États. Les États emprunteurs auprès de la BIRD étaient membres du FMI, et
contribuaient au capital de la BIRD dans les mêmes proportions que les
quotes-parts du FMI. Après 1956, le groupe de la Banque Mondiale s’est
étendu. De nouvelles entités du groupe se sont spécialisées pour financer
les pays en développement nouvellement libérés du colonialisme. Parmi ces
nouvelles entités, une banque (IDA ou International Development
Association) est autorisée à accorder des prêts sans intérêts et à très long
terme ou même à accorder des dons aux pays les plus pauvres. Ces prêts
favorables et ces dons constituent environ un quart des aides financières du
groupe Banque Mondiale.

Les théories keynésiennes de l’endettement pour financer l’impulsion


étatique ou les baisses d’impôts sont mises en pratique après la guerre.
Keynes était d’ailleurs l’un des artisans de Bretton Woods. Pendant les
décennies d’après-guerre, des investissements ou des dépenses publiques
financées par un endettement étatique temporaire ont compensé tout
ralentissement de l’économie privée. Les récessions sont restées sous
contrôle ou plutôt elles ont été compensées par l’État entre 1945 et 1975.
Parfois l’État optait pour un déficit temporaire creusé par une réduction des
taxes pour réanimer la consommation privée, ce qui n’était plus une
politique purement keynésienne comme expliqué par la suite. En tout cas,
les cycles de l’économie étaient stabilisés par l’État. Les cycles du XIXe
siècle paraissaient bien lointains. Les pays vaincus qui étaient l’Allemagne,
l’Italie et le Japon, ont pu renaître de leurs cendres en moins de 20 ans et
s’afficher comme des alliés des USA.

La demande en crédit pour produire et consommer était soutenue. Elle


avait pour source la confiance en la stabilité, les besoins de reconstruction

314
d’après-guerre, l’envie de consommer à nouveau, etc. La production était
immédiatement achetée… et quasi sans incitation publicitaire ou marketing.
Les entreprises ont pu s’endetter pour investir, pour produire et pour
embaucher des travailleurs qui avaient gardé un niveau technique élevé
malgré la guerre. Et selon Keynes, de la demande effective dépend le plein
emploi. Les gens ont pu s’endetter pour consommer. C’était la montée des
crédits à la consommation ou des ventes à crédit. L’endettement pour
consommer et investir était massif et faisait tourner l’économie. L’économie
fleurissait pendant trois décennies. Les petites et moyennes entreprises ont
percé en marge de l’industrie lourde. Ces années d’après-guerre entre 1945
et 1975, de croissance continue et de chômage bas, ont été appelées les
« Trente Glorieuses ».

Bons du Trésor, crédits bancaires, et risque


d’inflation
Dans le système keynésien, l’État s’endettait plus qu’il ne l’avait jamais
fait, hormis en temps de guerre. Il y avait donc un risque de glissade et de
multiplication des sesterces qui pouvait déboucher sur l’inflation, voire
l’hyperinflation grâce à la planche à monnaie aux mains de l’État. Des
mesures ont été prises pour limiter ces risques, notamment aux USA.

Le système de financement de l’endettement par la banque publique de


la RFC a continué un temps après-guerre. En 1957, la suppression de la

315
RFC a été entérinée pour concurrence déloyale et redondance avec les
banques privées. Le gouvernement n’avait plus d’organisme de crédit
bancaire entièrement sous son contrôle. La possibilité de création monétaire
pure et sans autre contrôle législatif, judiciaire ou autre était retirée au
gouvernement.

Pour s’endetter, le Trésor US devait désormais emprunter


essentiellement via des Bons du Trésor de l’État vendus aux particuliers au
travers des banques. Les Bons du Trésor ne génèrent pas de création
monétaire contrairement au crédit bancaire, sauf si on venait à emprunter à
une banque pour les acheter. Ils ne sont pas sans risque d’inflation pour
autant. En effet, la monnaie collectée par ces Bons était dépensée
immédiatement par État, et pas toujours investie. Avec un excès de
dépenses, trop de monnaie circulait par rapport aux volumes de production
de biens insuffisamment soutenue par les investissements. Il y avait risque
d’inflation. De plus, la monnaie était détournée des investissements pour les
entreprises qui collectaient par les Bourses de capitaux. La monnaie était
également détournée des dépôts et, par contrecoup d’une couverture
amincie, des crédits aux entreprises.

Les possibilités de connivences entre la Fed et le Trésor ont été


reconsidérées après la guerre. Elles avaient été tolérées pendant la guerre,
quand le Trésor souhaitait obtenir des billets contre des Bons du Trésor.
Une seule ligne d’écriture dans les comptes de la Fed, et le Trésor était
alimenté en dollars. L’endettement était réalisé par une simple création
monétaire et non pas par un emprunt au système bancaire privé. En 1951, la
Fed se voyait interdire l’achat de Bons du Trésor dans ses opérations
d’Open Market. Aussi, la Fed utilisait à nouveau le taux d’escompte, laissé
en plan depuis 1933, et les opérations d’Open Market qui portaient sur tout
titre de créance hormis les Bons du Trésor pour surveiller l’inflation.
Cependant en 1961, la Fed était à nouveau autorisée à acheter
occasionnellement des Bons du Trésor dans ses opérations d’Open Market.

Les autres pays étaient plus ou moins vertueux quant à l’endettement par
création monétaire, et donc quant à l’inflation. Les « lignes de crédit »
auprès de la Banque Centrale nationale existaient et étaient obtenues par les
autorités nationales ou régionales. Cette ligne de crédit était un compte de
crédit ouvert par l’État à sa Banque Centrale. Ce compte était crédité par
simple écriture d’un montant de monnaie prêté, et donc créé par la Banque.
Les lignes de crédit étaient de la pure création monétaire totalement

316
inflationnistes si elles étaient dépensées plutôt qu’investies. En notre XXIe
siècle, suite aux nouveaux concepts exposés dans le chapitre suivant, les
Banques Centrales ont interdit les lignes de crédit.

Selon Keynes, les taux d’intérêt bon marché étaient primordiaux. Une
inflation relative était le prix à payer pour décrocher la timbale du plein
emploi. Pendant les Trente Glorieuses, l’inflation a été limitée à quelques
pour cent par an. L’inflation était un phénomène nouveau par rapport aux
prix stables du XIXe siècle. L’inflation était tolérée, car les succès de
l’économie keynésienne étaient manifestes pour résorber le chômage et
assurer le progrès. Mais, dans les années 1960, des économistes
commençaient à dénoncer une certaine dérive du keynésianisme qui ne
pouvait mener qu’à une inflation excessive. De fait, comme ces économistes
l’avaient annoncée, une crise économique étroitement liée à l’inflation allait
surgir dans les années 1970.

317
Coïncidence : Keynes en retrait, Schacht en
avant, dans l’entre-deux-guerres.

Avec l’usage généralisé du billet de banque depuis la Première Guerre


mondiale, les mots nouveaux « inflation » et « déflation » apparaissent. La
reconsidération de l’incidence du système monétaire sur l’économie
s’intensifie au XXe siècle. Keynes s’est même exclamé : « Il n’est pas de
moyen plus subtil et plus sûr de bouleverser la base actuelle de la société
que de corrompre la circulation monétaire. Le procédé range toutes les
forces cachées des lois économiques du côté de la destruction, et cela d’une
façon que pas un homme sur un million ne peut prévoir. » Keynes n’a pas
été assez écouté avant la Deuxième Guerre mondiale.

Plutôt, les théories keynésiennes ont surtout été influentes auprès de


Schacht dans l’Allemagne nazie. La crise économique allemande a été
suivie d’une reprise sans précédent, et d’une baisse du chômage inégalée au
monde. Et ce succès économique allemand comparé aux déboires des
démocraties occidentales renforça le prestige et le pouvoir des nazis. Il est
erroné de croire que cette reprise économique a eu lieu sans réorganisation
du système monétaire. Le rôle de Schacht a été déterminant. Au procès de
Nuremberg, l’acquittement de Schacht a donné lieu à de nombreuses
manifestations. On l’a accusé d’avoir eu le sort d’Hitler entre ses mains, et
d’avoir fait le mauvais choix. Schacht pensait manipuler Hitler, mais le
contraire se produisait. Schacht n’a arrêté de soutenir Hitler qu’en 1938
quand il était trop tard.

Avec les mêmes idées keynésiennes, les Trente Glorieuses ont rendu
possible la réconciliation entre vainqueurs et vaincus à l’Occident. Les
coups de poing dans l’estomac des vaincus du Traité de Versailles ont été
remplacés, une guerre plus tard, par des aides massives à la reconstruction
du Plan Marshall. Cette période de prospérité a permis aussi à l’Ouest de
mener la guerre froide contre l’Est. Sans dépendre de l’extraction des mines
d’or et d’argent, la déflation était esquivée sans basculer dans l’inflation
pour une des plus longues périodes de hausse économique de l’Histoire.

318
319
8. Montée du monétarisme
dans les années 1970

320
Tensions sur le change, et fin de la convertibilité-or du
dollar après 1971

Multiplication de la monnaie aux USA


Vers 1970, l’armée US pataugeait dans les rizières du Vietnam. Le
gouvernement, par son Trésor, vendait des Bons du Trésor au public pour
obtenir des fonds pour soutenir les troupes. L’épargne était absorbée par ces
Bons et aussitôt dépensée pour couvrir les charges militaires du
gouvernement. Le gouvernement vendait même des Bons du Trésor
directement contre des dollars à la Fed. Il s’agissait alors de pure création
monétaire, ou de multiplication des dollars. En fait, un plafond légal existait
quant à la quantité de Bons du Trésor vendus directement à la Fed. Le
gouvernement dépassait ce plafond en vendant des Bons du Trésor au public
et en les rachetant par les opérations d’Open Market de la Fed. Le tandem
Trésor et Fed pédalait à toute allure. La Fed aurait dû réagir devant cette
multiplication monétaire. Elle n’en a rien fait. Il y avait une « douce
insouciance » (« benign neglect policy ») de la Fed sous l’envoûtement du
gouvernement, et de ses convictions d’endettement keynésien bénéfique
pour soutenir l’activité économique. La Fed n’a touché ni aux taux d’intérêt
bas selon les principes keynésiens, ni au ratio des réserves minimales pour
contenir le volume de crédits. La création monétaire par le Trésor continuait
avec la bénédiction de la Fed.

Les banques privées n’étaient pas en reste. Avec les dépôts de dollars
obtenus par les Bons du Trésor rachetés par la Fed, le volume de crédits
augmentait, donc la création de monnaie scripturale s’amplifiait. Certaines
banques privées étaient même débitrices envers des banques étrangères afin
de dégager plus de moyens pour créditer davantage en interne.

Déficit commercial pour les USA


Comme toujours, la multiplication de la monnaie amenait davantage de
clients aux mains pleines de monnaie devant les échoppes. Cette fois, la
multiplication de la monnaie ne signifiait pas uniquement de l’inflation. La
situation des USA n’était pas comparable à l’Empire romain qui avait une
économie pratiquement autarcique. Aux USA, le déséquilibre entre la
monnaie multipliée et les biens produits était compensé par une hausse des

321
importations de biens. En 1968 et pour la première fois depuis 1893, les
USA importaient plus de biens et de services qu’ils en exportaient. Les USA
commençaient à creuser un « déficit commercial ». Ce déficit commercial
était enregistré par la « balance commerciale » selon les déclarations des
flux de biens ou de services entrants et sortants aux douanes US comme à
l’administration de la TVA. Ces déclarations aux administrations étaient
bien sûr notées en dollars. Et les USA compensaient le déficit commercial
en payant avec les dollars surmultipliés.

Selon les taux de change fixes convenus depuis Bretton Woods, les
Banques Centrales non américaines achetaient les dollars surmultipliés à
leurs concitoyens exportateurs de biens. Les Banques Centrales
amoncelaient des réserves de dollars. Dans la réalité, les Banques
Centrales non américaines achetaient des Bons du Trésor US contre les
dollars accumulés par le change. Cette accumulation des dollars, ou des
Bons du Trésor, devenait intolérable pour les Banques Centrales non
américaines.

La multiplication de la monnaie a donc essentiellement contribué à


creuser le déficit commercial avant d’éperonner les statistiques de
l’inflation. L’inflation a été en partie simultanée au déficit commercial, mais
son accélération s’est surtout produite dans la suite des années 1970,
comme détaillé ci-après. Le taux d’inflation mondiale restait limité à 2,3 %
par an entre 1956 et 1965. Il augmentait modérément à 4,1 % entre 1966 et
1970. À la même période, le fait marquant était le boom du déficit
commercial américain.

Fin de la convertibilité-or du dollar-billet


Le déficit commercial des USA était intenable selon les experts
économiques. Un surplus d’importations américaines payées en dollars
multipliés déséquilibrait les marchés de change. Les vendeurs de dollars
étaient plus nombreux que les acheteurs. Les Banques Centrales
n’épongeraient pas indéfiniment ces masses de dollars. Le cours du dollar
devait inexorablement baisser par rapport aux autres devises. En anticipant
la baisse, les spéculateurs se sont mis à attaquer les marchés de change en
achetant des devises contre des dollars. Les dollars étaient parfois
empruntés, en anticipant que les cours des devises devaient monter à terme
par rapport au cours du dollar. Les spéculateurs n’auraient qu’à vendre
leurs devises après la dévaluation du dollar pour rembourser l’emprunt en

322
dollars et encaisser le profit par la dévaluation déduite des quelques
intérêts de l’emprunt. Les ventes de dollars empruntés – donc crédités
quelque part en monnaie scripturale – des spéculateurs enflaient les
réserves en dollars des Banques Centrales. Les Banques Centrales
saturaient d’une telle augmentation de leurs réserves en dollars. Les
tensions politiques, spécialement à propos de la guerre du Vietnam,
n’arrangeaient rien entre partenaires atlantiques. Finalement, les Banques
Centrales d’Angleterre et d’autres pays réclamaient la conversion-or des
dollars-billet.

Déjà dans les années 60, le dollar était de moins en moins perçu comme
équivalent à l’or comme pendant les années 50, et différentes mesures
avaient été implémentées pour stabiliser le système autour de l’or. Parmi
ces mesures, un marché de l’or à deux niveaux était instauré en 1968. L’or
était coté librement dans le premier niveau, et seul le deuxième niveau,
réservé aux Banques Centrales, était stabilisé à 35 dollars-billet l’once
d’or. Cependant, certaines Banques Centrales étaient tentées d’acheter de
l’or sur le deuxième niveau pour le revendre plus cher que 35 dollars-billet
sur le premier niveau.

En août 1971, le Trésor US et la Fed étaient incapables de faire face à


ces requêtes d’achat d’or, et le président Nixon n’a pu que suspendre la
convertibilité-or du dollar-billet. Par la suite, de nouvelles normes de

323
convertibilité-or ont été implémentées, mais sans succès. En décembre
1971, le FMI avait autorisé un élargissement de la bande de fluctuation des
parités de change envers le dollar à +/- 4,5 %. La Fed et le Trésor tentaient
de maintenir une convertibilité-or du dollar à 38 dollars l’once d’or au lieu
de 35, soit 10 % de dévaluation. En février 1973, le dollar était encore
dévalué à 42,22 dollars l’once d’or. Aucune de ces mesures n’a tenu
longtemps.

En novembre 1973, la convertibilité-or du dollar-billet n’existait plus.


Le gouvernement des USA décrétait le dollar « flottant ». Depuis, le cours
du dollar vogue sur les marchés de change sans interventions de la Fed pour
influer sur son cours par rapport à l’or. Le dollar-billet est détaché de l’or.
Le fameux « guichet or » du Trésor US était fermé. Bien sûr, cette
convertibilité-or était symbolique depuis les années 1930.

La raison de l’abandon de la parité fixe du dollar envers l’or selon le


système de Bretton Woods est encore aujourd’hui l’objet d’une polémique.
Certains ont insinué que le président Nixon avait suspendu la convertibilité-
or du dollar-billet afin de laisser les crédits se multiplier pour viser
sciemment une dévaluation. Cette dévaluation avait pour but de rendre les
exportations US plus compétitives par rapport au Japon et à l’Allemagne,
afin de relancer l’économie US. D’autres penchent plutôt pour des simples
différentiels d’évolution économique. En 1967, la Grande-Bretagne avait
déjà dû dévaluer, ou plutôt réviser ses parités selon les accords de Bretton
Woods, pour des raisons économiques similaires. Pour d’autres, après
30 ans de création monétaire en proportion de la création de biens, la masse
d’or en couverture avait trop stagné que pour assurer une réelle
convertibilité-or du dollar-billet. La couverture-or du dollar avait déjà été
ramenée à 25 % vers 1960. Un dernier élément de discussion dont il faut
tenir compte, était la règle en pratique de l’endettement keynésien comme
mesure de relance de l’économie, car l’économie ralentissait vers 1970.

324
La nouvelle âme et la source de la monnaie

La valeur de la monnaie dépendante du cours


forcé ?
Depuis 1936 officieusement, depuis 1971 officiellement, le billet de
banque n’est plus convertible en métal précieux. Pour la première fois de
l’Histoire, la mention « payable à vue contre pièces d’or » est supprimée
des billets de banque, sauf sur les éternelles livres sterling. Sans
convertibilité, le « billet de banque » glissait vers le « papier-monnaie ».
Le terme « billet de banque » a survécu par habitude et parce que les billets
sont toujours émis par les Banques Centrales. Le terme de « monnaie
fiduciaire » est conservé pour décrire les billets de banque, malgré
l’abandon de la confiance en la défunte convertibilité-or. La valeur de nos
monnaies actuelles n’est donc plus liée à un rapport à l’or ou à l’argent. La
rareté naturelle et le coût élevé de l’extraction et de l’affinage de l’or ne
constituent plus la valeur intrinsèque de nos monnaies. La confiance en la
valeur de la monnaie pour postposer la dépense n’est plus liée à une âme de
métal précieux.

325
Dès lors, la monnaie ne tient-elle plus qu’aux décisions de l’État
d’imposer un cours légal additionné d’inconvertibilité-or ou argent de la
monnaie ? Pour rappel, le cours légal est l’obligation d’accepter une
monnaie pour acquitter les paiements ou les dettes des contrats, comme pour
payer les impôts. Cette combinaison du cours légal et d’inconvertibilité est
le « cours forcé ». Le fait d’une monnaie tenue par le cours forcé est à
nuancer. Un cours forcé par coercition serait contourné par le marché noir et
par les paiements ou les placements en biens-intermédiaires. L’or est
toujours une monnaie recherchée, surtout pour les placements. Son cours est
passé de 35 dollars l’once troy à plusieurs centaines de dollars aujourd’hui,
comme précisé dans les pages financières des journaux. Les actions
d’entreprise, les obligations à long terme ou les Bons du Trésor à court
terme du pays voisin sont aussi convoités comme échappatoire au placement
en une monnaie locale sous cours forcé. Dans la pratique, la monnaie sert
surtout à acquitter les paiements, et à assurer une certaine liquidité pour
satisfaire les besoins immédiats. Rarement, la monnaie sous cours forcé est
thésaurisée, contrairement aux pièces d’or.

La monnaie simple mesure de biens produits

326
L’authentique et stable valeur de la monnaie dépend exclusivement de la
production future du pays par rapport à la quantité de monnaie alors en
circulation dans ce pays. Si la production se maintient comme la quantité de
monnaie, alors les prix stables donneront une même valeur à la monnaie en
quantité de biens. Dans le cas contraire, si la production nationale part en
piqué, ou si le volume de monnaie nationale explose, alors la monnaie
nationale ne vaudra pratiquement plus rien. La valeur de la monnaie tient
par la confiance en la promesse de ponctionner équitablement sur la
production à venir. On espère que cette promesse de ponction future sera
équivalente à ce qui a été vendu. À production et prix constants, les biens
achetés plus tard vaudront les biens vendus à un moment donné. L’on fait
confiance au gouvernement et à la Banque Centrale pour veiller au bon
équilibre entre le volume de monnaie nationale et les quantités produites.
~

Une dernière nuance à apporter concerne les comparaisons


internationales en prix et en salaires en monnaie. De fait, ces comparaisons
internationales sont souvent trompeuses. Si les prix et les salaires sont
comparables localement ou régionalement, ils le sont moins entre pays,
voire entre zones éloignées d’un pays vaste. Mettre en balance un salaire de
100 avec un revenu de 10 n’a de sens qu’avec un coût de vie comparable.
Cependant, le coût de la vie varie entre régions ou pays. La raison
principale est que le salaire local dépend des exportations hors de la
région. Si les biens produits localement sont demandés et rares, comme des
métaux précieux ou des machines de hautes technologies difficiles à imiter,
alors les salaires seront élevés par rapport à d’autres régions éloignées.
Ces salaires se répercuteront sur l’immigration locale attirée par les
niveaux confortables, sur les revendications individuelles ou syndicales, et
peut-être sur les prix de l’immobilier. À leur tour, ces loyers et
rémunérations se répercuteront par nécessité sur les salaires des services du
restaurant local, du pompiste du coin ou du copain peintre en bâtiment. Une
coupe de cheveux ou une tasse de café ne coûtera donc pas le même montant
en dollar dans une ville ou dans un autre village. Implicitement, un amateur
de thé préférera un salaire de 200 dollars dans un pays où la tasse de thé est
affichée 0,10 dollar est à un salaire de 2000 dollars dans une région qui sert
la même tasse de thé pour 2 dollars. Dès lors, pour comparer deux niveaux
de vie, l’indicateur le plus réaliste est l’estimation des « parités du pouvoir
d’achat ». Celles-ci comparent les salaires locaux avec les prix des biens
et des services essentiellement locaux et seulement en partie importés. La
monnaie n’est qu’un étalon de mesure local, jamais un service ou un bien

327
consommable en soi. Pour la petite histoire, un indicateur très sérieux et
réputé est l’estimation des parités de pouvoir d’achat selon le prix du « Big
Mac » du restaurant McDonald’s du centre-ville comparé aux salaires
locaux.

Création monétaire supplétive par l’État


Depuis l’apparition du billet de banque juste avant la Révolution
industrielle, la part de l’État dans la création monétaire n’a cessé de
décroître. Elle était proche de 100 % dans l’Antiquité romaine et des pièces
frappées. Au XVIIIe siècle, elle est passée à 50 pour cent devant la montée
de la création monétaire scripturale et fiduciaire par les banques privées.
Au XXe siècle, malgré l’aspiration à l’endettement keynésien, la création
monétaire étatique avec les billets des Banques Centrales est encore d’une
proportion moindre par rapport à la création monétaire scripturale des
banques privées.

Enfin, à la fin du XXe siècle, l’économie d’endettement keynésien va


être remise en question par de nouvelles théories. Ces théories vont faire
descendre la proportion de la création monétaire étatique bien en dessous
de 10 % de la création monétaire totale. Au début de notre XXIe siècle,
l’essentiel de la création monétaire provient des banques privées et non
plus de l’endettement étatique pour financer le déficit public.

L’essentiel de la création monétaire par les banques


privées
Depuis 1971, la base de la monnaie n’est officiellement plus la pièce
d’or frappée par le Trésor. Alors, d’où proviennent ces billets s’ils ne sont
plus créés en fonction de la couverture en pièces d’or de la banque ?

Autrefois, les pièces d’or et d’argent arrivaient sur les comptes de


dépôt. Ensuite, les banques privées créaient de la monnaie scripturale, par
des chiffres noir sur blanc dans les comptes de crédit en proportion des
chiffres des comptes de dépôt et de la couverture en pièces d’or et d’argent.
La monnaie scripturale était ainsi créée dans les comptes des banques avec
une plume et de l’encre. Les pièces d’or et d’argent étaient au départ
compte de dépôt, et elles permettaient un compte de crédit. Les comptes de
crédit étaient ensuite débités par les emprunteurs. Les banques continuent

328
d’assumer la responsabilité des transactions sur ces comptes de crédit. Les
banques sont les plus désireuses de surveiller l’évolution du compte jusqu’à
son remboursement et à sa clôture. Les retraits se faisaient à hauteur des
factures à payer et en fonction du contrat de crédit. Les retraits étaient
effectués en billets de banque privée, par chèque ou par virement, mais
rarement en pièces d’or. La monnaie du crédit acquittait les paiements. Les
billets ou les chèques du paiement faisaient alors, comme par miracle, de
nouveaux comptes de dépôt considérés comme autant de pièces d’or et
d’argent acquises à la sueur de son front, et donc non empruntées. La masse
monétaire était en constante augmentation de pièces d’or… virtuelles. La
couverture-or faisait croire à ce tour de passe-passe, sauf en cas de crise de
retrait ou de banqueroute.

Depuis 1971, le principe millénaire des « crédits selon le volume des


dépôts couverts par l’or » est caduc. La monnaie n’est plus créée par le
Trésor. Elle ne l’est pas non plus par la Fed, ou les autres Banques
Centrales. Désormais, la monnaie est créée par les crédits du public sous
forme de monnaie scripturale auprès des banques privées, sans oublier les
crédits court terme auprès des sociétés de cartes de crédit qui apparaissent
dès 1950 (en 2004, chaque ménage américain détenait en moyenne 8 cartes
de crédit, chacune tirée à hauteur de quelques centaines de dollars). Les
paiements avec la monnaie des crédits font, comme par miracle, de
nouveaux comptes de dépôt remplis par les salaires du dur labeur. La
monnaie scripturale s’est transformée en monnaie par la sueur, le travail, les
paiements, les salaires et l’ouverture de nouveau compte de dépôt. Ces
nouveaux comptes de dépôt permettent alors de nouveaux crédits. Bien sûr,
les comptes de crédit et de dépôt se différencient strictement par statut
légal, obligations ou garanties. En synthèse de la création monétaire, on
parle d’un nouveau principe : « les crédits font les dépôts » (« loans make
deposits »). Ainsi, une nouvelle clé fondamentale de la création monétaire
est forgée. Cette clé est parfois déconcertante si elle est extraite brut de
l’Histoire. Depuis les premières frappes de pièces, plus de vingt-cinq
siècles se sont égrainés pour mitonner ce nouveau principe.

La Fed, à l’instar des autres Banques Centrales, garantit les retraits des
dépôts bancaires en monnaie fiduciaire, donc en billets, à hauteur des
réserves minimales. La Fed a remplacé sa couverture-or par un stock de
papier pour couvrir les retraits des dépôts bancaires en billets. Et plus il y a
de dépôts bancaires privés, plus la Fed est obligée d’imprimer des dollars-
billet.

329
Cependant, il est faux de dire que le crédit et la création monétaire sont
entièrement aux mains des banques privées. Il est plus judicieux de parler
d’un tandem de création de monnaie dans les mains des banques privées,
mais aussi de leurs clients privés. De fait, les banques ne peuvent prêter
qu’à leurs clients. Les banques ne peuvent créditer leurs banquiers à tire-
larigot, car ceux-ci restent juridiquement de simples clients de leurs propres
banques. Les banques et les banquiers restent sous la coupe des actionnaires
de la banque et de la réglementation bancaire. Ainsi, le tandem de la banque
et de ses clients doit se tenir droit sous peine de chute avant la ligne
d’arrivée. Et, pour éviter la banqueroute, il y a encore de nombreux
contrôles en place. Enfin, une banque peut décliner un crédit à un client,
mais une nouvelle banque peut être ouverte par des clients insatisfaits, mais
qualifiés et disposés à jouer le jeu du marché libre et de la concurrence.

La monnaie : des octets électroniques sur des


disques durs

330
Les dollars, les livres sterling, les yens, etc. composent la masse
monétaire. Ces dollars ou ces yens sont soit inscrits en compte de dépôt ou
de crédit, soit retirés sous forme de billets ou de pièces. Par ailleurs, les
paiements en monnaie par les particuliers sont de plus en plus électroniques
et de moins en moins acquittés en billets ou en pièces de billon. Les
virements entre comptes bancaires prennent la place des paiements
acquittés en billets. Les compensations entre banques comme depuis Délos
dans l’Antiquité (clearing), sont également électroniques par des réseaux
informatiques comme Swift (Society for Worldwide Interbank Financial
Telecommunications) ou Target (Trans-european Automated Real-time
Gross settlement Express Transfer system). Les dollars ou les yens sont
souvent réduits à une ligne écrite dans un compte en banque privée, et
recopiée dans les comptes des réserves minimales à la Banque Centrale.
Les dollars ou les yens ne sont plus qu’un chiffre sur un disque dur ou une
bande magnétique d’ordinateurs. La monnaie n’est plus qu’un traceur
électronique du travail accompli et facturé selon les lois du marché. À
présent, les dollars ou les yens ont assurément basculé du bien-
intermédiaire jusqu’à la monnaie pure, abstraite, incomprise… et pleine de
méprises.

331
Dans la même logique, les billets de dollars ou de yens sont de moins en
moins imprimés, même si la masse monétaire globale augmente. Les dollars
ou les yens sont de moins en moins retirés et manipulés sous forme de
billets hors des comptes bancaires. La monnaie fiduciaire n’est plus utilisée
que quand le paiement électronique n’est pas possible… ou qu’aucune trace
en banque n’est désirée. Les Banques Centrales sont toujours disposées à
imprimer des billets à hauteur des réserves minimales, sans en avoir besoin.
En notre XXIe siècle, la masse de billets imprimés ne représente que
quelques pour cent de la masse des dollars ou de yens en compte de dépôt.
La couverture des comptes de dépôt des banques privées n’est plus en
billets, mais simplement en réserves minimales chiffrées dans un ordinateur.
La monnaie a pratiquement été dématérialisée depuis 1971.

Les pièces comme appoint des billets


Pour les raisons de manipulations fréquentes et de machines à sous, les
inusables pièces de métal se joignent toujours aux billets en notre XXIe
siècle. Évidemment, les Banques Centrales sont disposées à fournir les
banques privées en pièces de cupro-nickel comme complément des billets
de papier, et toujours à hauteur des réserves minimales. Les pièces restent
appréciées, car elles s’usent infiniment moins que les billets. Par contre,
elles sont en métal sans valeur et donc imitables par la contrefaçon, au
contraire des billets avec de multiples identifications du filigrane jusqu’aux
couleurs panachées. Depuis le retrait des pièces d’or dans les années 1930,
les pièces ont été réduites à des appoints négligeables qu’on ne ramasse
même plus en rue. Sur les deux derniers siècles, la frappe de pièces de
monnaie s’était muée en émission de billets de banque. L’Hôtel de la
Monnaie avait cédé sa place à la Banque Centrale. L’Hôtel de la Monnaie a
alors été virtuellement déménagé dans les caves de la Banque Centrale. Les
pièces de monnaie ne sont plus frappées par l’Hôtel de la Monnaie sous la
direction du Trésor. Elles sont frappées pour le compte de la Banque
Centrale comme appoint aux billets de banque.

Au XXIe siècle, les Hôtels de la Monnaie continuent accessoirement de


frapper des médailles ou des pièces commémoratives en métaux précieux.
Ils les vendent aux collectionneurs particuliers contre des sérieux billets de
banque. Les prix de vente sont fonction des cours de l’or et de l’argent en
Bourse auxquelles un seigneuriage pour la frappe est ajouté au profit du
Trésor. Le profit obtenu sur la vente de ces médailles est reversé au Trésor
public. Aussi, les cotations des anciennes pièces d’or sont toujours

332
rapportées dans les colonnes financières des journaux, bien qu’une partie
ait été réquisitionnée par le Trésor US juste avant la dévaluation de 1934.

Sans plus de limitation telle la couverture-or ?


Si un dépôt permet un crédit en proportion raisonnable des réserves
minimales, si les crédits font les investissements, si les investissements
génèrent la production et les salaires, si les salaires se retrouvent sous
forme de dépôts, si les dépôts permettent de nouveaux crédits par simples
jeux d’écritures, alors n’y a-t-il pas un risque de multiplication infinie de la
monnaie scripturale et fiduciaire par ce système de dépôts transmués en
crédits, et transmutés à leur tour en dépôts ? Ce risque est réel, notamment
en cas d’euphorie ou de bulle financière, lorsque le tandem banque et
clients commencer à pédaler impulsivement vers l’hyperinflation. Depuis
des siècles, les autorités prêchaient ainsi la convertibilité-or et la
supervision par menace de retraits des dépôts par les clients. Mais la seule
limite n’est plus l’étranglement par la « couverture-or ». Sans couverture-
or, quelle est la norme à respecter ?

En fait, entre crédits et salaires, il y aura production de biens. La masse


monétaire augmentera par là en proportion à la quantité de biens.

Ensuite, une fraction seulement des salaires sera attirée par les
rémunérations des intérêts des comptes de dépôt pour se convertir en
épargne. L’importante portion restante du salaire sera utilisée pour
consommer. On parle d’une « propension à consommer » relativement
importante. Cette fraction limitera la multiplication des crédits en
proportion honnête des réserves minimales, ancienne couverture-or à la
Fed.

Enfin, le volume des comptes de crédit dépendra fortement des taux


d’intérêt demandés pour les crédits, et bien sûr du sérieux de la rentabilité
des projets réclamant un financement.

Les outils de la Fed pour limiter la multiplication de


la monnaie
De son côté, la Fed a plusieurs outils pour freiner la spirale infinie de la
multiplication de la monnaie. Rappelons-les :

333
· Premièrement, la Fed peut réduire le volume des comptes de dépôt par
ses opérations d’Open Market en vendant des titres ou des Bons du Trésor
pour absorber les dollars-billet.

· Deuxièmement, la Fed peut augmenter le taux d’escompte pour inciter


les entreprises à garder leurs lettres de change plutôt que de les escompter
contre des dollars à déposer en banque.

· Troisièmement, elle peut augmenter les réserves minimales qui


obligeraient les banques à accumuler plus de dépôts pour permettre un
crédit. Par ailleurs, si les réserves minimales étaient assez élevées par le
passé, elles ne dépassent plus 1/10 des dépôts. Avec un tel chiffre, la
monnaie des particuliers n’intéresse plus les banques pour constituer des
réserves minimales qui ne sont pas rémunérées quand elles sont placées à la
Fed. Les banques privées gèrent et placent l’essentiel des dépôts comme
elles l’entendent. La monnaie en dépôt est surtout destinée à des placements
dans des Bons du Trésor ou autres bons. Par cette gestion délicate des
dépôts, cette troisième mesure de régulation est exceptionnelle. Elle est
jugée trop brutale pour l’économie avec les banques soudainement obligées
de vendre des titres, ou plutôt elle peut être considérée comme trop
onéreuse pour les banques forcées de maintenir certaines réserves non
rémunérées de cash en cas de risque de variation du taux de réserves
minimales.

Le quatrième outil de la Fed : le taux des fonds


fédéraux
En 1954, la Fed est entrée dans les « marchés monétaires » pour les
influencer. Ces marchés monétaires sont organisés entre banques et autres
entités financières. Ils sont des marchés financiers à court terme où les
banques peuvent emprunter ou prêter les dépôts qui ne rentrent pas dans les
contingents de réserves minimales. Les marchés monétaires rémunèrent peu.
Ainsi, les banques ne cherchent pas à accorder des crédits à d’autres
banques par le biais de ces marchés monétaires. Les banques négocient
seulement les actifs déposés par les clients, à moins que ces actifs ne soient
nécessaires pour couvrir les retraits de crédits juteux accordés à d’autres
clients.

Depuis 1954, la Fed accepte les dépôts (en d’autres mots : elle
emprunte et en absorbe les excès) et les rémunèrent à un taux d’intérêt

334
appelé le « taux des fonds fédéraux » (ou « Federal Funds Rate »). Ce
quatrième outil deviendra primordial dans les années 1980. Les pages
suivantes y reviendront.

Dans les années 1970, la spirale de la multiplication monétaire n’était


pas assez freinée. C’était là en partie l’origine de l’instabilité monétaire
perceptible dans les taux de change et dans l’inflation des prix.

335
Éclatement des parités fixes et dévaluations dès 1973

Éclatement des taux de change fixes vers 1973


Dès 1973, sans obligations envers la convertibilité-or ou la
convertibilité-dollar, les Banques Centrales ont réagi différemment. La
pression politique et les principes keynésiens étaient plus forts pour
certaines Banques Centrales que pour d’autres. Certaines Banques
Centrales laissaient les banques privées domestiques accorder des crédits
généreux, et donc multiplier la monnaie. La monnaie multipliée était
dépensée pour acheter des biens nationaux qui voyaient leurs prix monter.
Dès lors, autant importer dans les pays où les prix n’ont pas bougé. Si le
libellé de la monnaie multipliée était stipulé sur le contrat commercial,
alors la multiplication de la monnaie s’est traduite par un surplus
d’importateurs-acheteurs aux mains pleines de monnaie, et après les
importations, par un excès sur les marchés de change d’exportateurs-
vendeurs ayant été payés en cette monnaie multipliée. Si le libellé du
contrat commercial était en monnaie non multipliée, les importateurs-
acheteurs se rendaient sur les marchés de change pour acheter de la monnaie
non multipliée contre leur monnaie multipliée afin de payer les
importations. À l’instar des USA, certains pays avaient creusé un déficit
commercial par rapport à d’autres que les Banques Centrales devaient
compenser. La tension sur le change était d’autant plus forte que la
spéculation a assailli les monnaies des pays qui affichaient un déficit
commercial aigu.

Ainsi, dès 1973, les Banques Centrales se sont mises à laisser les taux
de change des monnaies les plus multipliées se dévaluer. Elles ignoraient
par là les taux de change fixés par les accords de Bretton Woods. Les
Banques Centrales ne stabilisaient plus les cours du change contre les
variations quotidiennes sur les marchés financiers. Les Banques Centrales
n’intervenaient plus pour maintenir la convertibilité-dollar à la parité fixée
de leur monnaie ou d’une autre monnaie. Semaine après semaine, elles
laissaient « flotter » certaines monnaies par rapport à d’autres. Une monnaie
est considérée comme une monnaie ou une « devise forte » si elle n’est
jamais dévaluée par rapport aux autres devises. Une monnaie est cataloguée
comme une monnaie ou une « devise faible » si elle est fréquemment
dévaluée par rapport aux devises fortes. Ainsi, certaines monnaies faibles

336
comme la lire italienne ou la livre sterling voyaient leur taux de change se
dégrader par rapport aux monnaies fortes qui avaient été moins multipliées,
comme le yen et le franc suisse.

C’était la glissade jusqu’aux taux de change flexibles toujours


d’application au début de notre XXIe siècle. Les accords de Bretton Woods
étaient partiellement détricotés. Presque quarante ans après la fin de
l’étalon-or, le système de l’étalon-dollar était abandonné à son tour. Il avait
été torpillé par la politique de multiplication excessive de la monnaie de
certaines Banques Centrales par rapport à d’autres. Cependant, les autres
pans des accords de Bretton Woods, donc les organismes du FMI et de la
Banque Mondiale, continuaient leurs activités.

Réapparition des dévaluations de monnaie


Les dévaluations des monnaies n’existaient pratiquement plus depuis
des siècles. Les dévaluations de la teneur d’or et d’argent des pièces du
Moyen Âge avaient cessé avec la circulation de pièces de qualité de la
Renaissance. Depuis, les dévaluations étaient exceptionnelles ou d’ampleur
très limitée pour maintenir le ratio or-argent du bimétallisme.

Au XIXe et au début du XXe siècle, le système monétaire international


était ancré à l’or et à l’argent par le biais des billets de banque
convertibles-or ou argent. Les dévaluations étaient encore exceptionnelles
excepté quelques accidents monétaires comme lors de l’hyperinflation dans
l’Allemagne de 1922-1923. Depuis 1936, et surtout depuis Bretton Woods
en 1944, les Banques Centrales et le FMI s’accordaient pour maintenir les
taux de change quasi fixes par rapport au dollar et donc indirectement par
rapport à l’or. Les dévaluations étaient exceptionnelles.

Après 1971 et la coupure du lien fixe des monnaies au dollar ou à l’or,


certains pays ont multiplié leurs monnaies sans retenue et les dévaluations
sont devenues plus fréquentes. Les pertes de confiance et les attaques
spéculatives sur les devises faibles sont nombreuses. Ces monnaies ne
parviennent pas à tenir la promesse d’un achat postérieur équivalent, car
elles ont été surmultipliées par rapport aux quantités de biens produits.
Chacun souhaite s’en débarrasser contre une monnaie forte ou contre de
l’or.

Drame des dévaluations pour certains

337
La dévaluation d’une monnaie nationale par rapport aux autres devises
peut tourner aux drames dans le cadre de contrats financiers de crédit ou de
prêt. Après la dévaluation, les crédits et les prêts deviennent difficiles à
rembourser par l’emprunteur s’ils sont libellés en devises fortes. Par
contre, s’ils avaient été conclus en devises faibles, les contrats de prêts en
cours de remboursement engouffraient les finances des institutions
créancières dont la comptabilité était axée sur une monnaie forte.

Les contrats commerciaux avec paiement à terme peuvent tourner à


l’escroquerie. Peut-être, les importateurs et les exportateurs auront pris
leurs précautions en cas de baisse du taux de change de la monnaie
nationale. Ils en auront tenu compte lors des négociations du prix libellé en
l’une ou l’autre devise forte ou faible. Ils auront aussi demandé un emprunt
de couverture en devise à rembourser lors du paiement de l’exportation. Ce
n’est pas toujours le cas. La dévaluation tourne alors au drame pour l’une
ou l’autre partie du contrat. Après la dévaluation, si le paiement à terme du
contrat était libellé en devise forte, l’acheteur-importateur se retrouve avec
une marchandise dont le prix de revient est inévitablement plus cher que
pour la concurrence qui fabrique localement. Il risque de devoir vendre à
perte par rapport aux prix de la concurrence. À l’opposé, si le contrat était
libellé en devise faible, alors le vendeur-exportateur se retrouve payé à

338
terme en devise faible qu’il doit convertir en monnaie locale à un taux de
change moindre qu’espéré.

Les pays pauvres sont les plus concernés par ces remboursements de
prêts ou ces paiements à terme en devises fortes. Les pays pauvres sont
étiquetés pour leurs réserves précaires en devises, leur accès discuté aux
banques étrangères ou au FMI, la vulnérabilité de leur économie, leur
endettement chronique, le manque de rigueur budgétaire de leur
gouvernement et finalement leurs risques en taux de change. Si le change de
la monnaie du pays est volatil, alors les libellés des contrats financiers ou
commerciaux sont dictés en devises fortes (dollar, mark allemand, yen…).
Les citoyens des pays pauvres doivent alors assumer les risques de change
s’ils commercent avec les pays riches.

Jusqu’à la crise financière


Il y a possibilité d’affaiblissement de la monnaie locale, jusqu’à la
panique et la crise financière. Une rumeur peut suffire pour provoquer des
retraits massifs dans les banques, pour changer la monnaie locale et la
placer dans des comptes en devises fortes. Ces devises (dollar, yen…) sont
vite épuisées aux guichets des banques du XXe siècle, comme les pièces
d’or l’étaient au XIXe siècle. Sur les marchés de change, avec beaucoup de
vendeurs de monnaie locale contre peu d’acheteurs, le taux de change de
cette monnaie dégringole. Les faillites se multiplient face aux échéances des
paiements des prêts et des contrats commerciaux en devises. Le système
économique risque de voler en éclats.

La finance étrangère peut influer. La spéculation internationale a


augmenté après l’éclatement des changes fixes. De plus en plus, des
spéculateurs décryptent les statistiques des flux commerciaux, anticipent les
hausses et les baisses d’une devise, et vendent ou achètent en conséquence.
La spéculation et la rapidité de l’informatique financière bousculent
l’économie internationale. Les « traders » se spécialisent pour acheter et
vendre des devises de jour en jour sur les marchés des changes du
« Forex » organisé, depuis 1971, par les banques autour de différentes
places financières comme New York, Londres ou Paris. Ils atténuent les
variations quotidiennes des cours, mais ils ne se gênent pas pour amplifier
une vague de spéculation.

339
Montée de l’inflation et du chômage dans les années 1970

Mesure de l’inflation
Pour surveiller l’inflation, on a commencé par la mesurer le plus
simplement du monde : en relevant mois après mois le niveau des prix
d’une sélection judicieuse de produits. Un indice d’un échantillon de prix à
la consommation permet d’estimer l’inflation des prix à la consommation
(aux USA : CPI ou Consumer Price Index), de même avec les prix à la
production (aux USA : PPI ou Producer Price Index), etc.. Une armée de
fonctionnaires mesure les prix en se promenant systématique et
périodiquement dans le pays. Aux USA, 80 000 prix sont relevés dans
87 zones urbaines par le ministère du Travail pour déterminer le CPI.

De ces mesures des prix à la consommation, production, etc., une


moyenne pondérée est savamment calculée pour obtenir un chiffre
récapitulatif : l’indice par secteur de l’économie, par région, ou global. La
pondération de la moyenne doit tenir compte du prix et du poids
économique de chaque bien. Les économistes et les statisticiens adorent ces
calculs.

Par le passé, l’inflation se constatait en comparant les prix mémorisés.


Les chiffres officiels sont apparus au XXe siècle. Antérieurement, aucune
mesure n’était jugée utile dans un environnement de prix stables. Les taux
d’inflation des siècles passés ont été déterminés par des historiens de
l’économie en compilant des documents anciens.

Poussée d’inflation par multiplication de la


monnaie
L’inflation avait couvé pendant les Trente Glorieuses. Keynes avait
toujours insisté pour compenser les atermoiements de l’économie privée
par le développement des investissements publics, voire des dépenses,
financés par l’endettement étatique, même s’il y avait des risques
d’inflation. L’inflation était le prix à payer pour atteindre le plein emploi.
L’inflation ne préoccupait pas du temps de Keynes, quand seule la déflation
dérangeait.

340
Dans les années 1970, l’économie ralentissait, et le chômage montait.
L’on apportait la même réponse keynésienne comme depuis le début des
Trente Glorieuses. Avec effarement, l’on constatait que le déficit et
l’endettement public ne relançaient plus l’économie. Les gouvernements
creusaient l’endettement pour financer les investissements et les dépenses
publiques pour tenter de relancer la machine économique. Les dépenses
augmentaient bien plus vite que les revenus des impôts collectés.

Le cercle vicieux de l’inflation s’enclenchait : l’endettement par la


multiplication des crédits, et donc de la monnaie, générait de l’inflation ;
l’inflation accentuait le ralentissement économique ; et la tentative de
relance économique par l’augmentation de l’endettement se soldait par
encore plus d’inflation. L’économie en prenait les coups. Les
gouvernements avaient trop tendance à substituer les investissements par
des dépenses. Cette politique finissait par créer de l’inflation. L’inflation
faisait effectivement irruption. En 1973, le taux d’inflation s’est élevé avant
même l’explosion des prix du pétrole. Dans les années 1970, la
multiplication du dollar et sa dévaluation conséquente a été accompagnée
par la plus grande machine à inflation de tous les temps. L’inflation n’a pas
cessé de progresser. Les années 1970 ont été une décade d’inflation.
L’Allemagne avec sa Banque Centrale, la Bundesbank, a été un des seuls
pays à faire preuve de rigueur dans le maniement des outils de contrôle
monétaire pour maintenir l’inflation annuelle à moins de 5 % entre 1973 et
1979. Les autres pays industrialisés péchaient avec une inflation annuelle
moyenne de près de 9 % sur la même période. Les pays cancres étaient
notamment la Grande-Bretagne ou l’Italie avec plus de 16 % d’inflation
annuelle entre 1973 et 1979.

341
L’inflation des années 1970 était seulement en partie « importée » par
les flambées des prix du pétrole suite aux « chocs pétroliers » de 1974
(guerre de Kippour) et de 1979 (Révolution iranienne). Ces années-là, les
membres de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) étaient
parvenus à un accord de quotas de production de pétrole. Chaque pays de
l’OPEP appliquait sa norme de production. Pour une même demande
d’énergie et avec une offre étranglée, les prix du pétrole montaient.
L’inflation des prix ne peut s’expliquer seulement par l’intégration de la
hausse du coût du pétrole dans les prix de vente de l’ensemble des biens.
Sans augmentation de la quantité de monnaie dans les mains des clients, pas
question d’augmenter les prix pour augmenter les prix… sous peine de ne
plus vendre. L’impact des chocs pétroliers pressait surtout à un relâchement
du crédit pour faire face à l’augmentation des demandes de crédits
d’appoint pour conserver un même train de vie malgré l’augmentation des
prix du pétrole. D’autant plus que les pays de l’OPEP augmentaient leurs
revenus et ils les plaçaient dans les banques occidentales. C’étaient les
capitaux des « pétrodollars » qui donnaient naissance à des crédits faciles
au travers des places financières occidentales. En occident, les entreprises
et les particuliers réclamaient des crédits supplétifs pour maintenir le train
de vie de la période antérieur au choc pétrolier. Avec plus de crédits et
donc plus de monnaie en circulation, l’inflation des années 1970 décollait
encore plus. L’augmentation du volume du crédit et donc de la masse
monétaire pouvait se refléter sur les prix de vente et sur des exigences
salariales justifiées par la hausse du prix du pétrole. Mais ces hausses des
prix du pétrole étaient presque ponctuelles. Elles n’expliquent pas le
relâchement prolongé du crédit et l’inflation continue de la décennie. Ces

342
hausses du prix du pétrole fouettaient l’expansion du crédit sur quelques
mois, pas sur plusieurs années. Il ne s’agissait donc que d’une explication
ponctuelle, et pas véritablement de la cause profonde de l’inflation
prolongée par le laxisme quant à la multiplication de la monnaie.

Croissance faible et chômage de masse


L’instabilité des taux de change et l’inflation sont aujourd’hui
considérées comme des causes principales de la crise économique des
années 1970. La combinaison de ces handicaps économiques a fait
apparaître le chômage de masse. On parlait d’une juxtaposition d’inflation
et de stagnation de l’économie que l’on a appelée la « stagflation ».
Phénomène nouveau, car jusqu’alors les dépressions économiques
baignaient plutôt dans la déflation.

D’autres causes de la crise économique des années 1970 ont existé. En


effet, le chômage ne s’est pas résorbé par la suite, malgré la lutte contre
l’inflation et la stabilisation partielle des taux de change, comme expliqué
dans le reste du chapitre. L’ensemble des causes du ralentissement
économique, du chômage et en général des cycles de l’activité humaine est
un agglomérat de justifications économiques et politiques parfois
contradictoires et très discutées. Les ânes, les lièvres et les singes ne
réagissent pas pareillement à la carotte ou au bâton. Les explications du
chômage sont presque aussi variées que le nombre de chômeurs.

Ainsi dans les années 1970, la décroissance se combinait avec


l’augmentation de la population active. En France, la population active était
stable entre 1900 et 1975, avant d’augmenter de 1975 à 1985. Dans les
autres pays, la population active augmentait également.

Dès lors, la décroissance et l’augmentation de la population active


faisaient remonter le chômage. Par exemple en Grande-Bretagne, la montée
du chômage était forte et doublait même de 1973 à 1979 pour toucher 6 %
de la population active. Dans les autres pays industrialisés, la moyenne du
chômage montait de 3,4 à 5,1 % de la population active, avant d’exploser
au-delà des 8 % après le deuxième choc pétrolier de 1979.

343
La santé de l’économie mesurée par la croissance du
PIB
Dès lors, on préfère résumer l’ensemble des causes du ralentissement
économique dans la constatation d’une « croissance » faible, voire négative
du « PIB » (Produit Intérieur Brut), donc de la richesse totale produite par
le pays. Cette richesse est par ailleurs consommée essentiellement par les
particuliers (70 % du PIB aux USA), plus que par l’État ou les entreprises.
Le PIB est la somme des VA (Valeur Ajoutée). Chaque entreprise déclare le
solde de ses factures de vente déduit du montant de ses factures d’achat de
matériel, de matières premières et de services externes. La VA est calculée
sur base des déclarations de ces soldes de factures de ventes et d’achats à
l’organisme chargé d’encaisser la « TVA » (Taxe sur la VA), ainsi qu’aux
déclarations aux douanes pour les factures internationales. D’autres
méthodes du calcul du PIB existent également, notamment pour les pays sans
TVA.

La croissance la plus représentative de l’évolution du PIB est


évidemment corrigée des effets de l’inflation. Une autre précision est que le
PIB n’a rien à voir avec les coûts non facturés : salaires, bénéfices, etc. qui
sont la répartition du PIB. Le « PNB » (Produit National Brut) existe aussi.

344
Le PNB est la richesse gagnée plus que produite. Le PNB est calculé à
partir du PIB additionné (ou soustrait) des bénéfices générés par les filiales
hors frontières (locales) qui sont détenues par des entreprises nationales (ou
extérieures). Ces bénéfices sont payés sous forme de dividendes par action.
La différence entre PNB et PIB est en général inférieure à 1 %.

Sans une croissance forte, le chômage ne se résorbe pas. À population


active égale, un taux de croissance annuelle du PIB de plus de 1,5 % est
nécessaire pour commencer à résorber le chômage (chiffre peut-être à
revoir à la hausse avec les nouvelles technologies qui permettent aux
employés d’assumer plus de travail, donc de croissance, sans engagements
supplémentaires). En effet, les entreprises améliorent sans répit leur
productivité par l’expérience et les investissements en machine ou en
savoir-faire. C’est bien la raison d’être du système capitaliste : produire
plus ou meilleur marché pour tenter d’augmenter ses bénéfices et résister à
la concurrence. Les entreprises parviennent à produire davantage avec
moins de main-d’œuvre. Pour compenser la mise à pied de cette main-
d’œuvre, il faut développer de nouveaux marchés ou de nouveaux produits.
Ces nouveaux marchés ou ces nouveaux produits seront le signe d’une
embauche reflétée dans la baisse des chiffres du chômage comme dans la
croissance du PIB. Donc, si le PIB croît, le chômage baisse à condition de
ne pas avoir de hausse de la population active. Dans le cas contraire, en cas
de stagnation de la croissance de l’économie, ou même d’une croissance
anémique, le chômage augmentera. Seule une croissance forte du PIB sera le
signe d’une embauche suffisante pour compenser la mise à pied des
travailleurs par la simple amélioration de la productivité. Donc, il faut
favoriser la croissance du PIB pour résorber la crise économique.

345
La croissance des PIB des pays occidentaux avait été forte pendant les
Trente Glorieuses. Elle avait contribué à la résorption du chômage.
Pourtant, la décroissance s’était amorcée depuis 1965. Le système
économique s’était enrayé dès la fin des années 1960 même si les Trente
Glorieuses ont duré jusqu’à 1975. Dans les années 1970, la Grande-
Bretagne était le pays le plus touché par la chute de croissance. Le taux de
croissance annuelle de l’économie britannique était tombé à 2,8 % sur la
période de 1960 à 1970, soit la moitié de la moyenne des autres pays
industrialisés. De 1960 à 1973, le taux de croissance était de 5 % en
moyenne pour les pays industrialisés. Elle n’était plus que de 2,1 % de
1973 à 1983.

346
Lutte contre l’inflation pour relancer la croissance à la fin
des années 1970

Contestation monétariste des priorités keynésiennes


Au XIXe siècle, les taux d’intérêt des dépôts et des crédits variaient
pour assurer la convertibilité-or des billets de banque. Les taux d’intérêt
étaient bas par la concurrence entre banques quand la confiance incitait à
laisser les pièces d’or en dépôt. Par contre, les taux s’élevaient en cas de
ralentissement économique et de crainte de crise de retrait ou de demande
de conversion-or. Ainsi, la politique monétaire accentuait inconsciemment
les cycles économiques avec les hausses inflationnistes et les baisses
déflationnistes. Et surtout, l’incapacité à relancer la machine économique
résultait de cette gestion des taux d’intérêt, après une crise boursière,
bancaire ou industrielle majeure.

Au XXe siècle, Keynes avait préconisé deux nouvelles priorités : un


taux d’intérêt continuellement bas pour favoriser les crédits pour relancer
l’économie, et un endettement étatique bon marché pour financer une relance
des investissements, voire des dépenses, pour compenser les cycles
économiques attribués au secteur privé. Keynes considérait que l’instabilité
venait essentiellement des particuliers et des entreprises privées.

Pour contrôler l’inflation, Keynes recommandait de contrôler les


augmentations salariales et les demandes de prêts qui pouvaient être
excitées par les taux d’intérêt bas du keynésianisme. Keynes considérait que
l’inflation provenait de la croissance inconsidérée des salaires. C’était
l’« inflation par la demande ». Cette vision était populaire au temps des
taux d’intérêt bas en pleine croissance économique comme au XIXe siècle.
La demande euphorique signifiait un excès de prêts bons marché. Keynes
poussait pour plus de régulation, car il considérait que l’instabilité
provenait des individus et des entreprises.

Dès la fin des années 1970, le courant « monétariste » commençait à


captiver l’attention des économistes. Les théories des économistes
monétaristes, dont Milton Friedman est le chef de file, étaient alors
l’alternative la plus crédible en ces temps d’inflation et de crise
économique. Les raisons de la crise économique étaient ailleurs. Les

347
monétaristes pourfendaient depuis longtemps les deux priorités
keynésiennes. Dans les années 1960, les monétaristes avaient claironné que
les deux axes keynésiens ne conduiraient qu’à l’inflation. Et l’inflation
serait l’origine d’un ralentissement économique. Dans les années 1970, ces
temps étaient arrivés.

Lutte contre l’inflation


plutôt que l’obsession des taux d’intérêt bas
Pour les monétaristes, des taux d’intérêt bas ne sont pas obligatoires
pour soutenir la croissance. Ils peuvent être élevés sans gêner la
consommation. La croissance est même indépendante d’un taux d’intérêt
élevé. La croissance dépend essentiellement de la confiance en l’avenir et
de l’envie de consommer, d’investir, d’épargner ou d’emprunter.

Dans les années 1970, la neutralisation de l’inflation devenait la


nouvelle priorité, plutôt que de se focaliser sur des taux d’intérêt bas. La
lutte contre les causes de l’inflation devenait la préoccupation principale.
Les monétaristes tapaient sur le clou : l’inflation est un phénomène
uniquement monétaire. Multiplier la monnaie en accordant trop de crédits,
et de retraits de monnaie qui se retrouve dans les mains des acheteurs,
n’engendre que l’inflation des prix. Les monétaristes proposent même
d’inscrire la lutte contre l’inflation dans la Constitution, contre les abus des
Banques Centrales trop souvent envoûtées par les gouvernements.

L’économie est ralentie par l’inflation pour les mêmes raisons qu’au
temps de l’Empire romain.

348
L’inflation ronge l’épargne et les salaires, donc le pouvoir d’achat des
particuliers. L’épargne est dévalorisée, à peine rémunérée par des taux
d’intérêt bas par inspiration keynésienne, et le travail pour épargner ou
acheter une voiture à Noël est démotivé. La consommation s’effiloche
inévitablement. La demande dépend avant tout de la stabilité du niveau des
prix, et elle n’est pas seulement liée à la facilité d’emprunt comme
l’avancent les keynésiens.

L’inflation rogne les bénéfices escomptés en provenance des


investissements et des contrats payés à terme pour les travailleurs et les
entreprises. Elle décourage les investissements qui ne rapporteront qu’à
terme des dividendes rabotés. Un simple placement en or immunisé contre
l’inflation est plus lucratif, même s’il est totalement improductif. Alors, les
prix en monnaie doivent être stables, et ils ne doivent pas perturber les
anticipations du marché.

Attention au mirage de l’inflation.

La multiplication des billets dans les mains des consommateurs


n’injecte pas un petit tonus dans la consommation. La relance du commerce
par l’illusion de nouveaux billets n’est que temporaire. Les prix
programment, anticipent, intègrent vite l’illusion monétaire. Les gens
finiront par se plaindre de la hausse des prix, ils perdront plus tard ce qu’ils
ont cru gagner plus tôt, et ils se décourageront tout autant. De plus, une fois
l’inflation démarrée, un risque de dérapage vers l’hyperinflation existe.

L’inflation semble favoriser les entreprises ou les gouvernements


endettés qui voient leurs dettes fondre par rapport aux prix de vente. Face à
l’inflation, gare à la chute de la demande des épargnants et à la
démotivation de l’offre de travail des candidats épargnants ! L’inflation ne
favorise qu’à court terme les gouvernements endettés. L’inflation reste un
véritable impôt caché sur le dos des créanciers et des épargnants. Attention
à l’enrayement de l’économie et à la chute des revenus fiscaux… pour le
gouvernement suivant !

La masse monétaire incontrôlée, seule source


d’inflation
Les monétaristes insistaient : « L’inflation est avant tout et surtout un
phénomène monétaire ». L’inflation surgissait quand les gouvernements

349
laissaient la monnaie se multiplier par le crédit facile qui remplissait les
poches des consommateurs qui se mettaient à dépenser. Ces constatations
provenaient de Milton Friedman qui est considéré comme un des plus
grands spécialistes de l’inflation. Milton Friedman et Anna Schwartz ont
publié une étude de la masse monétaire en relation au niveau des prix dans
l’Histoire des USA de 1867 à 1960. Cependant, les monétaristes n’étaient
pas les premiers à s’intéresser à l’inflation. L’inflation était un sujet
observé depuis le fantastique afflux d’or et d’argent du XVIe siècle, comme
déjà évoqué. Depuis des siècles, des esprits clairvoyants, comme les
philosophes John Locke et David Hume, avaient énoncé que pour une
économie sans inflation ni déflation, la quantité de monnaie devait
augmenter en proportion à la quantité de biens et de services. L’équation de
leur « théorie quantitative de la monnaie » était « MV=PQ » qui signifie:
la Monnaie à Vélocité constante augmentera en proportion du niveau des
Prix pour des Quantités produites stables. Dans cette équation, la
« vélocité » de la monnaie est définie comme le rapport entre les revenus de
monnaie (déposés à la banque) et la masse monétaire (la somme des
comptes en banque). Cette définition permet la mesure des variations de la
vélocité monétaire – qui circule au lieu de dormir en banque – entre compte
en banque des magasins, entreprises et travailleurs. La vélocité de la
monnaie n’est pas toujours constante, comme cela sera expliqué dans les
derniers chapitres.

Dans leur analyse, la monnaie doit être neutre sans déflation ni inflation
pour rassurer les consommateurs, l’épargne et l’emprunt. La stabilité des

350
prix peut consolider la croissance économique. Cycles et hésitations
économiques venaient, selon les monétaristes, d’agitations inflationnistes ou
déflationnistes, comme au XIXe siècle. Les monétaristes recommandaient
des objectifs monétaires clairement annoncés afin de ne pas perturber les
marchés.

Au contraire, pour Keynes, la monnaie était central pour revitaliser


l’économie, et non pas neutre. L’instabilité économique venait du secteur
privé. Keynes voyait en la monnaie un outil de stimulation économique à
utiliser pour compenser l’instabilité du secteur privé.

Dans les années 1970, les Keynésiens perdaient du terrain, car


l’économie était visiblement perturbée par l’inflation. Plutôt que
l’obsession des taux d’intérêt bas, il fallait se concentrer sur la
neutralisation de l’inflation. La lutte contre les racines de l’inflation
commençait.

Varier les taux d’intérêt pour freiner l’inflation, en


évitant la déflation
Selon les monétaristes, les cycles et les flottements économiques
proviennent principalement des impulsions monétaires inflationnistes ou
déflationnistes, comme au XIXe siècle. L’instabilité économique ne vient
pas du secteur privé, comme le considéraient les keynésiens.

Dès lors, pour maîtriser l’inflation et la déflation, les taux d’intérêt


doivent être haussés ou baissés si nécessaire pour favoriser ou dissuader de
nouveaux crédits. Avec les monétaristes, les taux d’intérêt doivent
compenser l’instabilité économique, et non pas l’agiter comme du temps de
la convertibilité-or avec des taux d’intérêt élevés ou abaissés de manière
totalement inopportune, ou même comme du temps du keynésianisme avec
un taux d’intérêt constamment bas. Aussi, les monétaristes mettent l’accent
sur l’importance de la liquidité en mains pour éviter la déflation. L’accès
aisé au crédit bancaire est plus décisif que des taux d’intérêt bas. Si la
confiance et la croissance sont au rendez-vous, le désir d’emprunt est là, et
pas seulement parce que les taux d’intérêt sont bas. En fin de compte, la
monnaie doit être neutre, sans déflation ni inflation pour rassurer le travail
pour consommer, pour épargner, ou même pour emprunter avec sérénité
quant au remboursement du crédit, et donc pour conforter la croissance
économique. Les monétaristes contestent en ce sens les keynésiens qui

351
voyaient en la monnaie un outil de stimulation économique à utiliser de
manière discrétionnaire pour compenser l’instabilité de l’économie privée.
Pour les keynésiens, la monnaie est au cœur de l’économie. Au contraire,
les monétaristes préconisent des normes monétaires clairement annoncées
pour ne pas perturber les marchés économiques (« Rule versus
discretion »).

Lutte contre les déficits de l’État, pourvoyeurs


d’inflation
Dans les années 1970, les investissements étatiques comme les grands
travaux entrepris depuis le New Deal laissaient apparaître des déficits. Les
projets publics ne généraient plus assez de revenus pour rembourser les
investissements. Les reconstructions de la guerre étaient achevées depuis
longtemps. Impossible de trouver de nouveaux projets rentables comme des
barrages ou des routes qui saturaient certaines régions. L’industrie lourde
était la moins complexe à gérer et à financer, mais elle a fini par saturer les
marchés. L’industrie lourde était d’ailleurs la plus choyée par les grandes
planifications des régimes communistes. En France, les grands projets à
rentabilité suspecte sont connus sous les noms de Concorde, minitel,
Superphœnix ou Eurotunnel, malgré les succès du TGV, d’Ariane, et
d’Airbus. Les investissements publics rentables appartenaient au passé.
L’endettement keynésien pour financer les investissements étatiques et
relancer l’économie était caduc. Selon les monétaristes, l’incapacité de
l’État était flagrante pour investir sereinement et pour compenser le secteur
privé. Inutile même de tenter de réformer l’État ou de le libéré de tout
groupe de pression ou des lobbys.

352
Dès lors, les investissements étatiques soldés par des déficits tournaient
à de simples dépenses. Et la dépense couverte par un endettement, et donc
par une multiplication de la monnaie, ne génère que de l’inflation.
L’endettement de l’État, afin de compenser les cycles économiques, ne
conduisait qu’à l’inflation. Cela se vérifiait dans tous les cas de
financement couvert par l’endettement public. Peu importait qu’il soit
couvert par une création monétaire par un simple crédit bancaire, ou par
vidage du bas de laine des épargnants par une levée de Bons du Trésor ou
plutôt d’obligations d’État à plus long terme. Dans tous les cas, le volume
de monnaie en circulation augmentait, même si le volume total de monnaie
épargnée ou non n’avait pas bougé. De plus, la dégradation des taux de
change accompagnait l’inflation. La pratique et l’actualité économique des
années 1970 mettaient en évidence l’inflation et l’instabilité des taux de
change.

353
Cette inflation et cette instabilité du change affectaient l’économie
privée. La confiance se dégradait, et entraînait la chute de la consommation
comme de l’investissement. Pour les monétaristes, l’instabilité économique
et le chômage viennent des interventions de l’État dans l’économie. Les
monétaristes dénoncent l’excès de fiscalité, la redistribution et les autres
formes d’intervention étatique dans l’économie. La politique monétaire doit
être également neutre, et elle ne doit pas chercher à soutenir inutilement la
demande par un endettement keynésien. L’analyse monétariste passait au
premier plan avec la montée du chômage, la poussée d’inflation, et avec les
vacillements du gyroscope keynésien.

Selon les monétaristes, le secteur privé est plus apte à investir d’une
manière rentable pour développer de nouveaux produits. Il fallait laisser
faire le marché libre et les entreprises plutôt que l’État mauvais
gestionnaire. Au contraire du secteur public, la production privée de biens
et de service est efficace.

Les dépenses de l’État doivent être financées par les impôts, et non par
l’endettement. L’éducation ou la recherche scientifique n’offrent qu’un
rendement à très long terme. Ces investissements ne produiront que dans
20 ans, bien avant les dépenses immédiates des salaires des enseignants et
des chercheurs. Dès lors, ces investissements sont à considérer comme des
dépenses. Ces dépenses doivent être couvertes par les revenus fiscaux, pas
par l’endettement inflationniste.

354
355
« Reaganomie » aux USA dès 1980

Objectif : libérer le marché


« L’État ne résout pas les problèmes. Il EST le problème. » disait le
président Reagan en lançant sa politique. L’économie de marché, mieux que
l’État, saura trouver des investissements rentables et relancer la croissance.
On parle aussi de « néolibéralisme », car le libéralisme en vogue depuis les
Lumières en stigmatisant les abus de l’État, était de retour après
l’interventionnisme étatique keynésien. Le libéralisme ou le néolibéralisme
prône le laisser-faire et le libre-échange pour atteindre l’équilibre des
marchés économiques des biens, des services ou du travail. Le marché libre
peut déterminer un prix plus efficacement qu’un marché embourbé dans les
règlements et les monopoles étatiques. Les marchés libérés produiront plus.
Le libéralisme est le seul chemin vers la croissance et la résorption du
chômage.

Pour les néolibéraux, l’intervention de l’État dans les marchés provoque


le chômage, comme par le biais de prix plafond, de salaires minimum, de
subsides et d’autres indemnisations surélevées pour les chômeurs suspectés
de paresse. Au contraire, les keynésiens considéraient que des
déséquilibres émanaient des marchés libres et qu’ils pouvaient être
durables et provoquer le chômage, même sans restrictions du crédit. En cas
de faiblesse des marchés, l’État devait intervenir pour soutenir l’activité
économique en s’endettant pour investir ou même dépenser. En fin de
compte, les keynésiens insistaient sur le soutien de la « demande » par le
crédit facile et le soutien de l’État de l’activité économique.

Dans les années 1970, les marchés n’étaient pas paralysés comme après
1929, mais ils étaient empêtrés dans l’inflation. Pour les néolibéraux, les
projets étatiques contribuaient à l’inflation par les déficits qu’ils généraient.
L’intervention étatique dans les marchés perturbait le secteur privé avec des
prix plafond, des salaires minimums, des subsides inutiles et des
compensations excessives pour les chômeurs soupçonnés de fainéantise et
donc laissés sur le carreau par les employeurs.

La politique économique de Reagan reposait sur deux axes pour libérer


les marchés.

356
D’une part, c’est l’« économie de l’offre » qui s’oppose à la priorité
keynésienne du soutien de la « demande ». Cette nouvelle optique
économique insiste sur la relance de l’initiative privée par la baisse des
impôts, par la dérégulation des marchés, et par la réduction des
interventions de l’État.

D’autre part, c’est la politique monétariste de la lutte contre l’inflation,


source de perturbations des marchés, donc de la « désinflation » pour faire
fléchir la courbe de l’inflation.

Économie de l’offre
L’économie l’offre insistait sur la nécessité de se recentrer sur
l’initiative privée et le travail pour réanimer la production, donc l’offre en
terme économique. Pour y arriver, il fallait diminuer les impôts, déréguler
les marchés étranglés par des contrôles excessifs, et d’autre par réduire les
interventions de l’État dans les marchés. L’économie de marché, libérée du
poids du gouvernement, se remotiverait à investir et donc à redémarrer
l’économie. Les marchés et la concurrence pourraient produire plus et
mieux. Le marché libre était la seule voie vers la croissance économique et
la réduction du chômage.

Priorité 1 : réduire les impôts


La première priorité de l’économie de l’offre était de baisser les impôts
pour encourager l’initiative privée, donc la production des biens et services
nouveaux ou meilleur marché pour constituer l’offre. L’économie devait se
recentrer sur le travail et la production, plus que sur l’illusoire richesse en
billets de papier. Les riches investiront plus judicieusement que l’État trop
politique. Aussi, les dépenses des riches redescendraient sur les salaires
des classes moyennes, selon cette théorie (« trickle-down theory »). Ainsi,
avec davantage de revenus nets et réels en poche, avec plus d’offres de
produits, la consommation des particuliers emboîterait le pas aux
investissements des entreprises.

L’économiste Laffer illustrait par un schéma que des impôts trop élevés
sont dissuasifs. C’est la « courbe de Laffer » qui traçait un graphe des
rentrées fiscales en rapport au taux d’imposition.

· Au début, plus les taux d’imposition augmentent, plus les rentrées


fiscales gonflent. Le graphe montre alors une belle ligne des revenus fiscaux

357
qui grimpe.

· Si les taux d’imposition se rapprochent de 100 % des salaires et des


bénéfices, alors, à part quelques stakhanovistes, peu de monde travaille
librement et intensément pour un salaire intégralement reversé à l’État et
redistribué sans considération de la productivité du travailleur. Avec une
forte démotivation du travail et donc une production maigrichonne et
stalinienne de biens, les revenus réels des impôts s’étouffent. « L’impôt tue
l’impôt », dit l’adage.

· Pour joindre les deux extrêmes, la tendance a donc dû s’inverser. La


démotivation du travail, l’économie souterraine, la contrebande ont fait leur
apparition, et la courbe s’est aplatie avant de commencer à décroître.

Aux USA, des taux d’imposition marginaux approchaient les 70 %.


Selon la courbe de Laffer, le maximum des revenus de l’État se situerait
vers un taux d’imposition rabaissé. Pour augmenter les revenus fiscaux, les
taux d’imposition devaient donc être… abaissés. Depuis Néron, trop de
dirigeants se sont fourvoyés dans une fiscalité trop lourde. Une hausse des
taux d’imposition peut être perverse en menant au découragement de la
production, et à des revenus fiscaux moindres. La baisse des impôts ne
causerait pas de déficits. La baisse des taux d’imposition serait compensée
par la hausse des revenus fiscaux générée par la reprise de l’économie.

Priorité 2 : déréguler
La deuxième priorité était la dérégulation des marchés alors empêtrés
dans le contrôle de l’État. L’État serait la principale source de perturbation
de l’économie privée et des marchés biaisés par la lourdeur des règlements.

358
Les secteurs de l’économie inutilement confiés à la surveillance de l’État
devaient être dérégulés. Les quasi-monopoles devaient être brisés, et la
concurrence toujours favorisée pour encore accroître l’offre de biens
produits, seule source de réelles richesses. Les monopoles des entreprises
publiques devaient être mis en concurrence. Cette nouvelle volonté de
concurrence entraînait des privatisations pour jouer le jeu du marché libre.

Les résultats ont suivi. L’exemple de l’aviation était assez frappant et


l’on voyait de vieilles compagnies comme PanAm ou TWA disparaître… et
les voyages en avion se démocratiser. Dans les années 1980, les procès
antitrust donnaient des résultats. Pour faire tomber les charges de son
procès, IBM s’était séparé de certains pans de ses activités. IBM a confié
les nouveaux ordinateurs personnels « sans avenir » aux débutants de
Microsoft pour le software et d’Intel pour le hardware. Par décision de
justice, les télécoms de AT&T sont fractionnées en compagnies privées : les
Baby Bells.

Priorité 3 : encourager le travail


Enfin, le travail devait être plus attractif en réduisant les charges qui
pesaient sur lui. Certains proposaient un taux d’impôt négatif sur les bas
salaires pour rendre les investissements en personnel plus attrayant qu’en
machines. Aussi, l’on évite le rejet du travail au salaire ingrat.

Les Trente glorieuses avaient donné naissance à un « État providence ».


Les mentalités avaient été perverties, et les gens devaient revenir à des
valeurs plus réalistes d’une rémunération par le travail et l’initiative.

Dès 1996, les USA établissent un terme de cinq ans aux allocations,
autrefois « à vie », pour les familles sans travail. La catastrophe sociale
annoncée par certains n’a pas eu lieu. Les parents ont trouvé du travail
avant le couperet de la limite fatidique, peut-être l’avènement de la
« nouvelle économie » d’Internet a facilité l’entrée dans le monde du
travail. Le travail, même mal payé, procure des revenus supérieurs aux
allocations. Les budgets sociaux peuvent être réorientés vers l’aide aux
personnes mentalement déficientes. Et ce succès américain inspire les
gouvernements européens.

Priorité 4 : favoriser la concurrence internationale

359
Pour encourager la concurrence, les États s’engageaient également dans
des accords multilatéraux d’ouverture des frontières au commerce. Les
tarifs douaniers étaient abaissés, et des aides destinées à protéger les
producteurs nationaux étaient supprimées. Le commerce international
augmentait sensiblement pour atteindre 15 % du PNB (dans les années
1990) en moyenne dans les pays industrialisés. Un phénomène nouveau était
dépeint : celui de la « mondialisation » où, par exemple, une voiture est
assemblée dans un pays avec des composants produits aux quatre coins du
monde.

L’inflation freinée par le « taux directeur » de la


Fed
La Fed a été la première à mettre la réforme monétariste en place dès
1978, sous le président Carter. Cette réforme s’était fixée comme objectif
de faire chuter l’inflation à 3 % dans les 5 ans (objectif presque atteint). La
Fed voyait son objectif légalement révisé vers la stabilité des prix par la
quantité de crédits, et donc par la quantité de monnaie en circulation.
Néanmoins, deux ans ont été nécessaires pour affine le système de contrôle
de l’inflation qui est toujours en place au début de notre XXIe siècle.

360
Depuis 1980, chaque banque privée qui propose des facilités de dépôt
est obligée d’ouvrir un compte à la Fed. Ou plutôt, les banques privées
doivent déposer sans exception, contrairement au passé, des réserves
minimales à la Fed. Pour toute institution de crédit, un prêt est interdit sans
une portion des dépôts à la Fed. Les banques non encore membres de la Fed
perdaient la possibilité d’obtenir des fonds bon marché à Londres
(eurodollars) afin de prêter meilleur marché que la concurrence des autres
banques membres de la Fed. De fait, aucune banque ne pouvait plus ignorer
les réglementations de la Fed ni le dépôt de réserves minimales à la Fed
(dépôt coûteux, car les réserves sont non rémunérées par la Fed).

Dès ce moment, le « taux directeur » de la Fed (le « Federal Funds


Rate ») pouvait influencer les taux d’intérêt minimums des dépôts
bancaires. En effet, aucune banque ne pourra rémunérer les dépôts trop en
deçà de ce taux. Dans le cas contraire, une banque concurrente proposera
certainement un taux d’intérêt de rémunération des dépôts proche du taux de
la Fed. Ainsi, cette banque concurrente attirera les dépôts du marché par
une rémunération supérieure. Cette banque empochera la différence entre

361
son taux et le taux légèrement supérieur de l’intérêt sur ses placements à la
Fed.

Bien sûr, les taux d’intérêt des crédits ne peuvent que suivre ce taux
directeur et les taux des dépôts. Par souci évident de rentabilité, les taux
d’intérêt des crédits seront supérieurs aux taux d’intérêt des dépôts. Aucune
banque ne coupera à cette règle, car aucune banque ne s’autorise à créditer
sans dépôts en couverture, ou sans réserves minimales. Les taux d’intérêt au
crédit seront bien sûr limités par la concurrence entre banques.

Finalement, le plafond légal des taux d’intérêt devait être supprimé. Les
taux d’intérêt de rémunération des dépôts bancaires étaient plafonnés depuis
le New Deal en 1933. Avec cette suppression, la Fed pouvait faire varier
son taux directeur vers le haut.

Dès lors, la Fed peut parvenir à contrôler le volume des crédits en


variant son taux directeur. Si l’inflation pointe son nez ou si elle est
extrapolée dans les délais de réactions de certains facteurs économiques, la
Fed augmentera ce taux directeur. Cette augmentation se répercutera sur la
rémunération des intérêts des dépôts. Les taux d’intérêt des crédits suivront.
Les demandes de crédits seront refroidies devant les charges d’intérêt plus
élevées. La multiplication des crédits et de la monnaie ralentira, et donc
l’inflation s’atténuera.

Pour éviter la déflation, la Fed veillera à baisser son taux directeur afin
d’encourager les demandes de prêts ou d’inciter les retraits des dépôts. Ces
deux réactions augmenteront la quantité de monnaie en circulation et donc
écarteront le péril de la déflation.
~

Pour information : une hausse des taux d’intérêt décidée par la Banque
Centrale n’est qu’une aubaine relative pour les banques. De fait, les
banques engrangeront plus de profits par un volume de crédits court terme
supérieur à celui des dépôts, en conformité avec le taux de couverture.
Cependant, le profit est limité pour différentes raisons.

Premièrement, la concurrence jouera pour écraser davantage le


« spread ». Ce spread est l’écart entre deux taux d’intérêt corrélatifs,
comme dans ce cas-ci des taux créditeurs et débiteurs. Ce spread varie en

362
fonction de nombreux paramètres de risque, de concurrence et du niveau des
revenus générés par les intérêts des prêts.

Deuxièmement, les banques n’amasseront que des profits pour les prêts
à court terme, hors la majeure partie du crédit est à long terme et restera
influencée par les « taux d’intérêt des bons et obligations à long terme »
et déterminé essentiellement par l’offre et la demande sur les marchés
financiers, et non pas directement par le taux directeur de la Fed.

Finalement, les profits des taux d’intérêt plus élevés seront déduits des
intérêts payés par les banques aux titulaires des comptes de dépôt. Aussi,
les réserves obligatoires à la Fed restent non-rémunérées.

Les taux d’intérêt à long terme moins affectés par le


taux directeur de la Fed
Les « taux d’intérêt à long terme » peuvent être quelque peu abaissé
par la concurrence des taux court terme. L’on peut accepter de payer plus
pour la stabilité d’un taux à long terme, mais sans exagérer la différence
avec le court terme aussi volatil qu’il soit.

Néanmoins, les taux à long terme n’ont jamais été déterminé directement
par le taux directeur de la Fed, qui influence surtout les taux court terme.
Les taux à long terme sont avant tout déterminés par l’offre et la demande de
fonds à long terme des marchés obligataires, présenté ci-après. Les banques
aussi accordent des prêts à long terme (comme des prêts hypothécaires,
etc.) en fonction de la concurrence des taux à long terme des marchés
obligataires. Les acheteurs d’emprunts d’État ou d’obligations à long terme
iront vers le plus offrant.

Les mécanismes détaillés des « marchés obligataires » sont les


suivants ; sur ces marchés, les entreprises, les institutions financières et les
Trésors des États vendent et achètent des bons et des obligations qui offrent
des taux fixes à long terme. Ces bons sont vendus contre la monnaie des
investisseurs privés ou des banques qui peuvent placer une portion des
dépôts de leurs clients. En échange, ces bons offrent un paiement annuel fixe
jusqu’au remboursement du bon à la fin de son terme. Le taux d’intérêt de
chaque bon doit être compétitif par rapport aux bons vendus le même jour,
sous peine de ne pas trouver acheteur.

363
Les bons peuvent être revendus avant la fin du terme sur les marchés
obligataires. Ils seront évalués par rapport à leur intérêt fixe annuel et par
rapport au montant remboursé à la fin du terme. Le prix de revente dépendra
du taux d’intérêt offert le jour de la revente et bien sûr des facteurs de
risques de l’émetteur du bon. Ainsi, un bon peut être revendu au-delà ou en
deçà de sa valeur nominale, en fonction des montants payés jusqu’au terme
du bon.

Indirectement, les marchés obligataires offrent plusieurs indicateurs des


taux d’intérêt à long terme. Parmi ces indicateurs, on trouve le taux d’intérêt
offert par les bons du Trésor au jour de leur vente. En fait, le Trésor
américain vend ses bons par un système d’enchères publiques, qui
détermine le taux d’intérêt de chaque émission de bons. Ce taux d’intérêt
n’est pas un indicateur quotidien, car le Trésor ne vend pas des bons tous
les jours. Au moins, une tendance annuelle peut être estimée sur base des
ventes des bons du Trésor. Enfin, comme le terme des bons du Trésor peut
porter sur quelques années ou sur 30 ans, il y a différents taux d’intérêt à
long terme en fonction de chaque durée du terme.

Aussi, les marchés obligataires parlent d’un rendement du bon plutôt


que d’un taux d’intérêt. Ce rendement est le montant repayé par rapport au
montant de la vente. Ce rendement permet de mieux comparer les bons
qu’un taux d’intérêt, car les émetteurs de bons peuvent les vendre « en
solde » à un prix inférieur à la valeur nominale du bon, valeur qui sera
repayée à la fin du terme.

364
Un autre outil toujours en place : les opérations
d’Open Market
Au cas où les liquidités ou les dépôts bancaires manqueraient, après la
baisse du taux directeur, la Fed interviendra par ses opérations d’Open
Market. En effet, les opérations d’Open Market de la Fed influencent le
marché des bons du Trésor ou des obligations à long terme et rémunérés au
taux d’intérêt souhaité. Par la vente ou l’achat de bons du Trésor et acquittés
en dollars, la Fed influencera la quantité de monnaie disponible pour les
dépôts bancaires, comme les taux d’intérêt à long terme du marché des
bons.

Les deux outils principaux sont les variations du taux directeur


accompagné des opérations d’Open Market. Les autres outils de contrôle de
la masse monétaire sont moins utilisés. Comme déjà précisé, les
modulations des proportions légales des réserves minimales par rapport aux
crédits sont exceptionnelles, car elles sont jugées trop abruptes pour
l’économie. De son côté, le taux d’escompte (discount rate) a été haussé au-

365
dessus du taux directeur principal. Les prêts sur base de lettre de change
échappaient au contrôle par les réserves minimales. Après cette hausse, de
simples crédits ont souvent remplacé les paiements à trois mois par lettre
de change. Ces crédits couvrent les délais des paiements acquittés par
simple virement bancaire dans les trois mois par les clients. Le taux
d’escompte ne sert plus que pour de simples crédits à court terme, avec ou
sans rachat de lettre de change. Le taux d’escompte est relativement cher. Il
n’est destiné qu’aux nécessités passagères des banques privées en mal de
couverture des crédits, et qui sont néanmoins en bonne santé financière.

Néanmoins, le taux d’escompte fournit une partie des revenus destinés à


couvrir les frais de fonctionnement de la Fed. Les autres revenus
proviennent des intérêts perçus sur les Bons du Trésor acquis au travers des
opérations d’Open Market. D’autres sources de revenus sont les intérêts sur
les placements effectués avec les réserves en devises, ou les charges
perçues pour divers services aux banques privées (clearing…). La Fed a
peu de charges par les rémunérations en intérêts des dépôts selon le taux
directeur, car ce taux influence surtout les taux du marché sans
véritablement être d’application. Les bénéfices de la Fed sont reversés
presque intégralement au Trésor US.

Mixte monétariste et keynésien, ou « reaganomie »


Contrairement à l’objectif monétariste fixé, les déficits des budgets de
l’État apparaissent dans les années 1980. Les baisses des taux d’imposition
se répercutaient immédiatement sur les budgets de l’État. Par contre, elles
devançaient de plusieurs semestres les hausses des revenus fiscaux qui
proviendraient de la relance économique. D’autre part, certains frais
d’administration, les grands investissements en cours, les dépenses
militaires « stratégiques » étaient jugés incompressibles.

Pour couvrir ces déficits, l’État s’est financé par des Bons du Trésor. La
monnaie pour acheter les Bons du Trésor était puisée dans les bas de laine.
L’État dépensait la monnaie collectée. La circulation monétaire avait
augmenté. L’État générait par là de l’inflation. Il obligeait la Fed à hausser
son taux directeur pour empêcher le décollage de l’inflation. Cette hausse se
répercutait sur les taux d’intérêt exigés pour les crédits postérieurs. L’État
s’était accaparé les prêts bon marché. Les crédits bon marché n’étaient plus
disponibles pour le secteur privé. Avec ces déficits étatiques, l’on parlait
d’un « effet d’éviction » des crédits bon marché qui étaient arrachés au

366
secteur privé. L’effet d’éviction représentait une aggravation des difficultés
des entreprises. Elles voyaient leurs bénéfices baisser par les charges
d’intérêt accrues, ou par le manque à gagner des investissements éliminés.
S’en suivaient une dégradation des revenus des impôts et une accentuation
des déficits de l’État. Depuis les années 1960, les monétaristes purs et durs
semonçaient les gouvernements de cet effet d’éviction des déficits publics.

Dans les années 1980, les USA ont finalement plutôt appliqué une mixte
monétariste et keynésien pour soutenir l’économie. Du monétarisme, ils ont
gardé la lutte contre les déficits des dépenses étatiques, et contre l’inflation
qui paralysait les investissements industriels, et donc l’offre. Du
keynésianisme, ils ont creusé l’endettement de l’État pour financer la baisse
des impôts afin de relancer la demande. Les économistes reconnaissaient
une complémentarité d’une politique de soutien de la demande court-terme
par l’endettement, avec une politique de soutien de l’offre moyen-terme par
la réduction du rôle de l’État dans l’économie, tout en recherchant la
stabilité des prix. C’était la stratégie économique sous l’ère Reagan qui a
été appelée la « reaganomie ».

Le gouvernement avait jugé une politique économique purement


monétariste trop austère. Si l’on s’était contenté d’augmenter les taux
d’intérêt sans baisser les impôts quitte à glisser vers un déficit public, la
confiance et la croissance n’auraient suivi que trop tard. Il n’y avait peut-
être pas d’autre solution pour éliminer l’inflation sans dommage politique
pour le président Reagan. Les tensions sociales et politiques auraient été
avivées et la popularité du président irréversiblement écornée. Le président
Reagan a survécu à la déculottée politique aux élections de mi-mandat
présidentiel de 1982. Les républicains perdaient toute majorité au Congrès
après deux ans d’intérêts élevés et de cure de l’inflation. Dès 1983, la
croissance était de retour aux USA (jusqu’à 6 % d’augmentation annuelle du
PIB hors inflation) et le chômage baissait dès 1983 (jusqu’à 7 % de la
population active). Malgré l’accroissement des inégalités sociales, le
président Reagan était triomphalement réélu en 1984.

367
Le dollar à la place des pièces d’or depuis les années 1980

Remontée du dollar et retour vers l’étalon-dollar


pour les devises
Dans les années 1980, la Fed maintenait son taux directeur élevé pour
réduire l’inflation. Elle forçait ainsi la remontée des taux d’intérêt des
banques privées. Ces taux d’intérêt élevés, autant que le retour de la
croissance économique et donc boursière de l’Amérique de Reagan,
attiraient massivement les capitaux étrangers. Les capitaux étaient
fatalement changés en dollar, et la remontée du cours du dollar était
irrésistible. Le dollar était redevenu fort après le passage à vide des années
1970. De nouveau, le monde a confiance en la valeur du dollar comme
monnaie forte. C’est une des raisons de l’utilisation fréquente du dollar
pour les libellés des contrats internationaux d’échanges commerciaux,
toujours acquittés à terme de plusieurs mois avec les pratiques nées de
l’utilisation de la lettre de change. Aussi, les crédits internationaux sont
fréquemment libellés en dollars. Le dollar s’est érigé en l’étalon officieux,
à défaut d’être officiel. Les monnaies sont comparées à l’étalon-dollar,
comme les longueurs sont mesurées selon l’étalon-mètre.

Les contrats commerciaux et les crédits libellés en dollars imposent au


monde une certaine discipline monétaire. Aussi, les statuts du FMI ont été
amendés en 1976, après l’éclatement des taux de change fixes en 1973.
Trois nouveaux objectifs ont été confiés au FMI : rechercher la croissance
dans la stabilité raisonnable des prix, assurer la continuité et la consistance
de la politique monétaire, éviter les manipulations de taux de change.
Depuis, le FMI continue d’octroyer des crédits accompagnés de ces
recommandations.

Des monnaies accrochées au dollar


Dès lors, les Banques Centrales des pays de la planète tentent de
maintenir stable le taux de change de leur monnaie envers le dollar. En plus
de la lutte contre l’inflation, le maintien d’une monnaie stable par rapport au
dollar est l’autre motivation d’un contrôle de la multiplication de la
monnaie. Le dollar est la principale monnaie de réserve de chaque pays,
comme l’étaient les pièces d’or autrefois. Le dollar a dépassé l’or en tant

368
que monnaie de réserve pour les Banques Centrales. Le dollar est la
deuxième monnaie de nombreux particuliers. En fait, certains pays
constatent la circulation de deux monnaies. L’une est la monnaie locale,
l’autre le dollar comme monnaie de réserve personnelle. Il est ainsi
possible de payer en dollars ou en riel au Cambodge, en dollars ou en pesos
à Cuba… avec préférence au dollar naturellement. L’on se retrouve comme
au temps du bimétallisme avec les pièces d’or sauvegardées et les pièces
d’argent ou de billon pour les paiements.

En ces temps de volatilité financière, le dollar est plus que jamais la


référence. Mais des pays sont gangrenés par une réputation d’indiscipline
monétaire. Les gouvernements antérieurs ont sabordé leur propre économie
avec leur propre planche à billets, et même sans la fausse monnaie de
l’Opération Bernhard des nazis. Ils sont dès lors fréquemment menacés par
des vagues de spéculation. Pour tenter de regagner une certaine stabilité des
cours du change, la Banque Centrale du pays promet alors de contrôler son
volume de crédits et de prêts. Promis, juré. La Banque Centrale peut même
aller jusqu’à garantir une convertibilité-dollar officielle de son billet à la
manière d’une convertibilité-or digne du XIXe siècle. On parle
« d’accrocher » sa monnaie au dollar. Pour rester connectée au dollar
stable, la politique monétaire de la Banque Centrale de la monnaie
accrochée doit être calquée sur la politique monétaire de la Fed. Ce
mécanisme d’accrochage est risqué. La crise argentine en 2001 s’explique

369
ainsi en partie par un peso accroché au dollar et surévalué par rapport aux
monnaies des pays voisins (Brésil, etc.). Le peso argentin n’était plus en
phase avec sa « zone monétaire » locale. Les exportations argentines étaient
défavorisées. La crise argentine sera détaillée dans le dernier chapitre.

Dollarisation
En cas d’instabilité ou d’indiscipline monétaire chronique, les gens
peuvent rechercher l’usage de pièces d’or ou plus souvent de dollars.
Aussi, les autorités d’un pays peuvent officiellement décider d’en revenir
aux pièces d’or, ou plutôt aux dollars comme monnaie nationale. C’est la
« dollarisation ». Un pays s’y contraint quand l’inflation conséquente de la
multiplication des crédits et de la monnaie est plus appréhendée que la
déflation par manque de monnaie. Avec la dollarisation, le vice de
l’inflation est extirpé de l’économie. Le taux de change de la monnaie du
pays est stabilisé par rapport à l’économie dominante des USA. La médaille
a un revers. Le pays risque de retomber dans la déflation. Il s’agit presque
d’un retour aux pièces d’or. L’Équateur a ainsi remplacé sa monnaie
nationale en 2000, au taux de change de 25000 sucres contre 1 dollar.
L’Équateur a préféré opter pour les dollars que pour les pièces d’or. Les
banques d’Équateur assurent alors une couverture-billets ou des réserves
minimales en dollars, et elles créditent prudemment en monnaie scripturale
libellée en dollars. Sans mine de dollar, le pays doit emprunter des dollars

370
à hauteur de la masse de dollars-billet nécessaires à la circulation en rue et
aux couvertures-billet des banques. Il faut donc payer les intérêts de ces
prêts en dollars, ou au moins vendre des produits pour acquérir des dollars.
Tout profit pour l’exploitant de la mine de dollars : les USA. Ils importent
d’Équateur, paient en dollars facilement imprimés, et ne voient pas la
totalité de ces dollars revenir.

Mine à dollars et déficit commercial US


Le déficit commercial américain est comparable à l’exploitation d’une
mine d’or. Des pays vendent aux USA, mais ne dépensent pas les dollars
obtenus. Ils les thésaurisent comme des pièces d’or. Le dollar tend vers un
véritable bien-intermédiaire ou une monnaie-marchandise comme de l’or.
Les USA possèdent la « mine à dollars » comme d’autres possédaient des
mines d’or ou d’argent autrefois. Les autres pays ont seulement une
« planche à billets », tandis que les USA ont une mine à dollars.

La Fed peut continuer à créditer ou à multiplier les dollars tant que


l’inflation est limitée. Dans le même temps, les USA sont capables
d’importer et de payer avec des dollars empruntés à la Fed. Le change du
dollar ne faiblit pas, car il est soutenu par une demande externe comme
monnaie de réserve. La « balance des paiements » en dollars (total des
paiements pour les échanges de biens et des placements dans des produits
financiers ou dans les investissements dans des entreprises) est équilibrée

371
malgré un déficit commercial important. Le déficit commercial des USA
grimpe même à des sommets. Malgré le déficit commercial gigantesque, le
dollar reste fort. Même une dévaluation du dollar ne serait pas dramatique
pour l’économie US qui n’a pas de dettes libellées en devises. De plus, un
retour des dollars dépensés aux USA remplirait les carnets de commandes,
ferait tourner les machines… et baisser le chômage.

Certains économistes ont critiqué ce « privilège » du dollar. Déjà à


Bretton Woods, le dollar était confirmé comme équivalent or, et donc
monnaie de réserve, contre l’avis de certains. Ainsi, les espoirs de la
délégation britannique pour une monnaie internationale ont été déçus. Les
projets d’une nouvelle monnaie émise par une nouvelle banque
internationale sont retournés dans les cartons. Le pays vainqueur de la
Deuxième Guerre mondiale voulait s’arroger ce droit de « mine de
papier ». Il souhaitait peut-être se renforcer en vue de la guerre froide à
l’horizon des alliés affaiblis par 5 ans de destruction. Depuis, les critiques
ont continué, comme en 1960 avec Robert Triffin. Pour avoir dénoncé ce
« privilège » en pleine guerre froide, il lui en coûta, dit-on, un prix Nobel
en économie.

Même les pays ennemis des USA se sont toujours constitué des réserves
en dollar, plutôt qu’en pièces d’or. En pleine guerre froide, l’URSS et
d’autres pays craignaient de voir ces réserves saisies aux USA. Ils ont
préféré transférer leurs dollars à la City de Londres. Ainsi est né le marché
des crédits en « eurodollars » sur base de ces comptes en banque libellés
en dollars. Le taux d’intérêt pour ces dépôts est lié au « LIBID » pour le US
dollar (London Interbank Bid rate), et le taux d’intérêt pour les crédits
s’inspire du « LIBOR » du US dollar (London Interbank Offered Rate). Ce
marché financier s’est développé énormément entre 1973 et 1981. Par
ailleurs, le terme pétrodollar, légèrement postérieur, a été construit par
assimilation avec le terme eurodollar.

Les DTS du FMI plutôt que les pièces d’or ou les


dollars ?
En 1969, les Banques Centrales, occupées à soutenir les taux de change
fixes, avaient besoin de nouveaux prêts. Une augmentation des quotes-parts
était nécessaire. Cette fois, des prêts en dollars étaient problématiques. La
Fed commençait à manquer d’or pour couvrir ses prêts en dollars-billet
encore théoriquement convertibles.

372
La banque internationale du FMI a alors obtenu le droit d’émettre des
« DTS » (Droits de Tirage Spéciaux) en rapport aux dépôts en or ou en
devises des quotes-parts des pays membres. Les DTS ont été émis au départ
comme monnaie à une valeur associée à celle de l’or, même si cette
monnaie était inconvertible. Les dépôts en or ou en dollars convertibles-or
feraient des crédits en DTS du FMI. Les bénéfices par les intérêts de ces
crédits seraient payés aux membres du FMI. Depuis 1973 et l’éclatement
des taux de change fixes et l’abandon de tout lien entre les monnaies et l’or,
le DTS n’est plus défini en or. Il est défini à partir d’un panier composé des
principales monnaies de réserves du FMI (actuellement en dollars, euros,
yens et livres sterling). La cotation ou le taux de change du DTS se trouve
renseigné dans les journaux financiers ou auprès de son émetteur, le FMI.
Les DTS ne sont pas imprimés comme des billets de banque. Ils sont
impalpables. Ils sont néanmoins une réelle monnaie de compte. Ils sont
crédités et non pas prêtés. Ils sont utilisables entre Banques Centrales
comme moyen de paiement. Le FMI continue donc de recevoir les demandes
de prêts en devises fortes, ou de crédits en DTS.

Cette dernière monnaie ne représente que quelques pour cent du total


des réserves conservées par les Banques Centrales, loin derrière les
quantités des réserves d’or et surtout de dollars. Le succès de l’utilisation et
de la demande de crédits en DTS reste minime auprès des Banques
Centrales. Celles-ci préfèrent les monnaies traditionnelles. Les USA et leur
économie inébranlable gardent en mains l’avantage de la mine de dollars.
La mine de dollars n’a donc pas été remplacée par la mine de DTS au profit
d’un plus international FMI.

Par ailleurs, la création monétaire des DTS n’est pas vraiment


inflationniste, car elle est surtout sensée se substituer aux réserves en
devises des Banques Centrales, plutôt que de s’ajouter aux créations
monétaires des devises en circulation.

373
Les monnaies européennes stabilisées jusqu’à l’euro en
1999

La fin du keynésianisme en Europe après 1980


Au début des années 1970, l’endettement keynésien qui jusque-là avait
été euphorisant, se dégradait en drogue. La croissance était artificiellement
excitée par l’illusion monétaire. On avait encore l’espoir d’une reprise
économique par une impulsion étatique keynésienne financée par
l’endettement. Les banques privées se constituaient des dépôts et
octroyaient des crédits avec la bénédiction des Banques Centrales.
Certaines banques privées augmentaient même leurs capacités de crédits
par des emprunts obtenus en eurodollars ou dans d’autres marchés
parallèles à celui de la Banque Centrale. Ces banques court-circuitaient les
Banques Centrales pour prêter et créditer à leur guise. L’endettement et
surtout l’inflation augmentaient toujours plus.

Vers 1974, l’économie trébuchait avec le premier choc pétrolier.


Néanmoins, la croissance reprenait entre 1976 et 1979 avec une création
monétaire toujours importante. Pour la plupart des pays européens, le taux
d’inflation annuel était alors supérieur à 10 %. Ensuite en 1979, après le
deuxième choc pétrolier, les dettes publiques, limitées et temporaires
pendant les Trente Glorieuses, explosaient au début des années 1980. La
plupart des pays européens étaient plus endettés que les USA. La situation
des USA était nettement moins fâcheuse. De fait, les USA avaient la mine à
dollar, et leurs contrats libellés en dollar qui les vaccinaient contre les
dévaluations du dollar. Les autres pays n’avaient que l’endettement pour
colmater le déficit public comme pour soutenir leur monnaie.

374
Après 1980, avec les déficits publics mirobolants et les cours du change
perturbés, les pays européens ont renoncé les uns après les autres au
keynésianisme. La France a renoncé presque en dernier au keynésianisme.
Au début des années 1980, elle a tenté un ultime baroud d’honneur
keynésien. L’État français a augmenté les dépenses pour relancer
l’économie. Il se finançait par un déficit budgétaire qui s’accumulait avec
l’endettement antérieur. La demande devait être relancée par des embauches
de fonctionnaires, la revalorisation des salaires minimum, les
investissements publics, les crédits aux entreprises privées, etc. Mais il
s’agissait de gabegie en pleine inflation, plus que d’investissements pour
conjurer la déflation. Les produits français n’étaient pas meilleur marché
par des salaires minimum augmentés et d’autres charges supplémentaires.
Avec des coûts et donc des prix de vente plus élevés, les produits français
n’ont pas trouvé de débouchés à l’étranger. Les marchés étrangers
s’effondraient même. De cette multiplication de la monnaie, seules ont suivi
l’inflation et la dévaluation conséquentes de la baisse des exportations.
L’échec de la bien mauvaise imitation d’une relance keynésienne était
retentissant. On ne peut relancer l’économie « par les salaires ». La
consommation ne peut jamais venir avant la production, et donc le travail et

375
les salaires. Dès 1983, la France montait dans le train des autres pays
européens vers l’économie monétariste.

Vers une politique monétariste et néolibérale en


Europe dans les années 1980
Dès 1976, la Grande-Bretagne met sur pied une politique monétariste et
néolibérale. Il faut la fermeté de Margaret Thatcher pour parvenir à
l’appliquer dès 1979. Elle applique le même traitement à l’économie que
Reagan, avec un démantèlement des entreprises publiques plus prononcé
pour financer des baisses d’impôts et compenser un déficit public plus
important au départ. La Grande-Bretagne a vu sa croissance dépasser celle
du continent européen. Cependant, les critiques sur les inégalités sociales
croissantes sont encore là.

376
L’Allemagne par sa Banque Centrale, la Bundesbank, pratiquait déjà une
politique monétariste de lutte contre l’inflation depuis longtemps. Le
traumatisme des deux tornades d’hyperinflation dans les années 1920 et à la
sortie de la guerre 1940-45 n’était pas effacé. Avec ces cauchemars en tête,
l’Allemagne contrôlait déjà avec rigueur l’inflation des prix en marks
depuis les années 1950.

Ensuite, les autres pays européens ont fini par appliquer une politique
monétariste par leurs Banques Centrales avec des taux d’intérêt élevés
comme pour la Fed.

L’application du néolibéralisme est par contre plus circonspecte. Le


modèle économique est contesté. La résistance prononcée au modèle
néolibéral se légitime par la fracture sociale entre riches et pauvres, et par
la persistance du chômage même aux USA modèles. L’approche européenne
devait aussi être différente des pays anglo-saxons devant tant de déficits
budgétaires déjà cumulés qui empêchaient les réductions d’impôts à couvrir
par un endettement supplémentaire et même temporaire. Néanmoins, le
néolibéralisme a fini par gagner du terrain. Les privatisations sont
aiguillonnées par les vœux européens de suppressions des monopoles
d’État des pays membres. Les libéralisations de certains secteurs de
l’économie aboutissent à des regroupements d’entreprises. Les partenaires
européens entament un long cheminement vers l’union économique. La
volonté d’unification s’appuie sur des libéralisations plutôt que sur un grand
système centralisé et étatique européen plus difficilement gérable dans une
Europe encore divisée politiquement.

Dans la deuxième moitié des années 1980, la récession résultante des


efforts déflationnistes pour terrasser l’inflation est surmontée. La croissance
est de retour en Europe comme aux USA. Cependant, la croissance reste
insuffisante pour résorber le chômage. Même aux USA ou en Grande-
Bretagne, une politique monétariste et néolibérale appuyée n’a pas résorbé
le chômage. Partout, la croissance est qualifiée de « molle », quand elle
n’est pas négative lors des années de récession. La croissance du
capitalisme néolibéral n’atteint pas les niveaux records des Trente
Glorieuses (croissance du PNB des pays d’Europe de l’Ouest de 2,1% par
an pour 1973-1998 contre 4,8% par an pour 1945-1973).

Le SME

377
Dès l’éclatement des changes fixes par rapport au dollar vers 1973,
certaines Banques Centrales européennes avaient tenté de maintenir les taux
de change de leurs monnaies relativement proches entre eux. Les
interventions des Banques Centrales se sont même accentuées plus
qu’atténuées après 1973. L’expérience du « serpent monétaire » s’est
soldée par un échec.

En 1979, face à l’instabilité du change du dollar, et surtout pour mettre


un terme aux dévaluations compétitives entre pays européens, l’Europe a
mis sur pied le « SME » (Système Monétaire Européen) comme un nouveau
départ du « serpent ». Le SME avait comme vocation de stabiliser les
fluctuations des cours du change, afin d’atténuer les désagréments pour les
importateurs et les exportateurs entre voisins européens. Par le SME, les
pays européens voulaient maintenir les taux de change stables entre leurs
monnaies, à +/- 2,25 % par rapport à la moyenne pondérée des taux de
change. Cette moyenne était également une monnaie de compte : l’« ECU »
(European Currency Unit) qui était composée au prorata du poids des
monnaies du SME. Les Banques Centrales s’engageaient à soutenir de
concert une monnaie en difficulté. Elles achèteraient sur les marchés de
change une monnaie sous-évaluée qui flirtait avec les marges inférieures du
SME. Pour acheter, les Banques puisaient dans leurs réserves de devises ou
dans leur « mine de papier » de leur propre monnaie. En cas de
surévaluation, chaque Banque Centrale vendait des liasses de sa monnaie
surévaluée contre des devises. Pour cela, la Banque n’a qu’à piocher dans
sa mine de monnaie locale, et donc s’autoriser un crédit par simple écriture
et pure création monétaire.

Bien sûr, ces pays veillaient à contrôler la multiplication de leur


monnaie dans la direction de prêts rentables plutôt que de dépenses
inflationnistes. Parfois, les bonnes intentions n’ont pas suffi. Des
investissements infructueux et financés par de l’endettement ont été réalisés
dans les secteurs privés ou publics. Ils ont généré plus de multiplications
des crédits, et donc de la monnaie, que de productions de biens. Il y avait
trop de monnaie en circulation par rapport aux biens produits. L’inflation
reprenait, et dans le cadre des taux de change stables du SME, la monnaie
servait à importer des biens. Deux options s’offrent alors à la Banque
Centrale : emprunter des devises pour tenter de se maintenir dans le SME,
et voir sa dette augmenter, ou rompre l’accord de maintien de taux de
change et dévaluer. Cette deuxième option risquait de provoquer des
faillites en série, et de gratifier largement les spéculateurs qui avaient

378
changé leur monnaie faible en devises fortes avant la dévaluation. Certaines
Banques Centrales de pays du SME ont connu quelques dilemmes notoires
avant l’introduction de l’euro. Parmi eux, la France du président Mitterrand.
D’ailleurs, après la débâcle économique de 1982-83 et les attaques
spéculatives sur le change du franc français en 1993, Mitterrand s’est
intéressé à l’économie monétaire, jusqu’à tracer le chemin vers l’euro.

Critères d’adhésion à la BCE et à son euro


Le SME a néanmoins orienté les politiques économiques vers la
convergence et la stabilité les taux de change. Certains membres du SME
ont voulu aller plus loin. La mise sur pied de la « BCE » (Banque Centrale
Européenne) a été décidée. Cette Banque Centrale commune aux différents
pays membres serait autorisée à émettre les billets d’euros circulant dans
ces pays. Une plus grande stabilité entre les monnaies était encore
nécessaire pour arriver à des taux de change quasi fixes avant le saut vers
l’euro. Les politiques économiques devaient s’harmoniser pour remplir
5 critères d’adhésion à l’euro endéans plusieurs années :

1. Limitation du déficit public annuel de chaque État à 3 % du PIB.


Aucun État ne peut absorber trop d’épargne aux dépens des autres
États ou des entreprises. Cet effet d’éviction qui pompe le crédit bon
marché a déjà été signalé.

2. Limitation de la dette publique cumulée de chaque État à 60 % du


PIB, toujours pour éviter un effet d’éviction. Des dispenses ont été
accordées aux pays les plus endettés, car la réduction du déficit a
surtout été appréciée.

3. Rapprochement des taux d’intérêt à long terme sur les obligations


vers la tendance basse des taux d’intérêt pratiqués dans la future zone
euro, encore pour éviter un effet d’éviction.

4. Limitation de l’inflation nationale à un niveau proche de l’inflation


moyenne des 3 pays les plus rigoureux. Ceci faciliterait la reprise en
main de l’inflation par le seul taux d’intérêt directeur de la BCE.

5. Rapprochement des taux de change de la monnaie des parités


moyennes définies dans les accords du SME. Donc, les marges de
fluctuations du SME devaient se resserrer.

379
La BCE a été installée à Francfort, au sein du pays économiquement le
plus puissant. Depuis, des gouverneurs nommés pour des termes longs
administrent la BCE. Ces gouverneurs sont sensés être indépendants des
pressions des États. Une nouveauté pour la plupart des États habitués à
dicter leur loi à leur propre Banque Centrale. Jusqu’à l’instauration de la
BCE, le contrôle public d’inspiration keynésienne avait influé sur la gestion
des Banques Centrales. Seule l’Allemagne avait une Banque Centrale
indépendante de longue date (1957). Elle y tenait, car elle avait été
traumatisée par les hyperinflations de 1922, et aussi de 1945. L’Allemagne
a pesé de tout son poids pour une BCE indépendante des États aux pulsions
inflationnistes à la mode de Néron. De plus, un euro qui se multiplierait à
l’excès asphyxierait aussi l’espoir de certains de voir la « mine d’euros »
venir concurrencer la « mine de dollars ».

Depuis 1999, les Banques Centrales des pays de la zone euro dépendent
de la BCE. Toutes les réserves minimales des banques privées ont
virtuellement été transférées des Banques Centrales vers la BCE. La BCE,
avec les réserves minimales, ses opérations d’Open Market au travers des
anciennes Banques Centrales, et son taux directeur, influence fortement le
volume de crédits octroyés par les banques privées de la zone euro. Le taux
directeur est appelé officiellement le « taux de refinancement ». Il est
encadré par deux autres taux : un taux plancher et un taux plafond. Le taux
plancher empêche des rémunérations en intérêts trop basses des dépôts par
la concurrence du taux plancher de la BCE (facilité de dépôts). Le taux
plafond prévient des charges d’intérêt excessives qui seraient exigées pour
les crédits par le jeu de l’offre du taux plafond de la BCE (facilité de prêt
marginal).

La BCE émet depuis sa création des billets d’euro. Cependant, jusqu’en


2002, les billets nationaux ont encore circulé selon une parité fixe envers
l’euro.

Multiples trésoreries nationales dans la zone euro


Certains critères de rapprochement économiques, uniquement
contrôlables par les États, sont encore d’application après l’introduction de
l’euro, et ils ont pour but de contrebalancer l’unicité de la BCE et de son
seul taux directeur face à la multiplicité des Trésors des États membres de
la zone euro.

380
Paradoxalement, aucun mécanisme de contrepoids du taux directeur
n’existe vraiment. La zone euro est toujours sans système de compensation
économique comme aux USA. De Washington, le gouvernement fédéral
américain peut réactiver l’économie des États souffrant le plus d’un taux
directeur élevé ou d’un dollar trop fort défavorisant les exportations hors
état et l’emploi local. Washington peut diriger ses agences fédérales
(éducation, budgets militaires…) ou la sécurité sociale pour transférer des
fonds des États forts (New Jersey, Connecticut…) vers les États faibles
(Dakota du Nord, Nouveau Mexique…). De son côté, Bruxelles n’a qu’un
budget limité (moins de 2 % du PNB européen) en comparaison de
Washington (au-delà de 40% du PNB américain).

381
382
Coïncidence : Les USA jugulent l’inflation, et
leur économie domine le monde.

Quand les idées monétaires de Keynes s’essoufflent, les conceptions


monétaristes prennent le relais. L’inflation devient alors la principale
préoccupation. L’économie retrouve la croissance pendant presque 10 ans
entre 1983 et 1991. L’économie des USA est forte, diversifiée par le secteur
privé, et efficace grâce à la high-tech autour des ordinateurs. Les USA
peuvent accroître leurs dépenses d’armement. Les missiles Pershing se
dressent en face des SS-20 en Europe. Les USA lancent le projet de la
« guerre des étoiles » pour se défendre de missiles ennemis, et surtout pour
obliger l’URSS à une coûteuse et folle course à l’armement. Malgré les
budgets militaires pharaoniques, la réussite économique des années 1980
maintient Reagan à la présidence. La déflation du début du XXe siècle
n’étouffe plus l’économie depuis Keynes, et l’inflation semble jugulée en
suivant les recommandations de Friedman.

Sous la pression américaine, l’économie soviétique est accablée par les


charges militaires. Elle s’est empêtrée trop longtemps dans le secteur
secondaire des industries lourdes, et elle n’est jamais parvenue à franchir le
pas vers le secteur tertiaire des services. Son système soviétique était déjà
inadapté après 70 ans de vie. Ridicule quand Rome avait tenu près de mille
ans avec des marchés rudimentaires autour du seul secteur primaire de
l’agriculture. En 1985, l’URSS désigne un réformiste au Kremlin :
Gorbatchev. Il lance la perestroïka. Mais l’économie soviétique ne se
revitalise pas. Au contraire, le mur de Berlin est concassé, et le marxisme
est déplumé, ou en tout cas les communistes sont bannis du pouvoir.

À la fin du XXe siècle, la Pax Americana semble succéder à la Pax


Britannica du XIXe siècle. Un « nouvel ordre » mondial est théorisé.

383
9. Les turbulences du
monétarisme

384
Deux accidents économiques vers la fin du XXe siècle

La récession de 1990-1991
Un krach boursier s’est produit en 1987. La chute des cours des actions
en Bourse était la plus sévère dégringolade en un jour depuis le krach de
1929. Malgré l’effroi et les souvenirs, les politiques monétaires sont
parvenues à amortir l’impact de la secousse du krach. Une politique
monétaire appropriée a contenu la contraction de l’économie, contrairement
au XIXe siècle ou après 1929. En 1987 et 1988, la Fed et d’autres Banques
Centrales baissent leurs taux directeurs pour alléger les charges du crédit et
conserver un bon volume de monnaie en circulation. Cette mesure concertée
entre les Banques Centrales atténue le ralentissement économique.

Ensuite en 1989-1990, les taux directeurs des Banques Centrales sont


encore descendus vigoureusement. L’inflation a repris suite à cette baisse
des taux un peu trop appuyée. Cette inflation était une des causes, avec la
guerre du Golfe, du ralentissement économique de 1990-1991. La
consommation a fléchi jusqu’à entraîner l’économie en récession sans que
les États parviennent à soutenir la consommation et la croissance. Le
modèle économique monétariste montrait ses limites relatives ou sa
sensibilité quant à la gestion du taux directeur. En 1992, la faiblesse de
l’économie américaine rattrape le président Bush qui n’est pas réélu.

Selon les monétaristes et les néolibéraux, la crise de 1990 n’était qu’un


petit accroc de passage. Si des ratés existaient, il s’agissait d’apporter
quelques réglages. Ces questions étaient sujettes à des débats. La déflation
et l’inflation semblaient néanmoins bien mieux contrôlées que du temps des
pièces d’or et d’argent ou des billets convertibles.

385
Après 1990, certaines Banques Centrales ont opté pour un « ciblage de
l’inflation » afin d’avertir les futurs mouvements des taux d’intérêt et
influencer les marchés financiers de ne pas croître trop rapidement.
L’inflation devait rester en deçà de 2 % par an, sans viser 0 % obstinément
et risquer la déflation. En effet, les économistes ont prévenu qu’en luttant
trop activement contre l’inflation, la croissance risquait d’être déprimée.
Aussi, une poussée d’inflation, générée par une politique monétaire et
budgétaire relâchée, pouvait avoir un rôle d’absorption des chocs
économiques externes. Par exemple, en cas de hausse des prix du pétrole,
un resserrement trop austère des taux d’intérêt risquait d’étouffer l’activité
économique. Depuis 1991, ces Banques Centrales qui ciblent l’inflation
vérifient surtout l’« inflation de base » ou la « core inflation »en anglais
(qui n’inclue pas les prix agricoles, ni les prix de l’énergie) plus que
l’inflation globale.

Dès 1992, la confiance revenait. Une croissance continue commençait


pendant près de 10 ans, grâce entre autres aux télécoms, à Internet, aux

386
nouvelles technologies, à un relatif ciblage de l’inflation et à la réduction du
déficit public pour éviter l’effet d’éviction. Pour la première fois depuis la
fin des Trente Glorieuses, le chômage commençait à se résorber
significativement. L’annonce d’une reprise infinie était même scandée par
certains.

Un deuxième creux économique après 2001


Durant les années 1990, la croissance était impressionnante. Elle
donnait l’illusion d’une richesse infinie. Les gens étaient euphoriques et
consommaient sans retenue. Les entreprises s’emballaient en investissent
massivement dans les nouvelles technologies.

Les bourses se sont alors mises à grimper dans l’espoir de récolter des
dividendes pharamineux. Spécialement, les cotations des actions à la
Bourse du « NASDAQ » se sont emballées. Cette Bourse, créée en 1971,
est spécialisée dans les entreprises de haute technologie initialement jugées
trop risquées pour être cotées sur le NYSE. Elle est gérée et accédée
entièrement par électronique. Ses ordinateurs centraux sont situés à New
York.

Dès mars 2000, l’indice du NASDAQ a commencé à se dégonfler. Les


Bourses de tous les pays ont calqué cette tendance baissière. La révolution
technologique autour d’Internet ne sera pas aussi rapide qu’espérée. Pire, le
11 septembre 2001 ébranle la confiance du monde, et la consommation a
fléchi encore d’un niveau. Dès fin 2001, le ralentissement économique se

387
confirmait, et il s’accompagnait de l’inévitable remontée du chômage. Seuls
la Grande-Bretagne et quelques autres pays échappaient au marasme.

Le système monétariste et néolibéral montre une certaine sensibilité.


L’on reproche au gouverneur-président de la Fed, Alan Greenspan, de s’être
contenté de contenir l’inflation. Certains considèrent que la surchauffe de la
croissance amplifiée par la spéculation n’a pas été assez découragée par
une hausse plus raide du taux directeur. La vis du crédit n’a pas été assez
serrée pour refroidir les ardeurs des investissements boursiers électrisés
jusqu’à la spéculation.

Un retour de la croissance après 2003 grâce à la


reaganomie
Pour relancer la consommation, les USA tentaient à nouveau la recette
de la reaganomie avec un mixte monétariste, par les taux d’intérêt bas, et
keynésien, par l’endettement.

Dès 2001, la Fed baissait ainsi son taux directeur en plusieurs paliers.
Le taux directeur de la Fed descendait ainsi à un niveau historique de 1 %
en juin 2003. La Fed cherchait à maintenir l’économie à flot, autant qu’à
éviter la déflation.

De son côté, le gouvernement américain creusait son déficit public


couvert par des Bons du Trésor qui absorbaient l’épargne pour une dépense

388
immédiate. Les dépenses de l’État étaient en nette augmentation dans les
budgets militaires ou même scolaires. Avec le déficit public, l’État
dépensait à la place des entreprises et des particuliers frileux à emprunter
pour investir ou dépenser. Aussi, le gouvernement US baissait les taux
d’imposition pour relancer la demande et la croissance. L’endettement
couvrait donc également les baisses d’impôts.

La Fed rachetait une partie des Bons du Trésor dans ses opérations
d’Open Market. Le tandem Trésor – Fed se remettait à pédaler. En fin de
compte, l’État tentait de stabiliser la quantité de monnaie en circulation.
Autant travailler que de se croiser les bras. Pas question de commettre la
même erreur d’un déficit trop timide comme dans les années 1930.
Cependant, malgré la multiplication des dollars par le Trésor et la Fed, et
pour des raisons encore brumeuses, la déflation menaçait un certain temps.

Dans les mois suivants, la reprise économique était palpable. Les


particuliers n’allaient pas épargner indéfiniment. Ils n’épargnaient que pour
se rassurer. Une fois leur situation plus confortable, ils se remettaient à
dépenser. Ensuite, les particuliers s’enrichissaient par l’augmentation de la
production, comme ils augmentaient les revenus fiscaux globaux de l’État.
Le marché de l’emploi, avec un chômage stabilisé à 5 %, connaissait à
nouveau des jours meilleurs.

389
En contrôlant l’inflation
En 2004-2005, le retour de la consommation, des investissements, de la
croissance et… des tensions inflationnistes, obligeait la Fed à remonter son
taux d’intérêt directeur. Mais malgré un déficit public record financé par la
multiplication des dollars, l’inflation ne décollait pas, car la quantité de
monnaie en circulation restait stable et l’épargne absorbait le reste. Aucun
risque de répétition de la stagflation des années 1970 ne semblait menacer.
Les Banques Centrales veillent, car elles sont censées rester garantes de la
valeur de leur monnaie non rongée par l’inflation. Les Banques Centrales
surveillent une croissance excessive de la masse monétaire en cas de taux
d’intérêt trop faibles, selon les principes monétaristes acceptés depuis
l’inflation des années 1970.

Les Banques Centrales surveillent aussi la composante de l’inflation


« par la demande » et donc par des hausses salariales incontrôlées.
L’observation de ces hausses permet surtout d’anticiper l’inflation - pour
mieux la combattre - par les demandes insistantes de crédits des employés
désireux d’acheter une voiture ou une maison. Cette explication keynésienne
de l’inflation était très en vogue du temps des taux d’intérêt constamment
bas, et donc des salaires à contenir. Enfin, les Banques Centrales rappellent
aux gouvernements que l’effet d’éviction, généré par le déficit public,
impliquerait une hausse des taux d’intérêt pour freiner l’inflation. Il semble
que ce dérapage budgétaire à l’image des années 1980 n’est pas à craindre.
Malgré les cris d’alarme face à la lenteur du gouvernement, les coupes
budgétaires sont appliquées.

La Fed et les autres Banques Centrales rappelaient aux gouvernements


les risques de l’effet d’éviction capable d’enrayer la reprise économique.
Le temps était venu de réduire le déficit public par des coupes dans certains
budgets. Aux USA, des budgets à l’éducation ou à l’environnement étaient
coupés. Le déficit public baissait de 4,1 % du PIB à 5,5 %.

Et les taux de change


Après 2003, les USA surveillaient leur endettement international, et
surtout la balance commerciale. Le gouvernement voulait voir son déficit
public relancer l’activité économique nationale, et non pas financer des
importations.

390
Le gouvernement espérait que chaque dollar du déficit public dépensé
pour importer entraînerait la baisse du dollar par rapport aux devises
européennes ou asiatiques. Ainsi, une baisse du dollar rendrait les
exportations plus compétitives, et limiterait le déficit commercial.
L’endettement à la sauce de la reaganomie se convertirait en une relance de
l’activité plutôt qu’en un déficit commercial accru. Après tout, l’éclatement
des taux de change fixes du régime de Bretton Woods rendait possible la
dévaluation du dollar.

De fait, les USA avaient annoncé clairement une nouvelle politique du


dollar faible. Ces déclarations émanaient du secrétaire du Trésor. Le taux
de change du dollar envers les devises est une responsabilité officielle du
Trésor en consultation avec la Fed. Ensuite la branche de la Fed basée à
New York applique les directives du Trésor en intervenant sur les marchés
des devises avec les réserves en dollars ou en devises de la Fed et du
Trésor (Exchange Stabilization Fund).

La chute du dollar était aidée par les capitaux étrangers qui quittaient le
NASDAQ et le NYSE après leur arrivée massive dans les années 1990.
Implicitement, cela signifiait la vente de dollar pour acheter des devises
étrangères. Aussi, les capitaux migraient vers des taux d’intérêt étrangers
plus élevés. De nombreux facteurs déterminent les taux de change, mais leur
ordre d’importance ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes.
Néanmoins, les taux de change sont fortement influencés par les marchés
financiers, plus que par le commerce international de biens et de services.

391
Une concertation informelle des pays les plus industrialisés (G7)
existerait pour utiliser les réserves de devises des Banques Centrales pour
influencer les taux de change. Les Banques Centrales du G7 interviendraient
occasionnellement sur les marchés des devises pour acheter ou vendre à
partir de leurs réserves en devises et par là soutenir ou laisser filer le cours
d’une devise pour influencer les marchés de change. Ainsi, le but recherché
par les pays du G7 serait d’appuyer la chute du dollar et de maintenir les
taux de change envers le dollar faibles. La croissance US relancerait alors
l’économie mondiale. Les USA, forts de leur dollar et avec un marché du
travail suffisamment souple, sont les seuls capables de supporter un tel
endettement, même avec des taux d’intérêt historiquement bas, et surtout une
telle dévaluation de leur monnaie nationale, tant que les prix des
importations ne se répercutent pas dans la mesure de l’inflation. Les
entreprises US, même débarrassées de la concurrence étrangère par la
hausse des prix des importations, baigneraient dans un marché suffisamment
compétitif pour stimuler la production et l’embauche sans augmenter les
prix. Aucune imitation de cette stratégie par d’autres pays n’est vraiment
envisageable.

392
En dehors du G7, les pays asiatiques sont parmi les principaux
acheteurs de Bons du Trésor US. Ils redoutent une baisse trop forte du
dollar délaissé par les capitaux étrangers qui fuient les bourses américaines
depuis la déconfiture du NASDAQ. Cette baisse défavoriserait leurs
exportations vers les USA. Les pays asiatiques prennent en partie le relais
des investisseurs non américains. Ils achètent des dollars et les placent dans
des Bons du Trésor US qui conservent leur attrait. Plus qu’une
multiplication des dollars qui vont et qui reviennent, des paquets de Bons
du Trésor sont surtout imprimés. Finalement, pressée par ces politiques
asiatiques, la Banque du Japon (pourtant dans le G7) laisse filé le cours de
son yen pour favoriser les exportations des produits nationaux qui fuient
aussi une demande interne neurasthénique.

Le meilleur exemple de ces pays asiatiques est la Chine et sa monnaie,


le yuan, qui reste accrochée au dollar et explique aussi une part importante
du déficit commercial persistant des USA. Les entreprises chinoises
préfèrent vendre une bonne part de leur production aux détenteurs de cartes
de crédit américaines, plutôt qu’aux citoyens chinois de seconde zone, peu
qualifiés ou mal financés par un système bancaire archaïque. De fait, ce
système traîne un taux de prêts improductifs de plus de 10 % (prêts non
remboursés et souvent octroyés à coup de dessous de table) quand les
banques occidentales contiennent ce taux à 1 %. La Chine ne fait pas partie
du G7 et elle ne serait donc pas impliquée dans l’accord précité.

Avec ces politiques asiatiques conjuguées aux immenses surplus des


pays producteurs de pétrole, le déficit commercial marchand américain
grimpait au-delà de 5 % du PIB. Si les exportations approchent 15 % du
PIB, un calcul simple révèle que 3 unités sont importées pour 2 unités
exportées et 1 unité empruntée à l’étranger. Mais il ne faut pas s’y tromper :
si déficit il y a, c’est à l’évidence parce que certains agents acceptent de le
financer plutôt que de regarder chuter le dollar. Le dollar garde encore son
« crédit ». Et cette fois, la « mine à dollars » se retourne presque contre le
marché de l’emploi américain.

393
Limites de la reaganomie pour les pays européens
En 2003, les pays européens ne penchaient pas à l’unanimité pour imiter
la reaganomie appliquée aux USA.

Certains invoquaient un marché de l’emploi plus rigide et réglementé en


Europe. La multiplication des crédits ne signifierait pas de la monnaie dans
les mains des acheteurs accompagnée d’embauche pour produire afin de
satisfaire cette demande. La multiplication de la monnaie ne signifierait que
de l’inflation sans hausse de la production par des entreprises frileuses à
embaucher des travailleurs surprotégés.

394
L’endettement cumulé handicape déjà certains pays cancres membres de
la zone euro. Pour cette raison, certains pays européens hésitaient à
s’endetter davantage pour tenter de relancer l’économie. Si les déficits
s’entassent, les jeunes générations devront rembourser au moins les charges
d’intérêt aux rentiers locaux ou étrangers de la dette. Les charges d’intérêt
de la dette ne doivent pas signifier un fardeau supplémentaire et
décourageant d’impôts.

Les tensions existaient entre pays européens en ce qui concerne la


stratégie économique à adopter : stricte ou laxiste quant au déficit public.
Ces déficits publics risquaient de créer un effet d’éviction des pays endettés
par rapport non seulement aux entreprises, mais aussi par rapport aux pays
plus vertueux envers le pacte de stabilité économique autour de l’euro.

De son côté, la BCE veillait à mater l’inflation. Elle était plus stricte
que la Fed en matière d’inflation et donc de crédit trop bon marché. À
moins que la déflation menace autant qu’aux USA. D’autres argumentaient
également que l’euro devait rester en phase avec la politique monétaire des
USA et du Japon en terme d’inflation et de déficit. Dans le cas contraire, les
taux de change de l’euro envers le dollar et d’autres monnaies risqueraient
d’être surévalués, comme l’était la livre sterling à la fin du XIXe siècle.

395
Troisième accident : la crise financière de 2008

Tâche ambiguë pour les Banques Centrales après


2004
Avec la reprise en vue dès 2004, la Fed se trouvait confrontée à un
dilemme à choisir la lutte entre la déflation encore menaçante et l’inflation
annoncée. La tâche était ambiguë au milieu des fanfares d’économistes
redoutant l’un ou l’autre.

Certains économistes claironnaient que les taux d’intérêt étaient trop


bas. Ces taux bas risquaient d’accélérer les fuites de capitaux hors des
marchés boursiers américains et déprimer indirectement les nombreux
consommateurs-spéculateurs. Les fuites de capitaux pouvaient aussi
amplifier la chute du dollar sur les marchés de change, et indirectement
pousser les prix de l’énergie en dollar vers le haut. L’inflation était alors
inévitable de par cette hausse du prix de l’énergie qui se combinerait avec
l’argent facile des taux d’intérêt trop bas.

D’autres économistes allaient dans le sens contraire. Selon eux, la Fed


devait abaisser davantage ses taux d’intérêt. L’inflation ne serait que
temporaire, juste le temps d’absorber la hausse des prix du pétrole et des
importations. Après la stabilisation des prix, la déflation menacerait à
nouveau parmi les consommateurs et entreprises encore méfiants à
consommer et à investir, et donc à faire circuler la monnaie pour éviter la
déflation.

Jusqu’à la fin 2004, la Fed choisissait la deuxième option des taux


d’intérêt bas, comme elle l’avait fait depuis 2002. Cette politique monétaire
à néanmoins aidé l’économie et le marché de l’emploi à redémarrer.

Les taux d’intérêt à long terme suivaient la tendance baissière du taux


directeur de la Fed. L’économie était renforcée par les investissements à
long terme. En fin de compte, les taux à court et à long terme baissaient de
par la neutralisation de l’inflation au fil des dernières décennies.

Prêts hypothécaires et marché immobilier

396
Parmi les prêts à long terme, le marché des prêts hypothécaires
s’échauffait. Avec les taux en baisse, les mensualités des prêts diminuaient
en proportion. Les mensualités devaient très compétitives par rapport aux
loyers locatifs. Ne nombreux locataires gonflaient les rangs des candidats
acheteurs dans l’immobilier.

La baisse des taux signifiait un budget d’achat en hausse en relation aux


payements mensuels du prêt hypothécaire. Par exemple, un prêt de 100 000
euros sur 30 ans avec un intérêt de 8 % équivalait à une mensualité de
733 euros. Par contre, pour un intérêt de 6 %, un prêt de 122 000 donnait la
même mensualité. Avec leur budget d’achat en hausse, les nombreux
acheteurs entraient en compétition et poussaient les prix de l’immobilier
vers le haut.

Le boom immobilier attirait des investisseurs qui construisaient et


vendaient des maisons ou des appartements dont les prix grimpaient sans
s’arrêter. Par ailleurs, ces investisseurs contribuaient à la reprise
économique.

Aux USA, la dérégulation des prêts hypothécaires avait été approuvée


en 1999 par le Président Clinton (Gramm-Leach-Bliley Act). Cette loi
annulait en partie la législation de 1933 (Glass-Steagall Act) qui avait
détaché les banques des marchés boursiers et des compagnies d’assurances.
Le but de cette réforme était de favoriser les prêts hypothécaires bon
marché pour les plus défavorisés en permettant aux banques de se financer à
bas prix dans les marchés boursiers sous la supervision de la Fed. En 2002,
le Président Bush lançait sa « société des propriétaires » pour favoriser
l’accès aux plus démunis vers les banques et le marché des prêts à taux et
risque plus élevé (le marché des prêts hypothécaires à taux élevé, ou plutôt
en deçà des taux préférentiels pour les meilleurs clients – « subprime » en
anglais). Le gouvernement américain espérait réintégrer les plus
défavorisés dans la société par la responsabilisation envers leur maison ou
appartement. Les experts sont en désaccord sur la responsabilité des
dernières administrations démocrates ou républicaines du gouvernement
américain. La discussion peut prendre une tournure très politique.

La chute de l’immobilier dès 2007


En 2007, le marché immobilier américain plafonne avant de commencer
à descendre. Il ne pouvait voler si haut, avec les mensualités des prêts

397
hypothécaires volant trop haut par rapport aux prix des loyers qui étaient
restés stables.

Avec la chute de l’immobilier, le propriétaire d’une maison hypothéquée


ne pouvait plus revendre sa maison à un prix élevé. Pourtant, revendre était
parfois nécessaire dans le cas d’un licenciement ou d’un divorce. Le
propriétaire avait alors deux options : vendre à moindre prix quitte à
assumer une perte si la maison avait été achetée récemment, ou alors arrêter
de rembourser le prêt hypothécaire sur la maison quitte à perdre cette
maison, en laissant la banque se dépêtrer avec cette maison dévaluée.
Beaucoup n’avait pas d’autre choix que la deuxième option, même si cela
représentait la perte de leur épargne investie comme payement de départ de
la maison. D’autres propriétaires arrêtaient de rembourser leur prêt
volontairement, car ils étaient fatigués de payer pour une maison dévaluée
et aussi parce qu’ils avaient emprunté 100 % de la valeur de la maison,
donc sans mise de départ.

Les banques elles-mêmes ne s’y retrouvaient pas dans la revente des


maisons leur retombant dans les mains après l’expulsion des mauvais
payeurs qui avaient parfois emprunté 110 % de la valeur de la maison. Le
marché immobilier implosait vraiment sous les ventes des emprunteurs en
difficultés et des banques saturées de maisons impayées.

Les banques commençaient à afficher des pertes sérieuses à la suite de


la chute du marché immobilier. Bien sûr, les banques restaient responsables
du remboursement de chaque prêt ; elles ne pouvaient en aucun cas
simplement effacer l’ardoise. La régulation les obligeait à utiliser leur
profit pour rembourser les prêts impayés. Les profits légendaires des
banques tournaient en larges pertes. Sur les marchés boursiers, les cotations
des actions des banques s’effondraient. Pour certaines banques, plusieurs
années seraient nécessaires pour revenir à un profit.

Des institutions financières qui n’avaient jamais été spécialisées dans


les prêts hypothécaires se retrouvaient également en difficultés. Elles
étaient en situation précaire pour avoir acheté des prêts hypothécaires
empaquetés sous forme de bons qui étaient vendus telles des obligations. Ce
système d’émission de « créances titrisées » (un paquet de contrats
hypothécaires compilés et échangés contre un contrat ou titre unique qui
était revendu sur les marchés boursiers : « securitization » en anglais) avait
diffusé des prêts hypothécaires dans les marchés boursiers. Cette titrisation

398
limitait le risque de non-remboursement d’un prêt en le noyant dans un
paquet de prêts, tout en offrant un intérêt supérieur aux bons du Trésor. En
fait, cette titrisation existait depuis les années 1970 quand le gouvernement
américain l’avait développée par le biais de ses agences pour la promotion
du marché immobilier (Fannie Mae, Ginnie Mae). Dans les années 1980,
des agents financiers privés (Salomon Brothers, etc.) avaient emboîté le pas
pour financer la demande croissante de prêts immobiliers.

Début 2008, Wall Street commençait à tituber sous le poids des


mauvaises performances des banques d’investissement. De fait, de
nombreuses banques (Merril Lynch, Lehman Brothers, etc.) possédaient ces
titres de créances basés sur l’immobilier. Ces mauvaises nouvelles
déprimaient la confiance dans les marchés financiers. L’économie observait
la dégradation des marchés boursiers et se déprimait à son tour. Les gens
commençaient à retarder leurs achats, et spécialement l’achat d’un bien
immobilier.

Avec le ralentissement économique, le système financier se noyait peu à


peu dans les prêts immobiliers impayés et dans leurs créances titrisées (les
« actifs toxiques ») en pleine chute. Les taux de prêts impayés grimpaient
bien au-delà du 1 % habituel. Ce taux d’impayés atteignait le niveau des
banques chinoises. Les pertes des banques s’accumulaient. Le système
financier battait de l’aile.

399
La crise financière de 2008
En 2008, certaines institutions financières peinaient à revendre leurs
actifs (actions, bons ou autres) dans les marchés monétaires ; elles devaient
souvent vendre à perte. Ces institutions commençaient à afficher leurs
pertes dans leurs résultats (publications trimestrielles aux USA). Par peur
de tout perdre dans ces institutions vacillantes, les institutions en bonne
santé retiraient leurs dépôts des marchés monétaires. La crise de retraits
commençait, bien que confinée aux marchés monétaires, et les institutions
les plus fragiles se trouvaient au bord de la banqueroute.

Par régulation, les banques ne peuvent se prêter de la monnaie – crédit


en monnaie scripturale – à elles-mêmes; les banques ne peuvent que se
prêter des montants limités et régulés (régulation inter-bancaire). La
mission des banques est de créer de la monnaie scripturale en prêtant à des
clients réguliers, pas à elles-mêmes. C’est le couple de la banque et de son
client – marié sous les yeux de la Fed – qui crée de la monnaie.

Pour éviter la faillite, la seule option était d’obtenir un prêt de la Fed.


Et, au début de la crise, la Fed a contenu la crise en ouvrant largement
l’accès à son guichet d’escompte pour les banques en difficulté. La Fed
baissait également ses taux pour faciliter les remboursements des prêts, et
ce, malgré une inflation bien au-delà de 2 %. La Fed tablait sur l’urgence de
la situation et ignorait les risques inflationnistes.

Rapidement, le Trésor US intervenait pour aider la Fed à sauver le


système financier si complexe et si interconnecté. Cette intervention était
nécessaire pour maintenir l’économie d’une crise de l’envergure des années
1930. Les trous financiers des institutions en difficulté étaient tels que le
Congrès US devait voter une augmentation des maximums légaux des prêts
de la Fed par l’escompte ou des achats de bons – ou même d’actifs
toxiques – par les opérations d’Open Market. Ensuite, le Trésor – plutôt que
la très neutre Fed – vendait des bons pour lever les fonds et les injecter
dans les institutions financières en difficultés.

Durant l’automne 2008, la crise emportait Wall Street dans la tourmente


par la peur de voir les institutions financières s’entraîner les unes les autres
dans la chute. L’économie était en état de choc. La plupart avaient prévu une
relative correction du marché boursier, mais rares étaient ceux qui avaient
anticipé un enchaînement de la chute de l’immobilier avec des autorités

400
hésitantes (passives avec Lehman Brothers, bafouillantes quant au vote du
plan de secours financier) ; un marché des prêts hypothécaires paralysé
devant les acheteurs potentiels ; et, un effondrement des prix de
l’immobilier et de la confiance des acheteurs.

L’économie partait en vrille à cause de l’effondrement de la confiance


des consommateurs effrayés de la chute des marchés boursiers et de la crise
bancaire. Aussi, les propriétaires de maison limitaient leurs dépenses, car
ils craignaient de peiner à rembourser leur prêt hypothécaire et donc de
perdre leur maison. Ils étaient coincés avec leur maison sans espoir de la
revendre à un prix décent en cas de perte d’emploi.

Le « Quantitative Easing » de la Fed


Pour ranimer l’économie, la Fed décidait de racheter massivement des
bons du Trésor et aussi des créances titrisées (mortgage-backed securities)

401
émises par les agences du gouvernement fédéral d’aide au logement (Fannie
Mae and Freddie Mac). Ce plan de rachat était connu comme QE pour
« quantitative easing » pour une sorte de « facilité de liquidités ». Ce rachat
massif était effectué par les opérations régulières d’Open Market de la Fed
– autorisée par le Congrès. Ces achats cumulés de la Fed se chiffraient à
700 milliards de dollars depuis 2008 (QE1) et encore à 600 milliards dès
la fin 2010 (QE2).

Le premier objectif du plan était d’injecter de la monnaie dans


l’économie pour éviter la déflation qui menaçait. De fait, la Fed créait des
dollars en masse – ex nihilo – pour payer pour les bons du Trésor ou les
créances titrisées (mortgage-backed securities) qui empoisonnaient les
banques. Indirectement, les mêmes banques pouvaient émerger de la crise et
recommencer à accorder des prêts.

Le deuxième objectif était de réduire les taux à long terme dans le but de
rendre les remboursements mensuels des prêts hypothécaires attractifs par
rapport aux loyers de l’immobilier. La stratégie avait pour but de séduire
les candidats acheteurs et stabiliser le marcher immobilier. Si les taux
d’intérêt à long terme chutaient, alors les taux hypothécaires suivraient, par
le lien entre les deux expliqué précédemment. Avec Fed achetant à tout va,
le prix des bons augmentait et inversement le rendement des bons diminuait.
Dans la foulée, toute nouvelle vente de bons de la part du Trésor ou d’autres
agents financiers pouvait offrir un taux d’intérêt moindre. Il était espéré que
les agents financiers internationaux ne se ruent pas à vendre des bons en
même temps. Dans le cas contraire, la Fed pouvait échouer à faire baisser
les taux à long terme.

Le troisième objectif du plan était de décourager les investisseurs à


placer leur monnaie dans des bons et à rechercher des placements plus
lucratifs dans les technologies ce qui pouvait stimuler l’embauche et le
retour de la croissance.

Le plan de relance du gouvernement américain


Pour relancer l’économie, le gouvernement creusait son déficit en
vendant des bons du Trésor et injectait la monnaie collectée dans
l’économie. Si les gens ne voulaient pas tirer sur leur carte de crédit, alors
le gouvernement le faisait à leur place pour garder les producteurs et les
travailleurs actifs. Ainsi, le gouvernement finançait les projets publics avec
des subsides ou des réductions d’impôts. Cependant, les réductions

402
d’impôts étaient problématiques, car la dette nationale gonflait sous les
coupes d’impôts répétées par les gouvernements précédents.

L’avenir dira si cette nouvelle manœuvre à la reaganomie pouvait


réussir, si les gouvernements parvenaient à investir sagement, et s’ils
pouvaient choisir une politique de stabilisation et même de croissance de
l’économie. Ensuite, les ménages sauraient se rassurer de la monnaie en
main et se remettre à dépenser avec le retour de la confiance.

L’inflation indiquera encore les limites des dépenses publiques


financées par la dette nationale. Une dépense excessive peut réactiver le
marché de l’emploi, mais elle risquerait de réanimer l’inflation à moyen
terme, ce qui forcerait la Fed à augmenter ses taux directeurs et affaiblir la
reprise sur le long terme.

La déflation devrait être évitée. Cette déclaration provient des


monétaristes qui restent confiants que les gouvernements ont appris à
combattre la déflation en multipliant la monnaie, en creusant des déficits, en
soutenant la dépense avec des subsides pour acheter par exemple une
nouvelle voiture (aux USA : Car Allowance Rebate System de 2009).

La reprise mise en doute


Certains économistes doutent que ce plan de relance parvienne à
relancer la machine économique et réduire le chômage comme
précédemment. Ces économistes se souviennent de l’inflation des années
1970 quand les dépenses publiques échouaient à créer des emplois et
tournaient plutôt à l’inflation. Ils se souviennent aussi comment ces
gouvernements des années 1970 peinaient à revitaliser l’économie avec son
système tertiaire des services si complexe à gérer.

De sérieuses secousses pourraient venir encore des marchés financiers.


Les consommateurs gardent un œil sur ces marchés à cause de l’absence
d’autres indicateurs plus encourageants (comme pendant les années 1990
quand les crises asiatiques et russes avaient été vite surmontées par
l’excitation provenant de la nouvelle économie d’Internet). Avec chaque
hésitation des marchés, les gens retiennent leur souffle et leur
consommation. En plus, les larges fonds aux mains des traders – fonds
notamment injectés par la Fed durant chaque ralentissement – peuvent entrer
et sortir brutalement des marchés et dérailler l’économie. Ses masses

403
monétaires ont été caractérisées comme les surplus d’épargne (savings glut)
et surplus de monnaie (money glut).

Le ralentissement de la confiance et de la vélocité


monétaire
Pour les prévisions, les économistes surveillent les indicateurs publiés
régulièrement par la Fed, le Département du Travail, etc. Ils établissent
leurs conclusions à partir de ces données.

Parmi ces données, les indicateurs d’opinion des consommateurs sont


devenus des références pour l’économie. La confiance est mesurée et
analysée par des sondages de consommateurs et leurs sentiments à propos
des dépenses futures. Aux USA, ces indicateurs sont le CCI (US Consumer
Confidence Index) et le MCSI (University of Michigan Consumer Sentiment
Index).

Un autre indicateur du sentiment du consommateur est la « vélocité »


monétaire, précédemment définie. Sur le court terme, la vélocité accélère
durant les phases de croissances, tandis qu’elle ralentit pendant les
contractions économiques.; la vélocité semble suivre la confidence des
consommateurs. Pourtant, sur le long terme – c.-à-d., durant le dernier

404
siècle –, la vélocité a ralenti, car la classe moyenne a apprécié une certaine
épargne à la banque. Peut-être, l’accélération de la vélocité pendant
l’après-guerre a intrigué les économistes. Ces économistes considèrent cette
accélération, parmi d’autres raisons techniques, comme une correction par
rapport à la Grande Dépression, car elle était tombée trop bas pendant les
années 1930 et 1940. Cette accélération d’après-guerre s’est nettement
arrêtée depuis la crise financière de 2008. La tendance de la vélocité
monétaire est donc à nouveau sur la pente descendante, bien que le sujet
divise les économistes.

Cette décélération de la vélocité monétaire pourrait indiquer un


changement du comportement des consommateurs. La large classe moyenne
peut aisément reporter les dépenses, au contraire des paysans affamés du
Moyen Âge. Cette classe moyenne peut désirer acheter une voiture, et elle
peut souhaiter emprunter pour acheter une nouvelle maison au lieu de louer
un appartement, mais elle peut retarder la dépense de peur d’entamer la
monnaie épargnée. Les gens peuvent avoir peur de dépenser à cause de
l’accumulation de dettes en face d’un marché de l’emploi incertain, ou
simplement parce qu’ils n’ont pas besoin de dépenser !

À ce moment, le combat contre la déflation par création monétaire


pourrait être dépassé. La monnaie injectée dans l’économie s’entasserait
passivement dans les comptes en banque, en laissant les autorités perplexes
quant à la stratégie à mettre en place.

L’explosion de la dette publique


L’attente de la reprise économique pourrait signifier un gonflement du
déficit public avant un retour convaincant de la consommation et de la
croissance économique. Alors, la crainte est réelle de voir le déficit annuel
faire exploser la dette publique accumulée sans redémarrage radieux de
l’économie.

La dette publique atteindrait des montants vertigineux avec des charges


d’intérêt disproportionnées par rapport au budget national. En théorie, la
dette peut aller loin. Certains pays sont montés par le passé bien au-delà de
100 % du PIB.

Probablement, l’économie repartira à la hausse avant d’explorer une


dette nationale digne d’un niveau de guerre – par exemple, la dette
américaine était montée à 120 % du PIB en 1945. L’économie trouvera

405
peut-être un nouveau cheval de bataille (comme avec internet ou
l’immobilier) pour réanimer la consommation. Dans le cas contraire, la
décrépitude pourrait se poursuivre.

406
Coïncidence à espérer : Une solution plus large
pour un problème planétaire

Pour sortir de la crise, la solution devrait faire face à deux nouveaux


défis. Premièrement, le réchauffement climatique et ses effets sur
l’agriculture peut faire dérailler la reprise par la famine. Deuxièmement, la
croissance économique pourrait balbutier de par la demande capricieuse
des consommateurs détachés des besoins de base et donc capable de
reporter la dépense, spécialement pour les plus riches et pour la classe
moyenne. Cette instabilité pourrait faire persister le chômage, ce qui
retarderait la reprise économique. Dès lors, le problème semble plus large
qu’un simple ralentissement économique temporaire.

Seuls quelques naïfs croient en une solution simple. Ils veulent plus de
coercition sur les entreprises qui incarnent la richesse usurpée, les
licenciements, la production frivole et les déchets industriels. Ils pensent
que la bureaucratie peut s’amender sous la baguette magique d’un
gouvernement populiste. Ils souhaitent adhérer précipitamment aux accords
bancals de combat du réchauffement climatique (Kyoto, Copenhague, etc.).
Ils ignorent que les excès de contrôle peuvent tuer l’efficacité de toute
mesure en place, favoriser l’économie souterraine, ou nécessiter une police
forte qui favoriserait dangereusement les ambitions les plus despotiques.

407
Les plus extrémistes anticipent la fin d’un capitalisme embourbé dans
des problèmes trop complexes. Ils voient la monnaie comme la cause de
tous les maux. Ils sont prêts à la déchiqueter… à l’instar des effroyables
suppressions de la monnaie de la Russie de Lénine en 1920 ou du
Cambodge de Pol Pot en 1975. La citation de Dostoïevski est bien oubliée
quand elle définissait la monnaie comme : « Une volonté de liberté frappée
dans le métal ».

Et si la solution n’était pas politique du tout (le sénat vote un consensus


compréhensible), mais plutôt monétaire (le sénat déconcerté vote une loi –
écrite par des économistes – qui établit de nouvelles instructions pour la
Banque Centrale) ! Se pourrait-il qu’une solution monétaire tire la planète
hors de l’impasse politique ?

408
409
10. Les monnaies parallèles et le
réchauffement climatique

410
Les cinq monnaies parallèles de l’Argentine de 2001

Origine de la crise de 2005 en Argentine


Pour une approche exhaustive de la monnaie, il faut en évoquer les
différentes facettes des monnaies et des économies parallèles, même si elles
se trouvent en marge du système légal. Souvent ignorées, ces facettes sont
pourtant une partie importante de l’économie.

L’Argentine est une nation intéressante à ce sujet. En effet, ce pays a


traversé une crise économique à partir de 2001, et les Argentins ont trouvé
un certain réconfort dans les monnaies parallèles et leurs marchés
respectifs.

La crise avait son origine au début des années 1990 quand les autorités
décidaient d’attacher la monnaie nationale, le « peso » argentin, au dollar
US. Le peuple fatigué par des années d’hyperinflation, appréciait la
proclamation de cette nouvelle mesure. Désormais, un peso équivalait à un
dollar. La Banque Centrale argentine promettait une politique monétaire
rigoureuse afin d’assurer la convertibilité entre peso et dollar.

Comme l’économie était en miettes après tant d’années de laxisme


monétaire et d’hyperinflation, le FMI a accordé un prêt en dollar à la
Banque Centrale argentine afin de pouvoir honorer sa promesse de
convertibilité du peso vers le dollar. Sur ces saines et stables bases
monétaires, l’économie argentine pouvait redémarrer.

Par la suite, l’Argentine peinait avec sa balance commerciale. Deux


facteurs expliquaient ce déséquilibre. Premièrement, les autorités peinaient
à réduire les déficits publics – toujours politiquement délicat – afin
d’équilibrer les comptes. Deuxièmement, la hausse du dollar, envolé avec
la montée de la « nouvelle économie » et du NASDAQ, entraînait le peso
vers la surévaluation par rapport aux devises des partenaires économiques
limitrophes. La surévaluation du peso handicapait ainsi les exportations. La
Banque Centrale continuait d’accumuler les prêts en devises pour assurer la
convertibilité peso-dollar malgré la faiblesse des exportations en rapport
aux importations.

411
L’endettement des autorités devenait intenable, spécialement pour
alimenter la convertibilité peso-dollar sur les marchés de change par la
Banque Centrale. Le FMI ne continuerait pas à accorder indéfiniment de
nouveaux prêts. À l’évidence, la promesse de convertibilité peso-dollar ne
tiendrait plus longtemps, et les rumeurs couraient. Malgré les assurances et
les démentis des autorités, les retraits des dépôts en banque commençaient
pour convertir les pesos en placements sûrs comme en or ou en dollars. Et
la crise financière est arrivée en 2001. Dès la première faillite bancaire, les
autorités ont agi pour empêcher un écroulement général du système
financier. Des restrictions étaient appliquées aux retraits hors des comptes
de dépôt. Ces mesures étaient implémentées pour empêcher une crise de
retraits. Ces mesures étaient appelées le « corralito ». Quelques jours plus
tard, la crise surgissait. L’Argentine était précipitée dans un violent
tourbillon économique marqué par le manque de monnaie en circulation,
donc la déflation, et par la dévaluation du peso qui était surévalué
jusqu’alors. La crise de confiance paralysait les consommateurs et les
investisseurs.

Des nouvelles monnaies pour contourner le


« corralito »
Pour contourner le manque de monnaie bloquée par le « corralito »,
plusieurs monnaies alternatives se sont développées dans ce pays en crise
économique en marge du « peso » qui reste le billet de la Banque Centrale,
et donc la monnaie principale en circulation dans le pays.

Le « patacon » est un billet de crédit au porteur qui a été émis par des
autorités régionales à 7 % d’intérêts et qui est remboursable en peso… mais
uniquement en fin d’année. Le « lecop » est un billet de crédit similaire au
patacon, mais qui a été émis par le Trésor fédéral. À la sortie de la crise,
les « patacones » et les « lecopes » devaient être échangés contre des
pesos.

412
Ces monnaies ont aidé les Argentins à traverser la crise et la déflation
qui ont suivi les mesures du « corralito ». De fait, les patacons et les autres
billets de banque ont fini par être acceptés en paiement par les magasins et
même les banques. Certainement, leur acceptation n’était pas aussi large
que les pesos ou les dollars, qui restaient les seules monnaies acceptées à
l’étranger. Après tout, les monnaies parallèles ont circulé depuis des temps
immémoriaux comme depuis l’empereur romain Constantin jusqu’à Buenos
Aires in 2001.

En plus, le dollar-billet a continué à circuler dans le pays. Le dollar a


toujours été apprécié pour thésauriser, car il est épargné par une inflation
élevée. Le dollar a longtemps circulé dans de nombreux pays sans être
changé contre la monnaie nationale qui est trop souvent discréditée par
l’inflation nationale provoquée par des autorités irresponsables.

Avec les changeurs de rue, l’on retrouve une représentation de l’usage


des monnaies du Moyen Âge aux Révolutions américaine et française. L’on
retrouve aussi les contrefaçons et les poussées d’inflation (40 % pour les
prix en pesos en 2002 avant une stabilisation en 2003). Même avec des
règles chaotiques, ces monnaies sont acceptées, car une monnaie garde ses
avantages pour faciliter les transactions du marché. Tout plutôt qu’une
économie sans monnaie, donc de troc.

413
Le « crédito » pour redémarrer l’économie parmi les
plus pauvres
Le dernier billet alternatif était le « crédito » qui est un billet créé par
une sorte de « banque » d’un réseau de particuliers. Les nouveaux membres
du réseau de troc paient une cotisation de quelques pesos à la « banque », et
ils reçoivent un certain montant de « créditos » en tant que nouveau membre.

Le « crédito » a pour but de faciliter le troc entre les particuliers


déshérités, car les pesos sont difficiles à obtenir pour ces derniers. Le troc
se développe en parallèle à l’économie régulée par l’État, et ce troc
échappe à la fiscalité. Le réseau est qualifié de « réseau de troc », malgré la
présence d’une monnaie. La classification du système comme réseau de troc
est donc erronée. L’usage du « crédito » transforme le troc de biens en
véritable commerce parallèle avec sa propre monnaie.

Le « crédito » survit à l’inflation conséquente de règles initiales


d’émission trop généreuses, et aussi à la contrefaçon. D’autres pays
d’Amérique du Sud, aspirés par la crise argentine, imitent le modèle du
« crédito ». Autant un commerce en monnaie de « créditos » qu’un troc
pénible de biens.

414
Fin du « corralito » et des monnaies alternatives
Pour conclure la crise argentine, les mesures du « corralito » ont été
suspendues en 2003. La promesse d’équivalence d’un peso avec un dollar
n’a pu être finalement tenue, et le peso a officiellement été dévalué.

L’Argentine pouvait à nouveau émettre des pesos librement et racheter


les patacons, lecops et autres. Les derniers patacons ont été rachetés à la fin
2006.

Après les vagues d’hyperinflation des années 1970 et 1980, après la


tentative risquée de contrôler l’inflation en accrochant le peso au dollar
pendant les années 1990 jusqu’à la crise de 2001, les Argentins pouvaient
enfin apprécier une inflation modérée (en dessous de 10 % de 2005 à
2009). Comme pour les autres pays d’Amérique du Sud, une telle
modération de la politique monétaire est une raison essentielle du
renouveau économique du sous-continent.

415
Le marché noir coincé par la monnaie

Le marché noir pour éviter l’action du


gouvernement
Une dernière économie parallèle existe. Elle est en marge du système
économique légal et fiscal. Cette économie non déclarée, est dite « au
noir », ou encore « contrebande » (dans le cas des douanes), « informelle »
ou « souterraine ».

Caractéristiques du marché noir


Cette économie parallèle, ou ce « marché au noir », a les
caractéristiques suivantes :

· La comptabilité au noir où les transactions sont notées dans un livre


des comptes séparé et secret. Il y a ainsi une double comptabilité pour
certaines sociétés, pour les activités officielles et non officielles. Al
Capone s’est fait arrêté grâce à la saisie d’un de ces livres de comptes, et
condamné pour fraude fiscale.

· Le prix de vente au noir est plus bas que le prix légal, car il échappe à
la fiscalité.

· Le marché noir offre des prix au noir – établi par la compétition entre
gangsters – pour les produits et services interdits. Ces prix sont mémorisés
par les clients habituels.

· Les fournitures et matières premières du circuit en noir proviennent de


la contrebande ou des déchets surestimés en comptabilité.

· Les salaires de la main-d’œuvre au noir sont inférieurs aux salaires


déclarés. Le salaire payé est proche du salaire net, voire encore plus bas
grâce aux allocations de chômage.

· Les emprunts pour financer les activités et les investissements au noir


sont limités à l’entourage familier qui ferme les yeux sur l’absence totale de
contrat légal. Bien sûr, en cas de litige, il n’y a pas de recours en justice
possible.

416
· Pour éviter les contrôles (sur les reçus papier, contrats écrits, etc.), le
marché noir se cantonne dans les activités incontrôlables comme les
services aux individus (construction, commerce de détail, entretien et
réparation des véhicules automobiles, hôtellerie et restauration, etc.).

· Les paiements sont souvent acquittés en billets de banque de main en


main sans odeur ni trace. Environ 70 % des paiements de l’économie au
noir sont acquittés sans trace grâce aux billets de banque. Seuls les
paiements effectués avec une trace en banque sont contrôlables, comme
expliqué du temps des Pharaons.

· Les transactions illégales (achat, vente, salaires, prêts) ont tendance à


circuler en boucle dans l’économie au noir, et certainement en dehors des
comptes en banques de l’économie déclarée. Dans le cas contraire, toute
transaction entre l’économie au noir et l’économie légale peut être décelée
par le fisc qui peut surveiller les comptes en banque.

Surveiller les comptes en banque pour limiter le


marché noir
Pour limiter le marché noir, les autorités exigent que les banques
déclarent toutes les transactions larges (au-delà de 10 000 dollars aux
USA). Le contrôle des comptes en banque est le moyen le plus efficace pour
limiter le marché noir. De cette manière, le marché noir est découragé de
par les difficultés à dépenser les gains. L’économie au noir n’a pas vraiment
sa propre monnaie et en est ainsi jugulée sur base du chevauchement avec
les flux monétaires déclarés. Par exemple, l’achat d’une maison ou d’une
voiture devient difficile si les billets de banque ne peuvent être déposés en
banque sans justification de leur origine.

Le blanchiment de la monnaie au noir est le principal boulet traîné par


l’économie au noir. Ce blanchiment est une activité cruciale pour les
gangsters qui essaient d’injecter leur monnaie dans des comptes en banque.
Ils y arrivent principalement par les paradis fiscaux qui ferment les yeux sur
l’origine de la monnaie. Cependant, la montée de la lutte contre du
terrorisme international a forcé les paradis fiscaux à collaborer avec les
pays industrialisés.

417
In ne sert à rien de se fourvoyer quant au contrôle total de la monnaie
par les comptes en banque. Il est illusoire d’espérer limiter l’économie au
noir par l’accès aux données bancaires à cause des billets de banque. Le
crime organisé est très créatif quant à réussir à réinjecter ses billets dans
les banques. À travers l’Histoire, seuls les pharaons de l’Égypte
ptolémaïque sont parvenus à établir un contrôle total de la monnaie, mais
leur monnaie était de gros volume de grain et non de petites pièces
métalliques.

Si les billets sont supprimés, l’économie souterraine utilisera les billets


étrangers, voire les pièces d’or et d’argent. Dès lors, inutile de tenter de
contrôler totalement les flux en monnaie nationale. Les leçons de l’échec de
la prohibition de l’alcool aux USA rappellent les limites du contrôle
policier. L’existence de l’économie au noir est pratiquement incontournable,
à moins de restreindre dangereusement les libertés individuelles.

418
La circulation des billets est même étudiée pour estimer le marché noir.
Le retour des billets en banque est comparé aux quantités de monnaie
scripturale dans différents pays afin d’évaluer les variations et en déduire
l’étendue du marché noir. D’autres estimations détectent les anomalies de
cohérence entre production, déchets, salaires, et chômage. En fin de compte,
seule une estimation imprécise du marché noir est possible.

Ces estimations du marché noir montent jusqu’à 30 % du PNB officiel


de certains pays européens. Ces estimations ne font pas l’unanimité par
l’absence de preuves écrites intangibles. Le sujet est délicat surtout pour
l’attribution des subsides intra-européens qui sont calculés sur base du PIB
déclaré, non pas sur la taille du marché noir.

419
Les chèques-services en Europe

De nouvelles monnaies parallèles dans les années


1990
Dans les pays à forte taxation, spécialement en Europe continentale, de
nouveaux billets sont apparus dans les années 1990. Ces billets sont
semblables à des billets de banque avec un montant fixe et avec de
nombreux sceaux et détails contre la contrefaçon. Ces billets portent le nom
de chèque-repas, lunch-pass, chèque-service or tickets-restaurant, et ils sont
regroupés sous l’intitulé de « chèque-service » pour les explications.

Ces chèques services sont une véritable monnaie parallèle pour acheter
des produits ou des services, mais avec certains avantages et restrictions.
Ces chèques-service ont un libellé en monnaie nationale. Ainsi, la plupart
de ces chèques-service sont libellés en euros.

Circulation des chèques-service


Les entreprises et autres employeurs peuvent acheter des chèques-
service auprès des émetteurs (organismes similaires à des banques) de
chèques-services. Ces chèques-service sont achetés contre de la monnaie
nationale, en incluant quelques frais opérationnels. En fin de compte, des
billets d’euro sont échangés contre des chèques-service.

Les employeurs peuvent payer une fraction des salaires en chèques-


services. Le maximum légal est fixé à environ 10 euros par jour et par
employé. Il n’y a pas de réel bénéfice pour l’employeur, sauf de motiver ses
employés. Les employés peuvent accepter ou décliner de recevoir des
chèques-service à la place de billets normaux d’euros.

Pour leur part, les employés peuvent bénéficier de la transaction parce


que le montant des chèques-service n’est pas taxé, surtout quand le taux
d’imposition approche les 50 % dans certains pays. Les employés recevront
donc un chèque-service de 10 euros à la place d’un billet de banque
traditionnel de 5 euros, comme après une imposition de 50 %.

420
S’ils optent pour les chèques-service, les employés peuvent les
dépenser comme des billets de banque traditionnels. La plupart des
magasins les acceptent même s’ils doivent courir jusqu’à l’émetteur original
pour les échanger contre des billets traditionnels en euros – autant vendre
en chèque-service que de ne pas vendre du tout. Cependant, les chèques-
service peuvent seulement être utilisés en paiement de produits et services
liés aux charges d’une journée au travail, comme pour payer le lunch, la
garderie des enfants ou la femme de ménage. Le contrôle est effectué au
moment du rachat du chèque-service. De fait, il ne peut être racheté que s’il
est revendu par un fournisseur de service autorisé.

Ramener le travail au noir dans l’économie


régulière
Le système des chèques-service fonctionne pour deux raisons.

Premièrement, les employés apprécient l’économie d’impôt, bien que


limitée au montant lié aux charges de travail comme le lunch ou les frais de
garderie d’enfants.

Deuxièmement, les chèques-service sont efficaces à ramener les


emplois au noir (serveur de lunch ou femme de ménage) dans l’économie

421
régulière et surtout dans le système fiscal. Ce genre d’activité est connu
pour évader les impôts. Aussi, pour rendre le contrôle possible, les
autorités essaient de limiter la circulation des chèques-service de main en
main. Pour cette raison, les chèques-service comportent quelques détails sur
leur face pour forcer leur retour rapide à leur émetteur : les chèques-service
ont une date d’expiration, et ils sont nominatifs et ne peuvent être endossés.

Le système est accepté par la plupart des pays européens qui sont
réfractaires aux réductions d’impôts et aux coupes budgétaires. En effet,
celles-ci signifieraient moins de sécurité sociale et moins de fonds pour
leurs nombreuses administrations. Les grèves massives contre toute coupe
budgétaire font peur aux gouvernements européens. Pour cette raison, ils ont
souvent échoué à réduire la taxation élevée sur les salaires des travailleurs.

422
Un nouveau marché parallèle avec sa monnaie contre le
réchauffement climatique

Le système parallèle de Comhaire


Les marchés parallèles qui se développent à l’ombre des crises
économiques, peuvent être une solution à la crise économique, donc à la
sempiternelle menace de ralentissement des dépenses reflétée par les
pressions déflationnistes ou la chute de la vélocité monétaire.

En fait, avant la hantise de l’inflation par les billets de papier,


l’angoisse de la déflation est restée lancinante pendant deux millénaires.

Par exemple, lutter contre la déflation était aussi l’essence des théories
de Law au XVIIIe siècle. La grande préoccupation concernait alors la rareté
de l’or et de l’argent dans les mains des candidats acheteurs.

Un autre exemple au XVIIIe siècle était le projet de Comhaire qui visait


à trouver une cure à la déflation, même si le but officiel du projet était de
satisfaire au concours organisé par la Ville de Liège pour réorganiser le
nettoyage par la création d’un marché parallèle.

À titre d’exercice monétaire, le système de Comhaire peut s’adapter afin


d’être applicable au XXIe siècle. Il pourrait aider à lutter contre la
déflation… et dans la foulée à lutter contre le réchauffement climatique.

Actualisation du vocabulaire du système de


Comhaire
Le vocabulaire du système de Comhaire doit être actualisé pour être
adapté aux nécessités modernes.

Premièrement, le florin-papier devient l’« éco-monnaie » émise par une


« éco-banque ». Un système multi-monnaies serait comparable aux comptes
en banques libellés en différentes devises comme en euro ou en monnaie
nationale. Comme pour le système Comhaire, il y aurait éventuellement des
agios de change, comme détaillé plus tard. L’éco-monnaie n’aurait aucun

423
« cours légal », car les paiements peuvent toujours être librement effectués
en monnaie principale.

Deuxièmement, le paiement-papier est actualisé en « éco-paiement » des


« tâches-de-nettoyage ».

Troisièmement, les tâches-de-nettoyage peuvent être renommées en


« éco-produits ». Ces éco-produits seraient toujours sélectionnés selon les
trois critères de délimitation de l’« éco-marché » du système de Comhaire
qui sont rappelés si dessous. Cependant, pour simplifier les explications
dans les pages suivantes, les éco-produits seront sélectionnés exclusivement
s’ils participent au nettoyage des gaz à effet de serre. Les autres unités
seront ignorées pour le moment et dans les pages suivantes.

Quatrièmement, la Compagnie de Surveillance serait renommée


ministère de l’éco-marché. Son rôle serait l’instigation et le contrôle de
l’éco-marché comme expliqué ci-après.

424
Finalement, les « 3 principes » du système de Comhaire seraient
présentés comme ci :

· Contrôle aisé de chaque éco-produit défini par des unités simples


comme le kilogramme, le watt ou le joule. Ce contrôle impliquerait une
éco-monnaie distincte qui rendrait ses prix séparés et donc visibles. Une
saine concurrence modérerait les prix de ces éco-produits.

425
· Restriction de l’éco-marché aux activités négligées mais pourtant
d’une indéniable utilité publique. La définition des éco-produits et éco-
services serait aidée par des études d’éco-marketing.

· Embauche exclusive de chômeurs afin de ne pas enter en concurrence


avec le marché du travail de l’économie traditionnelle. Indirectement,
l’éco-marché pourrait peser jusqu’à 10 % de l’économie traditionnelle, à
cause du chômage actuel pointé à 10 % de la population active.

Transactions en éco-monnaie hors taxes et


transparentes
L’éco-monnaie serait centrale à l’éco-marché. Elle serait nécessaire
pour le commerce des éco-produits – dont des exemples seront donnés ci-
après – bien que pour des raisons différentes aujourd’hui des motivations
de Comhaire au XVIIIe siècle.

Au XVIIIe siècle, Comhaire introduisait ses billets de banque dans son


économie fermée avec un quadruple objectif.

Premièrement, le système de Comhaire permettait le nettoyage sans


nouvel impôt en or ou en argent. Éviter une nouvelle taxe était apprécié
surtout en période de déflation d’or et d’argent.

Deuxièmement, le système de Comhaire devait aider à soulager la


déflation liée au manque d’or et d’argent, surtout pour les utilisateurs
volontaires des billets de papier du système de Comhaire.

Troisièmement, le système de Comhaire devait permettre l’introduction


progressive des billets de banque sur base du modèle britannique de la
Révolution industrielle. Ceci était d’autant plus délicat que les gens avaient
encore en mémoire les échecs de John Law et des Continentals.

Quatrièmement, Comhaire avait insisté pour séparer ses billets de


papier des pièces d’or et d’argent. Cela devait permettre deux prix
différents : l’un pour la production traditionnelle, l’autre pour les services
de nettoyage. Ces prix séparés permettraient plus de transparence par une
comparaison des coûts de nettoyage les moins chers. Comhaire insistait sur
les coûts bas du nettoyage afin d’éviter le rejet des paiements du balayage
des rues. En fin de compte, l’un des avantages de la monnaie a toujours été

426
de faciliter les comptes des marchés. Dans le cas du système de Comhaire,
la comptabilité du nettoyage était clarifiée par sa monnaie distincte.

Au XXIe siècle, l’éco-monnaie serait essentielle pour des raisons


fiscales, quand ce point n’entrait pas en compte au XVIIIe siècle. Du temps
de Comhaire, la taxation sur les salaires ou la vente au détail n’existait
pratiquement pas, et seule la taxation aux portes de la ville était pratiquée.
Les billets du système de Comhaire circulaient simplement à côté des
pièces d’or et d’argent sans interférer avec le système fiscal rudimentaire.

L’éco-monnaie aurait donc les caractéristiques suivantes :

· Défiscalisation des transactions en éco-monnaie. Cette option hors-


taxe serait essentielle pour l’acceptation du système. Elle se justifierait car
l’achat d’éco-produits – tel le nettoyage du temps de Comhaire – serait déjà
une obligation qui serait appliquée par l’éco-police ! S’il est concevable de
taxer une envie ou un besoin de consommer, il est absurde de taxer l’éco-
monnaie dépensée ou gagnée au travers de l’éco-marché, parce que l’éco-
monnaie est synonyme de tâches obligatoires de nettoyage. Taxer les éco-
produits serait susceptible d’augmenter la contrebande de pétrole caché
dans un faux réservoir. Toute contrainte sur les éco-paiements se traduirait
en fraude et en marché noir.

· Éco-monnaie uniquement sous forme scripturale, c.-à-d. uniquement


sous forme électronique dans un compte en banque. Ainsi, aucun billet
d’éco-monnaie ne serait émis. Cette caractéristique permettrait le contrôle
de chaque transaction entre les comptes en monnaie traditionnelle et les
comptes en éco-monnaie, comme cela sera détaillé ci-après. Ce contrôle
séparerait l’économie taxée de l’éco-marché hors-taxe. Bien sûr, ce
contrôle ne concernerait que les utilisateurs volontaires d’éco-monnaie.

Dans son coin, le marché noir continuerait à utiliser les billets des
monnaies traditionnelles ou même les pièces d’argent pour échapper au
contrôle des comptes en banque. Aussi, de par la circulation des billets
étrangers et de par l’existence des pièces en métaux précieux, il est illusoire
de faire disparaître le marché noir en supprimant les billets de banque
nationaux. Cependant, cette règle n’est PAS valable pour une monnaie
secondaire – cette observation est d’ailleurs la deuxième idée clé du livre
après les 3 principes de Comhaire.

427
Circulation de l’éco-monnaie
Le point de départ de l’éco-monnaie serait la Banque Centrale qui
créerait l’éco-monnaie et la prêterait aux éco-banques privées. Les éco-
banques elles-mêmes créeraient de l’éco-monnaie scripturale au travers de
prêts en éco-monnaie. Les autres tâches de la Banque Centrale seraient
similaires à celles de la monnaie traditionnelle : contrôler la quantité
d’éco-monnaie, l’inflation, etc.

Le ministère de l’éco-marché (avec le savoir-faire de l’administration


fiscale) pourrait accéder les données bancaires des comptes en éco-
monnaie. Ce ministère devrait vérifier que les éco-paiements hors-taxe
seraient uniquement destinés à des éco-produits et des éco-salaires de
nettoyage (des exemples d’éco-produits sont cités ci-après). De son côté,
l’administration fiscale continuerait de surveiller la taxation des paiements
et les salaires traditionnels, d’empêcher les transactions du marché noir.

Pour démarrer l’éco-marché, le même ministère obtiendrait un prêt en


éco-monnaie afin de financer la production d’éco-produits (par exemple : la
collecte de dioxyde de carbone en plantant des arbres) et de fixer un prix de
départ de l’absorption de dioxyde de carbone comme éco-produit.

Pour éviter un choc économique, ce prix de départ pourrait être fixé


pour quelques mois à 1 unité d’éco-monnaie par tonne de carbone et servir
d’indicateur d’empreinte de carbone pendant la phase d’implémentation du
système. Ce prix de départ très bas serait aisément payé en échangeant
quelques unités d’éco-monnaie en monnaie traditionnelle. Par la suite, le
prix des éco-produits augmenterait graduellement vers le prix réel du
nettoyage de la tonne de carbone. Ensuite, l’éco-marché démarrerait afin de
proposer des prix plus compétitifs.

Les éco-compagnies seraient agrées afin de recevoir des prêts en éco-


monnaie pour financer l’achat des composants et des éco-salaires destinés à
produire les éco-produits de l’éco-marché, loin de toute taxation. Pour les
éco-compagnies, l’éco-monnaie serait leur monnaie nationale. Pour les
compagnies traditionnelles, l’éco-monnaie serait traitée comme une
monnaie étrangère qu’il faudrait convertir avec des certains frais de change.
L’éco-monnaie circulerait en boucle entre les agents de l’éco-marché
« national » de nettoyage et les agents « étrangers » de l’économie
traditionnelle. Bien sûr, les compagnies traditionnelles seraient autorisées à

428
créer des éco-compagnies filiales, ceci dans le but de fournir des éco-
produits et recevoir des éco-paiements hors-taxe, avec les profits en éco-
monnaie pour la compagnie mère.

Les éco-travailleurs dépenseraient leurs éco-salaires en éco-monnaie


hors-taxe afin d’acheter des éco-produits. Pour acheter des produits de
l’économie traditionnelle, ils devraient échanger leur éco-monnaie contre
de la monnaie traditionnelle.

Les industries du charbon et du pétrole devraient acheter des éco-


produits de nettoyage et les revendre aux consommateurs qui enverront du
dioxyde de carbone dans l’air. Ainsi, les consommateurs d’éco-produits se
compteront donc parmi les mines de charbon ou les ménages. Pour acheter
les éco-produits destinés à nettoyer leur émanation de carbone ou à réduire
leur empreinte de carbone, les consommateurs devront changer leur
monnaie traditionnelle en éco-monnaie sur les marchés de change, à moins
qu’ils préfèrent payer les éco-produits en monnaie traditionnelle.

429
En fournissant les éco-compagnies, les entreprises traditionnelles
seraient payées en éco-monnaie. Ces entreprises pourraient dépenser cette
éco-monnaie pour l’achat d’éco-produits ou pour payer un bonus en éco-
monnaie en plus des salaires traditionnels. Cependant, elles devraient
changer leur éco-monnaie en monnaie traditionnelle pour acheter d’autres
biens, comme cela est déjà fait pour les devises étrangères.

S’ils existent, les frais de change entre éco-monnaie et monnaie


traditionnelles seraient la seule charge étatique. Ces frais ne viseraient qu’à
couvrir les coûts du ministère de l’éco-marché. Ils pourraient aussi financer
les subsides pour améliorer la concurrence à l’intérieur de l’éco-marché
afin de stimuler les start-ups en vue de rivaliser avec les entreprises de
nettoyage existantes, comme Comhaire l’avait déjà envisagé. Ces frais
pourraient varier – avec un taux variable donc – sous la guidance de la
Banque Centrale qui tendrait à réguler les volumes d’éco-monnaie et donc
l’inflation, comme pour l’économie traditionnelle.

Étendue des éco-produits


Les éco-produits (et les éco-services) limiteraient le dioxyde de
carbone émis dans l’atmosphère. Leur lien avec le carbone pourrait être
direct, comme pour l’absorption de carbone hors de l’atmosphère. Le lien
pourrait aussi être indirect, comme en fournissant un équivalent énergie afin
d’éviter d’émettre du carbone en brûlant de l’énergie fossile. En fin de

430
compte, les éco-produits viseraient à nettoyer le carbone, offrir une
alternative aux énergies fossiles, ou même à refroidir la Terre.

Le ministère de l’éco-marché approuverait les éco-produits. Il


vérifierait que les éco-produits diminuent bien les effets du dioxyde de
carbone dans l’atmosphère sans dommage pour la communauté.

En d’autres mots, le ministère ne définirait pas les éco-produits, mais


approuverait seulement leur entrée dans l’éco-marché. Le ministère
agréerait les éco-produits et éco-services autorisés à entrer dans l’éco-
marché et à être commercialisés en éco-monnaie.

Quelques exemples d’éco-produits seraient :

· fournir un système de capture du carbone à la sortie des cheminées et


de stockage de ce carbone dans le sol ;

· fournir des panneaux solaires ou des éoliennes pour substituer


l’énergie électrique produite par les centrales thermiques au charbon ;

· installer ces éco-produits sur les cheminées ou sur les toits ;

· isoler les murs des habitations avec de la mousse règlementaire ;

· utiliser des poutres en bois pour construire des maisons au lieu de


briques et de béton produits dans des fours à haute température…

En cas d’efficacité partielle à traiter le carbone, le produit ou service


pourrait être payé en partie en éco-monnaie et en partie en monnaie
traditionnelle selon les ratios du ministère. Ces quotas seraient calculés en
relation au carbone, par exemple : le coût partiel des voitures hybrides par
rapport à l’efficacité kilométrique (les émissions de carbone de la
production de la voiture peuvent être établies en relation à l’énergie fossile
consommée pour produire la voiture). Mais le ministère devrait garder en
tête que la santé de l’éco-marché prime avant tout, et pas la traçabilité de
chaque cent d’éco-monnaie en relation à la tonne de carbone. Le ministère
devrait être flexible en admettant les éco-produits ou éco-services dans
l’éco-marché. Pas besoin de punir toute forme de nettoyage avec les taxes
de l’économie traditionnelle.

431
De leur côté, les combustibles fossiles (litre d’essence, tonne de
charbon, etc.) devraient supporter leur coût de nettoyage en éco-monnaie
pour absorber le carbone dans l’air. Ce coût serait basé sur les éco-produits
les moins coûteux selon le choix du ministère de l’éco-marché. Bien sûr,
ces charges en éco-monnaie perturberaient l’industrie pétrolière, mais il
s’agit bien là de l’objectif d’un éco-marché dynamique.

Système moitié prix pour lutter


contre le réchauffement climatique
Les prix de l’éco-marché seraient moitié des prix de l’économie
traditionnelle, car les charges fiscales seraient supprimées. De fait, les
charges fiscales incluent les impôts sur les revenus et les taxes sur les
ventes au détail. Ces impôts et taxes se combinent pour atteindre une bonne
moitié des salaires des travailleurs. En fin de compte, la fiscalité finance le
gouvernement (national, municipalités, etc.) qui compte pour plus de 50 %
du PNB. En d’autres mots, l’éco-marché serait moitié prix grâce à sa main
d’œuvre meilleur marché car proche des salaires nets de l’économie
traditionnelle, grâce à ses prix de vente sans TVA, et grâce à l’absence de
coûts administratifs liés aux experts fiscaux.

En plus, l’éco-monnaie en parallèle à la monnaie traditionnelle aurait


les avantages du circuit officiel, au contraire du marché noir qui ne pourra
pas utiliser l’éco-monnaie traçable en banque. Il est important que l’éco-

432
marché garde les outils du système officiel afin d’offrir le nettoyage le
meilleur marché. Ainsi, l’éco-marché pourrait s’appuyer sur :

· des prix en éco-monnaie abaissés par la concurrence sur base d’une


transparence des coûts en éco-monnaie distincts des coûts en monnaie
traditionnelle ;

· bilan écologique de la solution la moins polluante – au moins selon les


3 principes de sélection des éco-produits ;

· recherche et développement financé en éco-monnaie hors taxe ;

· prêts possibles en éco-monnaie ;

· carte de crédit et autres paiements bancaires.

La sécurité sociale et ses cotisations resteront à l’intérieur de


l’économie traditionnelle qui restera par ailleurs plus large que l’éco-
marché. Ainsi, l’éco-marché doit être exonéré des contributions à une
sécurité sociale autant qu’elle doit rester hors-taxe. Dans le cas contraire,
les charges financières du système social ne garantiront plus le nettoyage le
meilleur marché et elles décourageront l’éco-marché et ses achats
obligatoires d’éco-produits. De même, un deuxième système social n’aurait
pas de sens quand un premier est déjà en place.

Pour obtenir une assurance santé, les travailleurs de l’éco-marché


achèteront une couverture avec leur éco-monnaie. Ils pourraient aussi être
considérés comme sans emploi traditionnel, ce qui leur garantirait une
couverture minimum. Ces avantages de l’économie traditionnelle
permettraient aux travailleurs de l’éco-marché d’accepter des salaires plus
bas que les salaires de l’économie traditionnelle ; les éco-produits en
seraient d’autant meilleur marché.

Pour une moindre perturbation : séparer l’éco-


marché
En plus de l’argument du meilleur marché, l’éco-marché serait accepté
pour une moindre perturbation de l’économie traditionnelle. Ceci serait dû
à une raison principale : l’éco-marché ne perturberait pas les prix de
l’économie traditionnelle, au contraire d’une taxe sur le carbone, grâce à
son éco-monnaie distincte. Il n’y aurait donc pas de pression inflationniste

433
en monnaie traditionnelle. Il y aurait seulement le coût transparent de l’éco-
produit, mais les gens gagneraient aussi de l’éco-monnaie pour les acheter,
par exemple en installant des panneaux solaires et en revendant l’électricité.
Aussi, le célèbre « effet richesse » serait épargné : aucune diminution des
dépenses ou d’un sentiment de richesse ne sera perçue car l’épargne en
monnaie traditionnelle serait inchangée à condition de s’investir
partiellement dans l’éco-marché.

En langage économique, l’acceptation viendra de la compréhension que


l’éco-monnaie peut stimuler l’économie « par l’exportation », donc de
l’économie traditionnelle vers l’éco-marché « étranger ».

Également, l’éco-marché pourrait stabiliser l’économie avec des éco-


produits autorisés en masse lors d’un ralentissement de l’économie
traditionnelle. Une telle croissance stable pourrait réduire fortement le
chômage, ce qui serait synonyme de hausse des salaires dans les économies
traditionnelles et dans l’éco-marché. Les disparités sociales en seraient
diminuées.

L’acceptation viendrait aussi de par l’inaptitude des gouvernements à


gérer le réchauffement climatique. Les gouvernements sont surtout bons à
gérer les infrastructures communes (routes…), les administrations
nationales (défense…), et à compenser en partie les inégalités sociales
(sécurité sociale…). Pour ce faire, les gouvernements se financent par la
taxation sur la production privée ou même publique. Par contre, les
gouvernements peinent à résoudre les problèmes du chômage et les frictions
internationales, et ils tendent à négliger les effets à long terme du
réchauffement climatique.

L’acceptation viendrait après une année d’implémentation de l’éco-


monnaie avec prêts illimités à chacun. Cela permettrait aux ménages et aux
individus de s’essayer à l’éco-monnaie et à réaliser leur empreinte de
carbone. Au bout du compte, l’éco-monnaie ne doit pas aliéner les gens et
les entreprises.

Seule la pratique prouvera le succès du système. Personne ne peut


prédire le sort du système de Comhaire aujourd’hui. Après tout, les Lydiens
pouvaient-ils prédire le succès de leurs pièces ? Les banquiers anglais
pouvaient-ils imaginer le succès universel de leurs billets de papier ?
Depuis l’Antiquité, les formes variées de monnaie ont été acceptée par les
peuples avant d’être imposées par les autorités. Les nombreuses formes de

434
monnaie ont été acceptées car elles optimisent les marchés en facilitant
mesure et comparaison des prix, elles garantissent une épargne sûre, et
finalement elles facilitent les prêts et les investissements.

435
Coïncidence à espérer : Une solution monétaire
au réchauffement climatique ?

Les coïncidences historiques existent entre les évènements monétaires et


politiques. Si la monnaie est cruciale, alors pourquoi ne pas se concentrer
sur le système monétaire plutôt que de s’échiner sur les épiphénomènes
politiques ? Il serait tragique que le XXIe siècle soit comparé au Ve siècle
de l’Empire romain qui avait raté la marche de l’agriculture à l’industrie
faute d’un système monétaire inadapté. Le monde a dû attendre le XVIIIe
siècle et la Révolution industrielle pour passer de l’agriculture à
l’industrie. Bien sûr, la Révolution industrielle n’a pas résolu l’intégralité
des problèmes, mais elle a contribué vaille que vaille au progrès sans
rechute au niveau du Moyen Âge. À présent, la civilisation occidentale
(autant que le reste du monde) doit réussir à enjamber l’obstacle de
l’industrie à l’industrie verte sans négliger l’importance du système
monétaire, et sans tout miser sur une solution politique pour résoudre les
défis économiques, démographiques et écologiques qui semblent
irréconciliables.

Le système de Comhaire sera-t-il la panacée ? Deus ex machina sur la


scène publique ? Un cheval de Troie libéral est-il entré dans un bunker de
convictions étatiques à inclination totalitaire ? Ou une idiote et suicidaire
« charge de la brigade légère » contre les canons bien pensants qui
dominent la plaine ? J’ignore l’appréciation de ces hypothèses
comhairiennes, mais j’espère l’apprendre un jour. Par contre, ce que je sais
c’est que vous trouverez bien des traces du « Concours » auquel Comhaire
aurait pu participer. Mais, vous ne trouverez aucune mention ni de Comhaire
ni de son système dans les archives de la bibliothèque de Liège. Vous ne
lirez pas non plus le manuscrit de Comhaire, car il n’a simplement jamais
existé. Le but de cette petite omission n’était pas de vous surprendre ou de
jouer avec vos pieds gratuitement. La finalité de cette démarche consistait à
placer le lecteur dans une optique de réalisme. Si vous avez cru à la
véracité de cette histoire, alors peut-être que sa cohérence et sa faisabilité
ne sont pas si illusoires ! Si vous acceptez l’existence du marché « noir »
parallèle, la monnaie « étrangère » secondaire, et l’efficacité du marché
libre, alors l’éco-monnaie est possible ! Si vous croyez que le
réchauffement climatique nécessite un changement drastique, alors seule la
machine à plein régime de l’éco-marché peut y arriver, mieux que

436
l’économie planifiée. Et, il n’aura pas besoin d’argent, mais seulement de
sa propre monnaie !

437
Bibliographie

1. Aftalion Florin & Poncet Patrice, , Seuil, Paris, 2001

2. Archibald Marion & others, , BNB, Bruxelles, 2000

3. Bezbakh Pierre, , PUF, Paris, 1992

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25. Wolff Jacques, Histoire Économique de l’Europe 1000-2000,


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439
Origine des illustrations :

[1] Reproduit aux conditions de : Crown Copyright Policy Guidance


issued by HMSO

[2] Photos de Historia Numorum, Barclay Head (domaine public)

[3] Reproduction autorisée : www.theaterofpompey.com

[4] www.loc.gov

[5] Wilmots, André, Schacht, Le Cri, Bruxelles, 2001.

[6] Reproduction autorisée : www.imf.org

[7] Collection de l’auteur (originaux ou copies)

[8] Panckoucke C. J., L’Art du Monnayage — extraits de l’Encyclopédie

Méthodique, Préau des Livres, Liège, 1788

[9] Reproduction autorisée : www.wikipedia.org > Francois-Charles de


Velbruck

[10] Graphes tracés d’après les données de http://www.bls.gov/cpi/

[11] Graphes tracés d’après les données de www.whitehouse.gov


www.census.gov www.bea.gov

[12] http://www.fh-
augsburg.de/%7Eharsch/Chronologia/Lspost04/Diocletianus/dio_frag.html

[13] Domaine public.

440
[14] Domaine public et www.kremlin.ru

[15] Domaine public et belgium.be

Prologue [7]

Prologue [13]

Avertissement ! [13]

Avertissement ! [7]

Économie de redistribution au IVe millénaire av. J. C. [13]

Codes et références au IIIe millénaire av. J. C. [7]

L’autre référence pour valoriser argent-métal ou grain [7]

Production spécialisée et échangée [7]

Production troquée au marché local [7]

Troc entre contrées hors économie de redistribution [13]

Échanges contre biens-intermédiaires dès le néolithique [7]

Pour postposer la dépense en épargnant les surplus [7]

Lingots d’or ou d’argent au IIe millénaire av. J. C. [13]

De minuscules lingots frappés d’un sceau royal [13]

Bimétallisme en pièces d’or et d’argent au VIe siècle av. J. C. [7]

Bimétallisme en Perse au VIe siècle av. J. C. [13]

Propagation des pièces en Grèce au Ve siècle av. J. C. [2]

Pièces bimétalliques dans l’Empire macédonien [2]

Nécessité des changeurs-essayeurs [7]

Évolution de la banque dans l’Antiquité [7]

441
L’Antiquité sans monnaie « créée » par les banques [13]

Banques inaccessibles pour le monde non commerçant [13]

Les pièces de monnaie, nerf de la guerre ou de la paix ? [13]

Les pièces de monnaie, nerf de la guerre ou de la paix ? [13]

De la monétisation de l’or et de l’argent


jusqu’au manque récurrent de pièces [7]

Frappe de pièces de billon dès Auguste [13]

Frappe de pièces de billon dès Auguste [3]

Multiplication des pièces par dévaluation dès Néron [7]

Hausse des prix en conséquence de la multiplication des pièces [7]

Inflation des prix dans l’Empire [13]

La clé de l’inflation : excès de dépenses et manque d’investissements


par l’État romain [13]

Perte pour les uns [13]

Démagogie financée par la fiscalité et la multiplication des pièces de


monnaie [13]

Multiplication retenue des pièces et inflation modérée jusqu’au IIIe


siècle apr. J. C. [13]

Déclin économique accentué au début du IIIe siècle [7]

Apogée de la multiplication des pièces vers 260 [7]

Sauvetage militaire de l’Empire financé par… la surmultiplication des


pièces [7]

Échec de « l’édit des prix » pour geler l’inflation [12]

442
Retour partiel de la circulation des pièces d’or ou d’argent
sous Constantin [7]

L’Empire romain a chuté aussi sur des obstacles monétaires. [13]

L’Empire romain a chuté aussi sur des obstacles monétaires. [13]

Sans pièces de monnaie ni banques depuis la chute de Rome [7]

Pièces variées de la féodalité du Xe au XIIe siècle [7]

Bimétallisme et ratio or-argent modifiable [7]

Changeurs-essayeurs toujours plus vigilants [7]

Vers des pièces de qualité et un seigneuriage modéré sous l’emprise du


change [7]

Unification progressive des systèmes monétaires royaux [8]

Défaillance de l’appoint d’argent occultée par les fléaux du XIVe siècle


[13]

Plus de tolérance envers les intérêts sur les prêts [13]

Réapparition des banques [7]

Une nouveauté : la lettre de change [1]

États, Église et emprunts aux banques [13]

Pièces de billon réintroduites [7]

Nouvelles sources d’or et argent et embellie économique [7]

Accumulation autorisée avec la Renaissance [13]

Évolutions contrastées avec ou sans banques. [13]

Nouvelles techniques financières [7]

Nouvelles techniques financières [13]

443
Naissance des banques anglaises [7]

Banques et prêts en billets sous surveillance de la convertibilité en


pièces d’or et d’argent [1]

La convertibilité des billets restreinte aux seules pièces d’or par le


« Great Recoinage » [7]

La convertibilité des billets restreinte aux seules pièces d’or par le


« Great Recoinage » [7]

Début du capitalisme industriel et financement de la Révolution


industrielle [9]

Multiplication de la monnaie sans inflation [7]

Avantage aux billets de la Banque d’Angleterre [7]

Stabilisation des banques privées [7]

La Révolution industrielle et la monnaie. [13]

La Révolution industrielle et la monnaie. [13]

Le système de John Law [7]

Le système de John Law [7]

Les « Continentals » de la Révolution américaine [7]

Vers l’inflation [7]

Liquidation des billets de crédit et séquelles de l’échec des Continentals


[7]

L’économie liégeoise rattrapée par la déflation vers 1780 [13]

Les autres projets rejetés ou postposés [9]

Application du système parallèle de 1783 à 1784 [7]

Création du billet de l’assignat en 1789 [7]

444
Timides émissions de billets en Europe continentale sans Révolution
industrielle [7]

Les « country banks » de Grande-Bretagne, et la croissance industrielle


autosoutenue [7]

Succès de l’inconvertibilité temporaire du billet de la Banque


d’Angleterre [7]

La naissance de l’étalon-or pour les billets de la Banque d’Angleterre


[7]

Déflation organisée [7]

Baisses amplifiées par les krachs boursiers et les crises de retrait en


banque [7]

Cycles remarqués, mais incompris [13]

Objectif des autorités : assurer la convertibilité-or [7]

Cadences variées sur le continent européen entre 1830 et 1870 [7]

Saut groupé vers l’étalon-or dans les années 1870 [7]

Saut groupé vers l’étalon-or dans les années 1870 [7]

Déflation et « Longue Dépression » entre 1873 et 1896 [7]

Reprise accompagnée de spasmes après 1896 [7]

Reprise accompagnée de spasmes après 1896 [7]

L’industrie de Grande-Bretagne rattrapée par les industries du continent


européen [7]

Les « National Banks » créées en 1863 [7]

Les « National Banks » créées en 1863 [7]

L’instabilité de la fin du XIXe siècle et le retour du nationalisme. [7]

445
Les pièces d’or remplacées par les billets
pendant la guerre de 1914 1918 [7]

La livre sterling de la Banque d’Angleterre fourvoyée dans les parités


d’avant-guerre [7]

Une politique monétaire inflationniste pendant la guerre [7]

Une politique monétaire inflationniste pendant la guerre [7]

Dérapage vers l’hyperinflation en 1922-1923 [7]

Résorption remarquée de l’hyperinflation [7]

Retour à une relative convertibilité-or pour les nouveaux reichsmarks


[7]

Mauvais réflexes monétaires de la Fed et crise économique mondiale


[13]

La quantité de monnaie libérée de l’étranglement par l’étalon-or [13]c

L’impulsion étatique en appui [11]

L’impulsion étatique en appui [7]

Fin partielle de la convertibilité-or du dollar [7]

Le volume de crédits des banques privées toujours sous surveillance [7]

La dette publique jamais destinée à remplacer les impôts [7]

Inflation et taux de change sous contrôle [7]

Inflation et taux de change sous contrôle [5]

Keynésianisme pendant la guerre [7]

Une nouvelle vague d’hyperinflation en Allemagne à la fin de la guerre


[7]

Création du FMI pour soutenir les taux de change fixes [11]

446
Hausse économique des Trente Glorieuses soutenue par le
keynésianisme [7]

Bons du Trésor, crédits bancaires, et risque d’inflation [7]

Keynes en retrait, Schacht en avant, dans l’entre-deux-guerres. [13]

Fin de la convertibilité-or du dollar-billet [7]

La valeur de la monnaie dépendante du cours forcé ? [7]

L’essentiel de la création monétaire par les banques privées [7]

La monnaie : des octets électroniques sur des disques durs [14]

Le quatrième outil de la Fed : le taux des fonds fédéraux [7]

Drame des dévaluations pour certains [7]

Poussée d’inflation par multiplication de la monnaie [10]

Croissance faible et chômage de masse [13]

La santé de l’économie mesurée par la croissance du PIB [7]

Contestation monétariste des priorités keynésiennes [10]

La masse monétaire incontrôlée, seule source d’inflation [13]

Lutte contre les déficits de l’État, pourvoyeurs d’inflation [7]

Lutte contre les déficits de l’État, pourvoyeurs d’inflation [7]

Priorité 1 : réduire les impôts [7]

L’inflation freinée par le « taux directeur » de la Fed [13]

Les taux d’intérêt à long terme moins affectés par le taux directeur de la
Fed [11]

Des monnaies accrochées au dollar [13]

Des monnaies accrochées au dollar [7]

447
Dollarisation [7]

La fin du keynésianisme en Europe après 1980 [13]

Vers une politique monétariste et néolibérale en Europe dans les années


1980 [13]

Critères d’adhésion à la BCE et à son euro [7]

Multiples trésoreries nationales dans la zone euro [13]

La récession de 1990-1991 [7]

Un deuxième creux économique après 2001 [13]

Un deuxième creux économique après 2001 [13]

Un retour de la croissance après 2003 grâce à la reaganomie [11]

Et les taux de change [11]

Et les taux de change [9]

La chute de l’immobilier dès 2007 [7]

La crise financière de 2008 [7]

La reprise mise en doute [13]

Une solution plus large pour un problème planétaire [13]

Une solution plus large pour un problème planétaire [7]

Des nouvelles monnaies pour contourner le « corralito » [7]

Des nouvelles monnaies pour contourner le « corralito » [7]

Le « crédito » pour redémarrer l’économie parmi les plus pauvres [7]

Surveiller les comptes en banque pour limiter le marché noir [4]

Surveiller les comptes en banque pour limiter le marché noir [7]

448
Circulation des chèques-service [7]

Actualisation du vocabulaire du système de Comhaire [1]

Circulation de l’éco-monnaie [13]

Circulation de l’éco-monnaie [15]

Étendue des éco-produits [7]

Pour une moindre perturbation : séparer l’éco-marché [7]

449
Définitions principales

B
balance commerciale
balance des paiements
Banking School
banque
Banque Centrale
Banque Mondiale
BCE
bénéfice par action
bien-intermédiaire
billet de banque
billets de crédit
billon
bimétallique
Bons du Trésor
Bourses
Bretton Woods

C
capital
changeur-essayeur
ciblage de l’inflation
City
clearing
commerce
compensation
convertibilité-or
convertibles
core inflation

450
courbe de Laffer
cours de l’action
cours forcé
cours légal
coût
couverture
créances titrisées
crédit
crises de retrait
croissance
Currency School
cycles de Juglar
cycles de Kondratieff
cycles économiques

D
déficit commercial
déflation
demande
denier
désinflation
devise faible
devise forte
dividende
dollarisation
DTS
dumping

E
Échiquier
économie
économie de l’offre
économie de marché
économie de redistribution
ECU
effet d’éviction
épargne
escompter
étalon-or
eurodollars

451
F
Fed
Federal Funds Rate
Federal Reserve Bank
fermage
flottant
FMI
fordisme
Forex
franc
frappe
frappe libre

G
gold certificates
Grande Dépression
greenbacks
guinée

H
Hôtel de la Monnaie
hyperinflation

I
inflation
inflation de base
inflation par la demande

K
keynésien
krach

L
laisser-faire
lettre de change
LIBID
LIBOR
libre-échange
lignes de crédit

452
livre sterling
livres tournois
loi de Gresham
Longue Dépression

M
marché
marché au noir
marchés obligataires
mercantiliste
mondialisation
monétariste
monnaie
monnaie fiduciaire
monnaie marchandise
monnaie scripturale

N
National Banks
négociants
néolibéralisme
NYSE

O
obligations
offre
Open Market

P
papier-monnaie
parités du pouvoir d’achat
pennies
pétrodollars
PIB
pièces de monnaie
pierre de touche
PNB
population active
prêts

453
prix

R
ratio bimétallique
reaganomie
Reserve Banks
réserves minimales
réserves obligatoires

S
seigneuriage
serpent monétaire
shilling
SME
SMI
sociétés par actions
souverain
spread
stagflation
sterling

T
taux d’escompte
taux d’intérêt à long terme
taux directeur
théorie quantitative de la monnaie
traders
trébuchet
Trente Glorieuses
trickle-down theory
troc
troy
TVA

U
unions monétaires
usure

454
vélocité
virements

455
Table des Matières
Prologue 10
Avertissement ! 14
1. La Monnaie : catalyseur de l’Antiquité 32
Économie de redistribution et écriture aux prémices de l’Histoire 33
Économie de redistribution au IVe millénaire av. J. C. 33
Codes et références au IIIe millénaire av. J. C. 34
L’or et l’argent, références de valeurs vers la fin du IIIe
35
millénaire av. J. C.
Besoins de prêts 36
L’autre référence pour valoriser argent-métal ou grain 37
Troc et marchés en parallèle à la redistribution au IIe millénaire av.
40
J. C.
Production spécialisée et échangée 40
Production troquée au marché local 41
Troc entre contrées hors économie de redistribution 42
Valeur des échanges aussi selon négociations et marchandages 43
De l’échange contre « biens-intermédiaires » jusqu’au commerce en
45
monnaie
Échanges contre biens-intermédiaires dès le néolithique 45
Pour référencer et compter en mémorisant les prix 46
Pour postposer la dépense en épargnant les surplus 47
Du bien-intermédiaire jusqu’à la monnaie 48
Préalable au choix de la monnaie 49
Lingots d’or ou d’argent au IIe millénaire av. J. C. 50
Lente évolution de l’économie de redistribution vers
51
l’économie de marché dans l’Antiquité
Pièces de monnaie au VIIe siècle av. J. C. 53
De minuscules lingots frappés d’un sceau royal 53
Profit sur ces pièces de monnaie 54
Pièces d’argent en Grèce au VIe siècle av. J. C. 55
Pièce d’argent au poids en Méditerranée 56
Bimétallisme en pièces d’or et d’argent au VIe siècle av. J. C. 56

456
Bimétallisme en Perse au VIe siècle av. J. C. 58
Pièces de monnaie au poids en Grèce 60
Propagation des pièces en Grèce au Ve siècle av. J. C. 60
Financement des États axé sur les pièces de monnaie 61
Pièces grecques standardisées au Ve siècle av. J. C. 62
Les pièces de monnaie : ciment des empires 64
Pièces bimétalliques dans l’Empire macédonien 64
République de Rome 65
Changeurs-essayeurs et pièces variées de l’Antiquité 67
Nécessité des changeurs-essayeurs 67
Pièces d’or inspectées 69
Pièces d’argent suspectées 70
Naissance de la banque dans l’Antiquité 71
Monnaie en sécurité dans les banques 71
Évolution de la banque dans l’Antiquité 71
Prêts et crédits consécutifs aux dépôts en banque 73
Pratiques bancaires circonscrites au commerce 74
L’Antiquité sans monnaie « créée » par les banques 75
Banques inaccessibles pour le monde non commerçant 76
Coïncidence : Les pièces de monnaie, nerf de la guerre ou de la
79
paix ?
2. L'Empire romain et les pièces de monnaie multipliées 82
Inquiétudes financières dans l’Empire au Ie siècle apr. J. C. 83
De la monétisation de l’or et de l’argent jusqu’au manque
83
récurrent de pièces
Accumulations des crédits 84
Crises financières occasionnelles 85
Nouveaux expédients aux crises de trésorerie dès le Ie siècle apr. J.
87
C.
Réforme fiscale sous Auguste 87
Frappe de pièces de billon dès Auguste 87
Multiplication des pièces par dévaluation dès Néron 90
Inflation perceptible au Ie siècle apr. J. C. 93
Hausse des prix en conséquence de la multiplication des
93
pièces

457
Hausse généralisée, continue et prolongée des prix, ou
94
inflation
Inflation des prix dans l’Empire 95
Hausses ponctuelles des prix 96
La clé de l’inflation : excès de dépenses et manque
98
d’investissements par l’État romain
Mécontents et profiteurs de l’inflation des prix dès le Ie siècle apr.
100
J. C.
Perte pour les uns 100
Gain pour les autres 101
Gain temporaire pour l’État 102
Déclin économique du Ie siècle jusqu’au début du IIIe siècle apr. J.
103
C.
Démagogie financée par la fiscalité et la multiplication des
103
pièces de monnaie
Travail dévalorisé aussi par l’inflation 104
Multiplication retenue des pièces et inflation modérée
105
jusqu’au IIIe siècle apr. J. C.
La « crise du IIIe siècle » apr. J. C. 107
Déclin économique accentué au début du IIIe siècle 107
La « crise du IIIe siècle » 108
Apogée de la multiplication des pièces vers 260 108
Décollage de l’inflation après 260 110
Crise monétaire et bancaire vers 265 110
Sauvetage militaire de l’Empire financé par… la
111
surmultiplication des pièces
Fiasco de la résorption de l’inflation à la fin du IIIe siècle apr. J. C. 113
Échec de la réforme monétaire pour mater l’inflation 113
Échec de « l’édit des prix » pour geler l’inflation 114
L’inflation contournée pour redresser l’Empire au IVe siècle apr. J.
115
C.
Réforme fiscale de Dioclétien 115
Retour partiel de la circulation des pièces d’or ou d’argent
115
sous Constantin
Chute de l’Empire d’Occident au Ve siècle apr. J. C. 117

458
Coïncidence : L’Empire romain a chuté aussi sur des obstacles 118
monétaires.
3. Manque récurrent de pièces de monnaie du Moyen
121
Âge à la Renaissance
Circulation des pièces en Occident du VIIe au XIIe siècle 122
Sans pièces de monnaie ni banques depuis la chute de Rome 122
Retour des paiements en pièces de monnaie au VIIe siècle 123
Pièces variées de la féodalité du Xe au XIIe siècle 125
Pièces de monnaie transmutées au XIIIe siècle 127
Nouvelles pièces d’argent et d’or diffusées par le commerce 127
Bimétallisme et ratio or-argent modifiable 128
Changeurs-essayeurs toujours plus vigilants 130
Vers des pièces de qualité et un seigneuriage modéré sous
131
l’emprise du change
Unification progressive des systèmes monétaires royaux 133
Dévaluations endiguées 135
Déclin économique au XIVe siècle jusqu’à la déflation du XVe
137
siècle
Défaillance de l’appoint d’argent occultée par les fléaux du
137
XIVe siècle
Déflation des prix, reflet du manque de pièces 138
La déflation marquée par une lente baisse des prix 139
Commerce gêné par la « famine des métaux » 140
Plus de tolérance envers les intérêts sur les prêts 141
Déflation contournée par les commerçants italiens aux XIVe et XVe
143
siècles
Réapparition des banques 143
Une nouveauté : la lettre de change 143
Lettre de change source de crédits et de prêts 145
Lettre de change parfois escomptée 146
Intrusion des banquiers dans les sphères du pouvoir aux XIVe et
147
XVe siècles
États, Église et emprunts aux banques 147
Emprunts et banques publics 148
Déflation esquivée au XVIe siècle, et embellie économique 150

459
Pièces de billon réintroduites 150
Nouvelles sources d’or et argent et embellie économique 151
Déflation écartée, et inflation très relative 152
Inflation limitée par le mercantilisme au XVIe siècle 155
Accumulation autorisée avec la Renaissance 155
Mise en place de politiques mercantilistes 156
Coïncidence : Évolutions contrastées avec ou sans banques. 158
4. Du billet de banque à la Révolution industrielle en
161
Grande-Bretagne
La rareté du numéraire à nouveau préoccupante au XVIIe siècle 162
L’Europe en déflation de 1650 à 1730 162
Récession et déflation moindres en Grande-Bretagne et aux
163
Pays Bas
Nouvelles techniques financières 163
Apparition du billet de banque en Angleterre au XVIIe siècle 168
Naissance des banques anglaises 168
Apparition du billet de banque 169
Banques et prêts en billets sous surveillance de la
170
convertibilité en pièces d’or et d’argent
Premières crises de retrait aux guichets des banques 172
La convertibilité des billets restreinte aux seules pièces d’or
173
par le « Great Recoinage »
Unifications annexes des pièces de monnaie 176
Multiplication des crédits et Révolution industrielle au XVIIIe
177
siècle
Prêts avec garants en Écosse 177
Début du capitalisme industriel et financement de la
178
Révolution industrielle
Multiplication de la monnaie sans inflation 180
Le volume des pièces de monnaie dépassé par le volume de
182
monnaie scripturale
La Banque d’Angleterre et ses billets au XVIIIe siècle 184
La Banque d’Angleterre créée pour financer l’État 184
Avantage aux billets de la Banque d’Angleterre 185
La Banque d’Angleterre sous contrôle 187

460
Stabilisation des banques privées 187
Coïncidence : La Révolution industrielle et la monnaie. 190
5. Échecs et succès des billets de papier au XVIIIe siècle 193
Le billet de banque discrédité en France vers 1720 194
Le système de John Law 194
Émission désordonnée des billets et spéculation sur les actions 196
Effondrement du système de Law 198
Séquelles de l’échec de l’usage du billet de banque 198
L’échec du premier papier-monnaie vers 1780 aux USA 200
Les émissions de billets de crédit 200
Les « Continentals » de la Révolution américaine 200
Vers l’inflation 201
Liquidation des billets de crédit et séquelles de l’échec des
203
Continentals
Tentative avortée de monnaie amendée à Liège en 1783 205
L’économie liégeoise rattrapée par la déflation vers 1780 205
Mesures proposées pour encadrer un système monétaire
206
parallèle lié au nettoyage
Le marché parallèle des tâches-de-nettoyage sélectionnées
207
selon trois principes
Première tâche-de-nettoyage 208
Les autres projets rejetés ou postposés 208
Arguments pour étayer le système parallèle 209
Application du système parallèle de 1783 à 1784 211
Tentatives d’extension du système parallèle, et abandon
212
soudain
L’effondrement des assignats de la Révolution française vers 1795 215
Création du billet de l’assignat en 1789 215
Inflation et crise économique 216
Liquidation des assignats 218
Les guerres napoléoniennes et les billets de banque 220
Timides émissions de billets en Europe continentale sans
220
Révolution industrielle
Les « country banks » de Grande-Bretagne, et la croissance
222
industrielle autosoutenue

461
Succès de l’inconvertibilité temporaire du billet de la Banque 223
d’Angleterre
Coïncidence : Échecs monétaires et aléas des Couronnes de France
227
et d’Angleterre.
6. Le billet de banque, l’étalon-or et les cycles
229
économiques au XIXe siècle
Brève dépression économique en Grande Bretagne vers 1820 230
La naissance de l’étalon-or pour les billets de la Banque
230
d’Angleterre
Déflation organisée 232
Cycles économiques remarqués après 1820 234
Une société agricole en mutation vers un monde industriel 234
Hausses économiques avec embauche, et baisses avec
234
recrudescence du chômage
Baisses amplifiées par les krachs boursiers et les crises de
235
retrait en banque
Crises économiques à répétition et début de la contestation 237
Cycles remarqués, mais incompris 237
Débats incomplets au XIXe siècle 239
Objectif des autorités : assurer la convertibilité-or 240
Influence monétaire postérieurement confirmée 243
Propagation de la Révolution industrielle après 1830 245
Billets de banque et conversion bimétallique entre 1830 et
245
1870
Cadences variées sur le continent européen entre 1830 et 1870 246
L’étalon-or et la « Longue Dépression » dès 1873 249
Les problèmes du bimétallisme 249
Du bimétallisme vers le modèle anglais de l’étalon-or 249
Saut groupé vers l’étalon-or dans les années 1870 250
Taux de changes fixes des billets par l’étalon-or 252
Déflation et « Longue Dépression » entre 1873 et 1896 254
Le retour du protectionnisme dès 1873 255
Reprise accompagnée de spasmes après 1896 256
Chamboulement de l’ordre économique mondial à la fin du XIXe
259
siècle

462
L’industrie de Grande-Bretagne rattrapée par les industries du 259
continent européen
Les USA, première économie au monde au début du XXe
260
siècle
Les « National Banks » créées en 1863 261
La Fed des USA créée en 1913 263
Coïncidence : L’instabilité de la fin du XIXe siècle et le retour du
266
nationalisme.
7. Dollars, billets de banque et Keynes entre 1914 et 1971 268
Les années 1920 dans la lignée du XIXe siècle pour la plupart des
269
pays
Les pièces d’or remplacées par les billets pendant la guerre de
269
1914 1918
Financement de la guerre par déficit inflationniste 271
Retour à la convertibilité-or du dollar après la guerre 271
L’Europe et l’étalon-or dans les années 1920 272
La livre sterling de la Banque d’Angleterre fourvoyée dans les
272
parités d’avant-guerre
L’hyperinflation en Allemagne vers 1922 1923 276
Une politique monétaire inflationniste pendant la guerre 276
Dérapage vers l’hyperinflation en 1922-1923 278
Résorption remarquée de l’hyperinflation 279
Retour à une relative convertibilité-or pour les nouveaux
280
reichsmarks
Le violent krach boursier de Wall Street de 1929 282
La spéculation boursière de Wall Street favorisée par la Fed
282
dans les années 1920
Le krach de Wall Street d’octobre 1929 282
Mauvais réflexes monétaires de la Fed et crise économique
283
mondiale
Théories de Keynes vers 1930 286
Contestation keynésienne de la politique monétaire 286
La quantité de monnaie libérée de l’étranglement par l’étalon-
286
or
Crédit pour redémarrer l’activité économique 288

463
L’impulsion étatique en appui 289
Abandon partiel de la convertibilité-or à partir de 1931 291
Nouveau système monétaire international autour du dollar dans
291
les années 1930
Pâle reprise économique sans impulsion étatique «
292
keynésienne » avant la guerre
Application plus large des théories keynésiennes aux USA dès 1932 294
Fin partielle de la convertibilité-or du dollar 294
Le dollar dévalué par rapport à l’or et aux devises 295
Le dollar stabilisé à 35 dollars-billet par once d’or 295
La Fed sous contrôle plus démocratique 296
Taux d’intérêt bas 296
Le volume de crédits des banques privées toujours sous
297
surveillance
Le New Deal et l’endettement timide de l’État US 298
Déflation enrayée et inflation modérée 299
La dette publique jamais destinée à remplacer les impôts 300
Reprise économique fulgurante dans l’Allemagne nazie dès 1933 302
Endettement étatique prononcé 302
Inflation et taux de change sous contrôle 303
Résorption du chômage dans l’Allemagne nazie 305
La Deuxième Guerre mondiale et les batailles monétaires 307
Keynésianisme pendant la guerre 307
L’or et le commerce international pendant la guerre 308
La fausse monnaie de l’« Opération Bernhard » 308
Une nouvelle vague d’hyperinflation en Allemagne à la fin de
309
la guerre
Bretton Woods en 1944 et les Trente Glorieuses de 1945 à 1975 310
Retour à des parités de change fixes comme avant-guerre 310
Les marchés de change autour du dollar 311
Création du FMI pour soutenir les taux de change fixes 312
Hausse économique des Trente Glorieuses soutenue par le
313
keynésianisme
Bons du Trésor, crédits bancaires, et risque d’inflation 315
Coïncidence : Keynes en retrait, Schacht en avant, dans l’entre- 318

464
deux-guerres. 318

8. Montée du monétarisme dans les années 1970 320


Tensions sur le change, et fin de la convertibilité-or du dollar après
321
1971
Multiplication de la monnaie aux USA 321
Déficit commercial pour les USA 321
Fin de la convertibilité-or du dollar-billet 322
La nouvelle âme et la source de la monnaie 325
La valeur de la monnaie dépendante du cours forcé ? 325
La monnaie simple mesure de biens produits 326
Création monétaire supplétive par l’État 328
L’essentiel de la création monétaire par les banques privées 328
La monnaie : des octets électroniques sur des disques durs 330
Les pièces comme appoint des billets 332
Sans plus de limitation telle la couverture-or ? 333
Les outils de la Fed pour limiter la multiplication de la
333
monnaie
Le quatrième outil de la Fed : le taux des fonds fédéraux 334
Éclatement des parités fixes et dévaluations dès 1973 336
Éclatement des taux de change fixes vers 1973 336
Réapparition des dévaluations de monnaie 337
Drame des dévaluations pour certains 337
Jusqu’à la crise financière 339
Montée de l’inflation et du chômage dans les années 1970 340
Mesure de l’inflation 340
Poussée d’inflation par multiplication de la monnaie 340
Croissance faible et chômage de masse 343
La santé de l’économie mesurée par la croissance du PIB 344
Lutte contre l’inflation pour relancer la croissance à la fin des
347
années 1970
Contestation monétariste des priorités keynésiennes 347
Lutte contre l’inflation plutôt que l’obsession des taux d’intérêt
348
bas
La masse monétaire incontrôlée, seule source d’inflation 349

465
déflation 351

Lutte contre les déficits de l’État, pourvoyeurs d’inflation 352


« Reaganomie » aux USA dès 1980 356
Objectif : libérer le marché 356
Économie de l’offre 357
Priorité 1 : réduire les impôts 357
Priorité 2 : déréguler 358
Priorité 3 : encourager le travail 359
Priorité 4 : favoriser la concurrence internationale 359
L’inflation freinée par le « taux directeur » de la Fed 360
Les taux d’intérêt à long terme moins affectés par le taux
363
directeur de la Fed
Un autre outil toujours en place : les opérations d’Open
365
Market
Mixte monétariste et keynésien, ou « reaganomie » 366
Le dollar à la place des pièces d’or depuis les années 1980 368
Remontée du dollar et retour vers l’étalon-dollar pour les
368
devises
Des monnaies accrochées au dollar 368
Dollarisation 370
Mine à dollars et déficit commercial US 371
Les DTS du FMI plutôt que les pièces d’or ou les dollars ? 372
Les monnaies européennes stabilisées jusqu’à l’euro en 1999 374
La fin du keynésianisme en Europe après 1980 374
Vers une politique monétariste et néolibérale en Europe dans
376
les années 1980
Le SME 377
Critères d’adhésion à la BCE et à son euro 379
Multiples trésoreries nationales dans la zone euro 380
Coïncidence : Les USA jugulent l’inflation, et leur économie
383
domine le monde.
9. Les turbulences du monétarisme 384
Deux accidents économiques vers la fin du XXe siècle 385
La récession de 1990-1991 385

466
Un deuxième creux économique après 2001 387
Un retour de la croissance après 2003 grâce à la reaganomie 388
En contrôlant l’inflation 390
Et les taux de change 390
Limites de la reaganomie pour les pays européens 394
Troisième accident : la crise financière de 2008 396
Tâche ambiguë pour les Banques Centrales après 2004 396
Prêts hypothécaires et marché immobilier 396
La chute de l’immobilier dès 2007 397
La crise financière de 2008 400
Le « Quantitative Easing » de la Fed 401
Le plan de relance du gouvernement américain 402
La reprise mise en doute 403
Le ralentissement de la confiance et de la vélocité monétaire 404
L’explosion de la dette publique 405
Coïncidence à espérer : Une solution plus large pour un problème
407
planétaire
10. Les monnaies parallèles et le réchauffement
410
climatique
Les cinq monnaies parallèles de l’Argentine de 2001 411
Origine de la crise de 2005 en Argentine 411
Des nouvelles monnaies pour contourner le « corralito » 412
Le « crédito » pour redémarrer l’économie parmi les plus
414
pauvres
Fin du « corralito » et des monnaies alternatives 415
Le marché noir coincé par la monnaie 416
Le marché noir pour éviter l’action du gouvernement 416
Caractéristiques du marché noir 416
Surveiller les comptes en banque pour limiter le marché noir 417
Les chèques-services en Europe 420
De nouvelles monnaies parallèles dans les années 1990 420
Circulation des chèques-service 420
Ramener le travail au noir dans l’économie régulière 421
Un nouveau marché parallèle avec sa monnaie contre le

467
réchauffement climatique
Le système parallèle de Comhaire 423
Actualisation du vocabulaire du système de Comhaire 423
Transactions en éco-monnaie hors taxes et transparentes 426
Circulation de l’éco-monnaie 428
Étendue des éco-produits 430
Système moitié prix pour lutter contre le réchauffement
432
climatique
Pour une moindre perturbation : séparer l’éco-marché 433
Coïncidence à espérer : Une solution monétaire au réchauffement
436
climatique ?
Bibliographie 438
Origine des illustrations : 440
Définitions principales 450

468

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