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La continuation du livre – spécialement à propos du chapitre 10 – est
accessible sur strayfawn.com.
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L’Histoire de la Monnaie pour Comprendre l’Économie
Essai
Deuxième édition
Vincent Lannoye
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© Le Cri Édition, 2005-2010 : La Monnaie et les Banques - De la
Mésopotamie à Manhattan
(ISBN: 2-87106-375-3)
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À Marc et Didier qui ont collaboré à la rédaction.
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TABLE DES MATIERES
Définitions principales
Prologue
Avertissement !
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Déflation esquivée au XVIe siècle, et embellie économique
Inflation limitée par le mercantilisme au XVIe siècle
Coïncidence : Évolutions contrastées avec ou sans banques.
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Bretton Woods en 1944 et les Trente Glorieuses de 1945 à 1975
Coïncidence : Keynes en retrait, Schacht en avant, dans l’entre-deux-
guerres.
Bibliographie
Définitions principales
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Prologue
Aussi, cet ouvrage explique les manipulations monétaires qui ont influé
sur l’Histoire, ou qui présentent un intérêt pour comprendre le système
monétaire actuel. Ce livre introduit au système monétaire de notre XXIe
siècle, plus qu’aux théories dépassées. Ce livre n’est donc pas un manuel
exhaustif de l’Histoire de la monnaie et de la banque, et il se concentre sur
l’Histoire occidentale en ignorant la Chine ou l’Inde. Enfin, cet ouvrage
présente une aventure originale confinée dans la ville de Liège vers 1783.
Cette tentative de réforme monétaire était encore embryonnaire avant son
interruption. Elle est ensuite tombée dans l’oubli des rayons de la
bibliothèque municipale. Néanmoins, ce véritable cas d’école me semble
pertinent pour illustrer l’usage des techniques monétaires.
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source. Après tout, la monnaie n’est qu’un moyen en « économie » qui se
définit comme la science de la répartition des ressources, des échanges, du
commerce, des budgets, des taxes ou des impôts, et du rôle de l’État.
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L’incidence de l’efficacité du système monétaire sur l’Histoire est
soulignée. Elle est loin d’être négligeable. En effet, de nombreuses
manipulations ou nouvelles techniques monétaires coïncident avec les
grands événements historiques. Depuis une trentaine d’années, une autre
vision de l’Histoire apparaît dans ce sens, surtout chez les Anglo-saxons.
Certains historiens vont jusqu’à présenter l’évolution du système monétaire
comme une des causes primordiales des grands évènements. Ces thèses sont
présentées succinctement à la fin de chaque chapitre.
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Avertissement !
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truqué ou dans un accident de voiture. Dans ce sens, la taxation abusive ou
la confiscation, même au nom des pauvres, est pernicieuse.
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L’Histoire de la Monnaie pour Comprendre l’Économie
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1. La Monnaie :
catalyseur de l’Antiquité
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Économie de redistribution et écriture
aux prémices de l’Histoire
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Avec les siècles, les villes s’étendaient, et l’administration de
l’économie de redistribution se compliquait. Dans le Croissant Fertile entre
l’Euphrate et le Nil, les besoins de mémorisation comptables et
administratifs instiguaient l’invention de l’écriture en parallèle aux
quantités ou mesures de ponction et redistribution étalonnées en poids, en
pieds, en pouces ou en coudées royales. Vers la fin du IVe millénaire av.
J. C., les premiers pictogrammes marquaient des morceaux d’argile le long
de l’Euphrate, dans le pays de Sumer, et les hiéroglyphes apparaissaient en
Égypte. Cette invention fondamentale n’a eu de cesse de se propager.
L’Histoire commençait avec l’Antiquité racontée sur des murs en pierre, sur
des tablettes d’argile ou sur papyrus. En quelques siècles, les signes de
l’écriture progressaient pour formuler des idées, pour promulguer des lois,
ou pour relater des épopées. À l’aube du IIIe millénaire av. J. C., des textes
élaborés s’inscrivaient sur des tablettes d’argiles.
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premier quart du IIe millénaire était le plus fameux d’entre eux. Les règles à
respecter, les sanctions en cas de manquement recouvraient ainsi des
tablettes d’argiles d’écritures ou des stèles de gravures.
Les règles et les sanctions devaient parfois être chiffrées pour établir
les quantités, les salaires à payer ou les indemnités à délivrer en cas de
jugement suite à une plainte. Par souci de simplification des codes et des
lois, un unique bien principal définissait les quantités ou les montants de ces
règles et ces sanctions. Le grain constituait souvent ce bien central. Un
rapport au grain référençait autoritairement ou religieusement les valeurs
relatives des autres biens. Un autre bien équivalent au grain pouvait ainsi
régler l’apport ou l’amende selon le code et ses lois avec ses mesures
royales ou divines.
Dès lors, les rois et les prêtres ont utilisé l’or et l’argent pour asséner
leur magnificence ou pour récompenser les plus fidèles en leur passant des
médailles dorées ou argentées autour du cou. Les serviles congénères du
royaume ou du temple révéraient une couronne en or sur le crâne.
Ornements somptueux et clinquants d’or ou d’argent étaient des symboles
vénérés et associés à la richesse et au pouvoir. Les rois et les prêtres, en
mal de persuasion de leurs sujets, recherchaient et demandaient avidement
ces métaux. La valeur de ces métaux rares et demandés s’élevait en
conséquence aux yeux des rois. Ces métaux étaient dits « précieux ».
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Dès la deuxième moitié du IIIe millénaire av. J. C., le très recherché
argent-métal servait de valeur pivot pour les autres biens produits dans les
codes et les lois, en remplacement du grain comme référence centrale,
tandis que l’or-métal était trop rare et donc inadéquat pour régler les
comptes des nombreuses transactions. Par exemple, au début du IIe
millénaire av. J. C. et deux siècles avant Hammourabi, le code du roi
Eshnunna de Mésopotamie du Nord stipulait une compensation d’une
« mina » d’argent (environ 500 grammes) en cas de morsure du nez. Une
amende de 10 « shekels » d’argent, soit six fois moins de métal que la
sanction précédente, punissait une gifle à la face.
Besoins de prêts
En parallèle à la redistribution, les prêtres pouvaient avancer une part
des revenus à redistribuer dans les temps à venir. Les autorités accordaient
ces « prêts »à partir des réserves collectées dans les temples. Un citoyen
pouvait souhaiter un prêt qu’il justifiait par des salaires des d’ouvriers
agricoles ou d’autres raisons. Les codes réglementaient également les
remboursements de ces prêts. Ils prévoyaient même des intérêts, souvent
pour éviter des charges d’intérêts abusives. En accordant ces prêts, les
prêtres répondaient doublement à leur vocation : ils s’attiraient la
reconnaissance de leurs contemporains, et ils contribuaient à la gloire des
dieux par les bénéfices sur les revenus issus des intérêts.
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Des traces archéologiques du IVe millénaire av. J. C. attestent de
l’existence de prêts. Les prêts étaient accordés le plus souvent en grains ou
en métal précieux. Chronologiquement, les premiers prêts étaient en grain.
L’argent-métal a ensuite été préféré pour constituer la somme avancée, car
ce métal ne pourrissait pas contrairement au grain. L’argent-métal
remplaçait le grain comme référence de valeur, surtout en Mésopotamie. Par
exemple au début du IIe millénaire, une tablette d’argile retrouvée détaillait
un prêt. Les inscriptions stipulaient un prêt en argent-métal accordé par un
temple, ainsi que les modalités de son remboursement prévu à la saison des
récoltes.
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effectivement un objet ou un bien utilisé pour acquitter les paiements, pour
tenir la comptabilité, pour octroyer des prêts, mais la monnaie représente
également un objet manipulé par une grande partie des individus. Selon
cette définition, l’argent-métal utilisé en Mésopotamie n’était pas encore
complètement une monnaie. D’autres biens servaient à acquitter les
échanges, indépendamment du fait qu’ils étaient eux-mêmes référencés en
argent-métal. Souvent, une large partie de la population échangeait les biens
directement les uns contre les autres, sans passer systématiquement par un
intermédiaire monétaire. Le point suivant reviendra plus en détail sur ces
échanges.
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stratifiée, et un système de planification centralisé et rigide. Dès lors, ils
avaient moins besoin de l’usage d’une monnaie. Les Incas ont néanmoins
atteint un haut niveau de civilisation, sans écriture pour l’administration, et
sans monnaie pour l’économie. Restons-en dans ces pages aux civilisations
concernées par la monnaie.
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Troc et marchés en parallèle à la redistribution au IIe
millénaire av. J. C.
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échangeaient pour améliorer leur quotidien. Parfois, ces échanges étaient
vitaux. Par exemple, du poisson acquis contre du grain fournissait une
alimentation plus équilibrée à l’éleveur de bétail en plein engraissement.
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Troc entre contrées hors économie de redistribution
Dans les premiers millénaires de l’Histoire, ce sont surtout les échanges
entre pays, cités-États ou contrées qui ont décloisonné l’économie de
redistribution. L’importance de ces échanges entre régions venait de la
neutralité des « négociants » étrangers. Avec leurs chariots à roues et leurs
bateaux, les négociants s’ingéniaient à regrouper et à transporter les
différentes marchandises des producteurs locaux pour aller les échanger
plus tard et plus loin. Les marchands se rendaient surtout dans les marchés
des ports fluviaux ou maritimes. Ils étaient souvent étrangers et ils
défendaient leur neutralité envers la cité-État ou envers le royaume, sous
peine de ne plus revenir décharger leurs cargaisons exotiques et appréciées.
À l’intérieur du pays, des considérations de droit, des obligations
religieuses et d’autres comportements propres à l’économie de
redistribution, restreignaient les échanges.
À la fin du IIe millénaire av. J. C., les Phéniciens (de l’ancien Liban)
avaient étendu leur réseau commercial par terre et ensuite par mer avec
leurs flottes de « bateaux ronds » propulsés à la voile. Les Phéniciens
profitaient ainsi pleinement de leur situation géographique à la jonction des
routes et des mers entre la Mésopotamie et l’Égypte. Toujours pour le
développement de leur société mercantile, les Phéniciens pouvaient utiliser
l’écriture sémitique voisine simplifiée en un alphabet de moins de
30 caractères. Ils exportaient du bois de cèdre et de pin, des tissus de lin,
des vêtements teints en pourpre, des broderies, des outils métalliques, du
verre, de la faïence, du vin, du sel, du poisson séché. En échange, ils
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importaient du papyrus, de l’ivoire, de l’ébène, de l’ambre, des chevaux, du
cuivre, de l’or, de l’argent, des bijoux et des pierres précieuses. Ils
faisaient également transiter les biens entre l’Égypte, Babylone et les
caravanes de la péninsule arabique qui transportaient des épices, de la soie
et de l’encens venus de l’Inde et de l’Extrême-Orient dès le Ie millénaire
av. J. C..
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s’échangeaient habituellement contre une livre de sel, quatre livres de
poissons ne valaient pas une livre de sel sans justification.
L’on peut concevoir que les biens s’échangeaient en partie selon les
tarifs codifiés en grains ou en poids d’argent-métal d’après les principes de
l’économie de redistribution. Réciproquement, les tarifs codifiés se sont
peut-être inspirés des valeurs négociées dans les marchés et les foires
locales ou dans les ports fréquentés par les Phéniciens.
Les valeurs variaient au fil des saisons. Elles oscillaient selon les
négociations entre l’« offre » des biens étalés sur les échoppes des
fournisseurs et la « demande » en biens des clients présents dans les allées
du marché. Les variations de l’offre et de la demande déterminaient les
fluctuations des valeurs des biens. En toute liberté, chacun agréait ou non
une valeur exigée, ou alors il attendait la dernière heure du marché en
espérant la liquidation des stocks périssables pour une bouchée de pain.
Chacun était libre de refuser la valeur du poisson, si son estomac n’était pas
vide. L’abondance ou la pénurie des récoltes étaient des contraintes
décisives dans les négociations et les marchandages des valeurs des
échanges. Les niveaux des stocks et l’urgence des besoins influaient sur les
valeurs et sur les quantités des échanges.
Les négociants, tels les Phéniciens, étaient les spécialistes des valeurs
des échanges au quotidien et aussi à terme. Ils s’efforçaient d’échanger à
faible valeur ici, pour obtenir une meilleure contrepartie là-bas. Les
négociants acquiesçaient les valeurs des biens au marché local en fonction
des marges bénéficiaires espérées au marché étranger. Ils achetaient une
livre de sel au bord de la mer salée, et ils la revendaient avec profit au pied
des montagnes. Localement, les négociants rusés s’informaient des bonnes
pêches du jour. Pour la suite, les négociants savaient qu’un sac de blé ne
s’échangeait pas contre la même quantité d’eau en plein désert ou près d’un
puits. L’estimation d’une valeur ultérieure n’a jamais été évidente ou aisée.
Tout un art ou une science en soi pour les producteurs, consommateurs, et
négociants. Tous tenaient compte de la saison, des coutumes, des envies, des
codes et des valeurs en vigueur en Égypte ou à Babylone pour anticiper les
fluctuations des valeurs des biens.
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De l’échange contre « biens-intermédiaires » jusqu’au
commerce en monnaie
Les explications continueront avec les sacs de sel sans ignorer les
différents biens-intermédiaires de l’Antiquité. Ainsi, le bétail en têtes de
vaches, buffles, chèvres, moutons ou chameaux a servi de bien-
intermédiaire. D’ailleurs, le mot latin « pecus » se traduit par « bétail » en
français et a donné « pécuniaire ». Le bétail n’était pas une unité flexible ou
discrète comme le sac de sel, car un fractionnement en quarts de vache pour
l’échange écartait la possibilité de conservation. Il se conservait aussi
difficilement sans pâturage. Le bétail était un bien-intermédiaire répandu,
mais le sac de sel est plus pertinent pour les explications. Bien sûr, d’autres
biens-intermédiaires ont été utilisés comme l’argent-métal et le grain
stipulés dans les codes de l’économie de redistribution, comme les barres
de cuivre toujours salutaires pour fabriquer des outils et des armes, comme
le stère de bois pour cuisiner et fumer des aliments, ou comme le muid
d’orge pour nourrir le bétail en mauvaise saison.
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Pour référencer et compter en mémorisant les prix
Sa commodité pour échanger représentait la première raison de l’usage
du bien-intermédiaire. Les négociations et les marchandages au marché ne
nécessitaient plus une mémoire d’éléphant pour garder en tête les valeurs et
les références des échanges en troc. Plus besoin de se souvenir qu’une jarre
d’huile d’olive valait deux amphores de vin, qu’un bœuf s’échangeait contre
30 poulets, et qu’un couteau ne s’obtenait pas à moins d’un baril de poisson
salé. Un rappel en nombre de biens-intermédiaires était vite venu dominer
les débats. Les multiples valeurs relatives entre biens étaient oubliées pour
quelques références par rapport à un unique bien-intermédiaire. Seul le
nombre de sacs de sel se fixait en mémoire pour chiffrer l’échange contre
une livre de viande, contre une jarre d’huile, ou contre une amphore de vin.
La quantité chiffrée en bien-intermédiaire servait de point de repère pour
les valeurs des échanges. Ces références, ou cet étalon de mesure s’appelait
le « prix ». Il signifiait le montant à payer en nombre ou en quantité de
biens-intermédiaires pour obtenir le bien désiré. Il s’imposait comme un
critère prééminent et mémorisable pour les prochaines négociations et
marchandages au marché. Sans explications additionnelles, payer 5 biens-
intermédiaires n’était pas justifié si 4 suffisaient la veille.
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sacs de sel. Ensuite, ils payaient avec les sacs de sel obtenus contre le bien
désiré lors d’une deuxième négociation, qui solutionne ainsi le problème dit
de « double coïncidence ». Les échanges selon des prix mémorisés en sacs
de sel offraient un gain de temps considérable. Quelques instants suffisaient
pour échanger à une personne à la fois, toujours intéressée par des sacs de
sel. Avec le troc, chacun passait par des négociations interminables. X, Y et
Z devaient se localiser et négocier avant l’échange. Tous couraient les uns
vers les autres pour négocier une valeur en fonction d’une autre. Le temps
perdu au marché laissait aussi moins de temps pour pêcher, cultiver et
remplir les ventres.
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Pour saler la viande, les villages des prairies appréciaient toujours les sacs
de sel des marais salants. Pour conserver le surplus de poisson, les
pêcheurs nécessitaient des sacs de sel. Le sac de sel serait échangé au plus
offrant des producteurs de viande ou de poisson. Les sacs de sel seraient
toujours troqués plus tard contre les biens désirés.
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Les hommes avaient confiance en l’utilité du sac de sel. Jamais ils ne
doutaient de pouvoir l’échanger plus tard. Peu à peu, les négociants
oubliaient qu’un sac de sel salait 5 livres de poisson. Dans la balance, seul
pesait le prix en nombre de sacs de sel ou en poids brut de sel. Le sac de
sel était alors le bien de référence, l’intermédiaire presque abstrait dont la
valeur intrinsèque avait été oubliée. Le sac de sel se mettait à circuler de
main en main sans être consommé. Le sac de sel n’était plus un bien-
intermédiaire consommable, mais une valeur numéraire ou « monnaie »
pour compter en prix, acquitter le paiement (pouvoir libératoire), et
postposer les échanges. Le bien-intermédiaire avait été considéré
jusqu’alors comme une protomonnaie. En circulant, la protomonnaie
évoluait vers la monnaie : un simple instrument pour compter, acquitter,
mettre en réserve ou épargner sans consommer. Les échanges se muaient en
« commerce » avec « vente » et « achat » contre monnaie. Les négociants
en biens se drapaient en commerçants en monnaie.
La transition s’est étalée sur des millénaires depuis les échanges contre
biens-intermédiaires jusqu’au commerce en monnaie « pure ». La monnaie
sera pure lorsque le bien-intermédiaire « non consommé » aura évolué en
monnaie « non consommable » et sera utilisée pour les transactions par
l’ensemble de la population. Ce stade sera atteint avec des monnaies
symboliques en pièces de cuivre ou en billet de papier. La monnaie se
transformera alors en un simple « outil de paiement et d’épargne »,
inutilisable à une fin comestible comme le sac de sel. Au cours de
l’Histoire monétaire, la monnaie n’a cessé de s’éloigner de la référence à
l’utilité d’un bien-intermédiaire consommable pour s’estomper en une
référence reconnue mais abstraite. Avec les siècles, les méprises quant à la
valeur intrinsèque de la monnaie se sont multipliées. La monnaie s’enfonçait
dans l’incompréhension, de pair avec les manipulations monétaires.
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Probablement, les sacs de sel n’ont jamais été considérés et traités
comme monnaie. Une monnaie de sacs de sel était trop susceptible de
profiter aux producteurs de sel. Un pic soudain de production et les
producteurs de sel étaient à même de gruger les tenanciers des échoppes du
marché. De fait, si les produits se vendaient à des prix mémorisés en sacs
de sel, les producteurs de sel raflaient l’entièreté de la viande à un marché
habitué à vendre la livre de viande pour deux sacs de sel. La monnaie sac
de sel aurait inspiré méfiance. Ce désaveu mettait des bâtons dans les roues
du commerce en monnaie sacs de sel. Le sac de sel était toujours pesé,
jamais épargné à long terme. Il restait considéré comme un bien-
intermédiaire plus que comme une monnaie à l’usage familier et généralisé.
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occasionnelle de valeur ne suffisait pas à définir une monnaie. La véritable
marque de la monnaie était son usage généralisé dans le commerce.
Dès le IIe millénaire av. J. C., l’influence des marchands étrangers a été
importante pour diffuser l’usage de l’or et de l’argent-métal comme bien-
intermédiaire ou comme monnaie, selon les sources historiques. Les
Phéniciens acceptaient toujours ces lingots en paiement dans le commerce
ou dans les marchés des cités. Les commerçants appréciaient ces lingots en
paiement qui étaient inertes, aisément manipulés ou comptés, et dont un
volume compact représentait une valeur convenable pour les transactions
importantes. Du Moyen-Orient à la Méditerranée, ces commerçants-
voyageurs parcouraient de longues distances. À l’inverse, le bronze
commun pesait lourd pour représenter une contrepartie importante. Les
lingots permettaient aussi un placement en une réserve inaltérable, et non
multipliable contrairement aux sacs de sel. Cet engouement pour l’or et
l’argent n’a jamais été infirmé depuis. L’usage des métaux précieux comme
bien-intermédiaire s’est étendu en Méditerranée. Les Grecs l’ont notamment
adopté au Ie millénaire av. J. C.. Les lingots circulaient ainsi comme une
monnaie dont les origines de la valeur avaient presque été oubliées.
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classe urbaine se développait. Elle se composait d’artisans ou de scribes
détachés de l’agriculture ou de l’élevage, comme du sacerdoce ou de
l’anoblissement.
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Pièces de monnaie au VIIe siècle av. J. C.
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Profit sur ces pièces de monnaie
Les pièces de monnaie d’électrum étaient avalisées pour leur valeur
faciale selon les codes de l’économie de redistribution. L’économie de
redistribution était encore bien en place. Cependant, la motivation de la
frappe des pièces n’était pas seulement leur commodité pour l’économie de
redistribution. La valeur faciale était surfaite par rapport à la valeur au
poids de la pièce en métal précieux sur les marchés de l’économie des
échanges entre contrées. Les autorités engrangeaient un gain réel par rapport
aux valeurs des métaux pratiquées dans le commerce hors économie de
redistribution. Pour faire avaler cette différence, des symboles religieux
variés ont été frappés sur les pièces de monnaie pour en inciter l’accueil
comme paiement.
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traiter avec des poids minuscules, selon la précision des poids des pièces
de monnaie retrouvées par les archéologues.
La Grèce avait des mines d’argent. C’est donc la pièce d’argent qui
s’est répandue en Grèce. La pièce d’argent convenait également mieux pour
des transactions d’un petit montant. Les pièces d’or, même minuscules,
étaient d’une valeur disproportionnée. L’or était surtout thésaurisé sous
55
forme de lingot dans la perspective de transactions importantes. Ces pièces
convenaient mieux que les lingots pour les diverses opérations locales ou
les rétributions légales, comme les soldes des militaires ou les paiements
des fonctionnaires.
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Dans le commerce avec l’étranger, les rois lydiens ne profitaient pas
pleinement de la valeur des pièces d’électrum alliées d’or et d’argent. Dans
les négociations des échanges, les commerçants tendaient à sous-évaluer
l’indéterminable et contestable teneur en or, pourtant de plus forte valeur
que l’argent. Les pièces à la coloration suspecte de l’électrum étaient
considérées comme une masse d’argent en négligeant l’or contenu dans
l’alliage. Les pièces d’électrum lydien étaient comparées sur une balance
avec des pièces grecques d’argent ou des lingots d’argent fin.
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« bimétallique ». Et le rapport fixe de conversion entre les pièces d’or et
les pièces divisionnaires d’argent était le « ratio bimétallique » de change.
Pour un système viable, le roi maintenait le ratio par ses dépenses d’or
ou d’argent dosées par les extractions afin de permettre une conversion en
rue entre pièces d’or et pièces d’argent. Sans intervention royale, un
système monétaire d’or et d’argent n’était d’ailleurs pas considéré comme
bimétallique quand les pièces d’argent côtoyaient les pièces d’or avec un
échange au poids fixé selon le bon vouloir versatile de la rue.
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cette hausse. Ainsi, non content de surévaluer la valeur des pièces par
rapport à la valeur au poids du métal pour le commerce étranger, le ratio
bimétallique surévaluait l’or à l’argent. L’empereur l’avait gonflé au profit
de son or. Avec ce ratio rehaussé à 1:13,33, l’empereur a augmenté
artificiellement la valeur de sa production d’or pour obtenir plus de biens
consommables de son économie, avec moins de métal jaune.
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Pièces de monnaie au poids en Grèce
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des pièces d’argent. Les pièces de monnaie se transmutaient en une
référence universelle et incontournable pour tout paiement.
Les Trésors des États collectaient également les pièces de monnaie par
les offrandes aux temples ou par les impôts et les taxes, selon les principes
ancestraux de l’économie de redistribution. La levée d’impôts sur les
ressources ou les revenus en pièces était d’ailleurs plus fonctionnelle que la
61
ponction « en nature » de biens périssables, même référencés en argent-
métal. Raison supplémentaire pour les États d’encourager l’usage des
pièces de monnaie.
Les Trésors injectaient les pièces dans l’économie par les soldes des
armées et les dépenses royales. Les pièces satisfaisaient autant l’économie
de redistribution par une fiscalité fonctionnelle, qu’elles étaient acceptées
en paiements par l’économie de marché pour des transactions fluidisées et
pour une thésaurisation d’une valeur inaltérable. Les pièces de monnaie
contribuaient à perfectionner l’organisation de l’économie mixte de
redistribution et de marché qui était en vigueur.
Athènes avec son poids économique a pressé les cités alliées et quasi
rivales à ratifier bon gré mal gré une uniformisation du système monétaire.
Les Athéniens ont forcé la main de leurs alliés à signer des accords sur les
spécifications de poids et de formats des pièces de monnaie. Ce standard
« attique » définissait des pièces d’une valeur faciale identique à la valeur
au poids d’argent-métal, sans plus de ponction en rapport à la valeur au
poids des marchés étrangers. Les Grecs, et les Athéniens en premier, étaient
des hommes libres qui ne souhaitaient pas s’entendre dicter une valeur des
pièces pour le marché local qui différerait de la valeur des lingots des
marchés étrangers ou des autres cités. Dans le cas contraire, les paiements
en biens-intermédiaires, en lingots ou en pièces étrangères au poids étaient
susceptibles de circuler librement comme monnaie. Aussi, le prestige de la
cité s’affirmait dans la qualité des pièces.
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L’uniformisation monétaire avait fait un premier pas en Grèce. Les
armées macédoniennes et romaines ont ensuite rythmé la marche. Avec la
synthèse des grands empires de l’Antiquité, un processus de plusieurs
siècles se mettait en route vers la frappe d’unités monétaires communes en
forme et en poids sur d’immenses territoires, et sur fond de monopole
impérial des mines d’or et d’argent.
63
Les pièces de monnaie : ciment des empires
Cependant, malgré les conquêtes, les pièces de monnaie n’ont pas été
entièrement uniformisées. Alexandre tolérait les frappes de monnaies
locales. Les monnaies de l’empire servaient de référence de poids, d’unité
commune du système monétaire bimétallique. Les pièces impériales
assuraient la continuité du change entre les hétéroclites pièces d’or et les
multiples pièces d’argent.
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République de Rome
Avec l’expansion de la République romaine, les pièces de monnaie d’or
et d’argent accentuaient leur usage selon le modèle propagé d’Orient en
Occident. Les pièces d’or et d’argent se substituaient aux sacs de sel, barres
de cuivre ou lingots d’argent alors utilisés dans le commerce de l’Ouest
méditerranéen. Même les pièces de bronze autrefois si populaires, mais si
volumineuses (coulées et non frappées), ont disparu au Ie siècle av. J. C..
Ces pièces de bronze avaient seulement circulé dans quelques économies de
redistribution locales avant leur annexion par la République romaine. Elles
cédaient la place aux plus sûres, plus transportables et plus universelles
pièces d’or et d’argent. Ces pièces de bronze allaient réapparaître après la
République, dès les premiers temps de l’Empire, pour des raisons
expliquées dans le chapitre suivant.
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perduré comme référence légale pendant plus de mille ans, jusqu’à
Byzance. Comme depuis la Lydie, les pièces d’or ou d’argent nécessaires
au maintien du ratio étaient injectées en circulation par les soldes des
armées, les traitements des fonctionnaires, et les dépenses du sénat puis des
empereurs.
Le volume des pièces en circulation a été multiplié par dix entre 157 et
50 av. J. C.. Rome a notamment eu des apports massifs d’or et d’argent par
les conquêtes, comme en Gaule. En parallèle à la hausse de la frappe, une
formidable expansion du commerce absorbait ces pièces nécessaires
comme numéraire pour acquitter les échanges et thésauriser. Les Romains
réclamaient des pièces pour commercer et thésauriser efficacement. Le troc
représentait une énorme perte de temps. La thésaurisation en pièces était
plus sûre qu’un placement dans un autre bien-intermédiaire périssable. Les
pièces représentaient une épargne plus liquide et accessible que
l’investissement en terres ou en bâtiments. Selon les historiens, l’or et
l’argent faisaient même défaut dans l’Antiquité, car les pièces manquaient
pour le commerce et la thésaurisation – cette indication importante sera
détaillée ultérieurement –. Malgré ce manque relatif de monnaie, le niveau
de vie de l’Empire romain allait égaler celui du XVIIe voire du XVIIIe
siècle de l’Europe des Temps modernes.
66
Changeurs-essayeurs et pièces variées de l’Antiquité
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Les changeurs étaient aussi essayeurs. En plus du poids de la pièce, ils
vérifiaient le titre de l’alliage et le fourrage éventuel de celle-ci avec un
noyau invisible. Depuis l’instauration des pièces grecques à haute valeur en
rapport au poids des lingots, les faux-monnayeurs étaient tentés de fabriquer
des pièces allégées en métal précieux qui étaient peu susceptibles d’être
systématiquement évaluées. La méfiance était constante pour détecter la
fausse monnaie, ou même l’altération furtive par le pouvoir central de la
teneur certifiée d’or ou d’argent des pièces.
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donneraient que des pièces malléables et ductiles, au contraire des pièces
alliées avec une pincée de cuivre. Enfin, en plus du poids allégé et de
l’alliage dévalué, des fausses pièces étaient fourrées par coulage de
l’alliage d’or ou d’argent autour d’un noyau sans valeur.
Dans l’Antiquité, des techniques empiriques fondées sur les sens ont été
préférées. La pierre de touche abîmait trop les pièces. L’évaluation par la
détermination du poids et les dimensions était imprécise. Les changeurs-
essayeurs se sont rabattus sur l’examen de la gravure, des marques ou des
symboles de l’atelier de frappe d’origine. Ils tâtaient, faisaient tinter la
pièce et écoutaient le son si caractéristique de l’or plein et pur, d’où
l’expression de la monnaie « sonnante et trébuchante » (avec
69
« trébuchante » pour le trébuchet de la Renaissance comme expliqué plus
tard). En cas de fourrage deviné, la pièce était cisaillée pour visualiser son
cœur impur.
70
Naissance de la banque dans l’Antiquité
71
paiement. En Méditerranée, ce genre de banque est apparu en Grèce dès le
Ve siècle av. J. C., et à Rome dès le IVe siècle av. J. C.. L’origine se
trouvait chez les changeurs-essayeurs aguerris à l’usage des pièces de
monnaie, et habitués à conserver les avoirs de leurs clients familiers. Ils
avaient peut-être eu vent de l’acquis et du doigté des banquiers
mésopotamiens ou égyptiens.
~
Aussi, l’île de Délos est à signaler. Cette île était une sorte de premier
paradis fiscal pour le commerce maritime, et à la maîtrise bancaire
renommée en Méditerranée. Délos était le principal centre de
« compensation » (« clearing » en anglais) ou d’annulation des dettes entre
banques en Méditerranée. La banque X doit 100 à la banque Y qui doit elle-
même 100 à la banque Z. Comme la banque Z doit également 100 à la
banque X, les banquiers soldaient leurs dettes respectives sans déplacement
de monnaie, et dans cet exemple-ci, elles annulaient complètement leurs
dettes. Les différents centres de compensation en Méditerranée ont sécurisé
les transferts vers l’étranger. La majeure portion des transferts s’équilibrait
sur papier. Dès lors, un client pouvait déposer de la monnaie dans une
banque à Rome, et retirer son dépôt dans une banque de province, sans
redouter un scabreux déplacement de monnaie.
72
Prêts et crédits consécutifs aux dépôts en banque
Les prêts accordés par les banques ont emboîté le pas aux dépôts
bancaires de grains, de lingots, et surtout de pièces de monnaie. Bien sûr,
les prêts bancaires n’étaient plausibles qu’avec une monnaie acceptée par
tous. Le prêt se rattachait en sens inverse à l’un des avantages de la
monnaie : avancer la dépense et postposer le paiement devenu
remboursement. C’était avec les pièces de monnaie laissées en dépôt par
leurs clients que les changeurs se sont mués en banquiers. Enfin, il faut
distinguer les prêts bancaires accordés avec les pièces de monnaie d’autrui
en dépôt, et les simples prêts non bancaires effectués à partir de sa fortune
personnelle. Ces derniers prêts ont existé bien avant les prêts accordés par
les banques.
73
Jamais la banque ne prêtait des pièces de monnaie sans limites. La
banque conservait toujours en coffre une importante « couverture » en
monnaie pour couvrir les retraits sporadiques des comptes de dépôt par les
clients. Une somme de pièces de monnaie constituait cette couverture pour
couvrir ces retraits des dépôts bancaires. Plus il y avait de dépôts, plus la
couverture devait être importante. Dans l’Histoire, de nombreuses banques
sont néanmoins célèbres pour avoir failli au retrait des dépôts, pour avoir
scandalisé les clients, et pour avoir vu le banquier s’évanouir dans la nature
pour fuir les représailles.
Pour augmenter les revenus issus des intérêts, la banque augmentait ses
avoirs, et donc sa couverture, en pièces de monnaie pour accorder plus de
prêts. Les banques attiraient les pièces thésaurisées enterrées au fond du
jardin par la rémunération d’un intérêt au dépôt. La « thésaurisation » de
pièces sous le lit se bonifiait en épargne de pièces en banque. Les gains
bancaires provenaient alors du solde entre les revenus des intérêts des prêts
déduits des intérêts payés aux déposants.
74
domaine entre gens de confiance. Poignées de main, ordres ou mandats sur
papyrus, étaient nominatifs et circonscrits au cercle d’initiés. Les banques et
leurs crédits étaient circonscrits autour des commerçants.
75
Babylone jusqu’à Rome. Les éventuels papyrus et tablettes de cire des
livres des comptes ont pour la plupart disparu. Seules des traces écrites
répétées auraient prouvé l’existence généralisée de monnaie scripturale,
donc d’un volume de crédits supérieur au volume des dépôts. Aucun
témoignage de la sorte n’a été retrouvé. Il est aussi plausible que, pour ne
pas affoler leurs clients, les banques ne pavoisaient pas en clamant haut et
fort qu’elles créditaient plus qu’elles avaient en caisse. Les historiens
n’attestent pas l’existence de monnaie scripturale dans l’Antiquité. De toute
manière, les activités bancaires de l’Antiquité se sont concentrées autour du
commerce. La création monétaire éventuelle a dû stagner parmi les seuls
négociants et notables reconnus par la banque. En conclusion, la monnaie
scripturale en masse allait être une quête pratiquement vaine avant des
siècles. En fait, jusqu’à la Révolution industrielle du XVIIIe siècle. Selon
certains, il s’agit bien là d’une des principales différences du monde romain
avec l’Europe moderne. Les chapitres suivants y reviendront plus
amplement.
76
barrait tout crédit écrit. Des intérêts dissuasifs ou un simple refus les
écartaient du crédit. Les banques évinçaient surtout la plèbe de l’accès aux
crédits. Les plébéiens ne possédaient aucune garantie à offrir aux banques
en cas de dédit de remboursement. L’obstacle des garanties bancaires,
comme un revenu infaillible ou un bien immobilier consolidé, s’est
d’ailleurs avéré intemporel pour l’obtention d’un crédit.
77
et financier. Les autorités romaines n’y ont jamais pu ou su développer un
système bancaire comme en Orient, jusqu’au modèle de l’Égypte
ptolémaïque. Les banques ne s’étaient pas disséminées dans l’entièreté du
monde romain. Les banques ont été cantonnées dans l’Orient de l’Empire.
78
Coïncidence : Les pièces de monnaie, nerf de la
guerre ou de la paix ?
79
ouvraient des commerces en permanence. Socrate considérait qu’être riche
et bon en même temps était impensable, et que l’or et l’argent favorisaient
l’accumulation de richesses. Il avait aussi été choqué par la démagogie des
sophistes qui défendaient une cause quelconque contre une discrète pièce de
monnaie. Les bons gardiens de la Cité ne devaient pas posséder de
monnaie. Certes, la monnaie représente un peu de liberté pour soi, mais
aussi un instrument pour soumettre d’autres. À son tour, Platon considérait
que la monnaie ne devait être qu’un symbole purement abstrait pour faciliter
les échanges. Il a proposé une monnaie en cuivre pour le commerce
intérieur. Pour Platon, la monnaie était de médiocre importance en
comparaison des biens de l’âme. Finalement, Aristote, peut-être inspiré par
son beau-père de banquier, semblait craindre le surplus et la fausse
monnaie. L’or et l’argent étaient des intermédiaires convenables pour un
troc amélioré, comme l’étaient aussi le bétail ou les sacs de sel. Il blâmait
néanmoins la recherche du superflu, du profit aux dépens des autres, et
surtout les intérêts prélevés sur les prêts.
80
Ainsi, d’autres coïncidences existent en marge d’un usage de la monnaie
intime avec le commerce et les conquêtes militaires dans l’Antiquité. En
effet, l’apparition de la monnaie coïncide avec le passage de l’économie
rigide et autarcique de redistribution vers une économie additionnée de
marché libre plus démocratique, plus ouverte et plus productive. La
propagation de l’usage de la monnaie coïncide aussi avec l’unification des
Empires. Finalement, la monnaie ne semble pas être la racine de tous les
maux ; au contraire, elle a plutôt favorisé le commerce des biens et des
techniques qui a contribué à l’éclosion de la civilisation jusqu’à la
floraison… de la Pax Romana.
81
2. L'Empire romain et
les pièces de monnaie multipliées
82
Inquiétudes financières dans l’Empire au Ie siècle apr. J. C.
83
Le troisième chapitre reviendra plus en détail sur le manque de
monnaie. Mais dès à présent, le besoin réel de monnaie peut être
raisonnablement lié à une production insuffisante de pièces d’or et d’argent
et à une démographie en hausse.
84
Finalement, les pièces du paiement à crédit étaient réclamées
matériellement tôt ou tard. Le paiement devait être acquitté pour satisfaire
le sentiment de sécurité. En cas de non-paiement, la faillite du débiteur était
déclarée. Dès lors, malheur à celui qui manquait de pièces ! De fait, les
revendications de la plèbe étaient constantes contre les sanctions pour les
faillis obérés par une usure endémique.
85
monnaie, et toujours en se refusant d’emprunter aux banquiers. De fait,
l’Empire a alors instauré plusieurs palliatifs pour atténuer le manque de
pièces, sans toutefois éradiquer les crises financières d’endettements, de
paiements ou de trésoreries.
86
Nouveaux expédients aux crises de trésorerie dès le Ie siècle
apr. J. C.
87
L’empereur Auguste a introduit les pièces de billon. Ce reliquat de
l’usage des monnaies en barres de bronze a été réimplanté pour suppléer au
manque de pièces. Les pièces de billon étaient divisionnaires légales des
pièces d’argent, elles-mêmes subdivision des pièces d’or. Bien sûr, l’État
romain avait légalisé ces pièces de billon pour le paiement des impôts ou
des taxes. Comme les pièces de billon étaient « convertibles » en pièces
d’argent ou même d’or, la valeur des nouvelles pièces de billon de
l’Empire résidait dans la confiance en leur convertibilité en pièces d’argent
ou même d’or. Ces nouvelles pièces de billon ont germé de l’usage des
pièces d’or et d’argent qui les avaient remplacées un siècle plus tôt. L’as de
cuivre pur était ainsi introduit, et le sesterce en laiton remplaçait le sesterce
en argent. Les nouveaux as de l’Empire étaient bien plus légers et
manipulables que les anciens pavés des as de la République dont la valeur
s’accrochait au poids intrinsèque de bronze.
88
valeur faciale cumulée des pièces d’or et d’argent. Les pièces de billon
représentaient entre 5 et 10 % de cette valeur faciale cumulée des pièces.
89
n’étaient pas négligeables en regard de la valeur des pièces de billon. Les
pièces de billon étaient néanmoins une petite création monétaire sans or ou
argent. En ce sens, les pièces de billon étaient comparables à l’éventuelle
création de monnaie scripturale par les banques.
Les pièces d’argent voyaient leur titre dévalué par ajout de cuivre lors
de leur fabrication. Une modification légère du titre d’argent était
imperceptible et même invérifiable du temps de Rome. La gravure
90
officielle, seule possibilité de détection de la fausse monnaie, n’était plus
un gage d’un titre fin d’argent. Les analyses métallographiques des pièces
exhumées par les archéologues le démontrent : les pièces d’argent
jusqu’alors quasi pures passent à 90 % d’argent sous Néron. Durant les
deux siècles qui ont suivi, le titre d’argent va progressivement tomber à
40 %.
91
nouvelle norme. La révision à la baisse des normes de poids des pièces
était réitérée de décennie en décennie. L’uniformisation de la teneur d’or ou
d’argent des pièces par le recyclage par la fiscalité ralentissait ce faux-
monnayage.
92
Inflation perceptible au Ie siècle apr. J. C.
Les négociants avaient augmenté leurs prix assez vite, mais pas
instantanément. Juste le temps de percevoir et de mémoriser la hausse des
prix selon l’un des avantages du bien-intermédiaire ou de la monnaie : la
référence de valeur mémorisée. Après un certain laps de temps, les
commerçants et les clients avaient enregistré la hausse des prix conséquente
à une multiplication de la monnaie. Le commerçant avait lui-même besoin
de plus de pièces de monnaie pour maintenir son train de vie et acheter chez
les autres commerçants aux nouveaux prix mémorisés.
93
Cette hausse des prix était la marque d’une multiplication
disproportionnée des pièces de monnaie, relativement à la quantité de biens
produits. Avec la Pax Romana au début de l’Empire, l’expansion
économique et démographique avait absorbé l’injection colossale de
pièces. Au Ie siècle apr. J. C., cette expansion ralentissait. L’infléchissement
de la hausse de la production accentuait le déséquilibre entre les quantités
en hausse de pièces de monnaie injectées en circulation et les quantités
languissantes de réserves de biens dans les boutiques.
Selon les économistes les plus influents de notre XXIe siècle, l’inflation
est surtout un phénomène monétaire. La quantité de monnaie doit varier en
proportion de la quantité de biens pour éviter l’inflation. Assertion
raisonnable surtout en notre ère industrielle de production inoxydable, de
94
démographie stabilisée, et enfin d’un système monétaire élaboré et
compressible, comme expliqué dans les derniers chapitres. Du temps de
Rome, le volume de biens produit était aussi prépondérant que la quantité
incompressible de monnaie en circulation. La « compression » de la
quantité de monnaie en circulation sera étudiée par la suite.
Cette explication d’une inflation d’après une cause monétaire est la plus
écoutée en notre XXIe siècle. Ce livre va dans le sens de ces théories
dominantes. Expliquer la monnaie est plus concret en se raccrochant aux
théories actuellement en vogue.
D’après les archives, l’inflation des prix par multiplication des pièces a
été longtemps modérée et constante dans l’Empire. Cette hausse est
généralement admise par les historiens dans l’Orient comme dans
l’Occident de l’Empire. Par exemple, la hausse de la solde du légionnaire
indiquait un accompagnement d’une inflation annuelle d’environ 1 % par an
entre l’an 100 et 220. Tendance confirmée par l’étude d’autres prix.
95
Dans les derniers siècles de l’Empire, l’inflation a accéléré le tempo
quand la création monétaire par les frappes de pièces du Trésor redoublait.
L’appoint de financement par la multiplication des pièces devenait une règle
établie. Au tournant du IIIe siècle apr. J. C., la hausse de la solde annuelle
du légionnaire est passée de 600 à 1800 « denarius » sur 20 ans. Longtemps
modérée, la hausse de la solde du légionnaire est montée à un chiffre
inquiétant de 5 % par an au début du IIIe siècle apr. J. C.. La multiplication
des pièces et l’inflation résultante allaient contribuer à la dégradation
économique, à la « crise du IIIe siècle », et à la chute de l’Empire, comme
les pages suivantes vont l’expliquer.
Une hausse des salaires des paysans ne révélait pas directement une
poussée d’inflation des prix. En fait, les salaires ne rentrent pas dans la
mesure de l’inflation des prix. Ils n’y rentrent qu’indirectement, par les
coûts de main-d’œuvre pour produire les biens produits et les services
vendus. La hausse des salaires ou des soldes des légionnaires était plutôt le
96
reflet d’un accompagnement de l’inflation des prix. Dans ce cas, le salarié
n’était pas plus riche en biens, même s’il avait plus de pièces en main. Dans
d’autres cas, l’amélioration de la productivité entraînait une majoration des
salaires, tout en laissant les prix de vente inchangés. Cette hausse de salaire
indiquait que le salarié s’était enrichi en biens.
Par ailleurs, les économistes estiment que ces hausses des salaires sont
peu inflationnistes. Les ressources physiques et humaines limitent
l’amélioration de la productivité qui génère la hausse des revenus et des
salaires. Dans les belles années de prospérité, la hausse de la productivité
dépasse rarement quelques pour cent, et elle ne se répercute que
modérément sur les salaires et sur l’inflation des prix de vente.
97
clients faisaient référence aux nouveaux prix, et ils oubliaient les anciens
prix.
Certes, les dépenses des pièces multipliées avaient des apports positifs
comme d’éviter les crises de trésorerie, et comme de généraliser l’usage de
la monnaie jusque dans les campagnes des provinces occidentales. Les
nouvelles pièces facilitaient le commerce en pleine croissance par le
comptage et l’acquittement. Elles permettaient la thésaurisation après le
change des pièces de billon en pièces d’argent. Elles rendaient possible
l’éventuel octroi de quelques prêts en pièces. Les dépenses de pièces de
monnaie, la paix et les voies romaines avaient presque inconsciemment
tonifié la formidable expansion du commerce du début de l’Empire. Le
volume de biens s’était accru en proportion aux frappes de monnaie
jusqu’au Ie siècle apr. J. C.. L’inflation était alors inexistante.
D’une part, l’État dépensait trop ses nouvelles pièces pour les soldes
des armées, pour la bureaucratie et pour d’autres charges non productives.
Ces charges comprenaient bien sûr la construction de monuments de
prestige ou d’édifices religieux lénifiants, et les diversions démagogiques
en pourvoyant du pain et des jeux, surtout en Italie.
D’autre part, l’État investissait peu ses nouvelles pièces pour créer des
industries rentables ou améliorer valablement l’infrastructure à vocation
économique. Rome n’a pas su, ou n’a pas pu mettre sur pied des
programmes d’investissements féconds à la place de dépenses stériles. Il y
a bien eu des constructions de routes, d’aqueduc, de canaux, ou de ports,
mais ces ouvrages étaient destinés en priorité au militaire et au politique.
98
Avec plus de nouvelles pièces de monnaie dans les mains des acheteurs
que de nouveaux biens, l’inflation pointait son nez. La mesure de l’inflation
d’après les documents d’époque oriente les historiens vers cette conclusion.
Les Romains de l’Empire ignoraient les dangers de ce phénomène nouveau
de l’inflation. Excepté les hausses ponctuelles, la République n’avait jamais
rencontré une telle situation de manière aussi continue. Cette inflation usait
lentement l’économie. Elle pouvait dépasser un cap de non-retour jusqu’à
échapper à tout contrôle et amener à de graves convulsions économiques et
sociales.
99
Mécontents et profiteurs de l’inflation des prix dès le Ie
siècle apr. J. C.
L’inflation des prix était aussi une ponction qui agissait comme une taxe
sur les bénéfices espérés. Ce qui suit permet de l’illustrer. Ainsi, un potier
concluait un contrat pour vendre dans deux mois cinquante jarres en terre
cuite contre dix pièces. Le potier se mettait à produire en achetant de
l’argile et le bois pour le four selon des coûts en vigueur de 8 pièces. Deux
mois plus tard, il fournissait les cinquante jarres contre les dix pièces. Entre
temps, l’inflation s’était manifestée suite à l’afflux des nouvelles pièces
multipliées. Les prix du jour proposaient quarante jarres contre dix pièces.
100
L’inflation avait ponctionné dix jarres. Le potier se retrouvait grugé par le
contrat à terme tronqué par l’inflation. Le vol se faisait de la même manière
sur le dos du courageux tâcheron payé à la fin de son labeur, jamais au
début. Même en cas de poussée d’inflation durant l’exécution du contrat, le
travailleur restait payé au montant initialement convenu. Toutes les
transactions à terme voyaient ainsi leurs bénéfices rognés par l’inflation.
101
Le gain était appréciable pour l’acheteur qui payait à terme. Il avait
précédemment convenu d’un prix de 10 pièces pour 50 jarres. Le jour du
paiement, il revendait 40 jarres pour obtenir 10 pièces selon les prix du
jour, il effectuait le paiement dans la journée au fabricant, et l’acheteur
conservait 10 jarres pour lui-même. Une bonne affaire pour l’acheteur qui
payait sa commande au prix antérieur à l’inflation.
102
Déclin économique du Ie siècle jusqu’au début du IIIe siècle
apr. J. C.
103
Travail dévalorisé aussi par l’inflation
À Rome, les réquisitions, les confiscations, la fiscalité en augmentation,
et surtout la démagogie dévalorisaient et décourageaient le travail. Un credo
peu productif surpassait les valeurs de l’huile de bras, de la rigueur et de
l’équité. L’État était obsédé de s’enrichir, notamment pour nourrir les
citadins inactifs. Le pouvoir s’accaparait la consommation. Dès lors, les
fardeaux de l’État sur le travail et l’échappatoire des villes où se
concentrait la démagogie des subsides, déforçaient la production. La
lassitude s’emparait de la société romaine. Bien sûr, d’autres causes
toujours débattues expliquent le déclin économique de l’Empire romain. La
question demeure ouverte en notre XXIe siècle.
104
Les commerçants et les producteurs éliminaient sèchement les activités
les moins profitables. Personne n’a jamais aimé perdre le fruit de ses
efforts grignoté par le temps, sans moyen de conserver son revenu pour ses
vieux jours. L’inflation rognait année après année la valeur de la pièce de
monnaie. Peu d’alternatives subsistaient pour placer ses revenus et en
conserver la valeur, car l’épargne en banque rémunérée par des intérêts
compensant l’inflation était rarement possible, et les placements fonciers
excitaient l’appétit des impôts.
Pour les pièces de billon, le coût de fabrication avait fini par rattraper
la valeur nominale de ces pièces sous l’effet de la lente inflation. Ces
pièces ont donc disparu dans la plupart des régions de l’Empire à la fin du
IIe siècle apr. J. C. pour ne persister que dans les régions proches de Rome.
105
Jusqu’à la fin du IIe siècle apr. J. C., l’inflation des prix indisposait plus
qu’elle paralysait l’activité économique. L’inflation modérée des Ie et IIe
siècles apr. J. C. était un désagrément mineur. L’inflation était une cause
secondaire du déclin économique des deux premiers siècles de l’Empire.
L’inflation était plus un symptôme d’une anomalie que le virus de la
décadence.
106
La « crise du IIIe siècle » apr. J. C.
107
commerce entre provinces. L’économie de ces provinces occidentales
végétait également sans un appui bien senti des banques. Le système
bancaire avait peu évolué depuis la conquête romaine : toujours développé
en Orient, encore rachitique en Occident. Au IIIe siècle, les banquiers
avaient même déserté la campagne italienne. La banque accaparée par le
commerce n’avait rien à gagner si la production locale chutait. À l’autre
bout de la Méditerranée, l’économie égyptienne continuait de s’appuyer sur
une longue tradition bancaire, et elle montrait moins de signes
d’essoufflement malgré la légère inflation. Grâce aux banques, la
rémunération en intérêts des dépôts persistait dans l’Orient de l’Empire.
Ceci contribuait peut-être à cela.
108
l’arrêt des frappes des pièces de billon. En un peu plus d’une décennie, le
titre d’argent-métal des pièces plongeait de 40 % peu avant 260, à 4 % vers
270. Les pièces d’argent s’étaient dégradées en des rondelles de bronze
enrobées d’une pellicule d’argent. Les nouvelles pièces dévaluées en argent
étaient de plus en plus rejetées. La confiance en ces nouvelles pièces
s’effondrait. La monnaie n’était plus ni d’or ni d’argent. Les pièces de
monnaie étaient très éloignées d’un bien-intermédiaire avec une valeur
intrinsèque. Elles n’étaient acceptées en paiement que parce qu’il fallait
bien se nourrir, sans les rejeter systématiquement. Alors, chacun payait en
mauvaise monnaie pour s’en débarrasser, sans la thésauriser. La circulation
de cette mauvaise monnaie s’accélérait pour acheter des vivres ou des
biens-intermédiaires.
109
monétaire au XVIe siècle, d’où l’appellation de « loi de Gresham » : « La
mauvaise monnaie chasse la bonne », car la bonne monnaie est conservée à
la maison quand la mauvaise circule, imposée en paiement.
Les clients des banques et les créanciers voyaient fondre leurs avoirs
dissous dans l’inflation, car dépôts et prêts étaient chiffrés en valeur faciale
des pièces. En conséquence, la demande des épargnants et créanciers
dégringolait. À leur tour, les producteurs étaient incapables de vendre et
donc de rembourser leurs dettes, même réduites par l’inflation. Le
ralentissement économique commençait à se généraliser.
110
Les crises des paiements avaient été partiellement éludées depuis Néron
en multipliant la monnaie, alors d’or et d’argent fin. Vers 265, une crise des
paiements resurgissait avec une monnaie rejetée par le mauvais aloi des
pièces et par l’inflation des prix. Les crises des paiements par manque de
monnaie, comme décrites au début de l’Empire, s’étaient muées en une crise
économique et bancaire par excès de monnaie. Jamais contents, ces
Romains !
111
L’inflation des prix décollait avec ces nouvelles pièces en paiement.
Dès Aurélien, l’inflation est devenue rampante jusqu’à la chute de l’Empire.
De cause mineure de la déglingue économique, l’inflation s’était muée en
une cause majeure de la décadence. L’inflation galvaudait les avantages de
la monnaie : compter avec un étalon stable, acquitter les paiements, et
surtout postposer la dépense en épargnant à pouvoir d’achat égal. Sous
Aurélien, le commerce en pièces de monnaie s’arrêtait partiellement. Le
troc et autres biens-intermédiaires réapparaissent pour acquitter les
paiements. L’usage des pièces, pourtant si répandu, cédait la place à
d’autres monnaies ou au troc pour assurer le minimum vital. Peut-être
continuait-on à compter en pièces, mais on les acceptait moins volontiers
pour acquitter les paiements, ou alors à un prix en pièces surévalué en
prévision de l’inflation. L’économie était en plein chaos, surtout à
l’Occident de l’Empire. Le retour en friche des cultures s’accentuait par
manque de débouchés commerciaux ou par la hantise des raids barbares.
112
Fiasco de la résorption de l’inflation à la fin du IIIe siècle
apr. J. C.
113
Échec de « l’édit des prix » pour geler l’inflation
Dioclétien a alors pondu et promulgué son mémorable « édit des prix ».
Il établissait des prix maximums des transactions pour contrôler l’inflation
des prix des paiements en pièces. Les Romains encouraient la peine de mort
en cas de dépassement de ces prix plafond.
114
L’inflation contournée pour redresser l’Empire au IVe siècle
apr. J. C.
115
pour ces nouvelles pièces. Constantin avait obtenu l’or de ses conquêtes en
Orient, et des confiscations hors des temples déclarés païens après sa
conversion au christianisme.
L’inflation des prix selon les valeurs nominales des anciennes pièces
n’était pas apaisée du tout. Les nouvelles pièces de monnaie s’ajoutaient et
ne remplaçaient pas les anciennes pièces détériorées et dévaluées. De plus,
les mines impériales continuaient à produire de l’or et de l’argent. Enfin,
les frappes de pièces selon les anciennes normes frelatées de poids et de
titre n’ont jamais vraiment cessé durant et après le règne de Constantin.
116
La plèbe se prémunissait difficilement contre l’inflation conséquente à
la multiplication des pièces. Pas de temps à perdre à courir épargner,
vérifier, et changer si nécessaire, chaque pièce de monnaie après chaque
paiement. Impossible de fouiner partout pour se débarrasser de chaque
mauvaise pièce de monnaie contre une valeur refuge, un bien-intermédiaire,
ou une autre monnaie. Par la suite, l’Histoire a montré qu’il faut une
inflation bien plus forte que celle dans laquelle surnageait la plèbe romaine,
pour voir l’ensemble des gens en revenir intégralement au troc. Même dans
un tourbillon d’inflation, la monnaie garde longtemps ses avantages sur le
troc. La plèbe ne pouvait que dépenser les pièces et agiter encore plus la
circulation de la mauvaise monnaie, donc l’inflation et les convulsions de
l’économie. La situation était inextricable pour la plèbe. Et tandis que la
plèbe s’enfonçait dans l’inflation, les placements fonciers ou en pièces d’or
fin des classes aisées s’appréciaient par rapport aux prix en pièces
dévaluées.
117
Coïncidence : L’Empire romain a chuté aussi
sur des obstacles monétaires.
Pour d’autres, les barbares, acculés par les migrations des Huns, ont
accentué leurs coups de boutoir. Pourtant, l’Empire d’Orient, avec les
forces vives romaines regroupées autour de Constantinople, a subsisté
pendant mille ans. Byzance a survécu avec le système monétaire stable de
Constantin et avec une tradition bancaire prospère et antérieure à Rome.
Byzance s’est longtemps arc-bouté devant la poussée des Arabes puis des
Turcs jusqu’à la chute de Constantinople au XVe siècle. Le monde arabe
lui-même a fleuri en laissant intacte l’administration byzantine des pays
conquis avant de plier devant les Turcs Seldjoukides puis Ottomans.
118
Depuis quelques décennies, des chercheurs explorent l’histoire hors du
cadre étroit de la philologie. Dans cette optique, une nouvelle thèse de la
désintégration de l’Empire romain a été avancée notamment par Moses
Finley. Selon Finley, l’écroulement de l’Empire romain d’Occident était
inéluctable par son incapacité à franchir le seuil de l’industrialisation ; et en
ce sens, maintenir une longueur d’avance technique sur les tribus barbares.
L’organisation et l’exploitation des forces productives butaient sur les
limites du savoir romain. Le système monétaire déficient n’est certainement
pas étranger à cet échec. Les Romains se sont leurrés avec la frappe de
pièces de monnaie. Les pièces acquittaient tous les achats, donc les pièces
apparaissaient comme la seule richesse. Tragique méprise, car la vraie
richesse est en biens, pas en pièces de monnaie ! Les Romains ont multiplié
les pièces de monnaie sans réexaminer le système monétaire, fiscal et
économique. Le système monétaire s’essoufflait au maximum de ses
capacités, sans possibilités de financement des investissements dans la
production industrielle. Des techniques disponibles pour une utilisation
industrielle existaient bien. Le savoir des penseurs, artisans et ingénieurs
englobait déjà l’architecture des aqueducs, la mécanique des catapultes, la
métallurgie des armes, le tissage du lin, les mathématiques, etc.. Mais le
talon d’Achille était le système monétaire qui signifiait des banques
orientées vers le commerce et des pièces frappées pour couvrir les
dépenses stériles de l’État, et non pour financer des investissements.
L’Empire d’Occident était ainsi resté essentiellement agricole. Presque
aucune ville romaine ne s’était développée autour de l’industrie. L’Empire
d’Occident n’a pas su franchir l’étape économique suivante :
l’industrialisation. Au contraire, le chômage et la décadence ont gangrené
l’Empire. Les peuples de l’Empire d’Occident sont passés d’un niveau qui
égalait celui de l’Europe du XVIIe siècle, à la quasi-préhistoire du Moyen
Âge.
119
Comment aurait-il fallu faire ? Tout Empire est-il voué à chuter à
l’instar de Rome ? Non, car le palier économique supérieur a été atteint
dans les Temps modernes. D’abord, la Renaissance a initié la pratique des
prêts à l’État accordés pour une relative stabilisation de la trésorerie en
pièces de qualité. Ensuite, la Révolution industrielle a été financée par le
déclic de techniques monétaires audacieuses pour assurer le décollage de la
production industrielle.
120
3. Manque récurrent
de pièces de monnaie
du Moyen Âge à la Renaissance
121
Circulation des pièces en Occident du VIIe au XIIe siècle
122
À l’Orient, l’Empire byzantin s’était maintenu avec une économie
florissante. Elle drainait l’or et l’argent vers Constantinople. Aucun bien
d’Europe occidentale, autre que l’or et l’argent, n’intéressait l’Orient.
Ainsi, les réserves d’or et d’argent s’évaporaient d’Occident en faveur de
l’Orient. Cet afflux contribuait au maintien du système monétaire byzantin
basé sur l’or. Plus tard, Byzance a connu son apogée vers l’an mil. Sur le
même héritage administratif issu de Rome, le monde musulman est venu
rivaliser avec Byzance. Un système monétaire similaire y était conservé
avec des pièces d’or et des sous-multiples d’argent, ainsi que des banques.
Le Califat de Cordoue culminait également à son zénith au Xe siècle, quand
l’Occident n’en terminait pas de se relever du néant politique, économique,
et aussi monétaire.
123
commerce et la fiscalité insufflaient un besoin de numéraire. Le clergé
encensait aussi l’usage de pièces pour faciliter la collecte de donations. À
l’instar des rois de l’Antiquité, il s’accaparait l’or pour les ciboires,
calices et chandeliers de ses églises. Au VIIe siècle, des nouvelles pièces
étaient ainsi frappées en argent plus disponible que l’or.
Aux Xe et XIe siècles, ces deniers d’argent se sont même répandus dans
l’Empire germanique, la bohème, la Hongrie, la Pologne, les pays
scandinaves, et enfin dans l’ouest de l’Europe de la féodalité. Ces pièces
d’argent étaient propagées par le commerce qui renaissait dans toute
l’Europe. Bien sûr, les pays sans mines d’argent devaient faire un effort
supplémentaire pour acquérir les pièces d’argent. Le jeu des pièces en
valait la chandelle. Comme toujours, la circulation des celles-ci facilitait le
comptage pour commercer, l’acquittement des paiements, et la
thésaurisation par besoin de sécurité. L’exploitation des mines représentait
aussi un effort considérable même s’il était largement rentable.
Vers la moitié du XIe siècle, les mines d’Allemagne ont fini par
s’épuiser. Néanmoins, la circulation des pièces d’argent s’est maintenue en
124
Europe. La balance commerciale avec Byzance et le monde arabe basculait
cette fois en faveur de l’Europe, quand l’arrivée des Turcs déforçait
l’Orient dès le début du XIe siècle, et quand l’Occident avait dépassé le
creux de l’an mil.
125
Les pièces changées étaient normalement d’un titre et poids d’argent
légaux, mais des dévaluations plus ou moins discrètes ont existé. La
ponction était alors double, par le seigneuriage et par la dévaluation
coupable en poids ou en titre. Une limite existait à cette ponction : les
nouvelles frappes devaient produire des pièces recevables par les
détenteurs d’anciennes pièces. Sinon, les pièces risquaient de disparaître
vers d’autres cieux plus cléments avant la refonte suivante. L’empreinte
faciale des pièces variait avec chaque refonte pour tenter de forcer l’apport
des anciennes pièces. L’on n’aimait pas non plus de voir des effigies
d’adversaires politiques sur les pièces locales. Dès lors, les frappes de
pièces féodales étaient variées, quasi anarchiques et d’une qualité inégale.
Au fil des refontes, nombre de pièces avaient perdu en brillance, en taille
ou en épaisseur. Par exemple, vers 1160, le denier se composait de 1,3 g
d’argent fin en Angleterre, mais seulement de 0,05 g à Venise. Le titre
d’argent était de 92,5 % en Angleterre, et fondait à 20 % à Barcelone.
126
Pièces de monnaie transmutées au XIIIe siècle
Dès le XIIIe siècle, les mines fournissaient assez d’argent pour frapper
de nouveaux multiples de forte valeur des pièces d’argent. Ces pièces
représentaient souvent 12 derniers d’argent. Elles s’appelaient « gros » en
France ou « grosso » en Italie. En Angleterre, le « groat » valait 4 derniers
ou 4 « pennies » (traduction du dernier en anglais). La profusion d’argent-
métal autorisait également la frappe de pièces divisionnaires ou des
subdivisions du denier d’argent. Des pièces de demi ou de quart de denier
étaient frappées en argent malgré une faible rentabilité due au coût de la
frappe. Ces pièces d’argent de petites valeurs ont aidé à populariser l’usage
de la pièce de monnaie dans les différentes couches sociales. Le troc
pénible reculait. La frappe de petites pièces pour toute transaction était
également préférée au crédit pour couvrir l’attente d’une grosse pièce. Les
interdits religieux médiévaux contre les intérêts prélevés sur les prêts
expliquaient en partie cela. Occasionnellement, la taxation s’effectuait en
pièces plus appréciées qu’une ponction en nature. Mais au XIIIe siècle,
l’usage de la pièce de monnaie n’avait pénétré les us et coutumes que de
manière encore relative. Les taxes en nature étaient encore la règle, comme
avec la « taille ». Les gouvernants payaient encore leurs gens en terres,
plutôt qu’en pièces de monnaie. Les armées étaient encore levées par
simple conscription parmi le peuple. Il n’y avait pas de pièces disponibles
en suffisance pour payer les mercenaires. L’organisation économique et la
127
fiscalité étaient bien en deçà de celles de l’Empire romain avec la fiscalité
et les dépenses généralisées en pièce de monnaie.
Dès la moitié du XIIIe siècle, des nouvelles pièces d’or ont également
commencé à se répandre dans toute l’Europe. Ces pièces provenaient des
échanges commerciaux des villes d’Italie comme Gènes, Florence, et Pise.
Ces villes capturaient l’or en provenance des mines du Soudan et d’Afrique
de l’Ouest et commercé par le Sahara et le monde arabe. Ensuite les pièces
frappées avec cet or se répandaient par le commerce vers le nord. À partir
du Haut Moyen Âge, le « florin » d’or était une pièce appréciée. Florence
était renommée pour frapper des pièces de bonne facture au contenu d’or
garanti. Le « ducat » vénitien a eu un franc succès similaire. Ces pièces
réputées étaient acceptées pour les paiements à leur juste poids de métal
précieux.
128
Au cours des siècles suivants, les Hôtels de la Monnaie ont
progressivement garanti un ratio bimétallique fixe. Le ratio ambitionnait la
continuité du change des pièces d’or en pièces d’argent afin de faciliter tout
paiement métallique, notamment pour la taxation. Ce ratio était d’environ
une once d’or pour quinze onces d’argent. Le ratio a été modifié selon les
nécessités. La révision du ratio consistait le plus souvent en une dévaluation
légale des pièces de l’un des deux métaux. L’Hôtel de la Monnaie allégeait
les pièces du métal manquant par révision à la baisse du poids ou du titre
des nouvelles pièces. Par exemple, si l’or se raréfiait, le ratio officiel
proche de 1 grain d’or pour 14 grains d’argent, se décalait vers 1 pour 15.
La refonte générale d’une pièce pouvait modifier celle-ci de 1/30 à 1/32 de
marc d’or. À titre non modifié, les pièces d’or rapetissaient. Le nouveau
ratio rééquilibrait les quantités de pièces d’or et de pièces d’argent en
circulation malgré la déperdition d’un des deux métaux. Les possesseurs
des pièces conservaient habituellement leurs poids d’or ou d’argent lors du
change de la refonte. Selon l’exemple précédent, l’Hôtel de la Monnaie
changeait 30 florins d’or anciens contre 32 florins d’or nouveaux. En tenant
compte du seigneuriage, les nouveaux florins changés étaient plus souvent
au nombre de 31. Quelques pièces divisionnaires complétaient l’échange
des florins si nécessaire. Les dévaluations étaient plus fréquentes que les
réévaluations. Les princes allaient en général dans le sens d’une
129
multiplication consentie de la quantité de pièces d’or ou d’argent.
L’éventuelle inflation des prix conséquente à la multiplication était
négligeable, car les pièces continuaient d’être très demandées. Ces
révisions du ratio n’étaient pas sans problèmes. Des tâtonnements et des
ratages célèbres ont caractérisé les oscillations du ratio pendant des
siècles. Les chapitres suivants reviendront sur les accidents du ratio or-
argent.
130
Au même XVe siècle, la vérification du titre du lingot ou de la pièce
d’argent était possible, contrairement à l’Antiquité. Le test métallurgique
« de la coupelle » était élaboré. Quelques copeaux de la pièce d’argent
polémique étaient fondus avec une quantité déterminée de plomb dans une
coupelle chauffée dans un four. Le plomb fusionnait avec le cuivre et
précipitait sous l’argent. Le pesage au trébuchet de l’argent pur refroidi et
gratté de l’alliage au plomb déterminait la différence de poids et donc le
titre des copeaux d’argent. Un essai similaire existait pour vérifier le titre
de l’alliage or-cuivre. Après l’ajout d’argent pur, suivait une recette de
séparation de l’or bien compliquée. Cette méthode ardue était moins utilisée
que l’estimation de la densité par simple pesage et mesurage de n’importe
quel alliage d’or.
131
Par l’alternative du commerce et du change étranger, les changeurs
locaux pouvaient éviter l’Hôtel de la Monnaie diffamé pour son
seigneuriage élevé ou pour ses pièces dépréciées en cas de besoin de
change de pièces d’or en pièces d’argent. Une once d’or devait être changée
contre au moins quatorze onces d’argent, et pas treize. Le seigneuriage
devait aussi porter sur une ponction tolérable d’une pièce hors de vingt ou
trente changées, soit à peine quelques pour cent de prélèvement. En cas de
manquement à un change honnête ou à un seigneuriage modéré, les pièces à
changer disparaissaient vers d’autres cieux plus cléments. Les foires et les
marchés menaçaient aussi de se déplacer. Des cas ont été cités où les
commerçants choisissaient d’exporter contre de meilleures pièces
étrangères. Comme du temps de la Grèce antique, la concurrence des pièces
étrangères était latente. En conclusion, un change défavorable ou un
seigneuriage excessif amputait les revenus de l’Hôtel de la Monnaie.
Comme le précisait Montesquieu : « Le change gêne les États despotiques ».
L’once ou le marc de métal précieux conservait son statut de référence
universelle.
Dès lors, la qualité des frappes s’améliorait dans le Haut Moyen Âge.
En Italie et aux Pays-Bas, là où l’expansion du commerce était la plus
marquée, les pièces d’argent ont été restaurées à un titre fin. Les mines
132
découvertes au XIIIe siècle ont également favorisé une meilleure qualité des
pièces d’argent, comme ensuite les nouveaux tests de l’argent et de l’or, et
comme enfin les périodes de paix et de commerce. Même les pièces
divisionnaires étaient équitablement frappées au poids d’argent-métal
spécifié sur la face. En Angleterre, le titre d’argent était conservé, et des
pièces de petite valeur nominale étaient apparues avec des dimensions si
réduites qu’elles étaient délicates à manipuler. Dans d’autres pays, les
pièces de petite valeur faciale gardaient des dimensions manipulables, car
seul le titre d’argent-métal diminuait pour une même taille respectable des
pièces. L’alliage avec une bonne dose de cuivre noircissait les pièces
d’argent de basse dénomination. L’on parlait d’« argent noir ». Ces pièces
d’argent noir avaient néanmoins la quantité d’argent supposée. Si une
différence existait, elle ne dépassait pas la quantité d’argent-métal supposée
de plus de 10 ou 20 %.
133
Aux XIIIe et XIVe siècles, les déroulements des unifications monétaires
différaient d’un pays à l’autre. En Angleterre, la frappe avait toujours été un
privilège royal. Les Hôtels de la Monnaie étaient circonscrits à une
poignée, et chapeautés par Londres. En France, les frappes royales
prenaient lentement le pas sur les frappes féodales. Dans le Saint-Empire
romain germanique, quelques pièces de qualités circulaient dans tout
l’Empire et fédéraient les frappes locales. Aux XIVe et XVe siècles, des
accords entre pays européens et ligues de commerçants ont défini des
normes communes en poids et en titre pour les frappes de pièces.
134
Après le XIIIe siècle, ces échelles des pièces divisionnaires se sont
progressivement unifiées. Par exemple, sous Charles Quint, le florin, et de
sa subdivision en vingt, s’est généralisé autour des Pays-Bas. Ce n’est que
depuis le XXe siècle que les monnaies sont subdivisées en centimes.
Dévaluations endiguées
Dès le XIIIe siècle, les Hôtels de la Monnaie étaient sous pression et
devaient garantir une valeur intrinsèque d’or ou d’argent dans chaque pièce
changée. Leurs refontes, généralisées ou non, ont laissé lentement la place à
des frappes de qualité. Ces refontes incluaient de moins en moins de
dévaluation discrète. La valeur faciale de la pièce devait représenter un
poids déterminé de métal précieux.
135
l’énergie d’Élisabeth I, conseillée par l’illustre Gresham déjà évoqué pour
sa loi éponyme, pour ramener l’ordre monétaire vers 1560. Gresham,
homme de son temps, a estimé qu’un penny d’argent altéré devait s’échanger
contre une fraction d’un penny nouveau en fonction de la dévaluation du
penny altéré. Seul le contenu d’argent comptait, non pas la valeur faciale.
Les jolies nouvelles pièces seraient certainement acceptées pour leur titre
élevé et leur forme régulière, car frappées en partie, et pour la première
fois, à l’aide de la presse à vis. Cependant, le poids d’argent des pièces
altérées a été volontairement sous-estimé, afin de faire supporter le coût de
la refonte générale par le public. Le peuple a donc rechigné au change en
contestant le poids d’argent, et non la valeur faciale. En fin de compte,
fatigué des altérations et des dévaluations sur son dos, le peuple a juré que
l’on ne l’y reprendrait plus.
Dès lors, avec une monnaie liée à l’once de métal précieux plus qu’à la
valeur nominale, une autre implication est à épingler : plus moyen de
rééditer les exploits de Néron et de ses successeurs, du moins pour une
période aussi prolongée comme l’avait connue l’Empire romain. Les États
ne pouvaient plus soulager leurs finances par une improbable multiplication
sans fin des sesterces. Si des dévaluations notoires autant qu’abusives ont
bien pris place dans le Moyen Âge, aucune ne s’est éternisée comme pour
l’Empire romain. Comment allait-on combler un manque persistant de
pièces de monnaie ?
136
Déclin économique au XIVe siècle jusqu’à la déflation du
XVe siècle
137
L’inflation trouvait sa source dans la chute de production. Le grand
mouvement d’expansion économique et démographique des deux siècles
précédents s’était achevé. Au XIVe siècle, les famines, les maladies et les
épidémies avaient un caractère presque permanent. De 1315 à 1317, des
pluies torrentielles provoquaient la « Grande Famine ». L’on considère
parfois qu’un « petit âge glaciaire » a débuté à cette date pour affecter
l’Europe pendant 400 ans. La peste noire avait ensuite débarqué par les
bateaux dans les ports d’Italie vers 1347. Elle a contaminé l’Europe dans le
sillage de l’Italie, et elle a tué environ un quart de la population européenne
en trois ans. La guerre de Cent Ans s’ajoutait aux fléaux et aux catastrophes
climatiques. La population était effroyablement décimée. La pénurie et la
chute de production par manque de bras, par la guerre ou par les
inondations étaient dramatiques. La baisse de production stimulait les prix
en pièces d’argent vers le haut. À quantité égale de monnaie, un contrat
libellé en pièces rapportait moins de biens. À proprement parler, il n’y
avait pas d’inflation des prix par la multiplication prolongée de la monnaie,
comme expliqué avec l’Empire romain, mais bien par la diminution de la
production. Quoi qu’il en soit, les pertes liées aux désagréments de
l’inflation des prix étaient anecdotiques comparées aux cataclysmes endurés
par les populations.
138
fréquentes et prolongées que les hausses. Ce phénomène de baisse
généralisée et prolongée des prix est appelé la « déflation » depuis le XXe
siècle. Il s’agissait bien d’une baisse généralisée des prix, et non d’une
baisse ponctuelle. La baisse d’un prix isolé était normalement une bonne
chose. Une saine concurrence dynamisait alors la production, et amenait les
prix à baisser. Aussi, un printemps clément expliquait la baisse des prix en
agriculture. Les baisses s’expliquaient exclusivement par la concurrence
entre vendeurs d’une production décuplée. Mais aux XIVe et XVe siècles,
les baisses généralisées des prix étaient étalées et prolongées sur des
décennies. De plus, les améliorations de production étaient rares en ces
siècles sinistres. Les baisses généralisées des prix, donc les déflations,
s’expliquaient surtout par le déficit ou le manque de pièces de monnaie par
rapport au besoin pour commercer ou pour satisfaire la thésaurisation.
139
Fait remarquable : les baisses des prix des déflations étaient rarement
fortes, contrairement aux envolées possibles de l’inflation. Les gens ont
toujours résisté aux baisses des prix. La déflation était rarement marquée
par des chutes de prix de plus de quelques pour cent par an. Par contre,
l’inflation pouvait atteindre plusieurs dizaines de pour cent par an.
Les épargnants en pièces gagnaient donc peu par la déflation des prix
des biens consommables. La déflation était surtout le reflet du manque de
pièces en circulation, ou du manque de numéraire. Ce manque de pièces
oppressait en laissant les besoins de thésaurisation inassouvis, et surtout en
gênant le commerce.
140
Les activités des manufactures, du commerce, du négoce et finalement la
production de richesses fléchissaient. L’artisan renvoyait ses ouvriers
inactifs et la confiance se dégradait davantage. Le manque de monnaie
portait un préjudice grave au commerce et à la production des artisans.
Toute l’activité économique se comprimait vers l’agriculture de
subsistance.
Dès le XVe siècle en Italie, les monts de piété sont instaurés par les
moines franciscains dans ce nouvel esprit plus tolérant envers les prêts à
intérêt. Ces monts de piété prêtaient sur gage à taux d’intérêt nul d’abord,
puis raisonnable dans les siècles suivants. Les prêts étaient octroyés en
proportion à la valeur du bien laissé en gage. Le montant du prêt était
intégralement retiré, ce qui interdisait les crédits sur papier. Les monts de
piété n’étaient pas des banques qui prêtaient à partir des dépôts.
Néanmoins, ces trop rares établissements ont permis à certains d’éviter la
ruine et de conserver leurs biens. Ils protégeaient aussi des ravages des taux
d’intérêt élevés pratiqués par les usuriers.
141
142
Déflation contournée par les commerçants italiens aux XIVe
et XVe siècles
143
Les Templiers, contemporains des Lombards, avaient déjà développé le
mandat, ou la lettre. Ce papier garantissait le paiement au porteur du mandat
dans une autre maison du Temple. Dorénavant, les chemins ténébreux se
parcouraient une lettre à la main plutôt qu’avec une bourse d’or ou d’argent
à la ceinture. Naturellement, ce contrat stipulait le change en fonction du
poids d’or ou d’argent, et non en fonction de la valeur faciale d’une pièce.
144
Les commerçants italiens présents à une foire étrangère évitaient de
trimballer de pièces d’or et d’argent grâce à la lettre de change. L’un
vendait contre des pièces à la foire et l’autre voulait acheter contre un
paiement en pièces à la même foire. Avec l’aval du représentant de la
banque, le vendeur et l’acheteur italiens se réglaient entre eux avec une
lettre de change contre les pièces. Juste une lettre de change nominative
dans les valises, plus de pièces à trimballer. Le change au poids d’or ou
d’argent s’effectuait ultérieurement à la banque, de retour en Italie.
145
Lettre de change parfois escomptée
La lettre de change était sensée être payée contre des pièces au terme
spécifié. Néanmoins, le bénéficiaire de la lettre de change pouvait recevoir
avant terme les pièces d’or et d’argent stipulées sur la lettre de change.
Pour cela, il devait « escompter » la lettre de change à sa banque. La
banque lui rachetait la lettre de change contre des pièces d’or et d’argent en
déduisant les frais d’escompte. Les frais d’escompte étaient des intérêts
destinés à couvrir le prêt virtuel entre le jour de l’escompte et la date du
terme spécifié sur la lettre de change pour le paiement. Les intérêts du prêt
virtuel étaient calculés sur un taux spécifique aux lettres de change : le
« taux d’escompte ». Les frais d’escompte englobaient aussi la marge
bénéficiaire de la banque. La banque se chargeait ensuite de recevoir le
paiement à terme de la lettre de change auprès de la banque du client qui
avait émis ou « tiré » la lettre de change.
146
Intrusion des banquiers dans les sphères du pouvoir aux
XIVe et XVe siècles
147
Emprunts et banques publics
Dès le XIIIe siècle, certains pouvoirs publics n’étaient pas en reste. Des
États, comme la France ou l’Angleterre, organisaient des emprunts publics,
sans recourir aux banques privées. Ces emprunts étaient gagés ou
consolidés sur l’immobilier, et remboursés par un fermage des taxes. Des
bouts de papier attestaient de ces emprunts de pièces en précisant la date et
les modalités du remboursement. Avec les siècles, ces documents ont été
remaniés jusqu’en « titre » au porteur. Les plus connus sont les
« obligations » ou « emprunts » d’État à long terme de plusieurs années, ou
les « Bons du Trésor » remboursables en pièces à court terme de quelques
mois avec intérêts, et souvent gagés sur les rentrées fiscales à venir. Les
gouvernements avaient recours de plus en plus couramment, et parfois
abusivement, à l’endettement étatique.
148
Au XVe siècle, les premières banques publiques sont constituées par
des villes espagnoles pour briser le monopole des banquiers juifs. Des
villes italiennes instituaient des entités semblables pour assainir leurs
finances lourdement grevées par les dettes.
149
Déflation esquivée au XVIe siècle, et embellie économique
150
Le besoin était aussi pressant pour les États toujours financièrement aux
abois. Les pièces de billon étaient un bénéfice net pour les Trésors des
États qui injectaient ces pièces reçues des Hôtels de la Monnaie dans leurs
budgets. Certains États ont exagéré les émissions de ces pièces. Parfois, ces
pièces ont été proches du discrédit. Elles ont même connu des périodes de
démonétisation à l’Hôtel de la Monnaie pour éviter la fuite des pièces d’or
et d’argent.
151
L’Europe entière a ainsi obtenu suffisamment de pièces d’or et d’argent
pour satisfaire la demande nationale de monnaie pour le commerce et pour
la thésaurisation. L’Europe entière a évité le problématique manque de
pièces de monnaie. Ces apports d’argent et d’or ont mis fin à la « famine de
métaux » du XVe siècle. Le manque de pièces de monnaie n’étranglait plus
les affaires. Le spectre de la déflation s’éloignait.
152
Avant le XVIe siècle, les prix avaient été assez stables. De fait,
quelques légères poussées d’inflation les avaient à peine perturbés. La
délétère déflation n’était jamais considérable en rapport au niveau des prix,
même si elle était symptomatique d’un dérèglement économique grave.
Au XVIe siècle, une inflation des prix était constatée. Entre 1540 et
1640, les prix étaient multipliés par sept. Ce phénomène interpellait les
penseurs de la Renaissance, et ceux-ci tentaient d’interpréter cette inflation
des prix. Les premières explications de l’inflation des prix par
augmentation de la quantité monétaire apparaissaient. La paternité de
celles-ci est attribuée au penseur pluridisciplinaire Jean Bodin, inspirateur
des idées de tolérance religieuse au roi de France Henri IV à la fin du XVIe
siècle.
153
fascinés par une évolution des prix à la hausse après une période de relative
stabilité.
154
Inflation limitée par le mercantilisme au XVIe siècle
155
Mise en place de politiques mercantilistes
La constitution d’une réserve d’or et d’argent justifiait une intervention
de l’État dans l’économie. L’État cherchait à favoriser les rentrées d’or et
d’argent dans le Trésor. Cette politique interventionniste de l’État était
qualifiée de « mercantiliste ». Par cette politique, l’État souhaitait aussi se
passer d’emprunts auprès de créanciers avides en intérêts et en droits de
regard sur le pouvoir.
156
protégées par des monopoles. Les colonies devaient absorber les biens finis
et fournir en matières premières les monopoles de la mère patrie. Conduite
économe et épargne étaient valorisées pour refouler la consommation
interne qui détournait les biens des exportations. Les importations étaient
défavorisées afin de conserver l’or et l’argent. Le luxe « inutile », tels
parfums ou alcools, était même interdit à l’importation, ou au moins grevé
de droits de douane. Vivres et médicaments importés étaient à peine tolérés
pour assurer un minimum vital.
157
Coïncidence : Évolutions contrastées avec ou
sans banques.
158
expulsé les financiers juifs en 1492. L’Espagne, sans banques, s’est figée
devant les interdits religieux. Avec les pièces frappées avec l’or et l’argent
des Amériques, l’Espagne a vécu aux crochets de la production européenne,
comme l’Italie romaine aux dépens des provinces d’Orient. La Contre-
Réforme a enfoncé le clou en faisant preuve d’un rigorisme strict par
rapport à la monnaie et au crédit. Le clergé thésaurisait sans se cacher. La
Contre-Réforme a poussé l’Espagne à s’enliser. La première puissance
européenne du XVIe siècle sombrait en décadence au XVIIe siècle.
159
nouvelles techniques monétaires dans l’Europe du Nord. Cap vers une
Révolution d’un ordre jusqu’alors inconnu !
160
4. Du billet de banque
à la Révolution industrielle
en Grande-Bretagne
161
La rareté du numéraire à nouveau préoccupante au XVIIe
siècle
162
de monnaie générait la déflation des prix, et il accentuait la déprime
économique.
163
pour atteindre l’Inde lorsque les routes de la soie et des épices étaient
coupées après la chute de Constantinople aux mains des Turcs, en 1453.
Christophe Colomb avait tenté d’atteindre l’Asie par l’Ouest bien qu’il
avait surtout découvert accidentellement un nouveau continent.
Aux XVIe et XVIIe siècles, les « sociétés par actions » voyaient le jour
pour soutenir, favoriser et financer de tels projets ou voyages. Ces sociétés
étaient des entreprises aux mains des associés-fondateurs de la société. La
majorité de ces associés décidait de la marche à suivre de la société.
Chaque associé détenait des titres de copropriété, donc des actions achetées
contre des pièces de monnaie. Cette monnaie collectée permettait de
démarrer les activités de la société. En compensation, les détenteurs des
actions se répartissaient les bénéfices de la société. L’action donnait droit à
un « bénéfice par action ». Souvent les actionnaires de la société
consentaient à une distribution partielle des bénéfices. La société conservait
ainsi des fonds pour développer ses activités sans recourir à un prêt
bancaire additionnel avec de lourdes charges d’intérêts. La fraction restante
du bénéfice par actions dont les actionnaires se contentaient était le
« dividende ».
164
pas remboursables par la société, mais bien cessibles en Bourse contre des
pièces d’un autre particulier.
Les prix de cession de ces actions s’estimaient selon les bénéfices par
action espérés ou spéculés dans les prochaines années. Si une action
promettait de rapporter 10 par an, on concédait de l’acheter à 100 pour
briguer un rendement de 10 % par an. Les prix se déterminaient
véritablement par un nouveau système de cotation inspiré d’une mise aux
enchères. Ce système de cotation spécifique aux Bourses évitait à chacun de
comparer les prix dans chaque échoppe du marché. En un quart d’heure,
vendeurs et acheteurs d’actions fixaient entre eux un prix de transaction.
L’opération rapide était répétée quotidiennement, et elle donnait jour après
jour le « cours de l’action » en Bourse.
165
pièces faisait la renommée d’Amsterdam comme centre de change. Cette
Banque reconnue accumulait les dépôts de pièces. Ce volume de dépôt
s’était converti en prêts et même en crédits pour les municipalités
néerlandaises. Également, le financement des flottes des Compagnies des
Indes, grâce à la Bourse et à la Banque d’Amsterdam, était remarquable.
Cependant, le libéralisme ne concernait que les entrées et les sorties de
capitaux, et donc de monnaie, du pays. Les monopoles protégeaient les
financiers et les industriels de toute concurrence interne, et l’économie du
pays stagnait sans parvenir à développer un socle industriel large. Dès la
fin du XVIIe siècle, les Pays-Bas entamaient leur déclin. Encore le
syndrome de la chute de l’Empire romain.
166
financement que les pages suivantes vont expliquer jusqu’à la montée de la
Révolution industrielle du XVIIIe siècle.
167
Apparition du billet de banque en Angleterre au XVIIe
siècle
168
des intérêts ont rémunéré les dépôts dès 1660, selon les archives. Les
intérêts perçus sur ces prêts et ces crédits couvraient les frais
d’administration des comptes, des coffres-forts, et laissaient de plantureux
bénéfices.
169
20 shillings ou 240 pennies d’argent d’un titre quasi fin. Ce titre dit
« sterling » était de 92,5 % pour l’argent et de 91,6 % (22/24 ou 22 carats)
pour l’or. Le penny était la traduction anglaise du denier de Charlemagne.
Et, depuis Élisabeth I en 1601, 62 shillings valaient précisément un livre de
poids d’argent du système de mesures « troy » utilisé pour les matières
précieuses. Un shilling valait 1/62 de 373 g d’argent à un titre de 0,925,
donc 5,6 g d’argent fin. Bien sûr, les pièces d’or étaient en relation aux
pièces d’argent par le ratio légal or-argent. Avec un ratio bimétallique de
1:15, un livre sterling valait 112 g d’argent fin ou 7,46 g d’or fin.
Pour information, une livre troy vaut 0,373 kilogramme, tandis que la
livre traditionnelle de poids (système des poids « avoirdupois » en anglais)
vaut 0,453 kilogramme. Une livre troy vaut 12 onces troy ou
240 pennyweight troy ou 5760 grains troy, mais une livre traditionnelle
(pound en anglais) vaut 16 onces ou 256 drachmes ou gros (drams en
anglais) ou 7000 grains. Vive le système métrique !
170
des crédits aux conditions plus avantageuses. Les charges d’intérêts sur les
crédits se sont effectivement allégées à l’époque.
171
Premières crises de retrait aux guichets des banques
En Europe, la première émission de billets de banque a eu lieu en Suède
en 1661. Le banquier en question s’est précipité dans la multiplication des
crédits et donc à la surémission de billets de banque. Quelques années plus
tard, il n’a pu racheter ses billets contre des pièces d’or et d’argent, et il est
tombé en faillite. Premier essai, premier échec. Peut-être a-t-il échappé à la
mort promise aux faussaires de pièces de monnaie, car l’on ne considéra
pas ses billets comme des fausses pièces ? Néanmoins, il a croupi en prison
pour le reste de sa vie.
172
des comptes en dépôt dépassait toujours le volume de pièces en couverture.
La crise de retrait, la suspension des paiements et la faillite de la banque
menaçaient dès le premier billet émis.
173
L’opération réévaluait les pièces d’argent, ou plutôt elle les ramenait à
leur poids légal. De longs débats avaient accouché de cette décision qui
excluait la dévaluation jusqu’au poids moyen d’argent des pièces altérées
en circulation. Le grand philosophe John Locke lui-même était intervenu
dans les débats en faveur d’une réévaluation. De toute façon, le peuple
anglais aurait difficilement admis un nouveau vol d’argent sur son dos,
comme sous Henri VIII et Élisabeth I. Les anciennes pièces même rognées
devaient être échangées contre des pièces nouvelles légalement
équivalentes. La quantité d’argent dans les nouvelles pièces devait être
réalignée sur l’ancien poids légal. Le Trésor a financé l’achat du métal
manquant grâce à une nouvelle taxe ponctionnée sur chaque fenêtre des
bâtiments.
174
Dès le début du « Great Recoinage », toute l’Europe s’est ainsi mise à
vendre ses onces d’or aux Hôtels de la Monnaie de la Couronne
d’Angleterre pour obtenir 16 onces d’argent par once d’or. Le gain était
donc d’une once d’argent par once d’or. L’or affluait de tous les pays, et en
sens inverse, l’argent disparaissait d’Angleterre. L’anomalie a été rectifiée
en 1717 en fixant la guinée d’or à 21 shillings d’argent au lieu de 20, ce qui
rapprochait le ratio de 1:15. Cette mesure était en toute logique jugée plus
rapide et adéquate qu’un allègement des pièces d’or lors d’une nouvelle et
coûteuse refonte généralisée. Le maître des Hôtels de la Monnaie
d’Angleterre était alors un certain Isaac Newton.
175
plus en argent, des billets des banques britanniques allait légalement s’en
suivre au XIXe siècle avec le célèbre « étalon-or » – détaillé plus tard –,
suite à cette surestimation involontaire de l’or dans le ratio or-argent.
176
Multiplication des crédits et Révolution industrielle au
XVIIIe siècle
177
produire, vendre et rembourser les prêts. Pour vendre, l’emprunteur
parrainait à son tour ses propres clients-emprunteurs, et il évitait à son tour
le manque de pièces. Il agréait les paiements acquittés en billets de banque
de papier avec lesquels il remboursait le crédit et les intérêts.
178
nouvelle force de la vapeur, l’utilisation accrue de machines, et une suite
ininterrompue d’inventions ont permis d’accroître la productivité par
individu. Les innovations les plus emblématiques étaient les machines
textiles et la machine à vapeur. Les répercussions de l’industrie sur
l’agriculture étaient également importantes, comme avec de nouveaux aciers
pour des socs de charrue plus profonds ou pour fabriquer des faux plus
efficaces que des courtes faucilles. Tout au long du XVIIIe siècle, paysans et
artisans se vendaient les uns aux autres leur production décuplée avec ces
nouvelles techniques en constante amélioration.
179
Tout n’était pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Au XVIIIe
siècle, les Anglais ont certainement apprécié une hausse du revenu
individuel et une meilleure santé qui a débouché sur une hausse de 80 % de
la population. En comparaison, la hausse démographique était de 30 % en
France. Malheureusement, cette brusque hausse a contribué au gonflement
d’un prolétariat industriel en Grande-Bretagne, comme en France dès le
XVIIIe siècle.
180
composé les stocks des vendeurs. Peu de poussées d’inflation ont donc
découlé de la multiplication des crédits. Seuls les salaires ou les profits ont
pu augmenter, car les coûts unitaires de production s’abaissaient pour un
prix de vente égal. L’on se retrouve dans une situation comparable à celle
du début de l’Empire romain. L’augmentation des biens produits avait alors
été en proportion aux nouvelles frappes de pièces. Le commerce de la Pax
Romana avait progressé et favorisé la spécialisation de la production. La
multiplication des pièces de monnaie par l’extraction des mines et les rafles
des conquêtes avait alors laissé les prix stables.
L’inflation des prix de 1730 à 1775 coïncidait avec le retour des métaux
précieux. L’inflation touchait la Grande-Bretagne comme le continent
européen. Au XVIIIe siècle, l’apport d’or était 3 fois plus important qu’au
XVIe siècle. Entre 1720 et 1790, le stock mondial d’or a doublé avec les
découvertes de filons au Brésil et dans les montages de l’Oural en Russie.
La production d’argent-métal augmentait dramatiquement avec l’extraction
par amalgamation au mercure qui pouvait s’appuyer sur les mines
abondantes en mercure de Almadén en Espagne et Idrija en Slovénie. Les
mines pouvaient aussi descendre plus profondément grâce à la machine à
vapeur de Newcomen pour pomper les eaux de pluie. Et, avec la
démographie en hausse, le nouvel afflux d’or et d’argent était même le
bienvenu. Dans toute l’Europe, les besoins de pièces d’or et d’argent pour
la thésaurisation mercantiliste étaient à nouveau satisfaits.
181
Le volume des pièces de monnaie dépassé par le
volume de monnaie scripturale
Vers le début du XVIIIe siècle, le billet de banque de papier avait
grandement réduit les retraits des dépôts en pièces. Sur base des dépôts, les
banquiers en étaient arrivés à accorder des prêts en pièces qui n’étaient pas
retirées. Les crédits en compte remplaçaient les prêts en pièces. Ces crédits
étaient éventuellement retirés, mais en billets pour acquitter un paiement.
Même les billets qui revenaient à la banque après le paiement n’étaient pas
toujours convertis en pièces. Ils servaient à ouvrir de nouveaux comptes de
dépôt. Les pièces non retirées étaient créditées une deuxième ou même une
troisième fois toujours sous forme de crédit en compte ou de prêt en billets.
Une couverture moindre suffisait à assurer les demandes des retraits des
dépôts et la convertibilité en pièces des billets. En conséquence, le volume
des crédits avait pu augmenter.
182
Finalement, le volume des crédits, retirés ou non en billets, dépassait le
volume des dépôts en pièces. Si tous les crédits étaient retirés en billets,
alors ce nombre virtuel de billets dépassait le nombre de pièces. Les
banques créaient alors de la monnaie scripturale par jeux d’écritures dans
les comptes clients et par émission de billets de papier. Il est difficile de
préciser quand la monnaie scripturale a commencé à poindre son nez. En
d’autres termes, la date exacte du dépassement du volume des dépôts en
pièces par le volume des crédits est difficile à estimer.
183
La Banque d’Angleterre et ses billets au XVIIIe siècle
184
perpétuel permettait de ne pas écraser les gens avec une lourde taxation
pour rembourser le prêt. Pour couvrir les intérêts du prêt, de nouvelles
taxes sur le tonnage des bateaux et sur les alcools approvisionnaient le
Trésor. La Banque a pu accorder un prêt perpétuel en pièces de monnaie au
Trésor public à partir de son capital obtenu par la souscription. La Banque
d’Angleterre était une société à actions. Un capital en actions d’une société
n’est jamais à rembourser tant que la société continue ses activités. Une
action détenue par un particulier peut juste être revendue à un autre
particulier confiant dans les dividendes à venir de l’action. En cas de
besoin de liquidités, si l’action était cotée dans une Bourse d’actions,
comme celle de Londres, il suffisait de s’accorder sur le prix de la cession
de l’action avec les candidats acheteurs de la Bourse.
185
Avec le temps, la popularité des billets de la Banque d’Angleterre
supplantait celle des billets des banques privées. Les clients des banques
privées les acceptaient même à la place des retraits en pièces d’or. Dès
lors, les banques privées avaient elles-mêmes un compte à la Banque
d’Angleterre. Pour les banques privées, la couverture des dépôts de pièces
d’or et des billets émis par elles-mêmes se constituait en partie de billets de
la Banque d’Angleterre. Au fil des décades, la convertibilité-or des
banques privées cédait du terrain à la convertibilité-billets-émis-par-la-
Banque-d’Angleterre. Pour les banques privées, la couverture des dépôts et
des billets émis se comptait en billets de livre sterling de la Banque
d’Angleterre plutôt qu’en pièces d’or ou d’argent en livre sterling de
l’Hôtel de la Monnaie, donc du Trésor.
186
La Banque d’Angleterre sous contrôle
La Banque d’Angleterre continuait d’assurer la convertibilité-or de ses
propres billets. Les émissions de billets de la Banque étaient sous le
contrôle du public, par les demandes de conversion-or des billets, autant
que du Parlement. Les vraies mines restaient nécessaires pour fournir l’or et
l’argent afin d’assurer la convertibilité des billets de la Banque
d’Angleterre. Cependant, les demandes de conversions étaient éparses par
l’absence de succursales de la banque d’Angleterre hors de Londres. La
quantité d’or retirée aux lointains guichets de la Banque d’Angleterre était
donc réduite. Seules les banques privées étaient présentes en province. Le
système monétaire était « à étages ». Il se composait de billets de banques
privées convertibles en billets de la banque d’Angleterre, eux-mêmes
convertibles en pièces d’or. Ce système repoussait encore un peu la menace
de déflation liée à la seule monnaie en pièces d’or.
187
La Banque d’Angleterre était aussi le dernier prêteur pour les banques
privées en difficulté. Sous certaines conditions, elle accordait des prêts en
ses propres billets qui seront toujours acceptés en cas de panique aux
guichets d’une banque privée. Plusieurs contraintes devaient être respectées
pour octroyer ces prêts. La première était la couverture-or des billets de la
Banque d’Angleterre. La deuxième était le sérieux de la banque privée
menacée par la faillite. Une banque privée litigieuse se voyait refuser un
prêt en billets. Ainsi, la Banque d’Angleterre surveillait la bonne santé de
ses clients, dont les banques privées. Dorénavant, le rôle de la Banque
d’Angleterre incluait la stabilisation du système bancaire.
188
189
Coïncidence : La Révolution industrielle et la
monnaie.
Les travaux récents des historiens ont étudié les quantités monétaires
créées par les banques. Les résultats ont montré l’aspect fondamental des
banques pour assurer le financement de la Révolution industrielle. Celle-ci
n’aurait pas eu lieu sans la Révolution financière en Grande-Bretagne.
190
monnaie, il a abordé son aspect scriptural et en a conseillé l’usage sous
forme de papier à la place des pièces d’or et d’argent.
191
bien des atermoiements face au coût des conquêtes, même avec la force de
son industrie et de sa Royal Navy.
192
5. Échecs et succès des billets de
papier au XVIIIe siècle
193
Le billet de banque discrédité en France vers 1720
194
banque acceptait de convertir à vue ses billets en pièces d’or ou d’argent.
Les billets étaient libellés en sommes de 10, 50 ou 100 « livres tournois ».
La livre tournois était l’unique unité monétaire de référence dans les
comptes ou pour les pièces jaugées elles-mêmes en fraction de livres
tournois.
195
Par ailleurs, Law s’était rendu compte que les vastes territoires de
Louisiane végétaient par manque de moyens. En 1717, Law donnait
l’impulsion pour créer la Compagnie d’Occident. Cette Compagnie avait
comme objectif de développer le commerce par l’achat de navires et
d’autres biens. La Compagnie a vite obtenu le monopole du commerce des
peaux avec le Canada, ainsi que l’entièreté des terres de Louisiane. Des
actions achetables exclusivement en billets de la banque constituaient le
capital de la Compagnie. Ces actions étaient cotées à la Bourse de Paris de
la rue Quincampoix. Les activités de la Compagnie promettaient des
dividendes généreux. Dès lors, les billets de banque gagnaient en attraction
devant les bonnes perspectives du rendement des actions de la Compagnie.
Effectivement, les demandes de convertibilité en pièces métalliques des
billets de la banque s’espaçaient par l’attrait des billets pour acheter des
actions. La banque voyait sa couverture en pièce s’épaissir. Aussi, les
activités de la Compagnie alimenteraient le pays en pièces métalliques par
le commerce avec l’étranger.
196
sur ordre du Conseil d’État. La tentation de multiplication des billets de
papier était trop forte pour le gouvernement, malgré les cris d’alarme de
Law. L’État céda à l’impression facile de billets pour couvrir certaines
charges. Les paiements de ces charges continuaient d’être acceptés en
alléchants billets, synonymes d’actions achetées et de dividendes
mirifiques. D’autres particuliers achetaient même des actions de la
Compagnie grâce à des prêts obtenus en billets à la banque. La situation de
la Compagnie était réellement brillante par sa flotte, ses monopoles, et ses
premiers résultats encourageants. L’usage du billet se répandait dans le
royaume de pair avec l’ascension du cours de l’action de la Compagnie en
Bourse. Celui-ci continuait effectivement de grimper en fanfare à la Bourse
de Paris. L’on parlait même de demandes de conversion de pièces d’argent
en billets de banque en vue d’acheter des actions. La banque aurait refusé
ces demandes de conversion-papier.
197
avaient augmenté, comme toujours, quand ces billets commençaient à être
dévalorisés par les commerçants qui leur préféraient les paiements en
pièces.
198
Ce drame rendait difficilement envisageable toute autre expérience de
billet de banque en France. L’échec du système de Law avait été perçu
comme une banqueroute, et ses billets de papier ont longtemps hanté les
souvenirs. Après avoir iniquement épongé la dette publique, le peuple
français payait par là une deuxième fois le prix fort de la prévarication du
ministère des Finances. En bannissant les billets de banque, la France
restait sous la menace du manque de pièces d’or et d’argent reflété par la
déflation. Par manque de crédits bancaires en billets, elle risquait aussi de
rater le coche de la Révolution financière et industrielle. La France n’était
sauvée du manque de numéraire que par le retour des métaux précieux entre
1730 et 1775. Ce retour allait jusqu’à provoquer l’inflation des prix,
comme déjà expliqué.
199
L’échec du premier papier-monnaie vers 1780 aux USA
Les billets de crédit avaient parfois cours légal notamment pour payer
les impôts. L’autre raison pour les accepter en paiement était l’âpre manque
de monnaie de la période. À défaut de pièces d’or et d’argent, les billets de
crédit circulaient dans les colonies d’Amérique. Les billets étaient libellés
selon les trop rares pièces en circulation : en livres anglaises et surtout en
dollars espagnols. Le manque de monnaie pouvait se refléter par une
déflation des prix, mais aucune donnée n’est disponible sur le sujet dans
cette période d’anarchie monétaire.
200
En 1775, les colonies américaines décidaient de se gouverner par elles-
mêmes, et la guerre éclatait avec l’ex-mère patrie anglaise. Pour se
financer, le Congrès ne voulait pas recourir à la taxation. La taxation en
nature ou en pièces était honnie par les Américains. La taxation avait même
été un motif de premier plan de la rébellion contre l’Angleterre. « Pas
d’impôts sans représentation au Parlement de Londres », avaient longtemps
exigé les treize colonies.
Vers l’inflation
Le Congrès confédéral imprimait des liasses de billets de crédit. Le
Congrès s’en servait toujours pour couvrir ses dépenses. Également, les
États de la confédération émettaient leurs propres billets de crédit : les
« state notes ». Le Congrès confédéral et les États ont alors chacun multiplié
les Continentals ou les « state notes ». Tous ces billets de crédit ont
rapidement été émis en trop grandes quantités. La surimpression avec une
201
simple presse d’imprimerie avait fait sauter les limitations physiques de la
pénible frappe au marteau des sesterces de Gallien.
202
Liquidation des billets de crédit et séquelles de
l’échec des Continentals
En 1783, la guerre terminée et le traité d’indépendance entériné, les
Continentals ont cessé d’être émis. La promesse de rachat des Continentals
ne pouvait clairement pas être honorée selon la valeur libellée en pièces
d’or ou d’argent. Vers 1791 seulement, les Continentals ont
« généreusement » été échangés au centième de leur valeur libellée en
pièces d’or ou d’argent, et contre de nouveaux et solides Bons d’État. Le
gouvernement fédéral fit de même avec les « state notes ». Certains États
étaient plus endettés que d’autres. Quelques émissions de « state notes »
avaient continué après 1783. Dès lors, des compensations ont été accordées
aux États les plus vertueux. Par exemple, la Virginie a reçu Washington D.
C., la nouvelle capitale fédérale, sur son territoire (avec le Maryland).
Les nouveaux Bons d’État ont été achetés, forts de leur garantie
d’intérêts payés par l’État. Aussi, Alexander Hamilton - premier
« Secretary of the Treasury » ou ministre des Finances de l’Histoire des
USA - avait incité à la fondation d’une bourse pour assurer la liquidité des
Bons. Une nouvelle Bourse voyait le jour en 1792 sous un arbre de
New York… à Wall Street. Et, ces Bons ont opportunément servi de
complément monétaire pour tout paiement dans une économie toujours
déficiente en métaux précieux. Enfin, les Bons étaient libellés en une
nouvelle monnaie d’or et d’argent légalement instaurée. Elle était la pièce
de monnaie du dollar américain de près de 24 g d’argent (371,25 grains
troy) ou de 1,6 g d’or (24,75 grains troy), soit un système bimétallique au
ratio de 1:15. Le dollar était subdivisé en 100 cents sous forme de pièces
de billon. Ce nouveau dollar américain remplaçait les pièces des dollars
espagnols ou des livres anglaises en circulation.
203
monnaie de papier inconvertible, ou au moins inconvertible « à vue ». Le
papier-monnaie n’a pas de valeur intrinsèque contrairement à l’or ou à
l’argent des pièces. De son côté, le billet de banque était accepté par la
confiance en la banque émettrice à assurer la convertibilité en or, en argent,
ou même en terres. En conclusion, le billet de banque tendait encore vers le
bien-intermédiaire, tandis que le papier-monnaie s’approchait de la
monnaie pure.
204
Tentative avortée de monnaie amendée à Liège en 1783
205
Mesures proposées pour encadrer un système
monétaire parallèle lié au nettoyage
Avant d’en détailler les avantages et justifications, voici dès à présent le
système concocté par Comhaire. Il tenait en quelques concepts et autant de
projets de loi.
206
souillure était décrite dans chaque « tâche-de-nettoyage » ratifiée par
un vote spécifique des Trois États. Les critères d’homologation de ces
« tâches » étaient contenus dans les « trois principes » énoncés ci-
après. Les florins-papier rendraient les paiements-papier plus
supportables qu’en rares et précieux florins-or.
207
· Restriction des tâche-de-nettoyage au nettoyage de l’insalubrité aux
activités négligées et pourtant d’une incontestable utilité. Les corporations
liégeoises avaient encore quelques influences et chérissaient leurs
monopoles sur les activités juteuses pour satisfaire les besoins traditionnels
et indéfectibles.
Première tâche-de-nettoyage
En mars 1783, une première tâche-de-nettoyage a été appuyée par le
Prince-Évêque, et votée le parlement des Trois États. Il s’agissait du
ramassage du crottin dans les rues de la ville.
208
D’autres projets devaient être mis en œuvre comme le nettoyage
complet des rues avec paiement-papier par piéton adulte ou par animal de
transport. L’épandage des détritus pouvait être une tâche-de-nettoyage
distincte et saisonnière, selon Comhaire. De nombreuses autres tâches-de-
nettoyage avaient été proposées comme d’attraper les rats pour prévenir des
morsures et comme de capturer les pigeons pour remédier aux
désagréments.
Certains projets avaient été refusés, car contraire à l’un ou l’autre des
3 principes. Les travaux publics et autres rénovations, étaient déjà entrepris
par différents corps de métiers. La Cour de la Fermeté assurait l’entretien
par les cantonniers ou les paveurs des routes et des rues. Des fonctionnaires
de la Ville entretenaient l’éclairage public installé depuis le début du
siècle. Le projet de construction d’égouts souterrains n’avait pas été retenu,
car Comhaire n’avait pas su définir une méthode de calcul possible pour
chiffrer les paiements-papier. Comhaire avait évincé le traitement des
produits toxiques, dont les déversements massifs empoisonnaient les
poissons de la rivière qui serpentait dans la ville. Aucun traitement des
substances nocives n’existait, et seule une interdiction de leur rejet dans la
rivière était envisageable. Un projet de contraception avait même été
évoqué et cloué au pilori. L’utilité universelle des « funestes secrets » était
totalement incongrue pour le clergé, et donc non conforme au deuxième
principe. Cette exclusion déçut Comhaire qui était bien conscient du casse-
tête de l’absorption des progrès économiques par une natalité incontrôlée.
209
grand-chose.
210
la quantité de monnaie-papier n’était que de 200 florins-papier, mais qu’ils
circulaient en boucle.
Dans sa défense du système, Comhaire avait conclu que pour les tâches-
de-nettoyage négligées, il y avait quatre solutions possibles : « Ne rien
faire ; demander au Prince et à son administration de lever une taxe et
organiser le nettoyage ; adopter mon système ; proposer une meilleure
solution. », un commentaire exhaustif.
211
Parfois, la monnaie rendue était exigée en florin-papier quand le
commerçant feignait de manquer de change en florin-or ou en sa subdivision
en 20 pièces de « patard ». Le florin-papier était également largement
subdivisé en pièces de billon qu’on avait appelé les « patards-Comhaire ».
212
Certains s’y opposaient en craignant le financement d’une concurrence
dérangeante. Le tiers État s’était offusqué de l’usage à grande échelle de
billets en se remémorant les mésaventures de Law et des Continentals.
Jusqu’alors, le florin-papier avait été accepté par sa relative innocence
pour acquitter les paiements-papier du nécessaire nettoyage. Les changeurs
prêtaient ainsi sans encombre ces florins-papier. Les Liégeois s’amusaient
avec ces billets de papier réservés au nettoyage. Comhaire avait peut-être
des visées politiques depuis le début. Il recherchait plus de ressources pour
prêter à qui il l’entendait. Il s’est mis à réclamer le droit pour la Banque de
la Propreté d’octroyer des prêts en florin-papier à d’autres projets de
l’économie hors nettoyage. Il souhaitait libeller les billets en florins-or,
donc d’en faire des substituts de l’or en supprimant les charges de change
de la convertibilité-or. Il voulait aussi faire sauter le maximum du volume
autorisé de prêts. La démarche de Comhaire était incohérente et
incompréhensible dans le cadre du concours de nettoyage. Ce changement
d’attitude était à l’origine du discrédit de Comhaire.
213
florins-papier ont été déclarés sans valeur. Dépité, Comhaire arrêta là sa
prise de notes. Les revendications politiques ont ensuite éclipsé la curiosité
de la Banque pour la Propreté et de son florin-papier. La Révolution
française a d’ailleurs débordé sur la principauté de Liège quelques années
plus tard. Il reste à espérer que l’aventure monétaire de Comhaire reprenne
sa place dans les manuels d’Histoire de la ville de Liège.
214
L’effondrement des assignats de la Révolution française
vers 1795
215
laborieuse réforme fiscale par rapport au temps de la « tyrannie ». Des
impôts directs sur le revenu remplaçaient alors les impopulaires taxes
indirectes sur les transactions comme sous l’Ancien Régime. Ces impôts
collectés à hauteur des revenus rentraient mal. Les fonctionnaires du fisc
étaient inexpérimentés à déterminer les revenus des citoyens. Les assignats
compensaient providentiellement la chute des recettes fiscales.
216
Crescendo, la multiplication des assignats a augmenté, notamment pour
soutenir l’effort de guerre qui prenait les finances de l’État à la gorge. Dès
août 1792, la multiplication des assignats dans les mains des acheteurs
provoquait l’inflation des prix en ces billets. Les prix en assignats
différaient des prix en pièces d’or ou d’argent. La livre tournois en papier
se détachait de la livre tournois d’or ou d’argent. Le libellé de la monnaie
comptait moins que l’âme de papier futile ou de métal précieux accepté
universellement pour sa valeur intrinsèque. L’assignat valait de moins en
moins hors de France. La thésaurisation des pièces d’or et d’argent
augmentait. En avril 1793, l’interdiction des prix doubles en assignats et en
pièces a surtout aidé à faire disparaître le numéraire métallique.
217
La perte de valeur des assignats était telle que la ponction par l’inflation
tournait à la confiscation. S’en suivait la kyrielle de refus déguisés de
l’assignat : prix exorbitants, ou rétention des céréales et d’autres produits.
Les acheteurs se voyaient exiger des paiements acquittés autrement qu’en
assignats. À l’occasion, les assignats étaient acceptés, mais par pure
spéculation. Dès lors, sans matières premières, sans ressources, l’économie
chutait vers le minimum vital et agricole. Le pouvoir d’achat des masses
était entamé et les passions exacerbées.
218
La monnaie est redevenue la pièce d’or ou d’argent en 1796. La
déflation a été écartée grâce à l’embellie économique qui attirait les métaux
précieux de l’étranger, et par les pièces frappées à partir des lingots
ramenés des conquêtes militaires en Europe.
219
Les guerres napoléoniennes et les billets de banque
220
En 1800, l’État s’immisce à nouveau dans l’impression de monnaie de
papier quand Napoléon fondait la Banque de France pour financer l’État.
Pour éviter de nouveaux troubles monétaires, la Banque de France a reçu
des privilèges exclusifs. Le monopole d’émission des billets de banque lui
a été accordé dans la région parisienne. Les billets ne pouvaient être d’un
montant inférieur à 250 francs, soit le salaire mensuel d’un ouvrier. Les
billets des banques privées destinés à circuler en province devaient être
imprimés sous contrôle dans la capitale. Sous l’Empire, la Banque de
France n’a pas dépassé les volumes de billets et de crédits de la Caisse
d’Escompte de l’Ancien régime. Les billets ont circulé fort modestement
par rapport à la Grande-Bretagne. Les pièces constituaient la base
monétaire bien plus que les billets suspects. Napoléon n’a jamais pu
envisager de recourir à l’expédient trompeur du papier-monnaie
inconvertible en or ou argent. Il n’y avait pratiquement jamais eu de guerre
sans dévaloriser la monnaie d’or, d’argent, de billon ou de papier.
Napoléon fit exception. La convertibilité-or ou argent des quelques billets
de la Banque de France a été mise à rude épreuve. Les crises de retrait
n’ont été surmontées que par les apports en pièces d’or et d’argent d’une
France conquérante ou riche de l’or de la vente de la Louisiane. Napoléon
n’a non plus jamais dévalué son franc « germinal » laissé à 4,5 g d’argent
ou à moins d’un tiers de gramme d’or, selon un ratio bimétallique de 1:15,5.
221
Dans les autres pays continentaux, ce n’était qu’en 1770 que la Banque
royale de Prusse émettait des billets de banque pour la première fois en
Allemagne. La Banque d’Amsterdam créait un important volume de monnaie
scripturale, même sans émettre des billets pour acquitter les paiements.
Comme déjà évoqué, depuis la fin du XVIIe siècle, les Pays-Bas
régressaient sans parvenir à développer leurs industries comme ils avaient
développé leur commerce.
222
Depuis 1787, des marchands, des compagnies et des quasi-banques
émettaient également de larges quantités de pièces de billon privées avec
assurance de convertibilité en équivalent de pièces d’or ou billets de la
Banque d’Angleterre. C’était la première grande vogue de pièces de billon
privées de l’ère industrielle. Parfois, des banques émettaient des billets
pour les fortes valeurs, tandis que les pièces presque inusables étaient
destinées aux faibles valeurs très manipulées.
223
Pendant les « guerres de coalition » contre la France, les troupes
britanniques stationnées sur le continent européen nécessitaient des soldes
en or. Les prêts au gouvernement et les subsides aux alliés devaient
également être accordés en or ou en argent. De plus, vers 1795, les
transferts de l’or anglais vers la France s’accéléraient. Le change de l’or y
était très favorable par rapport à l’argent plus abondant. La chute annoncée
de l’assignat français rendait inévitable le retour de la France à un système
bimétallique qui nécessitait des pièces d’or en plus des pièces d’argent.
Également, les particuliers anglais craignaient une invasion française et une
crise de retrait à la Banque d’Angleterre. La Banque d’Angleterre constatait
l’accélération angoissante des retraits des dépôts et des demandes de
conversion-or ou argent des livres sterling papier. Les réserves d’or et
d’argent fondaient. La convertibilité-or ou argent des billets de la Banque
d’Angleterre chancelait. Vers 1797, la France a même espéré la faillite de
la Banque d’Angleterre incapable de faire face aux conversions des livres
sterling papier en livres sterling or ou argent. Mais la Banque d’Angleterre
s’en est tirée par l’unique subterfuge possible.
224
L’État anglais n’a pas recouru à l’habituelle multiplication des sesterces
ou des assignats en cas de guerre. La récente catastrophe française était
l’exemple à ne pas suivre. L’État s’est financé par une simple hausse des
taxes pour supporter le coût de la guerre contre la France. Les taxes étaient
la seule alternative à la multiplication de la monnaie pour renflouer le
Trésor. L’État avait ensuite pris certaines mesures pour éviter la
surémission de billets des banques privées. Par exemple, une licence pour
l’émission de billets était exigée pour les banques privées dès 1808.
225
effectivement chiffrée à des taux raisonnables au début du XIXe siècle. Les
prix de 1810 étaient peut-être supérieurs de 75 % à ceux de 1790, mais cela
représentait moins de 3 % d’inflation annuelle. Les quantités de monnaie et
de biens produits sont restées en proportion. La hausse des prix interloquait
plus les contemporains habitués à des prix stables. Même la dépréciation de
la livre sterling papier par rapport au cours en rue de l’or et de l’argent
était modérée entre 1797 et 1821. Le système monétaire des billets
inconvertibles tenait le coup contrairement aux exemples américain ou
français.
226
Coïncidence : Échecs monétaires et aléas des
Couronnes de France et d’Angleterre.
227
louvoyait assez bien entre les écueils de la déflation et de l’inflation.
L’Empire britannique allait hisser l’Union Jack aux quatre coins du monde,
et la Pax Britannica allait transcender le siècle pour le plus grand prestige
d’une Couronne d’Angleterre qui devait beaucoup… aux prévarications
financières de ses aïeux.
228
6. Le billet de banque, l’étalon-or
et les cycles économiques
au XIXe siècle
229
Brève dépression économique en Grande Bretagne vers
1820
230
Sans frappes en argent-métal, la référence de la monnaie se détachait de
l’argent-métal. Pourtant, le poids en livre troy d’argent-métal à un titre
sterling (92,5 %) avait été la référence des pièces de monnaie depuis des
siècles. Pour bien marquer la rupture avec l’argent-métal, la référence d’or
d’une livre sterling ne s’appelait pas « livre », mais « souverain ». La
nouvelle pièce du souverain pesait 7,32 g d’or fin ou environ 8 g d’or
sterling. Avec le retour de la convertibilité des billets, la pièce du
souverain du Trésor équivalait à une livre sterling en billet ou en compte en
banque. Le libellé de la « livre sterling » était ainsi conservé pour les
billets ou les comptes en banque. L’« étalon-or » était ainsi défini et
instauré pour les billets de banque en livres sterling.
231
une situation calquée sur la période antérieure à la suspension de la
convertibilité.
Déflation organisée
Dès 1819, la Banque d’Angleterre commençait à reconstituer ses
réserves d’or. Premièrement, elle devait attirer des dépôts d’or
supplémentaires. Les particuliers, rassurés par le retour décidé à l’ancienne
parité, effectuaient des dépôts d’or. Deuxièmement, le commerce des lingots
et des pièces d’or a été libéralisé pour favoriser la circulation de l’or et
pour augmenter les chances de dépôt dans les coffres de la Banque
d’Angleterre. Troisièmement, la Banque d’Angleterre décidait d’allonger
de 2 à 3 mois la validité des lettres de change pour augmenter la circulation
de celles-ci à la place des pièces ou des billets. Quatrièmement, la Banque
d’Angleterre supprimait la circulation des billets de moins de 5 livres
sterling.
232
Dans les années 1820-22, une déflation prononcée a découlé de cette
asphyxie monétaire. La déflation a ramené les prix vers ceux de 1789-1792.
Avec ces revenus en baisse, les particuliers et les entreprises craignaient de
consommer, ou peinaient à rembourser. Dans ces mêmes années, la déflation
débouchait sur une dépression économique. Une flopée d’entreprises et de
petites banques disparaissaient dans la tourmente forcée par la déflation.
L’Angleterre venait, pour la première fois du XIXe siècle, d’étrangler plus
ou moins inconsciemment son économie par la déflation. Dès 1822, la
Banque d’Angleterre faisait marche arrière, et elle reportait de quelques
années la suppression de la circulation des petites coupures. La quantité
monétaire augmentait, et l’abattement économique était vite surmonté et
oublié. L’économie s’était redressée rapidement après la courte dépression.
233
Cycles économiques remarqués après 1820
234
Pour conserver leur marge bénéficiaire ou simplement pour rester à
flots, les entreprises mettaient au chômage des ouvriers inoccupés devant
les machines à l’arrêt. À l’échéance des remboursements des emprunts
obtenus pour acheter les machines, les patrons devaient même écraser les
salaires des ouvriers encore actifs. Avec la crainte du chômage, les ouvriers
pliaient devant les exigences patronales. La « loi d’airain » s’appliquait aux
salaires des ouvriers, quand seul un minimum vital était accordé. En
attendant la reprise, l’entreprise parvenait à baisser ses prix avec les
réductions des coûts et des salaires. L’entreprise espérait ainsi conserver
une position concurrentielle. Elle continuait alors à engranger les bénéfices
ou au moins rembourser les prêts bancaires. Pour d’autres entreprises,
c’était l’impossibilité d’honorer les prêts. La faillite était inévitable sous la
pression des créanciers qui réclamaient en justice l’application des
contrats. Le chômage grimpait à 8 ou 10 %.
235
En se rendant compte de la perte en Bourse avec la chute des cours, les
investisseurs tiraient les rênes de leur consommation. Par la même, ils
accompagnaient ou entraînaient toute l’économie à la baisse. La baisse
s’accélérait avec la confiance qui s’effilochait. Le ramollissement de la
confiance déboulonnait le moteur de la consommation et de
l’investissement.
236
propageaient comme une traînée de poudre. Des faillites de banques se
produisaient en série.
237
la consommation, autant que de l’investissement, de la production et de
l’embauche par les entreprises. Puis la tendance s’inversait pendant 3 ou
4 ans, la confiance se grippait, et l’activité économique se morfondait en
attendant le retour de la confiance et de la hausse économique.
Les cycles ont été étudiés notamment par Marx après 1850. Il a été l’un
des premiers à les analyser. À partir de ses conclusions, il a fustigé le
capitalisme intrinsèquement inique par les cycles implacables envers le
prolétariat. Seule une prise en main par l’État stabiliserait une économique
déboussolée. La fragile confiance des hommes, seul moteur économique du
marché libre, ne pouvait tenir à bout de bras la liberté de consommer,
d’investir, et donc de posséder les moyens de production. Ces théories
marxistes de la confiscation étatique et de la planche savonnée par-dessus
la fosse totalitaire ont été appliquées au XXe siècle avec le succès que l’on
sait. Ces théories criminelles qui méprisent les Droits de l’Homme ne
seront pas abordées ici.
Vers 1878, une autre théorie un peu farfelue a été développée par Jevon,
grand pionnier des statistiques économiques. Selon lui, le cycle de onze ans
des taches du soleil déterminait l’ensoleillement, donc l’économie agricole,
et le tout se répercutait sur l’économie industrielle. Au début du XXe siècle,
Nikolaï Kondratieff a également mis en avant l’existence de cycles longs de
50 à 60 ans, sur lesquels se greffaient les cycles courts de 10 ans. Depuis,
ces cycles longs sont appelés les « cycles de Kondratieff » en trame des
238
cycles courts dits « cycles de Juglar ». Clément Juglar avait été le premier
à observer les cycles courts. À côté de ces modélisations, si l’existence des
cycles n’est pas contestée, aucune théorie n’a jamais fait l’unanimité pour
expliquer les cycles qu’ils soient courts ou longs.
239
longtemps. Déjà en 1696, avec le « Great Recoinage », le ratio or-argent à
1:16 avait été le sujet d’une controverse. En 1821, le rétablissement de la
convertibilité avait donné lieu à une autre polémique entre partisans du
retour, soit la plupart des économistes, ou de la suspension prolongée de la
convertibilité, soit la majorité des banquiers. Pendant le XIXe siècle, les
débats se prolongeaient sur les implications de la monnaie sur les crises
économiques entre les deux écoles des partisans du crédit (« Banking
School ») et des partisans de la monnaie (« Currency School »).
240
boursiers. Il fallait prévenir les crises de retrait pour les banques privées,
comme pour l’inébranlable Banque d’Angleterre. Ainsi, durant la première
moitié du XIXe siècle, une série de règles a été prise pour consolider la
capacité des banques à faire face aux demandes de convertibilité-or en cas
de rush des particuliers.
241
À la fin du XIXe siècle, les opérations d’« Open Market » sont venues
compléter l’utilisation du taux d’escompte comme outil de régulation de la
masse monétaire. Elles consistaient à vendre ou à racheter des titres du
Trésor voire des titres des banques privés (donc des reconnaissances de
dettes à long terme cotées sur les marchés financiers comme les « Bons du
Trésor » du Ministère des Finances, ou même les « bons de caisse » des
banques). Les paiements des titres étaient acquittés en billets, et la quantité
de billets en circulation diminuait ou augmentait en conséquence. Les
opérations d’Open Market étaient surtout plus efficaces, car plus rapides à
influencer le volume des billets en dépôts, quand les variations du taux
d’escompte ne donnaient des résultats sur la couverture-or qu’au bout de
quelques mois.
242
Influence monétaire postérieurement confirmée
Au cours du XIXe siècle, l’explication monétaire des perturbations
économiques a de plus en plus été mise en avant, notamment par Marx.
Faute d’arguments convaincants, ces explications ne prenaient toujours pas
l’ascendant. Au XXe siècle, avec le travail des historiens et des
économistes, le tangage économique du XIXe siècle est mieux expliqué. Une
composante monétaire est aujourd’hui acceptée parmi les influences
économiques, technologies ou politiques des cycles.
243
Le troisième taux d’intérêt affecté était le taux du crédit bancaire. Les
banques visaient à dissuader tout nouveau crédit susceptible d’être retiré
sous forme de billets convertible-or. Mais les crédits plus chers par les
intérêts élevés éloignaient aussi les bouées de sauvetage pour les
entreprises en difficultés. Sans crédit supplémentaire, certaines entreprises
tombaient en faillite en jetant les ouvriers à la rue. Cela accentuait la baisse
de la demande et la réduction de l’activité économique. Les autres
entreprises vendaient d’autant moins, et elles compressaient d’autant plus
les salaires ou licenciaient davantage pour éviter la faillite. À nouveau, ces
baisses des salaires et cette augmentation du chômage affectaient la
consommation de biens produits par les entreprises.
244
Propagation de la Révolution industrielle après 1830
245
moitié du XIXe siècle, une bonne production d’or de Russie, du Brésil et
d’Amérique du Nord avait compensé le déclin de la production d’argent
d’autres mines américaines. En conséquence, la convertibilité des billets la
plus répandue était bimétallique.
246
L’Allemagne a commencé sa Révolution industrielle près d’un siècle
après la Grande-Bretagne. L’Allemagne encore fragmentée s’unifiait pour et
par le progrès économique. L’unification des pièces de monnaie et la
création de banques publiques émettrices de billets finançaient surtout le
commerce entre les régions. Dès 1835, l’industrialisation était mise sur
rails avec une première ligne de chemin de fer dans un grand marché
économique unifié autour de la Prusse : le Zollverein. Le pas s’accélérait
vers l’unification politique de l’Allemagne. Après 1850, l’industrialisation
bouillonnait véritablement. Cette période coïncidait avec le développement
des banques privées.
247
été supprimé en 1846. Après 1852, les créations de banques privées ont été
favorisées sous le Second Empire. Les banques privées commençaient alors
à octroyer plus de crédits en monnaie scripturale éventuellement retirés en
billets de la Banque de France, plutôt qu’en pièces d’or ou d’argent.
L’industrialisation continuait lentement. En 1870, la production française
était encore dix fois inférieure à la production du Royaume-Uni.
248
L’étalon-or et la « Longue Dépression » dès 1873
249
L’exemple de la Grande-Bretagne a alors inspiré le monde. Le Trésor
d’Angleterre frappait uniquement des pièces monométalliques en or. Les
billets de la Banque d’Angleterre étaient donc convertibles-or. À
l’évidence, la Grande-Bretagne n’avait aucun problème de change entre
pièces d’or et d’argent. Pourquoi ne pas imiter le système monétaire de
Grande-Bretagne ? L’usage du billet se répandait, et un système monétaire
de pièces d’or et de billets convertibles-or remplacerait avantageusement
un système instable de pièces bimétalliques. La deuxième raison était
l’adoption de fait du monométallisme or dans le commerce international.
Par sa suprématie économique, la Grande-Bretagne imposait la livre
sterling, donc l’or, dans les contrats internationaux de commerce.
L’économie britannique était suffisamment forte pour que sa livre sterling
soit synonyme de biens anglais, et soit exigée dans les paiements. Les
milieux d’affaires du monde entier ouvraient également des comptes
bancaires dans le quartier financier de Londres, la réputée « City », pour
les mêmes raisons.
Selon cet exemple, la plupart des pays ont opté pour l’abandon de leur
système bimétallique. Ils se débarrassaient ainsi du délicat et gênant ratio
or-argent. Également, ils stabilisaient leur monnaie par rapport à l’or, et
donc à la livre sterling en pièce du « souverain » ou en billet de la Banque
d’Angleterre. Par là, les pays passaient à un système monétaire composé
des seules pièces d’or et de billets convertibles-or. L’argent-métal
démonétisé était négociable au poids à un prix en pièces d’or comme un
bien quelconque.
250
Aux USA, depuis la guerre civile de 1861 à 1865, la seule monnaie du
Trésor en circulation n’était plus les pièces du dollar, mais bien les fameux
billets « greenbacks ». Pour financer la guerre, le Trésor n’avait pu
emprunter à une inexistante Banque Centrale qui aurait suspendu la
convertibilité-or ou argent de ses billets, comme en temps de panique ou de
guerre. Le Trésor avait préféré reprendre la création monétaire en partie à
son compte. Il la retirait ainsi des mains des compagnies minières, sans
toutefois toucher à la création monétaire des banques privées et de leurs
crédits. Le Trésor a simplement émis un substitut de pièces d’or ou
d’argent : un billet de papier temporairement inconvertible. Ces greenbacks
étaient émis contre une promesse de convertibilité en pièce après la
victoire. L’inconvertibilité de ces billets greenbacks du Trésor a été
prolongée quelque temps après l’armistice… jusqu’en 1879.
251
En 1878, le Trésor de France a dû emprunter pour changer les pièces
d’argent en pièces d’or afin de sortir du bimétallisme. En effet, après le
paiement de ses indemnités en or à l’Allemagne, l’afflux d’argent vendu par
le même Trésor d’Allemagne était problématique. Cet afflux risquait de
provoquer une déstabilisation insurmontable du ratio bimétallique si la
France conservait des pièces d’argent en circulation. Parmi les mesures
pour compenser la démonétisation des pièces d’argent, l’économie
française intensifiait l’usage des billets de la Banque de France
convertibles-or.
252
fixe comme il ne l’avait plus été depuis Rome, quand les empereurs
stabilisaient l’or par rapport à l’argent en régulant la production du
monopole des mines impériales. Avec le monométallisme or et les billets
convertibles selon l’étalon-or durant le dernier quart du XIXe siècle, est né
un nouveau système monétaire international. Dans celui-ci, les billets
étaient donc convertibles selon des taux de change fixes en rapport à l’or.
Les pays réglaient leurs dettes internationales en or. Dans la réalité, les
billets étaient changés dans les réseaux interbancaires qui pratiquaient des
« compensations » (clearing) de plus en plus automatisées pour éviter les
transferts d’or ou de billets entre banques. Et, si un pays importait plus qu’il
exportait, il acquittait les importations contre des billets. Les banques
privées épongeaient les surplus de billets, et les changeaient contre de l’or
auprès de la Banque Centrale. La Banque Centrale soldait alors le surplus
des importations du pays avec des pièces d’or.
253
Déflation et « Longue Dépression » entre 1873 et
1896
Après 1870, la plupart des pays se sont engouffrés simultanément dans
un système d’étalon-or. Ils ont créé une demande énorme d’or pour assurer
la convertibilité des billets des Banques Centrales. Pour assurer la
couverture-or des billets, les étranglements des crédits et donc de la
monnaie étaient la règle. Le passage à l’étalon-or international a précipité
l’économie vers une déflation importante jusqu’en 1896. La déflation était
la plus prononcée depuis les déflations de 1780 et 1820. Certains
dénonçaient l’abrutissant monométallisme. Aux USA, les lobbies du retour
au bimétallisme ont soutenu le malchanceux candidat Bryan à la présidence
de 1896 qui scandait que le pays était « crucifié sur une croix d’or ».
254
À la même période, les mouvements ouvriers des pays industriels
émergeaient véritablement. Ces syndicats se structuraient en de réelles
forces dans le paysage politique. Leurs tendances étaient diverses et
aboutissaient à un panel varié de revendications. Celles-ci allaient
d’exigences juridiques jusqu’à des combats idéologiques. La gamme
s’étendait du socialisme réformiste au marxisme révolutionnaire. Les
bombes des plus désespérés ou radicaux, regroupés sous la bannière des
« anarchistes », pétaradaient aux quatre coins d’un monde désemparé. Les
mouvements ouvriers ont en tout cas obtenu des mesures d’hygiène, de
limitation de durée de travail, d’assurances-maladie, etc.
255
Dès 1873, le décor changeait. Avec la déflation de la Longue
Dépression, les entreprises ne trouvaient plus de clients aux mains pleines
de monnaie. Elles se tournaient vers les clients étrangers. Parfois, le
« dumping » était pratiqué. Le dumping était flagrant lorsqu’on enregistrait
des prix aux exportations inférieurs aux prix pratiqués sur les marchés
domestiques. Les cartels utilisaient les fonds perçus sur les ventes
nationales pour exporter avec un bénéfice minime sur les prix à
l’exportation. Le protectionnisme étatique était de retour. Il se justifiait par
les menaces de dumping. Les tarifs douaniers avantageaient les exportations
et protégeaient les entreprises nationales des importations déloyales. Les
traités de libre-échange étaient en recul global après 1870.
256
L’embellie économique relative subissait des spasmes. À nouveau, une
crise boursière, bancaire et économique touchait le monde en 1900. En
1907, une autre crise prenait sa source en Allemagne et affectait
spécialement les USA. Enfin, la crise de 1913 n’a pas été sans rapport avec
la déflagration de la Première Guerre mondiale. Cette période d’avant-
guerre est connue comme la « Belle époque » par le luxe et les vêtements
dans lesquels se pavanaient les plus riches et les plus privilégiés, quand les
plus pauvres étaient relativement moins écrasés par la Longue Dépression.
257
258
Chamboulement de l’ordre économique mondial à la fin du
XIXe siècle
259
Après 1870, l’Allemagne continuait avec une croissance globalement
faible, mais réelle. Les paiements des indemnités de guerre de la France
avaient fourni les fonds pour de multiples nouvelles banques. Le décollage
économique s’était précisé avec la libéralisation du droit des sociétés et
l’euphorie de l’unification de l’Allemagne sous la houlette de Bismarck.
L’Allemagne a néanmoins subi la crise de 1873 avant de remonter la pente
après 1879. L’Allemagne voyait la hausse de son activité, même faible et
instable, dépasser celle de la Grande-Bretagne. L’Allemagne grignotait son
retard économique. Au total, le cocktail banques-industrie a donné
cinquante ans de croissance économique avant 1914.
260
constitutionnelle a longtemps servi les adversaires d’une Banque Centrale
fédérale qui était considérée comme compétition injuste de Washington aux
États de l’Union et aux banques privées. Mais sans prêteur de dernier
ressort, les faillites des banques privées étaient nombreuses. L’émission des
billets par les banques privées, nécessaire pour soulager le manque de
monnaie, était anarchique. Ainsi, en 1861, à la veille de la guerre de
Sécession, 7000 modèles de billets de banques privées étaient dénombrés,
sans tenir compte de l’implacable falsification dans un tel fatras.
261
Ces banques obtenaient un quasi-monopole d’émission des billets de
banque grâce à deux mesures :
262
Deuxièmement, les dollars-billet des autres banques privées étaient
virtuellement démonétisés par le biais d’une taxe d’un montant prohibitif sur
leur circulation après 1865.
263
rivalités entre les États de l’Union et le pouvoir fédéral de Washington,
comme des arguments s’appuyant sur les ambiguïtés de la Constitution.
264
circulation. Le premier de ces deux outils était le traditionnel taux
d’escompte des lettres de change. Le deuxième était les opérations d’Open
Market pour vendre ou acheter des titres divers sur les marchés financiers.
C’est avec ces deux instruments que la couverture-or a été stabilisée
pendant plusieurs décennies.
265
Coïncidence : L’instabilité de la fin du XIXe
siècle et le retour du nationalisme.
266
267
7. Dollars, billets de banque et
Keynes entre 1914 et 1971
268
Les années 1920 dans la lignée du XIXe siècle pour la
plupart des pays
269
La Première Guerre mondiale a représenté un tournant dans l’usage du
billet de banque. Les pays en première ligne au front ont utilisé
intensivement le billet de banque temporairement inconvertible pour les
paiements en interne. Les paiements étaient acquittés par des billets ou des
chèques de monnaie fiduciaire, comme par des virements de monnaie
scripturale entre comptes en banque. Comme depuis des siècles, les petites
transactions de basses dénominations continuaient de s’acquitter en pièces
de billon. Par ailleurs, depuis la fin du XIXe siècle, ces pièces
divisionnaires étaient de moins en moins en cuivre verdissant, et de plus en
plus en alliage de nickel puis d’aluminium toujours brillant. Ce système de
pièces, de billets, et de chèques a remplacé les pièces d’or et d’argent
encore en circulation, comme en France où l’usage des pièces était encore
habituel avant la guerre. Le système monétaire ressemblait enfin à celui de
notre XXIe siècle. Avec l’usage intensif du billet de papier et de la pièce de
billon, l’on s’éloignait du bien-intermédiaire et l’on se rapprochait de la
monnaie abstraite et multipliable.
270
Financement de la guerre par déficit inflationniste
Sans convertibilité-or, les pays belligérants ont multiplié leurs billets de
banque en maintenant les taux d’intérêt bas. Aussi, les Banques Centrales
achetaient massivement des Bons du Trésor national en payant avec des
billets fraîchement imprimés. Les déficits des gouvernements explosaient.
Par exemple, les USA voyaient leurs dépenses multipliées par vingt et
financées essentiellement par la vente de Bons du Trésor.
Une telle multiplication des billets a généré une vague d’inflation dans
tous les pays. En fait, il était admis généralement (et faussement, comme
expliqué dans le prochain chapitre) que l’inflation stimulait l’économie
pendant un temps, mais que l’abus dans le temps conduisait à
l’hyperinflation. Ainsi, l’inflation était acceptée pendant la guerre. Par
exemple, les USA, dernier pays à entrer en guerre, ont vu leur prix
pratiquement doubler entre 1915 et 1920.
271
Cette restauration de l’étalon-or pour le dollar renforçait la référence
internationale du dollar-billet dans les échanges commerciaux. Le dollar,
encore insignifiant avec la création de la Fed en 1913, devenait une
monnaie internationale par le commerce et les contrats. Le dollar rivalisait
déjà avec la livre sterling dès 1925 sur la scène internationale. Les USA
s’imposaient comme la première économie au monde et comme le moteur
économique de la planète. Dans les années 1920, les USA et leur dollar
entraînaient les autres pays victorieux dans une expansion économique
exubérante.
Les stocks d’or des pays belligérants avaient baissé pendant la guerre.
Les Banques Centrales de ses pays se sont mises à la chasse aux lingots
d’or. Elles ne se sont reconstitué une couverture-or suffisamment épaisse
qu’en une dizaine d’années après la fin de la guerre. Les Banques Centrales
ont alors pu rétablir la convertibilité-or de leurs billets. Un retour à la
convertibilité-or qui n’allait pas durer longtemps…
272
À la fin de la guerre, la Grande-Bretagne avait connu un boom
économique comme les autres pays. Elle envisageait sereinement un retour
de la convertibilité-or des billets de la Banque d’Angleterre. Contrairement
à la France, la Banque d’Angleterre voulait voir sa livre sterling ramenée à
la parité de l’étalon-or d’avant-guerre, surtout envers le dollar des USA.
Londres devait conserver sa première place financière mondiale par ce
retour compulsif à la parité d’avant-guerre. La confiance des détenteurs de
livres sterling papier serait confortée par une convertibilité sans perte d’or
par rapport à l’avant-guerre.
273
Dans le même temps, les exportations perdaient en compétitivité par
rapport aux autres pays qui avaient dévalué leur monnaie. Les entreprises
alignaient difficilement leurs prix sur ceux de la concurrence étrangère.
Elles étaient contraintes à réduire leur production et à licencier les
ouvriers. Le chômage atteignait déjà 18 % à la fin de l’année 1921. Les
entreprises pensaient faire baisser les salaires pour pouvoir écraser les prix
et relancer les exportations.
274
Churchill était ce chancelier. Même s’il était conscient de la calamité du
retour de l’étalon-or aux parités d’avant-guerre, il avait cédé à son
entourage. Par la suite, Churchill a reconnu cette décision comme la plus
grosse erreur de sa carrière politique. Et la Grande-Bretagne titubait dans la
récession des années 1920, quand les autres vainqueurs de 14-18 dansaient
dans les « années folles ».
275
L’hyperinflation en Allemagne vers 1922 1923
276
En multipliant la monnaie sans retenue, l’inflation apparaissait pour les
autres agents économiques, dont les épargnants. La surmultiplication de la
monnaie par l’État s’assimilait à un véritable impôt. Avec l’inflation, l’État
ponctionnait aux épargnants, comme un authentique imposteur et comme un
faux-monnayeur. Par la suite, les désavantages de l’inflation faisaient
apparaître la chute de la demande de biens par les épargnants au pouvoir
d’achat rongé par l’inflation. Les entreprises ne s’engageaient plus dans des
paiements à terme. La chute de la consommation et des investissements se
répercutait inévitablement sur la production. Baisse de la production,
augmentation de la masse monétaire, et l’Allemagne était prise dans une
spirale inflationniste. L’État voyait ses revenus réels baisser, et il
augmentait encore son endettement et donc la quantité de monnaie en
circulation.
277
Dérapage vers l’hyperinflation en 1922-1923
En 1922 et 1923, l’inflation dépassait les 10 % par mois. Elle avait
dégénéré en « hyperinflation ». L’épargne n’était plus rognée par
l’inflation, elle était carrément confisquée par l’hyperinflation. Les
épargnants en étaient ruinés. Aucune pièce d’or n’était disponible pour une
conversion et un placement sûr. Le troc, les biens-intermédiaires et les
autres palliatifs à l’inflation réapparaissent. L’économie s’affaiblissait au
pas de course. Les troubles acculaient le pays au bord de la guerre civile.
L’hyperinflation allemande est considérée comme une des causes de l’échec
de la République de Weimar (1919-1925). Avec les humiliantes réparations
de guerre, l’hyperinflation a contribué à mettre le pied du parti nazi à
l’étrier.
~
278
Résorption remarquée de l’hyperinflation
En 1924, l’Allemagne était parvenue à revenir à une monnaie stable
gagée sur des actifs de l’État, en l’absence de réserve d’or. La
« Rentenbank » était un nouvel organisme qui émettait des billets
convertibles en terres, à l’image des assignats de 1789. Le nouveau billet
du « rentenmark » était émis en quantité rigoureusement limitée par la
Rentenbank. Le rentenmark était valorisé selon le mark-or d’avant-guerre,
soit à 4,2 dollars convertibles-or. Les vieux billets du mark étaient changés
contre des billets du rentenmark. La référence du vieux mark-billet
n’existait qu’au travers du cours du change envers l’or ou bien le dollar
coté à… 4200 milliards de marks-billet inconvertibles. Un rentenmark était
donc changé contre 1000 milliards de marks-billet.
279
dans l’emballement de l’inflation. En schématisant, ils empruntaient
massivement des marks-billet pour placer en devises stables, et
remboursaient à terme les marks-billet après la hausse du cours des
devises. Par là, les crédits proliféraient, comme la quantité de monnaie en
circulation, et l’inflation s’accélérait. Ensuite, ils empochaient la différence
entre les cours d’achat du jour et de vente à terme des devises, en déduisant
les clopinettes des intérêts de l’emprunt.
280
281
Le violent krach boursier de Wall Street de 1929
Pourtant, dès 1924, la Fed est ensuite revenue vers une tactique
classique de crédits bon marché et juste limités en fonction de la
couverture-or. Elle souhaitait alors aider la Banque d’Angleterre à
reconstituer, puis à maintenir, sa couverture-or. Objectif atteint en 1925,
puis en 1927. La Fed a effectivement manipulé le taux d’escompte et les
opérations d’Open Market afin de favoriser la circulation de monnaie… et
les placements d’or à Londres qui pratiquait une politique de taux d’intérêt
élevés et d’achat d’or. La Fed avait descendu son taux d’escompte jusqu’à
3,5 % en 1927, donc en dessous de celui de Londres. Avec ces taux
d’intérêt bon marché, le volume de crédits accordés aux spéculateurs
boursiers ne désenflait pas. Les cours des actions s’élevaient devant tant de
demandes d’acheteurs aux mains pleines de monnaie… empruntée.
282
Après une hausse irréaliste des cours, les investisseurs ont commencé à
se rendre compte que les bénéfices par action ne seraient pas aussi
mirobolants qu’espérés. Les cours des actions cotées à la Bourse de Wall
Street s’effondraient finalement avec le krach d’octobre 1929. Le krach
dépassait les échelles de grandeur des crises boursières du XIXe siècle. La
confiance chutait aussi bas qu’elle était montée haut avec l’euphorie de la
fin de la guerre et la certitude d’une croissance infinie de la production, des
bénéfices et de la Bourse.
283
dollars-billet en circulation et éviter leur conversion en dollars-or à ses
guichets. Au début des années 1930, l’évaporation de la confiance incitait
chacun à thésauriser sa monnaie en dépensant le minimum et sans rien
déposer en banque par crainte de la faillite de celle-ci. Vidées de comptes
de dépôt et donc sans couverture-or ou billets, les banques refusaient les
demandes de crédits. Cette restriction du crédit limitait les possibilités de
consommation ou d’investissement. Les entreprises ne savaient plus vendre
leur production à des consommateurs tétanisés ou à des investisseurs
pétrifiés. Quantité d’entreprises endettées tombaient en faillite. Cela
aggravait encore les faillites des banques qui ne savaient plus rendre la
monnaie des épargnants prêtée aux entreprises. Aux USA, 2000 banques ont
failli en 1931 et 4000 en 1933.
Dès après le krach de 1929, les banques des USA avaient rapatrié leur
or prêté en Europe et spécialement à l’Allemagne. À l’annonce de ce
rapatriement, les crises des retraits des dépôts et de convertibilité-or des
billets des Banques Centrales frappaient l’Europe. La crise bancaire avait
provoqué une rude contraction de la masse monétaire. La crise bancaire
dégénérait en choc économique. La mauvaise réaction de contraction de la
masse monétaire par la Fed aux USA, a largement contribué à propager la
grave crise de confiance à l’économique européenne. Contrairement aux
crises du XIXe siècle, la dépression prenait sa source aux USA, et non plus
en Grande-Bretagne ou en Europe continentale. Dans les années 1930,
l’économie était la proie de la déflation et de la dépression économique aux
USA et en Europe. La crise économique se répandait ensuite à travers le
monde par le commerce international.
284
285
Théories de Keynes vers 1930
286
nations devaient être protégées de la multiplication excessive des billets
inconvertibles et de l’hyperinflation.
287
billets dans les comptes de dépôt des banques privées, ce qui contingentait
le crédit par la probabilité des retraits en billets.
Ce n’est qu’après 1945 que les crédits aux ménages ont massivement
contribué à relancer la consommation, donc les ventes et la production. Les
crédits pouvaient être multipliés pour les producteurs, mais aussi pour les
288
consommateurs déjà enrichis et capables d’offrir des garanties foncières ou
immobilières aux banques contrairement aux siècles précédents.
289
Par l’endettement pour couvrir les investissements étatiques et les
réductions d’impôts, Keynes visait surtout à redémarrer l’économie privée.
Keynes n’était pas un socialiste qui souhaitait la prise en charge de
l’économie par l’État. Keynes était un capitaliste adepte de l’efficacité du
secteur privé. Pour Keynes, comme pour les libéraux, la vision socialiste
avec une législation et des contrôles stricts est économiquement inefficace.
Surtout, ces contrôles stricts risquent de dériver vers un système de
coercition toujours plus rigide contre le marché noir et les méchants
producteurs. Un excès législatif, judiciaire ou même fiscal aux mains d’un
être pervers annihilerait toute velléité d’opposition et tournerait à une
répression incompatible avec les libertés fondamentales.
290
Abandon partiel de la convertibilité-or à partir de 1931
Après 1936, seuls les USA disposaient encore d’une réserve d’or
suffisante pour maintenir une convertibilité-or des dollars-billets de la Fed.
Dans la pratique, il s’agissait d’une convertibilité-or circonscrite. La
conversion de dollars-billet était exclusivement autorisée à quelques
Banques Centrales étrangères, dont celles d’Angleterre et de France. La
convertibilité-or des dollars-billet avait vécu pour les particuliers.
291
surveillaient, au travers des comptes des réserves minimales, les volumes
des dépôts destinés à couvrir les retraits en billets nationaux. L’inflation et
les taux de change des monnaies nationales étaient stabilisés pour respecter
la convertibilité-dollar, ou la convertibilité-or dans le cas du dollar.
292
en l’avenir économique. La reprise tardait à revenir. Avant la guerre, la
Grande-Bretagne tergiversait devant un redressement économique insufflé
par un endettement étatique prononcé et favorisé par des taux d’intérêt bon
marché. Les théories de Keynes n’ont inspiré qu’une baisse des taux
d’intérêt qui a au moins donné un coup de fouet au marché immobilier. La
reprise du secteur de la construction explique le léger regain de l’activité
économique des années 1930. Malgré la baisse des taux d’intérêt, le
chômage était toujours élevé. En 1939, l’Angleterre pataugeait dans un
chômage qui touchait encore 12 % de la population active.
293
Application plus large des théories keynésiennes aux USA
dès 1932
294
Ensuite, la convertibilité-or du dollar-billet était suspendue pour les
particuliers américains. Cette mesure mettait un terme aux crises de retrait,
ce qui était très appréciable. En même temps, la circulation de l’or pour
acquitter les paiements internes était interdite aux USA. L’or n’était plus une
monnaie légale. L’or restant pouvait seulement être thésaurisé.
295
stabilisation de l’once d’or à 35 dollars-billet, les autorités fixaient une
valeur plancher en or du dollar-billet qui rassurait les marchés.
Les taux d’intérêt des banques privées ont pu être plafonnés. Dans la
pratique, une rémunération maximale en intérêts des dépôts bancaires a
296
légalement été instaurée. En conséquence, les taux d’intérêt exigés pour les
crédits étaient limités au taux des dépôts plus une marge bénéficiaire pour
la banque. La marge bénéficiaire des banques était bien sûr contenue par la
concurrence. Le taux d’intérêt des crédits était à peine plus élevé que le
taux d’intérêt maximal des dépôts. Les théories keynésiennes avaient inspiré
cette politique des taux d’intérêt bas pour les dépôts et les crédits
bancaires.
297
Le New Deal et l’endettement timide de l’État US
Dans les années 1930, le président Roosevelt mettait son « New Deal »
en place. Le gouvernement US a développé sa propre banque publique : la
RFC (Reconstruction Finance Corporation). La RFC avait été créée peu
avant la présidence de Roosevelt. La création de la RFC était nécessaire
pour le gouvernement, car la Fed était un organisme qui échappait au seul
gouvernement par un capital aux mains d’actionnaires semi-privés. De leur
côté, les capitaux de la RFC provenaient du seul Trésor US. Ces capitaux
de la RFC en dépôts à la Fed permettaient des crédits en proportion
responsable des réserves minimales. Ensuite, la RFC créditait aux États des
USA pour financer des grands travaux d’infrastructure. Les États des USA
s’endettaient pour espérer relancer l’économie par ce soutien étatique à
l’activité, aux investissements et à la consommation. L’investissement dans
ces grands travaux était rentable. Il se basait sur le développement
d’industries primaires et secondaires (agriculture, acier, construction…).
Ces projets étaient « simples » à mettre en œuvre par l’État dans un pays
loin d’être saturé de barrages et de ponts. Ces projets généraient un revenu
rapide. Restait à espérer le retour de la consommation privée, conséquente
des salaires des grands travaux, qui réanimerait la production et donc
l’investissement des entreprises. Les USA continuaient de plaider pour
l’économie de marché libre et pour le capitalisme. Ils plaidaient pour un
travail volontaire et meilleur afin de produire et dépenser librement pour
soi-même.
298
Les crédits de la RFC ont également financé la réouverture des banques
privées. 7000 banques privées ont pu rouvrir. Aussi, le gouvernement avait
accordé une nouvelle assurance ou garantie des dépôts des épargnants
(FDIC for Federal Deposit Insurance Corporation). Depuis le traumatisme
de 1929 et l’hécatombe de faillites des banques qui avait suivi, les dollars
fuyaient les dépôts en banques. En échange de cette assurance, les banques
concédaient de soumettre leurs activités à plus de contrôles. Une distinction
était établie entre d’une part, les banques commerciales pour le crédit à la
consommation ou à l’investissement dans la production, et d’autre part, les
banques d’investissements pour les placements en Bourse. Les banques
commerciales n’étaient plus autorisées à accorder des prêts pour des
placements en Bourse. Les banques commerciales devaient prêter en billets
ou créditer en compte en vérifiant la destination du financement pour l’achat
d’une machine, d’un autre investissement productif, ou de dépenses de
consommation comme une maison ou une voiture.
299
(construction de barrages, de routes, etc.) financés par un endettement
couvert par les crédits bancaires de la RFC devaient être profitables à court
terme. Dans ce système du New Deal, la masse monétaire augmentait en
proportion de la production. L’inflation se chiffrait dans des normes
convenables.
300
301
Reprise économique fulgurante dans l’Allemagne nazie dès
1933
302
fonciers. L’État a soutenu également les investissements privés par des
subsides.
303
proportionnel à la production, et il n’était donc pas inflationniste. Il s’agit là
d’un contrôle original de l’inflation, pas si keynésien que cela comme la
suite l’expliquera. Le système était donc dirigiste, paradoxe pour Schacht le
libéral.
304
les desseins belliqueux des nazis, détachés de toute menace de sanctions
économiques internationales.
Le Neue Plan a fonctionné mieux que le New Deal aux USA. Alors que
les USA et la Grande-Bretagne luttaient contre un chômage qui flirtait avec
les 15 %, l’Allemagne nazie avait mis tous ses chômeurs au travail. La
popularité d’Hitler montait en flèche. Dès 1935, les investissements
305
discrets ou plutôt les dépenses dans le réarmement avaient commencé. Ces
dépenses étaient remboursables uniquement par les conquêtes. Les bruits de
bottes commençaient à résonner en Europe jusqu’à l’embrasement de la
Deuxième Guerre mondiale.
306
La Deuxième Guerre mondiale et les batailles monétaires
307
L’or et le commerce international pendant la guerre
Pour le commerce international, notamment avec les pays neutres
(Argentine, Suisse, Suède…), l’or était la seule monnaie acceptée pour
acquitter les paiements.
308
l’essentiel de la monnaie de l’inflation. Cette masse monétaire se composait
des petites coupures et surtout de la monnaie scripturale des comptes en
banque. Ainsi, Hitler n’a heureusement pu rendre la pareille aux
Britanniques. En effet, les Britanniques avaient réussi un coup similaire
pendant la guerre 1914-1918. Cela avait été l’une des causes de
l’enfoncement des défenses de l’Empire du Kaiser, vidé de ses forces
économiques en partie par l’inflation.
309
Bretton Woods en 1944 et les Trente Glorieuses de 1945 à
1975
L’or était maintenu à 35 dollars-billet pour une once troy d’or. Comme
depuis 1936, la convertibilité-or du dollar-billet n’était plus autorisée aux
particuliers. Ce droit était réservé à quelques Banques Centrales hors USA
autorisées à vendre ou à acheter des dollars contre de l’or. Les particuliers
pouvaient seulement acheter de l’or en rue, à un prix parfois supérieur aux
35 dollars l’once d’or. Sous un certain angle, la convertibilité-or du dollar
devenait psychologique pour les particuliers, et symbolique pour les
gouverneurs des Banques Centrales peu sujets à réclamer de l’or tant que la
Fed jouait le jeu. Au moins, ce système éliminait les crises de retraits des
dépôts et les demandes de conversion-or des billets. Les pays s’habituaient
à vivre sans véritable monnaie d’or, mais toujours avec la convertibilité-
dollar. Le fonctionnement de la convertibilité-dollar s’appuyait sur les
principes de la convertibilité-or des siècles antérieurs.
Des nouveaux taux de change fixes étaient instaurés selon les directives
de la conférence de Bretton Woods. Chaque Banque Centrale s’engageait à
acheter et vendre sa monnaie contre des devises à ces taux fixes, et donc à
assurer la convertibilité-dollar. Une révision de la parité d’une monnaie
envers les autres devises était possible sous certaines conditions
spécifiques. Une révision de la parité entre le dollar-billet et l’or était aussi
possible pour les USA. C’était la naissance d’une nouvelle organisation du
système monétaire international, parfois appelé le « SMI » (Système
Monétaire International).
310
Selon les accords de Bretton Woods, les taux de change n’étaient pas
strictement fixes. Ils fluctuaient dans une bande de +/- 1 % autour d’une
parité fixée envers le dollar convertible-or. Les accords de Bretton Woods
ont préféré laisser les taux de change fluctuer légèrement. Les Banques
Centrales reproduisaient ainsi l’ancien système de l’étalon-or qui autorisait
jadis de petites variations du change entre les devises et l’or pour couvrir
les frais de transport de l’or entre banques. Les Banques Centrales
récupéraient ainsi l’infrastructure et le savoir-faire du système déjà en
place dans les marchés de change aux mains des banques privées. Les
Banques Centrales n’interviendraient sur ces marchés de change qu’en cas
de fluctuations au-delà de +/- 1 % des parités prévues envers le dollar.
311
demandes et des offres de devises ou de dollars qui faisaient fluctuer les
cours de change en fonction des disponibilités locales ou lointaines de
dollars. La marge bénéficiaire des banques était d’ailleurs obtenue en partie
sur la fluctuation du cours de change, en plus des agios de change.
Depuis 1947, le FMI accorde des prêts, et non des crédits, en dollars ou
en devises fortes. Les ressources du FMI pour accorder les prêts sont les
quotes-parts des membres, et quelques emprunts extérieurs accordés par
certaines Banques Centrales au FMI. Le montant maximum du prêt accordé
à chaque pays est fonction du montant de sa quote-part. Les prêts sont
accordés à taux d’intérêt bas, ce qui constitue l’avantage à s’adresser au
312
FMI pour les pays membres. Les prêts sont accordés par le FMI uniquement
pour s’acquitter d’obligations financières en devises, et non pas pour
construire une autoroute ou un barrage.
313
reconstruire les capacités industrielles et agricoles endommagées par la
guerre. Les dons finançaient les achats de matériel aux USA. L’Europe
obtenait le matériel nécessaire à sa reconstruction. Les USA craignaient la
montée de la pauvreté et des partis communistes en Europe.
314
d’après-guerre, l’envie de consommer à nouveau, etc. La production était
immédiatement achetée… et quasi sans incitation publicitaire ou marketing.
Les entreprises ont pu s’endetter pour investir, pour produire et pour
embaucher des travailleurs qui avaient gardé un niveau technique élevé
malgré la guerre. Et selon Keynes, de la demande effective dépend le plein
emploi. Les gens ont pu s’endetter pour consommer. C’était la montée des
crédits à la consommation ou des ventes à crédit. L’endettement pour
consommer et investir était massif et faisait tourner l’économie. L’économie
fleurissait pendant trois décennies. Les petites et moyennes entreprises ont
percé en marge de l’industrie lourde. Ces années d’après-guerre entre 1945
et 1975, de croissance continue et de chômage bas, ont été appelées les
« Trente Glorieuses ».
315
RFC a été entérinée pour concurrence déloyale et redondance avec les
banques privées. Le gouvernement n’avait plus d’organisme de crédit
bancaire entièrement sous son contrôle. La possibilité de création monétaire
pure et sans autre contrôle législatif, judiciaire ou autre était retirée au
gouvernement.
Les autres pays étaient plus ou moins vertueux quant à l’endettement par
création monétaire, et donc quant à l’inflation. Les « lignes de crédit »
auprès de la Banque Centrale nationale existaient et étaient obtenues par les
autorités nationales ou régionales. Cette ligne de crédit était un compte de
crédit ouvert par l’État à sa Banque Centrale. Ce compte était crédité par
simple écriture d’un montant de monnaie prêté, et donc créé par la Banque.
Les lignes de crédit étaient de la pure création monétaire totalement
316
inflationnistes si elles étaient dépensées plutôt qu’investies. En notre XXIe
siècle, suite aux nouveaux concepts exposés dans le chapitre suivant, les
Banques Centrales ont interdit les lignes de crédit.
Selon Keynes, les taux d’intérêt bon marché étaient primordiaux. Une
inflation relative était le prix à payer pour décrocher la timbale du plein
emploi. Pendant les Trente Glorieuses, l’inflation a été limitée à quelques
pour cent par an. L’inflation était un phénomène nouveau par rapport aux
prix stables du XIXe siècle. L’inflation était tolérée, car les succès de
l’économie keynésienne étaient manifestes pour résorber le chômage et
assurer le progrès. Mais, dans les années 1960, des économistes
commençaient à dénoncer une certaine dérive du keynésianisme qui ne
pouvait mener qu’à une inflation excessive. De fait, comme ces économistes
l’avaient annoncée, une crise économique étroitement liée à l’inflation allait
surgir dans les années 1970.
317
Coïncidence : Keynes en retrait, Schacht en
avant, dans l’entre-deux-guerres.
Avec les mêmes idées keynésiennes, les Trente Glorieuses ont rendu
possible la réconciliation entre vainqueurs et vaincus à l’Occident. Les
coups de poing dans l’estomac des vaincus du Traité de Versailles ont été
remplacés, une guerre plus tard, par des aides massives à la reconstruction
du Plan Marshall. Cette période de prospérité a permis aussi à l’Ouest de
mener la guerre froide contre l’Est. Sans dépendre de l’extraction des mines
d’or et d’argent, la déflation était esquivée sans basculer dans l’inflation
pour une des plus longues périodes de hausse économique de l’Histoire.
318
319
8. Montée du monétarisme
dans les années 1970
320
Tensions sur le change, et fin de la convertibilité-or du
dollar après 1971
Les banques privées n’étaient pas en reste. Avec les dépôts de dollars
obtenus par les Bons du Trésor rachetés par la Fed, le volume de crédits
augmentait, donc la création de monnaie scripturale s’amplifiait. Certaines
banques privées étaient même débitrices envers des banques étrangères afin
de dégager plus de moyens pour créditer davantage en interne.
321
importations de biens. En 1968 et pour la première fois depuis 1893, les
USA importaient plus de biens et de services qu’ils en exportaient. Les USA
commençaient à creuser un « déficit commercial ». Ce déficit commercial
était enregistré par la « balance commerciale » selon les déclarations des
flux de biens ou de services entrants et sortants aux douanes US comme à
l’administration de la TVA. Ces déclarations aux administrations étaient
bien sûr notées en dollars. Et les USA compensaient le déficit commercial
en payant avec les dollars surmultipliés.
Selon les taux de change fixes convenus depuis Bretton Woods, les
Banques Centrales non américaines achetaient les dollars surmultipliés à
leurs concitoyens exportateurs de biens. Les Banques Centrales
amoncelaient des réserves de dollars. Dans la réalité, les Banques
Centrales non américaines achetaient des Bons du Trésor US contre les
dollars accumulés par le change. Cette accumulation des dollars, ou des
Bons du Trésor, devenait intolérable pour les Banques Centrales non
américaines.
322
dollars et encaisser le profit par la dévaluation déduite des quelques
intérêts de l’emprunt. Les ventes de dollars empruntés – donc crédités
quelque part en monnaie scripturale – des spéculateurs enflaient les
réserves en dollars des Banques Centrales. Les Banques Centrales
saturaient d’une telle augmentation de leurs réserves en dollars. Les
tensions politiques, spécialement à propos de la guerre du Vietnam,
n’arrangeaient rien entre partenaires atlantiques. Finalement, les Banques
Centrales d’Angleterre et d’autres pays réclamaient la conversion-or des
dollars-billet.
Déjà dans les années 60, le dollar était de moins en moins perçu comme
équivalent à l’or comme pendant les années 50, et différentes mesures
avaient été implémentées pour stabiliser le système autour de l’or. Parmi
ces mesures, un marché de l’or à deux niveaux était instauré en 1968. L’or
était coté librement dans le premier niveau, et seul le deuxième niveau,
réservé aux Banques Centrales, était stabilisé à 35 dollars-billet l’once
d’or. Cependant, certaines Banques Centrales étaient tentées d’acheter de
l’or sur le deuxième niveau pour le revendre plus cher que 35 dollars-billet
sur le premier niveau.
323
convertibilité-or ont été implémentées, mais sans succès. En décembre
1971, le FMI avait autorisé un élargissement de la bande de fluctuation des
parités de change envers le dollar à +/- 4,5 %. La Fed et le Trésor tentaient
de maintenir une convertibilité-or du dollar à 38 dollars l’once d’or au lieu
de 35, soit 10 % de dévaluation. En février 1973, le dollar était encore
dévalué à 42,22 dollars l’once d’or. Aucune de ces mesures n’a tenu
longtemps.
324
La nouvelle âme et la source de la monnaie
325
Dès lors, la monnaie ne tient-elle plus qu’aux décisions de l’État
d’imposer un cours légal additionné d’inconvertibilité-or ou argent de la
monnaie ? Pour rappel, le cours légal est l’obligation d’accepter une
monnaie pour acquitter les paiements ou les dettes des contrats, comme pour
payer les impôts. Cette combinaison du cours légal et d’inconvertibilité est
le « cours forcé ». Le fait d’une monnaie tenue par le cours forcé est à
nuancer. Un cours forcé par coercition serait contourné par le marché noir et
par les paiements ou les placements en biens-intermédiaires. L’or est
toujours une monnaie recherchée, surtout pour les placements. Son cours est
passé de 35 dollars l’once troy à plusieurs centaines de dollars aujourd’hui,
comme précisé dans les pages financières des journaux. Les actions
d’entreprise, les obligations à long terme ou les Bons du Trésor à court
terme du pays voisin sont aussi convoités comme échappatoire au placement
en une monnaie locale sous cours forcé. Dans la pratique, la monnaie sert
surtout à acquitter les paiements, et à assurer une certaine liquidité pour
satisfaire les besoins immédiats. Rarement, la monnaie sous cours forcé est
thésaurisée, contrairement aux pièces d’or.
326
L’authentique et stable valeur de la monnaie dépend exclusivement de la
production future du pays par rapport à la quantité de monnaie alors en
circulation dans ce pays. Si la production se maintient comme la quantité de
monnaie, alors les prix stables donneront une même valeur à la monnaie en
quantité de biens. Dans le cas contraire, si la production nationale part en
piqué, ou si le volume de monnaie nationale explose, alors la monnaie
nationale ne vaudra pratiquement plus rien. La valeur de la monnaie tient
par la confiance en la promesse de ponctionner équitablement sur la
production à venir. On espère que cette promesse de ponction future sera
équivalente à ce qui a été vendu. À production et prix constants, les biens
achetés plus tard vaudront les biens vendus à un moment donné. L’on fait
confiance au gouvernement et à la Banque Centrale pour veiller au bon
équilibre entre le volume de monnaie nationale et les quantités produites.
~
327
consommable en soi. Pour la petite histoire, un indicateur très sérieux et
réputé est l’estimation des parités de pouvoir d’achat selon le prix du « Big
Mac » du restaurant McDonald’s du centre-ville comparé aux salaires
locaux.
328
d’assumer la responsabilité des transactions sur ces comptes de crédit. Les
banques sont les plus désireuses de surveiller l’évolution du compte jusqu’à
son remboursement et à sa clôture. Les retraits se faisaient à hauteur des
factures à payer et en fonction du contrat de crédit. Les retraits étaient
effectués en billets de banque privée, par chèque ou par virement, mais
rarement en pièces d’or. La monnaie du crédit acquittait les paiements. Les
billets ou les chèques du paiement faisaient alors, comme par miracle, de
nouveaux comptes de dépôt considérés comme autant de pièces d’or et
d’argent acquises à la sueur de son front, et donc non empruntées. La masse
monétaire était en constante augmentation de pièces d’or… virtuelles. La
couverture-or faisait croire à ce tour de passe-passe, sauf en cas de crise de
retrait ou de banqueroute.
La Fed, à l’instar des autres Banques Centrales, garantit les retraits des
dépôts bancaires en monnaie fiduciaire, donc en billets, à hauteur des
réserves minimales. La Fed a remplacé sa couverture-or par un stock de
papier pour couvrir les retraits des dépôts bancaires en billets. Et plus il y a
de dépôts bancaires privés, plus la Fed est obligée d’imprimer des dollars-
billet.
329
Cependant, il est faux de dire que le crédit et la création monétaire sont
entièrement aux mains des banques privées. Il est plus judicieux de parler
d’un tandem de création de monnaie dans les mains des banques privées,
mais aussi de leurs clients privés. De fait, les banques ne peuvent prêter
qu’à leurs clients. Les banques ne peuvent créditer leurs banquiers à tire-
larigot, car ceux-ci restent juridiquement de simples clients de leurs propres
banques. Les banques et les banquiers restent sous la coupe des actionnaires
de la banque et de la réglementation bancaire. Ainsi, le tandem de la banque
et de ses clients doit se tenir droit sous peine de chute avant la ligne
d’arrivée. Et, pour éviter la banqueroute, il y a encore de nombreux
contrôles en place. Enfin, une banque peut décliner un crédit à un client,
mais une nouvelle banque peut être ouverte par des clients insatisfaits, mais
qualifiés et disposés à jouer le jeu du marché libre et de la concurrence.
330
Les dollars, les livres sterling, les yens, etc. composent la masse
monétaire. Ces dollars ou ces yens sont soit inscrits en compte de dépôt ou
de crédit, soit retirés sous forme de billets ou de pièces. Par ailleurs, les
paiements en monnaie par les particuliers sont de plus en plus électroniques
et de moins en moins acquittés en billets ou en pièces de billon. Les
virements entre comptes bancaires prennent la place des paiements
acquittés en billets. Les compensations entre banques comme depuis Délos
dans l’Antiquité (clearing), sont également électroniques par des réseaux
informatiques comme Swift (Society for Worldwide Interbank Financial
Telecommunications) ou Target (Trans-european Automated Real-time
Gross settlement Express Transfer system). Les dollars ou les yens sont
souvent réduits à une ligne écrite dans un compte en banque privée, et
recopiée dans les comptes des réserves minimales à la Banque Centrale.
Les dollars ou les yens ne sont plus qu’un chiffre sur un disque dur ou une
bande magnétique d’ordinateurs. La monnaie n’est plus qu’un traceur
électronique du travail accompli et facturé selon les lois du marché. À
présent, les dollars ou les yens ont assurément basculé du bien-
intermédiaire jusqu’à la monnaie pure, abstraite, incomprise… et pleine de
méprises.
331
Dans la même logique, les billets de dollars ou de yens sont de moins en
moins imprimés, même si la masse monétaire globale augmente. Les dollars
ou les yens sont de moins en moins retirés et manipulés sous forme de
billets hors des comptes bancaires. La monnaie fiduciaire n’est plus utilisée
que quand le paiement électronique n’est pas possible… ou qu’aucune trace
en banque n’est désirée. Les Banques Centrales sont toujours disposées à
imprimer des billets à hauteur des réserves minimales, sans en avoir besoin.
En notre XXIe siècle, la masse de billets imprimés ne représente que
quelques pour cent de la masse des dollars ou de yens en compte de dépôt.
La couverture des comptes de dépôt des banques privées n’est plus en
billets, mais simplement en réserves minimales chiffrées dans un ordinateur.
La monnaie a pratiquement été dématérialisée depuis 1971.
332
rapportées dans les colonnes financières des journaux, bien qu’une partie
ait été réquisitionnée par le Trésor US juste avant la dévaluation de 1934.
Ensuite, une fraction seulement des salaires sera attirée par les
rémunérations des intérêts des comptes de dépôt pour se convertir en
épargne. L’importante portion restante du salaire sera utilisée pour
consommer. On parle d’une « propension à consommer » relativement
importante. Cette fraction limitera la multiplication des crédits en
proportion honnête des réserves minimales, ancienne couverture-or à la
Fed.
333
· Premièrement, la Fed peut réduire le volume des comptes de dépôt par
ses opérations d’Open Market en vendant des titres ou des Bons du Trésor
pour absorber les dollars-billet.
Depuis 1954, la Fed accepte les dépôts (en d’autres mots : elle
emprunte et en absorbe les excès) et les rémunèrent à un taux d’intérêt
334
appelé le « taux des fonds fédéraux » (ou « Federal Funds Rate »). Ce
quatrième outil deviendra primordial dans les années 1980. Les pages
suivantes y reviendront.
335
Éclatement des parités fixes et dévaluations dès 1973
Ainsi, dès 1973, les Banques Centrales se sont mises à laisser les taux
de change des monnaies les plus multipliées se dévaluer. Elles ignoraient
par là les taux de change fixés par les accords de Bretton Woods. Les
Banques Centrales ne stabilisaient plus les cours du change contre les
variations quotidiennes sur les marchés financiers. Les Banques Centrales
n’intervenaient plus pour maintenir la convertibilité-dollar à la parité fixée
de leur monnaie ou d’une autre monnaie. Semaine après semaine, elles
laissaient « flotter » certaines monnaies par rapport à d’autres. Une monnaie
est considérée comme une monnaie ou une « devise forte » si elle n’est
jamais dévaluée par rapport aux autres devises. Une monnaie est cataloguée
comme une monnaie ou une « devise faible » si elle est fréquemment
dévaluée par rapport aux devises fortes. Ainsi, certaines monnaies faibles
336
comme la lire italienne ou la livre sterling voyaient leur taux de change se
dégrader par rapport aux monnaies fortes qui avaient été moins multipliées,
comme le yen et le franc suisse.
337
La dévaluation d’une monnaie nationale par rapport aux autres devises
peut tourner aux drames dans le cadre de contrats financiers de crédit ou de
prêt. Après la dévaluation, les crédits et les prêts deviennent difficiles à
rembourser par l’emprunteur s’ils sont libellés en devises fortes. Par
contre, s’ils avaient été conclus en devises faibles, les contrats de prêts en
cours de remboursement engouffraient les finances des institutions
créancières dont la comptabilité était axée sur une monnaie forte.
338
terme en devise faible qu’il doit convertir en monnaie locale à un taux de
change moindre qu’espéré.
Les pays pauvres sont les plus concernés par ces remboursements de
prêts ou ces paiements à terme en devises fortes. Les pays pauvres sont
étiquetés pour leurs réserves précaires en devises, leur accès discuté aux
banques étrangères ou au FMI, la vulnérabilité de leur économie, leur
endettement chronique, le manque de rigueur budgétaire de leur
gouvernement et finalement leurs risques en taux de change. Si le change de
la monnaie du pays est volatil, alors les libellés des contrats financiers ou
commerciaux sont dictés en devises fortes (dollar, mark allemand, yen…).
Les citoyens des pays pauvres doivent alors assumer les risques de change
s’ils commercent avec les pays riches.
339
Montée de l’inflation et du chômage dans les années 1970
Mesure de l’inflation
Pour surveiller l’inflation, on a commencé par la mesurer le plus
simplement du monde : en relevant mois après mois le niveau des prix
d’une sélection judicieuse de produits. Un indice d’un échantillon de prix à
la consommation permet d’estimer l’inflation des prix à la consommation
(aux USA : CPI ou Consumer Price Index), de même avec les prix à la
production (aux USA : PPI ou Producer Price Index), etc.. Une armée de
fonctionnaires mesure les prix en se promenant systématique et
périodiquement dans le pays. Aux USA, 80 000 prix sont relevés dans
87 zones urbaines par le ministère du Travail pour déterminer le CPI.
340
Dans les années 1970, l’économie ralentissait, et le chômage montait.
L’on apportait la même réponse keynésienne comme depuis le début des
Trente Glorieuses. Avec effarement, l’on constatait que le déficit et
l’endettement public ne relançaient plus l’économie. Les gouvernements
creusaient l’endettement pour financer les investissements et les dépenses
publiques pour tenter de relancer la machine économique. Les dépenses
augmentaient bien plus vite que les revenus des impôts collectés.
341
L’inflation des années 1970 était seulement en partie « importée » par
les flambées des prix du pétrole suite aux « chocs pétroliers » de 1974
(guerre de Kippour) et de 1979 (Révolution iranienne). Ces années-là, les
membres de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) étaient
parvenus à un accord de quotas de production de pétrole. Chaque pays de
l’OPEP appliquait sa norme de production. Pour une même demande
d’énergie et avec une offre étranglée, les prix du pétrole montaient.
L’inflation des prix ne peut s’expliquer seulement par l’intégration de la
hausse du coût du pétrole dans les prix de vente de l’ensemble des biens.
Sans augmentation de la quantité de monnaie dans les mains des clients, pas
question d’augmenter les prix pour augmenter les prix… sous peine de ne
plus vendre. L’impact des chocs pétroliers pressait surtout à un relâchement
du crédit pour faire face à l’augmentation des demandes de crédits
d’appoint pour conserver un même train de vie malgré l’augmentation des
prix du pétrole. D’autant plus que les pays de l’OPEP augmentaient leurs
revenus et ils les plaçaient dans les banques occidentales. C’étaient les
capitaux des « pétrodollars » qui donnaient naissance à des crédits faciles
au travers des places financières occidentales. En occident, les entreprises
et les particuliers réclamaient des crédits supplétifs pour maintenir le train
de vie de la période antérieur au choc pétrolier. Avec plus de crédits et
donc plus de monnaie en circulation, l’inflation des années 1970 décollait
encore plus. L’augmentation du volume du crédit et donc de la masse
monétaire pouvait se refléter sur les prix de vente et sur des exigences
salariales justifiées par la hausse du prix du pétrole. Mais ces hausses des
prix du pétrole étaient presque ponctuelles. Elles n’expliquent pas le
relâchement prolongé du crédit et l’inflation continue de la décennie. Ces
342
hausses du prix du pétrole fouettaient l’expansion du crédit sur quelques
mois, pas sur plusieurs années. Il ne s’agissait donc que d’une explication
ponctuelle, et pas véritablement de la cause profonde de l’inflation
prolongée par le laxisme quant à la multiplication de la monnaie.
343
La santé de l’économie mesurée par la croissance du
PIB
Dès lors, on préfère résumer l’ensemble des causes du ralentissement
économique dans la constatation d’une « croissance » faible, voire négative
du « PIB » (Produit Intérieur Brut), donc de la richesse totale produite par
le pays. Cette richesse est par ailleurs consommée essentiellement par les
particuliers (70 % du PIB aux USA), plus que par l’État ou les entreprises.
Le PIB est la somme des VA (Valeur Ajoutée). Chaque entreprise déclare le
solde de ses factures de vente déduit du montant de ses factures d’achat de
matériel, de matières premières et de services externes. La VA est calculée
sur base des déclarations de ces soldes de factures de ventes et d’achats à
l’organisme chargé d’encaisser la « TVA » (Taxe sur la VA), ainsi qu’aux
déclarations aux douanes pour les factures internationales. D’autres
méthodes du calcul du PIB existent également, notamment pour les pays sans
TVA.
344
Le PNB est la richesse gagnée plus que produite. Le PNB est calculé à
partir du PIB additionné (ou soustrait) des bénéfices générés par les filiales
hors frontières (locales) qui sont détenues par des entreprises nationales (ou
extérieures). Ces bénéfices sont payés sous forme de dividendes par action.
La différence entre PNB et PIB est en général inférieure à 1 %.
345
La croissance des PIB des pays occidentaux avait été forte pendant les
Trente Glorieuses. Elle avait contribué à la résorption du chômage.
Pourtant, la décroissance s’était amorcée depuis 1965. Le système
économique s’était enrayé dès la fin des années 1960 même si les Trente
Glorieuses ont duré jusqu’à 1975. Dans les années 1970, la Grande-
Bretagne était le pays le plus touché par la chute de croissance. Le taux de
croissance annuelle de l’économie britannique était tombé à 2,8 % sur la
période de 1960 à 1970, soit la moitié de la moyenne des autres pays
industrialisés. De 1960 à 1973, le taux de croissance était de 5 % en
moyenne pour les pays industrialisés. Elle n’était plus que de 2,1 % de
1973 à 1983.
346
Lutte contre l’inflation pour relancer la croissance à la fin
des années 1970
347
monétaristes pourfendaient depuis longtemps les deux priorités
keynésiennes. Dans les années 1960, les monétaristes avaient claironné que
les deux axes keynésiens ne conduiraient qu’à l’inflation. Et l’inflation
serait l’origine d’un ralentissement économique. Dans les années 1970, ces
temps étaient arrivés.
L’économie est ralentie par l’inflation pour les mêmes raisons qu’au
temps de l’Empire romain.
348
L’inflation ronge l’épargne et les salaires, donc le pouvoir d’achat des
particuliers. L’épargne est dévalorisée, à peine rémunérée par des taux
d’intérêt bas par inspiration keynésienne, et le travail pour épargner ou
acheter une voiture à Noël est démotivé. La consommation s’effiloche
inévitablement. La demande dépend avant tout de la stabilité du niveau des
prix, et elle n’est pas seulement liée à la facilité d’emprunt comme
l’avancent les keynésiens.
349
laissaient la monnaie se multiplier par le crédit facile qui remplissait les
poches des consommateurs qui se mettaient à dépenser. Ces constatations
provenaient de Milton Friedman qui est considéré comme un des plus
grands spécialistes de l’inflation. Milton Friedman et Anna Schwartz ont
publié une étude de la masse monétaire en relation au niveau des prix dans
l’Histoire des USA de 1867 à 1960. Cependant, les monétaristes n’étaient
pas les premiers à s’intéresser à l’inflation. L’inflation était un sujet
observé depuis le fantastique afflux d’or et d’argent du XVIe siècle, comme
déjà évoqué. Depuis des siècles, des esprits clairvoyants, comme les
philosophes John Locke et David Hume, avaient énoncé que pour une
économie sans inflation ni déflation, la quantité de monnaie devait
augmenter en proportion à la quantité de biens et de services. L’équation de
leur « théorie quantitative de la monnaie » était « MV=PQ » qui signifie:
la Monnaie à Vélocité constante augmentera en proportion du niveau des
Prix pour des Quantités produites stables. Dans cette équation, la
« vélocité » de la monnaie est définie comme le rapport entre les revenus de
monnaie (déposés à la banque) et la masse monétaire (la somme des
comptes en banque). Cette définition permet la mesure des variations de la
vélocité monétaire – qui circule au lieu de dormir en banque – entre compte
en banque des magasins, entreprises et travailleurs. La vélocité de la
monnaie n’est pas toujours constante, comme cela sera expliqué dans les
derniers chapitres.
Dans leur analyse, la monnaie doit être neutre sans déflation ni inflation
pour rassurer les consommateurs, l’épargne et l’emprunt. La stabilité des
350
prix peut consolider la croissance économique. Cycles et hésitations
économiques venaient, selon les monétaristes, d’agitations inflationnistes ou
déflationnistes, comme au XIXe siècle. Les monétaristes recommandaient
des objectifs monétaires clairement annoncés afin de ne pas perturber les
marchés.
351
voyaient en la monnaie un outil de stimulation économique à utiliser de
manière discrétionnaire pour compenser l’instabilité de l’économie privée.
Pour les keynésiens, la monnaie est au cœur de l’économie. Au contraire,
les monétaristes préconisent des normes monétaires clairement annoncées
pour ne pas perturber les marchés économiques (« Rule versus
discretion »).
352
Dès lors, les investissements étatiques soldés par des déficits tournaient
à de simples dépenses. Et la dépense couverte par un endettement, et donc
par une multiplication de la monnaie, ne génère que de l’inflation.
L’endettement de l’État, afin de compenser les cycles économiques, ne
conduisait qu’à l’inflation. Cela se vérifiait dans tous les cas de
financement couvert par l’endettement public. Peu importait qu’il soit
couvert par une création monétaire par un simple crédit bancaire, ou par
vidage du bas de laine des épargnants par une levée de Bons du Trésor ou
plutôt d’obligations d’État à plus long terme. Dans tous les cas, le volume
de monnaie en circulation augmentait, même si le volume total de monnaie
épargnée ou non n’avait pas bougé. De plus, la dégradation des taux de
change accompagnait l’inflation. La pratique et l’actualité économique des
années 1970 mettaient en évidence l’inflation et l’instabilité des taux de
change.
353
Cette inflation et cette instabilité du change affectaient l’économie
privée. La confiance se dégradait, et entraînait la chute de la consommation
comme de l’investissement. Pour les monétaristes, l’instabilité économique
et le chômage viennent des interventions de l’État dans l’économie. Les
monétaristes dénoncent l’excès de fiscalité, la redistribution et les autres
formes d’intervention étatique dans l’économie. La politique monétaire doit
être également neutre, et elle ne doit pas chercher à soutenir inutilement la
demande par un endettement keynésien. L’analyse monétariste passait au
premier plan avec la montée du chômage, la poussée d’inflation, et avec les
vacillements du gyroscope keynésien.
Selon les monétaristes, le secteur privé est plus apte à investir d’une
manière rentable pour développer de nouveaux produits. Il fallait laisser
faire le marché libre et les entreprises plutôt que l’État mauvais
gestionnaire. Au contraire du secteur public, la production privée de biens
et de service est efficace.
Les dépenses de l’État doivent être financées par les impôts, et non par
l’endettement. L’éducation ou la recherche scientifique n’offrent qu’un
rendement à très long terme. Ces investissements ne produiront que dans
20 ans, bien avant les dépenses immédiates des salaires des enseignants et
des chercheurs. Dès lors, ces investissements sont à considérer comme des
dépenses. Ces dépenses doivent être couvertes par les revenus fiscaux, pas
par l’endettement inflationniste.
354
355
« Reaganomie » aux USA dès 1980
Dans les années 1970, les marchés n’étaient pas paralysés comme après
1929, mais ils étaient empêtrés dans l’inflation. Pour les néolibéraux, les
projets étatiques contribuaient à l’inflation par les déficits qu’ils généraient.
L’intervention étatique dans les marchés perturbait le secteur privé avec des
prix plafond, des salaires minimums, des subsides inutiles et des
compensations excessives pour les chômeurs soupçonnés de fainéantise et
donc laissés sur le carreau par les employeurs.
356
D’une part, c’est l’« économie de l’offre » qui s’oppose à la priorité
keynésienne du soutien de la « demande ». Cette nouvelle optique
économique insiste sur la relance de l’initiative privée par la baisse des
impôts, par la dérégulation des marchés, et par la réduction des
interventions de l’État.
Économie de l’offre
L’économie l’offre insistait sur la nécessité de se recentrer sur
l’initiative privée et le travail pour réanimer la production, donc l’offre en
terme économique. Pour y arriver, il fallait diminuer les impôts, déréguler
les marchés étranglés par des contrôles excessifs, et d’autre par réduire les
interventions de l’État dans les marchés. L’économie de marché, libérée du
poids du gouvernement, se remotiverait à investir et donc à redémarrer
l’économie. Les marchés et la concurrence pourraient produire plus et
mieux. Le marché libre était la seule voie vers la croissance économique et
la réduction du chômage.
L’économiste Laffer illustrait par un schéma que des impôts trop élevés
sont dissuasifs. C’est la « courbe de Laffer » qui traçait un graphe des
rentrées fiscales en rapport au taux d’imposition.
357
qui grimpe.
Priorité 2 : déréguler
La deuxième priorité était la dérégulation des marchés alors empêtrés
dans le contrôle de l’État. L’État serait la principale source de perturbation
de l’économie privée et des marchés biaisés par la lourdeur des règlements.
358
Les secteurs de l’économie inutilement confiés à la surveillance de l’État
devaient être dérégulés. Les quasi-monopoles devaient être brisés, et la
concurrence toujours favorisée pour encore accroître l’offre de biens
produits, seule source de réelles richesses. Les monopoles des entreprises
publiques devaient être mis en concurrence. Cette nouvelle volonté de
concurrence entraînait des privatisations pour jouer le jeu du marché libre.
Dès 1996, les USA établissent un terme de cinq ans aux allocations,
autrefois « à vie », pour les familles sans travail. La catastrophe sociale
annoncée par certains n’a pas eu lieu. Les parents ont trouvé du travail
avant le couperet de la limite fatidique, peut-être l’avènement de la
« nouvelle économie » d’Internet a facilité l’entrée dans le monde du
travail. Le travail, même mal payé, procure des revenus supérieurs aux
allocations. Les budgets sociaux peuvent être réorientés vers l’aide aux
personnes mentalement déficientes. Et ce succès américain inspire les
gouvernements européens.
359
Pour encourager la concurrence, les États s’engageaient également dans
des accords multilatéraux d’ouverture des frontières au commerce. Les
tarifs douaniers étaient abaissés, et des aides destinées à protéger les
producteurs nationaux étaient supprimées. Le commerce international
augmentait sensiblement pour atteindre 15 % du PNB (dans les années
1990) en moyenne dans les pays industrialisés. Un phénomène nouveau était
dépeint : celui de la « mondialisation » où, par exemple, une voiture est
assemblée dans un pays avec des composants produits aux quatre coins du
monde.
360
Depuis 1980, chaque banque privée qui propose des facilités de dépôt
est obligée d’ouvrir un compte à la Fed. Ou plutôt, les banques privées
doivent déposer sans exception, contrairement au passé, des réserves
minimales à la Fed. Pour toute institution de crédit, un prêt est interdit sans
une portion des dépôts à la Fed. Les banques non encore membres de la Fed
perdaient la possibilité d’obtenir des fonds bon marché à Londres
(eurodollars) afin de prêter meilleur marché que la concurrence des autres
banques membres de la Fed. De fait, aucune banque ne pouvait plus ignorer
les réglementations de la Fed ni le dépôt de réserves minimales à la Fed
(dépôt coûteux, car les réserves sont non rémunérées par la Fed).
361
son taux et le taux légèrement supérieur de l’intérêt sur ses placements à la
Fed.
Bien sûr, les taux d’intérêt des crédits ne peuvent que suivre ce taux
directeur et les taux des dépôts. Par souci évident de rentabilité, les taux
d’intérêt des crédits seront supérieurs aux taux d’intérêt des dépôts. Aucune
banque ne coupera à cette règle, car aucune banque ne s’autorise à créditer
sans dépôts en couverture, ou sans réserves minimales. Les taux d’intérêt au
crédit seront bien sûr limités par la concurrence entre banques.
Finalement, le plafond légal des taux d’intérêt devait être supprimé. Les
taux d’intérêt de rémunération des dépôts bancaires étaient plafonnés depuis
le New Deal en 1933. Avec cette suppression, la Fed pouvait faire varier
son taux directeur vers le haut.
Pour éviter la déflation, la Fed veillera à baisser son taux directeur afin
d’encourager les demandes de prêts ou d’inciter les retraits des dépôts. Ces
deux réactions augmenteront la quantité de monnaie en circulation et donc
écarteront le péril de la déflation.
~
Pour information : une hausse des taux d’intérêt décidée par la Banque
Centrale n’est qu’une aubaine relative pour les banques. De fait, les
banques engrangeront plus de profits par un volume de crédits court terme
supérieur à celui des dépôts, en conformité avec le taux de couverture.
Cependant, le profit est limité pour différentes raisons.
362
fonction de nombreux paramètres de risque, de concurrence et du niveau des
revenus générés par les intérêts des prêts.
Deuxièmement, les banques n’amasseront que des profits pour les prêts
à court terme, hors la majeure partie du crédit est à long terme et restera
influencée par les « taux d’intérêt des bons et obligations à long terme »
et déterminé essentiellement par l’offre et la demande sur les marchés
financiers, et non pas directement par le taux directeur de la Fed.
Finalement, les profits des taux d’intérêt plus élevés seront déduits des
intérêts payés par les banques aux titulaires des comptes de dépôt. Aussi,
les réserves obligatoires à la Fed restent non-rémunérées.
Néanmoins, les taux à long terme n’ont jamais été déterminé directement
par le taux directeur de la Fed, qui influence surtout les taux court terme.
Les taux à long terme sont avant tout déterminés par l’offre et la demande de
fonds à long terme des marchés obligataires, présenté ci-après. Les banques
aussi accordent des prêts à long terme (comme des prêts hypothécaires,
etc.) en fonction de la concurrence des taux à long terme des marchés
obligataires. Les acheteurs d’emprunts d’État ou d’obligations à long terme
iront vers le plus offrant.
363
Les bons peuvent être revendus avant la fin du terme sur les marchés
obligataires. Ils seront évalués par rapport à leur intérêt fixe annuel et par
rapport au montant remboursé à la fin du terme. Le prix de revente dépendra
du taux d’intérêt offert le jour de la revente et bien sûr des facteurs de
risques de l’émetteur du bon. Ainsi, un bon peut être revendu au-delà ou en
deçà de sa valeur nominale, en fonction des montants payés jusqu’au terme
du bon.
364
Un autre outil toujours en place : les opérations
d’Open Market
Au cas où les liquidités ou les dépôts bancaires manqueraient, après la
baisse du taux directeur, la Fed interviendra par ses opérations d’Open
Market. En effet, les opérations d’Open Market de la Fed influencent le
marché des bons du Trésor ou des obligations à long terme et rémunérés au
taux d’intérêt souhaité. Par la vente ou l’achat de bons du Trésor et acquittés
en dollars, la Fed influencera la quantité de monnaie disponible pour les
dépôts bancaires, comme les taux d’intérêt à long terme du marché des
bons.
365
dessus du taux directeur principal. Les prêts sur base de lettre de change
échappaient au contrôle par les réserves minimales. Après cette hausse, de
simples crédits ont souvent remplacé les paiements à trois mois par lettre
de change. Ces crédits couvrent les délais des paiements acquittés par
simple virement bancaire dans les trois mois par les clients. Le taux
d’escompte ne sert plus que pour de simples crédits à court terme, avec ou
sans rachat de lettre de change. Le taux d’escompte est relativement cher. Il
n’est destiné qu’aux nécessités passagères des banques privées en mal de
couverture des crédits, et qui sont néanmoins en bonne santé financière.
Pour couvrir ces déficits, l’État s’est financé par des Bons du Trésor. La
monnaie pour acheter les Bons du Trésor était puisée dans les bas de laine.
L’État dépensait la monnaie collectée. La circulation monétaire avait
augmenté. L’État générait par là de l’inflation. Il obligeait la Fed à hausser
son taux directeur pour empêcher le décollage de l’inflation. Cette hausse se
répercutait sur les taux d’intérêt exigés pour les crédits postérieurs. L’État
s’était accaparé les prêts bon marché. Les crédits bon marché n’étaient plus
disponibles pour le secteur privé. Avec ces déficits étatiques, l’on parlait
d’un « effet d’éviction » des crédits bon marché qui étaient arrachés au
366
secteur privé. L’effet d’éviction représentait une aggravation des difficultés
des entreprises. Elles voyaient leurs bénéfices baisser par les charges
d’intérêt accrues, ou par le manque à gagner des investissements éliminés.
S’en suivaient une dégradation des revenus des impôts et une accentuation
des déficits de l’État. Depuis les années 1960, les monétaristes purs et durs
semonçaient les gouvernements de cet effet d’éviction des déficits publics.
Dans les années 1980, les USA ont finalement plutôt appliqué une mixte
monétariste et keynésien pour soutenir l’économie. Du monétarisme, ils ont
gardé la lutte contre les déficits des dépenses étatiques, et contre l’inflation
qui paralysait les investissements industriels, et donc l’offre. Du
keynésianisme, ils ont creusé l’endettement de l’État pour financer la baisse
des impôts afin de relancer la demande. Les économistes reconnaissaient
une complémentarité d’une politique de soutien de la demande court-terme
par l’endettement, avec une politique de soutien de l’offre moyen-terme par
la réduction du rôle de l’État dans l’économie, tout en recherchant la
stabilité des prix. C’était la stratégie économique sous l’ère Reagan qui a
été appelée la « reaganomie ».
367
Le dollar à la place des pièces d’or depuis les années 1980
368
que monnaie de réserve pour les Banques Centrales. Le dollar est la
deuxième monnaie de nombreux particuliers. En fait, certains pays
constatent la circulation de deux monnaies. L’une est la monnaie locale,
l’autre le dollar comme monnaie de réserve personnelle. Il est ainsi
possible de payer en dollars ou en riel au Cambodge, en dollars ou en pesos
à Cuba… avec préférence au dollar naturellement. L’on se retrouve comme
au temps du bimétallisme avec les pièces d’or sauvegardées et les pièces
d’argent ou de billon pour les paiements.
369
ainsi en partie par un peso accroché au dollar et surévalué par rapport aux
monnaies des pays voisins (Brésil, etc.). Le peso argentin n’était plus en
phase avec sa « zone monétaire » locale. Les exportations argentines étaient
défavorisées. La crise argentine sera détaillée dans le dernier chapitre.
Dollarisation
En cas d’instabilité ou d’indiscipline monétaire chronique, les gens
peuvent rechercher l’usage de pièces d’or ou plus souvent de dollars.
Aussi, les autorités d’un pays peuvent officiellement décider d’en revenir
aux pièces d’or, ou plutôt aux dollars comme monnaie nationale. C’est la
« dollarisation ». Un pays s’y contraint quand l’inflation conséquente de la
multiplication des crédits et de la monnaie est plus appréhendée que la
déflation par manque de monnaie. Avec la dollarisation, le vice de
l’inflation est extirpé de l’économie. Le taux de change de la monnaie du
pays est stabilisé par rapport à l’économie dominante des USA. La médaille
a un revers. Le pays risque de retomber dans la déflation. Il s’agit presque
d’un retour aux pièces d’or. L’Équateur a ainsi remplacé sa monnaie
nationale en 2000, au taux de change de 25000 sucres contre 1 dollar.
L’Équateur a préféré opter pour les dollars que pour les pièces d’or. Les
banques d’Équateur assurent alors une couverture-billets ou des réserves
minimales en dollars, et elles créditent prudemment en monnaie scripturale
libellée en dollars. Sans mine de dollar, le pays doit emprunter des dollars
370
à hauteur de la masse de dollars-billet nécessaires à la circulation en rue et
aux couvertures-billet des banques. Il faut donc payer les intérêts de ces
prêts en dollars, ou au moins vendre des produits pour acquérir des dollars.
Tout profit pour l’exploitant de la mine de dollars : les USA. Ils importent
d’Équateur, paient en dollars facilement imprimés, et ne voient pas la
totalité de ces dollars revenir.
371
malgré un déficit commercial important. Le déficit commercial des USA
grimpe même à des sommets. Malgré le déficit commercial gigantesque, le
dollar reste fort. Même une dévaluation du dollar ne serait pas dramatique
pour l’économie US qui n’a pas de dettes libellées en devises. De plus, un
retour des dollars dépensés aux USA remplirait les carnets de commandes,
ferait tourner les machines… et baisser le chômage.
Même les pays ennemis des USA se sont toujours constitué des réserves
en dollar, plutôt qu’en pièces d’or. En pleine guerre froide, l’URSS et
d’autres pays craignaient de voir ces réserves saisies aux USA. Ils ont
préféré transférer leurs dollars à la City de Londres. Ainsi est né le marché
des crédits en « eurodollars » sur base de ces comptes en banque libellés
en dollars. Le taux d’intérêt pour ces dépôts est lié au « LIBID » pour le US
dollar (London Interbank Bid rate), et le taux d’intérêt pour les crédits
s’inspire du « LIBOR » du US dollar (London Interbank Offered Rate). Ce
marché financier s’est développé énormément entre 1973 et 1981. Par
ailleurs, le terme pétrodollar, légèrement postérieur, a été construit par
assimilation avec le terme eurodollar.
372
La banque internationale du FMI a alors obtenu le droit d’émettre des
« DTS » (Droits de Tirage Spéciaux) en rapport aux dépôts en or ou en
devises des quotes-parts des pays membres. Les DTS ont été émis au départ
comme monnaie à une valeur associée à celle de l’or, même si cette
monnaie était inconvertible. Les dépôts en or ou en dollars convertibles-or
feraient des crédits en DTS du FMI. Les bénéfices par les intérêts de ces
crédits seraient payés aux membres du FMI. Depuis 1973 et l’éclatement
des taux de change fixes et l’abandon de tout lien entre les monnaies et l’or,
le DTS n’est plus défini en or. Il est défini à partir d’un panier composé des
principales monnaies de réserves du FMI (actuellement en dollars, euros,
yens et livres sterling). La cotation ou le taux de change du DTS se trouve
renseigné dans les journaux financiers ou auprès de son émetteur, le FMI.
Les DTS ne sont pas imprimés comme des billets de banque. Ils sont
impalpables. Ils sont néanmoins une réelle monnaie de compte. Ils sont
crédités et non pas prêtés. Ils sont utilisables entre Banques Centrales
comme moyen de paiement. Le FMI continue donc de recevoir les demandes
de prêts en devises fortes, ou de crédits en DTS.
373
Les monnaies européennes stabilisées jusqu’à l’euro en
1999
374
Après 1980, avec les déficits publics mirobolants et les cours du change
perturbés, les pays européens ont renoncé les uns après les autres au
keynésianisme. La France a renoncé presque en dernier au keynésianisme.
Au début des années 1980, elle a tenté un ultime baroud d’honneur
keynésien. L’État français a augmenté les dépenses pour relancer
l’économie. Il se finançait par un déficit budgétaire qui s’accumulait avec
l’endettement antérieur. La demande devait être relancée par des embauches
de fonctionnaires, la revalorisation des salaires minimum, les
investissements publics, les crédits aux entreprises privées, etc. Mais il
s’agissait de gabegie en pleine inflation, plus que d’investissements pour
conjurer la déflation. Les produits français n’étaient pas meilleur marché
par des salaires minimum augmentés et d’autres charges supplémentaires.
Avec des coûts et donc des prix de vente plus élevés, les produits français
n’ont pas trouvé de débouchés à l’étranger. Les marchés étrangers
s’effondraient même. De cette multiplication de la monnaie, seules ont suivi
l’inflation et la dévaluation conséquentes de la baisse des exportations.
L’échec de la bien mauvaise imitation d’une relance keynésienne était
retentissant. On ne peut relancer l’économie « par les salaires ». La
consommation ne peut jamais venir avant la production, et donc le travail et
375
les salaires. Dès 1983, la France montait dans le train des autres pays
européens vers l’économie monétariste.
376
L’Allemagne par sa Banque Centrale, la Bundesbank, pratiquait déjà une
politique monétariste de lutte contre l’inflation depuis longtemps. Le
traumatisme des deux tornades d’hyperinflation dans les années 1920 et à la
sortie de la guerre 1940-45 n’était pas effacé. Avec ces cauchemars en tête,
l’Allemagne contrôlait déjà avec rigueur l’inflation des prix en marks
depuis les années 1950.
Ensuite, les autres pays européens ont fini par appliquer une politique
monétariste par leurs Banques Centrales avec des taux d’intérêt élevés
comme pour la Fed.
Le SME
377
Dès l’éclatement des changes fixes par rapport au dollar vers 1973,
certaines Banques Centrales européennes avaient tenté de maintenir les taux
de change de leurs monnaies relativement proches entre eux. Les
interventions des Banques Centrales se sont même accentuées plus
qu’atténuées après 1973. L’expérience du « serpent monétaire » s’est
soldée par un échec.
378
changé leur monnaie faible en devises fortes avant la dévaluation. Certaines
Banques Centrales de pays du SME ont connu quelques dilemmes notoires
avant l’introduction de l’euro. Parmi eux, la France du président Mitterrand.
D’ailleurs, après la débâcle économique de 1982-83 et les attaques
spéculatives sur le change du franc français en 1993, Mitterrand s’est
intéressé à l’économie monétaire, jusqu’à tracer le chemin vers l’euro.
379
La BCE a été installée à Francfort, au sein du pays économiquement le
plus puissant. Depuis, des gouverneurs nommés pour des termes longs
administrent la BCE. Ces gouverneurs sont sensés être indépendants des
pressions des États. Une nouveauté pour la plupart des États habitués à
dicter leur loi à leur propre Banque Centrale. Jusqu’à l’instauration de la
BCE, le contrôle public d’inspiration keynésienne avait influé sur la gestion
des Banques Centrales. Seule l’Allemagne avait une Banque Centrale
indépendante de longue date (1957). Elle y tenait, car elle avait été
traumatisée par les hyperinflations de 1922, et aussi de 1945. L’Allemagne
a pesé de tout son poids pour une BCE indépendante des États aux pulsions
inflationnistes à la mode de Néron. De plus, un euro qui se multiplierait à
l’excès asphyxierait aussi l’espoir de certains de voir la « mine d’euros »
venir concurrencer la « mine de dollars ».
Depuis 1999, les Banques Centrales des pays de la zone euro dépendent
de la BCE. Toutes les réserves minimales des banques privées ont
virtuellement été transférées des Banques Centrales vers la BCE. La BCE,
avec les réserves minimales, ses opérations d’Open Market au travers des
anciennes Banques Centrales, et son taux directeur, influence fortement le
volume de crédits octroyés par les banques privées de la zone euro. Le taux
directeur est appelé officiellement le « taux de refinancement ». Il est
encadré par deux autres taux : un taux plancher et un taux plafond. Le taux
plancher empêche des rémunérations en intérêts trop basses des dépôts par
la concurrence du taux plancher de la BCE (facilité de dépôts). Le taux
plafond prévient des charges d’intérêt excessives qui seraient exigées pour
les crédits par le jeu de l’offre du taux plafond de la BCE (facilité de prêt
marginal).
380
Paradoxalement, aucun mécanisme de contrepoids du taux directeur
n’existe vraiment. La zone euro est toujours sans système de compensation
économique comme aux USA. De Washington, le gouvernement fédéral
américain peut réactiver l’économie des États souffrant le plus d’un taux
directeur élevé ou d’un dollar trop fort défavorisant les exportations hors
état et l’emploi local. Washington peut diriger ses agences fédérales
(éducation, budgets militaires…) ou la sécurité sociale pour transférer des
fonds des États forts (New Jersey, Connecticut…) vers les États faibles
(Dakota du Nord, Nouveau Mexique…). De son côté, Bruxelles n’a qu’un
budget limité (moins de 2 % du PNB européen) en comparaison de
Washington (au-delà de 40% du PNB américain).
381
382
Coïncidence : Les USA jugulent l’inflation, et
leur économie domine le monde.
383
9. Les turbulences du
monétarisme
384
Deux accidents économiques vers la fin du XXe siècle
La récession de 1990-1991
Un krach boursier s’est produit en 1987. La chute des cours des actions
en Bourse était la plus sévère dégringolade en un jour depuis le krach de
1929. Malgré l’effroi et les souvenirs, les politiques monétaires sont
parvenues à amortir l’impact de la secousse du krach. Une politique
monétaire appropriée a contenu la contraction de l’économie, contrairement
au XIXe siècle ou après 1929. En 1987 et 1988, la Fed et d’autres Banques
Centrales baissent leurs taux directeurs pour alléger les charges du crédit et
conserver un bon volume de monnaie en circulation. Cette mesure concertée
entre les Banques Centrales atténue le ralentissement économique.
385
Après 1990, certaines Banques Centrales ont opté pour un « ciblage de
l’inflation » afin d’avertir les futurs mouvements des taux d’intérêt et
influencer les marchés financiers de ne pas croître trop rapidement.
L’inflation devait rester en deçà de 2 % par an, sans viser 0 % obstinément
et risquer la déflation. En effet, les économistes ont prévenu qu’en luttant
trop activement contre l’inflation, la croissance risquait d’être déprimée.
Aussi, une poussée d’inflation, générée par une politique monétaire et
budgétaire relâchée, pouvait avoir un rôle d’absorption des chocs
économiques externes. Par exemple, en cas de hausse des prix du pétrole,
un resserrement trop austère des taux d’intérêt risquait d’étouffer l’activité
économique. Depuis 1991, ces Banques Centrales qui ciblent l’inflation
vérifient surtout l’« inflation de base » ou la « core inflation »en anglais
(qui n’inclue pas les prix agricoles, ni les prix de l’énergie) plus que
l’inflation globale.
386
nouvelles technologies, à un relatif ciblage de l’inflation et à la réduction du
déficit public pour éviter l’effet d’éviction. Pour la première fois depuis la
fin des Trente Glorieuses, le chômage commençait à se résorber
significativement. L’annonce d’une reprise infinie était même scandée par
certains.
Les bourses se sont alors mises à grimper dans l’espoir de récolter des
dividendes pharamineux. Spécialement, les cotations des actions à la
Bourse du « NASDAQ » se sont emballées. Cette Bourse, créée en 1971,
est spécialisée dans les entreprises de haute technologie initialement jugées
trop risquées pour être cotées sur le NYSE. Elle est gérée et accédée
entièrement par électronique. Ses ordinateurs centraux sont situés à New
York.
387
confirmait, et il s’accompagnait de l’inévitable remontée du chômage. Seuls
la Grande-Bretagne et quelques autres pays échappaient au marasme.
Dès 2001, la Fed baissait ainsi son taux directeur en plusieurs paliers.
Le taux directeur de la Fed descendait ainsi à un niveau historique de 1 %
en juin 2003. La Fed cherchait à maintenir l’économie à flot, autant qu’à
éviter la déflation.
388
immédiate. Les dépenses de l’État étaient en nette augmentation dans les
budgets militaires ou même scolaires. Avec le déficit public, l’État
dépensait à la place des entreprises et des particuliers frileux à emprunter
pour investir ou dépenser. Aussi, le gouvernement US baissait les taux
d’imposition pour relancer la demande et la croissance. L’endettement
couvrait donc également les baisses d’impôts.
La Fed rachetait une partie des Bons du Trésor dans ses opérations
d’Open Market. Le tandem Trésor – Fed se remettait à pédaler. En fin de
compte, l’État tentait de stabiliser la quantité de monnaie en circulation.
Autant travailler que de se croiser les bras. Pas question de commettre la
même erreur d’un déficit trop timide comme dans les années 1930.
Cependant, malgré la multiplication des dollars par le Trésor et la Fed, et
pour des raisons encore brumeuses, la déflation menaçait un certain temps.
389
En contrôlant l’inflation
En 2004-2005, le retour de la consommation, des investissements, de la
croissance et… des tensions inflationnistes, obligeait la Fed à remonter son
taux d’intérêt directeur. Mais malgré un déficit public record financé par la
multiplication des dollars, l’inflation ne décollait pas, car la quantité de
monnaie en circulation restait stable et l’épargne absorbait le reste. Aucun
risque de répétition de la stagflation des années 1970 ne semblait menacer.
Les Banques Centrales veillent, car elles sont censées rester garantes de la
valeur de leur monnaie non rongée par l’inflation. Les Banques Centrales
surveillent une croissance excessive de la masse monétaire en cas de taux
d’intérêt trop faibles, selon les principes monétaristes acceptés depuis
l’inflation des années 1970.
390
Le gouvernement espérait que chaque dollar du déficit public dépensé
pour importer entraînerait la baisse du dollar par rapport aux devises
européennes ou asiatiques. Ainsi, une baisse du dollar rendrait les
exportations plus compétitives, et limiterait le déficit commercial.
L’endettement à la sauce de la reaganomie se convertirait en une relance de
l’activité plutôt qu’en un déficit commercial accru. Après tout, l’éclatement
des taux de change fixes du régime de Bretton Woods rendait possible la
dévaluation du dollar.
La chute du dollar était aidée par les capitaux étrangers qui quittaient le
NASDAQ et le NYSE après leur arrivée massive dans les années 1990.
Implicitement, cela signifiait la vente de dollar pour acheter des devises
étrangères. Aussi, les capitaux migraient vers des taux d’intérêt étrangers
plus élevés. De nombreux facteurs déterminent les taux de change, mais leur
ordre d’importance ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes.
Néanmoins, les taux de change sont fortement influencés par les marchés
financiers, plus que par le commerce international de biens et de services.
391
Une concertation informelle des pays les plus industrialisés (G7)
existerait pour utiliser les réserves de devises des Banques Centrales pour
influencer les taux de change. Les Banques Centrales du G7 interviendraient
occasionnellement sur les marchés des devises pour acheter ou vendre à
partir de leurs réserves en devises et par là soutenir ou laisser filer le cours
d’une devise pour influencer les marchés de change. Ainsi, le but recherché
par les pays du G7 serait d’appuyer la chute du dollar et de maintenir les
taux de change envers le dollar faibles. La croissance US relancerait alors
l’économie mondiale. Les USA, forts de leur dollar et avec un marché du
travail suffisamment souple, sont les seuls capables de supporter un tel
endettement, même avec des taux d’intérêt historiquement bas, et surtout une
telle dévaluation de leur monnaie nationale, tant que les prix des
importations ne se répercutent pas dans la mesure de l’inflation. Les
entreprises US, même débarrassées de la concurrence étrangère par la
hausse des prix des importations, baigneraient dans un marché suffisamment
compétitif pour stimuler la production et l’embauche sans augmenter les
prix. Aucune imitation de cette stratégie par d’autres pays n’est vraiment
envisageable.
392
En dehors du G7, les pays asiatiques sont parmi les principaux
acheteurs de Bons du Trésor US. Ils redoutent une baisse trop forte du
dollar délaissé par les capitaux étrangers qui fuient les bourses américaines
depuis la déconfiture du NASDAQ. Cette baisse défavoriserait leurs
exportations vers les USA. Les pays asiatiques prennent en partie le relais
des investisseurs non américains. Ils achètent des dollars et les placent dans
des Bons du Trésor US qui conservent leur attrait. Plus qu’une
multiplication des dollars qui vont et qui reviennent, des paquets de Bons
du Trésor sont surtout imprimés. Finalement, pressée par ces politiques
asiatiques, la Banque du Japon (pourtant dans le G7) laisse filé le cours de
son yen pour favoriser les exportations des produits nationaux qui fuient
aussi une demande interne neurasthénique.
393
Limites de la reaganomie pour les pays européens
En 2003, les pays européens ne penchaient pas à l’unanimité pour imiter
la reaganomie appliquée aux USA.
394
L’endettement cumulé handicape déjà certains pays cancres membres de
la zone euro. Pour cette raison, certains pays européens hésitaient à
s’endetter davantage pour tenter de relancer l’économie. Si les déficits
s’entassent, les jeunes générations devront rembourser au moins les charges
d’intérêt aux rentiers locaux ou étrangers de la dette. Les charges d’intérêt
de la dette ne doivent pas signifier un fardeau supplémentaire et
décourageant d’impôts.
De son côté, la BCE veillait à mater l’inflation. Elle était plus stricte
que la Fed en matière d’inflation et donc de crédit trop bon marché. À
moins que la déflation menace autant qu’aux USA. D’autres argumentaient
également que l’euro devait rester en phase avec la politique monétaire des
USA et du Japon en terme d’inflation et de déficit. Dans le cas contraire, les
taux de change de l’euro envers le dollar et d’autres monnaies risqueraient
d’être surévalués, comme l’était la livre sterling à la fin du XIXe siècle.
395
Troisième accident : la crise financière de 2008
396
Parmi les prêts à long terme, le marché des prêts hypothécaires
s’échauffait. Avec les taux en baisse, les mensualités des prêts diminuaient
en proportion. Les mensualités devaient très compétitives par rapport aux
loyers locatifs. Ne nombreux locataires gonflaient les rangs des candidats
acheteurs dans l’immobilier.
397
hypothécaires volant trop haut par rapport aux prix des loyers qui étaient
restés stables.
398
limitait le risque de non-remboursement d’un prêt en le noyant dans un
paquet de prêts, tout en offrant un intérêt supérieur aux bons du Trésor. En
fait, cette titrisation existait depuis les années 1970 quand le gouvernement
américain l’avait développée par le biais de ses agences pour la promotion
du marché immobilier (Fannie Mae, Ginnie Mae). Dans les années 1980,
des agents financiers privés (Salomon Brothers, etc.) avaient emboîté le pas
pour financer la demande croissante de prêts immobiliers.
399
La crise financière de 2008
En 2008, certaines institutions financières peinaient à revendre leurs
actifs (actions, bons ou autres) dans les marchés monétaires ; elles devaient
souvent vendre à perte. Ces institutions commençaient à afficher leurs
pertes dans leurs résultats (publications trimestrielles aux USA). Par peur
de tout perdre dans ces institutions vacillantes, les institutions en bonne
santé retiraient leurs dépôts des marchés monétaires. La crise de retraits
commençait, bien que confinée aux marchés monétaires, et les institutions
les plus fragiles se trouvaient au bord de la banqueroute.
400
hésitantes (passives avec Lehman Brothers, bafouillantes quant au vote du
plan de secours financier) ; un marché des prêts hypothécaires paralysé
devant les acheteurs potentiels ; et, un effondrement des prix de
l’immobilier et de la confiance des acheteurs.
401
émises par les agences du gouvernement fédéral d’aide au logement (Fannie
Mae and Freddie Mac). Ce plan de rachat était connu comme QE pour
« quantitative easing » pour une sorte de « facilité de liquidités ». Ce rachat
massif était effectué par les opérations régulières d’Open Market de la Fed
– autorisée par le Congrès. Ces achats cumulés de la Fed se chiffraient à
700 milliards de dollars depuis 2008 (QE1) et encore à 600 milliards dès
la fin 2010 (QE2).
Le deuxième objectif était de réduire les taux à long terme dans le but de
rendre les remboursements mensuels des prêts hypothécaires attractifs par
rapport aux loyers de l’immobilier. La stratégie avait pour but de séduire
les candidats acheteurs et stabiliser le marcher immobilier. Si les taux
d’intérêt à long terme chutaient, alors les taux hypothécaires suivraient, par
le lien entre les deux expliqué précédemment. Avec Fed achetant à tout va,
le prix des bons augmentait et inversement le rendement des bons diminuait.
Dans la foulée, toute nouvelle vente de bons de la part du Trésor ou d’autres
agents financiers pouvait offrir un taux d’intérêt moindre. Il était espéré que
les agents financiers internationaux ne se ruent pas à vendre des bons en
même temps. Dans le cas contraire, la Fed pouvait échouer à faire baisser
les taux à long terme.
402
d’impôts étaient problématiques, car la dette nationale gonflait sous les
coupes d’impôts répétées par les gouvernements précédents.
403
monétaires ont été caractérisées comme les surplus d’épargne (savings glut)
et surplus de monnaie (money glut).
404
siècle –, la vélocité a ralenti, car la classe moyenne a apprécié une certaine
épargne à la banque. Peut-être, l’accélération de la vélocité pendant
l’après-guerre a intrigué les économistes. Ces économistes considèrent cette
accélération, parmi d’autres raisons techniques, comme une correction par
rapport à la Grande Dépression, car elle était tombée trop bas pendant les
années 1930 et 1940. Cette accélération d’après-guerre s’est nettement
arrêtée depuis la crise financière de 2008. La tendance de la vélocité
monétaire est donc à nouveau sur la pente descendante, bien que le sujet
divise les économistes.
405
peut-être un nouveau cheval de bataille (comme avec internet ou
l’immobilier) pour réanimer la consommation. Dans le cas contraire, la
décrépitude pourrait se poursuivre.
406
Coïncidence à espérer : Une solution plus large
pour un problème planétaire
Seuls quelques naïfs croient en une solution simple. Ils veulent plus de
coercition sur les entreprises qui incarnent la richesse usurpée, les
licenciements, la production frivole et les déchets industriels. Ils pensent
que la bureaucratie peut s’amender sous la baguette magique d’un
gouvernement populiste. Ils souhaitent adhérer précipitamment aux accords
bancals de combat du réchauffement climatique (Kyoto, Copenhague, etc.).
Ils ignorent que les excès de contrôle peuvent tuer l’efficacité de toute
mesure en place, favoriser l’économie souterraine, ou nécessiter une police
forte qui favoriserait dangereusement les ambitions les plus despotiques.
407
Les plus extrémistes anticipent la fin d’un capitalisme embourbé dans
des problèmes trop complexes. Ils voient la monnaie comme la cause de
tous les maux. Ils sont prêts à la déchiqueter… à l’instar des effroyables
suppressions de la monnaie de la Russie de Lénine en 1920 ou du
Cambodge de Pol Pot en 1975. La citation de Dostoïevski est bien oubliée
quand elle définissait la monnaie comme : « Une volonté de liberté frappée
dans le métal ».
408
409
10. Les monnaies parallèles et le
réchauffement climatique
410
Les cinq monnaies parallèles de l’Argentine de 2001
La crise avait son origine au début des années 1990 quand les autorités
décidaient d’attacher la monnaie nationale, le « peso » argentin, au dollar
US. Le peuple fatigué par des années d’hyperinflation, appréciait la
proclamation de cette nouvelle mesure. Désormais, un peso équivalait à un
dollar. La Banque Centrale argentine promettait une politique monétaire
rigoureuse afin d’assurer la convertibilité entre peso et dollar.
411
L’endettement des autorités devenait intenable, spécialement pour
alimenter la convertibilité peso-dollar sur les marchés de change par la
Banque Centrale. Le FMI ne continuerait pas à accorder indéfiniment de
nouveaux prêts. À l’évidence, la promesse de convertibilité peso-dollar ne
tiendrait plus longtemps, et les rumeurs couraient. Malgré les assurances et
les démentis des autorités, les retraits des dépôts en banque commençaient
pour convertir les pesos en placements sûrs comme en or ou en dollars. Et
la crise financière est arrivée en 2001. Dès la première faillite bancaire, les
autorités ont agi pour empêcher un écroulement général du système
financier. Des restrictions étaient appliquées aux retraits hors des comptes
de dépôt. Ces mesures étaient implémentées pour empêcher une crise de
retraits. Ces mesures étaient appelées le « corralito ». Quelques jours plus
tard, la crise surgissait. L’Argentine était précipitée dans un violent
tourbillon économique marqué par le manque de monnaie en circulation,
donc la déflation, et par la dévaluation du peso qui était surévalué
jusqu’alors. La crise de confiance paralysait les consommateurs et les
investisseurs.
Le « patacon » est un billet de crédit au porteur qui a été émis par des
autorités régionales à 7 % d’intérêts et qui est remboursable en peso… mais
uniquement en fin d’année. Le « lecop » est un billet de crédit similaire au
patacon, mais qui a été émis par le Trésor fédéral. À la sortie de la crise,
les « patacones » et les « lecopes » devaient être échangés contre des
pesos.
412
Ces monnaies ont aidé les Argentins à traverser la crise et la déflation
qui ont suivi les mesures du « corralito ». De fait, les patacons et les autres
billets de banque ont fini par être acceptés en paiement par les magasins et
même les banques. Certainement, leur acceptation n’était pas aussi large
que les pesos ou les dollars, qui restaient les seules monnaies acceptées à
l’étranger. Après tout, les monnaies parallèles ont circulé depuis des temps
immémoriaux comme depuis l’empereur romain Constantin jusqu’à Buenos
Aires in 2001.
413
Le « crédito » pour redémarrer l’économie parmi les
plus pauvres
Le dernier billet alternatif était le « crédito » qui est un billet créé par
une sorte de « banque » d’un réseau de particuliers. Les nouveaux membres
du réseau de troc paient une cotisation de quelques pesos à la « banque », et
ils reçoivent un certain montant de « créditos » en tant que nouveau membre.
414
Fin du « corralito » et des monnaies alternatives
Pour conclure la crise argentine, les mesures du « corralito » ont été
suspendues en 2003. La promesse d’équivalence d’un peso avec un dollar
n’a pu être finalement tenue, et le peso a officiellement été dévalué.
415
Le marché noir coincé par la monnaie
· Le prix de vente au noir est plus bas que le prix légal, car il échappe à
la fiscalité.
· Le marché noir offre des prix au noir – établi par la compétition entre
gangsters – pour les produits et services interdits. Ces prix sont mémorisés
par les clients habituels.
416
· Pour éviter les contrôles (sur les reçus papier, contrats écrits, etc.), le
marché noir se cantonne dans les activités incontrôlables comme les
services aux individus (construction, commerce de détail, entretien et
réparation des véhicules automobiles, hôtellerie et restauration, etc.).
417
In ne sert à rien de se fourvoyer quant au contrôle total de la monnaie
par les comptes en banque. Il est illusoire d’espérer limiter l’économie au
noir par l’accès aux données bancaires à cause des billets de banque. Le
crime organisé est très créatif quant à réussir à réinjecter ses billets dans
les banques. À travers l’Histoire, seuls les pharaons de l’Égypte
ptolémaïque sont parvenus à établir un contrôle total de la monnaie, mais
leur monnaie était de gros volume de grain et non de petites pièces
métalliques.
418
La circulation des billets est même étudiée pour estimer le marché noir.
Le retour des billets en banque est comparé aux quantités de monnaie
scripturale dans différents pays afin d’évaluer les variations et en déduire
l’étendue du marché noir. D’autres estimations détectent les anomalies de
cohérence entre production, déchets, salaires, et chômage. En fin de compte,
seule une estimation imprécise du marché noir est possible.
419
Les chèques-services en Europe
Ces chèques services sont une véritable monnaie parallèle pour acheter
des produits ou des services, mais avec certains avantages et restrictions.
Ces chèques-service ont un libellé en monnaie nationale. Ainsi, la plupart
de ces chèques-service sont libellés en euros.
420
S’ils optent pour les chèques-service, les employés peuvent les
dépenser comme des billets de banque traditionnels. La plupart des
magasins les acceptent même s’ils doivent courir jusqu’à l’émetteur original
pour les échanger contre des billets traditionnels en euros – autant vendre
en chèque-service que de ne pas vendre du tout. Cependant, les chèques-
service peuvent seulement être utilisés en paiement de produits et services
liés aux charges d’une journée au travail, comme pour payer le lunch, la
garderie des enfants ou la femme de ménage. Le contrôle est effectué au
moment du rachat du chèque-service. De fait, il ne peut être racheté que s’il
est revendu par un fournisseur de service autorisé.
421
régulière et surtout dans le système fiscal. Ce genre d’activité est connu
pour évader les impôts. Aussi, pour rendre le contrôle possible, les
autorités essaient de limiter la circulation des chèques-service de main en
main. Pour cette raison, les chèques-service comportent quelques détails sur
leur face pour forcer leur retour rapide à leur émetteur : les chèques-service
ont une date d’expiration, et ils sont nominatifs et ne peuvent être endossés.
Le système est accepté par la plupart des pays européens qui sont
réfractaires aux réductions d’impôts et aux coupes budgétaires. En effet,
celles-ci signifieraient moins de sécurité sociale et moins de fonds pour
leurs nombreuses administrations. Les grèves massives contre toute coupe
budgétaire font peur aux gouvernements européens. Pour cette raison, ils ont
souvent échoué à réduire la taxation élevée sur les salaires des travailleurs.
422
Un nouveau marché parallèle avec sa monnaie contre le
réchauffement climatique
Par exemple, lutter contre la déflation était aussi l’essence des théories
de Law au XVIIIe siècle. La grande préoccupation concernait alors la rareté
de l’or et de l’argent dans les mains des candidats acheteurs.
423
« cours légal », car les paiements peuvent toujours être librement effectués
en monnaie principale.
424
Finalement, les « 3 principes » du système de Comhaire seraient
présentés comme ci :
425
· Restriction de l’éco-marché aux activités négligées mais pourtant
d’une indéniable utilité publique. La définition des éco-produits et éco-
services serait aidée par des études d’éco-marketing.
426
de faciliter les comptes des marchés. Dans le cas du système de Comhaire,
la comptabilité du nettoyage était clarifiée par sa monnaie distincte.
Dans son coin, le marché noir continuerait à utiliser les billets des
monnaies traditionnelles ou même les pièces d’argent pour échapper au
contrôle des comptes en banque. Aussi, de par la circulation des billets
étrangers et de par l’existence des pièces en métaux précieux, il est illusoire
de faire disparaître le marché noir en supprimant les billets de banque
nationaux. Cependant, cette règle n’est PAS valable pour une monnaie
secondaire – cette observation est d’ailleurs la deuxième idée clé du livre
après les 3 principes de Comhaire.
427
Circulation de l’éco-monnaie
Le point de départ de l’éco-monnaie serait la Banque Centrale qui
créerait l’éco-monnaie et la prêterait aux éco-banques privées. Les éco-
banques elles-mêmes créeraient de l’éco-monnaie scripturale au travers de
prêts en éco-monnaie. Les autres tâches de la Banque Centrale seraient
similaires à celles de la monnaie traditionnelle : contrôler la quantité
d’éco-monnaie, l’inflation, etc.
428
créer des éco-compagnies filiales, ceci dans le but de fournir des éco-
produits et recevoir des éco-paiements hors-taxe, avec les profits en éco-
monnaie pour la compagnie mère.
429
En fournissant les éco-compagnies, les entreprises traditionnelles
seraient payées en éco-monnaie. Ces entreprises pourraient dépenser cette
éco-monnaie pour l’achat d’éco-produits ou pour payer un bonus en éco-
monnaie en plus des salaires traditionnels. Cependant, elles devraient
changer leur éco-monnaie en monnaie traditionnelle pour acheter d’autres
biens, comme cela est déjà fait pour les devises étrangères.
430
compte, les éco-produits viseraient à nettoyer le carbone, offrir une
alternative aux énergies fossiles, ou même à refroidir la Terre.
431
De leur côté, les combustibles fossiles (litre d’essence, tonne de
charbon, etc.) devraient supporter leur coût de nettoyage en éco-monnaie
pour absorber le carbone dans l’air. Ce coût serait basé sur les éco-produits
les moins coûteux selon le choix du ministère de l’éco-marché. Bien sûr,
ces charges en éco-monnaie perturberaient l’industrie pétrolière, mais il
s’agit bien là de l’objectif d’un éco-marché dynamique.
432
marché garde les outils du système officiel afin d’offrir le nettoyage le
meilleur marché. Ainsi, l’éco-marché pourrait s’appuyer sur :
433
en monnaie traditionnelle. Il y aurait seulement le coût transparent de l’éco-
produit, mais les gens gagneraient aussi de l’éco-monnaie pour les acheter,
par exemple en installant des panneaux solaires et en revendant l’électricité.
Aussi, le célèbre « effet richesse » serait épargné : aucune diminution des
dépenses ou d’un sentiment de richesse ne sera perçue car l’épargne en
monnaie traditionnelle serait inchangée à condition de s’investir
partiellement dans l’éco-marché.
434
monnaie ont été acceptées car elles optimisent les marchés en facilitant
mesure et comparaison des prix, elles garantissent une épargne sûre, et
finalement elles facilitent les prêts et les investissements.
435
Coïncidence à espérer : Une solution monétaire
au réchauffement climatique ?
436
l’économie planifiée. Et, il n’aura pas besoin d’argent, mais seulement de
sa propre monnaie !
437
Bibliographie
438
15. Koch-Picard C., , Norton, New York, 2008
439
Origine des illustrations :
[4] www.loc.gov
[12] http://www.fh-
augsburg.de/%7Eharsch/Chronologia/Lspost04/Diocletianus/dio_frag.html
440
[14] Domaine public et www.kremlin.ru
Prologue [7]
Prologue [13]
Avertissement ! [13]
Avertissement ! [7]
441
L’Antiquité sans monnaie « créée » par les banques [13]
442
Retour partiel de la circulation des pièces d’or ou d’argent
sous Constantin [7]
443
Naissance des banques anglaises [7]
444
Timides émissions de billets en Europe continentale sans Révolution
industrielle [7]
445
Les pièces d’or remplacées par les billets
pendant la guerre de 1914 1918 [7]
446
Hausse économique des Trente Glorieuses soutenue par le
keynésianisme [7]
Les taux d’intérêt à long terme moins affectés par le taux directeur de la
Fed [11]
447
Dollarisation [7]
448
Circulation des chèques-service [7]
449
Définitions principales
B
balance commerciale
balance des paiements
Banking School
banque
Banque Centrale
Banque Mondiale
BCE
bénéfice par action
bien-intermédiaire
billet de banque
billets de crédit
billon
bimétallique
Bons du Trésor
Bourses
Bretton Woods
C
capital
changeur-essayeur
ciblage de l’inflation
City
clearing
commerce
compensation
convertibilité-or
convertibles
core inflation
450
courbe de Laffer
cours de l’action
cours forcé
cours légal
coût
couverture
créances titrisées
crédit
crises de retrait
croissance
Currency School
cycles de Juglar
cycles de Kondratieff
cycles économiques
D
déficit commercial
déflation
demande
denier
désinflation
devise faible
devise forte
dividende
dollarisation
DTS
dumping
E
Échiquier
économie
économie de l’offre
économie de marché
économie de redistribution
ECU
effet d’éviction
épargne
escompter
étalon-or
eurodollars
451
F
Fed
Federal Funds Rate
Federal Reserve Bank
fermage
flottant
FMI
fordisme
Forex
franc
frappe
frappe libre
G
gold certificates
Grande Dépression
greenbacks
guinée
H
Hôtel de la Monnaie
hyperinflation
I
inflation
inflation de base
inflation par la demande
K
keynésien
krach
L
laisser-faire
lettre de change
LIBID
LIBOR
libre-échange
lignes de crédit
452
livre sterling
livres tournois
loi de Gresham
Longue Dépression
M
marché
marché au noir
marchés obligataires
mercantiliste
mondialisation
monétariste
monnaie
monnaie fiduciaire
monnaie marchandise
monnaie scripturale
N
National Banks
négociants
néolibéralisme
NYSE
O
obligations
offre
Open Market
P
papier-monnaie
parités du pouvoir d’achat
pennies
pétrodollars
PIB
pièces de monnaie
pierre de touche
PNB
population active
prêts
453
prix
R
ratio bimétallique
reaganomie
Reserve Banks
réserves minimales
réserves obligatoires
S
seigneuriage
serpent monétaire
shilling
SME
SMI
sociétés par actions
souverain
spread
stagflation
sterling
T
taux d’escompte
taux d’intérêt à long terme
taux directeur
théorie quantitative de la monnaie
traders
trébuchet
Trente Glorieuses
trickle-down theory
troc
troy
TVA
U
unions monétaires
usure
454
vélocité
virements
455
Table des Matières
Prologue 10
Avertissement ! 14
1. La Monnaie : catalyseur de l’Antiquité 32
Économie de redistribution et écriture aux prémices de l’Histoire 33
Économie de redistribution au IVe millénaire av. J. C. 33
Codes et références au IIIe millénaire av. J. C. 34
L’or et l’argent, références de valeurs vers la fin du IIIe
35
millénaire av. J. C.
Besoins de prêts 36
L’autre référence pour valoriser argent-métal ou grain 37
Troc et marchés en parallèle à la redistribution au IIe millénaire av.
40
J. C.
Production spécialisée et échangée 40
Production troquée au marché local 41
Troc entre contrées hors économie de redistribution 42
Valeur des échanges aussi selon négociations et marchandages 43
De l’échange contre « biens-intermédiaires » jusqu’au commerce en
45
monnaie
Échanges contre biens-intermédiaires dès le néolithique 45
Pour référencer et compter en mémorisant les prix 46
Pour postposer la dépense en épargnant les surplus 47
Du bien-intermédiaire jusqu’à la monnaie 48
Préalable au choix de la monnaie 49
Lingots d’or ou d’argent au IIe millénaire av. J. C. 50
Lente évolution de l’économie de redistribution vers
51
l’économie de marché dans l’Antiquité
Pièces de monnaie au VIIe siècle av. J. C. 53
De minuscules lingots frappés d’un sceau royal 53
Profit sur ces pièces de monnaie 54
Pièces d’argent en Grèce au VIe siècle av. J. C. 55
Pièce d’argent au poids en Méditerranée 56
Bimétallisme en pièces d’or et d’argent au VIe siècle av. J. C. 56
456
Bimétallisme en Perse au VIe siècle av. J. C. 58
Pièces de monnaie au poids en Grèce 60
Propagation des pièces en Grèce au Ve siècle av. J. C. 60
Financement des États axé sur les pièces de monnaie 61
Pièces grecques standardisées au Ve siècle av. J. C. 62
Les pièces de monnaie : ciment des empires 64
Pièces bimétalliques dans l’Empire macédonien 64
République de Rome 65
Changeurs-essayeurs et pièces variées de l’Antiquité 67
Nécessité des changeurs-essayeurs 67
Pièces d’or inspectées 69
Pièces d’argent suspectées 70
Naissance de la banque dans l’Antiquité 71
Monnaie en sécurité dans les banques 71
Évolution de la banque dans l’Antiquité 71
Prêts et crédits consécutifs aux dépôts en banque 73
Pratiques bancaires circonscrites au commerce 74
L’Antiquité sans monnaie « créée » par les banques 75
Banques inaccessibles pour le monde non commerçant 76
Coïncidence : Les pièces de monnaie, nerf de la guerre ou de la
79
paix ?
2. L'Empire romain et les pièces de monnaie multipliées 82
Inquiétudes financières dans l’Empire au Ie siècle apr. J. C. 83
De la monétisation de l’or et de l’argent jusqu’au manque
83
récurrent de pièces
Accumulations des crédits 84
Crises financières occasionnelles 85
Nouveaux expédients aux crises de trésorerie dès le Ie siècle apr. J.
87
C.
Réforme fiscale sous Auguste 87
Frappe de pièces de billon dès Auguste 87
Multiplication des pièces par dévaluation dès Néron 90
Inflation perceptible au Ie siècle apr. J. C. 93
Hausse des prix en conséquence de la multiplication des
93
pièces
457
Hausse généralisée, continue et prolongée des prix, ou
94
inflation
Inflation des prix dans l’Empire 95
Hausses ponctuelles des prix 96
La clé de l’inflation : excès de dépenses et manque
98
d’investissements par l’État romain
Mécontents et profiteurs de l’inflation des prix dès le Ie siècle apr.
100
J. C.
Perte pour les uns 100
Gain pour les autres 101
Gain temporaire pour l’État 102
Déclin économique du Ie siècle jusqu’au début du IIIe siècle apr. J.
103
C.
Démagogie financée par la fiscalité et la multiplication des
103
pièces de monnaie
Travail dévalorisé aussi par l’inflation 104
Multiplication retenue des pièces et inflation modérée
105
jusqu’au IIIe siècle apr. J. C.
La « crise du IIIe siècle » apr. J. C. 107
Déclin économique accentué au début du IIIe siècle 107
La « crise du IIIe siècle » 108
Apogée de la multiplication des pièces vers 260 108
Décollage de l’inflation après 260 110
Crise monétaire et bancaire vers 265 110
Sauvetage militaire de l’Empire financé par… la
111
surmultiplication des pièces
Fiasco de la résorption de l’inflation à la fin du IIIe siècle apr. J. C. 113
Échec de la réforme monétaire pour mater l’inflation 113
Échec de « l’édit des prix » pour geler l’inflation 114
L’inflation contournée pour redresser l’Empire au IVe siècle apr. J.
115
C.
Réforme fiscale de Dioclétien 115
Retour partiel de la circulation des pièces d’or ou d’argent
115
sous Constantin
Chute de l’Empire d’Occident au Ve siècle apr. J. C. 117
458
Coïncidence : L’Empire romain a chuté aussi sur des obstacles 118
monétaires.
3. Manque récurrent de pièces de monnaie du Moyen
121
Âge à la Renaissance
Circulation des pièces en Occident du VIIe au XIIe siècle 122
Sans pièces de monnaie ni banques depuis la chute de Rome 122
Retour des paiements en pièces de monnaie au VIIe siècle 123
Pièces variées de la féodalité du Xe au XIIe siècle 125
Pièces de monnaie transmutées au XIIIe siècle 127
Nouvelles pièces d’argent et d’or diffusées par le commerce 127
Bimétallisme et ratio or-argent modifiable 128
Changeurs-essayeurs toujours plus vigilants 130
Vers des pièces de qualité et un seigneuriage modéré sous
131
l’emprise du change
Unification progressive des systèmes monétaires royaux 133
Dévaluations endiguées 135
Déclin économique au XIVe siècle jusqu’à la déflation du XVe
137
siècle
Défaillance de l’appoint d’argent occultée par les fléaux du
137
XIVe siècle
Déflation des prix, reflet du manque de pièces 138
La déflation marquée par une lente baisse des prix 139
Commerce gêné par la « famine des métaux » 140
Plus de tolérance envers les intérêts sur les prêts 141
Déflation contournée par les commerçants italiens aux XIVe et XVe
143
siècles
Réapparition des banques 143
Une nouveauté : la lettre de change 143
Lettre de change source de crédits et de prêts 145
Lettre de change parfois escomptée 146
Intrusion des banquiers dans les sphères du pouvoir aux XIVe et
147
XVe siècles
États, Église et emprunts aux banques 147
Emprunts et banques publics 148
Déflation esquivée au XVIe siècle, et embellie économique 150
459
Pièces de billon réintroduites 150
Nouvelles sources d’or et argent et embellie économique 151
Déflation écartée, et inflation très relative 152
Inflation limitée par le mercantilisme au XVIe siècle 155
Accumulation autorisée avec la Renaissance 155
Mise en place de politiques mercantilistes 156
Coïncidence : Évolutions contrastées avec ou sans banques. 158
4. Du billet de banque à la Révolution industrielle en
161
Grande-Bretagne
La rareté du numéraire à nouveau préoccupante au XVIIe siècle 162
L’Europe en déflation de 1650 à 1730 162
Récession et déflation moindres en Grande-Bretagne et aux
163
Pays Bas
Nouvelles techniques financières 163
Apparition du billet de banque en Angleterre au XVIIe siècle 168
Naissance des banques anglaises 168
Apparition du billet de banque 169
Banques et prêts en billets sous surveillance de la
170
convertibilité en pièces d’or et d’argent
Premières crises de retrait aux guichets des banques 172
La convertibilité des billets restreinte aux seules pièces d’or
173
par le « Great Recoinage »
Unifications annexes des pièces de monnaie 176
Multiplication des crédits et Révolution industrielle au XVIIIe
177
siècle
Prêts avec garants en Écosse 177
Début du capitalisme industriel et financement de la
178
Révolution industrielle
Multiplication de la monnaie sans inflation 180
Le volume des pièces de monnaie dépassé par le volume de
182
monnaie scripturale
La Banque d’Angleterre et ses billets au XVIIIe siècle 184
La Banque d’Angleterre créée pour financer l’État 184
Avantage aux billets de la Banque d’Angleterre 185
La Banque d’Angleterre sous contrôle 187
460
Stabilisation des banques privées 187
Coïncidence : La Révolution industrielle et la monnaie. 190
5. Échecs et succès des billets de papier au XVIIIe siècle 193
Le billet de banque discrédité en France vers 1720 194
Le système de John Law 194
Émission désordonnée des billets et spéculation sur les actions 196
Effondrement du système de Law 198
Séquelles de l’échec de l’usage du billet de banque 198
L’échec du premier papier-monnaie vers 1780 aux USA 200
Les émissions de billets de crédit 200
Les « Continentals » de la Révolution américaine 200
Vers l’inflation 201
Liquidation des billets de crédit et séquelles de l’échec des
203
Continentals
Tentative avortée de monnaie amendée à Liège en 1783 205
L’économie liégeoise rattrapée par la déflation vers 1780 205
Mesures proposées pour encadrer un système monétaire
206
parallèle lié au nettoyage
Le marché parallèle des tâches-de-nettoyage sélectionnées
207
selon trois principes
Première tâche-de-nettoyage 208
Les autres projets rejetés ou postposés 208
Arguments pour étayer le système parallèle 209
Application du système parallèle de 1783 à 1784 211
Tentatives d’extension du système parallèle, et abandon
212
soudain
L’effondrement des assignats de la Révolution française vers 1795 215
Création du billet de l’assignat en 1789 215
Inflation et crise économique 216
Liquidation des assignats 218
Les guerres napoléoniennes et les billets de banque 220
Timides émissions de billets en Europe continentale sans
220
Révolution industrielle
Les « country banks » de Grande-Bretagne, et la croissance
222
industrielle autosoutenue
461
Succès de l’inconvertibilité temporaire du billet de la Banque 223
d’Angleterre
Coïncidence : Échecs monétaires et aléas des Couronnes de France
227
et d’Angleterre.
6. Le billet de banque, l’étalon-or et les cycles
229
économiques au XIXe siècle
Brève dépression économique en Grande Bretagne vers 1820 230
La naissance de l’étalon-or pour les billets de la Banque
230
d’Angleterre
Déflation organisée 232
Cycles économiques remarqués après 1820 234
Une société agricole en mutation vers un monde industriel 234
Hausses économiques avec embauche, et baisses avec
234
recrudescence du chômage
Baisses amplifiées par les krachs boursiers et les crises de
235
retrait en banque
Crises économiques à répétition et début de la contestation 237
Cycles remarqués, mais incompris 237
Débats incomplets au XIXe siècle 239
Objectif des autorités : assurer la convertibilité-or 240
Influence monétaire postérieurement confirmée 243
Propagation de la Révolution industrielle après 1830 245
Billets de banque et conversion bimétallique entre 1830 et
245
1870
Cadences variées sur le continent européen entre 1830 et 1870 246
L’étalon-or et la « Longue Dépression » dès 1873 249
Les problèmes du bimétallisme 249
Du bimétallisme vers le modèle anglais de l’étalon-or 249
Saut groupé vers l’étalon-or dans les années 1870 250
Taux de changes fixes des billets par l’étalon-or 252
Déflation et « Longue Dépression » entre 1873 et 1896 254
Le retour du protectionnisme dès 1873 255
Reprise accompagnée de spasmes après 1896 256
Chamboulement de l’ordre économique mondial à la fin du XIXe
259
siècle
462
L’industrie de Grande-Bretagne rattrapée par les industries du 259
continent européen
Les USA, première économie au monde au début du XXe
260
siècle
Les « National Banks » créées en 1863 261
La Fed des USA créée en 1913 263
Coïncidence : L’instabilité de la fin du XIXe siècle et le retour du
266
nationalisme.
7. Dollars, billets de banque et Keynes entre 1914 et 1971 268
Les années 1920 dans la lignée du XIXe siècle pour la plupart des
269
pays
Les pièces d’or remplacées par les billets pendant la guerre de
269
1914 1918
Financement de la guerre par déficit inflationniste 271
Retour à la convertibilité-or du dollar après la guerre 271
L’Europe et l’étalon-or dans les années 1920 272
La livre sterling de la Banque d’Angleterre fourvoyée dans les
272
parités d’avant-guerre
L’hyperinflation en Allemagne vers 1922 1923 276
Une politique monétaire inflationniste pendant la guerre 276
Dérapage vers l’hyperinflation en 1922-1923 278
Résorption remarquée de l’hyperinflation 279
Retour à une relative convertibilité-or pour les nouveaux
280
reichsmarks
Le violent krach boursier de Wall Street de 1929 282
La spéculation boursière de Wall Street favorisée par la Fed
282
dans les années 1920
Le krach de Wall Street d’octobre 1929 282
Mauvais réflexes monétaires de la Fed et crise économique
283
mondiale
Théories de Keynes vers 1930 286
Contestation keynésienne de la politique monétaire 286
La quantité de monnaie libérée de l’étranglement par l’étalon-
286
or
Crédit pour redémarrer l’activité économique 288
463
L’impulsion étatique en appui 289
Abandon partiel de la convertibilité-or à partir de 1931 291
Nouveau système monétaire international autour du dollar dans
291
les années 1930
Pâle reprise économique sans impulsion étatique «
292
keynésienne » avant la guerre
Application plus large des théories keynésiennes aux USA dès 1932 294
Fin partielle de la convertibilité-or du dollar 294
Le dollar dévalué par rapport à l’or et aux devises 295
Le dollar stabilisé à 35 dollars-billet par once d’or 295
La Fed sous contrôle plus démocratique 296
Taux d’intérêt bas 296
Le volume de crédits des banques privées toujours sous
297
surveillance
Le New Deal et l’endettement timide de l’État US 298
Déflation enrayée et inflation modérée 299
La dette publique jamais destinée à remplacer les impôts 300
Reprise économique fulgurante dans l’Allemagne nazie dès 1933 302
Endettement étatique prononcé 302
Inflation et taux de change sous contrôle 303
Résorption du chômage dans l’Allemagne nazie 305
La Deuxième Guerre mondiale et les batailles monétaires 307
Keynésianisme pendant la guerre 307
L’or et le commerce international pendant la guerre 308
La fausse monnaie de l’« Opération Bernhard » 308
Une nouvelle vague d’hyperinflation en Allemagne à la fin de
309
la guerre
Bretton Woods en 1944 et les Trente Glorieuses de 1945 à 1975 310
Retour à des parités de change fixes comme avant-guerre 310
Les marchés de change autour du dollar 311
Création du FMI pour soutenir les taux de change fixes 312
Hausse économique des Trente Glorieuses soutenue par le
313
keynésianisme
Bons du Trésor, crédits bancaires, et risque d’inflation 315
Coïncidence : Keynes en retrait, Schacht en avant, dans l’entre- 318
464
deux-guerres. 318
465
déflation 351
466
Un deuxième creux économique après 2001 387
Un retour de la croissance après 2003 grâce à la reaganomie 388
En contrôlant l’inflation 390
Et les taux de change 390
Limites de la reaganomie pour les pays européens 394
Troisième accident : la crise financière de 2008 396
Tâche ambiguë pour les Banques Centrales après 2004 396
Prêts hypothécaires et marché immobilier 396
La chute de l’immobilier dès 2007 397
La crise financière de 2008 400
Le « Quantitative Easing » de la Fed 401
Le plan de relance du gouvernement américain 402
La reprise mise en doute 403
Le ralentissement de la confiance et de la vélocité monétaire 404
L’explosion de la dette publique 405
Coïncidence à espérer : Une solution plus large pour un problème
407
planétaire
10. Les monnaies parallèles et le réchauffement
410
climatique
Les cinq monnaies parallèles de l’Argentine de 2001 411
Origine de la crise de 2005 en Argentine 411
Des nouvelles monnaies pour contourner le « corralito » 412
Le « crédito » pour redémarrer l’économie parmi les plus
414
pauvres
Fin du « corralito » et des monnaies alternatives 415
Le marché noir coincé par la monnaie 416
Le marché noir pour éviter l’action du gouvernement 416
Caractéristiques du marché noir 416
Surveiller les comptes en banque pour limiter le marché noir 417
Les chèques-services en Europe 420
De nouvelles monnaies parallèles dans les années 1990 420
Circulation des chèques-service 420
Ramener le travail au noir dans l’économie régulière 421
Un nouveau marché parallèle avec sa monnaie contre le
467
réchauffement climatique
Le système parallèle de Comhaire 423
Actualisation du vocabulaire du système de Comhaire 423
Transactions en éco-monnaie hors taxes et transparentes 426
Circulation de l’éco-monnaie 428
Étendue des éco-produits 430
Système moitié prix pour lutter contre le réchauffement
432
climatique
Pour une moindre perturbation : séparer l’éco-marché 433
Coïncidence à espérer : Une solution monétaire au réchauffement
436
climatique ?
Bibliographie 438
Origine des illustrations : 440
Définitions principales 450
468