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SIÈCLES
David Sassu-Normand
2012/1 - n° 33
pages 5 à 22
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ISSN 1628-0482
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VILLES EN CRISE AU MOYEN ÂGE
D a v i d S a s s u - No r m a n d *
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L e présent dossier d’Histoire urbaine se veut le prolongement de la
session « Villes européennes et crises financières » qui a pris place lors
de la dixième conférence internationale d’histoire urbaine organisée par la
European Association of Urban History (Gand, septembre 2010). S’il
paraissait d’abord important que l’économie et les finances publiques
soient représentées, dans un contexte de domination écrasante des
études d’histoire culturelle ou intellectuelle, tout au moins en ce qui
concerne le Moyen Âge 1 , l’actualité la plus immédiate illustre également
à l’envi comment « la Crise » est présentée comme la racine ultime de toute
analyse économique, sociale ou politique. Pour le dire autrement, la
notion de crise et son étude s’inscrivent dans un ensemble de forces
contradictoires qui, si elles n’opèrent pas forcément dans le même
champ (le territoire des historiens n’est pas toujours celui du grand
public), obéissent néanmoins à une logique d’attraction/répulsion. En
effet, sans doute les historiens sont-ils tentés de faire leur cette fascination,
légitimant du même coup les reproches critiques – pour ne pas dire
hypercritiques – qui sont parfois portés au crédit du concept de crise 2.
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tions des différents contributeurs, mais tout simplement de les présenter et
de dégager leurs principaux acquis au regard des enjeux de la question. Il
importe ainsi d’effectuer un certain nombre de clarifications et de mises en
garde théoriques qui doivent permettre, autant que faire se peut, d’éviter
les anachronismes, car si l’exercice de la comparaison a ses vertus, il a
aussi ses limites : la faillite d’une compagnie toscane au XIVe siècle et la
récente crise des subprimes se dessinent sur des arrière-plans et des men-
talités radicalement différents 4.
3. Alain Guerreau ne pense pas autre chose lorsqu’il écrit (ibidem) : « Ce point touche le
problème général de la périodisation et des rythmes de transformation des sociétés... », avant de
le restreindre au seul cas de la « société féodale européenne ». Sur cette prédilection de l’auteur, on
lira avec profit les comptes rendus de son ouvrage passionnant et stimulant, mais ô combien
polémique, L’avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge pour le XXI e siècle ?, Paris,
2001 , notamment ceux de Jean-Claude Hocquet (Revue Historique, no 621 , 2002, p. 1 39-145) et de
Pierre Savy (Labyrinthe, no 12, 2002, p. 119-123). Dans une perspective plus générale, on se
reportera à l’« Introduction générale » de Bernard Rosier et Pierre Dockès, Rythmes économiques.
Crises et changement social, une perspective historique, Paris, La Découverte/Maspéro, 1983, p. 7-
1 8.
4. La banqueroute de John Law est qualifiée par Antoin E. Murphy de « première bulle sur le
marché financier qu’ait expérimentée l’économie mondiale » (« John Law et la bulle de la Com-
pagnie du Mississipi », L’Économie politique, no 48, 2010, p. 7-22). L’originalité de Law est d’avoir
tenté de répondre simultanément à une crise de la dette publique et à une crise monétaire. On se
reportera à Antoin E. Murphy, John Law : Economic Theorist and Policy-Maker, Oxford, Oxford
University Press (désormais OUP), 1997.
5. Alain Rey (sous la direction de), Dictionnaire historique de la langue française, t. I, éd. 2006,
Le Robert, p. 952.
Villes européennes et crises financières / 7
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conceptualisation prend place dans l’économie industrielle de la période
contemporaine, ce qui limite naturellement son utilisation pour la fin du
Moyen Âge et le début de l’Ancien Régime. Il ne sera donc pas question ici
de « cyclomanie », et l’état des sources rend hautement improbable l’éta-
blissement d’une série de cycles que l’on pourrait classer en fonction de
leur périodicité.
En fin de compte, deux tendances sémantiques se dégagent progressi-
vement du terme « crise » : une dimension psychologique, éventuellement
catastrophiste d’une part, et une dimension savante, celle du discours
portant sur l’économie capitaliste née au XIXe siècle. Cette dualité, qui
contribue à brouiller les cartes, est toujours présente aujourd’hui dans
une opinion commune confrontée aux blocages de l’économie mondia-
lisée. Le plus dommageable, semble-t-il, est précisément l’effacement de la
définition originelle et antique du terme, car elle efface la part de l’inter-
vention humaine, alors que ce dernier facteur est soulevé par la totalité des
contributions réunies 8.
6. Ibidem.
7. Clément Juglar, Des crises commerciales et de leur retour périodique en France, en Angleterre
et aux États-Unis, Paris, Guillaumin, 1 862 ; Nikolaı̈ Kondratieff, Les vagues longues de la conjonc-
ture, 1926 ; et Joseph Schumpeter, Business Cycles : A theoretical, historical and statistical Analysis
of the Capitalist Process, New York/London, McGraw-Hill Book, 1939.
8. Le Corpus de la littérature narrative mis en ligne sous forme numérique par les Classiques
Garnier permet de prolonger l’enquête dans le domaine littéraire. Le mot « crise » est utilisé à de
très nombreuses reprises, si l’on excepte Alain-Fournier, par les grands romanciers du XIXe siècle,
à commencer par Balzac, Dumas, Maupassant et Zola. Le sens psychologique et médical (sous la
forme des expressions « crise de nerfs », « crise de sanglots »... d’ailleurs souvent associées à des
personnages féminins) domine, mais dans une nouvelle de Balzac, on trouve une formulation
intéressante : « (...) il hésitait à risquer cette dernière démarche, tout en sachant qu’il allait la faire.
Mais qui, dans les crises de sa vie, n’aime pas à écouter les pressentiments, à se balancer sur les
abı̂mes de l’avenir ? ». Dans cet exemple, emprunté à la nouvelle Maı̂tre Cornélius, où le person-
nage éponyme n’est autre qu’un banquier rapace du roi Louis XI, la part du jugement et de la
décision paraı̂t rester intacte. Honoré de Balzac, Le Chef-d’œuvre inconnu et autres nouvelles,
Paris, Gallimard (Folio, no 4202), 1994, p. 1 73.
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Elles ne répondent pas aux mêmes logiques que celles suscitées par les
lois du grand marché capitaliste. Pour les explorer, il est fondamental de
procéder à un certain nombre d’éclaircissements.
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l’économie, le politique... qui, de fait, interviendront bel et bien ; il faut
cependant reconnaı̂tre dans cette partition des champs intellectuels une
commodité de langage. En d’autres termes, si les historiens, médiévistes
ou modernistes, emploient quotidiennement ces termes, ils renvoient
plus à des outils d’analyse qu’à des réalités vécues ou observables
de façon indépendante. On le sait, l’économie en tant que discours
autonome ne naı̂t qu’au XVIIIe siècle avec les penseurs libéraux ; cependant,
cela ne doit pas empêcher le chercheur contemporain de formuler
une analyse économique des réalités étudiées, d’autant plus que des
amorces de pensée économique se lisent déjà, ici ou là, à la fin du
Moyen Âge 9.
Éclaircissement d’ordre chronologique ensuite : même si l’on peut
regretter ici l’absence des collègues modernistes, la thématique choisie
devait permettre de franchir, dans les pas de Jacques Le Goff, la frontière
entre Moyen Âge et Temps modernes. On se permettra donc, dans cette
introduction, de leur emprunter un certain nombre d’acquis fondamen-
taux. À titre d’exemple, les travaux de Jean-Yves Grenier, bien que portant
prioritairement sur l’Ancien Régime, fournissent ainsi un modèle expli-
catif qui paraı̂t également fonctionner pour la période médiévale 10 et
prolonge de manière heureuse les recherches menées sur l’État moderne
sous l’égide de Jean-Philippe Genet et Wim Blockmans 11 . Le point de
départ du travail de Jean-Yves Grenier est une réflexion sur la notion de
valeur : alors que les économistes classiques ont une définition intrinsèque
de la valeur, basée sur la production et le travail, la valeur de l’économie
9. Cf. infra.
10. Jean-Yves Grenier, L’économie d’Ancien Régime. Un monde de l’échange et de l’incertitude,
Paris, Albin Michel (L’Évolution de l’humanité), 1996. L’ouvrage, d’une lecture ardue, a vu ses
conclusions transmises aux médiévistes grâce à un article d’Alain Guerreau : « Avant le marché, les
marchés : en Europe, XIIIe-XVIIIe siècle (note critique) », Annales.Histoire, Sciences Sociales (désor-
mais Annales HSS), 2001 /6, p. 1129-11 75.
11 . Jean-Philippe Genet, « La genèse de l’État moderne. Les enjeux d’un programme de
recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, no 11 8, 1997, p. 3-1 8.
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contrôler. À ce sujet, on pourrait multiplier les exemples ; on se contentera
de mentionner celui de la politique annonaire de la Rome moderne, très
bien étudié par Monica Martinat 1 4. Le marché du blé est alors organisé
autour de trois circuits, dont l’Annone, strictement encadrée par la
papauté, ne représente qu’un des éléments ; à ses côtés figurent le Campo
de’ Fiori, qui permet à une petite minorité de producteurs d’écouler leurs
marchandises, et le circuit des mercandi di campagna, qui vendent les pro-
ductions des grands domaines du Latium et de l’Agro romano. Le rôle de
l’Annone, comme l’explique l’auteur, n’est pas tant de défendre à tout crin le
consommateur, que de permettre un échange juste, c’est-à-dire qui permette
d’« assurer le maintien de la structure sociale » 1 5. Le parallèle, très séduisant,
dressé par Jean-Yves Grenier, entre hiérarchie des marchandises et hiérar-
chie sociale ne signifie rien d’autre que la prédétermination du domaine
économique par l’ordre socio-politique établi, et cette relation d’« emboı̂te-
ment » 1 6 n’est pas étrangère à ce que les différentes contributions réunies
ici ne manquent pas de souligner : l’omniprésence du politique 1 7. Enfin,
12. Les fonds d’archives modernes fourmillent de réglementations en tous genres, et la littéra-
ture technique n’a parfois de technique que le nom. Parmi maints exemples cités par Jean-Yves
Grenier, on retiendra le Dictionnaire des manufactures, arts et métiers écrit en 1 785 (date déjà fort
avancée) par le célèbre révolutionnaire Jean-Marie Roland, qui est alors inspecteur des manufac-
tures. Alors que Roland est un économiste parfaitement au fait des réalités techniques de son
temps, son ouvrage fonctionne selon une logique purement descriptive et classificatoire des
produits, accréditant l’idée qu’il y a a priori les « bons » et les « mauvais » produits.
13. Alain Guerreau, « Avant le marché... », op. cit., p. 1165.
14. Monica Martinat, Le juste marché. Le système annonaire romain aux XVI e et XVII e siècles,
Rome, École Française de Rome (désormais ÉFR), 2004. On trouvera un résumé de la thèse
défendue par cet ouvrage dans eadem, « Le marché des céréales à Rome au XVIIe siècle »,
Histoire et Mesure, no 10, 1995, p. 31 3-338.
15. Monica Martinat, Le juste marché..., op. cit., p. 7.
16. Embedded, pour reprendre le terme de Karl Polanyi : Karl Polanyi, Conrad M. Arensberg et
Harry W. Pearson (sous la direction de), Trade and Market in the Early Empires, Glencoe, Free
Press/Falcon’s Wing Press, 1957.
17. Terme qu’Alain Guerreau n’accepte pas davantage. Op. cit., p. 260 et sq. Cela n’empêche pas
Jean-Philippe Genet de passer outre : Jean-Philippe Genet, « Le politique (l’État, le pouvoir, les
forces) », dans Jean-François Sirinelli, Pascal Cauchy et Claude Gauvard (sous la direction de), Les
historiens français à l’œuvre, 1995-2010, Paris, PUF, 2010, p. 1 61-1 84. Si l’on osait, on dirait que si
« la langue est fasciste », le relativisme absolu tue le discours.
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et c’est sans doute l’un des manques du présent dossier, qui justifie un
rapide panorama historiographique qui nous permettra d’introduire l’élé-
ment urbain dans la réflexion, tout l’édifice est organisé selon l’éthique,
incarnée à des degrés variables mais en tout premier lieu par l’Église, de la
caritas.
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les modernes appréhendent celles-ci, et dont les villes ne sont jamais
éloignées. L’essor urbain né de la civilisation seigneuriale et féodale est
indissociable, non seulement d’un nouvel élan commercial 1 8, mais aussi
d’une renaissance intellectuelle 19 qui permet aux théologiens d’analyser et
éventuellement de dénoncer certaines pratiques usitées par les mar-
chands. Les scolastiques puisent ainsi leurs arguments contre l’usure, ou
encore leur définition du « juste prix », chez Aristote 20 . La confrontation
entre l’Église et les marchands est parfois violente, qui pousse ainsi
les classes montantes du Midi de la France à se réfugier dans l’hérésie,
avant que les Mendiants n’entament leur reconquête des esprits au
XIIIe siècle 21 ; mais cela ne doit pas occulter la place prépondérante
occupée par l’Église dans les échanges et la lente maturation des méca-
nismes de crédit. Dès la fin du XIIe siècle, Alain Boureau voit dans les
monastères bénédictins d’Angleterre et de France les prémices de la dette
publique, ou à tout le moins collective : c’est parce que le monastère ne
meurt jamais et que les moines n’ont pas le droit d’avoir de biens propres
qu’une abbaye peut contracter un emprunt 22. Mais c’est au siècle suivant
que les Mendiants, et plus particulièrement les Franciscains, sont au
cœur d’une réflexion sur l’argent et les pratiques marchandes qui a
mené certains auteurs à parler d’une véritable doctrine économique
18. Les médiévistes spécialistes d’histoire urbaine ont depuis longtemps fait pièce au modèle
jadis exposé par Henri Pirenne. On se reportera à Patrick Boucheron et Denis Menjot, « La ville
médiévale », dans Jean-Luc Pinol (sous la direction de), Histoire de l’Europe urbaine, I, Paris, Le
Seuil, 2003, p. 285-592, et notamment p. 371-376.
19. Jacques Verger, La Renaissance du XII e siècle, Paris, Cerf, 1996.
20. Et encore à l’époque moderne : Monica Martinat, Le juste marché..., op. cit., p. 13-112.
21 . Jean-Louis Biget, Hérésie et inquisition dans le midi de la France, Paris, Picard (Les médié-
vistes français), 2007.
22. Alain Boureau, « Le monastère médiéval, laboratoire de la dette publique ? », dans Jean
Andreau, Gérard Béaur et Jean-Yves Grenier (sous la direction de), La dette publique dans
l’histoire, Paris, Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France (désormais
CHEFF), 2006, p. 23-35. Un intérêt supplémentaire de cette contribution – car Duby avait
montré, il y a longtemps déjà, comment Cluny était confronté à d’importantes difficultés finan-
cières dès les premières décennies du XIIe siècle – réside dans la compréhension qu’ont certains
moines de l’utilité de l’endettement comme investissement.
Villes européennes et crises financières / 11
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façon qu’un siècle plus tôt, Henri de Blois et Pierre le Vénérable avaient
couché par écrit les productions, réelles et souhaitées, des prieurés cluni-
siens 26. Ce n’est par conséquent plus seulement en ce qui concerne la
23. La thèse selon laquelle il existerait une authentique pensée économique au Moyen Âge est
illustrée par les travaux de Giacomo Todeschini, et notamment I Mercanti e il Tempio. La società
cristiana e il circolo virtuoso della ricchezza fra Medioevo e età moderno, Bologna, Il Mulino, 2002,
et Ricchezza francescana : della povertà volontaria alla società di mercato, Bologna, Il Mulino,
2004, trad. fr. Richesse franciscaine : de la pauvreté volontaire à la société de marché, Paris,
Verdier, 2008. Les œuvres du Franciscain Pierre de Jean Olivi sont au cœur de la démonstration,
même si Jacques Le Goff voit dans le traité De emptionibus et venditionibus une œuvre de peu
d’influence. Jacques Le Goff, Le Moyen Âge et l’argent, Paris, Perrin, 2010, p. 201-203.
24. Il y a bien une théorie du risque au Moyen Âge (doit-on rappeler que les compagnies
italiennes ont inventé l’assurance ?). Sylvain Piron, « L’apparition du resicum en Méditerranée
occidentale, XIIe-XIIIe siècles », dans Emmanuelle Collas-Heddeland, Marianne Coudry, Odile
Kammerer, Alain Lemaı̂tre et Brice Martin (sous la direction de), Pour une histoire culturelle du
risque, Strasbourg, Histoire et anthropologie, 2004, p. 59-76. Contra, Alain Guerreau, « L’Europe
médiévale : une civilisation sans la notion de risque », Risques. Les cahiers de l’assurance, no 31 ,
1997, p. 11-1 8. La contribution de Sylvain Piron est une étude lexicographique qui permet à
l’auteur de montrer que le resicum et ses multiples avatars vernaculaires débordent largement le
cadre des traités franciscains, et pour cause : l’usage du terme se répand rapidement dans les
cartulaires municipaux, les registres notariaux ou commerciaux de la Méditerranée latine, très
probablement à partir des ports du Maghreb. Si le terme n’a pas encore la dimension globalisante
qu’il porte aujourd’hui (le risque est un danger potentiel pour les sociétés, la nature voire la
planète...), il existe bel et bien.
25. Jacques Chiffoleau, « Conclusions. Les couvents, l’échange, la religion », dans Società
Internazionale di Studi Franciscani/Centro Interuniversitario di Studi Franciscani, L’economia
dei conventi dei frati minori e predicatori fino alla metà del Trecento. Atti del XXXI convegno
internazionale, Assisi, 9-11 ottobre 2003, Spoleto, Fondazione Centro Italiano di Studi sull’Alto
Medioevo, 2004, p. 405-448. On se reportera également à Nicole Bériou et Jacques Chiffoleau
(sous la direction de), Économie et religion. L’expérience des ordres mendiants (XIII e-XV e siècle),
Lyon, Presses Universitaires de Lyon (désormais PUL), 2009.
26. Georges Duby, « Économie domaniale et économie monétaire : le budget de l’abbaye de
Cluny entre 1080 et 1255 », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1952/2, p. 1 55-1 71 ; Alain
Guerreau, « Douze doyennés clunisiens au milieu du XIIe siècle », Annales de Bourgogne, no 52,
1980, p. 83-128. En ce qui concerne les comptabilités des couvents mendiants, on attirera l’atten-
tion sur celles du couvent franciscain d’Avignon, qui sont les plus fournies et viennent d’être
étudiées par Clément Lenoble dans sa thèse de doctorat : Clément Lenoble, L’exercice de la
pauvreté. Les Franciscains d’Avignon, l’incertitude économique et la circulation des richesses à la
fin du Moyen Âge, thèse dactylographiée sous la direction de Jacques Chiffoleau, Université
Lumière-Lyon II, Lyon, 2010. Plus généralement, si des comptes ont été produits dès les
premiers temps, ce n’est que vers le milieu du XIVe siècle que des documents sont régulièrement
tenus à jour.
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Objectivité et subjectivité
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en l’ouvrant sur une analyse globale de la société. De fait, on a proposé aux
contributeurs de conserver l’idée de rupture d’un équilibre donné. Cette
rupture s’insère par conséquent au sein d’une temporalité plus vaste dont
elle ne constitue qu’une étape ; elle menace l’existence même de l’ordre
préexistant. Mais, par ailleurs, il ne faut pas oublier le caractère primordial
de la perception qu’ont, à tort ou à raison, les contemporains de cette
modification éventuelle de la société. En effet, les usages actuels du
concept de crise sont fréquemment associés à une pensée de la gravité et
de l’urgence : la crise est ressentie comme un épisode aigu, qu’il faut
contenir et dont il convient éventuellement d’éviter la propagation. Outre
que cela ouvre par conséquent la voie à de futurs chantiers en histoire
culturelle (comment définir, au Moyen Âge ou à l’époque moderne, la
notion d’urgence ?), la perception et la compréhension du corps social
peuvent contribuer à un glissement du sens classique de la notion de
crise : si, pour s’en tenir au domaine économique, l’ordre antérieur n’est
pas rétabli et que le point d’inflexion débouche sur une véritable récession,
peut-on pour autant cesser de parler de crise ? Il ne paraı̂t pas, lorsque l’on
considère aujourd’hui l’opinion commune, que cela soit le cas.
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tions qui permettent d’expliquer la spécificité des organismes urbains par
rapport à leur environnement. Si les recherches liées à la façon dont la
crise est désignée n’ont pas forcément abouti, les textes réunis sont l’occa-
sion d’autant de cas : les remous de la société urbaine brabançonne, une
crise immobilière parisienne, une exacerbation du dialogue fiscal entre les
villes de Prusse et l’Ordre teutonique, et enfin la confrontation du cas de
Grenade à la situation générale de la Castille dans les premières années du
XVIe siècle. Pourtant, par-delà la diversité des situations, un élément fonda-
mental donne sa cohérence à l’ensemble du dossier, qui n’est autre que la
dimension politique afférente à la situation de crise.
27. En un passage fameux, le Bourgeois de Paris, pour l’année 1419, s’épanche sur les malheurs
rencontrés par les Français. Lorsque l’on connaı̂t l’auteur, il est plus juste de parler des malheurs
parisiens. Journal d’un bourgeois de Paris, éd. Colette Beaune, Paris, Hachette (Le Livre de poche),
1990, p. 1 50-1 54. Les chroniques urbaines relatant les ravages de la Peste Noire constituent
d’autres exemples pertinents.
14 / Histoire urbaine - 33 / avril 2012
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jalon : d’abord purement marchandes, ces compagnies réinvestissent leurs
bénéfices en prêtant des sommes de plus en plus importantes aux puis-
sances souveraines, dont la papauté, afin de financer leurs ambitions. Si
l’on a souvent mis l’accent sur la panique des déposants devant la certi-
tude que les princes ne seraient jamais en état de rembourser l’argent 28, ce
qui a indéniablement accéléré la faillite des premières compagnies inter-
nationales, des études récentes ont à juste titre insisté sur leurs faiblesses
structurelles : la base sur laquelle s’appuie une compagnie comme celle des
Florentins Peruzzi reste le commerce des blés siciliens et du royaume
angevin. Or, cette activité ne dégage qu’un bénéfice (le capital de départ,
si l’on préfère) assez limité eu égard aux sommes ensuite mises en jeu dans
les prêts accordés aux rois d’Angleterre. Qu’une suite de mauvaises
récoltes ou une stagnation démographique limite ce bénéfice, et c’est le
développement des activités bancaires qui se voit menacé. À cela s’ajoute,
chez les Peruzzi, une mauvaise gestion des succursales disséminées dans
les principales villes d’Europe et une incapacité à faire circuler les infor-
mations nécessaires à une gestion plus mesurée des fonds 29. Pour sa part,
Boris Bove, dans les pas de Simone Roux 30 , propose de s’appuyer sur le
marché immobilier parisien afin de nuancer une approche uniquement
fondée sur les finances publiques. Son étude fournit des résultats qui
viennent considérablement limiter l’image d’une France plongée de
façon univoque dans le chaos de Philippe le Bel à Charles VII. Les indica-
teurs utilisés par l’auteur sont au nombre de trois : l’évolution des prix, la
modération des charges pesant sur les immeubles, et enfin les mises en
criée, c’est-à-dire le processus grâce auquel un bourgeois de la capitale
peut exiger publiquement du propriétaire défaillant d’un immeuble de
28. On connaı̂t la célèbre narration de la faillite des compagnies toscanes en 1 338 par le
Florentin Villani dans sa Cronica, qui en attribue la responsabilité à Édouard III.
29. Edwin S. Hunt, The Medieval Super-companies : A Study of the Peruzzi Company of Florence,
Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
30. Simone Roux, « Être propriétaire à Paris à la fin du Moyen Âge », dans Olivier Faron et
Etienne Hubert (sous la direction de), Le sol et l’immeuble : les formes dissociées de propriété dans
les villes de France et d’Italie, XII e-XIX e s., Rome/Lyon, EFR/PUL, 1995, p. 71-83.
Villes européennes et crises financières / 1 5
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La situation budgétaire des acteurs publics constitue une autre moda-
lité d’approche des crises. Qu’elles soient municipales 31 ou étatiques 32 (y
compris princières), les finances publiques sont les plus représentées ici et,
du reste, quel que soit l’angle d’attaque choisi, les villes européennes
n’échappent pas à la confrontation avec l’échelon supérieur.
Les auteurs ont, il est vrai, peut-être été davantage soucieux des finances
étatiques et de leurs conséquences sur les organismes urbains, qu’il
s’agisse de monarchies traditionnelles – en France ou en Espagne –, de
principautés comme le duché de Brabant, ou enfin de constructions poli-
tiques plus originales, tel l’Ordenstaat teutonique en Prusse. Ce dernier
s’est développé de façon concomitante à un vaste mouvement de coloni-
sation des territoires du nord-est de l’Europe, tant urbaine que rurale,
mais son expansionnisme est bloqué par l’alliance de la Pologne et de la
Lituanie. C’est donc en situation de fragilité politique que les Teutoniques
abordent le XVe siècle, et cette tendance trouvera bientôt sa concrétisation
dans la bataille de Tannenberg (1 410). En revanche, il semble plutôt qu’il
faille parler, concernant les couronnes ibériques, de crises de croissance.
Croissance intérieure, si l’on peut dire, puisqu’une fois la Reconquista en
passe d’être achevée, l’unification espagnole est mise en œuvre sous la
houlette des Rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.
Mais aussi croissance extérieure, puisque s’ouvre au XVe siècle le temps des
Grandes découvertes. Les deux faces de la même médaille conduisent ainsi
Agatha Ortega à examiner, tout comme Frédéric Vitoux pour la Prusse, les
conséquences financières des luttes militaires engagées par les souverains
31 . Denis Menjot et Manuel Sánchez Martı́nez (sous la direction de), La fiscalité des villes au
Moyen Âge (Occident méditerranéen) 1 . Étude des sources, Toulouse, Privat, 1996. 2. Les systèmes
fiscaux, Toulouse, Privat, 1999. 3. La redistribution de l’impôt, Toulouse, Privat, 2000. 4. La gestion
de l’impôt, Toulouse, 2004. On citera également Denis Menjot, Manuel Sánchez Martı́nez et Albert
Rigaudière (sous la direction de), L’impôt dans les villes de l’Occident méditerranéen, XIII e-
XV e siècle, Paris, CHEFF, 2005.
32. Richard Bonney (sous la direction de), Economic Systems and State Finance, Oxford, Cla-
rendon Press, 1995, trad. fr. Systèmes économiques et finances publiques, Paris, PUF, 1996 ; sous la
direction du même auteur, The Rise of the Fiscal State in Europe, c. 1200-1 81 5, Oxford, OUP, 1999.
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les répercussions des fiscalités de type étatique, qu’elles soient princières
ou monarchiques. La situation financière désastreuse laissée par son père,
le conquérant Jean Ier de Brabant (1268-1294), contraignait également déjà,
deux siècles plus tôt, le duc Jean II à apurer les dettes par une lourde
fiscalité indirecte. En raison, tout à la fois, de leurs administrations plus
élaborées, de leur poids démographique et donc de leur potentiel financier,
les organismes urbains n’échappent donc pas aux pressions des hommes
de main des pouvoirs supérieurs. Les exigences financières du Prince
menacent de surcroı̂t l’équilibre économique des villes, soit directement
dans le cas des taxes indirectes et des droits de douane, soit indirectement
en pressurant ce que l’on appellerait aujourd’hui le budget des ménages.
Les marchands des villes prussiennes dénoncent ainsi, selon des modalités
que l’on abordera plus loin, le poids de la fiscalité indirecte qui, utilisée à
mauvais escient, pèse trop lourdement sur les ménages ; ceux-ci, appau-
vris, ne peuvent alors plus consommer autant, condamnant par consé-
quent les futures rentrées fiscales à progressivement s’amenuiser 34. Dans
le cas de l’Ordenstaat, les protestations sont encore accentuées par
les privilèges commerciaux dont profitent seuls le Grand maı̂tre des Teu-
33. W. M. Ormrod, « Les monarchies d’Europe occidentale à la fin du Moyen Âge », dans
Richard Bonney (sous la direction de), Systèmes économiques..., op. cit., p. 111-1 50 ; Denis
Menjot et Manuel Sánchez Martı́nez (sous la direction de), Fiscalidad de Estado y fiscalidad
municipal en los reinos hispánicos medievales, Madrid, Casa de Velázquez, 2006 ; Simonetta
Cavaciocchi (sous la direction de), La fiscalitá nell’economia europea, secc. XIII-XVIII. Atti della
trentanovesima settimana di studi, Firenze, Istituto internazionale di storia economica F. Datini,
2008.
34. L’étude de la fiscalité monarchique indirecte constitue, à nos yeux, un chantier encore neuf,
en dépit d’études récentes, notamment en ce qui concerne la péninsule ibérique. Citons Agatha
Ortega, mais aussi Pablo Ortego, qui s’est penché, à l’université Complutense de Madrid, sur les
hommes de finances gravitant autour de la Couronne de Castille au XVe siècle grâce à l’affermage
des impôts indirects. Les registres d’affermages offrent des perspectives très riches, en autorisant
notamment la constitution de bases de données. L’intérêt de telles recherches ne concerne pas
seulement l’histoire de l’État, mais aussi celle des villes : par l’importance de leurs échanges, et en
raison de l’origine bien souvent urbaine des financiers qui accaparent les enchères, ces registres,
qu’ils soient d’origine royale ou princière, sont une source majeure de l’histoire des villes d’Ancien
Régime, en dépit de l’obstacle méthodologique signifié par l’écart entre fermes et taxes réellement
levées. Certains manuscrits, qui pour chaque ferme énumèrent tous les participants à une enchère,
permettent même d’approcher les rivalités entre fermiers.
Villes européennes et crises financières / 1 7
toniques et ses officiers. Les marchands n’ont alors d’autre choix que de
demander une relative libéralisation des échanges 35. Enfin, à la charnière
des XIIIe et XIVe siècles, le Brabant se distingue par l’audacieuse politique
monétaire du duc Jean II. Cette dernière a pour principaux objectifs de
parer, voire d’anticiper, les conséquences, pour l’industrie drapière, des
brutales dévaluations opérées par Philippe le Bel, ainsi que de traduire
concrètement la solidarité politique et économique de son duché avec le
comté de Flandre et l’Angleterre des Plantagenêts.
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Le temps long des structures
Désordres sociaux
35. Relative en ceci qu’elle se concentre sur la lutte contre les monopoles. En matière fiscale, les
oligarchies marchandes ont en réalité tout intérêt à faire porter la charge fiscale sur toute la
population et à encourager les impôts indirects, alors qu’elles seraient les principales victimes
d’une fiscalité sur le patrimoine. Comme le montre bien Jean-Claude Hocquet dans son panorama
financier des « cités-États », cela est particulièrement visible en Italie : l’impôt direct n’est fréquem-
ment envisagé que sous forme d’emprunts portant rente. Quant à la franche taxation des biens,
elle intervient en dernier recours, par exemple lorsqu’il est impossible sans cela de rembourser les
dettes. Jean-Claude Hocquet, « Cité-État et économie marchande », dans Richard Bonney (sous la
direction de), Systèmes économiques..., op. cit., p. 67-86. Dans les villes languedociennes des
années 1320-1 330 (ainsi Narbonne ou Béziers), les marchands font pression sur le roi de France
pour maintenir une gabelle frappant la circulation des draps, que le souverain souhaite convertir
en impôt direct. Les marchands drapiers, qui sont finalement déboutés, souhaitent protéger le
marché français de la concurrence catalane et lombarde. Guy Romestan, « Les consuls de Béziers
et l’abolition de la gabelle des draps (1330) », dans Béziers et le Biterrois, XLIIIe congrès de la
fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, Faculté des
lettres et sciences humaines, 1971 , p. 191-220 et « La gabelle des draps en Languedoc (1 31 8-
1 333) », dans Hommage à André Dupont. Études médiévales languedociennes, Montpellier, Uni-
versité Paul Valéry, 1974, p. 196-238.
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déchaı̂nement des différentes formes de discorde à l’œuvre en milieu
urbain est attesté par la prégnance des rumeurs et des accusations
de complots en tous genres : dans des contextes de hausse des prix,
l’accusation de spéculation est régulièrement portée, du Moyen Âge à la
Révolution, contre les propriétaires de stocks de céréales et les intermé-
diaires comme les boulangers 38 ; le complot de famine étudié par Steven
Kaplan, soit la volonté délibérée d’affamer la population urbaine, en est
l’ultime avatar 39. Pourtant, en ce qui concerne le bas Moyen Âge, si
l’on en croit les dernières synthèses en date sur les phénomènes de
36. Quand bien même les opposants appartiendraient-ils eux-mêmes, comme on le verra plus
loin, aux élites. Les oligarchies urbaines ne sont pas les dernières à intervenir dans les assemblées
délibératives qui se multiplient et s’institutionnalisent à la fin du Moyen Âge.
37. Les sources fiscales du Midi de la France soulignent sans équivoque (c’est le cas en
Languedoc) la situation privilégiée des villes devant les impôts royaux. Cela n’empêche pas, de
surcroı̂t, tout au long des derniers siècles du Moyen Âge, des rivalités persistantes de naı̂tre entre
les villes, chacune cherchant à verser moins d’argent que ses voisines. Juliette Dumasy, « Répara-
tion des feux et identité locale en Rouergue en 1504 », Memini. Travaux et documents (Bulletin de
la Société des études médiévales du Québec), no 9-10, 2005-2006, p. 105-123 ; Michel Hébert,
« L’ordre des discours : les conflits de préséance dans les assemblées parlementaires de la fin du
Moyen Âge », Comptes Rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2009/1 , p. 125-1 51 ;
David Sassu-Normand, « Contrôle royal de l’espace et rivalités urbaines. La viguerie de Béziers et
son démembrement au XIVe siècle », Annales du Midi, 2011 /1 , p. 27-57.
38. Colette Beaune, « La rumeur dans le Journal du Bourgeois de Paris », dans La circulation des
nouvelles au Moyen Âge. Actes du XXIV e congrès de la Société des Historiens Médiévistes de
l’Enseignement Supérieur Public, Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/EFR, 1994, p. 191-203.
Dans son Journal (éd. C. Beaune, p. 388), l’auteur préfère relayer les rumeurs attribuant la cherté
des grains au connétable armagnac Arthur de Richemont, plutôt que réfléchir au comportement
de certains Parisiens à l’égard de leurs concitoyens : « (...) [il] laissait et souffrait aux gros qui
avaient de grands greniers pleins de blés et d’autres grains, vendre aux pauvres gens tout comme
ils voulaient, mais qu’il en eût aucun émolument ou profit, il ne lui challait comment ils le
vendissent ; et tant les laissa faire à leur guise, que la première semaine de juillet [1 439], qui
voulait avoir un setier de bon blé, il coûtait 9 francs très bonne monnaie ».
39. Steven L. Kaplan, Le complot de famine : histoire d’une rumeur au XVIII e siècle, Paris,
Armand Colin (Cahiers des Annales), 1982. Lors des disettes, le gouvernement achète des stocks
pour constituer une réserve publique, ce qui est très mal vu de la population, notamment
parisienne. Lorsqu’il organise le transport de céréales de régions excédentaires (y compris étran-
gères) vers des régions déficitaires, dans des conditions souvent difficiles qui amoindrissent la
qualité des blés, citadins et ruraux dénoncent l’apparence des céréales qui leur sont vendues.
Autant de phénomènes qui justifient à leurs yeux l’accusation d’empoisonnement.
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fournis par Claire Billen et David Kusman pour le Brabant du duc
Jean II (1294-1 312) illustrent un tel schéma, très proche du grand
« remuement » à l’œuvre au même moment chez le voisin flamand. La
chronologie de ces révoltes, cependant, bien que toute exhaustivité soit
impossible, épouse les courbes générales de l’économie de la fin du
Moyen Âge, l’Europe méditerranéenne paraissant plus tardivement
touchée que les régions septentrionales. Cette constatation renvoie à un
contexte plus général, qu’il faut maintenant examiner.
Les deux derniers siècles du Moyen Âge, caractérisés par une recrudes-
cence des disettes et des famines et par une chute de la démographie à
partir de 1 348 et de la Peste noire, mettent un terme à la croissance de la
période seigneuriale. Cette tonalité sombre et très évocatrice ne va
pourtant pas de soi, puisqu’elle a donné lieu dans la seconde moitié du
XXe siècle à un débat virulent entre les tenants de Michael Postan et de sa
théorie néo-malthusienne, et les historiens d’inspiration marxiste
emmenés tout d’abord par l’Anglais Robert Brenner. Si les deux camps
se sont opposés durement, leurs représentants s’accordent pour dater le
renversement de conjoncture des décennies encadrant 1 300, qui serait la
crise à proprement parler, au sens « cyclique » du terme, la période induite
étant une phase de récession. Pour Postan, la surcharge démographique
consécutive à l’essor féodal, conjuguée à la fin des défrichements, conduit
au blocage d’une économie qui ne parvient plus à nourrir tout le monde.
Pour les marxistes, ainsi Guy Bois en France, c’est le système seigneurial
40. Et qui renouvellent une historiographie longtemps inspirée par l’ouvrage de Michel Mollat
et Philippe Wolff, Ongles bleus, Jacques et Ciompi. Les révolution populaires en Europe aux XIV e et
XV e siècles, Paris, Calmann-Lévy, 1970. On pense ici à Samuel H. Cohn Jr., Lust for Liberty. The
Politics of Social Revolt in Medieval Europe, 1200-1425, Cambridge (Mass.), Harvard University
Press, 2006 ; ainsi qu’à Monique Bourin, Giovanni Cherubini et Giuliano Pinto (sous la direction
de), Rivolte urbane i rivolte contadine nell’Europa del Trecento. Un confronto, Firenze, Firenze
University Press, 2009. Si l’on en croit Samuel Cohn, ce sont 90 % des révoltes qu’il a répertoriées
qui prennent naissance en ville (Lust for Liberty..., op. cit, chap. 3 « Economic revolts », p. 53-75).
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famines ni par les épidémies.
La primauté du politique
41 . Georges Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, Paris,
Aubier, 1962. Pour la problématique (aujourd’hui affinée) des redevances seigneuriales et de leur
évolution, on consultera Laurent Feller (sous la direction de), Calculs et rationalités dans la
seigneurie médiévale : les conversions de redevances entre XI e et XV e siècles, Paris, Publications de
la Sorbonne, 2009. La crise de 1 300 a donné lieu à un important programme de recherches,
coordonné par les laboratoires de Paris et de Lyon, avec pour but d’examiner en terres méditer-
ranéennes la validité d’un débat initialement suscité pour l’Europe du Nord. Les actes des collo-
ques n’ont pas encore été publiés, mais on en trouvera les attendus et les premiers résultats grâce
à Monique Bourin, « Un projet d’enquête : « la crise de 1 300 » dans les pays de la Méditerranée
occidentale », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série no 2, 2008 ; et grâce à
Monique Bourin, Sandro Carocci, François Menant et Lluis To Figueras, « Les campagnes de la
Méditerranée occidentale autour de 1 300 : tensions destructrices, tensions novatrices », Annales
HSS, 2011 /3, p. 663-704. La comparaison entre Europe du Nord et du Sud avait déjà été abordée
dans le volume collectif Europa en los umbrales de la crisis (1250-1350). XXI Semana de Estudios
Medievales, Pamplona, Gobierno de Navarra, 1995.
42. On ne dispose pas de synthèse récente sur cette question pour le Moyen Âge. Michel Hébert,
professeur à l’université du Québec à Montréal, est en train d’y remédier. Pour la France moderne,
tout au moins faut-il citer Marie-Laure Legay, Les États provinciaux dans la construction de l’État
moderne aux XVII e et XVIII e siècles, Genève, Droz, 2001 .
Villes européennes et crises financières / 21
sein des institutions urbaines. Claire Billen et David Kusman éclairent les
chemins divergents empruntés par les deux principautés : les émeutes
brabançonnes sont un échec car le duc prend le parti des oligarchies
marchandes. Il est vrai qu’en Flandre, le jeu plus complexe comprend
non plus trois, mais quatre acteurs, le dernier étant Philippe le Bel. Plus
largement, si l’on tient également compte du travail d’Agatha Ortega, la
politique du monarque et, le cas échéant, sa remise en cause, constituent
une cause fondamentale des troubles financiers qui touchent les villes : en
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Castille, la crise de succession d’Isabelle la Catholique explique la désor-
ganisation profonde des finances royales et la défiance des villes. Reste à
évaluer l’articulation de ce que nous appelons, dans notre vocabulaire
contemporain, le politique et l’économique.
De ce point de vue, et bien que l’immobilier ne soit sans doute qu’un
indice parmi d’autres, l’article de Boris Bove est peut-être le plus porteur,
en ceci qu’il illustre concrètement le schéma interprétatif que l’auteur a
récemment livré au sujet des deux derniers siècles de la période médiévale,
renvoyant dos à dos néo-malthusiens et marxistes 43. Si Paris connaı̂t une
crise immobilière dans les années 1 420, mais pas dans les décennies 1 350-
1 360, pourtant elles aussi caractérisées par la guerre et un effondrement
de la démographie, c’est en raison du départ de la Cour et du Conseil, qui
lors de la période précédente étaient restés dans une capitale au dépeu-
plement du reste tout relatif, comme tendrait à le montrer la vaste
enceinte ordonnée par Étienne Marcel 44. Le raisonnement qui consiste
en fin de compte à attribuer aux pouvoirs politiques le rôle moteur, tant
en amont (cas espagnol) qu’en aval (cas parisien) des crises financières,
paraı̂t bien pouvoir être élargi à l’ensemble de l’Europe occidentale et aux
marges de celle-ci, soit à un territoire où – sauf exceptions – les structures
de type monarchique s’imposent aux villes 45.
43. Boris Bove, Le temps de la guerre de Cent Ans, Paris, Belin, 2009, p. 507-539.
44. On peut éventuellement s’appuyer sur le cas parisien pour revenir de l’étonnement qui
s’empare du lecteur des ordonnances de « réparation » des feux urbains en Languedoc dans la
seconde moitié du XIVe siècle : ces textes envisagent très sérieusement l’hypothèse d’une éventuelle
croissance démographique, hypothèse qui impliquerait elle aussi une réévaluation des bases
fiscales. Naturellement, un tel cas de figure n’est jamais attesté pour cette période. Les registres
du Trésor des Chartes fourmillent de tels documents publiés, sauf exceptions, dans les Ordon-
nances des roys de France (Paris, 1 723-).
45. Il faut signaler ici, bien qu’elle s’inscrive dans une perspective « ruraliste », l’hypothèse posée
avec prudence il y a une quinzaine d’années par Jean-Philippe Genet à propos du cas anglais.
L’auteur part au contraire de la crise du système féodal et des difficultés que rencontre la noblesse
à maintenir ses patrimoines. Ces difficultés auraient favorisé le passage à la « féodalité bâtarde »,
système où l’élément moteur n’est plus la terre, mais l’argent grâce auquel se nouent les clientèles,
ce qui aurait favorisé la concentration des terres aux mains de l’aristocratie et la transformation
du fief en propriété pure et simple. Pour fonctionner, ce système nécessite que le souverain joue
un rôle d’arbitre de la circulation des biens, et par suite la reconnaissance de sa position éminente.
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occidentales de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne, du fait de
leur position nodale dans les échanges, sont au centre de toute étude
financière de l’Ancien Régime : le marchand, le banquier... sont autant de
figures qui émergent dans des villes elles-mêmes nées de la longue matu-
ration seigneuriale. Plus tôt et plus efficacement que n’importe quel gou-
vernement monarchique, les villes européennes disposent d’autorités
municipales pourvues d’une administration et d’offices financiers, ainsi
que de places commerciales où les marchands peuvent déployer des tech-
niques financières nouvelles. Des études présentées ici, on retiendra in fine
l’importance des échelons supérieurs, princier ou royal. Les articles
mettent ici en exergue plus ou moins consciemment la force du phéno-
mène étatique, ce qui, dans une revue d’histoire urbaine, peut sembler
déplacé. En effet, le pouvoir souverain ne saurait épuiser la question, et
l’on doit garder deux choses à l’esprit : la première est la pénurie d’histo-
riens économistes pour les périodes pré-capitalistes ; la seconde est ce
vieux réflexe évoqué il y a quelques années par Alain Guéry, qui soulignait
que la disparition ou du moins le déclin d’une réalité était souvent une
bonne raison de l’étudier 47.
Enfin, le roi peut récupérer ce qu’il perd en revenus d’origine féodale par l’impôt extraordinaire,
que l’aristocratie paie en Angleterre. Ce schéma, qui est une variation du modèle marxiste,
demande, de l’aveu même de l’auteur, une vérification pour d’autres régions. Si l’on s’en tient
au cas de la France, on ne peut que lui donner raison : les études féodales portent essentiellement
sur la période classique, pour laquelle les débats ont été, il y a quelques années, très virulents.
Jean-Philippe Genet, « Le développement des monarchies d’Occident est-il une conséquence de la
crise ? », dans Europa en los umbrales..., op. cit., p. 247-273.
46. En histoire ancienne, le concept de romanisation est un autre exemple de chausse-trappe.
Reconceptualiser ou redéfinir une notion ne doit pas empêcher de garder la dénomination. Patrick
Le Roux, « La romanisation en question », Annales HSS, 2004/2, p. 287-311 .
47. Alain Guéry, « L’historien, la crise et l’État », Annales HSS, 1997/2, p. 233-256.