Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
Entre séduction
et inspiration :
l'homme
\0;
I" \
~
~~
QUADRIGE/PUF
1. L'inconscient dont il est ici question est celui qui
fut découvert par Freud, dans Ia cure et en dehors
d'elle, celui qui fait toujours - du moins nous le postu-
lons -l'objet de I'expérience de Ia psychanalyse.
Ce que j'ai tenté d'apporter en 1959 et d'élaborer par
Ia suite1, c'est une conception bien particuliere de
l'inconscient, concemant son mode d'être et sa genese.
Comme toute théorie, celle-ci est à distance des faits,
mais entend rendre compte de leurs liaisons récipro-
ques : au premier chef de ce qu' on appelle Ia clinique
psychanalytique, entendant par là ce qui se dévoile et se
déroule dans Ia situation psychanalytique. Pour dire les
que {,les processus psychiques à I'a:uvre dans le ça... s'influencent Ainsi, dans le petit article de Freud (cf. plus haut p. 72) le mot bis est
mutuellement selon de tout autres lois que celles qui regnent dans le un parfait homonyme en ce sens, puisqu'il appartient à Ia fois au latin
moi (Paris, Gallimard, 1986, p. 191 ; GW'; XVI, p. 203). Car c'est là
>} (bis = deux fois) et à I'allemand (bis = jusqu'à ce que), et qu'on ne saurait
tout autre chose que de dire, comme précédemment, qu'ils {(existent les évidemment dire qu'il y a là une superposition de deux sens d'un même
uns à côté des autres sans s'influencer)} (GW'; X, p. 285). mot telle qu'elle se propose à une herméneutique.
représentation inconsciente de Ia mort!'2. Sans vouloir conçue que comme un organisateur, imposant, dans Ies
approfondir ici cette question fort complexe63, je tiens à niveaux « supérieurs » sa Iogique binaire ; avec comme
remarquer que Freud aurait dü étendre cette inférence à bénéfice Ie plus tangible, Ia liaison de I'angoisse causée
I'idée de castration, à Iaquelle, aussi, nous ne pouvons par I'attaque puIsionnelle, en peur d'un danger cernable
donner, en bonne doctrine freudienne, « qu'un contenu et maitrisable.
négatih.
Mais, d'une façon encore plus générale, Ia notion de 3. L'inconscient et le processus primaire
« complexe inconscient », qu'iI soit « d'ffidipe » ou « de Une nouvelle considération doit cependant nous
castration », est singulierement à réexaminer, dans Ia amener à nuancer Ies demieres affirmations: nous
mesure ou un complexe correspond à une structure admettons souvent, à Ia suite de Freud, que dans
avec des complémentarités, des coordinations, des réci- I'inconscient regne Ie processus primaire, caractérisé par
procités, des exclusions. Si Ie complexe d'ffidipe est une Ia mobilité des investissements et Ies mécanismes de
forme majeure des structures de Ia parenté, fondatrice déplacement et de condensation. Or une telle mobilité,
des échanges de personnes, de biens et d'idées, on voit impliquant des échanges incessants entre Ies signifiants
mal comment ce « liant })de I'âme contemporaine trou- inconscients, semble bien mal se concilier avec Ia
verait sa place dans I'empire du « délié ». La présence conception de représentations-choses, fixées, séparées
dans I'inconscient de motions élémentaires visant Ies Ies unes des autres par Ie processus du refoulement.
parents, mais incoordonnées, n'est pas à récuser de ce Notons d'abord que c'est à propos du rêve et, plus
fait. II n' en va pas de même pour Ia castration, idée généralement, de Ia formation des symptômes, que Ie
entierement soutenue par Ia négation au sein de processus primaire est découvert. Plus exactement, il est
I'opposition phallique-castré64, et qui ne peut être postulé comme caractérisant Ie travail inconscient qui
aboutit au rêve, au trait d'esprit, au symptôme, etc. Ce
62. « Ce que nous appelons "inconscient" ne connait absolument rien
de négatif, aucune négation - en lui des opposés cOlncident - et de ce Jait
travail porte d'ailleurs Ie plus souvent sur des « restes »
ne connait pas non plus Ia mort propre, à laquelle nous ne pouvons don- qui ne sont pas inconscients, mais préconscients.
ner qu'un contenu négatif '), Actuelles sur Ia guerre et Ia mort, in OCF-P, En faveur de Ia fixité de I'inconscient, on trouve en
XVI, p. 151 (mots soulignés par moi).
63. revanche, dans I'expérience clinique, des manifesta-
- Y a-t-il, en général, des idées dans I'inconscient ? tions frappantes, dont témoignent certaines formula-
- Quel est le rapport de cette these freudienne avec celles concernant tions de Freud: au premier plan desquelles Ia
Ia représentation de Ia mort chez J'enfant et chez le primitif, une fois
récusée I'idée que l'inconscient est ce qu'il y a de plus « primitif ')en nous ? « contrainte de répétition I), qui dans Au-delà du principe
- Si Ia mort m'est annoncée par Ia mort de J'autre quels sont le méta- de plaisir, est décrite comme Ie modele du retour du
bolisme et le refoulement qui traitent ce message ?
même, pratiquement à I'identique. Dans Inhibition,
64. Cf. Vocabulaire de Ia psychanalyse, Paris, PUF, 1967, articles « com-
plexe de castration '>, et « déni ') ; Problématiques II : Castration-Symbolisa- symptôme et angoisse, cette contrainte est désignée
tions, passim ; Nouveaux Fondemems pour Ia psychanalyse, op. cit., p. 40-41. comme « résistance de I'inconscient » et définie comme
« l'attraction des prototypes inconscients sur le proces- I1 est évident que cette disposition stratifiée des
sus pulsionnel refoulé })65. contenus et des processus inconscients amene à nuancer
La solution est, en fait, à portée de Ia main, si l'on Ia fin du sous-chapitre précédent : c'est de l'inconscient
garde à l'esprit Ia distinction entre refoulement origi- « originaire}) qu'il convient d' exc1ure Ia présence de
naire et refoulement secondaire : le second étant préci- complexes. Mais, même si on retrouve ceux-ci au
sément caractérisé par l'existence d'une attraction de Ia niveau de l'inconscient secondaire, ils y prennent néan-
part du refoulé originaire. I1y aurait donc lieu de distin- moins des formes bien spéciales, ou ne regue pas encore
guer schématiquement, deux niveaux dans l'inconscient Ia contradiction: Ia blessure castrative y est présente
systématique : celui du refoulé originaire, constitué de comme perforation, « boutonniere »67 voire tranche-
prototypes inconscients, caractérisés par leur fixité et ment, mais non pas comme retranchement. On peut
l'effet d'attraction qu'ils exercent, non pas les uns sur trancher un corps en mille morceaux, on peut trancher
les autres mais sur les représentations qui passent à leur incompletement. Mais retrancher le morceau « phallus })
portée ; et ceIui du refoulé secondaire, auquelle proces- est une négation en acte, aboutissant au « castré }).
sus primaire s'applique. Sans compter, bien évidem- Comme tel, le retranchement castratif n'appartient pas
ment, l'attraction momentanée de restes préconscients, à I'inconscient68•
soumis à leur tour à déplacement, condensation et sur-
détermination au cours de Ia formation du symptôme. 4. L'inconscient et l'affect
Si l'on considere que, malgré son étrangeté pour Ia Je ne reviendrais pas (sommairement) sur cette ques-
pensée logique, le processus primaire constitue néan- tion, si elle ne se prêtait à un éventuel proces
moins une sorte de liaison, et si l'on se rappelle que Ia d'intention : nier Ia présence d'affects dans l'inconscient
pulsion sexuelle de mort est príncipe de déliaison, tan- serait prôner une psychana1yse intellectualiste, ne fai-
dis que Ia pulsion sexuelle de vie (ou Éros) fonctionne sant pas place à Ia relation affective, à l'expression des
selon le principe de Ia liaison, on admettra que le niveau sentiments, etc. Se retrouvent sur le banc des accusés à
le plus profond, le refoulé originaire, est le lieu privilégié ce proces le texte de Freud de 1915, Ia théorie laca-
de Ia premiere ( « une culture pure d'altérité » ), tandis nienne, et, bien évidemment aussi, Ia conception de
que dans le refoulé secondaire, lieudu processus pri- l'auteur de ces ligues, depuis 1959 jusqu'à ce jour. En
maire, les deux types de pulsions commencent à entrer quelques mots donc :
en lutte et en composition66• 1. Ma théorie du refoulement, qui est branchée en
dérivation sur celle de Freud 1915, réinterprétée à tra-
65. GU7,XN, p. 192, OCF-P, XVII, p. 274.
66. Dn conflit qui se poursuit dans les niveaux supérieurs, entre le 67. ef. mon commentaire des peintures préhistoriques décrites par
moi, le surmoi et le ça : « le combat qui avait fait rage dans les strates plus Leroi-Gourhan, Prob. lI, p. 268-269.
profondes ... se poursuit dés lors, comme sur le tableau de Ia bataille des 68. « On ne rencontre dans l'analyse aucun "non" venant de
Huns par Kaubach, dans une région supérieure », OCF-P., XVI, p. 282. l'inconscient )},OFC-P, XVII, p. 171.
vers Ia notion de traduction, implique que, « dans alternance avec Ia personnalité consciente mais aussi
l'inconscient) il y a des représentations-choses. Done complete qu' elle, avec ses affects, ses représentations,
pas d'affect ... mais pas non plus de « représentations une conscience moral e bien spécifique, parfois une
de » !
langue différente, etc.
Concevoir les contenus de l'inconscient comme des Mais si Freud s'appuie un moment, de façon dialec-
« ehoses» psychiques, des « corps étrangers internes) .
tique, sur I'argument d'une « secon de conSClenCe» 69'1
, 1
implique un effort de I'esprit. La seule question est de en montre tres vite les limites. L'inconscient n' est donc
savoir si cet effort est rentable ! en rien un autre « moi-même ) en moi, éventuellement
2. Les messages qui font l'objet des premieres tra- plus authentique que moi, un M. Hyde alternant avec
ductions ne sont pas essentiellement verbaux, ni « intel- Dr Jekyll, I'un avec sa haine, I'autre avec son amour ... Il
lectuels ) ! Ils inc1uent en grande partie des signifiants est I'autre-chose (das Andere) en moi, résidu refoulé de
d'affect, qui pourront être traduits ou refoulés : un sou- I'autre-personne (der Andere). Il m'affecte, tout comme
rire (chez Léonard), un geste de colere, une mimique I'autre-personne m'a affecté jadis.
de dégout, etc. Ces signifiants, s'ils sont refoulés,
seront désignifiés, de même que le sont des signifiants
plus « intellectuels ). « L'exclusion ) de l'affect n'est ici
qu'une conséquence générale de I'exclusion du signifié.
3. Le lieu de I'affect est primairement le corps, secon-
dairement, le moi. L'affect est l'éprouvé de Ia façon
dont le corps et le moi sont affectés. C' est dire que 1. L'inconscient ptolémai'que
I'inconscient, ou ça, affecte le moi, et ceci selon des J'ai tenté de montrer dans La révolution copernicienne
modalités diverses, depuis l'angoisse jusqu'aux affects inachevée7°, le mouvement par lequel, à partir d'un
les plus élaborés, en passant par Ia honte, Ia culpabi- copernicisme initial (une gravitation du petit humain
lité, etc. Exclure l'affect de l'inconscient, le situer autre- autour de I'adulte sexuel), I'homme se refermait sur lui-
ment dans Ia topique, ne signifie donc en rien l'exclure même, en un systeme ptolémaique. Ce refermement est
de l'analyse ! corrélatif du mouvement permanent de traduction, mais
4. La revendication de retrouver dans I'inconscient celui-ci comporte deux faces : Ia traduction proprement
des affects refoulés me parait ressortir à Ia vieille théorie dite, aboutissant à I'idéologie dominante du moi, et le
de Ia double personnalité, voire des personnalités multi- refoulement qui rejette à I'intérieur les représentations-
pIes, sur laquelle Freud s'appuie un moment, au sortir
des premieres cures para-hypnotiques (Anna O.). Selon
cette théorie - qui se fie un peu trop aux apparences - il 69. (,L'inconscient », OCF-P, XIII, p. 209-210.
70. « Ponctuation O), in La révolution copernicienne inachevée, op. cit.,
y aurait une (ou plusieurs) personnalité inconsciente, en p. III-XXXV.
choses inconscientes. Celles-ci sont beI et bien incluses minant. Je ne pense pas que Ie rêve devienne adresse du
dans Ie moi, contenues par Iui par un continueI contre- seul fait d'être raconté : c'est Ie fait que Ie rêve à venir
investissement ; en tant que telles, elles participent bien soit « à raconter » qui peut Ie faire pivoter en adresse.
du ptoIémé'isme. Mais, en même temps, elles consti- Cette « version » vers I'autre me parait être d'une nature
tuent un noyau irréductibIe et comme une quintessence toute différente que Ies « transferts » qui sont monnaie
d'aItérité : de ce fait une promesse de réouverture. courante dans tous Ies rêves, et qui ne sont que des
Les manifestations quotidiennes de l'inconscient, Ies modaIités de dépIacement et de condensation, I'image
« formations de l'inconscient », n'échappent pas à Ia fer- de telle personne venant à Ia pIace de celle de telle autre
meture: elles se font jour dans l'espace narcissique du ou se superposant à elle. Ces transferts-Ià sont des
moi, et aussi, de par Ia mécanique quasi machinique du modaIités du « transfert en pIein » :
processus primaire, elles ne sauraient être considérées « ••• La représentation inconsciente est tout à fait inca-
comme des messages. Le rêve est rêvé Ie pIus souvent pabIe, en tant que telle, de pénétrer dans Ie préconscient
sans être raconté, sans intention communicative: Ie et elle ne peut y exercer un effet qu' en se mettant en
modele du baquet, ainsi que je I'ai nommé, schématise connexion avec une représentation anodine qui appar-
bien son désafférentement de départ71, son « narcis- tient déjà au préconscient, en transférant son intensité
sisme ». On Ie montrerait aussi bien pour Ie symptôme, sur elle et en se faisant couvrir par elle. C'est Ià Ie fait du
qui n'est pas d'embIée reIationneI, allocutoire, si ce transfert qui fournit I'expIication de tant de phénomenes
n' est dans l'utilisation de ses bénéfices secondaires. Il y frappants de Ia vie mentaIe des névrosés. »7475
a des actes manqués, des lapsus calami sans témoin et L'oniromancien, Ie devin, Ia pythie sont des per-
sans « adresse » même virtuelle. sonnages indispensabIes dans toute culture ; on va Ies
trouver parce qu'iIs sont supposés-en-savoir pIus sur ces
2. Les ouvertures dans Ia vie phénomenes étranges, renouveIant ainsi de façon indé-
Il existe pourtant une contrainte à raconter certains niabIe Ia reIation à I'adulte « qui en sait pIus ». PIus
rêves. Peut-on considérer celle-ci comme purement généraIement encore, j'ai postuIé comme une des
interne, comme maintien au creur du phénomene Ie
pIus « fermé », « privé », d'une ouverture allocutoire72? 74. L'Interprétation des rêves, Paris, PUF, 1967, p. 461.
Sans me prononcer catégoriquement, j'aurais tendance 75. Les « Joumées de BonnevaI », rappelle l'Argument de ce numéro
à donner à Ia « provocation » par l'autre73, Ie rôIe déter- de Ia NRP, ont « curieusement négligé » le transfert. Tout aussi curieuse-
ment I'article de Freud en 1915, et Ia plupart de ses développements sur
I'inconscient ou sur le ça : « Bonneval » était en bonne compagnie I Peut-
71. Je reprends ici le mouvement de Problématiques V (op. cit.), p. 57- être fallait-il commencer à articuler l'altérité de I'Ínconscient sur I'altérité
59 qui va de Ia fermeture à I'ouverture. de I'autre de l'enfance, pour tenter d'aborder un rapport de I'inconscienl
72. Ibid., p. 79. à I'autre dans le transfert qui ne soit pas cette pure réduplication d'un
73. Cf. Du transfert: sa provocation par l'anaIyste, in La révolution même « cliché » qui est le transfert en plein (cf. Freud: « La dynamique
copernicienne inachevée, op. cit., p. 417-418. du transfert », GU7, VIII, p. 364).
dimensions majeures du domaine cultureI cette provo- rité,l'interprétation (au sens étroit) étant plutôt du côté
cation par l'énigme de I'autre. Le message culturel, Ia de l'anaIyste, Ia construction du côté de I'anaIysant1s.
« création i), se situe au-delà d'une visée purement prag- Je ne puis que reformuIer Ies choses : c'est au creux
matique (opérer teI effet sur teI destinataire, en utilisant de I'énigme proposée par I'anaIyste que l'anaIysant
telS moyens). Il est, en son fond, provoqué par Ie vient Ioger et, rééIaborer Ie creux de ses propres énig-
« public innominé i), « épars dans Ie futur i), qui recueil- mes originaires. Ceci se fait au moyen d'un démontage
lera ou non cette bouteille à Ia mer. de ses propres constructions (redipiennes notamment),
Ainsi Ie « cultureI » me parait être un des précurseurs d'un pistage des signifiants en direction du refouIé, de
de Ia situation analytique, nommément par Ie « transfert nouvelles constructions-traductions enfin, nécessaire-
en creux » qu'iI institue. ment originées dans I'anaIysant, et ou celui-ci essaye de
« faire passer» queIque chose du refouIé. « Nécessaire-
3. L' ouverture de Ia cure ment originées dans l'anaIysant i), car il faut affirmer
Le « baquet de Ia cure I), j'ai essayé de Ie montrer, est ceci avec force: si I'être humain est sans cesse tradui-
tout différent du baquet du rêve : ceci pour Ia raison sant - traduisant des messages de I'autre puis auto-
toute simple qu'i! inclut I'autre, I'autre-personne, dans traduisant - iI est à Iui-même son propre herméneute.
son enceinte. Ce n' est donc pas par paradoxe qu' on peut Mais I'herméneutique, Ia traduction a pour revers Ie
affirmer qu'iI constitue un lieu d'ouverture inoul, à pro- refouIement, et ne saurait y échapper. L'anaIyste,
prement parler inédit, dans l'existence humaine. Rappe- chaque fois qu'iI prétend traduire ou aider à traduire,
Ions-nous encore que, si Ie ça est bien issu des communi- aide à refouler. Ce n'est pas à Iui d'être I'herméneute,
cations premieres, ce qu'il a en propre, c'est de ne pas rut-ce par Ie moyen des idéoIogies psychanaIytiques qui
parler. Ce qui peut ramener Ie ça au Iangage, et pIus géné- trainent à portée de sa main. Ce qu'on appelle par
raIement à I'expression, ne peut être que Ie résuItat de ce exempIe « Iecture psychanaIytique I), et dont Ia banaIité
processus compIexe qui est ceIui de Ia cure. Y concou- nous rebat Ies oreilles, est directement un moyen de
rent à des titres divers, Ie maintien de I'enceinte refouIement19• L'herrnéneute, bien avant Ia psychanaIyse
du baquet, I'attitude intérieure de I'analyste, faite et sans doute apres elle, c'est l'être humain. Le vif de
d'écoute, de refusement et de respect pour I'énigme de l'anaIyse ne s'inscrit pas dans ce courant universeI,
son propre inconscient, Ia méthode des libres associa- mais à contre-courant: en ce sens, et tout en recon-
tions76 et Ia Iiberté du dire17 enfin l'interprétation et Ia
construction, dont j'ai tenté de montrer Ia compIémenta- 78. L'interprétation entre déterminisme et herméneutique, in La
révolution copemicienne inachevée, op. cito
79. Lecture en puision de mort ou en position dépressive, lecture en
76. Problématiques v:; passim. cedipe ou en castration, lecture selon Ia Loi... lectures, lectures... La
77. Ou peut-on dire, ou a-t-on pu dire, à aucun moment de I'histoire théorie de Ia séduction n'est pas une « langue ')de lecture, mais une tenta-
de I'homme, ce qu'on dit en analyse ? tive pour comprendre Ia pratique analytique.
naissant sa place à I'herméneute, Ia psychanalyse est Schafer, plus éIaborée, par un penseur qui est un
tres exactement une anti-herméneutique. connaisseur de l' egopsychology et un praticien chevronné,
Quelle part du ça se réintegre-t-elle à une paroIe ? se développe exactement selon Ies mêmes Iignes : « ce
Quelle part - « prototypes inconscients » - reste-t-elle n'est pas I'instance [Ie Moi] mais Ia personne qui perçoit,
ancrée et peut être immuable ? Enfin et surtout, quelle juge et pense » ; I'inconscient est une « auto-tromperie »
part du transfert en creux peut-elle être transférée, à Ia du sujet, qui trouve une complicité dans Ia théorie psy-
fio ou à l'interruption de I'anaIyste, échappant à une chanaIytique de « I'esprit-lieu », etc.
refermeture ptolémaique qui n'est que trop naturelle? Je nomme ces tentatives « phénoménologiques », au
Ces questions som sans réponse générale, permettant sens Iarge ; même si elles s'inspirent aussi d'autres phi-
tout au plus d'envisager une typoIogie des processus et Iosophies, elles postulent que I'intentionnalité d'un sujet
des fms d'analyse ... doit pouvoir être retrouvée au sein de tous Ies actes psy-
chiques et en rendre compte mtegra. 'I ement so . A pparem-
ment une telle phénoménoIogie se propose une tâche
moins insurmontabIe que celle qui veut rendre compte,
par une constitution plus ou moins transcendantaIe, du
monde d'apprésentation de tous Ies cogitata.
Les courants Ies plus actifs de Ia psychanalyse Notons d'abord que, chez Politzer et encore pIus chez
contemporaine semblent pris entre deux tentations, que Schafer, cette tentative de désaliénation du sujet ou de Ia
je désignerai par commodité comme phénoménologique personne passe avant tout par Ia théorie ou par Ie « Ian-
et métaphysique. gage ». Proposer un « nouveau Iangage pour Ia psychana-
1. Le courant phénoménologique: j' en ai discuté Iyse »SI (d'abord dans Ies livres - mais aussi dans Ia cure)
des 1959 en étudiant Ia tentative de Politzer. Un des serait Ie pas essentiel à faire pour que Ie sujet reprenne Ia
représentants Ies plus notables de cette tendance (même maitrise et Ia responsabilité de ses actes psychiques. Or, à
si son succes n'est pas à Ia mesure de Ia qualité de ses supposer même qu'on puisse tabIer sur un teI systeme
efforts) est Roy Schafer aux États-Unis. Pour Ie dire d'un d' « auto-théorisationS2 » programmée, il ne pourrait être
mot, iI s'agit dans tous Ies cas de restituer à I'être humain efficace que s'il rendait compte du fait que Ie Iangage
sa qualité de sujet « en premiere personne », auteur de
ses actes, et de ses intentions signifiantes. Toutes Ies des-
80. On trouvera un excellent exposé critique de Ia pensée de Roy
criptions en termes de métapsychologie, d'appareil, de Schafer par Agnés Oppenheimer, Le meilleur des mondes possibles. A
systeme, etc., seraient des descriptions aliénantes, ou Ia propos du projet de R. Schafer, in Psychanalyse à I'Université, 1984, 9, 35,
théorie psychanalytique se ferait Ie complice d'une pente p. 467-490. Cf. aussi Problématiques V, op. cit., p. 226-229. ',.
81. R. Schafer, Un nouveau langage pour Ia psychanalyse, ParIs, 1V1o,
trop naturelle vers « I'abstraction » et Ie « réalisme ». Ces 1990.
derniers termes som ceux de Politzer, mais Ia critique de 82. Selon le terme que j'emploie.
« en troisieme personne »a malgré tout un tel succes. En 2. Parlant de courant métaphysique, je me référerai à
d'autres termes Ia résistance et Ia défense, avant d'être Freud et à Auguste Comte, et d'abord pour balayer
celles de Ia théorie, sont celles de l' être humain lui- I'allégation qu'on doive être métaphysicien, faute de
même, et une pensée de Ia désaliénation devrait englober quoi on n'est pas philosophe. Comme s'il n'existait une
une pensée de l'aliénation83• philosophie critique, une philosophie positive, une phi-
En second lieu, toute I'expérience freudienne se losophie freudienne, et quelques autres.
constitue comme découverte d'un autre-chose en nous, Oublié, peu lu de nos jours, Auguste Comte énonce
agissant non pas selon le sens, mais selon des modalités une « loi des trois états» par lesquels passerait I'évo-
qui sont causales. La critique de ce « réalisme de lution de I'esprit humain (collectif, mais aussi indivi-
I'inconscient» continue à se casser les dents sur cette duel) : état théologique ou les phénomenes sont conçus
même expérience, qui a notamment pour nom « con- comme « produits par I'action directe et continue
trainte de répétition », et à tenter de rivaliser avec des d'agents sumaturels » ; état métaphysique ou « les agents
descriptions « mécanistes » du travail du rêve qui restent sumaturels sont remplacés par des forces abstraites,
à ce jour inégalées. véritables entités (abstractions personnifiées) conçues
Enfm - et ceci est mon apport personnel - en se refu- comme capables d'engendrer par elles-mêmes tous les
sant à reconnaitre en nous être un corps étranger dur phénomenes observés, dont I'explication consiste alors à
comme fer, Ia pensée « désaliénante » se prive de Ia voie assigner pour chacun I'entité correspondante»; état
qui mene de I'autre-chose en nous à l'autre-personne qui positij enfin, avec Ia notion de loi comme relation cons-
en est I'origine. Elle manque par là à découvrir que tante entre les phénomenes.
I'aliénation interne est le résidu d'une excentration fon- Freud, pour sa part, se rallie à une séquence qui mal-
damentale dont le centre est l'autre adulte pour I'enfant, gré des termes un peu différents n'est pas tres éloignée :
et dont Ia force de gravitation est à désigner dans le mes- visions du monde animiste, religieuse, scientifique86•
sage énigmatique. Ainsi, à promouvoir un nouveau « lan- L' « animisme » selon Freud est tres proche de Ia « théo-
gage »84 manque-t-on à donner sa valeur à Ia catégorie du logie » de Comte, leur point commun étant I'interven-
message, du « signifiant à » et, finalement, de l'autre85• tion d'agents anthropomorphiques. Quant aux concepts
métaphysiques, lorsque Freud en parle, c' est de façon
83. Cf. Problématiques V, op. cit., p. 226-228, ou j'utilise les formula- plutôt moins précisequ' Auguste Comte, pour y englo-
tions polémiques : « La métapsychologie est morte ... mais elle ne le sait ber des notions religieuses, comme le péché originei,
pas)} (Politzer); «Ie sujet n'est pas aliéné ... mais il ne le sait pas')
(Schafer).
Dieu, etc. 87. Gardons donc Ia définition comtienne de Ia
84. Au sens tres (' Poincaré .) et tres « Condillac )}d'une « langue bien
faite ').
85. Une psychologie phénoménologique manque I'autre-chose. Une 86. Totem et tabou, GU7, IX, p. 96.
phénoménologie de Ia perception manque I'autre-personne. Cf. La révo- 87. C'est le fameux passage sur Ia (' transposition de Ia métaphysique
lutiorz copernicienne irzachevée, op. cit., p. IX et p. XXIII, n. 40. en métapsychologie I), Psychopathologie· de Ia vie quotidierzrze, GU7, IV,
métaphysique comme une création d'entités abstraites
Et pourtant, dans Ies textes freudiens invoqués, on
auxquelles est attribué un pouvoir réel, une définition
trouve bien Ie terme de Négation (ou Verneinung) et
qui n'est pas sans trouver encore un autre écho chez
I'adjectif negativ, mais non pas, à ma connaissance,
Freud Iorsqu'iI assimile une certaine pensée philoso-
I'entité métaphysique das Negative91• Or toute Ia di:ffé-
phique à Ia pensée schizophrénique, qui « se contente
rence est Ià : aIors qu'une qualification (comme celle
des mots à Ia pIace des choses »88.
de : négatif) se retrouve en di:fférentes occurrences, on
Créer des entités abstraites et Ieur attribuer une effi-
dira soIennellement que « Ie Négatih se manifeste en
cace propre: Ie procédé commence à avoir cours,
« différentes figures ~),et Ie tour sera joué. Ainsi, comme
notamment dans une sorte de néo-métapsychoIogie ou
Ie rappelle Auguste Comte, Ie « phIogistique» engen-
néo-métaphysique française. Le passage de I'adjectif au
drait Ies « di:fférentes figures » du feu ...
substantif s'y prête tout particuIierement. J'ai déjà indi-
On m'attend au tournant, je Ie sais; et, pour une fois,
qué Ia séquence Iacanienne :
nos métaphysiciens peuvent unir Ieurs voix à celles de
symbolisme ~ symbolique ~ Ie SymboIique Politzer et Schafer: « Qu'en est-il donc, aIors, de
mais Ies exempIes foisonnent : "I'inconscient" ? N'est-ce pas Ie type même de I'entité
mere ~ maternel ~ Ie MaterneI forgée à partir d'un adjectif? Freud n'a-t-il pas donné Ià
origine ~ originaire ~ I'Originaire89. I'exempIe du concept métaphysique par excellence ? Et
rien ne sert, par une hypocrisie de traducteurs, de
Tout récemment, on nous apprend qu'il convient de I'avoir privé d'une majuscuIe 1... ~)
« faire Ie point sur cette notion désormais centraIe de A nos métaphysiciens du Négatif, je demanderai
Négatih90. La majuscuIe est venue sceller une dériva- incidemment s'iIs ont déjà épuisé Ies joies de Ia méta-
tion tirée du pIus grand métaphysicien de tous Ies physique de I'Inconscient, tant ils éprouvent Ie besoin
temps, RegeI : de pIonger ... « au fond de I'Inconnu pour trouver du
négation ~ négatif ~ Ie Négatif. Nouveau ».
Mais surtout je plaiderai coupabIe ; non pour moi, ni
pour Freud, ni même pour « l'inconscient » ; mais pour
Ies « choses inconscientes », véritabIes « mots ~)(ou pIu-
p. 288. 1'ai donné des indications sur le « rapatriement» des notions
métaphysiques de chose en soi, de cause, d'archéologique, in La révo!u-
tôt signifiants) « pris pour des choses ~); pris pour des
tion copernicienne inachevée, op. cit., p. 301 et 392. choses dans Ie mécanisme de Ia traduction « refusée ».11
88. L'inconscient, OCF-P, XIII, p. 242. faut admettre pIeinement que « I'inconscient» n'est pas
89. l' ai employé ce mot, en précisant toutefois que je ne lui accordais
aucune valeur transcendante ni causatrice, mais comme une catégorie à
repérer dans J' expérience.
91. Alors que, par ailleurs, I'allemand langue métaphysique par excel-
90. Argument des (' Xlle Journées occitanes de psychanalyse »,
novembre 1993. lence, ne se prête que trop facilement à Ia substantification de I'adjectif ou
du verbe.
une entité métaphysique, mais une notion collective
englobant des « entités ) qui, elles, ont pris valeur « méta-
physique ) ou métapsychologique. Ces entités fonction-
nent selon le principe « métaphysique) de Ia cause,
soustraites qu'elles sont aux lois du senso
Pour terminer sur Auguste Comte : alors qu'il refuse,
dans Ia classification des sciences positives, une place à
part, entre physiologie et sociologie, pour Ia psycho-
logie, il est amusant de constater que « théologie) et
« métaphysique ) font un retour en force, précisément à
cette place, avec Ia psychanalyse : anthropomorphisme des
instances et métaphysique des entités intrapsychiques.
Mais c'est un retour qui s'opere dans l'être humain et
non pas dans Ia classification des sciences : de ce lieu-Ià,
anthropomorphisme et métaphysique ne sont pas pres
d'être délogés.