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L’éducation au défi du transculturel,

Georges Bertin1.

"La crise des significations imaginaires de la société moderne (significations

de progrès et/ou de révolution) manifeste une crise de sens qui permet aux

éléments conjoncturels de jouer le rôle qu'il faut".

Cornélius Castoriadis (1996).

Nous vivons- un moment de décision, critique comme le temps qui a vu notre

civilisation passer du volumen de parchemin au codex, du roman au gothique,

de l’écriture réservée aux clercs à celle vulgarisée grâce à la découverte de

l’imprimerie et du caractère mobile, ou encore de la naissance de la parole

portée au loin par les ondes radiophoniques, puis la TV, et maintenant

Internet, lequel tisse désormais les fils de notre vie2 ? La galaxie Internet et

la numérisphère ont ouvert la porte à une culture mondialisée (world culture),

entre mimétismes et diversité, faisant éclater les cadres de références et

d'appartenances quand la planète est désormais notre champ d’exercice

culturel commun.

Ainsi, nos systèmes d’éducation glissent souvent vers une médiation plus

technologique que véritablement « éducative 3». Ils polarisent antagonismes

et rapprochements entre sociétés et civilisations, entre culture de masse et

cultures du quotidien, entre lois du marché et injonctions centralisatrices – si

ce n’est bureaucratiques- sur fond de prétention à l’Universalité de la culture

occidentale. Et l’Etat se révèle de moins en moins puissant à préparer les

jeunes générations à la vie sociale en dépit des normes qu’il impose marquant

1
Ex directeur de recherches en sciences sociales CNAM PDL, socio-anthropologue, Angers.
2 Castells M., La Galaxie Internet, Fayard, 2001.
3
Au sens étymologique e-ducere : conduire hors de , c'est-à-dire ouvrir à l’hétérogène
1
ainsi, toujours plus, le signe de sa faiblesse et de son incompréhension de ce

qui est en jeu (cf. les poncifs du retour à la dictée, du « socle de

connaissances » naguère critiqué par Jacques Ardoino et Guy Berger etc..4)..

Nombre de particularités y émergent, quand les cultures singulières

s’altèrent et se modifient, quand s’accélèrent les échanges produits par la

société des réseaux, et l’Education est, bien sûr, au coeur de ces transitions.

Le consensus sur lequel reposait l’illusion d’une éducation par les normes et

modèles de la culture dominante semble aujourd’hui éclater sous nos yeux du

fait d’une triple mutation : celle des croyances et des significations

imaginaires sociales, l’accélération des échanges, due aux nouveaux moyens de

communication, et, au-delà, à un changement de paradigme quand les

significations imaginaires sociales ne sont plus partagées, quand « se

développe un impérialisme de la signification qui ne souffre pour ainsi dire pas

d’exception 5»..

Le retour à une position inductive, traditionnellement celle de l’éducation,

articulant les pôles complémentaires d’animus et d’anima, reposant sur la

circulation transculturelle des savoirs et des langages (le legein ou

représenter social ) face à une position plus instrumentalisée et dominatrice

(le teukhein ou faire social)-qui serait celle de l’instruction- doit être

interrogée, en tenant compte des systèmes d’interférence qui découlent des

régimes de l’imaginaire à l’œuvre, quand celle-ci s’impose au détriment de

celle-là.

Cette réflexion interroge le fait que « les systèmes éducatifs, les cultures,

ne sont pas des systèmes fermés et autochtones… ils sont à leur tour ouverts

et quelquefois éventrés par les aléas de l’histoire » (Gilbert Durand), quand

4
Ardoino Jacques, Berger Guy, Forme scolaire ou processus éducatif-opposition /et / ou
complémentarité ERES | «Nouvelle revue de psychosociologie » 2010/1 n° 9 | pages 121 à 129
5
Castoriadis Cornélius, Une société à la dérive, Paris, Le Seuil, 2005, p. 71.
2
s’effondrent, comme l’avait perçu McLuhan, les hiérarchies traditionnelles

héritées de la société industrielle à l’aube de l’ère numérique.

Le concept de transculturalité6 nous semble ici opératoire pour tenter un

éclairage de ce questionnement.

Education populaire et transculturalité

Une organisation initiatique et éducative opère, depuis quelques siècles, le

passage de la Tradition au social, il s’agit du Compagnonnage, avec la place

qu’il accorde au travail collectif et aux formes éducatives initiatiques, à des

mythes fondateurs. En voici les caractéristiques principales:

- la transmission de l’influence éducative -et donc spirituelle- ne peut s’y

dérouler qu’en présence d’un nombre minimal de membres (sept par exemple),

- le travail en groupe y tient une place prépondérante dès le départ (sans pour

autant exclure le travail personnel et purement intérieur qui reste

nécessaire).

– la fonction d’enseignement n'y est pas remplie par un individu unique mais

est assurée par une influence "non-incarnée", considérée comme un aspect du

principe transcendant à l'action duquel le travail collectif offre un support.

Les figures mythiques de Salomon, Soubise et Maître Jacques y font lien

entre Tradition et actualité des métiers.

L’Education populaire.

Ces idées se sont rencontrées aussi chez les pédagogues et acteurs de

l'Education Populaire.

Ainsi, l'Education nouvelle, courant pédagogique et culturel, qui défend le

principe d'une participation active des individus à leur propre formation, a mis

6
Bertin Georges, Pour une autre politique culturelle, L’Harrmatan, 2012 (avec Danielle Rauzy) et La
société transculturelle, Edilivres, 2014. Un imaginaire transculturel, éd du Cosmogone ,2018.
3
en place des instances de médiation développées autour de la structure

groupale.

Sans doute s'origine-t-elle dans une tradition tri fonctionnelle indo-

européenne assurant aux groupes sociaux leur équilibre par la

complémentarité des fonctions sociales (laboratores, equites, oratores), bien

discernables dans la plupart de nos mythes et épopées, comme l'a établi

Georges Dumézil7.

Elle s’inscrit au rebours d'une pédagogie individualiste et a priori provenant

d'institutions surplombantes (l'Eglise, l'Université) imposant leurs dogmes,

leur doxa et ramenant toute élévation humaine et spirituelle à la seule volonté

de l’individu drapé dans ses certitudes, dans l'adhésion au mythe du progrès

sur fond d’une logique binaire et ascensionnelle légitimant toutes les

impositions verticales.

On voit bien maintenant à quel point cette dernière position e inspire les

conduites technocratiques qui prétendent régir l’Education désormais réduite

dans les psys industrialisés à une instruction purement fonctionnelle,

instrumentale, désormais marchandisée.

L'Education Populaire, dans une posture à la fois compréhensive et

herméneutique, a pris en effet ses modèles dans une sorte de contre-culture

à la fois spiritualiste et tribale. Ainsi, à la fin du 19e siècle, les Universités

Populaires sont des « associations morales et intellectuelles d’égaux

volontaires », selon le mot de leur fondateur Gabriel Seailles. Elles

s’organisent sur le modèle du cercle d’études, bien loin de certaines

prétentions médiatiques actuelles, seulement destinées à valoriser, même s’ils

en usurpent le nom, quelques egos démesurés qui fonctionnent à sens unique.

7
Dumézil G., Mythe et Epopée, Gallimard, 1966.
4
La fonction communautaire et groupale est présente dans nombre de récits

antiques : l’Académie de Platon, 387 av. J.-C. qui dure jusqu'en 86 av JC et le

Lycée d’Aristote fondé en 335 av. J.-C. qui se termine avec Andronicos de

Rhodes en 47 av. J.-C). Il a fourni le modèle péripatéticien où l’on voit le

maître déambuler avec ses disciples dans un « dialogue » constant.

Dans les récits «orientaux» de la Bible, les principaux personnages ont avec

eux des « associés » tels les douze disciples du Christ, recrutés dans le

peuple et autres. Nous retrouvons ce nombre douze dans les littératures

populaires tant occidentales qu'orientales8. Les Romans de la Table Ronde, qui

doivent leur inspiration, pour partie, à l'Orient, mettent en scène un

souverain, Arthur, qui rêve d'une société parfaite et, inspiré par Merlin,

l'initié, reçoit des chevaliers, au nombre multiple de douze, qui vont siéger

auprès de lui autour d'une Table Ronde. Un serment les unit et ces récits

doivent maints traits aux quêtes spirituelles avicenniennes9. La psychologie

moderne nous a appris que ce nombre était optimum pour gérer les travaux en

groupe.

Ce rapport au collectif était donc présent dans toutes les formations sociales

du Moyen-âge, période où le grand péché consistait à se singulariser10. On

trouvait encore ce fonctionnement, dans l'orbite des grands chantiers des

cathédrales, chez les compagnons-bâtisseurs qui devaient affirmer leur

solidarité, se rendre visite en cas de maladie, se prêter mutuellement

assistance grâce à des caisses de secours. En ce sens, le compagnonnage est

l'ancêtre de la mutualité comme cela été établi dans la thèse de Jean-Pierre

Duroy11. Il est aussi lieu d'éducation mutuelle, chacun devenant le précepteur

de son compagnon, lui apprenant, au hasard des étapes, les secrets du métier,

8
Bertin Georges, La quête du Saint Graal et l'Imaginaire, Paris, Corlet, 1997.
9
Ponsoye Pierre, L’Islam et le graal, Milano, Arché, 1976.
10
L e Goff J. La Civilisation de l'Occident médiéval, Paris, Arthaud, 1964, p.347-8
11
Duroy J.P. Le compagnonnage, initiateur de l'économie sociale, thése de doctorat sous la direction
de Mr Albert Pasquier, Université du Maine, Le Mans, 1982.
5
l'initiation progressive, sanctionnée par de degrés, est ici constitutive de

toute démarche d'appropriation des savoirs. L'égalité de tous devant la loi du

groupe est également marquée dans les réjouissances par la convivialité qui y

règne comme par les rituels de fraternité soulignés au moment de

l'intégration, souvent parsemée d'embûches et qui se termine par la

prestation d'un serment de respect des lois du groupe après transmission

orale des secrets du métier. Au Maghreb, les confréries appelées Zaouias

sont aussi promotrices de la vie sociale et, de fait, éducatrices.

Les corporations nous ont été décrites par Emile Durkheim12. Ces associations

professionnelles, débordant le cadre de la famille tendaient à dépasser l'état

d'anarchie en contractualisant les rapports socioprofessionnels de manière à

lutter contre l'inégalité sociale. Pour Durkheim, les impératifs à l'origine

même des associations d'éducation populaire fondent une morale civique car,

dans la société, il est indispensable que les individus se regroupent sur des

centres d'intérêt induits par le sensible dépassant leurs occupations

individuelles. Il estime en, effet que la société est trop loin des intérêts

spéciaux et ne peut jouer elle-même ce rôle de modérateur qu'il reconnaît aux

groupes corporatifs et, par extension, aux groupes secondaires les mieux à

même de s'intercaler entre l'individu et l'Etat, c’est l’idée de contrat.

A la Renaissance, François Rabelais nous raconte, dans le Pantagruel et les

livres suivants, comment son héros constitue en quelque sorte une association

pour aider son ami Panurge à accomplir un vœu: consulter l'oracle de la Dive

Bouteille. Lorsqu'il prend la mer, il est en effet accompagné, outre de Panurge

lui-même, de Frère Jean des Entommeures, d'Epistémon, de Gymnaste,

d'Eusthénes, de Rhizotome, de Carpalim, de Ponocrates et de Xenomanes.

Tous forment un joyeuse cohorte au sein de laquelle chacun aide l'ensemble à

progresser dans les voies qu'ils se sont tracées, les noms fantaisistes des

12
Durkheim Emile, Leçons de sociologie physique et sciences des moeurs, Paris, PUF, 1969, 244 p.
6
compagnons de Pantagruel évoquant des fonctions diverses et

complémentaires dans la quête de l'absolu et la nécessité d'un étayage mutuel

et leur voyage les emmène à la rencontre de bien des peuples différents,

souvent caricaturés mais dont l’étrangeté donne à penser, à sortir des cadres

de pensée convenue et des aristocraties intellectuelles ou cléricales. Nous

avons bien là, (esquissée à grands traits) une véritable généalogie

transculturelle par un auteur qui a frotté sa cervelle à nombre d’autres

sociétés.

L'Education Nouvelle, porte d’accès à la Connaissance.

Les pédagogues de l'Education Nouvelle se sont inspirés du pasteur morave

Jan Amos Comenius, (1592-1670), ami des esprits les plus éclairés de son

temps, d'un Jean-Valentin Andreae (1587-1654), pasteur précurseur du

piétisme et fondateur de la confrérie de la Rose-Croix, d'un René Descartes

(1596-1650), d'hommes comme Samuel Hartlib, fondateur, avec d'autres, de

la Royal Society de Londres. Pour lui, l'ordre des connaissances part des sens

pour atteindre la raison. Il jouera un rôle important dans le développement de

sa passion pour une connaissance immédiate, totale et absolue et là encore

pour l’Education mutuelle.

Si le XVIIe siècle fut orienté vers l'idéal de l'Honnête Homme et tourné vers

la réussite individuelle magnifiée par le Roi Soleil, son archétype, le XVIIIe

siècle, celui des philosophes, de l’Aufklarung, verra éclore de nouvelles formes

de sociabilité, creuset des idées démocrates: clubs, loges, sociétés

populaires, sociétés de pensée, se développaient et prônaient l'égalité à

travers l'opinion éclairée. Ainsi, la Franc-maçonnerie spéculative a adopté cet

esprit et ces méthodes dans le travail « en loge »13. C’est le temps d’une idée

13
Bertin Georges, Entre caverne et lumière, l’imaginaire en loge de francs-maçons, Lyon, éd du
Cosmogone 2017.
7
du progrès servi par les techno-sciences et le culte de la raison, la différence

avec notre époque c’est que le legein (le représenter social ) ne se dissocie

pas du teukhein (le faire social), mais s’articulent

Condorcet.

Le célèbre discours de Condorcet devant le comité de l'Instruction publique à

l’Assemblée Nationale législative le 2 avril 1792 est souvent considéré comme

un des moments fondateurs de l'Education populaire.

Combattant la caste de ceux qui ont confisqué le savoir -les clercs (litterati)-

il va tenter de «rendre la connaissance au peuple» en l'amenant à cultiver lui-

même facultés physiques, intellectuelles et morales. Dans les perspectives

ouvertes par le mathématicien Newton dont il connaissait les travaux, seront

explorés les principes de base mettant en correspondance les diverses

parties de l’Univers. Entre le Multiple et l’Un, le Monde sera désormais pensé

comme une unité symbolique se réverbérant dans un moi ressenti comme

divers.

De même, les sagesses orientales déjà connues mettent l’accent sur l’unité de

l’Univers, l’interdépendance de tous les phénomènes, la corrélation de toutes

choses et, ce, bien avant les découvertes de la physique quantique, dans une

vision intrinsèquement dynamique où le Cosmos apparaît comme une réalité

indivisible, éternellement mouvante, vivante, organique et spirituelle tout à la

fois. Nous ne sommes pas loin des principes d’indécidabilité et d’incomplétude

de nos physiciens contemporains. Condorcet baigne dans ce milieu, fréquente

lui-même les milieux symbolistes et nous voyons bien poindre, au-delà des

mots, le souci d'une réintégration de l'homme dans une dimension qui lui

échappe et ce grâce à l'Instruction. Tout en combattant, au nom des lumières

de la raison, fanatisme et obscurantisme, Condorcet reconnaîtra dans son

8
14
« Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'Esprit humain », «ce que

le génie occidental doit à l’Orient» et montrera comment, par exemple l'école

pythagoricienne a pu servir de lien. «Pythagore découvrit par ses méditations,

ou reçut des prêtres, soit de l’Egypte, soit de l’Inde, la véritable disposition

des corps célestes et le vrai système du monde : il le fit connaître aux Grecs

(…) lorsque le temps eut calmé la fièvre du fanatisme religieux, le goût des

lettres et des sciences vint se mêler à leur zèle pour la propagation de la foi,

et tempérer leur ardeur pour les conquêtes… Les sciences y étaient libres, et

ils durent à cette liberté d’avoir pu ressusciter quelques étincelles du génie

des Grecs».

Nous y reconnaissons une pensée paradoxale tentant de concilier l'Orient des

Intelligences célestes avec les Lumières de la Raison et du progrès. En dépit

d’une réputation plus matérialiste, le siècle suivant poursuivra dans cette voie.

Première Education au transculturel : quelques exemples.

Au tournant des 19e et 20e siècles, citons, à titre d'exemple:

 Ferdinand Buisson (1841-1932): fondateur et président de la Ligue des Droits

de l’homme, prix Nobel de la Paix en 1927, milite pour «l’abolition de la guerre

par l’instruction». Exilé en Suisse sous le Second Empire, il y découvre la

pédagogie protestante, avec, en particulier, l’importance de l’accès direct aux

textes pour s’émanciper du pouvoir des clercs. Il deviendra directeur de

l’enseignement primaire sous Jules Ferry. Il écrit en 1905, en plein combat

pour la laïcité, à propos de la création d’un enseignement des religions, ce qui

pourrait être aujourd’hui encore un manifeste éducatif transculturel: «On se

dira que pour l’éducation d’un enfant qui doit devenir un homme, il est bon qu’il

ait été tour à tour mis en contact avec les strophes enflammées des

14
Condorcet Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'Esprit humain A Paris, chez Agasse,
an III de la République.
9
prophètes d’Israël, avec les philosophes et les poètes grecs… il sera bon qu’on

lui fasse connaître et sentir les plus belles pages de l’Evangile comme celles

de Marc-Aurèle ; qu’il ait feuilleté, comme Michelet, toutes les bibles de

l’humanité; qu’enfin on lui fasse traverser, non pas avec prévention et dans un

esprit critique, mais avec une chaude sympathie, toutes les formes de

civilisation qui se sont succédées… Ce qui sortira de cette étude, ce n’est pas

la haine, le mépris, l’intolérance, c’est au contraire une large sympathie, une

admiration respectueuse pour toutes les manifestations de la pensée et de la

conscience sans cesse en marche1.»

 Ovide Decroly (1871-1932) médecin et psychologue, membre du Droit Humain

et de la Ligue pour l'Education Nouvelle, préconise "l'initiative et la

responsabilité personnelle et collective ; le respect de la personne dans la

singularité, la solidarité, la valorisation des rapports sociaux, la tolérance, le

respect de la différence, la priorité donnée à l'épanouissement personnel, à la

créativité et au plaisir."

 Jean Piaget, lui-même, n’hésite pas à faire référence à l’Orient et à ses

pédagogies dans les conditions d’apprentissage: «on apprend beaucoup mieux à

manier sa langue maternelle en faisant des travaux personnels qu'en

mémorisant la grammaire, et il y aurait beaucoup plus d'élèves qui

comprendraient les mathématiques s'ils pouvaient expérimenter sur des

problèmes réels comme ont fait les sciences elles-mêmes en Égypte et dans

l'Orient avant que les Grecs aient découvert la déduction abstraite. Et, sur le

plan abstrait, on apprendrait peut-être beaucoup mieux aux grands à manier

la raison en les laissant découvrir les démonstrations logiques qu'en les leur

apprenant15».

Ces divers courants marqueront de leur sceau l'Education Populaire en France

et, par contamination, l’Education tout court..

15
Piaget, J, L’éducation morale à l’école, Anthropos, Paris, 1997
10
Pour une éducation au transculturel.

Face à « la crise contemporaine de la culture », Jacques Chatué16 situe le

concept de Trans culturalité au cœur de nos révolutions épistémologiques

actuelles. Ce concept s’oppose, pour lui, et à toute hiérarchie entre les

cultures et à toute normativité culturelle, laquelle ne produirait que

résistances et nuirait aux dynamiques interculturelles d’abord puis, par voie

de conséquence, transculturelles. Et d’en faire varier l’extension et la

compréhension, d’incorporer les traits d’exception, dans une double démarche

de réflexivité et d’extranéité fondée sur le comparatisme. Il convoque, à ce

sujet, les pensées de Lupasco et de Canguilhem.

La méthode d’approche en découle : la transdisciplinarité comme

méthodologie, Jacques Ardoino parlait lui, de multiréférentialité fruit de la

prise en compte « d’un langage pluriel et d’un langage qui relève du

polyglottisme17».

La Transdisciplinarité, au-delà des savoirs, repose sur une rationalité ouverte.

Entreprenant une unification sémantique et opérative des acceptions et

travers disciplinaires, elle brise l’horizontalité de démarches juxtaposant les

disciplines sur un mode positiviste. Penser le « trans.», c’est sortir de la

clôture de savoirs repliés sur eux-mêmes, aller au travers et au-delà,

conjuguer verticalité et horizontalité de la même façon que la physique

contemporaine conjugue ondes et corpuscules, rayons et particules dans sa

lecture du réel.

16
Chatué Jacques, Epistémologie et transculturalité, t 1, le paradigme de Lupasco, t 2, le paradigme
de Canguilhem, de, préface de Laurent Bové. Paris, L’Harmattan, 2009, dont nous résumons ici les
travaux.

17
Ardoino Jacques, in Le devenir de la multiréférentialité, Pratiques de Formation analyses, Université
Paris 8, 1999,p. 67
11
Pour Léo Strauss nous nous arrimons sans cesse à ce qui se dérobe et

remontons à cette période antédiluvienne qui a précédé la séparation de

l’Orient et de l’Occident. Nous en voyons maintenant la synthèse s’opérer sous

nos yeux, car c’est « faire geste du retour que d’aller l’attendre18».

Avec l’avènement de la société transculturelle, c’est bien à une mutation de

ce type que nous assistons, à ceci près qu’elle déborde largement les relations

Orient/Occident, même si celles-ci en sont le modèle quasi archétypique, la

« mare nostrum ».

Car, en même temps, l’Imaginaire, la culture, les cultures, échappent à ceux

qui voudraient bien les circonscrire à leurs intérêts et nous avons le devoir

impératif d’imaginer d’autres modes de fonctionnement, « qui, pour citer

Nizia Villaça, nous obligent à penser en dehors de nos catégories figées, et à


19
fuir les classifications paralysantes ».

Il nous faut, en effet, passer d’une connaissance dictée par l’Institution à

une véritable « connaissance ordinaire » des habitudes, des situations codées,

des rituels, des sagesses et cultures populaires, du sens commun exprimé

dans les groupes, de tout ce qui est organisé par l’expérience collective et

dont rendent compte les diverses formes de vécu.

Dans le contexte de la crise mondiale que nous vivons, la question se pose

moins de savoir si la Trans culturalité menace nos sociétés, puisque tout, dans

les turbulences constatées, ne fait que l’accélérer, au cœur d’organisations de

plus en plus fluides, quand tous : artistes, ingénieurs, médecins, psychologues

sociologues, architectes, stylistes, écrivains, éducateurs, animateurs…

18
Sfez Gérald, Leo Strauss , Foi et Raison, éd Beauchesne, collection Prétentaine, Paris, 2007, p.219.
19
in Esprit Critique, Janvier 2011.
12
participent de cet atmosphère transculturel lequel contribue à nous faire

respirer en commun (conspirer au sens étymologique).

Les modèles ne seront, dés lors, plus recherchés dans un ailleurs moderniste

universel, mais dans la socialité quotidienne, dans l'appropriation et la fusion

des traditions comme des créations locales. Paradoxalement, dans ce sens, le

développement culturel passe par un recours à l'archaïque revisité, devenant

ainsi une alternative à la modernité.

La « Société Monde » où nous vivons désormais n’est pas simplement, comme

l’avait bien vu Simmel, l’ensemble des individus socialisés, mais conjoint les

formes néo-rationnelles dans lesquelles ils se reconnaissent et les relations et

celles par lesquelles ils se socialisent. Et ces réseaux contribuent aussi à nous

différencier en tant qu’êtres sociaux de ceux des sociétés qui nous ont

précédés. De ce point de vue, nous vivons bien un nouveau type de sociabilité.

Il nous paraît que la transculturalité est l’un des marqueurs de cette société

dite « medio-globale » (Am Rufino), car justement elle est une autre façon de

concevoir les cultures non plus comme des ilots distincts mais comme des

réseaux interactifs de sens et de pratiques, sachant que, pour nous, elle

dépasse celle d’interculturalité désormais quasi admise. Ceci lui confère une
20
capacité d’hétérogénèse (Deleuze et Guattari comme point de coïncidence,

de condensation et d’accumulation.

« Quand, comme l’écrit Jacques Ardoino, les hommes entreprennent et

régissent des projets ensemble, ils interagissent. Et la luxuriance, le

foisonnement des pratiques sociales interdisent une analyse par voie de

20
Deleuze Gilles et Guattari Félix, Qu’est-ce que la philosophie? Les Éditions de Minuit, Paris,
septembre 1991.
13
décomposition réduction » et d’en appeler « au deuil de l’attente moniste
21
quand prévaut le réalisme posé sur les effets de forme ».

De ce fait, la question de l’interculturel n’est pas moins ambigüe, comment,

par exemple, encourager le pluralisme culturel dans une société donnée tout

en y développant un sentiment d’appartenance et l’on sait que nombre de

politiques y ont échoué entre un parti-pris d’assimilation (le creuset

républicain à la française) et celui de la simple juxtaposition de cultures

communautaires différentes (la position anglo-saxonne).

On remarquera que l’une et l’autre peuvent envisage l’inter culturalité, celle-ci

ne supposant que des relations réciproques entre des positions qui restent

séparées, soit dans la dépendance négociée soit dans un système

d’interférences qui laisse à chaque culture sa posture de principe ou de

départ. D’une certaine façon, l’une et l’autre admettent un parti pris

d’homogénéisation de chaque culture en présence et ce dans l’hypo ou dans

l’hyper. La Modernité s’en est bien accommodée, qui a reconnu, après les

Grandes Découvertes qui ont également été aussi le temps des Grandes

Invasions, des différences culturelles notoires par exemple dans la façon de

se représenter le temps ou l’espace et l’on sait que ceci, parfois, a justifié

bien des asservissements. Elle peut se rencontrer dans des discours

politiques récents par exemple sur l’incapacité supposée des africains à se

situer dans l’Histoire22...

21
Ardoino J., L’approche multiréférentielle en formation et en Sciences de l’Education, Paris,
Université Paris 8, Pratiques de Formation /Analyses N° 25-26, 1993.
22
"Le drame de l'Afrique, a déclaré Nicolas Sarkozy à Dakar, c'est que l'homme africain n'est pas assez
entré dans l'Histoire (...). Jamais il ne s'élance vers l'avenir (...). Dans cet univers où la nature
commande tout (...), il n'y a de place ni pour l'aventure humaine ni pour l'idée de progrès."
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/sarkozy-un-an-a-l-elysee/article/2007/08/23/le-faux-pas-
africain-de-sarkozy-par-philippe-bernard_946870_1036775.html#Ez5GiviUHDJvuV7Y.99

14
Après la Modernité ?

Le fondement de la Modernité est, du point de vue des codes en vigueur, la

civilisation de l’écrit et du livre, puisque l’alphabet, qui nous a appris à réduire

les phénomènes à l’unité, ordonne et régule, c’est notre mécanisme culturel de

base Ainsi chaque culture est en quelque sorte, dans le «concert de nations»,

un élément constitutif de base, et la convergence culturelle des sociétés de

consommation, si elle vise à l’homogénéité, engendre bien une dynamique

ségrégative. En récupérant, pour mieux se les approprier, tel ou tel élément

culturel emprunté, elle se donne l’alibi de sa reconnaissance. Philippe

Engelhard23 insiste, par exemple, avec pertinence sur le fait que les échanges

technologiques renforcent particularités et dissidences, et, de ce fait, ne

dépassent pas la Modernité. De même, le Libre Echange ne conduit pas

nécessairement au métissage mais à la juxtaposition des cultures, les cultures

dominées ou minoritaires étant toujours asservies dans le sens d’une

homogénéisation généralisée. « Merchandisées », technicisées elles sont

ordonnée à l’injonction du progrès, ce qui implique une hiérarchie -entre elles

y compris- dans la revendication de l’inter culturalité.

Il en va tout autrement de la trans culturalité24, concept d’ailleurs pas

vraiment neuf et déjà à l’œuvre par exemple dans l’empire romain, dans la

diaspora juive, dans le pan celtisme, etc. Dans ce sens Philippe Engelhard

23
Engelhard Phlippe, Internet change-t-l vraiment nos sociétés? (t. 1-3), L’Harmattan, 2012
24
Pour Wolfgang Welsch, c’est le concept le plus adéquat aujourd’hui pour définir la culture in
Spaces of Culture: City, Nation, World, ed. by Mike Featherstone and Sc ott Lash, London: Sage, 1999,
194-213
15
souligne que la mondialisation qui la supporte, commence dès que l’homme

entreprend de se déplacer sur la Planète.

Là où la Modernité campait les Cultures sur des terrains connus et des

territoires répertoriés, binarisait et dualisait les relations interculturelles,

souvent sur la base d’imaginaires nationaux, la position transculturelle

constate que l’Autre est en nous et que nous sommes l’Autre. Ici la relation

transculturelle se fait hybridité, «changeability and incertainty» et nous

amène à envisager des liens ouverts fluides, liquides25. Elle y est puissamment

vectorisée par des systèmes d’information fluides, à la réaction instantanée,

dans l’inter-communicabilité des échanges. Les politiques éducatives ne

peuvent que l’intégrer sauf à ce que leurs figures d’autorité ne ressemblentde

plus en plus aux Jobelins bridés du roman rabelaisien.

Sur le mode communicationnel, alors que l’inventeur de l’alphabet était, écrit

Flusser26, l’ennemi des images et fabricants d’images assignés au magique et

au mythique, -et l’on sait à quel point la conscience historique iconoclaste a pu

être meurtrière et folle-, les modes d’appropriations culturelles de la société

que nous vivons convergent dans des configurations relationnelles où les

images tiennent une place majeure.

Nous nous trouvons donc confrontés à ce qu’Edgar Morin nomme la

Mondialisation plurielle27. Et il affirme: « il existe de multiples courants

transculturels, qui irriguent les cultures tout en les dépassant et qui

constituent une quasi culture planétaire : métissages, hybridations

personnalités bi culturelles, ou cosmopolites enrichissent sans cesse cette vie

transculturelle. Au cours du 20e siècle, les medias ont produit, diffusé, et

brassé un folklore mondial à partir de thèmes originaux issus de cultures

25
Van Sayek Pascal, Transgressions: binaries revisited, in Nationalism and social imaginary :
negotiation of social signification… doctorat d’études transculturelles, Université Jean Moulin, Lyon,
2011
26
op.cit.
27
Le Monde 25/03/2002
16
différentes, tantôt ressourcés tantôt syncrétistes … il s’enrichit par

intégrations et rencontres », et de citer : le jazz, le rythmn and blues, la

diffusion mondiale du rock, le raï, la world music… La transculturalité

constitue ainsi, du fait des réseaux, une sorte de filet à mailles multiples,

dans un tissage où se jouent nos destinées et qui les inclut. Elle n’échappe pas

pour autant à la manipulation marchande et à toutes formes de récupération

parfois même totalitaire, toutefois la multiplicité des points d’accès en rend

potentiellement au moins l’échappatoire possible si ce n’est le détournement.

En tout cas l’élucidation, ce qui est justement le sens de toute éducation

critique. Les nouveaux codes digitaux surgissant nous provoquent à de

nouvelles manières de penser et comme l’alphabet, écrit encore Flusser,

s’était construit au-delà et contre les pictogrammes, les codes digitaux

avancent aujourd’hui contre les lettres pour les surpasser. Les dépasseront –

ils ? C’est là désormais le premier l’enjeu de toute éducation.

La société transculturelle, comme l’avait bien vu Gilbert Durand28 est le cadre

où peuvent se briser les totalitarismes de l’agnosticisme fragmentaire et du

l’hégémonisme historique en déployant les structures nécessaires à la

primauté des images, l’actualité étant riche à nous en donner des exemples.

Quand les cadres de pensée craquent, quand les significations imaginaires

sociales liées aux racines de nos êtres ne trouvent plus les codes qui les

expriment, l’écrit n’étant plus en position hégémonique dans les mécanismes

d’appropriation culturelle, nous vivons une conversion transculturelle de façon

totalement prégnante et ce sur la scène mondiale. Là où les sociétés modernes

se vivaient dans des systèmes revendiquant, en commun, un ensemble d’idées

sur la nature humaine, l’importance respective des différentes facultés, sur

les droits et les devoirs, passer à une position transculturelle consiste à

28
Durand G., Les structures… op.cit.
17
admettre transferts, échanges, transactions, négociations et concessions

réciproques29 et, au-delà, l’hybridité assumée.

L’altération y joue un rôle incontournable, mais les opinions ne sont pas prêtes

à l’assumer car il y a, dans toute altération, disait Jacques Ardoino, l’idée

d’impureté. Là où la Modernité créait des frontières et des octrois, les

sociétés actuelles fraient des voies, aménagent des passages. Leurs acteurs,

comme l’avait bien noté Simmel30, se voient « en passant et se pensent en

passeurs. Le pont y est le point de passage où l’homme est cet «être frontière

qui n’a pas de frontière»31.

Ainsi, les antagonismes suscités par cette position radicalement autre,

puisqu’elle interroge les racines de l’être ensemble, génèrent une tension

créatrice source de vie, moteur de socialisation et ressort de la pensée 32. Elle

s’exerce à la fois au niveau macro culturel et micro culturel33. Ici la position

hybride ne peut être vue comme une marque dévalorisée ou de dénigrement

des autres cultures, mais partie prenante d’un tissage des cultures avec toute

la force de contestation sociétale qu’elle implique. Ancrée sur un imaginaire

radical, elle s’ancre dans les racines de l’humanité. En même temps, elle

contient la possibilité de transcender nos déterminismes mono culturels.

Et la surprise de cette position, c’est qu’elle ne s’exerce pas qu’à «l’inter.»,

mais également «à l’intra.», permet d’établir des correspondances culturelles

entre les mythes les plus anciens au cœur de l’Arkhé et leur actualisation

dans notre contemporanéité.

29
Engelhard insiste pour sa part sur le fait que le réseau est une métaphore trompeuse et que ce
sont seulement de micro-éléments qui seraient en interaction trompeuse, réfutant de ce fait l’idée
de village global. On verra que notre position sans nier les objections que cela pose est plus
résolument utopienne, comme nous tentons de l’illustrer ici.
30
Simmel Georg, L’Aventure in Philosophie de la Modernité, Paris, Payot, 1989.
31
Maffesoli Michel, Du nomadisme, vagabondages initiatiques, Paris, LGE, 1997.
32
Lapierre Nicole, de Georg Simmel à Sigfried Kracauer, in Communications, 70, 2000, pp45-52
33
Wolfgang Welsch, op.cit.
18
Car la «Trans culturalité» ne se joue pas qu’entre cultures «exotiques» ou

extra européennes et cultures occidentales, elle est à l’œuvre dans les

sociétés contemporaines confrontées à leurs traditions, elle s’exerce tant

diachroniquement que synchroniquement, elle n’admet plus de séparation et

l’intervention même inconsciente de chaque acteur, de chaque groupe social,

entraîne des conséquences quasi exponentielles. Le problème qui se pose alors

est que cela devient parfaitement imprévisible car souvent lié à des initiatives

spontanées mais qui peuvent fédérer très vite nombre d’acteurs. Mais

n’appartient-il pas à l’Education d’en discerner le sens ? de le partage avc les

jeunes générations ?

La conversion transculturelle.

A la tendance qui consistait à fixer des formes pérennes (canoniques), la

conversion transculturelle (au sens de se tourner en commun vers d’autres

formes), se conjoint une tendance complémentaire vers l’ouverture, le voyage,

le nomadisme. Elle met en jeu la diversité des processus culturels vivant. Elle

focalise les comportements en remettant en cause les perspectives quand les

frontières ne sont plus perçues que comme des variables flexibles dans les

mouvements de flux culturels généralisés.

De sorte que l’Education ne peut que se donner pour but d’influer sur les

capacités culturelles des acteurs de l’acte éducatif eux-mêmes qui ne peuvent

plus, en quelque sorte, être assignés à résidence, quand, de façon indéniable,

la révolution digitale, le développement exponentiel des voyages

internationaux, accélèrent leurs mouvements, le tout sur fond de crise

planétaire.

De même, toutes les circulations d’informations entre les cultures

définissent désormais des qualités spécifiques transculturelles, avec d’ailleurs

les dangers que cela peut représenter. Quand par exemple les séries

télévisées destinées aux mères de famille des classes moyennes, quand les

19
séries télévisées de masse destinées aux jeunes enfants, influent sur le

nivèlement des comportements dans le monde entier et tendent à les

homogénéiser. Entre conformité consumériste et reconfiguration culturelle,

entre tendance à la fixation des formes-figures et ajustements réciproques,

s’opère la conversion transculturelle. Et nous observons les effets d’une

superstructure globale articulée à une myriade d’échanges transculturels

entre globalisation et localisation34.

Reste à savoir qui peut l’emporter et quelle société peut en sortir ?

Jacques Généreux35 a distingué les quatre scenarii possibles des dynamiques

sociales à l’œuvre entre :

 des sociétés communautarisées avec un effet de balkanisation de groupes

séparés à faible intégration intercommunautaire, chacun y vit une relation

particulière et quasi autistique à l’Education,

 des sociétés individualistes atomisées vivant un fantasme d’autarcie, dans un

délitement généralisé des liens sociaux, l’éducation y est livrée en pâture aux

mass médias dominants,

 une hyper société totalement aliénée à tendance totalitaire (mercantile ou

dictatoriale), c’est le danger des produits éducatifs prêts à consommer,

 ce qu’il nomme la Société du progrès humain, laquelle, pour lui, est métissée.

Y coexistent des identités singulières dans un monde commun pluriel bigarré,

ce qui nous semble la tendance opérée par la conversion transculturelle. Et

nous retrouvons ici les fondements de ce qui peut encore constituer une

véritable éducation populaire…

Penser la Trans culturalité, c’est, au rebours d’une conscience homogénéisante

qui facilite les pathologies et que fournissent les pédagogies totalitaires ou

34
Altenyer Jennifer, Abu-Er-Rub Lecler, Gehsegig Sebastian, The transcultural travels of trends,
Ruprecht Karls, University of Heidelberg, in Transcultural Studies, 2011.
35
Généreux Jacques, Le socialisme néo-moderne ou l’avenir de la Liberté, Paris, Le Seuil, 2009, p.280
sq.
20
mercantiles, mettre en relations des niveaux de sens différents dans leurs

potentialisations et actualisations, à la fois centripètes et centrifuges. Ceci

ne peut que se manifester dans le dialogue incessant des cultures, à la fois

des permanences de chaque champ ou bassin sémantique, et des rythmes, des

changements socioculturels. C’est fédérer entre elles des temporalités et

des savoirs spécifiques. C’est assumer des « trajectivités ».

Penser la Trans culturalité, c’est encore, comme le posait déjà Emmanuel

Mounier, « une lecture de l’unité de l’homme une et indivisible quand le

cosmopolitisme est le lieu de l’identification »36.

La Trans culturalité est un «fait social total» au sens de Marcel Mauss 37 , elle

est à l’œuvre dans tous les lieux de notre vivre ensemble, dans la totalité

organique qui, sur la base des formations mythiques universelles, se crée, se

recrée et se modifie chaque jour sous nos yeux dans les interactions qui se

produisent entre sociétés pré historiques (ou traditionnelles) historiques (ou

modernes) et post historiques (ou post modernes). La simple observation des

classes de nos banlieues et de leur population si vivante et si métissée comme

des productions de ce que l’on nome « les cultures pieds d’immeubles »

suffirait à nous en convaincre si nous avions des yeux pour voir et entendre…

Les interactions qui s’y produisent, transductives au sens où c’est bien la

situation é-ducative (à l’encontre de ses propres représentations, de ses ses

allant de soi) qui est «le centre, le germe, le champ d’intervention à partir

duquel se propage et se développe le champ éducatif38» sont loin de

constituer des isolats, elles viennent se conjuguer, se « complémentariser »,

36
Mounier E., La communication, le personnalisme, Œuvres complètes, Le Seuil, 1946.
37
« Les faits que nous avons étudiés sont tous, qu’on nous permette l’expression, des faits sociaux
totaux ou, si l’on veut — mais nous aimons moins le mot —, généraux : c’est-à-dire qu’ils mettent en
branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions (potlatch, clans affrontés, tribus
se visitant, etc.) et dans d’autres cas seulement un très grand nombre d’institutions, en particulier
lorsque ces échanges et ces contrats concernent plutôt des individus. » Mauss Marcel, Essai sur le
don, Paris, PUF/Quadrige, 2007.
38
Lourau R., op.cit. p. 134
21
tant dans leurs diverses déclinaisons que par les situations et vécus partagés

désormais aussi dans la Galaxie Internet.

Elles interrogent les institutions que la Modernité avait créées pour abriter

et réguler les modalités de notre vivre ensemble.

Entre notre être subjectif et notre moi social, dans l’entrecroisement de nos

cultures, elles nous plongent au cœur du Labyrinthe.

Elles sont le défi qui se pose à la communauté éducative si elle se réfère au

sens de ce qui advient…

Pour conclure.

Servir l’Education comme finalité suppose, une refonte d’abord de nos

systèmes de représentations sur ce qu’est l’Education, c’est encore la déposer

de son piédestal. C’est permettre la reconnaissance, puis la fédération

d’énergies innombrables. Souvent exprimes à la marge, elles sont le ferment

d’une société véritablement éducative, pourvu que l’on veuille bien les

considérer pour ce qu’elles sont réellement, là où elles sont vécues et le plus

souvent en confrontation avec des systèmes fermés, unidimensionnels qui

s’épuisent dans la clôture du sens.

C’est tout le défi que nous lance le passage d’une forme de société à une

autre, et ce, face à un ensemble d’instruments de puissance comme il n’en a

jamais existé auparavant.

Aussi longtemps que l’on ne saura pas convertir les potentialités et ressources

des imaginaires locaux désormais transculturels en imagination créatrice, les

systèmes éducatifs se replieront sur eux-mêmes jusqu’à dénier leurs propres

finalités dans une dynamique entropique.

Alors, et ils en sont déjà aux portes, dans la crise des systèmes

identificatoires, dans le vide d’espaces éducatifs désertés par ceux qui sont

sensés les faire vivre, les animer, les instruments de la technostructure

s’assureront d’une domination nous conduisant tout droit au « Meilleur des

22
Mondes » et, sans doute, aussi, en contrepartie, au retour des dieux les plus

violents.

Après l’homme unidimensionnel produit par l’objectivité causale linéaire,

penser l’homme transculturel, c’est, empruntant les chemins de la Tradition

croisés avec ceux de la révolution numérique, faire retour à « l’unité perdue

de la Nature humaine », prendre acte, dans l’Eduction, de savoirs médiateurs

nous conduisant vers une nouvelle gnose, vers la reconnaissance de ce qui

advient.

23

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