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Ouverture
L’athéisme du Pas-tout
par Jacques Adam
Toute une série de termes peuvent se décliner à la jonction des deux champs :
Loi, croyance, foi, idéal, vérité, amour, etc., autant de termes que la
(le Nom du Père, par exemple). Et qu’il s’agit donc déjà de justifier la pertinence
tant à cause des questions ou des positions religieuses de chacun que grâce aux
fortes formules que Lacan nous a laissées sur Dieu, la religion et l’athéisme en
particulier.
religion. Et cela, plus son œuvre avançait. Impossible non plus de nier que la
religion, dans le monde, est, je dirais, pour faire bref, up to date, à la mode.
encore heureusement quelque embarras qui peut stimuler notre envie de saisir
déjà trop mettre l’enjeu des questions sur notre propre terrain face à celles que
peuvent nous poser et se poser, comme nous le verrons tout à l’heure, des
de notre discours, celui qui prend pour pivot la Chose freudienne au cœur de
l’inconscient pour y loger la vérité, qui est en même temps « cette vérité la plus
son enseignement).
des dangers les plus grands que la psychanalyse doit éclairer, et auquel, elle doit,
religion vont très bien ensemble…C’est un dieu-lire », nous dit Lacan encore en
mai 1977 (L’insu que sait…) afin qu’on ne s’égare pas dans le devoir qui revient
en ce monde à la psychanalyse, tel qu’il l’avait formulé environ quinze ans plus
tôt. Le malaise que Freud avait fait remonter de la religion est déplacé vers la
science.
médecine guérisseur du Sida. L’interviewer leur souligne à tous deux que sur la
question du sexe et du péché, ils ne sont pas forcément d’accord. Mais si,
Freud heureusement, plus avisé que Jung, n’avait pas fait du sexe le
ce sens que le dispositif aussi incite à aller toujours vers le + , et qui est comme
donc reproché à Freud d’avoir surtout retenu la version du Père pour nourrir le
sens de l’inconscient et par conséquent de ne pas être si athée qu’il avait l’air de
le dire.
Avec Lacan, peut-on aller plus loin qu’avec cette profession de foi athée
choc, que la foi sans la raison, c’est le fétichisme et que la raison sans la foi c’est
la porte ouverte aux totalitarismes. Il nous faudra donc alors essayer de faire
entendre qu’on peut peut-être se passer de Dieu, qu’on s’en serve ou pas, et
qu’un autre discours, ayant changé le profil de la Vérité dans l’Histoire, s’offre
disparu sous le signifiant qu’il devient, il va rechercher son ex-sistence (et son
désir) dans l’Autre, cet Autre qui n’en finit pas d’exister justement, d’autant plus
qu’on le dit mort. L’inconscient-langage n’est donc pas l’idéal pour se mettre au
faisant sortir Dieu de son trou, lui fait dire une chose bien imagée et parlante.
(‘Le Temple’)
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Etc .,
Je ne cite cela que pour dire qu’un des embarras de la psychanalyse (et qui
lui fait parfois sa mauvaise réputation), c’est de croire que l’idéal de la parlotte
fait arriver au vrai du réel. C’est pourtant vrai. Mais ce qui est compliqué c’est
quand même de pouvoir laisser Dieu dans son trou, de ne pas parler à sa place et
Une des formules de Lacan bien connue avance que l’athée viable serait
provocatrice car, à y regarder de près, qui et quoi plus que l’inconscient passe
donc pas être athée. Mais, contredisant Freud justement, Lacan proposera une
Tout, qui ne serait en somme que la formule d’un athéisme relatif, relatif au
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sans-espoir du logos sexuel pour dire le vrai mieux que Dieu lui-même.
Athéisme relatif, pas sans rapport avec des noms aussi surprenants que celui de
la femme donné par Lacan à Dieu, la femme qui n’existe pas et qui se vit, ou se
l’expressionnisme du Bernin.
Si l’inconscient peut pourtant être dit athée, cela est contenu dans la
veut dire arriver à faire une analyse, à être analysant avec un analyste, les deux
n’étant pas à la portée de tout le monde. Mais malgré le doute sur la possibilité
de cet affrontement, Lacan assurera trois ans plus tard, en 72, que grâce aux
tard, dont on arrive évidemment jamais à bout, au bout du sens, mais dont au
moins il semble sûr qu’il ne s’agisse pas de la vérité révélée, comme celle de la
religion, ni forclose comme celle de la science. Mais que serait alors cette sorte
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la vérité ?
C’est la question de la chute du sujet supposé savoir au terme d’une analyse dont
d’un saint athée qui ferait tache dans l’ordre établi du ciel étoilé ? Il ne s’agit en
tout cas sûrement pas pour Lacan d’un tripotage avec une théologie négative
d’une jouissance absolue initiée par un moteur divin devenu contingent. Ceci se
chez Blanchot, pour mener à une sorte d’athéologie basée sur une fusion
signifié l’en-je de son acte par lequel il se fait reste et réel. Et peut-être même
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analyste. Voilà donc une drôle de science que la psychanalyse qui botte en
que la clinique analytique est celle d’un terrain où se joue ce qui, de l’amour, du
névrosé, qui l’entrave dans ses possibilités de sublimation et fait de lui cet athée
trivial qui suspend innocemment et bêtement son désir à cette garantie mythique
de la bonne foi du signifiant, tranche avec cet idolâtre de la foi qu’est le pervers
transformant en un athée de convention qui en sait plus que Dieu lui-même sur
la jouissance. Schreber n’a pas écrit la préface de ses Mémoires autrement que
éminent, le domaine religieux ». Ce qu’il ne savait pas, c’est que c’était en fait
dans le domaine de la psychanalyse qu’il allait faire avancer les choses. Toujours
comme tel par lui), et dont l’avantage est sans doute de s’économiser la tricherie
ce que « Dieu », avec les guillemets qu’il mérite peut-être, ne soit plus une
forme, ou un des noms du manque. Et que l’amour, l’idée même de l’amour soit
réel, mais le réel même. Il n’est pas sûr que la psychanalyse puisse faire mieux
signification d’un amour sans limite », c’est-à-dire « hors des limites de la loi »
(S. XI)
Ce n’est pas pour rien que Lacan a qualifié de « grève de la vérité » les
troubles politiques et sociaux de la fin des années 60. Ils correspondaient aussi à
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vérité n’est jamais en grève. Mais alors, comment faire coïncider l’inconscient,
(Weltanschauung) ?
grands juifs qui ont changé le monde : Il y a Moïse pour qui Tout est Loi, il y a
Jésus chez qui Tout est Amour, Spinoza avec qui Tout est Nature, il y a Marx qui
montre que Tout est Argent, et Freud que Tout est Sexe, et enfin il y a Einstein
Nous est-il permis, avec le crédit qu’on peut lui faire d’un athéisme, fut-il
tout relatif, d’y ajouter un Gentil, Lacan, pour qui Tout est…Pas-Tout. Et dont
serait à développer, dans son style, ce style qui est celui de l’homme même…à
toujours, et pour toujours, à Dieu. Sans qu’il soit question ici d’un quelconque
humanisme.
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