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351
Niklas Bender
Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions
de ‘ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents -
Prescriptions pour la permanence’.
ISBN: 978-90-420-3066-4
E-Book ISBN: 978-90-420-3067-1
© Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2010
Printed in The Netherlands
Pour Ghislaine
Remerciements
Le point de départ
2 Cf. par exemple les ouvrages que la maison d’édition Metzler consacre à la rela-
tion entre littérature et médecine, ou bien le nombre d’interprétations concernant
les sources scientifiques de tel ou tel auteur (cf. note 53).
3 Winfried Menninghaus, Das Versprechen der Schönheit, Francfort-sur-le-Main,
Suhrkamp, 2004.
Introduction 9
l’âge moderne. C’est avec elles que l’on entrera dans des mondes
nouveaux. » 9
Généralement, on caractérise la relation entre « les deux muses de
l’âge moderne » dans les termes d’une évolution : l’approche histori-
que, dominante au début du siècle, céderait la place à une définition
scientifique du monde. L’homme occidental du XIXe siècle com-
mence son parcours en cultivant une conscience aiguë des change-
ments historiques, il approfondit le savoir de la temporalité de son
existence10 ; puis il se convertit à une pensée scientifique, positive.
L’élan progressiste, idéaliste, est bouleversé en faveur d’une pensée
observatrice, naturaliste, pessimiste au fond ; les idées de liberté et de
justice possibles cèdent la place à une conception déterministe de la
nature humaine. La fin du siècle serait marquée par le culte de
l’organique, du vital, du non historique, les phénomènes de la vie
culturelle seraient interprétés selon des notions physiologiques, évo-
lutionnistes et héréditaires (‘dégénération’, ‘hérédité’, ‘hygiène’, ‘sé-
lection’, ‘race’, ‘immunité’, etc.). Bref, la réflexion en termes de bio-
logie déterminerait largement le débat des dernières décennies avant la
Grande Guerre, les réflexions en termes d’histoire au sens propre (non
organique) étant reléguées au second rang.
Ce schéma (présenté d’une manière quelque peu caricaturale) ap-
pelle évidemment la contradiction. Même si les rapports de force
changent réellement au cours du siècle avant-dernier, je crois néan-
moins qu’on peut montrer qu’il y a une pénétration mutuelle et une
concurrence perpétuelle entre les deux manières de définir la culture
et l’homme. Quelques exemples très généraux et d’apparence arbi-
traire élucideront ce propos. On pensera à Flaubert, fils d’un chirur-
gien, attiré par la médecine jusqu’à en faire le modèle d’un nouveau
mode narratif : il déclamait à volonté que son siècle était celui de
l’histoire ; à Nietzsche, transformant la philosophie en physiologie et
11 Cf. l’étude de Gillian Beer, spécialiste de Darwin, « Darwin and the Growth of
Language Theory », dans John Christie et Sally Shuttleworth (dir.), Nature
Transfigured. Science and Literature, 1700-1900, Manchester/New York (NY),
Manchester University Press, 1989, pp. 152-170.
12 Un exemple frappant : les romantiques allemands, déçus par la Révolution fran-
çaise, se tournent vers la Naturphilosophie de Schelling.
13 Le chapitre « Prélude en histoire des sciences » suivant traitera cette question. Cf.
aussi Herbert Schnädelbach, Philosophie in Deutschland 1831-1933, Francfort-
sur-le-Main, Suhrkamp, 61999, chap. 2 (« Geschichte »), pp. 51-87.
Introduction 13
15 « Verschaltungen legen uns fest : Wir sollten aufhören, von Freiheit zu spre-
chen », dans Hirnforschung und Willensfreiheit, pp. 30-32.
16 Dans une version non idéaliste tout de même ; il s’agit plutôt de la Problem-
geschichte, de l’analyse de l’évolution de questions historiques précises, que de
l’analyse de notions non historiques.
Introduction 15
Le corpus littéraire
17 Foucault, Les Mots et les Choses, p. 231. Foucault y dit plus exactement : « […]
l’Histoire, à partir du XIXe siècle, définit le lieu de naissance de ce qui est empi-
rique, ce en quoi, en deçà de toute chronologie établie, il prend l’être qui lui est
propre. » Foucault indique « une équivoque » de la notion « Histoire » : d’un
côté, le terme signifie le principe nommé, dans l’historicité en tant que « mode
d’être » ; de l’autre, l’histoire comme discipline, donc « une science empirique
des événements » (ibid.).
18 Ibid., pp. 229-261 ; à propos de l’anthropologie, cf. pp. 351-354.
19 Cf. ci-dessous, la partie sur l’évolution dans le « Prélude en histoire des
sciences ».
16 La Lutte des paradigmes
ils réservent souvent une place capitale aux deux éléments, qui y ont
une valeur thématique ou structurelle. Cela est surtout vrai pour les
romans des courants réalistes et naturalistes, c’est-à-dire pour les deux
courants littéraires les plus influents de la fin du XIXe siècle. En géné-
ral, la critique constate leur présence, et peut-être leur co-présence,
mais elle est incapable d’articuler de manière précise leur rapport ; en
conséquence, elle tend à négliger l’un au profit de l’autre et en fait
l’unique objet de son analyse – à mes yeux une réduction inadmissible
de la problématique. À l’inverse, j’avance l’hypothèse que la défini-
tion exacte de leur relation permet de dégager les enjeux fondamen-
taux des récits.
Par l’analyse du paradigme historique et du paradigme biologique
et médical, je tenterai donc de comprendre les pierres angulaires – les
modèles de réalité – des romans en question20 ; j’espère contribuer
ainsi à leur compréhension esthétique, à une interprétation nouvelle.
Car un fait est indubitable : la relation entre littérature et savoir est une
question incontournable à l’époque du réalisme et du naturalisme – ce
sont les écrivains eux-mêmes qui établissent ce lien étroit en puisant
dans les sources médicales et historiques de leur époque. On ne peut
prétendre à une compréhension adéquate de leurs œuvres en éludant la
question, et en interprétant, e.g., Flaubert comme un précurseur de
l’esthétisme. Ce n’est pas un hasard si cette relation étroite entre litté-
rature et savoir coïncide avec la crise patente entre les deux paradig-
mes, il me semble : pareille confrontation, mettant en jeu la nature de
l’homme, lance un défi à la littérature, elle est forcée de s’intéresser
aux deux modèles proposés – comme on peut l’observer derechef de
nos jours21.
Je me propose de rendre plus palpable, au fil de l’analyse, le rap-
port entre savoirs et littérature, et surtout l’importance des notions
20 Je me réfère aux analyses de Iouri Lotman, qui était le premier à formuler l’idée
que l’œuvre d’art littéraire énonce un message et construit, en même temps, un
modèle de réalité. Cf. La Structure du texte artistique, trad. du russe Anne Four-
nier, Bernard Kreise, Ève Malleret et al., dir. Henri Meschonnic, Paris, Galli-
mard, 1973, pp. 36 sq.
21 Au-delà des exemples de Grünbein et d’Houellebecq, il faut sans doute penser à
Jonathan Franzen (The Corrections, 2001) et à toute l’école du néo-réalisme ou
du néo-naturalisme, qui a beaucoup d’adeptes en France. Bien évidemment, il y a
toujours un courant littéraire aux yeux de qui les questions exclusivement ‘litté-
raires’ sont les seules qui comptent ; dans les périodes de crise, son importance
diminue.
Introduction 17
esprit critique, les remet dans leur contexte, les rend accessibles dans
des éditions soignées22 – dans la mesure où elle s’emploie à l’étude et
à la critique des sources. En même temps, les traces du passé sont
conservées, et rendues accessibles au grand public, les archives, les
musées, les monuments nationaux sont ‘inventés’23 ; un vif intérêt
populaire se manifeste également, comme le prouve le roman histori-
que, ainsi que les nombreuses modes (dans les domaines de la pein-
ture, de l’artisanat, de la couture) qui reprennent des sujets et des for-
mes historiques.
Le cadre général est celui d’une nouvelle conscience mise en évi-
dence par Reinhart Koselleck 24 : l’histoire ‘maîtresse de la vie’, qui
présupposait un cadre limité d’expériences possibles, se transforme en
processus dynamique, irréversible. Cela veut dire qu’il n’y a désor-
mais qu’une suite d’événements singuliers, dont le sens est à saisir
individuellement ; l’expérience devient une valeur toute relative.
Toute tentative de synthèse ou de mise en système perd son crédit –
philosophie et histoire se dissocient.
En Allemagne, cette prise de distance s’opère très tôt, elle
s’exprime à travers une critique prononcée de la philosophie de
l’Histoire (qui n’est autre chose qu’un empiètement de thèses philoso-
phiques sur le terrain de l’histoire), exprimée dans presque tous les
textes de la historische Schule, e.g. chez Ranke, Burckhardt, et
Droysen. Même en politique, philosophie et histoire s’affrontent,
l’éducation nationale choisit dès 1840 l’histoire comme « puissance
éducative primordiale » (« führende Bildungsmacht » 25), rôle réservé
26 Ibid., p. 51.
27 Ibid., pp. 51 sq.
28 « Ich aber behaupte : jede Epoche ist unmittelbar zu Gott, und ihr Wert beruht
gar nicht auf dem, was aus ihr hervorgeht, sondern in ihrer Existenz selbst, in
ihrem eigenen Sein. » Über die Epochen der neueren Geschichte. Vorträge dem
Könige Maximilian II. von Bayern gehalten [1854], Darmstadt, Wissenschaftli-
che Buchgesellschaft, 1970, p. 7.
29 « […] jede Nation hat ihren Mittelpunkt der Glückseligkeit in sich, wie jede
Kugel ihren Schwerpunkt ! » Johann Gottfried Herder, Auch eine Philosophie der
Geschichte zur Bildung der Menschheit [1774], cité d’après J.G.H., Werke, dix
tomes, éd. Jürgen Brummack et Martin Bollacher, Francfort-sur-le-Main,
Deutscher Klassiker Verlag, 1994, t. IV : Schriften zu Philosophie, Literatur,
Kunst und Altertum 1774-1787, pp. 9-107, ici p. 39.
30 Ibid., p. 40.
22 La Lutte des paradigmes
31 « Der Historismus in diesem Sinne […] vertritt die Auffassung, daß alle kulturel-
len Phänomene als historische zu sehen, zu verstehen und zu erklären seien. Er
ist eine wesentlich kulturalistische Position, die sich dem Naturalismus entge-
genstellt. » Schnädelbach, Philosophie in Deutschland 1831-1933, p. 52.
32 Cf. Delacroix, Dosse, Garcia, Les Courants historiques en France. XIXe-XXe
siècle, pp. 26-38.
33 Cf. la Préface : « C’est une vue de notre histoire nationale prise dans ces années
où l’historien, portant son regard en arrière à la distance de sept siècles et le ra-
menant autour de lui, apercevait une suite régulière de progrès civils et politi-
ques, et, aux deux bouts de la route parcourue, une même nation et une même
monarchie, liées l’une à l’autre, modifiées ensemble, et dont le dernier change-
ment paraissait consacré par un nouveau pacte d’union. » Paris, Furne et Compa-
gnie, édition de 1860, p. V.
Introduction 23
34 Beaucoup d’historiens trouvent leur vocation grâce à ses œuvres, e.g. Augustin
Thierry ; cf. Delacroix, Dosse, Garcia, Les Courants historiques en France. XIXe-
XXe siècle, pp. 30 sq.
35 Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois 1346-1477 [1824], Paris,
Robert Laffont (Le club français du livre), 1969, pp. 6 sq.
36 La proximité entre histoire est littérature est bien sûr intéressante pour mon tra-
vail, car elle rend facile la comparaison entre les disciplines.
37 On craint les effets subversifs de la contemplation historique ; cf. François Har-
tog, Le XIXe siècle et l’histoire. Le cas Fustel de Coulanges, Paris, Seuil, 2001,
p. 121. La même année, Michelet perd sa chaire et son poste dans les archives
24 La Lutte des paradigmes
faire ici n’est par ailleurs en rien redondante à celles qui existent déjà :
d’un côté, ce sont surtout des travaux sur Zola, alors que je traite éga-
lement de Flaubert, ce qui déplace le cadre temporel, et par consé-
quent le contexte scientifique. Qui plus est, ces esquisses sont souvent
guidées par Les Mots et les Choses de Michel Foucault, quelquefois
par La Naissance de la clinique et certains travaux de Georges Can-
guilhem, tel Le Normal et le Pathologique. Tout honneur fait aux tra-
vaux de Foucault, cette orientation me semble entraîner une réduction
quelque peu hâtive : on aborde les sciences par le biais d’une histoire
des sciences culturaliste54 – le danger est considérable de ne point
suffire aux exigences propres des sciences elles-mêmes, et de mettre
ensuite en regard les textes littéraires avec l’interprétation d’une inter-
prétation, bref : de se perdre d’emblée dans le labyrinthe des interpré-
tations. Dans ce cas de figure, la question de la transformation des
sources par les écrivains reste forcément sans réponse. C’est la raison
pour laquelle je tenterai de réduire ce danger par un prélude plus pro-
che des sciences, et par une exposition soigneuse des sources. Évi-
demment, le cadre de mon travail trace des limites étroites à cette
exigence. Mais j’espère toutefois que mon approche modifiée permet-
tra de déplacer le centre d’intérêt, et de dégager certains aspects que la
critique a rarement développés, tel le rôle capital de la physiologie.
Dans la recherche médicale et biologique du XIXe siècle, quatre
domaines méritent une attention particulière : le développement de
techniques cliniques nouvelles en médecine, qui apportent pas à pas
une amélioration essentielle dans les soins et assignent un rôle
d’observateur au médecin. Ensuite, les progrès dans les sciences fon-
damentales sont d’une importance majeure : Erwin H. Ackerknecht
nomme l’anatomie microscopique, physiologie, la pathologie et la
pharmacologie55 ; c’est la physiologie qui doit retenir l’intérêt, pour la
culture du XIXe siècle en général et pour les auteurs qui m’intéressent
Macquart“, dans R.W., Die Phantasie der Realisten, Munich, Wilhelm Fink,
1999, pp. 240-269, ici pp. 240-245 (en suivant l’argumentation de Kaiser) ; Marc
Föcking, Pathologia litteralis. Erzählte Wissenschaft und wissenschaftliches Er-
zählen im französischen 19. Jahrhundert, Tübingen, Gunter Narr 2002, pp. 170-
209 (l’histoire des sciences et Flaubert) et pp. 281-305 (l’histoire des sciences et
Zola).
54 L’ouvrage de Föcking est à cet égard une exception notable.
55 Geschichte der Medizin, édition révisée par Axel Hinrich Murken, Stuttgart, Fer-
dinand Enke, 71992, p. 111.
Introduction 29
en particulier. D’un côté, elle fournit les résultats les plus novateurs,
tant dans la méthodologie que dans les connaissances concrètes. De
l’autre, elle érige un nouveau modèle de la vie humaine, qui a des
conséquences philosophiques et esthétiques. Troisièmement, dans le
domaine de la biologie les questions de l’évolution sont désormais
primordiales, l’histoire naturelle est délaissée au profit d’un modèle
‘historique’, dynamique, du développement des espèces. Et quatriè-
mement, les questions de l’hérédité doivent retenir l’attention, surtout
parce qu’elles sont reprises dans l’œuvre de Zola.
C’est en s’appropriant les méthodes des sciences naturelles que la
médecine du XIXe siècle peut prétendre au statut d’une discipline
scientifique ; il faudra attendre la seconde moitié du siècle pour que ce
processus soit véritablement achevé. Auparavant, la médecine déve-
loppe les domaines-clés de la médecine hospitalière, c’est-à-dire
l’observation clinique et l’autopsie, en posant les fondements pour sa
transformation scientifique56. L’observation faite au chevet du malade
devient obligatoire, autant pour l’apprentissage des futurs médecins
que pour l’élargissement des connaissances57. Contrairement aux
autres tentatives empiriques de la médecine, l’observation n’est pas
seulement concrète, mais aussi globale : la construction de grands éta-
blissements58 fait qu’elle s’étend à une multitude de cas ; les médecins
traitants obtiennent les moyens de comparaison, les connaissances
deviennent statistiquement pertinentes (et sont saisies statistiquement).
L’examen du malade est entrepris activement et renforcé par le dia-
gnostic physique59 ; la condition nécessaire de ce processus est le
rapprochement entre médecine et chirurgie, ce qui ne devient possible
qu’au moment où la chirurgie est valorisée comme art médical60. Bref,
la médecine change radicalement ses conditions d’observation.
56 Ibid., p. 111.
57 Jean-Charles Sournia, Histoire de la médecine, Paris, La Découverte/Poche,
1997, p. 201.
58 Les hôpitaux se limitent aux soins des malades ; jusqu’à la Révolution française,
c’étaient souvent des lieux où on trouvait toutes sortes d’indigents (les faibles, les
pauvres, et aussi les malades).
59 Ackerknecht, Geschichte der Medizin, p. 103.
60 Ulrich Tröhler, « L’essor de la chirurgie », dans Mirko D. Grmek (dir.), Histoire
de la pensée médicale en Occident, quatre tomes, Paris, Seuil, 1999, t. III : Du
romantisme à la science moderne, pp. 235-251, ici p. 236 ; Sournia, Histoire de
la médecine, p. 207.
30 La Lutte des paradigmes
66 Ainsi, la mort d’Effi Briest n’est pas à attribuer à une seule cause, alors qu’Emma
Bovary et Nana meurent d’un agent pathogène clairement défini ; cette différence
sera reprise dans la partie sur Effi Briest, car elle est tout à fait primordiale.
67 Cf. De l’Auscultation médiate ou Traité du diagnostic des maladies des poumons
et du cœur, fondé principalement sur ce nouveau moyen d’exploration, Paris, J.-
A. Brosson et J.-S. Chaudé, 1819.
68 Introduction à l’étude de la médecine expérimentale [1865], Paris, Flammarion,
1984, p. 156.
69 Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1963, p. 148, cf. le cha-
pitre VIII « Ouvrez quelques cadavres », pp. 125-149.
32 La Lutte des paradigmes
systématique par celle-ci de tous les instruments et appareils que les sciences
physico-chimiques en plein essor lui ont permis d’adopter, d’adapter ou de cons-
truire tant pour la détection que pour la mesure des phénomènes. » Georges Can-
guilhem, « La constitution de la physiologie comme science », dans G.C., Études
d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Librairie philosophique J. Vrin,
7
1994, pp. 226-273, ici pp. 231 sq.
73 La différence entre l’Introduction et un traité de philosophie abstrait se manifeste
déjà dans le fait que Bernard illustre ses arguments par des exemples et des expé-
riences (partie III).
74 C’était une préoccupation primordiale de la médecine romantique ; cf. Grmek,
« Le concept de maladie », p. 155.
75 Auguste Comte, Discours sur l’esprit positif [1844], éd. Annie Petit, Paris,
Librairie philosophique J. Vrin, 1995, p. 66.
34 La Lutte des paradigmes
83 Auguste Comte rend célèbre et le principe, et son créateur ; cf. Nelly Tsouyopou-
los, « La philosophie et la médecine romantiques », dans Histoire de la pensée
médicale en Occident, t. III, pp. 7-27, ici p. 21.
84 Les incohérences possibles seront indiquées en fin de chapitre.
85 En entrant le terme dans le catalogue électronique de la Bibliothèque nationale,
on obtient un résultat impressionnant, même si on limite la recherche au
XIXe siècle.
86 Cf. ci-dessous, Zola, I. Nana, chap. 3.
87 En 1855, Lélut donne trois conférences sur le sujet, la dernière devant le public
illustre de l’Académie des sciences morales et politiques. Il publie trois textes sé-
parés et résume ensuite ses réflexions dans un seul ouvrage : Physiologie de la
pensée, recherche critique des rapports du corps à l’esprit, Paris, Didier, 1862.
88 Pseudonyme d’Antoine Guitton ; Paris, Vrayet de Surcy, 1848.
89 Trad. de l’allemand Auguste Dietrich (à ma connaissance, il n’y a pas d’édition
allemande), Paris, F. Alcan, 1897.
90 Naturellement, les transpositions littéraires existent : la Physiologie du mariage
de Balzac (1829) vient tout de suite à l’esprit.
36 La Lutte des paradigmes
PREMIERE LOI
Dans tout animal qui n’a point dépassé le terme de ses développe-
ments, l’emploi plus fréquent et soutenu d’un organe quelconque, for-
tifie peu à peu cet organe, le développe, l’agrandit, et lui donne une
puissance proportionnée à la durée de cet emploi […].
DEUXIEME LOI
Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre aux individus par
l’influence des circonstances où leur race se trouve depuis longtemps
exposée, et, par conséquent, par l’influence de l’emploi prédominant
de tel organe, ou par celle d’un défaut constant d’usage de telle par-
tie ; elle le conserve par la génération aux nouveaux individus qui en
proviennent, pourvu que les changements acquis soient communs aux
deux sexes […].101
104 Ce serait l’explication de la théorie évolutionniste pour le fait qu’on peut suppo-
ser un même fonctionnement des organes chez les vertébrés développés, y com-
pris chez l’homme.
105 Peter Morton, The Vital Science. Biology and the Literary Imagination, 1860-
1900, Londres/Boston (MA)/Sydney, George Allen & Unwin, 1984, p. 89.
106 Cf. le chapitre sur Lamarck dans l’étude d’André Pichot, Histoire de la notion de
vie, Paris, Gallimard, 2004, pp. 579-688, ici pp. 579-594 ; cf. également Joachim
Küpper, « Vergas Antwort auf Zola. Mastro-Don Gesualdo als ‘Vollendung’ des
naturalistischen Projekts », dans J.K., Zum italienischen Roman des 19. Jahr-
hunderts. Foscolo. Manzoni. Verga. D’Annunzio, Stuttgart, Franz Steiner, 2002,
pp. 85-113, ici pp. 105 sq.
42 La Lutte des paradigmes
l’était l’an dernier, comme question de l’histoire du droit de succession des fem-
mes, devant l’Académie des sciences morales. Elle l’était encore à la même épo-
que, comme question de pathologie, devant l’Académie de médecine de Paris.
(Mémoires de l’Académie royale de médecine, Paris. 1845, t. XI, pp. 198 sqq.) »
109 François Duchesneau, « La structure normale et pathologique du vivant », dans
Histoire de la pensée médicale en Occident, t. III, pp. 29-57, ici pp. 49 sq.
110 François Duchesneau, « La structure normale et pathologique du vivant », pp. 40-
43.
111 Die Continuität des Keimplasmas als Grundlage einer Theorie der Vererbung,
Jena, Fischer,1885.
112 Une première synthèse (superficielle) se trouve dans Laura Otis, Organic Me-
mory. History and the Body in the Late Nineteenth and Early Twentieth Centu-
ries, Lincoln (NE)/Londres, University of Nebraska Press, 1994, pp. 1-40 et 43-
49. Les développements à propos de Zola ne dépassent pas le stade du lieu com-
mun (pp. 53-75).
113 Ibid., p. 49.
44 La Lutte des paradigmes
long terme, est contrastée par une ligne descendante, à court terme –
une idée biologiste et profondément pessimiste que développent sur-
tout Benedict Auguste Morel, Traité des dégénérescences physiques,
intellectuelles et morales de l’espèce humaine et des causes qui pro-
duisent ces variétés maladives (Paris, J.-B. Baillière, 1857) et Jacques-
Joseph Moreau de Tours, La Psychologie morbide dans ses rapports
avec la philosophie de l’histoire ou de l’influence des névropathies
sur le dynamisme intellectuel (Paris, V. Masson, 1859). La théorie de
la dégénérescence connaît une grande popularité dans les cercles in-
tellectuels ; elle a peu d’importance dans la science proprement dite.
Max Nordau la transpose définitivement à la vie culturelle et fait la
démonstration des avantages qu’il y a à tirer d’un tel dispositif théori-
que : tout comme l’interprétation sociale de la lutte pour la survie, le
concept de dégénérescence permet de réintroduire dans la nature,
marquée par la création et la destruction arbitraires, des valeurs mo-
rales et esthétiques. De plus, la dégénérescence a lieu en l’espace de
quelques générations, c’est un schéma qui réduit le temps naturel au
temps historique. Ainsi, Nordau analyse les différents courants de la
modernité esthétique comme autant d’expressions d’une dégénéres-
cence – l’application de termes cliniques est voulue. L’essence de la
décadence réside dans le « mépris pour les notions traditionnelles de
bonnes mœurs » (« Mißachtung der herkömmlichen Anschauungen
von Anstand und Sitte »), dont la raison profonde est à chercher dans
une « usure organique excessive » (« übermäßiger organischer Abnut-
zung » – le caractère vague de la conception est ‘symptomatique’)114.
Il s’agit de la tentative de soumettre des durées biologiques à des fins
polémiques, de réduire, d’une manière quelque peu violente, des pro-
cessus naturels irrésistibles à une échelle humaine ; Zola se servira de
la même stratégie, avec plus de finesse, bien entendu.
L’écart entre la connaissance scientifique positive et les hauteurs
de la spéculation héréditaire manifeste un trait caractéristique de la
science du XIXe siècle, qui sera abordé en guise de conclusion : il y a
une co-existence entre le positivisme scientifique et une pensée méta-
physique. Ce n’est pas la persistance du catholicisme ou la naissance
de nouveaux intérêts spirituels, tels les débuts de l’ésotérisme à l’âge
scientifique, que je vise. Il s’agit plutôt d’une tension qui traverse le
travail et la connaissance scientifiques mêmes. Darwin prête son at-
114 Max Nordau, Entartung, deux tomes, Berlin, Carl Duncker, 1892, t. I, pp. 9 et 69.
Introduction 45
I. SALAMMBO
1 Pour un résumé de l’état actuel de la recherche sur l’œuvre de Flaubert, cf. Yvan
Leclerc, « Flaubert contemporain : bilan et perspectives », Romantisme. Revue du
dix-neuvième siècle, n° 135, 2007, pp. 75-86.
2 Le terme ‘actualisme’, forgé par Hugo Friedrich, me semble plus précis que
‘réalisme’ : les textes historiques comprennent également des éléments dits ‘ré-
alistes’, le cas de Salammbô étant ici particulièrement frappant ; on pensera au
mode de narration, au rôle de la description, aux observations physiologiques,
etc. (cf. ci-dessous, « Le roman à l’antique », chap. 2). Mon choix terminologique
essaye d’éviter la confusion. Le terme ‘réalisme’, employé pour désigner mé-
thode et sujet à la fois, est plus flou que le concept ‘actualisme’, qui vise uni-
quement le sujet. Pour la définition de Friedrich, cf. Drei Klassiker des franzö-
sischen Romans, Stendhal, Balzac, Flaubert, Francfort-sur-le-Main, Vittorio
Klostermann, 71973, p. 23.
48 La Lutte des paradigmes
n’ont pas reçu l’attention qu’elles méritent. Par la suite seront donc
interrogées quelques-unes de ces sources, afin de cerner leur apport à
la conception du roman. En devançant le résultat des recherches, on
peut déjà retenir que ces sources fournissent des traits de caractère
décisifs aux personnages du roman ; leur apport est donc crucial.
Dans un troisième temps, la dimension historique du roman sera
abordée. L’approche passe par les sources historiques : leur emploi et
leur fonction au niveau de l’ensemble du texte seront alors interprétés.
Le procédé d’élaboration général et les décisions fondamentales
l’emporteront sur une analyse détaillée des relais intertextuels. Il im-
porte de comprendre la démarche de Flaubert, ses notions historiques
les plus fondamentales, et non de savoir si tel plat est vraiment tiré de
Tite-Live. Dans cette perspective, deux auteurs modernes retiennent
mon attention : en premier lieu Michelet, car il joue un rôle prépondé-
rant – ses textes servent de repoussoir idéologique au romancier.
Deuxièmement Dureau de La Malle, un historien-géographe qui tente
de restituer sa gloire à Carthage (contre la puissante tradition romaine
de sa discipline). L’analyse de ces deux auteurs permet de souligner
les partis pris du romancier.
Finalement, la poétique de l’histoire de Flaubert ne s’établira qu’à
partir d’une vue d’ensemble des analyses précédentes ; la comparaison
avec les conceptions contemporaines de l’histoire fera voir toute son
originalité. À ce moment, on pourra tirer les conclusions et en venir à
la conception flaubertienne de l’Homme.
Le procédé sera parfois méticuleux, car j’entreprends la comparai-
son exacte entre le roman et ses textes de référence. Cette entreprise
veut remédier à un déficit dans la recherche actuelle : la relation entre
Salammbô et ses sources – je pense surtout aux sources médicales –
n’a pas été établie ; cela marque une deuxième différence avec les
autres romans interprétés par la suite, et explique l’étendue de mon
analyse. Cependant une étude de sources purement philologique n’est
pas le but visé, vu l’interrogation générale de mon projet : tout sera
entrepris dans la perspective du rapport entre la mise en scène de
l’histoire et le versant scientifique du roman. S’il faut passer par des
analyses de détail, ce n’est pas pour en rester là. Elles ne constitueront
qu’autant d’étapes dans la définition des deux strates, histoire et bio-
logie. Il va donc de soi que les sources ont été sélectionnées en
fonction de leur importance – que ce soit pour Flaubert ou bien pour
l’histoire des idées en général.
LE ROMAN A L’ANTIQUE :
PERSPECTIVISME ET MYTHOLOGIE
2. Le perspectivisme à l’antique
59 « Fragen wir nun weiter nach der äusseren Gestalt, so war das Bild des Cartha-
gischen Baal oder Moloch wahrscheinlich dem Molochsbilde der Cananiter völ-
lig ähnlich […]. Sie [la statue du dieu ; N.B.] war von Metall, in gebückter Stel-
lung, mit ausgestreckten und erhobenen Händen, inwendig hohl und durch einen
unten angebrachten Ofen glühend gemacht. In die Hände legte man die zum
Opfer bestimmten Kinder, welche so in den Feuerschlund hinabrollten […] ».
Creuzer, Symbolik, II.2, p. 446. Cf. S, pp. 328-332, où on retrouve le même pro-
cédé : une statue creuse en métal est chauffée à blanc, ensuite, on jette les enfants
dans sa bouche.
60 Correspondant à la conception anti-idéaliste des caractères : « Or, le système de
Chateaubriand me semble diamétralement opposé au mien ? Il partait d’un point
de vue tout idéal. Il rêvait des martyrs typiques. Moi, j’ai voulu fixer un mirage
en appliquant à l’Antiquité les procédés du roman moderne […]. […] Rien de
plus compliqué qu’un Barbare. » Lettre à Sainte-Beuve, 23 et 24 décembre 1862,
Correspondance, t. III, p. 276.
61 Creuzer, Religions de l’Antiquité, I.1., pp. 14 et 23.
62 Creuzer parle d’un « art vraiment divin » ; ibid., p. 15.
63 Ibid., pp. 19-21.
68 La Lutte des paradigmes
64 Les barbares n’y comprennent rien, le « vieil idiome chananéen » leur étant
inconnu (S, pp. 71 sq.). Le lecteur profite de la ‘traduction’ française, ce qui
n’éclaire pas davantage le sens du mythe. Ainsi, tout au long du roman, les
mythes d’origine seront présentés, testés dans leur pouvoir de présence et de sé-
duction.
65 Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 30 mars 1857, Correspondance, t. II,
pp. 696-700, ici p. 698 ; je souligne.
66 C’est-à-dire une approche formelle, qui privilégie l’interrogation des facultés de
notre esprit, plutôt que celle des contenus particuliers ; les contenus, de leur côté,
appartiennent au domaine de l’anthropologie.
« Salammbô » 69
1. L’amour à l’antique
73 On lit en effet dans Madame Bovary : « Cet esprit […] s’insurgeait devant les
mystères de la foi […] ». (MB, p. 41) Les religieuses sont soulagées quand
Emma part du couvent.
74 Et plus tard pour Moloch, bien sûr, et son ‘représentant’ Mâtho.
« Salammbô » 75
75 Encore une fois, Creuzer n’est pas loin : il décline aussi la perception du symbole
selon le registre esthétique du sublime ; cf. « Le roman à l’antique », chap. 3.
76 La Lutte des paradigmes
Pis encore, les auteurs qui lui fournissent les observations en ques-
tion93, ne sont même pas toujours des médecins – un procédé qui au-
rait suscité le désaveu de Claude Bernard. Le Traité complet de
l’hystérie hésite entre une approche scientifique et expérimentale pro-
prement dite et une démarche érudite.
Quant au contenu du Traité : de toute logique, l’intérêt littéraire
d’un ouvrage de médecine réside primordialement dans la partie des-
criptive et dans l’explication des causes, la première fournissant le
matériau pour peindre un caractère, la deuxième expliquant les origi-
nes de son mal, souvent par l’analyse d’un tempérament, de ses habi-
tudes et de son milieu. Il faut y ajouter la question du traitement qui
rend également compte des prédispositions et du comportement de
l’individu. Bref, la symptomatologie (chap. 3), l’étiologie (chap. 7) et
la thérapeutique (chap. 11) sont des parties privilégiées pour l’écrivain
et pour l’analyse critique, car elles fournissent nombre de clés pour la
conception et la compréhension du personnage romanesque.
C’est surtout dans la symptomatologie que littérature et science se
rapprochent, la médecine elle-même gagnant ici un pouvoir évocateur
artistique. Landouzy dépeint les prodromes de l’invasion première
dans les termes suivants :
[…] on remarque […] une grande irritabilité […] ; un besoin incessant
de s’étendre, de s’étirer, de marcher, de changer de position ; des
idées tristes, des pleurs ou des rires sans sujet ; des rêvasseries, des
rêves bizarres ou effrayants, des insomnies ; tantôt des frissons
vagues [annotation, citation d’Hippocrate ; N.B.], tantôt une chaleur
brûlante ; fréquemment un froid glacial aux mains ; des variations
extrêmes dans l’appétit et les digestions ; plus tard, des battements de
cœur et des spasmes sous les moindres influences ; enfin, une gêne
d’abord faible, puis très-pénible à la gorge, une constriction doulou-
reuse à l’épigastre et à la poitrine, et la sensation d’une boule qui
monte plutôt de la poitrine que de l’hypogastre. (Trhy, pp. 23 sq. ; je
souligne)
93 Il rapporte 400 observations faites par plus de 150 auteurs (Trhy, p. 5) et publiées
dans un tome annexe au Traité complet.
« Salammbô » 81
94 La douleur de tête, appelée « clou hystérique », n’est pas sans rappeler l’idée fixe
qui « cloue » Salammbô selon son auteur (cf. la lettre citée en début de chapitre).
95 Edelman, Les Métamorphoses de l’hystérique, pp. 16-19.
82 La Lutte des paradigmes
96 Elle est l’héritage de la théorie des vapeurs, une théorie médicale très répandue
des XVIIe et XVIIIe siècles, et désuète depuis les traités de J. Raulin et Robert
Whytt, c’est-à-dire depuis 1764 au plus tard. Dans l’article « vapeurs », cette dé-
signation est expliquée de la façon suivante : « L’hystérie est, parmi elles, celle
qui a reçu plus particulièrement le nom de vapeurs, parce que les malades, dans
les attaques de cette affection, disent éprouver la sensation d’une boule qui re-
monte de la matrice au gosier, globe qu’on a pu supposer composé d’air, bien que
ceux-ci le croient solide, par la strangulation qu’il leur cause. C’est donc par
l’idée que des gaz ou vapeurs, qui ne sont pour quelques-uns que le fluide ner-
veux lui-même exubérant, parcourent ou suivent les ramifications nerveuses,
qu’on a désigné les maladies produites par le mot même de la cause qui les occa-
sione [sic] ; c’est là l’acception la plus commune, dans le langage des gens du
monde, du mot vapeurs. » (Dictionnaire, t. XV [1821], p. 576). Cette analyse de
l’hystérie est surannée à partir du moment où les anatomistes, tel Whytt, ont re-
marqué que les vapeurs ne peuvent pas monter dans les canaux nerveux, ceux-ci
étant solides. Cf. Trillat, Histoire de l’hystérie, pp. 71-77, surtout p. 75.
« Salammbô » 83
voir sa figure, des éclairs m’éblouissent, puis je retombe dans les té-
nèbres.’ » (S, p. 110). Le renversement de la tête est spécifique de
l’hystérie convulsive97 :
La tête se renverse, la face, le cou et la poitrine se gonflent, et les
contractions spasmodiques des muscles thoraciques, jointes aux con-
vulsions des muscles de l’abdomen, du diaphragme, de la trachée et
du larynx, paraissent suspendre la respiration. (Trhy, pp. 52 sq. ; je
souligne).
102 Edelman souligne que Landouzy émet des réserves quant au traitement par ma-
riage, considéré comme une bonne thérapie à l’époque ; il est vrai que Landouzy
limite son utilité à certains cas. Les Métamorphoses de l’hystérique, p. 42.
86 La Lutte des paradigmes
103 Le troisième argument est pragmatique, la princesse ne trouve pas attirants les
hommes en question.
104 La musique lui devient insupportable lors d’une petite crise (S, p. 107).
105 En l’attribuant à une pathologie du système nerveux utérin, Landouzy enlève
toute dimension morale à l’hystérie, souvent vue comme maladie pécheresse (cf.
aussi Edelman, Les Métamorphoses de l’hystérique, p. 42). C’est une conception
amorale de la maladie, qui légitime la mise en scène immorale de Flaubert.
106 Georg Lukacs, Le Roman historique, trad. de l’allemand Robert Sailley, Paris,
Payot & Rivages, 2000, p. 211.
« Salammbô » 87
109 Ici, je ne fais pas référence aux raisons qui ont pu motiver les conseils de la
servante Taanach – elles sont certainement celles d’une personne du peuple,
sages et simples. Il s’agit uniquement des raisons données ex negativo dans la
dernière citation.
« Salammbô » 89
lisibilité. Ainsi, le regard porté sur Salammbô se situe entre deux ex-
trêmes possibles, entre une perception purement ‘antique’ et un regard
exclusivement moderne sur le mal du personnage.
Contrairement à la critique articulée par Lukacs, cet emploi de
l’hystérie me semble contenir un potentiel subversif important. Il n’est
pas fortuit de constater que Flaubert compare Salammbô à
sainte Thérèse110 : ce qui serait aujourd’hui considéré comme une
maladie, est encore inextricablement lié à l’amour et au sacré dans
l’Antiquité conçue par Flaubert 111. Ce lien amène inévitablement une
remise en question des idées morales d’aujourd’hui et de leur portée
universelle. Si le lecteur contemporain reconnaît des traits de caractère
modernes dans le personnage antique, il n’est pas dit que Salammbô
est juste un roman à costumes peuplé de caractères sentimentaux : tout
au contraire, la parenté est plutôt inquiétante.
3. Mâtho et la thérapie
110 Le Dictionnaire des sciences médicales montre que Flaubert n’est pas le seul à
remarquer cet ancien lien entre le sacré et la maladie : la même sainte y figure
comme exemple « d’hystérie mélancolique » (Dictionnaire, XIII, p. 235). La
sainte peut même inciter à l’imitation de l’hystérie : « De toutes les fonctions de
l’entendement, l’imagination est celle qui d’abord dispose le plus à cette maladie,
et qui, par suite, la détermine le plus souvent. […] La mémoire, en reproduisant à
l’esprit de la jeune femme les traits de son amant, […] ou en offrant à la jeune
vierge des images voluptueuses, des tableaux lascifs, des expressions brûlantes,
peut également influer sur la production de l’hystérie (telle était sainte Thérèse,
qui nous représente un exemple d’hystérie mélancolique) […] ».
111 Un autre parallèle s’impose, celui avec l’âge baroque, époque qui mêle inextrica-
blement extase religieuse et sensualité. C’est par la référence à sainte Thérèse
(1515-1582), qui défendait une mystique christique très caractéristique, que
Flaubert établit lui-même le lien.
90 La Lutte des paradigmes
Mâtho met lui-même le doigt sur son mal : son amour n’est point
un sentiment tendre, idéaliste, tel qu’il a prévalu en Occident, depuis
la vénération de l’amour courtois jusqu’au rêve de fusion avec l’être
aimé tel qu’il est conçu par le néoplatonisme romantique. Le senti-
ment du barbare est un mélange d’attirance et de terreur, il est marqué
par la peur. Salammbô, loin d’être une idole dans son cœur, le pour-
suit tel un mauvais esprit. Face à un tel phénomène, qui affecte autant
l’âme que le corps, Mâtho cherche un moyen pour se guérir. La
thérapeutique n’est pas à comprendre dans un sens moderne : les soins
consistent en un mélange de médecine, de religion et de magie. Rien
ne soulage le guerrier, le but est seulement atteint quand Mâtho
« Salammbô » 91
Le portrait n’est point flatteur. Il est repris peu de temps après, lors
de la première campagne des Carthaginois : Hannon, comparé à un
hippopotame (S, p. 164), est apparenté à l’autre animal pachyderme,
celui qui donne son nom à la maladie. Il souffre d’une « soif inces-
sante » (S, p. 164 sq.) et émet « une haleine plus nauséabonde que
l’exhalaison d’un cadavre » (S, p. 165). La suite se dessine de la
sorte :
Deux charbons semblaient brûler à la place de ses yeux, qui n’avaient
plus de sourcils ; un amas de peau rugueuse lui pendait sur le front ;
ses deux oreilles, en s’écartant de sa tête, commençaient à grandir ; et
les rides profondes qui formaient des demi-cercles autour de ses nari-
nes lui donnaient un aspect étrange et effrayant, l’air d’une bête
farouche. Sa voix dénaturée ressemblait à un rugissement […]. (Ibid. ;
je souligne)
« Salammbô » 93
Son appétit est feint, il mange par « ostentation » (ibid.). Mais cela
n’est que le début. Lors du retour d’Hamilcar, son mal a déjà aug-
menté : « […] ses yeux disparaissaient sous les plis de ses paupières
[…] », sa voix est « rauque et hideuse » (S, p. 180). Bien plus tard, en
pleine guerre, sa maladie, « en rongeant ses lèvres et ses narines, avait
creusé dans sa face un large trou ; à dix pas, on lui voyait le fond de sa
gorge » (S, p. 287). Il se lance dans une course folle contre le déclin.
Pris d’une rage sans égale, Hannon dévaste la campagne, massacre ce
qu’il trouve sur son chemin, et obéit à ses pulsions sexuelles impérati-
ves : « […] les plus belles [femmes ; N.B.] étaient jetées dans sa li-
tière – car son atroce maladie l’enflammait de désirs impétueux ; il les
assouvissait avec toute la fureur d’un homme désespéré. » (S, p. 354)
Quand les Mercenaires le capturent et s’apprêtent à la crucifier, son
corps montre toute sa laideur : « […] l’horreur de sa personne apparut.
Des ulcères couvraient cette masse sans nom ; la graisse de ses jambes
lui cachait les ongles des pieds ; il pendait à ses doigts comme des
lambeaux verdâtres […]. » (S, p. 357) Son organisme ne se prête
même plus au châtiment qui lui a été réservé : « Ses os spongieux ne
tenant pas sous les fiches de fer, des portions de ses membres s’étaient
détachées ; – et il ne restait à la croix que d’informes débris […]. » (S,
p. 358 sq.) Une fin grotesque qui annonce le déclin de Carthage face à
la puissance romaine.
Évidemment, la plupart des critiques reprennent les catégories es-
thétiques et symboliques dont le corps lépreux est porteur. Hannon est
caractérisé par les termes esthétiques les plus déconsidérés : il est
hideux, difforme, inerte – en un mot, il est abject. Cette dépréciation
esthétique atteint son comble dans le rapprochement avec une momie.
Par cette comparaison, le texte préfigure bien sûr sa mort à moyen
terme, et, qui plus est, il fait du suffète un cadavre vivant. Si on tient
compte du fait que le cadavre en décomposition est la conception la
plus radicale du laid qui soit, ‘l’idéal’ d’une altérité répugnante et
inassimilable114, Hannon devient un emblème d’esthétique négative –
l’antiquité classiciste est loin. De même, la valeur symbolique
d’Hannon ne présage rien de positif. Dans sa maladie, qui le fera litté-
ralement tomber en morceaux, on peut lire le manque d’unité politique
de sa patrie, la dissidence des parties, la victoire des intérêts particu-
114 Winfried Menninghaus, Ekel. Theorie und Geschichte einer starken Empfindung,
Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1999, p. 7.
94 La Lutte des paradigmes
115 Il s’agit du tome XI (1815), pp. 401-428 ; l’auteur de l’article est Fournier. Le
Dictionnaire propose en outre les articles « lèpre », « lépreux » et « léproserie »,
dans t. XXVII (1818), pp. 418-451, 451-484 et 484-485 ; Flaubert a certainement
consulté l’article « lèpre », ses notes le prouvent ; cf. Bibliothèque Nationale, Ms.
NAF 23662, f° 154 recto. Il l’indique également dans la lettre à Sainte-Beuve, du
23 et 24 décembre 1862, Correspondance, t. III, p. 277.
« Salammbô » 95
La peau d’une ou des deux jambes est dure, bosselée, de couleur gri-
sâtre, et ressemble exactement au cuir d’un éléphant. […] Le tissu
cellulaire des parties affectées ne forme plus qu’une masse lardacée.
La peau, dans beaucoup de cas, se rompt et présente un ulcère fon-
gueux […]. (Dictionnaire, t. XI, p. 403 ; je souligne)
(S, p. 163), qui, faute de véritable thérapie à proposer, sont très appré-
ciés par l’auteur de l’article « éléphantiasis » 116.
Mais ce qui frappe plus que toutes ces références plus ou moins
explicites, ce sont les emplois à contresens de certains symptômes et
remèdes. D’abord, la médecine moderne ne croit pas au désir sexuel
du lépreux : « M. Alibert [l’auteur de référence de l’article, et auteur
de l’article « lèpre » ; N.B.] et d’autres observateurs démentent
l’assertion des auteurs qui prétendent que les lépreux sont très-portés
au coït : il est constant, au contraire, qu’ils ont de la répugnance pour
cet acte […] ». (Dictionnaire, t. XI, p. 406) Le personnage d’Hannon,
au contraire, est justement basé sur cette envie, il est un homme
s’adonnant à la luxure et à la débauche sadique. Flaubert utilise alors
non les idées modernes sur cette maladie, mais les préjugés des An-
ciens, qui croyaient que la maladie avait sa source dans une libido
excessive : « Mais Archigène, Aëtius, Fernel, Desfrançois, Arbault,
Baillou lui-même, Schurig, etc. conseillaient la castration. » (Diction-
naire, t. XI, p. 423) Parallèlement, il emploie de manière ostensible un
certain remède :
[…] l’homme vêtu de jaune […] lui tendant une coupe d’or où fumait
un bouillon de vipère : « Bois ! dit-il, pour que la force des serpents,
nés du soleil, pénètre dans la moelle de tes os, et prends courage, ô re-
flet des Dieux ! » (S, pp. 164 sq.)
116 « Parmi beaucoup de moyens externes proposés contre la lèpre tuberculeuse, les
bains tiennent le premier rang, et l’expérience a justifié leur utilité. […] Ces eaux
administrées en douche [les bains sulfureux d’eaux minérales] peuvent résoudre
les engorgements du tissu cellulaire, ramollir la peau, et favoriser l’usage de re-
mèdes internes […] ». (Dictionnaire, t. XI, p. 426)
« Salammbô » 97
L’éléphantiasis est de toutes les lèpres celle qui a été la mieux décrite
par les anciens. Ce mal affreux était connu des Hébreux, des Perses,
des Grecs, des Arabes ; il était plus commun chez ces peuples qu’il ne
l’est parmi nous, où cependant il s’observe encore aujourd’hui. […]
Les affections lépreuses si célèbres chez le peuple hébreu, sont assez
rares de nos jours, dans nos climats tempérés et septentrionaux sur-
tout ; leur histoire se lie essentiellement avec celle du peuple de Dieu,
chez lequel régnaient toutes les espèces de lèpres. (Dictionnaire, t. XI,
p. 403 ; je souligne)
119 Les malades « meurent dans un état de marasme qui excite en même temps la
compassion et l’horreur » (Dictionnaire, t. XI, p. 407). Évidemment, la compas-
sion fait défaut au roman.
120 « Quoique l’éléphantiasis soit une maladie fort ancienne […] elle est encore du
nombre de celles dont l’étiologie et l’histoire, même, ne sont point éclairées
d’une manière tout à fait satisfaisante pour le médecin. » (Dictionnaire, t. XI,
pp. 417 sq.).
« Salammbô » 99
121 Dans son édition du roman, Séginger note que Flaubert en fait un personnage
négatif, alors que Polybe, Diodore de Sicile et Chateaubriand lui auraient attribué
des vertus ; il a pu tirer ses traits de caractère de la Vie d’Héliogabale par
Lampride (S, p. 163, note 1 et 2). Dans ce cas-là, seule la maladie impliquerait le
caractère féroce du suffète. Il faut toutefois rappeler que Dureau de La Malle, un
auteur révéré par Flaubert, attribue à Hannon une tentative d’empoisonner le Sé-
nat : « Justin, abréviateur de Trogue Pompée, nous dit qu’Hannon, aspirant à la
tyrannie, conçut le projet d’empoisonner le sénat de Carthage, et choisit le jour
du mariage de sa fille pour donner un festin au peuple dans les portiques publics,
et au sénat dans son palais […]. Hannon était alors l’amiral de la flotte
[…] ». Alphonse Jules César Auguste Dureau de La Malle, Recherches sur la
topographie de Carthage, Paris, Firmin-Didot frères, 1835, p. 88. C’est donc
aussi dans les sources historiques que l’on trouve des justifications pour la
conception négative du personnage.
100 La Lutte des paradigmes
122 Parmi les exemples figurent les attaques irréfléchies contre Carthage (S, p. 299),
la mauvaise alimentation la veille au soir de la bataille (S, p. 362), la démesure de
leurs exigences, la joie face à la mort des alliés, motivée par l’espoir d’obtenir
plus de butin (S, p. 304), la fuite devant l’armée d’Hamilcar (S, p. 282).
123 Historiquement on peut y reconnaître l’écho des nouveaux barbares, un spectre
qui hante le XIXe siècle (sur ce point, le Manifeste touche juste). Après la Révo-
lution et la Terreur, les élites des pays occidentaux, celles de la France en pre-
mière ligne, craignent un nouveau soulèvement des masses révolutionnaires
(Chateaubriand, Thierry) – ou bien au contraire elles souhaitent ardemment le
retour rénovateur du Peuple (Michelet, Quinet). Cf. Gisèle Séginger, Flaubert.
Une poétique de l’histoire, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg,
2000, pp. 109-114, surtout p. 111. Séginger constate une évolution dans l’opinion
de Flaubert face au problème : après une attitude plutôt positive au début, il se
rend à une opinion dépréciative. Néanmoins les masses barbares restent un mo-
yen de choix pour mettre en question la société bourgeoise haïe (pp. 111, 113).
Cf. de même Anne Green, « Flaubert’s Myth of Civilisation and Orient », dans
Colin Smethurst (dir.), Romantic Geographies. Proceedings of the Glasgow
Conference (septembre 1994), Glasgow, University of Glasgow, 1996, pp. 215-
225.
124 « Quel est ce peuple, pensaient-ils, qui s’amuse à crucifier les lions ! » (S, p. 86)
125 « Ce grand bruit et cette grande lumière avaient attiré les Barbares au pied des
murs ; se cramponnant pour mieux voir sur les débris de l’hélépole, ils regar-
daient béants d’horreur. » (S, p. 332)
« Salammbô » 103
lâche à son tour, et sous le vernis lisse et uni, son fondement est aussi
hétéroclite que la foule des Mercenaires. La vue panoramique sur la
ville le fait comprendre : « […] tout cela montait l’un sur l’autre en se
cachant à demi, d’une façon merveilleuse et incompréhensible. On y
sentait la succession des âges et comme des souvenirs de patries
oubliées. » (S, p. 115)
Le roman rétrécit sensiblement l’écart entre les camps ennemis ;
l’application des termes opposés civilisé / barbare est fragile. Comme
toujours dans l’œuvre de Flaubert, le nivellement d’une opposition se
fait principalement vers le bas 126, les Carthaginois ressemblent de
manière défavorable aux Mercenaires. Le manque de sympathie pour
les uns et pour les autres, l’absence de tout être neutre, tant déplorée
par Sainte-Beuve127, prouvent de nouveau l’impartialité du perspecti-
visme flaubertien. En un mot, pendant la majeure partie du roman les
Barbares enrichissent la perspective historique, positive, anthropolo-
gique sur le monde antique.
La péripétie affreuse dans « Le défilé de la Hache » bouleverse la
donne. Le chapitre présente une des scènes les plus emblématiques du
livre : par une ruse d’Hamilcar, une grande partie de l’armée merce-
naire est prise au piège dans une vallée rocheuse. Toute sortie est blo-
quée, les approvisionnements sont coupés, les réserves s’épuisent
rapidement ; faim et soif gagnent les troupes. Pendant dix-neuf jours
les Mercenaires souffrent de privations, la moitié en meurt, c’est-à-
dire 20 000 hommes ; les autres survivent, grâce à l’anthropophagie
notamment – ils mangent des cadavres, et tuent même leurs cama-
rades. Hamilcar les laisse sortir à la fin, pour arrêter leurs chefs et
massacrer les autres survivants avec un calme sadique (S, pp. 337-
352).
La radicalité littéraire du chapitre est extraordinaire, mais il im-
porte autant de souligner sa valeur structurelle et symbolique. Géné-
ralement, la critique n’y prête pas une grande attention ; elle est pro-
bablement quelque peu aveuglée par la cruauté de l’épisode. Celle-ci
128 Le troisième chapitre dans la série est celui de « Moloch », avec sa révoltante
scène de sacrifice.
129 L’autre partie de cette parenthèse finale est évidemment la bataille finale et la
punition rituelle de Mâtho.
130 Lettre du 7 octobre 1861, Correspondance, t. III, pp. 178 sq., ici p. 179. Cf.
également la lettre à Mme Jules Sandeau du 21 octobre 1861 : « Je viens de me
livrer à des lectures médicales sur la soif et la faim et j’ai lu entre autres la thèse
du docteur Savigny, le médecin du radeau de La Méduse. Rien n’est plus drama-
tique, atroce, effrayant. Quel est le sens providentiel de toutes ces tortures ? »
(Cette question surprend : elle n’est pas typique pour Flaubert et ne correspond
pas au ‘message’ du roman ; il s’agit peut-être d’un geste de politesse envers la
destinataire. Quoi qu’il en soit, elle est toute relative, car elle est suivie de remar-
ques très ironiques sur des écrivains contemporains). Citée d’après G.F., Œuvres
complètes du Club de l’honnête homme, t. XIV, pp. 85 sq., ici p. 86.
131 « Salammbô », p. 226.
« Salammbô » 105
132 Paris, A. Eymery, 1818 ; par la suite, je citerai cet ouvrage par l’abréviation
‘Obs’, suivie de la page.
133 Sources et méthode, p. 496 ; les notes sont à la bibliothèque municipale de
Rouen, il s’agit du Msg 474.
134 Naufrage de la frégate La Méduse faisant partie de l’expédition du Sénégal
en 1816 ; relation contenant les événemens qui ont eu lieu sur le radeau, dans le
désert de Saara, à Saint-Louis et au camp de Daccard (Paris, Hocquet, 1817) ; ce
récit a connu cinq (!) éditions jusqu’en 1821, actuellement, il existe une édition
de poche (Gallimard, 2005). Pour le contexte historique, je me réfère à la post-
face instructive d’une traduction allemande : J.B. Heinrich Savigny et Alexander
Corréard, Schiffbruch der Fregatte MEDUSA auf ihrer Fahrt nach dem Senegal
im Jahr 1816, Nördlingen, Greno, 1987, pp. 129 sqq.
106 La Lutte des paradigmes
135 La patrie dans les deux cas, ensuite le festin des barbares ou la frégate des naufra-
gés. Dans le même registre, il y a la vaine prétention de maîtriser encore la situa-
tion, tel ce M. Griffon qui dit à Alexandre Corréard : « Je me rappelle que nous
avons été abandonnés par les embarcations ; mais ne craignez rien, je viens
d’écrire au gouvernement, et dans peu d’heures nous serons sauvés. » (Obs,
p. 32) Flaubert a retenu cette anecdote dans ses notes de lecture.
136 Obs, p. 47 ; S, p. 344.
« Salammbô » 109
137 Savigny relate l’incident de la manière suivante: « Comme moi, [les autres ;
N.B.] croyaient avoir été agités par des songes terribles. M. Dupont, capitaine
d’infanterie, était dans un état d’anéantissement profond, duquel il ne sortit que
parce qu’un matelot, entièrement aliéné, voulait lui couper le pied avec un mau-
vais couteau : la vive douleur qu’il éprouva lui rendit la raison. » (Obs, p. 33)
138 « Des gens évanouies se réveillaient au contact d’une lame ébréchée […] ». (S,
p. 342 ; je souligne)
139 Savigny insiste sur ce palmarès de la torture : « J’ai cruellement été éclairé sur
cette vérité, que le besoin de la soif est bien plus pénible à supporter que celui de
la faim. En effet, le premier causait seul alors tous nos maux, tandis que l’autre
arrachait à peine la plus légère plainte. » (Obs, pp. 17 sq.)
« Salammbô » 111
140 « Mais, à force d’avoir pillé des temples, vu quantité de nations et d’égorge-
ments, beaucoup finissaient par ne plus croire qu’au destin et à la mort ; et
chaque soir ils s’endormaient dans la placidité des bêtes féroces. » (S, p. 159)
Flaubert fait des Mercenaires les premiers mythologues comparatifs. Mais leurs
connaissances ne nourrissent pas, chez eux, un intérêt scientifique, tout au
contraire, elles amènent la perte de la religion en tant qu’acquis civilisateur –
c’est une régression. On notera que la pensée mythique n’est pas dépassée, car
les Mercenaires ‘athées’ restent superstitieux.
112 La Lutte des paradigmes
141 Dans ce contexte, il n’est surtout pas à comprendre dans un sens chrétien : il faut
plutôt penser à Aristote, qui définissait l’âme comme la forme et le principe vital
du corps, comprenant la capacité de percevoir, de penser et de bouger, mais aussi
celle de se nourrir ; cf. Aristote, De l’âme, éd. Antonio Jannone, trad. Edmond
Barbotin, Paris, Les Belles Lettres, 1995, livre II, 413 a- 416 a, ici 415 a (pp. 31-
40, ici pp. 37-39 dans l’édition citée).
142 Elle n’a rien de religieux du point de vue du personnage en question. Les specta-
teurs, de leur côté, célèbrent un rite quasi-religieux.
143 « Le désir impérieux de la conservation fit pour un moment taire toutes les
craintes […] ». (Obs, p. 25)
« Salammbô » 113
144 Hamilcar et son fils ont l’aura des grandes destinées (S, p. 308) ; c’est le manque
d’idéaux qui le distingue d’un héros romantique. Il faut soutenir le constat de
Jean Borie : « Il y a bien, dans Salammbô, des personnages ‘modernes’, Hamilcar
ou Spendius. Mais comment croire en un progrès, annoncé, représenté par
Hamilcar ou Spendius ? Salammbô barre toute vision optimiste et ‘occidentale’
de l’Histoire. Cela signifie qu’il était déjà difficile de croire à une Histoire pro-
gressiste en 1862. » Archéologie de la modernité, Paris, Grasset, 1999, p. 320.
114 La Lutte des paradigmes
149 Cité par la suite d’après l’article publié dans les Annales de chimie et de physi-
que, n° 3, 1816, pp. 66-77, ici p. 67 ; je citerai par l’abréviation ‘Mémoire’, sui-
vie de la page. Un des directeurs de la revue est Gay-Lussac, une autre contribu-
tion parue dans le même numéro est écrite par Alexander von Humboldt.
« Salammbô » 117
150 Même si une différence considérable reste à mentionner : Flaubert donne une
grande place aux réactions psychiques.
118 La Lutte des paradigmes
agonisants n’ont pas seulement pour frères les lions crucifiés151, mais
aussi les petits chiens de Magendie.
151 Quand le premier vautour se pose sur sa croix, Spendius s’adresse à son frère
d’armes Autharite : « ‘Te rappelles-tu les lions sur la route de Sicca ?’ ‘C’étaient
nos frères !’ répondit le Gaulois en expirant. » (S, p. 358)
SALAMMBO ET L’HISTOIRE :
SOURCES ET CONCEPTIONS
152 C’est la raison pour laquelle seront uniquement abordées des sources modernes ;
si Polybe est mentionné, ce sera en marge. Certes, on pourrait voir de quelle ma-
nière Flaubert transforme les ouvrages des Anciens, mais il ne faut pas perdre de
vue l’objectif fixé : une vue globale sur ce qu’est l’homme au XIXe siècle, oscil-
lant entre les pôles d’interprétation que sont l’histoire et les sciences de la vie.
120 La Lutte des paradigmes
153 Anne Green, Flaubert and the Historical Novel. Salammbô Reassessed, Cam-
bridge/London/New York (NY)/New Rochelle (NY)/Melbourne/Sydney, Cam-
bridge University Press, 1982 ; Séginger, Flaubert. Une poétique de l’histoire ;
Volker Durr, Flaubert’s Salammbô. The Ancient Orient as a Political Allegory of
Nineteenth-Century France, New York (NY)/Washington (DC)/Baltimore (MD)/
Berne/Francfort-sur-le-Main/Berlin/Bruxelles/Vienne/Oxford, Peter Lang, 2002.
154 Green et Durr interprètent Salammbô comme une allégorie de la France
contemporaine ; Green parle, de manière moins emphatique, de ‘parallèles’ (cf.
chap. 4 : « Salammbô and nineteenth-century French society », pp. 58-72, et
chap. 5 : « Political and economic parallels », pp. 73-93), Durr interprète le ro-
man à l’aide de la conception de l’allégorie de Walter Benjamin (cf. chap. 4 :
« An Allegory of Bonapartism », pp. 87-111).
« Salammbô » 121
155 Flaubert, qui se méfie des Grecs quant à la véridicité de leurs jugements histori-
ques et culturels, leur fait tout de même confiance pour la chronologie : « J’en di-
rai autant de Polybe. C’est pour moi une autorité incontestable, quant aux
faits. » ; lettre à Sainte-Beuve du 23 et 24 décembre 1862, Correspondance, t. III,
p. 276.
156 Pour la question d’une psychologie historique, cf. ci-dessus, « Le roman à
l’antique », chap. 2 et 3.
157 Cf. Green, Flaubert and the Historical Novel, ainsi que Gothot-Mersch,
« Salammbô et les procédés du réalisme flaubertien ». La nouvelle édition se pré-
pare actuellement sous la direction de Gisèle Séginger.
122 La Lutte des paradigmes
164 Flaubert en est conscient, et il l’admet dans le point cinq de la liste des défauts
qu’il attribue à son roman ; lettre à Sainte-Beuve du 23 et 24 décembre 1862,
Correspondance, t. III, p. 284.
165 Ildikó Lörinszky, « Salammbô de Gustave Flaubert, la construction d’un imagi-
naire érudit », Neohelicon, n° 25.2, 1998, pp. 375-401, ici p. 395.
166 Kramer, Verkehrte Welten, pp. 23 et 50.
« Salammbô » 125
Ici, Flaubert met encore l’accent sur la pérennité, cette fois-ci celle
du climat, ainsi que sur celle de l’architecture et des facteurs culturels
qui semblent en dépendre. L’auteur ne s’explique pas davantage, mais
apparemment il défend l’hypothèse d’un socle stable, déterminé peut-
être, mais par des facteurs stables eux-mêmes.
Flaubert affirme une longue durée qui ne se résume pas à un sim-
ple fixisme. C’est ce qu’implique un passage de la même lettre, où
Flaubert déclare expressis verbis : « ‘L’âme humaine n’est point par-
tout la même’, bien qu’en dise M. Levallois. »170 Cette sentence re-
joint les passages cités qui expriment les difficultés de créer des ca-
ractères antiques crédibles, eu égard à la distance historique. D’après
Flaubert, il y a une transformation historique, et, en face de celle-ci –
ou plutôt : en dessous –, des éléments inchangeables. Ce constat re-
joint les conclusions tirées à propos de la souffrance et de la mort des
Mercenaires.
167 Aristote, La Poétique, éd. et trad. Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris,
Seuil, 1980, chap. XXII, 58 a 18-59 a 16 (pp. 112-117 dans l’édition citée).
Aristote, Rhétorique, trois tomes, éd. et trad. Médéric Dufour et André Wartelle,
Paris, Les Belles Lettres, 1960-1973, t. III, 1407 a 15-1407 a 18 et 1411 a 1-
1411 b 20 (pp. 50 sq. et 64-67 dans l’édition citée).
168 Lettre à Sainte-Beuve du 23 et 24 décembre 1862, C III, p. 279.
169 Ibid.
170 Ibid., p. 283.
126 La Lutte des paradigmes
175 La référence dépasse le jeu de mots : l’effet décrit est une variation de l’effet de
réel. Barthes lui-même explique ce dernier non seulement à l’exemple de textes
réalistes, mais aussi à partir de textes d’histoire. Cf. « L’effet de réel », dans R.B.,
Essais critiques, Paris, Seuil, 1984, t. IV : Le Bruissement de la langue, pp. 179-
187, ici p. 185.
176 Les notes de l’ouvrage et quelques paragraphes des appendices sont écrits par un
certain M. Dusgate.
177 Lettre à Guillaume Frœhner du 21 janvier 1863, Correspondance, t. III, p. 293.
178 Ibid., p. 296 ; cela sur fond du reproche adressé par Frœhner de justement avoir
négligé Dureau de La Malle. Néanmoins Frœhner n’a pas beaucoup d’estime
pour le travail de son collègue : « […] M. Flaubert n’a pas eu lui-même une idée
claire de l’emplacement et de la disposition de l’ancienne Carthage, moins encore
que Dureau de la [sic] Malle. » (L’article de Frœhner, paru le 31 décembre 1862
dans la Revue contemporaine, est reproduit dans la Correspondance ; t. III,
pp. 1237-1253, ici p. 1242).
128 La Lutte des paradigmes
182 L’historien Walter Burkert vient de rappeler cette oscillation entre oubli et
redécouverte ainsi que les détails des maints apports dus à la culture orientale ;
La Tradition orientale dans la culture grecque, trad. (de la version italienne) Ber-
nadette Leclercq-Neveu, Paris, Macula, 2001, cf. surtout l’introduction.
183 Il s’agit de son professeur d’histoire au collège de Rouen, Adolphe Chéruel,
élève de Michelet ; cf. Nadeau, Gustave Flaubert écrivain, p. 20.
184 Lettre à Maxime Du Camp, mai 1846, Correspondance, t. I, pp. 264-266, ici
p. 266 ; je souligne.
132 La Lutte des paradigmes
Il est plus que vraisemblable que Michelet lui ait servi de source,
même si on se demande si la fascination de Flaubert va toujours dans
le sens de l’auteur : Flaubert se dit ‘obsédé’ par des phrases telle
« ‘grasses dans la sécurité du péché’ » 186. Il faut aussi imaginer que le
romancier adulte s’y prend autrement que le jeune admirateur. Il
n’empêche : un contact très intense avec l’œuvre de Michelet est at-
testé, et ‘l’apprentissage involontaire’ nous donne la garantie que
Flaubert connaissait le texte en question pendant la rédaction de
Salammbô ; ces certitudes confèrent toute légitimité à une comparai-
son des deux auteurs.
J’inclurai dans cette étude l’Introduction à l’histoire universelle
(1830), également mentionnée dans la lettre à Michelet. L’Intro-
duction constitue le cadre général, le programme à l’intérieur duquel
se développe l’Histoire romaine : elle conçoit une philosophie de
l’Histoire qui permet de mieux saisir la base conceptuelle et les enjeux
de l’Histoire romaine187. Les deux textes sont l’accomplissement
d’une longue phase de lectures et de réflexions, et représentatifs du
jeune Michelet, concluant la première étape de sa vie intellectuelle (né
en 1798, il était tout juste trentenaire lors de la rédaction)188.
Dans l’Introduction à l’histoire universelle189, Michelet évoque
l’histoire de la race humaine en termes de progrès vers la liberté, mar-
185 Lettre à Jules Michelet du 26 janvier 1861, Correspondance, t. III, pp. 141-143,
ici p. 141 ; je souligne. Dans la suite de la lettre, Flaubert dit que, devenu adulte,
il reste épris des ouvrages de Michelet, « […] je suis resté de plus en plus béant
devant cette sympathie immense qui va toujours en se développant, cet art inouï
d’illuminer avec un mot toute une époque, ce sens merveilleux du Vrai qui em-
brasse les choses et les hommes et qui les pénètre jusqu’à la dernière fibre. »
(pp. 141 sq.)
186 Ibid., p. 141.
187 Michelet lui-même conçut ainsi la relation des deux textes ; cf. Gabriel Monod,
La Vie et la Pensée de Jules Michelet, Paris, Champion, 1923 (Genève, Slatkine
Reprints, 1975), t. I : 1798-1852, p. 185.
188 Pour le contexte biographique, cf. Monod, La Vie et la Pensée, t. 1, chap. 14
(Introduction), et t. II, chap. 2 (Histoire romaine).
189 Les deux textes seront cités selon les Œuvres complètes, quatorze tomes parus,
éd. Paul Viallaneix, Paris, Flammarion, 1972, t. II : 1828-1831 ; par la suite, je
les citerai par les abréviations ‘Intr’ et ‘Hr’, suivies de la page de cette édition.
« Salammbô » 133
che qui l’amène de l’est à l’ouest et qui trouve son point culminant en
France : « […] dans ce long voyage de l’Asie à l’Europe, de l’Inde à
la France, vous voyez à chaque station diminuer la puissance fatale de
la nature, et l’influence de race et de climat devenir moins tyranni-
que. » (Intr, p. 229) Ce cadre définit déjà la fonction de l’Histoire
romaine à venir, Rome y figure comme « nœud du drame immense »,
tandis que la France en « dirige la péripétie » (Intr, p. 258) : Michelet
expose une conception dramatique de l’Histoire, dont les acteurs sont
les grands pouvoirs historiques, pris dans des affrontements dualistes
et tragiques. L’Histoire romaine relatera la première partie du drame,
pour ainsi dire, et l’Histoire de France, la deuxième.
Les conceptions qui occupent les devants de la scène historique
sont, d’un côté, la nature et la fatalité – spécifiées dans les notions de
race et de climat –, et la liberté de l’autre. Ces termes constituent les
extrémités diamétralement opposées du parcours historique, et l’hu-
manité va de l’une vers l’autre : « Ce qu’il y a de moins simple, de
moins naturel, de plus artificiel, c’est-à-dire de moins fatal, de plus
humain et de plus libre dans le monde, c’est l’Europe ; de plus euro-
péen, c’est ma patrie, c’est la France. » (Intr, p. 247)190 Les termes de
l’opposition fatalité / liberté trouvent leur suite dans simplicité / com-
plication, nature / artifice ; la connotation positive revient toujours au
second terme. Naturellement, cette chaîne différentielle s’organise
selon la dichotomie spatiale Orient / Occident. Par conséquent, la
métaphore du voyage informe le récit, les pays et leurs civilisations
sont les stations d’un itinéraire mondial191 ; la Perse e.g. y figure
comme « caravansérail » (Intr, p. 231)192.
190 Cette conviction intime de l’historien est telle qu’il juge interchangeables les
termes « histoire de France » et « histoire universelle » (Intr, p. 247).
191 Il y a d’autres philosophes de l’Histoire qui ont recours à ce champ métaphori-
que, e.g. Hegel qui définit l’histoire comme la parcours d’une « succession
d’étapes » (« Stufengang ») ; cf. La Raison dans l’Histoire, pp. 183 et
215 ; Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte, pp. 77 sq. et 104 sq. Le
deuxième champ métaphorique, également commun aux philosophies de
l’Histoire, consiste en des images biographiques, suggérant une analogie entre
ontogenèse et phylogenèse (ainsi Hegel, ibid., pp. 279-296/pp. 133-141). Pour
Michelet, l’Inde est le « berceau des races et des religions, the womb of the
world », et l’homme, « un pauvre enfant sur le sein de sa mère » (Intr,
pp. 229 sq.).
192 Cette métaphore fait écho, évidemment, aux récits de voyage de l’époque, et plus
précisément aux Voyages en Orient très répandus – elle donne une place bien dé-
134 La Lutte des paradigmes
finie à l’Orient. Pour la place de Michelet dans la pensée orientaliste de son épo-
que, cf. mon article : N.B., « Pour un autre Orientalisme : Flaubert et Michelet
face à l’Histoire », MLN (Modern Language Notes), n° 122.4, 2007, pp. 875-903.
193 « Si l’on admet que l’histoire est le développement nécessaire d’un principe
nécessaire, la liberté est anéantie. » (Cours de 1828-1829, cité d’après Paul
Viallaneix, La Voie royale. Essai sur l’idée de peuple dans l’œuvre de Michelet,
Paris, Flammarion, 21971, p. 248). Ce refus d’une synthèse définitive l’éloigne de
Hegel, préoccupé par le développement logique, nécessaire de la liberté ; ce qui
n’empêche pas qu’il y ait, par bien des aspects abordés, une indéniable ressem-
blance entre les deux penseurs. Paul Bénichou souligne une différence compara-
ble entre Michelet et Augustin Thierry ; cf. Le Temps des prophètes. Doctrines de
l’âge romantique, Paris, Gallimard, 1977, pp. 505 sq.
« Salammbô » 135
Voilà donc le plan historique sur lequel se situe la Guerre des Mer-
cenaires. Évidemment, Flaubert, en se limitant à la seule action guer-
rière, n’adapte aucun des éléments exposés. Le sens de notre exposi-
tion est de rendre intelligible le récit de la guerre fait par Michelet.
Les questions suivantes guideront la présentation : quel est le rôle de
Carthage dans cet ensemble ? plus précisément, que signifie la Guerre
des Mercenaires ?
L’Introduction à l’histoire universelle donne une première idée en
parlant des ennemies de Rome : « Le monde sémitique résistait : Car-
thage fut anéantie, la Judée dispersée. » (Intr, p. 234) Ce constat un
peu sec est développé dans l’Histoire romaine, où les Guerres Puni-
ques prennent une place centrale :
Cette lutte ne devait pas seulement décider du sort de deux villes ou
de deux empires ; il s’agissait de savoir à laquelle des deux races,
indo-germanique ou sémitique, appartiendrait la domination du
monde. […] D’un côté, le génie héroïque, celui de l’art et de la lé-
gislation ; de l’autre, l’esprit d’industrie, de navigation, de commerce.
(Hr, p. 440)
199 Cf. la « Préface » (1866) de l’Histoire romaine, dans J.M., Œuvres complètes,
t. II, pp. 335-337, ici p. 336.
200 Michelet parle d’une suite à cette guerre, celle entre christianisme et islam – « La
lutte des races devint celle de deux religions. » (Hr, p. 441) Évidemment, le lec-
teur contemporain sera tenté de penser à Samuel Huntington et The Clash of
Civilizations, la guerre des civilisations (New York, Simon and Schuster, 1996) ;
en effet, on n’en est pas loin, même si Huntington pense à l’affrontement d’une
multitude de civilisations, exclut le critère racial et limite sa notion de conflit à
un paradigme explicatif, valable surtout depuis la fin de la Guerre froide.
« Salammbô » 137
201 « Il ne faut pas chercher un homme dans Hannibal ; sa gloire est d’avoir été la
plus formidable machine de guerre dont parle l’Antiquité. » (Hr, p. 459)
138 La Lutte des paradigmes
207 Cf. la lettre déjà citée à Mlle Leroyer de Chantepie : 12 décembre 1857,
Correspondance, t. II, p. 784.
208 Borie, Archéologie de la modernité, p. 320.
209 Kramer, Verkehrte Welten p. 22.
144 La Lutte des paradigmes
210 « […] de vieilles Négresses aux mamelles pendantes ramassaient, pour faire du
feu, des fientes d’animal que l’on desséchait au soleil ; les Syracusaines avaient
des plaques d’or dans la chevelure […] » (S, p. 119) ; « […] parfois, sur des seins
couverts de vermine, pendait à un mince cordon quelque diamant qu’avaient
cherché les Satrapes, une pierre presque fabuleuse et suffisante pour acheter un
empire. » (S, p. 293) ; « […] le parfum des citronniers rendait encore plus lourde
l’exhalaison de cette foule en sueur. » (S, p. 59).
211 « Cela me rappelle Jaffa où, en entrant, je humais à la fois l’odeur des citronniers
et celle des cadavres […]. Ne sens-tu pas combien cette poésie est complète, et
que c’est la grande synthèse ? Tous les appétits de l’imagination et de la pensée y
sont assouvis à la fois […] ». Lettre à Louise Colet du 27 mars 1853, Correspon-
dance, t. II, pp. 279-289, ici pp. 283 sq. ; je souligne.
212 Le Roman historique, chap. III.2, pp. 205-231 ; les citations proviennent des
pp. 207, 208, 212 et 215 sq.
213 Lukacs compare explicitement Mâtho aux prolétaires de Zola ; Mâtho aurait
« ces traits brutaux et sauvages » qui caractériseraient les ouvriers et les paysans
de Zola. Dans un sens, Flaubert serait « ‘prophétique’ » : « Mais non pas dans le
sens où les œuvres de Balzac étaient prophétiques, anticipant le développement
réel, futur, de types sociaux, mais uniquement dans un sens historico-littéraire,
celui d’une anticipation du reflet déformé de la vie moderne donné ultérieure-
ment dans les œuvres des Naturalistes. » Le Roman historique, pp. 213 sq.
« Salammbô » 145
2. Altérité et ressemblances
216 Le paradoxe peut également être défini comme la contradiction entre méthode
universelle et objet particulier.
148 La Lutte des paradigmes
217 Au XIXe siècle, la Nature a évidemment son ‘histoire’, l’évolution des espèces ;
on peut facilement avancer que la biologie moderne ne commence qu’avec la no-
tion d’évolution naturelle, d’abord développée par Lamarck. Mais il s’agit d’une
‘historicité’ propre à la Nature, qui a peu de points en commun avec celle de
l’homme ; cf. ci-dessus, « Prélude en histoire des sciences ».
218 Lettre à Sainte-Beuve du 23 et 24 décembre 1862, Correspondance, t. III, p. 279.
« Salammbô » 149
222 Il suffira de rappeler que le discours scientifique a une présence tout autre dans
Madame Bovary, puisque l’héroïne de ce roman est calquée sur des sources mé-
dicales – même si celles-ci ne sont pas clairement identifiables ; cf. ci-dessus,
note 84.
« L’Éducation sentimentale » 153
1. Un récit parcellaire
233 Es, p. 337. Frédéric les apprend par l’intermédiaire des gardes nationaux dont le
discours est disqualifié d’avance : « […] les gardes nationaux bavardaient inta-
rissablement sur les morts de Bréa et de Négrier […] ». (Es, S. 337 ; je souligne)
234 Cf. Es, notes 657 et 672 de l’éditeur, p. 569.
235 Surtout le comportement du père Roque envers les prisonniers est d’un sadisme
gratuit qui frôle le caricatural (Es, pp. 339-341).
236 Les démotivations, elles, ne sont pas gratuites : elles sont un moyen de choix
pour mettre en question différents acteurs politiques ; cf. ci-dessous, chap. 4.
237 Victor Brombert, The Novels of Flaubert. A Study of Themes and Techniques,
Princeton (NJ), Princeton University Press, 1966, p. 184. Hugo Friedrich arrive à
un constat similaire en ne retenant qu’une suite de situations ; Drei Klassiker des
französischen Romans, p. 127.
« L’Éducation sentimentale » 157
2. Un témoin difficile
242 Cf. Küpper, « Mimesis und Botschaft bei Flaubert », pp. 196-200.
243 Cf. Es, pp. 18, (78), 155 ; en écho : p. 369. Mentionnons en passant : l’échec de
Deslauriers lui-même dévalorise complètement cette idée de la réussite. Ce n’est
donc pas parce que Frédéric n’arrive pas à mettre en œuvre les conseils de son
ami qu’il échoue.
244 Ainsi, il ne se rend pas chez les Dambreuse au moment propice, parce qu’il est
trop préoccupé du sort de Mme Arnoux (Es, pp. 190-202, surtout p. 192).
245 Sur l’importance du hasard dans le roman cf. Jean Bruneau, « Le rôle du hasard
dans L’Éducation sentimentale », Europe, n° 485-487, 1969 (Colloque Flaubert),
pp. 101-107. Bruneau se limite à une suite énumérative très utile.
246 Le motif se trouve en effet dans le texte : de retour dans son appartement, Frédé-
ric se contemple dans le miroir : « Son visage s’offrait à lui dans la glace. Il se
trouva beau, – et resta une minute à se regarder. » (Es, p. 50)
160 La Lutte des paradigmes
247 D’abord, Frédéric voudrait devenir avocat – sa motivation se résume aux images
de gloire et d’amour : « Il se voyait dans une cour d’assises, par un soir d’hiver, à
la fin des plaidoiries, quand les jurés sont pâles et que la foule haletante fait cra-
quer les cloisons du prétoire, parlant depuis quatre heures déjà, résumant toutes
ses preuves, en découvrant de nouvelles […] elle [Mme Arnoux ; N.B.] serait là,
quelque part, au milieu des autres, cachant sous son voile ses pleurs
d’enthousiasme […] ». (Es, pp. 85 sq.) Plus tard, il pense à devenir homme poli-
tique au moment des bouleversements ; encore une fois, ce sont des considéra-
tions relevant du narcissisme primaire qui lui rendent la profession attractive : il
pense aux « grandes figures de la Convention », « et puis il était séduit par le
costume que les députés, disait-on, porteraient » (Es, p. 301).
248 Brombert résume la vie psychique de tous les personnages du roman par la belle
formule de « permanent indetermination » ; cf. The Novels of Flaubert, p. 184.
« L’Éducation sentimentale » 161
252 On pensera à l’avoué Derville dans Le Colonel Chabert, dont la perspective (et,
avec elle, celle du narrateur) est caractérisée à plusieurs reprises comme privilé-
giée : de par sa profession, Derville a accès à la connaissance de la société ; les
autres exemples sont fournis par le regard du médecin et du prêtre. Honoré de
Balzac, Le Colonel Chabert, dans H. de B., La Comédie humaine, éd. Pierre-
Georges Castex, Paris, Gallimard, 1976, t. III : Études de mœurs : scènes de la
vie privée (fin). Scènes de la vie de province, pp. 291-373, ici pp. 322, 350 sq., et
373. – Cf. Séginger, Flaubert. Une poétique de l’histoire, p. 199. Vidalenc se
trompe une deuxième fois quand il rapproche Frédéric d’une telle conception du
personnage romanesque ; cf. « Gustave Flaubert, historien de la Révolution de
1848 », p. 66.
253 C’est, malgré les commentaires très explicites de la part du narrateur, l’argument
de Dethloff ; cf. Das Romanwerk Gustave Flauberts, p. 181.
« L’Éducation sentimentale » 163
254 Surtout par le Club de l’Intelligence ; cf. le chapitre suivant. Henri Mitterand
constate : « Tout cela se prend terriblement au sérieux, dans l’imitation, sur le
mode dégradé et burlesque, des grands clubs de la première Révolution ; ce n’est
pas un haut-lieu de l’histoire, ce n’est plus qu’un théâtre, illusoire et dérisoire. »
« Sémiologie flaubertienne. Le Club de l’Intelligence », dans H.M., Le Regard et
le Signe. Poétique du roman réaliste et naturaliste, Paris, PUF, 1987, pp. 171-
189, ici pp.173 sq.
164 La Lutte des paradigmes
255 Le style s’y adapte à son tour : on notera les phrases brèves, de courte haleine,
qui imitent les distractions, les impressions diverses et superficielles. Elles
favorisent surtout le laconisme et les juxtapositions ironiques.
256 « Hegel note quelque part que tous les événements et tous les personnages de
l’histoire se passent deux fois, pour ainsi dire. Il a oublié de rajouter : une fois
comme tragédie, l’autre fois comme farce. Caussidière pour Danton, Louis Blanc
pour Robespierre, […] le neveu pour l’oncle. » (« Hegel bemerkt irgendwo, daß
alle großen weltgeschichtlichen Tatsachen und Personen sich sozusagen zweimal
ereignen. Er hat vergessen hinzuzufügen : das eine Mal als Tragödie, das andere
Mal als Farce. Caussidière für Danton, Louis Blanc für Robespierre, […] der
Neffe für den Onkel. » Karl Marx, Der achtzehnte Brumaire des Louis Bona-
parte [1852], dans K.M. et Friedrich Engels, Werke, trente-neuf tomes et deux
suppléments, éd. l’Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der SED, Berlin,
Dietz, 1960, t. VIII, pp. 111-207, ici p. 115.
257 La mauvaise réputation de 1848, son caractère de pastiche est notoire, et elle
vient autant de la droite que de la gauche : Pierre-Joseph Proudhon, Louis
Reybaud, Maxime Du Camp, Victor Hugo – tous étaient du même avis ; cf. Mau-
rice Agulhon, Les Quarante-huitards, Paris, Gallimard, 1992, p. 12.
« L’Éducation sentimentale » 165
Le punch chez Dussardier ne fait pas non plus briller les esprits :
Il s’ensuivit des récriminations contre les loups-cerviers de la Bourse
et la corruption des fonctionnaires. On devait remonter plus haut, se-
lon Sénécal, et accuser, tout d’abord, les princes, qui ressuscitaient les
mœurs de la Régence.
« N’avez-vous pas vu, dernièrement, les amis du duc de Montpensier
revenir de Vincennes, ivres sans doute, et troubler par leurs chansons
les ouvriers du faubourg Saint-Antoine ? »
« On a même crié : À bas les voleurs ! » dit le pharmacien. « J’y étais,
j’ai crié ! »
« Tant mieux ! le Peuple enfin se réveille depuis le procès Teste-
Cubières. »
« Moi, ce procès-là m’a fait de la peine », dit Dussardier, « parce que
ça déshonore un vieux soldat ! »
« Savez-vous », continua Sénécal, « qu’on a découvert chez la du-
chesse de Praslin… ? »
Mais un coup de pied ouvrit la porte. Hussonnet entra. (Es, p. 264)
260 Pour la fonction rythmique qui revient à ces occasions dans l’organisation de
l’ensemble du roman, cf. Séginger, Flaubert. Une poétique de l’histoire, p. 232.
« L’Éducation sentimentale » 167
261 Bolster analyse les soucis taraudant le romancier parce qu’il craint que cette
réduction ne puisse nuire à l’intelligibilité ; cf. « Flaubert et le ‘défaut’ du genre
historique », pp. 8 sq.
262 À propos du rôle du style indirect libre dans cette mise à nu, cf. Brombert, The
Novels of Flaubert, pp. 169-172, surtout p. 171.
263 Küpper étend son analyse à d’autres exemples, telles les oppositions entre amour-
passion et mariage bourgeois, entre amour platonique et amour sensuel, etc. Cf.
« Mimesis und Botschaft bei Flaubert », p. 201.
168 La Lutte des paradigmes
discursifs, qui réagissent à ces événements voire qui les créent comme
événements discursifs. L’historiographie de L’Éducation sentimentale
est celle des opinions et de leur milieu d’évolution.
La fin du chapitre précédent implique une attitude critique de la
part de Flaubert : les Journées de Février ne seraient rien d’autre
qu’une caricature maladroite d’une autre révolution, un carnaval mé-
diocre. Il est certainement vrai que le romancier exprime une réserve
fondamentale quant aux mérites de la Révolution de 1848. Dans son
refus de toute forme de rêve idéaliste, il semble adhérer à l’idée d’une
misère humaine persistante et monotone, inchangeable au fond. Mais
il s’agit d’objections très générales, et qui ne s’expriment pas toujours
directement dans le roman. De manière primordiale, L’Éducation sen-
timentale est conçue dans le souci permanent de ne pas contrevenir à
l’égalité des positions264. Il faut donc voir la critique des aspirations
démocratiques dans ce contexte, et cela sur plusieurs niveaux du texte.
Évidemment, le narrateur, lui aussi, se laisse aller à certains com-
mentaires négatifs face au mythe révolutionnaire, en condamnant no-
tamment son héros dans les termes suivants : « Frédéric, homme de
toutes les faiblesses, fut gagné par la démence universelle. » (Es,
p. 302) Il dénonce la bêtise du Club de l’Intelligence, d’abord par des
jugements univoques – « […] puis, ça et là, un éclair d’esprit dans ces
nuages de sottise […]. » (Es, p. 304) –, ensuite par l’arrangement de
l’épisode265, qui laisse le dernier mot au patriote espagnol, orateur que
personne ne comprend et qui est applaudi pour cette seule raison266.
264 Cette thèse est affirmée par les commentaires de Flaubert à propos de l’époque,
et même à propos de la société en général : « Pour trouver un tel degré de stupi-
dité, il faut remonter jusqu’en 1848 ! – Je lis, présentement, beaucoup de choses
sur cette époque. L’impression de bêtise que j’en retire s’ajoute à celle que me
procure l’état contemporain des esprits, de sorte que j’ai sur les épaules des
montagnes de crétinisme. » Lettre à sa nièce Caroline du 8 avril 1867, Corres-
pondance, t. III, pp. 628 sq., ici p. 629.
265 Cf. l’analyse détaillée de Mitterand, « Sémiologie flaubertienne. Le Club de
l’Intelligence ».
266 Bolster explique cette critique par un souci de « détachement intellectuel » envers
le Peuple – à mon avis, un simple « détachement » serait moins violent. Bolster
semble vouloir sauver Flaubert pour une cause qui n’est pas la sienne ; cf.
« Flaubert et le ‘défaut’ du genre historique », p. 12. Il a raison, en revanche, de
discerner un « souci d’équilibre » dans la présentation des partis ; cf. « Autour de
L’Éducation sentimentale : Flaubert et les événements de 1848 », Les Amis de
Flaubert, n° 50, 1977, pp. 22-26, ici p. 24.
« L’Éducation sentimentale » 169
267 Il y en a d’autres ; lors du punch on lit par exemple : « […] et on ne tarda pas à
s’exalter, tous ayant contre le Pouvoir la même exaspération. Elle était violente,
sans autre cause que la haine de l’injustice ; et ils mêlaient aux griefs légitimes
les reproches les plus bêtes. » (Es, p. 263) Une autre, plus implicite, montre
l’égoïsme des lobbies : les délégations viennent sans cesse réclamer leur part au-
près du gouvernement (Es, p. 298).
268 Une soirée chez les Dambreuse : « Tous déclarèrent les crimes politiques
inexcusables. Il fallait plutôt pardonner à ceux qui provenaient du besoin ! Et on
ne manqua pas de mettre en avant l’éternel exemple du père de famille, volant
l’éternel morceau de pain chez l’éternel boulanger. » (Es, p. 240). Dans la suite
immédiate des Journées de Février, les bourgeois découvrent les théories socia-
listes, débattues depuis 40 ans. On les refuse, « en vertu de cette haine que pro-
voque l’avènement de toute idée parce que c’est une idée […] qui fait que ses
ennemies sont toujours au-dessous d’elle, si médiocre qu’elle puisse être » (Es,
p. 299).
269 La répression se prépare par la montée de la crainte : « Alors, la Propriété monta
dans les respects au niveau de la Religion et se confondit avec Dieu. Les attaques
qu’on lui portait parurent du sacrilège, presque de l’anthropophagie. Malgré la
législation la plus humaine qui fut jamais, le spectre de 93 reparut, et le couperet
de la guillotine vibra dans toutes les syllabes du mot République ; – ce qui
n’empêchait pas qu’on le méprisait pour sa faiblesse. » (Es, p. 299)
270 Lettre du 5 juillet 1868, Correspondance, t. III, pp. 770, sq., ici p. 770.
170 La Lutte des paradigmes
Est-ce qu’ils n’est pas temps de faire entrer la Justice dans l’Art ?
L’impartialité de la Peinture atteindrait alors à la Majesté de la Loi, –
et à la précision de la Science ?271
271 Lettre à George Sand, 10 août 1868, ibid., pp. 786 sq., ici p. 786. Flaubert finit
par proposer une lecture à Sand, avec le but de supprimer tout passage
« méchant ».
272 The Novels of Flaubert, p. 160.
273 Entrée du 20 novembre 1869, dans Jules Michelet, Journal, éd. Claude Digeon,
quatre tomes, Paris, Gallimard, 1959-1976, t. IV, p. 182.
« L’Éducation sentimentale » 171
274 Naturellement, il faut excepter Hamilcar (et une partie des élites carthaginoises)
de ce constat.
275 À ce sujet, cf. la caricature tout à fait poignante de Bertall, reproduite dans
L’Éducation sentimentale. Images et documents, prés. Peter Michael Wetherill,
Paris, Garnier, 1985, pp. 210 sq. Wetherill la présente pour illustrer la p. 366 du
roman où Frédéric se rend au journal vaudeville La Foire aux idées, présenté
entre janvier et octobre 1849 (cf. note 719).
276 Voici la première dimension du temps moderne : la vitesse. Flaubert lui opposera
une autre temporalité – la véritable nature du temps selon lui –, qui est d’une ex-
trême lenteur.
277 Il se comporte « comme un pacha » avec sa maîtresse de basse origine, l’appelant
« ‘fille du peuple’, par manière de rire. » (Es, p. 77) Cf. aussi comment il traite un
garçon de café, et son désir de commander les autres (Es, pp. 112 et 179 sq.).
278 Es, pp. 86, 111, 113, 178. Le lien entre besoin personnel et insatisfaction à
l’égard de l’ordre social est explicite, et articulé de manière défavorable pour le
personnage : « Sa misère augmentant, il s’en prenait à l’ordre social, maudissait
les riches […] ». (Es, pp. 86 sq.)
279 Dans un premier temps, Sénécal critique Voltaire pour le manque d’amour qu’il a
porté au peuple (Es, p. 140). Quand il devient sous-directeur dans l’atelier
d’Arnoux, il se montre intransigeant avec les ouvriers : « Le républicain les gou-
vernait durement. Homme de théories, il ne considérait que les masses et se
172 La Lutte des paradigmes
283 Le nom a un référent réel très éminent : il s’agit de Jean-Charles Pellerin (1756-
1836), imprimeur connu d’Épinal (Vosges), qui produit les proverbiales ‘images
d’Épinal’ à partir de 1800. Ce sont des petites images aux sujets historiques, reli-
gieux ou littéraires populaires, c’est-à-dire des stéréotypes. Cette allusion met le
personnage dans un contexte révélateur. La critique donne souvent un sens sym-
bolique au nom (‘le pèlerin’, en allusion aux sujets religieux), mais omet mal-
heureusement la référence réelle qui est beaucoup plus intéressante pour la poéti-
que de Flaubert – cf. la communication à propos de Pellerin à l’occasion du
centenaire de L’Éducation sentimentale, et la discussion qui mentionne les mo-
dèles possibles : Alison Fairlie, « Pellerin et le thème de l’art dans L’Éducation
sentimentale », Europe, 485-487, 1969 (Colloque Flaubert), pp. 38-51. Il n’en va
pas ainsi dans l’ouvrage soigneux d’Adrianne Tooke, Flaubert and the Pictorial
Arts. From Image to Text, Oxford/New York (NY), Oxford University Press,
2000, p. 213.
284 Ainsi Frédéric et Deslauriers, discutant les raisons de leur échec dans l’épilogue,
n’ont pas complètement tort : « Puis, ils accusèrent le hasard, les circonstances,
l’époque où ils étaient nés. » (Es, p. 427) Il s’agit cependant, comme souvent,
d’une vérité partielle, car les deux omettent délibérément la dimension person-
nelle de l’insuccès, qui consiste en la soumission volontaire aux facteurs avancés.
174 La Lutte des paradigmes
5. Éros et Thanatos
285 Cf. Es, pp. 95 sq., 99 sq., 243, 251, 253, 342, 413.
« L’Éducation sentimentale » 175
Comme la table était trop large, les convives, les femmes surtout, se
portèrent de son côté, en se dressant sur la pointe des pieds, sur les
barreaux des chaises, ce qui forma pendant une minute un groupe py-
ramidal de coiffures, d’épaules nues, de bras tendus, de corps pen-
chés ; et de longs jets de vin rayonnaient dans tout cela, car le Pierrot
et Arnoux aux deux angles de la salle, lâchant chacun une bouteille,
éclaboussaient les visages. (Es, p. 126)
286 Cf. le plaisir que le meurtre procure à Étienne et à Jacques Lantier, dans Germi-
nal et La Bête humaine.
178 La Lutte des paradigmes
6. Histoire et biologie ?
287 Un autre exemple, très allusif, est la désignation de « houle » pour qualifier
l’aspect de la foule (Es, p. 291 ; cf. également p. 320).
288 La métaphore aquatique est largement exploitée dans Salammbô. On y trouve des
substantifs tels « tourbillon d’hommes » (p. 124 ; p. 221 : « tourbillonnant »),
« torrents » ou « torrent d’hommes » (pp. 59, 146, 273), « inondation » (p. 293),
« mer » (p. 301), « océan », « écume », « courants » (p. 221) ; mais aussi des
verbes comme « rejaillir » (p. 146), « se rouler » (pp. 221, 313) et « déborder »
(pp. 301, 313). Cependant, on y découvre d’autres images plus puissantes pour
qualifier les armées en mouvement, surtout des figures géométriques (cf. pp. 80-
84 et 220-222), mais aussi des images qui assimilent l’armée à des animaux
(p. 221).
289 Cf. par exemple la scène d’exposition : « La place du Palais, encombrée de
peuple, offrait aux curieux des fenêtres l’aspect d’une mer, dans laquelle cinq ou
six rues, comme autant d’embouchures de fleuves, dégorgeaient à chaque instant
de nouveaux flots de tête. Les ondes de cette foule, sans cesse grossie, se heur-
taient aux angles des maisons qui s’avançaient çà et là, comme autant de pro-
montoires, dans le bassin irrégulier de la place. Au centre de la haute façade go-
thique du Palais, le grand escalier, sans relâche remonté et descendu par un
double courant qui, après s’être brisé sous le perron intermédiaire, s’épendait à
larges vagues sur ses deux pentes latérales, le grand escalier, dis-je, ruisselait in-
cessamment dans la place comme une cascade dans un lac. » Victor Hugo, Notre-
Dame de Paris, éd. Jacques Seebacher et Yves Gohin, Paris, Gallimard, 1975,
pp. 10 sq.
« L’Éducation sentimentale » 179
290 Cf. Anne Herschberg-Pierrot, « Le travail des stéréotypes dans les brouillons de
la ‘Prise des Tuileries’ (L’Éducation sentimentale, III,1) », dans Histoire et lan-
gage dans L’Éducation sentimentale, pp. 43-61, ici pp. 48-51.
291 La scène qui suit le paragraphe cité est plus qu’ambiguë : c’est le sac des Tuile-
ries. Frédéric adore le Peuple à ce moment-là alors qu’Hussonnet le raille. Cf. ci-
dessus, chap. 1.
292 Dans Le Peintre de la vie moderne (1863), Baudelaire conçoit l’artiste moderne
comme un être des foules : « Ainsi l’amoureux de la vie universelle entre dans la
foule comme dans un immense réservoir d’électricité. » Dans C.B., Œuvres com-
plètes, deux tomes, éd. Claude Pichois, Paris, Gallimard, 1976, t. II, pp. 683-724,
ici p. 692. Un des textes de référence de ce passage est The Man of the Crowd
d’Edgar Poe (1840). Ce petit texte, pourtant bien connu pour sa modernité, parle
encore de « dense and continuous tides of population » et de « the tumultuous sea
of human heads » – la comparaison fait mieux ressortir la modernité baudelai-
rienne et flaubertienne ; cf. Edgar Allan Poe, The Complete Tales and Poems,
New York (NY), Vintage Books, 1975, pp. 475-481, ici p. 475.
180 La Lutte des paradigmes
293 Michelet poursuit dans son entrée déjà citée : « Émeutes de 48, très froides. Il
visite Fontainebleau ! avec une fille publique ! » Journal, t. IV, p. 182. Pour re-
mettre les choses dans leur contexte, il faut souligner que Michelet lui-même n’a
pas pris la moindre initiative en 1848.
294 Cf. le résumé ci-dessus, chap. 1.
295 Cf. le chapitre sur l’épisode à Fontainebleau dans l’étude d’Éric Le Calvez, Flau-
bert topographe : L’Éducation sentimentale. Essai de poétique génétique, Ams-
terdam/Atlanta (GA), Rodopi, 1997, pp. 240-248, ici p. 242. Outre la forêt de
Fontainebleau, Le Calvez cite notamment l’exemple de la Seine comme fleuve
impassible et conclut : « La Nature se désolidarise alors des destinées hu-
maines […] ». (p. 240)
« L’Éducation sentimentale » 181
296 Derrière les barricades, Frédéric croit justement « assister à un spectacle » (Es,
p. 290).
182 La Lutte des paradigmes
297 À qui « toute cette agitation » apparaît « misérable à côté de leur amour et de la
nature éternelle » (Es, p. 330). Concernant le rôle de Fontainebleau dans
l’imaginaire romantique, cf. l’étude de Jean Borie, Une Forêt pour les di-
manches. Les romantiques à Fontainebleau, Paris, Grasset, 2003. De toute
évidence, la forêt était un lieu où on abritait des amours plus ou moins licites,
dont celui de Musset et George Sand en 1833 (p. 306). L’épisode dans le roman
flaubertien semble toutefois clore cette tradition (p. 317).
298 Le Calvez, Flaubert topographe : L’Éducation sentimentale. Essai de poétique
génétique, p. 248. Le Calvez constate que ce procédé permet à Flaubert de ne pas
dédoubler les scènes d’émeute ; il est évident qu’il recherche l’économie du récit,
et évite la monotonie que l’on observe e.g. dans les scènes de bataille dans
Salammbô.
« L’Éducation sentimentale » 183
« continual motion and stasis »301, est confortée par une image de
l’homme comme être égoïste : malgré la prétention de ses idéaux et
leur nature, il est d’abord, et souvent à son insu, sous l’empire de mo-
tivations égocentriques. Les motifs peuvent bel et bien échapper à sa
conscience, pis, elles peuvent toucher à son fond pulsionnel, et pro-
duire des actes barbares.
Il faut émettre des réserves pourtant. L’Éducation sentimentale ne
présente pas la vérité de la nature humaine tirée des sciences naturel-
les, puisée dans des sources concrètes ; c’est une différence capitale
entre L’Éducation sentimentale et Salammbô. Pour cette raison, je
préfère qualifier le fond du roman de strate mythique : elle n’a pas de
motivation biomédicale (scientifique) comme la strate anthropologi-
que dans le roman carthaginois. Il n’empêche : la strate mythique se
calque sur la même structure fondamentale, c’est-à-dire sur la même
vision du temps comme un règne monotone, circulaire, statique (dans
le sens d’un manque de progrès), rythmé par le triptyque désir, illu-
sion, déception302 ; elle est soumise aux mêmes besoins pérennes de la
nature humaine ; et elle obéit aux mêmes lois que les expériences
extrêmes, par définition réservées à un autre monde que la modernité
bourgeoise. Dans ce sens, on peut parler d’un système du pessimisme
chez Flaubert, même s’il n’est pas théorique303. Il s’agit d’un modèle
cohérent du monde dans le sens que Lotman donne à ce terme. Ce
modèle a un fondement anthropologique et matérialiste, il est unique-
ment concevable dans le contexte de la pensée scientifique mo-
derne304.
pourtant, cette conclusion est proposée par un numéro de la Revue Flaubert, nu-
méro par ailleurs intéressant et bien documenté (Revue Flaubert, n° 4, 2004,
trouvé sur internet le 9 mars 2009 sous l’adresse : http://flaubert.univ-rouen.fr/
revue/revue4/ ; cf. à titre d’exemple l’introduction par Florence Vatan : « Avant-
propos : Du désir de savoir à l’art de [faire] rêver », pp. 1-14, surtout pp. 4 sq.).
Pour n’aborder que quelques points : qu’est-ce qui reste quand la discussion
‘scientifique’ des héros s’épuise ? Le comique des corps dans leur fragilité orga-
nique, dans leur constitution ‘animale’, reflétée dans les comparaisons choisies
(cf. Bouvard et Pécuchet, pp. 124-126, 152 sq., 351 sq.) ; on peut y observer un
parallèle avec la fin de La Tentation saint Antoine, car on y trouve, après
l’épuisement des représentations religieuses, la sensualité pure de la matière. À
cela s’ajoute le fait que plusieurs personnages du roman sont conçus sur le mo-
dèle de cas médicaux, e.g. les patients traités par magnétisme (pp. 285-290), et
surtout l’inévitable hystérique (cf. pp. 282, 287, 297). Enfin, il serait aisé de
montrer en détail comment le roman cherche à mettre en scène le fonctionnement
de la pensée et de la rêverie humaines (cf. e.g. pp. 310 sq.) – dans une visée es-
thétique, bien sûr, mais sur le fondement d’une anthropologie de l’imagination.
Nous nous en étonnons : dès que le mot ‘imagination’ est énoncé, la critique se
croit dans un monde d’esthétique pure, d’où toute science serait bannie…
DIGRESSION :
LE PARADIGME BIOLOGIQUE ET MEDICAL
CHEZ BURCKHARDT ET NIETZSCHE
ment, mais au contraire, l’homme constant, qui souffre, qui aspire, qui
agit, enfin, l’homme « tel qu’il a été, est et sera toujours » (« wie er ist
und immer war und sein wird » ; WB, p. 35/p. 3) ; cette approche est,
d’après Burckhardt lui-même, « pathologique » (« pathologisch » ;
ibid.). Parallèlement, il avance un argument classique de l’histori-
cisme, le refus net de juger le passé par rapport au présent, et de
comprendre les époques passées comme autant de degrés sur l’échelle
menant à l’état actuel 2 :
Les philosophes de l’histoire considèrent le passé par opposition au
présent et font du premier un stade préparatoire de notre état actuel de
développement. Nous, au contraire, nous cherchons ce qui se répète,
ce qui est typique et constant dans les choses, ce qui est accordé au
diapason de notre nature et qui nous est compréhensible.3
aber gewöhnlich, die Geschichte mache es anders als die Natur. » (WB, p. 199/
p. 125 ; trad. mod., je souligne)
7 Dans un autre passage, il fait remarquer qu’en créant la grandeur historique, la
Nature procède « avec sa parcimonie habituelle » (« mit ihrer bekannten Spar-
samkeit » ; WB, p. 239/p. 154).
8 Ici, on trouve une référence aux « individus historiques », aux « welt-
geschichtlichen Individuen » de Hegel (p. 121/pp. 45 sq.), à des hommes
pratiques et politiques qui reconnaissent les nécessités de leurs époques
(p. 121/p. 46). Ils agissent souvent par pur égoïsme, mais fraient, de manière in-
volontaire, le chemin aux grandes idées – c’est bien la « ruse de la Raison »
(« die List der Vernunft » ; p. 129/p. 49). La Raison dans l’Histoire, pp. 120-
130 ; Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte, pp. 45-49.
Digression : Burckhardt et Nietzsche 193
9 « Endlich mögen wir uns, auch was die Zukunft betrifft, unserer geringen
Kenntnis der Völkerbiologie von der physiologischen Seite bewußt sein. » (WB,
p. 44/p. 10)
10 Le cas de Nietzsche est heureux : l’édition de Giorgio Colli et Mazzino Monti-
nari existe en allemand et en français. Je cite alors Friedrich Nietzsche, Œuvres
philosophiques complètes, éd. Giorgio Colli et Mazzino Montinari (responsables
de l’édition française : Gilles Deleuze et Maurice de Gandillac), neuf tomes (en
quatorze volumes), Paris, Gallimard, 1967 sqq. ; et Friedrich Nietzsche, Sämt-
liche Werke. Kritische Studienausgabe, éd. Giorgio Colli et Mazzino Montinari,
quinze tomes, Munich/Berlin/New York (NY), Deutscher Taschenbuch Verlag/
Walter de Gruyter, 1967-1977 (pour cette édition : 1999). La seule différence
194 La Lutte des paradigmes
entre les deux éditions réside dans les espacements : alors que l’édition alle-
mande utilise des espaces plus grands pour souligner, la traduction française a re-
cours aux italiques. Je transpose l’usage de l’édition allemande.
11 « [. . . ] e s g i eb t e i n en G r ad [. . . ] v o n h i s t o ri s ch e m S in n e, b ei d em
d as L eb en d i g e zu S ch ad en k o m m t , u n d zu l et zt zu G ru n d e g eh t,
s ei e s n u n e i n M en s ch o d er e i n V o l k o d er e in e C u l t u r. » Friedrich
Nietzsche, Considérations inactuelles II : De l’utilité et des inconvénients de
l’histoire pour la vie, trad. Pierre Rusch, dans F.N., Œuvres philosophiques com-
plètes, t. II.1 (deux vol.), p. 97 ; Friedrich Nietzsche, Unzeitgemässe Betrachtun-
gen II : Vom Nutzen und Nachtheil der Historie für das Leben, dans F.N., Sämtli-
che Werke. Kritische Studienausgabe, t. I, p. 250 ; par la suite, je citerai par
l’abréviation ‘UB II’, suivie de la page de l’édition française puis allemande.
12 Par la dissociation de l’intérieur et de l’extérieur, qui affaiblit la personnalité ; par
le préjugé de l’époque selon lequel elle serait plus avancée et plus juste que les
précédentes ; par l’entrave de l’instinct populaire et de la maturité personnelle et
sociale ; par la foi en la décadence ; par l’ironie et le cynisme, également nuisi-
bles (UB II, pp. 121-160, surtout p. 121/pp. 279-324, surtout p. 279).
Digression : Burckhardt et Nietzsche 195
13 « Celle-ci [l’histoire ; N.B.] intéresse l’être vivant sous trois rapports : dans la
mesure où il agit et poursuit un but, dans la mesure où il conserve et vénère ce
qui a été, dans la mesure où il souffre et a besoin de délivrance. » (« In dreierlei
Hinsicht gehört die Historie dem Lebendigen : sie gehört ihm als dem Thätigen
und Strebenden, ihm als dem Bewahrenden und Verehrenden, ihm als dem Lei-
denden und der Befreiung Bedürftigen. » ; UB II, p. 103/p. 258). Par la suite, il
explique ces trois accords (UB II, pp. 103-114/pp. 258-270). Cf. Joachim Küp-
per, « Kanon als Historiographie – Überlegungen im Anschluß an Nietzsches
Unzeitgemäße Betrachtungen, zweites Stück », dans Maria Moog-Grünewald
(dir.), Kanon und Theorie, Heidelberg, Winter, 1997, pp. 41-64, ici pp. 48-54.
14 L’histoire monumentale fait des rapprochements illégitimes, elle ne tient pas
compte de la singularité historique ; l’histoire antiquaire se concentre uniquement
sur ce qui lui est proche et ne sait pas juger de la valeur des faits ; l’histoire criti-
que, au contraire, juge sévèrement certaines époques, elles les fait même dispa-
raître (UB II, pp. 106 sq., 109-112, 113 sq./pp. 261 sq., 265-269, 269 sq.).
15 Cette opposition a pour présupposé nécessaire la vie comme catégorie épistémo-
logique du XIXe siècle ; cf. l’analyse de Foucault, Les Mots et les Choses,
pp. 241 sq.
16 « Niemand wird zweifeln : das Leben ist die höhere, die herrschende Gewalt,
denn ein Erkennen, welches das Leben vernichtete, würde sich selbst mit ver-
nichtet haben. Das Erkennen setzt das Leben voraus […]. So bedarf die
Wissenschaft einer höheren Aufsicht und Ueberwachung […]. » (UB II,
pp. 166 sq./pp. 330 sq.)
196 La Lutte des paradigmes
21 Tantôt, cette objectivité lui semble un déficit de force subjective, et donc une
expression de faiblesse vitale (UB II, p. 126/p. 284) ; tantôt, elle n’est rien
d’autre que le jugement du passé selon les lieux communs actuels (UB II,
p. 130/p. 289).
22 F.N., Œuvres philosophiques complètes, t. III.1 (deux vol.), trad. Robert Rovini ;
F.N., Sämtliche Werke, t. II ; par la suite je citerai par l’abréviation ‘MA’, suivie
du tome (il y a deux tomes du même nom, le deuxième paraît en deux parties,
en 1879 et 1880) et de la page de l’édition française puis allemande.
Digression : Burckhardt et Nietzsche 199
23 Il s’agit de bien plus que d’une rencontre fortuite : l’air du temps semble inspirer
le sujet, la seconde moitié du XIX e siècle discutait vivement les théories d’héré-
dité. À propos de la généalogie chez Zola, cf. ci-dessous, I. Zola et le natu-
ralisme, chap. 1.
24 F.N., Œuvres philosophiques complètes, t. IV, trad. Julien Hervier, p. 14 ; F.N,
Sämtliche Werke, t. III, p. 13. L’avant-propos (« Vorrede ») de Morgenröthe a été
ajouté en 1886 – cinq ans après la première publication, et moins d’un an avant la
rédaction de la Genealogie ; elle est plus proche de la Genealogie qu’il ne semble
au premier coup d’œil.
25 « Das Vertrauen auf die Vernunft, mit dem die Gültigkeit dieser Urtheile steht
und fällt, ist, als Vertrauen, ein m o r a l i s c h e s Phänomen […] ». (Ibid., p. 17/
p. 15) Cf. également MA I, pp. 52 sqq./pp. 59 sqq. ; et Le Gai Savoir, trad. Pierre
Klossowski, dans F.N., Œuvres philosophiques complètes, t. V, pp. 238 sqq. ;
200 La Lutte des paradigmes
Die fröhliche Wissenschaft, dans F.N., Sämtliche Werke, t. III, pp. 574 sqq. Les
passages indiqués discutent la morale comme fond et comme problème de la
science.
26 « […] unter welchen Bedingungen erfand sich der Mensch jene Werthurteile gut
und böse ? u n d w e l c h e n W e r t h h a b e n s i e s e l b s t ? » La Généa-
logie de la morale. Un écrit polémique, trad. Cornélius Heim, Isabelle Hil-
denbrand, Jean Gratien, dans F.N., Œuvres philosophiques complètes, t. VII,
p. 217 ; Zur Genealogie der Moral. Eine Streitschrift, dans F.N. Sämtliche
Werke, t. V, pp. 249 sq. ; je souligne. Par la suite je citerai par l’abréviation
‘GM’, suivie de la page de l’édition française puis allemande.
27 Cf. l’entrée « Genealogie » d’Odo Marquard dans Joachim Ritter (dir.), Histo-
risches Wörterbuch der Philosophie, treize tomes, Darmstadt, Wissenschaftliche
Buchgesellschaft, 1971-2007, t. III, pp. 268 sq. C’est Michel Foucault qui assure
la relève pour ce qui est de l’emploi de cette méthode ; cf. « Nietzsche, la généa-
logie, l’histoire », dans M.F., Dits et écrits, quatre tomes, éd. Daniel Defert et
François Ewald, Paris, Gallimard, 1994, t. II : 1954-1988, pp. 136-156 (première
parution dans Suzanne Bachelard [dir.], Hommage à Jean Hyppolite, Paris, PUF,
1971, pp. 145-172).
Digression : Burckhardt et Nietzsche 201
sens commun d’une discipline qui cherche les origines et les filiations
des familles nobles, loin de là. Il fait du terme un usage contraire : la
généalogie cherche à révéler la genèse contingente d’une valeur ab-
solue (en apparence), et espère ainsi la relativiser. Si, normalement, la
généalogie d’une famille noble procure une légitimité à celle-ci, elle
agit en outil destructeur dans les mains du philosophe : elle démontre
l’envers des valeurs idéales, et amène une inversion – elle délégitime
les prétentions de la morale. La proximité de cette conception de la
généalogie avec la fonction de l’arbre généalogique dans Les Rougon-
Macquart, tel qu’il est montré dans Le Docteur Pascal, est patente (cf.
ci-dessous, I. Zola et le naturalisme, chap. 1). La réinterprétation de la
généalogie est certainement à mettre en rapport avec l’interrogation de
la légitimité traditionnelle à l’âge moderne. Chez Nietzsche, la morale
est mise à nu, chez Zola, c’est au tour de l’histoire de la réussite so-
ciale des Rougon. Évidemment, le projet de Nietzsche porte plus loin
encore : il renverse tout un modèle de la philosophie des origines.
Dans le contexte du présent travail je ne peux entrer dans les dé-
tails du procès d’intention que le philosophe dresse à la civilisation
occidentale dans son ensemble. Je me contente d’indiquer que Nietz-
sche entreprend une critique du sujet : il tente de démontrer que
l’individu, autonome et libre d’apparence, est, en réalité, le produit de
processus violents ; ses idéaux se déduisent d’intérêts vitaux et per-
dent de ce fait toute leur valeur absolue. La méthode est historique
(dans une acceptation large du terme), elle implique donc une ré-
orientation de la philosophie dans le sens de l’histoire, comme Nietz-
sche l’a appelé de ses vœux dans Menschliches, Allzumenschliches28.
Il ne faut pas négliger la nuance : dans ce contexte, ‘histoire’ ne signi-
fie pas l’accumulation du savoir historique, mais une stratégie de dé-
voilement qui est dans l’intérêt vital de l’homme – dans ce sens, la
28 « Le manque de sens historique est le péché originel de tous les philosophes […].
Ils ne veulent pas comprendre que l’homme est le résultat d’un devenir, que la
faculté de connaître l’est aussi […]. […] Mais tout résulte d’un devenir ; il n’y a
p as plus de d o n n é es ét e rn e l l e s qu’il n’y a de vérités absolues. – C’est par
suite la p h i l o so p h i e h i st o ri q u e qui nous est dorénavant nécessaire, et avec
elle la vertu de modestie. » (« Mangel an historischem Sinn ist der Erbfehler aller
Philosophen […]. Sie wollen nicht lernen, dass der Mensch geworden ist, dass
auch das Erkenntnisvermögen geworden ist […]. Alles aber ist geworden ; es
giebt k e i n e e w i g en T h a t s ach en : sowie es keine absoluten Wahrheiten
giebt. – Demnach ist das h i s t o r i sch e P h i l o so p h i r en von jetzt ab nöthig und
mit ihm die Tugend der Bescheidung. » ; MA I, p. 24/pp. 24 sq.)
202 La Lutte des paradigmes
29 « ‘Gut und Böse’, ‘Gut und Schlecht’ », « ‘Schuld’, ‘schlechtes Gewissen’ und
Verwandtes » et la question « Was bedeuten asketische Ideale ? ».
30 L’interprétation est rendue particulièrement délicate par le fait que les trois traités
ne forment pas une suite conséquente. De plus, Nietzsche n’utilise pas seulement
une multitude de perspectives, il les exige même de manière catégorique : « Il
n’y a de vision q u e perspective, il n’y a de ‘connaissance’ q u e perspective ; et
p l u s nous laissons de sentiments entrer en jeu à propos d’une chose, p lu s nous
savons engager d’yeux, d’yeux différents pour cette chose, plus notre ‘concept’
de cette chose, notre ‘objectivité’ sera complète. » (« Es giebt n u r ein perspekti-
visches Sehen, n u r ein perspektivisches ‘Erkennen’ ; und je m eh r Affekte wir
über eine Sache zu Worte kommen lassen, j e m eh r Augen, verschiedne Augen
wir uns für dieselbe Sache einzusetzen wissen, um so vollständiger wird unser
‘Begriff’ dieser Sache, unsre ‘Objektivität’ sein. » ; GM, p. 309/p. 365) Werner
Stegmaier interprète la suite des parties comme une triple mise en perspective de
la morale, d’abord du point de vue de la morale elle-même (opposition bien –
mal), puis de celui de la vie (opposition noble – roturier) et ensuite de celui de
l’esprit (différence honnête – malhonnête) ; cf. Nietzsches Genealogie der Moral,
Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 24.
31 Nietzsche exploite la proximité entre les termes ‘schlicht’ (commun) et ‘schlecht’
(mal, méchant, mauvais), qui n’a pas vraiment d’équivalent en français.
Digression : Burckhardt et Nietzsche 203
scepticisme linguistique qui date au plus tard de son traité Ueber Wahrheit und
Lüge im aussermoralischen Sinne (1873).
36 GM, pp. 237-240, 241-243/pp. 274-277, 278-281.
37 Nietzsche distingue strictement entre la provenance et l’intention actuelle des
valeurs, des sanctions, et des institutions ; il analyse les conditions qui les déter-
minent et les réinterprétations successives auxquelles elles sont soumises : « [...]
et toute l’histoire [...] d’un usage peut être ainsi une chaîne continue d’inter-
prétations et d’adaptations toujours nouvelles, dont les causes ne sont même pas
nécessairement en rapport les unes avec les autres, mais peuvent se succéder et se
remplacer les unes les autres de façon purement accidentelle. » (« [...] die ganze
Geschichte [...] eines Brauchs kann dergestalt eine fortgesetzte Zeichen-Kette
von immer neuen Interpretationen und Zurechtmachungen sein, deren Ursachen
selbst unter sich nicht im Zusammenhange zu sein brauchen, vielmehr unter
Umständen sich bloss zufällig hinter einander folgen und ablösen. » ; GM,
p. 269/p. 314) À Nietzsche de conclure : « La forme est fluide, le ‘sens’ l’est
encore plus… » (« Die Form ist flüssig, der ‘Sinn’ ist es aber noch mehr... » ;
GM, p. 269/p. 315) Nietzsche reprend donc une relation naturelle en termes
sémiotiques. Ce jeu de plus en plus complexe des perspectives, qui fait partie de
la méthode nietzschéenne, montre quelques parallèles de structure avec le
perspectivisme flaubertien.
Digression : Burckhardt et Nietzsche 205
I. ZOLA ET LE NATURALISME
De Flaubert à Zola il n’y a qu’un pas, certes, mais celui-ci est peut-
être plus grand qu’on ne le croirait au premier coup d’œil. Pour ce qui
est du temps et du milieu, les auteurs ne sont pas très éloignés l’un de
l’autre : ils vivent à peu près à la même époque, se connaissent et
estiment leurs œuvres réciproquement ; des rencontres personnelles
ont lieu, e.g. à l’occasion de dîners littéraires, ils engagent également
un échange épistolaire (ainsi en 1878, pendant l’élaboration de Nana).
Zola, de 19 ans le cadet, se considère comme l’héritier légitime de
Balzac, de Stendhal1 – et de Flaubert ; il est ravi par les compliments
que l’aîné peut lui prodiguer à l’occasion de la publication de ses œu-
vres, par exemple de Nana 2. Mais si Zola a appris les bases du roman
moderne tels l’impartialité du narrateur et l’emploi du style indirect
libre chez le maître normand, il est tout aussi évident que le romancier
naturaliste s’écarte sur des points notables du réalisme flaubertien.
L’œuvre principale de Zola, le cycle des Rougon-Macquart (de
1871 à 1893), se présente sous un tout autre jour que les romans de
Flaubert 3. Ceux-ci ont chacun leur sujet propre, et si on peut les grou-
per en ‘textes actualistes’4 et ‘textes historiques’, le centre d’intérêt se
déplace tout de même sensiblement d’un texte à l’autre, et ce même à
l’intérieur d’un groupe ; si totalité il y a, elle provient de l’unité d’une
vision du monde et de la cohérence stylistique. Le sous-titre du cycle
des Rougon-Macquart indique en revanche que Zola conçoit une
« Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire »,
il projette donc une unité thématique et historique, une prise en
compte totale et universelle de la société française entre le coup d’État
et l’écroulement du bonapartisme. C’est une tout autre dynamique ro-
manesque, une temporalité d’un entrain considérable, qui contraste
nettement avec le cadre si neutre, si posé des textes actualistes de
Flaubert. Le monde de Zola est rapide, aveuglant, bruyant, odorant,
sensuel, voire cru – la stasis grise de l’histoire flaubertienne cède la
place à un tourbillon énergique. La comparaison avec L’Éducation
sentimentale rend le contraste particulièrement sensible, car le Second
Empire y représente la stagnation complète après 1848, alors que Zola
y voit une époque de transformation frénétique. Nous sommes passés
du pessimisme sceptique des années 1840 et 1850, formateur pour
Flaubert, dirigé notamment contre la naïveté de l’âge romantique,
révolu5, à un nouvel idéalisme, celui de la Troisième République. Si,
politiquement, on peut parler d’un retour aux projets des romantiques
républicains, la nature de l’idéalisme esthétique (et culturel) a bien
changé : c’est un idéal imprégné par le positivisme scientifique qui
domine le dernier tiers du siècle6.
La volonté zolienne de saisir le réel dans toutes ses dimensions va
forcément de pair avec une approche théorique uniformisante. Il faut
3 Les recherches faites sur l’œuvre de Zola depuis les années 1950 est résumée par
Alain Pagès : Émile Zola. Bilan critique, Paris, Nathan, 1993 (« lettres 128 »).
Dans une édition autour de ce même sujet (« Émile Zola. Bilan et perspectives »),
Les Cahiers naturalistes résument l’état présent et les perspectives de la critique
zolienne ; n° 67, 1993 (colloque à Columbia du 25 au 27 octobre 1991), cf. sur-
tout l’introduction par Henri Mitterand, pp. 5-7.
4 À propos du terme ‘actualisme’ cf. note 2 de la partie sur Flaubert.
5 Hugo Friedrich constate avec justesse que l’œuvre de Flaubert fait partie de
« cette grande liquidation du romantisme » (« jener großen Liquidation der Ro-
mantik ») qui a été entreprise au milieu du XIXe siècle ; Drei Klassiker des fran-
zösischen Romans, p. 104.
6 Qui sera mis en question à son tour par la décadence et le symbolisme, mais
d’une tout autre manière.
Zola et le naturalisme 211
10 Dans une certaine critique littéraire il a été de bon ton (et il l’est toujours) de
négliger les écrits théoriques de Zola, en n’y voyant que la fumée d’un en-
thousiasme positiviste surchauffé, et en plus une contradiction totale avec la pra-
tique réelle du romancier. C’est l’analyse structurale qui a découvert leur intérêt,
cf. l’essai d’Alain Pagès, qui défend la « nécessaire unité entre la théorie et la
pratique », en se référant aux travaux de Philippe Hamon sur le personnage ; « En
partant de la théorie du roman expérimental », Les Cahiers naturalistes, n° 47,
1974, pp. 70-87 ici p. 71. – Évidemment, et d’un autre point de vue, mon analyse
leur accordera leur place : le centre d’intérêt de mon analyse m’y oblige. En plus
je défends l’idée que la critique littéraire a tout à gagner si elle prend au sérieux
les aspirations de l’auteur. Cela n’implique évidemment pas une affirmation
aveugle, qui verrait unité là où il y a disparité – cf. ci-dessous, II. Nana, chap. 6.
11 Pour des explications plus amples concernant l’histoire du concept et du courant
littéraire, je renvoie à l’étude d’Yves Chevrel, qui a le mérite de privilégier une
approche comparatiste. Malheureusement, il néglige le rapport aux sciences natu-
relles ; « Poétique du naturalisme », dans Jean Bessière, Eva Kushner, Roland
Mortier et Jean Weisgerber (dir.), Histoire des poétiques, Paris, PUF, 1997,
pp. 349-365. Sylvie Thorel-Cailleteau a également le mérite de placer le terme
‘naturalisme’ dans un contexte international – mais elle sous-estime tout autant la
question des sciences ; cf. « L’expérience intime de l’Histoire », dans S.T.-C.
(dir.), Destinées féminines dans le roman naturaliste européen. Zola, Hardy,
Fontane, Paris, PUF, 2008, pp. 7-113, ici pp. 13-22. Klaus-Dieter Ertler souligne,
de façon un peu sommaire, les continuités entre le naturalisme et les courants lit-
téraires qui lui emboîtent le pas : « Naturalismus und Gegennaturalismus in
Frankreich. Das literarische System und seine Schwellen », Romanische
Forschungen, n° 117, 2005, pp. 194-204. Pour des éclaircissements quant au sens
et quant à l’histoire du terme, j’indique l’étude de F.W.J. Hemmings, ancienne
mais non datée : « The Origin of the Terms Naturalisme, Naturaliste », French
Studies, n° 8, 1954, pp. 109-121.
Zola et le naturalisme 213
14 Cf. Le Roman expérimental, dans É.Z., Œuvres complètes, quinze tomes, Paris,
Cercle du livre précieux, 1968, t. X : Œuvres critiques I, pp. 1173-1203, ici
p. 1175 ; par la suite, je citerai le texte par l’abréviation ‘RE’, suivie de la page.
15 « Me voilà maintenant attelé depuis un mois à un roman de mœurs modernes qui
se passera à Paris. Je veux faire l’histoire morale des hommes de ma génération ;
Zola et le naturalisme 215
‘sentimentale’ serait plus vrai. » Ainsi dit-il dans la lettre à Mlle Leroyer de
Chantepie déjà citée (du 6 octobre 1864, Correspondance, t. III, p. 409).
16 L’appareil critique de Mitterand montre qu’il n’en est rien, évidemment. C’est
déjà évident par le fait que Zola publie un autre arbre avec Le Docteur Pascal en
1893 ; bien avant les deux, en 1869, il y a eu une version primitive de l’arbre,
disparue, et ensuite une deuxième version qui fut remise à l’éditeur ; cf. ci-
dessus, note 13 et surtout t. V, Appendice D : « Arbres généalogiques »,
pp. 1777-1781, ici p. 1777 (Mitterand fournit cette deuxième version en annexe).
Au niveau des personnages, un cas connu illustre les élargissements successifs :
les héros de Germinal et de La Bête humaine, Étienne et Jacques Lantier, deux
fils de Gervaise (L’Assommoir), étaient d’après le plan initial un seul et même
personnage ; Zola ayant inventé Jacques après la publication de L’Assommoir,
Jacques n’y figure pas, alors que le roman devrait raconter sa naissance et son en-
fance (cf. les « Notes » de Germinal, pp. 1828-1830)
216 La Lutte des paradigmes
18 J’indique encore une fois que mon analyse ne concerne pour l’instant que les
écrits théoriques. La comparaison avec les textes littéraires de Flaubert est tout de
même légitime, car le déplacement des intérêts se retrouve dans les œuvres de
Zola.
19 Dans les « Notes sur la marche générale de l’œuvre », Zola fait le lien entre
ascension sociale et épuisement biologique : « Épuisement de l’intelligence par la
rapidité de l’élan vers les hauteurs de la sensation et de la pensée. » (t. V, Appen-
dice B : « Notes générales », chap. VIII, pp. 1738-1741, ici p. 1738)
218 La Lutte des paradigmes
20 Pour être exact, il faut ajouter un deuxième équivalant fictionnel dans le cycle,
l’arbre au centre du Paradou, du jardin paradisiaque dans La Faute de l’abbé
Mouret. Gumbrecht analyse les associations groupées autour de ce sujet ; cf. Zola
im historischen Kontext, pp. 58 sq.
21 Pour le champ métaphorique de la royauté des Rougon-Macquart, cf. Rainer
Warning, « Kompensatorische Bilder einer ‘wilden Ontologie’ », pp. 247-249.
22 Cf. Claudie Bernard, « Cercle familial et cycle romanesque dans Le Docteur
Pascal », Les Cahiers naturalistes, n° 67, 1993, pp. 123-140, ici pp. 128-131.
Zola et le naturalisme 219
23 Il ne faut pas oublier que l’hérédité est comprise comme un processus physio-
logique.
24 « Différences entre Balzac et moi », p. 1737.
25 Toute une école d’interprètes, de Gumbrecht à Kaiser, constate une équivalence
du biologique et du sociohistorique dans les Rougon-Macquart ; ce point de vue
me semble intenable, et Gumbrecht relativise effectivement sa thèse de départ.
Cf. Gumbrecht, Zola im historischen Kontext, e.g. pp. 41, 50, puis 60 sq. L’étude
de Kaiser (Wissen und Erzählen bei Zola. Wirklichkeitsmodellierung in den
Rougon-Macquart) hésite entre une interprétation ‘biologiste’ (pp. 35-37) et une
interprétation dualiste (pp. 50, 53, 59 sq., 66-76). À propos de cette dernière, et
du travail de Kaiser en général, Küpper a formulé une critique juste ; cf. « Vergas
Antwort auf Zola », dans J.K., Zum italienischen Roman des 19. Jahrhunderts.
Foscolo. Manzoni. Verga. D’Annunzio, Stuttgart, Franz Steiner, 2002, pp. 85-
113, ici pp. 110 sq., note 54.
220 La Lutte des paradigmes
35 Malgré son enthousiasme affiché, Zola est conscient du fait que cet avenir n’est
pas imminent.
36 Paradoxalement, cet acheminement vers la littérature scientifique semble d’un
côté la conséquence naturelle de « l’évolution naturaliste », décrite comme une
nécessité historique. Le naturalisme ne serait même pas une école, mais une par-
ticule parmi d’autres, prise dans une dynamique infiniment plus large (RE,
pp. 1197 sq. ; c’est un argument qui revient tout au long des articles qui consti-
tuent le recueil, et non l’article, « Le Roman expérimental »). Et de l’autre côté,
cette littérature est un projet à défendre bec et ongles contre l’ancienne école ro-
mantique. Or entre fatalité et vision, entre destin et vœu la distance est grande…
37 « Que devient donc le génie chez le romancier expérimental ? Il reste le génie,
l’idée a priori, seulement il est contrôlé par l’expérience. » (RE, p. 1193)
Zola et le naturalisme 223
Voilà déjà deux notions de l’histoire qui sont à retenir. Pour appro-
fondir cette question, il faut revenir à la « Préface », car les Rougon-
Macquart développent les deux côtés : il y a le groupe, mais il y a
aussi l’époque.
51 Flaubert lui aussi aurait souhaité que son œuvre sur 1848 et le Second Empire
soit couronnée de la sorte, la publication de L’Éducation sentimentale en 1869
était pour lui une déception a posteriori : la guerre et la défaite auraient fourni
une fin plus médiocre, et donc meilleure. Zola a su profiter de cet avantage. Cf.
Durry, Flaubert et ses projets inédits, pp. 254 sq. On y trouve des références à
d’autres projets sur le Second Empire (pp. 253-363 et 376-389).
52 Elle date du 1er juillet 1871. En 1871 et 1872, Zola publie dans La Cloche et Le
Sémaphore de Marseille ses reportages sur les travaux parlementaires empreints
d’un esprit républicain. Il avait déjà procédé à une critique acide du Second Em-
pire dans les années 1868/1869 (dans La Tribune et Le Rappel, des organes de
l’opposition) ; cf. Henri Mitterand, Zola et le naturalisme, Paris, PUF, 42002,
pp. 13-17, ici p. 14, et surtout Henri Mitterand et Halina Suwala, Émile Zola
journaliste. Bibliographie chronologique et analytique, deux tomes, Paris, Les
Belles Lettres, t.1 : 1859-1881, 1968, pp. 78-98.
230 La Lutte des paradigmes
ques », et qu’on doit y voir « le développement graduel du Tiers État, ses origi-
nes obscures, et son rôle d’action lente, mais toujours progressive sur la vie so-
ciale du pays » (pp. V sq.).
60 « Notes sur la marche générale de l’œuvre », p. 1738.
Zola et le naturalisme 235
vu). Ici, Zola occupe un troisième point de vue, celui d’un républicain
convaincu de sa cause, et qui croit en la République comme le savant
en la science ; c’est à partir de ce point de vue qu’il exerce une criti-
que engagée. Quatrièmement, il y a un mélange resté inextricable qui
rapproche de manière radicale histoire et nature, dans un esprit ‘natu-
raliste’. Il s’agira de retrouver ces éléments au cours de l’analyse et de
définir autant leur place que leur valeur.
II. NANA
64 « Dès lors, Nana eut une passion, qui l’occupa. Satin fut son vice. » (N, p. 1360).
65 Cette surenchère dans le domaine sexuel contribue probablement à la lecture
moralisatrice des œuvres de Zola. Klaus Heitmann constate une ‘exclusivité’ de
cette approche moralisatrice chez une large partie du public contemporain. Der
Immoralismus-Prozeß gegen die französische Literatur im 19. Jahrhundert, Bad
Homburg v.d.H./Berlin/Zurich, Gehlen, 1970, pp. 32 sq. ; cf. également pp. 38-
42 et, pour les jugements du public étranger, pp. 42-48 . Zola devine la réaction
avant même d’entreprendre le roman, comme le montrent bien les lettres ; il pré-
dit : « Du coup, nous nous faisons massacrer, Charpentier [son éditeur ; N.B.] et
moi. » Lettre à Marguerite Charpentier du 21 août 1877, Correspondance, t. III,
pp. 101-104, ici p. 102.
« Nana » 239
69 Cf. e.g. N, pp. 1203, 1217, 1222, 1259, 1312, 1376, 1379, et 1485.
« Nana » 241
70 Cf. la soirée de Nana : avec la chaleur, la bonne tenue est abandonnée, les propos
et les comportements deviennent libres (N, p. 1181).
71 C’est le lieu des amours incestueux entre Maxime et sa belle-mère Renée ;
atmosphère artificielle, chaleur et sexualité se complètent pour former des
symptômes de décadence. Elles vont de pair avec les transformations de Paris
sous Haussmann dont profite Aristide Saccard, le père de famille ; elles en sont
même le symbole. D’une certaine manière, le Paris de l’époque est une serre gi-
gantesque. En témoigne ce plan de Saccard : « Il eût proposé sans rire de mettre
Paris sous une immence [sic] cloche, pour le changer en serre chaude, et y culti-
ver les ananas et la canne à sucre. » (Cur, p. 419)
72 Cela vaut surtout pour l’expérience que le comte Muffat fait du théâtre : quand il
monte l’escalier, la chaleur va toujours crescendo et les odeurs sont très
marquées (N, p. 1223) ; les impressions sont si fortes qu’il éprouve une sensation
de vertige (N, pp. 1208 sq.).
242 La Lutte des paradigmes
des lampes et des couloirs serrés semblent favoriser les processus dont
le lecteur sera témoin, la fièvre du public et la chaleur du lieu font bon
alliage.
Les affiches mentionnées soulignent d’emblée l’intérêt commercial
de l’entreprise. En effet, Bordenave, le directeur du théâtre, est d’un
naturel peu artistique : « ce montreur de femmes […], ce cerveau
toujours fumant de quelque réclame, criant, crachant, se tapant sur les
cuisses, cynique et ayant un esprit de gendarme » (N, p. 1097), semble
bien avoir un talent publicitaire pour le moins racoleur. Il est le ca-
ractère fort de ce premier chapitre, il contribue beaucoup à la concep-
tion d’un Paris mondain et artistique débauché, matérialiste, et sensuel
au possible. C’est le réalisateur des rêves érotiques du public, le me-
neur de bêtes d’une société du spectacle. Il connaît très bien la vérita-
ble valeur de son établissement, il insiste là-dessus, à l’étonnement de
son interlocuteur naïf :
« Votre théâtre… » commença-t-il [La Faloise ; N.B.] d’une voix flû-
tée.
Bordenave l’interrompit tranquillement, d’un mot cru, en homme qui
aime les situations franches.
« Dites mon bordel. » (N, p. 1097)
Le ton est donné. En effet, les actrices sont entretenues, telle Rose
Mignon, la rivale artistique et surtout érotique de Nana, par le ban-
quier Steiner. L’arrangement est remarquable : le mari ne s’en révolte
pas, au contraire, il amène systématiquement des amants à sa femme
pour assurer des revenus importants au ménage, employés sagement à
l’éducation et à l’ascension sociale de leurs enfants ; la bourgeoisie
s’obtient par la prostitution. Les mœurs sont d’un sans-gêne73 et d’un
cynisme inouïs74.
La pièce elle-même est une parodie, les dieux grecs règnent sur
« un Olympe de carton » (N, p. 1105) et sont pris dans un tourbillon
de complications amoureuses :
Et toute la salle éclata, lorsque Prullière, cet acteur si aimé, se montra
en général, un Mars de la Courtille, empanaché d’un plumet géant,
traînant un sabre qui lui arrivait à l’épaule. Lui, avait assez de Diane ;
elle faisait trop sa poire. (N, p. 1106)
voix est « une vraie seringue » et elle ne sait non plus jouer sur scène.
Ses qualités sont ailleurs :
« […] Est-ce qu’une femme a besoin de savoir jouer et chanter ? Ah !
mon petit, tu es trop bête… Nana a autre chose, parbleu ! et quelque
chose qui remplace tout. […] Tu verras, tu verras, elle n’a qu’à
paraître, toute la salle tirera la langue. » (N, p. 1098)
Nana apparaît comme une femme simple et très sensuelle, qui est
parfaitement consciente du charme qu’elle exerce sur le genre mascu-
lin. Effectivement, elle se transforme aux yeux du public, qui accepte
progressivement la sexualité explicite représentée par elle : elle donne
un coup de hanche comme la prostituée qu’elle était il y a peu, son
apparition sur scène s’apparente davantage à un acte d’amour public
qu’à un rôle dans une comédie, son grand et seul avantage étant son
animalité sauvage. Celle-ci est indiquée par ses cheveux roux qui res-
semblent à « une toison de bête », et qui achèvent d’abrutir le public
masculin. Dans une apparition ultime Nana se montre nue, elle est
tentation et menace à la fois :
Nana était nue. Elle était nue avec une tranquille audace, certaine de
la toute-puissance de sa chair. […] C’était Vénus naissant des flots,
« Nana » 245
n’ayant pour voile que ses cheveux. […] Un vent semblait avoir passé
très doux, chargé d’une sourde menace. Tout d’un coup, dans la
bonne enfant, la femme se dressait, inquiétante, apportant le coup de
folie de son sexe, ouvrant l’inconnu du désir. Nana souriait toujours,
mais d’un sourire aigu de mangeuse d’hommes.
[…]
Un murmure grandit comme un soupir qui se gonflait. […] Peu à peu,
Nana avait pris possession du public, et maintenant chaque homme la
subissait. Le rut qui montait d’elle, ainsi que d’une bête en folie,
s’était épandu toujours davantage, emplissant la salle. […] Et Nana,
en face de ce public pâmé, de ces quinze cents personnes entassées,
noyées dans l’affaissement et le détraquement nerveux d’une fin de
spectacle, restait victorieuse avec sa chair de marbre, son sexe assez
fort pour détruire tout ce monde et n’en être pas entamé. (N,
pp. 1118-1120 ; je souligne)
78 Le fait que Nana paraît dans une pièce d’Offenbach n’y change rien. La critique
de Zola est connue, elle a été mentionnée. Cependant, la scène montre l’ap-
parition de la courtisane au comble de l’amusement. Elle brise en quelque sorte le
décor, et dévoile ainsi le noyau de l’époque. Zola explique ainsi l’être véritable
de son temps, alors qu’Offenbach se limite à aiguiser ses symptômes.
79 Lettre du 15 février 1880, Correspondance, t. V, p. 834. Flaubert répète la for-
mule dans la lettre de la même date à sa nièce Caroline qui a déjà été citée ; ibid.,
pp. 830 sq., ici p. 830.
« Nana » 247
80 Cette attaque implicite montre bien une dimension romantique de l’œuvre. Mais
la ‘nouvelle mythologie’ à la Zola n’est pas tout à fait celle des romantiques : la
grande synthèse se fait aux dépens du monde idéal. Il semble banal d’insister sur
ce point, mais les études qui analysent l’héritage romantique de Zola sont nom-
breuses de nos jours. Cf. e.g. Martin Braun, Émile Zola und die Romantik –
Erblast oder Erbe ? Studium einer komplexen Naturalismuskonzeption, Tübin-
gen, Stauffenburg, 1993. Braun propose de voir dans le naturalisme une sorte de
synthèse supérieure entre romantisme et réalisme, une description exacte se com-
binerait avec un symbolisme développé (p. 9). Évidemment il y a intégration de
la tradition littéraire, mais elle se fait selon un nouveau paradigme, qui n’a rien
de romantique.
81 La représentation de deux mondes distincts demande un nombre considérable de
personnages. Zola s’en plaint auprès de Flaubert : « Je viens de terminer le plan
de Nana, qui m’a donné beaucoup de peine, car il porte sur un monde
singulièrement complexe, et je n’aurai pas moins d’une centaine de personna-
ges. » Lettre du 9 août 1878, Correspondance, t. III, pp. 201-204, ici p. 202. Une
autre lettre à Flaubert va dans le même sens ; le 30 novembre 1878, ibid.,
pp. 242-244, ici p. 242.
248 La Lutte des paradigmes
82 C’est « une grosse femme, sanglée dans son corset, une ancienne blonde devenue
blanche et teinte en jaune, dont la figure ronde, rougie par le fard, se boursouflait
sous une pluie de petits frisons enfantins. » (N, p. 1103)
83 J’y reviendrai dans le chapitre suivant.
« Nana » 249
femme sans intérêt, ira dans le même sens. Bref, c’est un père de fa-
mille tout à fait honorable, dans les goûts du Second Empire.
Nana exerce un effet extraordinaire sur le comte. Lors de la pre-
mière soirée, cet homme si distingué « se haussait, béant, la face mar-
brée de taches rouges » (N, pp. 1119 sq.). Quand il rend visite à Nana
le lendemain, il subit « une odeur de fleur et de femme qui
l’étouffait » ; cette femme galante est pour lui une source de vertiges
permanents (N, p. 1139). Les sensations qui troublent le comte sont
d’ordre olfactif et tactile, ce sont les odeurs et la chaleur du corps fé-
minin qui le ravissent. La visite du théâtre des Variétés est prémoni-
toire, Muffat y éprouve ce qu’il ressentira par la suite en présence de
Nana. De ce point de vue, le théâtre figure en allégorie le corps fémi-
nin86, avec sa face de représentation (la scène), ses couloirs intesti-
naux, ses coins cachés, pleins d’une sensualité envahissante :
En arrivant au pied de l’escalier, le comte avait senti de nouveau un
souffle ardent lui tomber sur la nuque, cette odeur de femme descen-
due des loges, dans un flot de lumière et de bruit ; et, maintenant, à
chaque marche qu’il montait, le musc des poudres, les aigreurs des vi-
naigres de toilette le chauffaient, l’étourdissaient davantage. (N,
p. 1222)
L’odorat est un des sens les plus éminents dans Les Rougon-
Macquart, et pour cause : négligé, supprimé par les arts jusqu’au XIXe
siècle88, peu mis en scène par les romanciers, il est un sens esthétique
paradigmatique pour le naturalisme89. Proche du goût et des
émanations du corps90, il est lié aux ‘bas sujets’ convoités par le
91 Mentionnons dans ce contexte que les hygiénistes du XIXe siècle faisaient le lien
entre les émanations olfactives et l’hérédité : les odeurs des membres d’une fa-
mille, qui sont de la même nature, se renforcent mutuellement et provoquent ainsi
des effets pathologiques, d’après le médecin Michel Lévy. Cf. Alain Corbin, Le
Miasme et la Jonquille. L’odorat et l’imaginaire social XVIIIe-XIXe siècles, Paris,
Flammarion, 1986, pp. 191 sq. De ce point de vue, l’odeur de Nana, ainsi que son
effet sur les hommes, résulteraient de sa misère familiale.
92 Cf. la description très sensuelle de son hôtel particulier (N, pp. 1346-1351).
93 Plus tard, Muffat trouve évidemment un plaisir dans l’abandon : « Et, dès que la
portière retombait, il était repris, il se sentait fondre à la tiédeur de la pièce, la
chair pénétrée d’un parfum, envahie d’un désir voluptueux d’anéantissement. »
(N, p. 1459) Il y a une dimension masochiste sensible. On notera que ce sont
toujours la tiédeur et l’odeur qui sont déterminantes.
94 « Il en arrivait maintenant à une passion exclusive, une de ces passions
d’hommes qui n’ont pas eu de jeunesse. » (N, p. 1447) On remarquera que le
froid associé à la jeunesse du comte trouve sa complémentarité naturelle dans la
chaleur du corps de Nana, et de toutes ses demeures.
« Nana » 255
95 « Nana, confusément, était le diable, avec ses rires, avec sa gorge et sa croupe,
gonflées de vices. Mais il se promettait d’être fort. Il saurait se défendre. » (N,
p. 1213)
96 Les termes la « sensation nouvelle » ou la « vie nouvelle » reviennent plusieurs
fois, c’est bien ce qui rend Nana irrésistible (cf. N, p. 1331).
97 La « fièvre » et la « folie » n’étant que d’autres termes pour la passion charnelle
irrationnelle.
98 Cette explication est importante aux yeux de Zola, car il la répète presque mot
pour mot quelques pages plus loin, quand Muffat retombe dans les mains de la
religion : « C’était un prolongement religieux des voluptés de Nana, avec les bal-
butiements, les prières et les désespoirs, les humilités d’une créature maudite
écrasée sous la boue de son origine. » (N, p. 1465)
256 La Lutte des paradigmes
101 Zola reste ambigu à cet égard, ce qui sera discuté par la suite.
102 Par l’accord entre ontogenèse et phylogenèse, ce constat vise autant n’importe
quel enfant que les ‘races’ restées enfant : « L’homme, enfant d’âge ou de race »
(Pp, p. 29), dit le début du paragraphe.
258 La Lutte des paradigmes
103 C’est un des cas où le roman opère le rapprochement homme – animal ; un autre
exemple de taille figure dans l’identification de Nana avec le cheval de course ;
cf. ci-dessous, chap. 5.
« Nana » 259
106 B.N.F., Ms. NAF 10343, f° 72 ; cité d’après Colette Becker, « Dire la femme en
régime réaliste/naturaliste. Du lys à ‘la chienne en chaleur’ », dans Uwe Dethloff
(dir.), Europäische Realismen. Facetten, Konvergenzen, Differenzen, St. Ingbert,
Röhrig Universitätsverlag, 2001, pp. 263-275, ici p. 270.
107 Cf. ci-dessus, Flaubert, II. L’Éducation sentimentale, chap. 4.
108 Zola commence de la même manière que Flaubert : il met en parallèle les deux
soirées, les sujets de conversation etc. Il rapproche d’emblée les personnages, en
faisant remarquer que Mme de Chezelles, l’amie de la comtesse, se tient moins
bien que Caroline Héquet, la fille galante (N, p. 1154). Mais une fois le parallèle
établi, il va plus loin, et il le pousse jusqu’à l’identité.
109 « Tant que le baron Hulot d’Ervy fut bel homme, les amourettes n’eurent aucune
influence sur sa fortune ; mais, à cinquante ans, il fallut compter avec les grâces.
À cet âge, l’amour, chez les vieux hommes, se change en vice ; il s’y mêle des
vanités insensées. » (La Cousine Bette, p. 78)
110 Mme Marneffe pourrait être un modèle de Nana, car elle dirige la destinée de tout
un groupe d’hommes et de leurs familles respectives. Mais ses actes sont dirigés
par la raison, ce qui la distingue nettement de la force inconsciente de Nana. Elle
262 La Lutte des paradigmes
femme avide et rusée. Son histoire est certainement celle d’un homme
soumis à sa passion charnelle, à une passion extrême qui se moque de
la fidélité conjugale et des bonnes mœurs (c’est son épouse Adeline
qui suit les préceptes de la religion, pas lui). Balzac est donc plus
radical dans la conception du destin individuel, qu’il mène jusqu’au
fond du gouffre. Victorin, le fils, réussit à sauver financièrement la
famille, il emploie son zèle (et un personnage criminel) à cette tâche.
Mais le vieux déchu ne peut se passer de son vice : retourné aux côtés
de sa femme angélique, il promet à une domestique de l’épouser après
la mort de sa femme ; celle-ci observe la scène et meurt de chagrin,
Hulot épouse la domestique dont le seul atout est sa jeunesse. Balzac
poursuit jusqu’à la dernière conséquence l’érotomanie de son héros.
Néanmoins, c’est au niveau de la société et de ses lois motrices que
Zola est plus radical que son prédécesseur. Chez Balzac, Hulot repré-
sente bien une loi générale, car « l’Avant-propos » de la Comédie
humaine définit la passion comme le moteur de l’action humaine :
« La passion est toute l’humanité. Sans elle, la religion, l’histoire, le
roman, l’art seraient inutiles. » 111 Ce principe vital se retrouve aussi
dans le contexte d’une société conçue en « comparaison » avec le
monde animal 112. Mais la passion peut signifier différents motifs, e.g.
celui de l’argent ou du pouvoir ; Hulot n’est pas un représentant
typique de la société113. Chez Zola, au contraire, Muffat est un homme
sociale est donc bien plus importante chez Balzac ! Balzac, « Avant-propos »,
pp. 8 sq.
114 En fait, l’arbre généalogique comprend deux branches illégitimes, car l’aïeule
Fouque a deux enfants avec Macquart, Ursule et Antoine, qui forment ensemble
la partie illégitime de l’arbre.
115 Un homme « aux instincts vagabonds, que le vin et une vie de paria ont rendu
mauvais » (FR, p. 43).
116 Chez Antoine, à 16 ans, « les défauts de Macquart et d’Adélaïde se montraient
déjà comme fondus. Macquart dominait cependant, avec son amour du vagabon-
dage, sa tendance à l’ivrognerie, ses emportements de brute. » Mais, grâce à
« l’influence nerveuse » de la mère, ces traits s’expriment moins franchement,
par « une sournoiserie pleine d’hypocrisie et de lâcheté » (FR, p. 47). La lâcheté
et le manque de volonté domineront cette branche.
117 Ici, le narrateur exprime une des idées les plus exotiques sur l’hérédité qu’on
puisse trouver dans le cycle ; on la met généralement sur le compte de sa source,
Prosper Lucas. Mais celui-ci récuse l’idée que « les dispositions physiques ou
morales, au moment du coït » puissent déterminer l’individu ; Traité philosophi-
que et physiologique de l’hérédité naturelle dans les états de santé et de maladie
264 La Lutte des paradigmes
du système nerveux, t. II, p. 183 (pour le lieu, la maison d’édition et l’année cf. la
page ci-dessous).
118 Respectivement les héros de L’Œuvre et de Germinal ; comme j’ai déjà indiqué,
le personnage de Jacques est une invention tardive, postérieure à L’Assommoir,
que Zola a rajouté quand il a décidé de séparer les sujets de Germinal et de La
Bête humaine (cf. les « Notes » pour Germinal, pp. 1828-1830)
119 Sa profession a une portée symbolique, elle n’arrive pas à ‘blanchir’ suffisam-
ment, elle prend l’habitude de la saleté que son milieu social lui offre et inflige.
120 L’odorat fournit la preuve de l’authenticité – je reviendrai au rôle du sens olfac-
tif.
121 Selon Mitterand et les plans, c’est en avril 1851 que Nana est née (Notes,
p. 1583, note de la p. 467) ; L’Assommoir entretient un rapport allusif à la
chronologie.
« Nana » 265
122 Nana y est présentée comme un cas de « l’hérédité directe », plus précisément
comme « mélange » « par soudure » (DrP, p. 1007). Mais elle est aussi un exem-
ple de « l’hérédité par influence », j’y reviendrai.
123 Paris, J.-B. Baillière ; le second tome paraît en 1850. Par la suite, je citerai le
texte par l’abréviation ‘Trhé’, tome, page.
124 Les notes sont fournies dans l’appendice du t. V de l’édition de la « Pléiade »,
pp. 1692-1722 ; par la suite, je les citerai par tome, « Notes Lucas », page.
125 Il est regrettable que maintes études littéraires sur Zola croient toujours pouvoir
se passer d’une compréhension minimale de ses sources scientifiques. Certes, il
ne s’agit pas de lire tout Lucas à chaque fois qu’on traite d’un roman naturaliste.
Mais écrire tout un long chapitre sur « L’hérédité comme figure de la moder-
nité », pour citer un exemple récent, et délaisser totalement le développement des
sciences me semble un procédé aberrent ; cf. Sylvie Thorel-Cailleteau, La Perti-
nence réaliste : Zola, Paris, Honoré Champion, 2001, pp. 115-138.
126 C’est en ce terme que se résume le caractère de l’ouvrage pour Bernard Balan,
qui n’y voit pas une théorie cohérente ; « Prosper Lucas », dans Claude Bénichou
(dir.), L’Ordre des caractères. Aspects de l’hérédité dans l’histoire des sciences
de l’homme, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1989, pp. 49-71, ici p. 65. Le
portrait de Balan est peu flatteur : « La prolixité s’associe aux généralités vagues
et aux accumulations de listes d’auteurs, de références à toutes les espèces de lit-
tératures, et d’anecdotes dans lesquelles se mêlent l’histoire et la légende. »
(p. 49)
266 La Lutte des paradigmes
jusque dans les années 1920 127. Darwin se réfère une vingtaine de fois
à lui dans le second tome de The Variation of Animals and Plants
under Domestication (1868), il parle du « great work » de Lucas 128. À
propos de la question de l’hérédité des blessures et des handicaps,
Darwin, qui a l’attitude que l’on sait quant à l’hérédité des caractères
acquis, se laisse impressionner, voire convaincre par la liste
d’autorités proposée par Lucas 129.
L’approche de Lucas n’illustre pas simplement la séparation tar-
dive entre science et littérature, ni une préférence persistante des
scientifiques pour le bon style130 : en lisant les textes scientifiques de
l’époque, et même du début du XIXe siècle, e.g. l’article de Magendie
(cf. ci-dessus, Flaubert, I. Salammbô, « Les personnages », chap. 7),
on comprend que rigueur scientifique et approche spéculative (fût-elle
matérialiste et ‘scientiste’) ont longtemps co-existé131. Leur co-
présence permet de choisir entre des ouvrages appartenant aux deux
extrêmes : Zola se décide, en dépit de son admiration pour Bernard,
pour une position peu avancée de la biologie contemporaine. On peut
expliquer ce choix par le manque avéré d’une théorie scientifique de
127 Cf. Balan, « Prosper Lucas », pp. 49 sq. et 65. Balan analyse en détail les métho-
des et les sources employées par Lucas – un bon exemple est le refus de métho-
des statistique, qui en matière d’hérédité semblent essentielles (pp. 60 sq.) ; il est
à regretter que l’article de Balan ne reçoive pas plus d’attention de la part de la
critique zolienne, même si son objectif, à savoir la découverte de la dimension
sociale qui se cacherait derrière les problèmes scientifiques, le pousse parfois à la
simplification. Sa conclusion – « Le Traité de Lucas n’appartient donc pas à
l’histoire des sciences […] » (p. 65) – me semble une manière bien facile
d’homogénéiser l’histoire des sciences modernes.
128 Deux tomes, parus à Londres : Murray, ici t. II, pp. 7, note 12, et pp. 10 sq.,
note 20. Dans l’index, on trouve les mentions de Lucas (t. II, p. 462), qui
concernent surtout les cent premières pages, dédiées aux questions d’hérédité en
général. Quant à une certaine critique tout de même décelable chez Darwin, cf.
Balan, « Prosper Lucas », pp. 51 sq.
129 The Variation of Animals and Plants under Domestication, t. II, p. 23.
130 Ainsi Lepenies, Das Ende der Naturgeschichte, p. 136. C’est déjà l’estime de
Darwin qui relativise cette tentative d’explication.
131 C’est déjà la réponse à une critique possible : on pourrait objecter que la trans-
position des lois de la toute jeune science expérimentale à la biologie de l’époque
créerait un anachronisme. Mais cette objection n’est pas recevable à cause de la
co-présence mentionnée. Il reste à savoir si, de nos jours cette co-présence ne
continue pas d’exister.
« Nana » 267
132 C’est ainsi que Balan tente d’expliquer les références de Darwin à Lucas ;
« Prosper Lucas », pp. 52 et 65.
133 Dans son emploi normal, ce terme fait référence à ce qui est inné, donné par la
naissance ; en philosophie, les idées innées sont le contraire de la table rase –
cette opposition dénote celle entre les positions du rationalisme et de
l’empirisme. Lucas fait un usage pour le moins surprenant de cette expression :
‘l’innéité’ est ici à comprendre dans le sens de la table rase de l’hérédité.
134 Du reste, Lucas ne s’exprime pas sur la nature de cette création, ni sur la question
d’un créateur possible ; beaucoup de représentants du positivisme de l’époque
tentaient de contourner le débat si acharné entre religion et matérialisme. Si
Lucas fait partie des positivistes il n’est pas d’un goût exclusif pour autant, car il
prend au sérieux les autorités religieuses ; cf. Balan, « Prosper Lucas », p. 57.
135 Lucas voit donc une uniformité spécifique à l’œuvre dans chaque espèce (Trhé I,
p. 171).
136 On peut trouver bon nombre de passages similaires: « […] le système nerveux est
celui dont la forme exprime ou détermine la forme universelle de l’organisation ;
[…] il est, par cette raison, le seul dont les caractères puissent servir de base à
une distribution naturelle des êtres […] » (Trhé I, pp. 46 sq.). En conséquence, il
s’agit du « modèle primitif et [du] type du corps entier » (Trhé I, pp. 47 sq.).
268 La Lutte des paradigmes
137 Il avance un argument de bon sens, car le contraire s’observe aussi : « l’enfant le
plus semblable au père ou à la mère, de conformation, de physionomie, en est as-
sez souvent le plus différent, ou par le caractère, ou par les passions, ou par les
facultés, ou par les maladies ; et réciproquement […] ». (Trhé II, pp. 88 sq.)
138 C’est le débat entre spermatistes et ovistes qui est évoqué. Le deuxième livre du
second tome s’intitule « De la part des deux sexes à la procréation » (Trhé II,
pp. 66 sqq.) et fait largement écho à ce débat.
139 L’élection « a pour résultat la représentation ou l’empreinte exclusive du père ou
de la mère sur une partie des points ou sur tous les points de l’organisation »
(Trhé II, p. 194). Cette forme d’hérédité est en contradiction apparente avec le
principe d’une présence égale des deux parents ; Lucas discute ces problèmes de
sa théorie plus loin ; cf. Trhé II, pp. 220 sqq., et surtout pp. 244 sqq., où il donne
les raisons qui expliquent les inégalités.
« Nana » 269
Zola retient dans ses notes ce que lui semble frappant dans ce cas :
« Ainsi, dans un fruit, la couleur et la forme de la mère, s’unit à la
saveur et à la consistance du père. » (« Notes Lucas », p. 1712)
Quant au tempérament du père, Lucas admet tout à fait l’hérédité
des propriétés psychiques : « L’hérédité régit, dans l’humanité, la
disposition à toutes les passions. » (Trhé I, p. 475) L’enfant peut donc
« hériter d’eux [des parents ; N.B.] d’un penchant naturel à
l’ivrognerie » (Trhé I, p. 476), inclination qui se développe dans cer-
tains cas jusqu’à la folie : « L’hérédité du penchant à l’ivresse dégéné-
rait, chez eux, en manie suicide. » (Trhé I, p. 477) On peut estimer que
le vice parfois tout à fait pervers de Nana143 se subsume sous la même
144 À ce propos, le roman fait preuve d’une certaine ambiguïté : Nana a un penchant
à la nervosité (cf. e.g. N, pp. 1318, 1346, 1411 et 1467), et elle est peut-être
nommée implicitement par Pascal qui parle des maux de sa famille, dont
l’hystérie (DrP, p. 1035). Mais le caractère n’a rien de la fragilité ou de la fureur
hystériques, et l’on n’observe aucun accès qui indiquerait cette maladie.
145 Gervaise, traitée avec de l’anisette, « se dessécha davantage » (FR, p. 124).
« Nana » 271
146 Il cite Sinibaldi, Geneanthropeia, lib VIII, tract. I, p. 838, comme référence.
147 Cf. N, pp. 1118 et 1393. La métaphore est filée : « Nana, en quelques mois, les
mangea goulûment, les uns après les autres. Les besoins croissants de son luxe
enrageaient ses appétits, elle nettoyait un homme d’un coup de dent. » (N,
p. 1454) ; elle mange leurs propriétés : « À chaque bouchée, Nana dévorait un
arpent. » (N, p. 1455)
272 La Lutte des paradigmes
151 Donner naissance à un enfant, c’est bien la seule excuse que Clotilde trouve à la
sensualité amoureuse : « Au bout de chacun de ses baisers, se trouvait la pensée
de l’enfant ; car tout amour qui n’avait pas l’enfant pour but, lui semblait inutile
et vilain. » (DrP, p. 1086) C’est un enseignement de la morale chrétienne, qui
admet l’amour physique dans le cadre de la procréation, mais ce précepte est ici
mis au compte des lois de la Nature.
152 « D’ailleurs, depuis trois mois, il vivait au milieu d’un tel étourdissement sen-
suel, qu’en dehors du besoin de la posséder, il n’éprouvait rien de bien net.
C’était, dans l’éveil tardif de sa chair, une gloutonnerie d’enfant qui ne laissait
pas de place à la vanité ni à la jalousie. » (N, p. 1260)
153 C’est dans la logique la plus fondamentale du cycle, car les Rougon-Macquart,
débutent par une transformation, non une création ex nihilo : c’est le cimetière
Saint-Mittre qui devient l’aire Saint-Mittre, le terrain d’où surgit la famille en
question. La destruction et la vie sont associées d’emblée. Cf. Naomi Schor,
Zola’s Crowds, Baltimore (MD)/Londres, Johns Hopkins University Press, 1978,
pp. 8-21, ici pp. 8 sq. – Kristof H. Haavik voit bien l’importance du principe vi-
tal, mais il interprète comme une bataille épique de la vie et de la mort la dualité
du principe vital lui-même ; cf. In Mortal Combat. The Conflict of Life and Death
in Zola’s Rougon-Macquart, Birmingham (AL), Summa Publications, 2000,
pp. 1-8. Chessid en revanche interprète le cycle selon l’opposition paradigmati-
que autorité / transgression ; cette thématique peut correspondre à un intérêt de
274 La Lutte des paradigmes
Nana finit dans une rage de destruction 157, elle casse les cadeaux
dans une orgie d’anéantissement, pour le seul plaisir de détruire158.
Il n’est pas anodin de faire remarquer que la métaphore centrale de
l’anéantissement est celle d’un trou sous la maison de Nana159, et
qu’elle défend la cassure d’un bibelot de la manière suivante : « ‘Par
exemple, ce n’est pas ma faute… Il était fêlé.’ » (N, p. 1435 ; je souli-
gne) C’est la fêlure originaire de l’aïeule Adélaïde Fouque qui est
évoquée ici 160, la tare héréditaire, qui s’exprime de manière plus ou
157 Se ruiner pour elle devient « la seule preuve d’amour qui la touchât » (N,
p. 1435).
158 Cf. la scène, chargée d’érotisme (N, p. 1436).
159 « L’hôtel semblait bâti sur un gouffre, les hommes avec leurs biens, leurs corps,
jusqu’à leurs noms, s’y engloutissaient, sans laisser la trace d’un peu de pous-
sière. » (N, p. 1433) Nana mange les propriétés de La Faloise : « Les feuillages
frissonnant sous le soleil, les grands blés mûrs, les vignes dorées en septembre,
les herbes hautes où les vaches enfonçaient jusqu’au ventre, tout y passait, dans
un engloutissement d’abîme […] ». (N, p. 1455) Par voie de conséquence, les
existences des ses victimes se trouvent « minées », e.g. celle de l’aristocrate
Vandeuvres : « […] l’échafaudage de son crédit, les hautes apparences que gar-
dait son existence minée par-dessous, comme vidée par le désordre et la dette,
s’abîmaient dans une ruine retentissante. » (N, pp. 1392 sq.)
160 La combinaison entre l’image de la porcelaine fêlée et la vie psychique qui
s’effondre a trouvé une très belle reprise dans un texte tardif de Francis Scott
Fitzgerald, « The Crack-Up » (1936). Le romancier américain y décrit son
276 La Lutte des paradigmes
collapsus, en lien avec son alcoolisme : « And then suddenly, surprisingly, I got
better. – And cracked like an old plate […] » ; cf. The Crack-Up with other
Pieces and Stories, London, Penguin, 1965, pp. 39-56, ici p. 42.
161 Cette fêlure dans la maison Muffat s’annonce dès le troisième chapitre, quand
Fauchery s’interroge si la comtesse est une amante potentielle ; il n’y croit pas
d’abord, et le constat est donc négatif : « Décidemment, il devait s’être trompé, il
n’y avait point de fêlure. » (N, p. 1165) Il se trompe, Sabine deviendra sa maî-
tresse ; en conséquence, le constat s’inverse.
162 Le bal est comme « la flambée dernière, où craquait l’antique honneur » (N,
p. 1429).
163 Muffat, choqué par la débauche finale de Nana avec son beau-père, est « comme
un arbre secoué par un grand vent, il chancela, il s’abattit sur les genoux, avec un
craquement de tous les membres » (N, p. 1463). Ce sont aussi les os des mineurs
qui craquent ; cf. le passage cité ci-dessous.
164 L’étude de Maarten van Buuren, perspicace à propos de bien des champs méta-
phoriques, néglige la complexité de cette image ; cf. Les Rougon-Macquart
d’Émile Zola. De la métaphore au mythe, Paris, José Corti, 1986, pp. 191-193.
165 Sur l’insistance et la multiplicité de ce leitmotiv du cycle cf. Warning,
« Kompensatorische Bilder einer ‘wilden Ontologie’ », pp. 259-264.
« Nana » 277
166 Lutte menée par Étienne Lantier, le demi-frère de Nana. Le principe des Rougon-
Macquart consiste en la personnalisation de l’Histoire dans les membres d’une
seule famille, ce qui amène tôt ou tard ce genre de voisinage. Néanmoins, on ne
peut nier une logique interne, symbolique, qui montre de manière explicite que le
style de vie de Nana se tourne forcément contre ses origines.
167 Cf. N, pp. 1369 et 1377.
168 Cf. ci-dessus, chap. 4.
278 La Lutte des paradigmes
169 Il est évident que cet événement était doté d’un grand pouvoir symbolique et
politique : l’Empire pouvait prouver qu’il était le mécène de la technologie et du
commerce. L’Argent développe explicitement l’importance de l’Exposition dans
un contexte d’agitation politique renaissante, et d’acerbes critiques de la part de
l’opposition républicaine ; cf. également Arg, pp. 15, 168, 171, 230 sq., et 296.
170 Alain Decaux, Offenbach, roi du Second Empire.
171 C’est le terme que Kracauer utilise dans la préface de Jacques Offenbach und das
Paris seiner Zeit, citée d’après Siegfried Kracauer, Werke, éd. Inka Mülder-Bach
et Ingrid Belke, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2005, t. VIII, p. 11.
172 Zola lui-même fait le lien : « Il faut se souvenir que ce fut lui qui conduisit le
cancan de l’Exposition universelle de 1867. Dans tous les théâtres, on jouait de
sa musique. » Le Naturalisme au théâtre, dans É.Z., Œuvres complètes, t. XI :
Œuvres critiques II, pp. 263-557, chap. « La Féerie et l’Opérette », pp. 497-507,
ici p. 506. Cf. également Jean-Claude Yon, Le Second Empire. Politique, société,
culture, Paris, Armand Colin, 2004, pp. 215 sq., ici p. 216.
« Nana » 279
173 « Gervaise, elle aussi, se montrait ennuyée de ces embellissements, qui lui dé-
rangeaient le coin noir de faubourg auquel elle était accoutumée. Son ennui ve-
nait de ce que, précisément, le quartier s’embellissait à l’heure où elle-même
tournait à la ruine. […] Aussi, les jours où elle cherchait Nana, rageait-elle
d’enjamber des matériaux, de patauger le long de trottoirs en construction, de
buter contre des palissades. » (Ass, p. 737) Cf. aussi le long passage où Gervaise
erre sur les boulevards récemment construits (pp. 764-774).
174 Ce qui ne présage rien de bon : les chevaux de Vandeuvres perdent – sauf Nana,
dont la victoire ne sera pas salutaire à son propriétaire, son pari mi-légal échoue
par une « plate bêtise » (N, p. 1406). L’échec n’annonce rien de bon non plus
pour le second conflit qui met en question l’honneur national : la guerre de 1870-
1871.
175 Où elle est déjà comparée à un cheval : Labordette la regarde « d’un air étonné de
maquignon qui admire une jument parfaite » (N, p. 1119 ; je souligne) !
280 La Lutte des paradigmes
176 Cette citation provient d’un passage relatant les promenades en landau, qui affir-
ment la souveraineté particulière de Nana : « […] elle était de ce monde du Bois
[de Boulogne, haut lieu du monde ; N.B.], elle y prenait une place considérable,
connue de toutes les capitales, demandée par tous les étrangers, ajoutant aux
splendeurs de cette foule le coup de folie de sa débauche […] ». (N, pp. 1450 sq.)
177 Flaubert, qui évoque maints détails dans la lettre de félicitation déjà citée, ne
commente pas la scène ; cf. la lettre du 15 février 1880, Correspondance, t. V,
pp. 833 sq.
178 Cisy, le provincial qui tente d’avoir « du cachet », du « ‘chic’ » (Es, p. 206), est
clairement le modèle de La Faloise, provincial lui aussi, qui vient également de
toucher un héritage. Il prétend à « un chic extraordinaire », en affectant « un
dandinement de lassitude » (N, p. 1382). Les deux se ridiculisent dans leur tenta-
tive mondaine, ils se retirent finalement en province pour y faire un mariage
conventionnel.
« Nana » 281
182 Cette imprécision surprend, et elle ne peut s’expliquer autrement que par le
caractère fictionnel de la théorie. Car tous les arbres généalogiques sont d’accord,
Nana appartient à la quatrième génération des Rougon-Macquart. Cette précision
n’a rien d’anodin : d’après Morel, la dégénérescence d’une famille (e.g.
d’alcooliques) se déroule en quatre générations – une graduation qui a été déci-
sive pour la suite des générations dans Die Buddenbrooks (1901) de Thomas
Mann. Elle explique l’infertilité de Nana : elle est le dernier chaînon de sa fa-
mille. Cependant, d’après l’exemple de Morel, la quatrième génération est équi-
valente à la décadence totale « ‘À la 4e génération : Intelligence peu développée,
premier accès de manie à 16 ans, stupidité, transition à l’idiotisme, et en défini-
tive extinction probable de la race.’ » Nana ne correspond pas du tout à ce por-
trait ; de plus, Morel ne lie pas ce degré de dégénérescence (ni les autres) à la
sexualité, qui est pourtant décisive chez Zola – c’est bien la raison pour laquelle
sa théorie n’est peut-être pas si importante pour l’interprétation de Nana. Cf.
Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de l’espèce hu-
maine, pp. 123 sqq., ici p. 125 (Morel cite un autre ouvrage dont il est l’auteur).
183 Dans L’Assommoir, Nana est décrite de la même manière ; elle se promène avec
ses amies : « Leurs bras nus, leur cou nu, leurs cheveux nus, s’échauffaient sous
les haleines empestées, dans une odeur de vin et de sueur. Et elles riaient, amu-
sées, sans un dégoût, plus roses et comme sur leur fumier naturel. » (Ass, p. 713)
Il s’agit de la mise en pratique d’une nouvelle définition de l’homme, vu comme
le résultat de déterminants : « Le personnage y [dans nos lettres modernes ; N.B.]
est devenu un produit de l’air et du sol, comme la plante ; c’est la conception
scientifique. » Du roman, chap. « De la description », p. 1300.
« Nana » 283
184 La mouche dorée renvoie au fumier et à l’infection, évidemment, mais elle peut
aussi être lue comme une parodie de l’abeille impériale.
185 Hamon caractérise plusieurs types de personnages qui aperçoivent le monde
fictionnel ; ou bien ils l’expliquent eux-mêmes ou bien on le leur explique –
ainsi, le lecteur reçoit tous les renseignements nécessaires ; Hamon les appelle
« porte-regard » et « porte-parole ». En revanche, les personnages qui exposent
directement les lois (biologiques et autres) ne reçoivent pas tout à fait l’attention
qu’ils méritent. Cf. Le Personnel du roman, pp. 66-106. On peut être certain que
l’auteur réel voyait ce passage comme le programme du roman. Zola écrit à Jules
Lafitte, destinataire du passage mentionné, qu’il le destinait à une prépublication
dans Le Voltaire (journal où paraît Nana à partir du 7 octobre 1879 en feuille-
ton) : « Voici la page dont je vous ai parlé et qui contient toute l’idée morale et
philosophique de Nana. […] [Elle] résume la portée sociale du livre […] ».
Lettre du 15 septembre 1879, Correspondance, t. III, pp. 374 sq.
284 La Lutte des paradigmes
186 Le narrateur compare Nana explicitement à une plante qui a poussé sur le
« fumier » des faubourgs ; cf. la longue citation ci-dessus. Mais le fumier est une
métaphore utilisée dans d’autres contextes pour critiquer les excès du Second
Empire. Dans La Curée, on apprend à propos de la vie d’un notable du régime :
« Il vendit le premier son nom à une compagnie véreuse, à une de ces sociétés
qui poussèrent comme des champignons empoisonnés sur le fumier des spécula-
tions impériales. » (Cur, pp. 395 sq.)
187 La chaleur et l’humidité sont les caractéristiques du milieu naturel de Nana, à
l’instar de la boutique de sa mère, où Nana grandit entre les vapeurs chaudes du
blanchissage. La chaleur amène l’abandon moral : « Et Gervaise se sentait toute
lâche, à cause sans doute de la trop grande chaleur […] ». (Ass, p. 548 ; cf. aussi
p. 515)
188 Cf. la scène importante où Gervaise, et le lecteur avec elle, font connaissance de
L’Assommoir – le bar qui donne le nom au roman – et du redoutable alam-
bic (Ass, pp. 702-708, pour la chaleur p. 704).
189 Je me réfère ici et par la suite aux définitions fournies par Le Grand Robert de la
langue française, six tomes, éd. Alain Rey, Paris, Dictionnaire Le Robert, 2001
(édition révisée du Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue fran-
çaise de Paul Robert) ; ici, entrée « ferment », B.
« Nana » 285
190 Outre la citation ci-dessus, cf. la suivante, où son sexe et son odeur sont encore
les éléments principaux de l’action qu’elle exerce. Le narrateur commente le bal
chez les Muffat : « […] Nana, invisible, épandue au-dessus du bal avec ses mem-
bres souples, décomposait ce monde, le pénétrait du ferment de son odeur flottant
dans l’air chaud, sur le rythme canaille de la musique. » (N, p. 1429 sq. ; je sou-
ligne)
191 Zola est choqué par sa propre création, c’est « une fin atroce », puis : « Je ne
crois pas que je puisse jamais dépasser cette horreur de massacre et
d’effondrement. » Lettre à Henry Céard du 25 décembre 1879, Correspondance,
t. III, p. 424. Flaubert jugeait cette mort « michelangelesque » ; lettre à Zola du
15 février 1880, ibid., t. V, p. 833. Ce n’est pas étonnant : une héroïne mutilée
sur son lit de mort, ce n’est pas sans précédent dans l’œuvre flaubertienne… Je-
remy Wallace cite comme intertexte « Une charogne » de Baudelaire et il voit
dans le tableau de Nana morte une représentation du « paradoxe de l’existence,
qui est un cycle continuel de vie et de mort » ; cf. « Baudelaire, Zola, et la femme
charogne », dans Anna Gural-Migdal (dir.), L’Écriture du féminin chez Zola et
dans la fiction naturaliste/Writing the Feminine in Zola and Naturalist Fiction,
Berne/Berlin/Bruxelles/Francfort-sur-le-Main/New York (NY)/Oxford/Vienne,
Peter Lang, 2003, pp. 357-369, ici p. 367.
192 Le Grand Robert de la langue française, entrée « virus », 2 a.
193 Paris, A. Delahaye/E. Lecrosnier. Zola cite le traité dans une lettre du 18 dé-
cembre 1879, Correspondance, t. III, pp. 422 sq. Il est légitime de citer cette
source, même si Zola ne s’en serait pas servi : le traité de Barthélemy est une
bonne synthèse du savoir de son époque.
194 Recherches sur la variole, pp. 14 et 55.
286 La Lutte des paradigmes
195 « […] la théorie nerveuse de la variole […] nous paraît l’hypothèse la plus
vraisemblable […] ». (Ibid., p. 46)
196 Barthélemy est un apologète de la création spontanée, il se pose donc en adver-
saire de Pasteur. Il souligne le rôle de l’organisme individuel (pp. 13 sq.) et celui
de l’hérédité :« Selon son énergie, selon les susceptibilités héréditaires ou acqui-
ses des sujets, selon les opportunités morbides générales ou locales, le virus ren-
contrera dans son évolution plus ou moins de difficultés. » Ibid., p. 55 (je souli-
gne) ; cf. également p. 16 et surtout p. 62.
197 Ibid., p. 7.
198 Le sens actuel de virus est le suivant : « Micro-organisme infectieux, parasite
absolu des cellules vivantes, possédant un seul type d’acide nucléique et se syn-
thétisant sa propre substance à partir de son seul stock génétique (sans échange
métabolique). » (Le Grand Robert de la langue française, entrée « virus », 2 b)
Dans sa définition actuelle, un virus est par définition nuisible à l’organisme
hôte, ce qui exclut d’emblée l’idée d’une transformation neutre, voire fertile.
« Nana » 287
199 Il signifie depuis la fin du XVIIe siècle une « agitation fiévreuse » des esprits et
par là l’agitation révolutionnaire (Le Grand Robert de la langue française,
entrées « fermentation », 3 B, et « fermenter », B) ; en allemand, le terme
‘Gärung’ est utilisé de manière comparable.
200 De la « fièvre de curiosité » et la « fièvre de l’irrévérence » du public de théâtre
(N, pp. 1100 et 1112) jusqu’à la « fièvre chaude » (N, p. 1351) accompagnant la
ruine du comte de Vandeuvres, cette expression parcourt le roman ; le corps so-
cial étant la nation – c’est bien un champ métaphorique du cycle (je ne com-
prends pas très bien l’enchaînement). Paris, au paroxysme du Second Empire,
ressemble à un homme malade : « Alors, dans le sommeil fiévreux de Paris, et
mieux encore que dans sa quête haletante du grand jour, on sentait le détraque-
ment cérébral, le cauchemar doré et voluptueux d’une ville folle de son or et de
sa chair. » (Cur, p. 435) Cf. les observations de Buuren, rappelant que la fièvre
provient d’un surplus ou d’un trop peu de sensations, selon le Dr. Pascal ; Les
Rougon-Macquart d’Émile Zola. De la métaphore au mythe, pp. 195-198.
201 Barthélemy, Recherches sur la variole, p. 66.
202 Dans La Débâcle, Zola utilise la métaphore de l’amputation justement dans ce
contexte. Le lecteur d’aujourd’hui, ayant en tête les idéologies et les cataclysmes
du XXème siècle, aura du mal à apprécier les images d’hygiène sociale. La
proximité possible de Zola avec la pensée fasciste ou fascisante n’a pas encore
reçu l’attention méritée ; à ma connaissance, il n’y a que l’ouvrage de Regine
Lyon, qui se concentre sur l’œuvre tardive, et surtout Paris. Malheureusement,
son approche ‘sociopsychologique’ (p. 4) est sujette à de forts préjugés politi-
ques, elle considère le fascisme comme une tendance historique à long terme, à
laquelle ‘succombent pratiquement tous les sujets bourgeois’ (p. 3) ; pour elle,
Zola est d’abord ‘l’homme petit-bourgeois de la fin du XIXe siècle’ (p. 5, cf.
288 La Lutte des paradigmes
également p. 211, où Zola est comparé à Hitler [sic !]). Zolas « foi nouvelle ».
Zum faschistischen Syndrom in der Literatur des Fin de Siècle (Trierer Studien
zur Literatur, t. VI), Francfort-sur-le-Main/Berne, Peter Lang, 1982, surtout
pp. 1-8.
203 Évidemment, Nana n’est pas tout à fait inconsciente de ce qui se passe autour
d’elle : elle remarque le malheur individuel, elle peut éprouver une certaine com-
passion, elle se révolte aussi contre l’idée d’une quelconque responsabilité de sa
part, e.g. dans les réflexions et dans la conversation lors de la mort de Georges
Hugon (cf. N, pp. 1467-1469). Mais elle ne reconnaît pas son rôle socio-histori-
que.
204 Barthélemy suppose un temps d’incubation qui dure de six à vingt jours (ce qui
correspond à-peu-près à nos connaissances de la maladie) : le modèle est donc
utilisé de manière purement métaphorique ; cf. Recherches sur la variole, p. 74.
205 Même Fauchery, qui établit la théorie de « La Mouche d’Or », et Muffat, qui en
comprend toute la portée, subissent son influence, bien malgré eux ; en dépit de
leur fonctionnement impeccable, leurs capacités intellectuelles ont une valeur
tout à fait relative.
206 Sur ce point, Zola se distingue de Lucas. À la question : « De l’hérédité des
qualités morales et de leurs impulsions, doit-on induire celle des actions où elles
tendent ? », Lucas répond que l’homme a la force « de réagir sur lui-même »,
« Nana » 289
209 Évidemment, les images servent à marquer le contraste avec l’atmosphère gla-
ciale du salon d’autrefois, mais Zola va bien plus loin que ce simple but
n’exigerait.
210 C’est clairement à la fin des Coupeau que se réfère cette phrase.
211 Je rappelle que Nana aussi fait flamber les richesses : « Dans son hôtel, il y avait
comme un éclat de forge. Ses continuels désirs y flambaient, un petit souffle de
« Nana » 291
ses lèvres changeait l’or en une cendre fine que le vent balayait à chaque heure. »
(N, p. 1432 ; je souligne)
212 La Débâcle peindra le tableau dans tous ses détails, l’incendie de Paris y tient
une place prépondérante. Maurice, blessé, en donne l’interprétation : « De son
bras valide, il évoquait les galas de Gomorrhe et de Sodome, les musiques, les
fleurs, les jouissances monstrueuses, les palais crevant de telles débauches, éclai-
rant l’abomination des nudités d’un tel luxe de bougies, qu’ils s’étaient incendiés
eux-mêmes. » (Déb, p. 894 ; je souligne)
292 La Lutte des paradigmes
213 « […] elle s’emporta contre les républicains. Que voulaient-ils donc, ces sales
gens qui ne se lavaient jamais ? Est-ce qu’on n’était pas heureux ? est-ce que
l’empereur n’avait pas tout fait pour le peuple ? Une jolie ordure, le peuple ! Elle
le connaissait, elle pouvait en parler […] ». (N, p. 1369)
« Nana » 293
214 C’est l’idée de Hegel dans ses Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte,
pp. 279-296/pp. 133-141.
215 La croissance de l’arbre, le cours du soleil, la succession des âges humains, pour
donner quelques exemples.
216 Après sa danse, mise en scène érotique par excellence, et souvent reprise dans la
littérature fin de siècle, la Salomé de Flaubert est montrée telle qu’elle est,
comme une jeune fille manipulée par sa mère : « Un claquement de doigts se fit
dans la tribune. Elle y monta, reparut, et en zézayant un peu, prononça ces mots,
d’un air enfantin : ‘Je veux que tu me donnes dans un plat… la tête…’ Elle avait
oublié le nom, mais reprit en souriant : ‘La tête de Iaokanann !’» (« Hérodias »
dans G.F., Trois Contes [1877], éd. Peter Michael Wetherill, Paris, Garnier,
1988, pp. 223-256, ici pp. 252-254, surtout p. 254) Flaubert souligne ainsi que
l’érotisme de sa danse est surtout une projection des hommes qui assistent au
spectacle.
294 La Lutte des paradigmes
217 Alain de Lattre arrive à la même conclusion, et il voit le Second Empire comme
un exemple de réduction de la société à sa base naturelle. Mais il pousse plus loin
son constat et voit une aliénation « métaphysique » là où il n’y a que vie physi-
que et organique ; et il conçoit le ‘darwinisme’ de Zola dans une expérience in-
time de la mort. Cela ôte le crédit à son étude qu’elle gagne par l’analyse de
nombreux auteurs scientifiques. Cf. Le Réalisme selon Zola. Archéologie d’une
intelligence, Paris, PUF, 1975, pp. 160-190, ici pp. 170 et 190.
« Nana » 295
218 Je rappelle les mots du docteur Pascal : « ‘[…] la névrose passe, et Nana se vend,
Étienne se révolte, Jacques tue, Claude a du génie […]’ ». (DrP, p. 1019)
296 La Lutte des paradigmes
219 Le calcul est facile : Adélaïde est née en 1768, elle se marie en 1786 ou en 1787
à Rougon, dont elle a un enfant un an plus tard ; 15 mois après le mariage, Rou-
gon meurt d’un coup de soleil, et douze mois après cette mort, la veuve com-
mence sa relation illégitime avec Macquart ; cf. FR, pp. 41 sq. Warning y voit
une tentative de mettre en accord histoire familiale et Second Empire ; cf.
« Kompensatorische Bilder einer ‘wilden Ontologie’ », pp. 246 et 252. Mais, du
point de vue historique, Zola doit bien faire une différence entre la modernité
dans son ensemble et un règne, et, du point vue moral, entre un régime illégitime
et la naissance de l’idéal républicain (qu’il défend lui-même).
220 Schor met en relation le mythe de l’origine et la Révolution française, en ap-
portant de l’évidence supplémentaire, tel le chariot transportant les ossements
lors de la transformation du cimetière, qui reprendrait le chariot des guillotinés ;
Zola’s Crowds, pp. 11 sqq.
221 Toutes les couches sociales veulent jouir dans La Curée, même si la critique du
Second Empire s’y fait plus violente : « Ceux qui possédaient déterraient leur ar-
gent, et ceux qui ne possédaient pas cherchaient dans les coins les trésors ou-
bliés. » (Cur, p. 367)
« Nana » 297
222 Warning souligne que Zola met en scène une folie atemporelle, qui va à
l’encontre d’une motivation historique du cycle ; cf. « Kompensatorische Bilder
einer ‘wilden Ontologie’ », p. 253. Thorel-Cailleteau essaye de résoudre ce
dilemme en supposant que le Second Empire pose les « nouvelles bases
matérialistes » du monde moderne. Cette synthèse n’expliquerait pas le lien avec
la Révolution française, ni pourquoi le Second Empire serait condamnable ; cf.
La Pertinence réaliste : Zola, p. 38.
223 Cf. ci-dessus, I. Zola et le naturalisme.
298 La Lutte des paradigmes
224 Cf. la tentative de Peter Müller, Émile Zola – der Autor im Spannungsfeld seiner
Epoche. Apologie, Gesellschaftskritik und soziales Sendungsbewußtsein in sei-
nem Denken und literarischen Werk, Stuttgart, Metzler, 1981, pp. 2-4 et 11-35.
Müller croit pouvoir déceler un ‘système cohérent’, basé sur une vue scientifique
du monde, un constat qui me semble hypertrophique ; cf. p. 159. De même
l’analyse de Hans-Joachim Müller, Der Roman des Realismus-Naturalismus in
Frankreich. Eine erkenntnistheoretische Studie, Wiesbaden, Athenaion, 1977,
pp. 33 sq. – Les deux auteurs représentent un courant de la critique zolienne al-
lemande qui part d’une analyse des écrits théoriques et en déduit une cohérence
de l’œuvre. Ils ont le mérite de valoriser les aspects théoriques du cycle, que les
critiques français négligent souvent. Mais ils pèchent par un excès de zèle logi-
que : vu la multiplicité hétéroclite des sources de Zola, l’unité semble déjà en
elle-même improbable – encore davantage si on tient compte de la transformation
esthétique, qui impose des notions et des règles propres.
« Nana » 299
225 C’est sur ce point que je me distingue de Roger Ripoll. Dans le chapitre de sa
thèse consacré au sens de la naturalisation de l’histoire, il défend très judicieuse-
ment la présence des mythes, qu’il ne faudrait pas voir comme un sacrifice aux
idéologies bourgeoises de l’époque : « Ce serait ne pas voir que cette assimilation
de la nature et de l’histoire fonctionne dans les deux sens, que l’évolution de la
société humaine acquiert une nécessité nouvelle à être confondue avec le drame
cosmique, que le mythe, loin d’immobiliser l’histoire, est le moyen d’en faire ap-
paraître le mouvement ». Ripoll prétend qu’on puisse intégrer le mythe dans
l’histoire : « L’expression mythique, loin d’être un moyen de fuir dans
l’intemporel, est bien plutôt le moyen de répondre aux questions que son temps
pose au romancier. » Il néglige alors le fait qu’une causalité mythique dépasse la
temporalité historique, progressiste, et la soumet à une pensée circulaire ; on ne
peut se servir de deux modèles du temps distincts, en faire n’importe quelle syn-
thèse, sans en payer les frais, c’est-à-dire sans tenir compte des conséquences in-
tellectuelles… Cette critique ne vise aucunement à déprécier l’analyse générale-
ment très perspicace de Ripoll ; cf. Réalité et mythe chez Zola, deux tomes, Lille/
Paris, Atelier de Reproduction des Thèses/Honoré Champion, 1981, t. I, pp. 344-
347, ici pp. 346 et 347.
226 Dans ses plans, Zola conçoit cinq mondes, le peuple, les commerçants, la bour-
geoisie, le grand monde et le monde à part (les prostituées, les criminels, les prê-
tres, les artistes) ; cf. t. V, « Documents et plans préparatoires », B, pp. 1734 sq.
III. GERMINAL
Bien plus que L’Assommoir, c’est Germinal qui est perçu comme
le roman des couches populaires. Le prolétariat l’a pris pour une re-
présentation emblématique de ses luttes avec le capital 227 ; il faut vrai-
semblablement y voir une raison de sa popularité pérenne. C’est le fait
d’avoir sympathisé avec les mineurs oppressés qui a fondé la réputa-
tion de Zola auteur socialiste (il est vrai que l’autre roman sur le
peuple, L’Assommoir, est plus observateur, plus ‘froid’). Zola lui-
même constate à propos de la relation entre les deux romans :
J’ai toujours, dans la série des Rougon-Macquart, gardé une large
place à l’étude du peuple, de l’ouvrier, et cela dès l’idée première de
l’œuvre. Mais ce n’est qu’au moment de L’Assommoir que, ne pou-
vant mettre dans ce livre l’étude du rôle politique et surtout social de
l’ouvrier, je pris la résolution de réserver cette matière, pour en faire
un autre roman. Et, plus tard, ce projet s’est précisé, lorsque je me suis
rendu compte du vaste mouvement socialiste qui travaille la vieille
Europe d’une façon si redoutable. Le cadre d’une grève s’est imposé
naturellement à moi comme le seul dramatique, le seul qui devait
donner aux faits le relief nécessaire. Germinal est donc le complé-
ment de L’Assommoir, les deux faces de l’ouvrier.228
227 Une délégation de mineurs de Denain et d’Anzin assiste aux funérailles de Zola
(Anzin étant la région houillère où Zola a fait ses recherches pour Germinal), en
lançant le cri de bataille « Germinal ! Germinal ! ». Cf. Henri Mitterand, Zola,
trois tomes, Paris, Fayard, 1999-2002, t. III : L’Honneur (1893-1902), p. 805.
228 Lettre à Jacques van Santen Kolff du 6 octobre 1889, Correspondance, t. VI,
pp. 422-424, ici pp. 422 sq. ; je souligne. Quant à la genèse de la figure de
l’ouvrier chez Zola, cf. Henri Mitterand, « Modèles et contre-modèles. Naissance
de l’ouvrier romanesque : L’Assommoir », dans H.M., Le Regard et le Signe.
Poétique du roman réaliste et naturaliste, pp. 209-229. – Pour la correspondance
du temps de la rédaction de Germinal, cf. Rita Schober, « Germinal im Spiegel
von Zolas Correspondance », lendemains, n° 61, 1991, pp. 38-45 ; citation
d’après la reprise de l’article dans R.S., Auf dem Prüfstand. Zola, Houellebecq,
Klemperer, Berlin, tranvía, 2003, pp. 73-84.
302 La Lutte des paradigmes
229 Lettre à Édouard Rod du 16 mars 1884, Correspondance, t. V, pp. 82 sq., ici
p. 83.
230 Suivant l’avis de Mitterand, on trouve à partir de Germinal un intérêt politique et
une tonalité prophétique jusque-là inconnues dans l’œuvre de Zola ; Zola, t. II :
L’Homme de Germinal (1871-1893), pp. 762 sq.
231 Dans les passages les plus éminents de L’Argent, la fondation de sociétés à capi-
tal anonyme est considérée comme condition nécessaire du progrès et commer-
cial, et technique – autrement, les moyens manqueraient pour construire des
chemins de fer, e.g. (Arg, pp. 77-82 et 114-117). Le roman a paru en 1891, six
ans après Germinal ; les avis exprimés contredisent donc l’hypothèse éventuelle
d’une prise de conscience survenue avec Germinal.
232 Lettre à David Dautresme (éditeur du Petit Rouennais), vers le 11 décembre
1885, Correspondance, t. V, pp. 347 sq., ici p. 347. La lettre est à double fond :
son but déclaré est d’éviter les troubles sociaux.
233 Zola observe de manière lucide qu’il est absolument nécessaire de ne pas peindre
en rose l’ouvrier actuel : « Si le peuple est si parfait, si divin, pourquoi vouloir
améliorer sa destinée? Non, il est en bas, dans l’ignorance et dans la boue, et
c’est de là qu’on doit travailler à le tirer. » Lettre à Georges Montorgueil du
8 mars 1885, Correspondance, t. V, pp. 240 sq.
« Germinal » 303
236 Lors d’une grève, Zola se rend à Anzin pour y passer huit jours (du 23 février au
3 mars 1884). Ses notes sont connues sous le titre Mes Notes sur Anzin ; une par-
tie a été reproduite par Philippe van Tieghem, Introduction à l’étude d’Émile
Zola, Germinal, Paris, Centre de documentation universitaire, 1954. Mais la
transcription intégrale du Dossier préparatoire par Colette Becker est bien plus
utile : Émile Zola. La Fabrique de Germinal, Paris, C.D.U./SEDES, 1986 ; on y
trouve Mes Notes sur Anzin (pp. 375-405) ; par la suite, je citerai cette édition par
‘La Fabrique’. Concernant la genèse cf. surtout Rita Schober, « Émile Zolas
Germinal », Weimarer Beiträge, n° 5, 1990, pp. 709-734, cité d’après R.S., Auf
dem Prüfstand. Zola, Houellebecq, Klemperer, pp. 85-114, ici pp. 93-96.
237 Cf. Henri Mitterand, « Germinal: La genèse de l’espace romanesque », dans
H.M., Zola. L’histoire et la fiction, Paris, PUF, 1990, pp. 117-134 ; cf. également
les notes dans l’édition de la « Pléiade ».
« Germinal » 305
238 Par son parcours – il a exercé tous les emplois de la mine – mais aussi par son
souvenir des grèves passées ; cf. Germ, pp. 1138-1141 et 1318.
239 On l’apprend d’emblée : « […] il semblait en pierre, il n’avait l’air de se douter
ni du froid ni des bourrasques sifflant à ses oreilles. » (Germ, p. 1138) Son visage
est « d’une froideur et d’une dureté de pierre » (Germ, p. 1559). Il y a un second
champ métaphorique qui caractérise Bonnemort, appartenant au monde floral : il
ressemble à un arbre qui a survécu à bien des tempêtes (Germ. pp. 1477 et 1515).
Les deux images mettent l’emphase sur la durée et l’autorité naturelle de son
existence.
240 Les symptômes décrits (douleurs aux jambes causées par l’humidité, etc.) ne
laissent pas de doute (Germ, p. 1139).
241 NAF 10307, f° 43, cité d’après Becker, La Fabrique, p. 72.
242 Cf. Germ, pp. 1191, 1213, 1232 sq.
243 Pour les notes de Zola concernant les symptômes, cf. NAF 10308, f° 3, reproduit
chez Becker, La Fabrique, p. 293. Henri Marel observe : « Et de fait, dans la liste
des Personnages, on voit que chacun d’eux incarne une des maladies chroniques
de la mine […] ». Zola poursuit alors une entreprise encyclopédique. Cf. « Jules
Verne, Zola et la mine », Les Cahiers naturalistes, n° 54, 1980, pp. 187-200, ici
p. 195.
306 La Lutte des paradigmes
244 Malgré mes recherches dans les bibliothèques françaises, je n’ai pu voir ce traité.
On trouvera une bonne comparaison entre source et roman dans le chapitre cor-
respondant d’Ida-Marie Frandon, Autour de Germinal. La mine et les mineurs,
Genève/Lille, Droz/Giard, 1955, pp. 91-108.
245 Les maladies deviennent un sujet de contestation sociale : lors de son discours
nocturne dans la forêt, Étienne nomme les dommages de santé comme un des ré-
sultats de l’enrichissement éhonté de la bourgeoisie (Germ, p. 1383).
246 Zola note sous le titre de Maladies des Mineurs : « L’anémie, la grande maladie,
tous […] ». NAF 10308, f° 98, cité d’après Becker, La Fabrique, pp. 330-333, ici
p. 331.
247 NAF 10308, f° 103, cité d’après Becker, La Fabrique, p. 332 ; les chiffres entre
parenthèses renvoient à la page correspondante dans le Traité de Boëns-
Boisseau.
248 « Du reste, elle n’ignorait rien de l’homme ni de la femme, bien qu’il la sentît
vierge de corps, et vierge enfant, retardée dans la maturité de son sexe par le mi-
lieu de mauvais air et de fatigue où elle vivait. » (Germ, p. 1172)
249 Le jour du massacre elle a ses premières règles : « Mais elle [la Maheude ; N.B.]
comprit bientôt, c’était le flot de la puberté qui crevait enfin, dans la secousse de
cette journée abominable. » (Germ, p. 1514)
« Germinal » 307
Jeanlin, onze ans, est « petit, à membres grêles, avec des articula-
tion énormes, grossies par des scrofules […] » (Germ, pp. 1144 sq.) ;
la scrofule est une maladie du système lymphatique qu’on imputait au
temps de Zola à la tuberculose (aujourd’hui on estime qu’elle est
d’origine allergique)251. Il a déjà une « rage d’être faible » qui
n’annonce que le pire (Germ, p. 1145). En allant de mal en pis, sa
sœur Alzire présente un cas d’handicap réel, puisque cette enfant de
huit ou neuf ans252 est bossue (Germ, p. 1143) et fait en même temps
preuve d’une intelligence précoce de fillette infirme (Germ, p. 1206).
Désintéressée, elle s’occupe des plus petits, qui sont encore trop jeu-
nes pour travailler ; elle meurt de faim pendant la grève253. Il y a en-
core Lénore, six ans, et Henri, quatre ans : « Tous deux avaient la
même tête trop grosse et comme soufflée, ébouriffée de cheveux jau-
nes. » (Germ, p. 1205) C’est le nourrisson Estelle qui complète le
tableau, elle a tout juste trois mois. Le regard du bourgeois
M. Grégoire, embrassant la mère et ses enfants, dresse le tableau
d’ensemble : « Rêveur, M. Grégoire regardait cette femme et ces en-
fants pitoyables, avec leur chair de cire, leurs cheveux décolorés, la
dégénérescence qui les rapetissait, rongés d’anémie, d’une laideur
triste de meurt-de-faim. » (Germ, p. 1212)
Les enfants ne sont pourtant pas réduits au rôle de victimes de la
société. Jeanlin, estropié par un accident, se détourne du droit chemin,
tout comme le zingueur Coupeau dans L’Assommoir. Il devient le chef
250 Cf. la note pour la p. 1144, Germ, p. 1886. Au niveau symbolique, anémie et
absence de règles véhiculent le même message : c’est un manque de flux vital,
qui est enfin comblé par les règles et la croissance vitale.
251 Les notes de Zola ne donnent pas de facteurs pathogènes.
252 Les indications de Zola sont contradictoires (Germ, pp. 1143 et 1205).
253 Cf. Germ, pp. 1471-1478.
308 La Lutte des paradigmes
254 Germ, p. 1362 ; cf. également pp. 1363, 1370, 1459, 1492.
255 Dans ses fiches sur les personnages, Zola note : « Au moral, une dégénérescence
aussi. Vicieux, précoce, [habil] appétits déchaînés. » NAF 10308, f° 29, cité
d’après Becker, La Fabrique, p. 305.
256 Le soldat est présenté comme un homme digne de sympathie, innocent : un Bre-
ton, qui sert uniquement dans l’armée pour nourrir mère et sœur (Germ, pp. 1465
sq.). En vertu de cet arrière-plan, l’acte de Jeanlin devient méprisable.
257 Cf. ci-dessous, chap. 4. Le parallèle est mis au point par le fait qu’Étienne aide
Jeanlin à se débarrasser du cadavre (Germ, pp. 1493-1495). – Par le caractère
double de Jacques / Étienne Lantier, Jeanlin devient un homologue de la ‘bête
humaine’ quoique dans une moindre mesure.
« Germinal » 309
1760, la valeur des parts des Grégoire a centuplé. Par la forme de cet
investissement – une participation capitaliste – et par son objet –
l’extraction de combustible, qui a rendu possible l’ère industrielle –,
les Grégoire sont à la fois les commanditaires et les profiteurs de la
modernité industrielle ; ils représentent le spécimen du rentier mo-
derne (Germ, pp. 1197-1199).
Leur fille Cécile est tout le contraire de Catherine : « Elle n’était
pas jolie, trop saine, trop bien portante, mûre à dix-huit ans ; mais elle
avait une chair superbe, une fraîcheur de lait, avec ses cheveux châ-
tains, sa face ronde au petit nez volontaire, noyé entre les joues. »
(Germ, p. 1196) La beauté de l’une souffre de la carence, celle de
l’autre de l’abondance, la blancheur maladive contraste avec le teint
laiteux. La maturité spirituelle précoce, l’immaturité physique de Ca-
therine rencontrent leur contrepartie dans le corps de Cécile qui ex-
prime le bien-être matériel et la ‘santé’ inconsciente.
Si le bien-être du corps semble être l’expression naturelle des cou-
ches supérieures, l’exemple de Nana nous montre que le contraire
peut tout aussi bien être vrai : c’est la fille du peuple qui représente la
santé physique, Nana est bien dans son corps, « grasse » (N, p. 1112),
tandis qu’Estelle Muffat, au contraire, n’a qu’un corps maigre et sans
attrait aucun (N, p. 1145). La cause profonde de cette différence entre
les deux romans se situe dans la divergence au niveau du sujet : dans
Nana, la sexualité prévaut, la transgression de la frontière sociale doit
donc passer par l’attractivité physique, alors que Germinal est centré
sur le second problème biologique, la subsistance alimentaire, la
conservation de soi. Dans le dernier cas, la transgression a lieu égale-
ment, mais elle prend la forme d’une révolte extérieure, et non celle
d’une décomposition intérieure ; la révolte est motivée par l’indigence
qui s’inscrit dans le corps comme diminution de l’attractivité sen-
suelle. Les deux romans sont donc organisés autour des facteurs basi-
ques, animaux de l’existence humaine, mais la configuration physique
s’inverse entre Nana et Germinal – et par voie de conséquence, elle
déclenche des transgressions de type opposé. Il reste à préciser qu’en
général – et surtout comme phénomène collectif –, la faim joue un
rôle plutôt mineur dans les Rougon-Macquart 258.
258 Il y a le cas de l’armée française captive à Sedan : les soldats campent en plein
air et sont abandonnés à leur sort ; ils souffrent d’une faim atroce et finissent par
s’entretuer pour un morceau de pain (Déb, pp. 751-775, surtout pp. 771 sq.).
310 La Lutte des paradigmes
Les deux familles ne sont pas les seuls acteurs de leur milieu, tout
au contraire : pour ce qui est du nombre et de la mise en place des
personnages, Germinal est un des romans les plus riches et les plus
équilibrés de Zola. Se groupent ainsi, autour des deux familles,
noyaux de leur configuration respective, d’autres familles, d’autres
personnages, qui actualisent des possibilités sociales différentes. À
côté des Maheu, on trouve la famille Levaque pauvre, elle aussi, mais
moralement plus corrompue (cf. ci-dessous les explications sur la
sexualité des mineurs) ; la fille, Philomène, est l’amante de Zacharie,
et les deux vont aller habiter ensemble, au grand dam des Maheu qui
souffrent de la baisse des revenus ainsi causée. Le petit Bébert
Levaque est un camarade à Jeanlin, et se laisse corrompre par celui-ci.
Les Pierron en revanche représentent la réussite sociale, le mari est le
favori du directeur et sa source de renseignements ; l’épouse, la beauté
du coron, a une passade avec Dansaert, le supérieur de son mari
(Germ, pp. 1146 et 1470) ; la fille, Lydie, est la camarade de Jeanlin et
Bébert. La mère de la Pierronne, nommée la Brûlé, est une « vieille
révolutionnaire », qui s’emporte contre les complaisances arrivistes de
sa fille (Germ, pp. 1217 sq.).
Les Grégoire sont entourés par leur cousin Deneulin et sa famille,
constituée par deux filles. Deneulin, « tourmenté du besoin d’une
royale fortune » (Germ, p. 1201), a vendu ses parts de la compagnie
houillère de Montsou et tente de survivre comme patron indépendant,
en exploitant la concession Vandame. Son entreprise est toutefois sans
espoir : la crise économique réduit le marché et la grève arrête
l’exploitation des mines ; manquant de fonds, il est donc forcé de
vendre. Il y a ensuite Hennebeau, le directeur des mines de Monsou,
qui représente la Compagnie et le capital. Sa réussite sociale est évi-
dente, et contraste en cela avec son mariage : son épouse le trompe
avec le jeune ingénieur Négrel, le neveu d’Hennebeau, destiné à épou-
ser Cécile Grégoire259.
Ces deux groupes constituent le noyau ‘dur’ des personnages, c’est
le double centre de gravité de l’action, en dehors des acteurs à pro-
prement parler politiques dont il sera question lorsque j’aborderai la
259 Cette situation ambiguë est illustrée par la maison des Hennebeau : elle est « une
sorte de vaste chalet séparé de la route par une grille, suivi d’un jardin où végé-
taient des arbres maigres » (Germ, p. 1208). La situation sociale et la réclusion
contrastent avec la détérioration de la vie de couple. Le jardin délaissé indique la
frustration sexuelle du maître de la maison.
« Germinal » 311
260 C’est le ménage à trois des Levaque qui en fournit l’exemple dans le roman
(Germ, p. 1220).
261 Ainsi, Mes Notes sur Anzin (NAF 10308, fos 221 sq.) précisent : « Les filles très
débauchées, ne se marient qu’au deuxième ou troisième enfant. <Au triage, [di-
sent] se vantent de ce que leur amant leur a fait>. Vont dans les blés, dans les
coins noirs. (le long du canal) ». Cité d’après Becker, La Fabrique, p. 379. Cf.
également fos 286-289 (Becker, pp. 400 sq.)
262 Elle a « une paire de seins dont un seul réclamait un homme, pour être em-
brassé » (Germ, p. 1337) ; on lui devine six amants par semaine (Germ, pp. 1267
sq.).
312 La Lutte des paradigmes
263 Le lecteur est rapidement mis au courant de ses habitudes sexuelles : « […] au
milieu des blés en été, contre un mur en hiver, elle se donnait du plaisir, en com-
pagnie de son amoureux de la semaine. » (Germ, p. 1155)
264 Zola réfute les accusations de la critique bourgeoise, e.g. celle d’Anatole Cla-
veau, qui lui reproche dans Le Figaro (édition du 14 mars 1885) d’avoir créé une
œuvre putride : « Pourquoi retrancher de la vie, par convenance, le grand instinct
génésique, qui est la vie même ? Vous mettez l’homme dans le cerveau, je le
mets dans tous les organes. Je puis me tromper, mais il n’est pas juste de voir une
vilenie de charlatan où il y a une conviction de philosophe. Et j’ajoute que, dans
la peinture des classes d’en bas, je croirais mon tableau faux et incomplet, si je
n’indiquais pas toutes les conséquences du milieu d’ignorance et de misères. »
Lettre du 14 mars 1885, Correspondance, t. V, pp. 243 sq. ; cf. également la
lettre déjà citée à Georges Montorgueil du 8 mars 1885, ibid., pp. 240 sq.
« Germinal » 313
265 D’emblée, Étienne les trouve trop obéissants (Germ, pp. 1177 et 1179).
316 La Lutte des paradigmes
Elle ne résiste pas bien longtemps 266, le pays des merveilles est par
trop prometteur. Car Étienne séduit par un discours politique qui
s’approche du conte de fée, voire de la prédication :
D’une voix ardente, il parlait sans fin. C’était, brusquement, l’horizon
fermé qui éclatait, une trouée de lumière s’ouvrait dans la vie sombre
de ces pauvres gens. L’éternel recommencement de la misère, le tra-
vail de brute, ce destin de bétail qui donne sa laine et qu’on égorge,
tout le malheur disparaissait, comme balayé par un grand coup de so-
leil ; et, sous un éblouissement de féerie, la justice descendait du ciel.
Puisque le bon Dieu était mort, la justice allait assurer le bonheur des
hommes, en faisant régner l’égalité et la fraternité. Une société nou-
velle poussait en un jour […]. Le vieux monde pourri était tombé en
poudre, une humanité jeune, purgée de ses crimes, ne formait plus
qu’un seul peuple de travailleurs […]. Et, continuellement, ce rêve
s’élargissait, s’embellissait, d’autant plus séducteur, qu’il montait plus
haut dans l’impossible. (Germ, p. 1278 ; je souligne)
autre chose que l’obscurité éternelle et donc une vie parmi les ombres,
dans le règne de la mort269. Cette opposition fait partie d’une chaîne
binaire : d’un côté l’hiver, la mine, l’immaturité, de l’autre le prin-
temps, la Justice, la maturité, une chaîne qui ne se limite pas au dis-
cours d’Étienne mais organise le roman dans sa totalité. En effet, les
images de germination, de maturité, et de récolte sont mises en scène
par Étienne :
On n’avait qu’à voir dans le coron même : les grands-pères n’auraient
pu signer leur nom, les pères le signaient déjà, et quant aux fils, ils li-
saient et écrivaient comme des professeurs. Ah ! ça poussait, ça pous-
sait petit à petit, une rude moisson d’hommes, qui mûrissait au soleil !
(Germ, p. 1277)
269 « C’était l’impatience devant l’âge d’or promis, la hâte d’avoir sa part du bon-
heur, au-delà de cet horizon de misère, fermé comme une tombe. » (Germ,
p. 1292 ; je souligne)
270 Cf. les notes à propos des pp. 1380 et 1380 (Germ, p. 1920).
318 La Lutte des paradigmes
279 Parfois Zola verse dans une satire acerbe. Lors de la grève, il décrit comme suit
les états d’âme de M. Grégoire : « Alors, les idées de M. Grégoire furent boule-
versées : on égorgeait sa fille, on rasait sa maison, c’était donc vrai que ces mi-
neurs pouvaient lui en vouloir, parce qu’il vivait en brave homme de leur tra-
vail ? » (Germ, p. 1449)
280 Cf. la scène où la Maheude n’a plus l’argent pour acheter les aliments les plus
nécessaires : elle n’obtient rien que des vêtements usés, de peur qu’elle ne dé-
pense l’argent en boisson (Germ, pp. 1210-1214).
322 La Lutte des paradigmes
281 Il tente très tôt d’acheter la mine de Deneulin (Germ, p. 1202) ; dans cette
perspective, il accepte sans sourciller les destructions causées par les mineurs
(Germ, p. 1429), alors que Deneulin le sauve d’une situation bien délicate au
cours de la grève (Germ, p. 1448). Après la grève, la chance sourit à Hennebeau :
« […] rentré en faveur près de la Régie, il serait bientôt fait officier de la Légion
d’honneur, pour la façon énergique dont il avait dompté la grève. » (Germ,
p. 1522)
282 Cf. déjà l’instant où Hennebeau apprend la grève et où l’histoire du couple est
racontée (Germ, pp. 1303-1308).
« Germinal » 323
283 Un procédé que Margaret Thatcher utilisera encore dans les années 1980 pour
briser la puissance des syndicats.
284 Zola utilise cette image dès les premières pages de son Ébauche ; cf. la note 2 de
la page 1193 (Germ, pp. 1895 sq.).
285 Cf. également Germ, pp. 1383 sq., 1462 et 1591.
324 La Lutte des paradigmes
286 C’est aussi par crainte de perdre son rôle qu’Étienne ne désire pas la fin de la
grève (Germ, p. 1461).
287 « Depuis cinq ans, il n’avait plus donné un coup de lime, et il se soignait, se
peignait surtout avec correction, vaniteux de ses succès de tribune […]. Très ac-
tif, il servait son ambition, en battant la province sans relâche, pour le placement
de ses idées. » (Germ, p. 1344) Bref, tandis que la bourgeoisie s’occupe du ‘pla-
cement’ de ses actions, Pluchart fait la même chose avec ses idées – c’est en effet
un capital culturel.
288 Étienne s’identifie au personnage qui séduit Catherine – jusqu’au moment où il
comprend de qui il s’agit (Germ, pp. 1242-1246 ; cf. également p. 1273).
289 L’insistance sur le caractère pulsionnel du comportement dépasse celle qu’on
peut observer dans L’Éducation sentimentale.
326 La Lutte des paradigmes
290 Cf. le premier discours (Germ, pp. 1278-1280), et surtout le second : « L’idée que
Catherine devait être là l’avait soulevé d’une nouvelle flamme, d’un besoin de se
faire acclamer devant elle. » (Germ, p. 1383)
« Germinal » 327
291 Ce n’est pas le seul exemple : « Volontiers, il aurait crevé de faim comme eux,
s’il avait pu recommencer l’existence avec une femme qui se serait donnée à lui
sur des cailloux, de tous ses reins et de tout son cœur. » (Germ, p. 1375)
292 Cf. les passages concernant les grévistes (Germ, p. 1442) et Hennebeau (Germ,
pp. 1443 sq. et 1450).
293 Lettre à Édouard Rod du 27 mars 1885, Correspondance, t. V, pp. 251 sq. ; je
souligne.
328 La Lutte des paradigmes
là, lourd et placide, mettant des mois à s’échauffer, se jetant aux sau-
vageries abominables, sans rien entendre, jusqu’à ce que la bête fût
soûle d’atrocités. (Germ, p. 1442)
294 Il devient un animal, une « bête mauvaise », une « bête écrasée » (Germ,
pp. 1451-1454, ici p. 1453).
330 La Lutte des paradigmes
Pour ce qui est des parents d’Étienne, les deux sont présents de fa-
çon égale dans son caractère, et surtout par l’ivrognerie, qui cause des
états hallucinatoires. D’un côté, Étienne se rappelle les scènes de dé-
bauche : « C’était là-bas, il se rappelait la rue, des détails lui reve-
naient : le linge sale au milieu de la boutique, et des ivresses qui em-
puantissaient la maison, et des gifles à casser les mâchoires. » (Germ,
p. 1171)296 De l’autre côté, l’alcool a un effet particulier sur
l’économie de son corps, Étienne l’admet librement :
« […] je ne peux pas avaler deux petits verres, sans avoir le besoin de
manger un homme... Ensuite, je suis malade pendant deux jours. »
[…]
Et il hochait la tête, il avait une haine de l’eau-de-vie, la haine du der-
nier enfant d’une race d’ivrognes, qui souffrait dans sa chair de toute
cette ascendance trempée et détraquée d’alcool, au point que la
moindre goutte en était devenue pour lui un poison. (Germ, p. 1170)
304 Cf. le sort du héros de La Bête humaine et son analyse (cf. ci-dessous, IV. Zola :
panorama et conclusion). Ce genre de caractère n’est pas réservé aux romans qui
portent sur les enfants de Gervaise, dans L’Argent, on trouve un cas tout à fait
similaire : Victor, fils de Saccard conçu dans un viol, est retiré du caniveau et
placé dans une institution modèle. Il semble obéissant, mais finalement il viole sa
bienfaitrice, vole son argent et s’enfuit ; Victor mène désormais une existence
criminelle. Le roman ne constate pas seulement l’échec de l’éducation (Arg,
pp. 362-365) : en partant des événements, il établit une comparaison entre
Maxime, le fils légitime de Saccard, et Victor, le fils illégitime. Le constat est
consternant : sous l’éducation se cache « la même boue humaine » (Arg, p. 375).
L’influence du milieu est mentionnée, mais le roman n’insiste pas là-dessus –
c’est une « hérédité du mal » qui décide de l’issue (Arg, pp. 373 et 395).
334 La Lutte des paradigmes
Dans Germinal, des actes atroces sont commis, déclenchés par des
pulsions sadiques. En dehors de la passion homicide du héros, il y a
celle de Jeanlin qui coûte la vie à un jeune soldat ; il faut y ajouter la
rage des femmes, qui les transforme en furies castratrices. Mais la plus
grande puissance symbolique revient au meurtre de Cécile Grégoire
par Bonnemort, le grand-père Maheu : c’est un ‘showdown’ entre les
Grégoire et les Maheu, entre perdants et gagnants de l’industrie mi-
nière capitaliste. Le patriarche crachant ses poumons noircis incarne la
souffrance ancienne et durable des uns, la fille au teint rose le confort
et l’espoir d’avenir des autres ; leur confrontation a tout d’un règle-
ment de comptes.
L’acte se prépare par une première scène de violence. D’abord,
Bonnemort ne participe pas à la grève, pendant la marche des mineurs
il suit, mu par une curiosité inconsciente, la foule (Germ, p. 1442).
Quand la bande des ouvrières attaque les bourgeois, qui, de leur côté,
essayent de se réfugier dans la propriété des Hennebeau, Bonnemort
saisit instinctivement une proie :
Mais elle [Cécile, N.B] eut un cri rauque : des mains froides venaient
de la prendre au cou. C’était le vieux Bonnemort, près duquel le flot
336 La Lutte des paradigmes
306 Plus tard, l’image est reprise : « Bonnemort était là, seul, les yeux larges et fixes,
cloué sur une chaise, devant la cheminée froide. » (Germ, p. 1558)
307 L’image de l’arbre a déjà servi comme terme de comparaison : « Le grand-père
gardait son immobilité de vieil arbre tordu sous la pluie et le vent […] ». (Germ,
p. 1477)
308 Les pantoufles qu’on apporte au paralysé ne lui seront d’aucun usage.
« Germinal » 337
Dix minutes plus tard, les parents trouvent leur fille strangulée,
Bonnemort gît stupidement à terre, sa salive charbonneuse couvre la
pièce entière. L’affaire reste mystérieuse, personne ne comprend
pourquoi Cécile s’est rapproché de lui, pourquoi on n’a rien entendu
(les cloisons entre les appartements étant minces).
C’est surtout la motivation qui reste obscure :
Il fallut croire à un coup de brusque démence, à une tentation inexpli-
cable de meurtre, devant ce cou blanc de fille. Une telle sauvagerie
stupéfia, chez ce vieil infirme qui avait vécu en brave homme, en
brute obéissante, contraire aux idées nouvelles. Quelle rancune, in-
connue de lui-même, lentement empoisonnée, était-elle donc montée
de ses entrailles à son crâne ? L’horreur fit conclure à l’inconscience,
c’était le crime d’un idiot. (Germ, p. 1561 ; je souligne)
valeur des actions) – bref, il s’agit de promesses sur l’avenir qui sont
échangées sur le marché de la bourse. Ces promesses en formes
d’actions ont assuré l’existence de la famille, tout comme Cécile était
un ‘investissement’ en l’avenir privé et social du couple310. La
destruction de cette dernière promesse se laisse interpréter comme
attaque symbolique de la première, même si elle n’est pas atteinte
réellement (elle le sera plus tard, par l’attentat de Souvarine, qui a
probablement eu un effet néfaste pour le cours d’action de la Com-
pagnie).
La signification la plus essentielle de ce meurtre réside néanmoins
ailleurs : c’est un acte de justice, Bonnemort punit les Grégoire – qui,
d’un point de vue légal, sont innocents – pour l’exploitation dont il a
souffert, et toute sa famille avec lui. La contestation sociale a peu
d’effet, en dehors de la nouvelle conscience ouvrière. L’acte vengeur
de Bonnemort, lui, transforme la vanité de la révolte en victoire
concrète et symbolique, car le vieux ne se laisse plus écraser par le
pouvoir économique, il punit réellement les actionnaires.
Néanmoins, la justice se sert d’outils peu propices à ses intentions :
il faut y voir l’ironie de la vengeance311. Car le vieux est probable-
ment déjà idiot, il agit dans une inconscience complète. Ses motifs se
laissent assez facilement ramener à une idée fixe, liée à une pulsion
sexuelle312. La première tentative de strangulation, entreprise en
pleine conscience, était déjà un acte pulsionnel ; les comparaisons
avec le règne naturel soulignent ce côté instinctif. Dans les deux cas,
c’est le cou blanc de la victime qui déclenche l’acte, un stimulus sen-
310 On trouve un indice fort dans la remarque arrogante que M. Grégoire fait à
Deneulin après sa faillite : « ‘Que veux-tu ? ton seul tort a été de risquer à Van-
dame le million de ton denier de Montsou. Tu t’es donné un mal terrible, et le
voilà fondu dans ce travail de chien, tandis que le mien, qui n’a pas bougé de
mon tiroir, me nourrit encore sagement à ne rien faire, comme il nourrira les en-
fants de mes petits-enfants.’ » (Germ, p. 1523) L’acte de Bonnemort empêche
justement cela, en effaçant l’avenir biologique de la famille Grégoire.
311 Ce n’est pas la seule ironie, car les Hennebeau ne profitent pas seulement de la
grève, mais aussi de la mort de Cécile : le mariage entre Négrel et Cécile étant
impossible, Mme Hennebeau garde son amant – au grand soulagement de
M. Hennebeau : « […] il préférait garder son neveu, dans la crainte de son
cocher. » (Germ, p. 1562)
312 L’idée fixe est indiquée par métonymie : Bonnemort reste « cloué sur sa chaise »,
une formule récurrente (Germ, pp. 1515, 1558, 1561).
« Germinal » 339
315 Cf. e.g. Germ, pp. 1165, 1171, 1249, 1252, 1297.
316 Cf. Germ, pp. 1182 sq., 1295, 1499 sq., 1537 sq., 1564 sq.
« Germinal » 341
317 Cf. les passages suivants : Germ, pp. 1153, 1188, 1246 sq., 1544, 1546 sq.,
1582 sq.
318 Cf. de même Germ, p. 1405.
319 Il y a bon nombre d’interprétations archétypiques et psychanalytiques à ce sujet ;
en général, elles s’intéressent moins au texte qu’au fonctionnement sans accrocs
de leur machine conceptuelle. Cf. de façon exemplaire Patrick Brady, Le Bouc
émissaire chez Zola. Quatre essais sur Germinal et L’Œuvre, Heidelberg, Carl
Winter, 1981, première partie : « Germinal et le bouc émissaire », pp. 53-158.
342 La Lutte des paradigmes
320 Schober prête trois effets à la présentation mythique : un effet d’allègement par
l’abolition des explications économiques, une objectivation du conflit social, et le
noyau d’une structure mythique générale ; Schober, « Émile Zolas Germinal »,
p. 98. Elle oublie d’ajouter que la personnification du conflit a pourtant bel et
bien lieu, dans le duel entre Bonnemort et Cécile Grégoire (cf. le chapitre précé-
dent) et que ‘l’objectivation’ du capital dans une figure mythique le transforme
en puissance irrationnelle ; les deux nuances changent le sens de l’ensemble.
321 Cf. la remarque de Zola dans l’Ébauche : « […] la cause est générale, remonte à
l’inconnu social, au dieu capital, accroupi dans son temple, comme une bête
grasse et repue, monstrueuse [de] d’assouvissement […] ». Fos 402-500, ici
fos 422/421 sq. [sic], cité d’après Becker, La Fabrique, pp. 256-290, ici p. 262.
« Germinal » 343
322 Les Rougon-Macquart d’Émile Zola, pp. 92-97, ici p. 96. Pour Buuren, la victoire
de Souvarine reste provisoire, il s’agirait d’une goutte d’eau sur une pierre brû-
lante (p. 93).
323 Cf. également l’image employée une fois que les eaux se sont retirées : « Sous
l’azur tendre de la belle journée, c’était un cloaque, les ruines d’une ville abîmée
et fondue dans de la boue. » (Germ, p. 1557)
324 La comparaison avec Babylone est faite également (Déb, pp. 888 et 893).
325 « Détruire pour détruire, ensevelir la vieille humanité pourrie sous les cendres
d’un monde, dans l’espoir qu’une société nouvelle repousserait heureuse et can-
dide, en plein paradis terrestre des primitives légendes ! » (Déb, p. 902)
344 La Lutte des paradigmes
La joie avait gagné de maison en maison, les rues étaient une ivresse,
un nuage de vapeurs fauves, la fumée des festins, la sueur des accou-
plements, s’en allait à l’horizon, roulait au-dessus des toits la nuit des
Sodome, des Babylone, et des Ninive. (Arg, pp. 253 sq.)
326 Philippe Lejeune compare le texte avec sa source, Louis Simonin La Vie sou-
terraine, ou la Mine et les Mineurs, Paris, Hachette, 1867. Il constate que le texte
de référence nomme plusieurs effets possibles pour une mine qui brûle : elle peut
ou bien engendrer le désert, ou bien la fertilité – mais non les deux à la fois. « La
Côte-Verte et le Tartaret », Poétique, n° 40, 1979, pp. 475-486, ici p. 478. Le-
jeune comprend l’île de la fertilité comme une forteresse de bien-être et tire une
comparaison avec la scène suivante, dans laquelle on voit les grévistes (les ‘tar-
tares’, appartenant au sous-sol) attaquer la bourgeoisie ; cf. pp. 479 et 481 sq.
327 De manière peu surprenante, la Maheude qui reprend le travail doit souffrir de la
chaleur du Tartaret tout proche (Germ, p. 1584).
« Germinal » 345
328 Dans la lettre au Petit Rouennais déjà citée, Zola parle de « l’enfer du travail » ;
Correspondance, t. V, pp. 374 sq. En plus, un des textes littéraires qui servent de
référence à Zola est le roman d’Yves Guyot : Scènes de l’enfer social. La famille
Pichot, Paris, Jules Rouff ,1882.
329 L’infertilité de Catherine pose toutefois un petit problème : elle est en contradic-
tion avec la fertilité typique des ouvrières des mines. Cette exception s’explique
par la situation personnelle de Catherine, mais aussi par sa fonction symbolique :
Catherine représente l’oppression doublement, au travail et au privé ; de manière
concrète, elle illustre l’infertilité (symbolique) de la vie ouvrière.
346 La Lutte des paradigmes
330 Cf. l’association entre fosse et enfer, établie une nouvelle fois quand Catherine
travaille à proximité du Tartaret : c’est « l’enfer », « la cité maudite », « une vi-
sion infernale », etc. (Germ, pp. 1396-1403). La corvée et la tyrannie de Chaval
donnent un sens renforcé à l’image : c’est autant la souffrance de la situation so-
ciale que celle de sa vie privée.
331 C’est sur ce point que mon interprétation rejoint celle de Ripoll. D’abord, il voit
dans les images mythiques un élément appartenant à la psychologie des mineurs,
mais il ajoute : « La comparaison de la mine à l’enfer est trop fréquente pour que
l’on puisse voir dans l’emploi de ce mot une simple touche de couleur locale.
[…] Les éléments de la monographie de la mine sont en même temps des élé-
ments de la mythologie de Germinal. » Réalité et mythe chez Zola, t. II, p. 727.
332 Mitterand voit dans cette grève le modèle du roman ; cf. son étude, Germ,
pp. 1811-1816. En partant du même modèle, Paule Lejeune souligne que la grève
réelle dégénère le premier jour : d’après elle, Zola étend les événements et met
davantage de responsabilité du côté des mineurs ; Germinal. Un roman anti-
peuple, pp. 213-216. Lejeune part encore d’une fonction mimétique très simple
du roman. De son côté, Richard H. Zakarian prouve par l’analyse d’articles de
journaux que la grève dans Germinal ressemble davantage à celle d’Anzin en
« Germinal » 347
Treize hommes meurent, neuf sont blessés ; les grévistes sont néan-
moins accusés et condamnés. L’incident encourage vivement l’oppo-
sition, dont les journaux sont d’autant plus durement poursuivis par le
gouvernement. D’autres incidents arrivent entre l’armée et les gré-
vistes, et il y a encore des victimes. Le résultat est catastrophique : la
libéralisation du régime impérial à la fin des années 1860 se solde par
un échec, et la bourgeoisie est forcée de reconnaître la dimension so-
ciale que comporte la contestation politique.
Même en délaissant la question du mimétisme du roman, il semble
évident qu’il reprend un mouvement historique, qu’il en dessine les
origines et la loi de transformation. C’est le moment où les ouvriers
prennent conscience, ils comprennent leur situation économique, leur
rôle, leurs droits et surtout leur puissance. Les rêveries idéalistes ins-
pirées par les discours d’Étienne n’y changent rien : c’est le roman
d’une éducation politique et sentimentale du héros, mais de celle aussi
de tous les mineurs. Germinal est un Bildungsroman collectif.
Il s’agit d’abord de définir la situation historique. Malgré leur dif-
férend politique, les trois gauchistes sont d’accord dans l’analyse des
faits : « L’ouvrier ne pouvait pas tenir le coup, la révolution n’avait
fait qu’aggraver ses misères, c’étaient les bourgeois qui s’engrais-
saient depuis 89, si goulûment, qu’ils ne lui laissaient même pas le
fond des plats à torcher. » (Germ, p. 1256) Zola ne donnera raison à
aucun des trois pour ce qui est des tentatives de compréhension, puis
de solution, mais il est évident qu’il partage l’analyse historique qu’ils
font ici. Son roman illustre justement la misère mentionnée, et attaque
de manière virulente les profiteurs bourgeois.
Mais le trait caractéristique de cette éducation politique, c’est
l’échec de la contestation : les hommes meurent de faim, les salaires
baissent, le seul patron à visage humain perd son indépendance. Cer-
tes, le roman montre certains dommages causés à la Compagnie : elle
souffre de la grève, car l’équipement n’est pas utilisé et les mines
s’effondrent ; les dividendes en souffrent (Germ, p. 1462). En revan-
che, la Compagnie met la main sur la concession de Deneulin. Ainsi,
333 Mentionnons en passant une objection possible. Malgré son utilité gestionnaire,
la grève est d’un profit tout à fait douteux si on passe à l’échelle nationale, car
elle renforce la crise : « La grève des charbonniers de Montsou, née de la crise
industrielle qui empirait depuis deux ans, l’avait accrue, en précipitant la
débâcle. » (Germ, p. 1461) Une économie nationale affaiblie représente un mau-
vais contexte commercial pour les affaires de la Compagnie. Le modèle méca-
niste d’une transformation en faveur du capital qui présente la Compagnie
comme victorieuse s’oppose à un second modèle, un circuit d’amplification mu-
tuelle de la crise. Or cette dynamique négative est interrompue, à l’avantage de la
Compagnie, par une reprise de la croissance – le calcul de la Compagnie est bon
(Germ, pp. 1589 sq.).
« Germinal » 349
Le lecteur est frappé par le lien immédiat que Zola établit entre la
crise économique et le Second Empire : Guyot, lui, ne perd pas un mot
sur l’Empire ! De plus, Zola emploie des expressions à connotation
négative, une « orgie » fait penser à des excès personnels, non à des
processus macroéconomiques. Zola lie la conception neutre de Guyot
à des idées morales, et intègre la crise dans le scénario général d’une
époque corrompue342.
343 NAF 10307, fos 401-499, ici f° 402 ; cité d’après Becker, La Fabrique, pp. 255-
290, ici p. 256 ; je souligne.
344 Mitterand constate que vis-à-vis de la Commune, Zola prend parti de manière
peu équitable – ce constat est juste ; cf. le commentaire à propos de Déb, p. 871,
à trouver p. 1556.
« Germinal » 353
importants ont déjà été établis, ils sont à trouver du côté des événe-
ments, des caractères, des lieux ; il s’agit désormais de les mettre en
perspective.
L’analyse des caractères, mais aussi celle du cadre politique, a
montré que la motivation biologique était prédominante. Le cas de
figure le plus éminent est celui d’Étienne, héros du roman, dont le
parcours éducatif est en analogie avec celui des mineurs, et dont les
idées politiques reflètent celles qui sont le plus courantes pendant la
grève, mais aussi la pensée du mouvement ouvrier en général. Il a été
dit que son évolution autodidacte est d’une réussite douteuse, sa pul-
sion meurtrière et son fanatisme politique indéracinable le démontrent
clairement. Ensuite, Étienne est un cas typique de la dévalorisation du
discours politique : une motivation égoïste et biologique dévalorise le
contenu idéaliste de celui-ci. Des arguments produits par amour-
propre, dans le cadre d’une concurrence sexuelle contrebalancent
l’idée générale de l’émancipation ouvrière. Les deux formes de
démasquage rappellent le moralisme ; les deux révèlent le fondement
biologique de l’existence humaine, et son influence persistante.
On pourrait objecter à cela que les maladies des mineurs prouvent
le contraire : elles montreraient la détermination sociale des faits so-
matiques. En réalité, ces pathologies prouvent que le processus socio-
historique n’est pas sujet à une détermination biologique unilatérale.
Même si les pathologies ne sont pas autre chose que l’illustration de la
misère sociale, le social et l’historique ne deviennent pas pour autant
la force motrice des événements – ou bien seulement sous forme de
processus naturels, comme dans le cas de la revanche de Bonne-
mort 345.
De plus, la nature pulsionnelle de la contestation sociale, ses excès
archaïques et dionysiaques, ne relèvent pas d’un engagement politique
conscient. Les adversaires sont également d’ordre mythique, le capital
ressemble à un dieu lointain, caché, et la fosse est un monstre sublime.
La foule des grévistes apparaît comme de l’eau, une puissance natu-
relle346, donc précisément comme « force aveugle » (Germ, pp. 1520
345 On peut défendre l’idée que les causes sociales de l’état imbécile de Bonnemort –
l’exploitation de son corps, la mort de son fils – sont aussi les causes indirectes
de son acte pulsionnel. Il n’empêche que cet acte relève toujours du naturel,
même s’il est engendré par des faits sociaux.
346 Cf. Germ, pp. 1410, 1416, 1434-1455, 1504, 1520. Le potentiel destructeur de
l’eau est finalement démontré par l’attentat terroriste de Souvarine.
354 La Lutte des paradigmes
347 C’est dans cette interaction entre individu et foule que Zola voit un des intérêts de
son roman ; c’est ainsi qu’il défend la création de caractères individuels, au lieu
d’une foule anonyme. Cf. la lettre à Henri Céard, déjà citée : « Mon sujet était
l’action et la réaction réciproques de l’individu et de la foule, l’un sur l’autre. »
Lettre du 22 mars 1885, Correspondance, t. V, pp. 248-251, ici p. 249.
348 La déception et la réorientation politique se passent au même moment ; cf. Germ,
pp. 1521-1524.
349 C’est bien la différence essentielle entre le directeur et les grévistes ; cf. Germ,
pp. 1443 sq. et 1450.
350 Cf. le commentaire euphorique de Mitterand : « Ce titre est sans doute la plus
belle découverte verbale de Zola. » À propos du titre, Germ, pp. 1883 sq., ici
p. 1884.
351 Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, vingt-quatre tomes,
Paris, Administration du Grand Dictionnaire universel, 1866-1876, t. XII,
p. 1224.
« Germinal » 355
352 NAF 10308, f° 416, cité d’après Becker, La Fabrique, p. 491. L’ambiguïté de la
date vient du Grand Dictionnaire universel.
356 La Lutte des paradigmes
353 Souvarine « leur parlait de raser la vieille humanité comme une moisson mûre »
(Germ, p. 1481) ; il se réfère à une nouvelle société qui doit « repousser » (Germ,
pp. 1255, 1481).
354 Ainsi au début de la révolte : « Et les idées semées par Étienne poussaient,
s’élargissaient dans ce cri de révolte. » (Germ, p. 1292)
« Germinal » 357
355 De cette manière les morts sont récupérés, surtout Catherine. Borie souligne
également ce fait, mais dans une perspective tout à fait différente : « Et, même si
Catherine doit mourir, cette semence-là ne sera pas perdue, la fécondation malgré
tout aura lieu : la terre, la mère, est grosse, l’enfant, les camarades, sont dans ce
ventre, vivant et travaillant […] ». Zola et les mythes, pp. 111 sq.
356 Walker indique à juste titre que Germinal sape l’anthropocentrisme par
l’incorporation systématique de l’homme à la nature ; cf. Germinal and Zola’s
Philosophical and Religious Thought, p. 59. Le passage cité permet en outre de
réconcilier l’idée déterministe avec celle de l’émancipation – au moins dans
l’image. La détermination lie l’homme à la terre, elle en fait un être physiologi-
que. Zola le souligne dans une lettre à Gustave Geffroy (22 juillet 1885) : « Vous
avez raison, je crois qu’il faut avant tout chercher dans mes œuvres une philo-
sophie particulière de l’existence. Mon rôle a été de remettre l’homme à sa place
dans la création, comme un produit de la terre, soumis encore à toutes les in-
fluences du milieu ; et, dans l’homme lui-même, j’ai remis à sa place le cerveau
parmi les organes, car je ne crois pas que la pensée soit autre chose qu’une fonc-
tion de la matière. La fameuse psychologie n’est qu’une abstraction, et en tout
cas elle ne serait qu’un coin restreint de la physiologie. » Geoffroy avait publié
358 La Lutte des paradigmes
361 Lettre à Jacques van Santen Kolff du 6 octobre 1889, Correspondance, t. VI,
pp. 422-424, ici p. 423 ; je souligne. Zola ajoute qu’au début, il trouvait le titre
« trop mystique, trop symbolique ».
362 Telles sont les craintes de la bourgeoisie, qui appréhende une nouvelle terreur
révolutionnaire (Germ, pp. 1436 sq.). Zola en fait la caricature, mais dans La
Débâcle, il met lui-même en scène des événements apocalyptiques qui y corres-
pondent tout à fait. En conséquence, William Gallois lit les événements du der-
nier tome des Rougon-Macquart comme le « fulfilment of History » (p. 248) :
l’histoire du Second Empire, de la contestation sociale et du capitalisme y trouve-
raient leur fin. La ‘lecture’ de Gallois ne rend aucun compte des modèles bio-
logiques omniprésents et tente de découvrir une théorie de l’histoire (dans le sens
de Hegel et de Francis Fukuyama) chez Zola ; ce procédé se fait au dépens de
l’exactitude. Cf. Zola : The History of Capitalism, Oxford/Berne/Berlin/Bruxel-
les/Francfort-sur-le-Main/New York (NY)/Vienne, Peter Lang, 2000, pp. 221-
248, surtout pp. 245 sqq.
360 La Lutte des paradigmes
363 Walker dit très justement : « No other great novellist that I can think of is more
radically incoherent on the philosophical and religious level than Zola. Although
the frequent recurrency of a large number of ideas provides his writings with a
certain consistency, not even the semblance of a logical system binds them toge-
ther. » Germinal and Zola’s Philosophical and Religious Thought, p. 87. Ce
constat vaut autant pour les modèles historiques et biologiques – Walker s’y ré-
fère indirectement (cf. la note 6 pour la p. 87). Il y voit surtout « a veritable feast
of ambiguity » (p. 94 ; cf. la note 29) – c’est une manière de sous-estimer com-
plètement certains problèmes. Un texte littéraire n’est pas cohérent logiquement,
il ne peut pas l’être. De là à dire qu’il est d’autant plus riche qu’il est contradic-
toire, me semble faire une erreur logique qui peut entraîner des conséquences
catastrophiques.
364 Sauf dans le cas d’Hennebeau qui constitue une exception à cette règle.
« Germinal » 361
365 Cf. la scène où Lisa détourne son mari des réflexions politiques (VdP, pp. 756-
761).
364 La Lutte des paradigmes
366 La pensée révolutionnaire de Florent emploie des termes similaires ; cf. VdP,
pp. 812, 869, et 894.
367 « C’était le ventre boutiquier, le ventre de l’honnêteté moyenne, se ballonnant,
heureux, luisant au soleil, trouvant que tout allait pour le mieux, que jamais les
gens de mœurs paisibles n’avaient engraissé si bellement. » (VdP, p. 733)
368 Souvarine l’anarchiste critique avec justesse ce darwinisme de gauche, en mon-
trant ses contradictions internes (Germ, p. 1524). Évidemment, ce sont les riches
Zola : panorama et conclusion 365
Sa lutte est donc perdue, et cela dès le départ : c’est la charge héré-
ditaire qui décide du don et de la déficience, et non l’engagement per-
sonnel. Cette similarité avec le double rôle de la sexualité dans le
cycle des Rougon-Macquart révèle une affinité plus profonde. Le
terme ‘impuissance’ l’indique déjà, le don de Claude est une forme
plus ou moins sublimée de la sexualité. Elle s’exprime dans
qui mangent bien, une scène de buffet dans La Curée en fournit une preuve
remarquable (Cur, pp. 557 sq.). – Le darwinisme fait partie des théories discutées
dans Le Docteur Pascal.
369 Cf. également Œ, pp. 53 et 357. Il n’est guère surprenant de constater que cette
explication médicale de la création artistique ait trouvé des imitateurs impitoya-
bles ; Nordau utilise une argumentation analogue, mais pour jeter le discrédit sur
l’art moderne en général (cf. ci-dessus, « Prélude en histoire des sciences »).
366 La Lutte des paradigmes
370 Cf. e.g. Œ, p. 19 : « Tout son trouble, sa curiosité charnelle, son désir combattu,
aboutissaient à cet émerveillement d’artiste, à cet enthousiasme pour les beaux
tons et les muscles bien emmanchés. » (Cf. également pp. 17, 21, 50 sq., 83,
147 sq., etc.)
371 Initialement, on trouve une action réciproque : Claude et Christine, sa future
épouse, se rapprochent sous le signe de l’art (elle se fait peindre en portrait). Plus
tard, art et amour s’excluent mutuellement : après le mariage, Claude s’adonne
complètement au bonheur sensuel avec Christine, ensuite, c’est à elle de céder la
place à la rivale (cf. Œ, chap. VI, pp. 141-168).
372 Et ce malgré la victoire finale de sa ‘manière’, constatée par Sandoz, son ami
écrivain, et alter ego de Zola (Œ, pp. 293-297, surtout pp. 296 sq.).
373 « Bien sûr que la terre entière passait là, pas des Français seulement, des étran-
gers aussi, des gens venus des contrées les plus lointaines, puisque personne
maintenant ne pouvait rester chez soi, et que tous les peuples, comme on disait,
n’en feraient bientôt plus qu’un seul. Ça, c’était le progrès, tous frères, roulant
tous ensemble, là-bas, vers un pays de cocagne. » (Bh, p. 1032)
Zola : panorama et conclusion 367
374 Quelques lignes plus loin, on apprend : « En lui, l’homme civilisé se révoltait, la
force acquise de l’éducation, le lent et indestructible échafaudage des idées
transmises. On ne devait pas tuer, il avait sucé cela avec le lait des générations ;
son cerveau affiné, meublé de scrupules, repoussait le meurtre avec horreur, dès
qu’il se mettait à le raisonner. » (Bh, pp. 1236 sq.) Mais ce n’est pas le cerveau
qui décide en dernière instance.
375 Avant de commettre le meurtre, Jacques doute de sa ‘puissance’ : « Il
s’interrogeait déjà, inquiet, pareil à ces mâles qu’un accident nerveux frappe dans
leur virilité : pourrait-il ? » (Bh, p. 1294) Cet « accident nerveux » est justement
l’éducation, la civilisation.
368 La Lutte des paradigmes
377 Deux tomes, Paris, Alcan, 1887. Le texte est une traduction de la quatrième
édition de l’original italien (Milan, 1876), enrichie d’une préface de Charles
Letourneau, auteur de la Physiologie des passions.
378 L’ambiguïté des symboles majeurs du cycle est également évidente dans le cas
du chemin de fer : dans L’Argent, il est présenté comme accomplissement positif,
alors qu’il fait partie d’un contexte plus large, qui comprend autant d’entreprises
destructrices que productives.
379 Sous la direction de Saccard, la banque augmente son capital à pas de géant. Dès
le départ, elle garde certaines de ses actions ; plus tard, elle emploie tous ses
moyens à acheter ses propres actions par le biais d’hommes de paille, afin de
soutenir leurs cours. Saccard la pousse donc lui-même à la ruine, même si des
concurrents malveillants y contribuent aussi.
370 La Lutte des paradigmes
« […] c’est pour le voir couler chez lui en torrents, c’est pour toutes
les jouissances qu’il en tire, de luxe, de plaisir, de puissance... […] il a
ça dans le sang. Il nous vendrait, vous, moi, n’importe qui, si nous
entrions dans quelque marché. » (Arg, pp. 218 sq.)
380 Cf. Arg, pp. 56 sq. Il réussit brièvement le pari, et devient roi de la Bourse ; cf.
Arg, pp. 140, 234, 247, 254 sq., surtout pp. 295, 383. C’est un développement
supplémentaire de l’idée selon laquelle les Rougon-Macquart forment une sorte
de famille royale ; cf. Warning, « Kompensatorische Bilder einer ‘wilden Onto-
logie’ », pp. 247-249.
381 Cf. également Arg, pp. 81, 135, 222-228, et 382.
382 D’abord, la Bourse est conçue comme un champ de bataille. Ensuite, le roman
devient explicite : « Et ce que les Croisades avaient tenté, ce que Napoléon
n’avait pu accomplir, c’était cette pensée gigantesque de la conquête de l’Orient
Zola : panorama et conclusion 371
qui enflammait Saccard, mais une conquête raisonnée, réalisée par la double
force de la science et de l’argent. » (Arg, p. 78) Le but n’est autre que « le para-
dis terrestre » (ibid.) ! L’échec du projet est patent, le Waterloo est désigné
comme tel (Arg, pp. 328, 383).
383 Le jeune agent boursier Mazaud se suicide, laissant derrière lui femme et en-
fants (Arg, pp. 358 sq.).
384 La conception vient des euphémismes du langage militaire ; le contexte justifie
son emploi ici, car, je l’ai indiqué, le roman déploie lui-même les métaphores
guerrières pour décrire les événements boursiers ; cf. e.g. Arg, pp. 25, 35, 75,
138, 197-200, 246, 261 sq., 265, 279, 293, 328, 354, 363.
372 La Lutte des paradigmes
Il est tout à fait remarquable que l’argent est décrit avec les mêmes
termes que la sexualité dans Nana. Il a surtout la même fonction : il
détruit les structures sociales existantes pour en créer d’autres. Le
roman décrit les passions déchaînées de la baronne Sandorff dans les
mots suivants385 : « ‘Il y a, dans la passion du jeu, un ferment dés-
organisateur que j’ai observé souvent, qui ronge et pourrit tout, qui
fait de la créature de race la mieux élevée et la plus fière une loque
humaine, le déchet balayé au ruisseau...’ » (Arg, p. 350) La réminis-
cence est claire, mais elle surprend parce que L’Argent fait de la mon-
naie, ordinairement conçue comme technique culturelle abstraite, un
principe passionnel, quasi-biologique386, fonctionnant en analogie
avec la sexualité387 :
Elle se rappelait cette idée que, sans la spéculation, il n’y aurait pas de
grandes entreprises vivantes et fécondes, pas plus qu’il n’y aurait
d’enfants, sans la luxure. Il faut cet excès de la passion, toute cette vie
bassement dépensée et perdue, à la continuation même de la vie. […]
L’argent, empoisonneur et destructeur, devenait le ferment de toute
végétation sociale, servait de terreau nécessaire aux grands travaux
dont l’exécution rapprocherait les peuples et pacifierait la terre. (Arg,
pp. 224 sq.)
385 Tout comme dans Nana, la vérité se trouve dans la bouche d’un journaliste !
Mais la différence de qualité entre les deux œuvres se voit déjà à propos des deux
personnages : malgré sa compréhension du phénomène, Fauchery est fatalement
attiré par la courtisane, alors que Jordan résiste à la spéculation. À la fin du ro-
man, Jordan publie enfin son roman et jouit du bonheur conjugal, assuré par un
travail quotidien honnête ; cf. le paragraphe insupportable, Arg, pp. 346-349.
386 En plus, la circulation monétaire est rapprochée de celle du sang ; cf. e.g. Arg,
pp. 114 sq. Zola entreprend vraiment tout pour rendre physiologique une valeur
complètement abstraite.
387 Comme l’argent est connoté négativement dans La Curée, il faut supposer un
changement d’attitude à cet égard chez Zola. Colette Becker le date de son explo-
ration du monde des marchandises lors des recherches pour Au Bonheur des da-
mes. Elle souligne l’ambiguïté dans la position de l’écrivain, mais elle méconnaît
complètement le lien entre cette ambiguïté et la charge biologique ; cf. « Zola et
l’argent », Les Cahiers naturalistes, n° 78, 2004, pp. 27-40, ici p. 39 et passim.
Zola : panorama et conclusion 373
388 L’expression n’appartient pas exclusivement au domaine imagé ; cf. des passages
similaires (e.g. Arg, p. 398).
389 Une analogie établie plusieurs fois, et avec insistance – e.g. à la fin du roman :
« Pourquoi donc faire porter à l’argent la peine des saletés et des crimes dont il
est la cause ? L’amour est-il moins souillé, lui qui crée la vie ? » (Arg, p. 398)
390 En face de Saccard on trouve le banquier juif Gundermann, calqué sur James de
Rothschild, qui poursuit ses affaires avec calcul et sang froid, parce qu’il a morti-
fié toutes les passions (cf. surtout Arg, pp. 200-202 et 299). Gundermann exerce
son métier pour assurer durablement l’existence de sa famille nombreuse.
391 Cf. également Arg, pp. 397 sq. La mine et le chemin de fer : L’Argent reprend
deux motifs majeurs du progrès industriel et du cycle romanesque sur un mode
positif.
374 La Lutte des paradigmes
392 Le roman est plus explicite et moins réussi que d’autres romans des Rougon-
Macquart. Je lui accorde beaucoup d’attention parce que le héros est un membre
de la branche légitime, et qu’il articule en toute franchise un certain nombre de
sujets pertinents dans le cadre du présent travail. Cela ne change rien à ses fai-
blesses, qui ne sont pas simplement esthétiques : il est d’une certaine ambiguïté
dans la présentation des Juifs. Alain Pagès résume les reproches qu’on pourrait
lui faire, mais il refuse d’y voir un véritable antisémitisme ; cf. « Zola face à
l’antisémitisme. De la ‘question juive’ à la question de l’argent », Les Cahiers
naturalistes, n° 78, 2004, pp. 103-115. Sans entrer dans les détails, il me semble
que la conception des personnages juifs relève d’une série de stéréotypes qui af-
firment indirectement les lieux communs antisémites exprimés par certains per-
sonnages (même discrédités).
393 Cf. déjà Arg, p. 226 ; cf. également pp. 387 sq. et 396-398.
Zola : panorama et conclusion 375
394 À la fin du roman, quand Pascal est sur son lit de mort, et cherche à transmettre
son héritage scientifique à Ramond, il hésite entre enthousiasme scientifique et
scepticisme, entre la volonté d’amélioration et la foi en la Nature (DrP, pp. 1176-
1178).
395 C’est une des formules employées dans L’Argent pour désigner les victimes du
progrès ; cf. e.g. Arg, pp. 25, 51, 363, etc.
396 Pour reprendre les mots de Lucas : « Dans cette transition de la CREATION à la
PROCREATION, la loi d’INVENTION devient l’INNEITE, qui représente ce qu’il y a
d’originalité, d’imagination, et de liberté de la vie dans la génération médiate de
l’être. » Lucas estime que l’innéité est souvent à l’œuvre, c’est une différence
avec Zola : « […] la nature ressaisit, dans la procréation de l’individualité,
l’originalité qu’elle perd dans l’espèce […] ». Cela veut dire : « Chaque individu
a son type de vie. La personnalité est l’expression la plus absolue de ce type, et
cette expression se formule toujours. » (Trhé I, pp. 96-102) Les citations
montrent clairement que Zola emploie ses sources en les radicalisant.
397 On peut mieux comprendre la radicalité de Zola en ajoutant que même les tenants
des théories déterministes actuelles en biologie évolutive vont rarement aussi loin
que Zola. Richard Dawkins, e.g., qui définit les hommes comme des « machines
à survie » de leurs gènes, ces derniers les « manipulant à distance », admet toute-
fois la possibilité d’une réelle influence par l’éducation ; cf. Le Gène égoïste,
trad. de l’anglais Laura Ovion, Paris, Odile Jacob poches, 2003, pp. 40 et 20.
376 La Lutte des paradigmes
398 Dans L’Argent le printemps n’apporte pas la fertilité pourtant. Caroline regrette
continuellement sa maternité défaillante ; dans ce sens, la fin de L’Argent est in-
complète et préfigure l’accomplissement du Docteur Pascal. Concernant les deux
motifs, la fin de Germinal vient également à l’esprit.
Zola : panorama et conclusion 377
399 Walker fait un constat similaire à propos de la suite des Rougon-Macquart, c’est-
à-dire des cycles Les Trois Villes et Les Quatre Évangiles (interrompu par la
mort de l’auteur) ; Germinal and Zola’s Philosophical and Religious Thought,
pp. 73-86, ici p. 80.
400 Les idéalistes et les rêveurs de Zola sont toujours maigres et pathologiquement
faibles, voire malades au sens propre du terme : on pensera à Florent dans Le
Ventre de Paris, ou à Sigismond Busch dans L’Argent. Le cas de Souvarine
constitue une exception notable.
401 Céline rompra l’équilibre en faveur de la pulsion de mort – et cela de manière
revendicative. En 1933, lors de son « Hommage à Zola », son discours à propos
du 31ème jour de la mort de son prédécesseur, il déclare : « […] nous sommes
autorisés certes à nous demander si l’instinct de mort chez l’homme, dans ses
378 La Lutte des paradigmes
405 Sans se laisser guider par des ressentiments antilibéraux, on peut facilement
appeler ‘idéologie capitaliste’ les passages en question.
FONTANE : DESIR ET
CONTRAINTE SOCIALE
1 Pour la citation des œuvres de Fontane, j’ai cru utile de donner à la fois la tra-
duction française et le texte original allemand. Ainsi, la première indication de
page renvoie toujours à la traduction française, la seconde au texte allemand.
J’aurai recours aux éditions françaises suivantes : Theodor Fontane, Romans
(Errements et Tourments, Jours disparus, Frau Jenny Treibel, Effi Briest), éd.
dir. Michel-François Demet, préf. Claude David, Paris, Robert Laffont, 1981 ;
Theodor Fontane, L’Adultera, trad. de l’allemand Madith Vuaridel, Paris, Aubier,
1991. Je les corrige quand elles sont inexactes dans leurs traductions (cela con-
cerne surtout Irrungen, Wirrungen), et je marque cette correction par ‘trad.
mod.’. En cas de divergence, je reprends systématiquement les italiques de
l’édition allemande. Quant au texte original, je cite l’édition suivante : Theodor
Fontane, Sämtliche Romane, Erzählungen, Gedichte, Nachgelassenes, dix tomes,
Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2002. Il s’agit d’une réédition
des parties I et II de l’édition critique établie par Walter Keitel et Helmuth Nürn-
berger (vingt tomes, Munich, Carl Hanser, 1962-1995), la pagination est iden-
tique ; les lettres et les écrits seront donc cités d’après cette édition (dans la
mesure du possible). Les lettres, la critique littéraire ainsi que certains romans ne
sont, à ma connaissance, pas traduits, ou d’un accès trop difficile ; dans ce cas, je
fournirai les traductions moi-même. Pour les romans, les abréviations utilisées
sont les suivantes : ‘EB’ pour Effi Briest, ‘IW’ pour Irrungen, Wirrungen, ‘Ad’
pour L’Adultera, ‘SchvW’ pour Schach von Wuthnow, ‘Pp’ pour Die Poggen-
puhls, ‘GP’ pour Graf Petöfy.
2 On ne peut être certain si Fontane connaît les textes de Flaubert : le nom n’appa-
raît pas dans la correspondance, un regard dans l’index du registre le prouve;
Charlotte Jolles et Walter Müller-Seidel (dir.), Die Briefe Theodor Fontanes.
Verzeichnis und Register, Munich, Carl Hanser, 1988 (il n’y a pas d’édition
382 La Lutte des paradigmes
complète des lettres). Même si Fontane n’a pas lu les œuvres lui-même, toujours
est-il que son ami Paul Lindau est un des premiers admirateurs de Flaubert en
Allemagne ; Fontane en a donc certainement une connaissance de seconde main.
3 Une différence qui, si elle n’existe pas d’emblée, a certainement été produite à
cette époque caractérisée par un nationalisme exacerbé ; c’est la loi de la self-
fulfilling prophecy.
4 Cf. Wolfgang Preisendanz, « Voraussetzungen des poetischen Realismus in der
deutschen Erzählkunst des 19. Jahrhunderts », dans Hans Steffen (dir.), Form-
kräfte der deutschen Dichtung vom Barock bis zur Gegenwart, Göttingen, Van-
denhoeck & Ruprecht, 1963, pp. 187-210, ici p. 195.
5 La création du terme a longtemps été attribuée à l’écrivain Otto Ludwig. Clifford
Albrecht Bernd a montré qu’il a été repris du suédois en 1838, grâce à l’inter-
médiaire des Blätter für literarische Unterhaltung. Malheureusement, Bernd se
limite à retracer l’origine, sans éclaircir la dimension sémantique du concept. Cf.
« The Emergence of Poetischer Realismus as a Term of Literary Criticism in
Germany », dans Frank Trommler (dir.), Thematics Reconsidered. Essays in
Honor of Horst S. Daemmrich (Internationale Forschungen zur Allgemeinen und
Vergleichenden Literaturwissenschaft IX), Amsterdam/Atlanta (GA), Rodopi,
1995, pp. 229-236 ; et Clifford Albrecht Bernd, « Poetischer Realismus,
Bürgerlicher Realismus, Programmatischer Realismus – die Kontroverse um die
richtige Benennung einer Epoche in der deutschen Literaturgeschichte », dans
Franz Norbert Mennemeier et Conrad Wiedemann (dir.), Kontroversen, alte und
Les prédecesseurs français 383
12 Les deux dates de publication renvoient à celle du livre ; dans la presse, Effi
Briest paraît en 1894 et Irrungen, Wirrungen en 1887.
13 Cf. ses éloges dans la critique de l’ouvrage Eduard Engel : Geschichte der
französischen Literatur [1882], dans Theodor Fontane, Werke, Schriften und
Briefe, vingt tomes, éd. Walter Keitel et Helmuth Nürnberger, partie III : Auf-
sätze, Kritiken, Erinnerungen, Munich, Carl Hanser, 1969, t. I : Aufsätze und
Aufzeichnungen, pp. 520-527, ici p. 525. Par la suite, je citerai cette édition par
l’abréviation ‘WSB’, suivie de la partie, du tome et de la page.
386 La Lutte des paradigmes
14 Les notes de lecture de Fontane sont d’une importance primordiale. Elles ont été
résumées sous le titre « Émile Zola » et se trouvent dans l’édition citée ; la pre-
mière publication de ces notes est due à Pierre Bange. Cf. « Fontane et le natura-
lisme. Une critique inédite des Rougon-Macquart », Études Germaniques, n° 19,
1964, pp. 142-164 ; par la suite, je citerai les notes d’après WSB III.i, pp. 534-
550.
15 Joseph Jurt, « The Reception of Naturalism in Germany », dans Brian Nelson
(dir.), Naturalism in the European Novel. New Critical Perspectives, New
York (NY)/Oxford, Berg, 1992, pp. 99-119, ici pp. 108-112.
16 Le Roman et la nouvelle naturalistes français en Allemagne (1870-1893), trois
tomes, sans lieu 1979 (thèse, Paris 4 Sorbonne). Je me réfère à son article sur la
réception de Zola par Fontane, « Fontane lecteur de Zola », dans Jean Bessière
(dir.), Lectures, systèmes de lecture, Paris : PUF 1984, pp. 53-69 (la table de ma-
tières est fautive) ; Chevrel établit un panorama de tous les écrits de Fontane sur
Zola (pp. 56-58) et il présente un système périodique (pp. 59-66). Cf. également
l’article pionnier de Bange qui a inspiré Chevrel : « Fontane et le naturalisme.
Une critique inédite des Rougon-Macquart » ; ainsi que Jurt, « The Reception of
Naturalism in Germany ».
Les prédecesseurs français 387
17 On peut voir un indice en faveur de cette hypothèse dans le fait que les autres
témoignages épistolaires sur Zola restent très généraux – et le passage cité ci-
dessous est relativement clair à ce propos.
18 « Nach der Rückkehr von meiner Promenade begann ich gestern Zola zu lesen ;
ich werde wohl über einen Band nicht hinauskommen, oder vielleicht les’ ich
auch alle Bände aber von jedem nur zwei, drei oder vier Kapitel […]. » Lettre à
Emilie Fontane du 8 juin 1883, dans T.F., Briefe, quatre tomes, éd. Kurt Schrei-
nert et Charlotte Jolles, Berlin, Propyläen, 1968-1971, ici t. I : Briefe an den Va-
ter, die Mutter und die Frau, pp. 192 sq., ici p. 192. Les citations tirées de cette
édition se réfèrent au premier tome, qui sera cité comme titre.
19 « Mit Zola rück’ ich jetzt rascher vorwärts, weil die Fehler, die mir anfangs
haarsträubend erschienen, fast ganz verschwinden ; die zuletzt gelesenen Kapitel
sind wie die mir bekannten aus ‘L’assommoir’ [sic], gewandt, unterhaltlich, oft
witzig und erheiternd, alles in allem aber doch eine traurige Welt. » Lettre à
Emilie Fontane du 12 juin 1883, ibid., pp. 197-199, ici p. 198.
20 « Ich habe jetzt den ersten Band Zola durch. Hundert Tollheiten, Unsinnigkeiten,
Widersprüche hab’ ich notirt, dabei ist das Ganze seinem Geist und Wesen nach
tief anfechtbar (nicht vom Moral-Standpunkt aus) und doch bin ich voll Aner-
388 La Lutte des paradigmes
26 Cf. le texte programmatique Unsere lyrische und epische Poesie seit 1848
[1853], dans WSB III.i, pp. 236-260.
27 Cf. la critique déjà citée de l’ouvrage d’Eduard Engel, Geschichte der franzö-
sischen Literatur, WSB III.i, p. 526.
28 « Gestern eine der berühmten T.schen Jägergeschichten. Er beobachtet alles
wundervoll : Natur, Thier und Menschen, er hat so was von einem photo-
graphischen Apparat in Aug und Seele […]. » Lettre à sa femme du 24 juin 1881,
dans Briefe an den Vater, die Mutter und die Frau, pp. 154 sq. Pour citer un autre
exemple, je renvoie à la critique formulée à propos de Gottfried Keller. Dans ce
contexte, Fontane définit le style de la manière suivante : « ‘Une œuvre est
d’autant plus réussie au niveau du style qu’elle est plus objective’, c’est-à-dire
dans la mesure où c’est le sujet lui-même qui parle […] ». (« ‘Ein Werk ist um so
stilvoller, je objektiver es ist’, d.h. je mehr nur der Gegenstand selbst spricht
[…] ») Ensuite, il critique le ton ‘trop personnel’ de Keller (« allerpersönlichsten
Ton ») – on peut difficilement y voir autre chose qu’un éloge de la mimésis. Cf.
la critique de l’ouvrage d’Otto Brahm, Gottfried Keller. Ein literarischer Essay
[1882], WSB III.i, pp. 499-508, ici pp. 501 sq.
29 Ainsi dans la critique du roman Arbeiter par Alexander Kielland ; dans WSB
III.i, pp. 527-532, ici p. 528.
390 La Lutte des paradigmes
30 « Dies ist alles mögliche Gute, nur nicht Realismus. Er gibt gelegentlich Häßlich-
keiten, aber diese Häßlichkeiten sind nicht Realismus. Realismus ist die künstle-
rische Wiedergabe (nicht das bloße Abschreiben) des Lebens. Also Echtheit,
Wahrheit. Diese großen Tugenden vermiß ich im höchsten Maße. » Cf. « Émile
Zola », WSB III.i, p. 540.
31 « So ist das Leben nicht, und wenn es so wäre, so müßte der verklärende Schön-
heitsschleier dafür geschaffen werden. Aber dies ‘erst schaffen’ ist gar nicht nö-
thig, die Schönheit ist da, man muß nur ein Auge dafür haben oder es wenigstens
nicht absichtlich verschließen. Der ächte Realismus wird auch immer schön-
heitsvoll sein, denn das Schöne, Gott sei Dank, gehört dem Leben gerade so gut
an wie das Häßliche. Vielleicht ist es noch nicht einmal erwiesen, daß das Häßli-
che präponderirt. » Lettre à Emilie Fontane du 14 juin 1883, dans Briefe an den
Vater, die Mutter und die Frau, pp. 199 sq., ici p. 200. Fontane exprime des idées
similaires dans sa critique de la pièce d’Ibsen, Die Wildente (Le Canard sauvage,
1884), dans WSB III.ii, pp. 774-777, ici p. 775 ; elles se retrouvent dans de nom-
breuses lettres, e.g. dans la lettre à Martha Fontane du 5 mai 1883, WSB IV.iii,
pp. 242 sq., ici p. 243 (à propos de L’Adultera).
32 Fontane n’est pas le seul à articuler cette critique, il s’agit d’un topos de la criti-
que (allemande) du naturalisme. À propos du contexte, cf. Jurt, « The Reception
of Naturalism in Germany », pp. 111 sq.
33 « Eine Übertreibung jagt die andre, und der angestrebte Naturalismus wird zur
Darlegung krasser und häßlicher Unnatur. » Cf. « Émile Zola », WSB III.i,
p. 545.
Les prédecesseurs français 391
34 « Will dieser erste Schritt auch schon das Ziel sein, soll die Berichterstattung die
Krönung des Gebäudes statt das Fundament sein oder wenn es hochkommt seine
Rustika, so hört alle Kunst auf, und der Polizeibericht wird der Weisheit letzter
Schluß. » Cf. « Arbeiter », WSB III.i, p. 528.
35 Cet avis se retrouve dans la bouche d’un personnage conservateur, Therese von
Poggenpuhl : « ‘On voit des statues et des reliefs qui, sans les moindres égards,
exhibent leur cynisme. Je fais exprès de choisir ce terme. C’est justement cela la
prédilection pour le naturel, que l’art moderne considère comme son bon droit ;
je crois au contraire que l’art doit voiler.’ » (« ‘Man sieht Statuen und Reliefs, die
das Zynische rücksichtslos herauskehren. Ich wähle diesen Ausdruck absichtlich.
Es ist das eben die Vorliebe für das Natürliche, das die moderne Kunst als ihr
gutes Recht ansieht ; ich glaube aber umgekehrt, daß die Kunst verhüllen soll.’ »
Pp, S. 566) La mise en perspective ne signifie pas forcément une mise en ques-
tion du propos.
36 En accord avec ce refus de l’abject, on trouve une critique du pessimisme : lui
non plus n’aurait pas sa place dans l’art ; Fontane introduit donc des exigences
philosophiques, éthiques dans son programme esthétique. Il ne semble pas se
rendre compte que son verdict – « apôtres de la désolation » (« Trost-
losigkeitsapostel ») – condamne une grande partie de la littérature du XIXe siècle,
voire de la littérature tout court (de la tragédie grecque au Werther) ; même un
interprète bienveillant risque de perdre patience face à ce genre de jugement
partial et myope. Cf. « Arbeiter », WSB III.i, pp. 528 sq.
392 La Lutte des paradigmes
37 « Die Sache ist gar nicht so dumm ; ich bestreite nicht, daß er in der Mehrzahl
der Fälle Recht hat. Aber all das ist keine Aufgabe für die Kunst. Die Kunst muß
das Entgegengesetzte vertreten, versichern. Und wer das nicht kann, muß
schweigen. » Cf. « Émile Zola », WSB III.i, pp. 538 sq.
38 « In gewissem Sinne, wenigstens nach der Moral-Seite hin, verlangen wir
Durchschnittsmenschen, die nur durch eine besondre Verkettung von Umständen
in « Ausnahmefälle » hineingeraten. […] Darstellungen, die durchweg einen
« Ausnahmefall » zeigen, in denen uns alles fremd berührt, Charakter wie Tat,
gehören nicht in die Kunst. Ihnen gegenüber fällt unsre « Mitleidenschaft » fort :
das absolute Gute und Böse läßt uns kalt, weil es nicht mehr menschlich ist. »
Ibid., p. 547.
Les prédecesseurs français 393
39 « Man glaubt nicht dran. » Ibid., p. 549. Il parle d’une « faute fondamentale de la
production zolienne » (« Grundfehler der Zolaschen Produktion »).
40 Cette idée de la vraisemblance présuppose à son tour une idée normative de la
réalité sociale. Le fond social et éthique de l’esthétique de Fontane est limité et
problématique : « La tâche du roman moderne est, il me semble, de représenter
une vie, une société, un groupe d’hommes, qui est un reflet fidèle de la vie que
nous vivons. » (« Aufgabe des modernen Romans scheint mir zu sein, ein Leben,
eine Gesellschaft, einen Kreis von Menschen zu schildern, der ein unverzerrtes
Wiederspiel d e s Lebens ist, das wir führen. ») Critique du roman de Paul Lin-
dau, Der Zug nach dem Westen, cité d’après : Aus dem Nachlaß von Theodor
Fontane, éd. Josef Ettlinger, Berlin, F. Fontane, 1908, pp. 268-271, ici p. 269.
41 Cf. Chevrel, « Fontane lecteur de Zola », p. 54. Au fond, Fontane partage cet
avis, car il admet que le public acclame les pièces d’Ibsen, et délaisse les pièces
classiques ; apparemment il n’a pas voulu l’appliquer au roman. Cf. sa critique à
propos de Gespenster d’Ibsen (Les Revenants, 1881), dans WSB III.ii, pp. 806-
811, ici p. 809.
42 « Fehler in der Tendenz (Große Kunstwerke müssen tendenzlos sein). » Cf.
« Émile Zola », WSB III.i, p. 540.
43 Cette différence renvoie à celle entre les historiographies impartiales en Alle-
magne et en France ; cf. ci-dessus, « Prélude en histoire des sciences ».
394 La Lutte des paradigmes
but n’est pas le même non plus : maintenir en suspens entre les diffé-
rentes positions sociales, politiques et morales, cela implique chez
Flaubert de mettre à nu permanente des idées reçues, c’est-à-dire de
dévaloriser systématiquement toute opinion, voire l’espace social dans
son ensemble ; cette vision pessimiste n’est adoucie que par la possi-
bilité d’une représentation esthétiquement objective du monde. Fon-
tane, au contraire, suspend les contradictions dans une synthèse idéale
qui n’est plus critique : la critique de Fontane a lieu à l’intérieur de
l’espace social et discursif, elle ne le met pas en question en tant que
tel44.
L’aspiration à l’équilibre, à l’harmonie a été désignée par la
conception suggestive mais imprécise de la « transfiguration », de
la « sublimation » (« Verklärung »), implicitement contenue dans le
« verklärende Schönheitsschleier » – c’est le théorème central du poe-
tischer Realismus, du réalisme poétique (contrastant ainsi avec le
‘prosaischer Realismus’, imputé aux auteurs français)45 :
Le réalisme ne cherche pas que le seul monde sensuel ; ce qu’il
cherche le moins, c’est ce qui n’est que palpable, mais ce qu’il veut,
c’est le Vrai.46
On comprend mal le réalisme si l’on croit qu’il est à tout jamais marié
à la laideur ; il ne deviendra authentique que s’il épouse au contraire
la beauté et qu’ il aura transfiguré la laideur accidentelle, qui fait in-
44 C’est la conclusion de Warning ; cf. « Flaubert et Fontane », pp. 225 et 236 sq.
En guise de contraste, Warning souligne le « contre-discours ironique »
(« ironischer Konterdiskurs ») de Flaubert (p. 226) ; c’est l’argument typique du
courant de la critique flaubertienne qui interprète l’œuvre surtout comme une
critique linguistique (et par là sociale). L’insistance sur le caractère non référen-
tiel me semble exagérée, les analyses précédentes l’impliquent bien ; cf. aussi ci-
dessous, III. Irrungen, Wirrungen, chap. 5.
45 Cf. l’opposition explicite dans l’écrit programmatique Unsere lyrische und
epische Poesie seit 1848, pp. 237, 241, 242 etc. Dans ce contexte, il faut insister
sur la valorisation évidente de la poésie : on lui attribue une plus grande puis-
sance littéraire. Bernd renvoie à un fait unique : tous les grands réalistes alle-
mands écrivent des vers – en Europe, ils sont les seuls à le faire (« The Emer-
gence of Poetischer Realismus as a Term of Literary Criticism in Germany »,
p. 231). En fin de compte, Flaubert est surtout un écrivain qui tente de surmonter
ses tendances poétiques, romantiques. Il en résulte une valorisation de la prose,
justifiée par l’assimilation des qualités lyriques du langage poétique.
46 « Der Realismus will nicht die bloße Sinnenwelt und nichts als diese ; er will am
allerwenigsten das bloß Handgreifliche, aber er will das Wahre. » Unsere ly-
rische und epische Poesie seit 1848, WSB III.i, p. 242.
Les prédecesseurs français 395
47 « Der Realismus wird ganz falsch aufgefaßt, wenn man von ihm annimmt, er sei
mit der Häßlichkeit ein für allemal vermählt ; er wird erst ganz echt sein, wenn er
sich umgekehrt mit der Schönheit vermählt und das nebenherlaufende Häßliche,
das nun mal zum Leben gehört, verklärt hat. Wie und wodurch ? das ist seine Sa-
che zu finden ; der beste Weg ist der des Humors. » Lettre à Friedrich Stephany
du 10 octobre 1889, WSB IV.iii, pp. 728-730, ici p. 729 ; je souligne. Cf. égale-
ment les lettres à Ernst von Wolzogen du 7 janvier 1891, WSB IV.iv, p. 82 ; et à
Friedrich Spielhagen du 16 févier 1897, WSB IV.iv, p. 636.
48 « Das Wort Verklärung stammt ja aus der religiösen Sphäre und übersetzt das
lateinische transfiguratio, also die biblische Vokabel für die verwandelte
Erscheinung Christi auf dem Berge Tabor. » Cf. « Voraussetzungen des poe-
tischen Realismus in der deutschen Erzählkunst des 19. Jahrhunderts », p. 201.
49 C’est accorder bien peu de valeur aux qualités littéraires de l’œuvre de Zola !
50 « Verklärung meint demnach eine Schreibweise, die den Unterschied zwischen
dem vom Leben gestellten Bilde und dem dichterischen Gebilde nicht verwischt,
sondern verbürgt, eine Schreibweise, in der Darstellung mehr als Nachbildung
oder Bestandsaufnahme, in der sie Grund und Ursprung einer Wirklichkeit ist. »
Preisendanz, « Voraussetzungen des poetischen Realismus in der deutschen Er-
zählkunst des 19. Jahrhunderts », p. 202.
396 La Lutte des paradigmes
60 Cf. surtout EB, p. 619/pp. 66 sq. : le coup d’État de Napoléon III semble dater
d’une génération environ. Dans ce cas de figure, l’histoire commence en 1881 ou
en 1882, et elle durera jusqu’en 1894. Il y a bon nombre d’indices, la conseillère
Zwicker e.g., qui paraît sept ans après le début de l’histoire, a lu Nana (paru en
1880 en France, et en 1881 en Allemagne). Cependant, c’est surtout le modèle
réel, c’est-à-dire l’affaire Ardenne, qui indique le cadre (cf. la suite).
« Effi Briest » 401
Pendant les trois années qui suivent, Effi vit seule avec sa servante
Roswitha à Berlin, elle est socialement proscrite la solitude et la ma-
ladie la font souffrir ; sa fille vit avec son père, elle devient une étran-
gère pour Effi. Les parents d’Effi lui donnent ce que lui est nécessaire
à la subsistance, mais refusent de la voir (chap. 32 et 33).
Alarmé par le mauvais état de santé de la jeune femme, le médecin
berlinois de la famille contacte les parents Briest et leur conseille
d’accueillir leur fille. Effi, qui souffre d’une maladie des poumons et
des nerfs, passe alors sa dernière année à Hohen-Cremmen, le lieu de
son enfance ; mais elle ne guérit pas. Elle meurt donc en très jeune
âge61 des suites d’une maladie pulmonaire (chap. 34 à 36). Voilà les
étapes principales de l’histoire ; elle est conçue selon le modèle d’un
incident survenu dans la société berlinoise, l’affaire Ardenne (en
1886)62.
On peut d’ores et déjà constater que le noyau des événements
consiste en une transgression sociale : Effi viole le précepte de la fi-
délité conjugale, elle en est punie par le divorce et la proscription so-
ciale. Le roman ne présente pas des mondes sociaux différents, telles
les œuvres de Zola et (dans une moindre mesure) celles de Flaubert,
mais il se concentre sur une couche sociale, le beau monde de la so-
ciété prussienne, et, à l’intérieur de ce cadre, il s’intéresse à un destin
singulier63. Avant l’exposition du sujet principal, une description des
personnages, de leur situation et de leur milieu s’impose.
Effi est, nous l’avons dit, une jeune femme, presque une enfant.
Elle se tient « comme l’image même de la vie dans toute sa fraî-
cheur » (« wie ein Bild frischesten Lebens » ; EB, pp. 574 sq./p. 17),
elle est pleine d’ « [e]xubérance et [de] grâce », mais ses yeux trahis-
sent aussi « un esprit naturellement très éveillé, une grande joie de
vivre et une grande bonté de cœur » 64 ; elle est d’une gaieté enfantine
(EB, p. 576/p. 19). Le terme qui résume tous ces aspects est d’une
importance primordiale : Effi est, d’après sa mère, « ‘une enfant de la
nature’ » (« ‘Naturkind’ » ; EB, p. 593/p. 37), car son ingénuité est un
gage de son authenticité (au moins initialement). Ces attributs positifs,
et quelque peu stéréotypés, sont complétés par d’autres caractéristi-
ques plus troubles. Effi représente « ‘un mélange tout à fait particu-
lier’ » (« ‘ein ganz eigenes Gemisch’ » ; EB, p. 594/p. 38), un mé-
lange de sentiments et de passions difficile à saisir : d’un côté, elle a
une idée prosaïque du mariage et du sexe opposé. Elle justifie son
choix d’Innstetten de la manière suivante : « ‘Chaque homme est celui
qu’il me faut. Naturellement, il doit être noble, disposer d’une situa-
tion et avoir belle allure.’ » 65 Ces mots prononcés tout au début du
roman prouvent peut-être surtout qu’Effi imite les idées de ses pa-
rents, qu’elle manque de notions propres. Mais celles qu’elle déve-
loppe par la suite n’en diffèrent pas : son cousin Dagobert von Briest –
un jeune homme bien né, lieutenant du régiment d’Alexandre berli-
nois (EB, pp. 579 sq./p. 23), bref : une véritable alternative à Inn-
stetten – lui paraît de peu d’intérêt ; il serait trop « ‘dalbrig’ », c’est-à-
dire trop folâtre, trop puéril (EB, p. 724/p. 181). Les idées de l’héroïne
semblent provenir de ses lectures, et ne correspondraient pas à sa vraie
nature, telle est la conclusion de la mère (EB, p. 595/p. 39). En même
temps, Effi vit dans un monde imaginaire, ses notions de la réalité
sont plutôt approximatives. Ainsi, elle fait preuve d’un certain roman-
tisme à propos de la vie conjugale, elle souhaite ajouter un paravent
japonais et une lampe tamisée à son trousseau (EB, pp. 586 sq./
pp. 30 sq.).
À plusieurs égards, ses dispositions sont pourtant tout sauf univo-
ques. D’un « naturel sincère et franc » (« von Natur frei und offen »),
elle emploie facilement la dissimulation et agit en secret, tout en
jouant la comédie en public (EB, p. 714/p. 169). Le caractère mani-
feste de son ambition, sa prétention sociale66 s’opposent à sa manière
enfantine et à l’exclusivité de son attachement à la maison parentale,
64 « Übermut und Grazie », et « natürliche Klugheit und viel Lebenslust und Her-
zensgüte » (EB, p. 566/p. 8 ; cf. également p. 755/p. 215)
65 « ‘Jeder ist der Richtige. Natürlich muß er von Adel sein und eine Stellung haben
und gut aussehen.’ » (EB, p. 577/p. 20 ; cf. également p. 580/p. 23)
66 Cf. e.g. EB, pp. 588, 595, 617, 630, 634, etc. /pp. 32, 40, 64, 78, 82, etc.
« Effi Briest » 403
67 Cf. les remarques inquiètes de son père à propos de la femme de 25 ans qui
semble toujours préférer la maison parentale à celle où elle habite avec son mari
et sa fille (EB, p. 754/p. 214).
68 Cf. EB, pp. 624, 626, 664sq., 745/pp. 71, 73f., 98f., 115, 214.
69 « Aber wiewohl sie starker Empfindungen fähig war, so war sie doch keine
starke Natur ; ihr fehlte die Nachhaltigkeit, und alle guten Anwandlungen gingen
wieder vorüber. So trieb sie denn weiter, heute, weil sie’s nicht ändern konnte,
morgen, weil sie’s nicht ändern wollte. Das Verbotene, das Geheimnisvolle hatte
seine Macht über sie. » (EB, p. 714/p. 169 [trad. mod.])
404 La Lutte des paradigmes
70 « ‘Sie läßt sich gern treiben, und wenn die Welle gut ist, dann ist sie auch selber
gut. Kampf und Widerstand sind nicht ihre Sache.’ » (EB, 756/p. 216) Cf. égale-
ment EB, p. 755/p. 215.
71 Il le fait comprendre à Effi : « ‘Tu es une charmante petite femme, mais la fer-
meté n’est pas précisément ton fort.’ » (« ‘Du bist eine reizende kleine Frau, aber
Festigkeit ist nicht eben deine Spezialität.’ » ; EB, p. 709/p. 164 ; cf. également
p. 765/p. 225)
72 Cf. l’article précis de Rollins qui exprime un jugement esthétique tout à fait
juste ; « Madame Bovary et Effi Briest : du symbole au mythe », surtout
pp. 117 sq.
73 Fontane désigne ce penchant par le terme ‘das Aparte’, du français ‘ce qui est à
part’ ; la traduction française ne reprend pas toujours cette formule (cf. EB,
pp. 581, 595 sq., 638/pp. 24, 40, 87).
« Effi Briest » 405
74 « ‘Aber hüte dich vor dem Aparten oder was man so das Aparte nennt. Was dir
so verlockend erscheint […], das bezahlt man in der Regel mit seinem Glück.’ »
(EB, p. 638/p. 87)
75 « […] sie hatte es nicht sein können, nun war es statt ihrer die Tochter – alles in
allem ebensogut oder vielleicht noch besser. Denn mit Briest ließ sich leben,
trotzdem er ein wenig prosaisch war und dann und wann einen kleinen frivolen
Zug hatte. » (EB, p. 576/p. 19).
406 La Lutte des paradigmes
80 Cf. surtout EB, pp. 618-621, 665-667, 697 et 710/pp. 65-68, 116 sq., 150 et 165.
« Effi Briest » 409
81 On peut bien évidemment avancer des motifs personnels de l’auteur, Fontane est
lui-même pharmacien. Au-delà de ce fait, la comparaison des deux personnages
est tout à fait intéressante ; cf. l’étude de Buck, « Zwei Apotheker-Figuren in
Madame Bovary und Effi Briest. Anmerkungen zur realistischen Schreibweise
bei Flaubert und Fontane ». Dans son introduction, Buck résume d’autres res-
semblances entre les deux romans, comme la référence aux événements réels,
actuels, le mélange entre prise de distance et identification par rapport au person-
nage principal, mais aussi la forme de publication (des journaux à grand tirage) ;
pp. 34-36, surtout p. 36.
410 La Lutte des paradigmes
82 « ‘Er ist freilich älter als du, was alles in allem ein Glück ist, dazu ein Mann von
Charakter, von Stellung und guten Sitten, und wenn du nicht ‘nein’ sagst, was ich
mir von meiner klugen Effi kaum denken kann, so stehst du mit zwanzig Jahren
da, wo andere mit vierzig stehen. Du wirst deine Mama weit überholen.’ » (EB,
p. 575/p. 18) Socialement, le mariage est en effet une réussite : c’est la réaction
jalouse de Mme Niemeyer, la mère d’une amie, qui en donne la preuve (EB,
p. 577/p. 20).
83 Effi montre une aversion prononcée quand Innstetten veut faire renaître les sou-
venirs du voyage (EB, p. 690 sq./p. 143).
84 « ‘Nur einen Kuß könntest du mir geben. Aber daran denkst du nicht. Auf dem
ganzen weiten Wege nicht gerührt, frostig wie ein Schneemann. Und immer nur
die Zigarre.’ » (EB, pp. 620 sq./p. 67)
« Effi Briest » 411
87 EB, p. 671/p. 122 sq. Innstetten s’enflamme de temps à autre pour sa femme, il
est touché par son charme quand elle joue du théâtre (EB, p. 692/p. 145). Il n’est
pas complètement dépourvu d’amour ou de désir – mais les passions (amoureu-
ses et autres) jouent un rôle subordonné pour lui.
88 Fontane rapproche son roman de celui de Flaubert en créant une cohérence de
détail ; tout comme Emma, Effi n’a qu’un enfant, une fille.
89 C’est le constat rétrospectif d’Effi (EB, p. 758/p. 218).
90 Après le divorce, Innstetten fait son autocritique ; il reconnaît lui-même son
« ‘pédantisme pédagogique’ » (« ‘mein Schulmeistertum’ » ; EB, p. 822/p. 287).
91 Une comédie d’Ernst Wichert (1872) dont Fontane a vu la première ; cf. sa criti-
que WSB III.ii, pp. 95-98. En dépit du titre et du contexte, il ne s’agit pas d’une
pièce sur l’infidélité conjugale, mais d’une comédie à confusion dont le person-
nage principal, Ella von Schmettwitz, est joué par Effi. Cf. également la note
dans l’édition allemande (EB, note de p. 144, p. 745).
« Effi Briest » 413
92 « Effi war wie elektrisiert ; was wollten Padua, Vicenza daneben bedeuten ! Effi
war nicht für Aufgewärmtheiten ; Frisches war es, wonach sie sich sehnte,
Wechsel der Dinge. » (EB, p. 691/p. 144 ; je souligne)
93 Il respecte le retrait d’Effi – car il est sûr de sa conquête : « Et il était assez
intelligent et connaissait assez les femmes pour ne pas contrarier le cours naturel
des choses qu’il ne connaissait que trop bien d’expérience. » (« Und er war klug
und Frauenkenner genug, um den natürlichen Entwicklungsgang, den er nach
seinen Erfahrungen nur zu gut kannte, nicht zu stören. » ; EB, p. 692/p. 145)
94 « Von Crampas war kein Weihnachtsgruß eingetroffen ; eigentlich war es ihr
lieb, aber auch wieder nicht, seine Huldigungen erfüllten sie mit einem gewissen
Bangen, und seine Gleichgültigkeiten verstimmten sie ; sie sah ein, es war nicht
alles so, wie’s sein sollte. » (EB, pp. 694 sq./p. 148)
414 La Lutte des paradigmes
sans difficulté (grâce aux roues plus élevées) ; prenant la place désor-
mais vide à côté d’Effi, Crampas s’impose comme compagnie. Inn-
stetten, qui se met en tête de colonne, décide de prendre un détour et
dirige les véhicules vers la forêt. Cette décision scelle la perte d’Effi :
Effi tressaillit. Jusqu’alors, elle avait été entourée d’air et de lumière,
mais, maintenant, c’était terminé, les sombres cimes des arbres fer-
maient leur voûte au-dessus d’elle. Un tremblement l’envahit, et elle
se croisa les doigts très fort, afin de se donner une contenance. Une
cavalcade de pensées et d’images se déchaîna dans son esprit, et l’une
de ces images, c’était la petite vieille du poème qui avait pour titre le
Rempart de Dieu, et alors elle se mit à prier Dieu, comme cette petite
vieille, qu’il veuille élever autour d’elle un mur protecteur. À deux,
trois reprises, cette prière lui monta bien aux lèvres, mais, d’un seul
coup, elle sentit que ce n’étaient là que paroles mortes. Elle avait peur,
mais, en même temps, elle se trouvait comme sous l’empire d’un pou-
voir magique et ne voulait pas non plus en sortir.
« Effi », son nom, à peine soufflé, effleura son oreille, et elle entendit
trembler la voix. Puis il prit sa main, dénoua les doigts qu’elle tenait
toujours serrés et les couvrit de baisers brûlants. Elle eut la sensation
de s’évanouir.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, ils avaient quitté la forêt et, à peu de dis-
tance devant elle, elle entendait les grelots des traîneaux filant de-
vant.95
95 « Effi schrak zusammen. Bis dahin waren Luft und Licht um sie her gewesen,
aber jetzt war es damit vorbei, und die dunklen Kronen wölbten sich über ihr.
Ein Zittern überkam sie, und sie schob die Finger fest ineinander, um sich einen
Halt zu geben. Gedanken und Bilder jagten sich, und eines dieser Bilder war das
Mütterchen in dem Gedichte, das die « Gottesmauer » hieß, und wie das Mütter-
chen, so betete auch sie jetzt, daß Gott eine Mauer um sie her bauen möge. Zwei,
drei Male kam es auch über ihre Lippen, aber mit einemmal fühlte sie, daß es tote
Worte waren. Sie fürchtete sich und war doch zugleich wie in einem Zauberbann
und wollte auch nicht heraus. / ‘Effi’, klang es jetzt leis an ihr Ohr, und sie hörte,
daß seine Stimme zitterte. Dann nahm er ihre Hand und löste die Finger, die sie
noch immer geschlossen hielt, und überdeckte sie mit heißen Küssen. Es war ihr,
als wandle sie eine Ohnmacht an. / Als sie die Augen wieder öffnete, war man
aus dem Walde heraus, und in geringer Entfernung vor sich hörte sie das Geläut
der vorauseilenden Schlitten. » (EB, p. 707/pp. 161 sq. ; je souligne)
« Effi Briest » 415
le Schloon (EB, pp. 707 sq./p. 162)96. La forêt symbolise l’entrée dans
le monde obscur de la jouissance, mais également de l’adultère. Inn-
stetten, toujours sans véritablement prêter attention à sa femme, l’y
conduit au sens propre et figuré du terme. Cependant, la forêt dépasse
ces significations traditionnelles, elle est à double codage : elle est à
prendre dans un sens symbolique, mais elle influe aussi réellement sur
l’esprit et le comportement d’Effi. Au moment où il n’y a plus le mi-
lieu ambiant de ‘l’air et de la lumière’, elle devient une victime des
envies qu’elle aurait contrôlées plus facilement dans d’autres circons-
tances. Au-delà du motif classique de la situation exceptionnelle, fa-
vorable aux comportements transgressifs, Fontane expose l’influence
qu’exerce le milieu sur les actions – voire la force initiatrice.
On trouve un motif similaire dans L’Adultera (1882), l’atmosphère
d’une serre favorise le rapprochement entre Melanie van der Straaten
et son futur amant Ebenezer Rubehn :
C’était vraiment une tonnelle, bien fermée et partout aux arcs-
doubleaux de la voûte s’enlaçaient des orchidées qui emplissaient
toute la coupole de leur parfum. L’air était exquis mais lourd dans
cette tonnelle feuillue ; c’était comme si des centaines de mystères se
dévoilaient et Mélanie crut s’évanouir dans la griserie de ce parfum.
Elle était de ces natures assujetties aux impressions extérieures, à
l’air, à la lumière, qui ont besoin de fraîcheur pour être fraîches elles-
mêmes. […] cet air lascif et déliquescent la rendit elle-même lascive
et déliquescente et l’armure de son esprit se détendit, se relâcha et
tomba.
[…]
Et alors elle voulut se lever. Mais il ne le lui permit pas, s’agenouilla
et la retint, et ils murmurèrent des mots aussi ardents et tendres que
l’air qu’ils respiraient.97
96 L’eau a un rôle primordial dans le roman ; il ne peut être expliqué en détail dans
le présent travail. Effi est souvent proche de l’eau, ici où dans la maison de ses
parents. L’eau symbolise son élément, Effi s’apparente à Mélusine, la sirène qui
épouse un homme sans trouver le bonheur (pendant le voyage en traîneau, Effi
croit entendre un chant de sirène ; EB, p. 703/p. 157). Mais l’eau signifie égale-
ment la puissance qui dissout l’ordre social ; cf. ci-dessous, III. Irrungen, Wir-
rungen, chap. 3 ; et Glaser, « Theodor Fontane : Effi Briest (1894). Im Hinblick
auf Emma Bovary und andere », pp. 372 sq.
97 « Wirklich, es war eine phantastisch aus Blattkronen gebildete Laube, fest
geschlossen, und überall an den Gurten und Ribben der Wölbung hin rankten
sich Orchideen, die die ganze Kuppel mit ihrem Duft erfüllten. Es atmete sich
wonnig, aber schwer in dieser dichten Laube ; dabei war es, als ob hundert Ge-
heimnisse sprächen, und Melanie fühlte, wie dieser berauschende Duft ihre Ner-
416 La Lutte des paradigmes
ven hinschwinden machte. Sie zählte jenen von äußeren Eindrücken, von Luft und
Licht abhängigen Naturen zu, die der Frische bedürfen, um selber frisch zu sein.
[…] diese weiche, schlaffe Luft machte sie selber weich und schlaff, und die
Rüstung ihres Geistes lockerte sich und löste sich und fiel. / […] / Und nun
wollte sie sich erheben. Aber er litt es nicht und kniete nieder und hielt sie fest,
und sie flüsterten Worte, so heiß und süß wie die Luft, die sie atmeten. » (Ad,
pp. 115 sq./p. 82 ; je souligne)
98 Isabel Nottinger souligne également la détermination du comportement dans son
analyse de la scène dans la serre : « Mais pour que l’adultère à proprement parler
puisse avoir lieu, le concours de circonstances spécifiques est nécessaire : la serre
remplit ces conditions. » (« Zum eigentlichen Ehebruch bedarf es aber besonde-
rer Umstände, die das Treibhaus liefert. ») Fontanes Fin de Siècle. Motive der
Dekadenz in L’Adultera, Cécile und Der Stechlin, Würzburg, Königshausen et
Neumann, 2003, pp. 162-166, ici p. 164. Son analyse comprend également le
motif de la serre dans la littérature de la décadence.
99 Fontane le dit dans une lettre : « Je ne peux admettre qu’on me reproche d’avoir
laissé un doute concernant cette affaire, j’évite bien évidemment les fameuses
‘descriptions’ (le comble du mauvais goût), mais tout est dit par la lettre d’Effi à
Cramaps et les trois billets de Crampas à Effi. » (« Daß ich die Sache im Unkla-
ren gelassen hätte, kann ich nicht zugeben, die berühmten ‘Schilderungen’ [der
Gipfel der Geschmacklosigkeit] vermeide ich freilich, aber Effis Brief an Cram-
pas und die mitgetheilten 3 Zettel von Crampas an Effi, die sagen doch alles. »)
À un inconnu, 12 juin 1895, WSB IV.iv, pp. 454 sq., ici p. 455.
« Effi Briest » 417
apprend qu’elle a dû voir son amant dans une maison « située entre le
cimetière et le coin du bois » (« zwischen dem Kirchhof und der
Waldecke » ; EB, p. 732/p. 190). Fontane observe une discrétion com-
plètement étrangère à ses prédécesseurs français.
Innstetten fait un voyage à Berlin et apprend sa promotion. Le
soulagement d’Effi est alors indescriptible :
Effi ne dit mot, mais ses yeux se dilatèrent de plus en plus ; un tic ner-
veux se mit à jouer autour des commissures de ses lèvres, et un tres-
saillement s’empara de son frêle corps tout entier. Brusquement, de sa
place, elle glissa aux pieds d’Innstetten, s’agrippant à ses genoux et,
comme sur un ton de prière, elle articula : « Dieux soit loué ! »100
100 « Effi sagte kein Wort, und nur ihre Augen wurden immer größer ; um ihre
Mundwinkel war ein nervöses Zucken, und ihr ganzer zarter Körper zitterte. Mit
einem Male aber glitt sie von ihrem Sitze vor Innstetten nieder, umklammerte
seine Knie und sagte in einem Tone, wie wenn sie betete : ‘Gott sei Dank !’ »
(EB, p. 725/p. 182)
101 Innstetten arrive à Berlin le 28 mars, cinq semaines après Effi (EB, pp. 743 sq.,
747/pp. 201 sq., 205 sq.). Elle a dû quitter Kessin à la fin du mois de février, et sa
relation avec Crampas a commencé dans les derniers jours de décembre – elle n’a
duré que deux mois.
102 Elle commente la mort de son amant lors du duel avec les mots stéréotypés « ‘le
pauvre Crampas’ » (« ‘der arme Crampas’ » ; EB, pp. 805, 828/pp. 269, 294 ;
dans la traduction il y a d’abord le terme « pauvre », et à la deuxième occurrence,
le terme « malheureux »), ce qui n’indique pas une grande passion. Le mot
‘amour’, ou ses synonymes, ne se trouvent nulle part. C’est bien la différence
entre Effi et Melanie van der Straaten (L’Adultera).
103 « Es ging aber doch weiter so, die Kugel war im Rollen, und was an einem Tage
geschah, machte das Tun des andern zur Notwendigkeit. » (EB, p. 714/p. 170)
418 La Lutte des paradigmes
104 « Oben standen die den Tag vorher eingetroffenen Sachen noch bunt durcheinan-
der, aber es störte sie nicht, und als sie auf den breiten, aufgemauerten Balkon
hinaustrat, lag jenseits der Kanalbrücke der Tiergarten vor ihr, dessen Bäume
schon überall einen grünen Schimmer zeigten. Darüber aber ein klarer blauer
Himmel und eine lachende Sonne. / Sie zitterte vor Erregung und atmete hoch
auf. Dann trat sie, vom Balkon her, wieder über die Türschwelle zurück, erhob
den Blick und faltete die Hände. / ‘Nun, mit Gott, ein neues Leben ! Es soll an-
ders werden.’ » (EB, p. 744/pp. 202 sq. ; je souligne)
105 Cf. EB, chap. 25 (pp. 759-764/pp. 220-224).
106 Cf. Küpper, « Mimesis und Botschaft bei Flaubert », pp. 186-196.
« Effi Briest » 419
107 Selon l’avis de l’époque, le culte de la déesse Hertha, associée à Nerthus (déjà
mentionnée chez Tacite), consistait en un lavage de sa statue dans les eaux du
lac. Le rite accompli, on tuait les personnes qui avaient fait le lavage.
108 « Der von hohen Bäumen umstandene See lag ganz in der Nähe, Binsen säumten
ihn ein, und auf der stillen, schwarzen Wasserfläche schwammen zahlreiche
Mummeln. » (EB, p. 751/p. 211)
109 C’était au moins l’opinion répandue du temps de Fontane ; Rudolf Simek juge
indéfendable l’idée de faire de Hertha une « Erdmutter », de l’associer à Nerthus
et de voir dans le lac de Rügen le lieu des sacrifices ; cf. Lexikon der germa-
nischen Mythologie, Stuttgart, Kröner, 21995, entrée « (Hertha) ».
110 « Ces choses-là avaient existé une fois, mais loin, loin d’ici, quasiment sur une
autre planète, et tout se dissipa comme une fantasmagorie et se ramena à un
songe. » (« Es war einmal gewesen, aber weit, weit weg, wie auf einem andern
Stern, und alles löste sich wie ein Nebelbild und wurde Traum. » ; EB,
p. 762/p. 222)
420 La Lutte des paradigmes
bien par être révélé au grand jour. Et puis, outre l’angoisse… la honte.
J’ai honte. Mais de même que je ne ressens pas de repentir véritable,
je n’éprouve pas de honte véritable. J’ai honte, simplement, de ces
perpétuelles tromperies et tricheries […]. »111
111 « ‘Und habe die Schuld auf meiner Seele’, wiederholte sie. ‘Ja, da hab’ ich sie.
Aber lastet sie auch auf meiner Seele ? Nein. Und das ist es, warum ich vor mir
selbst erschrecke. Was da lastet, das ist etwas ganz anderes – Angst, Todesangst,
und die ewige Furcht : es kommt doch am Ende noch an den Tag. Und dann au-
ßer der Angst... Scham. Ich schäme mich. Aber wie ich nicht die rechte Reue
habe, so hab’ ich auch nicht die rechte Scham. Ich schäme mich bloß von wegen
dem ewigen Lug und Trug […]’ » (EB, p. 758/p. 219)
112 « Die Zwicker war keine Frau für Effi, der nun mal ein Zug innewohnte, sich
nach links hin treiben zu lassen ; er gab es aber auf, irgendwas in diesem Sinne
zu schreiben, einmal weil er sie nicht verstimmen wollte, mehr noch, weil er sich
sagte, daß es doch nichts helfen würde. » (EB, p. 765/p. 224)
« Effi Briest » 421
113 « ‘[…] und habe mich ganz ernsthaft in den Gedanken hineingelebt, er sei
schuld, weil er nüchtern und berechnend gewesen sei und zuletzt auch noch grau-
sam.’ » (EB, p. 828/pp. 293 sq.)
114 « ‘Und es liegt mir daran, daß er erfährt, wie mir hier in meinen Krankheitstagen
[…] klar geworden, daß er in allem recht gehandelt. In der Geschichte mit dem
armen Crampas – ja, was sollt’ er am Ende anders tun ? Und dann, womit er
mich am tiefsten verletzte, daß er mein eigen Kind in einer Art Abwehr gegen
mich erzogen hat, so hart es mir ankommt und so weh es mir tut, er hat auch da-
rin recht gehabt. […] Es wird ihn trösten, aufrichten, vielleicht versöhnen. Denn
er hatte viel Gutes in seiner Natur und war so edel, wie jemand sein kann, der
ohne rechte Liebe ist.’ » (EB, p. 828/p. 294)
422 La Lutte des paradigmes
115 Pendant l’affaire avec Léon, Emma vit dans l’idée de goûter au vrai bonheur
(MB, pp. 261 sq.). La relation avec Rodolphe ressemble un peu plus à celle entre
Effi et Crampas.
116 Melanie trompe son mari vieillissant avec Ebenezer Rubehn, elle le quitte même
(L’Adultera) ; Lene a une liaison avec le baron Botho, avant d’épouser un
homme plus âgé de son rang (Irrungen, Wirrungen) ; et Franziska trompe égale-
ment son mari bien plus âgé avec son neveu Egon (Graf Petöfy). À propos du
problème du mariage (car ici, le mariage semble en représenter un), Bonwit ren-
voie également à Ellernklipp, Cecile et Unwiederbringlich ; cf. « Effi Briest und
ihre Vorgängerinnen Emma Bovary und Nora Helmer », p. 445.
« Effi Briest » 423
117 À la fin du XIXe siècle, l’agriculture prussienne souffre d’importations bon mar-
ché de blé russe ; la revendication d’une taxe de protection est répandue – en ef-
fet, on y donnera suite. La part d’importations russes au marché total diminue de
24% en 1875 à 5% en 1885 ; cf. Hannsjoachim W. Koch, Geschichte Preußens,
trad. de l’anglais Joachim Heimannsberg et Ulrich Riemerschmidt, Munich, List,
1980, p. 387. Cette baisse est à imputer aux lois de 1879 (cf. EB, note de la
p. 193, p. 751).
118 « ‘Und Briest klagt auch. Die Preise gehen herunter, und er erzählt mir jeden
Tag, wenn nicht Schutzzölle kämen, so müss’ er mit einem Bettelsack von Ho-
hen-Cremmen abziehen. Du weißt, er übertreibt gern.’ » (EB, p. 736/p. 193)
119 Cf. également EB, pp. 813, 817/pp. 277 sq., 282.
120 Le narrateur résume la situation de la manière suivante : « Voilà le domicile des
Poggenpuhl, et ils fournissaient au monde entier la preuve que même dans un
grand dénuement, il suffisait d’avoir des convictions comme il faut, et certes
aussi la débrouillardise nécessaire, pour pouvoir vivre dans la satisfaction et
presque en conformité avec son rang […] ». (« So wohnten die Poggenpuhls und
gaben der Welt den Beweis, daß man auch in ganz kleinen Verhältnissen, wenn
424 La Lutte des paradigmes
man nur die rechte Gesinnung und dann freilich auch die nötige Geschicklichkeit
mitbringe, zufrieden und beinahe standesgemäß leben könne […] » ; Pp, p. 482)
121 Les mariages entre la noblesse et la bourgeoisie sont plus communs en Prusse
que dans le reste de l’Allemagne ; Koch, Geschichte Preußens, p. 392.
122 Thorel-Cailleteau souligne que cette carrière bourgeoise renferme une portée
critique implicite : elle se fait aux dépens de la vie maritale, car à Kessin elle
équivaut, pour Effi, à une vie souvent solitaire, en raison des déplacements de
son mari ; cf. « L’expérience intime de l’Histoire », pp. 28 sq.
123 « Denn so adelsstolz sie war, so war sie’s doch nur für ihre Person, und ein
eleganter und welterfahrener und vor allem sehr, sehr reicher Bankierschwieger-
sohn wäre durchaus nicht gegen ihre Wünsche gewesen. » (EB, p. 762/p. 223)
124 Plongée dans une situation d’indigence personnelle (et non sociale), Melanie de
Caparoux choisit cette option : elle épouse Ezechiel van der Straaten, homme de
finances et conseiller de commerce riche, mais bourgeois et sans manières (Ad,
pp. 7-10/pp. 7-9). Dans l’œuvre de Fontane, on trouve le sujet à plusieurs re-
prises, et de façon plus ou moins explicite.
125 Le roman raconte l’histoire de Hester Prynne. Avant le début du récit, situé au
XVIIe siècle, Hester est arrivée d’Angleterre, elle vit d’abord seule à Boston ; son
mari doit la rejoindre plus tard. Hester entretient une liaison avec le jeune révé-
« Effi Briest » 425
127 « ‘Innstetten, Ihre Lage ist furchtbar, und Ihr Lebensglück ist hin. Aber wenn Sie
den Liebhaber totschießen, ist Ihr Lebensglück sozusagen doppelt hin, und zu
dem Schmerz über empfangenes Leid kommt noch der Schmerz über getanes
Leid. Alles dreht sich um die Frage, müssen Sie’s durchaus tun ? Fühlen Sie sich
so verletzt, beleidigt, empört, daß einer weg muß, er oder Sie ? Steht es so ?’ »
(EB, p. 773/p. 234)
128 « ‘Es steht so, daß ich unendlich unglücklich bin ; ich bin gekränkt, schändlich
hintergangen, aber trotzdem, ich bin ohne jedes Gefühl von Haß oder gar von
Durst nach Rache. Und wenn ich mich frage, warum nicht ? so kann ich zunächst
nichts anderes finden als die Jahre. […] Und dann als zweites : ich liebe meine
Frau, ja, seltsam zu sagen, ich liebe sie noch, und so furchtbar ich alles finde, was
geschehen, ich bin so sehr im Bann ihrer Liebenswürdigkeit, eines ihr eignen
heiteren Charmes, daß ich mich, mir selbst zum Trotz, in meinem letzten Her-
zenswinkel zum Verzeihen geneigt fühle.’ » (EB, pp. 773 sq./p. 235 [trad. mod.])
« Effi Briest » 427
129 « ‘Weil es trotzdem sein muß. Ich habe mir’s hin und her überlegt. Man ist nicht
bloß ein einzelner Mensch, man gehört einem Ganzen an, und auf das Ganze ha-
ben wir beständig Rücksicht zu nehmen, wir sind durchaus abhängig von ihm.
Ging es, in Einsamkeit zu leben, so könnt’ ich es gehen lassen […]. […] Aber im
Zusammenleben mit den Menschen hat sich ein Etwas herausgebildet, das nun
mal da ist und nach dessen Paragraphen wir uns gewöhnt haben, alles zu beur-
teilen, die andern und uns selbst. Und dagegen zu verstoßen geht nicht ; die
Gesellschaft verachtet uns, und zuletzt tun wir es selbst und können es nicht aus-
halten und jagen uns die Kugel durch den Kopf. […] jenes, wenn Sie wollen, uns
tyrannisierende Gesellschafts-Etwas, das fragt nicht nach Charme und nicht nach
Liebe und nicht nach Verjährung. Ich habe keine Wahl. Ich muß.’ » (EB,
pp. 774/pp. 235 sq. ; je souligne)
130 « ‘Ich finde es furchtbar, daß Sie recht haben, aber Sie haben recht. […] Die
Welt ist einmal, wie sie ist, und die Dinge verlaufen nicht, wie wir wollen, son-
dern wie die andern wollen. Das mit dem ‘Gottesgericht’, wie manche hochtra-
bend versichern, ist freilich ein Unsinn, nichts davon, umgekehrt, unser Ehren-
kultus ist ein Götzendienst, aber wir müssen uns ihm unterwerfen, solange der
Götze gilt.’ » (EB, pp. 775 sq./p. 237)
428 La Lutte des paradigmes
131 Le terme n’a rien de fortuit, cela est prouvé par son emploi dans Schach von
Wuthenow, où il occupe une position clé (SchvW, pp. 679 sq.).
132 Le roman finit avec deux lettres complémentaires, à commencer par celle de
Bülow, un intellectuel prêchant la nécessité d’une reforme de la Prusse. Il expose
l’aspect extérieur de la notion d’honneur pour la critiquer comme dépendant uni-
quement de l’opinion publique ; Bülow en tire des conclusions sur la situation
générale en Prusse en 1806, le moment où se situe l’action du roman (SchvW,
pp. 678-680). La lettre de Victoire, en revanche, pointe l’aspect intérieur, subjec-
tif, elle expose l’incompatibilité du caractère de Schach avec le mariage (SchvW,
pp. 681-684). La seconde lettre relativise la première, mais elle ne peut prétendre
à une valeur absolue : l’épisode qui présente Schach en proie au doute (SchvW,
chap. 14) montre clairement que le héros est aussi poussé par des considérations
purement sociales qui lui suggèrent d’abandonner le mariage projeté.
« Effi Briest » 429
« Mais une voix intelligente, qui était celle de sa nature la plus propre
et la plus intime, ne cessait de lui dire qu’il luttait en vain, qu’il pou-
vait certes sortir vainqueur du combat qui l’opposait au reste du
monde, mais non de celui qui l’opposait à lui-même. Voilà à quoi il
était acculé. » 133
133 « ‘[…] aber eine kluge Stimme, die die Stimme seiner eigensten und innersten
Natur war, rief ihm beständig zu, daß er diesen Kampf umsonst kämpfen, und
daß er, wenn auch siegreich gegen die Welt, nicht siegreich gegen sich selber
sein würde. Das war es.’ » (SchvW, pp. 681 sq.) Ce renvoi à une conception in-
térieure de l’honneur est soutenu par l’épisode où Schach s’est retiré sur le do-
maine familial, confronté aux portraits de ses aïeuls (SchvW, pp. 650 sq.).
134 « ‘Solange wenigstens, wie dieser Duellunsinn noch existiert, darf dergleichen
nicht vorkommen ; einem kommenden Geschlechte kann diese Briefschreibe-
430 La Lutte des paradigmes
passion (weil dann gefahrlos geworden) vielleicht freigegeben werden. Aber so-
weit sind wird noch lange nicht.’ » (EB, p. 795/p. 258)
135 « Er erzählt nicht aus einem bestimmten Jahrhundert, kaum aus einem bestimm-
ten Lande, gewiß nicht aus ständisch gegliederten und deshalb sprachlich
verschiedenen Verhältnissen heraus, sondern hat für seine Darstellung eine im
wesentlichen sich gleichbleibende Märchensprache, an der alte und neue Zeit,
vornehm und gering gleichmäßig partizipieren. Historie, Kultur- und Sitten-
geschichte kümmern ihn nicht […]. […] wer aber die begangenen Fehler als sol-
che erkennt, zuckt mitunter zusammen und wird unwirsch, weil ihn die Unwahr-
heit der mit einer gewissen Prätention auftretenden Situationen verdrießt. » À
propos de Die Leute von Seldwyla (environ 1875), dans WSB III.i, pp. 493-496,
ici p. 494 ; je souligne.
136 « Walter Scott », ibid., pp. 385-404, ici pp. 387 et 392 sq.
137 « Noch einmal Ibsen und seine Gespenster », dans WSB III.ii, pp. 711-714, ici
p. 713.
138 « Unsere Zustände sind ein historisch Gewordenes, die wir als solche zu
respektieren haben. Man modle sie, wo sie der Modlung bedürfen, aber man
stülpe sie nicht um. » Ibid., p. 714. Dans Die Poggenpuhls, cette phrase se trouve
presque mot pour mot dans la bouche de la tante (un caractère à connotation po-
« Effi Briest » 431
sitive) : « ‘Ne dis pas cela, mon enfant’, observa la tante. ‘Cela te paraît drôle ;
mais ce que des siècles et des siècles ont contemplé avec sérieux et respect, j’y
vois toujours quelque chose qu’il faut respecter.’ » (« ‘Sage das nicht, Kind’,
bemerkte die Tante. ‘Dir erscheint es komisch ; aber was Jahrhunderte mit Ernst
und Achtung angeschaut haben, darin seh’ ich immer etwas, was man respektie-
ren muß.’ » ; Pp, p. 567)
139 Il est vrai que la vie culturelle et politique de la Prusse de cette époque est impré-
gnée des valeurs de la noblesse – reprises par la bourgeoisie ascendante. Bis-
marck l’y encourage vivement, afin d’éviter les bouleversements révolutionnai-
res ; cf. Koch, Geschichte Preußens, pp. 390-394, surtout pp. 393 sq. Koch
constate une « reféodalisation de la bureaucratie » (« Refeudalisierung der
Bürokratie » ; p. 394).
140 Le mot est tiré d’une lettre sur Schach von Wuthenow : « Le coloris d’une époque
ne sied pas à une autre ; les ambiances, les mœurs, tout avait changé. » (« Das
Colorit der einen Zeit paßt nicht für die andre ; Stimmungen, Anschauungen, al-
les hatte sich geändert. ») Fontane souligne le fait que l’histoire peut changer la
vie de l’individu en peu de temps, et ce « totalement » ; lettre à Mathilde von
Rohr du 11 août 1878, WSB IV.ii, p. 612.
141 Dans Schach von Wuthenow, l’authenticité historique est d’abord créée par les
personnages historiques – leurs mœurs jouent un rôle prépondérant, surtout la
sensibilité romantique. Les détails historiques, e.g. les plats du repas princier,
dont Flaubert aurait fait l’objet d’une reconstruction minutieuse, sont générale-
ment négligés (SchvW, chap. 6 et 7). En revanche, même le très conservateur
Bülow montre des états d’âme qui ne correspondent pas à son caractère guerrier :
« À son corps défendant, il était un enfant de son temps, il romantisait. »
(« Wider Wissen und Willen war er ein Kind seiner Zeit, und romantisierte. » ;
SchvW, p. 566)
142 « Alles ein Produkt der Zeit, ihrer Anschauungen, Eitelkeiten und Vorurtheile. »
Lettre à Julius Grosser du 31 janvier 1882, WSB IV.iii, pp. 175 sq., ici p. 176.
432 La Lutte des paradigmes
143 Fontane est peu compréhensif pour l’accueil négatif que le public réserve à Inn-
stetten ; il donne même partiellement raison à la position morale incarnée par
celui-ci. Ainsi, il écrit au critique littéraire Widmann : « Ce qui m’a particulière-
ment fait plaisir, c’est que vous ayez fait justice au pauvre Innstetten. Une dame
charmante, que j’aime et que je vénère particulièrement, me disait : ‘oui, Effi ;
mais Innstetten est un ‘personnage répugnant’.’ Et tout le monde voit les choses à
peu près de cette manière. L’écrivain que je suis n’a cure de savoir si le public
prend Innstetten, qui ne doit pas nécessairement plaire, pour un gaillard épatant
ou un ‘personnage répugnant’, mais la chose m’interpelle en tant qu’homme. Est-
ce lié à quelque chose de beau dans l’homme – et notamment dans le cœur des
femmes, ou bien cela montre-t-il où en est venu le sentiment moral, si bien que
tout le monde est content de rencontrer un ‘quelque chose’ qu’il n’avait juste pas
le courage de prendre sur ses propres épaules. » (« Was mich ganz besonders ge-
freut hat, ist, daß Sie dem armen Innstetten so schön gerecht werden. Eine rei-
zende Dame hier, die ich ganz besonders liebe und verehre, sagte mir : ‘ja, Effi ;
aber Innstetten ist ein ‘Ekel’.’ Und ähnlich urtheilen alle. Für den Schriftsteller in
mir kann es gleichgültig sein, ob Innstetten, der nicht nothwendig zu gefallen
braucht, als famoser Kerl oder als ‘Ekel’ empfunden wird, als Mensch aber
macht mich die Sache stutzig. Hängt das mit etwas Schönem im Menschen – und
namentlich im Frauenherzen zusammen, oder zeigt es, wie schwach es mit den
Moralitäten steht, so daß jeder froh ist, wenn er einem ‘Etwas’ begegnet, das er
nur nicht den Muth hatte, auf die eigenen Schultern zu nehmen. ») Lettre à Josef
Viktor Widmann du 19 novembre 1895, WSB IV.iv, p. 506. Fontane a écrit plu-
sieurs lettres affichant une opinion similaire.
144 Quant à la référence à un modèle, il suffira d’indiquer que L’Adultera est conçu
d’après un incident réel, l’affaire Ravené, et que les contemporains de Fontane
ont pu lire le texte comme un roman à clé (cf. le commentaire de l’édition alle-
mande à propos de la genèse de l’œuvre, Ad, pp. 825-828, ici p. 825).
« Effi Briest » 433
145 La banque de la famille Rubehn fait faillite sans que cet événement soit lié à la
relation entre Melanie et Rubehn (Ad, pp. 188-200, ici p. 189/pp. 131-140, ici
p. 132).
146 « Das war es, was doch schließlich den Ausschlag gab, und wenn vorher ihre
Neigung nur Neid und Zweifel geweckt hatte, so schlug jetzt die Stimmung in ihr
Gegenteil um. » (Ad, p. 195/p. 137)
147 En effet, Melanie constate : « ‘Tout n’est pas obligatoirement tragédie.’ » (« ‘Es
braucht nicht alles Tragödie zu sein.’ » ; Ad, p. 172/p. 119)
148 « ‘Die Gesellschaft ist unversöhnlich.’ / ‘Im Gegenteil. Zu Gerichte sitzen ist ihr
eigentlich unbequem. Sie weiß schon, warum. Und so wartet sie nur auf das Zei-
chen, um das große Hinrichtungsschwert wieder in die Scheide zu stecken.’ »
(Ad, p. 172/p. 119)
434 La Lutte des paradigmes
149 La future réussite financière du couple ne fait pas de doute, le récit est structuré
par le schéma péché / rédemption / pardon. Le ton optimiste, le bonheur final le
rapprochent du roman feuilleton. Ce jugement ne tient pas compte du fait que
Melanie perd la garde de ses enfants de premières noces. Mais premièrement, la
fin fait entrevoir un rapprochement possible avec son ancien mari, ce qui im-
plique aussi qu’elle pourra reprendre contact avec les enfants ; deuxièmement, la
perte semble peu importuner Melanie – sinon, la fin heureuse serait difficile à
maintenir. S’agit-il d’un cynisme profond, d’une froideur insoupçonnée ? Le ro-
man laisse le lecteur insatisfait sur ce point.
150 D’autant plus que les modèles des deux romans se ressemblent, concernant le
sort réservé à la relation entre le mari cocu et sa femme. On doit donc voir dans
la conception d’Effi Briest, le modèle est modifié de manière volontaire : Fontane
souligne la rigueur de la punition sociale. Cf. Glaser, « Theodor Fontane : Effi
Briest (1894). Im Hinblick auf Emma Bovary und andere », p. 364.
151 Cf., entre autres, EB, pp. 570, 619 sq., 668/pp. 13, 66 sq., 119; surtout
pp. 665 sq./pp. 116 sq.
« Effi Briest » 435
152 La critique n’a pas accordé beaucoup d’attention aux sujets de la maladie et de la
mort ; cf. le résumé dans Hiltrud Bontrup, « ... auch nur ein Bild » : Krankheit
und Tod in ausgewählten Texten Theodor Fontanes, Hambourg/Berlin, Argument
Verlag, 2000, pp. 9-12. (Bontrup elle-même n’analyse pas Effi Briest). Les sujets
sont très présents pourtant, et frappent surtout un lecteur habitué aux textes du ré-
alisme et du naturalisme français. C’est la raison pour laquelle ce chapitre, mais
aussi le chap. 6, combleront la lacune.
153 Il y a surtout un passage qui l’indique (EB, p. 632/p. 80) ; il sera cité in extenso à
la fin du chapitre.
154 À propos du développement de la discipline, cf. Bernardino Fantini, « La micro-
biologie médicale », dans Histoire de la pensée médicale en Occident, t. III,
pp. 115-146, ici p. 115.
436 La Lutte des paradigmes
158 « ‘Und wie gut du aussiehst ! Ein bißchen blaß und auch ein bißchen verändert,
aber es kleidet dich.’ » (EB, p. 723/p. 179)
159 Il est donc humide – on laissait d’habitude aux pauvres le soin d’‘essuyer les
plâtres’. Effi enfreint cette règle (EB, p. 738/p. 196).
160 « Aber so schön das alles war, auf Effis Gesundheit hin angesehen, war es doch
alles nur Schein, in Wahrheit ging die Krankheit weiter und zehrte still das Leben
auf. […] es [war] nicht die helle Jugend, sondern eine Verklärtheit […], was der
schlanken Erscheinung und den leuchtenden Augen diesen eigentümlichen Aus-
druck gab. » (EB, p. 814/pp. 278 sq. ; je souligne)
438 La Lutte des paradigmes
Effi s’en remet une fois encore, mais elle a un besoin grandissant
d’air (EB, p. 818/p. 283) ; elle entreprend des longues promenades. Le
soir, elle reste longtemps assise auprès de la fenêtre grande ouverte,
« la brise nocturne et le brouillard » (« Nachtluft und die Nebel ») la
rendent de nouveau malade – le pronostic est mauvais, elle s’approche
de la mort (EB, p. 826/p. 292). En effet, il lui reste à peine quelques
jours à vivre.
Remarquons que la tuberculose se complique d’un mal de nerfs.
Tout au long du roman, Effi présente des symptômes de nervosité162,
elle mentionne même une névralgie de son père (EB, p. 741/p. 199).
La maladie se déclare nettement après la visite décevante de sa fille,
puisque Effi perd conscience :
Rummschüttel, consulté, estima que l’état d’Effi n’était pas sans de-
voir inquiéter. Les symptômes d’Hectisie qu’il avait diagnostiqués sur
elle depuis bien longtemps déjà lui parurent plus marqués qu’autrefois
et, ce qui était plus grave, il y avait, en plus, les prodromes d’une af-
fection nerveuse.163
161 « ‘Mir gefällt das alles nicht ; sie nimmt sichtlich ab, und die roten Flecke und
der Glanz in den Augen, wenn sie mich mit einem Male so fragend ansieht. Was
meinen Sie ? Was wird ? Muß sie sterben ?’ » (EB, p. 817/p. 282)
162 Effi tremble quand elle voit Innstetten pour la première fois (EB, p. 575/p. 18),
lorsque Crampas la séduit (EB, p. 707/p. 161) et que Innstetten lui annonce le
déménagement à Berlin (EB, p. 725/p. 182). Elle souffre à Kessin : « ‘Tout me
portait sur les nerfs, là-bas’ » (« ‘Alles fiel mir da auf die Nerven.’ » ; EB,
p. 753/p. 213), une remarque a posteriori révélatrice. Elle vise surtout les bruits
nocturnes (EB, p. 608/p. 54) et la solitude lors des absences de son mari (EB,
p. 623/p. 71). Le jugement de Sidonie Grasenabb – Effi serait malade des nerfs –
n’est pas à prendre comme un jugement objectif (EB, p. 703/p. 157).
163 « Rummschüttel, als er gerufen wurde, fand Effis Zustand nicht unbedenklich.
Das Hektische, das er seit Jahr und Tag an ihr beobachtete, trat ihm ausgespro-
chener entgegen, und was schlimmer war, auch die ersten Zeichen eines Ner-
venleidens waren da. » (EB, p. 811/p. 275)
« Effi Briest » 439
Le médecin écrit donc aux parents : « ‘Ce mal ancien [la disposi-
tion phtisique ; N.B.] vient de se doubler d’un autre : ses nerfs se
consument.’ » 164 Mais la maladie prépondérante est la tuberculose ;
c’est elle qui cause la mort.
Quant à la dimension esthétique de la description pathologique,
elle est d’une discrétion remarquable, tout élément abject est omis.
Les symptômes décrits se limitent à la toux, à la fièvre, aux yeux bril-
lants et à la maigreur, une série de caractéristiques esthétiquement
neutres, voire positives (cf. la réaction d’Innstetten à propos des pre-
miers symptômes de sa femme) ; des symptômes tels le crachement de
sang, les accès violents de fièvre ou de sueur ne sont pas repris.
L’histoire du déclin pathologique intéresse à peine Fontane, c’est à
propos des derniers mots dédiés à la vie et au corps du personnage
qu’on s’en rend compte :
Cependant, à peine fut-elle sortie, qu’Effi se leva à son tour et s’assit à
la fenêtre ouverte pour respirer encore une fois à pleins poumons l’air
frais de la nuit. Les étoiles scintillaient ; dans le parc, pas une feuille
ne bougeait. Mais plus elle prêtait l’oreille, et plus nette lui semblait
cette fine musique de bruine perlant sur les platanes. Elle sentait
comme une délivrance envahir son être. « La paix, la paix. » 165
164 « ‘[…] zu diesem alten Übel [la disposition phtisique ; N.B.] hat sich nun ein
neues gesellt : ihre Nerven zehren sich auf.’ » (EB, p. 811/p. 276)
165 « Indessen kaum, daß sie fort war, erhob sich auch Effi und setzte sich an das
offene Fenster, um noch einmal die kühle Nachtluft einzusaugen. Die Sterne
flimmerten, und im Parke regte sich kein Blatt. Aber je länger sie hinaushorchte,
je deutlicher hörte sie wieder, daß es wie ein feines Rieseln auf die Platanen nie-
derfiel. Ein Gefühl der Befreiung überkam sie. ‘Ruhe, Ruhe.’ » (EB, p. 828/
p. 294)
166 Le motif de la fleur favorite d’Effi, portant le soleil dans son nom, se retrouve à
plusieurs reprises (cf. EB, pp. 585, 626, 758, 818, 829/pp. 29, 73 sq., 218, 283,
295).
167 La mort de Crampas, la seule à être directement décrite dans Effi Briest, est tout à
fait aseptique. Il tombe à terre, appelle Innstetten, tente vainement d’articuler une
phrase : « Il y eut encore une lueur douloureuse et pourtant presque amicale sur
son visage, et ce fut fini. » (« Noch ein schmerzlicher und doch beinah freundli-
440 La Lutte des paradigmes
cher Schimmer in seinem Antlitz, und dann war es vorbei. » ; EB, p. 780/p. 242)
La Verklärung s’opère de nouveau.
168 L’omission de la maladie comme sujet de la représentation va de pair avec la
valorisation du réalisme poétique comme tel : tout comme le classicisme, il se dé-
finit comme l’expression de la santé par rapport au courant littéraire précédant,
jugé ‘maladif’ ; cf. e.g. Unsere lyrische und epische Poesie seit 1848, WSB III.i,
pp. 238 et 242 sq.
169 « Alle diese Realisten [le critique se réfère à Wilhelm Raabe, Theodor Storm et
Fontane ; N.B.] tragen viel Beunruhigendes in die bürgerliche Welt hinein. Aber
das hindert sie nicht, an Romanschlüssen festzuhalten, die man allesamt mit
« Tod und Verklärung » überschreiben könnte, wie es zu Beginn des Jahrhun-
derts in Goethes Wahlverwandtschaften schon geschehen war […]. » Walter
« Effi Briest » 441
176 Cf. EB, pp. 668, 715, 792/pp. 119, 171, 255. Cf. également Rollins qui analyse la
symbolique du soleil, des couleurs et des fleurs. Elle constate que c’est l’intensité
de la lumière qui importe dans Effi Briest, alors que le jeu de l’ombre et de la lu-
mière est primordial dans Madame Bovary ; « Madame Bovary et Effi Briest : du
symbole au mythe », pp. 108-111.
177 La périphrase peut aussi être lue comme une allusion au drame La hija del aire
par Calderón (1650, première édition en 1664), rendu populaire par Goethe. Effi
se rapprocherait alors de son héroïne Semiramis, avide de pouvoir, meurtrière
pour les hommes ; en tant que ‘fille de l’air’ elle serait également celle du diable.
Hugo Aust souligne que Semiramis est une victime à son tour (c’est l’enfant
d’une servante de Diane, violée, poursuivie par celle-ci, et protégée par Vénus) ;
cf. Theodor Fontane. Ein Studienbuch, Tübingen/Bâle, A. Francke, 1998,
pp. 166-168, surtout p. 168.
178 Cf. EB, pp. 565, 667, 816/pp. 7, 118, 281. On trouve des motifs voisins, tel le
trapèze. La mère dit à propos des exercices de sa fille : « ‘Effi, au fond, tu aurais
bien dû suivre une carrière d’écuyère. Toujours au trapèze, toujours fille de
l’air.’ » (« ‘Effi, eigentlich hättest du doch wohl Kunstreiterin werden müssen.
Immer am Trapez, immer Tochter der Luft.’ » ; EB, p. 566/p. 8 – je corrige de
nouveau la traduction qui donne « sylphide » pour « fille de l’air ») Rollins
nomme le motif de la fenêtre qui a la fonction d’un endroit de calme et de sécu-
rité ; elle souligne également le potentiel érotique de la balançoire. Cf. « Madame
Bovary et Effi Briest : du symbole au mythe », p. 113.
179 EB, p. 809/p. 274 ; cf. également EB, pp. 797 sq., 817, 818, 825/pp. 261, 282,
283, 290.
180 C’est l’avis de Müller-Seidel qui souligne que Fontane ne laisse aucun doute au
lecteur quant à la nature de la cause de mort : il n’essaye pas de faire croire que la
jeune femme meurt de son ‘cœur brisé’, cause de mort fréquente dans la
« Effi Briest » 445
183 On trouve un panorama des positions diverses chez Ulrike Rainer qui analyse les
dimensions psychologique, sociale et narratologique du motif ; elle se contente
cependant de parler d’une « signification érotique » (« erotische Bedeutung »).
Plus généralement, l’article néglige l’analyse de l’histoire en elle-même ; Rainer
n’arrive donc pas à voir les parallèles entre la situation d’Effi et celle de Nina. Cf.
« Effi Briest und das Motiv des Chinesen : Rolle und Darstellung in Fontanes
Roman », Zeitschrift für deutsche Philologie, n° 101, 1982, pp. 545-561, ici
p. 557. On peut dire autant pour la position défendue par George C. Avery : il
discute les positions en cours et entreprend une analyse détaillée des moments où
l’histoire paraît dans le roman. Il souligne la fonction qu’elle revêt pour Effi, Inn-
stetten, et leur rapport, tout en soulignant à juste titre la connotation sensuelle du
motif, qui touche à un « elemental level of existence ». Malgré cette démarche il
ne met pas au point les correspondances précises entre les histoires d’Effi et du
Chinois ; « The Chinese Wall : Fontane’s Psychograph of Effi Briest », dans Karl
S. Weimar (dir.), Views and Reviews of Modern German Literature. Festschrift
for Adolf D. Klarmann, Munich, Delp, 1974, pp. 18-38, ici p. 30 (concernant la
critique, cf. p. 18, n. 2). Degering exige également, et à juste titre, qu’on prenne
en compte cet épisode clé, parfois négligé par la critique ; cf. Das Verhältnis von
Individuum und Gesellschaft in Fontanes Effi Briest und Flauberts Madame
Bovary, pp. 37-47, ici pp. 37-39. Degering analyse le Chinois comme une ‘alle-
gorie de l’anti-bourgeois’ (« Allegorie des Unbürgerlichen » ; pp. 39-47, ici
p. 39)
« Effi Briest » 447
la chose n’est pas mise là pour le plaisir, elle est au contraire un pivot
de toute l’histoire.184
184 « Sie sind der Erste, der auf das Spukhaus und den Chinesen hinweist ; ich be-
greife nicht wie man daran vorbeisehen kann, denn erstlich ist dieser Spuk, so
bilde ich mir wenigstens ein, an und für sich interessant und zweitens, wie Sie
hervorgehoben haben, steht die Sache nicht zum Spaß da, sondern ist ein Dreh-
punkt für die ganze Geschichte. » Lettre à Joseph Viktor Widman du 19 no-
vembre 1895, WSB IV.iv, p. 506 ; je souligne. Faut-il accorder de l’importance à
la remarque de Fontane qu’il aurait écrit le roman « pour ainsi dire avec le
psychographe » (« wie mit dem Psychographen ») ? Lettre à Paul Schlenther du
11 novembre 1895, WSB IV.iv, p. 502.
185 « ‘Ja, schauerlich, und ich möchte wohl mehr davon wissen. Aber doch lieber
nicht, ich habe dann immer gleich Visionen und Träume und möchte doch nicht,
wenn ich diese Nacht hoffentlich gut schlafe, gleich einen Chinesen an mein Bett
treten sehen.’ / ‘Das wird er auch nicht.’ / ‘Das wird er auch nicht. Höre, das
klingt ja sonderbar, als ob es doch möglich wäre.’ » (Ibid.)
448 La Lutte des paradigmes
186 « Aber mit einem Male fuhr sie mit einem lauten Schrei aus ihrem Schlafe auf,
ja, sie hörte selber noch den Aufschrei und auch wie Rollo draußen anschlug ; –
‘wau, wau’ klang es den Flur entlang, dumpf und selber beinahe ängstlich. Ihr
war, als ob ihr das Herz stillstände ; sie konnte nicht rufen, und in diesem Au-
genblicke huschte was an ihr vorbei, und die nach dem Flur hinausführende Tür
sprang auf. Aber eben dieser Moment höchster Angst war auch der ihrer
« Effi Briest » 449
Befreiung, denn statt etwas Schrecklichem kam jetzt Rollo auf sie zu […]. » (EB,
p. 627/p. 75)
187 Cf. EB, p. 726/pp. 182 sq. ; la présence de Roswitha, jugée proche des phéno-
mènes surnaturels en raison de sa foi catholique, la rassure (EB, p. 664/p. 114).
450 La Lutte des paradigmes
191 « Das Haus lag noch stiller da als früher ; ziemlich vernachlässigt sah’s in den
Parterreräumen aus ; wie mocht’ es erst da oben sein ! Und das Gefühl des Un-
heimlichen, das Innstetten an Effi so oft bekämpft oder auch wohl belächelt hatte,
jetzt überkam es ihn selbst, und er war froh, als sie dran vorüber waren. » (EB,
p. 779/pp. 240 sq.)
192 Ce rôle est renforcé par la similarité d’aspect entre les tombeaux d’Effi et du
Chinois – c’est un effet spéculaire recherché par l’auteur : les deux se trouvent à
l’extérieur des cimetières, et donc en dehors de l’ordre social ; l’emplacement des
deux est marqué par une pierre tombale blanche (EB, pp. 663, 828 sq./pp. 114,
294 sq.).
193 L’association est également établie par Innstetten : il suggère à Crampas, qui a
l’esprit guerrier, de s’engager « ‘au service du Grand-Turc ou du Dragon chi-
nois’ » (« ‘beim Großtürken oder unterm chinesischen Drachen Dienste zu neh-
men’ » ; EB, p. 673/p. 124). Dans un sens, Crampas suivra à la lettre cette pro-
position...
452 La Lutte des paradigmes
194 « ‘… So müßt’ es ein japanischer Bettschirm sein, schwarz und goldene Vögel
darauf, alle mit einem langen Kranichschnabel... Und dann vielleicht auch noch
eine Ampel für unser Schlafzimmer, mit rotem Schein.’ » (EB, p. 586/p. 30)
195 Le premier jour à Kessin, elle tente de voir en Innstetten un seigneur persan ou
indien, association d’idées qu’elle oubliera bien rapidement (EB, pp. 609 sq./
pp. 55 sq.)
196 Dans Madame Bovary, il y a également un élément étrange, l’aveugle qui semble
poursuivre Emma – il pourrait s’agir d’une projection de la femme adultère. Ici,
on pourrait voir un parallèle structurel très intéressant entre les deux romans :
l’ennui de la province profonde, qui est justement le contraire de l’inquiétant,
nourrit les désirs érotiques et amène l’adultère ; les désirs, le souvenir de la
sexualité adultère, la mauvaise conscience hantent ensuite les héroïnes, et la ba-
nalité du quotidien bascule dans l’extraordinaire, l’étrange.
197 La conseillère Zwicker n’arrive pas à s’expliquer cette imprudence : « ‘C’est
incroyable – d’abord on écrit soi-même des billets et des lettres et, en plus, on
« Effi Briest » 453
conserve les lignes de l’autre ! Aussi longtemps au moins que cette idiotie de
duels n’est pas abolie, il n’est pas permis d’agir ainsi.’ » (« ‘Es ist unglaublich –
erst selber Zettel und Briefe schreiben und dann auch noch die des anderen auf-
bewahren ! Wozu gibt es Öfen und Kamine ? Solange wenigstens, wie dieser
Duellunsinn noch existiert, darf dergleichen nicht vorkommen […].’ » ; EB,
p. 795/p. 258)
198 Cette interprétation prend ses distances avec certains critiques qui expliquent
l’histoire du Chinois comme exemple d’un simple échec de communication entre
Innstetten et Effi, e.g. Ingrid Mittenzwei. Cette approche me semble complète-
ment omettre le potentiel inquiétant de l’histoire ainsi que les parallèles patents
entre l’histoire et la situation d’Effi. Cf. Die Sprache als Thema. Untersuchungen
zu Fontanes Gesellschaftsromanen, (Frankfurter Beiträge zur Germanistik,
t. XII), Bad Homburg v.d.H./Berlin/Zurich, Gehlen, 1970, pp. 139-143, ici
p. 143.
199 « […] Roswitha [war] die einzige, mit der sie von all dem Zurückliegenden, von
Kessin und Crampas, von dem Chinesen und Kapitän Thomsens Nichte frei und
unbefangen reden konnte. » (EB, p. 763/p. 224)
200 « Aber sie besann sich rasch. ‘Ich weiß schon, was es ist ; es war nicht der’, und
sie wies mit dem Finger nach dem Spukzimmer oben. ‘Es war was anderes...
mein Gewissen... Effi, du bist verloren.’ » (EB, p. 714/p. 169)
201 Dans ce sens, le motif a bien plus à offrir qu’une réflexion sémiologique ;
Pfeiffer, qui voit dans l’histoire uniquement la preuve de « la compréhension
magique des signes » (« magisches Verständnis von Zeichen ») de la part d’Effi,
se trompe ; cf. « Fontanes Effi Briest : Zur Gestaltung epistemologischer
Probleme des Bürgerlichen Realismus », p. 80.
454 La Lutte des paradigmes
202 La preuve est fournie par les précurseurs importants : La Psychologie de l’In-
conscient par Eduard von Hartmann paraît en 1869.
« Effi Briest » 455
celui de la fille sont déjà impliqués par les aspect extérieurs. Effi
ressemble à Luise – et c’est à l’excellent observateur Rummschüttel
de le souligner : « […] son premier mot fut : ‘L’image même de la
maman.’ » (« […] als er Effi sah, war sein erstes Wort: ‘Ganz die
Mama.’ » ; EB, p. 741/p. 199)206 Effi elle-même dit tenir son penchant
pour l’air, son côté artiste de cirque de sa mère207 et son amie Hulda
ajoute que le goût du risque (un facteur problématique dans un
mariage) lui vient de la même source (EB, p. 573/p. 15). Effi va plus
loin encore en épousant l’ancien admirateur de sa mère, elle reproduit
avec l’amant le comportement de sa mère ; l’enchaînement ordre con-
jugal / transgression se poursuit. Elle lègue à son tour sa passion
changeante à sa fille Annie, une réprimande du père l’explicite : « ‘Tu
es si déchaînée, Annie, tu tiens cela de ta maman. Toujours un vrai
tourbillon. Mais cela ne donne rien de bon, des bobos comme cela, et
c’est tout.’ » 208 Il faut noter ici une ambiguïté qui donne tout son
piquant à la remarque : contrairement à la traduction citée, l’original
allemand ne donne pas « des bobos comme cela », mais « des choses
comme cela ». La remarque d’Innstetten est donc ambiguë dans la
mesure où elle est faite à propos de la blessure d’Annie qui provoque
la découverte de la correspondance secrète de sa mère Effi (les lettres
206 La remarque n’est pas faite en passant, le médecin insiste sur son constat (ibid.).
207 « ‘Effi, au fond, tu aurais bien dû suivre une carrière d’écuyère. Toujours au
trapèze, toujours fille de l’air [la traduction donne ‘sylphide’ ; N.B.]. Je ne suis
pas loin de croire que tu aimerais quelque chose dans ce genre.’ ‘Peut-être bien,
maman. Mais s’il en était ainsi, à qui la faute ? De qui cela peut-il bien me venir,
sinon de toi ? Ou alors de papa, crois-tu ? Tu vois, cette idée te fait rire aussi.’ »
(« ‘Effi, eigentlich hättest Du doch wohl Kunstreiterin werden müssen. Immer
am Trapez, immer Tochter der Luft. Ich glaube beinah, daß du so etwas möch-
test.’ ‘Vielleicht, Mama. Aber wenn es so wäre, wer wäre schuld ? Von wem
hab’ ich es ? Doch nur von dir. Oder meinst du von Papa ? Da mußt du nun sel-
ber lachen.’ » ; EB, p. 566/pp. 8 sq.) La ‘fille de l’air’ renvoie, il a été dit, à la
pièce de Calderón et à son héroïne mangeuse d’hommes ; le penchant immoral
d’Effi lui viendrait donc de sa mère ! – Innstetten établit le même parallèle quand
ils discutent du lieu où la mère pourrait dormir lors d’une visite ; le bâtiment ad-
ministratif semble prédestiné : « ‘[…] là, exactement comme ici, tout le premier
étage est inoccupé, et elle y sera plus indépendante encore.’ » (« ‘[…] die ganze
erste Etage steht da leer, gerade so wie hier, und sie ist da noch mehr für sich.’ » ;
EB, p. 615/p. 61) Les conditions nécessaires à une apparition seraient donc éga-
lement données au logement envisagé pour la mère.
208 « ‘Du bist so wild, Annie, das hast du von der Mama. Immer wie ein Wirbel-
wind. Aber dabei kommt nichts heraus oder höchstens so was.’ » (EB, p. 768/
pp. 229 sq. ; je souligne)
« Effi Briest » 457
209 Thorel-Cailleteau souligne à son tour ce motif dans le roman. Mais, une fois de
plus, et malgré le titre prometteur que porte le chapitre en question (« 2. La na-
ture et la loi »), elle n’en discerne pas nettement la portée biologique – elle se
contente d’évoquer une vague « analogie » entre Annie et Effi ; cf. « L’ex-
périence intime de l’Histoire », pp. 59-66, ici p. 60.
210 « ‘Immer dasselbe. Darin ändern die Zeiten nichts.’ », et : « ‘Das mit dem
Fleisch, das bleibt, und ich habe Enkel und Enkelinnen, da seh’ ich es jeden
Tag.’ » (EB, pp. 710 sq./p. 166)
211 La conseillère Zwicker parle d’un développement historique récent (EB, p. 790/
p. 253).
458 La Lutte des paradigmes
212 Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir, pp. 152-173, surtout pp. 155-
158 ; cf. les exceptions dans Nana (ci-dessus, Zola, II. Nana, chap. 5).
213 La comparaison entre Effi Briest et Nana par Ana-Isabel Aliaga-Buchenau
constitue une exception notable : dans beaucoup de détails, elle ne convainc pas
tout à fait (elle échoue dans la tentative de décrire Innstetten comme un être dé-
terminé), mais elle emprunte la bonne direction ; « Naturalism or Realism : A
Reexamination of Genre in Theodor Fontane’s Effi Briest », The South Carolina
Modern Language Review, n° 2.1 (vérifié sur internet le 27 novembre 2009 sous
l’adresse http://web.fmarion.edu/scmlr/03/effi.htm).
214 À propos de l’inconscient au XIXe siècle en général et dans les romans de
Fontane en particulier, Mark Lehrer avance l’hypothèse suivante : « Fontane en-
dows his major characters with an exceptional social consciousness and psycho-
logical self-understanding which is rather unique among otherwise comparable
social realists in Western Europe after 1850. » Ce constat est juste en ce qui con-
cerne les questions morales, la conscience de culpabilité et de responsabilité. Si
on y ajoute la pulsion sexuelle, qui n’est ni discutée ni mise en perspective, cette
thèse de la conscience et du libre arbitre est mise à mal. Cf. Mark Lehrer, « The
Nineteenth-Century ‘Psychology of Exposure’ and Theodor Fontane », The Ger-
man Quarterly, n° 58.4, 1985, pp. 501-518, ici pp. 508 et 511.
« Effi Briest » 459
215 Ce sont les mots de Fontane, dans une lettre à Colmar Grünhagen ; la lettre ne
laisse aucun doute quant à la sympathie de l’auteur pour son héroïne. Lettre du
10 octobre 1895, WSB III.iv, pp. 487 sq., ici p. 487.
216 Cf. EB, pp. 610, 659, 731, 810/pp. 56, 109, 188, 275.
460 La Lutte des paradigmes
217 Il y a le tombeau du Chinois (EB, pp. 601, 635, 663, 681/pp. 45, 83, 114, 133), la
veuve Rode qui meurt elle-même (EB, pp. 657 sq./pp. 106-108), la conversation
sur la mort de Crampas et sa mort réelle (EB, pp. 672-674, 780/pp. 124 sq., 242).
On trouve également des allusions (ironiques) au tableau Die Gefilde der Seligen
(1878) par Arnold Böcklin, rebaptisé Die Insel der Seligen (EB, pp. 580, 582/
pp. 23, 25).
218 « ‘Hertha, nun ist deine Schuld versenkt’, sagte Effi, ‘wobei mir übrigens einfällt,
so vom Boot aus sollen früher auch arme unglückliche Frauen versenkt worden
sein, natürlich wegen Untreue.’ / ‘Aber doch nicht hier.’ / ‘Nein, nicht hier’,
lachte Effi, ‘hier kommt so was nicht vor. Aber in Konstantinopel, und du mußt
« Effi Briest » 461
ja, wie mir eben einfällt, auch davon wissen, so gut wie ich, du bist ja mit dabei
gewesen, als uns Kandidat Holzapfel in der Geographiestunde davon erzählte.’ /
‘Ja’, sagte Hulda, ‘der erzählte immer so was. Aber so was vergißt man doch
wieder.’ / ‘Ich nicht. Ich behalte so was.’ » (EB, p. 572/pp. 14 sq.)
219 La mère d’Effi ne soupçonne pas la vérité terrible qu’elle exprime quand elle
utilise une expression imagée pour résumer le caractère définitif du mariage de sa
fille : « ‘C’est maintenant que tu dis cela ? Tu aurais pu l’empêcher, n’est-ce
pas ? C’est bien ton genre de faire le malin après. Une fois l’enfant tombé dans le
puits, les conseillers municipaux couvrent ce dernier.’ » (« ‘Warum sagst Du das
jetzt ? Du hättest es ja hindern können. Aber das ist so deine Art, hinterher den
Weisen zu spielen. Wenn das Kind in den Brunnen gefallen ist, decken die Rats-
herren den Brunnen zu.’ » ; EB, p. 597/p. 42) La dernière phrase de la traduction
est fournie par mes soins, elle tente de transposer en français un proverbe alle-
mand (la traduction française est lacunaire).
220 Innstetten remarque le caractère symbolique de la scène, il lui semble qu’elle
représente plus qu’un hasard (EB, p. 578/p. 21).
462 La Lutte des paradigmes
221 D’après Freud, la condensation et le déplacement sont les deux opérations du tra-
vail du rêve qui transforment les pensées latentes rêves ; plus tard, il analysera
ces processus dans d’autres domaines, tels les lapsus et les blagues (Zur Psycho-
pathologie des Alltagslebens). Sigmund Freud, L’Interprétation du rêve, dans
S.F., Œuvres complètes, éd. André Bourguignon, Pierre Cotet, Jean Laplanche,
Paris, PUF, 2003, t. IV, chap. « Le travail de condensation » (pp. 321-348) et
« Le travail de déplacement » (pp. 348-353). Sigmund Freud, Die Traumdeutung,
dans Studienausgabe, onze tomes, éd. Alexander Mitscherlich, Angela Richards,
James Strachey et al., Francfort-sur-le-Main, S. Fischer, 1972 (pour cette édition
2000), t. II, chap. « Die Verdichtungsarbeit » (pp. 282-304) et « Die Verschie-
bungsarbeit » (pp. 305-308).
222 C’est bien l’opinion de l’époque (cf. note 109). Effi la connaît, on le voit lors de
sa conversation avec l’instituteur Jahnke, enthousiaste de la mythologie germani-
que qui a baptisé ses filles Hertha (!) et Bertha ; le motif est repris tout en étant
varié. Jahnke explique au cours de l’entretien que les adorateurs « ‘étaient des
purs Germains qui sont nos ancêtres à nous tous’ » (« ‘reine Germanen, von de-
nen wir alle abstammen’ ») – il établit donc un lien généalogique entre le mythe
et les personnages du roman (EB, p. 815/p. 280).
« Effi Briest » 463
223 Les infidèles qui n’ont pas été punies sont au moins réduites au silence et à
l’abnégation.
224 Au moins d’un point de vue objectif. Du point de vue d’Effi, on peut y voir le
désir (inconscient) d’être punie.
225 Le symbolisme des couleurs est flagrant ; le lien entre le rouge et le péché n’est
pas l’effet du hasard. Dans le roman de Hawthorne, c’est la lettre écarlate sur le
sein de Hester Prynnes qui en fait une démonstration impressionnante. Cf. The
Scarlet Letter, pp. 40 sq., 44, 53, 61, etc.
464 La Lutte des paradigmes
226 On ne devrait pas surestimer le second hasard : Innstetten est convaincu que les
domestiques, ayant trouvé les lettres, ont tiré les conclusions évidentes ; l’affaire
est donc déjà publique, ou bien elle risque fortement de l’être sous peu (EB,
p. 782/p. 244).
227 « Was war das alles ? Wo kam das her ? Und er fühlte seinen leisen Argwohn
sich wieder regen und fester einnisten. Aber er hatte lange genug gelebt, um zu
wissen, daß alle Zeichen trügen, und daß wir in unsrer Eifersucht, trotz ihrer
« Effi Briest » 465
hundert Augen, oft noch mehr in die Irre gehen als in der Blindheit unsres Ver-
trauens. » (EB, p. 726/p. 183 [trad. mod.] ; je souligne)
228 Un sujet auquel Pfeiffer n’accorde pas un mot, en dépit du sujet de son article ;
c’est déjà une bonne raison pour juger douteuse la thèse principale de son inter-
prétation, c’est-à-dire l’idée que le roman engagerait une réflexion sur les para-
doxes épistémologiques du ‘Bürgerlicher Realismus’. Cf. « Fontanes Effi Briest :
Zur Gestaltung epistemologischer Probleme des Bürgerlichen Realismus », p. 81.
229 Hans Vilmar Geppert constate que le tremblement répété d’Effi (à l’occasion de
la rencontre avec Innstetten, mais aussi lorsqu’elle est séduite dans le traîneau)
peut être lu comme un symptôme d’incertitude face à un monde incompréhen-
sible ; « ‘A Cluster of Signs’. Semiotic Micrologies in Nineteenth-Century Rea-
lism : Madame Bovary, Middlemarch, Effi Briest », The Germanic Review,
n° 73.1, 1998, pp. 239-250, ici pp. 244 sq. (En dépit du titre, l’article n’entre-
prend pas vraiment une comparaison entre Flaubert et Fontane ; il a un penchant
regrettable à se perdre dans la terminologie de Charles S. Peirce.)
230 La sentence allemande est plus implicite, littéralement elle signifie ‘un champ
trop vaste’. Cf. surtout EB, pp. 593, 596, 598, 670, 829/pp. 37, 40, 42, 120, 296.
La sentence est humoristique dans la mesure où Briest l’emploie surtout pour son
propre réconfort – elle lui permet d’éviter des doutes concernant sa propre
conduite. Pourtant, par la répétition de cette phrase dans des passages privilégiés
du roman, Fontane nous invite à comprendre la phrase dans un sens plus général,
qui donne raison à son énonciateur ; c’est de cette façon que l’expression pro-
verbiale transmet une vérité profonde. Elle partage sa double nature, son carac-
tère trouble entre lieu commun et vérité abyssale, avec les réflexions finales de
Frédéric et de Deslauriers dans L’Éducation sentimentale.
466 La Lutte des paradigmes
231 « Denn was das Höherhinaufklimmen auf der Leiter anging, so war er seit dem
Morgen in Kessin, wo Crampas mit einem Blick, den er immer vor Augen hatte,
Abschied von ihm genommen, etwas kritisch gegen derlei Dinge geworden. Er
maß seitdem mit anderem Maße, sah alles anders an. Auszeichnung, was war es
am Ende ? » (EB, pp. 819 sq./p. 285)
232 « ‘Und da hab’ ich mir denn […] als ein Bestes herausgeklügelt : weg von hier,
weg und hin unter lauter pechschwarze Kerle, die von Kultur und Ehre nichts
wissen. Diese Glücklichen. Denn gerade das, dieser ganze Krimskrams ist doch
an allem schuld. Aus Passion, was am Ende gehen möchte, tut man dergleichen
nicht. Also bloßen Vorstellungen zuliebe... Vorstellungen !… Und da klappt
denn einer zusammen, und man klappt selber nach. Bloß noch schlimmer.’ »
(EB, p. 822/p. 288)
« Effi Briest » 467
233 L’Afrique est à plusieurs reprises présentée comme la dernière échappatoire pour
des officiers las de la civilisation : dans Die Poggenpuhls, le cadet Leo, un ca-
ractère léger, joueur et pauvre, envisage de tenter sa chance au Madagascar ; cf.
Pp, pp. 550, 555, 576.
234 La fameuse formule freudienne est employée à juste titre : le fondateur de la
psychanalyse mentionne lui-même le concept des Hülfskonstruktionen présenté
par Wüllersdorf – dans la deuxième partie de Le malaise dans la culture (Das
Unbehagen in der Kultur, 1930). Le concept est cité à titre d’exemple pour le fait
suivant : « La vie telle qu’elle nous est imposée est trop dure pour nous, elle nous
apporte trop de douleurs, de déceptions, de tâches insolubles. Pour la supporter,
nous ne pouvons pas nous passer de remèdes sédatifs. » (« Das Leben, wie es uns
auferlegt ist, ist zu schwer für uns, es bringt uns zuviel Schmerzen, Enttäuschun-
gen, unlösbare Aufgaben. Um es zu ertragen, können wir Linderungsmittel nicht
entbehren. ») Suit la citation tirée d’Effi Briest et la précision que les
Hülfskonstruktionen peuvent comprendre les distractions, les compensations et
les stupéfiants. Décidément, Freud s’est laissé inspirer par Wüllersdorf ! S.F.,
Œuvres complètes, t. XVIII, pp. 245-333, ici p. 261. S.F., Studienausgabe, t. IX :
Fragen der Gesellschaft, Ursprünge der Religion, pp. 191-270, ici p. 207.
235 Dans Die Poggenpuhls, le général Eberhard, le beau-frère de M me Poggenpuhl,
développe des doutes tardifs à propos de l’ordre du monde (et surtout de la
Prusse). Le ton ressemble à celui des réflexions d’Innstetten : il lui semble que
les idées en cours ont vieilli, qu’un changement serait souhaitable (Pp, p. 535).
Ces réflexions, qui ne proviennent pas d’un malheur particulier, semblent souli-
gner les conclusions tirées au sujet d’Innstetten.
236 « ‘Quer durch Afrika, was soll das heißen ? Das ist für ’nen Leutnant, der Schul-
den hat. Aber ein Mann wie Sie !’ » (Ibid.)
468 La Lutte des paradigmes
Louise est tout fleuri ou que les fillettes chaussées de bottines hautes
sautent à la corde. » 237
237 « ‘Einfach hierbleiben und Resignation üben. Wer ist denn unbedrückt ? […] Es
ist Torheit mit dem Im-Urwald-Umherkriechen oder in einem Termitenhügel
nächtigen ; wer’s mag, der mag es, aber für unserein ist es nichts. In der Bresche
stehen und aushalten, bis man fällt, das ist das beste. Vorher aber im kleinen und
kleinsten so viel herausschlagen wie möglich und ein Auge dafür haben, wenn
die Veilchen blühen oder das Luisendenkmal in Blumen steht oder die kleinen
Mädchen mit hohen Schnürstiefeln über die Korde springen.’ » (EB, p. 823/
p. 288)
238 Buck croit pouvoir discerner une conception alternative, incarnée par le pharma-
cien Gieshübler : il ferait preuve de « l’humanisation » de la réalité, car il mène-
rait une belle vie, en dépit de son handicap. Gieshübler semblerait être « une
sorte de sonde à l’aide de laquelle il [Fontane ; N.B.] explore les possiblités
pratiques » (« eine Art Sonde, mit deren Hilfe er [Fontane ; N.B.] das Praktisch-
Mögliche erprobt ») ; « Zwei Apotheker-Figuren in Madame Bovary und Effi
Briest », p. 50. C’est une hypothèse audacieuse, puisque Gieshübler souffre ex-
trêmement de son ascétisme involontaire. Lors de la rencontre avec Effi, il dé-
clare ne pas avoir eu de jeunesse, ni courage, ni confiance. Selon lui-même, sa
vie a toujours été « ‘misérable et vide’ » (« ‘arm und leer’ » ; EB, p. 616/p. 63).
Gieshübler représente le cas extrême d’une existence malheureuse plutôt qu’une
alternative.
« Effi Briest » 469
240 C’est le genre du texte d’après son auteur ; cf. les citations dans les notes (IW,
« Zur Entstehung », pp. 910-915). Par la suite, j’adopte le terme de Fontane, mais
je tiens à indiquer qu’il est tout à fait discutable ; cf. Aust, Theodor Fontane. Ein
Studienbuch, pp. 118 sq.
241 La profession n’est pas mentionnée explicitement, elle se déduit seulement des
activités de Lene.
472 La Lutte des paradigmes
1. Baron et repasseuse
242 S’il y en a un, il n’est pas connu ; cf. IW, « Zur Entstehung », p. 910.
243 IW, « Zur Entstehung », p. 914. Cf. également Aust, Theodor Fontane. Ein
Studienbuch, p. 115.
« Irrungen, Wirrungen » 473
245 Après une discussion de la critique, Hildegard Eilert analyse la structure du récit
de la manière suivante : « En effet, le roman se constitue de deux histoires suc-
cessives qui se déterminent réciproquement. » (« In der Tat konstituieren den Ro-
man zwei aufeinanderfolgende, einander sich gegenseitig bedingende Geschich-
ten. ») Eilert refuse d’accorder plus de poids à l’une des deux parties. « Fontanes
Irrungen, Wirrungen. Zum Verhältnis von Gespräch und Handlung am Beispiel
einer an Aphasie scheiternden Liebe », dans Gabriela Scherer et Beatrice Wehrli
(dir.), Wahrheit und Wort. Festschrift für Rolf Tarot, Berne/Berlin/Francfort-sur-
leMain/New York (NY)/Paris/Vienne, Peter Lang, 1996, pp. 111-127, ici p. 114
et suite.
246 Il a donné sa parole trois ans plus tôt, lors de ses visites à Lene, pour rassurer
Mme Nimptsch, constamment préoccupée par la maladie et la mort (IW, p. 110/
p. 372).
« Irrungen, Wirrungen » 475
247 Cf. IW, pp. 157, 164/pp. 425, 433 (la traduction française écrit « Kuhwein ») ;
probablement c’est justement cette manière de présenter les ‘péchés charnels’ en
passant qui choque le public.
248 « ‘Jott, ein Engel is sie woll grade auch nich, aber propper und fleißig un kann
alles und is für Ordnung un fürs Reelle.’ » (IW, p. 64/p. 322)
249 Cf. également IW, pp. 138, 151, 173, 184/pp. 404, 419, 443, 455.
250 Elle est jeune, mais majeure (elle appelle ‘jeune’ son amie qui vient de fêter ses
dix-huit ans ; IW, p. 73/p. 331). Mme Nimptsch est sa mère nourricière (IW,
pp. 61 sq./pp. 319 sq.) ; elle est aussi trop vieille pour être sa mère biologique
(elle meurt après trois ans, à l’âge de 70 ans ; IW, p. 163/p. 432) ; le lecteur n’en
apprend pas plus.
476 La Lutte des paradigmes
251 « ‘[…] sie hatte sich von Jugend an daran gewöhnt, nach ihren eigenen
Entschlüssen zu handeln, ohne viel Rücksicht auf die Menschen und jedenfalls
ohne Furcht vor ihrem Urteil.’ » (IW, p. 172/p. 442) Cf. également IW,
pp. 142 sq., 173/pp. 409, 443.
252 Traduction approximative de « Klub », terme important de la nouvelle.
253 « ‘Ihr kennt ja nur euch und euren Klub und euer Leben. Ach, das arme bißchen
Leben.’ » (IW, p. 86/p. 346 ; cf. aussi p. 153/p. 421)
254 « Aber sie kam über ein bloßes Silbenentziffern nicht hinaus, und das gab ihr, so
klein die Sache war, einen Stich ins Herz, weil sie sich der Kluft dabei bewußt
wurde, die sie von Botho trennte. Der spöttelte freilich über Wissen und Bildung,
aber sie war klug genug, um zu fühlen, was von diesem Spotte zu halten war. »
(IW, p. 122/p. 386)
« Irrungen, Wirrungen » 477
255 « ‘Gott, man freut sich doch, wenn man mal was erlebt. Es ist oft so einsam hier
draußen.’ » (IW, p. 73/pp. 331 sq.)
256 « ‘Alle schönen Männer sind schwach, und der Stärkre beherrscht sie... Und der
Stärkre... ja, wer ist dieser Stärkre ? Nun, entweder ist’s deine Mutter oder das
Gerede der Menschen oder die Verhältnisse. Oder vielleicht alles drei...’ » (IW,
p. 85/p. 345) Comme s’il fallait encore souligner cette remarque, un feu d’artifice
éclate – c’est-à-dire un éventail très passager de belles couleurs (IW,
pp. 85 sq./p. 345).
257 « ‘Ich glaube, sie denkt so was, wenn sie’s auch nich wahr haben will, und bildet
sich was ein.’ » (IW, p. 63/p. 321)
258 « ‘Jott, Lene. Un grade links. Aber natürlich... da sitzt es ja... links muß es ja
sein.’ » (IW, p. 155/p. 423)
478 La Lutte des paradigmes
259 « Der Adel ist wirtschaftlich im Rückzug. Für Botho von Rienäcker wirkt sich
das als persönliche Krise aus. » Karl S. Guthke, « Gideon ist nicht besser als
Botho. Gesellschaftlicher Wandel in Fontanes Irrungen, Wirrungen », dans
Jürgen Barkhoff, Gilbert Carr et Roger Paulin (dir.), Das schwierige neunzehnte
Jahrhundert. Germanistische Tagung zum 65. Geburtstag von Eda Sagarra, Tü-
bingen, Max Niemeyer, 2000, pp. 287-299, ici p. 291. Guthke expose les
différents aspects de la perte du pouvoir des junker, c’est-à-dire les
bouleversements économiques, mais aussi les réformes administratives de
Bismarck qui retirent des compétences à la noblesse (1872) ; la contestation
verbale s’exprime ici par les paroles de l’oncle de Botho, le baron Osten.
« Irrungen, Wirrungen » 479
260 « ‘Wer bin ich ? Durchschnittsmensch aus der sogenannten Obersphäre der
Gesellschaft. Und was kann ich ? Ich kann ein Pferd stallmeistern, einen Kapaun
tranchieren und ein Jeu machen. Das ist alles, und so hab’ ich denn die Wahl
zwischen Kunstreiter, Oberkellner und Croupier. Höchstens kommt noch der
Troupier hinzu, wenn ich in eine Fremdenlegion eintreten will.’ » (IW,
p. 137/p. 403)
261 « ‘Ich hab’ eine Gleichgiltigkeit gegen den Salon und einen Widerwillen gegen
alles Unwahre, Geschraubte, Zurechtgemachte. Chic, Tournure, Savoir-faire –
mir alles ebenso häßliche wie fremde Wörter.’ » (IW, p. 138/p. 404) On voit bien
dans quel sens les mots-clés de ce passage sont ‘étrangers’ à Botho : il s’agit de
termes français, provenant du champ sémantique de l’esprit et de la conversation.
La noblesse prussienne était particulièrement imprégnée par l’esprit français.
480 La Lutte des paradigmes
262 Cf. les éloges du simple, de l’authentique, du folklorique prononcés par Botho –
qui frôlent le kitsch ; IW, pp. 76, 81, 119/pp. 334 sq., 340, 382.
263 Cf. IW, pp. 361 sq., 161, 162 (deux fois dans l’original), 170 et 191/430, 431
(deux fois), 440 et 463.
264 « ‘Wundervolle Flachsblondine mit Vergißmeinnichtaugen, aber trotzdem nicht
sentimental, weniger Mond als Sonne.’ » (IW, p. 100/p. 361)
« Irrungen, Wirrungen » 481
p. 144/p. 411). La gaieté de bon cœur est son trait de caractère le plus
saillant : « Tout la divertissait et elle savait toujours voir l’aspect amu-
sant des choses. » 265 Deux semaines plus tard, lors du retour du
voyage, Botho a déjà compris que ce trait de caractère ne plaide pas
seulement en sa faveur : « Il s’aperçut en effet que, de tout ce qui lui
arrivait et en général de tout ce qui lui tombait sous les yeux, elle ne
retenait que le détail et l’aspect comique. »266 La désillusion est com-
plète quand elle énumère ses impressions de Dresde (elle se rappelle
une confiserie, une comédie et des tableaux représentant Bacchus et
un chien qui se gratte ; IW, p. 145/p. 412). En plus, ses observations
manquent d’authenticité : « ‘Mais il y manque quelque chose. Tout
n’est qu’effleuré, tout n’est que l’écho de ce qu’on dit dans la bonne
société.’ » 267 Après quelques années de mariage, le jugement de
Botho est sans appel :
Elle aimait prendre part à la conversation et il lui arrivait parfois d’y
briller par quelque saillie, mais, même dans ses meilleurs jours, elle
demeurait superficielle et insouciante, comme si elle n’avait pas été
capable de faire la distinction entre ce qui est important et ce qui ne
l’est pas. Le pire, c’est qu’elle considérait ce trait de caractère comme
un avantage, en tirait vanité et ne cherchait nullement à s’en
corriger.268
265 « An allem ergötzte sie sich, und allem gewann sie die heitre Seite ab. » (Ibid.)
266 « Er nahm nämlich wahr, daß sie, was auch geschehen oder ihr zu Gesicht kom-
men mochte, lediglich am Kleinen und Komischen hing […] ». (IW, p. 145/
p. 411)
267 « ‘Aber es fehlt etwas. Es ist alles so angeflogen, so bloßes Gesellschaftsecho.’ »
(IW, p. 169/p. 439)
268 « Sie war unterhaltlich und konnte sich mitunter bis zu glücklichen Einfällen
steigern, aber auch das Beste, was sie sagte, war oberflächlich und ‘spielrig’, als
ob sie der Fähigkeit entbehrt hätte, zwischen wichtigen und unwichtigen Dingen
zu unterscheiden. Und was das schlimmste war, sie betrachtete das alles als einen
Vorzug, wußte sich was damit und dachte nicht daran, es abzulegen. » (IW,
p. 151/p. 418)
482 La Lutte des paradigmes
269 Ce constat ne prétend pas émettre de jugement, car il commente autant la société
que le personnage ; il ne cherche donc pas à valoriser Käthe. Bref : Käthe n’est
pas à ‘sauver’ comme le prétend une certaine tendance de la critique actuelle au
comique involontaire ; cf. le prototype, l’article de Máire Davis, « A Note in De-
fence of Käthe von Sellenthin », German Life and Letters, n° 38.4, 1985,
pp. 336-345. Je suis Guthke qui ironise : « Gideon ist nicht besser als Botho. Ge-
sellschaftlicher Wandel in Fontanes Irrungen, Wirrungen », p. 295 (la note 30
indique d’autres représentants de l’orientation critiquée). – La réserve à l’égard
des tentatives de réhabilitation ne tente pas de cacher le fait que Käthe a plus
souvent raison que l’on ne penserait au premier coup d’œil.
270 Cf. IW, pp. 96, 146/pp. 356, 412. L’oncle ressemble à la mère d’Effi : tout
comme celle-ci pousse sa fille à épouser son ancien admirateur, celui-là veut
convaincre son neveu à épouser une femme que de toute évidence il adore. Son
enthousiasme laisse parfois croire qu’il souhaite la réalisation d’un phantasme
par le biais de son neveu.
271 « ‘Unsere Herren, auch deine Freunde, sind immer so gründlich. Und du bist der
gründlichste, was mich mitunter recht bedrückt und ungeduldig macht.’ » (IW,
p. 197/p. 469)
« Irrungen, Wirrungen » 483
272 Ce n’est pas un hasard si on y a une vue sur le Zoologischer Garten (IW, p. 61/
p. 319), sur la maison des éléphants plus précisément (IW, p. 84/pp. 343 sq.)
273 Dans Effi Briest, la conseillère Zwicker accuse les lieux de plaisance de contri-
buer à la dégradation des mœurs : en effet, ils représentent une dissolution des
limites sociales (EB, pp. 789 sq./pp. 252 sq.).
274 Dans ce roman, Franziska et Egon, le neveu de son mari, ont un penchant l’un
pour l’autre. Après une promenade à cheval, ils tentent de rentrer rapidement par
le lac Arpa ; deux pêcheurs les emmènent sur leur bateau. Une tempête dange-
reuse se déclare, ils réussissent difficilement à se réfugier sur une petite île avec
une cabane. Heureux d’avoir la vie sauve, les deux jeunes gens passent la nuit
ensemble (GP, pp. 831-841). L’eau représente donc un désir latent, mais il de-
vient également le catalyseur du rapprochement physique.
« Irrungen, Wirrungen » 485
275 Selon Ernst Robert Curtius, la définition est la suivante : « Il s’agit, nous l’avons
vu, d’une belle et ombrageuse scène naturelle. Elle comprend au moins un arbre
(ou bien plusieurs), un pré et une source ou un ruisseau. Le chant des oiseaux ou
des fleurs peuvent en faire partie. La version la plus riche ajoute encore le souffle
du vent. » (« Er ist, so sahen wir, ein schöner, beschatteter Naturausschnitt. Sein
Minimum an Ausstattung besteht aus einem Baum (oder mehreren Bäumen),
einer Wiese und einem Quell oder Bach. Hinzutreten können Vogelgesang und
Blumen. Die reichste Ausführung fügt noch Windhauch hinzu. ») Europäische
Literatur und lateinisches Mittelalter, Tübingen/Bâle, A. Francke, 111993, p. 202.
276 « Ja, dies ‘Schloß’ ! In der Dämmerung hätt’ es bei seinen großen Umrissen
wirklich für etwas Derartiges gelten können, heut’ aber, in unerbittlich heller
Beleuchtung daliegend, sah man nur zu deutlich, daß der ganze bis hoch hinauf
mit gotischen Fenstern bemalte Bau nichts als ein jämmerlicher Holzkasten war,
in dessen beide Giebelwände man ein Stück Fachwerk mit Stroh- und Lehmfül-
lung eingesetzt hatte […]. » (IW, pp. 64 sq./pp. 322 sq.)
277 Cette fonction est soulignée par une allusion de Mme Dörr : elle dit que Lene
(dont la vraie mère semble inconnue) est peut-être une princesse (IW, p. 64/
p. 322). Cette solution mélodramatique n’est pas réalisée, mais elle est en accord
avec le ‘château’.
486 La Lutte des paradigmes
278 Cf. Mittenzwei, Die Sprache als Thema. Untersuchungen zu Fontanes Gesell-
schaftsromanen, pp. 97 sq.
279 Norbert Mecklenburg souligne également le caractère problématique de la
rencontre. Il tente de mieux saisir les différences de milieu en recourant au
concept bourdieusien de distinction ; cf. Theodor Fontane. Romankunst der
Vielstimmigkeit, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1998, p. 192.
280 « Die so freundlich als Frau Dörr Begrüßte war nicht bloß eine robuste, sondern
vor allem auch eine sehr stattlich aussehende Frau, die, neben dem Eindruck des
Gütigen und Zuverlässigen, zugleich den einer besonderen Beschränktheit
machte. » (IW, p. 62/p. 320)
281 Cf. e.g. IW, pp. 70, 77, 83 sq., 103, 156/pp. 329, 336, 343, 364 sq., 425.
282 Eric Downing indique que les deux mondes sont liés à des valeurs opposées,
voire complémentaires : les gens simples incarnent le travail, l’authenticité, le
sérieux, alors que la noblesse représente la propriété, l’instruction et le jeu ; cha-
que monde, chaque système de valeurs est, en lui-même, incomplet. Cf.
« Tragödie / Spiel : An Essay on Fontane’s ‘Glücksbegriff’ in Irrungen, Wir-
« Irrungen, Wirrungen » 487
285 « Alles zeigte, daß man die Fischer- und Schifferherberge mit Geflissentlichkeit
beibehalten, aber sie doch zugleich auch in ein gefälliges Gasthaus für die rei-
chen Sportsleute vom Segler- und Ruderklub umgewandelt hatte. » (IW, p. 122/
p. 385)
286 Frédéric et Rosanette, le jeune homme de bien et la courtisane, se rapprochent
également dans un épisode aux apparences idylliques. Il n’en résulte pas non plus
un lien durable et c’est de nouveau la vie sociohistorique qui met fin à
l’harmonie. Une différence importante est à relever, Rosanette est une femme du
demi-monde, tout comme les accompagnatrices des amis de Botho ; le caractère
de ces liens n’est pas comparable à l’amour de Botho et Lene. À propos de la
comparaison, cf. Wolfgang Preisendanz, « Reduktionsformen des Idyllischen im
Roman des 19. Jahrhunderts (Flaubert, Fontane) », dans Hans Ulrich Seeber et
Paul Gerhard Klussmann (dir.), Idylle und Modernisierung in der europäischen
Literatur des 19. Jahrhunderts, Bonn, Bouvier, 1986, pp. 81-92, surtout
pp. 84 sq. et 88 sq. L’interprétation inspirée par l’idée d’une présentation
ironique des discours (d’après Warning) ne me semble pas juste : certes, chez
Flaubert, on ne trouve pas une nature en dehors du cadre social (au sens de
l’idyllique) ; mais on y trouve certainement une forme de vie naturelle présentée
avec une parfaite sincérité (pp. 90 sq. ; cf. ci-dessus, Flaubert, II. L’Éducation
sentimentale, chap. 6).
« Irrungen, Wirrungen » 489
287 « ‘Du hast kein Auge für diese Dinge, weil du keine Liebe dafür hast, und Auge
und Liebe gehören immer zusammen. Erst hast du der Wiese die Blumen ab-
gesprochen, und jetzt, wo sie da sind, willst du sie nicht als richtige Blumen gel-
ten lassen.’ » (Ibid.)
288 « ‘Und ein Binsenhalm ist mir auch nicht gut genug, ist zu dick und zu grob. Ich
will was Feines. Weißt du, Lene, du hast so schönes langes Haar ; reiß eins aus
und flicht den Strauß damit zusammen.’ / ‘Nein’, sagte sie bestimmt. / ‘Nein ?
warum nicht ? warum nein ?’ / ‘Weil das Sprüchwort sagt : ‘Haar bindet’. Und
wenn ich es um den Strauß binde, so bist du mitgebunden.’ » (IW, pp. 115 sq./
pp. 378 sq.)
490 La Lutte des paradigmes
289 « Dann sagte sie : ‘Du hast es so gewollt. Hier, nimm es. Nun bist du gebunden.’
Er versuchte zu lachen, aber der Ernst, mit dem sie das Gespräch geführt und die
letzten Worte gesprochen hatte, war doch nicht ohne Eindruck auf ihn geblie-
ben. » (IW, p. 116/p. 379)
290 En général, la critique y voit le début de la fin du couple. Cette interprétation
tient rarement compte du fait que les noms des courtisanes proviennent d’une
tragédie, reprise dans un esprit comique ; on y découvre donc déjà la réinterpré-
tation de l’union amoureuse par la société – qui scelle son sort. Cf. Hans Ester
qui expose la déformation linguistique opérée dans cette scène, sans pour autant
tenir compte du fait mentionné ; « Über Redensart und Herzenssprache in Theo-
dor Fontanes Irrungen, Wirrungen », Acta Germanica, n° 7, 1972, pp. 101-116,
ici p. 108. La réinterprétation s’observe dans des nombreux détails, e.g. dans le
geste de cueillir des fraises : au jardin Dörr, Lene offre à Botho le fruit qu’elle
tient entre ses lèvres (IW, p. 83/p. 343), un geste tendre et un peu coquin qui est
repris professionnellement par une courtisane : « ‘Je la lui fourrerai dans la
bouche et il sera tout content.’ » (« ‘Die steck’ ich ihm dann in den Mund, und
dann freut er sich.’ » ; IW, p. 131/p. 395) Walther Killy constate à juste titre
« d’innombrables échos » (« zahllose Spiegelungen ») dans cette partie du récit ;
« Irrungen, Wirrungen » 491
demi-monde, où, là encore, elle est mal vue ; cf. Theodor Fontane – Romankunst
der Vielstimmigkeit, pp. 258-263, ici pp. 259 et 262.
294 Eilert analyse en détail la scène en question, mais elle emploie des schémas
psychologiques pour interpréter le conflit fondamental, en le transformant en un
problème de communication, dû à l’arrogance de Botho ; cf. « Fontanes Irrun-
gen, Wirrungen. Zum Verhältnis von Gespräch und Handlung am Beispiel einer
an Aphasie scheiternden Liebe », pp. 122-127. Ce constat ne saisit pas le sens du
texte : il n’est pas problématique que « les deux n’aient pas trouvé de langage
pour dire leur amour » (« die beiden keine Sprache für ihre Liebe gefunden ha-
ben » ; p. 124), mais que la société existante n’offre aucun lieu d’existence à cet
amour.
« Irrungen, Wirrungen » 493
295 « ‘Alles, was ich wollte, war ein verschwiegenes Glück, ein Glück, für das ich
früher oder später, um des ihr ersparten Affronts willen, die stille Gutheißung der
Gesellschaft erwartete.’ » (IW, p. 138/p. 404)
494 La Lutte des paradigmes
nous lui obéissons, il peut advenir que nous périssions, mais périr
ainsi vaut mieux que de s’opposer à elle. »296
296 « Und eine Stunde später war er in den Tod gegangen. Und warum ? Einer
Adelsvorstellung, einer Standesmarotte zuliebe, die mächtiger war als alle Ver-
nunft, auch mächtiger als das Gesetz, dessen Hüter und Schützer zu sein er recht
eigentlich die Pflicht hatte. ‘Lehrreich. Und was habe ich speziell daraus zu ler-
nen ? Was predigt dieses Denkmal mir ? Jedenfalls das eine, daß das Herkommen
unser Tun bestimmt. Wer ihm gehorcht, kann zugrunde gehn, aber er geht besser
zugrunde als der, der ihm widerspricht.’ » (IW, p. 139/p. 405 ; je souligne
l’avant-dernière phrase)
297 « ‘Und dann kam das Leben mit seinem Ernst und seinen Ansprüchen. Und das
war es, was uns trennte.’ » (IW, p. 172/p. 443)
298 Downing souligne à juste titre le caractère de « ‘arbitrary necessity’ » de la
norme sociale, même s’il omet la violence symbolique et sociale inhérente à cette
nécessité ; il impute le désir d’ordre aux personnages, ce qui ne correspond pas
aux explications fournies par le texte. Cf. « Tragödie / Spiel : An Essay on
Fontane’s ‘Glücksbegriff’ in Irrungen, Wirrungen », pp. 303 et 310 sq.
« Irrungen, Wirrungen » 495
incarnant en même temps un idéal, reste, mais ses menaces et ses me-
sures de punition, y compris celles qui sont de nature purement so-
ciale, changent en fonction de l’attitude que l’on observe à l’égard de
la culpabilité, et le temps viendra peut-être où la loi s’effondrera.
Peut-être quand nous écrirons quatre fois huit, 8888. Mais jusque-là,
elle persiste.299
299 « ‘Du sollst nicht ehebrechen’, das ist die Norm und wohl dem, der, nicht in
Versuchung und nicht in Kämpfe geführt, dieser Norm entspricht ; aber der
Complicirtheiten modernen Lebens sind so viele, daß das Gesetz jeden Tag und
jede Stunde durchlöchert wird, weil es durchlöchert werden muß, wodurch wir,
wollend oder nicht, unsere Stellung zur Schuldfrage beständigen Wandlungen
unterworfen sehen. Das zugleich ein Ideal verkörpernde Gesetz, es bleibt, aber
seine Strafandrohungen und Strafbemessungen, auch die bloß gesellschaftlichen,
ändern sich nach der veränderten Schuldanschauung, und die Zeit kann kommen,
wo das Gesetz selbst darüber zusammenbricht. Vielleicht, wenn wir vier achten
schreiben, 8888. Aber noch ist es da. » Lettre à Otto Brahm du 21 avril 1888,
WSB IV.iii, p. 599. La remarque finale fait référence à la date de la lettre (1888).
300 « ‘Es hilft nichts. Also Resignation. Ergebung ist überhaupt das beste. Die Tür-
ken sind die klügsten Leute.’ » (IW, p. 135/p. 400)
301 Fontane lui-même se reconnaît dans cette attitude. Cf. la lettre suivante à Bern-
hard von Lepel : « De manière générale, ce reproche [une critique de Lepel ;
N.B.] ne rate pas sa cible ; – cependant, ce n’est pas de la paresse, ni un penchant
pour le désespoir humoristique, mais c’est ma foi résolue en une prédestination
496 La Lutte des paradigmes
estivaux (la remarque porte sur une mouche agaçante), mais aussi les
lois qui gouvernent la société. Seulement, la résignation ne suffit pas,
pour l’instant il faut consommer la rupture : accomplir un geste
d’abnégation, d’ascétisme. Un ami de Botho l’exprime dans l’image
suivante :
« […] mais les circonstances l’obligeront à rompre et à reprendre sa
liberté. En mettant les choses au pire, il s’en tirera comme font les re-
nards pris au piège. Cela fait mal et on y laisse une part de sa propre
vie. Mais la partie essentielle est quand même sortie, et à nouveau
libre. Vive Käthe ! » 302
(à cet égard je soutiens la comparaison avec le plus valeureux des Turcs) qui me
fait entreprendre peu de choses, et attendre longtemps. » (« Im Allgemeinen trifft
mich dieser Vorwurf [une critique de Lepel ; N.B.] ; – aber es ist nicht Faulheit,
auch nicht Neigung zu humoristischem Verzweifeln, sondern mein fester Glaube
an Bestimmung [worin ich mit dem schönsten Türken wetteifre] was mich wenig
thun und viel abwarten läßt. ») Lettre du 16 et 17 juillet 1849, WSB IV.i, pp. 73-
79, ici p. 78.
302 « ‘Aber die Verhältnisse werden ihn zwingen, und er wird sich lösen und freima-
chen, schlimmstenfalls wie der Fuchs aus dem Eisen. Es tut weh, und ein Stück-
chen Leben bleibt dran hängen. Aber das Hauptstück ist doch wieder heraus,
wieder frei. Vive Käthe.’ » (IW, p. 101/p. 362 [trad. mod.]).
303 Il s’agit d’un bel exemple de vérité sous forme de proverbe (technique littéraire
chère à Fontane) : une comparaison proverbiale, employée dans une conversation
légère, renvoie au conflit fondamental du héros et en indique les conséquences
douloureuses, sans devenir explicite pour autant. Le proverbe et la Verklärung se
combinent de manière réussie ; cf. ci-dessous, chap. 5. – Mittenzwei interprète la
scène comme un moment de lucidité : « La clarification de sa propre personne,
celle des concepts et celle des circonstances sont inextricablement liées. »
(« Klärung des Selbst, Klärung der Begriffe und Klärung der Verhältnisse sind
untrennbar miteinander verbunden. ») En dehors de la conversation, le langage
obtient, d’après elle, « une chance à accéder à l’humanité » (« Chance zur Huma-
nität »). Cette vue omet complètement (et injustement) la cruauté inhérente à la
décision ; elle verse dans l’euphémisme. Mittenzwei, Die Sprache als Thema.
Untersuchungen zu Fontanes Gesellschaftsromanen, p. 107.
« Irrungen, Wirrungen » 497
Enfin, Botho fait son travail de deuil lors d’une scène significa-
tive : il entreprend le pèlerinage à la tombe de Mme Nimptsch pour y
déposer des fleurs304. La couronne de fleurs lui est vendue par une
femme qui ressemble « à la caricature d’une Parque » (« ridikül
Parzenhaftes » ; IW, p. 177/p. 448), le caractère fatidique est souli-
gnée par la comparaison (notons en passant la reprise du motif des
Parques connu d’Effi Briest). Botho fait ce trajet en calèche, en pleine
chaleur de midi, il voyage le long des baraques et des stands dont les
affiches, par leurs messages proverbiaux, lui renvoient un reflet dé-
formé, ironique des excursions avec Lene305. Un accident gêne la
circulation ; en attendant, Botho voit une voiture chargée de verre
brisé. L’image des éclats de verre, qui renvoie encore à la liaison
rompue, contient une blessure (métaphorique) : « À contrecœur il
contempla le tas et il eut l’impression que les éclats de verre lui en-
taillaient le bout des doigts. »306 L’apogée est atteint quand des musi-
ciens entonnent « Te souviens-tu ? » (« Denkst du daran »), la chan-
son qu’il a partagée avec Lene (IW, p. 106/p. 368) et qui a pour sujet
le souvenir de l’être aimé (IW, p. 180/p. 451). Finalement, le dépôt de
la couronne sur la tombe est un sombre adieu symbolique.
La conséquence de cet ‘enterrement’ est formulée plus tard. La
scène où Botho prend sa décision solitaire se double d’une situation
où Rexin, un jeune officier, demande, dans un cas similaire, conseil à
Botho. L’analogie est renforcée par le lieu de l’entretien, identique à
celui de la première promenade ; les deux hommes sont également à
cheval. La scène est importante dans la mesure où elle expose le dé-
veloppement du héros : à partir de ses propres expériences, Botho
prodigue une recommandation à son interlocuteur – il s’exprime donc
à titre d’autorité. La transformation du vécu en conseil, de
307 Le pivot de la scène est Botho, l’organisation du récit ne permet aucun doute à
cet égard : le lecteur n’apprend ni la réponse, ni la manière dont les conseils sont
(éventuellement) mis en pratique.
308 « ‘Was verstehen Sie darunter ?’ / ‘Einigung ohne Sanktion.’ / ‘Also Ehe ohne
Ehe.’ / ‘Wenn Sie wollen, ja. Mir liegt nichts am Wort, ebensowenig wie an Le-
galisierung, Sakramentierung oder wie sonst noch diese Dinge heißen mögen
[…]. Aber, um’s kurz zu machen, ich bin, weil ich nicht anders kann, für Mono-
gamie, nicht aus Gründen der Moral, sondern aus Gründen meiner mir eingebor-
nen Natur. […] Ich sehne mich nach einfachen Formen, nach einer stillen, natür-
lichen Lebensweise, wo Herz zum Herzen spricht und wo man das Beste hat, was
man haben kann, Ehrlichkeit, Liebe, Freiheit.’ » (IW, pp. 189 sq./pp. 461 sq.)
309 Dans la nouvelle, on trouve plusieurs exemples de devises tripartites qui ren-
voient respectivement au non-conformisme de l’énonciateur – parfois, dans un
but parodique, e.g. dans le cas de Francke ; cf. le passage où il fait l’éloge franci-
sant de Lene en employant les termes « Proppertät », « Honnettität » et
« Reellität » – le comique se perd dans la traduction (IW, p.174/p. 444).
« Irrungen, Wirrungen » 499
Sitte’ » ; IW, p. 190/p. 462 [trad. mod.]) qui n’a pas seulement des
conséquences sociales mais – l’argument était essentiel dans Effi
Briest – implique également que de manière irrévocable, l’individu se
juge lui-même : « ‘[…] vous finirez, à moins de vous embourber défi-
nitivement, par vous faire horreur et par être un fardeau pour vous-
même […]’ », prévient Botho (« ‘[…] so werden Sie, wenn Sie nicht
versumpfen, über kurz oder lang sich selbst ein Greuel und eine Last
sein […]’ » ; ibid.). Karl Richter constate à juste titre : « Ce que la
société exige de la part de l’individu ne vient pas seulement de
l’extérieur. C’est inhérent à la nature de chacun. » 310 De l’autre côté,
il y a la décision en faveur de la société et de la famille :
« […] et alors ce sera lamentable : vous devrez à ce moment défaire
des liens que des heures de bonheur et – chose plus importante encore
– des circonstances malheureuses, des détresses et des angoisses vé-
cues en commun auront noués et renforcés. Et cela fait mal. »311
310 « Der Anspruch der Gesellschaft wird nicht nur von außen an den einzelnen
herangetragen. Er ist der Prägung des einzelnen bereits inhärent. » Karl Richter,
Resignation. Eine Studie zum Werk Theodor Fontanes, Stuttgart/Berlin/Cologne/
Mayence, Kohlhammer, 1966, p. 26.
311 « ‘[…] dann ist der Jammer da, dann muß gelöst werden, was durch glückliche
Stunden und ach, was mehr bedeutet, durch unglückliche, durch Not und Ängste,
verwebt und verwachsen ist. Und das tut weh.’ » (IW, p. 190/p. 462)
312 Richter souligne le tragique et constate que « le caractère oppressant » (« das
Beklemmende ») de la nouvelle a rarement été vu ; son appréciation est toujours
valable. Resignation. Eine Studie zum Werk Theodor Fontanes, chap. 3 :
« Resignation und Tragik », pp. 60-70, ici p. 60. Cf. également Killy, Wirklich-
keit und Kunstcharakter, p. 206.
500 La Lutte des paradigmes
313 « ‘Ich warne Sie, hüten Sie sich vor diesem Mittelkurs, hüten Sie sich vor dem
Halben. Was Ihnen Gewinn dünkt, ist Bankrutt, und was Ihnen Hafen scheint, ist
Scheiterung. Es führt nie zum Guten, auch wenn äußerlich alles glatt abläuft und
keine Verwünschung ausgesprochen und kaum ein stiller Vorwurf erhoben wird.
Und es kann auch nicht anders sein. Denn alles hat seine natürliche Konsequenz,
dessen müssen wir eingedenk sein. Es kann nichts ungeschehen gemacht werden,
und ein Bild, das uns in die Seele gegraben wurde, verblaßt nie ganz wieder,
schwindet nie ganz wieder dahin. Erinnerungen bleiben und Vergleiche kommen.
Und so denn noch einmal, Freund, zurück von Ihrem Vorhaben oder Ihr Leben
empfängt eine Trübung, und Sie ringen sich nie mehr zu Klarheit und Helle
durch.’ » (IW, pp. 190 sq./pp. 462 sq.)
314 Les métaphores aquatiques et nautiques sont primordiales, les expressions em-
ployées (« Mittelkurs », « Hafen ») le prouvent. L’image traditionnelle de la vie
comme voyage en bateau est reprise, elle se trouve également dans Effi Briest –
je renvoie au naufrage au large de Kessin qui a lieu justement au moment où Effi
et Crampas commencent leur liaison (EB, p. 712/pp. 167 sq.).
315 La signification du motif est soulignée par le fait que le trajet qui mène Botho à
la tombe de Mme Nimptsch passe aussi le long d’un canal (IW, p. 177/
pp. 447 sq.).
« Irrungen, Wirrungen » 501
316 « ‘[…] diese[r] langweilige[] Kanal, so langweilig und strippengerade wie die
Formen und Formeln unsrer Gesellschaft.’ » (IW, p. 139/p. 461)
317 Ibid. L’analogie avec la première scène est renforcée : Botho y pense à l’émi-
gration, mais comprend aussitôt qu’il n’en serait pas capable, vu son manque de
qualités pratiques (IW, p. 137/p. 403). Franke en revanche, en personne arrivée
classique, possède ces qualités, il représente la réalisation de la possibilité ; cf.
Guthke, « Gideon ist nicht besser als Botho. Gesellschaftlicher Wandel in
Fontanes Irrungen, Wirrungen », pp. 293 sq. Botho, et probablement Rexin aussi,
se mettent du côté d’Innstetten (Effi Briest) et de Leo (Die Poggenpuhls) : ils
rêvent d’Afrique, mais ils restent en Prusse.
318 Cf. l’original : « ‘oder Ihr Leben empfängt eine Trübung’ » (IW, p. 463) – la
traduction française (« ‘votre vie entière serait ternie’ » ; IW, p. 191) ne file pas
l’image aquatique de l’original.
319 La traduction française détruit encore le champ métaphorique de l’eau, en ren-
dant « ‘Klarheit und Helle’ » ; IW, p. 463) par « ‘sérénité’ » et « ‘clarté’ » (IW,
p. 191).
320 « ‘Und sieh nur den Brotwagen da mit dem vorgespannten Hund. Es ist doch zu
komisch. Nur der Kanal... Ich weiß nicht, er ist immer noch so...’ / ‘Ja’, lachte
502 La Lutte des paradigmes
Botho, ‘er ist immer noch so. Vier Wochen Julihitze haben ihn nicht verbessern
können.’ » (IW, p. 192/p. 464)
321 Cette attitude n’est probablement pas éloignée des idées de Fontane, on le devine
à propos des objections qu’il émet par rapport au mariage d’amour moderne.
Dans son article « Noch einmal Ibsen und seine Gespenster » il fait remarquer
que le mariage conclu pour des raisons sentimentales est neuf, historiquement, et
qu’il ne peut prétendre à aucune supériorité absolue : « Je maintiens dans toutes
les circonstances ma conviction que le monde ne se présenterait absolument pas
sous un jour meilleur si on s’était, de tous temps, marié ni par convenance ni par
calcul, mais uniquement par amour. » (« Unter allen Umständen aber bleibt es
mein Credo, daß, wenn von Uranfang an, statt aus Konvenienz und Vorteils-
Erwägung, lediglich aus Liebe geheiratet wäre, der Weltbestand um kein Haar-
breit besser sein würde, als er ist. » ; WSB III.ii, pp. 711-714, ici p. 712) Ce ju-
gement vaut autant pour la présente nouvelle, une lettre le prouve : « Que l’on
trouve la même tendance dans mon essai sur Ibsen et dans Irrungen, Wirrungen,
i.e. ‘le mariage, c’est l’ordre’, m’est paru seulement à la lecture de votre criti-
que. » (« Daß in meinem Ibsen-Aufsatz und in Irrungen, Wirrungen dieselbe
Tendenz lebt : ‘Ehe ist Ordnung’, ist mir erst durch Ihre Kritik zu Gemüthe ge-
führt. ») Lettre à Otto Brahm du 21 avril 1888, WSB IV.iii, p. 599.
322 L’abnégation de Botho ne signifie pas qu’une perte, d’après Fontane : « […] ne
trouve-t-on pas d’élévation dans la soumission ? La résignation n’est-elle pas
aussi une victoire ? » (« […] liegt nicht auch in der Unterwerfung eine Erhe-
bung ? Ist nicht auch Resignation ein Sieg ? ») Critique de Die Wildente par Ib-
sen (déjà citée), WSB III.ii, pp. 774-777, ici p. 776. Eilert méconnaît complète-
ment cet aspect des choses – enfermée dans le paradigme de l’amour romantique
(qui, d’après Fontane, est tout neuf, tout relatif ; cf. la note précédente), elle
regrette surtout le bonheur perdu ; « Fontanes Irrungen, Wirrungen. Zum Ver-
hältnis von Gespräch und Handlung am Beispiel einer an Aphasie scheiternden
Liebe », pp. 126 sq.
« Irrungen, Wirrungen » 503
326 Au début, il y a le « silence comparable à celui des jardins qu’on trouve dans les
contes de fées » (« halb märchenhafte Stille ») du jardin des Dörr qui est ensuite
remplacée par l’appartement urbain de Botho et Käthe (IW, pp. 61 sq./
pp. 319 sq.).
327 « ‘[…] mit seine fuffzig aufm Puckel, na, der war auch man ganz simpel und
bloß immer kreuzfidel un unanständig. […] Gräßlich war es. Und wenn ich mir
« Irrungen, Wirrungen » 505
nu der Lene ihren Baron ansehe, denn schämt es mir immer noch, wenn ich
denke, wie meiner war.’ » (IW, pp. 63 sq./pp. 321 sq.)
328 « ‘Sie spricht davon wie von einem unbequemen Dienst, den sie getreulich und
ehrlich erfüllt hat, bloß aus Pflichtgefühl.’ » (IW, p. 84/p. 343)
329 Les aventures préconjugales des filles du peuple ne sont pas exceptionnelles, si
on se rapporte aux rumeurs. Lors du mariage de Lene, deux spectatrices
s’entretiennent : « ‘Et pas de fleurs d’oranger, hein ?’ dit la femme […]. ‘Oran-
ger… Oranger… Vous n’savez donc pas ?... Vous n’avez donc pas entendu ce
qu’on chuchote partout ?’ ‘Ah ! j’y suis. Sûr que j’ai entendu. Mais ma chère
madame Kornatzki, s’il fallait croire tout ce qui s’murmure, on n’verrait plus
d’fleurs d’oranger du tout […].’ » (« ‘Un kein Kranz nich ?’ sagte dieselbe Frau
[…]. ‘Kranz ?... Kranz ?... Wissen Sie denn nich ?... Haben Sie denn nichts mun-
keln hören ?’ ‘Ach so. Freilich hab’ ich. Aber, liebe Kornatzki, wenn es nach’s
Munkeln ginge, gäb’ es gar keine Kränze mehr […].’ » ; IW, p. 201/p. 474)
506 La Lutte des paradigmes
pp. 470 sq.) ; le soir, c’est à Käthe de raconter une anecdote sur
Madame de Pompadour (IW, pp. 199 sq./pp. 472 sq.). Les réminis-
cences historiques piquantes complètent le tableau des amours extra-
conjugaux de la noblesse.
L’origine de Lene reste dans l’ombre, on pourrait y déceler la trace
d’une autre relation illégitime : elle est la fille en nourrice de
Mme Nimptsch, à aucun moment on n’apprend pourquoi les deux
femmes vivent ensemble, ni quelle est l’identité des parents
biologiques331. Les circonstances mystérieuses permettent un doute,
elles pourraient indiquer une naissance illégitime, Lene serait une
enfant trouvée – ses liaisons extraconjugales relèveraient d’un
comportement transmis dans la famille, un modèle qui a déjà fait ses
preuves dans le destin d’Effi.
Comment se font alors ces liaisons sans classes, quelles sont leurs
motivations ? De toute évidence, les relations avec les filles du peuple
sont une opportunité facile pour les nobles – le désir se fraie plus fa-
cilement un chemin chez les gens de basse extraction. Certes, le
peuple a lui aussi des ‘mœurs’, se vante de règles de conduite similai-
res à celle des autres couches de la société, mais le respect de celles-ci
est peut-être moins durement contrôlé. Dans un groupe social qui a
d’abord des préoccupations matérielles, les valeurs culturelles et so-
ciales (allant de pair avec des formes subtiles de respect et de puni-
tion) sont moins estimées ; le dommage causé par la punition sociale
est moins important.
La facilité des mœurs est ce qui préoccupe Botho à la fin de sa
promenade à cheval pendant laquelle se scelle son destin. Il voit des
ouvriers faire la pause de midi :
Leurs femmes, qui avaient apporté la gamelle, bavardaient debout près
d’eux avec parfois un nourrisson dans les bras et échangeaient des
rires entendus quand on leur lançait une phrase coquine ou allusive.
Rienäcker qui s’était attribué à bon droit – à trop bon droit – l’amour
des attitudes naturelles fut enchanté par le spectacle qui s’offrait à ses
yeux et c’est avec un léger sentiment d’envie qu’il contempla ce
groupe d’êtres heureux.332
331 La traduction française est encore une fois inexacte en donnant « fille adoptive »
pour « Pflegetochter » (IW, pp. 61 sq./pp. 319 sq.).
332 « Die Frauen, die das Essen gebracht hatten, standen plaudernd daneben, einige
mit einem Säugling auf dem Arm, und lachten sich untereinander an, wenn ein
schelmisches oder anzügliches Wort gesprochen wurde. Rienäcker, der sich den
508 La Lutte des paradigmes
Certes, Botho finira par trouver une valeur centrale, l’ordre, qui
gouverne également les idées du peuple (IW, p. 140/pp. 405 sq.) ;
mais initialement, ce sont la féminité fraîche et fertile, le contact
simple et direct entre hommes et femmes qui dominent le tableau.
Le franchissement du seuil social est d’abord le résultat d’une dé-
rive sur le fleuve du désir, articulée de façon sous-jacente dans le sou-
hait d’une vie simple et naturelle. Il s’agit d’une tentative d’échapper
aux mailles étroites du filet social, et d’éviter le conflit entre désir
naturel et norme sociale – un conflit bien connu d’Effi Briest, présenté
sous une forme modifiée dans la nouvelle. Le procédé de Fontane – la
reprise variée – souligne le caractère universel de la constellation.
Sinn für das Natürliche mit nur zu gutem Rechte zugeschrieben, war entzückt
von dem Bilde, das sich ihm bot, und mit einem Anfluge von Neid sah er auf die
Gruppe glücklicher Menschen. » (IW, pp. 139 sq./p. 405)
333 Nicolas Faret, L’Honneste Homme ou l’art de plaire à la court [1630], éd.
M. Magendie, Paris : PUF 1925, p. 68. À l’arrière-plan de cette exigence, il y a la
formation d’une vie courtoise à l’ombre du pouvoir absolutiste, une évolution dé-
crite en détail par Norbert Elias ; cf. Über den Prozeß der Zivilisation. Sozioge-
« Irrungen, Wirrungen » 509
pour reprendre les mots de Nicolas Faret, auteur du traité les plus
connu sur le sujet de la courtoisie, et cette modération exige des sujets
consensuels. Toutes ces règles ne sont pas énoncées par Botho, mais
elles fournissent l’arrière-plan culturel et historique de ses explica-
tions. Car, Warning l’observe à juste titre, la conception du langage et
de la conversation véhiculée par le texte est un héritage tardif de
l’Ancien Régime français, c’est « la tradition noble et bourgeoise de la
conversation » (« die Tradition aristokratisch-großbürgerlicher Ge-
sprächskultur »)334 qui a pu se maintenir en Prusse grâce à des
conjonctures politiques évidentes335.
En outre (cela, Botho ne le dit pas non plus, mais il le prouve dans
et par des propos), il est nécessaire de donner une suite élégante à ses
réflexions, une des opérations les plus importantes. L’esprit bien
tourné sait toujours anticiper le cours d’une conversation336 et il
s’adapte sans difficulté à n’importe quelle situation :
Et en verité l’une des plus infaillibles marques d’une ame bien née,
c’est d’estre ainsi universelle, et susceptible de plusieurs formes,
pourveu que ce soit par raison, et non par legereté, ny par foiblesse.
[…] Un esprit bien fait s’ajuste à tout ce qu’il rencontre […].337
338 « ‘Ist es möglich ?’ wiederholte die Dörr und setzte hinzu : ‘Morcheln. Aber man
kann doch nicht immer von Morcheln sprechen.’ / ‘Nein, nicht immer. Aber oft
oder doch wenigstens manchmal, und eigentlich ist es ganz gleich, wovon man
spricht. Wenn es nicht Morcheln sind, sind es Champignons, und wenn es nicht
das rote polnische Schloß ist, dann ist es Schlößchen Tegel oder Saatwinkel, oder
Valentinswerder. […] Es ist alles ganz gleich. Über jedes kann man ja was sagen,
und ob’s einem gefällt oder nicht. Und ‘ja’ ist geradesoviel wie ‘nein’.’ » (IW,
p. 79/p. 338)
339 « ‘Aber’, sagte Lene, ‘wenn es alles so redensartlich ist, da wundert es mich, daß
ihr solche Gesellschaften mitmacht.’ / ‘Oh, man sieht doch schöne Damen und
Toiletten und mitunter auch Blicke, die, wenn man gut aufpaßt, einem eine ganze
Geschichte verraten. Und jedenfalls dauert es nicht lange, so daß man immer
noch Zeit hat, im Klub alles nachzuholen. Und im Klub ist es wirklich reizend,
da hören die Redensarten auf, und die Wirklichkeiten fangen an.’ » (IW,
pp. 79 sq./p. 339 ; je souligne)
« Irrungen, Wirrungen » 511
340 « ‘Sie hat einen doppelten Stolz, und neben dem, von ihrer Hände Arbeit leben
zu wollen, hat sie noch den andern, alles gradheraus zu sagen und keine Flausen
zu machen und nichts zu vergrößern und nichts zu verkleinern.’ » (IW, p. 173/
p. 443)
341 La critique du salon et de l’idée d’une conversation spirituelle est un topos de la
réflexion littéraire et linguistique du romantisme ; cf. (comme un exemple parmi
mille) les remarques d’August Wilhelm Schlegel à propos de la « sociablilité que
l’on dit raffinée, mais qui est dépourvue du moindre contenu » (« sogenannten
feinen, aber gehaltsleeren Geselligkeit ») ; Geschichte der romantischen Litera-
tur, dans A.W.S., Kritische Schriften und Briefe, éd. Edgar Lohner, Stuttgart,
Kohlhammer, 1965, t. IV, p. 11.
342 Généralement, la critique conçoit Lene et Käthe comme des antipodes linguisti-
ques ; cf. Mittenzwei, Die Sprache als Thema. Untersuchungen zu Fontanes Ge-
sellschaftsromanen, p. 108 ; Ester, « Über Redensart und Herzenssprache in
Theodor Fontanes Irrungen, Wirrungen », p. 114 (note 71) ; Warning, « Fontane
und Flaubert », p. 221.
512 La Lutte des paradigmes
343 « Sie war unterhaltlich und konnte sich mitunter bis zu glücklichen Einfällen
steigern, aber auch das Beste, was sie sagte, war oberflächlich und ‘spielrig’, als
ob sie der Fähigkeit entbehrt hätte, zwischen wichtigen und unwichtigen Dingen
zu unterscheiden. Und was das schlimmste war, sie betrachtete das alles als einen
Vorzug, wußte sich was damit und dachte nicht daran, es abzulegen. » (IW,
p. 151/p. 418)
344 « ‘Aber es fehlt etwas. Es ist alles so angeflogen, so bloßes Gesellschaftsecho.’ »
(IW, p. 169/p. 439)
345 « ‘[…] ich hatte von Anfang an ein rechtes Attachement für ihn und nahm nicht
Anstoß an seiner Redeweise, die sich mitunter in langen Ausführungen, aber
doch viel, viel lieber noch in einem beständigen Hin und Her erging. Einer seiner
Lieblingssätze war : ‘Ich kann es nicht leiden, wenn ein einziges Gericht eine
Stunde lang auf dem Tische steht ; nur nicht immer dasselbe, mir ist es angeneh-
mer, wenn die Gänge rasch wechseln.’ Und so sprang er immer vom Hundertsten
ins Tausendste.’ » (IW, p. 197/p. 469)
« Irrungen, Wirrungen » 513
350 « Aber diese Gesellschaftskritik ist nicht auch schon Sprachkritik in dem uns von
Flaubert her vertrauten Sinn, daß mit dem einen, der Gesellschaft, zugleich auch
das andere, die diskursive Verfaßtheit dieser Gesellschaft grundsätzlich in Frage
gestellt würde. Fontanes Sprachkritik operiert innerhalb der Verhältnisse. Sie ist
immer noch geprägt von den Regeln klassischer ars conversationis. Sie zielt auf
das Wort, auf den Ausdruck, der eine Causerie gelingen oder auch scheitern
läßt. » « Fontane und Flaubert », p. 225.
351 En même temps, apparaît une limite naturelle aux faits historiques et linguisti-
ques – et c’est justement la raison pour laquelle je trouve insuffisante la lecture
proposée par Warning qui ne voit qu’une critique des discours, et non les fonde-
ments anthropologiques de ceux-ci.
« Irrungen, Wirrungen » 515
352 On pensera aux doutes ressentis par Innstetten à l’occasion de la réaction violente
d’Effi quand elle apprend qu’ils quittent Kessin – et à son abandon de toute in-
vestigation ultérieure. Le constat « tous les signes sont trompeurs » (« alle Zei-
chen trügen ») vaut évidemment aussi pour les signes linguistiques (EB, p. 726/
p. 183 [trad. mod.]).
353 Celle-ci a persisté, de même que le sujet de sa critique.
516 La Lutte des paradigmes
354 « ‘Oh, man sieht doch schöne Damen und Toiletten und mitunter auch Blicke,
die, wenn man gut aufpaßt, einem eine ganze Geschichte verraten.’ » (IW,
pp. 79 sq./p. 339)
355 En raison de son positionnement final, l’anecdote acquiert une grande impor-
tance ; la référence explicite à l’Ancien Régime français (lieu d’origine de la
conversation) souligne sa pertinence poétologique (IW, pp. 199 sq./pp. 472 sq.).
« Irrungen, Wirrungen » 517
idées d’un mariage convenable sont présentées comme des lois posi-
tives mais dont la puissance s’effrite et devient toute relative : sous les
règles sociales, on devine une évidence sensuelle, le désir naturel, sans
classes, anhistorique. Constamment, il doit être refoulé dans un acte
de résignation, voire d’automutilation356. C’est le tragique de la nou-
velle, bien caché sous une apparente « futilité quotidienne » (« all-
tägliche Nichtigkeit »)357. Au fond, il s’agit de la confrontation de
deux puissances surhumaines : l’ordre social et le désir naturel se
heurtent, s’abîment. Ils réduisent la marge de manœuvre de l’être hu-
main et l’amènent à se contenter de possibilités réduites.
Voici donc la conclusion amère. À la différence d’Effi Briest, elle
s’exprime bien rarement dans des discours pessimistes ou des motifs
funestes ; on la trouve dans des petites observations allusives, pré-
sentées sur un mode élégiaque et serein à la fois. Elles sont toujours
faites à propos, mais comme en passant ; on pensera au résumé laco-
nique dressé par Botho à propos de l’amour de sa vie : « ‘Beaucoup de
joies, beaucoup de peines. Errements, tourments. Le vieux refrain.’ »
(« ‘Viel Freud, viel Leid. Irrungen, Wirrungen. Das alte Lied.’ » ; IW,
p. 183/p. 455) Cependant, l’humour sublimant n’ôte pas son caractère
acerbe au constat : sous la représentation idéaliste et humoristique de
la réalité historique, on retrouve un autre modèle qui limite sensible-
ment les possibilités humaines – son pessimisme renvoie au fonde-
ment biologique de la civilisation.
comme la vie, la sexualité, etc., sont en accord avec les lois des scien-
ces de la vie. Pourtant, d’un point de vue superficiel, Fontane reste
fidèle à son jugement négatif, il continue à défendre la Verklärung. Le
résultat est donc ambigu : d’un côté, l’écrivain évite les complications
scientifiques, les contradictions possibles qu’on trouve en grand
nombre chez Zola ; le risque du vieillissement rapide des conceptions
scientifiques, qui entraîne forcément celui de l’œuvre, est déjoué. De
l’autre, le refus de ces positions mène à l’affirmation d’un classicisme
esthétique : si l’on compare Fontane à ses prédécesseurs et ses
contemporains français, certains passages semblent par trop pudiques
et discrets. Je rappelle la (non) représentation de la mort d’Effi.
Après avoir ainsi résumé les résultats des analyses, il me reste à re-
prendre la question initiale : quelle est l’image de l’homme à la fin du
XIXe siècle, mais aussi de nos jours ? Dans les œuvres évoquées au
cours de mon analyse, on trouve d’un côté un intérêt et une fascination
pour la réalité historique, soit pour une Antiquité lointaine et étrange,
soit pour le passé immédiat, en France ou en Prusse. Les trois écri-
vains soulignent la particularité historique de l’époque concernée, ils
tentent de la saisir comme telle : le regard porté sur l’homme comme
être complexe, historique, variable est dominant dans cette approche,
sa réalité est reprise dans tous les détails, son être et sa conscience
spécifiques sont l’objet de la mimésis littéraire.
De l’autre, les reprises explicites et implicites des concepts scienti-
fiques, leur rôle déterminant dans la conception des mondes romanes-
ques impliquent une image biologique, déterministe de l’homme –
cette tendance se retrouve, elle aussi, chez les trois auteurs en ques-
tion. Elle va de pair avec la disposition à la résignation et à la contem-
plation observable chez Flaubert, Fontane et en partie chez Zola (sur-
tout à la fin du cycle) ; la détermination de l’homme ne laisse pas le
choix, semble-t-il. Encore faut-il différencier ce constat : pour Fon-
tane, le malheur résulte du conflit inextricable entre les puissances
naturelles et l’ordre socioculturel, alors que Flaubert et Zola capitulent
face aux forces de la Nature. Les réponses diffèrent également, Fon-
tane recommande la soumission de l’homme aux mœurs données,
même si cela revient à une renonciation douloureuse ; face à la bêtise
congénitale de l’homme (moderne), Flaubert cherche le salut dans la
création artistique ; Zola, au contraire, confronté à la création et la
destruction aveugles de la Nature, promeut le travail scientifique (au
526 La Lutte des paradigmes
sens propre dans le cas du Dr. Pascal, au sens figuré dans celui de
l’écrivain lui-même, qui comprend sa création en analogie avec la
recherche scientifique). Chaque écrivain propose une solution indivi-
duelle, en étant conscient à chaque fois du prix à payer.
Une conscience aiguë de la diversité de l’être humain va donc de
pair avec une connaissance tout aussi claire de ses limites naturelles.
Se situant entre le grand éventail de ses possibilités et la constance de
sa constitution biologique, l’homme est présenté comme une créature
riche et limitée à la fois. Les facettes innombrables de sa réalité flot-
tante motivent les écrivains à entreprendre une recherche ambitieuse,
soutenue par des notions scientifiques, et aboutissant à un tableau
impressionnant ; cependant, les schémas anthropologiques reviennent
sans cesse pour teindre le tableau d’un ton gris (Flaubert), ou même
noir (Zola) – ou bien ils le cachent sous un voile indulgent qui laisse
pourtant entrevoir un fond sombre et menaçant (Fontane).
Cette ambiguïté fondamentale de la littérature, en ce qu’elle par-
ticipe à deux paradigmes modernes du savoir, et qu’elle hésite entre la
richesse et la monotonie, reste importante pour le lecteur de nos jours :
la culture moderne se développe à l’intérieur du même champ, qui
témoigne toujours de crises locales ou générales, de conflits ouverts
ou larvés entre les paradigmes. Au fond, cette conclusion ne surprend
guère : en oscillant entre le paradigme historique et le paradigme bio-
logique et médical, la littérature prouve qu’elle participe à la re-
cherche d’une interprétation post-métaphysique de l’Homme. Une
littérature tiraillée entre histoire et sciences de la vie – cette constella-
tion renvoie surtout à l’entrée définitive de la littérature dans l’ère de
l’immanence.
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546 La Lutte des paradigmes
I. SALAMMBO 47
LE ROMAN A L’ANTIQUE : PERSPECTIVISME ET
MYTHOLOGIE 51
1. Le choix du sujet et l’organisation du récit 51
2. Le perspectivisme à l’antique 57
3. La structure de la pensée antique : Creuzer 63
LES PERSONNAGES ET LEURS SOURCES MEDICALES 71
1. L’amour à l’antique 72
2. Salammbô : amour, religion et hystérie 75
3. Mâtho et la thérapie 89
4. Hannon, ou des hommes et des éléphants 92
5. Résumé : maladie et psychologie romanesque 98
6. Un cas extrême : vie et mort des Mercenaires 100
7. Post-scriptum sur la physiologie de la carence 115
SALAMMBO ET L’HISTOIRE : SOURCES ET CONCEPTIONS 119
1. La question des sources historiques 120
2. Dureau de La Malle ‘découvre’ Carthage 127
3. Michelet, Histoire et morale 131
RESUME, COMPARAISONS, CONCLUSIONS 140
1. Une histoire anti-idéaliste 140
2. Altérité et ressemblances 145
CONCLUSION 519
BIBLIOGRAPHIE 527