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Albert Grenier

Aux origines de l'histoire rurale : la conquête du sol français


In: Annales d'histoire économique et sociale. 2e année, N. 5, 1930. pp. 26-47.

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Grenier Albert. Aux origines de l'histoire rurale : la conquête du sol français. In: Annales d'histoire économique et sociale. 2e
année, N. 5, 1930. pp. 26-47.

doi : 10.3406/ahess.1930.1154

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0003-441X_1930_num_2_5_1154
AUX ORIGINES DE L'ÉCONOMIE RURALE :
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS

Dans un pays de vieille civilisation agricole comme le nôtre, la


possession de la terre et les modalités de l'exploitation du sol sont la
base même de l'histoire. Or si haut que l'on remonte parmi nos docu
ments sur ce sujet, on trouve toujours l'état qu'ils nous décrivent
conditionné par un état et des traditions antérieures. L'organisation
de la propriété et du travail rural remonte en effet, chez nous, bien^
plus haut que l'histoire. D'ailleurs des périodes qui appartiennent
déjà à l'histoire ne nous ont laissé sur de telles questions, réputées
indignes d'attention, nul témoignage positif. Loin d'arrêter notre
curiosité, ce silence ne fait, au contraire, que l'aiguiser. Faute de
textes, nous quêtons ailleurs des renseignements. Pour les longues
périodes durant lesquelles se tait l'histoire, il nous reste une ressource :
l'archéologie.
Cette science auxiliaire, parfois un peu aventureuse, avouons-le,
nJest pas uniquement ce qu'un vain peuple pense. On la considère
généralement comme l'une des branches de l'histoire de l'art. Con
ception vénérable au moins par son ancienneté et valable, d'ailleurs,
pour les pays et les époques de grande civilisation artistique comme
la Grèce, l'Italie et même notre moyen âge français. Mais, dans la
plupart des provinces du monde antique, en Gaule en particulier,
demander à l'archéologie des documents artistiques, serait s'exposer •
à de graves désillusions. L'antiquaire collectionneur qui se réjouit
des belles pièces ne trouve, dans nos antiquités nationales, que de
rares occasions d'être satisfait. De là l'intérêt médiocre que suscitent
la plupart du temps les études d'archéologie locale et l'abandon,
vraiment lamentable, d'un certain nombre de nos musées provinciaux
et de nos sites archéologiques. Nous voudrions indiquer ici comment
des monuments sans beauté, aussi insignifiants que l'on voudra du
point de vue de l'art, n'en sont pas moins de précieux documents
d'histoire, des documents de vie, sinon intellectuelle, du moins matér
ielle et représentent les éléments primordiaux d'une histoire écono
mique et même sociale.

***

Parmi les périodes préhistoriques, laissons de côté la plus ancienne,


l'époque paléolithique, durant laquelle l'homme apparaît essentielle-
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 27
ment nomade et chasseur, où l'objet de sa convoitise n'est pas encore
la possession de la terre, mais seulement le gibier, dont il tire le prin
cipal de sa subsistance. L'histoire moderne ne commence que plus
tard, avec l'époque néolithique, quelque six mille ans avant notre
ère. Son premier chapitre, c'est la conquête de la terre et l'appro
priation du sol par des groupes humains déterminés qui deviendront
le noyau des peuples historiques. Si obscure que demeure cette
période de la pierre polie, les trouvailles de l'archéologie nous per
mettent au moins d'esquisser le processus de l'occupation du sol par
l'homme préhistorique.
Un fait apparaît tout d'abord frappant, c'est la coïncidence qui
localise au bord de l'eau les plus anciens établissements humains de
cet âge. On connaît, sur le littoral danois, sous le nom de Kjoek-
kenmoeddings, les amoncellements des restes de repas de nombreuses
générations, Ce sont des tertres hauts de plusieurs mètres, formés
d'écaillés d'huîtres, de coquillages, d'arêtes de poissons, mêlées à des
os, le plus souvent concassés, d'animaux sauvages, et contenant,
avec des tessons de poterie grossière, quelques instruments en' silex
ou des haches en cornes de cerf1. En France, la station du Mas d'Azil
dans l'Ariège et l'ensemble de la période primitive dite azilienne, four
nissent une abondance toute particulière de harpons en bois de cerf,
évidemment destinés à la pêche2. L'étage également primitif du
tardenoisien, avec ses silex minuscules, paraît avoir eu la pêche
comme industrie principale. «Si l'on examine», note Déchelette3,
«la situation topographique des gisements de silex pygmées et la
destination probable de ces minuscules instruments, on constate
deux faits dont il serait difficile de nier la corrélation : 1° les stations
tardenoisiennes sont ordinairement placées sur le bord des cours
d'eau, ou des étangs, ou dans le voisinage de la mer.... 2° Un grand
nombre de petits silex à deux pointes ont dû servir d'hameçons.... ь
On discute sur les relations entre ces deux périodes de Yazilien et
du tardenoisien, rangées au mésolithique, et les stations lacustres,
évidemment beaucoup plus récentes, d'Italie, de Suisse et de France.
Mais les archéologues sont d'accord pour classer, dans ces différents
pays, les stations lacustres au début même de la civilisation propre
mentnéolithique. C'est des bords de l'eau que l'occupation de la terre
semble avoir pris son point de départ.
Nous disons occupation ; conquête serait plus juste ; conquête,
non sur d'autres hommes, mais sur la nature. Pourquoi, en effet, les
plus anciennes stations de sédentaires se sont-elles établies au bord
des eaux ou même sur l'eau ? Sans doute parce qu'à travers la forêt
1. Voir Déchelette, Manuel d'archéologie préhistorique , 1. 1, p. 322 et suiy.
t. Ibid., p. 316-317.
3. Ibid.,?. 508-509.
28 ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
ou la broussaille primitive, rivières et lacs étaient les plus hospital
iers et les plus sûrs. C'étaient les chemins qui n'égarent pas et les
clairières où l'on pouvait vivre au soleil et en paix. La véritable his
toire de l'âge néolithique, c'est, avec la domestication des animaux
et l'invention de l'agriculture, la conquête de la terre sur la forêt.
Nous apercevons le schéma de cette histoire en Alsace, grâce aux
trouvailles effectuées depuis une vingtaine d'années par le directeur
du Musée de Strasbourg, Mr Forrer. Aux points où, perdant la vio
lence de leur cours, les rivières descendues des Vosges deviennent
étales et se sont élargies en lacs marécageux, à Krautwiller, en amont
de Brumath, en de nombreux endroits autour de Strasbourg, au
Murgiessen près d'Erstein, à Rathsamhausen, près de Sélestat,
Mr Forrer a trouvé des restes de pilotis accompagnés de tessons et
d'objets de même type que ceux des palafittes de Suisse1. Cette civi
lisation de type lacustre apparaît bien comme la plus ancienne de
la région et la plus largement répandue.
Sans qu'on puisse encore, évidemment, établir de chronologie
bien nette à l'intérieur de cette civilisation, nous la voyons se répandre
peu à peu en terre ferme. Aux stations sur pilotis des zones inondées
de l'Ill et de la Zorn correspondent, en terre ferme, d'autres stations
fournissant mêmes objets et même céramique. Les traces de ces nou
veaux établissements se rencontrent tout particulièrement sur le
bord des terrasses, à la limite même des zones de loess, qui constituent
le sol fertile de la plaine alsacienne. C'est là, à proximité des anciennes
palafittes, que se groupent les fonds de cabanes et les sépultures de
l'aspect le plus archaïque et que les trouvailles sont les plus denses2.
Il ne paraît pas trop hardi d'y reconnaître les premières conquêtes de
sol arable réalisées par les lacustres.
C'est au cours de l'âge néolithique qu'au fur et à mesure de l'au
gmentation de la population, les bonnes terres de la plaine et des
collines ont été défrichées et mises en culture. La plupart des riches
villages actuels du Kochersberg ont fourni quelque trace de l'occupa
tion néolithique. Sur ce sol, toujours occupé et travaillé de façon
1. R. Forrer, Ein neolithischer Pjahlbau bei Erstein-Murgiessen und die verwandten
Fundstellen im Elsass dans Anzeiger fur elsâss.Altertumskunde, t. 1,1912, p. 243etsuiv.
Du même, Les origines préhistoriques de Strasbourg, dans le même recueil, devenu
Cahiers ď Arch. et ď Hist. d'Alsace, 1925-1926, p. 286 et suiv. (article reproduit dans
R. Forrer, Argentorate- Strasbourg, tome I, p. 17*-42* ; Strasbourg, 1927, 2 vol.)
2. Ainsi, aux palafittes d'Erstein-Murgiessen correspondent des fonds de cabanes en
terre ferme sur la rive gauche de l'Ill. Sur la terrasse de loess entre 111 et Bruche, des
trouvailles de type lacustre, à Enzheim, Lingolsheim, Holtzheim, accusent le passage
de cette civilisation en terre ferme. Sur la rive gauche de la Bruche, en face de Holtz
heim, se trouve le village de fonds de cabanes d'Achenheim. C'est en longeant le bord
de cette terrasse que se rencontrent les emplacements néolithiques les plus féconds.
Au bord de la dépression de la Zorn, aux palafittes de Krautwiller correspondent les
stations terrestres de Wingersheim et de Mittelhausen. Voir R. Forrer, Carte de Voccu-
pation néolithique en Haute-Alsace dans .4nz. /. elsass. Alterlumsk. ,ï. I, pi. XLIV, p. 315.
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 29

intense, on s'étonnera, plutôt que de la rareté des trouvailles, de ra


masser encore, après tant de générations, quelques haches néolithi
ques. La meilleure preuve que les bonnes terres se sont trouvées
occupées dès ce moment, c'est qu'on avait déjà entrepris le défr
ichement de terres médiocres. Nous citerons à l'appui encore une
trouvaille alsacienne, ou plutôt lorraine, c'est-à-dire de cette région
où la frontière historique et administrative de l'Alsace empiète sur
la vallée de la Sarre lorraine.
Sur un terrain assez maigre d'alluvions anciennes de la rive gauche
de cette rivière, au milieu d'une forêt, se trouve la source et la clairière
de Bonnefontaine1. Au centre de la clairière, se dresse un château de
style majestueusement classique du début du xixe siècle. La source,
réputée curative, fut fréquentée comme telle jusqu'au xvie siècle.
Autour d'elle se trouvent des vestiges de toutes les époques, depuis
les temps préhistoriques jusqu'à nos jours. Cette clairière date de
l'époque néolithique.
En effet, au cours de travaux de défrichement modernes, on a mis
au jour, dans un rayon d'environ 2 km. autour de la source, entre
autres documents archéologiques, trente-sept haches de pierre polie,
éparses, la plupart brisées, fortement ébréchées ou, en tout cas, por
tant des traces évidentes d'usure. Ce ne peuvent être que les 'outils,
les uns perdus, les autres jetés comme inutilisables, d'un défriche
ment néolithique largement pratiqué autour de la source. Les bûche
ronsprimitifs de la forêt de Bonnefontaine cherchaient à « faire de la
terre» de culture. La preuve en est fournie par la trouvaille, en plu
sieurs points, de meules plates usagées et de broyeurs ^néolithiques.
La clairière n'est plus utilisée aujourd'hui que comme prairie ; le sol
en est maigre, très inférieur à celui des plateaux voisins, mais léger
et facile à travailler. La source, de très bonne heure, a dû attirer les
hommes. Ceux-ci se sont établis auprès d'elle de façon sédentaire ; ils
en ont aménagé les entours pour le travail agricole. Nous saisissons
là un épisode caractéristique de cette conquête de la terre et de la
fixation d'un groupe d'hommes sur une portion du sol, qui est le fait
capital de la période néolithique.

***
Lorsque commence l'âge des métaux, vers le deuxième millénaire
avant notre ère, il subsiste toujours, en France, comme en Suisse, de
nombreuses stations lacustres sur pilotis. Mais la terre ferme égale
ment, dans l'ensemble du pays, est occupée. L'effort collectif exigé par
le travail de défrichement et d'aménagement de la terre a groupé
les hommes ; il s'est formé, non seulement des villages, — les cimet
ières néolithiques, denses et parfois assez vastes en témoignent, —
1. R. Forrer dans Cak. arch, el hist. Als., XV, 1924, p. 185-213.
30 ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
mais peut-être déjà des peuples, et même des empires. De cette époque
paraissent dater un bon nombre de forteresses de sommets destinées
à fournir un refuge aux populations d'un canton. Ce n'est pas seul
ement le travail agricole, ce sont les cadres de la vie sociale qui appar
aissent, dès lors, constitués.
Dès lors aussi sont apparus les mélanges de peuples et les inva
sions qui se présentent comme des luttes pour la possession de la
terre. Les conquérants sont souvent des fugitifs en quête de nou
veaux champs, ou un surplus de population — un printemps sacré —
parti, comme un essaim, à la recherche d'un établissement. La loi de
toutes ces migrations semble déjà celle qui se manifestera jusqu'à la
fin des temps antiques et qui s'exprime dans le dialogue tragique
entre les Cimbres et Teutons et. les Romains : « Donnez-nous des
terres, nous vous donnerons des hommes. — Nous avons déjà
suffisamment d'hommes et pas assez de terres.»
Sauf exception, l'invasion est le fait du peuple le moins avancé en
civilisation, non pas qu'il ait plus d'hommes, ni plus de forces,1 mais
parce qu'il a besoin de plus d'espace. La civilisation consiste, en effet,
dans l'effort constant pour élever, par une amélioration continue, les
ressources au niveau des besoins. A l'accroissement de sa population,
l'agriculteur répond par les défrichements et le perfectionnement de
ses cultures. La paresse d'esprit du moins civilisé le laisse désarmé
devant sa misère ; la violence et l'aventure sont filles du besoin ; le
barbare ne voit d'autre ressource que de s'emparer des terres du
voisin. Ajoutons à cela que les envahisseurs de l'âge du bronze parais
sent des éleveurs plus que des agriculteurs ; or l'élevage exige infin
iment plus d'espace que l'agriculture. Gain, l'éleveur, jalouse Abel,
le laboureur, le tue ou l'asservit.
Nos documents, sur l'occupation du sol durant cette nouvelle
période, ce sont les tombes. Elles présentent la forme particulière du
tumulus, tertre de dimensions variables, renfermant un nombre plus
ou moins élevé de sépultures, diverses de richesse, parfois de rites
différents — incinérations et inhumations — et souvent d'époques
très éloignées l'une de l'autre. Il en est, depuis l'âge du bronze II,
entre 2000 et 1800 avant notre ère, jusqu'au ive siècle de notre ère.
Les tumuli se rencontrent surtout sur les terrains peu propres à la
culture, mais favorables à l'élevage : dans les plaines sableuses ou
marécageuses et sur les plateaux rocheux, dans le Ried (marais) alsa
cien et sur les alpages du Jura souabe ou du Jura français.
Nous n'oserions prétendre qu'il ne s'en soit élevé tout autant, peut-
être même davantage, sur les bonnes terres de culture. La sépulture
sous tumulus dut être, pendant une longue période et dans certaines
régions, le type général. La densité des tumuli aurait donc corre
spondu à la densité de la population. Mais sur les terres labourables, le
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 31
travail des champs a depuis longtemps nivelé ces tertres préhisto
riques.Les sols qu'on ne laboure pas nous les ont seuls conservés. Il
est précisément caractéristique de trouver occupés, à l'âge de bronze»
ces terrains défavorables à la culture qui ne fournissent guère de
vestiges de l'âge de la pierre et où les traces romaines demeurent
clairsemées. La disposition des tumuli, le luxe de quelques tombes
autour desquelles se groupent d'autres tombes plus modestes, les
objets qu'on y trouve, armes nombreuses et bijoux volumineux, mar
mites, jattes, écuelles, évoquent l'idée d'une société de type féodal,
guerriers, chasseurs, éleveurs plus qu'agriculteurs, vivant de viandes
et de lait plus que de pain. Ce ne sont évidemment pas ces gens qui
ont inventé l'élevage. Les néolithiques le pratiquaient déjà, surtout
celui de la chèvre et du mouton. Mais les hommes de l'âge du
bronze paraissent l'avoir considérablement développé et avoir donné
la prépondérance au porc et au gros bétail.
Si le travail de conquête et d'aménagement du sol arable paraît
avoir groupé les hommes, l'élevage, au contraire, a pour effet de les
disperser. Il recherche la forêt et dissémine, surtout aux lisières, ces
aedificia circumdatasilva, habitations préférées du Gaulois selon César1.
Il s'isole dans la lande ; il installe ses bâtiments au milieu des vastes
prairies. En Alsace, par exemple, dans la forêt de Haguenau, on voit
les tumuli, ou les groupes de tumuli, se succéder, à quelques milliers
de mètres d'intervalle, le long des ruisseaux qui vont déboucher dans
la zone des inondations rhénanes ; ils se font plus denses au bord de
la terrasse d'alluvions siliceuses qui domine la basse plaine, aux
endroits même où se sont établis les villages modernes, villages de
maigre culture et surtout d'élevage : vaches et chevaux dans la plaine
et porcs dans la forêt. Dans la Marne, les sépultures à chars du premier
âge du fer, plus jeunes d'au moins un millénaire que celles de Hague
nau, nous révèlent un semblable développement de l'élevage et, sem-
ble-t-il, une même dispersion. L'importance de la cavalerie gauloise
au temps de César, la réputation de la Gaule, durant l'époque romaine,
comme nourricière de chevaux et de bétail de toute sorte, marquent
l'épanouissement de la tradition de grand élevage qui, au cours des
âges du bronze et du fer, était venue s'ajouter aux labours, prépondé
rants chez les néolithiques2.
* **
La Gaule celtique de l'âge du fer continuait donc, à la fois, les pra-
1. Bell, gall., VI, 33, 3.
2. C'est d'ailleurs à l'âge des métaux qu'on voit se développer le commerce : dépôts
de bronziers jalonnant les voies de communication naturelles. Or le bétail qui marche
est un objet d'échange plus favorable que le blé qui pèse. Pline parle de ces troupeaux
d'oies que l'on menait de chez les Morins (Boulonnais) jusqu'à Rouen (Nat. Hist., X,
27, 53).
32 ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
tiques agricoles des temps néolithiques et l'élevage. Elle devait con-
r naître, en même temps, le village groupé et l'exploitation isolée : vici
et aedificia, mentionnés, la plupart du temps, les uns à côté des autres
par César. Nous y trouvons, en outre, une troisième forme d'habitat,
Yoppidum, la ville, généralement fortifiée.
Ce qu'était un oppidum gaulois, les fouilles poursuivies par Bulliot,
de 1865 à 1895, au Mont Beuvray, l'ancienne Bibracte, capitale des
Éduens, nous l'ont appris. C'est, avant tout, un centre industriel et
commercial. «A l'abri de son rempart», remarque Bulliot, « les indust
ries, trop exposées dans les lieux ouverts, étaient venues chercher
un abri et la sécurité indispensable au travail qui emploie le capi
tal1».
Des quartiers entiers de la ville apparaissent, au Beuvray, exclus
ivement occupés par l'industrie, en particulier par l'industrie métallur
gique. A droite et à gauche du chemin central qui traverse l'oppidum
du Nord au Sud, s'étagent en gradins des lignes irrégulières d'habi
tations à demi-souterraines, baraques de vente, chaumières d'habi
tation et ateliers, les uns minuscules, les autres assez vastes et fort
bien organisés2. Une sorte de gradation semble régler la succession
de ces ateliers à mesure qu'on s'avance vers le centre de l'oppidum.
D'abord les fonderies, puis les forges, ensuite les ateliers fabriquant
des objets de plus en plus raffinés ; plus loin commence l'orfèvrerie,
enfin vient remaillage. Les forgerons et orfèvres occupent un quart
ier, les bronziers se groupent dans un autre. La ville est un vaste
atelier.
Elle est aussi un marché. Les campagnes viennent s'y approvi
sionner et l'approvisionnent ; cultivateurs et éleveurs s'y donnent
rendez-vous pour l'échange de leurs produits. Boutiques, halles, ba
zars, entourent le forum, avec de vastes enclos pour le bétail et des
hôtelleries. Bulliot compare les oppida gallo-romains aux villes-bazars
de l'Orient, Khiva, Boukhara, Samarcande, construites encore, au
temps où il écrivait (1870), en terre et en pisé, à l'exception de quelques
édifices publics : « vastes enceintes fortifiées dont les sédentaires,
pour échapper aux violences des nomades, ont fait des refuges pour
leurs familles, leurs troupeaux et leur travail, des marchés à l'abri
du pillage et de la trahison3».
Ailleurs, en Normandie, en Anjou, dans le Berry, en Lorraine, les
archéologues ont fréquemment constaté les rapports étroits qui pa
raissaient unir la métallurgie du fer et certains ensembles, souvent

1. J. Bulliot, L'art de Vémaillerie chez les Éduens dans Mémoires de la Société


Í éduenne, 1876, p. 439-479 et Fouilles du Mont Beuvray, t. II, p. 1-44.
2. Voir Les fouilles du Mont Beuvray, réunion des articles de Bulliot. Autun, 1899,
2 vol. ; et Déchelette, Manuel, 3e partie, 1914, p. 948-957.
3. Les fouilles du Mont Beuvray, 1. 1, p. 101.
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 33
fort développés, de fortifications préhistoriques1. Les murs conte
naient des scories en abondance, le sol, par endroit, en était parsemé.
Une partie des murailles a été soumise à un feu violent qui en a vitrifié
les matériaux jusqu'au cœur même de la construction. Que n'a-t-on
pas dit de ces énigmatiques enceintes vitrifiées ? On connaît, près de
Nancy, un ensemble de ce genre : c'est le camp d'Affrique, vaste
enceinte, entourée d'un double rempart, en partie vitrifié. Aux abords,
se trouvent de vieilles galeries de mines de fer. Les quelques fouilles,
pratiquées surtout dans le rempart et contre le çallum, n'ont pas
fourni, que je sache, de restes de fours ni d'ateliers. Nous avons là,
cependant, tous les éléments d'une grande exploitation sidérurgique :
le minerai et le bois de la forêt de Haye.
Ce n'est peut-être pas seulement la sécurité que les métallurgistes
venaient demander à leur enceinte fortifiée, mais aussi le secret
quasi-religieux de leur mystérieuse profession. Au moment des inva
sions, de celle des Cimbres et des Teutons en particulier, les enceintes
des forgerons, arsenaux tout préparés, ont pu s'ouvrir comme refuge
aux populations du canton et devenir des oppida-cités, comme le
Beuvray. La forge semble avoir été le noyau de bien des villes fortes
gauloises. Elle en apparaît, en tout cas, si l'on en juge par Bibracte,
l'un des éléments très importants. L'oppidum gaulois est un atelier et
un marché ; ce n'est, en aucune façon, comme l'ont été bien des
villes de l'Italie primitive et antique, un centre agricole.

***
La conquête romaine vint transformer l'aspect, l'économie, sou
vent même l'assiette, des oppida gaulois. Des sommets de Bibracte ou
de Gergovie, ils descendent dans la plaine, à Autun, ou au pied des
monts, à Clermont-Ferrand. Ces villes neuves prennent Rome pour
modèle. Leur ancien caractère de centres industriels et commerciaux
ne s'en trouva cependant que partiellement modifié. Sans doute, la
partie la plus encombrante des industries, celle qui traite les
matières brutes, comme la fonderie, émigra-t-elle de la ville vers la
campagne. La sécurité de la paix romaine et le mouvement de
prospérité générale permettait à l'industrie de s'établir à proximité
immédiate de ses matières premières. Elle prit, dans toute la Gaule,
un développement nouveau et devient, à l'époque romaine, l'un des
éléments importants du peuplement des campagnes. Il convient de
i. Voir, en particulier, F. Autorde, Vitrification et métallurgie antique (Congrès
Préhist. France, t. III, Autun, 1907, p. 721-748 et les observations de Pagès-Allary et
Guébhart, p. 748-750). Dans le Cher, Bull. Soc. Préhist. Fr., 1912, p. 59 et 233 ; dans le
Loir-et-Cher, Congrès Préhist., VIII, 1912, p. 722. ; dans le Maine-et-Loire, ibid., t. IX,
1913, p. 819-820 ; et surtout, pour la basse Loire, l'article capital de L. Maître, Géo
graphie industrielle de la basse Loire : les forges et les ateliers fortifiés dans Rev. Archéol
ogique, 1919, 1, p. 234-273.
ANN. D'HISTOIRE. — IIe ANNÉE. 3
34' ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
tenir grand compte, dans l'étude de l'occupation du sol à l'époque
gallo-romaine, des établissements industriels les plus divers, forges,
briqueteries et tuileries, poteries, carrières, mines, sablières, fours à
chaux, non moins que des exploitations industrielles liées à l'agricul
ture, celles oii l'on traitait la laine, le chanvre, le lin, etc. La plupart
des richesses naturelles du sol sont recherchées et traitées sur place.
La difficulté des transports oblige, en effet, chaque canton à produire
à peu près tout ce qui lui est nécessaire, au moins comme matières
et objets d'usage courant.
D'autre part, la ville gallo-romaine reste essentiellement un mar
ché : forum, ou magus en celtique. Elle est, pour toute la région envi
ronnante, le lieu de rendez-vous et de commerce. Elle groupe à ce
titre les industries secondaires, forge, charronnerie, charpente, maçonn
erie,orfèvrerie ; ses rues principales et les abords de son forum sont
peuplés de boutiques. Villes et bourgades de toute catégorie, appa
raissent comme des centres commerciaux. On a même pu prétendre
qu'il n'y avait pas en Gaule de villages agricoles comparables aux
nôtres, mais seulement des stations routières, caravansérails, bazars
et marchés1, ou des sanctuaires.
Il faut distinguer, semble-t-il, entre les diverses catégories de
villes. Nous trouvons en Gaule, à peu près exclusivement d'ailleurs
eri Narbonnaise, des colonies romaines, créations artificielles du gou
vernement romain qui établit, en quelques points, des troupes de vété
rans et, en guise de retraite, leur attribue une maison dans la ville et
des terres à cultiver dans les environs. lia colonie est une ville militaire
politique et agricole, produit social très particulier de l'histoire r
omaine et d'un type. foncièrement étranger à la Gaule. Telles sont
Fréjus, Narbonne, Béziers, Arles, Orange en Narbonnaise, Nyon et
Bâle en Suisse. Le mode d'établissement d'une colonie et les règles de
la répartition de son territoire agricole nous sont connues par les écrits
des arpenteurs (agrimensoreSj gromatici) latins et par des exemples
comme Carthage, autour de laquelle on a pu repérer tout le qua
drillage de l'arpentage romain2. Peut-être serait-il possible de relever
des faits analogues autour des colonies romaines de la Gaule3. Les
photographies d'avion pourront y aider. Mais le travail n'est pas fait.
Comme document nous ne possédons que quelques fragments d'un
cadastre d'Orange4 et ce cadastre, à ce qu'il nous semble, s'applique
1. F. Oelmànn, Gallo-rômische Strassensiedelungen uni Kleinhausbauten dans
Bonner Jahrbiicher, t. 128, 1923, p. 17-97.
2. Schulten, L'arpentage romain en Tunisie dans Bull. Arch. Comité, 1902, p. 129
et suiv. ; — Toutain, -Le cadastre de l'Afrique romaine dans Jfémoires présentés par
divers savants à VAcad. des Inscr., t. XII, 1908, p. ЗИ-382 ; — • Barthel, Romische
Limitation in der Frovinz Africa dans Bonn. Jahrb., t. 120, 1911, p. 39-126.
3. Voir Jullian dans Лес . Et. anc.t 1920, p. 209.
4. Corpus Inscr. Lat.f t. XII, a. 1240 et p. 824 ; — Le Châtelain, Les тош*
menls romains d'Orange, 1908, p. 129-136.
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 35
aux maisons de la ville, et non aux champs. Si intéressantes que
soient ces colonies, elles ne sont, en Gaule, que des exceptions.
Les colonies dites latines ou de droit latin, par opposition aux
colonies de droit romain, ressemblent davantage aux grandes villes
indigènes. Certaines d'entre elles, comme Nîmes, ont pu recevoir des
colons étrangers, mais des colons qui n'étaient pas citoyens et il
n'apparaît pas que leur établissement ait donné lieu à une assignation
de terres. Pour la plupart, le titre de colonie semble purement honori
fique. Vienne, colonie latine, est une ville du même type qu'Autun,
simple capitale des Éduens. Dans la piupart de ces capitales de cités
gallo-romaines a dû se produire le fait que le géofraphe Strabon
signale pour Vienne, capitale des Allobroges. « Obligé de déposer
les armes», nous dit Strabon, «le peuple entier s'applique mainte
nant à l'agriculture.... La plus grande partie habite des villages ; les
plus riches se sont établis à Vienne, autrefois simple bourgade, dont
ils ont fait une ville1.» Délaissant leurs terres et l'isolement de leurs
aedijicia campagnards, les grands propriétaires de l'aristocratie gau
loise sont donc venus s'établir dans les oppida. Ils y ont bâti de belles
maisons, comme, au temps de Louis XIV, la noblesse française s'est
mise à se construire des hôtels dans les capitales de province. Ne
résidant plus, perdant peu à peu le contact avec la terre, les anciens
féodaux gaulois se sont urbanisés, c'est-à-dire qu'ils se sont mêlés
aux marchands des villes ; ils ont formé les curies municipales, brigué
les honneurs locaux et, pour les obtenir, dépensé sans aucun doute
une partie de leur fortune à orner la ville de monuments, à offrir
des jeux et des festins publics, ou à d'autres libéralités intéressées.
La fougueuse noblesse celtique vient finir dans les humbles agitations
des -capitales de provinces. Malgré ces transformations, les villes
gallo-romaines sont demeurées essentiellement ce qu'était l'oppidum
gaulois : des marchés. Non pas seulement le marché agricole de la
région environnante, mais aussi des centres de grand commerce.
Toutes, les colonies romaines aussi bien que les autres, doivent leur
prospérité non pas tant à la terre qu'à la route, au fleuve et à son
port ou à la mer. Fréjus, Béziers, Orange même demeurent des villes
médiocres ; Narbonne et Arles dominent, non pas grâce au travail
agricole de leurs colons, mais grâce à leurs marins et à leurs grandes
compagnies d'armateurs. Le sort de Lyon est attaché au commerce
des vins. On le voit décliner lorsque la culture de la vigne en Gaule
diminue l'importation des vins italiens, dont Lyon est le grand entre
pôt.C'est, non pas immédiatement autour des villes, mais dans l'e
nsemble du pays, peut-être même souvent dans l'ensemble de l'empire,
qu'il faut chercher la raison de leur prospérité.

1. Strabon, IV, 1, 11.


36 ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

*
Nous n'avons pas oublié l'objet essentiel de cet article : l'occupa
tion du sol campagnard. De l'importance commerciale que conservent
les villes, au moins durant le haut empire, c'est-à-dire jusqu'aux pre
mières invasions du milieu du 111e siècle, dérive l'importance primord
iale,pour la topographie historique romaine, des grandes voies de
communication, routes et fleuves. C'est là d'ailleurs un principe
reconnu. Bourgades d'étapes, relais, bâtiments de toutes sortes, éta
blissements industriels, entrepôts, jalonnent les voies de terre et
d'eau. Les vestiges n'en doivent pas être attribués au travail agricole.
Le travail agricole n'en demeure pas moins l'élément nourricier.
Sous quelle forme se présente-t-il ?
Sur ce point, nous rencontrons tout d'abord la délicate question
de la propriété du sol gaulois. Le sol était-il propriété collective des
cités gauloises, comme le soutenait d'Arbois de Jubainville, ou bien
les Gaulois connaissaient-ils la propriété individuelle ? Quels que
fussent les principes du droit celtique, la théorie de d'Arbois semble
devoir être définitivement abandonnée au moins pour la Gaule1.
Remarquons d'ailleurs que, pratiquement, les faits ne se présentent
pas très différemment dans l'hypothèse collectiviste de ce qu'ils appa
raissent à qui admet la propriété privée. L'aristocratie, maîtiesse des
cités, avait certainement, à l'époque de l'indépendance, la possession,
sinon la propriété, de la majeure partie du territoire. L'administrat
ion romaine, par raison politique comme en vertu de ses habitudes
juridiques, ne pouvait que transformer cette possession en propriété.
Le régime foncier, au lendemain de la conquête, fut certainement
celui de la grande propriété. Ne voyons-nous pas, par exemple, dès
le temps de César, l'oppidum d'Uxellodunum se trouver dans la clien
tèledu chef gaulois Lucter2 ?
Un second problème, également difficile, est celui de l'établiss
ement du cadastre romain. C'était une opération indispensable à la
répartition du tribut que devaient payer les Gaules. Les textes y font
plusieurs allusions, depuis le temps d'Agrippa, un quart de siècle
avant notre ère, jusqu'à la fin du premier siècle après J.-C.3. Ils nous
parlent, au ive siècle, d'un nouveau cens tenant compte à la fois des
terres et des hommes, cens extrêmement rigoureux et précis. Un
nouveau système de cens s'imposait assurément après les invasions
du iiie siècle. Soyons assurés que ni la précision, ni la rigueur n'étaient
nouvelles et que, dès le début de l'empire, toutes les terres de la Gaule
1. Sur toute cette question, voir C. Jullian, Hist, de la Gaule, t. II, La question de
la propriété foncière, p. 71 et suiv.
2. Bell. Gall., VIII, 32, 2 : «Oppidum Uxellodunum quodin clientela fuerat ejus.»
3. Voir Mar quardt et Mommsen, Staatscerwaltung, t. V, p. 200 et suiv. ; particu
lièrement p. 212-215.
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 37
durent être mesurées, tous les arbres comptés aussi bien que les hom
mesx. Combien de discours de l'histoire romaine ne donnerions-nous pas
pour avoir ne fût-ce qu'un aperçu de ce cadastre de la Gaule romaine.
A défaut d'indication, on peut hésiter au sujet de cette mensurat
ion du territoire de la Gaule entre un système purement géométrique
comme celui dont on a retrouvé les traces en Afrique jusque dans le
Sud tunisien2 et un système plus terre à terre, exécuté par régions
ou par cités et tenant compte des divisions préexistantes du sol.
Cette seconde hypothèse est la plus vraisemblable. Dans ce cas, en
Gaule, comme en plusieurs autres provinces, les grandes voies pu
bliques auraient servi de base à la limitation3. C'est par cette raison
que s'expliquerait en dernière analyse l'allure rectiligne des voies
romaines. L'arpentage de la Gaule serait lié au tracé des routes
d'Agrippa. Ces routes auraient servi de decumani maximi dominant
le système des kardines et des limites ou chemins secondaires. On a
remarqué depuis longtemps que les anciennes voies romaines servent
couramment de limites aux bans de nos communes modernes. On
ignore absolument quand ont pu être fixées ces limites. Rien n'inter
dit de supposer qu'elles puissent remonter, au moins en partie, à des
limites de domaines gallo-romains.
Quoi qu'il en soit, chaque domaine était évalué en jugera, double
carré de 120 pieds ou rectangle de 35,5 m. X 71 m. Deux jugera
réunis, qui constituaient primitivement Yheredium du citoyen, fo
rment un actus ou carré de 71 m. de côté. La centurie de 200 jugera est
un carré de 710 m. de côté. C'est à èette distance de 710 m. que doivent
se trouver les limites, chemins secondaires parallèles au decumanus
et au cardo. L'ensemble du territoire est assigné aux cités4 dont
l'administration appartient précisément à la curie des grands proprié
tairesfonciers. Les domaines impériaux, et il en exista certainement
en Gaule, ne sont pas compris dans ce territoire. Les cités, suivant
leur statut, sont astreintes au tribut. Elles calculent les redevances
avec les propriétaires qui les perçoivent de leurs colons. A l'intérieur
de la cité et du pagus, le domaine conserve donc toute son import
ance. Il est le fief du propriétaire et porte son nom5.
1. Le Digeste, 50, 15, 4 cite la Forma censualis insérée par Ulpien dans son traité
De censibus. Elle remonte au iie siècle : « Nomen fundi cujusque et in qua civitate et in
quo pago sit et quos duos vicinos proximos habeat. Et arvum. . . quot jugerum sit, vinea
quot jugerum et quot vîtes habeat ; olivae quot jugerum et quot arbores habeant...
pratum... pascua quot jugerum esse videantur, item silvae caducae... ».
2. Voir Barthel dans Bonn. Jahrb., pi. I-VI.
3. Hygin., De limilibus constkuendis, p. 179-180 (Lachmann). De même en Cisal
pine, la via JSmilia sert de decumanus. Les anciens chemins doivent être conservés
comme limites : Lex Ursonensis, Corp. Inscr., II, n. 5439, § 78 ; — en Afrique, loi
agraire de 111 av. J.-C, ligne 89.
4. Frontin, De agrorum qualitate, p. 4 (Lachmann) : « Ager est. mensura compre-
hensus cujus modus universus civitati est assignatus sicut in Lusitania... etc. »
5. Sur les domaines gallo-romains voir la série des articles remarquables de
38 ANNALES D'HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE
Mais la division du domaine en jugera et en centuries a pour effet
d'en faciliter le morcellement. Comme la possession de la terre est
la forme principale de la fortune acquise, l'enrichissement des indust
riels et des commerçants des villes et des bourgades doit se traduire
par des achats de domaines et surtout de parties de domaines fon
ciers. L'évidence prospérité des villes, durant les deux premiers siècles
de notre ère, eut certainement pour corollaire le démembrement d'un
certain nombre des anciens domaines.
Nous pensons en particulier à des commerçants comme les Secan-
dinii de Trêves dont le mausolée se dresse encore à une dizaine de kilo
mètres de la ville, aux abords du village d'Igel. Les bas-reliefs du
monument nous représentent la vie des personnages à qui il était
destiné. Ils nous les montrent tenant boutique et vendant du drap
à Trêves. Ces marchands devaient être en même temps des fabri
cants, et, en tout cas, des exportateurs : on voit des mulets chargés
de ballots traverser une région très montagneuse, sans doute les
Alpes. Ils habitaient à Igel une villa, d'où ils se rendaient à Trêves
pour leurs affaires : nous les voyons partir en voiture et la distance
portée sur la borne milliaire, bien apparente, est précisément celle
d'Igel à Trêves. De la villa dépendait certainement un domaine.
Les Secundinii étaient propriétaires fonciers et avaient des métayers
qu'on voit, en longue théorie, apporter leurs redevances à l'intendant
des maîtres : poissons, gibier, fruits, etc. Les bourgeois enrichis sont
devenus seigneurs terriens.
Mais à la suite des invasions du ine siècle et des troubles sociaux
qui en furent la conséquence et en aggravèrent encore les ruines, à
la suite aussi de la prise en main par l'État de la plupart des indust
ries, nous assistons, au cours du ive siècle, à une reconstitution de
la très grande propriété. Les propriétaires représentent sans doute
une classe nouvelle : nouveaux riches, mais très anciens domaines1.
Le grand domaine ou fundus semble donc avoir été de tout temps,
depuis l'époque de l'indépendance, le régime traditionnel de la pos
session du sol gaulois. Mais quel en fut le mode d'exploitation et, par
conséquent, d'occupation ?
Sâlif peut-être au ive siècle, il ne semble pas qu'à la grande pro
priété ait correspondu la grande exploitation. C'est en détail que le
domaine était habité et cultivé.
Notre document essentiel sur ce point, ce sont les restes d'habita
tions antiques qui parsèment nos campagnes. Parmi les ruines gallo-
romaines il en est quelques-unes de très vastes, comme l'immense et

Ch. Marteaux, Étude sur les villas gallo-romaines du Chablais dans Reçue savoi&ienne,
1918-192Í.
1 . Sur la ruine des villes et les grands domaines de Paristocratie du ive siècle, voir
C. Jullian, Hist, de la Gaule, t. VIII, p. 126 et suiv.
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 39
très luxueuse villa de Chiragan à Martres-Tolosanes. Mais les bât
iments d'exploitation de cette villa ne paraissent pas destinés au tra
vail agricole, ils représenteraient une filature et un tissage de laine.
De même, en bien des points, à de grandes villas sont adjointes des
fonderies. Il y a de grandes industries, comme les ateliers céramiques
de-Lezoux et de la Graufesenque. Mais ailleurs, et le plus souvent,
l'industrie elle-même apparaît divisée en petits ateliers séparés. En
Argonne, par exemple, Mr Chenet pense que les nombreux établiss
ements céramiques dont il a repéré les vestiges représentent comme les
membra disjecta d'une seule et même entreprise, caries mêmes modèles
et les mêmes potiers passent de l'un à l'autre. De même, l'exploitation
agricole d'un grand domaine apparaît comme brisée en de nombreuses
petites exploitations confiées chacune à un colon ou à une famille de
travailleurs paysans.
C'est ce qu'indique le nombre relativement élevé des villas de
petites dimensions et de construction modeste que signalent, le plus
souvent, quelques substructions subsistantes et des amas confus de
moellons et de tuiles romaines. Dans le voisinage de Metz, par exemple,
sur un espace d'enviviron 15 km2, Mf Welter a relevé les traces de 53
villas gallo-romaines1. Le nombre des communes actuelles dans cette
région, peuplée de façon très dense, est d'une trentaine. Et les villas
antiques étaient certainement beaucoup plus nombreuses que les
ruines qu'on en a reconnues. Dans l'Avallonnais, l'abbé Parat cons
tate la même abondance de villas de petites dimensions2. D'une
façon générale, les grandes villas de luxe sont plus tardives que les
« villas rustiques » ; elles ne datent que du ше et surtout du ive
siècle, tandis que les modestes villas qui ne sont que des fermes datent
des deux premiers siècles de l'ère romaine.
Durant toute l'époque romaine d'ailleurs, mais surtout au début,
en rencontre, à peu près dans toutes les régions de l'ancienne Gaule,
les traces d'habitations encore plus modestes que les villas rustiques :
fonds de cabanes creusés dans le sol, ou cases en pierre sèche suivant
le terrain3. La construction en est de type préhistorique. Bon nombre
des exemples qui ont été étudiés paraissent remonter aux âges de la
pierre et du bronze ; d'autres, d'après les tessons et objets qu'on y
trouve, sont de l'âge du fer ; mais plusieurs ont fourni des fragments
de tuiles et de vases de terre sigillée ou de bronze d'époque romaine.

1. Jahrbuch fur lothring. Gesch. u. Altertumskunde. Metz, 1906, p. 414-415.


2. Congrès Arch. de France, 1907, p. 333-334; — Assoc. Franc. Avanc. Sciences,
1911 ,p. 744-747.
3. Nous rangeons dans cette catégorie les mardelles, si nombreuses dans certaines
régions du département de la Moselle où elles ont été fort bien étudiées : abbé Colbus,
Jahrb. fur Lothring. Gesch. u. Altenumsk., 1903, p. 218 et suiv. et les planches ; 1905,
p. 236-271, — les hameaux forestiers des Vosges, ibid., 1911, p. 417-446, — et les cases,
celles de l'Auvergne, par exemple : Déchelette, Bull. Arch. Comité, 1912, p. 1-19.
40 ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
Quelques-uns enfin ne paraissent dater que du moyen âge ou même
des temps modernes jusqu'au xvnie siècle. La même population misé
rable s'y est succédé de tout temps, serfs du moyen âge, plèbe pay
sanne, tenue à peu près au rang d'esclave du temps de la conquête1 et
de la domination romaine, bûcheron, bergers, laboureurs de terres
médiocres dont le revenu ne répondait jamais au travail. Des misé
reux seuls pouvaient s'obstiner à tirer quelques ressources de la por
tion ingrate du domaine qui leur était abandonnée, moyennant rede
vance, sans aucun doute.
Une exploitation rationnelle et en grand ne semble jamais avoir
été réalisée, sauf peut-être au ive siècle, en quelques points. Dans la
majeure partie de la Gaule et durant à peu près toute l'époque
romaine, le travail agricole semble avoir été abandonné au hasard,
ou plutôt, laissé à la merci des vieilles traditions indigènes qui faisaient
du colon le client du grand propriétaire. Nous ne voyons apparaître,
comme nouveauté peut-être, mais une nouveauté qui devait être
dans le sens des habitudes gauloises, que la petite villa rustique de
type italien archaïque, celle qu'occupe une famille cultivant un petit
domaine, ou une petite portion du grand domaine. Ce dut être là le
type normal de l'exploitation agricole jusqu'à la réorganisation des
campagnes et l'abandon des villes par l'aristocratie au ive siècle.
Un lien moral, certainement de forme religieuse, réunit les colons
d'un même domaine. C'est ainsi qu'une dédicace à Junon, récemment
découverte en Lorraine, émane des coloni Aperienses2. Parfois même,
le groupe des petites villas ou autres habitations dispersées dans un
fundiis, ou partie du fundus, peut former un vicus. Ainsi, sur les hau
teurs boisées qui, près de Coblence, dominent le confluent de la
Moselle et du Rhin, une quarantaine de villas paraissent avoir cons
titué le vicus Ambitarvius mentionné par Suétone comme lieu de nais
sance de Caligula3.
En Lorraine, une inscription trouvée au Donon et dédiée à Mer
cure mentionne le bornage d'une route, à partir d'un vicus Saravus,
distant de 12 lieues4. La route en question conduit, à 12 lieues gaul
oises, c'est-à-dire à 25 km. du Donon, à un groupe assez dense de
petites villas dont on a reconnu les traces aux environs de la petite
ville de Lorquin. Les vici de la Gaule romaine peuvent ne représenter,
assez souvent, que le groupement idéal des petites exploitations
agricoles plus ou moins nombreuses et de genres divers, dispersées à
l'intérieur d'un même territoire.
Mais existait-il également des vici groupés effectivement, du type

1. César, Bello gall., VI, 13, 1 : « Plèbes paene servorum habetur loco. »
2. J.-B. Keune dans Jahrb. f. Luthring. Gesch. u. Alterlumsk., 1914, p. 1\ et suiv.
3. Bodewig dans Westd. Zeitsch., t. XIX, 1900, p. 1 et suiv.
4. Corpus Inscr. Lat., XIII, n. 4549.
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 41
de nos villages ruraux actuels ? César mentionne couramment, en
Gaule, à la fois des aedificia qui paraissent correspondre aux futures
villas agricoles et des vici qui seraient des bourgades et des villages
au sens propre du terme1. Les textes postérieurs, les itinéraires sur
tout et les documents épigraphiques, nous font en effet connaître,
en Gaule, bon nombre de vici. Autant qu'on en peut juger, ce sont,
la plupart du temps, des stations routières, c'est-à-dire des bourgs
qui présentent le même caractère de marché et de centres industriels
et commerciaux que les villes. Je ne saurais citer d'exemple d'un
véritable village agricole gallo-romain2. Je suis convaincu cependant
qu'il devait en exister, ne serait-ce que les très anciens établissements
remontant à la période néolithique qui constituaient des villages
groupés et qui ont dû se perpétuer; à travers les époques celtique et
romaine. On pourrait en retrouver le souvenir, non dans les textes, ni
dans les documents épigraphiques ou archéologiques, mais dans la
toponymie. Les vieux noms de villages et de lieux-dits de forme
celtique ou même préceltique représentaient peut-être de ces très
.anciens groupements villageois.
Cependant le problème apparaît assez compliqué et délicat. A en
juger par les textes de César, toutes les régions de la Gaule auraient
possédé, à peu près également des vicos (villages) et des aedificia
(fermes isolées). Or ce sont là deux formes très distinctes de l'habitat
rural et nous constatons, à l'époque moderne, qu'elles se trouvent
rarement associées. Il y a des provinces de groupement, comme
l'Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté, et des provinces de disper
sion,comme le Bocage normand et la Bretagne. Cette répartition diffé
rente de la population agricole trouverait son explication, reconnais
sent les géographes, non seulement dans la nature du sol et les condi
tions du travail rural, mais encore dans la façon dont est possédée et
divisée la terre et, surtout, dans les traditions propres à chaque région 3.
On serait donc porté à penser que la Gaule romaine, comme la France
d'aujourd'hui, dut avoir ses régions de villages et ses régions d'habita
tions isolées. Mais, du moment que les conditions naturelles ne sont
pas la cause unique du groupement ou de la dispersion, puisque l'état
économique et surtout l'histoire paraissent avoir influé sur le type de
la colonisation rurale, nous ne sommes pas autorisés à transposer,
1. Ces vici devaient être, au moins en certaines régions, assez nombreux, puisque
les Helvètes, pour douze oppida, en avaient quatre cents : Bell, gall., I, 5, 2.
2. Je ne compte pas comme villages les hameaux forestiers des Vosges. Le hameau,
d'une façon générale, rentre plutôt dans la catégorie de l'habitat dispersé. Ces hameaux
vosgiens ne paraissent jamais avoir groupé plus d'une dizaine de familles. Voir Fuchs,
Die Kultur der Keltischen Vogesensiedelungen, Saverne, 1914 et Bull. Arch. Comité, 1920,
p. 191-200.
3. Voir principalement Demangeon, L'habitation rurale en France dans Ann. de
Géographie, 1920, p. 352-375 ; Un questionnaire sur Vhabitation rurale, ibid., 1926,
p. 289-292 ; et surtout, Géographie de l'habitat rural, ibid., 1927, p. 1-25.
42 ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
sans plus, l'image du présent dans le passé et à supposer que, là où
domine, aujourd'hui, le groupement par village, il a dû également
dominer à l'époque gallo-romaine. Les indices archéologiques d'ail
leurs s'y opposent, puisque c'est en Lorraine, région caractérisée
aujourd'hui, aussi nettement que possible, par le groupement étroit de
ses villages ruraux, que nous avons trouvé les exemples cités de la
dispersion des petites villas ou même des habitations de type encore
plus primitif comme les mardelles.
Dans la plupart des régions où l'on examine un relevé des faits
archéologiques, la majeure partie des vestiges de l'époque gallo-
romaine se présente sous forme de restes de constructions indétermin
ées, datées, soit par l'appareil des substructions subsistantes, soit par
les tuiles romaines, soit par quelque trouvaille de tessons ou de monn
aies. On y reconnaît, le long des routes ou des cours d'eau, des
relais, magasins, stations et des bourgades. C'est généralement à
proximité de ces bourgades que l'on retrouve quelques cimetières à
incinération. Les tombes de ce genre, qui datent des trois premiers
siècles, se rencontrent bien rarement groupées et tant soit peu denses
hors du voisinage des routes. Il semble que, partout, ce soit la route
qui ait déterminé le groupement.
A l'écart des routes, mais à des distances ne dépassant guère 2 ou
3 km., on reconnaît assez souvent les ruines de quelque villa plus
ou moins développée. Il arrive assez fréquemment que ces ruines
occupent l'emplacement de villages ruraux actuels. Le plus souvent
l'église paroissiale s'élève là où se trouvait la villa. Il est difficile de
distinguer si, à l'époque romaine, la villa se trouvait isolée ou si les
demeures de colons groupés autour d'elle s'élevaient dans le voisi
nage. Les exemples les plus nombreux sont d'ailleurs ceux de ruines
de villa complètement isolées, au flanc d'un coteau, à la lisière d'un
bois ou au bord d'un ruisseau.
Puis viennent, toujours à l'écart des routes, un certain nombre
de ruines, généralement peu développées, que l'on peut classer par la
nature des débris, parmi les établissements industriels, carrières,
mines de toute sorte, briqueteries, poteries, etc. Ce sont enfin les
restes indéterminés et en assez grand nombre, de ces modestes éta
blissements gallo-romains qui ne peuvent guère représenter que des
fermes disséminées dans le fundus. Nous ne parlons pas des lieux de
culte, nombreux dans toutes les provinces et assez facilement recon-
naissables, depuis le grand sanctuaire avec théâtre, bains et bâtiments
publics, jusqu'au modeste oratoire qui ne fournit que quelques ex-
votos. Ils occupent presque toujours un emplacement remarquable,
un sommet, une source, une clairière près d'une frontière.
Pour le IVe siècle, après les premières invasions, l'aspect archéolo
gique se modifie assez sensiblement.
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 43
Les routes, presque à chaque étape et à tous les points importants,
se trouvent jalonnées de fortins, placés sur la route elle-même ou sur
quelque croupe la dominant. Les bourgades elles-mêmes sont presque
toutes fortifiées. Bon nombre des vieux oppida-reîuges paraissent
avoir été de nouveau occupés. Il y a, semble-t-il, un regroupement
de la population qui évite l'isolement et se resserre autour de toutes
les défenses, artificielles ou naturelles.
C'est de ce siècle que paraissent dater la plupart des grandes villas.
Entourées de communs développés qui devaient abriter des groupes
assez nombreux de colons,- elles apparaissent comme le centre d'es
pèces de villages — de villages serrés autour du château seigneurial.
Les colonisations pratiquées au cours de cette période, tant par
l'empire — colonies de Lètes, de Sarmates, etc. — que par les particul
iers — Francs, Saxons et autres, cultivant en de nombreuses régions
des domaines agricoles — a dû avoir pour effet la constitution nou
velle de véritables villages ruraux. Les colonies à but militaire étaient
évidemment tenues groupées sous une discipline et avec un encadre
ment.De même les prisonniers barbares mis à la disposition de
l'agriculture gallo-romaine ne pouvaient guère être dispersés à tra
vers la campagne comme l'étaient les anciens colons indigènes. Une
autorité plus lourde devait maintenir dans une situation voisine de
l'esclavage cette main-d'œuvre à juste titre suspecte.
Les établissements barbares au ve siècle paraissent avoir eu pour
effet d'accentuer encore ce groupement de la population rurale. C'est à
cette période que nous attribuerions volontiers la formation de la plu
part des villages actuels. Au milieu de la population gallo-romaine les
barbares devaient rester en troupe. Ils représentaient une colonisation
du droit du plus fort. Pour dominer, ils devaient se maintenir en
nombre. Les tombes dites « barbares » se rencontrent rarement isolées.
On a des « tombes » gallo-romaines et des « cimetières» barbares.
Dans les ruines des villas pillées et autour d'elles, les vainqueurs
se seraient donc établis en groupes compacts et les restes de la popu
lation indigène les auraient peu à peu imités. Avec les nouveaux
venus du ve siècle et des siècles suivants recommence une forme nou
velle de la colonisation. C'est elle qui se trouve à la base de l'occupa
tion moderne du sol. Elle nous semble avoir eu pour effet de substi
tuerle groupement à la dispersion qui paraît avoir été l'état le plus
général à l'époque gallo-romaine. Nous ne pouvons attendre natu
rellement ni de l'archéologie, ni des textes antiques, aucune indi
cation touchant l'origine des coutumes agricoles qui semblent liées
au groupement villageois, absence de clôtures, assolement triennal
et pâturages communs1.
1. Peut-être cependant a-t-on raison de trouver une mention d'un assolement pério
dique chez les Germains dans la phrase bien connue de Tacite, Germ., 26, 2: « Arva per
44 ANNALES. D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
Cette colonisation barbare qui transforme la répartition de la
population rurale ne semble cependant pas avoir brisé les anciens
cadres de la propriété foncière. Le fundus gallo-romain est demeuré la
plupart du temps intact. Il a donné son nom au groupement de ses
nouveaux exploitants. C'est ainsi qu'un si grand nombre de nos
villages porte un nom qui remonte à celui d'un domaine de l'époque
romaine. Bon nombre de nos lieux-dits accusent de même une ori
gine romaine. La culture du sol, en effet, n'admettait pas d'interrup
tion et, soit avec les anciens colons gallo-romains, soit sans eux, les
vainqueurs barbares durent, aussitôt arrivés, reprendre et continuer
leurs traditions, labourant les anciens labours, semant le lin dans
les anciennes linières et le chanvre où pouvait pousser le chanvre,
paissant leurs troupeaux dans les prairies préparées pour ceux d'au
trefois. Les maîtres avaient changé, au moins en partie, mais le tra
vail continuait tel qu'il se trouvait aménagé par les siècles. Ainsi,
dans le domaine politique, les anciennes divisions administratives,
pagus et cité, survivaient à la ruine de l'État romain. Dans leur hâte
à profiter de la civilisation qu ils venaient de conquérir, les vain
queurs s'étaient simplement substitués aux vaincus à l'intérieur de
toute l'armature sociale et économique de l'ère romaine. Ils ne de
vaient que peu à peu l'amener à leur juste mesure.

* *
Cette permanence des cadres agricoles, qui correspond d'ailleurs,
grosso modo, à celle des cadres urbains jusqu'à la période contem
poraine, permet d'essayer de retrouver, sous l'état moderne, les états
anciens qui, s'enchaînant jusqu'aux âges préhistoriques, fournissent
l'explication du présent. Une telle recherche rencontre d'abord toute
l'histoire agraire, depuis la Révolution jusqu'au haut moyen âge,
avec les documents qu'a laissé subsister le hasard. Dans le premier
numéro de ces Annales1, Marc Bloch a insisté avec raison sur toutes les
indications que peuvent fournir, touchant cette histoire, le cadastre
et les anciens plans terriers. Les bans des communes rurales ont en
effet peu changé ; ils semblent bien reproduire, dans l'ensemble,
l'image d'anciens fundi qui peuvent remonter à l'époque romaine et
au delà. A l'intérieur de ces bans, la répartition des terres obéit à des
lois constantes qui tiennent à la fois à la nature du sol et aux tradi
tions de la culture. Si les défrichements ont pu modifier l'aspect de la
campagne, si les traditions de la culture ont pu varier, les anciens
noms de lieux, les lieux-dits, convenablement étudiés, peuvent apport
er de très précieux renseignements sur la distribution primitive des
annos mutant ». Les mots suivants : et superest ager pourraient être compris : et il reste
des communs.
1. T. 1, 1929, p. 60-70.
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 45
terres. Les plans cadastraux et les lieux-dits devront donc, en
même temps et au même titre que les chartes et autres documents
historiques, faire l'objet d'une analyse serrée.
Un article de C. Jullian, qui a déjà inspiré des études locales, a
montré récemment, avec une admirable richesse d'idées et d'érudi
tion, tout le parti que l'on pouvait tirer de l'analyse des noms de
lieux pour la reconstitution de l'image d'un terroir rural à l'époque
romaine ou préromaine1. C'est là, peut-être, dit C. Jullian, le pro
blème essentiel qui s'impose aux historiens de notre passé. Aux
exemples qu'il donne, et qui sont tirés, soit du premier fascicule
d'un remarquable travail de Mr G. Jeanton sur le Maçonnais gallo-
romain, soit de ses propres recherches sur la région parisienne, nous
nous permettrons de joindre celui d'une analyse particulièrement
suggestive d'un ban de village allemand de la région de Darmstadt2.
Langen est un très pauvre village, pauvre par son sol qui n'est que
du sable, pauvre également en trouvailles archéologiques. Mais la
terre a retenu bon nombre de noms de lieux dont plusieurs se trouvent
authentiqués par des documents remontant au haut moyen âge. A eux
seuls, ces noms de lieux permettent une histoire du terroir. Nous nous
trouvons, comme à Bonnefontaine,dans une clairière. Le village domine
une région de sources dont les ruisseaux durent créer quelques prairies,
fréquentées dès l'époque néolithique, comme le prouve la trouvaille
d'une hache de pierre polie. Les lieux-dits, aux abords du village, sont
des noms de prairies, puis, à mesure que l'on s'écarte, apparaissent
des noms de coupes de bois qui, par leurs formes, plus ou moins an
ciennes, permettent de fixer les lisières successives de la forêt. En
certains points, la toponymie indique le passage de grands chemins :
die Strasse... am breiten Weg... ; de chemins empierrés : Steingrund ;
de chemins romains : Rausch (latin ruscus). Des sondages y ont en.
effet retrouvé le pavé romain. On est arrivé ainsi à déterminer le
carrefour de deux routes, juste à l'emplacement du village. Dans le
voisinage, un document du xvine siècle situe un wahlisches Gut (do
maine welche), dans lequel, précisément, se rencontre toute une série
de noms d'origine latine : Pfiitze (puteus), dreck (tractus), strich
(striga). L'origine du village fut donc assurément une station romaine
à un croisement de routes. Les Alamans et les Francs ont également
laissé leurs traces dans les lieux-dits dont l'exégèse permet de suivre
les conquêtes successives de sol cultivable sur la forêt. Cette histoire

1. Notes gallo-romaines, L'analyse des terroirs ruraux dans Reç. Études anc, 1926,
p. 139-151. C'est de celte étude que se réclame Mr L. D willé, L'origine des localités
de la moyenne Moselle et du bas Rupt-de-Mad d'après une théorie nouvelle, Communicat
ions faites au Congrès de Nancy, Annuaire de la Fédération hist. Lorraine, 1928, publié
parla Faculté des Lettres de Nancy. Nancy, Berger-Levrault, 1929, p. 17-44.
2. H. Klenk, Gang der Besiedlung in der Gemarkung Langen bei Darmstadt dans
Fetschrift sur Feier des 75™ Bcstehens des R. G. Central Mus. ш Mainz, 1927, p. 201-21 7.
46 ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
du sol, demeurée écrite sur le sol, c'est en somme l'histoire même
du village.
Il importe d'ailleurs de considérer, non seulement les noms de
lieux, mais le sol même, sa topographie, sa nature et même le sous-sol.
Une carte géologique sera souvent l'indispensable complément du
cadastre. Le cadastre est le tableau de l'action humaine, la carte
géologique, celui des conditions naturelles. L'histoire se dégage de la
confrontation de l'un et de l'autre. Une étude récente, émanant,
comme celle que nous venons d'analyser sommairement, de l'influence
de Mr Schumacher, l'ancien directeur du Saint-Germain allemand, le
Rômisch-Germanisches Central Museum de Mayence, nous fournit un
bon exemple de l'explication, à l'intérieur d'un ban de village, des
faits archéologiques par la nature du sol. Il s'agit de la plus ancienne
occupation du ban de Dautenheim près d'Alzey, sur le plateau qui,
au Sud de Mayence, domine la plaine rhénane1. La région est fertile, le
village est riche. Les traces de toutes les périodes, depuis l'âge de la
pierre polie jusqu'à la fin de l'époque romaine, y sont abondantes.
Elles s'y localisent suivant les terrains et leur distribution ouvre d'in
téressants aperçus sur les civilisations successives.
Les trouvailles néolithiques se groupent sur une étroite terrasse de
loess qui s'allonge, au bas de la colline, au-dessus du fond de la vallée,
au niveau des sources et le long d'un très ancien chemin qui suit, à
quelque distance, le cours d'eau principal. Sur cette bande de terre
fertile, éminemment propre à la culture, instruments, fonds de ca
banes et tombes néolithiques voisinent avec ceux de l'âge de la Tène
qui précède immédiatement la conquête romaine. Nous avons donc
affaire, au cours de ces deux périodes, à des groupements d'agricul
teurs, à une sorte de village rural.
C'est, au contraire, vers le sommet de la côte et sur le haut du pla
teau que se rencontrent les vestiges des âges du bronze et de Hallstatt
(premier âge du fer, de 1 000 à 500 avant notre ère environ). Le sol
s'y compose de couches de loess, étroites et peu profondes, recouvrant
le calcaire ; quelques champs, sur le loess, alternent avec d'assez
maigres pâturages et des bosquets sur le calcaire. C'était l'emplace
ment le plus favorable pour une population d'éleveurs.
A l'époque romaine, l'occupation manifeste une densité remar
quable. On a pu compter, jusqu'ici, sur l'ensemble du ban du village,
une vingtaine de petites villas rustiques. Le plus grand nombre se
trouve vers le fond de la vallée, au-dessous des établissements néoli
thiques et celtiques, le long d'une voie romaine qui double, à un
niveau un peu plus bas, le chemin primitif. Quelques-unes seulement,
beaucoup plus distantes les unes des autres, occupaient les terrains
dans1. MainzerZeitschrift,
C. Cueschmann, Die t. XVII-XIX,
alteste Besiedlung
1921-1924,
derp.Gemarkung
79-107. Dautenheim bel Alzey
LA CONQUÊTE DU SOL FRANÇAIS 47
plus maigres du plateau. Dans le fond de la vallée, Mr Curschmann a
pu noter que les distances d'une ruine de villa à l'autre variaient
entre 355, 710 et 1 420 m., c'est-à-dire de la largeur de 10, 20 ou
40 jugera. Les limites des champs actuels, généralement parallèles les
unes aux autres, indiquent des sous-multiples de la même unité et
apparaissent en étroite liaison avec les substructions d'habitations
romaines. Nous nous trouvons, à Dautenheim, sur le terrain militaire
de la province de Germanie. Il semble bien qu'on peut y reconnaître
les vestiges d'une centuriation traçant, perpendiculairement à la
route qui suit le cours d'eau, une série 'de petits domaines constitués
d'une villa rustique entourée de ses champs.
Nous ne devons sans doute pas nous attendre en Gaule, dans les
domaines privés, à la même régularité. Mais si l'état romain a laissé
des traces si nettes en pays rhénan, dans une région qui, de tout
temps, a été cultivée et bien habitée, pourquoi serait-il complètement
effacé ailleurs ? Au delà de l'état romain, on reconnaît également, sur
le ban de Dautenheim, les vestiges de l'occupation du sol aux époques
antérieures. Il semble, ici, y avoir eu rupture entre l'âge de la Tène
et la colonisation militaire romaine. A l'intérieur de la Gaule, les
fundi avaient probablement mieux conservé la tradition préhisto
rique. L'image doit en être plus compliquée. Il n'est cependant pas
chimérique d'essayer de la retrouver.

* *

Notre conclusion rejoint donc les prémisses de l'article de C. Jul-


lian sur l'analyse des terroirs ruraux. Il importe d'étudier ces terroirs
en ne négligeant aucun des moyens d'information que nous fournis
sent la géologie, la topographie, la connaissance directe du pays et de
son état agricole actuel, l'archéologie et la toponymie. La nature et
l'aspect des lieux doivent être mis en apport avec les documents
archéologiques relevés aussi complètement que possible, localisés,
datés, déterminés enfin avec toute l'exactitude possible. La topony
mie, enfin, doit venir suppléer aux lacunes des uns et des autres.
A l'aide du peu que nous savons actuellement, nous avons
cherché surtout à définir et à classer les types dès maintenant ident
ifiés de la colonisation des campagnes. Nous avons simplifié et
même parfois forcé un peu le trait. Le lecteur imaginera sans peine
que la réalité fut assurément beaucoup plus riche et plus complexe
que nous n'avons pu la lui présenter.
Albert Grenier
(Université, Strasbourg.)

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