Sunteți pe pagina 1din 25

Seizième Siècle

Le décor de Primatice pour la chambre de la duchesse d'Etampes :


une œuvre réflexive ?
Delphine Trébosc

Citer ce document / Cite this document :

Trébosc Delphine. Le décor de Primatice pour la chambre de la duchesse d'Etampes : une œuvre réflexive ?. In: Seizième
Siècle, N°3, 2007. pp. 37-60;

doi : https://doi.org/10.3406/xvi.2007.918

https://www.persee.fr/doc/xvi_1774-4466_2007_num_3_1_918

Fichier pdf généré le 28/03/2018


Seizième Siècle - 2007 - N° 3 p. 37-60

LE DECOR DE PRIMATICE POUR LA CHAMBRE


DE LA DUCHESSE D'ETAMPES :
UNE ŒUVRE RÉFLEXIVE ?

Le décor de Primatice pour la chambre de la favorite de François Ier au


château de Fontainebleau ne subsiste qu'à l'état de vestiges dans ce qui est
devenu l'Escalier du roi1. Il n'en demeure pas moins fort spectaculaire, en
raison de la majestueuse et sensuelle élégance des grandes figures
féminines nues des encadrements de stuc bordant les quadri riportati et les
fenêtres. Leurs caractéristiques sont généralement décrites par opposition
à celles des stucs de la Galerie François Ier dont Rosso a fourni les dessins.
Les stucs de cette chambre présentent une variété formelle et iconogra-

Cet article, issu d'une communication donnée en 2004 lors de la journée d'étude du
CHAR (Centre d'Histoire de l'Art de la Renaissance, Paris I) sur « Les décors
profanes de la Renaissance française », s'est enrichi de stimulantes discussions avec
Dominique Cordellier, Vincent Droguet, Philippe Morel et Jérémie Kœring. Il a en outre
bénéficié de l'accueil dévoué et efficace du personnel du château de Fontainebleau et
tout particulièrement de Sophie Plancke, responsable du service de la documentation.
Le décor de stucs, fresques et lambris de la chambre de la duchesse d'Etampes, exécuté
entre 1541 et 1544, a subi une modification en 1570. Au milieu du XVIIIe siècle, la salle
fut transformée en cage d'escalier par Ange-Jacques Gabriel ; enfin, dans les années
1834-1836, Abel de Pujol restaura les fresques et dota la voûte construite alors d'une
décoration peinte. Sur ce décor et les problèmes que posent sa reconstitution, voir Louis
Dimier, Le Primatice. Peintre, sculpteur et architecte des rois de France..., Paris,
E. Leroux, 1900, p. 73-75 et 269-278 ; Nancy J. Vickers, « Courting the Female
Subject », in The French Renaissance in Prints from the Bibliothèque nationale de
France, Los Angeles, Grunwald Center for the Graphie Arts, University of California,
1994, [p. 95-258] ; Kathleen Wilson-Chevalier, « Alexander the Great at Fontainebleau »,
in Alexander the Great in European Art, catalogue de l'exposition tenue à Thessalonique
du 22 septembre 1997 au 11 janvier 1998, éd. par N. Hadjinicolaou, Athènes, 1997,
[p. 25-33] ; Kathleen Wilson-Chevalier, « Femmes, cour, pouvoir : la chambre de la
duchesse d'Etampes à Fontainebleau », in Le Royaume de fémynie. Pouvoir,
contraintes, espaces de liberté des femmes de la Renaissance à la Fronde, sous la dir. de K.
Wilson-Chevalier et E. Viennot, Paris, H. Champion, 1999, [p. 203-236] ; Sigrid Ruby, « Die
Chambre de la duchesse d'Etampes im SchloB von Fontainebleau », Zeitschrift fur Kunst-
geschichte 67, 2004, [p. 55-90] et le récent état de la question dû à Laura Aldovini, « La
chambre de la duchesse d'Etampes. 1541-1544 », in Primatice maître de Fontainebleau,
Paris, musée du Louvre, 22 septembre 2004 - 3 janvier 2005, Paris, Éditions de la
R.M.N., 2004, [p. 226-240] (auquel nous limiterons les renvois par la suite).
38 DELPHINE TREBOSC

phique moindre et se caractériseraient, selon une opinion répandue, par


l'absence de dispositifs formel, narratif ou sémantique articulant fresque
et encadrement. Henri Zerner considère que les stucs de la chambre de la
duchesse d'Etampes sont « plus strictement ornementaux » et que leur
« densité sémantique est faible » : elle se limiterait à une glorification de
la beauté féminine et à une évocation de l'abondance et du plaisir. Ces
stucs établiraient « le ton ou le mode du décor sans entrer en compétition
avec les fresques »2. Il convient néanmoins d'examiner plus longuement
les causes de ce choix figuratif et formel en rapport avec le décor peint de
la chambre, consacré à la vie d'Alexandre le Grand. Parmi les épisodes
relatifs aux conquêtes féminines du Macédonien peints à fresque, Apelle
peignant Campaspe devant Alexandre et Le Mariage d'Alexandre et
Roxane3, liés tous deux à la pratique picturale, permettent d'appréhender
les figures féminines en stuc comme des éléments prégnants de
l'ensemble décoratif.
Le premier de ces épisodes est rapporté par Pline, soucieux de «
prouver » l'estime qu'Alexandre portait à Apelle. Le Macédonien, fasciné par
la beauté de Campaspe, avait commandé au peintre un portrait de sa
favorite nue. Lors de l'exécution de l'œuvre, Alexandre perçut l'attrait que la
beauté de sa maîtresse exerçait sur Apelle et la lui offrit. Cet acte, s'il

Henri Zerner, L'Art de la Renaissance en France. L'invention du classicisme, Paris,


Flammarion, 1996, p. 111. Cette opposition a récemment été réitérée par L. Aldovini,
op. cit., p. 228 : « [Les stucs de la Galerie François Ier] participent à l'iconographie de
la peinture qui leur est associée et en intègrent les symboles complexes, ceux de la
Chambre de la duchesse ont pour fonction de célébrer la beauté féminine. »
L'invention de Primatice pour la fresque à? Apelle peignant Campaspe devant
Alexandre, aujourd'hui disparue, est connue par un dessin original de format ovale (Chats-
worth, The Duke of Devonshire and the Trustées of the Chatsworth Seulement, Inv.
186) repris en contre-partie dans deux eaux-fortes de Léon Davent (Henri Zerner,
L'École de Fontainebleau. Gravures, Paris, A.M.G., 1969, L. D. 51) et du Maître I? V
{The Illustrated Bartsch..., vol. 33, éd. par H. Zerner, New York, Abaris Books, 1979,
p. 272 et p. 371 , n. 2). Au XVIIIe siècle, Mariette indique que la fresque était placée en
dessus-de-porte (Abecedario de P. J. Mariette... publié par Ph. de Chennevières et A. de
Montaiglon, Paris, J.-B. Dumoulin, 1853-1862, t. VI, p. 297-298). Dans les années 1834-
1836, Abel de Pujol la restitua dans le médaillon ovale situé au-dessus de la porte
menant à la Porte Dorée (mur est), dont la fresque avait disparu, d'après une gravure
dont il inverse le sens. La correspondance entre l'orientation de la lumière dans le
dessin de Primatice (de gauche à droite) et l'éclairage de la chambre par la fenêtre du mur
nord plaide en faveur de la décision d'Abel de Pujol (voir L. Aldovini, op. cit., p. 231).
La fresque représentant Le Mariage d'Alexandre et Roxane demeure visible sur le mur
ouest, entourée par Alexandre et Bucéphale, à droite, et Timoclée devant Alexandre, à
gauche. Le décor à fresque de cette paroi appartiendrait à la première campagne de
décoration de la pièce (voir L. Aldovini, op. cit., p. 227).
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ÉTAMPES 39

témoigne de la libéralité et de la continence du roi, sonne comme la


manifestation de son admiration pour le talent du peintre4. Dans son dessin
(fig. 1), Primatice traduit formellement Y innamoramento et l'acte de don
par un mouvement de translation qui anime la composition de droite à
gauche : de la position allongée de l'Amour endormi, au corps assis de
Campaspe, à l'effort d'Alexandre, jusqu'à la rectitude d'Apelle et de
l'Amour éveillé qui l'étreint. Ce mouvement est souligné par l'orientation
du geste du putto qui répand le contenu sonnant et trébuchant d'une urne,
motif insistant sur le sens moral de la scène. Primatice représente Apelle,
dos au spectateur, la main posée sur un appui-main5, sur le point de
peindre Campaspe ; la lumière venant de la gauche projette l'ombre d'Apelle
sur la surface vierge du support. La superposition du geste d'Apelle et de
sa propre ombre pourrait se lire comme une allusion à l'invention de la
peinture, selon le lieu commun antique repris par la « littérature
artistique » de la Renaissance6. L'histoire d'Apelle et Campaspe offre à
Primatice la possibilité de développer dans son invention plusieurs niveaux
de mise en abîme : non seulement celle de la figure du peintre7, celle du
« tableau » et de l'action de peindre mais aussi celle du commanditaire,
destinataire et spectateur de l'œuvre. Primatice introduit en outre une
référence à l'invention de la pratique picturale dans un thème iconographique
associé au discours théorique sur les arts.
Le débat italien sur la hiérarchie des arts a en effet eu recours à ce lieu
commun de la reconnaissance de l'exceptionnelle valeur du talent d'un
peintre que constitue l'épisode d'Apelle et Campaspe. Dans // Libro del
cortegiano, les deux principaux critères du paragone entre la peinture et
la sculpture sont l'effet produit sur le spectateur et la valeur vénale de

Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XXXV, 36, § 86-88.


Ce détail est visible sur le dessin de Primatice ; contrairement au Maître I ¥• V, Léon
Davent - connu pour la fidélité de ses gravures aux dessins de Primatice - reproduit
cet instrument, mais représente également un pinceau dans la main d'Apelle.
Ainsi Léon Battista Alberti, De Pictura, Florence, 1435, 1, 9 : « Quintilien pensait que
les tout premiers peintres avaient l'habitude de circonscrire des ombres au soleil, et
qu'ensuite seulement l'art s'était développé par ajouts » (cité d'après Léon Battista
Alberti, La peinture, texte latin, trad. française, version italienne, éd. de T. Golsenne
et B. Prévost, revue par Y. Hersant, Paris, Seuil, 2004, p. 101). Alberti se réfère à
Quintilien, Institution oratoire, X, II, 7 ; voir aussi Pline l'Ancien, Histoire naturelle,
XXXV, 5, § 15-16. Cette action serait également à l'origine de l'invention du
modelage, en particulier des portraits en relief, voir Pline l'Ancien, Histoire naturelle,
XXXV, 43, § 151.
L'hypothèse a été émise que Primatice aurait donné ses traits à Apelle, mais la
ressemblance entre le personnage peint dans la Chambre de la duchesse d'Etampes et les
portraits connus de Primatice ne semble pas évidente, voir L. Aldovini, op. cit., p. 231.
40 DELPHINE TREBOSC

l'œuvre. L'épisode d'Apelle et Campaspe vient illustrer le second


argument et prouver la supériorité de la peinture sur la sculpture, elle qui a
remporté le plus haut prix qui soit : une femme à la beauté merveilleuse, aimée
d'un puissant roi, « un signe de très grand amour envers Apelle »s. On
retrouve sous la plume de Vasari, dans le Proemio des Vite, ce topos de
la dispute entre les arts ; il intervient à nouveau à propos du prix des
œuvres des peintres et des sculpteurs et vient clore l'argumentation en
faveur de la peinture en tant que preuve irréfutable :
Quand bien même il n'en irait pas ainsi, et que le prix de la peinture ne se
révélerait pas supérieur, comme il est pourtant facile de le constater à qui veut s'en
donner la peine, aux sculpteurs de déceler un prix plus élevé que le beau et
merveilleux cadeau vivant que fit Alexandre le Grand à Apelle en récompense
du brio extraordinaire et de l'excellence de son œuvre : pas de grands trésors
ni un office, mais sa bien-aimée, la ravissante Campaspe ; qu'ils tiennent
compte du fait qu'Alexandre était jeune, amoureux, et par nature soumis aux
passions de Vénus, et tout ensemble roi et grec ; et à eux de conclure.9

Quant au Mariage d'Alexandre et Roxane (fig. 2), il s'agit de la


reconstitution d'un tableau d'Aétion connu par Yekphrasis qu'en a donnée Lucien
de Samosate dans Hérodote et Aétion. Roxane, fille d'un baron de Sog-
diane, qui avait été capturée avec son père par les Grecs, devint l'épouse
d'Alexandre. Selon Lucien, c'est précisément à la représentation de leurs
noces qu'Aétion devait sa postérité en tant que peintre :
Aétion, après avoir peint le mariage d'Alexandre et Roxane, se rendit aux jeux
olympiques pour exposer aux yeux de tous les spectateurs ce tableau, dont l'art
merveilleux enchanta tellement Proxénide, alors hellanodice, qu'il voulut que
le peintre devînt son gendre.

Lucien décrit ensuite l'œuvre et notamment la figure de Roxane,


semblable à « une jeune vierge d'une beauté parfaite »'°. L' ekphrasis relevant de

// Libro del cortegiano del conte Baldesar Castiglione, Venise, Aide, 1528, libro primo,
p. 56-57 (reproduction anastatique, Rome, Bulzoni, 1986), cité d'après Le Livre du
courtisan, présenté et trad. de l'italien d'après la version de Gabriel Chappuis (1580)
par A. Pons, Paris, Flammarion, 1991, p. 96.
Giorgio Vasari, Le Vite de'più eccellenti pittori scultori e archittetori , Florence, L. Tor-
rentino, 1550, p. 97 (consulté dans Le Opère di Giorgio Vasari con nuove annotazioni
e commenti di G. Milanesi, Florence, G. C. Sansoni, 1906, t. 1 ; cité dans Giorgio Vasari,
Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, trad. et éd. commentée sous
la dir. d'A. Chastel, Paris, Berger-Levrault, 1981, t. IX, p. 58, 3e éd. revue et corrigée,
1989).
Lucien de Samosate, Hérodote et Aétion, 4-6 ; cité dans Œuvres complètes de Lucien
de Samosate, trad. de Belin de Ballu, revue, corrigée et complétée par L. Humbert,
Paris, 1896, t. I, p. 381-382. L'identification du thème de la fresque revient à Richard
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ÉTAMPES 41

l'éloge du travail du peintre, la reconstitution du Mariage d'Alexandre et


Roxane par Primatice situe son émulation des Anciens au niveau de leurs
chefs-d'œuvre. En outre, cette fresque possède, comme celle d'Apelle
peignant Campaspe devant Alexandre, un rapport à la représentation au
second degré puisqu'elle reproduit un tableau antique. Mais surtout, dans
ces deux épisodes, la beauté féminine constitue en même temps l'objet et
la reconnaissance de l'excellence picturale. Ces deux fresques illustrent la
convocation du corps féminin comme critère de valeur de l'œuvre, c'est-
à-dire à la fois comme pierre de touche et prix de l'excellence artistique.
En outre, Primatice est l'auteur d'une invention figurant un sculpteur
à l'œuvre, probablement Pygmalion, connue par une gravure de Léon
Davent (fig. 4). Elle témoigne de la manipulation d'un topos du discours
sur l'art antique relatif à la création d'un corps féminin à la beauté
parfaite et illustrant le rapport de substitution qui unit la beauté de l'art et celle
de la femme ainsi que l'irrésistible attrait que l'un et l'autre peuvent
produire". Cette invention n'est rattachée à aucun ensemble décoratif, mais
Rubens l'a associée aux figures féminines en stuc de la chambre de la
duchesse d'Etampes dans un dessin figurant Trois femmes soutenant des
guirlandes exécuté sans doute dans la première moitié des années 1620
(fig. 5)12 : les deux nus féminins de gauche constituent une interprétation
personnelle des cariatides de Primatice placées entre les fresques
d'Alexandre domptant Bucéphale et du Mariage d'Alexandre et Roxane
(fig. 3) ; la figure de droite reprend en contre-partie la statue en cours
d'achèvement du Pygmalion de Primatice. On peut supposer que cette
association faisait sens pour le peintre anversois, qui semble accomplir la

Fôrster, « Die Hochzeit des Alexander und der Roxane in der Renaissance »,Jahrbuch
der Kôniglich Preussischen Kunstsammlungen, t. XV, 1894, [p. 182-207], p. 202-203.
Sur cette fresque voir Boris Lossky, « Sources d'inspiration d'une fresque bellifon-
taine : "l'Alexandre et Roxane" de Primatice », Bulletin de la Société de l'Histoire de
l'Art français, 1983, [p. 21-25].
Ovide, Métamorphoses, X, 249 sqq.. Ce lieu commun fut aussi sollicité dans la dispute
entre la peinture et la sculpture : voir la Lezzione di Benedetto Varchi nella quale si
disputa délia maggioranza délie arti e quel sia più nobile, la sculptura o la pittura...
(prononcée en 1547 à l'Accademia Fiorentina) dans les Due Lezzioni di M. Benedetto
Varchi..., Florence, L. Torrentino, 1549, p. 47 (consulté dans Paola Barocchi, Trattati
d'arte del Cinquecento fra Manierismo e Controriforma, I, Bari, 1960) ; voir
également G. Vasari, op. cit., t. 1 , p. 97-98 ; sur « l'intérêt proprement esthétique » que revêt
ce thème pour Bronzino voir Maurice Brock, Bronzino, Paris, Éditions du Regard, 2002,
p. 58.
Rotterdam, Muséum Boymans van Beuningen, Inv. V. 6r. Sur ce dessin voir Rubens,
Jordaens, Van Dyck and their Circle : Flemish Masters Drawings from the Muséum
Boijmans van Beuningen, Muséum Boijmans van Beuningen, 2001 , p. 116-119.
42 DELPHINE TREBOSC

métamorphose de ces sculptures (les deux cariatides et la statue) en


femmes de chair13.
Les fresques d' Apelle peignant Campaspe devant Alexandre et du
Mariage d'Alexandre et Roxane entretiennent donc une relation manifeste
avec la répétition du motif de la figure féminine nue dans les stucs de la
chambre. Un tel constat ouvre la voie à une réévaluation de la portée
sémantique de ce motif.
On n'ignorait pas à la cour de François 1er, après la traduction du Libro
del cortegiano par Jacques Colin en 1537, que l'épisode d'Alexandre,
Campaspe et Apelle, témoignant de la plus haute distinction jamais
accordée à un artiste, fût une « preuve » de la supériorité de la peinture sur la
sculpture. D'autres éléments du décor de Primatice accréditent-ils
l'hypothèse d'une allusion à ce paragone ?
Plusieurs choix formels pourraient relever d'une volonté de
démonstration des capacités de la peinture, de ses spécificités comme de son
aptitude à égaler la sculpture. On est aujourd'hui réduit à interroger les trois
fresques du mur ouest et la fresque gauche du mur sud, seules fresques
issues de la première campagne de décoration parvenues jusqu'à nous14.
Cependant l'état de conservation de ces fresques, eu égard à l'altération
de la surface picturale15, rend quasi impossible l'appréciation de l'exécu-

Dans les Lezzione di Benedetto Varchi..., op. cit., p. 47, le cas de Pygmalion démontre
que « [...] una figura di rilievo ha più del vero e del naturale, quanto alla sostanza, che
una dipinta [...] ».
Outre Le Mariage d' Alexandre et Roxane déjà cité, il s'agit à' Alexandre et Bucéphale,
de Timoclée devant Alexandre (in situ, mur ouest) et de Thalestris montant dans le lit
d' Alexandre (in situ, mur sud). Cette dernière fresque a été modifiée par Nicolo del-
l'Abate en 1570 et restaurée, au XIXe siècle, par Abel de Pujol à partir d'une gravure
du Maître I ¥- V d'après Primatice datable du milieu des années 1540 (Paris, BnF,
département des Estampes et de la Photographie, Ed 13 b rés.).
Après l'intervention d'Abel de Pujol dans les années 1834-1836, les fresques de la
chambre de la duchesse d'Etampes ont été restaurées entre 1962 et 1964 par O. Binen-
baum. Le témoignage de Jamin nous informe sur l'état de la surface picturale de ces
fresques avant leur « restauration » par Abel de Pujol : « Quant à ceux [/. e. les
« tableaux »] qui sont à droite [sur le mur ouest] et au fond [sur le mur sud], il ne
restait plus que de légères parties de peinture ; on apercevait seulement éparses quelques
couleurs nuancées, pâles et noircies par le temps, mais le tracé était conservé presque
partout » (E. Jamin, Fontainebleau ou notice historique et descriptive sur cette résidence
royale, Fontainebleau, 1838, p. 183). Ce constat doit néanmoins être nuancé ; Jamin a
tendance à donner une description exagérée du mauvais état de conservation des
fresques afin de valoriser les restaurations menées sous Louis-Philippe, pour le compte
duquel il écrit. D'ailleurs, selon Frédéric Reiset, Le Mariage d'Alexandre et Roxane
était la seule fresque de la chambre qui fût assez bien conservée (F. Reiset, « Niccolo
dell'Abbate et les peintres de Fontainebleau », Gazette des Beaux-Arts, 1859, t. III,
[p. 193-209, 266-277], p. 203 n. 1).
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ÉTAMPES 43

tion et notamment des effets de texture. Néanmoins, dans Le Mariage


a" Alexandre et Roxane, Primatice semble avoir modifié le prototype
emprunté à Raphaël (fig. 6)16 où le « dévoilement » de Roxane est traité
de manière plutôt retenue : il augmente à la fois la dimension du voile et
l'amplitude du geste du putto afin de réaliser la prouesse technique de
représenter la translucidité et la légèreté de l'étoffe en suspension dans
l'air. De même, il accroît considérablement la taille de la flamme de la
torche portée par Héphestion comme s'il insistait sur l'aptitude de la couleur
à imiter le feu17. Ces deux motifs sont d'ailleurs mis en valeur par leur
nette superposition (absente du modèle raphaélesque) . Pareillement, les
fresques du mur ouest témoignent de l'attention portée par Primatice au
rendu de l'éclat des accessoires métalliques et en cuir ainsi que de la
variété des carnations. Mais le peintre semble avoir simultanément voulu
affirmer l'artificialité de la couleur. Dans les étoffes aux couleurs vives et
acidulées, aux natures peu différenciées, les teintes se donnent à voir pour
elles-mêmes. De forts cangiantismi s'affichent dans les plis formés par le
débord des draps de la couche de Roxane sur le pied en bronze du lit ; en
passant de l'ombre à la lumière, la couleur du tissu change brusquement
au lieu de simplement s'éclaircir.
Les capacités de la peinture à égaler la sculpture se démontrent au
moyen de ses qualités mimétiques et de son pouvoir d'analogie. Primatice
en plaçant des statues (de bronze ?) dans les niches de la salle ornée de
marbres colorés où se tient le lit nuptial de Roxane, comme en donnant une
forte volumétrie au monstre ailé de bronze lui servant de pied, affirme
l'aptitude de la peinture à donner, grâce à la différenciation des textures,
l'illusion de la sculpture. Simultanément, la pâleur et l'éclat de la
carnation de Roxane, comme le fort modelé de son anatomie, font écho aux
figures féminines de l'encadrement de stuc et, tout particulièrement, au
jeu de la lumière et de l'ombre sur leur surface blanche et polie. Une telle

Le Mariage a" Alexandre et Roxane de Raphaël est connu par un dessin préparatoire
(élaboration de la composition d'après le modèle vivant) attribué à Raphaël (Vienne,
Graphische Sammlung Albertina, inv. 17634) et plusieurs dessins dus à son entourage,
comme celui que nous reproduisons attribué à son disciple Tommaso di Andréa Vinci-
dor (Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, inv. 3885) ainsi qu'une
gravure de Giacomo Jacopo Caraglio (The lllustrated Bartsch ..., vol. 28, éd. par
S. Boorschet J. Spike, New York, Abaris Books, 1985, p. 201 , n°62 (95)). Sur cet
ensemble voir la notice de Konrad Oberhuber dans Le Cabinet d'un Grand Amateur.
P.-J. Mariette 1694-1774. Dessins du XV siècle au XVIII' siècle, Musée du Louvre,
Paris, 1967, n° 123.
Sur l'universalité du pouvoir illusionniste de la peinture voir bien sûr la Lezzione di
Benedetto Varchi..., op. cit., p. 37 et G. Vasari, op. cit., t. 1 , p. 99.
44 DELPHINE TREBOSC

comparaison paraît être réitérée dans Thaïes tris montant dans le lit
d'Alexandre™ (fig. 7) et surtout dans Timoclée devant Alexandre (fig. 8) où
la nudité de l'héroïne se distingue par sa couleur laiteuse, comme si Pri-
matice privilégiait la suggestion de l'analogie au détriment de la
vraisemblance narrative (l'iconographie de la fresque prend des libertés avec le
récit de Plutarque qui ne mentionne aucunement la nudité de Timoclée19).
Les allusions de Primatice au paragone ne semblent pas relever d'un
positionnement dans la dispute même, mais d'une démarche réflexive.
Primatice paraît en effet avoir introduit au sein d'un ensemble décoratif -
dont Kathleen Wilson-Chevalier et Sigrid Ruby ont récemment proposé
des interprétations politiques et sociologiques liées à la célébration du roi
et de la cour20 - des références à son art et fait retour sur ce qui détermine
et prouve l'excellence de sa propre pratique. S'y trouvent déployés
plusieurs lieux communs du discours sur l'art liés à l'origine de la « platte
peinture » et du relief, à l'émulation des Anciens, au paragone entre la
peinture et la sculpture et par là même à l'appréciation des arts. Ils sous-
tendent la démonstration de Primatice destinée à prouver ses capacités à
traiter le motif de la femme nue, exercice où se mesure l'aisance du
sculpteur et du peintre. Si cette démarche peut participer d'une «
autopromotion », elle s'inscrit plus fondamentalement dans une recherche sur la
représentation du nu féminin.
Le maniérisme italien a institué la représentation du corps nu comme
objet principal de l'art et lieu privilégié de l'expression artistique : si Vasari,
comme il l'écrit dans une lettre à l'Arétin, introduit des nus dans une
invention qui ne les nécessitait pas, c'est « per mostrare [...] lo studio dell'arte »21.
Les inventions destinées à la chambre de la duchesse d'Etampes se
rapportent essentiellement aux épisodes galants de la vie d'Alexandre22. Les

Cette fresque, très endommagée, a été restaurée par Abel de Pujol dans les années 1834-
1836 (voir n. 15).
Plutarque, Vies, Alexandre-César , 12.
Voir n . 1 .
Lettre de Giorgio Vasari à Pietro Aretino, 1534, transcrite dans Le Opère di Giorgio
Vasari..., op. cit., t. 8, p. 251.
Outre les fresques conservées - Alexandre domptant Bucéphale , Le Mariage
d'Alexandre et Roxane, Alexandre et Timoclée et Thaïe stris montant dans le lit d Alexandre -
appartenaient aussi à la première campagne de décoration (de manière non exclusive) :
Apelle peignant Campaspe devant Alexandre (voir n. 3) ; Le Banquet d' Alexandre
(disparu, connu par un dessin préparatoire de Primatice, Paris, musée du Louvre,
département des Arts graphiques, inv. 8569) ; Alexandre accueillant Thalestris et les
Amazones (disparu, connu par un dessin préparatoire de Primatice, Paris, musée du Louvre,
département des Arts graphiques, inv. 8572) ; La Mascarade de Persépolis (disparu,
connu par un dessin préparatoire de Primatice, Paris, musée du Louvre, département des
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ÉTAMPES 45

anatomies graciles et sensuelles s'y multiplient ; notamment les nus


féminins, requis par l'iconographie ou, pour l'un d'entre eux, introduit
arbitrairement (dans Timoclée devant Alexandre). Par la récurrence variée de
ce motif, que la tradition classique a institué comme thème archétype de
l'excellence de l'art, Primatice entend démontrer son talent dans un
ensemble décoratif dont certaines fresques illustrent précisément l'association
de la beauté de la femme et de celle de l'art. On se souvient que l'épisode
d'Apelle, Campaspe et Alexandre témoigne littéralement de cette
équivalence et que la réception du tableau d'Aétion représentant Le Mariage
d'Alexandre et Roxane y fait implicitement référence. Primatice s'illustre
dans la répétition variée du nu féminin, thème paradigmatique de la
recherche de la perfection en art, lieu de l'émulation des Anciens et des maîtres
modernes et contemporains.
La répétition de ce motif relève aussi de l'affirmation de l'idée de grâce.
Selon Pline, c'était par cette qualité (la venustas) que la peinture d'Apelle,
sous le patronage duquel semble se placer Primatice dans ce décor, «
manifestait sa supériorité »23. Le thème de « la vie et geste d'Alexandre » étant
d'ailleurs particulièrement propice à une confrontation entre la venustas,
beauté physique faite surtout de grâce et de charme reconnue comme
l'apanage de la femme, et la dignité ou noblesse propre à l'homme24.
Les figures féminines en stuc, dont l'importance de l'impact visuel ne
convient pas à un parergon, sont en concurrence avec les fresques. Le
registre de l'ornement permet de les déployer en tant que choses, dans
leur fonctionnalité de cariatides, leur matérialité de « sculptures ».
Primatice, en recourant au haut-relief, semble mettre à contribution les
capacités alors reconnues à la sculpture : son aptitude à rendre la matérialité
des corps et à stimuler les sens (la vue mais aussi le toucher)25 et par là

Arts graphiques, inv. 8568). Liste à laquelle il faudrait peut-être ajouter une
composition de format ovale connue par un dessin de Primatice montrant Alexandre embrassant
une femme (Vienne, Graphische Sammlung Albertina, inv. 1986), voir L. Aldovini, op.
cit., n° 94.
Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XXXV, 79 : « Praecipua eius in arte uenustas fuit,
cum eadem aetate maximi pictores essent ; quorum opéra cum admiraretur, omnibus
conlaudatis déesse illam suam uenerem dicebat, quam Graeci xàpira uocant. »
Cicéron, Les Devoirs, I, 130 : « Cum autem pulchritudinis duo gênera sint, quorum in
altero uenustas sit, in altero dignitas, uenustatem muliebrem ducere debemus, dignita-
tem uirilem. »
La perfection de l'imitation de la nature, la vérité sensorielle de l'œuvre constituent un
critère de la dispute des arts : les partisans de la supériorité de la sculpture estiment
qu'elle seule imite la forme véritable alors que la peinture ne montre qu'une apparence,
voir notamment // Libro del cortegiano..., op. cit., p. 55 ; Lezzione di Benedetto Var-
chi..., op. cit., p. 41-43 et G. Vasari, op. cit., t. 1, p. 94-95.
46 DELPHINE TREBOSC

même à susciter le désir26. Comme le soulignera plus tard Biaise de Vige-


nère dans ses commentaires aux Images de Philostrate, le relief apparaît
plus « propre à esmouvoir l'affection » que la « platte peinture »27 ; il note
en particulier à propos d'une représentation de Vénus en relief que « la
Déesse ne voulant paroistre de platte peinture, se forjette et advance hors
d'œuvre, comme si on la debvoit empoigner »28. Dans la chambre de la
duchesse d'Etampes, émergeant de la décoration peinte, les figures
féminines en stuc pourraient posséder une fonction transitive favorisant
l'association de la maîtresse des lieux à la célébration de la beauté féminine
à l'œuvre dans les fresques.
La démonstration de l'excellence de Primatice se manifeste tout
particulièrement dans ces figures féminines en stuc : l'effet de répétition vaut
comme affirmation. Les stucs des murs ouest et sud, appartenant au
premier état du décor29, sont le lieu d'une pure variation sur le motif de la
femme nue. On a le sentiment qu'il ne s'agit pas de variantes d'une même
figure : si leur morphologie est identique, leurs visage et coiffure sont
différents. Primatice réitérera par la suite, selon des références et un mode
différents, le même déploiement dans l'invention destinée au compartiment
central de la voûte de la Galerie d'Ulysse, figurant La Ronde des Heures
accompagnée de celle des Grâces (fig. 9) : le peintre se livre, en ce lieu
privilégié et comme le thème l'y invite, à une démonstration de sa
maîtrise par la répétition variée de la même figure féminine nue30.

Cf. les célèbres lieux communs « agalmatophiliques » de Pygmalion (voir n. 13) ainsi
que de l'Aphrodite de Cnide et de l'Éros de Parium de Praxitèle (voir entre autres Pline
l'Ancien, Histoire naturelle, XXXVI, 4 (5), § 20-23) repris par Lezzione di Benedetto
Varchi..., op. cit., p. 47 ; G. Vasari, op. cit., t. 1, p. 94 et 97-98).
Les Images ou tableaux de platte-peinture de Philostrate, ... mis enfrançois par Biaise
de Vigenère Bourbonnois, avec des arguments et annotations sur chacun d'iceux, Paris,
N. Chesneau, 1578, p. 347-348 (consulté dans Philostrate, Les Images ou tableaux de
platte-peinture, trad. et commentaire de Biaise de Vigenère (1578), t. I, présenté et
annoté par Françoise Graziani, Paris, H. Champion, 1995). Comme nous l'a très
justement suggéré Vincent Droguet (conservateur au château de Fontainebleau) ce pouvoir
du relief à susciter le désir n'a pas échappé au XVIIIe siècle qui fit draper légèrement
la taille des figures de stucs de la chambre sans pour autant voiler les nus féminins des
fresques. Ces drapés furent ôtés dans les années 1960.
Ibidem, p. 465.
Contrairement aux stucs du mur est qui ont subi de lourdes transformations, cette
partie des stucs ne semble pas avoir été modifiée depuis la première campagne de
décoration, voir L. Aldovini, op. cit., p. 227-228.
L'invention est connue par un modello achevé conservé à Francfort-sur-le-Main, Stà-
delsches Kunstinstitut und Stàdtische Galerie, inv. n° 615, datable vers 1549-1550 ou
vers 1555, voir Vittoria Romani, « Primatice peintre et dessinateur », in Primatice
maître de Fontainebleau, op. cit., p. 28 et cat. 149 ainsi que Lizzie Boubli, L'Atelier du
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ÉTAMPES 47

Ces figures féminines en stuc paraissent rechercher et démontrer une


qualité : la grâce. Leur morphologie et leur attitude produisent une
impression de douceur, d'élégance, de fluidité. Par leur position droite et leur
échelle, elles offrent leur canon à la contemplation et au jugement. Il faut
noter que les conditions de visibilité originelles ont été modifiées
notamment par la transformation de la chambre en cage d'escalier. Néanmoins,
le père Dan, qui rend compte d'un état de la pièce antérieur à cette
transformation, les perçoit « grandes comme le naturel »31. C'est une
impression que l'on peut effectivement avoir ; destinées à être vues en contre-
plongée (elles sont placées au-dessus du niveau des portes), leur hauteur de
plus de 190 cm visait probablement à produire cet effet. Leur canon de
proportions est traditionnel32 : le sexe se trouve au milieu du corps et les genoux
au quart, le visage respecte le système de proportion interne tripartite, mais
subit une légère diminution (1/12 de la hauteur totale du corps au lieu de
1/10). Aussi, pour ces figures destinées à être vues en contre-plongée, Pri-
matice semble avoir choisi de ne pas corriger la déformation optique en
augmentant la taille des parties du corps les plus éloignées du regard du
spectateur (ici à 3 m au minimum) et de diminuer, au contraire, la taille de
la tête. Ce jeu sur les règles de correction des déformations optiques,
couplé à l'adoption d'une morphologie svelte, produit un effet d'élongation
des jambes. Dans les représentations en vue frontale, ce procédé s'inscrit,
avec la diminution de la dimension des pieds, dans une recherche de
la grâce conçue comme une qualité supérieure à la beauté conférée par
le respect des proportions où se révèle la perfection, l'achèvement de
l'œuvre33.

dessin italien à la Renaissance . Variante et variation, Paris, C.N.R.S. Éditions, 2003,


p. 162.
Pierre Dan, Le Trésor des merveilles de la maison royale de Fontainebleau, Paris,
S.Cramoisy, 1642, p. 107.
Tel qu'il est décrit par Vitruve dans Les Dix Livres d'architecture, III, 1 et par Léonard
(voir Les Carnets de Léonard de Vinci, introduction, classement et notes par E. Mac-
Curdy, trad. de l'anglais et de l'italien par L. Servicen, Paris, Gallimard, 1942, vol. 1,
VII).
Une des qualités manquant aux œuvres des maîtres de la « seconde époque » pour
atteindre la perfection à laquelle s'élèvent les « modernes » selon G. Vasari, op. cit., t. 4, Pro-
emio alla parte terza, p. 9 : « Nelle misure mancava un retto giudozio, che senza che
le figure fussino misurate, avessero in quelle grandezze ch'elle eran jatte une grazia che
eccedesse la misura. » Sur la distinction entre la beauté, issue de la mesure, et la grâce
voir Benedetto Varchi, Libro délia beltà e grazia (première publication posthume dans
les Lezzioni di M. Benedetto Varchi Accademico Fiorentino..., Florence, F. Giunti, 1590,
p. 560-565, consulté dans P. Barocchi, op. cit., p. 85 sqq.).
48 DELPHINE TREBOSC

II est notoire que cette réflexion sur la représentation du nu féminin


intervient au retour de Rome de Primatice, à la fin de l'hiver ou au début
du printemps de 1541, et se fait en référence à la statuaire antique et à la
peinture émilienne qu'il redécouvre lors de ce voyage34. Il travaille alors
à la décoration de la Galerie Basse, de l'Appartement des Bains, de la
Chambre de la duchesse d'Etampes, de la Porte Dorée et du Cabinet du
Roi et supervise parallèlement la fonte des antiques moulées à Rome sous
la direction de Giacomo Vignola35. Parmi ces antiques, se trouve la Vénus
debout du Vatican (fig. 10), qui avait été installée dans la cour des statues
du Belvédère peu après 153636. D'une totale nudité, elle dérive du modèle
praxitélien de V Aphrodite dite de Cnide. Elle figure parmi les premières
fontes réalisées après l'arrivée des moules à Fontainebleau. Le bronze
(fig. 11) prend des libertés avec son modèle : l'hydrie posée à côté de la
jambe droite a disparu ; cette jambe est modifiée et la longue draperie
tenue par la main droite est remplacée par un petit morceau d'étoffe
flottant. Les causes techniques de ces modifications ne sont pas à exclure,
mais on peut aussi supposer que Primatice ait souhaité mettre en valeur la
nudité de la statue et rétablir la beauté de sa jambe « mutilée ».
L'attention portée à cette Vénus pourrait avoir motivé le parti pris de totale nudité
adopté pour les cariatides de stuc de la chambre de la duchesse
d'Etampes, de même qu'elle a pu nourrir l'élaboration du canon de ces figures
dont la hauteur est comparable à celle du bronze37. Une telle référence
formelle cacherait une charge sémantique : un type d'Aphrodite associé à la
perfection atteinte par l'art38 ainsi qu' au paragone entre peinture et
sculpture39 entrerait dans l'élaboration d'un motif essentiel à la démonstration
de Primatice.

En premier lieu Anthony Blunt, Art and Architecture in France (1500-1700), Har-
mondsworth, Penguin Books, 1953, p. 87-88 (consulté dans la trad. de M. Chatenet, Art
et architecture en France (1500-1700), Paris, Macula, 1983).
Sur les fontes de Primatice voir le dernier état de la question établi par Geneviève Bresc-
Bautier et Dominique Cordellier, « Primatice et les "antiquailles exquisses" 1540-
1545 », in Primatice maître de Fontainebleau, op. cit., [p. 137-154].
Voir Francis Haskell et Nicholas Penny, Taste and the Antique. The Lure of Classical
Sculpture. 1500-1900, New Haven, Londres, Yale University Press, 1981, n° 175
(consulté in Pour l'Amour de l'antique. La statuaire gréco-romaine et le goût
européen. 1500-1900, trad. par F. Lissarrague, éd. revue et augmentée, Paris, Hachette, 1988,
p. 357-358).
H. : 192 cm ; L. : 70 cm ; Pr. : 89 cm.
Voir Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XXXVI, 4 (5), § 20.
Voir les allusions de G. Vasari, op. cit., t. 1, p. 94 et 97-98 au topos de V Aphrodite de
Cnide.
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ÉTAMPES 49

En outre, les silhouettes de ces stucs ont été rapprochées des


recherches de Parmigianino sur la représentation du corps féminin. Si sa
connaissance de la peinture émilienne est antérieure à son voyage à Rome en
1540-154140, Primatice découvre sans doute la dernière manière de
Parmigianino lors de ce séjour. Les figures féminines en stuc de la chambre
de la duchesse d'Etampes ont été rapprochées des Vierges folles et des
Vierges sages peintes par Parmigianino sur l'intrados de l'arc de l'entrée
du chœur de Santa Maria délia Steccata à Parme, entre 1535 et 153941
(fig. 12). Prenant appui sur les impostes de cet arc, se répondent deux
groupes de six figures féminines drapées, chacune portant sur la tête une
amphore contenant des lis blancs et tenant dans les mains, les unes trois
lampes allumées, les autres trois lampes éteintes. Leur parenté avec les
cariatides de Primatice est manifeste (petite tête, cou long, pureté des
visages all'antica, canon élancé, élégance et opposition en chiasme des poses,
visages de profil et de trois quarts, principe de la répétition et de la « spé-
cularité » des gestes). Mais la transposition opérée par Primatice, dans un
autre art et dans un autre contexte iconographique, s'accompagne d'une
simplification, d'une extrapolation et d'une radicalisation du motif :
absence de statut iconographique et nudité totale des figures, suppression
des accessoires liée à leur nouvelle fonction de cariatides, effets de
répétition et de rythme poussés à l'extrême. Au moyen de ce dépouillement,
et conformément à l'intention démonstrative qui serait la sienne,
Primatice donne à voir la grâce émanant du canon et des poses de ses
cariatides, la perfection à laquelle il est parvenu.

Sur ce point voir les remarques de Vittoria Romani « Portrait de Primatice », in


Primatice maître de Fontainebleau, op. cit., p. 63.
Sylvie Béguin, « Bologna e Fontainebleau : vicende di un dialogo », in Nell'Età di Cor-
reggio e dei Carracci. Pittura in Emilia dei Secoli XVI e XVII, Bologne, Pinacoteca
Nazionale, 1986, [p. 2 1-31 J, p. 25-26. Aucun déplacement de Primatice en Emilie n'est
documenté. Toutefois, Parme est peu éloignée de Mantoue où Primatice était actif dans
les années 1530. Quoi qu'il en soit, il a pu prendre connaissance des dessins
préparatoires produits en nombre par Parmigianino (voir S. Béguin, M. di Giampaolo, M. Vac-
caro, Parmigianino. I disegni, Turin, Londres, U. Allemandi, [2001], n° 66-68).
50 DELPHINE TREBOSC

Figure 1 : Primatice, Apelle peignant Campaspe devant Alexandre,


dessin, Chatsworth, The Duke of Devonshire and the Trustées of the Chatsworth
Settlement, Inv. 186

Figure 2 : Primatice, Le Mariage d'Alexandre et Roxane, fresque,


mur ouest de la Chambre de la duchesse d'Etampes, Château de Fontainebleau
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ETAMPES 51

Figure 3 : Cariatides, mur ouest de la Chambre de la duchesse d'Etampes,


Château de Fontainebleau

Illustration non autorisée à la diffusion

Figure 4 : Léon Davent d'après Primatice, Un sculpteur,


probablement Pygmalion, eau-forte, Paris, BnF, département
des Estampes et de la Photographie
52 DELPHINE TREBOSC

Illustration non autorisée à la diffusion

Figure 5 : Pierre-Paul Rubens, Trois Femmes soutenant des guirlandes, dessin,


Rotterdam, Muséum Boymans van Beuningen, Inv. 6r

Illustration non autorisée à la diffusion

Figure 6 : Attribué à Tommaso di Andréa Vincidor, d'après Raphaël,


Le Mariage d' Alexandre et Roxane, dessin, Paris, Musée du Louvre
département des Arts graphiques, Inv. 3885
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ETAMPES 53

Figure 7 : Primatice, Thaïe stris montant dans le lit d'Alexandre, fresque, mur sud
de la Chambre de la duchesse d'Etampes, Château de Fontainebleau

Figure 8 : Primatice, Timoclée devant Alexandre, fresque, mur ouest


de la Chambre de la duchesse d'Etampes, Château de Fontainebleau
54 DELPHINE TREBOSC

Illustration non autorisée à la diffusion

Figure 9 : Primatice, La Ronde des Heures, dessin, Francfort-sur-le-Main,


Stàdelsches Kunstinstitut und Stâdtische Galerie, Inv. Nr.615

Illustration non autorisée à la diffusion Figure 10 : Vénus debout, marbre, Musée du Vatican
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ÉTAMPES 55

Illustration non autorisée à la diffusion Figure 11 : D'après l'antique, Vénus, bronze, Paris,
Musée du Louvre, affectée au musée national de
Fontainebleau, Inv. M.R. 3283

Figure 12 : Parmesan, Les Vierges folles et les vierges sages, fresque,


arc de l'entrée du chœur de Santa Maria délia Steccata, Parme
56 DELPHINE TREBOSC

Illustration non autorisée à la diffusion

Figure 13 : Léon Davent d'après Primatice, Rébecca donne à boire à Eliézer,


eau-forte, Paris, BnF, département des Estampes et de la Photographie,
Ed 8b rés., t.2

Figure 14 : Léon Davent d'après Primatice, Timoclée devant Alexandre ,


eau-forte, Paris, BnF, département des Estampes et de la Photographie, Da 67
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ÉTAMPES 57

Figure 15 : Le Maître I? V d'après Primatice, Thalestris montant


dans le lit d'Alexandre, eau-forte, Paris, BnF, département des Estampes
et de la Photographie, Ed 13 b rés.

L'association entre la figure féminine drapée et l'amphore mise en


œuvre à la Steccata dériverait du motif raphaélesque de la porteuse d'eau
dans L'Incendie du Borgo de la troisième Chambre du Vatican. Cette
analogie formelle, développée à la même période dans La Vierge au long cou
(c. 1535, Florence, Musée des Offices), a été rattachée par Elizabeth Crop-
per43 à la tradition « littéraire » vernaculaire autour de la beauté féminine
idéale et de sa représentation et plus particulièrement au parallèle établi par
Agnolo Firenzuola, dans son Dialogo délie bellezze délie donne... (rédigé
en 1541-1542), entre la perfection des formes du corps féminin et celles
des vases antiques, à propos notamment de l'articulation harmonieuse des
courbes convexes et concaves (liaison du cou et des épaules, du buste et
des hanches)44. Recherchant la pureté de ses nus, Primatice ne met pas
nettement en œuvre l'association figure féminine-amphore, mais les deux
petits vases all'antica déposés aux pieds des cariatides qui soutiennent Le

43 Elizabeth Cropper, « On Beautiful Women, Parmigianino, Petrarchismo, and the Ver-


nacular Style », The Art Bulletin, 1976, LVIII, [p. 374-394].
44 Agnolo Firenzuola, Dialogo délie bellezze délie donne intitolato Celso publié à titre
posthume dans Prose di M. Agnolo Firenzuola, Florence, B. di Giunta, 1548, 1, p. 105.
58 DELPHINE TREBOSC

Mariage d'Alexandre et Roxane pourraient bien constituer une discrète


allusion à la genèse de leur canon. Une telle manière de raisonner à
partir de formes artificielles géométriques pour appréhender la parfaite beauté
féminine ne serait pas étrangère à la culture de Primatice. Il recourt à un
autre lieu commun de cette pensée lorsqu'il inscrit plastiquement les corps
de Timoclée et Thalestris sur une colonne45. Simultanément à ce décor,
Primatice se livre précisément à ce type d'exercice dans une invention
mettant sans doute en scène Rébecca donnant à boire à Éliézer (vers 1540-
1544), connue par deux gravures de Léon Davent (fig. 13) et du Maître
I? V46. Autour du groupe principal issu d'un prototype de Rosso47, il
multiplie les porteuses de vase en usant des analogies formelles, des
parallèles morphologiques entre divers types de beauté féminine et différents
vases all'antica. Particulièrement notables sont la similitude formelle entre
la tête et le cou de la figure assise à droite et le col et le bec du vase qu'elle
porte (forme oblongue et pointue) et celle de la figure debout à droite et
de son fardeau (morphologie trapue, massive).
En somme, la fresque d'Apelle peignant Campaspe devant Alexandre,
dont le thème autorise la représentation du peintre de cour dans une
demeure royale, fonctionnerait comme une clé pour une appréhension
particulière du décor : elle inviterait le spectateur au relevé des éléments
réflexifs et théoriques insérés dans le programme iconographique. Cette
fresque condense l'objet de la démonstration de Primatice : le nu féminin
y apparaît comme pierre de touche de l'excellence de l'art dans l'Antiquité
et donc, par là même, comme le terrain privilégié de l'émulation des
Anciens et de la compétition des Modernes ; elle affirme la valeur arché-
typale du nu féminin dans la poursuite de la perfection artistique et
l'équivalence de l'excellence de l'art et de la parfaite beauté féminine. La
beauté idéale des nus féminins de Primatice apparaît dans le décor de cette
chambre comme une véritable métaphore de la perfection de son art.

Ce qui est plus aisément visible sur l'eau-forte de Léon Davent reprenant Timoclée
devant Alexandre (Paris, BnF, département des Estampes et de la Photographie, Da 67)
et celle du Maître l£ V reproduisant Thalestris montant dans le lit d'Alexandre (voir
n. 14) (fig. 14 et 15).
Sur ces deux eaux-fortes, datées vers 1543-1545, voir Catherine Jenkins, « Éliézer et
Rébecca », in Primatice maître de Fontainebleau, op. cit., p. 205-207.
Cette peinture perdue est connue par une copie peinte conservée à Pise, Museo Nazio-
nale di San Matteo et un dessin de Francesco Salviati (Florence, Musée des Offices,
n° 14610 F.), voir David Franklin, Rosso in Italy. The Italian Career of Rosso Fioren-
tino, New Haven, Londres, Yale University Press, 1994, p. 113-117 et Paul Joannides
in Francesco Salviati (1510-1563) ou la Bella Maniera, Rome, Villa Médicis, Paris,
musée du Louvre, sous la dir. de Catherine Monbeig Goguel, Milan, Electa, Paris,
R.M.N., 1998, n° 4.
LA CHAMBRE DE LA DUCHESSE D'ÉTAMPES 59

La démarche réflexive et démonstratrice de Primatice est cohérente


avec son travail di maniera™, mais il est notable que cette affirmation
professionnelle s'exprime lors de son retour de Rome et de son accession à
la tête des chantiers royaux suite à la mort de Rosso. Aussi, le destinataire
effectif de ces allusions au discours sur l'art et de cette démonstration ne
saurait être uniquement un spectateur idéal. Les préoccupations théoriques
et plastiques de Primatice ont dû trouver un écho dans l'entourage du roi,
familier des conversations sur la beauté idéale des nus ou les divers para-
goni. Il est notoire que le nu féminin constitue à Fontainebleau un thème
privilégié de l'émulation artistique et de l'exercice du jugement
esthétique. Alors qu'à la fin de l'année 1543 certains bronzes fondus d'après
les antiques romaines sont en cours d'achèvement, François 1er ne manque
pas d'attirer l'attention de la duchesse d'Etampes sur le « beau corps,
parfaitement formé » du bronze tiré de la Vénus debout du Belvédère, non
sans assimiler son idéale beauté à celle de la duchesse49. De même, la
comparaison des mérites de la « platte peinture », du relief et de la ronde-bosse
ainsi que celle des œuvres des Anciens et des Modernes apparaît en
filigrane dans les sources relatives au décor de la Galerie François Ier. Ainsi,
Guillaume du Choul, à la fin des années 154050, se livre à une
comparaison des mérites respectifs de la « platte peinture » et des reliefs de
stuc ornant cette galerie :
[...] les personnages qui y sont faicts par telle diligence, et si bien re<t>ires
du naturel, qu'à les bien voir l'on penseroyt que ce fust la nature mesme.
D'avantage, si la peincture est belle, la décoration du stuc n'est pas moindre,
pour raison de ses fruicts, estans plus plaisans que les naturels [...]51.

Pour les fresques de la Chambre de la duchesse d'Etampes voir les citations relevées
dans V. Romani, op. cit., p. 24.
L'ambassadeur Alfonso Calcagnini au duc de Ferrare, 23 décembre 1543 : « [...] prima
di partirmi volsi vedere certe bellissime statue di bronzo che ivi in una caméra Sua
Maestà Cristianissima facea fare e quali sono pressoché finite . Et essendi io in detta
caméra, mi sopragiunse il Re Cristianissimo che a brazzo teneva madama d'Etampes
[...]. E Sua Maestà mostrava alla predetta madama d'Etampes una Venere, corne ella
era di bel corpo, perfetamente formata, la quale non disse altro, ma sorridendo intrb
subito in una caméra con le altre donne, a scaldarsi. » (transcrit par Carmelo Occhi-
pinti, Carteggio d'arte degli ambasciatori estensi in Francia (1536-1553), Pise, Scuola
Normale Superiore, 2001, p. 87).
La rédaction de ce traité remonte à 1547, voir Jean Guillemain, Recherches sur
l'antiquaire lyonnais Guillaume du Choul (ca. 1496-1560), Thèse de l'École des chartes,
2002, 1, chap. 2.
Guillaume du Choul, Des Bains et antiques exercitations des anciens Romains, Lyon,
G. Rouille, 1555, « Au Roy » (consulté dans l'éd. de Wesel, A. de Hoogenhuyse,
1672).
60 DELPHINE TREBOSC

La Galerie François Ier aurait accueilli, après décembre 154352, quelques-


uns des bronzes fondus d'après les antiques romaines et, en 1545, le
Jupiter d'argent, première des statues porte-flambeaux commandées à Benve-
nuto Cellini53. Cette double confrontation - avec les réalisations de
Primatice « sculpteur » et les œuvres des Anciens - nourrit la rivalité avec
le Bolonais ressentie par Cellini :
Le peintre Bologna fit comprendre au roi qu'il serait bon de le laisser aller à
Rome avec des lettres de recommandation ; il pourrait ainsi prendre des
moulages des plus belles statues antiques : le Laocoon, Cléopâtre, Vénus,
Commode, la Bohémienne et Apollon, qui sont effectivement les plus grands chefs-
d'œuvre de Rome. Quand Sa Majesté aura vu ces merveilles (maravigliose
opère), expliquait-il au roi, elle saura parler en connaisseur de l'art (ragionare
dell'arte del disegno) ; tout ce qu'elle avait vu de nous, les modernes, était bien
loin d'égaler le merveilleux travail des artistes antiques. Le roi donna son
accord, ainsi qu'à toutes les faveurs qu'il sollicitait. Ainsi partit au diable cet
animal ! Ne se sentant pas de taille à rivaliser avec moi, il avait trouvé cet
expédient bien lombard : pour déprécier mes œuvres, il se fit mouleur d'antiques.54

Enfin, les références de Primatice à la théorie et aux débats sur l'art


attestent bien sûr la pénétration de la culture figurative de la maniera
moderna à la cour de France. Elles s'affichent à une période où conscience
est prise du retard national dans le domaine de la théorie et de la critique
de l'art. Plus exactement, la réflexivité du décor de Primatice précède de
peu la mise en place en France, à partir du milieu des années 1540, d'un
vocabulaire approprié à la traduction des notions et termes associés à ces
préoccupations théoriques et critiques55.

Université de Pau Delphine Trébosc

Plusieurs bronzes, dont la Vénus, étaient achevés à la fin de 1543 (voir Primatice
maître de Fontainebleau, op. cit., p. 141).
Voir la Vita di Benvenuto Cellini orefîce et scultore scritta da lui medesimo... (première
publication posthume : Colonia [i.e. Naples], P. Martello, [1728]), livre II, chap. 37 et
41 et la lettre de l'ambassadeur Giulio Alvarotti au duc de Ferrare, 29 janvier 1545,
transcrite par C. Occhipinti, op. cit., p. 99.
Vita di Benvenuto Cellini ..., op. cit., II, 37 (cité dans La Vie de Benvenuto Cellini ...
écrite par lui-même à Florence (1500-1571), trad. et notes de N. Blamoutier sous la dir.
d'A. Chastel, Paris, Scala, 1992, p. 281).
Après les commentaires latins de Guillaume Philandrier, In Decem Libros M. Vitruvii
Pollionis « de Architectura » annotationes..., Rome, A. Dossena, 1544 (réédité à Paris
en 1545), viennent les traductions de Jean Martin : Le Premier Livre d'architecture de
Sébastian Serlio..., Paris, J. Barbé, 1545, Discours du Songe de Poliphile [de
France sco Colonna]..., Paris, J. Kerver, 1546 ; L'Architecture, ou Art de bien bastir de Marc
Vitruve Pollion..., Paris, J. Gazeau, 1547 (contenant Sur Vitruve de Jean Goujon).

S-ar putea să vă placă și