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Actes de la recherche en

sciences sociales

Raisonnement et diagnostic : le rôle du discours et de la


compréhension clinique en médecine
Aaron V. Cicourel

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Cicourel Aaron V. Raisonnement et diagnostic : le rôle du discours et de la compréhension clinique en médecine. In: Actes de
la recherche en sciences sociales. Vol. 60, novembre 1985. Images "populaires" pp. 79-89;

doi : https://doi.org/10.3406/arss.1985.2292

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1985_num_60_1_2292

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Résumé
Raisonnement et diagnostic : Le rôle du discours et de la compréhension clinique en médecine.
L'informatique met au service des praticiens de toutes sortes de professions, par exemple des
médecins, des programmes experts conçus pour servir d'aide à la décision, au diagnostic par exemple.
De nombreux facteurs concourent à l'élaboration d'une diagnostic, juste ou erroné. Certains (les
«symptômes») sont opératoires et assez aisément intégrables à un programme expert. D'autres
résident dans l'interaction sociale en quoi consiste aussi (et peut-être d'abord) l'activité diagnostique :
interaction entre le médecin et le malade ou entre médecins de grades différents (un interne et son
patron, par exemple). C'est là que se cachent les problèmes de «communication» responsables de
beaucoup de faux diagnostics (malentendus, etc.), que tout programme expert destiné aux médecins
devra nécessairement intégrer. C'est cet aspect qu'étudie cet article qui rend compte d'une enquête de
longue durée menée dans un hôpital américain.

Abstract
Reasoning and Diagnosis : The Role of Language and Clinical Understanding in Medicine.
Information technology provides practitioners in all kinds of professions, such as doctors, with expert
programs designed to aid decision-making, diagnosis for example. Numerousfactorscontribute to the
making of a diagnosis, whether it be right or wrong. Some of them (the «symptoms») are operational
and are fairly easily integrated into an expert program. Others lie in the interaction between the doctor
and the patient or between doctors of different rank (an intern and his senior consultant, for example).
Here lurk the problems of «communication» which result in many wrong diagnoses
(misunderstandings, etc.). That is the aspect studied in this article, based on a long survey in an
American hospital.

Zusammenfassung
Überlegung und Diagnostik : Die Role des Redens und klinischen Verstehens in der Medizin.
Die Informatik gibt den Berufspraktikern, z.B. den Ärzten, Expertenprogramme an die Hand, die beim
Entscheidungsprozeß, etwa der Diagnostik, helfen sollen. Eine Diagnostik ergibt sich aus einer Reihe
unterschiedlicher, richtiger wie falscher Faktoren. Einige (wie die «Symptome») sind operationalisierbar
und relativ einfach in derartige Expert enprogramme einzufügen. Andere beruhen auf sozialen
Interaktionen, aus denen auch (und vielleicht in erster Linie) die diagnostische Tätigkeit besteht :
Interaktionen zwischen Arzt und Patient, oder zwischen Ärzten unterschiedlicher Rangstufen (z.B.
Chefarzt und Untergebener). Hier verbergen sich die für viele Falschdiagnosen (Mifiverständnisse,
usw.) verantwortlichen «Kommunikations-»Probleme, die in die Expertenprogramme für Ärzte
notwendig eingehen müßten. Der vorliegende Artikel untersucht diesen Aspekt anhand einer
Langzeitstudie in einem amerikanischen Hospital.
dans une spécialité donnée, se fait de plus en plus
aaron v.cicourel courant (Feinstein, 1973, 1974 ; Shortliffe, 1976 ;
Duda & Shortliffe, 1983 ; Blois, 1984 ; Szolovitz,
1982 ; Elstein, Shulman & Sprafka, 1978**).La base
de connaissances et le raisonnement du spécialiste
constituent des ingrédients indispensables pour la
création d'un tel système expert. En revanche, les
croyances ou bien la connaissance et le
RAISONNEMENT raisonnement du médecin et du patient pendant l'entretien
médical et l'examen physique interviennent
rarement. Autrement dit, l'interaction sociale ou les
ET DIAGNOSTIC: processus discursifs, la constitution du dossier
médical et l'examen physique ne font pas partie
intégrante des procédures de modélisation.
Dans des articles précédents (Cicourel, 1974,
1981, 1982), j'ai examiné quelques-uns des aspects
«artisanaux» de la médecine, dont l'idée que se fait
le patient du raisonnement diagnostique du
médecin, afin d'attirer l'attention sur le rôle de
l'utilisation du langage, des stratégies discursives et
des conditions organisationnelles dans
l'administration des soins. Ici, je traiterai ces questions un peu
différemment.
Les travaux en sociologie de la science
(Collins, 1975 ; Bloor, 1978 ; Latour & Woolgar,
1979 ; Knorr-Cetina, 1981 ; Mulkay, 1975) ont
montré comment le raisonnement ordinaire entre
dans l'activité scientifique quotidienne, et
comment les résultats sont construits et communiqués
aux collègues dans les séminaires, les congrès et les
publications. L'étude de certains aspects du
raisonnement diagnostique en médecine apparaît tout à
fait parallèle, pour autant que la médecine clinique
nous montre une interaction assez exceptionnelle
entre, d'une part, une connaissance scientifique
fondamentale et appliquée et, d'autre part, des
raisonnements ordinaires au sein d'environnements
socioculturels déterminés.
Le cadre matériel d'un cabinet de médecin
ou d'un service hospitalier est rendu unique par le
fait que, s'agissant d'un hôpital universitaire, on
peut y observer plusieurs facettes de l'interface
entre science fondamentale et science appliquée,
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médicales formalisées, à l'occasion, par exemple,
de la représentation orale et écrite des propos du
patient par l'interne ou le stagiaire qui expose ses
observations au médecin superviseur, avant de
pratiquer avec lui un réexamen.
Inclure ainsi le discours du médecin et du
patient, en même temps que la base de
connaissances et le raisonnement qu'on peut inférer de cet
échange, peut contribuer à élucider le rôle de la
pensée scientifique et du sens commun, ou encore
de la connaissance tacite et des modèles et
croyances populaires, dans l'élaboration des
systèmes experts médicaux.
Je n'aborderai pas ici les questions que pose
traditionnellement la science sociale en matière de
sociologie de la médecine (le travail de Bosk, 1979,
constituant en ce domaine une exception). Mon
intention est plutôt d'examiner par quels aspects le
raisonnement, l'utilisation du langage, les capacités
de traitement de l'information, les stratégies
discursives et les dispositifs et contraintes organi-

f., à la fin de l'article, la liste des ouvrages cités.


80 Aaron V. Cicourel

sationnels influencent le raisonnement Clancey montre la capacité explicative de


diagnostique. Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est son programme au moyen d'un exemple où
l'apparition de l'erreur humaine, du faux diagnostic, l'utilisateur se voit poser une question spécifique à
en situation de résolution de problèmes. L'étude propos du patient. Le programme permet de
de l'erreur peut en effet nous apprendre quelque revenir en arrière, depuis la question telle qu'elle
chose du rôle que jouent la connaissance et le apparaît sur une feuille de consultation jusqu'au
raisonnement pratiques tant dans la solution des raisonnement présent derrière cette question. Il ne
problèmes médicaux que pour la construction et s'agit donc pas de créer un programme utilisable au
l'emploi de systèmes experts. moyen de simples réponses par oui ou par non,
Dans ce qui suit, je m'attacherai à la mais de permettre aussi de comprendre pourquoi il
question du raisonnement diagnostique sur une scène est important de savoir, comme le note Clancey, si
thérapeutique incluant des activités de formation un patient est anormalement sensible aux infections.
(pour les internes et les stagiaires). Je m'écarterai S'il l'est, l'utilisateur peut-il alors reconnaître
de ce qui se fait dans le cadre des programmes qu'une telle information, en cas de maladie
d'IA, dans le but de préciser certaines conditions infectieuse, peut aider à déterminer si le patient est
souvent tenues pour mineures lorsqu'on veut immuno-déprimé ? Cette connaissance peut à son
modéliser l'expertise du médecin. tour être liée au fait de savoir si le patient prend ou
non des stéroïdes, d'où l'on pourra conclure que la
prise de stéroïdes a affaibli sa capacité à résister à
des organismes normalement présents dans son
corps.
Que sont les systèmes experts ? Un ensemble d'objectifs, de règles et
La description du sytème expert que je suivrai d'hypothèses est ainsi créé, qui permet à l'utilisateur de
dans cet article se trouve dans les travaux récents parvenir à des décisions diagnostiques et
de Feigenbaum (1977), Duda & Shortliffe (1983) thérapeutiques. Les objectifs, par exemple, se présentent
et Clancey (1983, ras.). Le schéma est le suivant : sous la forme de questions telles que : «Quelle est
un chercheur (médecin travaillant en IA ou la forme de l'organisme ?», «Quel organisme est à
spécialiste de FIA travaillant sur les mathématiques, l'origine de la méningite ?». Un exemple
les sciences ou la médecine) obtient de d'hypothèse serait : «L'organisme est un bacille en
l'information d'un expert (ici, un médecin spécialiste) et bâtonnet», «E. coli est à l'origine de la méningite». Le
crée une base de connaissance représentée dans un chercheur élabore ainsi des stratégies visant à
programme informatique sous la forme d'un ordonner les objectifs et les hypothèses au sein
«système expert». Clancey (1983, ms.) montre d'un plan de résolution du problème. Une décision
comment cette base de connaissance et ce système stratégique sera, par exemple, de «déterminer
expert peuvent ensuite servir à créer un autre 'l'origine de l'infection' avant 'la thérapie
système utilisable comme «professeur» pour des adéquate'», ou bien de pousser l'hypothèse «E. coli est
étudiants. Son but est de créer un système expert à l'origine de la méningite» avant l'hypothèse «un
capable de révéler l'épistémologie de la cryptocoque est à l'origine de la méningite».
connaissance régulée mise en œuvre. Un tel système devrait L'auteur du programme, s'appuyant sur les
permettre à l'utilisateur ou à l'étudiant de entrées (inputs) escomptées de l'utilisateur, doit
comprendre le raisonnement employé par le chercheur prendre des décisions quant aux questions qu'il
qui a créé les règles. convient de poser à celui-ci, cela afin de
L'idée générale est que l'utilisateur du préprogrammer l'interprétation et les questions
système expert peut être un patient, un consultant, subséquentes. L'application de certaines stratégies
un(e) aide-soignant(e), un médecin ou, s'agissant doit, permettre la référence à la connaissance
d'un programme d'enseignement, un(e) étudiant(e). spécifique à un domaine. L'accès au domaine est
Dans chaque cas, le système est capable de poser rendu possible par des abstractions (appelées
des questions à l'utilisateur qui, de son côté, peut «connaissance structurale») qui servent à indexer
suivre le raisonnement employé par le système. le domaine de connaissance. Un exemple de
Le système expert consiste en un ensemble connaissance structurale, selon Clancey, serait le
d'algorithmes qui, pour arriver à une solution d'un classement des causes de maladie en causes
problème de diagnostic, mettent en œuvre des habituelles et causes inhabituelles. S'agissant de la
raisonnements procédant de haut en bas (à partir méningite bactérienne, on aurait ainsi une stratégie
d'hypothèses) et de bas en haut (à partir de spécifiant les causes habituelles de la maladie.
données). Les objectifs sont liés aux hypothèses à Cette notion de connaissance structurale sert
travers des règles qui génèrent de nouvelles à indexer deux types d'hypothèses. Le premier est
hypothèses et des objectifs supplémentaires. Mais ce qu'on appelle les «caractéristiques du problème»
l'étude de Clancey va plus loin que la simple et décrit le problème immédiat (le patient reçoit
association des données et des hypothèses, des stéroïdes, par exemple) ; le second est ce qu'on
situation où l'uniformité des représentations dissimule appelle le «diagnostic» et vise à dépeindre la cause
les propositions et les règles utilisées dans le (trouble ou maladie) du problème observé (une
programme. Il s'efforce au contraire de retracer les méningite aiguë , par exemple).
étapes suivies par le raisonnement de l'expert, et Clancey pose que les caractéristiques du
de mettre au jour la connaissance sous-jacente au problème apparaissent au début des règles de
comportement que cache le dispositif de règles, diagnostic, et les diagnostics à la fin. L'organisation
en particulier la manière dont une règle se relie à des caractéristiques du problème et des diagnostics
une hypothèse et dont l'hypothèse s'ordonne au fait que les associations de règles sont indexées de
sein d'une règle de départ. deux façons : d'une part, on peut utiliser une
Raisonnement et diagnostic 81

stratégie particulière qui active mentalement système expert. Il n'est pas nécessaire, en effet, de
certains diagnostics, conduisant ainsi à la prise en modéliser l'information recueillie et intégrée par le
considération des règles qui soutiennent ces médecin, l'aide-soignant(e) et le patient dans le
hypothèses ; d'autre part, l'emploi d'une stratégie peut type de programmes d'IA élaboré par Clancey et
mettre à l'esprit certaines caractéristiques du par d'autres. On n'a pas à s'y soucier des erreurs
problème, amenant l'utilisateur à recueillir cette humaines (inadvertances et faux diagnostics) qui
information, à tirer des conclusions et à appliquer peuvent se produire avant que l'utilisateur ne
les règles en direction des données (Clancey, 1983). commence à employer le système expert
Clancey offre ainsi un modèle utile de la (cf. Norman, ms.).
manière dont un expert en maladies infectieuses Dans mon travail sur l'interaction médecin-
peut servir à retracer le raisonnement et les liens patient et l'établissement d'un dossier médical à
causals qui unissent les explications inductives et partir de l'entretien et de l'examen physique, la
déductives d'une règle donnée dans le programme mémorisation préalable à la rédaction du dossier
dit MYCIN (Shortliffe, 1976), cela afin de est présentée comme étant une base de
comprendre la pertinence de la consommation de connaissance déclarative ou propositionnelle, en
stéroïdes dans un contexte infectieux. Le intersection avec une base plus étendue de connaissance
raisonnement commence, par exemple, par la connaissance procédurale ou tacite. Des deux, c'est la première
issue des données, du fait qu'il y a usage de qui se trouve modélisée dans les programmes d'IA
stéroïdes, et par la proposition selon laquelle les qu'illustre le travail de Clancey.
stéroïdes réduisent l'aptitude du corps à maîtriser La mémoire déclarative créée par le médecin
des organismes toujours présents en lui, qui qui rédige un dossier apparaît à l'évidence dans la
peuvent donc, dès lors, provoquer une infection. Par façon dont un interne ou un stagiaire va décrire
raisonnement à partir des hypothèses, on peut dire l'état d'un malade au médecin superviseur. La
qu'il existe un trouble, qu'il s'agit d'une infection, présentation orale qui fait partie de la formation
d'une méningite, aiguë, due à une bactérie, associée du personnel hospitalier (internes et stagiaires)
à des causes inhabituelles telles que des bacilles en révèle en effet des aspects du processus de
bâtonnet Gram-négatifs ou des entérobactéries compréhension et du recueil et de l'intégration de
et que cette condition peut être le résultat de l'information qui demeurent cachés, mais
l'absorption de stéroïdes et de l'affaiblissement tacitement supposés, dans les systèmes experts de type
consécutif des réponses immunitaires, qui a rendu IA élaborés jusqu'à présent.
le patient vulnérable à l'infection par des bactéries Le travail de Clancey (1983) a donc aussi
normalement présentes dans le corps. pour intérêt de montrer comment une procédure
Une telle organisation des explications de recherche qui ordonne de façon particulière
inductives et déductives est utile, car elle permet des systèmes régulés peut laisser de côté le
d'observer la création d'une structure de règles raisonnement dont a besoin l'étudiant pour comprendre
nécessaires à la constitution d'un algorithme qui comment le modèle fonctionne. Comme le note
permette d'approcher d'un modèle du Clancey, si le programme d'IA n'aide pas à
raisonnement diagnostique. Elle met en lumière les apprendre à l'étudiant comment raisonner, c'est
impasses que doit faire le chercheur qui utilise la que le chercheur n'a pas clairement dégagé ce qui,
base de connaissance de l'expert. Ainsi, la règle de la base de connaissance et du raisonnement de
des stéroïdes met en jeu plusieurs éventualités l'expert, a été modifié du fait de la formalisation
quant aux cadres cliniques effectifs ; mais nécessaire au fonctionnement du programme.
l'importance de ces cadres n'apparaît pas dans le système Je distinguerai deux niveaux de résolution
expert décrit par Clancey. de problèmes : le premier entretien avec le patient,
Le système de connaissance modélisé par et le moment où l'interne ou le stagiaire doit
Clancey présuppose un utilisateur possédant sa rendre compte au médecin superviseur du dossier
propre expertise médicale, laquelle consiste en médical et de l'examen dudit patient. Ces deux
d'autres connaissances qui peuvent être tacites niveaux sont à leur tour à comparer à un autre
et/ou explicites. Mais il n'est jamais facile de niveau de connaissance : la base de connaissance
déterminer à quel moment l'expertise de et le raisonnement formels, déclaratifs, proposi-
l'utilisateur se fonde sur un usage implicite de sa tionnels, inclus dans les manuels et les ouvrages
connaissance tacite et un raisonnement analogique, ou de référence propres à une spécialité donnée.
bien sur une connaissance explicite et un
raisonnement propositionnel. Les matériaux et le modèle
proposés par Clancey ont pour utilité de constituer
un exemple clair de la façon dont on peut modéliser
le raisonnement diagnostique en s'appuyant L'expertise de l'utilisateur
presque exclusivement sur un médecin spécialiste, dans l'entretien et le dossier médical
afin de prévoir les questions que le programme
informatique pourrait poser à l'utilisateur. La base de connaissance de l'expert comporte des
Dans le cadre du modèle d'IA, on n'est pas «tranches» d'information encodées dans des
obligé de se demander comment le médecin ou catégories qui présupposent la connaissance
l'aide-soignant(e) utilisent la connaissance scientifique fondamentale nécessaire au «déploiement»
mémorisée qu'ils possèdent de domaines différents mais des couches de signification enchâssées dans les
reliés entre eux pour, d'abord, recueillir de termes cliniques et dans le raisonnement
l'information auprès d'un patient, puis interpréter celle-ci diagnostique. La formation des médecins incorpore en
de manière à pouvoir fournir de l'information effet de nombreuses connaissances fondamentales
intelligente au programme informatique ou au qui ne s'intègrent que partiellement à la recherche
82 Aaron V. Cicourel

et à l'expérience cliniques, ou aux activités de Dans un domaine plus étendu, on peut chercher à
diagnostic subsumées sous les catégories médicales retrouver les mots et les expressions utilisés dans
formalisées. Lorsqu'on modélise la connaissance et la première rencontre entre le médecin et le patient.
le raisonnement d'un expert, on s'efforce donc de On reconstruirait ainsi des aspects de l'entretien en
généraliser l'ordre dans lequel il convient de poser contextualisant la première rencontre, et on
les questions afin de procéder à partir de certaines tâcherait d'obtenir un compte rendu interprétatif
règles et prémisses. L'emploi de catégories et de minute par minute. Une telle reconstitution
termes médicaux présuppose ainsi une connaissance rappelle la manière dont on peut recueillir une
partagée, dont la profondeur se laisse difficilement ballade ancienne auprès d'un sujet capable de
inférer de la communauté des thèmes observés dans produire soit d'emblée un texte assez bon,
une conversation entre deux médecins. Les comparable à d'autres textes déjà existants et
significations impliquées par les participants de provenant du même village ou d'autres, proches ou
l'interaction (médecin et patient, par exemple) ne sont éloignés, soit un texte qu'on peut reconstituer
pas vraiment cachées, mais, plus simplement, pas graduellement.
toujours exprimées directement dans les mots et La stratégie générale, s'agissant de recueillir
les expressions qu'ils emploient. Toutefois, ces des ballades, ne consiste pas à rechercher
mots, ces expressions et le discours tout entier sont l'interprétation du sujet, mais la version qu'il connaît et
perçus comme adéquats à la tâche du moment à qu'il reconstitue pour l'occasion. C'est, me
cause de l'expertise que les participants s'attribuent semble-t-il, à cette seconde reconstitution de
mutuellement. l'information mémorisée qu 'Anderson (1983) et
Lorsqu'on recueille de l'information auprès d'autres font référence lorsqu'ils posent
d'un patient, le dialogue qui s'instaure comporte le l'hypothèse de la mémoire double ou de la mémoire
plus souvent de nombreux referents qui n'ont pas multiforme. Dans le cas de l'enregistrement oral et
la même signification pour le médecin et pour le écrit, on constate la création ou la reconstitution
patient, mais qui sont pourtant employés comme de modèles ou de schémas mentaux qui reflètent
s'ils étaient tacitement compris. C'est généralement les objectifs, les hypothèses et les règles d'inférence
la signification perçue comme adéquate à la tâche associés à la connaissance fondamentale et clinique
du moment qui s'impose. De nombreux fragments du médecin. Demeurent en revanche inaccessibles
de discours et épisodes narratifs peuvent d'autre les expériences et le raisonnement cliniques tacites
part apparaître assez incohérents à un observateur. dus à des contacts antérieurs avec d'autres patients
Les questions du médecin suscitent chez le patient et avec le patient en cause.
bien des pensées qu'il n'exprime pas verbalement, Les reconstitutions mnémoniques qu'on
et les remarques du patient évoquent, de même, peut obtenir du médecin et du patient sont
chez le médecin une quantité de connaissances rarement intégrées à la modélisation informatique du
tacites et formalisées bien plus grande que ce qui raisonnement médical. Elles n'en participent pas
transparaît dans l'entretien ou dans le dossier. Ce moins de façon essentielle à l'utilisation ordinaire
dernier est un document qui résume de façon de la connaissance et du raisonnement, ainsi qu'à
sélective les parties de l'entretien et de l'examen l'élaboration des comptes rendus propositionnels et
susceptibles de confirmer l'hypothèse et de analogiques des expériences et activités menées
conduire à d'autres hypothèses possibles. dans les environnements institutionnels.
Pour ce qui est du rapport oral que fait Sans m'intéresser ici directement au problème
l'interne ou le stagiaire au médecin superviseur, de la double mémoire, j'en aborderai certains
je l'illustrerai en exposant brièvement un cas choisi aspects à propos du compte rendu par le stagiaire
dans le service de rhumatologie d'un hôpital de son entretien avec le patient, et de la mesure
universitaire. On a là un bon exemple de cet dans laquelle cet échange révèle les catégories
enregistrement mental formalisé dont on doit médicales formalisées présentes dans les manuels.
supposer l'existence avant même l'élaboration du Mon but est de souligner à quel point la
fac-similé que constituent le dossier et le rapport connaissance déclarative domine l'élaboration des systèmes
d'examen écrit. J'ai décrit ailleurs (Cicourel, 1975) experts, à l'exclusion souvent de l'information
une correspondance du même type dans le service qu'on pourrait tirer de l'entretien originel entre
de neurologie du même hôpital. Un autre cas médecin et patient, qui nous aiderait à comprendre
(Cicourel, 1982), choisi dans un service d'oncologie le raisonnement diagnostique du premier.
gynécologique, montre comment un patient J'exposerai en outre quelques aspects de l'erreur
mémorise plusieurs entretiens avec le même humaine, du faux diagnostic, qui se laisse déceler
médecin. lorsqu'on examine le compte rendu oral que le
L'enregistrement mnémonique de l'entretien stagiaire, aussitôt après s'être entretenu avec le
et de l'examen, que le médecin et le patient patient, fait au médecin superviseur.
construisent chacun de leur côté, est le reflet d'espaces
mentaux, tels que les décrivent les psychologues
et les linguistes (Bobrow & Norman, 1975 ;
Fauconnier, 1985 ; Nunberg, 1978 ; Rumelhart &
Norman, 1981). Les enregistrements oraux et écrits
reflètent à leur tour cet enregistrement Le cadre de la recherche
mnémonique et les traces descriptives du discours originel Le plan général de la recherche a consisté à choisir
de l'entretien. On peut les considérer comme des un cadre naturel (le service de rhumatologie d'un
comptes rendus déclaratifs ou propositionnels de hôpital universitaire) au sein duquel les stagiaires et
l'information médicalement pertinente qui s'est les internes doivent rendre compte, publiquement
manifestée au cours de l'entretien et de l'examen. et de manière informelle, de leurs activités à un
Raisonnement et diagnostic 83

médecin superviseur, en permanence tout au long s'écouler un peu plus d'un an entre
de la semaine. On a identifié les occasions l'enregistrement de son interaction avec le stagiaire et le
spécifiques des pratiques normales de l'organisation. En moment où je lui ai demandé d'analyser cette
tant que membre de l'équipe médicale, travaillant interaction. Ce délai semble avoir eu son effet : le
avec des collègues médecins qui ont aussi pour médecin ne se rappelait ni le patient ni le diagnostic.
tâche de superviser la formation dans les services, Je montrerai à la section suivante comment le
je pouvais éviter au maximum de perturber les traitement de l'information et les contraintes
pratiques quotidiennes. La stratégie de recherche organisationnelles peuvent empêcher, façonner et
est simple : nous avons choisi au hasard plusieurs modifier des schémas qui contribuent au diagnostic.
jours au cours desquels nous avons enregistré et Je veux en particulier souligner l'importance de
observé un certain nombre de patients (au moins l'interaction entre le stagiaire et le médecin et des
vingt), dont quelques-uns seulement ont ensuite différences de statut qui les séparent. Ces
fait l'objet d'une étude détaillée. Le fait de conditions entrent dans le cadre organisationnel, ainsi
travailler comme membres du cadre médical avant que dans l'évaluation de la compétence médicale
et après l'enregistrement de chaque événement du stagiaire par le médecin.
particulier nous a permis de contrôler dans une Je décrirai en outre deux ensembles de
large mesure ce qu'il peut y avoir d'unique et de circonstances qui peuvent aider à , comprendre
variable dans nos données. l'erreur humaine ou le faux diagnostic (Norman,
Le lecteur s'interrogera peut-être sur le fait ms.). D'une part, on observe un cas classique
que nous n'avons utilisé qu'un seul cas. Je voudrais d'interférence dans le traitement de l'information,
rappeler qu'il est difficile de modifier les stratégies qui provoque un faux diagnostic de la part du
de raisonnement clinique et le langage de la médecin superviseur ; dans l'autre cas, il est
pratique médicale, surtout dans un service actif, où se possible d'identifier les facteurs qui ont contribué
font à l'occasion des activités de recherche. On au faux diagnostic : connaissance inadéquate chez
peut seulement espérer que les limitations le stagiaire, pressions interactives dues à
qu'impose le fait de ne considérer qu'un cas à la l'évaluation, enfin éléments de statut dans l'organisation,
fois seront contrebalancées par la grande prédicti- tels qu'ils se reflètent dans l'emploi de domaines
bilité de l'environnement étudié. Dans ce qui suit, sémantiques différents et souvent trompeurs.
je me contenterai de présenter quelques aspects
d'une base de données assez vaste, afin de donner
au lecteur une idée des conditions cognitives,
linguistiques et socioculturelles qui contribuent
aux activités de raisonnement diagnostique dans
un cadre médical unique. La négociation des niveaux
Il n'existe pas de système expert pour les d'expertise dans un cadre médical
maladies rhumatismales, mais on peut donner un
aperçu de ce qu'il serait. La figure 1 constitue un Le cadre dans lequel le stagiaire (une femme) rend
schéma des maladies rhumatismales communes, compte de l'entretien au médecin superviseur est
et les figures 1A-1E présentent une information une petite pièce, peu éloignée de celle où le patient
plus détaillée à propos de chaque catégorie a été interrogé et où il continue d'attendre.
générale. Les divers symptômes énumérés dans ces L'ambiance paraît détendue : les deux participants sont
figures pourraient servir à créer des algorithmes qui appuyés à des paillasses, et leur discours a quelque
permettraient à l'utilisateur du système expert chose de familier. Mais mon intuition me dit qu'il
d'apporter l'information nécessaire au diagnostic. règne une tension diffuse dans la pièce, perceptible,
L'information contenue dans les figures 1A-1E à mon sens, dans le ton mesuré, prudent de la
représente une base de connaissance telle qu'on stagiaire. La présence de tiers au cours de ces
pourrait la recueillir auprès d'un rhumatologue. échanges est une chose fréquente, dont les internes
Dans le cas présent, le matériel a été rassemblé par et les stagiaires savent qu'elle fait normalement
le Dr. Michael Weisman, mon informateur en même partie de la situation d'enseignement. L'ambiance
temps que mon collaborateur, à l'intention détendue a apparemment pour effet d'adoucir ou
d'étudiants pour un cours d'introduction à la médecine peut-être de minimiser les rapports d'autorité entre
clinique. Il a été enrichi pour le rendre moins l'enseignant et l'étudiant et, par là, de donner
élémentaire. l'impression d'une coopération.
Ainsi, on pourrait demander à un stagiaire si, La façon dont la stagiaire commence son
par exemple, les symptômes du patient se premier compte rendu à propos du patient (lignes
déplacent ou non, et s'il existe des signes généraux 1-28, figure 2) suggère que des contraintes
(fatigue, perte de poids, affaiblissement) évidents. organisationnelles sont à l'œuvre. Le compte rendu
L'information obtenue aiderait à distinguer la débute en effet par plusieurs assertions de fait, à la
polyarthrite rhumatoïde de l'arthrose et à éliminer façon dont s'écrit un dossier médical ou un rapport
les variantes rhumatoïdes. Le matériel des figures d'examen. Malgré son aspect apparemment
1A-1E comporte aussi une information qui exige détendu, le discours reflète ainsi un mode de
une comparaison sélective, partant de l'hypothèse présentation et d'interrogation qui relève d'une
que l'utilisateur peut aller réexaminer routine organisationnelle. La stagiaire sait qu'elle
physiquement le patient, plutôt que de se fier à une base de est évaluée à chaque instant, en dépit de l'absence
données éventuellement rédigée avant la de critères et de procédures formels d'évaluation
consultation du système expert. des stagiaires (par opposition aux internes) dans le
Afin de m 'assurer d'une certaine neutralité service de rhumatologie. La manière dont la
de la part du médecin superviseur, j'ai laissé stagiaire présente son information sur le patient est
84 Aaron V. Cicourel

Figure 1 —Schéma des maladies rhumatismales

polyarthrite arthrose variantes lupus arthrite


rhumatoïde rhumatoïdes érythémateux goutteuse
a) rhumatisme aigu disséminé
psoriasique
b) arthrite
colitique
c) spondylarthrite
ankylosante
d) syndrome
de Reiter

Figure 1 A— Description clinique mais touche généralement la première articulation


de la polyarthrite rhumatoïde (PR) carpo-métacarpienne (base du pouce) et toutes
les articulations interphalangiennes (sous les jointures).
Grandes et petites articulations des extrémités Tableau caractéristique de la pathologie de la main.
supérieures et inférieures, symétriquement Rarement générale (pas de fatigue, de perte de poids,
(des deux côtés du corps). d'affaiblissement, etc.).
Troubles d'abord passagers ou «migrateurs» : Les atteintes articulaires aux doigts peuvent être
paraissent se déplacer d'une articulation à une autre, inflammatoires et causer une douleur modérée
dues à l'inflammation. et une enflure. Elles peuvent se déplacer
Les symptômes peuvent croître et décroître, de l'articulation IPP (interphalangienne proxime)
mais l'arthrite est d'ordinaire persistante à 1TPD (interphalangienne distale), dans l'une
et l'autre main, à des moments différents
au bout d'un certain temps. (intervalles de plusieurs mois, voire un an).
Fonctionnellement : peut provoquer des difficultés Utiliser sa propre main comme modèle Inflammation,
ambulatoires (les extrémités inférieures étant touchées) douleur et enflure «déphasées» par rapport

.
et gêner les activités quotidiennes (par atteinte à la PR qui se déplace progressivement.
des extrémités supérieures : épaules, pouces, etc.). Faire attention aux signes trompeurs ; l'A inflammatoire
Enflure durable et visible de l'articulation, (A érosive est un terme radiologique) peut apparaître
indiquant une atteinte des structures intra-articulaires très inflammatoire (rougeur, enflure, douleur aiguë).
(internes à la capsule articulaire).
Manifestations générales fatigue, perte de poids
et affaiblissement général. Éventuellement nodules Figure 1C— Variantes rhumatoïdes
:

chez le tiers des patients. Manifestations générales (Rhumatisme psoriasique, arthrite colitique,
souvent dominantes chez les patients jeunes et âgés syndrome de Reiter, spondylarthrite ankylosante).
(masquant le problème articulaire). Distribution :
Caractères distinctifs : (a) grandes articulations des extrémités inférieures,
Type classique d'arthrite. asymétriquement
Prégnance des manifestations générales : (b) souvent articulations interphalangiennes
le patient est «malade» et ne fait pas que souffrir des orteils seulement (et non articulation métatarso-
de douleurs articulaires. phalangienne comme pour la PR).
Troubles répartis. Atteintes plus ou moins graves de la colonne vertébrale
Manifestations extra-articulaires évidentes. dans toutes les variantes.
Questions fonctionnelles nécessaires pour faire dire Rhumatisme psoriasique : peut toucher les extrémités
au patient quelles articulations le font souffrir. supérieures et inférieures avec psoriasis cutanée
et des ongles (p. ex., articulations interphalangiennes
distales avec ongles desquames et cassants).
Figure 1B-Arthrose (A) Formes diverses ; peut être très répartie et avoir
l'air «rhumatoïde».
Processus dégénératif Spondylarthrite ankylosante : colonne vertébrale
(arthroses — souligne la nature non inflammatoire toujours atteinte. Pas de lésions cutanées.
de la maladie). Touche 40 % des articulations périphériques
Peut apparaître vers 30 ans, particulièrement (si hanches et épaules incluses).
chez les femmes ayant des antécédents familiaux Arthrite colitique : concordance clinique de l'intestin
du côté des femmes (mère, sœur). et des articulations, avec érythème noueux
Apparaît normalement à la quarantaine. et lésions cutanées ; ou bien atteinte delà seule colonne
Deux formes sont communes : vertébrale et troubles intestinaux, sans concordance.
(a) atteinte des articulations porteuses Atteinte des articulations périphériques légèrement
(genoux, hanches), du bas du dos différente dans les deux formes.
et des petites articulations des mains (A généralisée) Syndrome de Reiter : légions indolores de la peau
(b) atteinte des doigts seulement (interphalangienne, et de la membrane des muqueuses, urétrite,
inflammatoire ou érosive) (A des doigts) conjonctivite, lésion de l'ongle spécifique
Certaines articulations sont rarement atteintes : (destruction de la base de l'ongle).
poignets, coudes, épaules et chevilles. Quand elles le sont, Manifestations particulières
cela peut indiquer la présence d'une autre maladie articulations moins gravement atteintes que dans la PR,
:

(hyperparathyroïdie, hémochromatose) . plus de hauts et de bas (à l'exception du pied,


Quand elle affecte la main, l'A épargne les articulations qui peut être atteint très gravement et de façon
métacarpo-phalangiennes (jointures) et le poignet, très progressive).
Raisonnement et diagnostic 85

Manifestations générales rares (fièvre, perte de poids, Raynaud possible, douleurs de poitrine de type pleurite
fatigue), mais existent, surtout chez les patients (voire péricardite ou épanchement pleural) et myosite.
présentant un syndrome de Reiter Manifestations particulières :
ou une spondylarthrite ankylosante (SA), en particulier Articulations n'ont pas le même aspect que dans la PR.
les jeunes chez qui elles peuvent être très graves. Conditions générales très courantes.
Manifestations communes extrémités inférieures, Plurisystématique, peut mettre la vie en danger.
asymétrie, grandes articulations, articulations Exanthèmes, photosensibilité.

:
interphalangiennes distales ou proximales des doigts, Varie selon l'âge et le sexe.
orteils (disproportionnés, jusqu'au MCP ou MTP), Myosite et Raynaud aident à distinguer de PR
atteinte de la colonne vertébrale et concept et des variantes.
d'enthésopathie (inflammation des enthèses, Observation générale symptômes d'inflammation
ou des ligaments, des tendons, du périoste — souvent plus importants que signes cliniques observables:

:
attaches à la base) produisant une enflure au-delà patients souvent considérés comme des «tire-au-flanc».
des confins de l'articulation (orteil en saucisse) ou
une douleur dans les talons (dépourvus d'articulation).

Figure ID Figure IE— Arthrite goutteuse


Lupus érythémateux aigu disséminé (LEAD) Forme aiguë : attaques aiguës d'arthrite
auto-limitée, très douloureuse ; peut s'étendre au-delà
Plurisystématique : peut affecter les reins, le système des confins articulaires ; ressemble à la cellulite ;
nerveux central et le système cardiovasculaire. desquamation possible ; d'ordinaire mono-articulaire,
Fièvre, exanthèmes et polyarthrite dominent mais parfois polyarticulaire ; inflammation très aiguë ;
le tableau clinique. disparition complète qui constraste avec les variantes
L'atteinte des articulations peut être grave de la PR ; rechercher les périodes normales
et très douloureuse, la maladie pouvant toucher «intercritiques».
des attaches — capsule, tendons (tenosynonite) — Forme chronique : attaques répétées, chacune pouvant
excéder une semaine, avec concentration d'urate
très sensibles, mais avec peu d'enflure monosodique aux articulations ou à proximité
ou de signes objectifs d'inflammation. (tophus) ; excroissances.
Petites et grandes articulations peuvent être atteintes,
mais autrement que dans la PR ; pas de déformation Manifestations particulières
Presque n'importe quelle articulation peut être atteinte,

:
ni de destruction progressives des articulations. mais le gros orteil et le genou sont les plus courantes.
Touche plus les femmes ; plus fréquent Hommes d'âge mûr plus souvent que femmes.
chez les adolescents et les jeunes. Goutte chez les hommes peut être provoquée
Patient se sent très mal ; fatigue, perte de poids, par des médicaments qui élèvent le taux d'acide urique
fonte des muscles. dans le sang (p. ex. les diurétiques thiazidiques).
Exanthèmes surtout sur la face et les mains. Diagnostic par piqûre dans les sites périarticulaires
(jointures).
Le soleil peut aggraver les exanthèmes, les douleurs Guérison exige d'abaisser le taux d'acide urique
articulaires et la fatigue. dans le sang.

donc indicative de la subordination de son statut, Dans le champ médical, nous nous intéressons
malgré les efforts du médecin pour maintenir le ton ainsi à l'écart observable entre le discours attendu
d'un échange entre collègues. et effectif et les expressions textuelles, écart qui
Mon interprétation des phrases déclaratives permet de faire le. départ entre l'idéal et le réel
de la figure 2 (lignes 1-28) est la suivante : la dans l'activité médicale. En l'occurence, il s'agit
stagiaire couvre un terrain diagnostique aussi vaste d'indiquer comment la stagiaire fait référence aux
que possible et incorpore le raisonnement et les concepts esquissés aux figures 1A-1E, et dans
réactions pratiques du patient en les transformant quelle mesure elle les emploie dans son compte
en une connaissance de type déclaratif qui rendu au médecin. Nous espérons montrer
correspond aux concepts médicaux identifiables sur les comment ce compte rendu reproduit ou au contraire
figures 1A-1E. Les commentaires de la stagiaire déforme ce qui a été recueilli auprès du patient,
font partie de la base de données nécessaire à un afin de parvenir à un certain degré de
diagnostic différentiel et se rapprochent d'un compréhension de ce qu'est une science appliquée dans un
format propositionnel-déclaratif. cadre naturel.
La stagiaire doit identifier des domaines La manière dont les praticiens utilisent des
sémantiques qui sont plus qu'une liste d'items procédures d'élicitation et interprètent les réactions
lexicaux qu'on peut dire reliés entre eux. En du patient est cruciale pour la compréhension des
d'autres termes, elle doit créer des sujets ou des modèles mentaux et de la connaissance qu'ils font
thèmes que le médecin percevra comme cohérents, entrer dans le format déclaratif nécessaire à
et qui impliquent ou affirment explicitement des l'interaction homme-machine. En effet, la
relations causales ou schématisées. Notre tâche de communication indispensable pour l'emploi d'un système
chercheur consiste alors pour partie à identifier expert présuppose une interaction des domaines
la manière dont un locuteur ou un scripteur sémantiques utilisés par le médecin et par le
s'efforce de créer ou de maintenir un sujet et, par patient. La question empirique est celle-ci : dans
implication, une cohérence au sein d'un domaine quelle mesure un raisonnement analogique et des
sémantique ou d'un registre linguistique. Nous domaines de connaissance procédurale ou tacite
recherchons les marqueurs susceptibles de signaler sont-ils utilisés ordinairement par le patient et le
une transition d'un domaine à un autre ; nous médecin au cours de l'entretien médical et de
mesurons la cohérence ou la variation d'après l'examen physique ? Je supposerai que c'est
l'emploi d'expressions différentes pour un domaine là une condition nécessaire pour comprendre
présumé. comment un utilisateur est capable de saisir le sens
86 Aaron V. Cicourel

Figure 2
Figure 2 Echange entre la stagiaire (S)
Training fellow -Attending initial exchange et le médecin superviseur (M)
21 she'sOk,44next
TF yearsis of
Elena
age Louis,
and sent
(background
here from voices)
(the ?) anyway, 1 S Bon, après, il y a Elena Louis (voix de fond),
2 d'accord, elle a 44 ans et elle nous a été envoyée
3 oncology group. 3 par l'oncologie.
4 So the past two years she has had episodes initially 4 Alors, ces deux dernières années, elle a eu des épisodes,
5 of erythema followed by swelling involving the second d'abord d'érythème, suivi d'une enflure touchant
6 and third metacarpal and pip joints of both hands, 5 le deuxième et le troisième métacarpien
7 alternating, one time this hand, one time this hand. 6 et les articulations IPP des deux mains, en alternance,
8 She's also had arthritis of her ankles, which includes 7 tantôt cette main, tantôt celle-là.
9 redness on a lateral border of the lateral malleolus 8 Elle a eu aussi de l'arthrite aux chevilles,
10 followed by swelling. 9 avec une rougeur sur un bord latéral de la malléole
11 Comes on, first the redness, and she has pain and 10 latérale, suivie d'enflure.
12 swelling within 24 hours. 11 Ça vient, d'abord la rougeur, puis la douleur
13 Lasts for several days, and then it goes away. 12 et l'enflure dans les 24 heures.
14 But when she has it, the pain is quite severe. 13 Ça dure plusieurs jours, et puis ça part.
15 It greatly limits her hand function, and her walking 14 Mais pendant que ça dure, la douleur est très aiguë.
16 function. 15 Ça limite fortement le fonctionnement de sa main,
17 Ummm, she really has minimal joint complaints other 16 et aussi la marche.
18 than back stiffness and her other joints. 17 Hm, elle se plaint en fait très peu des articulations,
19 She has had no difficulty with her elbows really, or 18 à part une raideur dans le dos et les autres articulations.
20 her shoulders. 19 Elle n'a pas eu vraiment de problèmes avec le coude,
21 Uhh, she's not had any nodules. 20 ni les épaules.
22 She has no Raynaud's (disease). 21 Hm, elle n'a pas eu de nodules.
23 She has no Sjogrens. 22 Elle n'a pas de Raynaud.
24 She is tired all the time. 23 Elle n'a pas de Sjogrens.
25 She is now getting a lot of leg cramping. 24 Elle est tout le temps fatiguée.
26 Ummm, she has no family history of arthritis 25 Elle commence à avoir beaucoup de crampes
27 she has no occasional morning sickness, but it's dans les jambes.
28 not real (•?)... 26 Hm, il n'y a pas d'antécédents arthritiques
29 A How long, has this been a problem ? dans la famille.
27 Elle n'a pas mal au cœur le matin,
30 TF Two years. She was seen by a doctor Blumberg, in 28 mais ce n'est pas vrai (?)...
31 San Miguel, and told she has DJD (degenerative joint 29 M Depuis quand est-ce que ça dure ?
32 disease).
33 She previously had seen another physician and was 30 S Deux ans. Elle a été vue par un certain Dr Blumberg,
34 told she had rheumatoid arthritis. 31 à San Miguel, et on lui a dit
35 She was tried at one point in time on tolectin and 32 qu'elle avait de l'arthrose.
36 she didn't feel it helped her, and at this point in 33 Avant, elle avait vu un autre médecin qui lui avait dit
37 time she's on no medication... Uh. 34 qu'elle avait de la polyarthrite rhumatoïde.
35 A une époque, elle a été mise sous tolectine,
36 et elle n'a pas eu l'impression que ça lui faisait du bien,
37 et maintenant elle n'est sous aucun traitement... hum.
Figure 3
Training fellow -
Attending initial exchange continued Figure 3— Échange (suite)
38 A Is she free of disease, supposedly ? 38 M Pas de maladie organique, en principe ?
39 TF Supposedly, However... At this point in time she 39 S En principe. Toutefois, à cette époque,
40 weighed 380 LBS., and umm, has now lost 200 LBS. 40 elle pesait 190 kg et, hum, elle a maintenant perdu
41 She had a bypass in Riverdale, somewhere around 41 100 kg. Elle a eu une dérivation intestinale à Riverdale,
42 1970... 42 aux environs de 1970...
43 A She had a real live intestinal bypass ? 43 M Elle a eu une vraie dérivation intestinale ?
44 TF That's what she said... (interruption here : 44 S C'est ce qu'elle dit... (interruption :
45 telephone call for A) 45 le médecin est appelé au téléphone)

d'un système expert. important de ruptures, passant d'un domaine


Les assertions de type formel des figures formel à un domaine caractérisé par l'emploi
1A-1E représentent autant de sous-domaines d'expressions figées, métaphoriques ou
sémantiques différents, probablement idiomatiques. Cette utilisation simultanée par la stagiaire
indépendants du contexte, et qu'on peut considérer et le médecin d'au moins deux registres
comme proches des théories idéalisées mais linguistiques (technique et ordinaire) laisse supposer un
empiriquement fondées d'un manuel de rhumatologie. traitement parallèle. Même si c'est le registre
Ce matériel peut donc être utilisé à la façon des indépendant du contexte du discours médical
propositions et des items lexicaux qu'on s'attend formalisé qui domine, notre tâche consiste à rendre
à voir inclus dans un système expert et employés compte des ruptures du point de vue cognitif,
par un médecin. L'une des façons d'évaluer les linguistique, discursif et socio-organisationnel.
connaissances de la stagiaire en matière de Ce qui revient à mettre en question la base de
rhumatologie consiste ainsi à comparer ce qu'elle dit connaissance de la stagiaire, compte tenu de ce que
avec les propositions contenues dans le matériel, le médecin nous apprend à propos de l'entretien
présumé indépendant du contexte, des figures originel entre celle-ci et le patient, et de la façon
1A-1E. dont elle présente le cas au médecin.
Le résumé narratif composé par la stagiaire L'échange entre la stagiaire et le médecin,
à l'intention du médecin présente un nombre consigné en partie aux figures 2 et 3, présuppose
Raisonnement et diagnostic 87

une base de connaissance partagée, ainsi que des suivi d'une recherche de confirmation, explications
congruences, sinon des correspondances, entre les partielles (donc trompeuses) reliant les événements
éléments sémantiques des figures 1A-1E et 2-3. réels aux événements perçus — marque les
On y observe, en outre le recours à une conditions qui semblent présider aux erreurs, méprises
combinaison d'expressions techniques et ordinaires et ou bévues. Selon Norman, les méprises sont des
de concepts tels que «éry thème» ou rougeur, erreurs dans la formation d'une intention, les
«enflure», «bord latéral de la malléole latérale» bévues, dans l'exécution de cette intention. Les
(pour parler de la cheville), «raideur dorsale», causes sont différentes et requièrent des mesures
«Raynaud» (maladie de), etc. Les deux médecins, correctives différentes. Une méprise qui s'appelle
celle qui se forme pour devenir un expert et le «faux diagnostic» produit en général un
«vrai» expert, tiennent pour acquis que le domaine comportement inadéquat. Norman fait remarquer qu'une
pertinent est celui de l'arthrite ou des maladies «bévue» se détecte plus aisément, parce qu'elle est
rhumatismales en général. Il suffit pour s'en rendre inintentionnelle et que ses effets sont souvent plus
compte de considérer la question que pose le visibles.
médecin à la ligne 29 de la figure 2 : «Depuis Les erreurs humaines entrent dans le cadre
quand est-ce que ça dure ?», qui indique clairement général du lien entre la connaissance implicite et
qu'il a compris sans difficulté le long exposé- de la les opérations par lesquelles on l'utilise
stagiaire (lignes 1-28 de la figure 2). Mais qu'en effectivement (Wason & Johnson-Laird, 1972 ; d'Andrade,
retirons-nous du point de vue des systèmes experts ? ms. ; Rumelhart & Norman, 1981). Le problème
Pour répondre à cette question, il nous faudra central est la manière dont on demande aux sujets
revenir sur la façon dont ils sont élaborés en de suivre une règle : sommes-nous dans une
médecine, soit par des chercheurs en IA, soit par situation où leur connaissance se trouve insérée
des médecins intéressés aux problèmes de l'IA. Il dans un format procédural difficilement accessible ?
convient aussi de se demander si ces systèmes Ou la règle est-elle au contraire insérée dans un
experts médicaux prévoient la possibilité d'un faux format déclaratif qui rend disponibles les règles
diagnostic. Tiennent-ils compte des pressions générales d'inférence ? Les sujets réussissent bien
organisationnelles, des contraintes de temps, par ou mal selon leur plus ou moins grande familiarité
exemple, qui influent sur la manière dont le avec la connaissance spécifique à produire dans un
médecin parvient à son diagnostic ? contexte donné.
Il est souhaitable qu'au cours de l'entretien, Le médecin a été formé à utiliser des
le médecin emploie un langage qu'il (ou elle) processus de raisonnement formalisé pendant
estime adapté aux caractéristiques culturelles et l'entretien, mais il doit ajuster ses procédures d'élicitation
socio-économiques de son patient. Le fait est, aux capacités du patient. Celui-ci, qui se voit poser
néanmoins, que le médecin n'est pas toujours des questions qui présupposent un format de
sensible aux différences quant aux capacités des connaissance objectif et formalisé, n'est pas toujours
patients à saisir les questions qu'on leur pose. capable d'y répondre. Autrement dit, ses réponses
C'est là un problème dont les praticiens sont souvent difficilement subsumables sous les
expérimentés ont conscience. catégories formelles qu'exige l'établissement d'un
Ör, les capacités de traitement de dossier médical. Le médecin et le patient doivent
l'information du médecin et du patient ne sont jamais prises donc créer des cadres appropriés au problème en
en compte dans le programme de modélisation cause. Dès lors que ce problème est présenté dans
d'un système expert. Celui-ci ne cherche pas à un cadre qui ressemble aux contextes locaux dans
dégager les relations existant entre les domaines lesquels les symptômes sont éprouvés
sémantiques, l'utilisation du langage et la façon quotidiennement, le patient est mis en mesure de
dont le diagnostic est charpenté par le «comprendre» les questions et les intentions du médecin,
raisonnement mis en application ; autrement dit, l'action si bien qu'il devient possible d'obtenir la
des conditions locales sur la perception des connaissance spécifique nécessaire au diagnostic
questions et des réponses, sources de données. Ni différentiel. Dans un autre contexte cognitif, plus
l'interaction sociale que constituent l'entretien et général, Rumelhart et Norman (1981) remarquent
l'examen, ni le contexte organisational (par que, dans les conditions de la vie quotidienne, le
exemple, les différences de statut entre le patient système de représentation des connaissances
et le médecin ou entre l'interne et le médecin dépendant du contexte possède, semble-t-il, tous les
superviseur) n'entrent dans le modèle du chercheur mécanismes de raisonnement nécessaires pour
en IA. résoudre les problèmes qui se posent.
On ne peut attendre de celui-ci qu'il tienne Dans le cas présent, le médecin superviseur a
compte de tous ces éléments, ne serait-ce que parce eu le sentiment que la stagiaire ne parvenait pas à
que la connaissance que nous en avons est rarement comprendre l'état du patient parce qu'elle n'avait
adéquate ou d'un format tel qu'on puisse l'intégrer pas posé correctement les questions au cours de
aux théories existantes en IA. Nous avons toutefois l'entretien. Elle donnait l'impression de passer en
assez d'information sur certains aspects de l'erreur revue, de façon routinière, lés syndromes possibles,
humaine et du faux diagnostic (Norman, ms.) pour dans l'espoir que quelque chose finirait par «en
au moins esquisser les éléments que les sortir» ou par se mettre en place. Un bref exemple
modélisations futures devront intégrer. donnera une idée de ce qui a concouru au faux
L'une des propositions principales de l'article diagnostic.
de Norman est que la constatation d'erreurs Les lignes 8-10 de la figure 2 semblent
identiques ayant des causes différentes nous force à indiquer que le patient souffre de polyarthrite
examiner cette différence entre les causes. La rhumatoïde, les chevilles n'étant pas d'ordinaire
notion d'« hystérésis cognitive» — diagnostic rapide impliquées dans l'arthrose (d'autre part, la stagiaire
88 Aaron V. Cicourel

s'appuie sur les lignes 17-28 de la figure 2 pour à la tâche en cours, et aussi le fait que médecin et
exclure les variantes rhumatoïdes, le lupus érythé- patient contribuent tous deux à reconstruire le
mateux aigu disséminé et l'arthrite goutteuse). problème médical au cours de l'entretien. Le
Pourtant, c'est bien l'arthrose que suggère le praticien va donc introduire dans le système expert
diagnostic établi par la stagiaire. Examinant plus aussi bien la formulation indépendante du contexte
tard les transcriptions, le médecin m'a affirmé qui caractérise l'exposé de la stagiaire au médecin,
qu'elle aurait dû exclure la polyarthrite rhuma- que sa mémorisation dépendante du contexte des
toïde, dans la mesure où la rougeur, l'enflure et conditions locales de son interaction avec le
la douleur rapportées par le patient n'avaient pas patient. Il convient également d'inclure la
persisté de la manière qui caractérise cette maladie. différence des domaines sémantiques utilisés par le
Il lui semblait donc qu'elle avait porté un faux médecin et par le patient (cf., par exemple, les
diagnostic et n'avait pas suivi correctement certains observations de Blois, 1984, sur la diversité des
signes ou symptômes, dont elle n'avait pas, par vocabulaires scientifiques des médecins appliquant
exemple, établi la durée. leurs connaissances médicales formalisées), sous
Enfin, le diagnostic de la stagiaire néglige un peine de nous méprendre sur l'origine des faux
élément crucial de l'état du patient : une dérivation diagnostics. Autrement dit, dans quelle mesure
intestinale (consignée aux lignes 39-42 de la peut-on se permettre de créer des systèmes experts
figure 3). Cela dit, le médecin a, lui aussi, manqué qui ne tiennent pas compte des problèmes de
son diagnostic, mais pour d'autres raisons : manque traduction inhérents au fait de passer d'un format
d'expérience des maladies rhumatismales pour la dépendant du contexte à un format indépendant
stagiaire, il s'est agi pour le médecin d'une du contexte, ou encore au fait d'utiliser un format
interférence externe sur les processus cognitifs (il a été formalisé, indépendant du contexte, pour extraire
appelé au téléphone au moment précis où il recevait une connaissance mémorisée dans des conditions
l'information sur la dérivation — voir ligne 43, dépendantes du contexte ?
figure 3). Je n'ai abordé ici que quelques-uns des
Selon le médecin, la stagiaire n'a pas su poser problèmes que pose la création des systèmes
les questions qui auraient révélé les incohérences experts. J'espère avoir convaincu le lecteur que
dans la manière dont le patient rapportait ses celle-ci doit prendre en compte à la fois le
symptômes. Elle l'orientait plutôt vers des réponses raisonnement propositionnel et le raisonnement
subsumables sous la notion d'«hystérésis cognitive», analogique, ainsi que les types de connaissance qu'ils
déjà mentionnée. En fait, elle cherchait des signes produisent dans des circonstances interactionnelles
compatibles avec le diagnostic qu'elle devait et organisationnelles diverses. Il ne m'a pas été
formuler ensuite sous le nom d'arthrose et elle a possible de pousser très loin ces questions
été incapable de se rendre compte que les signes d'interaction et d'organisation, et j'ai dû me contenter
qu'elle observait ne coïncidaient pas en réalité avec d'affirmer à plusieurs reprises qu'elles constituent
ce diagnostic. A plusieurs reprises, ses questions des aspects prédominants de l'entretien originel
directrices ont réduit le patient à des réponses entre le médecin et le patient. On trouvera aux
disparates qu'elle n'a pas pu intégrer en un tout. figures 2 et 3 quelques indications quant à leur rôle,
On pourrait montrer en outre des incohérences mais tout reste à dire quant à leurs conséquences.
dans la façon dont elle a converti les réflexions du
patient en assertions déclaratives. Dans l'ensemble,
comme le remarque le médecin, elle n'a pas bien su N. H. Anderson, Schemas in Person Cognition. Manuscrit.
décrire les troubles dont souffre le patient, allant D. G. Bobrow, D. A. Norman, Some Principles of Memory
même jusqu'à négliger des symptômes spécifiques Schemata, in D. G. Bobrow, A. M. Collins (eds),
indiqués par celui-ci. On notera pour finir que le Representation and Understanding : Studies in Cognitive Science,
New York, Academic Press, 1975.
compte rendu de la stagiaire reprend, directement
et indirectement, les mots du patient ; par suite, M. S. Blois, Information and Medicine : A Hierarchical
View of Clinical Processes, Berkeley and Los Angeles,
il n'est pas toujours possible de savoir auquel des University of California Press, 1984.
deux attribuer des termes comme «taches rouges», D. Bloor, Polyhedra and the Abominations of Leviticus,
«enflure», «bosses», «fluide», etc. British Journal for the History of Science, vol. 11, n. 39,
1978, pp. 245-272.
C. L. Bosk, Forgive and Remember — Managing Medical
Cet article s'est efforcé, dans des limites assez Failure, Chicago, University of Chicago Press, 1979.
étroites, d'indiquer l'importance de l'entretien A. V. Cicourel, Cognitive Sociology, New York, Free Press,
médical originel pour la manière dont est 1974.
reconstruit le problème du patient. Le but du médecin, A. V. Cicourel, Discourse and Text : Cognitive and Linguistic
c'est de traduire les signes ou les symptômes du Processes in Studies of Social Structure. Versus : Quaderni
patient dans un format déclaratif partiel qui di Studi Semiotici, sept. -dec. 1975, pp. 33-84.
renvoie aux catégories diagnostiques de la A. V. Cicourel, Language and the Structure of Belief in
médecine générale ou d'une spécialité. Dans le cas Medical Communication. Studia Lingüistica, vol. 35, n. 1-2,
présent, on a vu que le médecin superviseur oublie 1981.
une information cruciale, celle à propos de la A. V. Cicourel, Language and Belief in a Medical Setting,
dérivation intestinale. Le diagnostic a donc été in H. Byrnes (ed.), Contemporary Perceptions of Language :
erroné et l'est resté jusqu'à ce que je reprenne le Interdisciplinary Dimensions, Georgetown University Round
Table on Languages and Linguistics 1982, Washington, D. C,
cas avec le médecin un an plus tard. Georgetown University Press, 1982.
Le problème fondamental consiste à prendre W. J. Clancey, The Epistemology of a Rule-Based Expert
en compte la base et le cadre de connaissance que System — A Framework for. Explanation, Artificial
l'utilisateur d'un système expert médical applique Intelligence, 20, 1983, pp. 215-251.
Raisonnement et diagnostic 89

H. M. Collins, The Seven Sexes : A Study in the Sociology B. Latour, S. Woolgar, Laboratory Life. The Social
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Science, Oxford, Pergamon, 1981.

A propos de dans les autres. Ce phénomène de la répétitivité se


l'exposition Watteau : une réponse* découvre presque à l'état pur chez nombre de peintres
contemporains et tout semble se passer comme s'ils
avaient incorporé cette limite dans leur esthétique
Comment laisser en suspens et entre parenthèses un même en concevant directement leurs travaux par
moyen de vérifier objectivement (rechercher si Watteau séries.
n'eut effectivement aucun mal à écouler sa production) Il est vrai que l'effet d'exposition est ambigu
l'hypothèse qui semble ici tenir lieu de conclusion, à puisqu'au moment même où il démystifie la notion
savoir que Watteau serait en quelque sorte allé au d'œuvre d'art descendue du ciel en montrant les
devant des désirs de «la bonne société de son temps» tâtonnements, les ébauches, les répétitions comme
en sachant inventer le bon «créneau», le «miroir» dans autant d'éléments qui devraient permettre de considérer
lequel celle-ci se serait aussitôt plu et reconnue. la peinture comme un travail et non comme un don,
Faute de prouver le rendement social immédiat il affirme son pouvoir de sacraliser jusqu'à la plus
de «la monotone répétition des motifs», on pourrait petite rognure de papier découverte au fond d'un tiroir.
attribuer ce phénomène à un comportement Mais n'est-ce pas le travail du sociologue que d'analyser
obses ionnel tout autant qu'à «l'exploitation avisée d'un l'effet d'exposition proprement dit et la violence
créneau». Mais avant déjouer à des hypothèses symbolique qu'il accomplit aujourd'hui, tout en le
partielles et trop directement causales, ne pourrait-on pas distinguant clairement de ce qui s'est réellement passé
plus généralement constater que cet effet de répétition du vivant du peintre et que seul un véritable travail
est inhérent à toute production picturale (un exemple d'historien (tenant compte des découvertes
plus exemplaire que la production de Watteau étant conceptuelles et méthodologiques de la sociologie) peut tenter
peut-être de ce point de vue celle du Lorrain, peintre de reconstituer ?
mentionné par ailleurs dans l'article), et que c'est un Inès Champey
des mérites des expositions rétrospectives que de faire,
pour ainsi dire, toucher du doigt la part de routine
qu'implique tout travail suivi, montrant ainsi que la
capacité d'inventer (inconsciemment ou consciemment) *Cf.
ActesN.de Heinich,
la recherche
A propos
en sciences
de sociales
l'exposition
, 59, septembre
Watteau,
est aussi limitée dans les professions artistiques que 1985, p. 94.

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