Animation
Patrick Cohen
Véritable enfant de la balle, Patrick Cohen est engagé à 16 ans chez
Jean Image puis à 18 ans aux Studios Idéfix quand ils sont créés sous
l’impulsion de René Goscinny et Albert Uderzo. Il y restera jusqu’à leur
fermeture en 1978, quatre ans après. Il travaillera ensuite sur deux longs-
métrages, Le Chaînon manquant et Le Big Bang de Picha, puis comme
directeur d’animation sur la série télé Babar [7 épisodes], sur des clips
comme Gaston, y a l’téléfon qui son de Nino Ferrer. Il est ensuite engagé en
1991 chez Disney France au département des produits dérivés. Quand ce
département ferme en 2003, il revient à l’animation et participe notamment
à Persepolis. Il assiste ensuite Vincent Parrondo sur un court-métrage pour
Canal+, Il était une fois l’huile, avant de prendre une retraite bien méritée...
Il revient avec nous sur ses années au service des créateurs d’Astérix.
 Propos recueillis par Frédéric Bosser
Patrick Cohen
© Photo F. Bosser
Patrick
cohen
l’enfant de la balle
Patrick, qui est à l’origine de ce livre ?
Quand mon ami Farid Boudjellal a appris
que deux expositions seraient consacrées en
2018 à René Goscinny à Paris pour célébrer
le quarantième anniversaire de sa mort, une
au MAHJ et l’autre à la Cinémathèque de
Paris, il a conseillé à José Jover de publier
ce livre dont je lui avais envoyé les épreuves
il y a de cela deux ans. Malheureusement, il
n’est sorti qu’après ces expositions.
Ce livre revient sur un épisode peu connu
dans sa carrière et de celle d’Albert Uderzo,
celui des Studios Idéfix...
Et où j’ai eu la chance d’être engagé
après un passage comme intervalliste aux
Studios Jean Image. Ce studio, qui leur
a coûté beaucoup d’argent, ils ont dû le
fermer quatre ans après, au décès de
Goscinny. En fait, leur grande erreur aura été
d’engager des animateurs à l’année comme
chez Disney, qui était leur référence. Or le
René Goscinny
© Patrick Cohen / Tartamudo
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Rencontre avec Goscinny et Uderzo
© Patrick Cohen / Tartamudo
système en France, celui des intermittents
du spectacle, leur aurait permis de ne les
engager que sur une période donnée. Pour
moi, ils ont été mal conseillés... Du coup,
entre deux longs-métrages comme La
Ballade des Dalton et Les Douze Travaux
d’Astérix, ils ont payé cinquante personnes
à ne rien faire ou presque, car rares étaient
les autres commandes.
Les Studios Idéfix naissent de leur envie de
maîtriser la chaîne du dessin animé qui leur
avait échappé jusqu’alors...
Il est vrai que les films précédents d’Astérix
et de Lucky Luke avaient été faits à leur
insu par Belvision. De passage dans leurs
studios, Goscinny avait surpris par hasard
un assistant en train de travailler sur un de
ses personnages alors qu’aucun contrat
n’avait été signé. Il était furieux ! La direction
de Belvision s’est empressée de lui dire
que c’était une surprise qu’ils voulaient leur
faire. Quand Goscinny a demandé à ce que
tout soit détruit, les responsables lui ont
répondu : « Et si on en parlait malgré tout
à Uderzo ! » Goscinny leur a alors rétorqué
que ce n’était pas agréable de recevoir un
coup de poing dans la gueule, même d’un
gars aussi gentil qu’Uderzo. Ils ont arrêté
tout de suite avant que des accords soient
trouvés avec eux et les éditions Dargaud.
Cela a donné Astérix le Gaulois et Astérix et
Cléopâtre... Puis Goscinny comme Uderzo
en ont eu assez de faire des allers-retours en
Belgique et ont décidé de monter leur propre
studio à Paris. Cela va donner Les Douze
Travaux d’Astérix sur un scénario inédit de
Goscinny d’après une idée d’Uderzo, puis La
Ballade des Dalton.
À titre personnel, vous avez fait vos gammes
chez Jean Image...
J’ai été engagé chez eux à 16 ans. À
l’époque, il développait Kiri le clown. C’était
au métro Javel. J’ai travaillé deux ans
là-bas. J’ai sa signature sur ma lettre de
licenciement où j’étais prié de « ne plus des soucis d’économie, que pour obtenir
revenir travailler. » (Rires.) une nouvelle mine de critérium, il fallait
« Bien lui ramener une mine usée. Vous imaginez
évidemment,
C’est faible comme contact ! Quel type l’ambiance ! Il fallait se lever en plein
d’homme était-il ? boulot... Beaucoup sont vite partis ailleurs,
Un sale type ! Et je pèse mes mots. Il
faisait passer des essais à des étudiants,
il ne les chez Paul Grimault [Le Roi et l’Oiseau]
ou Albert Champeaux [un ancien de Jean
de préférence des filles, pour des mises payait pas... Image, où il a dirigé le long-métrage Jeannot
en couleurs à la gouache sur celluloïds
que l’on revoyait ensuite dans les films. Nous, l’intrépide] puis chez Idéfix.
Bien évidemment, il ne les payait pas...
Nous, les employés, nous étions à la limite
les employés, Votre embauche chez eux fut folklorique...
C’est en téléphonant à Denis Boutin, un
de l’esclavagisme. Je touchais 350 francs nous étions ancien de Jean Image, que j’apprends que
par mois quand le salaire moyen d’un
intervalliste chez eux était de 1 200 francs. à la limite de les Studios Idéfix se créaient et cherchaient
du monde. J’y suis allé avec mes dessins et
Pourtant, mes intervalles étaient aussi bons
que ceux des autres ! (Rires.) À un moment,
l’esclavagisme.» Goscinny m’a demandé de faire un essai.
Cela leur a plu et j’ai quitté le vendredi mon
son épouse France Image a imposé, pour boulot de vendeur à la Samaritaine à 1 200
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 Réunion pour les tests d’animation Dédicace de Goscinny

« Je ne
© Patrick Cohen / Tartamudo © Patrick Cohen / Tartamudo

francs un vendredi soir pour être engagé aux

Studios à 2 200 francs le lundi matin. comprends pas
Cela vous fait quoi d’être engagé par
qu’on mette en
Goscinny et Uderzo ? grand sur une
affiche le nom
C’étaient des stars ! Pendant les quatre
années où j’y suis resté, ils vont sortir trois
albums : La Grande Traversée, Obélix et
Compagnie puis, juste après la mort de
de ceux qui ont
Goscinny, Astérix chez les Belges. En 1974, fait les voix du
le monde de l’animation est très petit en
France. Les Gobelins créent une section film et pas celui
animation suite à leur demande qui anticipait
le futur besoin d’animateurs. Jean-Pierre
des animateurs
Sornin [Aladin et la lampe merveilleuse] a été principaux. »
l’un des premiers professeurs aux Gobelins.

C’est dingue cette histoire quand on connaît
aujourd’hui l’aura des Gobelins à l’international
dans ce domaine !
C’était indispensable pour assurer
la formation et la pérennité de cette
profession. Jusque-là, on faisait de
l’animation comme on pensait qu’il était
bien de faire. C’était assez artisanal et
cela se voit sur les écrans. On a surtout
commencé à apprendre ce métier grâce
aux animateurs étrangers engagés sur
les films, notamment aux studios de la
Gaumont. C’est là que nous avons appris
qu’il n’était pas nécessaire de faire tout le
temps vingt-quatre images par seconde,
mais que douze suffisaient à condition de
les cliquer deux fois. Cela faisait gagner du
temps et de l’argent.
Il n’y avait pas de manuel d’initiation  son nez. Il m’a alors dit qu’Obélix avait le
à cette époque ?
Si, un seul, signé Preston Blair, un ancien
animateur de Disney, mais il était très
basique [Cartoon, l’animation sans peine
paru chez Eyroles].
Vous discutiez dessin avec Albert Uderzo ?
Rarement ! Un jour, il est entré dans mon
bureau et en voyant un de mes dessins
d’Astérix, il m’a expliqué comment dessiner
même nez. Ces précieux conseils m’ont
beaucoup servi par la suite. Sinon, comme
je viens de vous le dire, nous apprenions le
métier sur le tas... Pour info, je n’ai travaillé
que sur des personnages et n’ai jamais
fait un décor de ma vie, sauf sur le clip du
« Verre d’eau » sur une chanson de Gilbert
Lafaille en 1977 [visible sur YouTube].
Quel était l’animateur phare
des Studios Idéfix ?
Bob Maxfield. Bob a apporté du prestige
aux Studios. J’ai été son assistant. Il m’a
appris à mettre les perforations au milieu
en haut et non sur le côté comme nous le
faisions jusque-là. Cela permettait d’être plus
efficace et de juger tout de suite la qualité de
l’animation. C’est tout bête mais on ne s’était
jamais posé la question jusque-là... Il a fallu
attendre 1974 en France pour que l’on sache
qu’il fallait travailler ainsi en animation.

C’est devenu moins artisanal ?

Mais ce métier est resté artisanal même si
maintenant il existe des formations de grande
qualité qui font des films magnifiques comme
Persepolis, Avril et le monde truqué, etc.

Qu’est-ce qu’un bon animateur pour vous ?

Un gars capable de faire le dessin des
autres. Peu ont un style affirmé. Leur style
est finalement celui de tout ce qu’ils ont avalé
pendant des années. Je dirais aussi qu’un
bon animateur est celui qui tient les délais.
Comment vit-on ce côté
« homme de l’ombre » ?
Je ne comprends pas qu’on mette en grand
sur une affiche le nom de ceux qui ont fait
les voix du film et pas celui des animateurs
principaux. Chez Disney, une grève avait
éclaté dans les années 40 pour que leur nom
y figure. Ils en avaient marre qu’il n’y ait que
le nom de Walt Disney qui soit mis en avant.
Un animateur est souvent responsable d’un
personnage, et pourtant pendant longtemps,
il n’existe pas en dehors du cercle des initiés.
Certains sont depuis devenus des légendes...
aux plus grands dessins animés. C’est Et le plus triste ?
comme si on avait réuni au même endroit La mort de Goscinny.
Léonard de Vinci, Raphaël, Botticelli, etc.
Vous n’avez jamais eu la tentation de
postuler là-bas ?
Ils ne m’attendaient pas ! (Rires.)
Vous regrettez de ne plus faire partie
de ce milieu ?
Je vais être honnête avec vous. Je suis
content d’être à la retraite, qui plus est avec
une retraite confortable grâce à mes années
Disney où j’étais très bien payé. N’oubliez pas
que j’ai commencé à travailler à 16 ans. Et
puis, le métier que j’ai connu a disparu...

Vous en avez rencontré certains ?
Oui, quand ils passaient en Europe aux
Studios Disney. J’ai aussi rencontré Carl
Barks, Frank Thomas, Ollie Johnston, Marc
Davis, etc. Tous ces créateurs ont participé
La joie de Patrick Cohen à l’annonce de son embauche
© Patrick Cohen / Tartamudo
Votre plus beau souvenir aux Studios Idéfix ?
Quand je suis passé animateur ! Ce passage
Journal d’un animateur
aux studios Idéfix
a changé ma vie. Je dirais aussi toutes ces De Patrick Cohen
rencontres avec beaucoup de personnes Éditions Tartamudo
avec qui je suis resté ami. Livre cartonné, disponible.

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