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Librairie Philosophique J.

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THÉORIE DES UNIVERSAUX ET RÉALISME LOGIQUE CHEZ ALBERT LE GRAND


Author(s): Alain de Libera
Source: Revue des Sciences philosophiques et théologiques, Vol. 65, No. 1 (Janvier 1981), pp.
55-74
Published by: Librairie Philosophique J. Vrin
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44410458
Accessed: 30-07-2018 01:09 UTC

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Rev. Sc. ph. th. 65 (1981) 55-74

THÉORIE DES UNIVERSAUX


ET RÉALISME LOGIQUE
CHEZ ALBERT LE GRAND
par Alain de Libera

C'est dans la Geschichte der Logik im Abendlande de Carl von Pran


que la doctrine albertinienne des universaux a été, pour la première fo
présentée comme un avatar de l'« essentialisme » d'Avicenne1, caracté
risation elle-même complétée par un reproche plus général, touch
l'ensemble de la Logique d'Albert, ici accusé d'avoir non seulement ma
compris Aristote, mais encore, de l'avoir « corrompu »2. L'injuste jugem
de Prantl est, sans aucun doute, responsable du peu d'attention que le
écrits d'Albert ont reçu de la part des historiens de la logique médiév
L'objet du présent article est, à la fois, d'indiquer quelles sont les pri
cipales sources du Liber de praedicabilibus d'Albert et de préciser
manière dont, en philosophe, il les reçoit et les utilise8.

1. Cf. C. von Prantl, Geschichte der Logik im Abendlande , III, Leipzig, 1867, p. 89
2. Prantl, op. cit.t p. 93, note 374 : «Albert hat den Aristotelismus nicht nur
nicht erkannt, sondern geradezu corrumpirt, und er ist hierin der Lehrer seines Schülers
Thomas gewesen » et ibid.f p. 99 : « da er ja Realist sein will, so darf er auch den Geist
des Augustinus heraufbeschwören, indem er meint, das Universale an sich und in
den Einzelndingen und in der denkenden Seele sei doch all das Nemliche, d.h. es sei
eben das ' Licht ' der göttlichen Intelligenz. Und so bricht vielleicht seine eigentliche
Geistesrichtung, in Folge deren er freilich ein Talent zum Missverstehen des Aristoteles
besitzen musste, am meisten [...] durch ».
3. On notera que la question des universaux ne concerne pas la logique formelle
en tant que telle, mais bien la métaphysique ou la philosophie de la logique. Albert
n'en traite donc que pédagogiquement dans le Liber de praedicabilibus : « propter
bonitatem doctrinae » et « ne sit suspensus lectoris animus » (Lib. de praedicab ., II,
3, B 1, 20 b). On notera également que les quatre raisons plus théoriques qu'il avance,
pour ne pas différer plus longtemps une réflexion d'ensemble sur les universaux
(intelligibilité de la doctrine des catégories, assignation correcte des définitions, fonda-
tion des démonstrations et division systématique des sciences) se retrouveront jusque
dans le Proemium de VExpositio in Librum Porphyrii de Guillaume d'Ockham. Cf.
Albert, Lib. de praedicab ., II, 1, 18 b et Guillaume d'Ockham, op. cit., ed.
E. A. Moody, Franciscan Institute Publications , St Bonaventure NY, 1965, p. 9.

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56 A. DE LIBERA

Nous aimerions surtout montrer


la conception avicennienne de l'ess
gonisme « moderne » du nominalism
une histoire plus ou moins récente e
généralement, à la tradition périp
doctrine logique de l'universel sou
ouvre plutôt la voie à une réflexio
« via media », on dirait presque la «

Albert lui-même nous indique au


praedicabilibus que sa principale s
la traduction latine d'Ibn Daoud (A

« Quamvis in ante habitis jam deter


universalibus tradidit Porphyrius, ta
est scire de his quae ex logicis doctr
Avendar Israelita Philosophus, et max

Outre Avicenne, il faut également


l'a montré M. Grignaschi, Albert
l'Isagoge*.
Le « péripatétisme » teinté de néo-platonisme des Arabes n'est cepen-
dant pas l'unique source du Colonais dans une réflexion sur les univer-
saux, qui l'entraîne bien au-delà des limites imparties par Porphyre
au travail du logicien7.
Derrière Avicenne, il y a Denys, sous la doctrine de l'universel, le monde
de l'illumination8. Albert ne se contente d'ailleurs pas de vérifier, après
tant d'autres, l'espèce d'affinité structurelle qui lie entre eux les néo-
platonismes ; la rencontre entre l'émanatisme d'Avicenne et la conception

Enfin, on soulignera que le fait d'être avicennien sur un point de métaphysique


n'implique pas nécessairement que l'on se comporte en métaphysicien dans le traite-
ment des questions de logique formelle. Sur les rapports d'Albert avec la tradition
« terministe », cf. A. de Libera, « Logique et existence selon saint Albert le Grand »,
Arch, de philos ., 43 (1980) 529-558.
4. Telle est lexpression d Albert dans le Liber de intellectu et intelligibili , il, 2,
493 a : « Nos autem in ista difflcultate mediam viam ambulantes, dicimus, etc. ».
5. Lib. de praedicab.} IX, 1, 144 a. Le texte utilisé par Albert est le c. in.
6. Cf. M. Grignaschi, « Les traductions latines des ouvrages de la logique arabe
et l'abrégé d'Alfarabi », AHDLMA , 39 (1972) p. 64 s.
7. On sait que Porphyre exclut les trois questions suivantes (citées ici dans les
termes d'Albert, Lib. de praedicab ., II, 2, 19 a) : « an ista quae genera et species dicuntur,
in re subsistant, aut non quidem in rerum natura sint subsistentia, sed in solis nudis
purisque intellectibus per abstractionem a rebus factam sint posita », « utrum sint
subsistentia corporalia, an incorporaba sint », « utrum sint in sensibilibus singularibus
suis posita secundum esse, an sint extra singularia in rebus solis metaphysicis. »
8. Nous ne pouvons étudier ici l'influence de Denys sur notre auteur. Il est, toutefois,
évident que le thème dionysien du Rayon théarchique ( Hiérarchie Céleste , 121 B-C)
ne cesse d'animer et de vivifier en sous-main les emprunts d'Albert à la théorie
avicennienne du flux des formes intelligibles. Il en va de même pour la théorie de
l'être et des « modèles » exposée au chapitre V des Noms divins , 816 A-825 B.

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THÉORIE DES UNIVERSAUX CHEZ ALBERT 57

dionysienne de la Lumière incréée est pour lui le moyen de se situer


d'emblée au-delà des contradictions et des faiblesses des « Latins »9,
d'exprimer une vision philosophique et théologique d'ensemble, proposant
une articulation cohérente de la doctrine de l'Intellect, de la psychologie
de la connaissance et de l'ontologie.
Ne pouvant suivre ici en détail l'ensemble de la discussion des trois
questions de Porphyre sur l'être, la quiddité et le rapport des universaux
aux particuliers10, qu'il nous soit permis de présenter principalement
les passages où Albert effectue la synthèse de ses sources.

Des sept arguments réfutant l'existence des universaux in natura ,


plusieurs paraissent directement issus de l'élaboration latine du fonds
aristotélico-boécien ou des commentaires mêmes de Boèce à Y Isagoge
de Porphyre11. Toutefois, la présence d'une glose ou d'une remarque
d'origine arabe est presque toujours verifiable. C'est le cas, par exemple,
du premier argument qui roule sur la notion boécienne de la solidarité
entre séparation ontologique et unité ou unicité numérique : si tout
ce qui est séparé est numériquement un, ou l'universel n'est pas séparé
et il n'existe pas, ou il existe mais uniquement dans l'intellect12.
C'est aussi, et surtout, le cas du cinquième qui, emprunté à Avicenne
et à Ghâzâli, n'a pas d'équivalent direct chez les Latins : supposé que
l'universel existe en dehors de l'intellect, il est ou non sujet au commen-
cement. Si non, il est éternel, ce qui est impossible puisqu'il a une cause :
la lumière de l'intelligence, donatrice des formes. Si oui, de deux choses
l'une : ou il commence d'exister à partir de lui-même, ce qui est impossible,
ou il existe à partir d'un autre, ce qui fait de lui un particulier, puisqu'au-
cune action productrice n'engendre autre chose que particulier ou indi-
viduel18.
A cette subtile mise en jeu des traditions et des cultures alexandrine,
arabe et latine, la thèse que l'on qualifiera de « réaliste » oppose un appareil
d'arguments et de lieux tout aussi variés mais, peut-être, plus nettement

9. Sur les « Latins » cf. entre autres Lib. de inlelleciu ei intelligibili , II, 2, 493 a :
« Sed quidam non mediocris auctoritatis viri inter Latinos [...] asserunt universale
secundum aliquid esse in rebus. »
10. Cf. Lib . de praedicab., II, 2, 20 a : * Tres igitur sunt iste questiones de universa-
libus. Prima quidem de esse ipsorum. Secunda de quidditate eorumdem. Tertia vero
de comparatione ipsorum ad sua particulada. »
11. Pour tout ceci cf. Lib. de praedicab.y II, 3, 20 b-22 b.
12. Lib. de praedicab.y loc. cit., 21 a : « Dicunt enim quod Boetius et Aristoteles
et Avicenna dicunt, quod omne quod separatum in natura est, ideo est quia unum
numero est, etc. » Pour Boèce, cf. In isagogen Porphgrii commenta ed. sec. I, 10,
CSEL XXXX, V III, p. 162,2. Pour Avicenne, cf. Meta., III, 1 (Venetiis 1508)
fol. 78 ra (« quicquid autem est, non est id quod est nisi quia est unum designa tum »).
Même argument chez Pierre d'Auvergne, Questiones Porphgrii , ed. J. Pinborg,
CIMAGL 9, 1973, p. 49 et chez Martin de Dacie, Questiones super librum Porphgrii ,
q. 3, p. 126,16 et 126,19-20 du Corpus philosophorum Danicorum medii aevi, II,
Hauniae, 1961.
13. Cf. Lib. de praedicab.y loc. cit., 21 b. Les arguments mentionnés par Martin
de Dacie, op. cit., q. 4 p. 127-128 sont tout différents.

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58 A. DE LIBERA

associés aux idées et aux innovatio


xii® et xiiie siècles latins14.
Ce phénomène est particulièrement sensible dans le premier argument
qui, partant de la dépendance ontologique de l'individu vis-à-vis de la
forme simple qui lui donne l'être aboutit à une intervention quasiment
explicite de la doctrine de la « suppositio simplex », caractéristique de
la Logica modernorum. Tout consiste ici à montrer que la proposition
« L'homme est la plus digne des créatures » est logiquement invalide
si elle est prise d'un homme individuel en tant que tel et qu'elle ne vaut
que de l'homme en tant qu'homme, lequel existe donc dans la nature,
indépendamment de l'intellect, à titre d'objet d'une proposition rédupli-
cative vraie par soi16 :

«Non [...] potest homo esse, nisi ab eo quod est secundum rem in
natura extra intellectum existens simpliciter. Propter quod dicitur homó
digníssima creaturarum. Si enim hoc conveniret huic homini secundum
quod hie homo, non conveniret alii. Similiter quod homo est rationalis, non
convenit huic secundum quod hie : quia tunc alii non conveniret. Ergo
convenit secundum quod homo. Ergo homo secundum quod homo, et
non hic homo, est aliquid in natura praeter intellectum existens. Eadem
ratio est de animali secundum quod animal. »

Ce passage témoigne, si besoin était, que la thèse réaliste sur les uni-
versaux est intrinsèquement liée à l'admission de la supposition simple,
du point de vue de la sémantique des termes. La proposition discutée,
« Homo est digníssima creaturarum » ne caractérise aucun univers
doctrinal précis puisqu'on la retrouve à la fois chez Guillaume de Sherwood
et chez Pierre d'Espagne16. Toutefois, il est vraisemblable qu'Albert
emprunte l'argument à des auteurs parisiens des années 1230-1240
(Robert Kilwardby, Jean le Page ou Hervé le Breton)17...
D'autres arguments méritent cependant aussi l'attention. C'est le cas
du second qui, reposant sur l'identité pseudo-aristotélicienne des principes
de l'être et des principes de la connaissance, fait intervenir la notion
typiquement arabe ď intentio18. Cet argument, à la fois logique et physique,
peut être résumé ainsi : étant donné le parallélisme de l'être et du
connaître, ce qui est objet de science, i.e. l'universel (puisqu'il n'est pas
de science du particulier) est aussi principe même de l'existence des

14. Lib . de praedicab., loc . cit., 22b-24a.


15. Lib . de praedicab ., loc . cit., 22 b.
16. Guillaume de Sherwood, Introductions in logicam, ed. M. Grabmann,
Munich, 1937, p. 77, 19-28. Pierre d'Espagne, Tractatus, ed. L. M. De Rijk, Assen,
1972, p. 83, 20.
17. Ces trois auteurs ont tous enseigné la logique à Paris avant Albert. Sur
Kilwardby, cf. P. O. Lewry, Robert Kilwardby's writings on the logica vêtus studied
with regard to their teaching and method, D. Phil. Oxford 1978 (inédit). Sur Jean le Page
et Hervé le Breton, cf. L. M. De Rijk, Tractatus, Introduction, p. LXXXVI-LXXXVni.
18. Lib. de praedicab ., loc. cit. 22b. L'autorité d'«Aristote» («eadem sunt quibus
res est, et quibus cognoscitur et scitur ») est peut-être Phys. A, 1, 184 a 12-14. Sur
Yinlenlio cf. K. Gyekye, « The terms prima intentio and secunda intentio in Arabie
Logic », Speculum 46 (1971) p. 32-38.

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THÉORIE DES UNIVERSAUX CHEZ ALBERT 59

choses. C'est en ce sens qu'une science comme la physique est science des
choses, i.e. dans la mesure où les réalités universelles sont des réalités
de plein exercice. Si ces réalités n'étaient que des intentions mentales,
toutes les sciences porteraient sur les passions de l'âme. Il y aurait ainsi
une espèce de solipsisme épistémologique de Yintentio, ce qui est mani-
festement faux.
La distinction entre res et inteniio rei est indiscutablement liée à la
terminologie logique des Arabes. Son utilisation ultérieure et massive
par les modistes de l'Université de Paris, notamment au xiv® siècle, ne
saurait cependant faire oublier que le texte de S. Albert est l'un des
premiers témoins de cette fortune latine du manā avicennien et sans doute
l'un des tous premiers introducteurs du vocabulaire et de la probléma-
tique « intentionnistes » à Paris19.
La prégnance des doctrines arabes s'accentue encore dans les cinquième,
sixième et septième arguments réalistes auxquels Albert souscrit inté-
gralement puisque, selon lui, ils concluent tous de necessitate 20.
Le cinquième argument part du statut ontologique de la forme, dona-
trice d'être au composé. Mais, il se prolonge par une détermination
proprement métaphysique de la natura comme achèvement ou terminaison
locale de la lumière de l'Intelligence divine dans les réalités individuelles :
l'incorporation de la lumière à l'individuel produit, ou mieux, constitue
la nature des choses dans l'être, toutefois, ce n'est pas en tant qu'incor-
porée à ceci ou cela que la forme donne l'être mais uniquement en tant
qu'elle émane de l'Intelligence. La forme universelle est donc à la fois
indépendante de l'intellect humain, dépendante de l'Intelligence divine
et pourvue d'une consistance ontologique dans la nature21.
Le sixième argument tire toute la moelle de ce réalisme métaphysique.
La lux inielligentiae qui dispense les formes ne perd rien de ce qu'elle est
ni de ce qu'elle a, du fait qu'elle se trouve incorporée à tel ou tel individu.
Au contraire, le pouvoir de constitution qu'est la forme est à la fois
véritablement dans la nature, en tant qu'aptitude naturelle à se prodiguer
en tous ceux à qui il donne existence et concept, et il est entièrement
indépendant d'eux dans la mesure même où la lumière qui l'émane agit
par lui dans le particulier et y trouve sa terminaison locale sans pour
autant s'y résoudre ou s'y réduire. Genres et espèces sont donc vérita-
blement dans la nature, hors de l'Intelligence, indépendants de l'intellect
humain et irréductibles aux réalités individuelles qu'ils constituent22.

19. Sur l'histoire de la notion d'intentio au xine siècle cf. A. de Libera « La problé-
matique des inientiones primae et secundae chez Dietrich de Freiberg », T, in Dietrich
von Freiberg , opera omnia, Beiheft II (à paraître).
20. Lib. de praedicab ., loc. cit., 26 a.
21. Lib. de praedicab., toc. cit., 23 a-b. Le thème de l'incorporation de la lumière
divine qu'Albert emprunte à Avicenne constitue sans aucun doute l'une des sources
principales de la distinction eckhartienne entre l'esse divin absolu et l'esse hoc et hoc
caractérisant les créatures. Sur ce point cf. Maître Eckhart, Prologus in opus
propositionum, L. W. I, n° 3, p. 166, 12-13.
22. Lib. de praedicab ., loc. cit., 23 b, notamment : «lumen intelligentiae, quod de
se formas largitur, non amittit id quod de se vel ab efficiente habet, per hoc quod est
in isto vel in ilio : nec aliquid accipit essentiae vel virtutis ab hoc quod terminatur ad

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60 A. DE LIBERA

Cette position complexe qui n'est


non-réaliste est clairement définie
L'universel ou forme est antérie
l'ordre de la nature, c'est-à-dire ce
ontologique fonde une indépendanc
la forme universelle que rien ne saura
dans l'ordre de la constitution/Ain
de ce qu'elle informe. Elle n'en reç
est une en elle-même, à titre de ca
voques, et, ne recevant aucune u
n'en reçoit non plus aucune diversit
n'étant pas uni-fiée par le particul
pas non plus multipliée par l'ensem
Prise en elle-même, la forme n'a d
relève de ce à quoi elle se donne : ni
cité. Certes, il est juste de dire q
particulier si l'on considère l'êtr
prend cet être comme limité à et d
toutefois, selon l'être qu'il a en lu
véritablement comme chose de la n
lement reprise par Albert dans sa
De fait, toute la stratégie du Co
juste d'apprécier le coefficient on
prend ou non comme identique à l'
elle-même une forme qui est en au
et non pas seulement dans telle ou
bref prendre la forme dans le ré
faire briller l'être dans l'écrin de l'étant sans le réduire aux lueurs de
l'intellect qui distingue les choses, telle est la volonté d'Albert.
Méconnaître cette donnée rationnelle qui veut que ce qui est principe
d'une chose puisse être considéré dans cette chose en tant que son principe
même, et donc que ce qui détermine une réalité individuelle ne soit pas
dans son être propre réductible à l'individu dont il est le principe, c'est,
dit-il, céder à l'erreur de la figure de l'expression24.

hoc vel illud, quamvis ei quod constituitur ab isto multa conveniant secundum quod
lumen istud constituens agit in hoc vel ilio. Sic autem virtutem constituendi habens,
est vere in natura, et non secundum quod est in isto vel in ilio. »
23. Lib. de praedicab., loc. cit., 23 b-24 a. Le thème avicennien de l'unité de l'universel
dans le multiple, celui de l'indifférence de l'essence aux particuliers où elle se prodigue,
sont ici sollicités dans le sens de la simplicité du Rayon de la Lumière divine. On songe
ici à Denys, la Hiérarchie céleste 121 B, trad. M. de Gandillac, Paris 1943, p. 186 :
« Tout en se multipliant et en agissant au dehors comme il convient à sa bonté, pour
spiritualiser et unifier la constitution des êtres soumis à sa Providence, il (= le Rayon
Théarchique) demeure en soi stable, affermi dans une immobile identité, et c'est lui
qui confère à ceux qui peuvent tenter l'ascension sans sacrilège le pouvoir de tendre
vers lui à la mesure de leurs forces, car il les unifie en vertu de cette union simplificatrice
qui réside en lui. »
24. Lib. de praedicab., loc. cit., 25 b.

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THÉORIE DES UNIVERSAUX CHEZ ALBERT 61

« Quod [ . . . ] est in individuo, non semper est in eo per modum esse


individui, sed aliquando per modum principii individui. Et non oportet
quod hoc secundum id quod est, sit individuum et hoc aliquid : quia potest
esse quale quid. Et ideo in argumento paralogismus est figurae dictionis :
quia interpretatur quale quid ut hoc aliquid. »

A côté de la technique propre du logicien, on mesure ici toute l'impor-


tance de l'arrière-fond avicennien. Cette indépendance de la forme
qu'Albert hérite d'Avicenne le conduit même à plier Aristote aux exigences
de la philosophie de l'essence. Certes, le Stagirite veut que l'universel
n'ait pas d'autre être que l'être de la réalité individuelle qu'il informe,
si on le considère selon l'être qu'il a dans le singulier en tant que tel.
Mais, si l'on prend l'universel dans le particulier, selon l'être qu'il a
en lui-même , cet être s'avère irréductible à celui du particulier. Cela, c'est
la vérité même des natures. A ce titre, ajoute Albert, Aristote ne peut
s'y être refusé, il ne peut même avoir envisagé de le faire25 :

«[...] universale secundum esse quod habet in singulari, non habet


aliud esse quam esse singularis : et hoc probat Aristoteles contra eos qui
dixerunt formas universales distinctum et divisum esse retiñere praeter
esse singularis (sicut ex sigillo receptům) esse separatum ab ilio sicut
separatum est esse sigilli et cerae sigillatae : sed quod id quod est in
singulari, non habeat esse naturae et principii, non secundum quod est in
singulari, sed secundum se acceptum, non probat Aristoteles : quia hoc
est verum et necessarium in omni natura. »

Il ne faut donc pas confondre « réalisme » albertinien et platonisme, pa


plus qu'il ne faut objecter à l'un ce qu'Aristote a raison d'objecter
l'autre.
On arrive ainsi aux distinctions qui permettent à Albert de dépasser
les alternatives et les contradictions où s'enferment ceux qui s'en tiennent
à un seul aspect du statut ontologique et phénoménologique de l'universel
et posent un réalisme ou un intellectualisme unilatéraux.
Il y a pour Albert trois façons de considérer les réalités universelles :
en tant que natures simples, invariables et indépendantes, en tant que
rapportées à l'intelligence, en tant que présentes dans telle ou telle
réalité individuelle. Cette tripartition est clairement inspirée d'Avicenne.
On pourrait quasiment dire qu'elle en est recopiée. Songeons, par exemple,
au passage de la Logica , III, qui contraste l'animal pris en lui-même,
l'animal sensible et l'animal conçu dans l'esprit :
« Ponamus autem in hoc exemplum generis dicentes quod animal est in
se quoddam. Et idem est utrum sit sensibile aut sit intellectum in anima.
In se autem huiusmodi nec est universale, nec est singulare, »

et qu'Albert reprend intégralement dans le chapitre III du IXe traité du


Liber de praedicabilibus 26. En fait, il y a là plus que de simples emprunts

25. Ibid., ad 4m.


26. Lib. de praedicab., IX, 3 146 b-148 b. Cf. Avicenne, Logica III fol. 12 ra
Venetiis 1508, notamment pour l'argument mentionné en 147 b : « Si enim in natura

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62 A. DE LIBERA

littéraires. Albert souscrit pleineme


sophie de l'essence. Il adopte entièrem
logique, cette indifférence de Y essentia
qui fait que, « n'ayant de soi ni l'une
selle dans l'intellect et singulière dan
que la « nature » simple et invariable
d'Avicenne, cette essence qui, prise e
commencement ni à aucune fin mais
rayons de la lumière de l'Intelligence
choses et est Dieu.
Chacune des perspectives distinguées par Albert correspond donc
un point de vue philosophique qui reflète la totalité. A la considération
de la natura en elle-même correspond le point de vue logique, ontologiqu
et métaphysique qui relève en elle le seul éclat de la lumière divine. A l
considération de la natura prise dans les réalités individuelles qui l'acci-
dentent correspond le point de vue de l'essence comme réalité particu-
larisée, individualisée, multipliable ou multipliée, incorporée au sensible
et par là, grosse de toutes les passions et de tous les accidents dont elle
est le sujet. A la considération de la natura prise dans son rapport
l'intelligence correspond le point de vue de l'essence comme pôle ou
corrélat intentionnel.
Encore faut-il distinguer soigneusement deux plans que nominalistes et
réalistes confondent aussi bien les uns que les autres. En effet, l'universel
pris en relation avec l'intelligence, s'entend de deux manières. La première
rapporte l'universel à l'intellect de la première Intelligence qui à la fois
le produit et le connaît et qui est le centre d'où émane chacun des rayons
que constituent les natures simples. La seconde rapporte l'universel à
l'intellect qui connaît par simple abstraction. On a ainsi un plan divin et
un plan strictement créaturel. Au premier, l'universel possède un être
simple, pur, immatériel, immobile, incorporel, incorruptible. Au second,
il ne fait que recouvrer par abstraction, c'est-à-dire par séparation d'aveç
la matière, ce qui lui est propre et qu'il possédait déjà avant d'assumer
les conditions de la matière et de l'individualité.
En d'autres termes, il faut distinguer l'universel rapporté à l'intellect
qui, d'un même geste, produit et connaît et l'universel rapporté à l'intellect
fini de la créature pour qui connaître n'est pas produire mais bien plutôt
recevoir28.

simplici haberent quod essent universalia, cum natura simplex non sit nisi unum,
universale non esset nisi unum, nec posset esse in multis et de multis, quod est contra
rationem universalis. »
27. E. Gilson, L'être et V essence, Paris 1962, p. 125.
28. Pour tout ceci cf. Lib. de praedicab., loc. cit. 24 ab : « Per hoc autem quod est
in intellectu, duplici ter considera tur, scilicet aut secundum relationem ad intellectum
intelligentiae primae cognoscentis et causantis ipsum, cuius illa natura simplex radiu
quidam est aut secundum relationem ad intellectum per abstractionem cognoscentem
ipsum. Et primo quidem modo accidit ipsi radium et lumen intelligentiae agentis
esse et simplex et purum esse, et immateriale et immobile et incorporale et incorrupti
bile, et perfectibile intellectus possibilis et eiusdem possibilis intellectus esse motivům
ad actum [...] Secundum autem relationem quam habet ad intellectum cognoscentem,

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THÉORIE DES UNIVERSAUX CHEZ ALBERT 63

La tripartition albertinienne rejoint donc explicitement une triple


distinction que le Golonais attribue tantôt aux antiqui , tantôt à...
Platon29. Il y a trois sortes de formes ou plutôt trois états ou trois manières

non causantem, habet quod talis intellectus secundum quod abstrahit ipsum, agit
in ipso universalitatem (quam de natura sua ante habuit) per hoc quod separat ipsum
a materia et materialibus individuatibus. Et sic intelligitur quod dicit Aristoteles
quod universale est dum intelligitur : particulare vero dum sentitur. Et illud Avicennae
dictum, quod intellectus in formis agit universalitatem. * Pour l'autorité d'ARiSTOTE,
cf. Phys. A 5, 189 a 5-8. Pour celle d'AviCENNE, cf. De anima V, 5, fol. 25 ra (Venetiis
1508) et Met. y V, 1, fol. 87 rb et 2, fol. 87 v. Cf. également Aristote, De anima III, 5,
430 a 10-19 et Averroès, De anima I, 8 (Venetiis 1483) fol. 2 ra.
29. Pour les Antiqui , cf. Lib. de praedicab., II, 3 : « Et hoc est quod dixerunt Antiqui
tríplices esse formas, ante rem scilicet, quae sunt formae secundum se acceptae,
principia rerum existentes : et in re sive cum re ipsa, quae sunt formae existentes in
ipsis dantes eis nomen et rationem, per id quod sunt aptae esse in multis et universales,
non tarnen secundum quod sunt in illis : secundum quod sunt in illis, particularizatae
et individuatae et ad singularitem ductae sunt. Sunt etiam formae post rem, quae
sunt formae per abstractionem intellectus ab individuantibus separatae et in quibus
intellectus agit universalitatem. Et primae quidem substantialia rerum principia sunt,
secundae autem rerum substantiae, tertiae autem accidentia et qualità tes, quae notae
rerum in anima acceptae vocantur et dispositiones vel habitus. » Pour Platon, cf.
Phys. I, I, 6 (« est enim ut Plato ait, triplex universale, sc. ante rem acceptum, et in
re ipsa acceptum, et post rem ab ipsa re abstractum. Ante rem autem universale est
causa universalis omnia causata praehabens potentia rerum in se ipsa. Universale
autem in re est natura communis secundum se accepta in particulari. Sed universale
a re acceptum per abstractionem est intentio formae et simplex conceptus mentis qui
de re per abstrahentem intellectum habetur. ») Cf. également De anima I, I, 4 (« Plato
posuit in omni re triplex esse universale. Unum quidem ante rem, quod erat causa rei
formalis secundum esse praecedens quia separatum ipsum esse posuit. Secundum in
re, quod erat forma adhaerens ei una in multis et de multis, et hoc unum dixit Plato
in essentia esse unum et in esse naturae et formae in omnibus, Aristoteles autem in
ratione dixit unum, et in essentia et esse plura. Tertium autem dixit esse post rem,
quod est intentio universalis in anima. ») et Lib. de intellectu et intelligibili , II, 5
(« Adhuc autem oportet mentionem facere de philosophia Piatonis, qui apud omnem
facultatem hujusmodi solvendam triplex distinguit universale »). En fait, la triparti-
tion des universaux est tirée d'Avicenne qui, lui-même, la tient de ses prédécesseurs
(est-ce pour cela que l'on trouve le terme d 'antiqui chez Albert ?). Cf. Logica , ed. cit.
fol. 12 ra : « Usus fuit, ut, cum haec quinqué distinguerentur, diceretur secundum hoc,
quod uno respectu sunt naturalia et alio respectu logicalia et alio intellectualia, et
fortassis etiam diceretur, quod uno respectu sunt absque multiplicitate et alio cum
multiplicitate » et ibid., fol. 12 va : « Sed quia omnium quae sunt comparatio ad deum
et ad angelos est, sicut comparatio artiflcialium, quae sunt apud nos, ad animam
artiflcem, ideo id quod est in sapientia creatoris et angelorum et de veritate cogniti
et comprehensi ex rebus naturalibus, habet esse ante multitudinem ; quidquid autem
intelligitur de eis, est aliqua intentio, et deinde acquiritur esse eis, quod est in multipli-
citate, et cum sunt in multiplicitate , non sunt unum ullo modo, in sensibilibus enim
forinsecus non est aliquid commune nisi tantum discretio et dispositio ; deinde iterum
habentur intelligentiae apud nos, postquam fuerint in multiplicitate. Hoc autem, quod
sunt ante multiplicitatem [...] noster tractatus non sufficit ad hoc, quia ad alium
tractatum sapientiae pertinet. » On notera que Martin de Dacie présente la doctrine
d'Avicenne dans une terminologie légèrement différente de celle d'Albert. Cf.
Quaestiones super Librum Porphyrii , ed. cit., q. 8, p. 132, 19-29 : « id quod signifìcatur
per terminům communem, triplici ter potest accipl. Aut in re extra sensibili [...] Alio

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64 A. DE LIBERA

de prendre les formes : en elles-mê


existe ( ante rem), dans les choses
résider (in re), dans l'intelligence, e
traction de la matière qu'elles infor
entre principes substantiels des chos
ou qualités de l'esprit qui se saisit d
que la théorie avicennienne des états
à tous les niveaux de priorité ou d
épistémologique30. De fait, à la dive
où se reflète l'enchaînement même
trouve puis organise le tissu des ch
véritable des modalités ontologiques
universelles existent par elles-mêmes
mêmes inengendrables, incorruptible
possèdent un être individualisé et comp
ment réalisé dans les diverses entités
extérieur ; mais surtout, en tant qu
de réalités identiques, elles possèden
pure, ni celui de l'essence abstrait
ainsi quatre termes plutôt que tro
d'Avicenne : à l'indifférence de l'e
l'universel, le Colonais ajoute la noti
ne se réduit à aucune des trois autr
réel, ni être particulier, puisqu'ap
l'esprit, puisque capacité de l'essence
cinq termes, dans la mesure où post
intentionnel lui-même différencié

modo in anima [...] Tertio modo potest a


praedictorum modorum [...] Et hoc terti
nec particulare seu singulare. »
30. Met., V, VI, 5 : « Ante rem autem d
omnia [...] sint in intellectu primae causae
igitur modo acceptum universale habet q
intellectualis [...] Alio autem modo dicun
substantia et ratione, et haec est forma
rei. »
31. Liber de praedicab ., IX, 3, 148b : « Et
accipitur, scilicet in esse naturae simplicis
luminis intelligentiae cujus ipsa est splend
duantia : et ideo habet rationem naturae p
per secundum, et rationem intellectus spec
et individui per quartum. » En revanche, l
à Avicenne, comme en témoigne IX, 3, 147
fol. 12va : « Sciendum est autem, quod ha
sunt absque omni multiplicitate, sed per
materiam, secundum esse dividuntur, et
quolibet sunt secundum totum esse ipso
quidem secundum se sunt ante omnem mult
et in materia efflciuntur ad quantitatem a
hoc efflciuntur multa secundum diversas

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THÉORIE DES UNIVERSAUX CHEZ ALBERT 65

Tintellect divin producteur ou dans cet intellect humain abstracteur qui


leur confère l'universalité par comparaison et abstraction, conformément
à la thèse selon laquelle : « L'intellect produit l'universalité dans les
choses » (intelledus agit universalilalem in rebus). L'avicennisme d'Albert
ne résulte donc pas d'un « plagiat » (Prantl) mais bien d'un authentique
dialogue de pensée avec le philosophe iranien. La complexité même de
la synthèse albertinienne montre le constant souci qui l'anime de compléter
la simple neutralité avicennienne de l'essence par une véritable ontologie
de ses états et de ses puissances, de ne pas dissocier la phénoménologie
qui permet de penser la pureté de l'essence et l'ontologie qui définit son
efficacité empirique. Nous retrouvons intégralement ce souci dans l'analyse
de la troisième question de Porphyre : « Les universaux sont-ils ou non
séparés des réalités sensibles ? >>32.

Aristote semble vouloir refuser tout être aux universels en dehors du


particulier qu'ils informent. Cette thèse, formulée notamment dans les
Seconds Analytiques 33, est en contradiction apparente avec la classification
des formes selon le Colonais. Albert, toutefois, déplace la difficulté :
d'une tension entre Aristote et le réalisme albertinien on passe à un
conflit entre différentes autorités aristotéliciennes ou supposées telles34.
Les arguments contre la séparation sont présentés en premier. Le second
argument est particulièrement intéressant pour nous, puisqu'il combine
des autorités d' Aristote, d'Avicenne et d' Al Fârâbî35. Étant donnée la
définition aristotélicienne de l'universel : « universale est unum de multis
et in multis >>36 qui, de facto , pose que l'universel ne saurait être séparé

32. Faute de place, nous renonçons à traiter ici de la seconde question « de »


Porphyre : « les universaux sont-ils ou non corporels ? » (Lib. de praedicab. II, 4, 26 a-
29 b). Signalons simplement que dans sa détermination, Albert mentionne une distinc-
tion entre le corporel (corporale) et le corporé ( corporeum ) que les Quaestiones super
librum Porphyrii de Martin de Dacie attribuent aux « Arabes ». Cf. Lib. de praedicab.
loc. cit., 28 b et Martin de Dacie, op. cit., q. 10, p. 136, 18-25 (« Ad cuius declara tionem
ponitur differentia Arabům inter corporale et corporeum, dicendo quod corporale est,
cuius essentiam ingreditur corpus sicut essentiale hominis vel asini ingreditur corpus
et ita dicuntur res corporales. Corporeum autem dicitur illud, cuius essentiam non
ingreditur corpus, sed est tantummodo unitum corpori, sicut patet in albedine existente
in corpore »). On notera que dans ses Quaestiones Porphyrii, Pierre d'Auvergne n'utilise
que le second sens de corporel distingué par Albert. Cf. Pierre d'Auvergne, op. cit.,
ed. cit., p. 65 : « Ad quaestionem [...] dicendum quod universale non est quid corporeum
corporea quantitate distensum. »
33. Aristote, Seconds Analytiques, I, 24, 18-20, trad. Tricot, Pans, 1970, p. 129 :
« En outre, il n'y a aucune nécessité de supposer que l'universel est une réalité séparée
des choses particulières parce qu'il signifie une chose une. »
34. Cf. Lib. de praedicab., II, 5, 29 b-33 b.
35. Lib. de praedicab., loc. cit., 30 a.
36. Seconds Analytiques, II, 19, 100 a 6-8 : « C'est de l'expérience (c'est-à-dire de
l'universel en repos tout entier dans l'âme comme une unité en dehors de la multiplicité
et qui réside une et identique dans tous les sujets particuliers) que vient le principe
de l'art et de la science. » On notera que les Auctoritates Aristotelis ont la leçon
suivante : « Universale est unum in multis et unum praeter multa » (ed. J. Hamesse,
Louvain-Paris, 1974, n° 124, p. 321).
5

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66 A. DE LIBERA

de ce en quoi il est , on remonte à un


l'universel défini par son aptitude à
séparé de ceux où il réside, sans perd
ment apte à exister à l'état séparé). C
semble propre à Albert. Mais en fait
avicennien37 qu'aristotélicien. Il en v
ment qui consiste à montrer que c
prédiqué de plusieurs, sinon de mani
La défense de la théorie de la sép
grande partie par Aristote lui-même8
tiré des Seconds Analytiques : Si, com
est partout et toujours, le singulier
il y a un espace et un temps où l'on t
Tous deux sont donc séparés en subs
lieu et l'espace diffère aussi nécess
cas du quatrième argument41 : si l'univ
corruptible, comme l'affirment les
pas le même statut ontologique. En e
transgression du principe de contrad
ruptible et doté d'une existence ét
pendant lequel il serait à la fois ex
non-existant (en tant que corruptible
doit nécessairement, à un moment q
comme l'enseigne le De caelo 43. Al
aristotéliciennes ou extrapolées d' Ar
des péripatéticiens44 :

« Ad haec autem non est difficile resp


Peripateticorum. Nam per distinctionem esse universalis omnia haec
facile determinantur. »

37. De fait, la Logique du Šifď donne la définition suivante de l'universel : « Univer-


sale est quod est in multis et de multis suae naturae suppositis. » Sur ce point cf.
M. Grignaschi, op. cit., p. 76, n° 59 et Avicenne, Mét. V, 1, fol. 86 va : « Universale
dicitur tribus modis ; dicitur enim universale secundum hoc, quod praedicatur in actu
de multis, sicut homo ; et dicitur universale intentio, quam possibile est praedicari
de multis, etsi nullum eorum habeat esse in effectu, sicut intentio domus septangulae ;
[...] dicitur etiam universale intentio, quam nihil prohibet o pi nari, quin praedicetur
de multis, sicut sol et terra [...] possunt autem haec omnia convenire in hoc, quod
universale est id, quod in intellectu non est impossibile praedicari de multis et oportet
ut universale logicům et quidquid est simile ei sit hoc. »
38. Lib. de praedicab., loc. cit., 30 b-31 b.
39. Seconds Analytiques, I, 31, 87 b 29-33 (notamment 87 b 32 : « Quod enim semper
est et ubique, universale dicimus esse »).
40. Pour tout ceci cf. Lib. de praedicab., loc. cit., 31 a.
41. Ibid., 31 a-b.
42. Seconds Analytiques, I, 24, 85 b 15-18.
43. De caelo et mundo, I, 12, 283 a 24-25 : « Omne corruptibile de necessitate
corrumpitur. »
44. Lib. de praedicab ., loc. cit., 31 b.

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THÉORIE DES UNIVERSAUX CHEZ ALBERT 67

Le péripatétisme gréco-arabe et, plus particulièrement, la doctrine


avicennienne de l'indifférence ou neutralité phénoménologique de l'essence,
constituent donc bien le ressort ultime de la mise en jeu du texte aristo-
télicien dans la doctrine albertinienne de l'universel.
On peut à la fois dire que l'universel est, en tant qu'il est dans le parti-
culier, et qu'il n'est ni universel, ni commun, ni communicable en tant
qu'il réside dans tel individu. De fait, l'être que possède l'universel
pris en lui-même n'est ni complètement identique, ni complètement
différent de celui qu'il possède dans le particulier. En un sens on peut dire
que c'est le même être pris de deux manières, un en substance mais deux
ou double en tant qu'il est ou non déterminé45 :

« Si autem quaeratur, utrum idem esse sit quod universale habet per
se acceptum, et quod habet determinatum et particulatum, dicendum
quod nec idem omnino, nec diversum omnino : sed idem vel unum dupliciter.
In substantia enim idem est : duplex autem ut idem et unum indetermina-
tum et determinatum. »

C'est à cette solution qu'Albert se rallie donc, solution qu'il dit emprunt
« aux trois philosophes » : Avicenne, Al Fârâbî et Jean le Grammairien
(i.e. Jean Philoppon). C'est elle qui, « concordant avec les paroles d'Aris
tote », constitue la véritable solution aristotélicienne. L'aristotélism
d'Albert le Grand est donc fidélité à un Aristote peripatéticien, la lumiè
venant ici surtout de l'Orient et, avec elle, la nécessité d'articuler véri
tablement toutes les pièces visibles du système46.

« Et haec est solutio trium Philosophorum, Avicennae, et Al Farabii,


et ejusdem Joannis grammatici apud Arabes nominati : et est vera qui
concordat dictis Aristotelis. »

C'est sur l'approfondissement ontologique et la synthèse doctrinale


des réponses apportées aux trois questions de Porphyre que s'achève le
second traité du Liber de praedicabilibus*7 .
Diverses questions s'imposent au lecteur. Le Colonais y répond pour la
plupart.
La première est de savoir comment l'universel peut être divisé dans les
particuliers, tout en restant un et identique à lui-même et donc indivisible
selon l'essence. A cette question, attestée dès le Théétète , Albert répond
par un exemple. La couleur est la même dans le corps dimensionné,
dans le milieu diaphane ( perspicuum ) et dans l'œil. Cette identité repose
sur l'unicité de l'agent opérant en ces trois : la lumière. De fait, c'est en
elle que la couleur exerce sa motion sur la vue, et elle est évidemment
une et la même dans le milieu diaphane où elle se propage et sur le corps
où elle se diffuse. Il en va ainsi de la forme universelle qui agit aussi
bien en elle-même, dans l'âme et dans le singulier : une et identique en
essence, elle n'est distinguée que selon l'être. La comparaison avec la

45. Ibid., 32 a-b.


46. Ibid., 32 b.
47. Pour tout ce qui suit cf. Lib. de praedicab., II, 6, 33 b-36 a.

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68 A. DE LIBERA

lumière n'est pas fortuite. Loin d'êtr


est, pour mieux dire, l'image mêm
l'unité essentielle de la forme dans s
d'autre que cette « force de la premiè
choses, à titre de cause de la totalité
nature simple est, on l'a vu, un « ray
va de soi que chaque rayon est réduc
lumière incréée qui irradie les intellig
intelligibles, ici dans la matière, là da

« Et dicendum quod id unum quod i


intelligentiae primae, quae causa univ
ipsa simplex natura (quae est hoc quo
radius est. Et quia contactus talis mul
ad quas pertingit, ideo universalia m
modo ad unum, quod causae primae p

La lumière est donc « la fontaine et la cause de toutes les formes »4Ö.


Celles-ci sont tantôt indiscernables et tantôt distinguées, à mesure de
leur proximité relative à la source d'où tout émane. Unes en pleine lumière,
elles sont multipliées dans l'ombre du réel, mais elles sont aussi dans l'âme
humaine, entre la lumière et l'ombre, comme principes de l'agir et de la
spéculation, «images» et «instruments» de la lumière d'Intelligence
dans la matière sensible. Il y a donc une seule et même essence qu'elle
soit prise en elle-même, dans l'âme ou dans le singulier et cette essence
n'est diversifiée que par l'être. Dans l'âme cet être est spirituel, dans le
singulier, matériel, en elle-même, pur ou absolu50 :

« Et ideo una et eadem est essentia in se et in anima et in singulari : sed


in anima secundum esse spirituale, in singulari secundum esse materiale
et naturale, in se autem in esse simplici. »

La doctrine d'Avicenne est ici clairement reprise, pour le thème de


l'indifférence de l'essence et pour celui de la hiérarchie des Intellects qui
organise et commande la répartition des intelligibles dans la matière et
dans les âmes. On peut, en revanche, se demander si la « première Intelli-
gence » et le « premier Causé » allégués par Albert sont bien ceux
d'Avicenne ou s'il ne s'agit pas plutôt, d'une part, de l'entendement
divin et d'autre part, des « universaux divins » (Gilson) auxquels toutes
choses se réduisent, une fois rétablies dans leur première condition
intelligible par l'intellect humain qui, dénudant et séparant, les tire de
la matière où ils s'étaient prodigués51.
En fait, on sait qu'Albert refuse l'identification avicennienne de l'intel-
lect agent humain à la dernière Intelligence séparée qui «préside à la
sphère de la lune et clôt la série des émanations »52 mais qu'il admet

48. Lib . de praedicab., loc. cit., 34 b-35 a.


49. Ibid., 35 aģ
50. Ibid., 35 a-b.
51. E. Gilson, La philosophie au mouen âge. Paris 1962, p. 512.
52. E. Gilson, op. cit., p. 355.

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THÉORIE DES UNIVERSAUX CHEZ ALBERT 69

la description avicennienne de la dispensation de l'universel par cette


Intelligence qui « rayonne les formes intelligibles qui [. . .] en s'emparant
des matières terrestres disposées à les recevoir, y engendrent les êtres que
nous percevons par les sens >>53. Dans cette mesure, et du fait même qu'il
identifie l'entendement divin et l'« Intellect agent séparé des philo-
sophes >>54, Albert ne peut que vider de son sens l'expression proprement
avicennienne de la hiérarchie des Intellects. Toutefois, que la première
Intelligence soit identique à la première Cause ou au premier Causé,
que la « force » (vis) soit celle du rayon divin lui-même ou celle du rayon
de la révélation angélique, c'est bien la rencontre entre la doctrine
avicennienne des états de l'essence et celle de la hiérarchie intelligible qui,
à la fois, soutient la problématique albertinienne de l'universel et signe
les conditions de son développement, quels que soient les déplacements,
les remaniements ou les ruptures qui l'accompagnent. En fait, le problème
de l'universel chez Albert est, si l'on peut dire, un problème trinitaire.
Il s'agit de comprendre comment l'universel peut être en même temps
un dans son principe et trine dans son mode d'être, mais il s'agit aussi de
comprendre comment, d'un qu'il est, était et sera en Dieu, il peut à la
fois descendre et se multiplier dans les choses en y exerçant une double
causalité, matérielle sur les substances concrètes, intelligible sur les
intellects humains.
Il y a donc une rencontre privilégiée entre la logique d'Avicenne et
celle d'Albert le Grand, dans la mesure même où la noétique (hiérarchie
des Intellects) et l'ontologie (diversification des modes d'être de l'essence)
du grand penseur iranien permettent de jeter, en régime chrétien, les
bases d'une réflexion philosophique sur les universaux, intrinsèquement
liée à une théorie de leur dispensation divine et à une appréhension du
réel modelée sur la tripartition de Dieu, de l'âme et du monde.
Cette rencontre trouve son achèvement dans la solution de la dernière
question générale : « L'universel est-il forme, matière ou composé ? »,
qui constitue l'orchestration finale de l'ensemble des motifs développés
à partir du bloc aristotélico-avicennien55.
L'universel est forme et il est non seulement forme, mais forme d'un
tout (forma totius). Cette dernière expression, cependant, a deux signifi-
cations distinctes. Il faut, en effet, distinguer la forme au sens d'essence
formelle et la forme au sens d'être formel. L'essence formelle ou forma
tantum se distingue logiquement de l'être formel en ce qu'elle n'est pas
predicable du sujet qu'elle informe. Cette non-prédicabilité de l'essence
formelle exprime la fmitude ontologique du créé en général. En revanche,
la forma totius prise comme être formel ou, plus précisément, comme
signant la totalité de l'être du sujet qu'elle informe, est predicable du
dit sujet et elle en exprime la consistance ontologique propre56 :

« Dicendum [ . . . ] est, quod universale est forma, et quod est forma


totius. Sed forma totius dupliciter designatur in nomine : designatur enim

53. E. Gilson, ibid.


54. E. Gilson, op. cii ., p. 512.
55. Sur ce point cf. Lib. de praedicab., II, 8, 37 b-39 a.
56. Lib. de praedicab ., loc. cii., 38 a.

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70 A. DE LIBERA

ut forma tantum, sicut humanitas es


quae est essentia formalis : et ideo n
quia homo non est essentia sua form
habent. Designatur etiam ut forma
forma : et tunc designatur per esse
homo dicit esse formale quod forma
hic homo. »

La différence entre forma tantum et forma totum esse dicens anticipe


clairement la différence ultérieurement développée par les logicien
modistes entre intention abstraite (humanitas) et intention concrèt
(homo)51. L'originalité d'Albert est ici de définir l'universel par l'univocité
Il ne faudrait cependant pas croire que le primat de l'être formel su
l'essence formelle signifie un abandon de la doctrine d'Avicenne. En fait,
tout ce développement est emprunté au philosophe iranien68. La
véritable essence est celle qui peut conférer l'être formel. L'universe
albertinien n'est pas pour autant l'objet d'une détermination exclusive :
ni pure abstraction, ni pure essence séparée, ni forme accidentée dans
la matière, mais les trois à la fois et sous des rapports différents.
Entre les alternatives d'école et les antagonismes doctrinaires, Albert
choisit donc consciemment la voie « moyenne >>69. L'essence des choses
peut être considérée de différentes manières. Prise en elle-même, elle
constitue une réalité de plein exercice, dotée d'un être spécifique, o
l'appelle donc essentia au sens strict et l'être qu'elle a en propre ess
essentiae. Prise dans sa communicabilité intrinsèque, c'est-à-dire en tan
que naturellement apte à conférer un certain être formel à une pluralité
de réalités univoques, qu'elles soient ou non en acte à un moment quel-
conque, l'essence est appelée universel (universale). On peut donc dir
que toute essence communicable est un universel, quand même elle n

57. Cela est encore plus net dans le Liber de praedicamentis, I, 4, 157 a (« Homo non
dicitur humānus ab humanitāte, sed dicitur essentialiter homo et animal rationale,
et omnia quae secundum essentiam praedicantur ») et 159 a («Ex his autem quae
dicta sunt patet, quod in substantialibus non potest esse denominatio : substantialia
e nim sola pertinent ad objectio eamdem naturam. Et si objicitur quod in substantialibus
quaedam signiflcantur concrete^ quaedam autem abstráete, ut homo et humanitas [...]
Dicendum quod haec inflexio facta est ad similitudinem accidentis et non de ipsa rei
natura : homo enim non praedicatur de sibi subjectis, ut ab alio derivátům, sed
praedicatur ut esse substantiale ejus de quo praedicatur »). Pour les modistes, cf.
notamment Radulphus Brito, Sophisma « Aliquis homo est species », texte dans
J. Pinborg, Logik und Semantik im Mittelalter, Ein Ueberblick, Stuttgart-Bad
Cannstatt, 1972, p. 197-200.
58. Cf. par exemple Logica, fol. 3 vb, qui pose la distinction entre prédication
univoque et prédication paronymique, qui sous-tend le thème albertinien de la non
prédicabilité de l'essence formelle : « Praedicatio autem fit duobus modis, quia aut
univoce, sicut hoc quod dicimus, quod Socrates est homo, ' homo ' enim praedicatur
de Socrate vere et univoce ; aut denominative, ut albedo de homine, dicitur enim
homo albus et habens albedinem, nec dicitur esse albedo [...] nostra autem intentio
non est hie nisi de eo, quod praedicatur univoce. » Sur la prédication univoque des
universaux cf. Liber de praedicamentis, I, 3, 156 a : « Ut dicunt Avicenna et Algazel [...]
omne quod ut universale de multis et de sibi subjectis praedicatur, univoce dicitur. »
59. Cf. Lib. de intellectu et intelligibili, II, 2, 493 a-b.

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THÉORIE DES UNIVERSAUX CHEZ ALBERT 71

donnerait l'être qu'à un seul individu, comme c'est le cas pour le soleil,
la lune, ou Jupiter60. Gela étant, l'universel a diverses modalités ontolo
giques : pris dans sa capacité de résider dans une pluralité de réalité
extérieures, il est doté d'un être par aptitude ( esse apłiłudine) , pris en
tant qu'existant effectivement dans cette pluralité, il a un être puremen
intentionnel. La notion ďaptitudo met donc Albert en position d'accorder
toutes les doctrines et de concilier tous les enseignements61 :

« Per [

existendi in multis non est nisi in intellectu


quod universale non est nisi in intellectu, r
quod est in multis et de multis secundum actum existendi, et non
secundum aptitudinem solam. »

On aboutit ainsi à une définition de l'universel intermédiaire entre


celle des Latins (pour qui l'universel est forme des réalités individuell
et donc lui-même du nombre des existants) et celle des péripatéticien
(pour qui l'universel n'existe que dans l'intellect). Position moyen
mais aussi redistribution des termes du conflit sur une trame emprun
à la tripartition avicennienne de l'essence, de l'universel et du sensibl
D'où sa nouveauté, d'où aussi son intérêt.

La difficile synthèse d'Aristote et d'Avicenne entreprise par Albert


s'est sans doute très tôt imposée à l'attention de ses contemporains.
L'Université de Paris ne semble pas avoir négligé sa doctrine des uni-
versaux puisque, dès la fin du xiii6 siècle, un Simon de Faversham,
commentateur anglais de Pierre d'Espagne s'autorise d'une définition
du predicable de genre dont, à tort ou à raison, il attribue la paternité
au Colonais 62. On sait également que Siger de Brabant discute la doctrine
albertinienne de l'essence dès la Question « Utrum haec sit vera ... »63
déterminée à Paris en 1269, soit deux années exactement après que
Roger Bacon, d'ordinaire plus critique, eut fait d'Albert l'un des deux
plus grands logiciens de son temps, dans la lettre dédicatoire de l'Opus
tertium 64. On voit enfin qu'un Radulfus Brito consacre une place non
négligeable à certaines doctrines du Colonais, dans ses Quaestiones super
Porphyrium 65. Toutefois, ce n'est, semble-t-il, ni à Paris, ni par l'inter-
médiaire de la Logica qu'Albert a exercé son influence la plus importante

60. Pour l'exemple du soleil, cf. Avicenne, Mét., V, 1, cité supra note 36.
61. Lib. de intellectu..., 493 b. Les « péripatéticiens » en question sont ( ibid ģ, 492 b) :
Avicenne, Al Ghazâlî, Averroès et Abubacer (Abou Bekr ibn Thofaïl).
62. Cf. texte dans L. M. De Rijk, « On the Genuine Text of Peter of Spain's
Summule Logicales , II, Simon of Faversham as a Commentator of the Tract's Ī-V of
the Summule », Vivarium, 6 (1968) p. 92.
63. Siger de Brabant, Écrits de Logique, de Morale et de Physique, ed. B. Bazan,
Louvain-Paris, 1974, p. 55.
64. Roger Bacon, Opus Tertium (1267), ed. J. S. Brewer, Opera hactenus inedita
Rogeri Baconi, I, London, 1859, p. 13-14.
65. Texte dans J. Pinborg, « Radulphus Brito on Universais », CIMA GL, 35
(1980) q. 51 B, p. 81.

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72 A. DE LIBERA

sur les générations ultérieures : c'e


méta ou péri-logiques, qu'il s'agisse
ou de théorie de l'intellect. C'est ains
peut-être pas mesuré toute la force
niciens produits par Albert au conta
l'essentialisme avicennien ou le mo
successeurs colonais ont, eux, véritab
les lignes principales de sa théorie d
faute d'un meilleur terme, nous a
phénoménologique de l'essence, a-t
proprement médiéval, cadre gran
beaucoup les étroites limites d'une ep
dans un même projet d'ensemble, t
et ontologie des manifestations de l'
si l'héritage logique d'Albert semb
exclusive par l'intermédiaire de texte
et intelligibili . De fait, ce n'est que
conception de l'essence proposée par
son intégralité.
Pour pouvoir articuler une théor
pouvoir articuler une conception d
de Y essentia et des modi essendi.
émanatiste et dionysien de la lumière
sa diffraction unanime, du double m
diffusion caractéristique de la produ
par delà, une théorie intellectualiste
caractéristique de l'agir divin66. C'est
d'Albert. C'est ce que retinrent succe
Eckhart de Hochheim et Berthold de
du De causis et processu universitatis
toniciens d'Albert. Il n'est pour s'e
ordinaire fortune littéraire et doctrinale du thème albertinien du flux
(f luxus) un selon l'essence mais multiple selon l'être à mesure que l'on
descend du premier principe (la Cause) aux réalités secondes (les effets)
ou celle, parallèle, de cette ebullitio récemment étudiée par M. R. Pagnoni-
Sturlese67. Si l'on ne craignait de pousser par trop l'anachronisme on
serait tenté de dire que l'albertinisme logique s'est développé dans
l'école colonaise selon les deux axes husserlien et hégélien d'une phénomé-
nologie enveloppant dans une même théorie générale de la manifestation,
la conception avicennienne de l'indifférence de l'essence et la descrip-
tion néo-platonisante de ses avatars phénoménaux.

66. Sur ce point, cf. B. Mojsisch, « Der Begriff Causa Essentialia bei Dietrich von
Freiberg und Meister Eckhart », in : Dietrich von Freiberg , Opera Omnia , Beiheft, II
(à paraître).
67. Voir Maria-Rita Pagnoni-Sturlese, « A propos du néoplatonisme d'Albert
le Grand, aventures et mésaventures de quelques textes d'Albert dans le commentaire
sur Proclus de Berthold de Moosburg », Arch. de philos ., 43 (1980) 635-654.

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THÉORIE DES UNIVERSAUX CHEZ ALBERT 73

Nous ne saurions conclure cette brève présentation de la doctrine


d'Albert autrement qu'en soulignant que la causalité universelle de la
lux inlelligenliae , éternelle donatrice des formes, que sa diffraction et
sa division dans la multiplication des effets produits, sont autant de
points d'ancrage métaphysiques pour une doctrine de l'essence qui, en
dernière analyse, assume une manière de « non-réalisme » au prix d'un
engagement théologique de type néo-platonisant. De fait, si l'universel
n'est ni l'intention de la res dénudée des phantasmes, ni cette réalité
individuelle qu'il informe, mais une seule et même réalité qui se continue
dans l'un et qui se retrouve dans l'autre ; si l'universel n'a de définition
métaphysique que de différer, par le mode d'être, de ce à quoi il se donne
et de ce en quoi il se reprend, il faut nécessairement qu'il y ait un point
aveugle, trans-phénoménal, à la fois ontologiquement antérieur au réel et
horizon de sa constitution intentionnelle, un point qui condense et con-
tienne d'avance tout ce qui, ici, dans le monde, ou là, dans l'intellect
humain, le monnaye ou le détaille. Ce point n'est autre que la lumière
de l'intelligence ou plutôt l'Intelligence elle-même, Lumière de la lumière :
la Cause Première avant qu'elle ne « bouillonne à l'extérieur » dans l'exu-
bérance de l'émanation.
C'est à cette conception de l'Intellect divin comme lieu du monde et
des essences que s'est attachée l'école de Cologne. Le « réalisme modéré »
(De Hijk) d'Albert s'est ainsi survécu et développé dans un non-réalisme
tout entier fondé sur une interprétation rigoureusement émanatiste du
caractère transphénoménal de l'essence avicennienne. Il n'est pas exclu
que cette vision médiévale de l'idéalité ait dépassé le cercle limité des
néo-platonismes du xive siècle. Sans doute, plus que toute autre pourrait-
elle prétendre caractériser cette Via albertistarum dont les premiers états
datent du xve siècle. Les recherches en cours diront peut-être si les
albertistes de la Bursa Laurentiana sont bien, comme leurs illustres
devanciers Thierry de Freiberg ou Berthold de Moosburg, les « disciples »
d'Albert68.

C.N.R.S. , Paris. 34, rue de Provence


75009 Paris

68. Il semble que cela soit le cas d'Aymeric de Campo. Il faudrait à présent reprend
les textes plus spécifiquement logiques de Gérard de Harderwijck et d'Arnold de
Tongres allégués par G. Meersseman et M. Grabmann. Cf. à ce sujet A. de Libera,
« Logique et existence... », loc. cit., p. 529-530, note 1.

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74 A. DE LIBERA

Résumé de l'article. - Théorie des universaux et réalisme logique chez Albert


le Grand.

Depuis Pranilf la théorie albertinienne des universaux est généralement regardée


comme une médiocre adaptation du « réalisme » ďAvicenne : VA. tente de montrer ici
qu'il n'en est rien et que l'utilisation de la théorie avicennienne de l'indifférence de l'essence
permet , au contraire^ à Albert de tracer un chemin intermédiaire entre le réalisme et le
nominalisme . L'analyse de ses sources : Avicenne , Fârâbt mais aussi Denys , permet
d'envisager l'intention philosophique d'une théorie qui se situe d'emblée au croisement
d'une doctrine de l'inlellectt d'une psychologie de la connaissance et d'une ontologie .
Tout en comparant brièvement certaines de ses opinions avec celles de contemporains
(Martin de Dacie , Pierre d'Auvergne ), l'art, s'attache donc , surtout , à montrer que le
problème de l'universel tel que le formule Albert est avant tout un problème de noétique
et une réflexion sur le thème avicennien et dionysien de la Lumière divine. Le « réalisme »
d'Albert se révèle ainsi inséparable de sa doctrine du flux et de l'émanation. C'est cette
connexion qui apparati alors comme le lieu supposé d'un « albertisme » allant de Thierry
de Freiberg à Aymeric de Campo , en passant par Berthold de Moosburg et Maître
Eckhart.

Summary. - Theory of Universals and Logical Realism in Albert the Great.


Since Prantl the albertian theory of the Universais is commonly understood as an
only mediocre adaptation of the realism of Avicenna. This is not the case and using
the theory of Avicenna concerning the indifference of the essence allows , on the contrary ,
Albert to chose an intermediary road between realism and nominalism. The analysis
of the sources: Avicenna , Fârâbt but also of Pseudo-Denys shows the philosophical
intention of a theory on the crossroads of doctrines of the intellectf on a psychology of
knowledge and of an ontology. Comparing shortly albertian opinions with those of his
contemporaries (Martin of Dacia , Pierre d'Auvergne) it is shown that the problem of
the universal as elaborated by Albert is foremost a noetical one and a reflexion of the
avicennian and dionysian theme of divine light. Albert's realism is thus shown to be
inseparable from his doctrines of flux and of emanation. This connexion appears as
the locus of an "albertinism" stretching from Thierry of Freiberg to Aymeric de Campo ,
and passing by Berthold of Moosburg and Master Eckhardt.

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