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E-rea

Revue électronique d’études sur le monde anglophone


8.3 | 2011
Hommage à François Poirier

Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole


des temps troubles »
Valérie MAGDELAINE-ANDRIANJAFITRIMO

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/erea/1741
DOI : 10.4000/erea.1741
ISSN : 1638-1718

Éditeur
Laboratoire d’Études et de Recherche sur le Monde Anglophone

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Référence électronique
Valérie MAGDELAINE-ANDRIANJAFITRIMO, « Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des
temps troubles » », E-rea [En ligne], 8.3 | 2011, mis en ligne le 30 juin 2011, consulté le 21 mars 2018.
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Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » 1

Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba


ou parole des temps troubles »
Valérie MAGDELAINE-ANDRIANJAFITRIMO

1 Comme pour beaucoup d’événements qui entourent l’histoire coloniale française, la date
du 29 mars 1947reste largement inconnue, ou encore, est l’objet de nombreuses
confusions et fluctuations, en lien avec des confrontations idéologiques puissantes. Pour
la France, 1947 a fait l’objet d’une amnésie collective jusqu’à une date récente. En
revanche, « la mémoire de 1947 (avec ses intermittences) a fortement scandé l’histoire
récente de Madagascar » (Joubert 2004, 354). L’hésitation même dans le nom à donner à
ces événements, « insurrection, massacre » (Duval 2002, 5)… marque cette incapacité à
circonscrire la nature de ce qui se passa depuis la nuit du 29 mars 1947 jusqu’à
l’indépendance du 20 juin 1960 et même jusqu’à nos jours. L’un des problèmes tient au
fait que la parole sur l’événement est essentiellement française, parole qui plus est, des
militaires et des administrateurs, consignée dans des archives longtemps fermées,
réparties entre la France et Madagascar. La parole malgache est restée largement orale, et
Françoise Raison-Jourde (1998) insiste sur la difficulté de recueillir des témoignages, sur
les réticences des acteurs devant toute forme de fanjakana (pouvoir), sur la fluctuation des
mémoires vieillissantes, et sur la capacité « par le biais d’une subtile tournure d’esprit, à
éviter le sujet » (Cole 2001, 224) tout comme elle insiste sur la difficulté de publier et de
diffuser des travaux universitaires malgaches. Des ouvrages d’histoire ont toutefois traité
l’événement (Tronchon 1986), des colloques ont été tenus à Antananarivo et Paris en
1997. Mais dès qu’il s’agit de témoignages publiés, malgaches comme français, la
fluctuation s’impose, comme on le voit par exemple en comparant les ouvrages de Jacques
Tiersonnier (2004) ou de Gisèle Rabesahala (2006). Les représentations ne se contentent
pas d’être divergentes entre les deux anciennes puissances colonisée et colonisatrice, ce
qui serait somme toute on ne peut plus banal. L’événement demeure tout aussi fluctuant
au sein même de l’histoire malgache, et fait l’objet de discours contradictoires, d’une
« rumeur » ou tabataba qui perdure, enfle ou se dissout. L’amnésie malgache n’est
pourtant peut-être pas aussi forte qu’elle y paraît, elle peut être aussi le fait d’un discours
inaudible pour la France.

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2 La difficulté à dire l’histoire se révèle dans les fluctuations de la représentation que la


littérature lui donne, entre silence et bruit. Nous le verrons, que ce soit en littérature ou
au cinéma, en langue malgache ou en langue française, la production malgache est avare
d’œuvres sur le sujet. C’est surtout à Jean-Luc Raharimanana que l’on doit le retour à la
lumière (« nour ») de cette mémoire enfouie à travers plusieurs de ses textes. A quoi
correspond cette hantise de 1947, ce retour immédiatement contemporain d’une
mémoire des événements, représentés chez l’auteur sous leur face la plus tragique ?
L’objectif de Raharimanana est explicitement la restauration des voix manquantes, la
prise de parole des subalternes pour corriger les discours des pouvoirs français et
malgache, pour reprendre le flambeau d’une transmission chaotique de la mémoire. Les
réédifications du passé qu’il élabore nous permettront de comprendre comment l’histoire
malgache et l’histoire française peinent à se rencontrer. Elles montrent comment ce qui
peut paraître un événement fondateur d’une histoire nationale fait l’objet de
réorganisations auxquelles participe la littérature en contribuant à une réflexion sur la
constitution d’une mémoire qu’on considérera comme multidirectionnelle : “
as multidirectional : as subject to ongoing negotiation, cross-referencing, and borrowing”
(Rothberg, 2009, 3). Mais la littérature à son tour déborde à nouveau sur la scène
culturelle, diplomatique et institutionnelle avec la question cruciale de la censure qu’a
éveillée en 2008 la suspension de la pièce 1947. Cet événement vient rappeler avec force le
poids majeur de cette date dans la généalogie de l’histoire malgache et française coloniale
et postcoloniale, et interroger la capacité des textes à élaborer un récit de la nation.

I Anamorphoses : fluctuations et trous de mémoire


3 Rappelons en quelques mots les faits historiques et les doutes qui les entourent afin de
montrer les anamorphoses auxquelles les événements comme le discours
historiographique sont sujets.
4 Depuis l’instauration de la colonisation proclamée le 6 août 1896, Madagascar a connu des
mouvements de résistance avec les Menalamba (« ceints d’une étoffe rouge »), puis à
partir de 1912, avec le VVS (« Vy », fer ; « Vato » pierre ; « Sakelila » Sections) ou avec la
pratique du fahavalisme, banditisme dans lequel se réfugiaient beaucoup d’esclaves
affranchis. Ces mouvements se heurtent à une colonisation brutale et au travail forcé (le
SMOTIG) instauré en 1926. Très dure pour la population malgache qui a dû consentir un
effort qui l’a affamée, la Seconde Guerre mondiale a entraîné un contexte international
favorable à la montée des insurrections. On relève ainsi, en mai 1945, les émeutes de Sétif
qui ont eu une influence considérable sur les autres colonies françaises ou, dans la région,
la départementalisation de La Réunion en 1946. De retour à Madagascar, les soldats sont à
nouveau traités comme des indigènes sans que la France ne mesure la montée
internationale du désir indépendantiste. En 1946 est fondé le MDRM (Mouvement
démocratique de la rénovation malgache) et le 10 novembre, trois députés issus de ce
parti sont élus : Raseta, Ravoahangy et Jacques Rabemananjara. Par ailleurs, des sociétés
secrètes sont créées, comme le PANAMA en 1941, le JINA ou JINY en 1943. L’ensemble de
ces paramètres fournit un contexte politique propice à l’organisation de la résistance
anticoloniale. Dans la nuit du 29 mars 1947, des groupes de patriotes armés attaquent le
camp militaire de Moramanga, ainsi que d’autres bâtiments militaires et administratifs
dans le pays. Mais l’embrasement général, attendu par les insurgés, n’a pas lieu et assez
vite, les émeutes se concentrentessentiellement surdix districts, mis en état de siège

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jusqu’en 1956. La révolution tourne en une guérilla dans l’est du pays où les résistants se
réfugient dans les forêts. Ils y connaissent des conditions de vie très pénibles qui auront
raison d’une grande partie d’entre eux. Le déséquilibre des forces est total entre les
« marosaholy » (porteurs de sagaies) aidés de leurs amulettes, et les soldats français aidés
de tirailleurs sénégalais. Les colons et le régime — divisés par les dissensions entre armée
et administration — sont profondément déstabilisés par cet événement, mais leur riposte
ne se fait pas attendre, en particulier avec les représailles des troupes sénégalaises qui
provoquent la terreur dans la population. La violence de l’armée française est symbolisée
par l’épisode du 5 mai 1947 : un train contenant de nombreux insurgés prisonniers est
mitraillé sur le quai de la gare de Moramanga, provoquant quatre-vingt dix-neuf morts
selon les rapports officiels de l’armée française (Duval 2002, 297). De nombreux membres
du MDRM sont arrêtés, torturés, des exécutions sommaires ont lieu, des « bombes
humaines » sont jetées depuis des avions. Les villages sont fouillés, les biens et les récoltes
des habitants détruits. Les représailles ont été également très brutales sur un plan
juridique : les trois députés sont condamnés à mort avant de voir leur peine commuée, le
dernier condamné à mort est exécuté en 1954 et les derniers prisonniers ne sont libérés
qu’en 1956. 1947 a été suivi d’un fort durcissement du régime colonial instaurant
humiliations, soumissions publiques et spoliations économiques. La France joue les
dissensions ethniques. La société est profondément bouleversée par de permanentes
rumeurs de délations, de trahisons… Obtenue en 1960, l’indépendance est suivie de la « IIè
indépendance » en 1972 avec l’instauration de la IIè république par Ratsiraka, mais elle ne
parvient pas à effacer totalement ce traumatisme profond de l’histoire et de la
construction nationale malgaches.
5 Il n’est pas de notre compétence d’analyser cette trame historique que nous avons
largement simplifiée. Nous nous contenterons d’observer une seule des grandes
fluctuations de la représentation qui en est donnée, celle du nombre des morts. Le chiffre
officiel en a pourtant été proposé par les documents écrits de l’armée française, peu
suspects d’exagération. Reprenant la déclaration faite devant des parlementaires français
par le général Garbay, chargé de la « pacification », Jacques Tronchon (1986) avance le
chiffre de quatre-vingt neuf mille morts. Mais il est sans cesse remis en question,
notamment à la suite des travaux de Jean Fremigacci (1997) qui revoit les chiffres à la
baisse. S’appuyant sur des recensements faits après les événements, il ne reconnaît
qu’onze mille morts, arguant que les autres décès ne sont pas dus aux combats, mais à la
faim et aux maladies contractées dans les forêts de l’est. Cette comptabilité, reprise par
ceux qui postulent une harmonie entre les peuples (Tiersonnier 2004), a été vilipendée
par de nombreux autres auteurs comme Philippe Leymarie (1997) ou Raharimanana qui y
voit une entreprise de relativisation proche de la négation (2007, 20).
6 La vérité du chiffre n’a que peu à voir avec sa portée symbolique : « l’absence de chiffre
précis montre justement le caractère indicible de ce massacre colonial » (Raharimanana
2007, 20). Le discours des historiens se heurte violemment à l’aspect sensible et
intolérable de cette répression, vécue et transmise oralement par la mémoire du peuple
qui se sent décrédibilisé par les travaux dits scientifiques et objectifs (Raharimanana
2007, 15-16). Les événements de 1947 restent opaques, objets de conflits permanents dans
la représentation et les « faits » qui en sont restitués. L’analyse des causes de l’échec de
l’insurrection1 ainsi que la nature exacte des exactions et répressions 2 sont deux des
foyers de divergences les plus importants. Ce qui en revanche réconcilie tous les
participants et témoins, français comme malgaches (Tronchon 1986, 80 et seq), ce sont la

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terreur, la sensation d’hécatombe et de tragédie qui ont fait de cet événement


bouleversant un profond traumatisme historique et mémoriel.
7 Au-delà de ces querelles et de ces fluctuations, il est un point particulièrement
intéressant : l’événement ne peut se résoudre en un affrontement binaire entre anciens
colons et anciens colonisés, qui en ferait un événement fondateur pour les Malgaches
mais encore tabou pourl’histoire française récente. Les choses sont moins attendues et
beaucoup plus complexes.
8 Du côté français, comme le montrent les manuels d’histoire de la période coloniale et
immédiatement postcoloniale, on a bien sûr longtemps joué la carte du silence et de
l’édulcoration, en parlant simplement de « douloureux événements » qui auraient été
suivis d’un « calme revenu » propice à la réparation des « dégâts commis » (Chapus et
Dandouau 1961, 188). La France n’a finalement admis publiquement sa responsabilité dans
l’événement qu’avec les déclarations de Jacques Chirac en 2005, qui s’inscrivent dans un
vaste mouvement de repentance et de demande de pardon de la France pour son passé
colonial. Jacques Chirac a reconnu les « périodes sombres de l’histoire commune », « le
caractère inacceptable des répressions », le « travail de mémoire » à poursuivre
(Raharimanana 2007, 17 ; Rabesahala 2006, 373). Cette évolution du déni à la
reconnaissance et à la repentance, devenue monnaie courante dans la politique
internationale occidentale, reste de peu de poids pour le grand public. Peu relayés en
France, ces propos sont totalement décontextualisés tant Madagascar est peu connue et
tant, pour certains Français, ils constituent un exemple supplémentaire d’autoflagellation
nationale néfaste.
9 Mais pour Madagascar même, la situation reste complexe et l’événement est devenu
fondateur dans des circonstances particulières. Peu enseigné, il fait souvent l’objet
d’autocensure, car il apparaît comme lié à un échec collectif qui a réveillé et attisé le
démon malgache de la dissension ethnique et de la division nationale. La commémoration
de la postindépendance, en 1967, a été fort timide et semble à interpréter comme un
exorcisme collectif pour tenter de dépasser le traumatisme et les divisions qu’il a
engendrés, « pour se souvenir des morts de 1947 et non pas des événements » (Raison-
Jourde 1989, 28). La stèle commémorative que l’on peut voir dans la campagne à l’entrée
de Moramanga est peu entretenue (voir illustration). C’est la IIè république socialiste de
1972, dirigée par Ratsiraka, qui a relu et reconstruit le passé pour faire de 1947 un récit
national, en renommant les rues, en inaugurant en 1977 un mausolée devenu « tombeau
des ancêtres de la nation malgache » (Raison-Jourde 1989, 28), en créant en 1975 une
Direction des anciens combattants de la Révolution, qui les décore et les pensionne.
10 La date fait l’objet d’un jour férié et les commémorations annuelles sont systématiques.
Mais la façon dont les chefs d’état s’en acquittent est très variable. Pour un président
comme Marc Ravalomanana, qui se dit « peu intéressé par le passé », l’événement est
assez neutralisé :
[…] le président Marc Ravalomanana réplique benoîtement qu’il ne s’y connaît pas
beaucoup en histoire et qu’il préfère regarder vers l’avenir, d’ailleurs n’était-il pas
né en 1949, soit deux ans après la rébellion ? Une éternité ! Réponse naïve ?
Cynique ? En tout cas, elle choque et provoque la colère d’une grande partie de
l’opinion malgache : quand un chef d’État ignore à ce point la mémoire de son
propre pays, que reste-t-il comme dignité au peuple ? Rien qu’une frustration plus
grande encore. Jacques Chirac fait un pas en avant pour la reconnaissance de ce
massacre mais se contente de le qualifier de « dérives coloniales », Marc
Ravalomanana en fait deux en arrière en s’interdisant de farfouiller dans le passé

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pour ne pas altérer les « bonnes relations » avec la France. Quand l’obsession de ne
pas se couper des mannes du gouvernement français et des bailleurs de fonds passe
avant la vérité historique… (Raharimanana 2007, 17)
11 En 2010, le jeune dirigeant putschiste Rajoelina a fait scandale, cette fois, parce qu’il a
commémoré 1947, alors que pour le peuple malgache, sa prise de pouvoir
anticonstitutionnelle a été soutenue par la France dans le cadre d’un retour de la
françafrique3. L’objectif avéré de la commémoration était de faire appel à l’unité
nationale et de tenter de prouver la légitimité de son pouvoir, au grand dam de ses
opposants qui y ont vu une pure manipulation.
12 Les filtres de la mémoire et ses fluctuations font de 1947 un événement fondateur par
choix, par reconstruction a posteriori dans le cadre de la production des communautés
imaginées et de leurs identités discursives et performatives. Il ne s’agit pas pour autant de
réduire la portée et le poids de l’événement, sa profonde empreinte traumatique, mais de
constater comme Railovy (2003) qu’il fait peu l’objet de mises en scène et de discours en
raison de la menace qu’il fait peser sur un sentiment d’identité collective que tente
pourtant de renforcer la mise en avant systématique du concept de fihavanana.
13 Cette gêne se ressent dans le peu d’exploitation que la littérature de Madagascar en fait,
tant en langue française que malgache. Le cinéma semble avoir accompli ce que la
littérature peine à faire avec Ilo tsy very (L’Onction éternelle4) d’Ignace Solo Randrasana en
1986 et Tabataba ( Rumeur) de Raymond Rajaonarivelo en 1988 (Blanchon 2009). Solo
Randrasana pense avoir « allumé une bougie » dans la voie de la redécouverte de cette
histoire et avoir répondu à une demande nationale car « ce sont les gens qui ont voulu
savoir ». Mais son film a été profondément modifié en raison des difficultés financières du
réalisateur, et des pressions du gouvernement socialiste de Ratsiraka. Il a longtemps
occupé le haut du box-office malgache, tant que Madagascar a eu des infrastructures
cinématographiques (Blanchon 2009, 107). Tabataba porte moins sur les combats que sur
l’incompréhension culturelle et la destruction d’un mode de vie rural, mais aussi sur la
différence entre discours et logique français et malgaches qui formeraient le vrai mode de
résistance malgache. Présenté à Cannes et dans différents festivals, le film obtint des prix
à Taormina et Carthage en 1989. Longtemps interdit à Madagascar, il a ensuite été
régulièrement diffusé lors des commémorations de 1947 (Blanchon 2009, 115). Bien que
les deux films aient eu un grand nombre de spectateurs dans l’île, la difficulté
d’exploitation du cinéma et la censure économique à Madagascar ont muselé leur
discours.
14 Pour sa part, la littérature romanesque ne paraît pas le vecteur le plus efficace pour une
histoire qui fut et reste l’objet de transmissions orales. Le corpus écrit dans des formes
canoniques semble de peu de poids dans le processus de sélection et de fondation des
identités nationales. Ainsi Railovy relève-t-il deux romans en langue malgache :
Fofombadiko (Ma Fiancée) d’Emilson D. Andriamalala en 1962 et Mitaraina ny tany (La Terre
se complaint) d’Andry Andraina en 1978. En français5, on trouve des romans historiques
comme Zovy, 1947 Au cœur de l’insurrection malgache de René Radaody-Ralarosy (2007) qui
n’est pas sans évoquer Fofombadiko6. On trouve aussi Sang pour sang, vie pour vie de
Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato (2003) qui retrace une « large part de l’histoire
malgache jusqu’à nos jours » malgré dit-elle « les propos confus, volontairement
confus ? » auxquels ses recherches se sont heurtées7. Dans les quatre cas, il s’agit de
romans historiques dont, comme dans le cas d’Andry Andraina, « l’objectif avoué est de

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laisser des mesures au temps et de planter des balises dans l’histoire nationale » (Railovy
2003, 35).
15 Ces romans, peu connus, peu diffusés, comptant peu de lecteurs, ont peu contribué à la
diffusion de l’événement et à la construction d’une représentation de l’histoire malgache
coloniale et postcoloniale. Ils ne parviennent pas à construire un discours fédérateur sur
un événement que la population ressent comme complexe et contrasté.

II Les mémoires multidirectionnelles : Nour, 1947.


16 Dans ce contexte qui montre le peu d’efficacité de la littérature à produire un récit
national, le retour brutal de 1947 dans les textes, puis dans l’actualité artistique
contemporaine de l’océan Indien est particulièrement frappant. Il est le fait d’un seul
auteur, Jean-Luc Raharimanana, qui va le décliner dans plusieurs œuvres, sous des formes
différentes : la nouvelle « Fahavalo » dans Rêves sous le linceul (1998), le roman Nour, 1947
(2001) qui reprend de manière littérale plusieurs pages déjà écrites dans la nouvelle
« Comme un abîme éternel », le court essai pamphlétaire illustré de photos, Madagascar
1947 (2007) et la pièce 1947 (2008). En mars 2011 enfin, l’auteur a publié un recueil de
portraits en noir et blanc de Pierrot Men, assortis de témoignages recueillis à
Antananarivo et dans l’est du pays, Portraits d’insurgés.Madagascar 1947, dans l’objectif de
« [r]eprendre mémoire donc. Voix et corps à représenter. Des paroles à sortir du silence
et de la stupeur. Des visages à faire sortir de l’oubli ». A ces textes, il faudrait ajouter, au
moment de l’arrêt de la tournée de cette pièce, le corpus fourni sur internet par les lettres
de protestation, entretiens et blog de l’auteur. Ce corpus en ligne accroît encore la
dimension polémique de l’affaire et laisse entendre de manière plus vive, car immédiate,
la blessure de l’auteur à l’égard de la politique néocoloniale française, mais aussi à l’égard
de son pays qui lui a réservé depuis 2002 des déchirures personnelles puisque son père a
été arrêté et torturé par le régime de Ravalomanana (Meitinger 2004). L’auteur vit en
France et est pour l’Occident le représentant de la littérature malgache, alors même qu’il
est peu lu et peu apprécié dans son pays. Sa diffusion dans le monde littéraire occidental
lui permet de donner à l’événement une importance emblématique mais elle confère à
l’insurrection une distorsion supplémentaire, et brouille un peu plus la compréhension
que peuvent en avoir Français, Malgaches, Malgaches de la diaspora, public de l’océan
Indien et public international.
17 Pour l’auteur, 1947 est un événement presque personnel, « vital pour dire le monde »,
aussi lui fera-t-il endosser, en fonction de l’évolution de ses préoccupations, des
dimensions mais aussi des genres littéraires pluriels. La représentation qu’il donne à
l’événement évolue en effet considérablement de texte en texte et n’est pas toujours
explicite, que ce soit pour les lecteurs occidentaux ou pour les lecteurs malgaches.
18 Dans sa première œuvre entièrement centrée sur l’événement, Nour, 1947, il explore des
dimensions de l’histoire qu’on ne trouve pas sous la plume des auteurs de Madagascar
mais qui sont au cœur de ses préoccupations : en particulier, l’histoire de l’esclavage
malgache qui relève de l’un des tabous majeurs de l’île. Son roman nous met face à un
conflit de mémoires : « Pour moi, 1947, c’est le point culminant de toutes ces
contradictions, parce que le rôle des esclaves est totalement occulté. […] Chaque entité
sur l’île avait son propre discours: du noble au roturier, du missionnaire convaincu au
colon “pacificateur”. Seule manquait la voix de l’esclave ». (Mongo-Mboussa 2001). Pour
Jean-Louis Joubert, «[c]’est ce non-dit que le roman de Raharimanana s’efforce de briser.

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En transformant l’histoire malgache en un chaos de violences et d’oublis, il laisse


pourtant apparaître la récurrence d’un fil rouge qui devient l’analyseur primordial : à
savoir la permanence de l’esclavage et sa place dans l’imaginaire social que le livre ne
cesse de rappeler. (Joubert 2004, 360)
19 En réaction à ce « vol de l’histoire », le roman oppose l’obsession de dire, d’être entendu,
de hurler, « pour récit, pour mémoire » comme le dit l’épigraphe, pour construire enfin
une mémoire collective. L’auteur s’octroie la mission d’y participer par son travail de
transcription :
Transcrire. Tout transcrire… des murmures arrachés au vent. Des chuchotements
qui se délivrent de sous la pierre. Et ces on-dit, ces héritages de l’ouïe, quand des
origines ne se délivrent qu’étouffement et résonance incertaine, quand des origines
se confondent mythes et vérités, vie et désir d’existence.
Que fut notre histoire pour que nous ne la confiions qu’aux rumeurs des temps ?
Que sera-t-elle ? Irrémédiablement déformée, interprétée au bon vouloir du
présent…
Oui transcrire. Tout transcrire. Mais voudra-t-on me croire un jour ? Le présent
n’arrête pas de réédifier son passé pour justifier ses réalités. (26)
20 Ce sont ces pans fragmentés, ces fulgurances fébriles que la narration réunit dans un récit
atteint de délire. Il est en effet construit depuis un entre-deux, une île où s’est exilé le
narrateur malade, qui vient de perdre la femme qu’il aimait, Nour, tuée par des militaires.
Grâce à l’intercession de Konantitra, « [l]a danseuse, la passeuse […] [c]elle qui bascule les
mots parmi les morts et qui les redonne en destin » (2001, 55), il va connaître et
comprendre l’histoire malgache, dans une transe qui le conduit à l’anamnèse. A partir de
ce lieu et de ce moment d’énonciation s’élabore un récit feuilleté, fait de stratifications
culturelles, historiques et humaines souvent complexes à cerner. Les temps qui alternent
sont l’an 970 de l’Hégire, (vers 1570) ; 1723 ; 1835-1836 — années de l’écriture des lettres
de missionnaires — ; l’hiver 1943 puis 44 durant lesquels le narrateur est à La Jonquière,
soldat aux ordres du milicien nazi Willem Rueff ; juillet 47, date de la mort de Nour et de
l’exil du narrateur dans l’île d’Ambahy ; novembre 1947 qui est la période des sept nuits
qui découpent le récit, ironiquement achevé le 11 novembre – commémoration de
l’armistice des uns qui coïncide avec l’échec de la libération des autres. L’ensemble de ces
séquences est lui-même subdivisé en récits, histoires entrelacées et alternées, voix,
« murmures » (139), journal de guerre…
21 Les feux croisés de ces temporalités construisent une logique qui émerge peu à peu et
permettent de remonter les fils d’une oppression généralisée, qu’elle soit le fait des
colons blancs, ou, longtemps avant eux, des Malgaches, de tous les peuples conquérants
qui ont découvert et investi l’île, obsédés par une seule préoccupation : l’« idée
d’appartenance qui nous pousse à nous entre-tuer » (2001, 163).
Notre histoire est celle de la trahison de nos souverains. Notre histoire est celle de
la cupidité de nos conquérants. Esclavage. Unification de l’île. Protectorat.
Pacification. Notre histoire est celle de notre mort. (2001, 103)
22 Ces conquêtes se sont produites sur la confiscation et la reconstruction des imaginaires,
sur une amnésie généralisée.
Nous avons oublié, ou feint d’ignorer, que nous venons d’ailleurs, d’un ailleurs qui
nous avait chassés ou poussés sur les mers à bord de nos boutres chétifs. Inventant
des origines célestes, créant des mythes nouveaux, nous avons effacé notre passé,
occulté notre véritable histoire. […] Nous avons tant fermé les yeux sur nos origines
que le fil des temps s’est rompu et nous a rendus aveugles. Qui maintenant peut se

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targuer de connaître nos véritables origines ? Nous avons perdu notre passé et
notre temps est ainsi écorché. Notre présent boitille, notre avenir dépérit.
Saurons-nous un jour que nous ne formions qu’une seule nation ? (2001, 20-21)
23 La construction des légendes est un mensonge collectif pour séparer les ethnies et les
peuples qui ont fait Madagascar et Nour, orthographe phonétique du mot d’origine arabe
« Noro » qui signifie lumière, est celle qui permet au narrateur d’éclairer toute cette
histoire, tout en étant elle-même légende que l’auteur va reconstruire et dont il va
amalgamer les formes.
24 Il existe en effet deux Noro dans la mythologie malgache, la Ranoro qui appartient à la
mythologie fluviale des hauts plateaux, la sirène mère mythique, et la Noro d’Ethiopie,
noire. En faisant de sa Nour une esclave et fille d’esclave noir, Raharimanana transgresse
l’un des grands tabous malgaches : il désacralise le symbole de la noblesse en lui donnant
une ascendance servile :
Apportant la Lumière, elle est femme civilisatrice, directement à l'origine du peuple
malgache et de sa culture. J'ai trouvé intéressant que dans mon roman, ce soit une
descendante d'esclave qui porte ce nom. Elle est née après l'abolition. Et sans doute
dans un désir de l'extraire de sa condition, son père lui attribue ce prénom de
Lumière et de noblesse. Comme un désir de trouver sa place dans la société
malgache. (2001)
25 Raharimanana complexifie ainsi la narration en entremêlant les légendes, en superposant
les héritages oraux dans le souci permanent de lutter contre les mythes inventés qui
séparent les peuples, dans le souci aussi de redonner à Madagascar sa part africaine et de
travailler sans cesse sur le fantôme de l’histoire malgache, l’esclave.
26 La façon dont Raharimanana dit l’histoire malgache permet donc de relier tous les pans
qui la constituent, non d’une simple façon diachronique, mais selon des régimes de
temporalité et des imaginaires entrelacés, et dans tous les cas, relevant de modalités du
dire totalement différentes, entre historiographie, traditions orales, chroniques, mythes…
On le voit de la manière la plus évidente dans la légende des enfants qui se jettent des
falaises, récurrente dans l’œuvre. S’y entrelacent à la fois, selon l’auteur lui-même, des
références à Benandro, personnage d’enfant terrible des contes des Hauts Plateaux, à
Zatovo, celui qui cherche le malheur jusqu’à se jeter dans la mer et qui est issu des
mythes du peuple bara. On y lit aussi des références à la falaise d’Ampamarinana à
Antananarivo d’où la reine Ravanalona faisait basculer les chrétiens dans le vide, mais
aussi à la falaise d’Ifandana à Fianarantsoa d’où les habitants ont préféré se jeter plutôt
que de se rendre au roi merina Radama I. On retrouve cette histoire dans le peuple
sakalava dont les guerriers se jetaient dans la mer en ayant soin de s’entailler d’abord
pour se livrer aux requins plutôt qu’aux soldats de Radama, versions non officielles de
l’histoire gardées par les « mpitantara » dans les traditions orales et écrites locales. Ces
épisodes hermétiques pour le lectorat non malgache, sont aussi très complexes pour le
lectorat malgache car ils renvoient à des imaginaires de peuples différents, qui
communiquent peu entre eux.
27 L’objectif de l’auteur est donc de réactiver cette pluralité des énonciations et des
modalités discursives pour éveiller la véritable unité de la pluriculture malgache et pour
dénoncer son impossibilité sociale alors que la littérature offre l’exemple et la
préfiguration de leur réconciliation poétique. Rejetant toute forme de compétition
mémorielle, il met en avant la qualité plurielle de l’île, proposant, par l’intercession de la
littérature, l’élaboration d’une « mémoire multidirectionnelle » dynamique :

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Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » 9

[…] pursuing memory’s multidirectionality encourages us to think the public


sphere as a malleable discursive space in which groups do not simply articulate
established positions but actually come into being through their dialogical
interactions with others ; both the subjects and spaces of the public are open to
continual reconstruction. (Rothberg, 2009, 5)
28 A l’intérieur de Madagascar, il trouve la clé de ce qui devient sa représentation du monde
au-delà de l’île. Sa création, dans l’espace textuel, d’une interrelation des imaginaires et
des mémoires des divers peuples qui ont fondé le pluriculturalisme malgache trouve un
écho dans le lien qu’il établit entre le sort des Juifs durant la seconde guerre mondiale,
celui des Malgaches et dans ses œuvres ultérieures, celui des Nègres, colonisés ou
postcoloniaux.
29 Des motifs structurants apparaissent qui permettent ces connexions, comme par
exemple le motif des rails : ceux des convois de Juifs, ceux de la côte est malgache où
moururent bien des victimes du travail forcé, ceux de la gare de Moramanga où furent
tués les insurgés dans un train… Le narrateur refuse d’abord de considérer que cette
guerre, pour laquelle il est enrôlé dans les troupes coloniales, le concerne. Mais les délires
racialistes de son chef nazi ainsi que le motif filé du train lui permettent de prendre peu à
peu conscience de la relation entre le sort des Juifs et celui des Malgaches massacrés :
Cette guerre n’était pas la mienne. Cette guerre m’avait arraché à ma terre, à ma
famille ! Qu’avais-je à mourir pour sauver un empire qui perpétuerait sa tyrannie
sur mes compatriotes ? […] Je regardais les trains qui partaient, ces gens qui
savaient qu’ils allaient mourir. Je regardais et ne trouvais pas mes mots pour leur
dire : « Non ! Ce n’est pas ma guerre ! Je ne peux rien faire pour vous ! Rien ! »
Avais-je raison ? J’en suis moins sûr maintenant… (2001, 120)
30 Toute histoire, tout humain sont corrélés aux autres. Les mémoires ne sont pas
concurrentielles entre victimes. Toutes entrent en relation et en dialogue et construisent
ces mémoires, « productive and not privative » (Rothberg 2009, 3) à travers des reprises
de tropes et de paradigmes dans le discours historique, littéraire et social, ce qui permet à
l’auteurde lier la Shoah aux histoires postcoloniales et aux luttes pour l’indépendance.
31 Comme le comprend le narrateur de Nour, 1947, la mise en lien des mémoires, le
déplacement d’événements fondateurs vers des histoires a priori étrangères à soi sont
productifs et engendrent un élargissement des discours identitaires qui détruit ce
« sentiment d’appartenance » mortifère sans cesse dénoncé. 1947 ne serait plus alors
seulement fondateur du nationalisme malgache, contrairement à ce qu’il est
ordinairement dans les discours politiques depuis 1972. 1947 serait plutôt le moment de la
déconstruction des illusions nationales et monovalentes, des discours hégémoniques, au
profit d’une réactivation de la polyphonie, de la polysémie des histoires mondiales et de
leurs logiques de conflits. Il permet des transferts et des recodages interprétatifs, comme
l’écrit Rothberg : “to reject the reductionism of the nation-centered, real-estate
development model in favor of a more open-ended sense of the possibilities of memory
and countermemory that might allow the « revisiting » and rewriting of hegemonic sites
of memory” (2009, 310).
32 Mais polyphonie et polysémie ne perdent-elles pas le roman dans leur fragmentation et
leur onirisme ? Ramener 1947 aux mémoires du monde permet-il de le faire résonner ?
Les événements de 1947 sont assez peu évoqués : les mois de juillet et de novembre sont
préférés à mars. Dans le livre de Jao sont énoncés, mais dans un passage sans lien avec le
reste du récit, les origines des patriotes et le nombre dérisoire de leurs fusils — onze pour
cent cinq hommes —, l’attaque des concessions et des églises en mai 1947 (2001, 174-175).

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Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » 10

Les trois députés et les espoirs soulevés par le MDRM, qui n’est jamais nommé, sont
évoqués par le biais de la rumeur :
« Préparez-vous » entendaient-ils au camp de Tsimiamboho. « Préparez-vous ». On
leur annonça que le Parti gagnait toutes les élections. On leur annonça que la mère
patrie ne pouvait plus ignorer le désir d’indépendance de ses colonies. Que le jour
était proche. Que la situation n’était plus tenable pour les coloniaux. Que ceux-ci
avaient peur… (2001, 185)
33 Les événements mêmes sont escamotés, sinon à travers quelques scènes de meurtre et la
vision de cadavres en décomposition.
34 Du coup, quelle est la lisibilité du texte d’un auteur qui, par ailleurs, est peu et mal reçu à
Madagascar ? Il fait même, pour ce roman, l’objet d’une « forclusion inévitable » (Joubert
2004, 361) en raison de sa façon d’appuyer sur cet événement traumatique et de le mettre
en relation avec le grand tabou de l’esclavage et des divisions ethniques. L’auteur,
rappelons-le, cherchait une « forme pour contourner la surdité occidentale et les préjugés
sur soi. [Une] forme afin de coller au plus près du sens et dire à notre manière le récit de
nos vies » (Raharimanana 2008), mais a-t-il réussi à lutter contre l’« immémoire » qu’il
redoute tant ? Le roman lui-même se ferme sur le désir de mort et d’oubli qui l’a ouvert,
sur le même fantasme de dissolution dans les eaux et dans la régression vers la mère : « Je
viens, ô mère, mûr comme le crépuscule, lourd des souffrances du jour, je suis l’enfant
tanné par le remords et qui prie la clémence de l’oubli… Dziny. Dziny… » (2001, 212).
35 Sentant lui-même les limites de son roman et de son projet universaliste de fusion des
histoires, à destination d’un lectorat qui ne veut pas l’entendre, il conserve 47 au cœur de
son écriture, comme source de son interprétation des histoires de spoliation et de
domination, mais dans des inscriptions génériques différentes : l’essai-pamphlet et le
théâtre.

III Tabataba : faire vivre la rumeur


36 « Le roman n’a pas suffi » écrit-il dans un important aveu de la relativité des formes
littéraires, et des fonctions qu’il veut faire endosser aux textes. Pour faire aboutir sa
quête d’un retour de la parole subalterne, il choisit de la médiatiser, dans son essai
pamphlétaire, par une subjectivité plus grande, par une extrapolation de sa propre voix,
catalyseur de la voix des autres. Il écrit Madagascar, 1947 en réponse à deux événements :
l’arrestation et la torture de son père par le régime de Ravalomanana en 2002, la
proposition de loi du président français Sarkozy sur les bienfaits de la colonisation. 47 est
donc une fois de plus le prisme d’une écriture de l’indignation face aux dérives de
l’histoire mondiale, un cri de colère qui irradie sur les autres temps et les autres lieux. On
note d’ailleurs l’évolution des titres dans sa production : de Nour, 1947, univers des
légendes, à Madagascar 1947, qui replace le texte dans l’espace et la référentialité
insulaires, qui se poursuivra dans la réduction du titre de sa pièce de théâtre au symbole :
47, date fondatrice et phare, synonyme à elle seule de toutes les oppressions coloniales et
postcoloniales avant de s’étendre au sujet retrouvé, Portraits d’insurgés. Madagascar 1947.
Le roman n’a pas suffi à explorer cette mémoire, l’essai n’a pas suffi, des photos
redécouvertes sur l’insurrection réinterrogent, me ramènent paradoxalement à
subjectiver davantage, une forme d’urgence qui pousse à écrire quand le parlement
français vote la loi sur l’aspect positif de la colonisation. Madagascar, 1947 ou
assumer le je pour un discours sur l’histoire, contester cette fameuse objectivité qui
ferait de l’histoire une science exacte, écrire non pas comme un historien, écrire

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Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » 11

pour replonger l’homme au cœur de l’histoire, et ne pas seulement considérer les


faits, rien que les faits, comme explicatifs de l’histoire, non, replonger l’homme noir
au cœur du monde, pas cet homme en marge du progrès, en marge de la planète,
au-delà des tropiques, au sud, dans un hémisphère de sida et de géhenne, non, être
cet homme comme un autre, qui se relève, vivant, debout, toujours, un je doué de
voix et de corps, toujours, contre le rétrécissement d’une vision du monde qui
l’exclut. (Raharimanana 2008)
37 L’obsession de l’auteur est bien cette reprise de la parole dans la lutte contre l’ancien
colonisateur et cette dénonciation des illusions d’un langage faussement scientifique qui
a permis à l’Occident de neutraliser les conflits de sens et de représentation. Pour lui,
toute l’histoire coloniale se comprend comme une réduction de l’oralité par la « bonne
parole » des religieux et de leur Livre, par les classifications des ethnologues — on pense
bien sûr à Mannoni —, par l’écriture des décrets et des lois. Peut-être alors seuls le « je »
et son indignation peuvent-ils, paradoxalement, mieux que les entrelacs polyphoniques
du roman, rendre compte de la mémoire malgache. L’instance centralisatrice déconstruit
les voix et les historiographies hégémoniques et s’affronte à sa propre responsabilité
historique :
Il appartient aux Malgaches et aux Africains d’effectuer leur travail de mémoire et
de faire entendre leur propre parole. Plus que les chiffres, il est difficile de trouver
les mots exacts qui rendent compte de ces rébellions. Prôner l’oubli est bien plus
facile, relativiser les faits semble bien plus sécurisant et raisonnable… (2007, 35)
38 En somme, il s’agit que le texte – comme l’histoire – fasse du bruit, pour que la mémoire
se réveille, pour que le silence et l’oubli se voient à nouveau réinvestis par la rumeur, le
bruissement des voix, le tabataba. On a en effet désigné les événements de 47 par ce terme
car la rumeur ou tabataba les a accompagnés, amplifiés, transmis, construits, défaits.
Tabataba, clameurs, troubles, rumeurs pour dire les temps de non-sens, la mort du
sens, la mort des repères, tabataba pour témoigner d’un temps historique, socle par
la suite pour les négationnistes pour déconsidérer la parole des victimes. Tabataba
ne peut être parole objective, scientifique. Tabataba ou parole des temps troubles…
Ainsi, reprendre parole pour redire un réel souvent occulté, celui de l’ailleurs
refoulé par la culpabilité des vainqueurs. (Raharimanana 2008)
39 Le recours aux photographies, l’intégration dans le texte des témoignages – ou du refus
de témoigner – des anciens combattants, l’entremêlement des voix du passé et de celle de
l’énonciateur-fédérateur vont contribuer à construire un discours pluriel pour amplifier
la résonance de l’événement comme la rumeur. Il semble toutefois, là encore, que le sujet
soit moins les événements, qui apparaissent essentiellement dans les photographies, que
la colère par rapport au sort de l’Afrique, des Nègres — le texte est habité d’échos
césairiens —, la spoliation et la confiscation. L’œuvre se clôt à nouveau sur l’oubli, ou plus
exactement sur un seul souvenir, celui de la date qui constitue bien un symbole plus
qu’un fait historique : « Quant à moi, je ne me souviens de rien. Rien de rien… Juste une
seule date au fer rouge : 29 mars 1947 » (2007, 38).
40 L’essai a permis de diffuser les voix, de les disséminer et de les faire résonner. La pièce de
théâtre en est le prolongement naturel. Elle en reprend le texte sous forme dialoguée
entre deux personnages. Elle requiert une réflexion sur la langue française que ne
posaient pas dans les mêmes termes ni le roman ni l’essai. La langue « re-sculptée, dépolie
et débarrassée des impostures coloniales dont on l’a parée » incarne, par son inscription
dans le corps de l’acteur, le mouvement insurrectionnel de la délivrance. Sous la plume de
l’auteur et dans la bouche des acteurs, elle se veut en effet « greffée d’esquilles et d’éclats,
en mémoire du rire qu’elle a opposé à ceux qui voulaient se servir d’elle pour asservir,

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Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » 12

rire du vol sublime, retour à la voix, retour au corps, éternels supports de la langue, la
langue dans toute sa pureté, celle où elle se délivre de l’oppresseur » (Raharimanana
2008).
41 La langue théâtrale est désaliénée de tout pacte avec la vérité historique et scientifique,
avec l’historiographie et sa représentation, qu’elle soit malgache ou française. Elle permet
surtout de faire bruisser l’oralité et de propager la rumeur. Cette dernière apparaît
comme la modalité d’un discours malgache qui convertit l’événement en histoire
collective, à l’encontre de la rhétorique occidentale des militaires et des historiens, à
l’encontre de la littérature écrite qui n’y parvient pas.
42 Par sa réécriture de l’événement qu’il module de manière si variée au cours de ses trois
œuvres successives, par sa mise en images en 2011, et par l’oralisation qu’il lui confère en
la mettant en théâtre, Raharimanana participe de la production de cette modalité
discursive et énonciative polymorphe caractéristique de la résistance malgache. Le
réalisateur Raymond Rajaonarivelo rappelle comment il a écrit le scénario de son film
Tabataba : « Tout le monde me racontait une histoire, jamais la même. Cela a donné lieu à
une rumeur, Tabataba, qui me paraissait refléter ce que j’avais entendu là-bas. Ce sont
toutes ces mémoires qui m’ont servi à écrire le scénario » (Blanchon 2009, 113).
Raharimanana réécrit, redit, étend sans cesse la rumeur à d’autres formes de dire. La
reformulation, les transferts génériques qu’il utilise répondent en effet au mieux à la
libération des voix qu’il postule et les dimensions interdisciplinaires qu’il donne à sa
pièce participent de ce déconditionnement. La pièce reprend en effet les enregistrements
des témoins, mêle des images de guerre oubliées, distribuées sous forme de journaux au
public...
43 Mais le silence, une fois de plus, rattrape 1947 car la pièce, aussitôt créée, est interdite ou,
du moins, voit sa tournée suspendue. Peut-être est-ce en effet par le bruit médiatique qui
a entouré cette interdiction et a permis la production de nouveaux textes et
commentaires critiques sur internet que Raharimanana rend à nouveau immédiatement
contemporaines les problématiques posées par l’insurrection de 1947. Cette affaire de
« censure » témoigne que les malentendus historiques sont loin d’être levés et que la
rumeur file son train.
44 Rappelons l’affaire. Au mois de septembre 2008, Raharimanana travaille avec son metteur
en scène Thierry Bedard à la création de la pièce, au centre culturel français Albert Camus
d’Antananarivo avec Romain Lagarde et Sylvian Tilahimena. Lors de sa première, devant
un public essentiellement malgache, la pièce a suscité un grand intérêt et a ouvert de
longues discussions. Elle a été accueillie comme un acte salutaire et a permis à l’auteur de
se réconcilier avec une partie du public malgache.Le spectacle a été ensuite présenté dans
le cadre du Festival des francophonies de Limoges sans réactions particulières. Toutefois,
ses mots ont-ils, comme le suggèrent certains internautes, « réveillé ce terrible moment
de l’histoire de France qui n’a aucune existence collective dans notre histoire de France » 8
? Toujours est-il que des pressions semblent avoir été exercées pour ne pas éveiller cette
mémoire. Ce n’est pas en France que l’interdiction va être édictée, mais lorsque la pièce
doit partir en tournée dans les centres culturels français de l’océan Indien. Début
novembre, la pièce est retirée des programmations selon le souhait de la Direction
Générale de la Coopération Internationale et du Développement, du Ministère français
des affaires étrangères. Pour l’auteur, il s’agit d’une « censure d’État » et il écrit à Bernard
Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, le 15 novembre 2008 lui
demandant s’il est « impossible de revenir sur l’histoire commune, en ce cas, de nos deux

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Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » 13

pays ». Pour l’État français9, il s’agit d’une déformation de la vérité. Bernard Kouchner
invoque des raisons budgétaires. La directrice de la DGCID, la chargée d’affaires de
l’ambassade de France à Antananarivo ou encore l’une des conseillères du Ministre de la
Culture avancent le peu d’intérêt des Alliances Françaises de la région océan Indien pour
le sujet ou le fait que la pièce n’ait pas assez plu pour être retenue. Quant au directeur de
Culturesfrance, il dit ne pas avoir d’opinion sur cette affaire et ne pas avoir vu la pièce.
45 Il ne nous appartient pas de résoudre cette question. En revanche, on le voit, une fois de
plus, la rumeur joue un rôle central. 1947 semble définitivement s’inscrire dans ces
anamorphoses de la représentation et de l’interprétation, dans un permanent
malentendu entre les pays. Qu’il s’agisse de censure ou d’une simple réponse à une
contrainte budgétaire, le résultat est le même, la tournée de la pièce a été empêchée dans
l’Océan Indien. On ne peut que trouver là un écho troublant avec une autre interdiction,
celle de la pièce de Soeuf Elbadawi, La Fanfare des fous,qui mettait elle aussi en procès
l’histoire coloniale et la présence blanche à Mayotte.
Cette dénonciation de la présence française à Mayotte a provoqué la
déprogrammation de son spectacle La Fanfare des fous par l’Alliance Française à
Moroni. Leur collaboration prendra fin suite au Gungu10, une performance artistique
réalisée par l’auteur-artiste contre le référendum de départementalisation de
Mayotte du 29 mars 2009. Accusé d'être « instigateur d'une manifestation politique
et violente » par les autorités culturelles françaises en place, l'auteur se dit
« victime de censure culturelle et artistique » (Hassan, 2010, 234).
46 Les effets de ces interdictions sont désastreux sur l’image de la France à Madagascar et
dans un océan Indien pris entre assimilation et agacement postcolonial. Ses conséquences
sur l’édification des discours nationaux sont plus mitigées : à qui s’adresse en effet
réellement la pièce de Raharimanana ? À la différence du reste de sa production, elle a été
bien reçue, mais par un public très peu nombreux. Le reste de la population construit
autrement son histoire nationale, par d’autres biais, d’autres références, d’autres
modalités discursives qu’un roman ou un théâtre francophones conçus comme allogènes.
Ce n’est guère non plus le public français pour qui l’événement, en-dehors du cénacle de
l’élite littéraire, n’a pas eu de poids particulier. Dans l’Océan Indien, cette double
suspension, après avoir agité un temps la presse, ne concerne plus guère que le public
« savant », d’une part parce que les événements culturels sont peu courus et d’autre part,
parce que peu d’échanges se produisent entre les îles. Il n’existe pas d’identité « india-
océane » transversale qui donnerait un retentissement suffisant à ce qui concerne
Madagascar ou Mayotte dans les autres îles.
47 S’il faut relativiser, donc, les effets de cette suspension sur l’opinion, il est impossible de
ne pas l’entendre, de ne pas entendre le vaste discours qui l’a entourée sur internet où les
échanges sont extrêmement vifs, que ce soit dans les supports français ou malgaches, en
français ou en malgache. La littérature, qu’elle soit écrite ou orale, semble finalement
jouer moins ici par la construction narratologique qu’elle donne à l’événement que par le
bruit qu’elle continue de faire retentir. Il est à parier que si le cinéma malgache pouvait
être plus largement diffusé et n’était pas empêché par la misère économique du pays, il
aurait pu plus largement contribuer à ce bruit avec Ilo tsy very et Tabataba. Car ce qui est
crucial, dans ce jeu de balance auquel on assiste entre déni et commémoration, entre
interprétation française renouvelée et pluralité des perceptions malgaches, ce n’est pas la
vérité de l’historiographie, dont on voit bien qu’elle ne résoudra rien des ombres de la
mémoire ni de la dimension symbolique de l’événement. Ce n’est peut-être pas non plus
la fondation de l’histoire nationale, pour laquelle l’insurrection a été et continue d’être

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Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » 14

reconstruite et parfois instrumentalisée dans des directions diverses par les pouvoirs
politiques successifs, qu’il s’agisse de ceux de la France, mais surtout, de ceux de
Madagascar. Ce n’est pas non plus la dichotomie insoluble de l’ancien colon et de l’ancien
colonisateur, qui ne parviennent jamais à s’entendre dans le champ de la représentation
et de l’interprétation. C’est peut-être la voix alternative de la rumeur, ce « tabataba », ce
bruit sourd, permanent, varié et variable, tantôt ténu, tantôt éclatant, tantôt victimaire,
tantôt héroïque, qui est importante. La littérature s’efforce de la représenter, de
l’accompagner. Elle la fait jaillir aussi. La littérature n’est pas le lieu où elle se résout ni le
lieu où elle réduit sa polysémie pour se construire en discours cohérent. Elle est en
revanche le signe que quelque chose continue de se jouer là de la construction nationale
malgache, de la construction française d’un discours sur son histoire coloniale, de la
production postcoloniale des identités du sud et de leurs interrelations avec les pays du
« premier monde ». Aux mémoires fluctuantes de 47 ne répond pas la production d’une
histoire univoque d’un moment fondateur mais répond la production des voix plurielles
— parfois inaudibles mais jamais tues —, de la rumeur à laquelle travaille la littérature,
« tabataba ou parole des temps troubles ».

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NOTES
1. Dans toutes les interprétations, qu’on l’attribue aux dissensions entre castes, entre partis,
entre sociétés secrètes, entre anciens militaires, l’achoppement de l’insurrection révèle l’échec
de l’unité nationale.
2. Les forces sont si disproportionnées entre Malgaches et Français que la légende s’est vite
emparée de l’histoire. Les ombiasy, sorciers dont les poisons et la force psychologique qu’ils
donnaient aux insurgés faisaient très peur à l’armée française, auraient pour certains constitué
des « bombes humaines » et auraient été jetés d’avion pour montrer aux populations la faiblesse
de leurs pouvoirs. En réponse, la légende malgache veut que leurs entrailles se soient

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Madagascar, 29 mars 1947, « Tabataba ou parole des temps troubles » 16

transformées en serpents. Ces représailles sont avérées, comme l’ont montré les parlementaires
chargés d’enquête dont G. Deferre, mais dans quelle proportion ? Peut-on, comme le firent le PCF
et Maurice Thorez, comparer Moramanga à Oradour (Rabesahala 2006, 353 et seq) ? En retour,
quelle fut la violence des insurgés et quelle est la réalité de la castration, des repas
anthropophages auxquels ils se seraient livrés ? (Tronchon 1986, 74 et seq). Tabou, silence, déni,
fantasme marquent tous les épisodes de l’événement. Toutes les attaques perçues comme
atteintes au système sacré ou à ratany, la terre ancestrale, eurent un très fort impact
traumatique.
3. Les commémorations ont été jugées de ce fait indignes à Antananarivo où le dirigeant a été
sifflé, mais elles ont été grandioses à Moramanga où des élèves ont rejoué la scène du massacre
du train, et où Rajoelina a posé la première pierre d’un musée de 1947. Mais là encore, le scandale
a vite rattrapé cette prestation spectaculaire, les « anciens combattants » récompensés ayant
apparemment été des figurants. L’ensemble des sites internet de la diaspora malgache rend
compte de l’événement et des débats qui l’entourent.
4. Titre tiré d’un proverbe signifiant « ne jetez pas en vain l’onction qui vous a été consacrée »,
c’est-à-dire « il ne faut pas renier l’héritage historique » (Blanchon 2009, 110).
5. Du côté français, on trouve peu de choses également. On peut signaler le roman colonial
d’Henry Casseville, L’île ensanglantée. Paris : Fasquelle, 1948 ou récemment, de Josyane Lemercier
Belliard, Madagascar, le sang d’une colonie (1890-1948). Paris : L’Harmattan, 2010.
6. Dans la bibliographie qui accompagne Zovy sont aussi citées les pièces inédites d’Ener Lalandy,
Cible mouvante, théâtre inédit, et de Clément Rajaonarison, Sur les bords de la Sahasinaka, théâtre
inédit, 1982.
7. En même temps que son roman, elle a publié Ravalomanana Marc, de Président de la rue à Pré
sident du Palais (2003) et met donc en relation l’insurrection de 1947 avec la révolte de 2002 qui a
conduit Ravalomanana à la présidence. Les événements de 1947 apparaissent alors comme repère
fondateur à partir duquel est relue l’histoire de la postindépendance.
8. Lettre de Bruno Tackels, 3 décembre 2008, en ligne, http://
storage.canalblog.com/05/51/546217/33424060.pdf
9. On trouve l’ensemble de l’affaire et des diverses déclarations sur le blog de Pierre Maury :
www.livreshebdo.fr/weblog/pierre-maury/22.aspx
10. «Le gungu est une forme de justice traditionnelle qui consistait à faire circuler dans la ville
une personne ayant commis un crime contre la communauté. Le gungu avait pour but de punir,
bannir, humilier, et honnir. Sa pratique est aujourd'hui délaissée ». (Hassan, 2010, 234).

RÉSUMÉS
L’insurrection de 1947, qui a dressé les rebelles malgaches contre les colonisateurs français et a
donné lieu à une violente répression, a été tenue dans l’oubli et le déni aussi bien par la mémoire
coloniale que par le discours malgache. L’historiographie continue d’en donner des
interprétations divergentes. Ces fluctuations des mémoires révèlent que le passé colonial hante
le présent postcolonial. La littérature malgache, d’ailleurs, ne fait que peu de place à la
représentation de ces événements, ce qui, là encore, traduit la gêne qui les entoure. Pourtant, un
écrivain, Jean-Luc Raharimanana, leur consacre plusieurs de ses œuvres, nouvelle, roman, essai,
pièce de théâtre. Il est hanté par cette date à partir de laquelle il élabore une réflexion générale

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sur les « mémoires multidirectionnelles » de l’histoire postcoloniale. Or précisément, l’histoire a


rattrapé son œuvre : la tournée de sa pièce a été suspendue dans l’Océan Indien en 2008, ce qui a
éveillé le spectre d’une censure par l’état français. Les interprétations divergentes de cette
affaire sont peut-être paradoxalement la meilleure justice qui puisse être rendue à la rumeur,
« tabataba », nom que l’on donna aux événements de 47 et que l’on considère comme une
modalité de résistance discursive malgache.

The rising of 1947, when Malagasy rebels stood against French settlers, and the brutal repression
which followed, have been neglected and denied in both colonial memory and Malagasy
discourse. Historians still offer conflicting analyses of the insurrection. These fluctuating
memories reveal to what extent the postcolonial present is still haunted by the colonial past.
Significantly, the events of 1947 are rarely represented in Malagasy literature. Writer Jean-Luc
Raharimanana is a rare exception. Indeed he has devoted quite a few of his works—a short story,
a novel, an essay, and a play—to the topic, which he has used to reflect on the concept of the
notion of “mutidirectional memory”, first elaborated by Michael Rothberg. And in fact, history
seems to have caught up with Raharimanana’s work. His play was to have been performed in the
Indian Ocean in 2008, but the tour was suspended, raising suspicions of censorship by the French
government. The various interpretations which have been provided for this supension may well
be the best answer to the rumor or, « tabataba ». This is the name which was given to the 1947
events and it is regarded as a form of discursive resistance on the part of the Malagasies.

INDEX
Mots-clés : 29 mars 1947, censure, commémoration, déni, fluctuations, insurrection coloniale,
Madagascar, mémoires multidirectionnelles, Raharimanana, récit national, rumeur, silence, voix
Keywords : censorship, colonial rising, denial, March 29 1947, multidirectional memory, national
narrative, rumor, voices

AUTEUR
VALÉRIE MAGDELAINE-ANDRIANJAFITRIMO
LCF-UMR 8143 du CNRS, Université de La Réunion
Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo est Maître de conférences en littératures françaises et
francophones à l’Université de La Réunion, membre du laboratoire LCF-UMR 8143 du CNRS,
spécialisée dans les littératures de l’Océan Indien, les littératures de la diaspora indienne dans les
Caraïbes et l’Océan Indien, les problématiques postcoloniales. Elle a publié de nombreux articles,
co-dirigé ou dirigé plusieurs ouvrages sur ces champs de questionnements dont, entre autres,
deux ouvrages de la série Univers créoles (Contes et romans et Le champ littéraire réunionnais en
questions), plusieurs numéros de revues consacrées à l’Océan Indien et La Réunion (Francofonia,
Nouvelles Etudes Francophones), un ouvrage consacré à l’outre-mer (Paroles d’outre-mer), un ouvrage
sur la réécriture d’une figure épique indienne (Draupadi, tissages et textures), plusieurs articles
consacrés à la mémoire et à l’histoire et aux analyses postcoloniales.
Magdelaine.valerie@wanadoo.fr

E-rea, 8.3 | 2011

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