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Revue des Études Grecques

Platon et la médecine
Pierre-Maxime Schuhl

Résumé
Platon se réfère souvent à la médecine, qui apparaît tantôt comme une technique conjecturale, tantôt comme un art rationnel, à
portée morale, et qui découvre la structure organisée du vivant. La médecine, transposition de la philosophie ; la philosophie,
transposition de la médecine.

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Schuhl Pierre-Maxime. Platon et la médecine. In: Revue des Études Grecques, tome 73, fascicule 344-346, Janvier-juin 1960.
pp. 73-79;

doi : 10.3406/reg.1960.3599

http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1960_num_73_344_3599

Document généré le 26/01/2017


PLATON ET LA MÉDECINE

La médecine est, de toutes les techniques (2), celle qui retient le


plus constamment l'attention de Platon. Il en mentionne les formes
les plus diverses, qu'il s'agisse du médecin privé ou du médecin
d'État, du médecin d'esclaves, qui n'est qu'une sorte d'infirmier
procédant empiriquement, ou du médecin des hommes libres, qui
dialogue avec son malade et raisonne sur les causes (3). Il s'intéresse
à des variétés aussi marginales que les traitements des Gorybantes,
qui dominent la frénésie du délire interne par des ébranlements
externes et des danses (4) ; il fait allusion aux procédés du Thrace
Zalmoxis, qui guérissait le corps par l'âme (5) ; il cite non seulement
Hippocrate, mais encore Hérodikos, à qui il reproche l'abus des

(1) Ce texte résume un exposé fait le 20 janvier 1960 au Centre de Synthèse,


devant le Groupe français d'Historiens des sciences ; il fait suite à un article
sur « les premières étapes de la philosophie biologique », publié dans la Revue
d'Histoire des Sciences de juillet 1952, pp. 197-221, et doit être repris dans un
ouvrage collectif sur Philosophie, Art et Médecine.
(2) Sur l'attitude de Platon à l'égard des techniques en général, voir
P. M. Schuhl, Machinisme et Philosophie, 2e éd. pp. 7, 13, 15 et suiv. ; et
Remarques sur Platon et la Technologie, Revue des Études Grecques 1953,
pp. 465 à 472, et Études Platoniciennes, 1960, pp. 92, 99.
(3) Gorgias, 514 de et Lois, IV, 720 et IX, S57 cd.
(4) Phèdre, 244 de et Lois IX, 854 b. ; et deux articles d'Henri Jeanmaire,
Le Satyre et la Ménade, Met. Charles Picard, p. 463 et Traitement de la Mania
dans les Mystères de Dionysos, Journal de Psychologie, 1949. Voir aussi une
remarque d'Henri Berr, à la suite de l'article cité, dans la Revue d'Histoire
des Sciences, 1952, p. 221.
(5) Charmide, 156 d e ; cf. République, III, 408 e : la formule peut s'appliquer,
en un certain sens, à tous les médecins. Sur les rapports des maladies du corps
et de l'âme, voir surtout Timée, 87 et suiv., où sont dénoncées les erreurs de
« ceux qu'on appelle médecins », et qui incriminent des causes contraires aux
véritables quand ils ne savent pas reconnaître le rôle d'une àme qui agit,
échauffe et ébranle le corps (88 a, édit. Budé).
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remèdes (1) ; Alcméon, dont il adopte les vues sur le rôle du
cerveau (2), et Philistion, dont on a su montrer qu'une de ses œuvres
a inspiré les vues du Timée sur le cœur (3). Alors que, dans le domaine
de l'art, Platon préfère se référer aux anciens classiques, dont le
goût correspond au sien, plutôt qu'aux artistes strictement
contemporains, on le voit ainsi, qu'il s'agisse d'anatomie, de physiologie ou
de pathologie, se tenir au courant des résultats les plus récents de
la science de son temps et citer les médecins qu'il vient d'entendre
en Sicile aussi bien que les Anciens. Par ailleurs, M. Filliozat a signalé
que la pathologie du Timée présente des traits communs avec celle
de l'Inde, et il a indiqué une route par laquelle ont pu cheminer et se
communiquer les idées (4). D'autre part, nous avons pu tenter de
montrer en Platon une manière de précurseur des méthodes
d'exploration pharmaco-dynamiques (5).
Sans doute le Philèbe place la médecine à côté de la musique, de
l'art du pilote et du stratège, parmi les techniques qui procèdent
par conjectures, et non point par mesures mathématiques (6). De
fait, la mesure précise fait encore défaut à la médecine grecque,
même à la médecine hippocratique, qui s'en tient très
consciemment, malgré sa saine orientation, à l'appréciation qualitative par
la sensation. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans le traité de l 'ancienne
médecine (7) : « II faut essayer d'atteindre une mesure ; mais en fait
de mesure, on ne saurait trouver ni un poids, ni aucun nombre en
général, auxquels il suffise de se rapporter pour introduire la
précision : on ne peut rien trouver d'autre en ce sens que la sensation

(1) République III, 405 d et suiv., où la saine rudesse de la médecine


homérique d'Asclépios est opposée à l'« élevage de la maladie » que pratiquent des
médecins contemporains.
(2) Phédon, 96 b ; Timée, 44 d et suiv., 69 d e et suiv. ; 73 cd ; 75 bc, 90 a
et suiv.
(3) Bidez et Leboucq, Une anatomie antique du cœur humain: Philistion de
Locres et le Timée de Platon, Revue des Études Grecques, 1944, pp. 7 à 40.
(4) La Doctrine classique de la médecine indienne, ses origines et ses parallèles
grecs, Paris, 1949 ; Pronostics médicaux akkadiens, Grecs et Indiens, Journal
Asiatique, 1952, pp. 299-321 ; l'Inde et les échanges scientifiques de l'Antiquité,
Cahiers d'Histoire Mondiale, octobre 1953, 1, 2.
(5) Platon et l'idée d'exploration pharmaco-dynamique, Journal de
Psychologie, nov./déc. 1949, p. 121, et Le Merveilleux, la Pensée et Γ Action, Paris,
1952, pp. 150-154.
(6) 55 d et suiv. Voir aussi Politique, 284 a d, et 258 d.
(7) De Vancienne médecine, 39, p. 588, Littré.
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du corps. Aussi est-ce un travail que d'acquérir une précision
suffisante pour ne commettre que de petites erreurs, d'un côté ou de
l'autre ; et je donne les plus grands éloges au médecin qui n'en
commet que de petites ; mais l'exacte précision se trouve rarement ».
Et l'auteur du traité du Régime (1) rêve d'une formule qui
indiquerait la meilleure proportion des divers aliments par rapport à l'activité
du sujet, en fonction des circonstances, de la nature, et de l'âge des
individus ; mais il sait bien qu'on n'y peut parvenir. M. Bourgey
remarque très justement qu'il ne s'agit nullement là d'un subjecti-
visme sensualiste, mais d'un sentiment de la complexité des choses
et de la nécessité d'une éducation des sens : «... cette finesse des sens
était d'autant plus nécessaire, écrit-il, qu'il n'y avait pas
d'instrument d'observation ni d'investigation ; ce que nous demandons au
thermomètre, au stéthoscope, aux multiples analyses chimiques,
les praticiens anciens devaient, dans le mesure du possible, tâcher
de le pressentir par la seule perception directe ; il fallait apprendre
à regarder, à palper, à flairer, à écouter, à goûter » (2).
Pourtant Platon reconnaît généralement à la médecine un niveau
supérieur, et aime à répéter le mot d'Homère : « Le médecin vaut
un grand nombre d'hommes » (3). Si l'on se reporte au Phèdre (4), on
verra que dans l'ordre des réincarnations le médecin arrive très
honorablement au 4e rang, après le philosophe, le bon roi et le
politique, tandis que l'artisan se situe seulement au 7e, n'ayant
après lui que le sophiste et le tyran.
Dans le Phèdre (δ) comme dans le Gorgias, la médecine apparaît
comme le type de la technique scientifique, de l'art rationnel, par
opposition à la routine empirique.
De plus, mieux que toute autre activité, la médecine souligne,
par opposition à l'égoïsme immoral d'un Galliclès ou d'un Thrasy-
maque, l'import moral de toute conduite légitime. Personne, en effet,
ne peut plus facilement faire du mal qu'un médecin : il lui est possible
à la fois de faire payer de gros honoraires à son malade, de lui

(1) Traité du Régime, parag. II, L. VI, p. 470. Cf. P. M. Schuhl, Formation
de la Pensée grecque, p. 311.
(2) L. Bourgey, Observation et expérience chez les médeci?is de la collection
hippocratique, 1953, pp. 201, 203.
(3) Politique, 297 e ; Banquet, 214 b.
(4) Phèdre, 248 d.
(5) Phèdre, 270 b ; Gorgias, 464 b sq., 500 e-501 a, 521 e.
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imposer de multiples dépenses, et au surplus de le faire périr (1) ;
et d'ailleurs Platon conseille de faire passer tous les ans devant un
tribunal aussi bien les médecins et les pilotes que les magistrats
sortants, pour rendre compte de leur activité (2) — mais le vrai
médecin est celui qui n'a pas d'autre but que notre bien, que le bien
de notre corps, qu'il fait passer d'un état pire à un état meilleur (3) ;
le vrai médecin recherche le profit du malade, et non pas le sien
propre.
Surtout la médecine rencontre, plus que toute autre technique,
cette structure organisée qui se manifeste déjà à un certain degré,
selon Platon, dans l'œuvre et dans l'activité des artisans (4), mais
qui apparaît surtout avec éclat chez le vivant, et qui en fait une
totalité organique, soumise à un ordre incorporel (5). Cette notion,
qui domine l'hippocratisme, doit s'appliquer à l'univers comme à
la cité ; les Lois expliquent de la même façon la cohésion des navires,
celle des vivants et celle de l'État (6). Des images analogues rendent
compte de la structure cosmique (7) ; et cette même structuration
apparaît, également, comme le meilleur modèle littéraire (8). La
médecine serait la technique reine si, au-dessus d'elle, ne devaient
s'instaurer, plus précieuses encore, la vraie politique et la vraie
morale (9).
La médecine apparaît comme une sorte de transposition de la
philosophie : ses médicaments sont au corps ce que les discours
sont à l'àme ; et le vrai médecin, celui des hommes libres, argu-

(1) Politique, 298 a b.


(2) Politique, 299 a.
(3) République, I, 342 d. : le médecin n'est pas un homme d'affaires
(χρηματιστής).
(4) Voir P. M. Schuhl, V Œuvre de Plalon, pp. 85-86.
(5) Philèbe, 64 b.
(6) Lois, XII, 945 c ; cf. X, 903 c : « Tout médecin, tout artisan qualifié fait
tout ce qu'il fait en vue d'un tout ; il s'attache à la perspective générale, et
travaille une partie en vue de l'ensemble, non l'ensemble en vue de la partie ».
(7) Voir, au Livre X de la République, le Mythe d'Er.
(8) Phèdre, 236 a, 264 c, 268 d, 269 e.
(9) Toutes les techniques doivent livrer l'objet de leurs recherches ou de
leur fabrication à un art capable de les utiliser, de les juger : la compétence
dans la détermination des moyens techniques n'implique point à elle seule
la capacité de déterminer moralement les fins; voir en particulier le Charmide,
VHippias mineur, VEutlujdème 290 d ; et cf. J. Moreau, Construction de
l'idéalisme platonicien 1939, p. 105 et suiv. ; A. Vergez, Technique et morale chez
Platon, Revue Philosophique, 1956, pp. 9-15.
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mente de la manière qui se rapproche le plus de la philosophie,
remontant à la nature du corps en général, interrogeant le malade, et lui
expliquant son cas au point qu'on lui reproche de paraître moins
préoccupé de soigner son malade que de faire son instruction,
« comme s'il demandait, non pas à devenir un homme bien portant,
mais à devenir un médecin» (1).
Hippocrate a bien vu que l'on ne peut séparer la nature du corps
de celle du tout (2) ; il en est de même de celle de l'âme ; et la méthode
hippocratique, toute rationnelle, qui comporte l'analyse des objets
et l'étude de leurs propriétés, vaut pour toutes les techniques : si
l'objet est simple, on en examine les propriétés actives et passives;
s'il est multiple, on en dénombre les formes, et on procède de même
pour chacune d'elles ; agir autrement serait une démarche aveugle,
à quoi ne saurait se comparer la méthode d'un vrai technicien (3).
Nous sommes très près, ici, de la dialectique du Philèbe, qui est la
vraie méthode pour apprendre, pour enseigner et pour inventer (4).
Le Phèdre avait donc déjà bien mis en lumière la parenté qui
existe entre la doctrine d'Hippocrate et la dialectique, qui paraît
bien en découler dans sa forme analytique (5). De fait, sur quelle
autre méthode Platon aurait-il pu prendre modèle ? Celle de la
géométrie se constitue à peine, et nous savons bien ce qu'il en retient
et ce qu'il y ajoute (6) ; quant aux procédés des Sophistes, il peut
bien en retenir quelques tours stylistiques, mais les reproches qu'il
leur adresse sont trop connus pour avoir besoin d'être rappelés.
Par contre, la biologie devait attirer l'attention d'un esprit
préoccupé de respecter la notion de totalité organisée, à laquelle il est
sensible à tel point qu'il récuse l'opposition, fondamentale à son époque,

(1) Lois, IX, 855 d, cf. IV, 720 a e. Un autre médecin avait pratiqué
une originale division du travail ; il se faisait accompagner chez les malades
par son frère, sophiste célèbre —- il s'agit de Gorgias lui-même ! (Gorgias, 456 b)
— à qui il confiait toute la partie psychologique et qu'il chargeait donc de
décider le malade à se soumettre au traitement prescrit. N'est-ce pas de nos
jours la besogne qu'en certains cas le chirurgien confie à présent à l'anesthésiste?
(2) Phèdre, 270 c.
(3) Phèdre, 270 d e.
(4) Philèbe, 16 c e.
(5) Voir P. Kucharski, la méthode d'Hippocrate dans le Phèdre, Revue des
Études Grecques, Paris, 1933 ; les chemins du savoir dans les derniers dialogues
de Platon, Paris, 1943 ; L. Bourgey, Ouv. cité.
(6) Voir P. M. Schuhl, l'Œuvre de Platon, pp. 76, 77.
(7) Ibid., 175 ; Formation de la Pensée grecque, p. 359, 372 et suiv.
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de la nature et de l'art pour établir une continuité entre les deux
termes et montrer que la nature même est un art (1).
Ainsi s'expliquent aisément les principes de la critique littéraire
platonicienne, et le fait qu'elle considère l'organisation biologique
comme un modèle d'ordre pour l'écrivain et l'orateur (2). On
comprend aussi que la dialectique platonicienne s'applique si
aisément à la biologie, et l'on n'est pas surpris de voir que, lorsqu'il
s'agit de reconnaître l'unité foncière des différentes espèces de bile :
noire, rougeâtre, verte, jaune, il n'est pas nécessaire peut-être, selon
Platon, d'être médecin, mais indispensable à ses yeux d'avoir la
pénétration du dialecticien. Ce texte du Timée est si curieux qu'il
mérite d'être cité : « le nom commun de toutes ces humeurs est celui
de bile. Il leur a été donné, soit par quelques-uns des médecins, soit
simplement par un homme capable de pénétrer la nature d'une foule
de faits, même dissemblables, et d'apercevoir en tous un même et
unique genre, digne d'un seul nom » (3). Dans les cas les plus
complexes, comme la théorie des couleurs, la difficulté surpasse les
possibilités humaines (4), et l'on se trouve en présence de cette
technologie divine en quoi consiste la démiurgie. Dans une certaine mesure,
l'homme qui sait ramener à une explication unique des
phénomènes multiples parviendra à une réduction méthodique du
mystère (5). Et nous retrouvons ici l'idée d'une méthode générale par
laquelle il faut aborder tous les problèmes que nous voulons résoudre.
Cette parenté de méthode entre philosophie et médecine pourrait
expliquer l'emprunt par la première à la seconde, d'idées aussi
importantes que la notion de moment opportun (6) et que celle de
mélange (7).

(1) Lois, L. X, 889 d : les arts vraiment sérieux sont ceux qui participent
à l'action génératrice de la nature ; tels sont la médecine, la gymnastique,
l'agriculture, et, dans une plus faible mesure, l'art politique.
(2) Voir les textes du Phèdre cités ci-dessus p. 76, note 8, Philèbe, 64 b, et
Lois 902 d, 903 e.
(3) Timée, 83 b.
(4) Timée, 68 d.
(5) Timée, 80 c ; cf. Physique et Lumières, Revue Philosophique de 1956,
p. 87, et Études Platoniciennes. Voir également Timée 64 d, à rapprocher de
Philèbe 16 c.
(6) Phèdre, 272 a et Politique, 284 e.
(7) Philèbe, 64 d e. Cf. la thèse de N. Boussoulas, sur l'Être et la Composition
des Mixtes dans le Philèbe, Paris, 1952.
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On voit ainsi l'importance que prend pour Platon la relation


entre philosophie et médecine : à présent, par un renversement du
point de vue envisagé tout à l'heure, c'est la philosophie qui
apparaît à certains égards comme une transposition de cette technique
fondamentale ; en échange, elle peut l'aider à préciser sa méthode
et à prendre une conscience plus claire de sa très haute mission.
Un célèbre texte hippocratique nous dit que le vrai médecin, si de
plus il est philosophe, est égal aux dieux ; Platon lui rappelle qu'il
doit être avant tout soumis à la loi du Bien, sous peine de n'être
plus, comme le tyran, politique dépravé, infidèle à son essence,
qu'une monstrueuse caricature de lui-même.

Pierre-Maxime Schuhl.

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