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H I S T O I RV

E LA VIE

E T

DU PURGATOIRE
\) -
DE

S. P A TRI CE,

ARCHEVESQUE

E
PRIMAT D*HIBERNIE.
Mise en Fraxfëii , le R. P- Er'ançoIS
l BoiilLLO»,^ fOrdre de S. Trançon%
& Baekeli/r e» Théologie.
ion revûíi & corrigée.

T R O Y E S.
fl»- Ou dot , Imprimeur-
te , rue du Temple. 17^0.
;
thition & Ptrmission Roydt-
^HISTOIRE

DE LA VIE
E T

DU PURGATÓIRE

D E ' .. v.

S. P A TRI CE,

:f ARCHEVESQUE

ET PRIMAT D'HIBERNIE.

CHAPITRE PREMIER.
3^*r r e le Septentrion & l'Oc-
cident , il y a une Isle appéllée
Hibernie , ou plus communé
ment Irlande. Cette Contrée
se nommoit autrefois par respect , l'Isle
des Saints , parce qu'un grand nombre
de ses Habitans étant éclairés des lumie
res surnaturelles , adoroient le vrai Dieu,
exposoient généreusement leur vie pour
La Vit
la défense de la Foi Catholique , à la fu
reur & à la rage d'un Tyran cruel , & à
qui le nom de Chrétien étoit autant exé
crable que vénérable en la pensée de ses
Peuples. C'étoit en cela qu'ils essayoient
par un réciproque amour , de rendre la
pareille à l'Auteur de leur être , qui avoit
si libéralement prodigué son sang & sa
vie pour nous garentir de nos malheurs ,
& nous affranchir d'une mort éternelle
à laquelle nous éçions tous engagez par
la révolte de nos premiers Ayeuta Ausïï
c'ell en cela que consiste le plus haut
point de Famour des Fidéles.
A l'opposition de cette Isle , du côté
de la grande Bretagne , que nous appel
ions aujourd'hui Angleterre près le ri
vage de la Mer Hibernique , il y a un pe
tit Village peu habité , qui s'appelle Em-
pthor en Langue vulgaire du Pais. C'est
dans ce petit lieu champêtre que prit
naissance un jeune homme , si avanta
geusement partagé des dons & des gra
ces du Ciel, que quoiqu'il s'efforçât selon
fòn pouvoir de cou vrir les saintes actions
de fa vie toute exemplaire , fous la cen
dre d'une humilité sainte , tâchant de ne
les pratiquer qu'à la vûe de Dieu seul qui
de S. Patrice. ^
pénétre les cœurs , & juges des pensées
auflì bien que des œuvres ; néanmoins
il ne les put si bien cacher que leur bril
lant éclat ne paru beaucoup aux yeux des
hommes, ce qui le rendoit d'autant plus
récommandable à tous en cet âge , que
rarement une excellente vertu se rencon
tre accompagnée d'une grande jeunesse.
Les lectures des belles actions des Saints,
occupoit la meilleure partie de son tenlS;
mais sur-tout il s'étudioit si soigneuse
ment à la parfaite imitation de leurs ver
tus , qu'il évitat heureusement les écueils
dangereux , qui suivent ordinairement
> la jeunesse, & qui les précipitent soi) vent
dans les labirintes étranges , au moins lec
faisans penser au libertinage , les dispose
à une chute bien malheureuse.
tly avoit en cetems-là, vis-à-vis de
fa maison une jeune Demoiselle Françoi
se, qui s'appelloit Conçhesc, qui menoic
aussi une vie solitaire & retirée , & vivoit
èn une si haute estime de vertu , qu'en-
éore que lè Ciel l'eût si avantageusement
parée & douée des dons naturels , qu'el
le passait en réputation de la plus ravis
sante beauté de toutes les Dames de cet
te Gontrée ^néanmoins les-vertus & les
A tâ Vie
exemples de fa vie toute pure & irriîo-
cente,la rendoit fî récommandable à tont
le monde qu'ils ternissoient presque en
tiérement le lustre de cette excellente
beauté ; de sorte que ce qui sembloit le
moins estimable en ce petit miracle de
nature ,itoit l'éclat de son visage , quoi
que capable cependant d'animer les ro
ches , & de donner du sentiment au mar
bre. Ce jeune homme ayant joui quel
que tems de la douce conversation de
cette innocente Demoiselle , ( avec les
respects & la modestie possible ,) & re
connu les mérites d'un objet fi charmant,
sçachant au vrai qiie le Sacrement de Ma
riage le mettroit à couvert d'un péril où
la vûë fi fréquente d'une fi parfaite beau
té le pouvoit réduire , résolu enfin de la
rechercher pour son Epouse. Ils en vien
nent au pour parler : Les Parens pren
nent le jour de part & d'autre , pour s'as
sembler & déliberer sur cette affaire,qu'ils
conclurent sur le champ, & bien-tôt après
ils effectuerent cette heureuse hymênée
d'autant plus volontiers , qu'un chacun
d'eux de son côté estimoit beaucoup ga
gner en cette rencontre.
Ces deux vertueux Amans vécurent
de S. Patrice.
quelques années ensemble avec beau
coup de contentement, & une très gran
de satisfaction l'un de l'autre , quoique
fans obtenir les fruits du mariage , qui
s'appelle dans le ménage , la paix des ma
riés. Cette petite disgrace obligea cette
vertueuse Demoiselle d'adresser ses prie
res au Giel pour implorer son secours ,
faisant de très grands vœux accompa
gnés de larmes , à ce qu'il lui plût bénir
leur couche nuptiale , ôter les obstacles
de leur bonheur , & leur donner un fils
qui fût semblable en vertu & sainteté à
son Epoux. Or comme les requêtes des
Justes font bénignement écoutées du
Ciel,' & favorablement reçfiës devant le
Trône adorable de la Divine Majesté ,
qui se plaît fort d'être importuné par les
prieres des Saints, à peine eût-elle poussé
ses gémissemens dans la ferveur ~cre son
zéle , qu'elle obtint enfin l'efFet de sa juste
demande ; si bien que Dieu lui donna Pa
trice , qui prenant naissance de ses cou
ches , vient au monde comme un beau
Soleil tout rayonnant de lumiere , & qui
sortant de son Oriant chassa l'obscurité
des ombres & des ténébres qui déro-
boient toute la beauté de la terre , parce
4 L*Vie
que des rayons de fa sublime Doctrine ,
il devoit dissiper les ténébres épaisses &
les nuages de l'Idolâtrie , qui étoit pour
lors en triomphe en cette Contrée , ré
duisant doucement Jes esprits les plus
obstinez de l'Evnngile à la vraye & par
faite connoissance de la Réligion Chré
tienne.
La croyance du vrai Dieu étoit fi rare
pour lors cn ces quartiers , & le Christia
nisme, si peu en assurance, que de se dé
clarer Catholique ou Chrétien , étoit un
«rime capital , & qui ne traîrioit rien
moins après foi que fa ruine & fa perte.
Aussi les Parens de Patrice le batisérertt
sécrettement ; car encore qu'à l'extérieur
ils parussent être dans l'efclavage d'une si
grande & terrible Babilone,de même que
le reste des habitans de cette Isle , dans
l'intérieur pourtant , & quant à la prati
que des vertus Chrétiennes , ils étoient
vrayement Citoyens de la Jérusalem Cé
leste.
Or comme ils n'ignoroient pas que la
fin principale du Mariage est la procréa
tion des Enfans , jour succéder à Théri-
tage des Pares , voyant que la Divini
té ayant agréé leurs vœux & accordé
de S. Patrice. >
leurs requêtes , avoit béni leur couche
nuptiâle d'une heureuse lignée, leur don
nant Patrice , & deux belles filles pour
succéder à leurs biens , lassez de vivre
dans les travaux du monde , ils résolu
rent ensemble de mener un autre genre
de vie plutôt angélique qu'humaine. De
sorte que tous deux faisantvœux de chat
teté ; Conchese dans ce saint propos sè
retira dans un Cloître & se fit Religieuse ,
& son Epoux dans le nième dessein se
présentant aux Ordres Sacrés , se fit Prè^
tre , si bien que l'un & l'autre finirent
heureusement leur vie au service deDieu*
affranchis des dangers & des grands em
barras du siécle. Ce généreux dessein ne
s'accomplit pas pourtant fans beaucoup
de sensibles regrets&de cuisantes larmes,
tant de leurs parts , que du côté de ceux
de leur comioissance , qui ne pouvoienis
souffrir sans ennui la dure séparation
d'une si sainte Compagnie.
' Cependant Patrice qui étoit encore
d'un âge tendre & enfantin , sut commis
à la tutelle , & conduite d'une sienne
Tante déja fort avancée en âge , & com
me Dieu fait souvent connoitre aux
hommes les futures merveilles qu'il vftat
La ne
opérer par le minister/s de sés serviteurs,
par quelques lignes visibles & sensibles ,
voulant faire paroître au monde les fa- *"
veurs & les graces dont il vouloit orner
cette ame innocente , il lui communiqua
libéralement fes dons en abondance, au
paravant mème qu'il eût pleine liberté de
ía langue pour parler , & qu'il pût distinc
tement articuler ses paroles pour lui faire
quelque requête. II ne déplaît pas à fa
Divine bonté^ que l'on croye qu'elle se ^
soit déclarée amie de Patrice , non points" ^
par une feinte 'simulation , comme les " ^
mondains de ce siécle , dans les vérita- tìfe
bles effets qu'elle lui fait sensiblement ;C
éprouver de sa bien veillance. En voici -
une preuve assez rémarquable , ce me
semble.
Gormas , natif d'un petit Village voi- " ..
sin de ce Saint , étant aveugle de naissan
ce , importunoit fans cesse le Ciel par ses
prieres , qu'H se montrât pitoyable à ses
vœux , lui ouvrant les yeux pour voir & ,*'
contempler ses beautés , & jouir de la
clarté des lumieres du Soleil , afin d'en
louer l'Auteur de ses rares merveilles , & ~ '
comme il étoit un jour dans la ferveur
de son Oraison,il entendit une voix dans
de S. Patrice. 9
Pair retentir à ses oreilles , qui lui com
manda d'aller trouver Patrice encore pe-
tit enfant , & nouvellement baptisé , le
quel lui imprima par trois diverses fois
répétées le signe de la sainte Croix sur les
yeux , dont un défaut naturel l'avoit pri
vé fatalement , ce qu'il expérimenta avec
bien du contentement ; car ayant obéï à
la voix qui lui parloit , il obtint heureu
sement les fruits de ses ardentes prieres ,
j>Dieu voulant faire connoître par ce Mi7
rapraele les sutures prodiges qu'il devoit
opérer un jour au morìde par l'entremi-
9frde ce sien Serviteur.
# . Cette mème bonté souveraine, renou-
vella encore cette vérité par un autre
merveille , si non plus signalée , au moins
: plus étendue & plus publique , que cette
premiere , & bien plus hautement louée
des Spectateurs qui en admirent le pro
dige , le Miracle sut tel. Le Ciel ou l'i»,
fluence de l'air aya^t couvert de neige
' toutes les terres de cette Contrée, & ve-
y nant à se fondre & à se résoudre en eau
liquide à la faveur des rayons du Soleil ,
íl s'en forma comme un petit déluge qui
innonda presque toute la surface de la
terre de cette Contrée la , & serpentant
ro La Vit
d'un cours rapide de Village en Village ,
alloit ravageant toute la Campagne , in-
nondoit les Champs , & iroyoit les mai-» "
sons , si bien que celle de Patrice étoitJ
sur le point d'être boulversée par terre/
& sappée par les fondcmens. Alors ce
jeune Enfant qui à peine pouvoit alors
fatteindre l'àged'onze à douze ans, voyant
un si étrange désastre , armé d'une cons
tante Foi , fit le signe de la sainte Croix
sus les ondes surieuses de ce petit déluge, . *
& sur le champ à la vue de-tout le mon
de , les eaux se retirerent dans le sein de
la Mer , & la terre demeura après ausfî
seiche qu'au plus' fort des chaleurs de --.
l'Eté.
Etant un peu plus avancé en âge , &'
entrant dans l'adolescënce , son esprit in
nocent commença à se pdlir & à sejjer* \
sectionner de plus en plus. Ses exercices
les plus fréquens & ordinaires étoient lës
jeûnes , les veilles & les mortification* -
de ses propres sentiment & de fa chair *
pour conserver saintement àDieu la chas
teté du corps & la pureté de l'esprit : aus
si en fit-il vœux particulier , pour s'osFrjfr fc
plus purement à la Divine Majesté , com
me victime innocente en toutes les per-
de Si Pâtrice. 11
sections qu'il se préparoit à souffrir, sans
mettre en considération le pésent poids
de ses éminentes vertus ; ni les hauts
mérites qu'il s'étoit déja acquis par la pra
tique de ses bonnes œuvres, en quoi con-
sifte le plus haut point de l'amour de
Dieu, & l'excellence de la perfection
Chrétienne , s'oublier soi-même pour le
sujet que nous aimons tendrement &
chérement.
La commune expérience fait voir com
me Dieu traite par fois avec moins de ca
resse & plus de rigueur , ceux qu'il aime
tendrement , que beaucoup d'autres qui
lui font indifferent , & que même finale
ment il les rebute comme ses ennemis i
car comme For sortant de ses mines,
ainsi qu'une terre commune ,x se purifie
dans le creuset, ainsi les vrais Serviteurs
de Dieu , s'épurent dans le feu des afflic
tions , & se rafinent parmi les flammes
des souffrances. C'est justement ce qui
arriva à ce jeuneadolescent , lorsqu'en-
viron.à l'âge de seize ans, il fe ptomenoit.
un matin à la fraîcheur sur le rivage de.
la Mer avec quelques siens Compagnons,
récitant le Psèautier par ensemble , il fut
Apris par des Pyrates , qui coottoyoient
ii La Vie
ectte Isle , & avec lui tous ceux de la suite
emmenez captifs , fans autres résistance
ni espoir de secours que du Ciel. Car com
me ces Pyrates , ravis d'une si belle pri
se , craignoient qu'elle ne leur échappât,
ils s'élancerent si promptement dans leur
Vaisseau , afin de cingler en haute Mer ,
qu'ils ne píirent pas facilement se sauver
de leurs mains. Patrice vint aborer aux
confins d'Hibernie", où il sut vendu com
me un autre Joseph à prix d'argent à un
Prince- de cette Isle , ces Voleurs le re-
jettant de leur Vaisseau comme inutile ,
& plus propre à la garde des bêtes qu'f
quelqu'autre exercice plus relevé , aufli
lui donna - t'on cet emploi peu honora
ble. Mais comme il étoit un parfait i mi-;
tateur du Sauveur du monde , qui nous
a laissé des exemples d'une humilité sain-
te,cette charge rustique lui sut très agréa
ble.
Or comme l'amour de Dieu trouve
plus d'éloquence dans la solitude & les
lieux écartés desVilles & des Bourgades,
que parmi la foule & l'affluence des Peu
ples qui habite les Cités , il occupoit la
meilleure partie des jours & des nuits
dans des entretiens avec Dieu , & dans
de S. Patrice.
des doux transports de son saint amour ;
ensorte qu'il se servoit de toutes les cho
ses créées pour honorer son Créateur &
- publier ses adorables merveilles. II dreC
soit souvent des Temples & des Autels à
la Divine Majesté , de branches d'arbres
& de rameaux enjolivés de fleurs , & se
servoit même des Campagnes déser
tes , afin de lui réitérer plus souvent les
offrandes de son cœur, & lui faire un sa
crifice agréable de toutes les actions de
fa vie, avec mille sortes d'actions de gra
ces, & plusieurs Cantiques de louanges,
dont il faifoit rétentir l'air & les rochers.
Le nombre des ouailles qui avoient été
commis comme à fa conduite & à fa gar
de dès le commencement de son esclava
ge , paroiflànt à vûë d^œil multiplier de
jour en jour , vint à la connoilsance de
son Maître , aussi bien que l'éclat de fes
rares vertus, Car commedans l'obfcuri-
té d'une nuit sombre , il étoit dans son
lit pour prendre son repos , il vit en son
ge durant son sommeil , son esclave Pa
trice tout rayonnant de lumiere., de la
~* bouche duquel sortoit unè triple flamme
fort éclatante , qui frappant de ses rayons
íes deux filles , les embrásoit de son feu ,
14 Lérït
& les réduifoit en cendre , le laiflànt seul
libre sans le toucher de fa chaleur. II s'é
veille en sursaut fort confus & étonné
d'une vision si extraordinaire , rêvant le
teste de la nuit sur les mysteres de son
songe. A peine vit - il paroitre la pointe
de l'Aurore, qu'il dépêcha un Valet vers
son esclave Patrice, pour Fobliger de ve
nir à lui , auquel il raconta par le menu
le& merveilles qu'il avoit vúës dans son
sommeil, avec instantes prieres de lui en
expliquer le mystere. Ce saint Personna
ge obéïflànt volontiers aux désirs curieux .
de ce Prince , répondit hardiment d'un
«ourage assuré , fans appréhender le suc
cès qui pourroit arriver de son discours.
Que cette triple flâme qu'il avoit vûë en
songe durant son sommeil n'étoit autre
ehose que la Foi du Mystere adorable de
1a Très-Sainte Trinité , que dès longtems
il avoit été inspiré de prêcher à lui & à se$
filles ; mais parce qu'il prévoyoit que ses
foibles paroles ne dévoient faire aucunes
impression efficace sur son esprit obstiné,
pour lui persuader fortement la créance
de ce Mystere ineffable ; la flamme ne le
devoit nullement toucher de ses lumie
res , & ainsi couroit fortune de mourir
de S. Patrice. ry
'frialheareusement dans l'avenglerrìtrit de
Ton infidélité ; mais parce que ses deux
filles se devoierít rendre souple & flexi
ble aux semoncesrdu Gel & à fa voix , &
fe laisser vaincre à la force des raisons &
des vérités Chrétiennes , qu'il leur an-
íïonceroit pour les désabuser ï Dieu per-
mettoit par sa bonté libérale qu'elles sus
sent éclaifees des lumieres de la Foi , &
embrasée des flâmes de son saint amour >
pour parvenir un jour heureusement à
la fin pour laquelle elles avoient été
créées & nourries , & après ce discours ,
prenant congé de son Maître , il retour
na à ses troupeaux , le laissant si pensif &
consusde l'explicatión de cet Enigme ,
qu'il a voit peine à se résoudre s'il devoie
ïe récompenser de toutes ses peines pas-
fées ou s'il le devoit châtier , pour siv
témérité & pour les choses étonnantes
qu'il lui anrtonçoit qui arriverent ponc
tuellement, comme le Saint l'àvoitpré^
dit. - )
de vertueux Personnage mena cette;
vie rustique & champêtre quelques an-
fiées ì dans Mï grand repos & tranquil
lité d'esprit , jusqu'à tant que Dieu ne le
voutónt plus fr folit-airè , où il étoit corn
ií La Vie
mis par son bon Ange Gardien pour lui
tenir compagnie dans ce désert , où il
n'en avoit d'autres que ses troupeaux &
les bêtes sauvages , quile_yisitoient quel
quefois. II pouvoit déclarer familiére
ment tous ses desseins , & se- consoler
doucement dans les difficultez de son es
clavage avec cet esprit- bienheureux.
Or comme il passoit les nuits presque
entieres en servantes prie es , il arriva
qu'une entre les autres , il sut ravi en ex
tase ou divin transport, où il vit comme
dans un miroir bien poli ou une belle
glace , un boni me grave & de prestance
majestueuse , l'habit & l'équipage lui fit
bien connoitre qu'il pouvoit èjre de ce
Païs-là , & lui sembloit à sa mine qu'il lui
apportoit une Lettre , ce qui l'obligea de
l'aborder de plus près , pour en avoir
Pinscription , qui portoit ces paroles :
C'est ici la voye ae tout le Peuple dHybernie,
Et comme il l'tût ouverte pour voir ce
qu'elle contenoit , il lui sut avis qu'il li-
foit , que tous les Habitans d'Irlande ,
hommes , femmes , enfans , petits &
grands l'appelloient à" eux , disant : Pa
trice «eus vous prions tons ensemble , que
vous venict. promptement * notre secours r
de S. Patrice. 17
pour mus affranchir par pitié du joug misé'
rable sout lequel nous soupirons jommes
détenus comme des esclaves. Revenant à
soi de ce sommeil extatique , il consulta
íbn Ange Gardien sur ce qu'il devoit fai
re en cette pressante nécessité , où il s'a-
gissoit du salut des Peuples de sette Isle ,
le priant de plus , de faire ensorte qu'il
pfit être racheté , en bref de la captivité
qui le tenoit en ce lieu , ménageant dou
cement sa délivrance , parce qu'il désiroit
animeraient de secourir le Païs en ce ren
contre , où il témoignoit par ses plaintes
avoir besoin de son assistance.
Son bon Ange ennnoissant la constan
ce de sa généreuse résolution , lui ensei
gna une Caverne , où il lui ordonna d'en-
"trer , pour y prendre autant d'or & d'ar
gent que bon lui sembleroit , & qu'il ju-
geroit être nécessaire pour obtenir sa dé
livrance. Ce qu'il fit ausîì promptement
qu'il désiroit passionnément sa franchise,
& ainsi de ses deniers miraculeusement,
trouvez ; il paya entiérement sa rançon,
& sans differer beaucoup de tems , il dis
posa toutes chosesnécessaires pour ce
voyage désiré. Auparauant néanmoins
de prendre congé du Prince qui avoit été
tt la rie
son Maître le tems de son esclavage , il
fit sécrettement baptiser ses deux filles ,
après les avoir suffisamment instruite» ~~
des Mysteres de notre Religion Catholi
que , & des principaux Points .de la Foi
qu'elles devoient professer au Baptême-
Or quoiqu'il eût un très ardent désir
de voir fa chere Patrie , de laquelle il étoifc
absent depuis un si longtems,pours'affer-
rniir néanmoins davantage en la Doctri
ne de l'Evangile , s'éclaircit de plusieurs
difficultés qu'il pensoit ne sçavoir pas as
sez nettement , ( quoique celui qui sçaitr
parfaitement aimer Dieu, ) peut dire,
qu'il n'ignore rien de ce qu'il doit sça- -
voir ; il voulut néanmoins faire un pre
mier voyage en France , où il vint visitee
S. Germain Evêque, qui le reçût si cour
toisement , & lui témoigna tant de bien
veillance , qu'il l'engagea insensiblement
«te demeurer avec lui , où il séjourna en
viron l'espace de dix- huit ans , s'adon-
nant à la pratique de POraifon , & à l'é-
tude des lettres saintes. Au bout de ce
tems- là , il lui fit recevoir les Ordres sa
crez , & Tadmit au Sacerdoce , lm don
nant mandement & licence de prêcher le
S. Evangile ifons tome L'étenduède &».
de S. Patrice, if
Diocèse. Et quelque peu de ttflis âpres
prenant congé de lui , ils se séparérent
avec de si simples regrets de part & d'au
tre , que tous Jeux surent contraints de
le témoigner par leurs larmes.
Continuant son voyage de France , il
alla trouver S. Martin , Archevêque de
Tours , qui étoit propre frere de Conche-
fe fa mere , & d'autant que ce S. Prélat
àvoit été Religieux au commencement
de son sacerdoce , il lui conseilla d'en
prendre l'habit , pour së mieux instruire
& se former plus exactement dans leí
exercices spirituels , & srafFermir plus
fortement dans la pratique des vertus. A
««uoi Patrice obéissant volontiers & fans
répugnance, se retira dans un Cloître de
Religieux , s^ptit l'Habit , & mena une
vie si réguliere & exemplaire , qu'il fit
parfaitement correspondre sès mœurs &
íès actions au S. Habit qu'il portoit.
Après avoir paiíi quelques annéèí
dans l'étroite observance des vœux so-
temnels qu'il avoit proteste2 en cet état ,
îl se résolu de communiquer avec Saine
Martin son oncle , siir un pieux & loua-
Ble dessein , que dès assez longtems Dieu
Mavoit inspiré ew l'a«w3 lui déclara»*
f v U Vie
le zéle ardent qui le pouslbit d'entrepren-
dre le voyage de Rome pour visiter par
dévotion & pitié les saintes Reliques des
Bienheureux Apôtres & des Martyrs qui
font réservées en cette sainte Cité , &
baiser humblement les pieds de fa Sain
teté, Vicaire de Jesus- Christ en terre, &
successeur de S. Pierre , afin que l'auto-
rité de ce S. Prélat intervenant à sa prie
re , jointe à celle de son cher Maître S.
Germain qu'il employa pareillement,
afin d'obtenir plus aisément la licence
nécessaire de son Supérieur pour accom
plir ce voyage prémédité.
Ce projet lui réussi aussi heureuse
ment qu'il le désiroit ardemment, parce
qu'on jugea !a demande si raisonnable &
si juste , qu'elle portoit avec elle son ap
probation- i
Prenant donc congé de son Superieur,
& l'agráment de ses Freres Religieux ,
après avoir demandé tendrement leurs
charitez de le recommander à Notre Sei
gneur ; il sortit du Monastere, où il laisla
le regret de son absence à tous , & se mit
en chemin pour Rome- ; - ~
Mais y allant il passa par Auxerre pour
communiquer íbn dessein à son Maître
de S. Pâtrice. 11
- S. Germain , lequel loua grandement sk
, dévotion , & lui donna un Prêtre nom
mé Schecius pour l'y accompagner.
En chemin , lorsqu'il étoit déja bien
avancé , & qu'il s'approchoit de Rome ,
Dieu l'inspira & lui fit entendre par une
révélation manifeste,que sa volonté étoit
qu'il allât visiter im Hermite nommé Jus-
tus , lequel ^ivoit Solitaire dans une Isle
de la Mer Tyrienne , où étant arrivé , il
trouva un bon vieillard , qui lui deman-
' da son nom & la-cause de sa venue? il lui
répondit qu'il s'appelloit Patrice , & si
tôt que le S. Hermite eût entendu le nom
. - de Patrice y fans entendre le reste de fa
réponse , il se jetta à son col , l'embraf- -
sant avec grandes carresses & témoigna
ge d'amitié, comme une personne qu'il
attendoit depuis longtems, Ce qui ren-
. * dit Patrice tout consus , ne fçachant pas
la cause d'une joye si extraordinaire & si
subite. Néanmoins ayant rendu le salut
í réciproque , & les dignes remercimcns
qui méritoient un accueil si. favorable
dans cet abord inopiné. II sollicita l*Her-
f mite avec d'instantes prieres de luídécla-
l rer , d'ôù & comment il le connoissoit,
& pourquoi au récit du nom , il avoit té-
it uvu
moigné tant d'alégresse & de joye. Lè
bon Hermite Justus , lui dit : qu'un jour
Notre Seigneur Jesus - Christ lui dvoit
fait l'hoftneur de le visiter en personne ,
fous la forme d'un Pélerin , tenant un
bâton en fa main. Que lors il n'avoit
autre pensées , sinon de recevoir un
pauvre passant qui avoit besoin de re
traite , & de loi faire la charité de le lo
ger , selon sa coutume , Sine substanter
de ce qu'il pouvoit avoir dans fa petite
cabane. Mais que lé matin étant venu ,
ce nouvel Hôte , lui dit : Je suis Jésus ,
pour l'amour duquel vous travaillé , &
faites tant de charités aux Passans, & tant -
d'autres bonnes eeúvres ; prenez ce bâ
ton & le gardez , jusqu'à ce qu'il passera
par ici. un de mes fidéles Serviteurs nom
mé Patrice , auquel vous le donnerez de
ma part, & qu'aussi-tôt il étoit remonté
au Ciel.. Que c'étok la le sujet qui lui
avoit donné tant d^e joye , & causé un
ravissement si extraordinaire à la pro
nonciation de ce nom de Patrice , lequel
sl avoit si fortement gravé eìi sa mémoï- ~
re , qu'après une si longue attente , ii
«'avoit pû se contenir , Voyant celui qua
Jesus-Christ lui mv&- prédit } lequel il
désiroit
de S. Patrice. 1}
désiroit avec impatience , jour se con-
jouïr avec lui des grâces que Dieu lui
faisoit , de participer au bonheur qu'il a
d'êtrë chéri de Dieu , se recommander à
ses prieres , & sur-tout pour s'acquiter
du commandement que Jesus- Christ lui
avoitfait, de lui mettre ce bâton en main,
qui lui serviroit de marque de l'assistance
Divine, &d'instrumentpour opérer des
merveilles en toutes les occasions où il
auroit besoin. En effet , il donna ce bâ
ton à Patrice , qui le reçût comme de la
main de Dieu , avec révérance & humi-
lité , & se réputant indigne d'une saveur
si particuliere , & depuis le porta par tout
eri ses voyages. II demeura quelques
jours à converser & s'exercer en la pieté
avec Justus , & avec les autres Hermites
qui demeuroient en cette Isle & aux en
virons , & assez proche de Justus. Puis
prenant congé d'eux , il continua son
voyage de Rome , où pour lors Célestin,
premier du nom , tenoit lâ ChairePon-
tificale de S. Pierre. ^
Ce S. Pontife ayant eu avis de Parri-
vée de Patrice en cette Ville , par la hau
te réputation de fes rares vertus , & de la
sainteté de sa vie exemplaire , l'envoya
C
M La Vie
chercher à dessein de lui communiquer
quelques affaires importantes au bien
commun de toute l'Kglise. Notre Péle- *
fin obéît promptement au mandement
qui lui sut fait de la part du Souverain
Pontife, & après avoir humblement bai
sé les pieds de fa Sainteté , répondit avec
tant d'assurance & de subtilité d'esprit,-à
toutes les demandes qui lui surent pro
posées , qu'il fit bien connoître par ses
discours , que Yopinion que l'on avoit
conçue dans Rome de fa vertu & de fa
suffisance , étoit véritable.
En effet , le Souverain Pontife trouva
- tant de solidité en sa doctrine & en sa -
vertu , tant d'adresse & de prudence en
son esprit , & tant de rares qualitez en la
noblesse de son courage , qu'il ne se con
tenta pas de le créer Evêque ; mais se
souvenant de l'extrême nécessité qu'a-
voit toute l'Hybernie de quelque person
ne de bonnes mœurs , & signalé en ver
tu pour cultiver la Foi & la véritable Re
ligion qui restoit en cette terre , lui don
na une ample commission pour y répa
rer les ruines & les restes du Christianis
me , qui étoit réduit au dernier abois ,
parce que fçachant la langue du Pais ,
ft
de S. Patrice. ij
connoissant les excès d'impiété qui y ré-
gnoientplusfacilement,ilypourvoiroitde
remédes, cVles retirant du culte sacrilége
de leurs fausses Divinitez , les ramene-
roit heureusement à la reconnoissance
des vérités de l'Evangile , & à l'adora-
tion du vrai Dieu.
O Dieu ! qui pourrá croire combien
cette honorable commission rut agréable
à Patrice , & avec quel contentement il
l'areçû; il lui étoit avis que Sainteté
lisoit en son visage les désirs de son cœur,
n'y ayant rien au monde qu'il souhaitât
avec plus de passion que cette charge ,
soit dans l'ardeur d'un zéle-ferVent d'y
remporter la Palme du martyre, ou bien
daus le dessein d'y faire grand fruit à l'E-
glise de Dieu par son travail laborieux ,
& ìa ferveur de sa Prédication. -
II disposoit donc le retour de son voya
ge , il sort en toute diligence de Rome ,
accompagné de vingt hommes , passant
par h France, où il arrêta quelque tems,
pour conferer avec S. Germain , lequel
lui donna quantité de choses nécessaires à
Un Evêque envoyé pour la conversion
des Infidéles ; à fçavoir , des Calices , des
Livres , des Ornemcns convenables aux
C ij
La Fie
Fonctions Episcopales , & généralement
tout ce qui lui étoit besoin , tant pqur sa
personne que pour sa compagnie, en un
voyage d'une telle ìmpcfrtance , si -'tôt,
que tout son équipage sut dressé , iî qraKj
tarda point à partir , de sorte que s'étanf^a
embarqué sur Mer , en peu de jours il^jf f
arriva enHybernie , du côté de Lage- -
nie, où il demeura quelque tem-s. Puis .'
s'éíant rembarqué pour|aller vers les par
ties Septentrionnales de cette Isle , il
aborda en Ulidie.
Or le Roi de cette Isle , & des autres
voisines , ( qui étoit alors Leogarius fils
de Nail , ) étant informé par ses Magi- -
ciens , du procédé xle Patrice , lui per
suaderent qu'il vouloit usurper , sinon
entiérement , au moins la meilleure par
ue de fa Monarchie , parce que la force
de ses raisons , ( comme très véritables , )
& la ferveur de ses paroles étoient si eifi»
caces & si puissantes , que chacun facile
ment y donneroit libre créances , & qu'
ainsi il lui seroit aisé de réduire sans gran
de peine le menu Peuple à la créance com
mune des Chrétiens au préjudice de leur
Réligion.
Ce Roi Idolâtre bouffi de colère 8c
de S. Patrice. tj
d'orgueil , d'entendre ce discours ; se ré
solut de le poursuivre de tout son pou-
voir , & bannir cette pelle contagieuse
f» de sa République , ( tel étoit le nom dont"
''yg&il bíptisoit celui qui étoit l'Antidote & le
Ì :'^* fraiThériaque contre le yenin mortel qui
H:. > emprisonnoit leurs cœurs , tant il étoit
."- ^aveuglé & enseveli dans les ténébres
* épaisses de l'infidélité. ) De façon qu'il
.; oommanda* qu'on les liât de grosses chaî
nes pour s'assurer de leurs personnes.
* Pendant tous ces orages & ces tonner
res foudroyans en menaces , Patrice &
/ '.ses Compagnons demeuroient inébran
lables & insensibles, parce qu'ils avoient
une si forte confiance en la Providence
* Divine , qu'ils s'assuroient qu'élevant
leurs esprits au Ciel, comme S. Paul, ils
verroient les Cieux ouverts , & Dieu à
la brèche les contemplans dans le combat
à qui il seroit facile , s'il étoit expédiant
pour la gloire , de les affranchir de leurs
chaînes , & de les délivrer du pouvoir
tiranique de cet autre Pharaon.
Ce Roi barbare , fans autre informa»
- * tions que ses soupçons , ni autre crime
que son aveuglement , les condamna
uniquement à une mort honteuse & in
C iij,
i% U Vie
fàme , comme inventeur de nouvelles
Coutumes & Cérémonies , & ennemis
des Dieux qu'il adoroit. Ce S. Prélat fort
courageusement des cachots, suivi de ses
Disciples & Compagnons , qui surpas-
soient déja le nombre de quarante , plu
sieurs autres Catholiques s'étant joint
avec eux , pour suivre leurs exemples
& leurs vertus , & quoiqu'en vérité ils
désirassent tous ardemment d'obtenir la
Palme du martyre, & répandre généreu
sement leur sang & leur vie pour défen
dre & autoriser la Foi qu'ils prèchoient ,
jettant néanmoins les yeux' sur un si
grand nombre de Peuple qui courroient
à vue d'ccil à leur perte véritable , dans
l'aveuglement déplorable du Paganisme
& de la Gentilité , qui tous étoient assem
blez en une place publique pour être té
moins de ce spectacle pitoyable , il lui
sembla que sa vie & celle de ses Compa
gnons pouvoit encore être nécessaire à la
réduction de ces pauvres errans , & que
Dieu peut - être les toucheroit par leurs
instructions & leurs exemples , & qu'
ainsi épargnant leur vie pour ce coup ,
ils gagneroient beaucoup d'ames à Dieu.
de S. Patrice. X9
Etant donc plutôt touché de compas
sion de la perte de ces Infidéles , que du
désir de vivre davantage , il éleva ses
yeux au Ciel , & fit fa priere à Dieu de
suspendre sa mort par sa puissante bonté,
Jusqu'à ce qu'il eût réduit aux véritez de
í'Evangile , & à la connoissance de la Foi
Catholique autant de ces Payens qu'il
pourroit.
Si bien qu'animant ses Compagnons
au combat-, & à souffrir constamment le
glaive du martyre, s'il le f'alloit, ils répéte
rent tous ensemble avec larmes de ten
dresse, ce Verset de David : Que ce grand
Dieu »*f«fse que se lever , & nom montrer
son vtfage, tant defurieux ennemis qui nous
font la guerre en haine de ce que mus l'a~
dorons , prendrons la fuite , épouvtntez. en
un moment , i$fi dissiperor-t.
A peine eûrent-ils achevé les dernieres
paroles de ce Verset' , que Dieu voulant
foire connoître qu'il avoit eu agréable la
priere de son Serviteur , & qu'il consen-
toit volontiers aux justes désirs qui par-
toient de la ferveur de son zélé , permit
que la terre , comme s'il y eût une mi
ne mouvante dans ses entrailles , & un
feu resserré dans son sein par contrainte,
30 La Fie
qui auroit émû sa fermeté très constante,
se désunir avec un bruit éclatant , & un
tremblement tellement effroyable , que
ces misérables Infidéles pensoient tous
être perdus fans réfourec aucune d'écha-
per le naufrage , fi bien qu'essayant de
prendre la suite , se rencontroient l'un
l'autre, & se frapoient si rudement, qu'ils
pensoient plutôt à se .garantir de la mort
qui les sui voit.qu'à ôter îa vie à cesgrands
Serviteurs de Dieu , qui fans s'effrayer
de ces brebis , demeuroient conftans ,
fans mouvoir sur la fermeté de la terre
qu'ils fouloient , qui n'étoit nullement
agité.e de cette secousse , ni alterée de ce
tremblement, fi bien que s'étant recueil-
lis en eux-mêmes , pour remercier Dieu
de fa protection , ils demeurerent en as
surance & à couvert de la colère de Dieu
irrité contre la malice de ces tygres , qui
tremblant d'essroi , & voyant les sensi
bles effets d'un miracle fi authentique ,
confessoient hautement que le Dieu de
Patrice étoit le vrai Dieu , que les Peu
ples devoient seul reconnoître & adorer ,
puisqu'il protégeoit tant ses enfans , &
qu'il chátioit si rigoureusement leurs en
nemis. — . > -
de S. Patrice. $ i
Et par ce Miracle signalé , ce S. Prélat
& tous ses Compagnons surent affran
chis de la mort à laquelle ils étoicnt toiïs
destinez & injustement condamnez , en
suite duquel un nombre infini de per
sonnes surent convertis à la Foi Catholi
que, tous crioicnt par les rues & les pla
ces publiques qu'ils désiroient recevoir
le Baptême ^ comme éiant le premier de
gré de l'escalser par lequel on monte à la
connoissance du vrai Dieu pour arriver
ensuite à sa gloire. ^Le coeur seul de ce
cruel Roi demeura endurci en son opi
niâtreté , & impénétrable en toutes cho
ses aux avertiflemens de Dieu , & aux
prodiges étranges qu'il avoit vues devant
ses yeux. Si bien qu'au lieu dis reconnoî-
treson erreur, & de rechercher les remé
des à son aveuglement, il alloit toujours
ruminant en foi-même dans la confusion
de ses pensées extravagantes 4 pour in
venter quelques moyens plausibles pour
décréditer Patrice , & de le rendre odieux
parmi le Peuple, afin que.désormais il ne
se lâisíàt plus persuader par ses paroles ,
ni vaincre par ses raisons, non plus que
par la force de ses Miracles.
D'où vient que célebrant publique
31 La Vie
ment un jour le S. Sacrifice de la Mefle
en une Fête solemnelle , vint un Soldat
insolent qui par Tordre de ce Prince en
durci , lui arracha par violence le Calice
des mains à la consécration des espéces ,
& d'une audace effrontée & sacrilége)
versa sur l'Autel ces espéces consacrées
qui contenoient en foi le Corps & le
Sangprécieux de Notre Seigneur sur les
Autels. Alors ce S. Prélat célébrant , tout
consus & interdit d'un crime ll énorme,
poussé d'une sainte colere contre" cet at
tentat , éleve ses. mains & ses yeux au
Ciel, comme demandant à Dieu une jus
te vengeance de l'affront injurieux qui
venoit d'être fait à la gloire de fa Divine
Majesté , au grand mépris du plus Au
guste des Sacremcns de.fon Eglise, voilà
que sur le champ , le Ciel , quoique cal
me, se grossissant de nuées & d'éclaires ,
lença un coup de foudre sur ce sacrilége ,
& le réduisit en poussiere devant un cha
cun. Et ensuite semblant à la terre , qu'
elle ne se devoit pas niontrer plus insen
sible que le Ciel , à l'arfront qui avoit été
fait à l'Auteur de son Etre , fournit un
autre genre de supplice , pour achever là
juste punition que méritoit cet Idolâtre
de S. Patrice. $j
pour l'énormité de son crime , faisant ou
vrir ausîì-tôt son sein pour ensevelir le
reste des os & des cendres de cet impie
dans le creux de ses entrailles , afin que
tous ceux qui avoient été spectateurs de
cet ouvrage , sussent étonnez de ce châti
ment exemplaire, & connussent évidem
ment que pour punir cette audace & at
tenta si téméraire, il ne falloit pas moins
que le Ciel & la terre joints ensemble
pour en fournir les instrumens.
Et pour autoriser davantage la sainte*
-té de Patrice, & faire éclater plus haute
ment les merveilles de la Toute-puissance
de Dieu en fa personne , sa Divine Ma
jesté permit que le Sang , qui avoìt été
répandu par Pinsolence de cet impie, sut
récueilli par le ministere d'un Ange , &
remis dans le Calice. , fans que les napes
ou autres signes de l'Autel en sussent au
cunement tachez , pour montrer par cet
autrë Miracle , que Dieu , lorsqu'il y va
de l'intérêt de sa gloire , sçait puissam
ment garantir son honneur , aussi-bien
que la réputation de ses amis , à la honte
& consusion de tousses ennemis.
Or l'utilité qui résulte de ce châtiment
sut fort grande : car elle ne fut pas moin
J4 » L*Vi*
dre quHa conversion du Roi Leogarius
& de Fénicie ion Epouse , avec encore
plus de' douze mille personnes qui reçu
rent le Baptême en cette rencontre. Ne
voilà-t'il pas un succès heureux & un
Fruit très notable à l'Êglise de Dieu pour
un seul coup, ce progrès avantageux
donna une si grande satisfaction à l'esprtt
de Patrice, qu'il résolut de paiser aux au
tres Isles voisines , dans l'espérance que
peut être il n'y feroit pas moins de pro
grès qu'en celle-là. A peine sut-il arrivé cri
ces terres Infidelles qu'il y fit éclater des
prodiges si extraordinaires, qu'il ravissoit
d'admiration tous ceux qui le voyoient ;
car il guérifíoit toutes sortes.de maladies,
de quelque langueur ou infirmité dont
ils sussent attaquez. Il embouchoit les
muets , rendoit la vûë aux aveugles , ou-
vroit les oreilles aux fours , ressuscitoit
les morts , & réduisoit les pauvres errans
& mécroyans , au culte du vrai Dieu, &
fur - tout il prêchoit avec tant de zéle &
de ferveur ce Peuple idolâtre , qu'il ne se
passoit point de ;our qu'il ne fit quelques
progrès nouveau , & un véritable fruit à
l'Eglise de Dieu : toujours fans cesser il
rendoit des actions de graces immortel
de S. Patrice. j j
les à la Divine bonté , des merveilles in
comparables qu'il opéroit parTon minis
tere , pour Pintérêt & la gloire de son
Nom , & l'augmentation de la Foi Ca
tholique, en quelque lieu qu'il se trouvât.
Qui voudra voir à loisir , & plus au
long, les miracles innombrables que No
tre Seigneur a opérez par le ministere de
ce S. Prélat , il faut consulter un Volume
assez gros , nommé la Fleur des Saints
d'Hybernie , où est particuliérement &
fort amplement traité de fa Vie admira
ble , qui est réduite au terme de cent trei
ze ans divisez en cette sorte II fut seize
ans durant fa tendre jeunesse fous les ai
les de ses Parens en son Païs natal , six
ans fous le joug barbare de la captivité
des Pirates , dix-huit fous la disciple &
instruction de S. Germain Evêque sou
Maître , quinze ans dans la Ville de Ro
me , ^communiquer les Personnes doc
tes & de Lettres , pour s'éclaircir de ses
doutes & des véritfcz Catholiques , qu'il
se persuadoit ne savoir pas assez parfai
tement. U prioit fans cesse Notre Sei
gneur , de lui donner l'esprit'dç ferveur
& de zéle , pour travailler utilement à fa
vigne ; durant ce tems-là , il employa
36 La Vit
trente cînq ans à Pexercice de la Prédica
tion de l'Evangile par toute l'Hybernie ,
où il fit les grands progrez que nous
avons dit ci - devant ,' & vingt- trois qui
font les derniers de fa vie , vaquant à la
contemplation des Divins Mysteres , &
des suceès qui arrivent danè la vie sutu
re aux bons & aux mauvais , & alors il
se retira dans un Monastere de Religieux
qu'il avoit fait bâtir & fondé , où il fit
une Pénitence fi rigoureuse , que la ca
ducité de fa vieillefle auroit sujet de se
plaindre de ses grandes mortifications.
U y a trois Sœurs , ainsi que nous
avons dit vers le commencement , qui
toutes trois ont été les miracles de leur
siécle , & des prodiges de sainteté, Lu-
pina qui étoit l'aînée , fit vœu de virgini
té se faisant Réligieuse : Ligrida qui étoit
la seconde, sutTnariée , & si heureuse
en vertueux enfans , qu'elle eût cinq fil
les & dix-fept garçons , sept desquels fu
rent admis au Sacerdoce , six autres en
trerent dans un Cloître pour se-fair&>Re-
ligieux , & les quatre derniers qui surent
Evêques accompagnerent leur S Oncle
au voyage d'Hybernie , pour travailler

r
de S. Patrice. Î7
à la conquête des ames. Toutes les filles
surent Réligieuses , & menerent une vie
fort sainte & exemplaire. La plus jeune
de ses Sœurs , nommée Dorche, fût ma
riée à un Chevalier de leur race, & don
na trois Evêques à l'Eglife de Dieu , de
façon que toute cette noble Famille a été
sainte & d'une vie presque miraculeuse.
D'où on peut conclure souvent, que les
enfans héritent des vertus de leurs Pa-
rens , aussi - bien que de leurs biens , &
succent les bonnes mœurs de leurs Pe
res , avec le laict qu'ils tirent de la mam-
melle de leurs Meres.
Ce S. Prélat fit le voyage de son retour
dans l'Hybernie ; dieminínt toujours à
pied ; mais lorsqu'il y sut arrivé à cause de
la difficulté des chemins , il se fit faire un
petit chariot à la mode du Païs , pour un
peu le soulager dans ses lassitudes. Ses
vêtemens étoient tissus de laine , & fort
honnête & très décens , conformément
à son état &
l'Eglife. Sa conversation étoit douce ,
agréable & utile , joignant presque tou
jours en chaque paroles qu'il avançoit,
le profit & la répréhensìon , la doctrine
& la détection.
jÇ LaVìt
II avoit Pusage de cinq Langues diver
ses en perfections , de la Grecque , de la
Latine , de l'Angíoise , de l'Hybernoisc -
& de la Françoise.
Cependant nonobstant sa rare Doctri
ne , il répondoit cn toute humilité à plu-
fieurs demandes curieuses qu'on lui fai-
soit quelquefois , qu'il n'en sçavoit pas la
solution. II possedoit avantageusement
le Don de Prophétie , aussi étant chargé
d'années & de mérite, la Divine Majesté
voulant Paffranchir du joug importun de
cette vie languissante & mortelle , pour -
le faire vivre éternellement d'une vie im
mortelle & glorieuse , comme il sortoit J
un soir sur la brune , des confins d'Udi-
lie pour aller à Armancano,Ville des plus
fameuses de cette Province , il rencontra
un Ange qui l'avertit de retourner sur
ses pas , & que ce n'étoit pas la volonté
de Dieu qu'il sortit de cette Contrée pour
entreprendre quelque voyage , ce qui
l'obligea de rebrousser chemin tout in
continent
Quelques jours après étant dans PE-
glise avec sainte Brigide , discourant des ^
choses sainte , l'on vit une lumiere écla
tante , qui de la pointe c\e scs-rayons ,
de S. Patrice. fp
éclafroit l'endroit où devait êt!re (á Sépul
ture, & comme les asRstans apperçûrent
cette merveille , lui demanderent ce que
vouloit signifier cette nouvelle clarté
qu'ils avoient vù paroître , encore qu'il
n'en ignorât pas le inistere, il les renvoya
pourtant à sainte BrigiJe, ( scion sa mo
destie ordinaire, ) pour eu avoir l'intelli-
gence ; cette sainte avertie du Ciel de ce
íjui devoit arriver en hres, leur dit : que
cette clarté extraordinaire montroit l'en?-
droit où dans peu l'Apôtre d'Hybernie
devoit prendre son repos.
Ce qui fit qu'à même-tems cette gran
de Sainte pensa à aprèter un beau lin-
ceúil qu'elle fit de ses propres mains pour
ensevelir ce S. Corps, de forte qu'à -gran
ite peine eût-clle achevé cette ouvrage ,
que le voilà frappé d'une maladie mor
telle , plus naturelle qu'ennuyeuse , &
ausìî - tôt que son infirmité l'eut réduit
sur le grabat , cette bienheureuse Sainte
apperçût à son chevet son bon Ange-Gar
dien qui lui tenoit compagnie , & ce
grand Saint , qui élevant les yeux en
haut , contemploit comme un autre S.
Etienne les Cieux ouverts ; & Jesus-
Christqui l'attendoitàlabrêche, entrë
4o La Vie
les mains duquel il rendit son ame bien
heureuse , en présence de toute la Cour
Céleste , qui lui tendant les bras , enton-
noient les Cantiques de réjouissance pour
. congtatuler son entrée. 1 ^
N Le jùur de son heureux trépas fut le
vingt - fix d'Avril , l!an de l'Incarnation
de Notre Seigneur, quatre cent nonen-
te-trois , & son Corps sut enterré solem-
nellement en la Ville de Dun , qui est en
tre le Midi & d'Occident , sous le Ponti
ficat du Pape Felix ; durant qu'Anastase
tenoit les rennes de l'Empire Romain ,
pendant qu'Aurelius Abrosius étoit Roi
d'Angleterre, Forquenus d'Hybernie,
" Clodovéus de France , & Alaric des
Gots, qui sut le premier qui donna la
Loi à TÉspagne.
Les grands Miracles que Dieu opere
tous les jours par l'attouchemènt defes
saintes Reliques , son en tel nombre ,
qui en voudroit faire la liste ou les décri
re par le menu, tenteroit de vouloir nom- .
brer Pinfini , dont par humble gratifica
tion & réconnoissance au Ciel , nous de
vons rendre graces immortelles , pre- "*
miérement , à la divine Bonté qui les 1
«pere „ & après à ses Saints- qui en font I
- de S. Patrice. 41
les mstrumens r par le mérite desquels
ses divines miséricordes & graces nous
font libéralement communiquées.

CHAPITRE I I.
Dans lequel ejl traité de plusieurs bel
les particu/iaritez qui regardent Fi*
tat de notre ame , pour mieux enten
dre le fecret du Purgatoire de Saint
Patrice.
T'Outes les choses créées ont un ter
me prefix , & une fin limitée par
leur Créateur , où elles trouvent leur per
fection & leur repos. Ce qui est-leger de
fa nature monte en haut comme à fa
Sphere , & ce qui est lourd & pesant ,
descend à lá terre comme à son centre &
au lien de son repos. Nous devons par
ler de la même forte de l'homme , lui
donnant une fin où" son inclinationrse
porte naturellement pour lui arracher
sans violence les désirs & l'ambition qui
naissent avec lui , & qui lui font natu
rels.
Or la fin pour laquelle il a été créé ne
peut pas être matérielle ; car il n'y a rien
D ij
<t -. La Vie
au monde qui puisse borner ses appetits,
ou contenter ses désirs , l'avare ne peut
avoir tant d'or qu'il ne désire encore d'en "*
posseder davantage s'il poíivoit : l'hom-
me docte ik servant ne peut être instruit
de tant de sciences differentes , qu'il ne
fçavoit assurément que son sçavoir est
médiocre à l'égard de ce qu'il ignore. De -
forte que la 6n de l'homme , pouí con
tenter parfaitement tous les désirs de son
ame, ne doit pas être moindre qu'infin e
& éternelle , telle qu'est la gloire de la di
vinité , où il doit dresser toutes ses affec
tions & pointer ses désirs , comme à Tu
nique objet de ses espérances , au repos r
paisibles de.fes pensées.
Notre ame qui est autant incorrupti
ble qu'elle est indivisible en fa nature,
est la Forme substantielle qui anime nos
corps , laquelle est douée de trois facili
tez principales , comme plus nobles &
excellentes que les autres qui exercent
toutes leurs fonctions par dépendances
des organes attachez au corps , tant qu'
elle y est jointe & unie ; c'est à sçavoir la
mémoire , l'entendement & la volonté ,
qui sont une vive image représentative
de la Divinité d'un Dieu cn trois Per?
de S Pttïìce. 4$
sonnes , & unique en essence la mémoire
-, représente le Père, l'entendement la per
sonne du Fils , & la volonté celle du S*
Esprit. Et encore qu'il soit véritable que
cestrois puissances" ée l'ame n'exerçoit
leurs opérations que par le ministere des
organes joints au corps : il ne s'ensuit
pas pourtant qu'en étant séparé par la
désunion des parties de ce composé , elle
ne les puisse librement exercer , fans dé
pendance de fes instrumens conjoints ,
d'autant que comme de foi , elle a la for
ce de représenter le Mystere adorable de
la Très-Sainte Trinité : il est constant
qu'en quelque état qu'elle puisse être ,
unie au corps ou séparée , elle est tou
jours représentative par ces trois facul-
tez , de ce Mysteré ineffable , dont ejle
est la vive image : Et quand le Philoso
phe a avancé cette maxime , qu'il n'y a
rien en l'entendement , qu'il n'ait pre
miérement passé j>ar quelques - uns des
sens extérieurs , elle doit seulement en
tendre de l'ame , lorsqu'elle est au corps,
& non pas en étant séparée par lá mort.
Car s'il se trouvoit par exemple un hom
me privé de ses cinq sens naturels,
{ ainiì qu'il arrive lorsqu'une personne
44 La Vie
est aux abois ou à l'agonie pour mourir. )
Aristote ne conclueroit pas qu'alors Fa
me demeure oisive & fainéante , tant s'en ~
faut : S. Augustin soutient qu'en ce temsi
là ses puissances font plus vives & agis
santes qu'auparavant , se ressouvenante .
même des choses les plus éloignés , &
presque ensevelis dans l'oubli , elle con
temple ce que jamais elle n'avoit vû , .&
aspire à des choses aufquelles elle n'avoit
jusqu'alors pensé. D'où il se voit évidem
ment que sans dépendance de sens , hon
plus que des organes attachez aux corps
avec la feule assistance des espéces intel
ligibles qu'elle a autrefois reçûë , étant . L
unie au corps , où de celle qu'elle reçoit
dans la séparation actuelle , elle se ressou-
vient du passé , connoît le présent , & ai
me les objets éloignez , fans discourir de
plus qu'un Ange , même beaucoup plus
facilement & subtilement que lorsqu'elle *
étoit jointe à sa chair mortelle , ou em- ,
bombée de sens grossiers qui la contrai-
gnoient dans ses déréglemens , & lui
empéchoient la liberté de ses fonctions.
, Supposez donc que notre ame soit pu- >"
rement spirituelle, & sans aucun mélan
ge d'aucune matiere corporelle , qu'elle
de S. Patrice. 45
Tait librement & sans crainte les opéra
tions de toutes ses puissances , & qu'elle
est invisible fans continuation de parties
corporelles , il faut vérifier par qu'elle
partie da corps elle soit de ce tout ani
mé , lorsqu'elles s'en sépare par la mort,
car si les parties qu'elles anime viennent
à défaillir l'une après l'autre , il semble
qu'il y ait de la succession en cette retrai
te , & chacune manquant peu -à- peu
à son -tour , die 'viendra enfin à sortir
par la derniere qui l'anime , qui est le
cœur.
II est certain que comme notre ame
est une substance purement spirituelle,
il ne se peut dire qu'elle sort par aucu
ne partie du corps ; car de la même fa
çon que j'occupe ma pensée à la considé
ration des objets que j'ai eu autrefois,
ou des personnes que je connois , & que
cette même pensée s'exale de mon ame ,
fans qu'on puisse dire qu'elle fort par
aucune des parties de mon corps , ain
si l'ame à la derniere période de la vie
de Thomme , difparoit subtilement , sans
qu'on pujsïe dire qu'elle fort , ni par òù
elle fort. 1 " -
46 la fie'
Supposé néanmoins que scion l'opl<-
nion la plus commune , le cœur soit le
premier vivant & dernier mourant de
ranimai , & qu'il ne possede sa vie natu
relle sans l'haleine, & le respir qui lui est
communiqué par le poulmon , pour ra-
fraîchir l'ardeur qui l'enfUme, nous pou»
vons dire qu'en quelque façon l'ame fors
du corps avec l'erfbrt de ce dernier res*
pir , non pas qu'elle soit jointe ou at*
tachée à l'exaknson de ce souffle subtil ;
mais parce que le poulmon n'exallant
plus ce petit vent par Pesprit , il s'ensuit
bien de-là que cette opération naturelle, '
est ce qui maintient le corps en union
avec l'ame , qui pour être composé d* -
parties contraires l'irmà l'autre, cette
harmonie naturelle affoiblie se corrompt
& enfin se dissout , & à cette corruption
& dissolution de la partie succede la re.
traite de l'ame , & sa séparation d'avec
le corps , ainsi que la liqueur quiseroît
dans un vase fragile, s'écoule- entiére
ment & se perd , étant fracassé & mis en
pieces. .
Au même instant que l'ame est sépar
rée du corps , elle est portée en l'un des
quatre lieux suivans ; ou au Ciel pour
jouir
de S. Patrice. 47
jouir de la! gloire bienheureuse, fi elle est
trouvée en état de grace , ou aux flâmes
du Purgatoire, si elle n'a pas pleinement
satisfait à la Justice Divine , pour les fau
tes qu'elle a commises ici-bas , ou aux
Lymbes des petits enfans , si elle n'a
point étç ondoyée des sacrées eaux Bap
tismales , ou finalement dans les brasiers
infernaux , si elle est trouvée criminelle
devant le Tribunal de la Justice Divine.
Ce monde visible que nous habitons
est plein & rond comme une Sphere ou
une boule , fans qu'il s'y rencontre rien
de vuide , l'air même est occupé de corps,
quoiqu'ils ne se voyent pas , & ne paroif-
sent point à nos yeux , ainsi qu'il paroit
par le son qui touche nos oreilles , cet
élement subtil étant frappé par l'impul-
sion violente de quelques corps solides ,
& encore en quantité d'autres expérien
ces & sensibles effets qui frappent fort
souvent tous nos sens.
Le lieu le plus bas du monde est 1«
centre de la terre , qui n'est point indi-
visiìble au milieu de son sein , & en cs
point imaginaire est l'abime de l'Enser.
Et le Ciel empiré , où est le séjour de la
Divinité , & la demeure des Bienheii
4t La Fie
reux , est au plus haut de cette machine
ronde. Le Ciel à proprement parler,
veut dire , comme le cercle de la terre ,
d'où vient que parce que chacun des
quatre élémens l'un comme l'atitre;assez
souvent chez les Poètes , ils font appel
iez du nom du Ciel.
Le Purgatoire est entre le Ciel-&l'En-
fer , quoique non tant éloigné de l'un
qu'il est proche de l'autre ; car pour ainsi
parler , il est voisin & milotrophe de ces
lieux ténébreux , toutefois il est situé en
tre ces deux extrêmitez. Le Lymbe des
petits enfans n'en est pas aussi beaucoup
éloigné.
Un peu plus haut , il y a encore le sein
d'Abraham , où étoient retirées les ames
des Saints Patriarches & des Prophétes ,
& de tous ceux qui étoient décédez en
état de grace au tems des Loix naturelles
& écrites , jusqu'à la venue du Messie au
monde , qui les devoit toutçs transferer
au Ciel , pour prendre posiession de la
gloire qu'il leur avoit acquise par son
Sang & par fa Mort.
Et parce que mon dessein est de traiter
seulement du Purgatoire , pour parler
avec plus de fondement & de cla. téde
de S Pafrìce. 49
celui qu'on nomme de S. Patrice, je pas-
serai sous silence le discours des autres
lieux , & n'en dirai qu'autant qu'il fera
nécessaire pour l'éclaivcissement du sujet
' que j'entreprens , étant une matiere as
sez souvent disputée entre les Doctes, &
puissamment autorisée par la Foi Catho
lique.
Les Justes , qui détachés des foins de
cette vie mortelle , sortent de ce monde
sans aucune tache de coulpe vénielle,
fans ètretféiiquataire à la Divine Justice,
des peines temporelles dûës aux crimes
mortels , dont ils se sont confessez & re
pentis , iront tout droit au Ciel pour
jouir áeia gloire & de la vision bienheu
reuse de l'Essence Divine , de contente-
mens si grands de l'csprit humain , quoi
que d'une capacité infinie est trop res-
traint & limité pour n comprendre l'e
tendue. II faudroit que le même Dieu
qui les a préparées à ses Elus", élevât no
tre entendement au-dessus des bornes de
son activité pour nous faire concevoir ce
souverain bien , & que nous ouvrant les
yeux dé l'esprit , il nous obligeât à vivre
enfortc pour mourir, que la mort en no-
.tre égard changeât de-nom , &fût plutôt
jo La Vie
* appelle un effet de la divine Providence,
qui heureusement nous fait mériter la
jouissance des plaisirs dans lesquels nous
serons un jour comnïe absorbez dans L'é-
ternité bienheureuse.
Ceux qui par un malheur déplorable
ont mal usé du Sang précieux de Jesus-
Christ, épanché si libéralement pour eux
fur k Calvaire , & ont négligé le secours
des graces dont il lesabénignement favo
risez en cette vie misérable , décédant en
état de péché mortel , qui est le même
que mourir en sa disgrace finale , dont la
seule pensée me fait fremir de crainte , &
me glace le sang dans les veines , ceux-
la , dis je , iront pour jamais recevoir les
chátimens & les supplices de leur juste
condamnation aux flâmes éternelles de
l'Enfer , où les peines font si sensibles &
si cuisantes , que la premiere qui s'offre
à la pensée humaine , semble être la plus
grande de toutes.
Or quoique ces peines soient presque
infinies en nombre , ausíi - bien qu'en
leur durée , j'en toucherai néanmoins v
seulement vingt en passant des plus cui
santes pour les faire redouter au Lecteur
de cette Histoire , dix de celles qui sònt
de S. Patrice. Çi
destinées pour crucifier le repos , & des
autres qui sont préparées pour affliger
les ames, afin que la vive crainte de leur
rigueur nous serve d'une sorte bride , &
d'un frain puissant pour nous maintenir
en notre devoir , & pour arrêter le cours
de notre libertinage , & de nos crimes ,
& aussi afin que maintenant nous en
considerions les atteintes , & . prenions
pour ázile assuré dans nos frayeurs la re
traite amoureuse du côté ouvert de Jesus
crucifié , d'où abonde toute la gloire,
& l'heureux repos des Justes-
La première est la peine d'un feu éter
nel qui brûle fans cesse , & ne se coufom-
me point; car encore que ce feu toit cor--
porel , & l'ame spirituelle , il arrivera
néanmoins > que comme pendant qu'el
le étoit unie au corps , elle ressentoit les
mouvemens des passions qui l'agittoient
& souffroient violence par leur révolte ,
ainsi que la Justice Divine permettra
qu'elle endurera véritablement les ar
deurs de ce feu ensouffré , que si par
eflet elle étoit unie au corps & le faifbit
.vivre.
Gette peine fera suivie d'une seconde
toute contraire à la premiere i qui sera
Eiij
Ji La Vie
d'un froid très aigu & pénétrant , en telle
forte que deux contraires opposez se li-
-vrant une-guetre cruelle , & se combat
tant l'un l'autre eri un mème sujet , sans
le pouvoir détruire 5 redoubleront beau
coup le? douleurs des coupables, La
troisiéme fera.im bruit effroyable qui fra-
pera vivement leurs sens , & assourdira
ks oreilles de chacun des condamnés ,
qui se plaindront impitoyablement de la
rigueur de leurs peines , quoiqu'en vain,
étant fans remédes. La-quatriéme , fera
une épaisse fumée , qui dans une opiniâ
tre continuité offusquera les sens , & leur
étouffera le respir , fans qu'ils puissent
mourir. La cinquiéme , fera l'horrible
puanteur du feu enfouffré, dont ils brû
leront , & de la fange dont ils seront in
fectez , pour les douces odeurs , dont ils
auront mal usé dans leurs délices. La si-
xiéme,sera fhideuse & perpétuelle vision
des démons effroyables , & des mèmes
condamnez , dont chacun d'eux servira
d'épouvente à l'autre, n'en pouvant sup
porter la présence ni k vûë. La septié
me , la faim cruelle & canine qu'ils souf
friront à jamais , outre que leurs mem
bres seront totjs disloquez , dèjoints par
de S. Tátr'ue. 5J
la violence des tourmens , l'aigreur de
leurs douleurs. La huitiéme , la soif in
satiable qui leur sera causée du brasier
ardent qui leur rongera les entrailles &
le cœur , & qui leur fera hideusement
ouvrir la'bouche & claqueter les dents ,
avec des grimaces effroyables, criant fans
cesse à la soif, fans que personnes prenne
compassion de leurs plaintes. La neuvié
me , la foule & l'empressement où ils fe
ront serrez parmi le nombre infini de
malheureux ; en telle sorte que quand la-
malice des démons se lasseroit de les
tourmenter , ilsseroient encore assez af
fligez par les approches des uns aux
autres. La dixiéme & derniere , fera la
honte & consusion horrible qu'ils souf
friront , de se voir exposez tout nuds &
traitez fans pitié, comme des esclaves
ou des forçats- de Galere.
. Les peines qui d'autres côté tourmen-
" teront î'ame , ne font pas moins cuisan
tes que celles du corps , ce font les dix
suivantes. La premiere, est la privation
éternelle de la vision bienheureuse de
l'Ëssence Divine , notre souverain bien ,
qui est le plus grand malheur & le plus
criíel supplice qui puisse tomber dans la
Í4 Lé Fie'
pensée de l'homme ; car jamais personne
ne pourra exprimer suffisamment le dé
sir insatiable qu'à une ame raisonnable
de voir son Dieu en face , dont elle est.
l'image vivante. La seconde, sont les re
mords continuels de conscience qu'elle
ressentira , connoissant avec quelle équité
& justice elle aura été condamnéeàtantde
íbuffrancepour l'énormité de ses crimes ,
& combien elle nuroitpù facilement pré-
vonir son malheur , & le garantir de ces
peines se faisant enrôler par ses bonnes
œuvres au Livre de Vie , où font écrits
tous les Elus. La troisiéme, la haine en
ragée qu'ils auront conçue contre les Jus
tes , voyant l'accueil favorable des An
ges , & le bon traitement que Dieu leur
fait dans le Ciel , & l'extrême rigueur &
sévérité dont il châtie justement leur ré
volte. La quatriéme , í'horreur & l'aver
sion étrange qu'ils ont de Dieu , quoique
vaine & fort inutile , quoiqu'elle ne leur
sert que de honte & d'accroissement à
leurs supplices. La cinquiéme , l'en vìeu-
se jalousie qu^ils conçoivent fans cesse de
la félicité des Bienheureux , à laquelle ils
ne peuvent attendre , ni même jamais
prétendre. La sixiéme , la crainte des
de S. Patrice. 5f
peines encore plus cuisantes & sensibles,
dont les démons les vont toujours me->
nac;int pour intimider leur foiblesse par
la vive appréhension de nouveaux touc-
rhens. Le septiéme , ['assurance trop cer
taine qu'ils ont que leur condamnation
est pour jamais , fans ressource d'espé
rance qu'elle puisse quelque jour prendre
fin , ou leur donner un petit moment deS
relâche. La huitiéme , la tristesse en
nuyeuse , les chagrins importuns qui
leur rongeront le cœur , déplorant leur
désastre éternel. La neuviéme , le grand
désir qu'ils ont de mourir', ou de s'a
néantir tout- à fait dans le désespoir final
que quelque jour assez heureux puisse
arriver , qui termine une vie si lamenta
ble , qui traîne après foi tant de miseres.
Là dixiéme , finalement l'horreur & la
honte qu'ils auront de l'excès des cri
mes qu'ils ont commis , tandis que l'â
me étoitunieau corps , qui pour lors
seront tous exposez avec opprobre à la
vûë de tout le monde. Cette consusion
leur fera souhaiter mille fois que la terre
ouvre son sein pour les engloutir fans
pitié dans le creux de ses abîmes , plutôt
56 La Vie
que de souffrir que leur infamie soit dé
couverte , devant tant de' pei sonnes ,
leurs honte exposée publiquement à sa
face du Ciel & de la terre.
Les petits enfans décédez au ventre
de leurs Meres, ou qui n'ayant encore at
teint l'áge de discrétion ,'ni l'usage de
raison , meurent par quelque accident
funeste, Gins avoir été ondoyez des eaux
Baptismales", & régénérez de l'onction
du S. Esprit , par la grace qui se confere
à la réception de ce Sacrement : auront
les Lymbes pour retraite éternelle , &
quoiqu'ils ne font pas touchez de la pei
ne du sentiment , comme_les damnez
pour leurs péchés actuels , ils seront
néanmoins privez pour jamais de la vi
sion de FEssence Divine , à cause de là
coulpc originelle qu'ils ont contracté aux
entrailles de leurs Meres dans la premie
re souche de la race humaine , qui est
Adam , dont ils n'ont pas été purgez par
le Baptême.
Si toutefois nòus n'aimons mieux , &
plus doucement penser avec S. Anselme,
6 ses autres Auteurs citez par Tyrijnus ,
sur Fexplication de la seconde Epitre de
S. Pierre , qui croyent pieusement que
de S. Patrice. " 57
tous les Imiocens coupables après le Ju
gement universel , habiteront la terre
( déserte pour lors par d'autres habi-
tans , ) après qu'elle aura été purifiée par
le feu qui procédera ce grand jour , qui
alors ( disent-ils ) fera émaillé de qunnti-
téde fleurs très odoriferentes,quine se fa
neront point comme à présent, qu'un mè-
mè jour les voir naître & périr , & de
grands nombre de beaux arbres portant
fleurs & fruits de toutes sortes , environ
nez de quantité de claires fontaines , qui
coulant doucement arroseront ces plan
tes de Vhiimidité de leur eaux , & enjoli
vés de tous les autres ornemens de la
nature , qui pourront contribuer à son
lustre & à fa beauté. De-là ces petits en-
fans , disent-ils , pourront contempler à
leur aise le Ciel , le Soleil \& les Astres ,
qui servent de flambeau pour éclairer ce
grand Univers , aussi- bien que la Mer &
les autres choses créées en ce bas mon
de , qui leur serviront de motifs puiflans
pour s'élever à Dieu , pour adorer , ai
mer & louer à jamais l'Auteur de tant de
rares merveilles , & que là ils méneront
ainsi éternellement une vie douce , tran
quille , paisible , & fans ressentir l'attein
58 La Vie .
te d'aucune maladie, ennuis, inquiétu
de ou dégoût de leurs force & condition,
& fans souffrir aucune peine sensible ,
qui n'est ordonnée que pour le péché ac
tuel; mais feulement de la peine du Dam,
qui est la privation.de la claire vision de
Dieu , dont-ils ne jouiront point en oet
état, pour n'avoir pas été purgez de la
tache originelle qu'ils ont contractée en
leur conception par la révolte de nos
premiers parens. Le sentiment des Peres
paroit si raisonnable , que je m'y arrête
d'autant plus volontiers , qu'il reléve da
vantage la miséricorde de Dieu dans les
effets adorables.
Le Lecteur curieux qui voudra s'ins
truire plus amplement de cette matiere ,
pourra consulter les Auteurs qui en trai
tent plus au long.
Ceux qui font partis de ce monde ,
chargez de quelques péchés véniels , ou
qui n'ont pas entiérement satisfait aux
peines dûës aux péchés mortels commis
& confessez , feront reléguez pour un
certain tems détermpé dans les flâmes
brûlantes du feuxlu Purgatoire, ou leurs
ames seront purifiées , ainsi que l'or se
purifie & rafine dans le creuset exposé à
de S. Patrice. i j9
la fournaise , auparavant que de préten
dre d'approcher de Dieu , qui est la pure
té même , qui les doit rendre bienheu
reuses. '
Et voilà en peih de mots les quatre
lieux destinez pour la retraite des Ames
après la séparation de leurs corps.
Pour suivre notre premier dessein , il
nous faut maintenant parler d'un autre
lieu appelle vulgairement le Creux , la
Caverne ou le Purgatoire de Saint Patri
ce, oùuh homme peut entrer pour ex
pier ses fautes , étant encore plein de vie
& en parfaite santé. Et quoique l'Eglise
Catholique notre Mere commune , ne
nous oblige pas fous peine d'anathème,
' & d'être infidéle à ses saintes Ordonnan
ces , à croire comme article de Foi , que
ce Purgatoire est une Caverne qui se
rencontre dans le monde, néanmoins
nous en avons des Traditions si authen
tiques , on en produit des argumens si
convamquans, des conséquences si plau
sibles , & des rail^ns si puissantes , que
c'est un acte de pieté Chrétienne de don
ner les mains , & ajoûter pieusement foi
parrespectauxTraditiohs de nos Peres qui
6d" " La Vk
Pont tenu pour certain , ainsi que vous
le pourrez remarquer ci - après , décria
vant par le menu toutes les particulari
tés & circonstances qui pourront en ap
puyer les témoignages , & en autoriser
la créance.
Et pour réussir heureusement dans ce
pieux dessein que quelque curieux de
mes amis , à qui je dois beaucoup de res
pect , tant pour l'autorité de leur con
dition , que pour leur bienveillance par-
ticuliete , m'ont obligé d'entreprendre.
Je diviserai ce petit Traité par Chepitre ,
pour plus claire intelligence de ce sujet.
Je traiterai entiérement du lieu où cette
Caverne est située. Après je parlerai du
motif qui excite charitablement- ce saint
Personnage à demander à la Divine bon
té , la grace d'un Miracle si extraordinai
re & si rare. En troisiéme lieu , je dédui
rai les fortes raisons & autorités graves ,
qui prouvent puissamment la vérité de
cette diligence , & les Réligieuses Céré
monies qui se pratiquent par ceux qùí
désirent entrer en ce ìiêh , & finalement
l'Histoire prodigieuse d'un Soldat débau
ché , qui pour faire une pénitence con-
digne & salutaire des fautes qu'il avoit
de S. Patrice. 61
commises , choisit cette Caverne pour
retraite dans la répentance de ses péchés,
~& de l'ample narrée qu'il en fit à la sor
tie. Nous décrirons toutes ces circons
tances par ordre , fans que l'un contre
dise à l'autre , & retranchant discréte
ment ce qui paroît apocriphe dans plu
sieurs Manuscrits qui courent parmi le
monde , nous tireront seulement la naï
veté de THistoire , comme il s'ensuit.

CHAPITRE III.
gui traite de la situation de la Ca
verne de Saint Patrice , & des
motifs particuliers qui obligèrent
ce Jamt Personnage à demander k
Dieu , quil lui révélât ce Purga
toire. r: -

I'J^ j a une petite Isle dans l'Hybernie


,du côté de l'Aquillon ; dans l' étendue
de laquelle il y a un Lac profond , dont
les eaux , au rapport de ceux qui ont été
en ce lieu , outre leur grande douceur ,
ont la fecrette vertu & propriété d'ac-
croitre la chaleur naturelle de ì'estomachi
6ì. Lá Vie
de sorte que quand un homme auroit bw
& mangé jusqu'à l'excès , & qu'il en a
bû à fa discrétion , la digestion s'en fe- ->
roit aussi aisément que s'il a voit pris son
repas eiì grande sobrieté , & en moins
de demi-heure se trouveroit ausîì dispos
qu'auparavant cette oppression , ou que
d'autant plus on en boit , plus on en
voudroit boire , fans pourtant en sentir
jamais aucun dégoût ; mais ce qui rend
encore plus merveilleux la secrette vertu
de cette eau , est qu'elle ne sorte pas de
quelque vive source , ou. d'une fontaine
courante , ce qui la rendroit plus pure ,
mais d'un Lac profond , bù elle semble ..
croupir ou dormir.
Un des côtez de cette Isle est environ
né de pins , de chênes , & de lieux mon
tagneux & déserts , qui ne ressentent ja
mais de rafraîchissement ou d'humidité,
d'autrçs eaux que de celle que les rayons
du Soleil font distiller des grêles & des
neiges , dont le Ciel n'est pas avare eri
cet endroic , parce que comme ce lieu est
élevé , & voisin de la moyenne Région
de l'air , où se forment semblables nié
de S. Patrice. 6}
teores , elles font-là bien plus fréquentes
qu'ailleurs ' -
La rigueur de ce Désert est si rude ,
que même les petits sentiers que les Ber
gers se sont frayez pour y conduire leurs
troupeaux , font horreur à la vûë , non
feulement de ceux qui voyagent s'y ren
contrant par hazard ; mais mème aussi
aux Habitans de la Contrée qui les fré
quentent tous les jours.
Au bas de cette rude & austere mon
tagne , se trouve une Vallée si belle & si
délectable , qu'il semble que la nature ait
. pris par dessein plaisir de l'enjoliver,pour
ï'opposer directement à la rigueur de ce
lieu plein de rochers , ou pour divertir
la vûë par la disproportion de ces deux
extrémitez si differentes , ou pour adou
cir l'austérité de cette rude montagne par
l'agréable diversité de cette Plaine ou
Vallée. De - là lesj?ochers ouvrant leur
sein empierré , jettent en abondance
quantité de sources d'eaux vives , qui
roulans d'un cours rapide & impétueux,
fondent ici - bas pour arroser le pieds
des Arbres , & fertiliser les Plantes de
l'humidité de leurs eaux. Là on entend
64 lAVìe
le sifflement des vents & le bruit effroya
ble des tempêtes & des orages , & ici ce*
ne font que zéphirs amoureux & ga- ~,
zouillemens de Rossignols & d'autres
petits oiseaux tiès agréables , qui Tom-
pant doucement le silence de leurs fre-
dons entrecoupez de feintes, font reten
tir l'air de leurs chansons ; chacun en son
petit ramage. Là les yeux étant éblouis
de l'horreur des Déserts affreux forment
des Tours , des Châteaux & des fortes
murailles propres à fa défense, de la hau
teur des rochers. Et ici de la variété des
arbres , ils figurent des Peuples & des
Citez bien ordonnées & réglées. Si bien ._.
qu'il semble que la vûë se trouve douce
ment fatiguée de la hauteur des rochers,
brûlez par l'exccífive chaleur des rayons
du Soleil quMes maîtrise , & de l'agréa- '
ble diversité des Peupliers plantés en sì
bel ordre , que les branches & les ra
meaux s'entrelaçant les uns parmi les
autres, s'embrasiènt amoureusement, &
se joignent en union par ensemble. La
terre est émaillée de fleurs , & d'un thin
odoriferant & si doux à l'odora que l'on "T
peut dire avec raison , que c'est l'ambre
commun des Forêts. ' ' *, -
K de S. Patrice. è<$
Les petits- ponts qt:e Ton a dressez
pôur traverser les ruisseaux des fonçai*
' nes, que les pluyes & les orages grossis
sent , & ont sait sortir de leur lit naturel-,
sont des matieres assez grossieres & de
bois mal poli , à fa faveur desquels néan
moins le Pasteur qui est un;peu élevé sur
une coline voisine descendante , y va.
conduire les Tjroupeìiux vagabonds de
ses petits Moutons , qui depuis le lever
de l'Aurore , jusqu'au Soleil couchaut ,
broutent l'herbe des prairies , & léchent
la rosées qui tombe à l'Aube du jour , sur
la pointe des herbes.
Et ce qui est encore plus admirable &
plus agréable à la vûë , est qu'il semble
que l'on voit en ce lien -délicieux , com
me un portrait naturelle des plus gran
des beautés de la nature, le Soleil termi
nant fa carriere sur le déclin du jour, pu-
roit en partie comme azuré , le reste ti
rant en inclination fur le rouge,,
Car entre les délicieuses prairiesde cet
te belle Vallée , & cette Montagne déser
te & inhabitée , est situé lin beau Mo
nastere de Chanoines Réguliers de l'Or-
dre de S. Augustin , autant profitable au
ftlut des Ames , qu'il est utile pour la
46 La Vie
nécessité des Corps ; car outre qu'en cc
S. Sieu , l'on administre dévotement les
Sacremens de la Sainte Eglise au Peuple
des Villages voisins ; cette Maison est
ausïì comme un Hôpital Général pour
recevoir les Pélerins & les Passans qui
abondent de toutes parts en grand nom
bre , tant pour entrer que pour voir ceux
qui entrent dans la Caverne de S. Patri
ce , qui n'en est pas fort éloignée , & qui
est faite en cette façon.
Presque entre les deux extrémités de
cette riche Vallée '& de cette rude Mon
tagne , où est cet étang ou ce Lac dont
nous avons ci-devant parle , il y a une
certaine concavité , comme une place
environ de deux eent pas de long & de
large , entourée de hautes murailles , &
clolé d'une forte porte fermée à clef, afin
qu'aucun n'attende d'y entrer, fans la li
cence expresse du Pere Prieur du Monas
tere , qui seule tn a la charge & entiere
administration. Cette porte étant ouver
te, on apperçoit un puits au milieu de la
place , & en un coin plus retiré , il y a
encore une autre porte fort obscure & si
cachée , qu'oruie Fapperçoit qu'en y en
de S. Patrice. 67
tratst , & là est l'embouchure de la Car
verne dans les entrailles de la terre , la
quelle est si petite & étroite , qu'à peine;
un homme d'une statue médiocre y
pourroit entrer fans se baisser , même il
faudroit courber la tête pour y demeu
rer assis feulement. II y a une petite fe
nêtre vers Ja main droite , par où le So
leil communique ses rayons assez avare-
ment , parce qu'elle n'est pas capable de
recevoir davantages de ses lumieres. II
y a une grosse rocheyers la gauche , qui
fui sert de courtine ou de rideau , & de
quelque part qu'on tourne , on la trou
ve environnée de ronces & de picquan-
tes épines , afin que d'abord on connois-
sè les hazards & les périls^évidens , où
s'expose celui-là, qui sans être armé d'u
ne puissante foi , & d'une forte confiance
en la. bonté de Dieu , se met à l'aventure
d'y entrer.
Voilà en peu de mots un petit crayon
ou une légere description du lieu & de
la forme de l'entrée de rette sombre Ca
verne. Les dangers périlleux qui s'y ren
contrent , les travaux qu'on y souffre ,
l'heureufefin de çe ceux qui y entrent, &
cómme ils doivent faire , ils se verront
tfg La Vie
au dernier Chapitre de ce Livre , en la
rélation de l'Histoire d'un Soldat norfi-
mé Louis Enìus , lequel y entra , ( ainsi
que font plusieurs autres ; ) mais d'une
courageuse résolution , pour expier lès
excès de ses crimes , qu'il ne s'étóit rien
vû de pareil jusqu'alors. Aussi est-il bien
vrai que Notre Seigneur lui fit plus de
graces , & lui fit resíèntir plus de ses fa
veurs extraordinaires , qu'à aucun -des
autres de pareilles entreprises.
Pour ce qui est du dessein qu'eût ce"
grand Saint de demander à Dieu un Mi
racle si manifeste , & toujours continuel
en faveur des Ames , le voici.
Après avoir annoncé plusieurs fois les
vérités de la Réligion Catholique , prê
ché d'un zéle servant la Foi du vrai Dieu
au Peuple de cette Isle , les voyant in
flexibles à ses discours , & insensibles aux
touches de l'amour de Dieu , & à ses ca
resses ; résolut enfin de les épouventer
par la crainte des peines & des rigoureux
cbátimens préparez aux rebelles à la voix
de D eu , à ses semonces divines , après
le cours de cette vie misérable , leur ra
contant par le menu les cruels tourmens
que' souffrent les damnés dans les bra
ât S. Pátrìce. £9
fiers enfouissez de Penser , & des peines
sensibles qu'áidurent les Ames dans les
— prisons de Dieu aux flâmes du Purgatoi
re , afin d'émouvoir leurs vœux à la ré-
pentance de leurs crimes , par l'appré-
hension des chátimens suturs , & les
obliger de retourner à Dieu pat ce motif,
puisqu'ils n'avoient pd être touchez par
ses Prieres & ses Oraisons. Mais ces
Barbares impénétrables de tous points à
ces paroles , étoient si obstinez en leur
mal{ce,'si endurcis en la dissolution de
leurs moeurs , & si aveugles aux claires
lumieres dès vérités Chrétiennes , que
comme autrefois les Gald'éens , ils ne fai-
faisoient état que du culte de leur faux
Dieux, & de l'adoration de leurs vains
Idoles , qui fourfroient impunément leur
libertinage. Si bien que tous les discours
salutaires & les belles remontrances de
ce S. Prélat leurs passoient pour des fa
bles & des contes faits à plaisir , parce
qu'ils naissoient & rriouroient à leurs
peaux , comme les chevaux & les mu
lets , faiis espoir de récompensé des bon-
r* nes œuvres , & sansxraintê' des suppli
ces destinez à leur malice en la vie futu
re , qu'ils ne croyoient pas ; car ils ne se
7o la Vie
pouvosent persuader la créance qu'Us y
eût , une gloire ou une félicité éternelle
préparée pour le salaire des bons , non-
plus que des châtimens rigoureux dispo
sez pour punir les crimes des mçchans.
De manière que dans cette pensée li
bertine , s»ns se soucier aucunement des-
sémonces du Ciel , ni des menaces des
peines de l'Enfer , chacun d'eux vivoit
selon son caprice & sa fantaisie , comme
des vrais Epicuriens ou des Sardanapa-
les déshonnêtes. Car les uns se laisoient
emporter sans frin aux mouvemens de la
colere , frappoient & massacroient impu
nément tous ceux dont ils s'imaginoient
avoir été offensez. Les autres charmez
des appas ensorcelez de la paillardise &
vohjptez charnelles, fournissoient à leur
sensualité brutale , tout ce que leur ap
pétit déréglé pouvoit désirer. D'autre
qui étoient adonnez à la gourmandise ,
passoient les journées entieres , & la plu
part des nuits cn des Banquets excessifs,
sYnyvrant comme des porcs -> jusqu'au
point même de se vautrer dans leur or
dure , & mourir pleins de vin comme *
des vilains. Car comme ils tenoient pour
principe infaillible de leur libertinage ,
qu'U
de S. Patrice. 71
qu'il n'y avoit point de vie suture à espe
rer après la présente qu'ils possedoient ,
ils essayoient de n'épargner aucuns déli
ces ou contentemens qu'ils ne se donnas
sent aux désirs immoderez de lenr natu
re dépravée.
Or ce S. Personnage voyant que la
perte inévitable de ce Peuple étoit atta
chée à l'incrédulité de la vie suture, dont
ils resusoient les lumieres; & qu'il _n'y
avoit point d'argumens assez puissans, &
de raisons assez convainquantes ou puis
santes , ni de révélations assez évidentes
pour les obliger à la créance d'une gloire
éternelle dans la jouissancede laquelle en*
troient heureusement ceux qui avoient
été purgez des péchés passez par la péni
tence , & qui étoit donnée aux gens de
bien , pour ample récompense des bon
nes œuvres qu'ils avoient faites pendant
qu'ils vivoient en ce monde. Et que
pour ceux qui menoient une vie liberti
ne comme eux , il y avoit des supplices
& des peines éternelles préparées dans
les Enfers , pour punir leur révolte &*
leur débauche. Et que tout proche de ce
lieu ténébreux , il y en avoit un autre
qui s'appelloient le Purgatoire , disposé
jx La Vie
par Tordre de la Justice Divine pour
purger les ames , qui mourant en la gra
ce de Dieu , n'auroient pas pleinement
satisfait aux peines temporelles dûës aux
sàutes qu'ils avoient commises & confes
sés. Voyant , dis-je, qu'il ne pouvoitleur
persuader cette créance véritable par la
force de ses raisons , il s'attristoit fort de
leur obstination , & s'il s'affligeoit enco
re plus., lorsqu'ils se mocquoient des dis
cours qu'il leur en faisoit , disant effron
tément que la souveraine félicité d'un
homme mortel , consistoit dans- la pos
session de beaucoup de richesses pour en
prendre ses plaisirs , son enfer à être ré
duit dans l'indigence des mêmes riches
ses , & dans la nécessité des choses cor^
porelles , & que son Purgatoire , s'il y
en avoit à souffrir , étoit l'agonie de la
mort corporelle , qui effaçoit alors tou
tes les fautes passées. De façon que tout
autre discours qu'on leút pouvoit avan
cer à ce contraire , étoit une erreur po
pulaire , & une pure tromperie pourje-
duire les simples.
Que si la vérité qu'il leur prêchoit
étoit si certaine qu'il l'assuroit, il leur fit
donc connoître par quelque représenta
de S. Pdírice. 7j
tion sensible qui touchât leurs sens, parce
qu'autrement , s'ils ne vòyoient de leur
yeux corporels par quelques signes évi
dent, de la gloire des bons, les supplices
des médians qu'il leur annonçoit , ils
n'y ajoûteroient non plus de croyance
qu'à toute autre chose qu'il pourroit
avancer sur cette matiere.
Ce motif excita chaí-itablement ce S.
Homme zélé pour le salut des ames de
ces infidéles opiniâtres, d'élever ses yeux
au Ciel , employant plusieurs nuits en
: ferventes- prieres , baignant fa couche &
)a terre de ses larmes, & lançant plusieurs
cuisans soupirs vers la Divine Majesté ,
essey ant de fléchir fa bonté adorable,pour
L'obliger d'éclairer d'un rayon denses sain
tes miséricordes! les ténébres de ces Bar
bares, & d'amolir leurs coeurs de rocher,
les retirant de leur incrédulité par un ef
fet de fa miséricorde , pour ne pas per
mettre que tant d*í&mes créées pour la
gloire du Paradis , sussent dévouez pour
Jamais aux flâmes dévorantes de4'Enfer,
& à être la proye des Démons , vû qu'il
étoit aussi facile à la Divine Providence
de leur manifester cette vérité Catholi
que , par quelque signe extérieur qui
74 L* Vie
leur imprimât de la crainte qu'il l'avoît
établie par sa Sagesse infinie.
II continua cet exercice fervent & —
pieux , environ l'espace d'un mois , y
employant les nuits entieres , & la meil
leure partie des jours , vacquans en jeû
nes continuels , & en mortifications aus
teres pour fléchir le Ciel à ses désirs, & l'o-
bliger de consentir à l'octroi de ses re
quêtes. Dieu , enfin vaincu de ses dou
ces importunités , lui apparut un matin,
& le mena en un lieu écarté , qui est ce
lui où nous avons dit être cette Caver
ne , & lui montrant du doigt cette Grot
te affreuse , lui dit : Que celui qui ayant ~
fait une entiere & parfaite Confejswn de
toutes fis fautes pxjfées , entremit avec une
ferme foi (S confiance en la bonté Divine ,
recevroit lentiere abolition de toutes les pei.
net qu'il mt'ritoit pourses pechés , & que non
feulement il verreit les châtiment destinez-
aux coupables , mais aussi les récompenses
íí la gloire préparée pour les Elus , & le tout
en unseuljour naturel avec ces avis salutai.
res , que qui voudroit y entrer , pense feule- i,
ment de curiosité eu de quelqtt uutrts motifs
que de son salut éternel , fans s'être acquis
U grâce que confere le Sacrement de fini-
de S. Patrice. 75
tence , oh qui étant entrés , croirait aux per
suasions trompeuses , Ç$ aux horribles blas
phèmes des Démons , dans la méfiance de
l infinit miséricorde de Dieu , serott condam
né d'y rester à jamais confiné , sans espéran
ce d'en sortir. Et après ce discours avan
cé V la vision disparut laissant notre Saint
rempli de tant de joye , & d'une si gran
de consolation , qu'il ne sçavoit au vrai
s'il étoit au Ciel ou sur la terre , tant par
la faveur signalée d'une si agréable con
versation , que pour la désirée révélation
qu'il eût de cette Caverne.
Le lendemain matin , il fit assembler
tout le Peuple, pour leur dire que Dieu
avoit eu compassion de leur aveugle
ment & de leur incrédulité , & comme
voulant suppléer à leur infidélité , il
avoit voulu par sa bonté Divine , que ce
qu'ils nioient avec tant d'opiniâtreté ,
parût évidemment à leurs yeux , & leur
fût sensible & probable ; & ainsi d'un
grand & saint zéle , leur raconta par le
menu tout ce que Dieu lui avoit com
muniqué pour le salut de leurs Ames ,
les avertissant de plus , que si aucun
d'eux avoit assez de courage & de réso
lution pour entrer en ce lieu , il se de
7S La Vie
voit confesser de toutes ses fautes , &
communier avec dévotion auparavant,
& qu'ainsi y entrant avec une ferme foi
& une solide espérance en la miséricor
dieuse bonté de Dieu , sans- rebrousser
d'un pas en arriere , ni pour l'appréhen-
sion des peines qu'il verroit , ni pour les
ménaces des Démons , dont il les avoit
épouventez , ils connoitroient claire
ment ce qu'ils avoient désiré de voir dès
eette vie mortelle , & surtiroient de-là ab
sous & entièrement libre de toutes les
peines & châtimens qu'ils avoient méri
tez pour la punition de ces désordres.
Tous demeurerent fort étonnez de ce
discours , admirant les rares merveilles
d'un si étrange prodige , & les promesses
avantageuses que leur faifoit ce S. Per
sonnage , si bien qu'au bout de huit
jours plusieurs s'étant assemblez sur l'as-
íurance de sà parole , résolurent d'y en- ,
trer , les uns poussez d'une sainte dévo
tion , d'autre par une vaine curiosité de
faire essai de la vérité de ce discours.
Aussi Dieu permit qu'il n'y eût que ceux
qui étoient en état de grace , & qui
avoient soigneusement observé toutes
les diligences que le Saint leur avoit en-
de S. Patrice. 77
joint, quî en sortirent heureusement dans
un généreux propos de mourir plutôt
mille fois , & de souffrir tous les tour-
mens imaginables , que de manquer dé
sormais de fidélité à aucun poûr de
créance des Mysteres.de la Foi , & de la
parfaite confiance qu'ils devoient avoir
en la bonté miséricordieuse de Dieu.
Et tous les autres qui par une curiosi
té trop téméraire y entrerent , y demeu
rerent confinez, fans espérance d'en res
sortir- jamais , pour juste punition de
leur incrédulité & de leur viè scandaleu-"
fe, sans que depuis on ait plus oui parler
d'eux , ni pú sqav'oir ce qu'ils font deve
nus. . ' '.
Ceux qui y étoient entrez dans le
motif qu'ils devoient , ainsi que j'ai dit ,
en font ressortis heureusement , & ont
raconté -les merveilles qu'ils avoient
vues & entendues au grand étonne
ment de ceux qui les écoutoient , &
tous depuis ce tems-là menerent une vie
si retirée & si sainte , qu'ils suyoient
même la fréquentation du monde & la
communication des hommes , traitant
seulement ensemble des- moyens les plus
78 La Fie
sûrs les plus efficaces qu'ils pourroient
tenir pour offrir à Dieu fans réserve
leurs corps & leurs Ames , & tout ce
qu'ils étoient & pnuvoient être par fa
bonté , en lui rendant des actions de
graces de les avoir si bien éclairez des
lumieres Célestes , pour les retirer de
l'aveuglernent où ils étoient plongez
auparavant , si bien que comme ils
fçavoient par expérience qifelle^étoit
la rigueur des peines de l'autre vie,
pour satisfaire à la Divine Justice des
péchés que l'on a commis en celle-ci ,
& desquels on s'est confessé fans y
avoir pleinement satisfait; ils essayoient
de vivre le reste de leurs jours dans
une telle sainteté qu'ils ne fussent pas
obligez en l'autre monde de souffrit
les peines du Purgatoire , pour satis
faire au reste des peines que méritoient
leurs péchés.

G iíj
de S. Patrice. 79

C H A p I T R E IV.
Ou est prouvé U certitude du Purga
toire de S. Patrice , far raison
& far autorisez,. a.
CEtte ancienne vérité est première
ment autorisée par la voye commu
ne de tous les Habitans du Païs , tous les
jeunes & les vieux, les Nobles & les Ro
turiers , mème jusqu'aux petits enfàns ,
tiennent cette Tradition fi certaine & si
indubitable, que qui voudroient leur per
suader le contraire de ce sentiment, ten-
roit l'impossible , d'autant que de bou
che , en bouche , & de tems eu autre , .
cette pieuse créance a pris un tel fonde
ment dans leurs esprits , qu'ils tien-
droient pour insensé & mal jugeant du
Christianisme & de la Foi Catholique ,
celui qui le révoqueroit en doute , parce
que de leurs propres yeux ils ont vu tant
d'expériences réitérées , & oui racon
ter tant de révélations à leurs Prédéces
seurs , qu'ils ont reçû la Tradition pour
véritable avec le lait qu'ils ont tiré de
leurs nourrices. De sortes que dans l'Hy-
8o La fie
bernie la vérité de cett e Histoire fameu
se s'hérite d'un chacun , comme un Pa
trimoine commun & héréditaire à cette
Nation.
Mais afin qu'il ne semble pas que
nous parlions seulementpar une simple
relation populaire, qui quelquefois don
ne plus de crédit par affection à la mer
veille, qu'à la vraye & semblable raison,
quoique souvent autorisée des Oracles
de l'esprit de Dieu , qui parle par leur
bouche. J'appuyerai la vérité de cette
aricienne Tradition par quantité d'Au
teurs dignes de foi , qui en ont particu
liérement traité , quoique fort succinte-
ment, pour n'être pas ennuyeux aux es
prits de ceux qui ont plus de curiosité de
sçavoir les secrets & les mysteres cachez
dans cette Caverne , que de s'affranchir
des doutes qu'ils en pourroient avoir, &
qui ( comme je crois ) donneront très
volontiers quelques heures de leur loi
sir , qu'ils ne trouveront pas être inuti
lement employées à la lecture de ce petit
Livre. Quoique cettè matiere semble de
foi un peu stérille , elle ne l'est pas tant
néanmoins qu'elle ne soit appuyée de
plusieurs Auteurs íiavans qui en ont
traité.
de S. Patrice. 81
Denis le Chartreux , au Livre qu'il a
composé , quatuor noviffimis homiuis, Art.
1 4. & au Jugement particulier des Ames,
Art. 14 Jacques de Janvese , de l'Ordre
des Freres Prêcheurs dans fa Légende
des Saints , décrivant la Vie de Saint Pa
trice. RadulpheHygedem , i» suo fo/t-
chr»nio. Csesarius Heisterbichcnsis en ses
Dialogues.
Montbrifius au Tome de la Vie des
Saints. Marc Marcelle , Liv. 1. Chap.
4. Marolicus Siculus en son Martyrolo
ge. Le Cardinal Bellarmin , au Liv. 2.
qu'il a sait du Purgatoire. Le vénérable
Bede, au Liv. 3. & 6. des Révélation de
Sainte Brigitte. Frere Dymes Serp. au
Liv. du Purgatoire , Chap. 16. JacqUes
Sotin en son Histoire Orientale , Chap.
3 f. Et entre tous très particuliérement,
Dom Philippes Osulevam , Hybernois
de Nation , en a traité doctement dans
sotì petit Abregé qu'il a tait de l'Histoire
d'Irlande , où parlant de ce Purgatoire ,
rapporte la Relation de l'Histoire du Vi
comte de Lerictos , Espagnol très vail
lant du Baron de Secret , qui entra dans
cette Caverne , après la mort du Roi
Jean d'Aragon son Maître, qu'il aimoit
8r La Vie
tendrement , pòur le délivrer des peines
dûës à ses péchés , à cause de J'ardent dé
sir qu'il avoit du salut de son cher Prin
ce , en réconnoissance de la grande affec
tion qu'il lui avoit portée , dont le Livre
aérévû , examiné & approuvé pair la
Sainte Inquisition de Portugal. Et plu
sieurs autres graves Auteurs qui traitent
de cette matiere , assurent que ce lieu est
certain, non pas afin qu'on se le propose
à croire \ ensorte que qui manqueroit de
foi en ce point t sut tenu pour Hérétique
ou Infidéle à la Foi Catholique , mais afin
qu'on y donne une pieuse créance , puis-
qù'e de-là il n'en résulte aucun détriment
ou scandale qui ternise la gloire de notre
Réligion , au contraire , ce qui exalte
beaucoup la miséricordieuse bonté de
Dieu , & reléve sa gloire , qui daigne par
trait de sa Divine Providence , réduire
les hommes à leur devoir par les ména-
ces & les exemples sensibles , qui mani
festent clairement la rigueur des peines
qu'on souffre en la vie suture , afin d'é
tablir plus solidement le Christianisme
en cette Contrée , où la foi Catholique
étoit si médiocre dans ses principes, qu'il
fut nécessaire pour l'autoriser davantage

de S. Patrice. 83
de produire ces signes visibles , & pour
les faire connoître & entendre à ces Infi
déles & Barbares , ce que la vraye Eglise
obligeoit de croire à tous ses Enfans.
Que si après des preuves atentiques
de tant de braves Auteurs signalés en
doctrine & en probité de bonnes mœurs,
aucun doutoit encore de ce Miracle ex
traordinaire, qu'ils prennent la peine de
lire S. Ggregoire au Liv. 4. de ses Dialo
gues. Les vénérables Bede , Liv. f. Ch.
3f . EtOenis* le Chartreux : De judicia
particulari animarum Où il pourra remar
quer des visions si admirables & si éton-
nantes,que fort facilement il donnera les
mains à leur crédit, se laissera vaincre par
la forcé de leurs raisons , outre celles que
rapportent d'autres Auteurs , que j'ai ci
tez cí-devant. Car s'il est'vrai ce que dit
S. Mathieu, cómme il ne faut point dou
ter qu'il ne soit certain , puisque c'est un
oracle de vérité énoncé de la bouche du
S, Esprit : Que toute la vanité consiste aux
temoignages quen donnent deux ou trois té-
moins. Qui pourra résister aux raisons
puissantes , & à l'aùtorité de tant de Cé
lébres Religieux & Historiens , comme
(
84 La rie
des témoins irréprochables signalés est
science & probité de vie.
Or pour entendre cette même vérité
débattue , avec plus de clarté & de fon
dement , il faut faire distinction de deux
Purgatoires , l'un qui est ordinaire &
commun , tenu & reconnu de toute l'E-
glise Catholique , sous peine d'Anathè
me, que l'on tient d'être prochain du
centre de la terre , & voisin de l'Enfer ,
où vont les Ames après la séparation des
corps , ayant quelque reste des peines
temporelles à purger pour les. péchés
commis écconfefles, ainsi que nous avonss
déja dit :^ & l'autre qui est particulier &
privilégié, pour quelque cause ou raison
secrette; ainsi que remarque Frère Dimas
Serpi , quand il dit que l'on a vû plusieurs
Ames , qui par une dispense singuliere
du Ciel, souffrant en quelques lieux par
ticuliers , & c'est de ce dernier genre que
nous prétendons traiter en ce Livre.
Pour donc le mieux entendre , il faut
diviser ce dernier encore en deux mem
bres , en ce que l'un s'appelle le Purga
toire des morts & l'autre des vivans. Au
premier , les Ames y sont transportées
fans les corps , & ces peines qu'elles y
de S. Patrice. 8J
souffrent sont seulement fatisfactoires &
non méritoires. Mais au second, l'hom-
me y entre tout vivant & en parfaite san
té , & mérite autant ou plus par les pei-
Hes qu'il y souffre , que par les bonnes
œuvres qu'il a faites. Le Purgatoire do
S. Patrice est de ce genre. Un homme
vivant y peut entrer de fa propre volon
té & franchise : & là par la rigueur des
peines qu'on y endure , tant de l'ardeur
de flâmeí que de la froidure des glaces ,
pour expier & se rendre quitte en l'espa-
ce de vingt-quatre heures , de toutes les
peines dûes aux péchés , ausquels il n'au
ra pas satisfait entiérement.
Quelqu'un peut - être avouera fran
chement que^ce Miracle est arrivé au
tems de S. Patrice ; mais il niera tout à
plat qu'il ne continue plus , & qu'il ne
subsiste plus à présent ; à cela je répond
qu'ayant été accordé ert ce tems-là , & à
la Priere de ce S. Prélat , non-feulement
il n'est pas hors de propos , mais frès
convenable qu'il se trouve encore , par
ce que le dessein qui obligea ce S. Hom
me , pour lors d'en demander à Dieu le
Miracle , sut la réduction des Gentils à
la connoissance des vérités de l'Evangila
%6 La Fie
qu'il prêchoit par cette expérience sensi
ble ; il demande surquoi les Hérétiques
d'appresent parlent , ils avoient plus de *
déférence & de respect du Purgatoire ,
tenu certain de toute l'Eglise , & d'au-
tres semblables vérités Catholiques que
ces Gentils parloient alors. L' expérience
commune montre qu'au contraire les Li
bertins $. Athées n'ont jamais eu tant
d'opiniâtreté pour s'opposer à -PEglise
Catholique , & pour nier insolemment
les peines pour punir les méchans , & la
gloire préparée pour récompenser les
bons après la vie présente ( qu'ils font en
ce tems. ) Outre que fi cette merveille „
cessoit , il semble qu'on pourroit prendre
de-là occasion de dire que Dieu avoit ra-
courci le pouvoir de ses anciennes misé
ricordes , & resserré la main aux béné
dictions dont il a autrefois favorisé l'iri-
gratitude de cette Nation infidelle , pour
leur faire connoitre que nonobstant leur
malice & impiété , son désir & son soin
est si grand que chacun profite des tré
sors du Sang précieux qu'il a répandu
libéralement fur le Calvaire , pour le sa
lut de tous les hommes , qu'il n'épargne
aucun foin pour les obliger à croire les
de S. Patrice. ' %j
Mysteres & esperer en sa Divine bonté.
Je m'étois proposé de ne laisser glisser
- aucun mot Latin en ce petit Livre, pour
ne pas divertir l'attention du Lecteur de
la suite de l'Histoire,néanmoins,afin que
cette vérité soit encore plus solidement
appuyée & autorisée , je produirai seule
ment quelques Vers d'un Hymne sacré ,
qui se chantoit autrefois dans l'Eglise
d'Hybernie à la gloire de Dieu & à la
louange de ce grand Saint , & en mémoi
re de ce Purgatoire , qui à mon avis n'est
pas une des moindres preuves qu'on
puisse avancer pour confirmer cette vé
rité. Voici ce que les Vers contiennent.
Magna Patrisfunt miranda merita Patri-
ciis ,
Cui Dominas ejiendtt locum Purgatoriì ,
Qui viventes expurgent se delinanentes fi/ii.
Voilà les plus puissantes & pressantes
preuves que j'ai pû rencontrer pour con
firmer la Tradition de cette Histoire.
Mais la plus forte piece que nous avons
en main en notre égard pour l'autorífer
est la pieuse créance que nous y devons,
comme étant un motifpuissant pour exal
ter la gloire de Dieu , & recevoir ses Divi
nes miséricordes , pour honorer les mé-
H
- ' ' v- ' -
tt> La Vie
rites de sès Saints , augmenter la Foi Ca
tholique , & pour confondre l'opiniâtre-
té des Hérétiques, Infidéles & autres en
nemis de notre sainte Réligion S qui nous
font la guerre.

CHAPITRE IV.
Des religieuses Cérémonies, &des foi-
gnetifes diligences qttil faut obser
ver avant que d'entrer dan7"le
Purgatoire de S. Patrice.
SUppofé donc que S. Patrice ait déja
généreusement obtenu du Ciel par
ses prieres & ses larmes , l'effet de fa de
mande , & trouvé le lieu désiré de cette
Caverne mystérieuse, il faut maintenant
fçavoir^rois choses pour entendre le se
cret de l'entrce.
La premiere , quelle est le fruit que re
tire celui qui y entre. La seconde , s'il
est loisible & per mis à un chacun d'y en
trer. La troisiéme , quelle est la diligen
ce v & quelles font les cérémonies que
doit observer celui qui se met au hazard
d'y entrer , pour en voir la façon , en.
«xaniiner la profondeur , & toutes les
de S. Vátrìcc. 89
autres circonstances qin se remarquent
là dedans. Pour satisfaire à ces trois
Points , je dis qu'QUtre la conservation
& l'accroissement de la Foi en ce Pais ,
l'accôplissement des promesses dont Dieu
a favorisé les humains , & rendu récom-
manJuble la vérité que S. Patrice prè-
choit à ce Peuple , celui qui d'une géné
rosité constante avoit résolu d'entrer en
ce lieu périlleux , devoit être disposé à la
poursuite de ce saint propos , fans que
la crainte des tourmens , que la malice
des démons pourroient inventer pour
l'intimider, lui rit rebrousser chemin, ou
que l'horreur de ses crimes le fie desespé
rer un moment de l'infinie miséricorde
de Dieu , quoiqu'il voye devant soi &
expérimente en sa personne les dangers
que nous verrons ci-après. Le fruit qu'il
retirera de ce voyage périlleux , le doit
autant animer à la poursuivre heurei) se
ment y qu'il l'aura entrepris généreuse
ment , parce qu'en l'espace d'un jour na
turel , il satisfait entiérement aux peines
qu'il devoit souffrir en l'autre monde un
longtcms , pour les péchés qu'il auroit
commis pendant cette vie misérable,pour
graves & énormes qu'ils puissent être, &
9o La Vie
se trouve en pareil état de grace & d'in-
nocence,que celle qu'il reçut au Baptême.
Ge lieu pour le motif que je viens de
dire , s'appelle le Purgatoire de S. Patrice,
parce qu'en vingtqúatre heures de tems^
qu'on y demeure , on y efface tous les
péchés commis ; car comme l'homme
qui y entre est encore vivant de cette vie
languissante qu'il mene dans ce corps
mortel , il est aussi viateur , & partant
en état de bien mériter , ayant le princi
pe du mérite qui est la grace de Dieu par
les mérites qu'il s'acquiert au moyen des
peines qu'il souffre constamment en ce
lieu , abrége le nombre des années & des
jours qu'il devroit endurer dans les flâ
mes purgçantes du Purgatoire commun, .
•û l'on est contraint de payer exacte
ment jusqu'à la derniere obole , sans au--
tre espérance de pouvoir plus mériter,
en l'espace racourci des heures que nous
avons dit , pendant lequel tems , s'il sa
tisfait pleinement aux peines dúes à ses
feutes passées. . .Vv-V .í
Mais l'entrée de ce Lieu n'est pas ac
cordée à tous ceux qui s'y présentent; car
celui qui aspire à ce bonheur périlleux ,
doit être homme de grand coeur , & d'une
de S. Tutrice. 9f
probité à l'épreuve ; on se doit examiner
diligemment de son courage aussi bien
que de sa vertu ; car s'il avoit le cœur lâ
che, craintif& peu résolu en cette action,
il pourroit peut-être commettre quelque
trait de sa foiblesse en cette entreprise ,
lorsqu'il éprouveroit les peines si cuisan
tes , & prêteroit Poreille aux persuadons
^trompeuses & aux flàteuses promesses des
démons,& enfin qu'il pourroit désespérer
de la bonté & de la miséricorde de Dieu ,
& pour une juste punition de sa méfian
ce & de sa lâcheté , il demeurera pour ja
mais confiné en ce lieu affreux ; de forte
que ceux qui attendant son retour le
jour suivant , voyant l'heure précise de
la sortie déja passé , douteroient de son
salut, & le pleureroit comme perdu sans
espérance de le revoir jamais.
Ayant donc fait une exacte recherche
de la personne qui s'est présentée pour y
entrer, s'il se trouve que ce soit un hom
me courageux , qui soit non-seulement
disposé , mais même désireux de rencon
trer des occasions favorablespour souffrir
d'une constance généreuse tous les tour-
mens les plus cruels qu'ont enduré les
Martyrs dans l'ardeur de leur zéle pour
tt
9i La Vie
la satisfaction de ses fautes ; étant armé
d'une foi vive & parfaite confiance en la
Divine bonté , on l'cnvoye à l'Evêque
du lieu,auquel il rend exactement comp
te deïes pieux desseins , qui au lieu de
Fencourager à la poursuite de ce voyage,
essaye par toutes les voyes possibles de
la détourner de cette haute entreprise ,
l'exhortant en outre de faire choix de
quelqu'autre sorte de pénitence moins
périlleuse que celle-là , où il s'.alloit pré
cipiter ; car encore que plusieurs de ceux
qui y font entrez,en soient ressortis heu-
avec un succès glorieux de ^
la victoire qu'ils s'étoient proposée; beau
coup d'autres aussiy font demeurez pour
avoir manqué de fermeté en la foi des
promesses Divines , & de courage pour
triompher y fans crainte des menaces &
des tromperies des démons.
Enfin , le voyant fortement résolu à se
bazarder aux événemens douteux de ce
qui lui pourroit arriver aux rencontres,
il lui- donne des Lettres adressantes au *
Prieur du Monastere , avec lesquelles il
s'en va joyeusement vers cette Isle , où . "*
étant arrivé , il procéde au reste des cé
rémonies , selon la forme suivante.;
de S. Patrice. 9*
Cette Isle est environnée du Lac dont
nous avons fait mention ci-dessus,lcquel
serpentant en circuit , fait tant de petits
détours,que huit jours de tems ìv'étoient
pas trop long à un Pélerin pour le traver
ser à son aise , & le circuit tout douce
ment, puisqu'il en doit faire le tour à pas
comptez , cheminant lentement. Ce qui
a été prudemment ordonné par ce grand
Saint, pour donner un tems suffisant au
Pélerin de consulter ses pensées à loisir

trent en une entreprise si dangereuse.


Pour s'exposer sur les eaux de ce Lac,
oh lui équipe un Bateau si petit & étroit
qu'à peine y peut - il être à son aise touÉ
seul , pour lui marquer que les sentiers
de la vertu & de la pénitence font rabo
teux , pénibles & resserrez , quoique la
fin en soit large , fpatieuse & très douce,
puisqu'elle aboutit à Dieu-mème , donc
la grandeur est infinie , & l'étenduë sans
borne & fans limites.
Durant les neuf jours qu'il employe
à se préparer à ce voyage , on lui ordon
ne de jeûner au pain & à l'eau , & le
pain destiné pour fa nourriture doit être
sans levain & sàns sel ; aussi lorsqu'il
94 La Vie i
s'embarque sur le Lac , on lui en donne
de petites portions , autant qu'il en peut
manger chaque jour , durant l'espace de -
neuf jours. *
Arrivant au Monastere, il s'adresse au
Pere Prieur , auquel il donne les Lettres
de l'Evêque , lequel les ayant lûës a^ec
attention & respect , il le laisse reposer
environ deux jours , pour se préparer à
faire une Confession générale de toute sa
vie , ou s'il l'a fait auparavant que de se
présenter devant lui , il se réconcilie de
ses légeres fautes ; Payant réconduit à
l'Eglise nud pieds comme un vrai Péni
tent , il dresse ses vœux au Ciel , & fait
une humble priere à notre Seigneur
& à fa Sainte Mere , qu'ils daignent
le favoriser d'un regard pitoyable , pre-
nant compassion de fa misere, & ne point
l'abandonner en une entreprise aussi pé
rilleuse que celle qu'il médite , & que par
un trait de sa Divine bonté , il ne per
mette pas que son zéle , par tant de soi
gneuses diligences qu'il a déja apportées
au dessein de ce pénible voyage, lui soient
inutiles & fans fruit.
Cette priere étant finie , il va visiter
une pierre que l'on tient en réserve com-
^ - me
de S. Patrice. 9y
rae une Relique précieuse , où les vesti
ges des pieds de Saint Patrice font impri
més , & miraculeusement gravés , qu'il
baise & rebaise plusieurs fois , le conju
rant humblement par ses ferventes prie- -
res , de lui obtenir la force & le courage
nécessaires pour ne point appréhendee
l'entrée de cette rédoutableCaverne. En
suite de cette Oraison , le Prieur le mene
en un Dortoir régulier, où sont les peti
tes Cellules que l'on appelle les Cham
bres de pénitence , parce que chacune
d'elle n'est pas plus grande qu'un tom
beau ou un sépulchre d'un mort ; ausîî
y demeure-t'il l'espace de sept jours con
tinuels , comme étant mort au monde ,
taisant cette légere pénitence de ses fau
tes pour se préparer à une plus grande.
Chacun des jours m ntionnez , il des
cend par sept fois à PEglise , où il em
ploye chaque fois , environ une heure
de tems à l'Oraifon mentale , dans une
posture mortifiée Sfhumble , avec au
tant de rigueur & d'austéritez que ses
forces & son courage lui peuvent per
mettre. (-
Or en ce lieu se rencontrent toujours
beaucoup de Pélerins , & chacun d'eux
96 La Vie
en particulier porte les marques de fa
pénitence-, car on y voit les uns chargez
d'entraves & de rudes chaînes , les au
tres avec une mordache ou un baillon à
la bouche ; celui-ci revêtu d'une robe de
crain , serrée d'une grosse corde de mê
me matiere 4 & un autre chargé d'une
pesante Croix sur ses foibles épaules,
dont le poids lui fait pencher la tête ; de
forte qu'avoir seulement la posture pé-
ríitente de chacun d'eux , ceux qui les
contemplent en cet état de mortification*
tout doucement excitez à la dévotion, &
touchez de ressentimens de leurs crimes
commis , vû même que, je me promets ,
tant de la piété de ceux qui donneront
quelques heures de leur loisir à la lecture
de cette petite narration , que fans doute
ils seront touchez de répentance de leurs
fautes , & du désir de suivre leur péni
tence , si bien que soupirant doucement
après í'imitation de leur constance , ils
prendront une généreuse. résolution de
eorriger les imperfections de leurs mœurs
pour suivre les traces de leurs exem?-
Ples-
D faut de plus , que vous consideriez
pour la plus grande gloire de Dieu , & à
de S. Patrice. —— 97
Pavantage de notre sainte Réligion, que
non-seulement un ou deux Pélerins se
rencontrent à la fois en ce Saint Lieu de
mortification , mais une si grande af
fluence de Peuple y vient de toutes parts,
qu'un Auteur digne de foi , assure que
mille cinq cent Personnes s'y font ren
contree en même-tems.
Le- huitiéme jour étant arrivé , celus
2ui est trouvé disposé à entrer dans la
)averne , redouble les heures de la prie
re , parce qu'il se doit employer le lende
main à la pratique d'autre Cérémonie
que l'on observe devant cette entrée,
. ausH dès le soir précédant , on le conduit
dans une autre Cellule plus obscure &
bien plus profonde que celle d'où il fort
pour lors , dans laquelle.il n'y a ni siege,
ni couche , ni autre forte de reposoir ,
parce qu'il y doit être en posture décente
& réglée pour redoubler ses vœux au
Ciel , réclamer puissamment -le secours
Divin, & faire une plus exacte rechercha
de fa vie passée , pour reconnoìtre en dé
tail & par le menu, s'il n'auroit point ou-
'blié par mégard dans la précédente Con
fession qu'il a faite, quelque circonstance
nécessaire à examiner & à confesser , &
93 tA Vie
dès lors îl quitte le boire & le manger , sf
ce n'est qu'il prenne par fois quelque
goutte d'eau de ce Lac qui environne cet- *
te Isle , pour humecter ses lévres seiches
& arides de l'ardeur de fa priere , & ra
fraîchir fa langue & fa bouche alterée.
Le dernier jour de la neuvaine étant
venu, le Pere Prieur du Monastere assem
ble le Clergé , convie autant de Prêtres
qu'il s'en rencontrent en ce Lieu , & tous
îes Peuples des Villages voisins , en ap
prenant la nòuvelley accoururent en di
ligence , pour voir ces mystérieuses Cé
remonies, & admirer un spectacle si peu
commun. On descend le Pélerin à l'E- -
glise pour se confesser derechef , pour
communier dévôtement au S. Sacrement
de l'Autel : on chante la Messe desMorts,
comme au jour de ses sunérailles , à la
quelle il assiste avec beaucoup de dévo
tion & de ferveur, priant la divine bonté
de lui fortifier le courage pour réussir
heureusement dans ce généreux dessein.
La Messe étant achevée , le Pere Prieur
monte en Chair , & Payant çxhorté à la,-
constance , l'avertitdevant toute Tassem»
blée qui est nombreuse des périlleuses
rencontres , où il doit s'exposer en ce
de S. Patrice. 99
oeoyage , & qu'il est encore libre d'éviterj
car ne se contentant pas des pénitences
qu'il a faites , il en peut encore choisir
d'autres de même genre , pour s'arFran-
chir des peines qu'il redoute , & mettre
son esprit en repos. II lui représente que
la foiblesse humaine est si grande , qu'il se
peut faire qu'erftrant en ce Lieu , lafoi, la
constance , la persévérance ou le courage
venant à lui manquer,ou chancelant tant
soit peu dans la fidelle créance qu'il y doit
avoir, il demeureroit là pour jamais, fans
aucune espérance d'en pouvoir un jour
sortir , ainsi qu'il est arrivé à beaucoup
d'autres , dont on ignore le succès. II l'a-
vertit encore du mauvais traitement que
lui préparent les démons , qu'il aura à sà
rencontre , il fera exposé à la vûë de tous
les damnés qu'il verra au milieu des flâ-
dévorantes de l'Enfer , des atteintes des
quelles il ne fera pourtant aucunement
offensé , pourvû qu'il persiste généreuse
ment dans la constante résolution qu'il a
prise ; car quoique les démons le terras
sent epouventablement par leurs ména-
u ces , ils se verront néanmoins hors de
pouvoir de lui nuire , s'il continue dans
fa serveur , & qu'il réclame de bon cœur
I iii
ioo La Vie
le secours Divin dans une parfaite con
fiance en fa bonté. Mais s'il est fi mal
heureux que d'écouter les flateufes paro- —
les , & de suivre les conseils diaboliques
de ses esprits de ténébres , ou redouter
l'efset de leurs ménaces dans la méfiance
de la Divine miséricorde , & dans le dé
sespoir de l'assistance du Ciel c'est fait
de lui , il est perdu sans ressource , & le
voilà condamné à demeurer éternelle
ment fous l'efclavage dé ce joug tiranni-
que en leur pernicieuse compagnie ; le
Prieur autorise ce discours de raisons si
pressantes , avec des paroles si étonnan
tes & si rédoutables, que non- feulement ^
imprime de la crainte &de la teneur dans
Pesprit du Pélerin ; mais auflì de tous les
Assistansqui l'entendent discourir de la
forte , d'autant avec justë raison qu'elle
pourra être tissuë ou à la fin de celui qui
s'expose si courageusement à cette témé- ,
rité-Chrétienne. Le voyant ainsi tou
jours ferme & constant dans fa généreuse
résolution , le Pere Prieur le console dou
cement , il l'embrasse amoureusement ,
& lui donnant fa bénédiction , le munit *"
plusieurs fois du signe de la Croix , ainsi
que font pareillement tous ceux qui as-
de S. Patrice. ioi
listent à ces mystérieuses Cérémonies ,
dans un grand ressentiment de douleur
& de crainte , qui lui témoignent assez
par l'abondance des larmes qui distilent
de leurs yeux,douteux du succès de cette
périlleuse entreprise. Cela étant fait ,
tout le Clergé assemblé , les Prêtres , les
Religieux séculiers & réguliers le con
duisent ensemble proceslionellement juC
qu'à la poite de laCaverne , où le Prieur
l'exhorte encore à la confiance de la Di
vine bonté , qui ne manquera point de
le favoriser de son assistance & de ses grâ
ces , le retirant victorieux des dangers
aufquels il s'expose volontairement cn
ce Lieu , où il entre pour son amour , &
pour satisfaire à la grieveté de ses offen
ses , qu'il se souvienne parmi les hazards
dangereux où il se pourra rencontrer en
ce voyage de répéter souvent avec res
pect & dévotion , ces belles paroles quî
lui serviront de bouclier d'une forte dé-
fence. Jesus ~ Christ Fils de Dieu vtvant ,
faires miséricorde à moi misérable fi.
cheur. Et après l'avoir recommandé aux
Prieres de tous les Assistans , il ouvre la-
porte , & le Pélerin étant entré , il la
tot La Fit
referme sur le champ , & tous s'en re
tournerent proceflìonriellement à l'Egli-
se , ainsi qu'ils étoient Venus. Tous les
Prêtres célébrerent le S. Sacrifice de la
Messe cc jour-la à son intention , & le
lendemain étant venu à l'heure précise ,
ils retournerent tous à la porte de cette
Caverne , que le R. P. Prieur ouvre com
me ci- deVant , désireux de sçavoir le suc
cès de ce voyage dangereux , & si le Pè
lerin ayant franchi les dangers des ren
contres où il s'est exposé 3 se trouve heu
reusement au tems qu'ils arriverent - là ,
ils le conduisirent gayement & avec
grande joye dans l'Eglise , où tous en
semble rendirent graces à Dieu de l'avotr
fevoriféde son assiitáce,rayant';fait triom
pher victorieux de tant de. mauvaises
rencontres qu'il a faites dans ce voyage.
Après cet heureux -retour , il demeura
quelques jours , même autant qùe bon
lui sembla , avec les Religieux dans le
Monastere. Que si par un déplorable
malheur , il ne se trouve pas à la porte à-
l'heure même qu'il y est entré le jour
précédent , ils retournent lentement à
l'Eglise , tristes & affligés au double , à
«ausc qu'ils craignent tous fa disgrâce du
de S. Patrice", 10 j
íûceès de ee pauvre misérable , & tien
nent sa perte infaillible sans espérànce de
le revoir jamais. Voilà en peu de mots
l'Ordre & les Cérémonies qui s'obser
vent par ceux qui désirent encrer dans ce
Purgatoire de S. Patrice. Dans la suite
des Chapitres qui restent à décrire , nous
- verrons ce qui arrive au Pélerin dans
tout son voyage , par la succinte narra
tion de l'Histoire de Lotiis Enius , Soldat
dans les Armées d'Irlande , qui dans le
grand nombre de ceux qui y font entrez,
en est ressorti heureusement, & a racon
té nettement tout le succès de son voya
ge , ainsi que vous allez entendre par la
Rélation qu'il en a faite.

C H A P I TÌTe V I.
0» commence U RèUtion véritable de
{Histoire de Lo'uu Enius.
LOuis Enius prit naissance dans l'Isle
d'Hyberhie , d'où il sortit jeune avec
ses parens pour une petite disgrace qui
leur arriva , qui les obligea de quiter le
Païs , si bien qu'ils vinrent aborder à
Touleuse , Vjlle fameuse & rénommée
dans l'étendue de la Jurisdiction du Roi
de France , de l'autorité & protection
104 lá Vie
duquel ils se prévalurent en cette infor
tunée rencontre. -
Le petit Louis eût de grands avanta
ges par fa naissance ; il resta seul héritier
des biens de ses Ancêtres , mais il étoit
d'un si mauvais naturel , & d'une incli
nation si perverse & si libertine , qu'il
ternissoit beaucoup pair ses actions infa
mes, le lustre l'éclat des vertus dont il
devoit être légitime héritier de ses dé-
vanciers , auflì bien que de-leurs biens.
Sa Mere mourut de douleur en le pro
duisant au monde ; de façon que dès-lors
qu'il commença à respirer la douceur de
la vie du monde, il donna la mort à celle
dont ilavoit tiré son Estre. A peine avoit-
il encore atteint l'âge de quinze ans ac
complis , que son Pere décéda pareille
ment, ce qui sut la cause de son malheur
& la source de sa pejte ; car sa présence
lui servoit de frein fort puissant pour ar
rêter le cours de son libertinage , soit par
les sages conseils qu'il lui donnoit , soit
par la rigueur- des punitions dont il châ-
tioit ses débauches , mêmes par la feule
imagination de fa présence , qui souven
tes fois est un motif suffisant pour tenir
les enfans dans leur devoir ; car quand
de S. tutrice. 10s
. ils se représentent la rigueur d'unPere s'é-
vere & zelé pour leur bien , les parolei
ne font pas nécessaires pour leur faire
entendre l'effort de ses ménaces , c'est
assez qu'ils se souviennent qu'ils font su
jets de suivre les loix de fa conduite , &
de régler leurs actions , selon le mouve
ment de sa volonté.
Louis se voyant affranchi & libre de
toute façon du joug de ses proches , nou
vellement héritier des grands biens que
" lui laissa son Peré à sa mort ; commença
ses débauches par les amorces de l'a-
mour & du jeu , qui surent les premieres
démarches qu'il fit pour avancer fa per
te, si bien qu'en peu de tems il dissipa ses
biens si indignement,que-non seulement
il s'apprêtoit .à parler & à rire à ses en
vieux, mais même à ceux qui fe réjouis
soient avec lui , lui faisant escorte dans
son libertinage , quoique pour l'ordinai-
rêlelles sortes de personnes pallient la
honte, & dissimulent souvent les infa
mies qu'encourt la jeunesse par ses dé-
N bauches quand ils trouvent leur compte
dans ce commerce.Ses Parens luiavoient
laissé des biens suffisamment, non seule
ment pour paroître médiocrement par
io6 La Vie
mi ceux de sa condition , mais mème
avec éclat & avantage entre les plus bra
ves Chevaliers de son tems.
Mais comme le jeu a la longue est ain
si qu'une lime sourde , qui ronge peu-à-
peu & consume presque insensiblement
les plus riches Patrimoines. Louis fit un
si mauvais usage des avantages qu'on lui
avoit laissé par la succession de ses ayeuls, .
que de là à peu de mois , il étoit con
traint par nécessité d'emprunter de l'ar-
gent à intérêt de ceuxqui avoient gagné
le sien au jeu , & s'ils saisoient quelque
résistance , ne lui donnant pas de bon
cœur ce qu'il leur demandoit , il leur
ôtoit par violence , ce qui sembloit bien
plus facile que de le prendre à intérêt ou
par prêt. Qui n'a point d'Office , & qui
ne sçait point de Métier pour gagner sa
vie , & ce qui est nécessaire àTentretien
de son traint , & qui cependant veut pa-
roítre au monde avec autant d'éclat &
de magnificence que ceux qui ont tout à
souhait , est bien souvent contraint d'u
ser de moyens illicites & peu honorables
pour parvenir au point ou aspirent ses
desseins ambitieux.
Ce n'est pas une excuse recevable
de S. Patrice. 107
d'objecter la noblesse de ses Ancêtres en
Ce point , & que l'on doit être ajusté e»
un équipage íbrtable à une personne de
sa condition ; car il y a une picque en
Flandre & up mousquet en Italie , aussi,
bien pour les Nobles infortunés que pour
les Roturiers peu heureux.
Louis donc suivi de quantité de gens
de fa forte , ( comme en semblables fàc
tions on trouve assez de partisans, ) exer-
çoit le métier de tirer laine toutes les
riuits, & si quelqu'un pour défendre fa
bourse, son argent ou son manteau, fai-
soit quelque résistance à son attentat , il
lui ôtoit k vie aulîî bien que la bourse.
Les Ministres de la Justice dissimulè
rent assez longtems sur l'énormité de ses
seits, dans l'attente que touché de l'hon-
neur de ses devanciers > il arrêteroit le
cours de son libertinage. Car comme ils
avoient été les spectateurs de ses bonnes
mœurs & de la vie exemplaire de ses Pe
re & Mere défunts , ainsi que de ses au
tres Parens qui étoient encore pleins de
vie , ils espéroient que rentrant enfin en
foi - même , il corrigeroit ses désordres ,
amenderoic fa vie : & reconnoîtroit que
si l'on differoit plus longtems la juste pu
ioS LáVte
nition que ses crimes mériteroît , c'était
plutôt par compassion de^fa jeunesse ,
que pour la crainte de fa témérité.
II arriva toutefois qu'un Sergent qui
n'étoit pas plus conscientieux qu'un au
tre de sa sorte , jouant un soir avec lui ,
lui gagna beaucoup d'argent,sans prévoir
le danger manifeste auquel il s'engageoit
avec ce libertin, qui considérant fa perte
notable le chargea de mille sortes d'op
probres & d'injures , qu'il endura assez
patiemment , ainsi qu'il est fort aisé à ce
lui qui gagne de souffrir beaucoup de
choies fans répartie , & fans se mettre
en colere contre celui qui est interressé
de sa perte. Cependant Louis lui ayant
demandé la courtoisie qu'il exigeoit or
dinairement au jeu s'il arrivoit qu'il per
dit , & que le Sergent assez avare lui eût
seulementdonn'é quatre écus de son gain,
il lui semble qu'ayant égard à une som
me si notable qu'il avoit perdue contre
lui en cette rencontre , c'étoit trop peu
de chose qui lui offroit , si bien qu'avant
qu'il eût ferré l'argent de son gain , étei
gnant subtilement la chandelle, qui étoit
de son côté , il se jetta sur lui avec une
violence extrême , &iui arracha non
de S. Patrice. - 10J
feulement ce qu'il a voit perdu au jeu,
mais aussi tout ce que l'autre avoit ap
porté pour jouer , & ainsi le quitta en le
raillant. Le Sergent se voyant si maltrai
té , sè retira pour l'heure assez consus de
l'asfront qu'U venoit de recevoir dans le
dessein pourtant de s'en venger dans les
occasions qu'il méditoit , si bien que
Payant laissé en repos le reste de cette
nuit-là il s'en alla penser aux moyens
dont il se pourroit servir pour en tirer
raison. Le lendemain faisant réflexion
sur l'asfront qu'il prétendoit lui avoir été
fait par ce bandollier , & regrettant la
perte de l'argent qu'il lui avoit été volé ,
fit résolution de n'épargner aucune dili
gence possible pour le surprendre , &
dès - lors il s'en alla trouver le Gouver
neur de la Ville , pour lui donner avis
des crimes que commettoit impunément
tous les jours ce mauvais garniment,
s'interressant même bien fort en çe par
ti , lui découvrant la supercherie dont
il avoit usé en son endroit pour le vo
ler.
Or comme les fautes commises contre
les Ministres de la justice , quoique vé
nielles , ne laissent pas néanmoins de traî
ner avec soi une punition exemplaire, à
plus forte raison, quand elles font crimi
nelles & énormes. Voilà donc Lotìis at- -
teint d'un grand chagrin de Pappréhen-
sion des chátimensque lui préparoit déja.
son ennemi , le souvenir de ses fautes
passées lui tyraniseTame , & ne lui don
ne aucun repos en l'esprit ; fi bien qu'il
pense sérieusement à l'assurance de sà
personne , & déliberant sur ce qu'il de-
voit faire , afin d'éviter la rencontre & la
fureur de ses ennemis , comme il apprit
d'un de ses amis , que l'on faisoit des in
formations de fa vie, & que l'on recher-
choit les crimes qu'il avoit commis , il
prit résolution de se retirer dans un Mo
nastere de Religieuse , qui est distant en
viron de deux lieues de la Ville de Perpi
gnan , & là il demeura secrétement en la
compagnie de leur Pere Confesseur qui
étoit de fa connoissance.
Or il y avoit dans ce Monastere une
de ses Cousines germaines qui avoit fait
Profession il y avoit déja asíez longtems,
avec laquelle il avoit été élevé & nourri
dès ses premieres années , laquelle étant 4
en considération avec ses Sœurs pour fa
vertu & fa prudence , avoit un foin si
de S. Patrice. tit
particulier de lui , qu'il ne marrqtroit de
rien., & toutes les autres à son égard s'é-
tudioient à qui mieux , à lui donner du
divertissement pour chasser son ennui
dans fa disgrace.
Ce Louis étoit d'une vie li libertine &
si débauchée , ( ainiì que nous avons
dit , ) & avoit l'esprit & l'inclination na
turelle tellement portée au mal , qu'il ne
voyoit rien qui lui agréât , dont il désirât
la possession & n'aspirât à sa jouissance ,
quoiqu'impossible qu'il se la pût repré
senter. ^
Ayant donc tout à loisir envisagé sa
cousine , & reconnu qu'elle étoit assez
avantageusement parée des dons de la
nature, & douée d'une beauté assez rare,
se voyant réduit en ce lieu champêtre ,
privé de tout autre entretien conforme à
son humeur volage & libertine , que ce
lui de cette aimable Cousine qui lui
agréoit beaucoup , l'un l'autre , sous
prétexte d'alliance & de parantage , se
rendoient aisément à la Grille sou&la li
cence de la Mere Abbesse du Monastere.
Et quoiqu'elle se sut consacrée à Dieu
dès assez longtems , il sc résolut néan
moins de la soliciter puissamment. Si
K
i tt La Vie
bien que commençant par les principes
ordinaires en rencontres pareilles , il l'as
sura d'abord qu'il ne défiroit seulement -
que l'aimer civilement, qui est un terme
. que les femmes & les filles écoutent assez
volontiers , se persuadant qu'il n'y a pas
grand risque de se laisser aimer , &'qu'en
ce point il n'y a rien qui préjudicie à la
pureté de leur condition , ni à la bien
séance , comme fi de leur nature elles
étoient si fortes à la résistance des atta
ques., & si constantes dans la résolution
de la vertu , que sçachant qu'elles font*
aimées parfaitement , elles ne se plaisent
pas en cet amour , & s'y déledtant , elles „
ne donnent pas une réciproque affection
à l'amour dont on les flatte , & qu'enfin
dans le réciproque amour , elles ne pen
chent pas évidemment à la chute & ne
se précipitent pas dans le malheur.
Nous en avons un exemple trop fatal
entre nos mains pour en douter dans
l'Histoire tragique que nous poursuivons
à décrire , puisque les entretiens fami
liers, Poccasion présente, la proximité
du parentage & les flatteuses paroles ,
- v qui au commencement étoient reçûës
par civilité , comme par maniere de paf-
de S. Patrice. % 113
se-tems & de divertissemens innocens,
eurent cependant assez de force pour
troubler l'esprit & divertir les saints pro
pos de Théodosia , ( ainsi dissimuleront
nous la naissance fous ce nom emprun
té , ) qui fans avoir égard à fa condition
& à ses obligations , fans considerer la
fidélité qu'elle avoit si folemnellement
jurée par ses vœux à son Epoux céleste ,
lesquels violant par une ingratitude dam-
nable , où l'ouverturë de la terre & des
abîmes pour- l'engloutir toute vivante ,
seroit un trop petit châtiment pour pu
nir un crime si détestable , & pour satis
faire à la banqueroute injurieuse qu'elle
faisoit à son honneur^à la noblesse.de sa
naissance , & à la parole Volontaire qu'
elle avoit donnée au Ciel dès ses plus
tendres années , se résolut néanmoins de
consentir aux trompeuses paroles , &
.aux poursuites infâmes de ce Cousin dé
naturé , qui dans la suite de ses perni
cieux desseins , lui persuada de lui facili
ter l'entrée dans le Monastere , à la fa
veur des ténébres d'une nuit sombre ,
où avec les clefs propres qu'elle surpren-
droitdans l'occasion , ou avec d'autres
pareilles qu'elles fera contrefaire sur cel-
les-la,& qu'ainsi tous les deux raviroienn
ii4 La Vie
les trésors de la maison , prendroient
leur route vers l'Espagne où ils vi-
vroient en assurance & en liberté , se
pourroient aisément marier ensemble ,
sans crainte d'être découverts ni connus
d'aucun.
Une femme déja gagnée par le cajole-
lîient importun d'un séducteur, & éprise
de son amour , ne délibere plus fur les
événemens douteux qui peuvent réussir
dans fa facilité , qui lui pourroit donner
du repentir à l'a venir , elle n'a plus d'au
tre conseil à prendre que sur les moyens
qu'elle doit ténir pour réussir en ses des
seins. Aussi Théodosia trahissant les pré- ^
mieres pensées de fa piété, pour étouffer
le souvenir du sacrilége qu'elle alloit
commettre , -consentit aux lascives per
suasions de ce perfide Cousin , & fe ren
dit souple à toutes ses volontez.
Les résolutions étant prises de part &
d'autres , il envoya quérir deux de ses
amis les plus confidens pour le servir &
Paider en cette pernicieuse entreprise. II
entre^donc dans le Monastere subtile- ^
ment ^ pille tout ce qu'il y avoit de plus
précieux & de plus riche , fort dehors
nuittamment, emporte toutes les richet
de S. PAtrice. îi f
fes , & emmene avec lui l'abuséë Théo-
dosia , & chacun d'eux étant monté sur
un des chevaux qu'il avoit fait tenir prêts
pour le voyage , se trouverent à douze
grande lieues de-là avant que le jour pa
rût , & que l'on se fût apperçû de leur
suite & de leur larcin ; & ainsi arriverent
en peu de jours sur les terresv d'Espagne,
. où ils soûpiroient , ainsi qu'ils avoient
résolut. Louis choisit fa retraite à Valen
ce pour mieux jouer son personnage &
affectuer plus librement ses desseins , &
là se réposerent un peu pour rafraîchir,
leurs corps fatiguez de ce voyage , mais
fur tout la pauvre Théodosia , à qui la
lassitude de ses membres redoubloit à
tout moment , aussi bien que les élans
du crime qu'elle avoit commis , suivis
de grands regrets de son infâme action.
Bon - Dieu que les délices du monde
sont d'un étrange nature , mais qu'ils
font passagers & fuyards , puisqu'à gran
de peine dans l'espace d'un jour , même
d'un moment , ressent-on la durée de ces
plaisirs profanes , semblable à la fragile
beautécTùne rose qui s'éclos le matin au
lever du Soleil , se flétrit à sa grande cha
leur , & enfin se fane le soir , lorsque ce
il 6 Lu Vie
flambeau lumineux cache ses rayons
dans les Ondes.
Théodosia se considerent alors en un
état si different de celui dont elle v-enoit
de sortir ; déja son désastre lui étoit ma
nifeste, & connoissoit trop' évidemment
qu'elle venoit de passer d'une extrémité
à l'autre, étant sortie du comble de tou
te sorte de félicité , pour se précipiter à
perte d'œil au centre de tous les mal
heurs. . ; - :"V
Telle est l'inclination malheureuse de
notre nature corrompue, qui ne sçait ja
mais estimer la possession d'un bien à fa
juste valeur, qu'elle n'en ait souffert la
privation , après en avoir jouï à souhait.
Cette pauvre abusée ne ressent plus la
douceur & la tranquilité d'esprit qu'elle
trouvoit en sa petite Cellule : ellê se voit
privée de l'agréable compagnie , & de la
douce conversation de ses bonnes Sœurs,
elle- reconnoît combien est grande l'of-
fenfe qu'elle á commise contre la fidélité
qu'elle avoit jurée à son Divin Epoux ,
non-seulement par fantaisie imaginaire ,
ou par pensées contraire à la pureté qu'il
exige des cœurs , mais par des œuvres
impudiques , brutalement exécutées. La
de S. ?Airtu. x \j
banqueroute volontaire qu'elle a faite si
lâchement à son honneur , lui sert de re
mords de conscience , & lui efhcomme
un ver picquant qui lui ronge lc cœur &
les entrailles- ^e peu de reméde qu'elle
voit à fa disgrace & à ses malheurs , lui
donne par fois du répentir , de la lâche-
té , & d'autrefois lui inspire le désespoir
d'obtenir le pardon de son crime. -Puis
qûand elle fait réflection sur l'affront si
gnalé qu'elle a fait au Ciel , cette pensée
lui gène le cœur , lui tourmente l'ame ,
-& lui comble l'esprit de consusion & de
crainte. Mais sur-tout quand elle éventa
le dessein déshonnête de ce détestable
Cousin , lequel'se laissant emporter à la
pente naturelle de ses inclinations bru
tales , comme il étoit adonné à trois gen
ies de vices , qui traînent après eux une
longue fuite d'autres malheurs , & con
duisent enfin à une perte inévitable , c'est
à sçavoir la gourmandise , la paillardise
& le jeu. II ne sut pas beaucoup de tems
pour dissiper toutes les richesses & les
trésors de leur vol , si bien que dès la
premiere année de leur suite , il se trou
va réduit à une si grande nécessité & di
sette , que lie sçachant plus de quel bois
118 La Vie
faire fléche , ni où en prendre , pour-'trai
ter sa misérable vie. II sut contraint d'a
voir recours à la beauté de Théodosia ,
par un trafic infâme de son corps , qu'il
projettoit de prostituer à tous venans ,
l'obligeant pour cela de feindre qu'elle
fût fa Sœur & non pas fa Maîtresse , afin
de se mettre à couvert des Ministres de
la Justice , & pour rendre l'accès plus fa
cile aux Courtisans de la Ville ; & leur
donner l'occafion plus libre de solliciter
sa beauté aux dépent de leur bourse.
C'étoit Tunique meuble qu'il leúr res-
toit pour lors , pour vivre que la rare
beauté de cett*Ì)ume. Jugez je vous
prie, avec combien dè ressentimens & de
larmes-, l'infortunée Théodosia entendit
ce dernier coup de son malheur > voyant
nonobstant tout ce qu'elle avoit faiÉpour
contenter les défirs brutaux de ce profa
ne Cousin , elle n'avoit encore pû obte
nir de son soin les choses nécessaires
pour l'entretien "de fa vie. Tant s'en
raut , non content qu'elle se survint
dans fa misere extrême par son propre
travail , il vouloit encore l'obliger de
l'entrçtenir dans les débauches par les
attraits de fa beauté aux dépens de son
v honneur
de S. Patrice. i \9
honneur & de sa réputation , qui est
l'action la plus lâche & la plus indigne
d'un homme bien né qui puùTe tomber
dans fa pensée.
Cependant ce Louis libertin n'est- pas
unique au monde dans ce genre de vie ,
il se rencontre encore assez de gens de
pareil étoffe , qui pour mener une vie
plus aisée & plus oiseuse , vendent à prix
d'argent l'honneur de leurs proches , de
leurs filles & de leurs femmes même ,
par une honteuse prostitution.
Théodofia résista assez longtems aux
traîtresses poursuites , aux infâmes des
seins de ce Cousin dénaturé , jugeant
raisonnablement que de "se rendre com
mune de la sorte , étoit mettre publique
ment son honneur à l'ancan. Alors com,
me la nécessité force les plus grands cou
rages & surmonte la plus constante ver
tu , se voyant réduite en une misere si
languissante , elle se résolut enfin de le
contenter encore en ce point , ainsi qu'
elle avoit fait en tant d'autres , s'aban-
donnant indifféremment à tous ceux qui
- la carressoient pour leur argent.
* Théodosia courut ainsi toute l'Espa-
pagne , l'espace de dix ans , dans cette
-, l :
:\ ,
izo La Vie
façon de vivre déshonnête , jusqu'à ce
que touchée vivement d'une céleste lu
miere qui lui fit connoitre quq comme à
tous momenS,sa vie étoit en ha2ard avec
ce débauché , aussi courroit-elle risque
de son salut.
Lassée donc de ce libertinage & de
souffrir les affrons , que traîne après foi
une vie fi infâme , elle prit une généreu
se résolution d'abandonner ce méchant
homme , & d'aller secrétement trouver
un S. Personnage qui étoit dans une pe
tite Bourgade d'Andalousie , auquel elle
- fit une Confession générale de toute sa
vie passée , versant beaucoup de larmes,
de repentir , pour marque de fa cuisante *
douleur , & des sensibles regrets qu'elle
avoit au cœur de l'énormité de tant de
crimes qu'elle avoit commis.
Après cette humble Confession de ses
fautes, elle pria ce bon Pere d'avoir pitié
de fa disgrace, & de lui servir de secours,
pour remédier à ses malheurs, l'écartant
de la dangereuse compagnie où elle étoit
engagée avec ce libertin. Ce vertueux .
Religieux touché sensiblement des pleurs
qu'elle verfoit avec tant de douleur , se
sentit obligé par charité, de pourvoir au
de S. Patrice. 111
salut de son ame , & comme il avoit deux
Sœurs Réligieuses dans un Monastere
fondé au même lieu , il fit ensorte vers
la Supérieure , qu'elle y Jixt reçûë pour
servante, où elle demeura constamment,
malgré la résistance & tous les efforts que
Louis pût faire pour l'en retirer par ses
violences , & là, fit une pénitence si aus
tere & si exemplaire , qu'elle mérita par
sa bonne vie & par ses louables vertus ,
qu'on la traitât, npn plus comme ser
vante ou esclave , mais comme une sain
te vivante , durant l'espace de six ans
qu'elle y vècut , au bout desquels elle y
finit heureusement ses jours , laissant à
toutes les Réligiéuses de ce Monastere
les exemples d'une vie la plus parfaite
qui s'y sut encore vûë jusqu'alors. D'où
nous pouvons aisément croire , que son
Divin Epoux , touch de son répentir ,
modérera les peines & les châtimens qu'
elle méritoit pour son infidélité ; parce
que ce grand Dieu a l'humeur si doux &
si sensible à la piété , qu'au moindre sou
pir que pousse une Ame repentante ,
* pour lui marquerson répentir , il ouvre
ses entrailles & son cœur- pour nous re
cevoir à pardon , & nous faire ressentir
Lij
i£2, La Vie
les effets de ses grandes & divines misé
ricordes.
Qui voudroit faire une liste des lar
cins , des meurtres & des autres malices
noires que Louis commit durant l'efpace
de huit ans , après la retraite de Théo-
dosia , il fàudroit en faire un Livre tout
entier , fans l'Htstoire de fa Vie. Aussi
pour abreger , je dis , qu'au bout de ce
tems-là , il retourna à Toulouse assez mal
en ordre , l'âge lui ayant changé les traits
de son visage , il y passa pour inconnu ,
outre que ses principaux ennemis étant
déja morts , il pensa qu'il y pourroit vi
vre en assurance , sans craindre que l'on
fit recherche des crimes de fa vie passée.
Or comme il arriva en cette Contrée,
il trouva qu'on faifoit un grand appareil
de guerre} qu'on levoit des Soldats pour
mettre une Armée en campagne , cela
le convia à le faire enrôler au rang des
combattans, plutôt à dessein de suivre le
cours ordinaire de ses malices impuné
ment, que pour le désir qu'il eût de por
ter les armes pour le service du Roi de
France , dont il étoit Sujet naturel. II
offrit pourtant de faire tète à l'ennemi
avec les autres gens de Guerre : & com
de S. Patrice. 1 2, 5
me il étoit courageux & hardi , il fit des
exploits fi généreux dans les rencontres,
qu'il s'acquit de la réputation d'un vail
lant Capitaine en peu de tems ; si bien
que le Lieutenant de la Compagnie où il
s'étoit enrôlé ayant été tué dans la mê
lée, il lui succéda à sa charge par son
propre mérite , ce qui ne l'autorisa pas
peu dans ses débauches ; car déja appuyé
fur. l'assurance de son courage & de sa
valeur , se prévalant au surplus de la
prééminence de la charge qu'il exerçoit ,
il faifijit tous les jours mille supercheries
à tous ceux qui le fréquentoient. Mais
Dieu , dont la bonté inéfable surpasse in
finiment l'excès de nos malices , l'ayant
écrit au nombre de ses Elus , lui ouvrit
les yeux pour lui faire connoitre l'état
déplorable de son ame , & les précipices
étranges où il couroit à perte d'haleine
pou_r sè perdre fans ressource, lorsqu'il y
avoit moins d'apparence de reméde.
II arriva donc qu'ayant fait marché
pour un assassinat , il sortit seul de sa
chambre sur la brune pour trouver son
homme à l'heure. précise , qu'il croyoit
devoir passer par l endroit où il se cam
pa ; mais comme il l'avoit dévancé par
r»-
î 14 Lá Fie ,
un bonheur inesperé , il se résolu de Pat-
tendre pour s'acquitter de fa promesse
par l'exécution de ce massacre.
II n'y a point d'heures plus ennuyeu
ses à penser à un homme , que celles qu'il
employe à attendre quelqu'un de nuit
\dans la solitude & le silence , parce qu'a-
lors l'esprit agissant sans cesse , fait une
'révûë générale sur le passé , & se met en
mémoire toutes les actions bonnes ou
mauvaises que l'on a faites en tout le
cours de fa vie ; je dis ce mot en passant,
d'autant que notre Lieutenant qui étoit
dans l'attcnte importune de celui qui
dans fa pensée étoit au rang des morts ,
ne se souvenant d'aucune bonne action
qu'il eût jamais faite , & vû mème que
celle qu'il projettoit étoit une des crimi
nelles , il lui sembla qu'au dessus de son
chapeau il y avoit quelque chose qui vol-
tigeoit , quoique petit , faisoit pourtant
Un grand bruit , il s'écarta du lieu où il
étoit , & levant tant soit peu les yeux en
haut , vit un papier voltigeant en l'air ,
& qu'il fembloit tomber en terre. Cette
""nouveauté le surprit , & ne sçachant ce
que pouvoit être , il s'efforça autant qu'il
pût de l'àttraper ; de forte que rôdant çà
de S. Patrice. fi J
& là pour le prendre , il s'employa avec
tant de ferveur en cette diligence , qu'il
se trouva en peu de tems soit éloigné du
lieu ÓÙ.Ì1 s'étoit mis en embuscade , où
lorsqu'il retourna > celui qu'il attendoit
avec impatience étoit déja passé & ren
tré dans sa maison , & quoiqu'ilTappel-
la deux ou trois sois inutilement , il ne
voulut point paroître ni répondre, soup
çonnant quelque trahison qu'on lui fat»
soit ; sî bien qu'il sut contraint de re
tourner en sa chambre , & de remettre
à la nuit suivante l'exécution de sa ma
lice.
II passa le reste de la nuit & tout le jour
en grande inquiétude , rêvant sur ce qu'il
avoit vû si extraordinairement , ne pou
vant comprendre le mystere qui\étoit
caché dans ce papier qui avoit paru^à ses
yeux fans " le pouvoir prendre. Mais
comme fa témérité ne lui permettoit pas
de rien craindre, \a nuit suivante appro
chant , il retourna au même lieu , & dans
le même dessehîde la précédente ; le Bil
let retourna pareillement au même en
droit , pour l'importuner avec plus d'o
piniâtreté que devant , fans qu'il pût
comprendre le projet de ce prodige. Car
iì.6 LaVìc
ses pensées criminelles étoient si éloi
gnées du souvenir de Dieu & de ses mi
séricordes , qu'il n'avoit garde de se per
suader que c'étoit autant d'avis salutai
res que la Divine bonté lui donnoit ,
pour le divertirde ses pernicieux desseins,
ou afin qu'il arrêta le cours de son liber
tinage , ou bien ( comme l'infinie miséri
corde de Dieu ne manque jamais de dili
gence pour réparer nos disgraces & re
médier à nos maux , ) parce q.ue peut-
être l'homme dont il méditoit le massacre
n'étoit pas en état de mourir alors. En
fin , la troisiéme nuit se trouvant encore
au même lieu dans un pareil dessein , il
lui arriva ainsi qu'aux deux autres , ce
qui l'obligea à redoubler ses peines & di
ligences pour attraper ce Billet , ce qu'en
fin il obtint.
A peine eût- il ce papier entre les mains,
qu'il apperçút une Croix proche de lui
éclairée d'un flambeau , & au bas ces pa
roles écrites en notre Langue : Ici à été
tué un homme : priez. Dieu pour sou Ame.
II retourna sur ses pas , tout bouffi de
colere , & ouvrant ce papier avec vio
lence , il n'y trouva autre discours qu'
une mort en peinture , semblable aux
de S. Vátrìce. 117
représentations que l'on met sur les corps
des désunts au jour de leurs sunérailles ,
'avec cette inscriptions en gros caracte-
res:JE SUIS LOUIS ENIUS.Il
demeura assez longtems en défaillance ,
après cette lecture , si bien que ne pou
vant plus se tenir débout , les forces lui
manquant, il sut contraint de s'appuyer
à la muraille. Enfin, rappellant ses for
ces & son courage , & revenant de ses
pamoisons , il s'en retourna chancelant
comme il pût en la maison de son Hôte,
où il demeura huit jours entiers fans en
sortir, rêvant sur-cette nouveauté , &
considerant plusieurs fois ce papier qu'il
avoit lû.
Qui doute , dit cet esprit inquieté,
que ce ne-soit un présage assuré de ma
mort prochaine , & que déja le Ciel lassé
de mes crimes , m'avertit de ma perte
inévitable , ou bien peut- être , que par
trait de fa bonté ordinaire , il veut ap
porter par cette voye les remèdes à mes
malheurs ; mais quoi , que me servira-t'il
désormais , de résister à mes mauvaises
habitudes , & à mes inclinations bruta-
les , s'il est impossible de révoquer les
malices que j'ai commises , puis-je faire ,
i*8 - U Vie
que ce que j'ai fait ne le soit pas , de pren
dre la résolution de me confesser, qui eft
l'unique voye que je devois suivre , & „
le seul reméde auquel je dois avoir re
cours pour la guérison de mon ame, cela
me semble surpasser le possible ; car il y
a déja vingt ans & plus que je fais la
guerre au Ciel , comme ennemi juré, &
de Dieu & de fa gloire , fans m'être ré
concilié une feule fois avec lui par les
Sacremens de son Eglise , que les excès
de mes crimes ,' font en iì grand nombre
& si énormes , que le moindre que je
pourrois vomir dans ma confession ,
fcandaliferoit les oreilles d'un Confesseur
le plus accoutumé d'entendre les mé
chancetés des pécheurs les plus débor
dés & les plus obstinés en leurs malices.
De plus , quand je me confesserai de tout
ce que j'ai fait, qu'elle pénitence plusri-
goureuse & plus austere que puisse être,
seroit capable d'expier la moindre partie
de l'excès de mes fautes ? Qj i elles riches
ses pourroient satisfaire à tant de larcins ?
Quelles piétés pour tant de sacriléges /
Quelles vies pourrois-je prodiguer pour *
tant de morts que j'ai cruellement mis
au tombeau ? Si donc je suis hors d'es-
de S. Patries. 129
posr & de pouvoir de satisfaire à tant de-.
péchés si griefs , dequoi ferviroit ia con
fession de mes crimes , sinon d'une honte
insupportable de déclarer mes horribles
forfaits à un autre qui ignore mes mali
ces , & puis retourner aussi-tôt au mê
me état que je suis a présent. \'
C'est l'ancietine malice du démon;, &
sa ruse ordinaire d'animer de la force le
courage des hommes à commettre' les
crimes , & de leur imprimer de la crain
te & de la lâcheté au cœur , pour con-
feifer leurs fautes , dans le désespoir d'eu
obtenir le pardon. . .
Cette vérité est trop évidente en cette
rencontre pour en douter , vu que Lotlis
dans tant d'entreprises périlleuses , tant
à son honneur qu'à sa vie qui tenoient
plutôt de la témérité que du courage , il
n'en manqua jamais , & que maintenant
la feule imagination de son péché lui
fait peur, ne pouvant inventer à son
avis des voyes sûres pour le munir con
tre ses appréhensions.
II est vrai que les crimes font énormes,
& que les circonstances qui les accompa
gnent font aggravantes , néanmoins s'il
feit un poids, non seulement de tous le»
ijo La Vie
péchés qu'il a commis , mais 'qu'il' les
mette d'un côté dans le plat d'une ba
lance , & que dans l'autre il mette feule- „
ment une petite goutte du Sang précieux
que Jesus- Christ a épanché fur le Calvai
re pour le salut des hommes v 9ìCDJÍrnoî-
tra qu'aisément elle fera pencher la ba
lance , & emportera le poids de la grié
veté de fes fautes.
Louis donc , plutôt dans la méfiance
de l'humaine fragilité , que des divines
miséricordes , prit son chemin droit à-
Rome , dans la résolution de se confes
ser généralement au grand Pénitencier
de fa Sainteté de toutes fes fautes com
mises , avec un dessein généreux de fatis- "*
faire pleinement , au péril jnême de fa
vie languislante , à tant de crimes qu'il
avoit faits , si bien qu'entrant dans l'E-
glife de S- Paul, qui est sur le grand che
min d'Ostie , distant d'environ d'un
quart de b'euë de la Ville de Rome, il en
tendit prêcher un S. Religieux de l'Or-
dre de S. Dominique , d'un zéle fervent
d'attirer à Dieu les Ames les plus déses
perez , & ies plus perdues , crioit à plei- *
ne tête que personne ne perdit courage ,
pour criminel qu'il pût être devant Dieu
de S. Patrice. t$r
& ses Anges , qu'il conjuroit un chacun
de la part du même Dieu , de se préparer
à une Confession générale & salutaire de
leurs faute passées , & qu'ils trouveroit
une douce facilité à la rémission de leurs
offenses : arrêtant le courroux de ce Ju
ge Souverain , juste vengeur de nos ma
lices , & que lui-même ayant été le plus
grand pécheur de la compagnie , il les
confesserait tous fans s'étonner dequoi
qu'on lui pût dire , & que le plus grand
contentement qu'il pût recevoir en ce
bas monde , il le ressentoit lorsqu'il
voyoit entrer en sa chambre quelque
pécheur notable , repentant de ses ràutes.
Cet homme véritablement Apostoli
que , animoit son Discours d'un zéle si
ardent , qu'il sembloit bien avoir hérité
avec l'habit qu'il portoit , la ferveur Sc
les mœurs de son Bienheureux Pere S.
Dominique. Louis réveillant un peu son
courage abbatu de chagrin & de crainte,
& se sentant animé des favorables pro
messes de ce bon Pere , à peine le Ser
mon sut-il achevé qu'il l'alla trouver aus
si-tôt dans fa chambre , & se prosternant
humblement à ses pieds , lui raconta par
le menu , dans l'amertume de son cœur,
131 - La Vie
l'état déplorable de son ame, le cours de
fa vie libertine , & enfin , fa généreuse
résolution & son bon propos. Ce S. Re
ligieux touché de compassion de fa véri
table douleur le reçût amoureusement ,
& le traita avec une très grande dou
ceur , en l'exhortant de faire une exacte
recherche de saviepasïëe, depuis qu'il
avoit l'âge de raison ; & qu'il se trouve-'
roit soulagé des crimes qui l'accabloient,
quoiqu'il n'y ait point d'épaules au mon
de aflez fortes pour supporter le pésant
fardeau d'un seul péché mortel , beau
coup moins d'un si grand nombre , &
de tant d'espéces différentes.
Ce nouveau Soldat de Jesus-Christ , "*
obéissant très volontiers àses douces se
monces , se disposa à un Examen rigou
reux de tous les péchés qu'il avoit com
mis pendant la vie , parcourut les lieux
où il avoit été , fit une liste.de toutes les
personnes qu'il aVoit fréquentées , se
resfouvenaut des mauvaises habitudes
qu'il avoit suivies. Et parce qu'il crai-
gnoit que fa mémoire ne le trahit en cet
te rencontre ; il écrivit le tout par ordre -»
sur un billet , afin de rappeller avec plus
de facilité toutes les actions de fa vie paf-
y de S. Patrice. 15J
fée. C'étoit déja beaucoup de peines
fans être pourtant arrivé au point qu'il
désiroit , qui étoit de se confesser exac
tement , au moins à peu près de tous les
péchés qu'il avoit faits, qui pour être en
nombre excessifs , il en pourroit obmet
tre quelques-uns , s'il ne s'assuroit plu
tôt au caractere de fa plume , qu'à la foi»
blesse de fa mémoire. Le jour arrivé qu'il
de voit faire le récit de ses beaux faits, ce
bon Pere , l'accueillit avec tant de cour
toisie & de témoignage d'affection , que
fa civilité sembloit convier tout le mon
de à se confesser à lui. II semontroit bien
different de quantité de Confesseur de ce
tems qui traitent leurs Pénitens d'un vi
sage si sévére qu'ils inspirent plutôt la
crainte & la retenue aux cœurs , & à la
langue des pécheurs , que la liberté de
confesser leurs crimes.
Entre un grand nombre de fautes &
d'attentats qu'il avoir commis , ce qui lui
gènoit davantage Pesprit , étoit d'avoir
fait tant de meurtres , & tué tant d'hom
mes en mauvais état , qui à son avis ,
avoient été condamnez aux peines de
l'Enfer à son occasion. Si bien qu'il se re-
présentoit en soi-même queDieu l'appel
134 La Fie
lant à són Jugement pour lui demander
compte de ses actions , lui disoit ces
mots.
Hommes pervers , souviens . toi que fai
quitték Ciel, le séjour de maglttr* , &suis
venu en terre pour sauver tous les hommes ,
(Ì les racheter au prix de mo» Sang, les re
tirant d'une mort éternelle. Vefpace de
trente-trois ans , je mefuis soumis aux in.
jii mitez. Ç$ aux faiblesses de la nature hu
maine , qui ne répugnerent point à ma qna
ît'te de Sauveur & Rédempteur , & ai enfia
enduréles tourment les plus cruels & les plus
sensibles qui puissent tomber dans la pensée
daucun des mortels : Çi comme de mon exem
ple tant de Martyrs ont exposé leur vie , Ç$ ~r
épanché leur sang pour s'appliquer les méri
tes que je leur ai appris par la mienne , &
pour s'acquerir la gloire pour laquelle je les
ai créez, £? élevez,. Et toi , homme sangui
naire , sans penser à mes peines ^ au motif
qm mes les afaits endurer avec tant de conf-
tance,tu as mechamment ôté la vie à tant de
personnes , sans aucun sujet , qui pour être
trouvez- alors en ma disgrâce , ont étécon
damnez- sans ressource auxfiâmes cuisantes „,
a"un Enfer éternel. Or dis.moi de quelle
monnaye pourras.tu payer me perte fi nota-
de S. Patrice. 135
ble , Û? comment pourrois.tu rapporter le tort
que tu mas fan par tes meurtres , Çí de rritt-
-* voirfi injustement ravi toutes ces Âmes que
favois rachetées par le prix de tant defiteu*s,
de larmes & de tourmens , Çí ce qui est de
pire , tant degoûtes de mon Sang précieux ,
qui àson occasion ont été répandues , en vaim
pour le regard de ces Ames la. Par quelle
satisfatlion pourras - tu réparer un figrand
t _ dommage ? Puisque les mérites de ma Passion
se plaignent de ta malice -, teserviront d'ac
cusation au Tribunal de ma fustice vange.
rejse , Çí tant et'impuretet. qui seront la prin~
cipale cause de ta condamnation éternelle,
- ^ Le pauvre Louis roulant dans ses tris
tes pensées toutes ces considérations,
avoit peine à se fendre & à calmer son
esprit de tant d'inquiétude ; mais ce bon
Pere , comme sage , prudent & discret ,
désireux du salut de cette ame affligée ,
l'encouragea charitablement dans son
saint propos , si bien que s'étant proster
né à ses pieds , d'un cœur vrayement re
pentant , il se confeflà avec tant de dou-
" leur , qu'à peine les larmes qui ruisse-
loient sur son visage , lui donnoient la
liberté de la langue pour parler & décla
rer toutes ses fautes, ^ . ...
M
1- -
13^ La Vie
Ce S. Religieux voyant sa contrition ,
lui imposa une pénitence fort médiocre,
lui étant avis que la douleur qu'il témoi-
gnoit étant extrême , étoit. suffisante
pour le purger de tant de crimes qu'il
avoit commis. Ce jiouveau Pénitent
étonné d'un châtiment si doux pour ex
pier tant de fautes , demanda à ce bon
Pere s'il avoit entendu tout ce qu'il lut
avoit dit ; car s'il l'avoit oui , il ne pou-
voit comprendre comment une peine fi
légere pouvoit satisfaire à une si grande
coulpe. Le Pere Confesseur lui dit qu*il
avoit entendu fort distinctement , & que
les larmes qu'il verfoit avoient essuyé
une partiede fcs crimes,& le díspenfoient
de lui imposer une pénitence plus rude
que celle- la-, que cette1 douleur qu'il res-
sentoit en son ame effacerait une partie
de la peine que méritoient ses offenses ,
& qu'il satisfit au reste par cette légere
pénitence í" si bien qu'il lui donna l'ab-
. solution , & lui ayant ensuite administré'
le Très Auguste Sacrement de I'Eucha-
ristie , ils se séparerent pour lors , pre
nant congé l'un de l'autre , dans le des
sein de se revoir à quelque tems de-là.
Louis dans ce nouvel état , resta &
Âe S. Patrice. IJ7
joyeux & content en son ame , que le
principal emploi de son tems , les jours
& les nuits depuis étoit occupées à rendr*
des actions de graces infinies à la Divi
ne bonté , pour les grandes miséricordes
dont il avoit usé en son endroit , ayant
comme pitoyable créancier , attendu .
qu'il eût la volonté de satisfaire à ses det
tes. 1 , *'
Or comme il s'occupoit à diverses lec
tures, il arriva que par bonheur un cer
tain Livre lui tomba entre les mnins ,
qui traitoit de l'état des Ames du Purga
toire , & des cuisantes peines qu'elles
souffrent en ce lieu de supplice pour se
purger des sautes vénielles , effacer les
mortelles qu'elles ont confessées , & aus-
qu elles ejles n'ont pas entiérement satis
fait- - \
Cette crainte fit une telle impression
sur cette esprit d'iniquité , qu'il ne pou-
voit se remettre de sa crainte , qui même
s'augmentoit tant plus qu'il poursuivoit
attentivement cette lecture, & ainsi pen-
soit en soi-même quels motifs pourroient
lui être utiles pour modérer tant de tour-
mens qui l'attendoient en l'autre vie.
Quelquefois il déliberoit d'aller trouves
M ij '
13$ La Vie
le Pénitencier pour faire de nouveau une
Confession générale de sa vie , afin que
lui ayant imposé une Pénitence propor- .»
tionnce à la grandeur de ses fautes , elle
lui servit de Purgatoire en ce monde ,
pour récompenser la peine qu'il mérite-
roit en l'autre : d'autrefois il faisoit réso
lution de passer à Alger ou en Angleter
re , avec un dessein généreux de répan
dre son sang pour la défense de -la Foi ,
& d'y obtenir la palme du Martyre.
Or comme il se rencontra un soirdanS
la conversation de quelques personnes
qui difcouroient des esprits & de l'état
des Ames des désunts : il entendit dire v
tant de merveilles du Purgatoire de S*
Patrice , que réveillant son esprit , son
courage & son zéle , il s'informa des par
ticularisez de ce lieu , & des fruits que
rapportaient ceux qui avoient assez de
courage pour y entrer , vû qu'ils s'ex-
posoicntà tant dehazards si périlleux,
qu'ils assuroient tous unanimement &
lui firent exposer : que l'utilité qui en
provenoit étoit telle, que quiconque-
étoit assez heureux d'y entrer avec une ,
résolution de si.crifier íà vie à tous le*
dangers qui se présenteioient à lui dans-
de S. pMtrice. iî9
L'espace de vingt - quatre heures , il se
purgeroit entiérement de tous les crimes
qu'il auroit commis durant fa vie , si
énormes qu'ils pussent être. A peine eût-
îl entendu ces raisons & autres sembla
bles , qu'il prit dessein de faire le voyage
d'Hybernie , & résolut de se mettre en
chemin pour arriver heureusement: car
outre le dessein d'endurer quelque chose
pour l'expiation de ses fautes , le désir
de revoir le lieu de fa naissance , lui don
nat encore plus de courage pour entre
prendre ce voyage. Si bien- qu'après
- avoir rendu ses vœux & hommages aux
-saintes Réliques des Corps des Bieuheu-
reux des Saints Apôtres & Martyrs que
possédé la Ville de Rome , il «n sortit
promptement prenant la route vers l'Hy-
bernie , où étant arrivé , il s'informa de
ce Purgatoire privilégié , tous lui dirent
la même chose qu'il avoit apprise aupa
ravant. La plupart lui dissuadoient la ré
solution d'entrer en ce lieu , parce que
e'étoit une entreprise si dangereuse, qu'à
moins d'avoir une forte confiance , &
d'être assisté d'un puissant fécours du
Ciel , e'étoit témérité d'y aspirer. No
nobstant toutes ces raisons qu'on lui al
1 40 Lt Vie '
leguoit pout lc dissuader de ce voyage ,
il ne perdit point courage; mais fans dé
libérer davantage sur ce dessein , il alla «k
trouver l'Evêque du lieu , selon la cou
tume auquel il 6t un ample narré des
débordemens de fa vie , & de l'extrème
désir qu'il avoit de se purger de ses cri
mes par cette voye extraordinaire.
L'Evêque voyant son zéle & sa réso
lution , & avec quelle hnportunité il so- 4
licitoit cette licence , disant que l'énor-
mité de ses fautes méritoít biái la sancti
fication d'une entreprise si téméraire ,
condescendit enfin à ses prieres impor
tunes , & lui donna des Lettres adres
santes au Pere Prieur du Monasteje , au-
quel il commandoit exactement que ce
lui-ci fût l'un des premiers auquel il per
mit l'entrée de cette Caverne. Louis
s'en alla fort joyeux avec ses dépêches 7
& il fit tant de diligence en ce chemin ,
qu'en peu de, tems il arriva au Monaste
re destiné , où s'étant préparé l'espace
de neuf jours entiers avec les Cérémo
nies accoutumées que nous avons dit ,
suivant les Ordonnances du Lieu. Le "*
Pere Prieur le conduisit à la porte de la
Caverne pour le foire entrer , & Payant
de S. Péttrice. 14 í
embrassé plusieurs fois tendrement en le
récommandant à Notre Seigneur ; il lui
jetta de l'Eau-bénite , lui répéta les pa
roles , dont il se devoit munir souvent
pour se garantir des dangers ausquels il
s'expofoit si gayement. Ce font les mê
mes que nous avons ci - devant parlée :
Jesus Fils de Dieu vivant , faites moi misé
ricorde , pauvre & miseraide pécheur. Et
y étant entré avec une constance non
pareille , & le plus^rand courage qui se
soit jamais vû , il referma la porte après
lui , & le laissa à la garde de Notre Sei-
*gneur , lui promettant d'y retourner le
lendemain à la même heure , dans une
forte confiance en la bonté Divine qu'il
en ressortiroit saintement, avec un heu
reux succès de ses saints désirs , fa cons*
tance & sa vertu ne lui pouvant pas
moins promettre pour récompense de
son courage & de sa piété.
L'on a pû sçavoir par sa Rélation ce
qui se voit , & se rencontre d'ans ce Lieu
péritleux,avec beaucoup plus de particu
larités que d'aucun autre qui y ait entré,
Et parce qu'il lui sembla à son retour que
pour aimer Dieu parfaitement , & pour
ne pas s'éloigner d'un petit point de ses
14* La Vie
divines volontés ; l'état le plus assuré
est celui de la Religion , il supplia très
humblement le Révérend Pere Prieur &
tous les Réligieux de ce S. Monastere ,
de lui accorder le saint Habit de leur
Ordre , ce que d'autant plus volontiers
ils lui accorderent que son zélé leur étoit
connu.
Or comme le Révérend Pere Prieur
étoit curieux de sçavoir les particularités
de ce qui lui étoit arrivé en ce dangereux
voyage de la Caverne , il lui ordonna
d'en faire le récit devant tous pour en
sçavoir la vérité. Ainsi que fit ce S. Péni
tent d'un grand zéle , tant pour accom
plir le précepte de l'obéïsTance de son Su
périeur i qui lui commandoit , que pour
émouvoir plus efficacement les cœurs
des Fidéles à la pénitence de leurs fautes
commises, pour l'apprchension des pei
nes que l'on souffre en la vie suture , il
raconta le tout de point en point en cer
termes.

CHAPITRE
de S. Patrice. 145

CHAPITRE VIL
Dans lequel Louis Enius fait une am-
yple Relation de tout ce qui arriva
depuis qu'il fut arrivé dans k Pur
gatoire de Saint Patrice.
M Es très chers & bien aimez Freres
en Notre Seigneur , à peine notre,
bon & Révérend Pere Prieur eítt-il fer
mé la porte de la Caverne où j'étois en
tré fous son bon plaisir & fa licence,
que tournant de part & d'autre pour
rencontrer le droit chemin , je trouvai
une épaisse muraille que je suivis , la cot-
toyant peu-à-peu pour me servir de con
duite , jusqu'à ce j'en trouvasse le bout.
A quelque distance de-là , je rencontrai
une sorte &~du.renxhe qui étoit tout*
vis-à-vis de la porte , & prenant garde
soigneusement si je ne verrois point
quelque ouverture pour passer outre , je
n'y apperçus ni portes , ni fenêtres . . ni
aucune clarté pour me faire jour , & \c.
demeurai ainsi dans cette grande obscu
rité l'espace d'un quart d'heure ou envi
ron , jusqu'à ce que retournant les yeux
N
v
144 - LxVìe -
vers la main gauche , je vis par la fente
de ce rocher une petite lumiere , suffi
sante néanmoins pour me faire connoi-
tre que le chemin retournoit par une *'
. fente tirant vers le bois ; si bien que me
munissant plusieurs fois du signe de la
Croix , je poursuivis ma route dans Ge -
labyrinthe obscur , jusqu'à ce que trou
vant l'extrêmité de ce petit sentier ; il
me sembla sentir 1a terre toute- íiussi
mouvartte , que si elle eut voulu fondre
sous mes pieds , ce qui me Contraignit
de m'asseoir du mieux qu'il me sut possi
ble , où je demeurai plus d'une heure
fans mouvoir de-là , me persuadant qu'il
n'y avoit autre chose à voir en ce lieu r
ténébreux , que de quelque côté que je
tournasse les yeux , je n'appercevois ni
porte ni lumiere.
Or il arriva que dans l'ennui que je
souffrois de me voir seul dans ces- téné
bres ,ftns sçavoir à quoi aboútiroit cette
sombre obscurité , une puissante sueur
froide m*ayant saisi par tout mon corps
avec un grand soulévement de cœur ,
ainsi que ceux qui s'embarquent fur ^
mer , & qui n'en peuvent supporter -
l' incommodité, ce qui me causa un som-
ât S. Tutrice. 14Ç
meîl assez profond , au réveil duquel
j'entendis Téclat d'un tonnerre si épou-
ventable , que je pensois que le Ciel dût
> fondre sur ma tête , ou que la terre ou-
vroit son sein pour m'engloutir tout vi
vant ; car de la violence du coup qui
éclata,l'endroit où j'étois. assis s'abbaijsa;
desorte que je tombai au moins de deux
picques de haut , dont je demeurai assez
longtèms étourdi fans mouvoir de la
place , jusqu'à ce que revenant un peu à
moi-même tout transi d'effroi de ce tin-
tamare , je répétai dévotement les paro
les dont le Pere Prieur m'avoit instruit ,
& je vis sur le champ la Caverne plus
4 ouverte , ce qui m'excita le courage à
poursuivre plus avant ; mais plus j'a-
vançois, plus je trouvois cette Caverne
profonde & obscure , si bien qu'en peu
de tems je perdis entiérement de vûë
toute la clarté qui me servoit de condui
te.
II faut que je confesse ingénuëment
que je ressentis alors une sensible afflic
tion , quoique pourtant je n'entrasse
~ point en défiance de la bonté de Dieu-
A' quelque tems de-là j'entendis derechef
éclater un tonnerre encore plus effroya-
N ij
i4í La Vie ' -
ble que le premier , & qui ébranla en
sorte la Caverne , qu'il fit tomber tout
le quartier là où j'étois , & moi étant fort
maltraité de grosses . pierres qui tombe
rent avec moi , que je pensois être ense
veli dans ce débri ; jc me trouvai cepen
dant miraculeusement én une très gran
de Salle fort spacieuse & large , qui n'é-
toit pas trop claire , ni totft-à-fait som
bre , mais seulement éclairée d'une peti
te lueur , comme celle qui paroit le ma
tin , lorque le jour commence à paróî-
tre. Cette Salle étoit toute voûtée en
arcades superbes , soutenues de beaux
pilliers , ainsi que des Cloîtres de Reli
gieux, ,où étoient observées toutes les .,
Regles d une parfaite Architecture, Tor
dre , la cimétrie , la beauté & l'orne-- -
ment , fans que rien y manquât qui ne
fut bien observé suivant les- préceptes
de l'Art. ,
Après m'être promené quelque tems
dans cette belle Salle , considerant avec
attention ces richesses colomnes , ces
belles piramides , ces bases & ces chapi-
taux , je vis venir à moi comme douze ^
hommes vénérables, qui me sembloient
à leur mine être des Réligieux vêtu de
de S. Patrice. 1 47
blanc , ayant chacun une Croix pen
dante sur l'estomach. Après m'avoir re
çu courtoisement & salué avec beau
coup de témoignage Je bonne volonté ,
l'un d'entr'eux , qui au rang qu'il tenoit
en cette Compagnie , me sembla en être
le Superieur , nie prenant par la main ,
me dit.
Loué & bénisoit à jamais U vrai Dieu,
Dieu des Chrétiens , au pouvoir duquel tou
tes choses sortsoumises , qui t'a donné affeK.
de courage pmr venir tout vivant en ce lieu
foursatisfaire aux peines dues k usfautes;
maisje t'avertis de (a par* de persifler cons
tamment dans les saints propos que tu as
commencez. , où tu auras tout CEnfer k com
battre , & tous les tourmens &supplices (jue
souffrent tous les damnés ksurmonter , & à
peines feront-nous séparez- de toi, que tu ver
ras cette grande Salle remplie de demons ef
froyables qui teferont mille belles promesses,
& de rigoureuses menaces pour t'intimider
£í obliger de rebrousser chemin en arrieré ,
en t'asjurant qu'ils te conduirontfanssouffrir
aucun dtmagejusqu'à seuverture de la porte
qui t'a donné entrée en ce lieu; mais cefl une
feinte trompeuse & un piegefort dangereux
pour te perdre fans ressource , te faisant en-
M8 . la Fie
trer en méfiance de sinfinie honte' Ô? miséri
corde de Uien ; car fi tu est facile adonner
créance à leur mensonge , non seulement tu
ne sortiras pas dici , mais tu demeureras
four jamais en ce lieu de désordre pour être
compagnon de leurs peines , ainsi que tu Vas
été de leur malice , que st au centraire tu
méprise leur conseil , & que d un courage
ajjure' tu mette toutes tes espérances en la
bonté de Dieu, , tu obtiendras Rentiere ré
mission de tessautes fíf / absolution des peines
au elles méritent , Ç$ non-seulement tu ver.
ras les tourmenstpréparez. pour punir les pé
cheurs qui meurent sans pénitence , fans en
souffrir les atteintes : mais aufst tu connoî-
tras la gloire & le repos quesouffrent les fus.
dans le Ciel pour récompense de lcu*s tra
vaux. Ce que tu doit donc faire en cette
rencontre , est de rehausser ton courage dans
une parfaite ré/ignation de toi-même , & de
toutes tes volontez. entre les mains de la Di
vine bonté , & de te prévaloir fm terne*t
comme d1un btuclier du Nom très- Auguste
de f ESUS, à la prononciation duquel tous
les hasards seront dissipez, les dangers
dtfparoztront a' tes yeux sans .crainte dy
être précipité. Cependant de mire pArt
nous te Ytcemmandons à fa Divine Prcvi.
de S. Patrice. 149
dence qui veillera sur toi , sans permettre
que tu succombe dans aucun de ces sertis
dont tuferas menace'par les démons.
Après ces discours charitables & ces
amoureuses raisons , tous prirent congé
de moi , m'embrassant tendrement avec
affection , réassurant de se souvenir de
moi dans la ferveur de leurs prieres.
Comme je me vis seul , privé de cette
sainte Compagnie , j'essayai de produire
plusieurs Actes de contrition , & adres
sant toutes mes pensées à Dieu , je sup
pliai humblement sa Divine Majesté de
me donner la force & le courage de ré
sister constamment aux efforts-de mes
ennemis qui se prépwoient à ma ruine.
Je me retirai ensuite de ma priere vers
le coin d'un escalier de bronze , pbur
voir plus à l'aise de quelle part vien-
droient les Démons pour m'attaquer &
livrer le combat. Et voilà que soudain
un bruit si effroyable vint frapper à mes
oreilles,comme si toutes les créatures du
monde mutinées susTent assemblez en ce
lieu-là pour exciter ce tintamare , tant
étoient difformes & consus les cris &
heurlemcnt que j'entendois , & j'avoue
que si je n'eusse ressenti du secours d'u
150 La Vie
ne vertu plus que natureHe , & que ces
Saints Personnages ne mleussent avertis
de cet effroyable murmure , je serois
tombé pâmé fur la place fans aucun
mouvement ni sentiment ; mais ce fut
encore bien pire quand je vis cette place
remplie de Démons , dont l'horrible vi
sion me faifoit hérifer les cheveux à la
tête : puisque le nombre étoit si exces
sif , qu?i!s étoient si hideux &.si diffor
mes , que la feule pensée m'en donne de
la crainte.
Si- tôt qu'ils me virent, ils vinrent
me saluer , me faisant grande fête , &'
isie disant qu'ils m'étoient beaucoup plus
obligez qu'à tousses autres hommes ,
vi\ gu'ils nexîescendoient avec eux qu'a-
près leur mort, & que moi je prévenois
ce tems-là pour leur faire compagnie.
Quoique cette action nous agrée fort ,
répliqua un autre , comme très justes ,
veuë qu'ayant commis tant de crimes ,
jl est raisonnable que tu ressente "dès cet
te vie , les peines qui te font préparées
pour de justes chátimens , toutefois ,
parce que tu nous as si fidélement servis
en ta jeunesse, je juge plus à propos
pour réconnoiflunce de tes fidéles servi-
de S. Pátrtce. * iyi
ces , que tu retourne encore au monde
jusqu'au jour de ton_trépas , pour pafler
le relie de tes jours dans les délices que
tu as goûtez , & revenant alors avec
nous , tu feras reçu avec plus d'appareil
& de cérémonies. Et parce que cette Ca
verne elt sombre & obscure , & le che
min difficile à tenir pour s'en retourner,
l'un de nous autres t'accotnpagnera jufr
-qu'à la porte , autrement ce seroit te fai
re tort , & mal récompenser Jes services
que tu nous as rendus fi longtems de te
faire souffrir tant de peines devant le
tems. ,
Ils me tinrent de tels semblables dis
cours quelque tems pour me tenter , si
leurs flateuses paroles" & promesses pour-
roient fléchir mon courage , & me faire
consentir à leurs persuadons trompeu
ses. Mais Dieu par fa bonté admirable ,
me donna alors tant de constance dans
ma résolution , & sans répondre un seul
mot à leur flaterie , ainsi qu'une person
ne qui méprise tacajol d'un importun ,
je tournai la tête~& les yeux de part &
d'autres , comme pour regarder la beau
té des voûtes & des arcades qui étoient
au haut de l'efcalier.
iji « ta Vie- "
CesLutains voyant que c'étoît en ■
vain qu'ils vouloient me persuader le
retour , après m'avoir rudement frappé ^
de coups de bâtons & de crochets , fi
rent allumer un grand feu au milieu de
cettè grande Salle , & m'ayant lié pieds
& mains , me traînerent fans pitié par
tout ce Cloître , attaché de grosses chaî
nes de fer , & enfin me précipiterent
fans pitié dans les flâmes d'un-brafier
ardent qu'ils avoient,allumé. Mais com
me je m'étois armé d'une foi constante,
pour me préparer à ces rencontres & à
d'autres pareilles. Dieu ne permit pas
qu'en ce danger je misse en.oublie la mé
moire de son S. Nom , si bien qu'à peine *
eút-je réclamé son secours & imploré la
divine miséricorde , que tous disparu
rent à mes yeux , il ne resta plus aucun
vestige du feu , me trouvant non seule
ment libre de tous dangers , mais mème
plus sain & plus robuste qu'auparavant,
de forte que je résolu de ne plus rien
craindre, puisque dans cette premiere
attaque , je m'étois rendu si fçavant des
moyens que jedevois suivre pour triom- *
pher de toutes leurs ménaces.
de S. Patrice.

* CHAPITRE VIIL
Comme les Démons transporterent Louis
dans un* vaste Campagne , où tl vit un
nombre presque infini de tous genres dt
supplices , & les moyens dont il seservoìt
pour s'en garantir heureusement.
LE peu de progrès que firent Us Démons, en
cette premiere actaque,les contraignit à pren
dre la fuite avec des hurlemens fort effroyables ,
puis se tournant du lieu où j'étois , me ttansporte-
rent dans une terre rude & noirâtre , où fouffloit
un vent si aigu, qu'il me sembloit qu'un gl aive me
ttansperçoit le corps de paît & d'autre, de-Ià à pe
tit pas me conduisirent dans une ove sombte , où
je vis une infinité d'Ames tourmentés - pleurant
impitoyiblcment leurs disgrâces , avec des voix
lamentables & douloureuses , que ce bruit seul
frappant mon oiiie.m'épouvcntoit & ra'obligcoít
d'étoupet mes oreilles.
Au(Ìi-t6t que nous fûmes sortis de ce lieu lugu
bre , ils me montrerent un champ si large & si
long, que quoique je levasse les yeux dr tout mon
pouvoir pour étendre ma vûë plus loin , je n'en pft
néanmoins voir l'extrèmité. J'apperçfiï en ce lieu-
là des hommes Sc des'femmes de toutes foires de
conditions & d'états tous nuds , souffrant des pei
nes intollérables*
Les uns étoient étendus contre terre , la face en
bas , & tout le corps émaillc de gros cloux de fer
embrasez , de sorte qu'ils íeinbjoitnt collez á 1*
terre qu'ils rongeoient pat désespoir, pieflez des
if4 LaFie
Jouleuts qu'ils souffroient. D'aurres avoient feu
lement les pieds & les mains attachez , (ans que
cependant la reste du corps fût exemt de peines
semblables /mais pour donner prise à quantité de
lezards empoiíonnés , qui vomissant leur noit ve
nin , infectoient ces misérables , & les rongeoient
jusqu'aux entrailles , & tant les uns que les autres
donnoic'nt également d'étranges malédictions ,
tant à eux-mêmes , qu'à leurs Percs & Meres , &
auttes Parcns & Amis., jusqu'aux Bienheureux
rnême qui sonc s'ans le Ciel, contre lesquels ils vo-
missoient mille blasphèmes , enviant leur gloire
& bonheur.
Apiès m'avoir montré foutes ces peines effroya
bles, ils tentèrent derechef à me persuader le re
tour, faute dequoi ils me ménaçojent de me met
tre à la tortute ayee ces forçats & misérables, pour
être traité de la mime force que je les voyois être.
Mais nonobstant leurs ménaces & leurs grimaces,
je répondis d'un visage assuré & constant , qu'en
vain ils me peifuadoient de tetourner , & que plu
tôt je m'expoferois courageusement à toutes les
peines de l'Bnfet , que de rebiousset , non pas mê
me d'un pas du voyage que j'avois entrepris. Cet
te résolution n'augmenta pas peu leur colere &
leur furie ; car à peine eurent - ils oui ma >éponse
que gíinçant les dents de rage & de désespoir , me
saisirent au collet , & me jetterent rudement avec
les autres pèle mêle , & au milieu de ce champ de
supplice , & comme ils me vouloient dépouiller
de mes habits pour m'attacher à la terre ainsi que
ces misérables , j'invoquai dévôtement le S. Nom
de Dieu , ainsi qu'on m'avoit instruit , qui me ga
rantit heureusement de ce danger, ainsi qu'il avoit
fak auparavant, (ans que je reçusse aucun domma-
-> de S. Pdtrìce. 155
ce , sinon que me faisant tomber dins une profon
de vallée à main droite, je ressentie quelque étour
dissement de la pesanteur du coup.
Lassez enfin de ma constance , ils m'enleverent
en un champ où les autres peines doivent à mon
avis être beaucoup plus grandes fans comparai
son que celles du premier ,* car les plaintes & cla
meurs redoublées que faisoient les condamnés , &
en des indices certains de douleurs cuisantes qu'ils
souffroient. II y avoit en ce lieu-là un si grand
nombre de- personnes de tout sexe & de condition
disserentes , que ma vûë sc lassoit de les regarder.
Les uns étoient entourez de dragon furieux , qui
de patt & d'autres , avec des crochers de fer , leurs
déchiraient la chair en lambeaux, & leurs arra.
choient les vaines & les arteres du corps ; & pour
comble de leur malheur , il y en venoit d'autres ,
qui pour guérir leurs blessures vetloient de l'huite
1 bouillante & du plomb fondu dans leurs blessures.
D'autres étoient plongez dansle creux d'un mon
ceau de neige , au haut duquel étoient quantité de
bourreaux, qui appliquant des poignantes égújl-
les par tout leurs corps , Ieuts arrachoient de U
poitrine des ens 8c des hutlemens épouven tables ,
lans que personnes eût pitié de leur misère.
Entre tous ces genres de supplices si cruels , il y
avoit encore une roue effroyable équippée de
pointes de fer & de chaînes ardentes , dont étoient
attachez les damnés par les pieds , de sorte que
leur tête traînoir à terre, embrasée de quantité de
foyers ensouffrez , dont la fumée épaisse leur tem
pliíloit la bouche de puanteur , & quand les Dé
mons donnoient le mouvement à cette machine,
les pointes déchiroient leurs corps par petits lam
beaux.
. - r.
i$6 £*FU
Un peu plus mnt je vis une maison fort clc-
vée,d'oú sortoknt des fiâmes & des fumées à gros
brandons , Si m'informanc ce que ce pouvoir être,
on me djr que c'étoit un bain délectable, où se bai-
gnoient les mondains qui avoient rrop curieuse
ment sentit les odeurs profanes, & ouvrant la por-
. te avec vitesle, ils me contraignirent d'y regarder,
où jt vis un Lac prorond de glace & de neige , où
étoknc plongez jusqu'au col un tiès grand nom
bre d'hommes & de femmes claquetans les dents
de froid • & quantité de Démons regardant aux
fenêtres , armez de divers instrusnens de supplices
cruels , comme de lances , de javelots ou flèches ,
dont ils frappoiem & menaçoient ceux qui osoient
lever la tête ou les bras hors de cet Etang , où ils
languissoient impitoyablement, & (ans espérance
de remèdes.
Ces Ministres infernaux me maltraitant , me
montroient tous ces genres de supplices , me mé-
nacant de m'y précipiter ; mais nonobstant leur
malice & leur fureur, ayant tecours à l'invocation
du S. Nom de Jesus , mon azile ordinaire , je me
sentis libre aussi - tôt de ce danger , ainsi que des
ptécédens. Les Démons honteux de leur défaite ,
& confus de ma constance redoublant leur rage &
leut furie , me transportèrent (ur une montagne ,
si haute qu'elle srtrìbloit frapper le Ciel de sa cime,
& de-là me montrerent une autre carrpagne bien
plus longue & plus large qwe les deux autres , où
les peines & les angoilcs croient beaucoup redou
blées ; car de ceux qui y font traitez , les uns font
jettez sur des griffes de f<*brûlantes , équipées de
pointes de fer , qui leur perçoient le cœur & let
entrailles, si bien que lassez de souffrir tant de pei
nes , ils se inordojeat eux-mêmes pour essayer de
de S. Patrice. i 5f
s'achever de mourir par un désespoir extrême ;
mais une s'en faut, qu'ils réullìsienr en leurs des
seins, que plus ils s'offensent, plus ils vivent, te
ces nouvelles blessures ne servent qu'à augmenter
leurs douleurs & prolonger leurs supplices.
D'autres étoient attachez a des roues garnies
de rasoirs tranchans , qui déchiroient par lam
beaux leurs membres langui Hans , qui à mesure se
rassembloient pour leur causer plus de douleur &
rendre leurs peines éternelles.
Ourre tous ces genres de supplices, il y avoit un
Í>uits profords & plein de feu , d"où les fiâmes fe
ançoieot si haute qu'elles se perdoicntde vûc. Au
milieu de ces fiâmes il y avoit plusieurs Ames gé
missantes , qui poussin c des cris & des sanglots
épouventables , se gatndoient cn haut par la vio
lence des fiâmes & des fumées , & retomboient
aussi tôt auiend de ce puits , puis remontant de
rechef , retomboient , & ainsi consécutivement
sans relâche.
J'avoue' franchement que cette forte de peine
me donna bien de la crainte , & m'obligea plus
que devant à réclamer de bon cœur en moi - même
le Nom de J s s u s & de fa sainte Mere , les priant
en toute humilité de me garentir de ce puits dan
gereux , dont ils me ménaçoient , ainsi qu'ils m'a-
voient délivré par leur bonté ordinaire des autres
hazards déja passez. Mais ce qui redoubla mon
appréhension pour lors , fût de me voir au faîte de
cette montagne si élevée , d'où jettant les yeux en
bas , j'apperçùs un fleuve si large & si piofond,
qu'il n'V a point de Mer si grande qu'elle soit qui
lui puisse être comparée ; comme cette montagne
étojt haute & ce fleuve ptofond, m'a vûe s'éblouit
foit en les considérant; si je n'eusse tourné les yeux
IS8 UVte
d'un autre côte, j'etois en hazard de tomber en ect-
te abîme. Je demandai quel fleuve étoit celui là ,
on me fit réponse que c'étoit le fleuve de l'Enfer ,
ce que je ciûs d'autanr plus facilement- que la cou
leur & l'odeur le donnoient à connoître. Je m'in-
formai encore pourquoi ils m'avoient transporté
fur le faîte de cette mo;itagne, on me répliqua que
je me retirasle un peu à quartier , &' que jc le sçau-
rois. Ils me firent donc voir, comme un vent im
pétueux, soulevoit les Ames des damnés, jusqu'au
haut de cette affreuse montagne, d'où avec des cris
& des heurlemens épouventables, ils se précipi-
toient dans ce fleuve , je confesse que quand je vis
un tel prodige , je fus saisi d'une si forte crainte ,
' que je rremblois par tont le corps , de méme qu'
une feuille d'arbre, lorsqu'elle est agitée des vents.
Mais beaucoup d'avantage entendant leurs mena
ces rédoublcr , disant , que fi je ne prenois la réso
lution de m'en rétourner d'où je venois , ils me
précipiteioient du milieu de cette horrible cam
pagne , pour être emporré des vents dans le fleuve
profond , ou si d'avanture je ne mourrais en tom
bant , au moins je scrois enseveli fans pitié dans
ces ondes puantes , fans espérances d'en sortir ja
mais.
Je réveillai alors mon courage plus que devant,
pour dire , ( quoi qu'en «ambiant de peur , )qu'ils
fissent de moi ce qu'ils leur plairoicnr , que j'étois
lésolude mourir mille fois plutôt que de faire une
telle lâcheré. A peine eûs jc lâché ce mot , que me
saisissant au collet , ils me précipiterent dans ce
fleuve , Sc comme je rn'tfforçois de remonter à 1*
faveur des fiâmes , il survint un vent si furieux qui
enleva tous ceux qui y étoient plongez quant &
quant eux , nous tiaiflanr par l'etenduc de cette
de S. Patrice. 159
campagne , jusqtì'cnfin à artivet au plus haut de U
montagne , d'ou ils nous précipiterent dans les
ondes écumantes de cc fleuve infernal , qui, ( com
me j'ai dit- ) étoit si profond - qu'il me sembla que
je demeurai plus d'une demi - heure á tomber, si
bien que quand je me sentis en bas , je rne trouvai
il grandement étourdi du coup de ma chute , qu'à
peine me pouvois-je souvenir des saintes paroles ,
dont le Révérend Pcrc Prieur m'àvoit instruit,
pour me munir contre les dangers que je pourrois
rencontrer en ce voyage, me oonnoissant toutefois
au milieu de cette Mer orageuse , & en un péril
très manifeste , j'eûs recours , comme aurres ren
contres , à l'invocation du S. Nom de Jesus, &à
peine l'avois-je prononcé de bon cœur , que je ma
trouvai de l'autre côté du fleuve , quoi qu'encore
un pen foible Si étourdi de lâ chûce que je venois
de raire.
Durant quelque tems q ue je demeurai U , mes
ennemis ne parurent point devant moi, & pensant
qu'il n'y avoit pWdc tourmens à voir ni à passer,
Íapperçus une allée spacieuse & belle, rangée de
eaux arbres de part & d'autre , pour y faire om
brage , où je raillai promener quelque tems , &
m'assoyant au coin pour mcdélafler de tant de -
peines que j'avois cûës Sc endurez , je vis une mai
son qui étoit à mon avis déserte d habitans , fie
ícmbloit si vieille & si caducque , qu'elle fondoit
de toutes parts , & s'accabloit fous fes ruines. Et
comme je me vis un peu en repos dans ce lieu soli
taire , ruminant en moi - méme ,'tant de sortes de
tourmens que j'avois vus , je rendois des gtaces in
finies à la divine bonté de m'avoir défilé les yeme
de l'esprit , pour me faire connoître l'énormité de
œes crimes & les peines qu'ils mérkoicnt , afin
O
160 La Vie
que vivant désarmais en vrai Chrétien , & non pas
CD Athée comme j'avois fait , j'amendais*: ma vie ,
arrêtant le cours libertin de mon mauvais naturel ,
vû qu'outre l'indignation deDieuque l'on encourt
vivant de la forte , & le bien de fa divine présence
dont l'un se prive pour jamais , qui est le ir.otif
piincip.il qui nons doit toucher , l'on est engage
àsoustrirdc si cuisantes douleurs & des martyrs si
ctucls ; je considerois combien il étoit aisé vivant
dans le monde , de régler toutes ses actions sel<m
ses divines volontés , au lieu de se meute au ha-
zard de perdre une éternité de gloire pour un pe
tit plaisir d'un moment , qui nous attiic une éter
nité de peines rigoureuses.
Pendant que j'égarois mon esprit en la médita
tion de ces belles pensées , je vis paroître devant
moi une troupe de Démons plus nornbreusc qu'
auparavant , où non feulement se trouverent ceux
qui jusqu'alors m'avoient persécutez ; mais ausíï
quantité d'autres qui fcinbioicnt plus résolus que »
les premiers , ausquels ils teprochoient la lâcheté -
& le peu de courage , & de pouvoir qu'ils avoient
eu d'ébranler ma constance
Ils s'approcherent dor.c de moi avec des ména-
ces effroyables , disint , que si je r.e leur obéïslbis,
reprenant la route de mort chemin pour retoutnet
ausii-tôt , & me prenant par le btas, me frappoitnt
outrageusement , puis m'enrs poignant par !c mi
lieu d.) corps , m'enleverer.r en une autre campa
gne , -autan: & plus spacieuse que les autres , où
la qiunti:é & !a qualité des peines croient fans
nombres, aussi bien que les personnes qui îes en-
durokot; caria teire étoir si t mbraféede feux & —
de fiâmes, que de quelque cô:é qu'on tournât la '
vûë , on n'appetecyoit que des feux , ainsi qu'à
de S. Patrice. . têt
l'cmbouchure d'une fournaise aiderití; mais ce qui
aûg'mentoit plus l'horrcur de ces peines , étoit l'a-
bondance du souffre qui exaloit des odeurs si
puantes 8c si insupportables , qu'elles me fiisoienc
souvent tomber en défaillance. Mais le point de
mon étonnement , fut de voir qu'encore que cc
champ fut detelle étendue"- que je n'en pouvois
' appercevoir l'extrêmité ; la multitude .des person
nes qu'il y avoit en ce lieu là , étoit si nombieufe
qu'ils étoient presque tous entassez les uns fur les
autres , & de vrai il me sembla voie plus de gens
en un seul petit coin du champ , qu'on n'en voit
ès plus grandes Villes dans l'asîluence du Peuple
qui y accourt pour voirqueique Férc publique.
O: quoique leurs tourmens fussent grands &
h urs peines cuisantes , parce que les uns étoient
embrochez par le milieu , & les autres plongez
dans ces fiâmes ertsoussées , & encore que les Dé
mons se promenassent au milieu d'eux avec de pe
santes massues & de grosses ruches , dont ils les
fiappoient fans pitié, je remarquai nc.'.nmoins
une ceitaine alégresse en leurs visages , qui témoi-
gnoieht leur contentement dans ces douleurs , íe_
une telle modestie en leurs yeux.qu'ils sembloient
quasi donner à entendre d'un hngage muet, qu'ils
ne sembloient pas ce qu'ils soi-sscoient ; car quoi
qu'ils eussent la face & les yeux baïgnezde larmes,
ils les avoient toujours élevez vers le Ciel , implo
rant ses miséricordes i &si paífbisilsmouvoienc
la langue pour (e plaindre de ces Ministres infer
naux &. de leurs peines , ce n'étoir pas pourtour
avec colere & pareilles imprécations'que ceux
que j'avois vû dans les autres campagnes. Et non-
seulement ils ne vomissoient aucuns blasphèmes
contre Dieu , & au contraire avec des élans & soû-
O ij
1 6z La Vie
pirs amoureux, élevant leurs voix plaintives pour
le louer , ils le publ.oienr Saint par trois fois ré
pété , convians doucement 1Y bonté adorable de
soulager leurs peines , & de les élever bien - tôt
au sé;our du Ciel , en la compagnie de ses Anges
bienheureux , pour jouir éternellement de fa gloi
re. Cela me fit connoître que ce lieu de voit Être le
Purgatoire où ces Ames étoient détenues pour fc
purger des fautes qu'elles avoient commises, &
ausquellcs elles n'avoient pas encore pleinement
satisfait.
Quoique les peines qu'elles fousfrent en ce
lieu de supplices .soient cuisantes & lensibles ,
néanmoins t'espérance qu'elles ont de. voit un
jout la face de Dieu dans le Ciel , en la com
pagnie de tous les Bienheuteux , pour joliir
de la Divine présence à toutJamais, teléve beau
coup leur courage , Si les soulage dans la rigueur
en tous leurs maux , quoique très rigoureux &
cuifans , & méme plus rudes que ceux des dainnés;-
car- comme les Démons ignorent les momens heu
reux qu'ils doivent êtte affranchis de ces tour-
mens , la rage 5c l'envie qu'ils conçoivent de leur
félicité prochaine , leur fait inventer tous les jours
de nouveaux touxmens pour redoubler leurs pei
nes.
Or quoique je m'afflige beaucosp des tristes
plaintes que poussent toutes ces Ames languissan
tes , 8c des douleurs qu'elles souffrent dans ces fiâ
mes brûlantes , toutefois me représentant qu'elles
étoient au nombre des Elus & des bien - aimez de
Dieu , cette pensée me convia de demeurer quel
que tems avec elles , & ce d'autant plus volont
tiers , qu'ayant tourné les yeux vers elles , je re
connu; beaucoup de personnes avec lesquelles j'a
deS.Pátrice. itf?
vois conver sé autrefois & traité dans le monde. Le
premier que jc rencontrai dans ces fiâmes , fut le
Religieux de S. Dominique qui entendit ma Con-
fcslìorl dans Rome , qui étoit mort ce même jour ,
ainsi que j'appris de lui même , St qui étoit venu
en ce lieu pour se purger de ses fauteí , où les -
moindres & les plus légeres sont examinées &
purgées pour aller ners & fans tâches dans le Ciel ,
où rien n'entre de souillé. J'y apperçûs auslì une
de mes Cousines, qui lorsque je sortis de mon Païs
n'étoit pas décédée ; je lui demandai d'où venoit
qu'aymt été si vertueuse & si soigneuse de fré
quenter les Sacreuicns , elle soufFroir/c£pcndant
des peines si cruelles : elle me répondit qu'elle n'e-
toit-là que pour avoir quelquefois été un peu trop
vaines , fardant son visage pour en paroître plus
belle dans le monde.
D'où apprendront , s'il leur plaît , les Dames ,
à qui il semble qu'il n'y a point d'offense de s'équi-
perwtraordinairement pour paroître plus belles
aux yeux des hommes ; parce que disent-elles leur
intention n'est pis mauvaise , vûque cellc-ciqui
avoit si vertueusement vécu dans lr monde , & qui
. étoit tenue pour Sainte dorant fa vie , payoit à fa
- grande usure la petite vanité qu'elle avoit eûë à
trop orner son corps.
Tournant mes yeux d'un autre côté , j'apperçûs
q'uantité de Religieux , de Prêtres , de Prélars , de
Rois, & d'autres personnes de toutes sortes de
conditions , chacun defquele payoit la peine due
à ses fautes commises , ausquelles elles o'avoient
pas encote satisfait.
Que d'ici le dévót Lcétcor de cette Histoire ,
considere la diligence qu'il doit apporrer"à accom
plir les pénitences qui lui sont imposées par
1 64 La Vie \
Terc Confesseur , & l'estime qu'il doit faire des In
dulgences & Jubilez , afin qu'il ait moins à satis
faire en l'autre , par la rigoureuse exaction avec
laquelle on paye en ce lieu chaque petit défaut )
car quoiqu'on ce monde nous tecevions pirs abso
lution du Prêtre la rémission de nos fautes au S.
Sacrement de Pénitence , c'est feulement quant à
la coulpe , & non la rélaxation des peines dont
nous restons réliquataire à la Divine Justice , te
qu'il nons faut payer en ce monde ou en l'autre ,
pout en être quitterntiéremenr.
Les Démons voyant que je m'étonnois des an-
goisses & des peines que soufffoient ces pauvres
Ames languissante, , tant pour les brasiers ardens,
que pour la puanteur des fumées ensouffées qui
en sortoient en abondance , me mirent aux choix
de deux choies , l'une de m'exposcr à la rigueur de
toutes ces peines , ou de retourner d'où j'étoïs ve
nu. Mais comme il ine sembloir que j'appiochois
de la fin de ma journée , & me souvenant que jus
qu'alors Dieu ne m'avoit pas dénié son xflistínce
favorable , je me petsuadai qu'il ne me délaisscrolt
non plus en ce danger qu'il avoit fait aux autres.
J'eûs donc recours à mon azile ordinaire , le bou
clier de ma défense , la mémoire du Saint Nom de
Jesus , si bien qu'avant qu'ils se miflent en devoie
de me nuire , je me vis miraculeusement transpor
té en une petite forêt , perdant de vûë ces spectres
hideux qui disparurent devant moi.
Me voyant en ce lieu délectable , affranchi , ce
me scmbloit des prises de mes ennemis , comme
je croyois qu'il n'y ,voit plus de peines à sonffrir
niàvoirquecellcsdu Purgatoire , éríhr les der
nieres qtie je devois contempler - je fus bien trom
pé en mon attente , quand j'apperçûs venir à moi
deS.Pâtrice. î6"Ç
une puissante Armée de Démons , faisant des pos
tures sì horribles 8c si effroyables , que pour ne les
pas voii , j'ecois contraints de fermer les yeux ,
mais ces Lutins me frappant rudement , me for-
çoient de les ouvrir pour me faire conceveir plus
d'horreur de leurs grimaces & de leurs formes hi
deuses. L'un d'entr'eux , comme Générale de cette
Armée infernale . fê faisant bien joyeux de me
tenir fous son pouvoir , s'adresswt a moi , me tint
ce discours.
Toutes les horreurs Q> supplices qUe tu as vus mC
qu'ici , quoique ces Ministres t'ayant assuré que c'est'
la [Enfer , séjour lugubre des Démons damnés ,
ce ne lest pas pourtant : car c'est noue coutume da-
vancer desemblables tromperies & mensonges , pour
décevoir Us espritsfoibles des homme' ; maissoit cer
tain , que ce qui te reste k passer est le plus dangereux
& pénible ; car s'est proprement ce qui s'appelle [En
fer , oh tu demeureras à jamais confiné fans ijpoir
d'en résortir , situ ne retourne présentement.
A peine efit - il fini ce discours , que
ces Satellites m'empoignant par le col
let, me transporterent en un fleuve si
épais & proson'd , que la pensée humai
ne est trop soible pour se représenter la
crainte que le bruit terrible des ondes
écumantes de ce fleuve chsouffré me
donnèrent alors , ce fleuve étoit couvert
d'un côté de feux & de flâmes au lieu
d'eau ; & de l'autre , c'étoit une boue
noirâtre & puante , qui auroit fait soule
ver le cœur aux plus robustes. Âu lieu
166 LâVie ,
de poisson , c'était des monstres marins,
dont les écailles hideuses étoient des
pointes aiguës, qui traverfoient des mi
sérables damnés , qui se trouVoient au
tour d'eux, & que même ils accrochoient
par la bouche & les narrines pour les
traîner après foi , ce qui étoit le premier
& mauvais traitemens qu'ils recevoient
de leur malice. En tout ce fleuve il n'y
avoit aucune place vuide , tout étoit
rempli de supplices & d'Ames tourmen
tés. Si-tôt que j'eûs vû ce lieu épouven-
table , tout mon recours sut de rrte ré-
^ commander à Dieu , mon resuge ordi
naire, & comme j'eûs fait ma priere, ils
m'enleverent sur un pont fort élevé-, --
par où ils me dirent que }e devois passer
ce fleuve , qui étoit si spatieux & si lar
ge, que je ne pûs voir les limites. Ils
m'avertirent que jè prisse garde à ce que
j'entreprenois , & aux dangers qu'il y
avoit de passer sur un pont de glace ,
d'où si je glissois ou tombois , je devois
périr mille fois , corps & ame , vú que
ceux qui trempoient dans ce fleuve pro
fond me recevant, m'eiiseveliroient dans
les ondes cruelles avec eux ; outre que
le pont étant d'une hauteur démesurée,
U
de S. Patrice. 167
il étoit impossible de n'y tomber & d'y
rester vivant. Je me persuade que si je
fusse tombé , ces monstres infernaux
m'cusscnt massacré; car les uns m'appel-
pellant , me montroient les supplices
dont ils menaçoient de me tourmenter,
d'autres éguifans des rasoirs tranchans ,
se promettoient de me mettre en piéces,
si bien que tous me ménaçant effroya
blement, s'offroient d'ècre mes bour
reaux ; voyant toutes ces grimaces hi
deuses , & le peu d'apparence de prendre
une autre route , je me récommandai à
Dieu de tout mon cœur , & tout trem
blotant de crainte, baissant les yeux sur
mes pieds pour. ne plus voir leurs horri
bles grimaces , & étoupant mes oreiller
pour me garentir de leurs cris impor
tuns , je me résolus de passer outre à la
garde de Notre Seigneur. Quand je vins
à considerer ce pont , & toutes ces cir
constances dangereuses , je perdis toute
contenance , & j'étois presque inconso
lable dans cette disgrace nécessaire. Car
premiérement , il étoit d'une glace fore
unie & polie , afin qu'on glissât plus fa
talement , outre qu'il étoit si étroit , qu'à
peine y pouYoit-on poser deux pieds en-
P
16% LaVìc
semble. Secondement , il étoit fait en ba-
cule , si bien que tantôt il s'élevoit en
haut, d'autrefois retomboit en bas, afin
que ceux qui s'y expoferoient pour y
passer tombassent inévitablement dans
ee fleuve infernal. Troisiémement-, il
n'y avoit aucun appui pour se soutenir,
ni d'un côté ni d'autre. Ên quatriéme
lieu , il étoit battu d'un vent si impé
tueux, qu'il étoit capable de renverser
Un édifice cimenté à plus forte raison le
petit poids d'un pauvre homme auslï
foible qu'un roseau , & ce qui me ren-
doit encore plus consus , étoit d'enten
dre d'un côté les clameurs plaintives &
les hurlemens des condamnés , & de *
l'autre,! les cris effroyables que faifoient
les Démons pour m'épouventer & faire '
perdre courage; cequi en effet; me causa
une foiblesse de cœur , devant que de
rn'exposer sur ce pont périlleux. Mais
enfin, mettant toutes mes espérances en
Dieu , je repris mes esprits , & d'un vi
sage un peu rassuré de mes craintes , je
leur fis réponse en tremblant , qu'ils ne
prissent pas la peinede me donner da van- -
tage des conseils,que je n'ai pas résolu de
suivre , & que 1e Ciel prenant mon par-
deS. Patrice. 169
ti , ainsi qu'il avoit toujours fait , je ne
redoutois point les dangers du pont ,
non plus que les effets de leurs menaces.
1* A peine eûrent-ils o'úi ma réponse con
tre leurs attente , que poussez d'impa
tience & de colere , ils commencerent à
me brocarder, & à me charger d'injures
& d'opprobres , & aussi-tôt Tordre sut
donnée que quelqu'un passât le pont de
vant moi , afin que de fa perte je tirasse
augure de ma ruine prochaine. Ce qui
sut exécuté sur le champ.
A n'en pas mentir, c'étoit une chose
pitoyable de voir le rude traitement que
'faisoient Ceux d'en bas à'ce pauvre mifé-
^ rable qui tomboit dans ce gouffre infer
nal ; car l'un le frappoit d'une hache em
brasée , un autre lui arrachoit un bras
& le mangeoit, un autre le plongeoit en
. une chaudiere bouillante, d'autres en
faisoient leur jouet, comme d'une plotte
ou d'une balle. Considerant ce carnage
sanglant , & leá difHcultez de ce pont
dangereux , je ne pus m'empècher de
craindre le péril ainsi qu'auparavant ,
# néanmoins voyant que c'étoit un faire
le faut, & une nécessité obligeante de
passer par là, je me récommandai de fc
P ij
170 LtVie
chefà la conduite de Notre Seigneur, &
me munissant plusieurs fois du signe de
la sainte Croix , je nì'exposé courageu
sement au hazard , & Dieu se montra si
miséricordieux en mon endroit , qu'à
chaque pas que j'avançois , il me soute-
noit si puissamment de son secours, que
la violence des vents ne sut pas capable
de m'ébranler , ni faire chanceler mes
pieds d'un côté ni d'autre , de forte qu'il
me sembloit plutôt être sur un pont fer
me & solide , que sur cette glace glissan
te. Mes ennemis qui me suivoient pas-à-
pâs , me poussoient rudement pour me
faire tomber , & me voyant si assuré
dans ce péril, ils m'empoignerent par le
milieu du corps, comme des désesperez-
pour me précipiter de force dans cet abî
me.. Quand je me vis dans ce danger
manifeste , que j'entendis ceux d'en bas .
crier à pleine tête, que fans marchander,
ils me jettassent avec eux , tout mon re
cours fut à mon azile ordinaire. Ah Sa
cré Nom de fesus, que j'invoquai avec
autant de ferveur que je pûs , répétant
plusieurs fois la priere dont on m'avoit
instruit en y entrant , & sur le champ
cette troupe infernal me quittant , dis-
de S.Patrice. 171
parut avec des cris & hurlemens si épou-
ventables , que la pensée m'en Fait hor
reur , & j'en rendis graces à Dieu de
m'avoir affranchi de tant de dangers &
périls.

CHAPITRE IX
Oh il est rapporté comme Lotiii JEnius fut conduit en
un tien délicieux, ou il -vit la Gloire des Bienheu
reux ,ó-çe quiJe pajsa en leur compagnie.
DE's lors que par la miséricordieuse
bonté de Dieu , j'eûs évité ce péril,
mes ennemis n'eûrcnt plus aucun pou
voir de nie nuire,\& soudain }e me trou
vai en une si belle Vallée , que sa beauté
me convioit d'y faire ma demeure ; &
gofiter à longs traits des contentemens
si purs. Mais comme je désirois bien de
contempler tout à mon aise le séjour Sc
ia demeure des Bienheureux Saints , ain
si que j'avois été spectateur des supplices
des malheureux, selon que l'on'mvavoit
prédit en entrant : je ne m'arrêtai en ce
lieu qu'autant qu'il me sut nécessaire
pour réprendre un peu haleine , & me
délasser des travaux que j'avois endurez
dans ce voyage. Voyant donc une peti
te fente vers la main droite , enjolivé»
P iij
tyi Lé Fie
de part & d'autre , de roses & de jase-
mins , je pris ma route par cet endroit ,
contenant mes sens de tant de beautez *
mes yeux & mon odorat de la couleur
& de l'odcur dés roses , dont les feuilles
tomboient à terre, jonchoient & parfu-
moient le chemin de leur douceur & de
leur beauté, & mes oreilles du doux ga
zouillement que faisoient les ondes ar
gentines , la quantité des petits ruisseaux
qui couloient le long de ce sentier. Je
cheminai longtems par cette voïe déli
cieuse", d'où je passai en un champ spa
cieux , rempli dq beaux vergers , de jar
dins agréables , enrichi de claires fontai
nes , bâties de marbre & de jaspe , & en- J
richies de quantité de figures d'argent ri
chement travaillées. En chaque jardin
il y avoit des parterres , dont la broderie
étoit des chiffres artificiellement compo
sez ; le Romain faisoit l'office des lettres
qui annonçoient ce qu'il y avoit de mys
térieux dans chacune des fleurs. Au
coin de chaque carre il y avoit une belle
fontaine , dont les canaux , au lieu de
monter droit en haut , se divisoient par -
un artifice ingénieux , & se ramassoient
pour réjoindre -toutes les eaux ensemble
de S. Patrice. \7j
dans an grand bassin de bronze doré ,
qui sortant par de petits soupiraux de
même maniere , arrosant les pots d'œil
lets & les autres plantes qui y étoient de
toutes parts. D'un côté , ilyavoitde
longues allées couvertes d'arbres frui
tiers , chargez d'une si grande abondan
ce de fruits , que la puissante charge de
leurs poids affoiblissoit les branches, en-
sorte qu'elles panchoient presque jus
qu'à terre. De l'autre côté , je voyois
quantité de vases d'or & d'argent émail-
lez de pierres précieuses d'un prix inesti
mable , & toutes remplies de si belles
fleurs & si odoriférentos , qu'elles em-
baumoient ce lieu de volupté.
Comme j'admirois la beauté de ces
agréables jardins , ( qui à mon avis de
voient être le ParadisTerrcstre , où Dieu
mit autrefois nos premiers Parens après
leur création , ) j'apperçûs de loin un
Château d'un architecture nompareille,
& si haut élevé , que nonobstant fa dis
tance , je le voyois aisément fans beau
coup étendre ma vûë. Les portes paroif-
soient si éclatantes , qu'elles me sem.
bioient être toutes d'or , dont le lustre
étoit rehaussé dé quantité de pierreries
174 La Vie
& de riches diamans si rayonnans , qu'
ils fcisoient honte à la plus claire lumiè
re du Soleil dans son midi.
L'extrême désir que j'avois de con
templer cette nouveautéà mon aise, me
fit doubler le pas pour voir prompte
ment les raretez de cet édifice superbe.
Et comme j'en approchois , je vis qu'on
ouvritcerichePortaild'or.d'oùs'exhaloit
un air si doux , & une odeur si suave &
si agréable , qu'il sembloit qu'on y brû
lât tous les parsums & toutes les sen
teurs aromatiques du monde. Ilyavoit
devant cette riche porte un petit bois S
plaisant à la vûë, tjuc mon esprit est trop
trompant , & ma plume trop grojlìere
pour décrire la moindre de ces parties.
Ce qui nonobstant mon indignité &
mon peu dé^ mérite , m'augmenta enco
re le désir d'approcher de plus près ,
pour jouir fans obstacle des délices de
tant de beautez. Et comme je commen-
çois d'avancer le chemin vers cet en
droit , où j'avois apperçû qu'on ouvroit
cette porte , j'en vis sortir une Proces
sion rangée, composée de plusieurs per
sonnes toutes revêtues de robes blan
ches, qui sembloient venir à moi. Devant
de S. Patrice. 17s
«ette -Procession marchoient quelques
Enseignes déployées , ou des Bannieres
de drap d'or , accompagnées de quanti
té de torches & flambeaux de cire blan
che, & un nombre prefqu'insini de gens
de tous états & conditions qui fuivoient;
hommes, femmes, enfans, mariés, non
mariés , Dames , Demoiselles ^Reli
gieux , Religieuses , Prêtres , Evêques ,
Archevêques , Cardinaux , Rois & Pon
tifes , portant chacun la marque de fa
condition & de fa dignité sur une petite
tunique de toille d'argent. Au milieu de
cette augusteCpmpagtiie étoit un chœur
d'Anges , les uns tenantun Livre de mu
sique en la main ; d'autres divers instru-
mens musicaux , avec lesquels mèlans
leurs voix angéliques , ils formoient un
concert si divin & si charmant , que ravi
hors de moi-même , je restai fans mou
vement. Et après avoir repéré par trois
fois l'air amoureux de leurs Cantiques ,
entonnant les divines louanges , s'adres-
sant à moi, me reçurent courtoisement,
& me menerent avec eux au milieu de
cette sainte Compagnie , qui déja s'en
rétournant , entroit par la même porte
par où elle étoit sortie. Et comme je
\y6 La Vie
pensois entrer suivant Tordre où l'on
m'avoit placé ; je vis q>ie deux Arche
vêques venant à moi m'accueillirent au
milieu de cette sainte Troupe , rri'em-
brassant tendrement, avec grand témoi
gnage d'affection , ainsi que firent tous
ceux qui me rencontrerent après , com
me ils eussent fait à quelque personne
notable , dont ils eussent -reçu quelque
service signalée ? ou dont ils eussent es
péré quelque grande faveur.
A peine sus - je entré par cette heu
reuse porte , que je sentis mon ame sur
nager de joye , & comme d'un torrent
de délices surnaturels ; si bien qu'il me
sembla alors que j'étois légere & subtil ,
que mon corps étoit tout esprit, tantx
étoit grande la gloirequi me transforma
en un autre moi - même. Tout ce que
mes yeux découvroient., étoit rempli
d'une lumiere si glorieuse , que je n'ai
pas à présent l'esprit assez fort pour ex
primer la moindre de ses clartés.
Ceux qui habitoient en ce lieu déli
cieux , étoient vêtus de même maniere
que ceux qui sortoient pour me rece
voir , tous ornés de vêtemens confor
mes à leur état. Et la gaycté qui parois
de S. Patrice. 177
soit en leur visage , montroit évidem
ment l'excès de leur souhait, qui ne pro-
cedoit d'ailleurs que de la jouiiïance &
vision bienheureuse de la face de Dieu
& de son'EsTence infinie , dans laquelle-
ils étoient amoureusement abîmez, ainsi-
que des Séraphins brûlant de charité. Ils
vivoient tous en telle union de volonté,
que celle de l'un étoit celle de l'autre ,
mème de tous ensemble. Je faisois mille
discours en moi-même , à la vûe & sur
la considération de tant de merveilles ,
pour tirer connoiisance de la vérité que
je soupçonnois , que cette Terre devoit
être le Paradis , puisqu'elle étoit si sem
blable a u Ciel. Et de vrai quoi je re
connus que cette demeure n'étoit pas
de la terre , sut de voir que ceux qui
l'habitoient,iion feulement étoient con
tens de la gloire & des lumières dont
chacun d'eux jouissoit ; mais mème de
celle que les autres possedoient. Le tout
en générale , & chacun en particulier ,
étoient ausîi contens de nie voir libre
des peines que j'avois évitees , comme
fi ce bonheur fut arrivé à leur propre
personne , ce qui me persuada. si forte
ment que c'étoit le lieu des Bienheureux,
t7% U rie
& le lieu de la Gloire , où que ce n'est
pas l'ordinaire des habitans de la terre ,
de se réjouir de la prospérité d'autrui ,
les maximes des hommes de la terre
étant contraires à celles'du Ciel , & que
c'est assez pour être mal venu des hom
mes, de s'être acquis quelque réputation
ou estime dans le monde par son proore
travail , & par sa vertu , quoique de-la il
n'en arriva aucun détriment à person
ne , tant est grande l'ingratitude & lë
mauvais naturel des hommes; mais dans
mes sens tous également content , un
chacun s'employe selon son pouvoir à
chanter ses divines louanges , & à ren
dre des actions de graces immortelles à
Dieu , pour foi en particulier , & pour
tous en commune parce que , comme
chacun d'eux ne peut prétendre ni aspi
rer qu'à la vision bienheureuse de l'Es-
sencc , personne n'envie le bonheur ni
la joye de son Compagnon , au contrai
re , ils font tous aussi également satis
faits de la gloire d'autrui , que de la leur
propre.
Après que j'eûs demeuré - là quelque
tems , qui à la vérité ne me sembla pas
un petit moment , dans la contempla
de £ Patrice. 17*
tion de tant de belles merveilles , un des
Archevêques qui m'avoit si bien reçu à
l'abord , se tourna vers moi , que je re-
y connus à ses discours devoir être le très
glorieux Patriarche S. Patrice , qui me
conduisant par la main en la veste éten
due de ce lieu agréable , me montra plu
sieurs Saints & Saintes , à qui j'avois eû
quelque particuliere dévotion, & même
quelques-uns de mes Proches qui me
considerant d'un amour tendre , se ré-
jouiflbient de me voir en ces lieux déli
cieux , m'embrassant plusieurs fois , il
me dit :
Mon tris cher fils, jefuis sertsatisfait Je lapéni
tence (y dugrand courage que tu as témoigné , t'ex-
"V. fosant à tant de hazards tirades tsurmens fi cruels,
que ceux que tu as vus en entrant dans la périlleuse
Caverne , que Dieu me révela autrefois, pour eclai
rer Us infidèles & barbares íayens , les retirer de [*-
meuglement de leur idolâtrie , que par une obstina
tion endurcie refufoient de donnerfidele créance aux
vértttz. du Chrifliani/me , particulièrement a cetle-
ci , quoique notre ame apris laséparation du corps ,
eût quelque lieu détermine oie tllefe retire- comme en
son propre centre. Et pour la constante fermeté que
tuas tué en la fcy de ces augustesítiyfteres, & lapar
faite confiance que tu as montré avoir en infinie
miséricorde du bon Dieu, il apli ìt la Divine bonté,
-* qu'aprìs avoir échappé les supplices , que tu aye été
heureusement conduit en ce lieu de délices - qui est le
Jéjourfortuné de tous Us Bienheureux & des 4nget,
ï8o La Vie
fr le lie» pirdurable de leur repos éternel. Ici do*c\
est la demeure des Anges , le fé\our des Archanges ,
U siège' des Chérubins fr des Séraphins , Fétabïifli-
. ment des Trônes fr des Dominations , la récompense
des Martyrs - des Constueurs fr des Vierges - fr la
gloire de tous les Saints fr Satntes - ainsi que tu -vas
reconnoître par les glorieuses Aureoles de chacun en
particulier , qui nus ne cederont point de louer Dieu
à jamais , fr d'adorer éternellementfa bonte infinie,
la gloire qu'ils possedent est si grande , que quand
les plus dodts fr lei plus eloquentes plurr.es de tous Us
Saints que tu as vû> - fr qui peuvent être dans Í'E-
gìije Triomphante , prendraient à tâche d'en ecriri
les particularitex. „ ils n'en sfauroient exprimer la
moindre des circonstances , non mime le crayonner
quegrossièrement par des repréjentatiom rempantrs,
qui font indignes de son excellente beauté. Le plus
haut de leur éternelle félicité consiste en la vision
bienheureuse de la face de Dieu , d'où débordent tous
les plaisirs imaginables, que les pistes goûtent à longs
traits dans ce torrent de "volupté , fr expriment les J
solides contentement que Ion trouve à aimer Dieu
parfaitement. Cet avantage de voir la gloire dt
Dieu dans la contemplation de divine Essence saut
nuage frfans voile , ne te peut être er.core accordé *
présent : car comme lesytux corporels ont leurs puis
sances , fr qu'ily doit avoir certaine proportion en
tre la faculté fr son objet , leur pouvoir est tropfoi-
' i>/a pour atteindre h cet objet infini fr souveraine
ment adorable. Von doit adorer Dieu par lafoy .sur
la terre , desyeux de tentendintent , qui eft unefd-
< culté égale en quelquefa{on if lapureté de la nature,
& quoiqu'a présent tu [aye vif fr pénétrant plu'--
qu',i [ordinaire , étant encore m anmems enveloppé
dans U matiere , fr rttenu dans un corps pastille &
de S. Patrice. \%l
mortel , il n'est pas capable d'uitegloire ^rayonnan
te. Mais prens une constance certaine en la Divine
bonté, & espere constamment que te donnantses grâ
ces pourfintr heureusement tts jours tn icelles , tuse
ras enfin comblé de mérites , & chargé de bonnes
œuvres à cette glorieuse Porte , plus libre & plus lé
ger qu'à présent étant détaché de U nature grossiere,
des embarras des sens corporels Ce que maintenant
]e désire de toi - mon cher Fils , est que puisque tu
sçait par ta propre expérience , & combien senfible-
mtntsont tourmentées les Ame: qui restent réliqua--
taires les peines qui font dâës a leurs crimes , auf-
quelles elles "n'onr pas pleinementsatisfaie en ce mon
de , dans les fiâmes cuisantes du Purgatoire , tu es
saye de vivre de telle innocence & pureté dans les
auftéritez- de la Pénitence , qu'il ne reste rien a pur
ger pour la vie future , afin qu'après ta mort tu ne
fois pas obligé à ressentir [aigreur de tant desupplices
cuisant , dont tu en as ressenti quelque atteinte lége
re : te voilà maintenant quitte & affranchi de tou
tes celles qui t'attendoient pour punition de tes for*
faits , & en pareille innocence éf pureté , que fi ttt
jortois des eauxsacrées du Baptême. (
Les salutaires conlcils de ce S. Archevêque , me
comblerent d'une douce consolation , quoiqu'ils
tempérassent beaucoup de joyr^ , m'avertissint que
je deviais encore retourner au monde, & que je
prisse garde de bien vivre, enserre que je me ga-
rantisle des peines que j'avois vsiè's , & qui m'é-
toient préparées , si je péchois derechef, Si n'en
fille pénitence condigne.
Cerne fut un piéjugéque ìe ne devois pas en
core demeurer en un lieu fi délicieux , que cri ui où
je me trouvois alors , ce qui ne me causa pas peu
d'ennui Si d'inquiétadci mais bcaucouf plus, lors
j8Z La Vie
qu'il me dit , que mes souhaits cran t accomplis',
qui tendoient à la pui gation cntierc de toutes mes
butes , & à voir les châtimens des coupables , te
la récompense des bons , je devois sortii de-là pic-
sentemenr.
J'euslc volontiets répliqué selon mon désir ;
mais comme il me sembla qu'il y auroit eu quel
que sorte de témérité & de désobeissance à les pa
roles , j'obéis auísi- tôt fans répartie. Ce que jt fis
donc alors , fut de me fondre en larmes . déplorant
la perte qnc je faisois d'un fi grand bonheur , &
me représentant comme étant homme fragile , je
doutois fort que l'excèsdes crimes que Je pourrois
commettre dans le siécle , si j'y retournois , nc
m'empechât de revoir jamais cette perte divine,
& ne m'interdit l'entréc de cette Cité bienheureu*
se. Ce S. Patriarche me repartit doucement que je
me remisse en mémoire l'Eternitédes peines que
j'avois vû'es , préparées aux coupables qui meu
rent en la disgrâce de Dieu , & pareillement celles
dont font tourmentez ceux qui quoiqu'ils meu
rent en la grâce , & que leurs fautes leurs soient
remises pat l'cfficace des Sacremens , néanmoins
n'en ayant pas fait condigne pénitence , il faut
qu'ils se putgent par les fiâmes que j'avois vûë. Et
que si je me consacrais parfaitement à Dieu le res
te de mes jours , mettant toutes mes espérances en
ses divines miséricordes , & il ne manqueroit pas
de me donner des aides sécourables , & des grâces
suffisantes pour observer exactement ses Loix , &
me conserver dans fa bien-veillance , & que pour
cela, il ne m'étoit besoin que feulement contribuer
de ma volonté libre, fans apporter de résistance óa
d'obstacle à l'efficace de ses grâces.
Après
de S. Patrice. ig$
Après ces salutaires conseils , ce Saint
Prélat m'embrassa derechef avec beau
coup de témoignage d'affection, m'assu-
rant qu'il n'y a voit plus rien à craindre
pour moi au retour , quoique je passasse
par les mèmes voyes , que les Démons
qui me ménaçoient alors si effroyable
ment, n'avoient plus aucun pouvoir de
me nuire , il me prit par la main , & me
poussant hors de la porte , la referma
promptement , me laissant dans une af
fliction si extrême, que je la puis mieux
penser , que je ne la sçaurois exprimer ,
puisque je me vis privé tout-à-coup des
plus chers délices du Paradis. II me fal
lut donc m'en retourner par le même
chemin que j'étois venu. Je me retrou
vai soudain dans cette mêmeVallée dont
je vous parlois tantôt : mais quoiqu'elle
me semblât agréable & plaisante à voir ,
ellè n'étoit pas pourtant comparables
aux délices de la gloire , d'où je venois
de sortir. De-là , je pris ma route par les
autres campagnes , je repassai par les
mêmes tourmens que j'avois vûs en en
trant , j'apperçûs les mèmes condamnés
& les mèmïs Ames qui gémissoient dans
les brasiers du Purgatoire ; & quoique
iS4 ' * La Fie ,
}e visse lesDémons en forme hideuse à
l'ordináire , je ne craignois plus leurs
attaques , ni les t'ourmens qu'ils avoienfc
en la main , dont ils me ménaçoient au
paravant , aussi rie m'en firent-t'ils au
cun semblant . au contraire s'écartant
de moi, mefaisoient plaòepour me don
ner libre passage , & íembloient s'ensuïr
de moi comme honteux de leur défaite,
me voyant si lumineux & rayonnant
de gloire , que j'étois parfaitement libre
de l'énormitédes crimes que j'avois com
mis , & des nombres de tant de péchés.
Or comme j'allois peu-à peu , tâton
nant de part & d'autre, pour arriver à la i
Salle que j'avois vue en entrant en ce (
heu sombre , les douze Religieux que
j'avois vûs en passant, & qui m'ávoient
si courageusement animé au combat des ;
rencontres périlleuses que je devois fai
re, me vinrent charitablement accueil- <
lir , ainsi qu'ils avôient fait auparavant, 1
í'étant quelque tems entretenus avec
moi de mon bonheur , me convierent
de retourner promptement par le mème
endroit que j'étois entre pour me rendre *
à la porte de la Caverne au tems préfix
que le Pere Prieur s'y doit trouver,pour
' 2 que ne m'y tro«vant à l'hetìre» il tien.;. :
de S. Patrice*
j droit ma perte assurée. Et après ces avis
M charitables , ils me donnerent tous leur
d bénédiction se séparant de moi.
Je cheminas donc *en diligence pour
l arriver à terns à la porte , & ayant avan-. o**
I ì cé environ un demi- quart de lieue par
I dessous terre , je me trouvai au bout de
j ; ce petit sentier, fans que j'apperçusses
aucune marque ou vertige de porte pour
. passer outre , ce qui me causa une telle
crainte, que je pensois être relégué pour
jamais dans cette triste solitude : si bien
qu'ayant recours à mon azile ordinaire,
mes vœux au Ciel j'adressai, & réclamai .
lc secours de ce S. Patriarche , qui m'a-
I voit comblé d'une si parfaite consolation
par ses charitables discours, & voilà qu'à
peine ma priere étoit finie que j'entendis
un éclatde tonnerre effroyable, quoique
non si épouventableque le premier, qui
me fit tant de frayeur à mon entrée; mais
cependant qui me fit trébucher dans le
même précipice où j'étois tombé la pre
miere fois. Le coup que je reçus de cette
chute m'étourdit , ensorte que je restai
'tout consus & interdit, & reprenant pe-
tit-à-petit mes esprits &'mes forces , tâ-
tant de côté & d'autre pour rencontrer
i Î6 U rie
libre passage , je trouvai des trous faits à
' eette mine , à la façon des dégrez d'un
puits , par où j'essayai de remonter du
mieux qu'il me sut possible , jusqu'à ce
que j'arrivai à la premiere Cave quej'a-
vois traversée, en entrant , à la faveur
d'un petit éclat de lumiere qui entroit
par une fente de la Cave , j'abordai près
de la porte par on j'étois entré le jour
d'auparavant , où à peine sus - je arrivé-
là , que je l'entendis ouvrir par le Révé
rend Pere Prjeur qui me venoit recevoir
avec la même Procesîìon qui m'a voit ac
compagnée en entrant. La joye sut éga
lement grande de part & d'autre de leur
côté & du mien, eux de me voir ressortir
vivant de ce lieu périlleux, & moi de me
voir affranchi de tant de hazards que
j'avois courrus en ce dangereux voya
ge , outre le calme & la douce tranquili-
.. té que je ressentois en ma conscience ,
purgée de tant de crimes dont j'étois
coupable devant Dieu. - - - '
Tous témoignerent leurs coiîtente-
mens, & me saluant avec révérence , me
traiterent avec les mêmes respects qu'on '
fait des choses Saintes.
Après ces devoirs respectueux, ils me
de S. Vátrtce. \ 87
conduisirent solemnellement en l'Eglifc
pour y rendre mes vœux & les actions
v de graces que je devois à la divine bonté,
' adorant ses infinies miséricordes & ses
immenses libéralisez en mon endroit.
On me mit reposer en une petite Cellule
l' espace de n«)f jours, lesquels étant ex
pirez , l'on s'informa de moi quand je
désirois partir de-là,& me souvenant des
hazards & des écueils dangereux qui se
trouvent sur la mer orageuse de ce mon
de inconstant & trompeur, je témoignai
par mes larmes & mes instantes prieres,
î'extrème désir que j'avois de finir le res
te de mes années en ce S. Monastere,
conjurant amoureusement le Révérend
Pere Prieur de m'accorder le S. Habit de
leur Ordre. Ce bon Pere connoilsant à
ma façon extérieure,le zéle intérieur que
j'avois de servir Dieu fidélement , & la
résolution que je prenois de vivre ver
tueusement avec eux, acquiesça très vo
lontiers à ma juste demande; si bien que
je sus reçu au nombre des Saints Reli
gieux avec grande satisfaction de tout
le Couvent, où je vis maintenant le plus
content du monde , n'y recherchant au
tre chose que la pure gloire de Dieu,
i83 U Fie ' ,
pour lui agréer en toutes mes actions ,
pour fléchir la divine bonté à m'octroyer |
ses graces , pour me conduire heureuse
ment en cette agréable demeure , où je
me suis vû si peu de tems , & où je prie
cette mème bonté que nous nous puis
sions tous voir un jour ensemble.
Voilà labréveilélation qu'à sait Louis
Enius , de l'Histoire de son Voyage dans
le Purgatoire de S. Patrice. Tous ceux
qui font entrez , & qui par l'assistance
divine en font ressortis , disent la même
chose , ainsi qu'il se peut voir dans les
Manuscrits qui font en réserve dans les
Archives de ce Monastere, & en d'autres
Eglises de ce Royaume en Langues dis- J
férentes. . .-
Plaise à Dieu par & bonté infinie, que
cette Histoire prodigieuse aïrêtc le cours
de nos malices , & nous servent comme
d'un beau miroir à deux faces , ou dans
l'une voyant la gloire des Bienheureux,
nous aspirions après fa jouissance , sui
vant les vestiges & les traces qu'ont tenu
les Saints pour y arriver , & l'autre con
sidérant les peines que souffrent les pau- '
vres Ames languissantes , tant dans les
fiâmes cuisantes de l'Enfer que dans
celtes du Purgatoire , nous aî^^t^
cions de corriger nos erreurs , ^ rçgler
nos mœurs dépravées au juste -ni'^V
des Loix de Dieu ; la mémoire de u'ótre
fin dernierë , où nous devons tous èu e
présentez au- juste Jugement de Dieu ,
pour tous & un chacun , recevoir la ré
compense de nos œuvres , si nous som
mes du nombre des Elus , ou pour être
suppliciez de chátimens-éternels : si nous
sommes mis au rang des Ames reprou
vées , adressons nos vœux au Ciel ;
prions la divine Majesté qu'elle nous
préserve de la disgrace de ces derniers :
puisque par sa bonté ineffable , il a ré
pandu son Sang également pour tous , a
dessein de nous élargir ses graces par ses
mérites infinies ici bas , & dans le Ciel
les trésors de fa gloire , pour en jouir à
jiamais. Ainsi soit-il.

Uni Deo trino Creatori, Çhristo Sépara,


tort , Genitrici Dti Maria , fantìijstmo Pa
tricia , ac Seraskico Patri Beanjsmo Fra»,
cisco , Uut hanòr G? gloria m ftcnU.

FIN. -
~ :
Èxjfatt 'de laTermijpon Royde. ...
'-
-, _ .;-
P Àr permission de Sa Majesté , accor- -
déete'4- Juin I723".fig',-f SAiiïscrr,
& scellé : il est permis à Je AN OliDOT ,
Imprimeur-Libraire à ïrpyes , d'impri-
-jpier ou faire imprimer de < cr.dre ou
Faire vendrë par tout/é^iyaume pen
dant le tersìsdctrois anrì-^confëcuçi-
ves, un Lu're inutiííé, C« fy&dt S. Pa
ce ; avec défense à tous Imprimeurs- Li-
1 "aires , & autres psiionncs que quel
que qualité & conditb \ qu'elles soient
d'en introduire d'impreiììon étrangere ,
&c. ' ' ' -->
Regijlrèfurie RcgiJlre VII. de la.
Chambre Royale des Imprimeurs dr Li
braires de Paris y N°. . ,. Fol. ijò.
conformimera mx anciens Règlcmens
confirmées far celui du 2g. Février
1723- slfaris U s.Jí/ik 172g.

- C o 1 G k a k d , Syndic.
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