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A
ide-moi, je ne sais plus Ni Colas Hulot ou Fous-moi la balle qu’en irréprochable chevalier blanc
à qui je dois m’adresser. au centre ? Au père de six enfants de la morale tu devais chevaucher
Au ministre de la et grand-père de vingt et un petits avec panache, personne ne pouvant
Justice, garde des enfants de chœur ? Vous êtes imaginer qu’au MoDem on traficotait
Sceaux, numéro 3 combien là-dedans Françounet ? comme ailleurs avec l’argent
du gouvernement ? Depuis un mois que le des contribuables. Aux enquêteurs
Au président du MoDem, à l’ex-boss gouvernement d’Edouard Philippe de France Info, qui te cherchaient
de l’UDF, du CDS, de Force piétine dans l’antichambre des moules dans le rocher
démocrate ? Au simple citoyen ? des législatives avant de lancer à cause de l’affaire des assistants
A l’ancien maire de Pau ? A celui son blitzkrieg de droite, on sent bien parlementaires européens de ton
qui fut candidat perdant à l’élection que t’as un peu les abeilles, qu’il parti qui n’ont a priori jamais vu
présidentielle depuis la guerre y a quelque chose qui butine dans le Manneken-Pis, tu t’es fendu d’un
de 14 ? Au soutien de Chirac, ton cerveau aux mille occupants coup de fil menaçant. Mais c’était
de Hollande, de Juppé, de Macron, et que cette foule sentimentale le “simple citoyen” qui bégayait
de Clémentine dans Koh Lanta ? aimerait nous dire un truc. de rage au bout du fil, pas les
Au biographe d’Henri IV ? A l’auteur Tu espérais Matignon, ne nous autres, et surtout pas le ministre de
des impérissables essais Projet voilons pas la face, à la place la Justice, garant de l’entière liberté
d’espoir, De la vérité en politique, on t’a refourgué la loi sur la de la justice en question, et par
Ni Droite Ni Gauche Ni Dieu Ni Maître moralisation de la vie publique, là-même de celle des journalistes
pour faire éclore la vérité.
C’est pratique, dis-moi, ce
dédoublement de casquette quand
on a la patrouille au cul. Si Cahuzac
et consorts avaient fait preuve
en leur temps du même culot,
ils auraient pu arguer du fait
que le simple citoyen avait gentiment
déconné mais que le ministre,
du haut de sa stature de grand
commis de l’Etat, ne pouvait voir sa
belle et noble mission se confondre
avec de telles basses magouilles.
Et Fillon alors ? Le simple citoyen
de la Sarthe arrosait toute sa smala
avec nos impôts, mais le candidat
des Républicains n’avait rien à voir
avec lui.
T’es un génie, Fanfan, c’est pas
la Justice qu’on aurait dû te confier,
c’est la Santé, ou comment
apprendre à emmerder le monde
avec une schizophrénie assumée,
un coup j’te fais Ghandi, un coup j’te
fais Al Capone, au bal masqué ohé
ohé, et si tu protestes je te colle une
bonne gifle à l’ancienne pour clore
la discussion. Pour l’instant, t’as
l’impression de tenir Macron par les
castagnettes, mais qu’en sera-t-il
quand tu auras usé sa patience ?
“Chaque fois qu’il y aura quelque
chose à dire, je le dirai”, as-tu
fanfaronné après ton recadrage.
Comme ministre, c’est pas gagné,
mais tu as un bel avenir de troll.
Je t’embrasse pas, vous êtes
trop nombreux.
03 billet dur
06 édito
08 recommandé
10 entretien Benoît Hamon revient sur son
échec à l’élection présidentielle, dresse le
bilan du quinquennat mais s’affirme toujours
aussi combattif pour faire gagner les idées de
gauche en lançant un nouveau mouvement
18 reportage Si Manuel Valls a été élu député
34
dans l’Essonne, de nombreux habitants d’Evry
lui reprochent sa trahison, son absence
sur le terrain et son bilan au gouvernement
Larry Williams
24 la courbe
25 nouvelle tête Inüit
26 la loupe
28 où est le cool ?
33 cette semaine sur
10 34 Prince
toute l’histoire de Purple Rain,
chef-d’œuvre du Kid de Minneapolis,
réédité trente-trois ans plus tard
Iorgis Matyassy pour Les Inrockuptibles
52
56 Achille Mbembe
Entretien avec le philosophe camerounais,
théoricien de “l’Afrique-Monde”, concept
qui permet, selon lui, de dépasser ceux
de négritude et de panafricanisme
60 Fleet Foxes
le folk en apesanteur des Américains
revient après six ans d’absence avec
le cylconique Crack-Up. Rencontre
Pierre Siankowski
6 les inrockuptibles 21.06.2017
V
e
grand Ouest
Impitoyable
En 1992, Clint Eastwood réalise peut-être l’un de ses
plus grands films : Impitoyable, un western somptueux
dans lequel il campe un tueur à la retraite engagé
dans un ultime coup. Celui qui incarna pendant
longtemps le célèbre et jugé “fasciste” inspecteur
Harry tire là une œuvre profondément politique
et interroge la violence de la société américaine.
Un film majeur à (re)voir en salle ou en DVD.
Warner Bros
Frédéric Lemaître
la jeune scène littéraire mexicaine, représentée
par Aura Xilonen, Eduardo Rabasa, Laïa Jufresa
ou Antonio Ortuño. Arielle Dombasle et Nicolas Ker
(Poni Hoax) viendront clore le festival en musique.
La promesse d’une édition vibrante et engagée.
livres du 22 au 25 juin, Toulouse
Virginie Despentes
et le groupe Zëro Vue de Cuba
before
La Route du Rock Tour
En attendant son édition 2017 en août,
toujours à Saint-Malo, La Route du Rock
prend tout son sens cette semaine avec
sa tournée annuelle. PJ Harvey, Interpol,
The Jesus And Mary Chain, Mac DeMarco,
DJ Shadow, Soulwax, Ty Segall, Future
Islands ou encore Tale Of Us passeront
ainsi par toutes les grandes villes de
France pendant les prochaines semaines.
A checker sur le Facebook de La Route
du Rock, histoire de ne pas rater
la date près de chez soi.
Maria Mochnacz
“je ne me vis
pas du tout
comme une
victime”
Jeudi 15 juin,
dans les locaux
du journal
A
près ces législatives, la gauche semble Vous avez réalisé le plus petit score du Parti
KO debout. Comment expliquez-vous socialiste à une présidentielle avec 6,36 % des voix
cette déroute idéologique ? exprimées. Comment expliquez-vous ce décrochage
Benoît Hamon – Je pense que la gauche alors qu’après votre victoire à la primaire citoyenne,
a vécu un long phénomène d’érosion certains sondages vous attribuaient 18 % des voix ?
comme lorsqu’une falaise se fragilise et Après la primaire, j’ai changé de costume et j’ai revêtu
d’un coup, un bloc finit par tomber. A première vue, les l’habit du candidat du Parti socialiste. J’ai dû alors
résultats des législatives donnent un peu le vertige car composer avec un Premier ministre qui réclamait
la gauche laisse l’impression de disparaître du spectre que je fasse la défense de son bilan, avec des ministres
politique, mais ce n’est pas parce qu’elle ne siège qui disaient que mon projet était “nul” mais que par
plus à l’Assemblée qu’elle a disparu du paysage. discipline, ils ne feraient rien contre et enfin avec ceux
Je pense que la situation actuelle a le mérite de mettre qui ont mis en scène et organisé leur défection. Quand
les choses au clair. Emmanuel Macron a réalisé je rencontrais des électeurs, même s’ils me jugeaient
la réunion entre des courants politiques de droite victime d’une sorte de trahison, ils n’avaient plus envie
et de gauche qui s’étaient progressivement rapprochés de voter pour moi. Autant je pense qu’ils reconnaissaient
au fil des décennies. Je serais par exemple bien l’honnêteté de ma démarche et la qualité de notre projet
en peine de citer la différence sur les questions politique, autant le rejet du Parti socialiste et de ses
européennes, économiques ou sociales entre combines d’appareil était tel qu’ils avaient envie de passer
Alain Juppé, Emmanuel Macron ou bien encore à autre chose. C’est la raison pour laquelle j’exprime
Manuel Valls. En réalité, ces gens-là se sont accordés une immense gratitude aux militants et citoyens
sur une politique économique mais aussi sur une vision qui dans ce contexte se sont battus à mes côtés.
de la société. Et le mérite de Macron est de révéler On a l’impression que vous avez vécu une expérience
au grand jour cet accord tacite. encore plus douloureuse que Ségolène Royal lors de
Emmanuel Macron a réussi à donner à sa campagne l’élection présidentielle de 2007. Pourquoi avez-vous
l’apparat de la modernité. Pourquoi n’avez-vous pas suscité autant d’animosité de la part de votre camp ?
réussi à véhiculer la même idée malgré votre rupture Je ne pense pas que l’on puisse comprendre ce qui
programmatique ? est arrivé sans évoquer la fin du quinquennat
Macron a été puissamment aidé par le soutien de François Hollande. Il s’est terminé sur un fiasco
à son projet politique par des grandes puissances politique, à savoir la loi travail, qui avait été précédé
d’argent et leurs relais d’opinion. La question qu’il par un autre fiasco éminemment symbolique :
faut se poser c’est : qui veut-on servir d’abord ? Lui, la déchéance de nationalité. Par tactique, François
c’est clair, il fait l’unité de la bourgeoisie autour de ses Hollande a voulu réussir une unité politique factice
propres intérêts, qu’ils soient de gauche ou de droite. entre le parti de Nicolas Sarkozy et le sien et il a franchi
Sa force, c’est d’avoir révélé que nous étions, au sein du une ligne rouge. Là où il avait l’unité de la nation face
Parti socialiste ou des Républicains, dans des clivages au terrorisme, il a créé la discorde. La déchéance
surjoués. La droite n’aurait pas appelé sa réforme de nationalité, cela va plus loin qu’un simple désaccord
“Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi” mais sur une ligne économique au sein d’une même famille.
elle aurait fait globalement la même chose. En somme, Beaucoup se sont dit alors : “Peut-être que l’on ne
les noms des lois auraient été différents mais pas le partage plus les mêmes valeurs ?” A mes yeux, cette
contenu. Même sur les questions des libertés publiques séquence ne pouvait se terminer que par un désastre
et des droits fondamentaux, beaucoup de Républicains électoral. Fort heureusement, notre campagne
et de socialistes s’accordent sur la perpétuation de a au moins permis de fertiliser des idées nouvelles.
l’état d’urgence, voire son intégration au droit commun. Si nous faisons le bilan de cette présidentielle,
Les électeurs ont fini par se demander pourquoi ces que regrettez-vous ?
politiques sont séparés puisqu’ils nous jouent la même La réalisatrice Valérie Donzelli qui m’a accompagné
partition dans les médias ou à l’Assemblée nationale. durant cette campagne me disait que la réussite
Macron a réussi une triple synthèse : il a unifié d’un film, c’est la qualité de sa préparation. C’est pareil
politiquement la vieille et la nouvelle bourgeoisie, les pour une campagne électorale de cette importance.
sociaux-libéraux et les conservateurs, la haute fonction Je pense que nous n’étions pas préparés à l’épreuve
publique et le monde de la finance. La France qui va que nous allions vivre. Je me rappelle que j’ai enchaîné
bien a décidé de gouverner pour elle-même. un déplacement aux Antilles, le meeting de Bercy
21.06.20107les inrockuptibles 15
que la suppression de l’ISF pour les patrimoines cette bataille culturelle mais en étant conscients que
financiers que va faire Macron est d’une injustice qu’il nos adversaires utiliseront aussi ces moyens. Il faut
n’aurait pas supportée non plus. Je ne cherche pas à y apporter de la constance car les batailles qu’on gagne
me le réapproprier, mais laisser entendre que Rocard sont parfois fragiles. Nous voulons préparer le terrain
aurait validé ça, je n’y crois pas une seconde. pour une victoire de la gauche, non pas d’une étiquette
Comment expliquez-vous que les Républicains mais d’un projet politique émancipateur et d’une
et le Parti socialiste se soient sabotés face à la nouvelle société. Macron est le président des Français
candidature Macron ? qui vont bien. Donc d’une minorité. Il nous revient
On arrive au terme d’un processus qui ne marque pas de permettre à la majorité sociale qui ne profitera
seulement une faillite politique mais aussi une faillite que des miettes de la croissance et des politiques
morale. C’est sur le plan éthique, dans les libérales de se transformer en majorité politique
comportements, qu’il est apparu que la droite comme dans quelques années.
la gauche n’étaient plus désirables non seulement Qu’est-ce qui vous a le plus déçu au cours
dans leurs projets politiques respectifs mais aussi de ces six derniers mois ?
dans les attitudes de leurs dirigeants. On m’a reproché J’ai été moins déçu qu’agréablement surpris, si je fais
d’avoir refusé l’habit de l’homme providentiel au cours le solde. Un certain nombre de gens m’ont déçu mais
de cette campagne. Certains disent que c’est une erreur objectivement, j’ai plus de choses qui m’ont réconforté
politique, mais je pense que pour préparer les victoires et fait sourire. Je n’ai jamais eu l’impression d’aller
électorales de demain, il faut que la société et les à l’abattoir, de vivre une tragédie grecque. Je sors de
citoyens consentent – dans le domaine des institutions cette campagne très lucide sur la fragilité du pays
par exemple – à la pertinence et à la nécessité du projet et très inquiet de l’impact des réformes libérales à venir,
politique d’une VIe République. Sans doute faut-il mieux notamment dans les banlieues, surtout si on n’a plus
incarner “l’homme collectif” qui doit demain remplacer d’élus de terrain et si le tissu des services publics et
“l’homme providentiel”. Mais nous avons cinq ans des associations continue à se dégrader. Mais je perçois
pour y travailler. Et je juge cette perspective exaltante. aussi très distinctement toutes ces énergies solidaires
Globalement, ce que la gauche doit faire dans les qui, à partir de la diversité de nos territoires,
cinq ans qui viennent relève d’abord d’une bataille dessineront demain un grand projet émancipateur.
culturelle et idéologique. Si demain nous parvenons Au lendemain de votre élimination aux législatives,
à changer la perception que les Français ont de leur vous avez partagé une image du tableau Sisyphe
travail, il sera plus simple d’organiser les réformes du Titien sur Twitter. C’était une manière de résumer
auxquelles j’aspire, il sera plus simple de faire accepter les défis qui vous attendent ?
le revenu universel comme un moyen d’émancipation Le mythe de Sisyphe met au défi l’humanité d’être
et non comme un moyen de maintenir sous cloche plus grande que la peine qui lui est infligée. Ce que l’on
des inactifs. La révolution numérique nous offre de porte en nous est plus vaste que la tâche qui consiste
nombreux outils de communication pour pouvoir mener à remonter éternellement un rocher. J’aime la lecture
qu’en fait Albert Camus lorsqu’il présente cela comme
un moyen pour l’humanité de s’émanciper. En rendant
Sisyphe heureux, on prend les dieux à leur propre piège,
un nouvel élan ? on comprend le sens de l’humanité. Remonter un
rocher, vaincre des inégalités, c’est notre lot commun.
Benoît Hamon sera à la manœuvre le 1er juillet,
jour de lancement de son mouvement à Paris. De quelle manière j’ai soulevé le mien ? En me
Oublier les défaites et renouer avec l’engouement suscité projetant sur le long terme. Oui, le rocher a fini par
par sa victoire surprise à la primaire citoyenne, voilà le mantra retomber mais nous sommes déjà des milliers à le
des proches de Benoît Hamon. Le samedi 1er juillet, plus de remonter. Le 1er juillet, pelouse de Reuilly, ils seront
15 000 personnes sont attendues sur la pelouse de Reuilly dans nombreux les porteurs de pierre, les maçons, les
le XIIe arrondissement. Sur le coup de 14 heures, la journée jardiniers, les architectes, volontaires pour imaginer
doit débuter par des numéros de stand-up. S’ensuivra un procès et dessiner de nouvelles frontières à nos existences,
fictif de nos habitudes alimentaires, puis un forum où
la reconstruction de la gauche sera au cœur des discussions.
à la démocratie, au travail, à l’écologie, au vivre
A 17 heures enfin, l’ancien candidat du Parti socialiste prendra ensemble. Et vous verrez qu’au moment où notre projet
la parole. Le Brestois tentera de retrouver le dynamisme sera mûr, nous gagnerons.
qui avait suivi son meeting au gymnase Japy en décembre 2016. propos recueillis par David Doucet et Pierre Siankowski
Quand tous les espoirs étaient encore permis… photo Iorgis Matyassy pour Les Inrockuptibles
Manuel Valls
très bas par rapport à ses résultats locaux habituels. par Valls quand il était encore édile, dans une volonté l’a emporté
Même parmi les siens, celui qui a été le maire des affichée de lutter contre la ghettoïsation des lieux, par avec 139 voix
Evryens pendant douze ans (2001-2012) est à la peine. ailleurs marqués par une certaine insécurité due à la d’avance
Dans l’après-midi précédant le dépouillement, rivalité avec le quartier voisin des Tarterêts, à Corbeil- seulement
direction les Pyramides, un quartier classé prioritaire Essonnes. De quoi forger sa légende de réformateur
de la politique de la ville. Plus de 10 000 personnes sont de la ville. Mais les problèmes sont toujours là.
logées ici, dans des tours d’immeubles plutôt vétustes. “Regardez ici, c’est la misère, lance Gaylord en
Certes, un plan de rénovation urbaine y a été lancé désignant les bâtiments de la place des Miroirs, où
on le rencontre. Nous, on vit ici, c’est la galère, et les
politiques, eux, vivent dans leurs villas comme des rois.”
“avant, Valls était sur Pour ce manutentionnaire de 34 ans, sapeur à la tenue
le terrain. Maintenant, pensée dans le moindre détail, il est “temps que la
classe politique change”, Valls compris. “Avant, il était
il ne vient plus. sur le terrain. Maintenant, il ne vient plus. Il ne mérite
pas d’être réélu, vu ses positions très, très fermes quand
Il ne mérite pas d’être il était au gouvernement”, raconte celui qui a soutenu
Dieudonné, l’un des 22 candidats de la circonscription,
réélu” Gaylord, manutentionnaire, 34 ans éliminé au premier tour qui, selon lui, a le mérite
Un opposant
à Manuel retourner dans sa tombe.” Même son de cloche dans un Samir, chargé d’insertion de 43 ans rencontré dans
Valls est petit café un peu décrépi, non loin de la mairie, où le le joli parc des Quolibus, dit la même chose. Il a voté
évacué de
la mairie patron dénonce le côté “girouette” de Valls, “qui n’a rien France insoumise mais tient à rappeler l’assise de
fait pour la ville quand il était ministre, alors que c’est Manuel Valls dans la commune : “Il est là depuis 2001.
grâce à nous qu’il était là”. Il interpelle les passants pour Il a été Premier ministre. Tous les maires de la circo
leur demander leur avis : “Alors, il est bien ?” Une dame le soutiennent, Serge Dassault (ex-maire de Corbeil-
dit qu’elle “ne sait pas”. Une autre dit “qu’il a beaucoup Essonnes – ndlr) aussi. Il a les réseaux associatifs avec
fait pour la ville”. L’enthousiasme n’est tout de même lui, il a fait des réunions d’appartement avec eux, du
pas débordant. Sauf peut-être du côté de Sandrine, phoning. Bref, il a mis en place tout un système à Evry.”
33 ans, que l’on rencontre sur la place des Droits de Rappelant comment son équipe “doit être sous pression
l’homme et du citoyen devant l’hôtel de ville. Elle vient car il joue sa vie politique”, il lui reproche d’avoir “trahi
ici avec ses enfants “car il n’y a pas grand-chose d’autres la gauche” à coups de 49.3 et de positions “ambiguës”.
pour eux quand il fait beau” – ici, ils peuvent se baigner Mais il n’est pas inquiet pour lui et ironise : “S’il perd
dans les fontaines. Coiffeuse, elle habite Evry depuis la députation, vous pouvez être sûrs qu’il redeviendra
dix ans et apprécie beaucoup Manuel Valls. Pourquoi ? maire d’Evry. Francis Chouat, le maire PS actuel, n’est
“Parce qu’il est mignon”, s’esclaffe sa mère. “T’es grave, qu’un pion.” Le même Francis Chouat qui viendra
toi !, lui répond sa fille. Je l’aime bien car quand il était annoncer à l’hôtel de ville les résultats de son
maire, il faisait du bon boulot. Et puis, on voit qu’il prédécesseur : Valls n’a qu’une très faible avance sur
reconnaît les gens ici. Il vient à des événements.” Amrani dans son fief. Pire, dans les bureaux de vote
Pas pendant les législatives, selon un membre de la mairie, il est derrière la candidate de La France
du staff d’Amrani, qui évoque une “campagne fantôme” insoumise. La “maison”, c’est plus ce que c’était.
sciemment mise en place par celui qui est toujours Dehors, les cloches de la résurrection ne sonnent plus.
conseiller municipal de la ville : “En faisant cela, Amélie Quentel photo Christophe Boulze
il favorise l’abstention et l’abstention joue en sa faveur.” pour Les Inrockuptibles
retour de bâton
buzz
“et donc tu préfères
“ah nan moi j’étais au te taper la tête contre
Pitti Duomo, la un mur ou réécouter
pizzeria en bas de la reprise de Miss You
chez moi” par Carla Bruni ?”
le chassé-croisé “tu vois, celui qui me
des juilletistes l’album de manque pas c’est
et des aoûtiens Young Thug bien Vincent Delerm”
Anacrim
la remontada
“j’peux pas,
j’ai bal des le lait de soja
pompiers”
l’accouchement
de Beyoncé
Disiz La Peste
Anacrim Mais enfin ! Même le JT de France 2 en a parlé Le lait de soja Un arrêt de la Cour de justice de l’Union
de ce logiciel qui a relancé l’affaire Grégory. L’accouchement européenne interdit les références aux produits laitiers
de Beyoncé Parce qu’il y a des choses essentielles, hein, dans les appellations de produits végétaux. La reprise
dans la vie. L’album de Young Thug Beautiful Thugger Girls de Miss You par Carla Bruni : âmes sensibles et fans
a été entièrement produit par Drake et se veut “chanté”. des Rolling Stones, s’abstenir. C. B.
tweetstat
Premier rappeur au Hall of Fame of Songwriters, Jay Z a remercié
près de 100 personnes dans une suite de tweets lunaires.
Jared Purdy
0UCarter Suivre
C_
,SURPLVH,·PQRWGUXQN/RUG3XVKD&DUWL
0DJQROLDLQFUHGLEOH$6$36HDQ30REEFXGL
7Auteure
% Gwyneth Paltrow
du discours de
7\OHUHDUO6QRRSDOPRVWSOD\HGP\VHOI remerciements (aux oscars)
18:24 - 15 juin 2017 Répondre Retweeter Favori
le plus relou de l’histoire.
“Je ne suis pas saoul, promis. Lord
Pusha . Carti (Magnolia incroyable)
ASAP Sean P , Mobb , cudi . Tyler , earl,
Snoop!!( me suis presque planté)”
George Seguin
93 % Lindsay Lohan
Qui a sûrement dû introduire ces phrases de
0 % Bernard Pivot
Qui ferait une attaque devant cette
la même façon un paquet de fois dans sa vie. ponctuation erratique.
O
n l’a constaté, l’effort collectif ep appelé Always Kevin (quel nom étrange
est une valeur en voie de disparition et génial, on dirait du Eric Judor) l’étendue
dans le pop game. Ou du moins, était, de sa large palette : on passe des influences
puisque avec l’avènement plus que africaines à la power pop dans la plus grande
probable d’Inüit, jeune groupe nantais construit simplicité, le tout porté par la voix sublime
autour d’une bande de musiciens surdoués de Coline, mini-maîtresse chanteuse qui donne
et d’une chanteuse aussi puissante que fragile, à ses newcomers toute l’allégresse et la verve
le jeu à plusieurs est franchement de retour. nécessaires à une possible prise de pouvoir.
Spotté et produit par l’excellent Benjamin Pierre Siankowski
Lebeau de The Shoes, et signé sur le label
des deux Rémois chaussés (Internet Editions), ep Always Kevin (Cinq7/Wagram)
Inüit montre en quelques titres sur un premier concert le 14 juillet aux Francofolies de La Rochelle
3
de l’ironie d’une appropriation ironique pour se
La mode de la claquette-chaussette n’est hisser au sommet du cool. Porter une
pas récente. En 2014, le Daily Mail assurait tenue perçue comme ringarde permet
qu’elle n’était plus un “fashion faux pas”, de montrer son indifférence au regard
photo de Bruce Willis (LOL), d’Elle Fanning d’autrui et de transmettre son état d’esprit
ou de Rita Ora (OK) à l’appui. Et Adidas Yolo, le cool ne se trouvant pas dans
promouvait sa fameuse “adilette” de 1972 la claquette-chaussette mais dans son
– avec la campagne #socknslides. Un an enrobage de second degré. Ou peut-être
plus tard, Rihanna s’affichait dans cette n’est-ce que la mort du cool, justement.
tenue et le Washington Post rapportait que Le cool n’étant cool que tant qu’il n’a pas
joueurs de foot et mannequins kiffaient la été désigné comme tel. Un peu comme
sandale-chaussette. Voici donc l’exemple l’insouciance, en somme. Carole Boinet
où est le cool ?
par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri
chez la fille Koché
Passer inaperçue, la fille Koché ?
Jamais de la vie. Elle chausse
ses compensées (pourquoi
renoncer au confort ?), se pare
de couleurs pétaradantes
et compose un look personnel
et pointu qui synthétise
des influences street et couture.
Christelle Kocher, fondatrice
de la marque, est candidate
au prix de l’Andam,
qui récompense les jeunes
créateurs (250 000 euros pour
le grand prix). Verdict le 30 juin.
koche.fr
chez William
Gedney
L’expo s’appelle Only the
Lonely et s’annonce aussi
sensible et mélancolique
que le titre de Roy Orbison.
A Montpellier, on pourra
découvrir le travail
de William Gedney,
photographe américain
peu connu de son vivant
et mort du sida en 1989.
Devant son objectif défilent
des mineurs sans travail,
des gamins et des familles
photographiés dans
le Kentucky rural
des années 1960, mais
aussi des petits mignons
et des scènes hippies
immortalisées dans
le San Francisco
des années 1970.
Only the Lonely, du 28 juin
au 17 septembre au Pavillon
populaire, Montpellier
William Gedney, avec l’accord de la David M. Rubinstein Rare Books and Manuscript Library at Duke University
@ameliepichard
Elle n’est pas la seule à trouver matière à création
dans Twin Peaks : Kenzo n’hésite pas à s’inspirer
vous n’y échapperez pas de la décoration d’intérieur de la série pour
ses mailles ; Manish Arora des éléments végétaux
qu’il retranscrit en accessoires ; MSGM cite autant
C
eci est une paire d’escarpins rouge feu fixe de la série qui plaît à Amélie Pichard. Théâtre
dont les côtés ont été décorés des mots de l’absurde, esthétique tirant sur l’expressionnisme,
“Fire Walk”, au pied droit, et “With Me”, sous-texte ésotérique, irruption du fantastique
au pied gauche. Bien sûr, cette phrase et humour noir : ces codes disparates sont
aux sonorités païennes n’est autre que le sous-titre enchevêtrés, remixés, chahutés, comme pour révéler
du film culte de David Lynch, Twin Peaks (1992), leur “inquiétante étrangeté”, aurait dit Freud,
le couronnement de sa série phare dont la troisième ou une rupture avec la norme et la rationalité.
saison, vingt-cinq ans après, est en cours de diffusion Et sûrement refléter l’éloignement symbolique
sur Canal+ Séries. Dessinés par Amélie Pichard, de la styliste de ladite norme de la mode : cette saison,
ces souliers font partie d’une collection capsule elle se retire du système des fashion weeks et propose
dédiée à cet événement. des petites séries capsules indépendantes de tout
La jeune créatrice française d’accessoires, sorte calendrier ou de toute attente – comme des épisodes
d’Elsa Schiaparelli pop, est connue pour ses créations où la créatrice devient en plus la narratrice de sa propre
aux clins d’œil vintage et surréalistes. Pour elle, histoire. Elle pourra ainsi continuer à livrer des contes
cet hommage à Twin Peaks coule de source, tant il fait stylisés où le hors-norme est monnaie courante.
déjà partie de l’ADN de sa marque. Dès ses premières Laura Palmer sera sa première cliente. Alice Pfeiffer
Justin Bieber est son premier amour La pop star s’affiche discrètement Aujourd’hui lourdement relookée et
et vice-versa, alors ils documentent leur avec Samuel Krost, businessman rebrandée, devenue égérie Louis Vuitton
passion sur Instagram à coups de photos de l’ombre travaillant dans la mode. et Coach, elle s’affiche au bras d’Abel
ultrafiltrées et bouches cul-de-poule (nous Ce choix d’un anti-Bieber symbolise Tesfaye, plus connu sous son nom de
sommes à l’âge des cavernes du réseau la phase de transition post-années Disney scène, The Weeknd. Ce musicien reconnu
social), qui deviennent les plus likées de Selena, s’écartant volontairement devient la preuve tangible de son passage
de toute la plate-forme. Ce mariage entre de son exposition populiste pour aller et de son acceptation dans un autre monde,
deux mégapuissances de la culture kids vers une nouvelle maturité qui marque un boyfriend-statement plus puissant
les auréole d’une royauté 3.0 quasi divine. la clôture de son adolescence. encore qu’un sac d’un créateur pointu. A. P.
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Princee n
divar omantique
des eighties
Quant à la new-wave et à l’electro balbutiante suivante. Expérience qui amplifie chez lui un sentiment
(Kraftwerk, The Human League…), genres européens, de rejet déjà lourd. De fait, frustration et jalousie
ce ne sont pas des territoires sur lesquels un jeune vont l’accompagner toute son adolescence sans qu’il
Noir du Minnesota prendrait spontanément le risque puisse s’en confier à quiconque. Ni à son père musicien
de s’aventurer. A moins d’être complètement toqué. raté avec lequel il entre en conflit. Ni à sa mère qui
A moins de s’appeler Prince Rogers Nelson, de jouer reste une figure élusive. Moins encore à son demi-frère
de vingt-trois instruments, d’être né et d’avoir grandi Duane qui, plus grand et plus assuré avec la gent
à Minneapolis – ville désespérément provinciale féminine, lui pique systématiquement toutes les nanas
qui ne dénombre que 3 % de Noirs – et d’être issu sur lesquelles il a des visées. Vicissitude qui n’est
d’un foyer “dysfonctionnel”, comme disent les assistants sans doute pas étrangère à cette manière compulsive
sociaux. Et surtout d’être dévoré par un phénoménal de faire du sexe un peu tordu, voire passablement
désir de revanche, de reconnaissance et d’unanimité. masochiste, l’un de ses sujets de prédilection.
Au final, Prince ne cesse d’accroître une tendance
le multi-instrumentiste prodige à l’isolement. Au point de s’inventer un monde
Prince est aussi doté d’une sidérante témérité. totalement hermétique où la musique tient lieu
Comment imaginer sinon qu’un type mesurant moins d’oxygène, de principe vital, d’absolu. Un monde
de 1,60 m puisse trouver sa place au sein d’une équipe dont il est le seul habitant.
de basket ? C’est pourtant ce qu’il réussit lorsque, C’est ce monde-là que reflètent ses premiers disques,
adolescent, il intègre la Bryant Junior High School For You (1978) et Prince (1979). Au verso de la pochette
de Minneapolis… Sauf qu’il en est écarté la saison de ce dernier, on le voit nu sur le dos de Pégase,
Photo 12/AFP
Kotero et
Prince
mauve movie
Purple Rain le film, extraordinaire concentré
de son époque, bénéficie d’une réédition en DVD.
A
vant d’être un album les passages musicaux et les fabuleuses aux films musicaux qui l’ont précédé,
blockbuster et une chanson séquences de concert où le Kid/Prince, principalement à ceux des Beatles,
smash hit, Purple Rain dans son élément naturel, redevient qui déjà prolongeaient en images
a été un film à succès l’albatros planant majestueusement et vers les salles (et peut-être vers
(du moins aux Etats-Unis) dans le firmament du rock live : un autre public) un univers musical.
réalisé par un certain tenues extravagantes, look androgyne Mais le docufiction de Magnoli
Albert Magnoli. L’histoire est celle emprunté à Little Richard, jeux et Prince inaugurait aussi une nouvelle
d’un artiste musicien flamboyant, corporels venant de Hendrix ère de films musicaux et autres biopics
le Kid, qui tente de faire son trou et James Brown, théâtralité sexuelle rock et pop qui se mirent à pulluler,
dans sa ville de Minneapolis, tout en omniprésente (halètements, soupirs, comme Sid & Nancy (sur Sid Vicious),
gérant ses problèmes œdipiens léchouilles, frottements, caresses, La Bamba (sur Ritchie Valens) ou Great
(maman en souffrance et papa méchant), râles à gogo…), le tout au service Balls of Fire (sur Jerry Lee Lewis)
une aventure amoureuse naissante d’une musique extraordinairement qui surgirent dans les années suivantes.
et une rivalité virulente avec The Time, syncrétique qui encapsule ce moment Mais Purple Rain avait un truc
autre formation montante de la ville. historique où fusionnèrent rock unique : ce n’était pas du surgelé
Le sous-texte autobiographique et funk, électricité et électronique, pop sur un musicien mort ou passé,
de ce récit canonique saute aux yeux, mainstream et expérimentation, mais quasiment du live, le léger
de même que le talent limité de Magnoli et bien sûr son et images, sous le soleil dédoublement fictif au présent
dans les scènes intimistes. Il faut dire synthétique de MTV, récente chaîne d’un musicien en pleine accélération
que Prince et Apollonia Kotero ne sont dédiée aux vidéoclips. sur l’autoroute de la gloire,
pas de très fines lames en termes C’est la raison pour laquelle de la créativité et de l’incarnation
de comédie, l’acteur qui s’en sort ici Purple Rain est un grand film musical de son époque. Serge Kaganski
le mieux étant Morris Day, le leader même s’il n’est pas un grand film,
de The Time, qui possède une indéniable un historique objet pop qui magnifie DVD Purple Rain d’Albert Magnoli, avec
vis comica et une faculté à imprimer une star à son sommet et incarne Prince, Apollonia Kotero, Clarence Williams III,
les plans que ses camarades n’ont pas. un moment décisif de la culture rock. Morris Day (E.-U., 1984, 1 h 55), GM Edition,
Le meilleur du film, ce sont Purple Rain doit quelque chose collection Ciné Rock’n’Soul, DVD + livre, 16 €
Au début des
années 1980,
en icône
queer
F
Computer Blue ou When Doves Cry. La stratégie est irst Avenue club, Minneapolis,
claire : toucher le public blanc sans annihiler le noir. le 3 août 1983. La scène
En bref, réussir le crossover. est baignée de violet, quand
la jeune guitariste Wendy
20 millions d’albums vendus dans le monde Melvoin gratte les accords
De ce point de vue, les chiffres de vente attestent d’ouverture de Purple Rain.
du succès de l’entreprise. L’album précédent 1999 Durant les cinquante minutes qui ont
(certes double), fort de trois tubes – 1999, Little Red précédé, Prince a saupoudré ce gig
Corvette et Delirious –, mettra plusieurs années “impromptu” des nouveaux titres
à atteindre les trois millions d’unités. Purple Rain, qu’il répète inlassablement avec
lui, a franchi la barre des 20 millions très vite. The Revolution, ce groupe dont il a
L’autre raison de cette désaffection pour sa musique accolé le nom au sien sur la pochette
de prédilection tient aussi à l’implication de Prince de l’album 1999. Let’s Go Crazy, Computer
dans les projets satellites en rapport avec le film. Blue, I Would Die 4 U, Baby I’m a Star…
Et notamment The Time, groupe à l’orthodoxie des titres joués pour la première fois
funk qu’il a formé avec les futurs producteurs en public et que Prince a pris soin
Jimmy Jam et Terry Lewis et avec son pote d’enfance, de faire enregistrer live sur la console
rival dans le film, le fantasque Morris Day. d’un studio mobile loué pour l’occasion.
Autre fait majeur du disque, dont le film tire Les treize minutes qui suivent l’intro
argument, la contribution de The Revolution, de ce blues écorché appartiennent
groupe mixte qui l’accompagne et où se distinguent à l’histoire. Elles seront éditées
la guitariste Wendy Melvoin et la claviériste puis gravées à plus de 20 millions
Lisa Coleman. En prêtant à Wendy l’écriture d’exemplaires, en single puis sur l’album
du titre Purple Rain, Magnoli met en scène l’évolution du même nom. Avec Purple Rain,
du Kid/Prince, de l’autisme artistique dans lequel Prince affiche une couleur, le violet,
il s’est longtemps complu vers une ouverture et une ambition : devenir
aux idées des autres. A la fin du film, et du disque, le “best performer in show business”,
il y a donc cette apothéose, ce moment déchirant, comme James Brown avant lui.
cette pluie rédemptrice, ce gigantesque geyser Alors que disque et film sont propulsés
de lyrisme électrique. Plus qu’une simple composition au firmament des charts, une tournée
héritière de Jimi Hendrix avec sa dimension mystique américaine est lancée le 4 novembre 1984
et son solo de guitare pyrotechnique, la chanson Purple à Detroit, à la Joe Louis Arena.
Rain est avant tout un grand geste de réconciliation. Elle s’achèvera à l’Orange Bowl
Avec lui-même. Avec le monde. C’est grâce à Purple de Miami, le 7 avril de l’année suivante.
Rain, disque aussi festif que douloureux, qu’en 1984 Entre les deux, des chiffres vertigineux :
Prince s’est imposé au monde. Non comme nombre de dates (111), nombre
une synthèse parfaite de l’histoire du rock et de la soul, de spectateurs (1,7 million)…
non comme la dernière sensation sexuelle d’une scène Sur scène, vinyle ou celluloïd, Purple Rain
bien pourvue en la matière, mais comme l’un des plus fait l’effet d’une tornade. Il faut dire que
grands artistes de tous les temps. Ou mieux encore, Prince a bien fait les choses. La setlist
et selon le journaliste Jon Bream, comme “la rock-star fait la part belle aux chansons de l’album
la plus complète qui ait jamais existé”. qui s’enchaînent dans l’ordre du disque,
à un titre près (The Beautiful Ones).
Purple Rain (Warner Bros), édition Deluxe 2 CD ; Sur cette scène à la déco baroque,
édition Deluxe Expanded 1 DVD (live inédit à Syracuse 1985) vêtu de dentelle et de jabots, entre Jimi
+ 3 CD, sortie le 23 juin Hendrix et les “nouveaux romantiques”,
Govert de Roos/Dalle
du Purple Rain Tour,
à Detroit (Michigan)
le 4 novembre 1984
il est chez lui. Il brandit sa guitare entre électricité (guitares, basse, piano) européennes. En live, Prince en a soupé
comme un étendard. Félin, il rugit, et électronique (batteries, synthés) –, de son Purple Rain, jusqu’à l’indigestion.
bondit, passant du piano Prince improvise parfois jusqu’à Resservir chaque soir les mêmes plats
aux percussions, enchaînant grands une trentaine de minutes, lançant seul n’est pas son truc. Il déclarera même
écarts et pas de danse chorégraphiés. au piano des titres de son répertoire vouloir arrêter de se produire en concert
Dans l’entrelacs millimétré (Head, Still Waiting…) que le groupe finit après cette tournée. Le 23 février 1985,
de ses arrangements, Prince par orchestrer. Comme les pères de à Los Angeles, devant Madonna,
s’est aménagé un espace bien à lui. la Fédération taillés dans la montagne, Bruce Springsteen et un public médusé,
Ici en chef d’orchestre, là en soliste, le finale est un roc, un monument Prince joue pour la première fois
il prend un plaisir manifeste à faire d’extravagance. Les versions guitar hero Raspberry Beret et America,
dérailler selon son humeur la rutilance de Purple Rain culminent souvent dans une version longue de près de
des séquences. Sur certaines dates, au-delà des vingt minutes, points quinze minutes. Les deux titres
Controversy ou 17 Days (une face B) d’orgue liturgiques de représentations figureront sur Around the World in a Day,
sont placés en ouverture, avant qui l’ont vu l’instant d’avant chausser le successeur de Purple Rain.
Let’s Go Crazy, comme pour rappeler les bottines de James Brown sur Baby, Septième album publié le 7 avril 1985,
qu’il n’est pas l’homme d’un album, I’m a Star, vingt minutes là encore moins de deux semaines après la fin
aussi célébré soit-il. d’un déluge funk débridé jusqu’à l’excès. de la tournée. Enfin libre. AlexisT ain
A mi-chemin, alors qu’il tape la Excès, voilà sans doute le mot-clé
causette avec Dieu – une séquence qui de cette tournée que Prince finit par
tient lieu d’interlude et offre au public prendre en grippe, refusant la juteuse à lire Prince, le cygne noir d’Alexis Tain
un rare répit dans ce maelstrom sonore proposition de tailler les routes (La Découverte), 240 pages, 17 €
R
egard franc, sourire sympathique, même de savoir lire parce que je me souviens qu’on ne
parole simple, cash et dénuée lisait pas les sous-titres. Mais pas besoin de sous-titres
de frime ou de faux mystère, pour ressentir ce film qui véhicule de fortes émotions
Léa Mysius se présente au premier liées à l’enfance. Il comporte des séquences parfois
contact comme une jeune femme déplaisantes, comme l’arrestation du père au début,
“normale”, ni spécialement timide, mais je n’ai pas souvenir d’avoir eu peur.”
ni les chevilles ou la tête enflées. Adolescente, elle n’est pas particulièrement cinéphile
Il y aurait pourtant de quoi et caresse le rêve de devenir écrivaine. Jusqu’au
puisqu’elle vient de signer Ava, moment où elle découvre Comment je me suis disputé…
qui a fait le buzz à Cannes (à la Semaine de la critique), (ma vie sexuelle) de Desplechin. “Ce film a changé
tout en étant cosignataire du scénario des Fantômes quelque chose en moi. Je me suis rendu compte
d’Ismaël d’Arnaud Desplechin, qui faisait l’ouverture qu’on pouvait faire du cinéma littéraire, romanesque.”
du festival, hors compétition. Et elle a déjà été Elle envisage de faire des études de cinéma mais,
enrôlée par André Téchiné pour coécrire son prochain quand sa sœur annonce vouloir intégrer la Fémis,
film. Tout va donc très vite pour cette jeune fille elle rengaine son ambition : pas question de faire
qui a grandi dans le Médoc. la même chose que sa jumelle. Finalement, la frangine
Dans le coin de Gironde de son enfance, il y avait change d’avis, la voie redevient libre pour Léa qui s’y
peu de salles de cinéma, mais Léa et sa sœur jumelle engouffre. Cela rappelle l’histoire de Sandrine Bonnaire
avaient la chance d’avoir des parents cinéphiles, qui accompagnait sa sœur au casting d’A nos amours
qui leur montraient beaucoup de films en cassettes. et sera finalement choisie. Les destins de cinéma
“On regardait beaucoup La Nuit du chasseur, avant tiennent parfois à un léger décalage sororal.
“avec la pellicule, c’était elle. Pour Juan Cano, les recherches ont été un peu
plus longues et compliquées, notamment parce que
“les Gitans sont souvent évangéliques et que ça entraîne
tout de suite mille fois beaucoup d’interdits sur la musique, l’image, ce qui est
embêtant pour tourner un film. On a trouvé Juan près
mieux : les noirs sont de Bordeaux, dans la communauté des Gitans andalous.”
Belle pioche que ce jeune homme qui exsude
plus intenses, c’est plus le sex-appeal un peu voyou des ados pasoliniens.
Chez Léa Mysius, les bruns et les brunes ne comptent
pas pour des prunes.
sensuel, ça fourmille…” lire la critique d’Ava p. 66
Léa Mysius
46 les inrockuptibles 21.06.2017
C
’est un objet à la fois
étrange et fascinant.
Durant deux ans,
le cinéaste Oliver Stone
a eu le loisir de
converser durant près
de cinquante heures
avec Vladimir Poutine.
Diffusé sur Showtime
aux Etats-Unis et sur France 3 dans
nos contrées, ce nouveau documentaire
revient sur le parcours d’un homme
à la tête de la Russie depuis le début
des années 2000.
Ce film au long cours qui le suit de sa
datcha à ses diverses séances sportives
(du hockey au judo…) permet d’explorer
les multiples facettes d’un homme
politique complexe. Le documentaire
s’efforce de nous sortir de notre prisme
occidental pour comprendre les positions
russes sur des sujets aussi brûlants
que la Syrie, la crise ukrainienne
ou bien encore la guerre économique
et diplomatique avec les Etats-Unis.
Au cours d’un de leurs échanges,
Oliver Stone face
à Poutine : réunion
Vladimir Poutine confie par exemple
de grands fauves au cinéaste qu’il avait suggéré
à Bill Clinton de faire entrer la Russie
L
ors d’une discussion Dans l’adaptation glacée et effrayante
entre comédiennes du roman dystopique de Margaret
organisée récemment par Atwood publié dans les années 1980,
le magazine Hollywood les femmes n’ont plus le droit de lire.
Reporter, la légendaire Elles peuvent tout juste penser
Jessica Lange (vue par elles-mêmes si elles y parviennent
ces dernières années encore. Alors qu’une catastrophe
dans American Horror écologique a fait brusquement chuter
Story et Feud) expliquait le taux de natalité, la République
à plusieurs de ses collègues comme de Gilead, une théocratie, a réduit celles
Nicole Kidman ou Reese Witherspoon qui sont encore fertiles au rôle de
l’étrangeté de jouer des scènes violentes reproductrices. En chapeau blanc et robe
qui mettent en cause l’intégrité physique rouge, elles subissent les pires outrages
d’une héroïne. “Ce qui est incroyable et sont régulièrement violées par leurs
quand on est actrice, c’est que le corps “maîtres” accompagnés de leurs
ne comprend pas que l’on fait semblant.” épouses. Ces scènes étouffantes où
Cette décharge de vérité inquiétante, Offred, le personnage d’Elisabeth Moss,
Elisabeth Moss a semblé la connaître est pénétrée par un homme tandis que la
souvent. A son aînée, la jeune femme femme de ce dernier lui maintient les
de bientôt 35 ans a d’ailleurs répondu bras en arrière, ont marqué les esprits.
par un seul mot, bercé d’évidence : Elisabeth Moss les a traversées en
“Exactement”. Depuis l’apparition de veillant à ce que la victime qu’elle
la série The Handmaid’s Tale : La Servante incarne “s’absente le plus possible
écarlate devant nos pupilles ébahies, d’elle-même”. Productrice de la série en
nous comprenons parfaitement plus d’y tenir le rôle principal, elle a tenu
ce qu’elle veut dire, de quelles à vérifier que “rien ne serait sexuel dans
extrémités elle se montre capable la mise en scène, au sens où personne
à travers les rôles qu’elle choisit. ne prend de plaisir”. Une manière de
Elisabeth Moss est une actrice radicale contrôler un cadre pour mieux plonger
George Kraychyk/OCS
au feu sans crainte de la douleur. découverte dans A la Maison Blanche, Cette propension à l’émancipation,
Cette idée est devenue claire vers la fin la merveilleuse série politique d’Aaron Moss l’a travaillée avec une grande
de la première saison de Mad Men, Sorkin qui paraît aujourd’hui venue constance. Peggy Olson a commencé
diffusée en France en 2009. d’un autre monde plus classe et plus chic. Mad Men en encaissant les coups
Son personnage, Peggy Olson, mettait Elle endossait le rôle de Zoey Bartlet, du sexisme dominant dans l’ambiance
au monde un petit garçon après un déni la fille ado du Président. “Cela a été mon sixties de la série, mais elle en est
de grossesse et décidait de l’abandonner. école de jeu entre 17 et 23 ans, avec sortie triomphante : l’ancienne
Une décision marquante que l’actrice des personnes qui en savaient beaucoup secrétaire naïve était devenue une
jouait avec un mélange étonnant plus que moi. Cette expérience avec créative incontournable. On se souvient
de candeur et de détermination. les mots d’Aaron Sorkin, le scénariste, dans la septième saison de l’un des
“J’aime me brûler, c’est vrai, dit-elle a placé la barre assez haut et me pousse derniers plans d’elle au ralenti dans
de sa voix assurée-amusée par sa propre toujours à me montrer difficile. un couloir, portant à bout de bras ses
audace. Je mets toujours la main au feu. A la Maison Blanche m’a appris la valeur affaires, lunettes noires au nez
Le défi n’est pas la performance physique, et l’importance d’une bonne écriture. et cigarette à la bouche, le jour de son
mais émotionnelle. J’en ai besoin, j’aime On peut être aussi investie que possible, arrivée dans une entreprise concurrente.
être poussée très loin. Je cherche sans une écriture solide on est mauvaise. Le GIF de Peggy en working girl
les moments qui me bousculent, c’est là En revanche, on peut avoir l’air très bien puissante circule toujours largement
que je m’amuse le plus. Le pire, ce serait grâce à une écriture fine, même si sur le net.
de m’ennuyer sur un plateau de tournage. on est nulle !” Elisabeth Moss dit avoir voulu faire
En temps normal, je suis extrêmement de Peggy un personnage auquel hommes
solitaire, je reste beaucoup chez moi sans Avec ce rôle dont tous les sériephiles et femmes pouvaient s’identifier, y
prendre l’air, je ne suis pas du tout se souviennent – cf. le rocambolesque compris dans la société d’aujourd’hui.
aventureuse. Donc c’est une façon d’avoir enlèvement de Zoey –, Elisabeth Moss Cette manière de vouloir traverser
tout ça dans ma vie. Ma vie personnelle a inauguré une lignée de personnages les genres et les temps lui appartient,
est assez ennuyeuse mais heureuse. féminins fascinants dont l’accumulation même si l’actrice incarne
Il ne faut peut-être pas avoir une vie trop fait sens. Alors que l’époque favorisait spécifiquement des femmes en lutte
intense et excitante, cela signifie que les héros masculins tourmentés, pour leur liberté à conquérir. Son
les choses ne vont pas si bien !” elle a construit sa maison dans alliance avec Jane Campion pour Top of
Quand elle avait 10 ans, une semi-pénombre, mais avec the Lake le prouve un peu plus. Après
Elisabeth Moss écoutait Gershwin ou de la suite dans les idées. Pour l’une une première saison diffusée en 2013 où
des chanteuses de jazz, tout en suivant de ses premières apparitions dans la cheffe flic qu’elle incarne révélait avoir
les préceptes de l’Eglise de scientologie. la série d’Aaron Sorkin, elle se faisait
Un tropisme familial pour la secte engueuler par son père après avoir
dont elle ne parle plus trop aujourd’hui été harcelée dans un bar. Il lui demandait “le défi n’est pas la
– surtout pas avec les journalistes à demi-mot si elle se comportait performance physique,
français – et qui ne doit pas empêcher de manière aguicheuse, elle répondait mais émotionnelle.
de voir en elle une actrice dont la liberté avec son air jamais impressionné :
crève l’écran. Son parcours incroyable “Je ne flirtais pas avec ces types, J’en ai besoin, j’aime
parle de lui-même. Dès le début et même si ça avait été le cas, ça n’aurait être poussée très loin”
des années 2000, la planète séries l’avait pas justifié leur comportement.” Elisabeth Moss
été violée à l’âge de 15 ans, la série interrogent la question du féminin, George Kraychyk/OCS
prend une nouvelle dimension avec c’est vrai. Il y a certainement un processus
une deuxième saison où Elisabeth Moss inconscient qui me fait graviter vers cela.
croise notamment le chemin de J’essaie au maximum d’interpréter
Nicole Kidman. Les premiers épisodes, des femmes qui sont comme moi et
que nous avons pu voir au Festival comme celles que je connais. Cela
de Cannes avant leur diffusion en fin concerne ensuite autre chose de plus large
d’année, montrent l’étendue du talent comme l’inégalité, les complications liées
de Moss, sa violence rentrée, alors que au fait d’être une femme dans un monde
son personnage traverse un orage d’hommes – c’était par exemple le cas
émotionnel d’une intensité totale. avec Peggy dans Mad Men. Je ne vois pas
“La condition donnée par Elisabeth pour comment on ne peut pas être féministe.
accepter de tourner cette nouvelle saison, Dans la pièce The Heidi Chronicles
a expliqué Jane Campion, c’était que j’ai jouée à Broadway et bien sûr
d’emmener Robin, son personnage, encore The Handmaid’s Tale, j’explore ces sujets
plus loin dans la noirceur.” de manière vraiment personnelle.
Cette deuxième saison majestueuse Maintenant, j’ai envie de produire
de Top of the Lake devrait définitivement des séries et des films qui mettent
installer la comédienne comme l’une en avant les femmes.”
des icônes d’un mouvement féministe A force de demander aux actrices
à l’écran. Même si quelques éléments de tenir un discours aussi acéré
laissent penser qu’un certain chemin sur leur travail qu’un éditorialiste
lui reste à faire dans la vraie vie. politique, il ne faudrait pas en oublier
Lors d’une des premières interviews de les regarder pour ce qu’elles sont :
consacrées à The Handmaid’s Tale : de remarquables productrices
La Servante écarlate, Moss a en effet de sens et de sensations. Quand on
refusé de labelliser la série. “Pour moi, découvre, souffle coupé, les puissantes
il ne s’agit pas d’un récit féministe. introspections d’Elisabeth Moss
C’est une histoire humaine, parce que dans The Handmaid’s Tale : La Servante
les droits des femmes sont des droits écarlate, sa manière de dire les mots
humains. Je n’ai jamais eu l’intention rageurs de son héroïne en voix off,
de jouer Peggy comme une féministe, idem sa facilité à passer en quelques plans
pour Offred dans The Handmaid’s Tale.” de la terreur la plus profonde à
l’esquisse d’un désir retrouvé, son jeu
Devant la levée de boucliers qui courageux avec la beauté et la laideur,
a suivi ses déclarations, la comédienne tout commentaire devient superflu.
a probablement réalisé qu’elle avait
donné une définition du féminisme, The Handmaid’s Tale : La Servante écarlate
tout en niant le mot. Elle dit aujourd’hui à partir du 27 juin, 20 h 40, OCS Max
tout autre chose : “Les rôles que je choisis Top of the Lake saison 2 prochainement sur Arte
P
ourquoi qualifiez-vous toutes les tentatives qui ont voulu faire Ce dont témoigne votre livre
l’Afrique d’aujourd’hui croire que l’Afrique était un monde à Ecrire l’Afrique-Monde, codirigé avec
d’“Afrique-Monde” ? part. L’Afrique n’est pas un monde à part ; l’économiste sénégalais Felwine Sarr,
Quel est le sens de elle est une part essentielle du monde. c’est de l’émergence en Afrique
ce trait d’union qui relie Comment a-t-on pu penser aussi d’une nouvelle génération de penseurs
le continent au monde longtemps en Occident que l’Afrique et d’acteurs de la vie culturelle. En quoi
entier ? était précisément hors du monde ? l’avènement d’une Afrique nouvelle
Achille Mbembe – Au fond, c’est une idée récente. sera le “grand événement du XXIe siècle”,
Il n’y a presque Ce n’était pas le cas dans le monde comme vous l’avancez ?
aucune région du monde qui n’atteste antique. Il suffit de relire les historiens Les Africains ont longtemps intériorisé
d’une présence africaine ! Les Africains d’alors, comme Hérodote, pour s’en le paradigme hégélien. Ils se sont
et citoyens de descendance africaine convaincre. Cette idée s’est en fait pensés comme essentiellement
sont disséminés partout dans le monde. renforcée au cours du XIXe siècle, différents du reste du monde, héritiers
L’Afrique a aussi été une destination à la faveur de la colonisation, théorisée de traditions incompatibles avec celles
pour quasiment tous les peuples de par des penseurs comme Hegel. Hegel, des autres entités humaines. Le nouveau
la terre. On trouve en Afrique l’ensemble c’est vraiment le théoricien de l’Afrique moment est un moment où l’on assiste
des peuples du monde, et ce depuis comme ne faisant pas partie du monde, à l’émergence sur la scène intellectuelle,
très longtemps, cela ne date pas de comme un monde à part, sans histoire artistique, culturelle, d’une nouvelle
la colonisation. Nous avons voulu ancrer propre, un monde déserté par l’Esprit. génération, à la fois en Afrique et
la réflexion à partir de cette donnée Cette idéologie coloniale permet de faire dans la diaspora, peuplée de gens
historique fondamentale qui, en valoir la fiction selon laquelle le retour qui connaissent le monde. Qui circulent
conséquence, nous permet de congédier de l’Esprit est le fait de la colonisation. et qui, du coup, pensent l’Afrique
différemment. On le voit dans l’intérêt des forces sociales chargées symboliques, intellectuelles,
les pratiques artistiques, littéraires, de transformer nos sociétés. susceptibles de nous aider à redevenir
dans le cinéma, la musique, le sport… Qu’est-ce qui relie entre eux notre centre propre ? Les ressources
On est dans un moment de très les auteurs des Ateliers de la pensée susceptibles d’aider le continent
grande créativité. On voulait capter de Dakar, que vous avez organisés à se hisser à hauteur du reste du monde.
ces énergies et leur donner voix. en octobre 2016, par-delà leurs Quelles forces sociales pourraient
Vous dites qu’“il n’y aura d’Afrique horizons nationaux et la diversité accompagner un tel mouvement ? Il y a
que créée”. Qu’est-ce que cela signifie de leurs disciplines (philosophie, une énorme attente par rapport à toutes
de penser la création de l’Afrique ? économie, sociologie, littérature…) ? ces questions. Nous sommes aujourd’hui
D’un point de vue objectif, on peut C’est le souci de l’Afrique et le souci confrontés à ce moment d’attente,
décrire l’importante révolution du monde. Il n’y a pas de souci dans le monde entier. Comprendre
démographique en cours, qui fera de l’Afrique qui soit séparable du souci ce qui se passe, mais aussi expérimenter
que dans cinquante ans une grande du monde. C’est cela la communauté de nouvelles voies politiques.
partie de l’humanité vivra en Afrique, d’idées que partagent les auteurs, Plusieurs concepts politiques
alors que le monde occidental dont beaucoup sont des jeunes. fédérateurs se sont succédé
poursuivra son vieillissement. Il faut A propos des jeunes, quels discours ces dernières décennies : “la négritude”,
donner sens à ces mouvements, à attendent aujourd’hui les nouvelles “le panafricanisme”, “l’afropolitanisme”,
ces grands déplacements sociologiques. générations ? “l’en-commun”… En quoi l’idée de
Penser cette Afrique qui se crée, c’est Il existe une attente colossale sur des “l’Afrique-Monde” prolonge-t-elle cette
prendre à bras-le-corps ces processus questions-clés. Pourquoi on en est là ? histoire des catégories mobilisatrices ?
objectifs et les interpréter d’une manière Qu’est-ce qui s’est passé ? Où trouver Cette idée d’Afrique-Monde n’est pas
qui les affirme, qui les relance et suscite les ressources culturelles, économiques, la même que celle de la négritude.
Robin Pecknold, Skyler Skjelset les fluides ensorcelés des Fleet Foxes, dont
et Christian Wargo sont Fleet Foxes le succès, notamment en Europe, semblait rassurant
et quelque peu miraculeux.
allure de jeune urbain casual (il vit désormais à orgueilleuses et sons domestiques qui alternent
New York), le reste du groupe ayant lui aussi délaissé comme un film sans images, le long prélude de ce
guenilles de Mathusalem et barbasses de retour replante le décor avec majesté. “Lorsque j’étais
cinq cents jours pour un rafraîchissement du même à l’université, je pensais à l’atmosphère du futur album
style. Quant à la “fêlure” empruntée à Fitzgerald, alors que les chansons n’existaient que sous une forme
Pecknold se contente d’en effleurer les contours pour embryonnaire. J’imaginais quelque chose d’à la fois
éviter de plonger en détail dans le souvenir des tempêtes grandiose et intimiste, des arrangements qui opéreraient
traversées. “J’ai sans doute été trop idéaliste pendant sans cesse par contrastes, par confrontations. Sur le
des années, se contente-t-il d’analyser. On peut deuxième album, j’avais trop le nez dedans pour réfléchir
très vite se couper de la réalité lorsqu’on vit à l’intérieur de cette façon. Le recul m’a donné une perspective
d’une cellule protégée comme celle d’un groupe. plus large, j’ai pu visualiser ce disque avant même
Dans la nouvelle, Fitzgerald s’interroge justement sur de le commencer.”
cette frontière fragile entre le réel et le fantasme,
considère que sa vie et celle de son couple avec Zelda Chacun des onze titres de Crack-Up procède d’un
forment une sorte de fiction qui trouble son rapport mirage, d’une illusion sensorielle offerte en partage.
à la vie réelle. Mais j’ai surtout retenu les choses Ces chansons ne donnent jamais l’impression d’avoir
les plus positives de son texte, notamment sur la possibilité été écrites, composées, arrangées laborieusement,
de rendre les choses meilleures à travers l’art.” elles semblent avoir jailli de terre telles des fleurs
Parti pour n’apporter qu’une longue et opulente n’appartenant à aucune espèce connue ;
vague de vibrations optimistes portées par ou être tombées du ciel avec la force et la rapidité
cet entrelacement de voix divines, le troisième album de météorites envoyées par des anges pratiquant
des Fleet Foxes est pourtant en cours de route rattrapé le bowling céleste. Pecknold confesse avoir beaucoup
Shawn Brackbill
par une réalité bien moins joyeuse, à savoir l’ascension écouté de musique récente (Dirty Projectors,
d’un ogre blond à la vulgarité terrifiante. “J’étais Kendrick Lamar, Chris Cohen ou Weyes Blood) mais on
en train de terminer les textes lorsque Trump a été élu. songe plus volontiers en écoutant Crack-Up aux pièces
Je ne pouvais pas faire comme s’il ne s’était rien passé, de Charles Ives ayant intégré des éléments du folklore
et laisser les choses en l’état. J’ai donc réécrit certains populaire américain, ou au prolongement plus pop
passages, comme sur If You Need to, Keep Time on Me. qu’en fit un Van Dyke Parks. Malgré la solennité
La question de la vérité objective mise à mal par Trump de rigueur chez les Fleet Foxes, il subsiste toujours
et ses conseillers est quelque chose qui m’a profondément chez eux une forme d’espièglerie dans l’utilisation
perturbé et qui trouve résonance dans certaines phrases des cuivres et des bois, ainsi qu’une science
des chansons. Au-delà de l’inquiétude grandissante, du trompe-l’œil qui les distingue du tout-venant
il y a l’embarras que certains Américains éprouvent des baladins folk de nos sous-bois habituels.
vis-à-vis du reste du monde. Comment a-t-on pu laisser En six années de jachère, ils auraient pu se faner,
élire un type pareil ? Où avons-nous merdé ? Il y a voir se tarir l’incroyable sève qui les nourrit depuis
juste un espoir qui demeure : que son incompétence les débuts, mais c’est au contraire à une véritable
crasse finisse par l’empêcher de mettre en œuvre régénérescence que l’on assiste, Pecknold finissant
la plupart des choses qu’il a promises.” après quelques secondes de silence à valider le terme
La fêlure, c’est peut-être aussi celle qui a entrouvert de “renaissance” qu’on lui soumet avec prudence.
la bulle protectrice des Fleet Foxes pour y laisser “C’est avec cette volonté de rompre les cycles des albums
entrer un peu des laideurs du monde extérieur. et des tournées qui finissent par user tant de groupes
Mais pas d’inquiétude, l’essentiel des beautés cultivées que nous avons choisi de nous mettre volontairement
par ces idéalistes est demeuré intact. Les voix en retrait. Pour revenir libérés, ragaillardis, et ouvrir
engourdies qui entament le triptyque d’ouverture un nouveau chapitre.” La preuve que la vie d’un groupe,
I Am All That I Need/Aroyo Seco/Thumbprint Scar n’en déplaise à Fitzgerald, est avant tout un processus
sont un leurre pour mieux conduire à l’explosion de reconstruction.
qui saisit le poil laissé trop longtemps tranquille
depuis six ans. Banjos bandés comme des arcs, album Crack-Up (Nonesuch/Warner)
chants d’oiseaux et bruits de vagues, cordes concert le 20 novembre à Paris (Trianon)
L
a famille est et a toujours été contraintes de cohabiter dans
le grand sujet du cinéma un environnement exigu et hostile :
américain. Qu’on la fuit ou une cabane au milieu de la forêt, quelque
qu’on la cherche, qu’on l’aime part, on ne sait pas où précisément,
ou qu’on la haïsse, qu’on en tandis que partout l’apocalypse règne.
hérite ou qu’on la recompose, La peste, ou une maladie s’y
elle est, là-bas encore plus qu’ici, ce nœud apparentant, frappe en effet les Etats-Unis
gordien autour duquel tout s’enroule – sans que l’on ne sache cependant
et que l’on doit (ou non) finir par trancher. ce qui se passe au-delà de ces quelques
Cette loi, aussi certaine que celle qui fait acres de forêt –, et pour s’en prémunir,
tourner les planètes autour du soleil, Paul (Joel Edgerton, impressionnant),
est illustrée de façon particulièrement sa femme Sarah (Carmen Ejogo) et leur
saisissante par It Comes at Night. fils de 16 ans, Travis (Kelvin Harrison Jr.),
Saisissante et sans ambages, puisqu’on restent cloîtrés chez eux. Coupés du
passe les quatre-vingt-dix minutes qui monde, ils n’hésitent pas à occire le
composent ce long métrage en compagnie grand-père contaminé, dans une première
d’une famille. Ou plutôt de deux, scène traumatique qui annonce la couleur :
U
ne plage bondée, un soleil écrasant, la mer et Si le film n’est pas exempt des clichés du premier film
les cris des enfants en fond sonore et un déluge Fémis, à savoir une agréable bande-son electro-pop, une
chromatique fait de maillots de bains bigarrés plongée dans un milieu social particulier (ici les gens du
et de la palette multicolore des parasols. Le voyage), la représentation de la jeunesse et le sentiment
plan d’ouverture du premier film de Léa Mysius d’un travail appliqué qui manque parfois de spontanéité,
menace d’imploser de part son abondance Ava est véritablement ce que la prestigieuse école nous
visuelle. Sa durée importante invite le regard à y chercher a donné de plus intéressant à voir depuis Les Combattants
un indice en forme d’amorce à la fiction. Apparaît alors un de Thomas Cailley (2014). Tout en maîtrise dans sa
chien d’un noir d’ébène, agent perturbateur de la quiétude représentation d’une sexualité qui s’éveille, le film
balnéaire de la scène et bête de mauvaise augure. s’autorise des moments plus relâchés de pure beauté
L’intensité de sa noirceur opère comme une incision dans plastique et sensuelle, notamment dans ces scènes
l’image, impression qu’on n’avait pas eu depuis l’apparition où Ava se retrouve démunie face aux vagues de l’océan.
du chien dans le Stalker (1979) de Tarkovski. L’animal rôde Déclinant le motif du noir, des policiers à cheval
et slalome entre les baigneurs comme si personne n’avait à l’amant black de sa mère en passant par le marcel
remarqué sa présence. de son flirt d’été et d’étranges vues oniriques, le trajet
Le mirage canin, entre chien errant et fauve du film est véritablement celui de la contamination d’un
mythologique, semble avoir choisi sa cible. Il finit la truffe regard qui s’enfonce dans la nuit. Mais loin de représenter
dans la barquette de frites posée sur le ventre d’une cette sombre contagion comme une simple angoisse,
adolescente assoupie, c’est Ava. Si elle recroisera le chien le film parvient à saisir toute l’ambiguïté d’Ava qui semble
plus tard dans le récit, Ava apprendra entre-temps comme fascinée par cette couleur qui deviendra sa patrie.
qu’elle est atteinte d’une rétinite pigmentaire. Sa vue Ava est aussi l’histoire d’un saut hors de soi, d’une
va doucement baisser. Elle ne verra bientôt plus rien adolescente qui quitte tout pour un amour d’été. Car à la
en basse lumière avant que ses yeux ne se referment manière de Pierrot et Marianne dans le film de Godard,
définitivement sur le monde d’ici quelques mois. Loin Ava et son amoureux tout de noir vêtu vont vivre une
de faire un film misérabiliste, Léa Mysius fait de cette courte et jouissive vie autarcique de contrebandiers.
tragédie teen une sorte de parcours initiatique assez Traversé par une belle énergie estivale, Ava est également
virtuose et visuellement sublime, où la cécité qui menace la révélation d’une actrice, Noée Abita, absolument
son héroïne se transforme en injonction à vivre. fascinante à regarder lancer ses regards noirs et traîner
Présenté à la Semaine de la critique du dernier Festival sa moue boudeuse. Bruno Deruisseau
de Cannes, Ava est donc le premier film de cette diplômée
de la section scénario de la Fémis, qui était doublement Ava de Léa Mysius, avec Noée Abita, Laure Calamy,
présente à Cannes puisqu’elle a également coscénarisé Juan Cano (Fr., 2017, 1 h 45)
Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin. lire le portrait de Léa Mysius pp. 52-54
P
endant cinq à dix Bref, de quoi pressentir
minutes, on y a cru. avec excitation ce que
Une intro en état de ce reboot improbable ne
grâce, comme une nous laissait qu’espérer
quête immédiate de pureté à demi-mot : un film qui à qui ressemble moins à son it’s good entre deux épisodes
dans l’adaptation, un départ l’instar d’un Magic Mike XXL adaptation qu’à son “Scary de Sharknado.
tonitruant en plein dans dénicherait à la lisière Movie”. Baywatch, c’est de Le Baywatch au premier
le mythe plagiste : Malibu de la vulgarité un érotisme la parodie, et même de la degré, sincère et sensuel,
Beach cramée de soleil, totalement paradisiaque, parodie au carré : un léger mais pas clownesque,
plans et gestes solaire, heureux, beauf à humour de la scène foirée, n’aura donc pas lieu :
emblématiques, sublimés, souhait mais peu importe. du clin d’œil ouvertement contentons-nous de cette
jumelles scrutant le large, Or Baywatch, il fallait maladroit, du ratage rigolo. resucée conviviale, misant
course en slow-mo entre s’y attendre, ne tient pas Si l’intrigue (Mitch non sans succès sur le
les aoûtiens, corps beaux, la distance, et adopte assez Buchanan et son équipe capital sympathie du doux
bruns, affriolants, et puis tôt un autre rythme de de maîtres-nageurs colosse The Rock (meilleure
ce plan-titre génialement croisière : léger et sexy, tout s’attaquent à un réseau scène : une baston dans une
grotesque d’un Dwayne de même, mais surtout mêlant cartels, magnats chambre de petite fille), et
Johnson émergeant comique, comme s’il n’était immobiliers et politiciens tâchons d’oublier le rendez-
de l’eau comme un demi- pas permis de toucher à ce corrompus) tient tant vous manqué. Théo Ribeton
dieu à sourire Colgate, gros machin ringard d’Alerte du gag, de la quasi-série Z,
les immenses lettres à Malibu sans pour autant c’est que le film est résolu Baywatch de Seth Gordon,
“BAYWATCH” apposées s’en moquer. Seth Gordon à s’imposer chez les avec Dwayne Johnson,
derrière lui sur l’horizon. a donc produit un objet inconditionnels du so bad Zac Efron (E.-U., 2017, 1 h 59)
D
ix années chaotiques de la vie par les séances de thérapie de Toma, ce que vous voulez (déluge
d’Ana et Toma, un couple jalons voyants pour distancier l’histoire de signes extérieurs
d’étudiants de Bucarest, entre d’amour oppressante. Comme s’il fallait de richesse, sushi, vitres
amour et folie. Histoire d’amour absolument éviter la subjectivité dans la teintées et costards GQ)
fou, donc, mais plus au propre description d’un phénomène pernicieux. jusqu’au jour où un
qu’au figuré, puisque la jeune Mais ce pataud leitmotiv du psy n’est qu’une mystérieux jeu du destin
femme montre des signes de phobie faute de goût ponctuelle au regard de le précipite dans un monde
et de dépression graves, qui laissent l’intensité du processus global – qui n’est parallèle où il n’est
son amant désemparé. de toute façon pas si désordonné qu’il veut plus qu’un monsieur
Cette dérive pathologique s’insinue en avoir l’air, puisqu’il laisse apparaître une météo. Une intrigue
par bribes dans un récit-maelström évolution, et qu’au bout du compte il y a un de roman jeunesse, pour
à la temporalité chamboulée – et au retournement de la situation initiale, qui est un traitement vulgaire
filmage chaloupé. Les différents stades à nouveau signifié par une transformation et répétitif où vraiment,
de la relation, montrés dans le désordre, capillaire (d’Ana, cette fois-ci, qui devient rien ne va. Pour l’espoir
se repèrent essentiellement grâce blonde aux cheveux courts). qu’incarne chez nous le
à l’évolution de la chevelure de Toma, Dès lors, ce n’est plus une histoire nom de Gobert, la déception
toison échevelée au départ qui se raréfie de folie et d’amour mais la lente et est abyssale : rassurons-
au fil des ans et finit par friser la calvitie. sinueuse rédemption d’une enfant déchue. nous en lui souhaitant
L’essentiel étant de donner en permanence Ce bouleversement renforce le film car de vite tourner la page
une impression de bribes arrachées il annule le cliché de la passion vécue pour retrouver son niveau
au réel : pur simulacre naturaliste, certes, comme une spirale suicidaire : Ana guérit, habituel. Théo Ribeton
mais qui fonctionne assez bien et surprend Toma déprime.
en permanence le spectateur (même Dans l’ensemble, le film se caractérise
si la gymnastique mentale qu’on lui impose par un propos plus moderne et une
est épuisante). forme plus organique que la majorité
L’intimité des deux amants toxiques des fictions roumaines, souvent engluées
est contrebalancée, ou plutôt contrecarrée, dans un magma familial et sociétal.
par la présence de la famille et de la Dans cette anatomie (de l’enfer) du couple,
société roumaine paternaliste. Outre la famille et autres se manifestent
les altercations avec les parents, il y a mais restent subsidiaires. Vincent Ostria
le recours-confession de Toma à un prêtre
orthodoxe, qui donne lieu à une séquence Ana, mon amour de Calin Peter Netzer,
belle et étrange. On n’en dira pas autant du avec Mircea Postelnicu, Diana Cavallioti
fil rouge psychanalytique du film, constitué (Fr., Rou., All., 2017, 2 h 05)
Derek Jarman
en quatre films
Ressortie en copies restaurées de films essentiels
du protéiforme et iconoclaste Derek Jarman.
Le plus grand inventeur du cinéma britannique ?
N
é à Londres en 1942 Mais Jarman est aussi en prise
et mort dans la même directe sur son époque, et restitue
ville en 1994 des suites dès son deuxième film, Jubilee
du sida, Derek Jarman, (1978), la frénésie du mouvement
pionnier de la cause gay, est un peu punk ; on y assiste sur un mode
le chaînon manquant entre le sarcastique et destroy aux
chaman californien Kenneth Anger, interactions de plusieurs figures
inventeur du vidéoclip, et le de cette scène bigarrée.
moraliste dionysiaque Pier Paolo Peu après, nouveau virage
Pasolini (dont Jarman jouera même à 180° : le cinéaste délaisse
le rôle dans un court métrage). ses bizarreries stylistiques pour
C’est-à-dire à la fois un dandy pop/ une adaptation quasi classique de
baroque et un provocateur social. La Tempête de Shakespeare (1979) ;
Coup de projecteur sur son œuvre son œuvre la moins baroque
dérangeante, protéiforme, moderne pour la pièce la plus abstraite
et hantée par l’histoire, avec la de Shakespeare. Dix ans après,
réédition de quatre longs métrages il revient à l’expérimentation
majeurs (parmi une douzaine, sans pure avec un essai poétique
parler d’une myriade de courts). fracassé, The Last of England (1987),
Le premier, Sebastiane (1976) qui enchevêtre des réflexions
– coréalisé par Paul Humfress –, sur la disparition de la culture
peut-être le seul film jamais tourné traditionnelle et ses souvenirs
en latin, s’inspire du martyre de d’enfant né durant la Seconde
saint Sébastien, la plus ancienne Guerre mondiale. Une œuvre
icône homoérotique. Il met parfois difficile d’accès, mais à
en scène dans la nature les joutes l’imagerie éblouissante. Un des
sadiques et sensuelles de grands inventeurs, sinon le plus
quelques soldats romains et leurs grand, du cinéma britannique. V. O.
prisonniers, mêlant crudité et
hédonisme. Un jalon du cinéma sortie simultanée en salle
gay, qui évoque fortement Pasolini. et en DVD (Malavida)
D
ès la première séquence de mais en attendant, elles entrent dans le En cheffe de clan volontaire, protectrice
Claws, la nouvelle série de la salon de manucure où elles travaillent et néanmoins maltraitée par son petit
chaîne qui monte aux Etats- ensemble. Elles sont bientôt rejointes par ami malfrat, Desna incarne le basculement
Unis, TNT – avec notamment leur collègue Polly (Carrie Preston, de True possible vers une forme de violence et
une adaptation en série de Blood notamment) dont on comprend, au vu de tension qui prend peu à peu beaucoup
Snowpiercer de Bong Joon-ho du sémillant bracelet électronique qui lui de place dans l’épisode initial. Embringuée
dans les tuyaux –, quelque chose détonne. enserre la cheville, qu’elle sort de prison. dans une relation sexuellement plutôt
Trois femmes se retrouvent sur un parking La réalité n’a rien d’un rêve et quelques satisfaisante, mais moralement et
pourri quelque part en Floride et font de femmes travaillent à l’enchanter : affectivement douteuse avec un abruti
l’endroit une scène glamour d’où exhalent voici la meilleure part du premier épisode bodybuildé sexiste qui essaie de faire
leur pouvoir et leur joie. Elles dansent tour de Claws (le mot signifie “griffes” en de l’argent sur son dos – le salon de
à tour en bougeant leurs fesses, mais aucun anglais), qui s’enroule subrepticement manucure sert à blanchir des dollars –, elle
homme ne les regarde. Elles font cela pour entre comédie outrée et drame stylé, se retrouve bientôt dans une situation
elles. Surtout, elles ne correspondent pas en ne reculant quasiment jamais devant impossible dont la première saison devrait
aux critères de la féminité bien sous tous le kitsch, voire la vulgarité de l’univers nous apprendre comment elle va en sortir.
rapports telle que la société les fantasme. et des personnages qu’elle met en scène. Cette facette de Claws n’est pas inutile
La première, Desna (Niecy Nash, vue La manière décomplexée et camp dont a priori. Elle en dit même potentiellement
dans Masters of Sex et Scream Queens), le showrunner Eliot Laurence s’empare beaucoup sur la manière dont les opprimés
est une femme noire aux courbes affirmées d’une esthétique singulière et too much quels qu’ils soient sont poussés dans leurs
qui se trémousse dans un combishort – un peu à l’image du nail art que proposent retranchements et forcés de réagir. Mais
ultradécolleté et ultramoulant, sur des les héroïnes à leurs clientes – produit l’intrusion du polar se fait ici de manière
bottines à talons. La deuxième, Jennifer un effet immédiatement émouvant. un peu trop volontaire, au point que les
(Jenn Lyon, ex-Justified), est une blonde Car cet aspect-là de la vie des héroïnes interactions entre femmes qui devraient
pulpeuse en jean troué, bottes en daim et de Claws se construit comme une récréation faire le sel de la série (on pense notamment
T-shirt délavé, à la démarche de go-go girl enfantine et surtout un espace protégé. à l’ombre bienveillante d’Orange Is the
assumée. Enfin, la troisième s’appelle New Black) changent immédiatement
Ann (Judy Reyes, excellente dans Scrubs), de tonalité. Comme si, pour satisfaire les
une latina lesbienne butch en T-shirt blanc, des femmes qui exigences d’un public (imaginaire ?) porté
chemise manches courtes et bermuda ne correspondent vers les intrigues resserrées et brutales,
assorti, qui avance d’un air déterminé et pas aux critères il ne fallait surtout pas sortir des clous
provocant. trop longtemps. Olivier Joyard
Toutes trois se préparent à fêter le de la féminité bien
Nouvel An au pays où il ne fait jamais froid… sous tous rapports Claws sur TNT (Turner Network Television)
E
n 2016, El Marginal avait raflé la mise
principal toujours le même
comédien exceptionnel : Idris
au festival Séries Mania, séduisant
Elba. Avec le recul, on constate le jury présidé par le créateur
que les séries modernes des Soprano David Chase et devenant
– depuis The Wire où il crevait probablement la première série argentine
l’écran – seraient moins à être achetée par une chaîne française
profondes et sexy sans lui. majeure. La découverte est indéniable,
Aucun détail n’a été donné par même dans un genre aussi balisé que le
la production sur l’intrigue de drame de prison, qui a connu et connaît ses
Luther saison cinq, mais est-ce heures de gloire avec Oz, Prison Break et
vraiment le principal ? Nous bien sûr la toujours vaillante Orange Is the
serons au rendez-vous. New Black. Le pénitencier crade et à ciel
ouvert proposé par la série se singularise,
même dans un genre propice à l’exposition
sans détour de la misère humaine.
agenda télé On suit l’arrivée de Miguel, un ex-flic
Twin Peaks – The Return
chargé d’infiltrer un réseau, dans
(Canal+ Séries, le 22 à 23 h 10) une jungle du petit et du gros crime dont
Déjà le septième épisode sur dix-huit les limites ne sont fixées par personne.
de la nouvelle saison de Twin Peaks. Nerveuse, la série joue de l’incessante
David Lynch ne s’interdit rien et chaque chorégraphie des corps forcés de cohabiter,
minute investit un monde personnel et avec un érotisme latent et une forme
poétique sans limites. A voir absolument. d’humour attachant. On peut en revanche
lui trouver un air de déjà-vu dans sa
Silicon Valley (OCS City, le 26 à 20 h 55) manière de coller à un fil narratif
La série geek termine sa quatrième – l’enlèvement de la fille d’un juge – qui
saison qui aura notamment dévoilé n’est qu’un prétexte à la dénonciation sans
le nouveau look de l’ex-enfant prodige véritable profondeur d’un système politique
de Sixième Sens Haley Joel Osment corrompu. Il y a quelque chose d’un peu
– barbe longue, jolie bedaine – trop joueur pour être vraiment noir et
et confirmé que la création de Mike d’un peu trop noir pour être vraiment joueur
Judge a de la suite dans les idées. dans El Marginal, qui aurait pu assumer
plus frontalement sa nature de soap.
Preacher (OCS Choc, le 27 à 20 h 40) Ce petit manque d’équilibre ne devrait
Adaptée d’un roman graphique culte, empêcher personne de commencer
cette réflexion sur la foi et la violence l’été en sa compagnie, ne serait-ce que pour
pèse des tonnes mais peut séduire comprendre que les séries hors USA et
par son ambition et sa radicalité. Angleterre valent aussi le coup d’œil. O. J.
Par l’un des anciens membres majeurs
de la salle d’écriture de Breaking Bad. El Marginal à partir du 26 juin, 20 h 55, Canal+
D
es mélodies qui séduisent “J’étais un peu le mouton noir, explique-t-il
autant qu’elles bouleversent, en souriant. A l’école, je ne sympathisais
des paroles aux émotions qu’avec des enfants qui aimaient la musique.
intenses chantées d’une voix C’est ce qui me permettait d’avoir un lien
androgyne, des rythmes avec les autres. Je dépensais tout mon
ralentis pour une sensualité argent de poche en CD. A partir du lycée,
maximale, une production sublime… j’ai commencé à jouer de la guitare dans
On a beau essayer de décrypter tous des groupes et en solo.”
les ingrédients qui composent ce philtre Avec l’émergence d’internet, il passe
d’amour, difficile de trouver la logique des heures à faire des découvertes
d’un coup de foudre. en sautant d’un site à un autre, comme
Pourtant, rien ne prédisposait Greg une chasse au trésor sans fin. Après avoir
Gonzalez, fondateur lettré de Cigarettes écouté beaucoup de metal pendant son
After Sex, à une carrière musicale. enfance, il se passionne pour de nombreux
Ecoutez les albums de la semaine sur Né au début des années 1980, il grandit groupes anglais des eighties, des Smiths
à El Paso, au Texas, dans une famille à Echo & the Bunnymen en passant par
où personne ne joue d’un instrument. Queen et The Sound. Il a alors l’impression
d’être né au mauvais endroit, au mauvais un nom collectif, mais bien d’un groupe,
moment. “El Paso est une ville paisible quatuor masculin mené par les pattes
avec une bonne scène musicale, mais assez de velours de Greg Gonzalez.
éloignée de mes propres goûts. Il fallait que A la fois planantes et charnelles,
je m’en aille pour trouver l’endroit qui me ténébreuses et capiteuses, les chansons
correspondait vraiment.” Il part faire des de Cigarettes After Sex dégagent
études de musique à l’université du Texas. une grâce féline dès les toutes premières
De cette expérience, il avoue ne pas notes de K., ouverture magistrale
avoir retiré tout ce qu’il espérait, car il avait d’un album dont les volutes ensorcelantes
déjà ses habitudes de songwriter. Mais ne s’estompent jamais. Presque tout
il en garde quand même un épisode décisif a été enregistré en trois nuits : “J’aime
pour Cigarettes After Sex : “Tous les jours, travailler le soir. C’est un moment où tout
je passais par une cage d’escalier qui faisait le monde est plus détendu. Je trouve que
résonner les sons de façon incroyable. Ça ces ambiances nocturnes correspondent
donnait un écho étrange, très frappant. Je bien à notre musique.”
me suis dit que ce serait bien d’enregistrer En parfaite cohérence avec
un morceau là-bas. On a fait ça rapidement, les atmosphères sombres et raffinées
sans trop réfléchir. A cette époque, c’était de leur musique, leurs visuels sont
plus un projet solo qu’un vrai groupe. devenus indissociables des morceaux
Les musiciens allaient et venaient comme qu’ils illustrent : de magnifiques photos
ils le voulaient.” Cette session sauvage de Man Ray en noir et blanc qui invitent
a donné un premier ep, sorti en 2012. à la caresse. “Je voulais avoir des visuels
Greg finit par se résoudre à abandonner très unifiés, comme les Smiths et Belle
la fac. Il s’installe alors à Brooklyn. And Sebastian savaient si bien le faire.”
“Beaucoup d’artistes que j’adore sont passés Avec cette identité bien affirmée et cette
par New York et ça m’a mis la barre plus écriture voluptueuse signée à l’encre noire,
haut. Soit je réussissais, soit je devais rentrer Cigarettes After Sex pourrait faire
au Texas.” Il continue à composer et un tabac. Noémie Lecoq
à chercher des sonorités intéressantes.
En 2015, il met en ligne Nothing’s Gonna album Cigarettes after Sex
Hurt You Baby et Affection, deux morceaux (Partisan Records/Pias)
cotonneux qui rappellent Mazzy Star. concerts le 29 juillet au festival Cabourg
En parallèle, ce cinéphile érudit dirige Mon Amour, entre le 2 et le 4 novembre
un cinéma dans l’Upper East Side, à Paris (Pitchfork Music Festival),
le 22 à Strasbourg, le 23 à Feyzin
le Beekman Theatre. C’est là, toujours
dans un escalier, qu’il enregistre Each Time
You Fall in Love, digne descendant de la BO
de Twin Peaks.
Le résultat figure aujourd’hui sur leur
premier album, Cigarettes after Sex
– inutile de chercher un titre différent
quand on a trouvé un nom de groupe aussi
parfait. Cette fois, il ne s’agit plus d’un
projet en solitaire dissimulé derrière
Raul
Midón Simone, Erik Truffaz, un festival à la pointe
et plein d’autres. Pour sa troisième édition, le Pointu
Festival nous invite sur l’île du Gaou, à
Six-Fours-les-Plages, près de Marseille.
Queens Of The Stone Age On pourra y voir Ride, Dinosaur Jr.,
Slowdive, Kurt Vile And The Violators,
entretient le mystère revoilà Hanni El Khatib ou encore Eye Scream
Si QOTSA a bouclé un lp, suite de … Like du 8 au 9 juillet. Et une bonne nouvelle
Clockwork paru en 2013, aucune date de sortie Torres ! en bonus : le tout est en accès gratuit.
n’a été donnée. Le groupe a appâté ses fans Deux ans après Pas d’excuse pour ne pas y aller.
en modifiant la page d’accueil de son site, Sprinter, un
qui présente désormais une vieille télé vintage. deuxième album
Josh Homme, leader du groupe, a comparé de rock sombre il fait quoi
le nouveau disque à “une panthère dans les arbres et bourré d’idées,
qui surgit de l’obscurité” : une description sibylline la New-Yorkaise Toro Y Moi ?
qui épaissit encore un peu plus le mystère. Torres sort un Il y a deux mois, Toro Y Moi
single, Skim. Si sortait Omaha, un morceau
un album n’est pas destiné à alimenter la très
encore annoncé, belle compilation Our First
on peut néanmoins 100 Days illustrant le début
en espérer un de la présidence Trump.
pour fêter son Puis, plus de nouvelles
arrivée chez 4AD, de sa carrière solo...
son nouveau label. Jusqu’à Girl Like You, titre
Et ça, c’est cool. avec lequel l’Américain
nous entraîne dans
un monde vaporeux et
eighties à souhait, prélude
à Boo Boo, un album qui
devrait sortir le 7 juillet.
Adarsha Benjamin
au ralenti de The Germs,
groupe hardcore de Los
Angeles. Le titre City Music
et sa longue introduction
downtown tempo
Avec City Music, Kevin Morby chante la ville, ses bruits et ses lumières.
instrumentale en forme
de rengaine constituent
ici la part du merveilleux.
C’est une déclaration
d’amour aux bruits de
la ville, à ses lumières et
De New York à Los Angeles, en passant par Memphis ou Las Vegas, aux échappées nocturnes.
un album qui s’inscrit dans la filiation folk américaine. De Beale Street à Memphis,
au Strip à Vegas, et de
J
’aime cette image hors du temps, d’où comme un document Downtown Los Angeles,
de l’enfant qui, se dessinerait à l’horizon s’inscrivant dans la filiation à New York City, c’est toute
apercevant une skyline incandescente. des grands disques du folk l’histoire de l’Amérique
la ville au loin, “C’est un album écrit du point américain. Le très beau qui est ici vue à travers
a l’impression de de vue d’un personnage Dry Your Eyes, par son grain, le prisme de ses marges
voir un immense qui se sent déconnecté ses arrangements et ses célestes et vagabondes
brasier”, confie Kevin Morby. du monde qui l’entoure.” chœurs, évoque la chaleur que sont les musiciens.
Au mitan de City Music, son L’enregistrement et l’intemporalité des Si Morby semble être
quatrième album, un extrait de City Music ne ressemble récents albums de reprises davantage fasciné par
du roman Et ce sont pourtant pas à un de Dylan. Dans sa façon le mythe, cet album
les violents qui l’emportent, processus de création de convoquer la mère et n’en demeure pas moins
de l’auteure américaine solitaire. Il se fera en deux la sœur, Downtown’s Lights un témoignage vivant et
Flannery O’Connor, lu temps. D’abord, de retour se situe lui davantage contemporain de ce mode
par la voix hantée de la aux Etats-Unis après une dans le sillage de Leonard de vie. Encore un petit effort
chanteuse folk Meg Baird, longue tournée européenne. Cohen, référence assumée et Kevin ne devrait plus
évoque la confusion Le Kevin Morby band par Morby. seulement être dans
du jeune Tarwater, entre se retire au nord de San Sans jamais le théoriser, l’évocation des choses,
un grand feu et la lueur Francisco, dans un home le thème central de mais dans leur incarnation.
des lumières de la ville. studio de la petite localité de City Music est la ville. François Moreau
Porté par le rythme Stinson Beach, surplombant Sous toutes ses coutures
lancinant d’une caisse claire l’océan Pacifique. “Tu peux et via toutes les errances album City Music
et les nappes d’un orgue m’entendre compter, au poétiques qu’elle suscite. (Dead Oceans/Pias)
sépulcral, Come to Me Now début et à la fin de certains “J’ai voulu faire une sorte
entretient cette méprise, morceaux. C’était pour de mixtape et parler de
dès l’ouverture du disque. donner le signal à mon ces villes qui m’ont marqué,
Toujours en quête d’une groupe, car on enregistrait explique-t-il. Le morceau
route à emprunter, Morby live.” Puis un peu plus 1234, par exemple, est
semble ici être dans au nord, à Cottage Grove, à la fois un hommage aux
la contemplation de son Oregon, dans les studios Ramones et à New York City.”
propre crépuscule. Comme du producteur Richard Une chanson à l’énergie
s’il se situait dans un point Swift. Le résultat sonne punk écrite par Morby, dont
D
ébarqué sans prévenir en 2014, le format protest song. L’engagement, un début d’essoufflement.
il avait scotché une salle entière lors il le vit depuis longtemps, depuis Le dernier opus du groupe,
du festival des Inrocks. Sautant dans qu’il a décidé de quitter la Floride le très honnête Blasting off
tous les sens, il refusait de canaliser pour La Nouvelle-Orléans afin d’aider (1991), est étonnamment
sa fougue encore juvénile. Trois ans plus à la reconstruction post-Katrina. absent. Une intégrale aurait
tard, Benjamin Booker s’est (un peu) calmé. Aujourd’hui, il s’est installé été bienvenue, d’autant que
Côté inspiration, il a délaissé Jack White à Los Angeles, pour se “sentir davantage manquent également les
au profit de l’écrivain James Baldwin, investi dans l’industrie de la musique”. belles Peel Sessions, mais
à qui Raoul Peck a récemment consacré Entre-temps, un séjour mouvementé les réjouissances sont tout
un documentaire, I Am Not Your Negro. au Mexique l’a aidé à écrire ces dix pistes de même nombreuses.
“C’est une figure tutélaire de mon existence. brèves et intenses. Enregistré entre Le coffret présente la totalité
Quand je l’ai découvert il y a quelques années, Woodstock et Brooklyn, produit par Samuel des maxis de l’époque, dont
ça a été la révélation : quelqu’un avait Cohen (Norah Jones), Witness laisse le superbe Crawling Mantra
couché sur papier mes peurs et mes angoisses entendre une guitare électrique toujours paru en 1987 sous le nom
d’homme noir américain. Witness parle du aussi rugueuse, et la production ne The Lorries. Sur la pochette
fait qu’elles n’ont quasi pas changé depuis les s’éloigne pas des premières amours punk intérieure de Talk about
années 1960, malgré la fin de la ségrégation.” lo-fi (Right on You, All Was Well). Mais, the Weather, un incipit
Peut-on se contenter de regarder sans rien ouvrant la porte à une soul ultramélodique résumait parfaitement
dire, s’interroge-t-il dans le morceau-titre, (Believe) ou un folk-rock sans fioritures leur philosophie : “Let the
superbe démonstration rock’n’roll et gospel (Off the Ground), Booker façonne son propre speakers crackle and burn !”
partagée avec la divine Mavis Staples ? langage de jeune bluesman – qui s’ignore Trente ans après, ça crépite
Fervent supporter du mouvement Black mais auquel on croit tous dur comme fer. et ça brûle toujours autant !
Lives Matter, Booker esquive néanmoins Sophie Rosemont Franck Marguin
E
n 2012, une grande salle nationale en dix-sept tableaux et interludes
d’Eindhoven commissionne prodigieux. Et cette bannière étoilée
l’Américain Nico Muhly pour remplace avantageusement la précédente,
la création d’une pièce musicale libre devenue si sordide depuis Trump.
autour du thème de l’espace. L’expédition En intro, Neptune dévoile Sufjan
promettant d’être épique, Muhly rameute dans sa zone de confort, piano fragile
quelques amis pour l’épauler : les éminents et cordes qui se tissent comme des
Bryce Dessner de The National, Sufjan faisceaux translucides, avant que Jupiter
Stevens et son batteur James McAlister. laisse place à des mouvements plus
Ce carré magique de la pop accidentés, conjuguant des instruments
contemporaine s’attelle ainsi à une longue classiques à des beats numériques
et poignante dérive à travers le système et un vocoder déboussolé qui émeut
solaire, qui sera dans un premier temps par sa touchante désuétude.
jouée sur scène, et dont la transposition Ce qui aurait pu tourner à une bataille
studio aura usé bien des patiences au sabre laser entre vieux garçons devient
chez ceux qui avaient eu la chance d’en au contraire une réflexion paisible sur
apercevoir les premiers éclats live. l’immensité ramenée à la proportion d’un
La mise en orbite de cette œuvre cosmos intérieur, non dénuée de mysticisme
aux ambitions grandioses représente et de questionnements scientifiques (les
donc un grand pas pour la musique marottes de Stevens) mais déployée à la
et pour la beauté. S’il a renoncé à son projet manière d’une divine symphonie. On perçoit
pharaonique d’écrire un album sur par touches certaines influences, comme
chacun des cinquante Etats des Etats-Unis, la montée chromatique de Uranus, qui n’est
Sufjan Stevens n’a pas abandonné pour pas sans rappeler Space Oddity, ou les
autant l’état d’apesanteur, ni l’état de grâce, passages ambient renvoyant à Brian Eno,
et c’est d’emblée autour de sa voix lactée d’autres comme Black Energy à la BO de
que se met en branle ce ballet des planètes Solaris, mais l’ensemble est suffisamment
saisissant et élaboré pour ne pas tomber
dans la parodie des anciennes conquêtes
musico-spatiales. Le romantisme de
certains mouvements (Pluto) finissant de
chavirer vers le sublime. Christophe Conte
E
n attendant le retour des Black Keys, la richesse musicale continue de le nourrir au yin (symbolisant la lune,
la carrière parallèle de Dan en permanence. Ce n’est donc pas une l’obscurité), vient de surgir
Auerbach, chanteur et guitariste surprise si les musiciens qui l’entourent le tout aussi galvanisant
du duo blues, n’en finit pas d’épater. sur ce projet sont des vétérans de la scène Occult Architecture vol. 2,
Ces dernières années, en tant que locale, comme Pat McLaughlin et John placé sous le signe du yang
musicien ou producteur, il a participé Prine (qui ont participé à l’écriture de (le soleil, la lumière).
à une flopée d’albums réussis (Lana Del certaines chansons), ou encore Duane Eddy Pour décoller avec ces
Rey, The Pretenders, Valerie June) et on l’a et Jerry Douglas. Mark Knopfler, le guitar deux albums qui forment
aussi croisé à la tête du groupe The Arcs hero de Dire Straits, fait une apparition sur un ensemble haut perché,
pour un album de soul classique. Shine on Me, tube en puissance propulsé inutile d’avoir l’oreille
On le retrouve cette fois avec un nouvel par un clip multicolore. astrale ou la main occulte,
album sous son propre nom, mais pas tout Pourtant, c’est dans un registre moins il suffit de se laisser
à fait en solitaire : il accueille à bras ouverts tape-à-l’œil que cet album captive, transporter par les
la crème de la scène de Nashville où il vit notamment dans les instrumentations lancinants bourdonnements
depuis 2010, après avoir grandi dans l’Ohio. foisonnantes de King of a One Horse Town, synthétiques et transpercer
“L’été dernier, j’ai décidé d’arrêter les tournées, dans la nonchalance de Cherrybomb, par les fulgurants
explique-t-il. Dès que j’ai pris cette décision, ou dans la charmante ballade Never rayonnements électriques
j’ai pu à nouveau me focaliser sur la musique in My Wildest Dreams. Le titre de cet album – le vol. 2 ayant une
et recommencer à composer. De fil en aiguille, pourrait se traduire par “en attendant coloration plus enjouée,
ce nouvel album a pris forme. J’avais ma une chanson”, comme si le songwriter voire bucolique (Mirror’s
petite routine : j’allais dans mon studio du se trouvait en plein syndrome de la page Edge), sans perdre
lundi au mercredi pour écrire, et du jeudi blanche. On est convaincu du contraire en éclat magnétique.
au samedi pour enregistrer dans la foulée.” en écoutant ces mélodies éclatantes, Jérôme Provençal
Dan Auerbach l’avoue volontiers : parées d’une richesse instrumentale rare
Waiting on a Song est sa lettre d’amour (cuivres, cordes, guitares à gogo) et d’une concert le 15 juin au Rockstore
à Nashville, sa ville d’adoption dont production étincelante. Noémie Lecoq (Montpellier)
D
ans le film de Denis Villeneuve, d’yeux se met à ressembler à un
Premier contact, une linguiste ptérodactyle venu de l’outer space.
réquisitionnée par le gouvernement Reste que cet étincelant petit bijou
parvient, à force de patience, de bizarrerie taillé à l’aide d’une gamme
à communiquer avec des créatures de machines souvent anciennes (Mellotron,
extraterrestres – des heptapodes – Moog Prodigy, Lexicon…), au renfort
au langage graphique élaboré desquelles viennent des outils plus
mais aux intentions troubles. Un peu conventionnels (guitares, basse, batterie),
d’imagination pourrait nous faire envisager ne verse dans l’étrangeté que pour mieux
ce septième album de Juana Molina comme nous ramener à l’humain, voire à l’enfantin.
une possible séquelle de cette fable En cela, la démarche de Juana Molina
sémiologique pleine de poésie. Comme réussit une improbable combinaison
si la chanteuse et actrice argentine avait reliant Syd Barrett à Björk et Alan Vega
pris le relais de la linguiste, pour faire des (on ne peut s’empêcher de penser
aliens ses nouveaux partenaires musicaux. à Suicide sur Cara de espejo), avec une
D’où ces sons venus d’ailleurs donnant touche borgésienne en plus.
une nette couleur ovni aux chansons Vous ne comprenez pas l’espagnol ?
les plus expérimentales et chamaniques Aucune importance : ici, le son compte
Marcelo Setton
d’un lot qui par ailleurs ne déroge jamais plus que le sens et le féerique l’emporte
au format pop. D’où ces oscillations, toujours sur le véridique. Du reste,
ces réverbérations, ces jeux de fréquences, sur l’infernal A00 B01, elle se débarrasse
ces nébuleuses sonores, ces feulements des mots pour ne garder que des
et ces beats dignes d’un bestiaire onomatopées qu’elle scande à la manière Cálculos y oráculos). Et s’il y a de la pythie,
de science-fiction qui parcourent d’une incantation magique qui, d’ailleurs, c’est pour relever l’insuffisance du mode
les captivants Paraguaya, Sin dones, finit par nous envoûter pour de vrai. S’il y a de communication entre humains et, de là,
Lentísimo halo… D’où cette pochette, de la sorcière chez Juana Molina, elle est prophétiser notre inévitable, et même
où un fémur humain incrusté d’une paire animée de bienveillance (cf le magnifique souhaitable, mutation. Francis Dordor
Thomas Dybdahl
The Great Plains V2 Records
Avec tact, le songwriter norvégien
mâtine son folk de pop et ne perd rien
de son charme.
I
l chante avec suavité depuis
des horizons réverbérés, pousse
le murmure jusqu’au sanglot
lorsqu’il s’aventure dans l’aigu, pince
sans violence les cordes de sa guitare
acoustique et n’a pas même oublié d’être
barbu et scandinave pour réunir toutes
les caractéristiques du folkeux introverti,
sensible et pudique, figure de bûcheron
et cœur enclin à la mélancolie.
Mais Thomas Dybdahl sait encore Chastity Belt
enjoliver et emballer ce canevas premier I Used to Spend So Much Time Alone Hardly Art/Pias
de rythmiques électriques, ajouter Mutines et espiègles, quatre Américaines
des touches de synthé et des boucles font du bien au vieil indie-rock.
dansantes (ainsi dans le risqué et réussi “Ceinture de chasteté”, entiers de filles épineuses
Just a Little Bit) ou broder quelques nom hors sujet pour et pourtant suaves, de
harmonies à la George Harrison (3 Mile une musique si charnelle. leur compatriote Liz Phair
Harbor). Or, ces grands écarts, il les réalise Il y a pourtant une froideur aux Anglaises The Au Pairs
non seulement sans effort mais aussi qui pourrait de loin ou The Passions. Et c’est
sans verser dans un éclectisme futile. ressembler à une frigidité, précisément cette façon
Quand le souffle naturel qui affleure une distance cadenassée de jouer autoritairement
dans les ballades acoustiques (Moving dans les chansons de la pop délurée qui
Pictures, petit joyau dont la mélodie faussement raides de ces rend ce troisième album si
et l’atmosphère rappellent les premières quatre Américaines de précieux. Si troublant aussi :
folk-songs de Bob Dylan et Paul Simon) Seattle. Malgré tout, les ici, c’est comme si les
hante encore les feux follets synthétiques, sévères préceptes postpunk guitares hirsutes de Seattle
ceux-ci couvent toujours sous les titres – rythmiques tendues, étaient encore le centre
les plus dépouillés. Sans aucune guitares stridentes, chant du monde, comme si le
prétention apparente ni défaut caché, désincarné – ne parviennent XXIe siècle n’avait pas encore
ce neuvième album réussit ainsi à trouver pas à amidonner des commencé. JD Beauvallet
le juste équilibre entre classicisme chansons sautillantes,
éprouvé et propositions individuées. doucement rêveuses, qui concert le 2 septembre
Louis-Julien Nicolaou ont gloutonné des paquets à Paris (Espace B)
à réserver
festival Comme nous brûlons à Paris (La Station) cette semaine
Nouveau venu parmi les festivals français, Comme
nous brûlons propose une belle programmation
musicale (Las Kellies, Miaux, Oh Mu…), mais aussi des
projections et ateliers, tout ceci dans une démarche
queer et féministe. Que demander de plus ?
du 28 juin au 2 juillet
Macki Music Festival à Carrières-sur-Seine
Trois jours, une vingtaine de noms, un lieu aux portes
de Paris : le Macki Music Festival est la clôture idéale
d’un mois de juin très chargé en musique, histoire
de danser tout le week-end pour attaquer juillet.
du 30 juin au 2 juillet
Kevin Morby à Paris (Trabendo)
Après avoir opéré chez Woods ou The Babies, Kevin
Morby revient avec un album solo, City Music. Rendez-
vous début juillet pour voir (ou revoir) ce magicien de
la folk à Paris, le temps d’une soirée placée comme
d’habitude sous le signe de la douceur. mardi 11 juillet
aftershow
We Love Green
les 10 et 11 juin à Paris (Bois de Vincennes)
Exit l’ambiance guinguette, We Love Green fait
festival Petit
Fantôme
Vie sauvage à Bourg
désormais partie des gros festivals parisiens. Pour sa sixième édition,
Le parc de Bagatelle des débuts semble bien l’événement girondin propose
loin quand on arrive dans la prairie du bois une programmation mettant
de Vincennes. Il y en aura pour le regretter, en avant le meilleur de la
nouvelle scène française : de
crier “c’était mieux avant” en courant partout. Petit Fantôme à Barbagallo,
Et il y aura les autres, fans de musique ou pas en passant par Polo & Pan,
vraiment, qui viendront pour traîner entre Charles X, Adrien Soleiman,
potes, découvrir et profiter de l’ambiance, de Jaune, Le Colisée ou encore
Botibol, tous les styles
plus en plus orientée “Coachella à la française”, musicaux se rencontreront.
comme on a pu l’entendre. Pourquoi pas ? Les artistes internationaux
Alors oui, il y a la queue pour manger au stand ne sont pas oubliés, puisque
Pressing ou Les Niçois. Oui, on est en plein le DJ allemand Marek
Hemmann et le trio danois
cagnard en essayant les parkas solidaires WhoMadeWho seront
de Marché Boucotte ou en causant avec les de la partie. du 23 au 25 juin
bénévoles de Greenpeace. Rien n’est jamais
parfait, non. Mais voir Damso et Solange le
même soir en a peut-être calmé certains. Le La Bonne Aventure à Dunkerque
live bien (trop ?) musclé de Justice aussi a pu Catherine Ringer, Petit Biscuit,
Wax Tailor, Deluxe, Rodrigo y
avoir cet effet. Celui de Moderat également. Gabriela, Jacques, Comah… Que
Tout comme les facéties de Jessy Lanza ou des très beaux noms pour cette
Kelly Lee Owens, la grosse patate d’Action toute première édition du festival
Bronson, la classe de Perfume Genius, la joie La Bonne Aventure, qui investira
Malo-les-Bains en cette fin
d’Amadou & Mariam ou encore (et surtout) la de mois de juin. Une escapade
révélation Tshegue. On a même eu droit à une maritime et musicale aussi
météo parfaite, luxe principal pour un festival satisfaisante pour les yeux que
Renaud Corlouet
J
ames McBride, Paul Beatty : en tant que slameur, “grand champion”
deux écrivains estimés et reconnus. 1990 du café des poètes de Nuyorican, NYC.
Le premier fut lauréat du National C’est donc en connaissance de cause
Book Award 2013 pour son roman qu’ils s’emparent de la musique, McBride
L’Oiseau du bon Dieu, le second est plongeant dans Mets le feu et tire-toi
connu pour Moi contre les Etats-Unis au cœur de l’énigme James Brown, Beatty
d’Amérique, brûlot qui fit de lui, l’année imaginant dans Slumberland les aventures
dernière, le premier lauréat américain abracadabrantes d’un musicien de L. A.
du Man Booker Prize, le plus prestigieux émigré à Berlin. Deux livres passionnants
prix littéraire en langue anglaise. Tous deux sur le son d’une époque (funk, soul,
Africains-Américains, tous deux aussi doués avant-garde) et l’exploitation de l’image
avec les rythmes et les sons qu’avec les de l’homme noir par l’industrie musicale.
mots : McBride en tant que jazzman, Beatty Deux écrivains qui, afin de saisir au plus
des Noirs : sur le sol d’une salle de montage McBride s’amuse pour sa part de ce
de quelque metteur en scène d’Hollywood, perroquet dressé pour dire “Tiens, v’la
classé sous l’étiquette ‘fureur noire’.” un nègre !” dès qu’un Africain-Américain
Ainsi du biopic Get on Up dont l’auteur passe la porte. Humour noir, au double
démonte joyeusement les clichés : sens du mot. Le terme reste pourtant tabou
l’église “réduite à une espèce de festival aux Etats-Unis, à tel point que Beatty
de hurlements”, la “grosse tante noire” dénonça, dans une campagne de presse
annonçant à James “Toi, t’es pas comme qui fit polémique en 2015, son effacement
les autres, mon garçon !”. L’enquête des œuvres classiques de la littérature
s’aventure sur les terres du chanteur nationale. Anars à la Bukowski, aussi fins
et l’image se précise, révélant un homme dans l’autodérision qu’un one-man show
parano, capricieux, détestable en affaires, de Chris Rock, Beatty et McBride partagent
odieux avec ses musiciens. “On leur met in fine une peur plus grande que tout
le feu et on se tire, Rev”, dit-il à son manager le reste : celle de se retrouver un jour
en loge, après chaque concert. à se prendre au sérieux. Yann Perreau
Il était animé par une peur viscérale
du Blanc explique le “Rev”, héritage Mets le feu et tire-toi de James McBride
des humiliations subies par ses ancêtres (Gallmeister), traduit de l’anglais (Etats-Unis)
comme lui-même, dans ce Sud toujours par François Happe, 336 pages, 22,80 €
Slumberland de Paul Beatty (Cambourakis),
nostalgique du temps de l’esclavage. traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas
Une peur à lui faire planquer son argent Richard, 328 pages, 22 €
par liasses dans des chambres d’hôtel.
Une peur qui ne l’empêcha pas de rester
fidèle à ses principes, refusant notamment
de céder à la pub, malgré les dettes
qui s’accumulent.
Paul Beatty repart lui aussi d’une forme
de peur, mais avec un humour corrosif
encore moins politiquement correct.
Le Man Booker Price imagine l’histoire
quand t’es nu ?
Dans une enquête ethno-gonzo réjouissante,
La première pièce,
étonnante, rappelle
la passion qu’il entretenait
pour Pessoa. Tabucchi,
qui a longtemps enseigné
la littérature portugaise
Mark Haskell Smith dépasse les clichés à Pise, y évoque un acteur
moqueurs qui collent au nudisme et le décrit fou incarnant le poète…
comme une pratique contre-culturelle. et peut-être est-ce vraiment
lui. Il regrette d’avoir raté
A
uteur de romans policiers, in naturalibus dont un octogénaire Pirandello lorsque
scénariste et journaliste indé, squelettique en string fluo. Nullement ce dernier est venu dans
l’Américain Mark Haskell rafraîchi par l’expérience, l’auteur enchaîne sa ville, en 1931, il aimerait
Smith a une passion pour avec les campings familiaux andalous, lui téléphoner et imagine
les pratiques alternatives les incontournables clubs du Cap d’Agde à l’infini un dialogue
et les contre-cultures et s’essaie même à la “randonnue” inexistant.
marginales. Par exemple, il est fasciné dans les Alpes autrichiennes. La deuxième pièce met
par ceux qui travestissent leurs animaux Mais au-delà du gonzo cocasse, Au pays en scène un homme face
de compagnie en personnages de film, des nudistes est surtout une enquête à un cadavre, celui de
s’habillent en Looney Tunes ou font fouillée, habile et passionnante sur toute son frère à qui justement
l’amour à plusieurs sous des montagnes l’histoire de la nudité sociale. De son il voulait dire ce qu’il
de peluches. créateur britannique Charles Edward avait sur le cœur depuis
De manière plus conventionnelle, Gordon Crawford, jusqu’au “naktivists” l’enfance. Cette pièce
son premier essai, inédit en France, portait d’aujourd’hui, des militants de Femen baignée de mélancolie,
sur les botanistes clandestins qui pistent et Peta qui utilisent le corps nu comme voire de désespoir, est
les différentes variétés de beuh tout autour une arme politique, en passant par les gays proche, dans sa tonalité,
du globe. Aujourd’hui traduit, son deuxième libérés du Castro de San Francisco et du recueil de nouvelles
opus s’intéresse au phénomène nudiste. même certains groupes d’écolos radicaux, Le temps vieillit vite, sorti
Avec une clairvoyance teintée de tendresse l’auteur explore et expose les dimensions en France en 2009.
et une concision rigoureuse, c’est peut-être politiques, esthétiques et philosophiques Enfin, le dernier texte, écrit
sa femme, Diana, qui livre le meilleur de son sujet. Dépassant les préjugés pour la radio, évoque le sort
résumé de ce début de carrière plein de souvent moqueurs, voire calomnieux, qui des anarchistes durant
promesses : “D’abord, tu passes tes journées le cantonnent à une pratique touristique la période mussolinienne,
défoncé et maintenant, tu vas te balader extravagante, Haskell Smith démontre entrant en résonance
à poil !” Passion investigation. que le nudisme est en fait une véritable avec l’engagement politique
Car il faut bien reconnaître que pour contre-culture de liberté, de tolérance sans faille de Tabucchi,
mener à bien son reportage en territoire et d’hédonisme. Un seul mot d’ordre dans son œuvre comme
“cul nul”, l’auteur consciencieux n’a pas cet été : tous à oilpé ! Léonard Billot dans sa vie. L’auteur de
hésité à mouiller/tomber la chemise : Pereira prétend a été, dès
dès les premières pages, le voilà à bord Au pays des nudistes (Paulsen), la première heure, un des
du Big Nude Boat, une croisière “antitextile” traduit de l’anglais (Etats-Unis) plus farouches opposants
avec mille huit cent soixante-six retraités par Elodie Leplat, 400 pages, 22 € à Berlusconi. S. T.
portrait pluriel
Une vie d’homme racontée par les siens pour construire
un portrait de la jeunesse en Suède. Un subtil échafaudage
monté par Jonas Hassen Khemiri.
S
amuel s’est-il suicidé ? suédoise et un père étranger ; Vandad
Un écrivain mène l’enquête auprès et Panthère sont des enfants d’immigrés ;
des proches du jeune homme. Laïde est traductrice de l’arabe et s’occupe
Se répondent ainsi les récits de sans-papiers. C’est la Suède vue
de Vandad, son colocataire, Panthère, par leurs yeux que Khemiri nous montre.
sa copine de toujours, Laïde qui l’a aimé, Comme dans J’appelle mes frères,
ou encore sa mère. traduit en français en 2014, il interroge
Le système narratif est efficace et la place accordée aux descendants
remarquablement utilisé par le Suédois d’immigrés dans la société suédoise
Jonas Hassen Khemiri, romancier mais et les problématiques d’appartenance, à
aussi homme de théâtre, ce qui peut une classe sociale ou à une communauté.
expliquer sa faculté à mettre en scène Mais dans ce livre, c’est aussi la simple
les différentes voix en donnant à chacune vie d’un homme qui se déroule, dans
une tonalité, un rythme, une couleur. sa banalité et sa singularité, ses non-dits,
En outre, il sait ménager des incertitudes ses lâchetés et la tendresse désespérée
liées au procédé littéraire lui-même. que Samuel portait à sa grand-mère
Les faits évoqués sont connus des malade. L’écrivain, qui mène l’enquête,
protagonistes, mais pas du lecteur qui reste en retrait jusqu’aux toutes
découvre, recoupe, émet des hypothèses, dernières pages du livre. Alors, le texte
car certaines révélations sont de Khemiri devient une réflexion originale
contradictoires et des éléments ne sont sur la relation qu’un auteur entretient
pas entièrement dévoilés ; ce qui contribue avec son sujet. Sylvie Tanette
à faire de ce texte un échafaudage
périlleux mais maîtrisé. Tout ce dont je ne
Toute la vie de Samuel nous apparaît me souviens pas (Actes Sud),
dans le désordre, de son amour récent traduit du suédois par
pour Laïde jusqu’à son équipe de basket Marianne Ségol-Samoy,
au lycée, de son étrange inadaptation 336 pages, 2 2,50 €
sociale à ses problèmes familiaux.
Au fil des pages, naît un personnage
attachant et malheureux, qui dit beaucoup
des problèmes complexes que rencontrent
les jeunes adultes aujourd’hui.
Comme l’auteur, Samuel a une mère
ending roads
Les Solitaires de Tim Lane sont autant
cabossés des personnages, torturés,
suants, déformés, apeurés, font penser
à Charles Burns – les deux auteurs
partagent l’influence marquante des
EC Comics des années 1940-1950.
de personnages qui errent sur les routes des USA. Tim Lane est aussi un fabuleux dessinateur
des ouvrages urbains (voies ferrées, ponts,
Un recueil remarquable où s’entrecroisent des buildings…) et des engins mécaniques
récits qui montrent l’envers du rêve américain. (avions, motos…), faisant ainsi de ces
décors des éléments cruciaux des récits.
A
uteur et illustrateur passer. On y fait la connaissance de hobos Et peu importe si certaines histoires n’ont
de Saint-Louis (Missouri), Tim sautant de train en train, d’autostoppeurs, pas vraiment de fin. Il suffit de vagabonder
Lane s’intéresse à une autre de commis voyageurs, de bikers, de petites de page en page pour tomber sous
Amérique, celle des marges frappes, de dingues, d’outsiders solitaires le charme de cet hommage à l’Amérique
et des laissés-pour-compte. qui partent sur les routes, en quête lynchienne et à ses routes pas toujours
Les Solitaires, deuxième album d’un sens à leur existence. très bien fréquentées. Anne-Claire Norot
à paraître en France, est un très ambitieux Ces fragments de vie donnent lieu
recueil dans lequel différents récits à de petites aventures, des rencontres, Les Solitaires (Delcourt),
se mélangent, entrecoupés d’histoires des trafics louches. Dans la grande traduit de l’anglais (Etats-Unis)
courtes indépendantes. Tous ont en tradition des pulps et du roman noir dans par Nicolas Bertrand,
commun le thème de la route, de l’errance, laquelle Tim Lane s’inscrit indéniablement, 296 p., 29,95 €
du voyage – les références à Kerouac et le mystère est partout, dans ces cabarets
Wolfe sont nombreuses. Les protagonistes sordides, ces hôtels borgnes, ces parcs
– ou plutôt leurs fantômes – se croisent d’attraction abandonnés, ces arrière-cours
parfois, arrivent et partent, ne font que désertes, ces trains, sous les ponts…
C
e studio de radio conçue par Pascal Rambert Pierre est le questionneur,
se conforme pour sa pièce Une vie, Denis Podalydès l’invité.
aux codes de la à réunir les éléments d’une Sur le thème d’une glose
white box chère vanité du XXIe siècle, sur l’art, leurs savoureux
aux galeries comme celles des tableaux échanges forment une joute
d’art. Les de la Renaissance dédiés brillante incarnée par
diffuseurs placés devant à une réflexion sur la mort. des acteurs d’exception.
les projecteurs renvoient Ultime menace apte à On est déjà aux anges.
à l’univers de la photo de briser le huis clos rassurant Mais Pascal Rambert va
mode. Clin d’œil à la couleur de la représentation, plus loin en transformant
interdite sur les scènes, le la pièce ne commence le dialogue en un
vert tendre des coussins que lorsque la lumière cérémonial spirite où
des assises des chaises et rouge du “on air” s’allume, s’incarnent bientôt les
des fauteuils Tulip, tranche sans que l’on sache si figures qui ont compté dans
avec l’immaculé de leurs ce signal d’un broadcast la vie de l’artiste. Le coup
courbes fluides. Une série sur les ondes inclut soudain de théâtre invite son lot
de têtes de micro grouillent des milliers d’oreilles de monstres dans une
sur une vaste table. invisibles à partager sarabande dévastatrice.
En fond de scène, ce qui va se dire ici. Côté femmes, Cécile Brune
la structure d’un canapé Il s’agit d’une interview. s’avère stupéfiante en
en cuir a des allures de Un critique consacre son mère fellinienne forcément
colonne vertébrale encore émission à la monographie abusive, tout comme
couverte de lambeaux d’un peintre célèbre, se Jennifer Decker en muse
de chair abandonnés aux réclamant de l’art figuratif adolescente indétrônable
charognards. Tout concourt, quand tout le monde fait et glacée. Côté hommes,
dans la scénographie dans le conceptuel. Hervé Alexandre Pavloff est le
C
omme des forains s’apprêtant
à installer leur étal sur une place
de marché, c’est par une rampe
depuis les coulisses que trois
acteurs à la manœuvre font une entrée
mouvementée consistant à garer
leur remorque à décor – immatriculée
en Belgique – sur le plateau de la cage
de scène peinte en noir du Théâtre
de la Bastille.
Faisant feu de tout bois, nos lascars
utilisent la bâche de protection pour
délimiter l’aire de jeu, et des projecteurs
de chantier sur pieds suffisent à les
éclairer. Tandis qu’ils discutent et nous
prennent à témoin, on en arrive bientôt
au déballage de la caisse de bois qui
contient l’objet du conflit opposant les
protagonistes de la pièce Art de Yasmina
Reza : un tableau de 1,60 m par 1,20 m
frère honni qui s’est tourné entièrement peint en blanc. Le diable
vers Dieu, tandis que Pierre étant dans les détails, la fameuse toile
Louis-Calixte incarne en achetée vingt briques n’est ici rien d’autre
diable carnavalesque l’ami qu’un grand carton de déménagement
d’enfance devenu l’agent mis à plat, dont l’une des faces est
de l’artiste. Sans oublier couverte d’un enduit blanc.
la confrontation du peintre Ce hit théâtral planétaire fut créé
avec l’enfant de 14 ans qu’il en 1994, avec Pierre Vaneck, Pierre Arditi
fut, où Pascal Rambert et Fabrice Luchini, dans une mise en scène
s’amuse d’une incarnation de Patrice Kerbrat. Pour le revisiter,
en alternance par des le trio d’acteurs flamands, réunissant
gamins des deux sexes. Kuno Bakker, Gillis Biesheuvel et
Nous voici au cœur du Franck Vercruyssen, sortent la pièce
plus baroque des théâtres. de son salon bourgeois et nous la livrent
Le jaillissement d’une dans l’habituelle bonne franquette qui
intarissable source de caractérise leur approche des auteurs.
fantasmes relayée avec Copieusement caviardée, avec
brio par l’interprétation l’accord exceptionnel de l’auteure, le sort
éblouissante de chacun qu’ils font à Art s’avère aussi éclairant
des membres de la troupe. que tordant. Appliquant sur l’œuvre ce
En ce royaume, Rambert regard conceptuel qui a fait leur renommée,
est au sommet. en les classant parmi les déconstructeurs
Patrick Sourd du théâtre, ils savonnent en permanence
la planche de son contenu critique
Une vie texte, mise en scène et sur l’art contemporain, en inscrivant
scénographie Pascal Rambert, leur dispute dans une proposition qui
avec Cécile Brune, Denis reprend tous les codes qu’elle dénonce.
Podalydès, Alexandre Pavloff, Cette vision d’un serpent qui se mord
Hervé Pierre, Pierre Louis- la queue est une grandiose occasion
Calixte, Jennifer Decker et
en alternance dans le rôle de
d’en rire de bon cœur. P. S.
l’Enfant : Anas Adibar, Nathan
Aznar, Ambre Godin et Jeanne Art de Yasmina Reza, mise en scène tg STAN
Louis-Calixte, jusqu’au 2 juillet, et Dood Paard, avec Kuno Bakker,
Comédie-Française Théâtre Gillis Biesheuvel, Frank Vercruyssen, jusqu’au
du Vieux-Colombier, Paris VIe 30 juin, Théâtre de la Bastille, Paris XIe
A
ux grands artistes, les grands monumentales peintes en bronze, argenté
creux. Bruno Gironcoli a faim, ou doré, où le mécanique et l’organique
très faim. Qu’il soit mort s’hybrident. Ressemblant à d’étranges
il y a plus de dix ans importe autels obsessionnels de dictatures
peu : pour se repaître, il lui oubliées, ces formes sont celles que
faudra rien moins qu’une belle l’on voit prendre vie dans la vidéo.
wienerschnitzel, une part d’apfelstrudel Apparaissant à l’écran comme de petites
et une Almdudler pour faire glisser. bestioles inoffensives, elles enflent tant et
Et tout de suite. Lorsqu’on est un sculpteur si bien qu’elles viennent progressivement
autrichien reconnu, la moindre des choses cannibaliser de leurs mâchoires
est que le livreur Deliveroo y aille de son de ferraille cliquetante l’intégralité
coup de pédale le plus vigoureux. du champ de vision – y compris ce et ceux
Ce bonhomme pressé de se faire livrer qui avaient le malheur de s’y trouver.
sa pitance constitue le point de départ C’est en visitant Le Rêve des formes
de Super-règne, la nouvelle vidéo au Palais de Tokyo que l’on tombait
de Bertrand Dezoteux. A l’autre bout du fil, en arrêt, à mi-chemin, devant cette vidéo
un livreur prend la commande puis s’élance à la fois grotesque et acerbe, précise
de la place des Fêtes à Belleville, le butin et onirique. A l’origine de cette exposition,
enserré dans sa carapace cubique verte. il y a d’abord le vingtième anniversaire
Le décor est connu, arpenté, éprouvé. du Fresnoy - Studio national des arts
Mais au fil des douze minutes qui suivront, contemporains. Dirigée par Alain
le spectateur assiste à la déconstruction Fleischer, l’école offre aux artistes, déjà
minutieuse de tous les repères spatio- diplômés ou engagés dans une recherche
temporels, basculant dans un pur délire 3D artistique, un cadre où venir développer
inspiré de l’univers surréaliste de Bruno des projets audiovisuels, en bénéficiant
Gironcoli. Des années 1960 jusqu’à d’un accompagnement intellectuel mais
sa mort, celui-ci imagine des sculptures aussi de moyens techniques de production.
N
’en déplaise aux gazettes
sportives, le transfert
qui restera dans les annales
du mercato estival n’est pas
celui éventuel de Kylian
Mbappé au PSG, mais celui
d’un quinquagénaire à la Canal Factory.
Yves Calvi débarque sur Canal+ en
septembre. Lu comme ça, ça ne fait pas la chaîne cryptée souhaite se relancer.
fantasmer mais à l’échelle du PAF, Avec Yves Calvi, Vincent Bolloré veut
ce transfert est un tremblement de terre. attaquer Quotidien et TMC sur le flanc
Depuis deux ans, l’animateur historique pendant qu’Hanouna séduira un public
de C dans l’air, connu pour sa bonhomie plus jeune sur C8. “Avec Calvi et Hanouna,
et son allure de prof, pousse LCI à des on peut imaginer un access à 3 millions sur
niveaux records. Son émission quotidienne les deux chaînes”, rêve un cadre du groupe.
(24 heures en questions) rassemble Le recrutement de la locomotive Calvi
près de 300 000 téléspectateurs chaque n’est pas l’œuvre de Vincent Bolloré ou
soir, soit 1,7 % de part d’audience. des huiles de Canal+ mais de Cyril Hanouna.
Tandis qu’à l’intérieur de la rédaction, Le poids économique et les records
son professionnalisme et ses talents d’audience de l’animateur de Touche pas
d’intervieweur ont fait l’unanimité. à mon poste ! l’ont érigé en interlocuteur
“C’est un vrai déchirement, témoigne incontournable du groupe. Tandis que
une journaliste de la chaîne. Il nous tenait sa proximité avec Yannick Bolloré (fils de
vraiment la tête hors de l’eau.” Vincent), avec lequel il joue au tennis et
C’est désormais la maison Canal que part régulièrement en vacances dans le sud
le pompier Calvi doit sauver des flammes. de la France, l’ont définitivement fait entrer
L’animateur franco-suisse a été choisi pour dans le cercle très select de l’industriel
rénover une case stratégique totalement breton. Avec ce dernier, il multiplie
sinistrée depuis le départ de Michel les réunions et modèle C8 à sa guise.
Denisot, à savoir l’access prime time. Depuis le départ d’Yves Calvi de France 5
Exit Le Grand Journal donc, Calvi aura la il y a un an, Cyril Hanouna l’appelle
charge de construire une nouvelle émission régulièrement pour lui vanter les mérites
en compagnie d’Emilie Besse et d’autres du groupe Bolloré. Après avoir fait
jeunes journalistes. Après une année zéro se rencontrer Vincent Bolloré, Yves Calvi
marquée par une litanie de départs, et son producteur Jérôme Bellay, Hanouna
C
’est souvent aux petits détails que l’on reconnaît et d’abord – en ces temps où les jeux ressemblent souvent
les grands jeux. Dans celui-ci, en plus des touches à des empilements de fonctions et d’options – une volonté
de la manette dédiées au saut et au maniement de soustraire plutôt que d’ajouter, de garder la ligne
des objets, l’une d’elles permet à notre personnage (directrice). Malgré sa production heurtée, Rime se révèle
de donner de la voix. Selon les situations, il chante, remarquablement tenu et maîtrisé.
crie, voire rit. Vers la fin, quand tout s’est obscurci, C’est aussi un jeu qui prend son temps, se passe
les sons qu’il émet se font plus sourds et douloureux. Tout totalement de mots et conduit le joueur là où il le souhaite,
cela n’est pas secondaire mais tient une place essentielle tout en douceur, en lui faisant suivre un petit renard,
dans la résolution des énigmes qui se présentent à nous, un robot aux longues jambes, une lueur. Son héros
tout en faisant écho à son récit subtilement métaphorique. est un jeune garçon qui s’éveille sur une île inconnue.
Le jeu s’appelle Rime. C’est l’un des plus beaux du moment. On n’a d’abord aucune idée de ce qu’il/on est censé faire,
Son développement n’a pourtant pas été simple. A l’été mais ce n’est jamais un problème. La priorité est
2013, la première bande-annonce du petit studio espagnol de regarder autour de soi, d’explorer, d’expérimenter.
Tequila Works, connu pour la modeste (mais très esthète) Peu à peu, on comprend des choses, on apprend des règles
aventure zombie Deadlight, enflamme la planète jeu vidéo, à base de jeux d’ombres et de perspective, de diffusion
mais suscite aussi quelques malentendus, à commencer du son ou de la lumière, de variations du niveau de l’eau.
par le rapprochement (esthétiquement compréhensible Ce monde n’est pas comme le nôtre. Il est magique, il se
mais sans fondement ludique) avec The Wind Waker, transforme – parfois même simplement quand on revient
le sublime épisode maritime de la saga Zelda. sur nos pas. Et c’est justement ainsi qu’il nous parle.
A l’époque, les développeurs eux-mêmes cernent mal Comment raconter une histoire dans un jeu vidéo ?
les limites de leur projet qui aura besoin de plusieurs L’interrogation ne date pas d’hier, mais la réponse
années pour se décanter, pendant qu’en coulisse que Tequila Works apporte est la plus élégante qui soit :
ça tangue sérieusement. A l’automne 2016, Tequila Works par le level design, par la place même que l’on occupe
rompt ainsi avec Sony qui avait pris Rime sous son aile, dans ses lieux à la fois étranges et curieusement familiers,
pour en faire une exclusivité PS4, et beaucoup en viennent par ce qu’on y fait (ou pas) et comment. Au fil des heures,
à craindre que le jeu ne voit jamais le jour – ou qu’il les idées et les impressions s’accumulent jusqu’au
soit affreusement bancal. moment où, au terme du voyage, les pièces disparates
Le résultat final est pourtant bien loin de l’accident s’assemblent dans une clarté aveuglante. Nos larmes
industriel, et s’il évoque le mythe Ico de Fumito Ueda sont belles et intelligentes. Erwan Higuinen
(ainsi que Journey, The Witness ou Prince of Persia),
c’est aussi parce que les Espagnols ont repris à leur Rime (Tequila Works/Grey Box Games) sur PC, PS4, Xbox One,
compte certains principes du game designer japonais, à paraître sur Switch, de 25 € à 45 €
L
e 8 décembre 2013, Les photos de Niels Ackermann maquette directeur artistique Pascal Arvieu
la révolution ukrainienne dans Looking for Lenin montrent maquettistes Pascale Francès, Christophe Alexandre, Jeanne Delval,
atteint son paroxysme à Kiev. ce qu’elles sont devenues : affalées Nathalie Petit, Nathalie Coulon
Alors que 800 000 manifestants face contre terre, décapitées, photo chef de service Aurélie Derhee iconographes Valérie Perraudin,
Caroline de Greef photographe Renaud Monfourny
antigouvernementaux défilent peinturlurées, grimées en cosaque collaborateurs L. Billot, D. Boggeri, C. Boulze, Coco, B. Deruisseau,
dans les rues de la capitale, ou en Dark Vador, elles ont été J. Goldberg, E. Higuinen, O. Joyard, N. Lecoq, I. Luquet-Gad,
certains d’entre eux s’en prennent tantôt laissées en pâture aux F. Marguin, I. Matyassy, L.-J. Nicolaou, Y. Perreau, A. Pfeiffer,
J. Provençal, A. Quentel, A. Tain, S. Tanette, T. Ribeton, S. Rosemont,
à la statue de Lénine, sur la place herbes folles, tantôt précieusement P. Sourd
Bessarabka. Déboulonnée, frappée conservées pour des motifs publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques),
à coups de massue, décapitée, affectifs, politiques ou historiques. tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31,
l’idole déchue, symbole Les témoignages des receleurs Simon Delpirou (cinéma, vidéo, médias) tél. 01 42 44 16 17,
Benjamin Cachot (livres, arts, scènes) tél 01 42 44 18 12
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Parlez-moi
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de Lisa Vignoli Annie Leibovitz Old’s Man Journey
Le portrait The Early Years: iOS, Android,
de Jean-Michel Une vie 1970-1983. Mac et PC
Gravier, oiseau texte et mise Archive Project #1 Jeu d’énigmes
de nuit du Paris en scène Pascal Fondation Luma, et dérive esthète
des années 1980. Rambert Arles sur le destin
Comédie- Pour Rolling Stone, d’un vieil homme
Je suis Shingo la photographe
tome1 Française, Paris parti pour un
Pascal Rambert a documenté voyage qui réveille
Le Vénérable W Phoenix de Kazuo Umezu l’intense décennie
L’homme face offre aux talentueux des souvenirs
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Ce troisième volet de la Un album qui louche à la machine.
Un récit anxiogène Français sa pièce Un enchantement.
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Alice Neel : peintre
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Le Purgatoire Fondation Vincent PS4
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Palahniuk une pierre qui… La rétrospective expérimentateur
Satan contré d’après d’une peintre depuis trente-
par une ado aux Greil Marcus, américaine trop cinq ans dans
tweets vipérins. mise en scène méconnue. sa ferme du pays
Trash et tonique. Marie Rémond de Galles, signe
Ornithomaniacs et Sébastien son chef-d’œuvre,
Alt-J de Daria Schmitt Pouderoux inspiré par une
Le Jour d’après Relaxer Une œuvre Studio-Théâtre étrange légende
d’Hong Sangsoo Alt-J maîtrise enfin gothique qui de la Comédie- urbaine.
Trouble marivaudage où la liberté acquise s’attache aux Française, Paris
infuse la vie amoureuse du et livre un grand disque interrogations L’enregistrement de
cinéaste sud-coréen et de fait pour s’évader. d’une ado ailée. Like a Rolling Stone Xinyi Cheng : The
son actrice, Kim Min-hee. et la naissance Hands of a Barber,
d’un mythe. They Give in
galerie Balice
Hertling, Paris XXe Persona 5
Première expo PS3, PS4
en France de cette Sonder l’âme
Frères migrants peintre chinoise du Japon
de Patrick au romantisme en affrontant
Chamoiseau dark et évanescent. des monstres dans
Essai poétique, une dimension
manifeste et cri parallèle entre
du cœur, un livre El Baile deux journées
qui s’empare Le Premier Bal conception au lycée.
Crashing Canal+ séries L’irrésistible série de la “catastrophe d’Emma Mathilde Monnier Le programme
de l’auteur de Fleabag débarque en France. de notre époque”. de Donatien Mary et Alan Pauls du nouveau volet
The Keepers Netflix Un saisissant docu-série et Sophie Dutertre En tournée plastiquement
sur une affaire de meurtre et de pédophilie. Les folles aventures Une histoire renversant d’une
Le Bureau des légendes Canal+ La série d’une jeune fille de l’Argentine à série majeure du
d’espionnage revient avec une troisième contées avec une travers ses danses jeu de rôle nippon.
saison au cœur du mal contemporain. grande liberté. et ses corps.