Sunteți pe pagina 1din 92

REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

// MÉMO //
Kebir M. Ammi
et le roman d’un
N° 394 JUILLET-AOÛT 2014 imposteur algérien

// ÉPOQUE //
Nawell Madani,
l’humoriste qui aime
se faire belge

En Ontario,
des monuments
pour le français

// MÉTIER //
Éloge de l’hétérogénéité
en classe en Slovénie

Espagne, Royaume-Uni,
Allemagne et Italie ensemble
pour un MOOC de FLE

// DOSSIER //

Enseigner autrement
FIPF
Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org
numéro 394
Métier / Reportage Les fiches pédagogiques à télécharger

Graphe : Jouer
ÉPOQUE
Économie : La « marque
6. Portrait
France », le nouveau récit
Nawell Madani, le rire en liberté
économique
Poésie : « Note »
8. Sport Clés : La notion
La voix du foot d’intercompréhension

10. Tendance Les vendredis Test et jeux : Les chats

Échanger pour changer après-midi à l’école


Pestalozzi fiches pédagogiques à télécharger sur :
11. Patrimoine
Des monuments pour le français 28 www.fdlm.org

12. Économie Dossier

Enseigner autrement
La « marque France » : le nouveau récit économique

14. Regard
« La citoyenneté mondiale devient bien réelle »
« S’interroger sur certaines évidences
des pratiques pédagogiques » ....................................... 52
16. Exposition
Faire du théâtre une véritable pratique
Il était une fois l’Orient express
d’enseignement .............................................................. 54
Je joue donc j’apprends ................................................. 56
17. Un Québécois à Paris Silent Way, subordonner l’enseignement
Les mots clés du quotidien à l’apprentissage............................................................ 58

MÉTIER
20. L’actu 50
22. Focus 34. Zoom MÉMO FICHES PÉDAGOGIQUES
« Les acquisitions langagières ne sont Éloge de l’hétérogénéité 62. À voir PAGES 73 À 78
pas séparées les unes des autres » 64. À lire
36. Expérience 68. À écouter
24. Mot à mot Chanson francophone : un apprentissage de la
Dites-moi Professeur diversité culturelle et linguistique INTERLUDES
2. Graphe
26. Clés 38. Savoir-faire Jouer
La notion d’intercompréhension Faire ses gammes avec des « si »
18. Poésie
28. Reportage 40. Récapitulatif des documents sonores Jean Amrouche : « Note »
Les vendredis après-midi à l’école Pestalozzi
42. Innovation 46. Nouvelle
30. Point de vue Travailler en français : un MOOC de FLE Clément Reychman : « Un nègre en eau douce »
Traduire pour relier les cultures
44. Ressources 60. BD
32. Initiative Hurluberlu
Usito, un autre « bon usage »
70. Test et jeux
Les chats
Couverture : © miz’enpage -shutterstock

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris
Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF)
Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur Secrétaire de rédaction Clément Balta – Relations commerciales Sophie Ferrand
Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0417T81661. 54e année. Imprimé par IME, Baume-les-Dames (25110).
Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard.
Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Maguelone Orliange (MAE), Jean-Pierre Cuq (FIPF),
Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5MONDE), Xavier North (DGLFLF), Imma Tor (OIF), Nadine Prost (MEN), Fabienne Lallement
(FIPF), Lidwien Van Dixhoorn (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


1
Abonné(e) à la version papier Abonné(e) à la
Créez en quatre clics votre espace en ligne sur www.fdlm.org version numérique
pour accéder aux suppléments pédagogiques Tous les suppléments pédagogiques sont di-
rectement accessibles à partir de votre édition
Pour profiter des fiches pédagogiques, des numérique de la revue :
documents sonores et de leur transcription
ainsi que des suppléments en ligne, ne per- Q Cliquez sur le picto «fiche pédagogique
dez pas une minute pour créer votre Espace » sur les pages lors de la lecture pour télé-
abonné sur le site du Français dans le monde. charger la fiche d’expoitation de l’article en
question.
Suppléments en ligne
et PDF des deux derniers numéros Q Cliquez sur les liens ci-dessous pour té-
Q L’espace « Suppléments en ligne » offre des lécharger les reportages audios et leur
prolongements aux articles parus dans la revue : Fiches pédagogiques transcription intégrale.
l’accès aux clips des artistes présentés dans la Q Les fiches pédagogiques en téléchargement : des
rubrique « À écouter » et aux bandes-annonces démarches d’exploitation d’articles parus dans Q Rendez-vous directement sur les pages « À écou-
des films de la rubrique « À voir », des informations Le français dans le monde et produits en partenariat ter » et « À voir » : cliquez sur le nom des ar-
complémentaires aux articles parus dans la revue, avec l’Alliance française de Paris-Île-de-France. Dans tistes ou des œuvres pour visionner les vidéos
des prolongements pédagogiques au dossier… les pages de la revue, le pictogramme « Fiche pé- de leur clips ou les bandes annonces des films.
Téléchargez les PDF complets des deux derniers dagogique à télécharger » permet de repérer les
numéros de la revue. articles exploités dans une fiche.

Pour créer votre espace en ligne


Rien de plus simple. Sur le site http://www.fdlm.
org, vous indiquez dans la partie « Créer un compte » :

Q Votre numéro client (ou numéro d’abonné) qui


peut comporter jusqu’à 8 chiffres. Vous trouvez
ce numéro d’abonné sur tous les courriers que
vous adresse la revue, ainsi que sur l’embal- Q Vous devez également donner un mot de passe
lage de chaque numéro que vous recevez par de votre choix qui vous permettra d’accéder à
la poste. l’espace abonné lorsque votre compte sera activé.
Q Le nom de votre ville, tel que mentionné sur les Une fois votre compte créé, vous recevez un cour-
courriers du Français dans le monde. rier électronique vous confirmant votre identifiant
Q Une adresse de courrier électronique valide. (votre numéro d’abonné) et le mot de passe choisi.

Les reportages audio


Des reportages radiophoniques à consulter Les reportages audio des mois de juillet-aôut 2014 à télécharger :
en ligne et à télécharger sur votre espace en
Société : l’enquête « Génération quoi » (audio et transcription)
ligne. Chacun de ces documents sonores
Micro-trottoir : « jouer » (audio et transcription)
est accompagné de sa transcription écrite. Patrimoine : la numérisation des œuvres d’art (audio et transcription)
Mis à jour mensuellement, ces documents Technologie : la valise de vacances du geek (audio et transcription)
authentiques se veulent un vrai fil d’infor-
mations audio sur l’actualité francophone.

2 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


NOUVEAU ! Avec cette toute nouvelle formule,

Offre abonnement 100 % numérique


vous pouvez :
Consulter et télécharger tous les deux mois

à découvrir sur www.fdlm.org


la revue en format numérique, sur ordinateur
ou sur tablette.
Accéder aux fiches pédagogiques et documents
audio à partir de ces exemplaires numériques.

Les « plus » de l’édition 100 % numérique


Q Le confort de lecture des tablettes

Q Un accès direct aux enrichissements

Q Un abonnement à prix réduit

Q Un abonnement « découverte » de 6 mois


Q La possibilité d’acheter les numéros à l’unité

Q La certitude de recevoir votre revue en temps


et heure, où que vous soyez dans le monde

Abonnement intégral Offre découverte Achat au numéro


1 an : 58,00 € HT 6 mois : 29,90 € HT 11,90 € HT / numéro

ABONNEMENT PAPIER
« Voilà bien la différence entre le singe
et le footballeur. Le premier a trop
de mains ou pas assez de pieds pour
s’abaisser à jouer au football. »
Pierre Desproges, Chroniques de la haine ordinaire

Jouer
« Philosopher en vers, ce fut,
et c’est encore, vouloir jouer aux échecs
selon les règles du jeu de dame. »
Paul Valéry

« Je ne joue pas contre


une équipe en particulier.
Je joue pour me battre
contre l’idée de perdre. »
Le « plus » audio sur
Éric Cantona
© by-studio - Fotolia.com

www.fdlm.org
espace abonnés

La fiche pédagogique
à télécharger sur :
www.fdlm.org A2

4 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


« Il ne faut pas laisser « L’ennui, quand
les intellectuels jouer il devient maître du temps,
joue au révélateur. »
avec les allumettes. » Tahar Ben Jelloun, L’Auberge des pauvres
Jacques Prévert, « Il ne faut pas… »

« La vie est un jeu d’cartes


Paris un casino
Je joue les rouges... cœur,
Caro »
MC Solaar, « Caroline »

« Si on ne peut plus


tricher avec ses amis, « Ici, tout est joué d’avance,
Et l’on n’y peut rien changer.
ce n’est plus la peine Tout dépend de ta naissance,
de jouer aux cartes. » Et moi je ne suis pas bien né. »
Marcel Pagnol, Marius
Jean-Jacques Goldman, « Là-bas »

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 5


portrait

© DR
Nawell Madani
le rire en liberté
Après Stromae ou les Diables rouges, la « belgitude » Cour de récré minin au garde-à-vous (« Au resto
n’en finit plus d’être à la mode. Révélée par le Djamel Nawell Madani a grandi à An- j’veux une entrée, et une rose du Pa-
derlecht. Troisième d’une fratrie kistanais »). La puberté lui donne sa
Comedy Club, l’humoriste Nawell Madani casse la de quatre, elle arrive après deux revanche en faisant d’elle une jeune
baraque (à frites) avec son spectacle « C’est moi la plus filles. Un garçon était attendu. La femme au physique pour le moins
belge ». Portrait d’une artiste aux multiples facettes. figure du père, très présente dans le avantageux, même si le rapport
spectacle, influence le tout premier avec les garçons est longtemps resté
rôle qu’elle se donne : celui d’« un un truc compliqué. « Je n’ai pas eu
Par Clément Balta par la Suisse et même le Canada. vrai garçon manqué. Peut-être pour d’amoureux avant 24 ans. Il a fallu

2
Auparavant, elle a bien sûr entamé être aimé de mon père, ai-je voulu en qu’il me mérite. »
1 mai. Devant le Splen- sa tournée par Bruxelles. La plus être un. » Le moyen aussi de se for- De garçon manqué en jeune fille
did de Lille, la fille belge, la plus belle : une ironie qui ger une carapace dans les cours de « réussie », Nawell s’épanouit à tra-
d’attente s’allonge, cache aussi la manière dont la jeune récré, contre les humiliations ou la vers la passion de la danse. C’est elle
s’allonge. Depuis son femme, 30 ans, a su surmonter les cruauté du genre masculin. Les pré- qui la poussera, à 21 ans, à quitter sa
passage au Palais des obstacles, liés à son pays d’origine, misses de la « brigade anti-bâtard » Belgique natale pour Paris. Pas à pas
Glaces de Paris, en début d’année, l’Algérie, comme à son physique. Ce dont elle entonne l’hymne sur scène (chassé), elle se fait une place dans
Nawell est devenue l’humoriste spectacle, c’est justement son spec- – repris en chœur par un public fé- un milieu réputé là aussi pour son
qui monte, qui monte au point de tacle, son tout premier « seule en machisme, le hip-hop, et fait des ap-
déclencher une véritable « Nawell- scène » qu’elle a écrit de la première « Cette alchimie avec paritions dans des clips d’artistes de
mania ». à la dernière ligne : la trame en est sa le public prolonge mon renom, dont Diam’s, avec qui elle par-
Lille est ainsi la première date de sa propre existence. Pour comprendre tage une étonnante similitude vocale
tournée française, qui s’achèvera qui est Nawell Madani, il suffit de histoire. (...) La générosité dès qu’elle chante. Ce qui arrive pen-
le… 17 avril 2015, à Marseille, non suivre le fil de cette autofiction hu- vaut dans les deux sens : dant son spectacle, car celui-ci ne se
sans avoir fait quelques détours moristique. Visite guidée. donner et recevoir » limite pas au stand-up. La trame bio-

6 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


© DR
graphique se double d’un vrai show
rythmé par l’intervention d’autres
danseurs. La scène, ou le moyen d’as-
socier tous ses talents. Talent de cho-
régraphe, également, qui prolonge
alors l’ambition de la danseuse.

Jamel Comedy Club


La carrière de Nawell Madani
semble lancée. Elle prend pourtant
un mauvais tournant quand sa colo-
catrice et (ex-)amie s’envole avec ses
économies : 13 500 euros. Retour à
la case départ et au bercail. Mais le
décalage avec ses proches restés en
Belgique est trop grand : « J’avais vu
et vécu trop de choses. » Énergique et
déterminée, d’un optimisme incor-
rigible, elle fait une nouvelle ren-
contre décisive. Avec le théâtre. Sur
scène, elle mime la rencontre avec
une prof de théâtre classique dont
l’expression maniérée contraste
avec l’accent des quartiers qu’elle
parodie. Prolongations du garçon
manqué, à l’agressivité moqueuse,
dont elle aura bien besoin au Jamel
Comedy Club. C’est là que tout com- de ses propres ailes. Elle crée les égérie de la marque Puma. Une car c’est grâce à des Françaises comme
mence. Qu’elle se fait un nom. «  Instawell  », de courts sketchs autre façon de se donner les moyens elle que je vais aller à l’Olympia ! »
Après un essai concluant, Nawell postés sur Instagram, pour surfer de sa liberté. « Si j’ai un message, Nawell Madani est croyante. Elle
intègre en effet, en septembre sur sa notoriété acquise au Jamel c’est celui-là : si on veut, on peut. » croit fermement à « la fonction so-
2011, la troupe du comique super Comedy Club (plus d’un million et ciale du rire », au mélange harmo-
star. « En moins de trois mois, je suis demi de vues). Fait un passage par Olympia nieux des cultures et des identités.
passé de rien au Jamel Comedy Club. la case télé, au Grand Journal de Car ce qui marque, chez Nawell Loin de se cantonner à un humour
De la folie… » Mais l’apprentissage Canal Plus, en tant qu’animatrice Madani, c’est sa capacité à rebon- « ethnique » qui ne serait favorisé
est rude. Les tensions sont perma- sur MTV. Elle se met à l’écriture dir et à se réinventer, une volonté que par sa propre origine, elle a le
nentes. « J’étais la seule nana, belge de son spectacle, le joue sur de pe- farouche de dépasser les contradic- souci de se moquer de tout le monde
qui plus est. On disait que j’étais là tites scènes parisiennes. Elle est tions, mieux : d’en faire une force. sans jamais oublier les vertus du rire
grâce à mon physique, il régnait une vite repérée par la filiale française Belge d’origine algérienne, garçon ensemble. Elle parle de l’écriture de
jalousie malsaine. » Elle tient six mois de Def Jam, le célèbre label de rap manqué et jolie fille, toute une gé- « C’est moi la plus belge » comme
puis décide de quitter la troupe. Elle américain, et devient dans la foulée nération semble se reconnaître dans d’« une thérapie », de la scène comme
relate rapidement cet épisode dans la première artiste à signer pour sa son humour décomplexé. « Je vis d’« un exutoire ». En même temps
son spectacle : la force qui lui a fallu nouvelle entité, le Def Jam Comedy, ma vie de femme sans me soucier du qu’elle raconte sa vie, elle la partage.
pour quitter celui qui lui avait donné où elle est décrite comme « obser- regard des autres. J’ai voulu que ma L’ego ne vaut que lorsqu’il s’offre aux
sa chance, l’incompréhension de vatrice, drôle, énergique, vénère profession soit en cohérence avec ma autres. « Cette alchimie avec le public
Jamel, les portes qui se ferment. À (énervé, ndlr), souriante, danseuse, personnalité », affirme-t-elle. Dans prolonge mon histoire. Si mon spec-
nouveau, tout est à refaire. animatrice télé et comédienne  ». la salle du Splendid de Lille, à ma- tacle lui parle, c’est que je suis dans le
Qu’à cela ne tienne, Nawell Ma- On pourrait rajouter femme d’af- jorité féminine, des jeunes d’origine juste. La générosité vaut dans les deux
dani est un phénix qui veut voler faires, elle qui devient aussi une maghrébine sont venus en nombre. sens : donner et recevoir. » Nawell se
Quelques expressions arabes se nourrit de tout ce qui l’entoure, la vie
Nawell Madani en 5 dates mêlent joyeusement aux références est un éternel aliment narratif, un
25 oct. 1983 : Naissance à Watermael-Boitsfort, dans la à Beyoncé, l’argot des cités est mâ- vivier à vannes. Elle intègre même
région de Bruxelles-Capitale (Belgique). tiné d’accent bruxellois. Toujours dans son spectacle des éléments
2004 : Débarque à Paris pour devenir danseuse soucieuse d’interactivité avec son pu- issus d’une ancienne prestation. Une
professionnelle. blic, Nawell prend gentiment à parti mise en abyme qui montre le mouve-
2011 : Intègre la troupe du Jamel Comedy Club. une jeune fille voilée afin de mieux ment perpétuel de l’artiste en quête
2013 : Joue pour la première fois son spectacle l’associer à l’effervescence ambiante. de renouvellement, de créativité. La
« C’est moi la plus belge », à Paris. Un autre moment, c’est une certaine suite ? Un film sur l’arrivée de ses pa-
Mai 2014 : Début de la tournée en France, avec des dates Hortense qui en prend pour son rents en Belgique. La Nawellmania a
en Belgique, en Suisse, ainsi qu’au Canada. Q grade : « Soyez gentils avec Hortense, encore de beaux jours devant elle.Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 7


sport

© Jean-Jacques - Fotolia.com
Le Brésil, paradis du
futebol et terre d’accueil
de la Coupe du Monde.
Six pays francophones y
prennent part, un record.

La voix du foot
C
Par Clément Balta
phases finales (19 au total), le seul du Mondial, intitulée « We are one »,
ampé comme un gar- à avoir cinq étoiles – autre main qu’il est permis de chanter comme
dien sur sa ligne de divine – brodées sur son maillot un pied. S’il n’est sans doute pas
but au moment du pé- comme autant de sacres conquis. utile d’être un digne interprète de la
nalty, le Christ du Cor- langue de Shakespeare pour saisir la
covado semble proté- Lingua franca communion du message, on envie
ger le Maracanã, stade mythique de Si le foot est universel, n’en dou- les représentants des pays anglo-
Rio de Janeiro où – si tout se passe tons pas, il parle brésilien. Tous phones : ils sont au nombre de cinq.
bien – le Brésil devrait brandir le les joueurs, le temps de cette com- Il eût été toutefois plus pertinent
trophée de la Coupe du Monde, le pétition planétaire marqué par d’utiliser – outre le portugais – une
13 juillet. Et venger enfin la mé- ces joueurs d’exception, ont rêvé langue véhiculaire plus propice à
moire de la cruelle désillusion de que leur patronyme prenne un ac- représenter le continent sud-amé-
1950, où l’Uruguay avait privé les cent lusophone. « Si je m’appelais ricain, à savoir l’espagnol, puisque
Auriverdes, ainsi qu’on surnomme Eto’odinho… », avait même clamé neuf sélections l’ont en commun.
les joueurs de la Seleção, d’une vic- l’attaquant vedette du Cameroun, Le français n’est pas en reste : il
toire à domicile annoncée. Samuel Eto’o, regrettant une recon- constitue la seconde langue la plus
Le symbole serait beau. Existe-t-il naissance à laquelle il pense avoir représentée au nombre de nations
meilleur pays pour vénérer le dieu échappé en tant que joueur africain. participantes. Trois sont euro-
football, dont seuls des esprits cha- Cela n’empêche pas la grand-messe péennes : la France, la Belgique et la
fouins diront que Messi est son pro- du foot de se célébrer en globish, Suisse. Les trois autres africaines :
phète ? Le Brésil et ses artistes, celui sacrifice naturel à la mondialisa- la Côte d’Ivoire, le Cameroun (qui
© Regormark - Fotolia.co

de Pelé, Garrincha, Zico, Romario, tion puisqu’il est dit, en ce mois et a pour autre langue officielle l’an-
Rivaldo, Ronaldo (le « vrai »), Ro- demi de Coupe du Monde, que la glais) et l’Algérie. Jamais une Coupe
naldinho ou Neymar… Le Brésil, le Terre est ronde comme un ballon. du Monde n’a réuni autant de pays
seul pays ayant participé à toutes les En témoigne la chanson officielle francophones. On le doit à la qua-

8 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Le français constitue
la seconde langue la plus
représentée au nombre
de nations participantes.
Trois européennes :
la France, la Belgique
et la Suisse. Trois
africaines : la Côte d’Ivoire,
le Cameroun et l’Algérie
lification des Diables rouges, qui
avaient manqué les deux derniers
Mondiaux, ainsi qu’au maintien
dans l’élite européenne du football
de la Nati, qui possède le meilleur
classement FIFA (6e) des six. Chez
les équipes africaines, l’Algérie dis-
putera sa seconde Coupe du Monde
d’affilée, plus de trente ans après
leur « doublé » participatif en 1982
et 1986, alors que la Côte d’Ivoire
enchaîne son troisième Mondial
de suite. N’ayant jamais passé les
poules, elle semble cette fois avoir
toutes ses chances et pourrait être
– à l’heure où seront imprimées
ces lignes – la première équipe du
continent noir à parvenir jusqu’aux L’attaquant ivorien Didier Drogba. L’attaquant français Karim Benzema. L’équipe suisse à la Coupe du Monde.
demi-finales de cette compétition.
Un stade que n’a pas su atteindre La Belgique possède une réelle l’occurrence. Cette reconnaissance dans leurs rangs des enfants de la
le Cameroun du mythique Roger histoire footballistique, plus mar- est aussi une conséquence de l’inter- colonisation (tel Vincent Kompany,
Milla en 1990 et qui aura bien du quante autrefois quand ses clubs, nationalisation du football. Les meil- d’origine congolaise), mais aussi des
mal, malgré l’expérience record Anderlecht en tête, occupaient le leurs joueurs africains jouent ou ont Flamands (le gardien Thibaut Cour-
d’une septième Coupe du Monde, à devant de la scène européenne. La joués dans les plus grands clubs eu- tois) et des Wallons (la star Eden
pouvoir sortir cette fois d’une poule présence de la Suisse peut être plus ropéens. C’est le cas par exemple des Hazard). Une belle démonstration
où le Brésil fait figure d’épouvantail. étonnante : c’est sans doute minimi- Ivoiriens Didier Drogba (Marseille, de réconciliation nationale que les
ser l’influence du voisin allemand Chelsea) ou Yaya Touré (Barcelone, politiques peuvent envier…
Black, blanc, beur (son sélectionneur est d’ailleurs Manchester City). Certes, le football n’est pas un long
Toute vérité footballistique pou- Ottmar Hitzfeld, ancien entraîneur Mais la reconnaissance s’est faite fleuve tranquille. On le voit avec
vant désormais se traduire en du Bayern Munich), mais aussi le aussi par l’émergence de joueurs le scandale lié à l’attribution de la
termes géopolitiques, que nous ré- rapport existant entre la place d’une issus de l’immigration. C’est la fa- Coupe du Monde 2022 au Qatar
vèle la présence de six nations fran- nation dans le sport et son PIB. L’ab- meuse consécration de la génération ou, actuellement, la contestation
cophones au Mondial ? Sur l’échi- sence du Canada, pour prendre « black, blanc, beur » glorifiée lors de sociale qui gronde hors des stades,
quier du foot planétaire, sans doute l’exemple d’une autre grande nation la conquête du titre mondial par la souvent construits à coups de mil-
pas grand-chose. Longtemps can- francophone (une seule présence au France de Thuram, Blanc et Zidane. lions de réals au détriment des be-
tonnée aux défaites magnifiques Mondial, en 1986), s’explique da- Si l’illusion du « vivre ensemble » a soins de la population. Mais que les
(le 5-2 en demi-finales contre… le vantage par le manque de tradition pu faire long feu, il n’en reste pas représentants de la nation, garants
Brésil, en 1958, pour les coéqui- à l’égard du soccer. moins que ce brassage des origines le temps d’un match d’une fierté
piers de Kopa et Fontaine ; Séville La passion du football, par contre, ne révèle, peu ou prou, la réalité so- patriotique de bon aloi (et pour peu
1982 et l’inique défaite contre les manque pas en Afrique. Lentement ciale et démographique du pays et, qu’ils descendent du bus), soient
Allemands de Platini et consorts), mais sûrement, le footballeur afri- plus largement, la dimension mul- aussi les enfants d’autres nations,
la France est devenu un pays de cain est entré dans l’histoire. Certes, ticulturelle de l’Europe du foot. La d’autres patries, reflète les vertus
footeux (ou footix, comme on veut) l’Égypte avait fait une apparition au Nati possède par exemple plusieurs solidaires voire pacificatrices d’une
un soir de juillet 1998. Le pays de Mondial de 1934, mais il fallut at- joueurs albanophones, comme leur identité mêlée, subtile et chan-
Zidane et Benzema est désormais tendre 1970 pour revoir une équipe attaquant vedette né au Kosovo, geante. Un peu comme la langue
respecté voire craint, mais certai- africaine. Et 2010 pour que l’organi- Xherdan Shaqiri, dont les parents française, représentée par sa diver-
nement pas plus que l’Italie (4 fois sation de cet événement s’organise ont fui la guerre en ex-Yougosla- sité en ce Mondial brésilien, vit de
lauréate) ou l’Allemagne (3 fois). sur son sol, en Afrique du Sud en vie. Les Diables rouges, eux, ont ses multiples accents. Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 9


tendance
Accepter que des inconnus vivent
chez vous, accepter d’aller vivre chez des
inconnus… Et si les échangeurs étaient
les nouveaux vrais aventuriers ?

Échanger
pour changer
© lassedesignen - Fotolia.com

U
Par Jean-Jacques Paubel de vraies histoires autant que de pas- échangeurs étrangers : quatre de- de l’appartement ou de la maison,
ser des vacances. mandes étrangères pour une offre la réussite de l’échange repose sur
ne super expérience et Le phénomène n’est cependant pas française, « des demandes principa- d’autres conditions ; Brigitte Va-
un moyen de voyager nouveau  : tout a commencé aux lement du Canada, des États-Unis lotto dans Échanger ou louer sa mai-
moins cher » : c’est An- États-Unis dans les années 50 : des mais aussi d’Australie ou de Nouvelle- son (Fleurus, 2011) en recense au
tonia59 qui le dit. Et professeurs d’universités améri- Zélande », précise Christelle Mistrot moins quatre : « Du savoir-vivre, une
elle n’est pas la seule caines ont eu l’idée de créer une de Trocmaison, qui constate que « les large ouverture d’esprit, un peu de
à le penser puisqu’ils sont 300 000 à bourse du voyage où chacun mettait pays proches, Espagne ou Italie, sont courtoisie, de la générosité. »
faire cette expérience chaque année à disposition sa maison, le temps des forcément moins demandeurs. » Découvrir la maison de l’autre, c’est
dans le monde. Internet oblige, vacances d’été. Bientôt, le réseau aussi le rencontrer. Patrick Estrade
le phénomène va s’amplifiant. La s’élargit, des agences se créent, des Quatre conditions explique dans La Maison sur le divan
preuve par les sites qui se multiplient catalogues sont édités, tout ça avant pour réussir un échange (Robert Laffont) que « la maison est
et se spécialisent : de Homelink, le qu’Internet ne vienne s’en mêler. Le succès de la formule ne va pour- aujourd’hui à notre image, elle est
plus ancien, à Trocmaison, en pas- Paris et la France n’ont pas échappé tant pas de soi, surtout dans un l’expression de notre personnalité ».
sant par HomeChicHome, qui pro- au phénomène : aujourd’hui 20 000 pays comme la France, réputé pour « Vivre dans l’intérieur des autres, c’est
pose des maisons branchées et inso- Franciliens participent à ce mode son sens de la propriété et de l’inti- aussi apprendre à les connaître, ana-
lites, ou Profvac qui, lui, ne s’adresse d’échange d’appartements ou de mité. Combien de fois Pascale Senk lyse Pascale Senk. Quand on regarde
qu’aux enseignants, Le Guide du maisons. Il est vrai que Paris de- et son compagnon Martin Rubio, les livres et les disques sur les étagères,
Routard, jamais avare de conseils et meure la principale demande des tous deux auteurs d’Échanger sa cela raconte des choses. Et l’on devient
de bons plans, en a sélectionné une maison, le nouvel esprit du voyage tout à coup liés à des êtres que l’on ne
quinzaine qui correspondent tous Et l’on devient tout à (Éditions des Équateurs), n’ont-ils connaît pas, tout simplement parce
à des attentes spécifiques. Au-delà coup liés à des êtres que pas entendu cette réflexion : « Ah, que l’on est entré dans leur intimité. »
de l’aspect économique, non négli- moi, je ne pourrais jamais laisser ma Et d’ajouter : « Découvrir l’univers des
geable, une manière de sortir du
l’on ne connaît pas, tout maison à un inconnu ! » Passées les autres, c’est aussi s’apercevoir que l’on
tourisme balisé, de s’imprégner da- simplement parce que l’on questions/préventions relatives à la se ressemble, même si des milliers de
vantage des modes de vie, de vivre est entré dans leur intimité taille, au confort et à l’équipement kilomètres nous séparent. »Q

10 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


époque //patrimoine

Des monuments
pour le français
Un matériau physique Et les projets de ce type se mul- perspective avec les 69 % d’Onta- un gigantesque drapeau franco-
pour préserver la notion tiplient. En Ontario, province la riens anglophones. C’est donc dans ontarien, vert et blanc et orné
plus peuplée du Canada, 510 000 le but de valoriser la filiation avec d’une fleur de lys et d’une fleur
d’identité : telle est citoyens se réclament du français le français que sont nés les monu- de trille, emblème de l’Ontario.
la campagne qui, dans pour langue maternelle. Un chiffre ments de la francophonie. Financé tant par des dons que par
la province canadienne conséquent – les Franco-Ontariens des partenariats publicitaires et
de l’Ontario, a abouti constituent en nombre absolu la « Un rappel à la mémoire » des subventions d’État (une der-
deuxième communauté franco- Différents dans leur architecture, nière ressource qui fait régulière-
à la création de phone du Canada, après le Québec les quinze édifices obéissent ce- ment grincer des dents du côté des
quinze monuments de – mais vite nuancé par un autre : pendant tous à la même structure anglophones), le monument pos-
la Francophonie cela ne représente que 4,2 % de la globale : une aire commémorative sède avant tout une forte portée
population totale… à mettre en au centre de laquelle se dresse symbolique.
depuis 2006. « Imaginez-vous les gens qui passent
8e monument de la Francophonie, à proximité de ce grand drapeau et
élevé à la Cité de Clarence-Rockland,

A
Par Guillaume Willecoq vont le regarder,  décrit Bernard
le 25 septembre 2008.
Grandmaître, président d’honneur
lfred-Plantagenêt, du comité organisateur d’Ottawa.
Pembroke, Wind- Tout de suite, il dit quelque chose à
sor, Russell  ? Ou Une aire commémorative la communauté, qu’elle soit anglo-
plus probablement au centre de laquelle phone, chinoise… Tous vont le re-
Hawkesbury, qui a connaître. Et du côté francophone,
déjà programmé l’inauguration au se dresse un gigantesque il permet de s’assurer que la com-
25 septembre, jour anniversaire du drapeau franco- munauté est vivante, qu’elle avance
drapeau franco-ontarien : quelle ontarien, vert et blanc main dans la main autour d’un
sera la quinzième ville ou collecti- projet commun. Et peut-être que les
vité de l’Ontario à ériger son monu- et orné d’une fleur de lys gens vont exiger des services en fran-
ment de la francophonie ? et d’une fleur de trille, çais, une plus grande présence de
Germée à la fin de la décennie emblème de l’Ontario leur langue dans la vie quotidienne.
90, l’idée n’a cessé de se concréti- Il agit comme un rappel à la mé-
ser ces dernières années, jusqu’à moire. »
déboucher, depuis 2006, sur la À ce titre, le lieu d’édification des
construction de quatorze monu- monuments n’a lui non plus rien
ments en hommage à la langue de d’anodin. À Hawkesbury, 10 000
François Ier, d’abord à Ottawa, puis âmes, il sera installé sur la rive
bien vite à travers toute la province. faisant face à l’île du Chenail, « île
« Un monument de la francophonie, mythique qui a vu arriver, il y a
c’est un signe très fort. En termes de quatre siècles, le grand Samuel de
visibilité, c’est très important. C’est Champlain, fondateur de Québec
une affirmation de notre identité et, partant, du Canada », souligne
franco-ontarienne », explique Marc l’historien Yves Saint-Denis. Dans
Ryan, membre du comité qui s’em- la préservation et la valorisation
ploie actuellement à faire sortir de d’un patrimoine culturel et identi-
terre un tel édifice dans la ville de taire, la pierre est aussi la plus sûre
© DR

Russell, 4 000 habitants. des valeurs.Q


©

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 11


économie

© SHUTTERSTOCK / TonyV3112
Le luxe, une des
premières valeurs
françaises
à l’étranger
(ci-contre, boutique
Dior de Beijing).

La « marque France »:
le nouveau récit économique
La France dispose Par Marie-Christine Simonet visible trois blocs : les BRICS (Brésil, rogés reconnaissent à la France des

C
d’atouts que beaucoup Russie, Inde et Chine, Afrique du capacités d’innovation et des com-
ontrairement aux Sud) qui jugent très positivement pétences technologiques. Certes, les
dans le monde lui idées reçues, la France les valeurs françaises. Les pays du audaces du Concorde ou du TGV ne
envient. Sa créativité dispose d’une très milieu : Mexique, Turquie. Les pays datent pas d’aujourd’hui, mais elles
culturelle, vantée et bonne image, en par- franco-sceptiques : États-Unis, Aus- témoignent d’un grand esprit d’en-
ticulier dans les pays tralie, Royaume-Uni et Allemagne. » treprise et d’ingénierie. Actuelle-
reconnue, doit toutefois émergents. Il n’est qu’à voir l’afflux Autre résultat : les jeunes sont les ment, les sociétés françaises po-
être confirmée et de touristes chinois, notamment, plus positifs sur les valeurs de la sitionnées sur le marché des jeux
développée. Une mission durant la belle saison. Ou le suc- France. Et surtout, les pays envient vidéo sont parmi les premières au
gouvernementale se cès remporté par les restaurateurs à la France sa créativité culturelle. monde ; le studio hollywoodien
français à travers le monde. Ou une Au final, note Rémi Babinet, pré- Disney-Pixar s’arrache des compé-
charge de créer un belle Australienne qui « adooore », sident de BETC, « la France constitue tences françaises issues de meil-
nouveau French Dream. en robe lamé or, la fragrance élabo- en soi un avantage compétitif ». leures écoles nationales (Gobelins,
rée par un parfumeur renommé. La « French touch » ne se cantonne Angoulême, Amiens).
pas aux marques de luxe, au sa- Mais après l’étude, les travaux pra-
La France, un avantage compétitif voir-faire, au patrimoine culturel, tiques. Comment valoriser encore
L’agence de publicité BETC a réa- à la gastronomie… Ainsi, une la marque France ? Développer ses
lisé, et publié au printemps 2014, grande majorité des Chinois inter- atouts, sans les dénaturer ni les
la première grande étude mondiale fondre dans le magma mondialisé ?
sur l’image de la France, intitulée Le gouvernement français a lancé en
en bon français « France Forward ». « Un récit unifiant et février 2014 une mission destinée à
Menée sur plus de 10 000 per- unifié, singulier, supérieur mettre en lumière les enjeux et les
sonnes, dans une dizaine de pays, il moyens de mise en œuvre d’une
en est ressorti que, comme le sou- pour donner un sens et marque France. Le publicitaire Phi-
ligne Bertille Toledano, qui codirige mettre en perspective lippe Lentschener a été chargé d’en
l’agence de Paris, « cette étude rend les offres françaises. » dessiner les contours.

12 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


© SHUTTERSTOCK / Ostill

Le TGV, fleuron de l’industrie et de l’inventivité


françaises.

+28%
L’encours de l’épargne solidaire
Il y a du pain sur la planche. D’après a progressé de 28 % en France
les calculs du cabinet anglais Brand entre 2012 et 2013, pour atteindre
Finance (cité par le quotidien Les 6,02 milliards d’euros fin décembre,
Échos du 3 avril 2014), fondés no- grâce à l’épargne salariale.
tamment sur les royalties qu’un
tiers devrait payer pour utiliser Le Nigeria, pays le plus peuplé
la marque France, cette dernière d’Afrique et premier producteur
vaudrait 1 938 milliards de dollars, de pétrole africain, est devenu la
soit quatre fois plus seulement que première économie du continent,
la marque à la pomme ! Et corres- devant l’Afrique du Sud, grâce à un
pondant au sixième rang mondial. changement de calcul statistique.
Lorsque l’on applique d’autres cri- Les Nations unies recommandent
tères de performance, tels que les aux pays de modifier tous les cinq
investissements, le tourisme, la ans le mode de calcul de leur
qualité des produits et services, c’est PIB pour prendre en compte les
le dérapage assuré : la France arrive évolutions dans la production et la
vingtième, avec la note AA-, derrière consommation. Le Nigeria ne l’avait
la Malaisie, la Suède ou l’Autriche ! pas modifié depuis 1990.

« Nation branding » 314 milliards de $


Pour regagner le terrain perdu, Les dépenses mondiales engagées
la mission a dégagé trois valeurs dans les lancements de satellites
fondamentales constitutives de la et services connexes ont augmenté
« Marque France » : la passion, la vi- de 4 % à 314 milliards de dollars en
sion, la création. Une nouvelle stra- 2013, selon la Fédération profes-
tégie marketing vendra une image sionnelle Space Foundation.
plus dynamique de la créativité
française. Et construira un nouveau La Banque mondiale a revu de
mythe fondateur, sur le modèle de 7,2 % à 7,1 % sa prévision de
l’American Dream, aimantant vers croissance pour 2014 et 2015 pour
les États-Unis chercheurs d’or et l’Asie orientale, mais juge que les
self-made-men ; ou sur celui de la économies de la région continueront
célèbre – et célébrée – qualité alle- à se développer à un rythme continu
Watch_Dogs, le nouveau titre phare
d’Ubisoft, leader français des éditeurs mande, la Deutsche Qualität. jusqu’en 2016.
de jeux vidéo. Le gouvernement français est dé-
sormais persuadé « de la nécessité
de doter les Français d’un récit écono-
mique, explique Philippe Lentsche-
Le site « Marque France », conjoint ner. Un récit unifiant et unifié, singu-
à trois ministères, a pour ambition lier, supérieur pour donner un sens et La Chine a signé le 11 mai à
de « mettre en lumière les enjeux, les mettre en perspective les offres fran- Nairobi (Kenya) un accord d’un
voies et les moyens qui existent pour çaises. Les grands pays industriels s’y montant de 3,8 milliards de dol-
mettre en œuvre une stratégie de sont mis : c’est le nation branding ». lars pour la construction d’un axe
marque nationale fondée sur un mar- « La France est avec le Japon un des ferroviaire reliant le port kényan de
keting pays ». La « Marque France », seuls pays qui ait réussi à théoriser ses Monbasa à Nairobi, puis au reste
est-il souligné, « participe déjà d’un processus de création et de produc- de l’Afrique de l’Est.
univers culturel attractif à l’étranger tion au point d’en faire une culture
mais jusqu’à présent elle n’est pas à part entière, remarque l’expert. La grande vente aux enchères
pensée ni promue en tant que telle. La marque crée le cadre et le sens, et organisée les 24 et 25 mai à Paris
Il est cependant possible d’en tirer un la raison d’être fier et rempli d’estime par Artcurial a rapporté 7,3 millions
meilleur bénéfice en travaillant sur de soi. Le “made in” mesure la compé- d’euros (frais inclus) sur deux jours,
La fiche pédagogique ses marqueurs identitaires, sur son tence pratique. » dont un record mondial pour une
à télécharger sur : image, sur ses atouts puis sur les va- Philippe Lentschener en est sûr : la œuvre de bande dessinée établi
leurs et les messages » que la France France a en elle un « je ne sais quoi » par une planche d’Hergé à plus de
www.fdlm.org B2
souhaite transmettre. que les autres n’ont pas. Q 2,65 millions d’euros.

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 13


regard

« La citoyenneté mon


devient bien réelle »
Nous sommes tous des citoyens
du monde, nous dit Louis Lourme.
Non pas au sens philosophique,
mais au sens politique. Explications.

Propos recueillis par Alice Tillier ternationales comme l’ONU, où les amazonienne en tant que citoyen
citoyens sont représentés à travers français, mais bien en tant que ci-
L’expression de « citoyen du leur gouvernement, offrent égale- toyen du monde. De même pour la
monde » est ancienne, puisqu’elle ment aux individus une existence justice, ou la pauvreté mondiale, qui
remonte aux philosophes grecs. politique au-delà de leur État. sont des sujets proprement cosmo-
Mais vous dites dans votre politiques. Le développement des
ouvrage que cette citoyenneté C’est ce que vous appelez communications qui permet la dif-
mondiale prend un sens nouveau : la « cosmopolitisation », fusion de l’information joue un rôle
elle est en passe de devenir qui se traduit également dans essentiel : si les ONG ont pris une
une citoyenneté pleinement les consciences… ampleur jusque-là inégalée à partir
politique… L. L. : Le sentiment cosmopolitique, des années 1990, c’est bien grâce à
Louis Lourme : Jusqu’à la période auparavant limité à une élite, de- Internet.
contemporaine, se dire « citoyen vient de plus en plus commun. Les
du monde » était une posture indi- préoccupations écologiques sont On pourrait en rester au
viduelle et éthique, une façon de bien sûr au cœur de cette conscience simple constat de cette
se représenter au sein du monde. d’appartenir à une même planète cosmopolitisation. Vous allez plus
La citoyenneté mondiale avait dont nous devons prendre soin :
© DR

loin et évoquez un « impératif


donc un sens métaphorique. Au- je ne suis pas concerné par la forêt cosmopolitique ». De quoi
Docteur en philosophie politique, jourd’hui, elle devient bien réelle. s’agit-il ?
Louis Lourme est chercheur au En témoigne le développement de « On reproche à la citoyen- L. L. : Deux processus sont à l’œuvre,
sein du laboratoire Sciences Philo- la société civile mondiale qui, par le neté européenne d’être qui constituent deux puissantes
biais notamment des ONG, permet lames de fond : les risques globaux,
sophie Humanités de l’université
Bordeaux III. à des citoyens d’agir au-delà de la abstraite, cela ne veut pas qui touchent l’ensemble de la pla-
sphère nationale. Les institutions in- dire sans substance » nète et qui nous obligent à nous en-

14 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


extrait
Idéalisme jardins du palais étaient donc de-
« On se souvient peu, aujourd’hui, venus, de septembre à décembre
de l’histoire de Garry Davis. Ce 1948, un territoire international.
vétéran américain de la Seconde C’est pour cette raison que, du 12
Guerre mondiale est notamment au 19 septembre, Garry Davis y
celui qui, en mai 1948, se rendit planta une tente, déterminé à y
à l’ambassade américaine à Paris rester le plus longtemps possible.
afin de renoncer volontairement […] Son idée était la suivante :
à la nationalité américaine, geste s’installer sur ce territoire inter-
qui devait lui permettre d’affirmer national et exiger une loi inter-

diale
en même temps sa citoyenneté nationale, lui qui n’avait plus de
mondiale. [Cependant,] si le nom nationalité. […]
de Garry Davis fut pour quelque Plus de soixante ans après, sa dé-
temps sur toutes les lèvres et s’il marche peut certainement sem-
est encore connu de nos jours, bler être celle d’un idéaliste naïf,
c’est principalement pour un mais elle présente cependant l’in-
coup d’éclat médiatique. L’ONU térêt d’être une tentative de tra-

© designaart - Fotolia.com
siégeait alors pour quelques mois duction du cosmopolitisme dans
au Palais de Chaillot, à Paris. Les le champ politique. »Q
Louis Lourme, Le Nouvel Âge de la citoyenneté mondiale, PUF, 2014, p. 7-8.

Comment dépasser ces blocages ? d’autres formes de représentation et


L. L. : Il faut des institutions vrai- ce Parlement serait la suite logique
ment à même de défendre l’intérêt de la cosmopolitisation actuelle.
cosmopolitique. Différents projets
ont été proposés : des référendums N’y a-t-il pas un risque de rivalité
supranationaux, une Cour mondiale entre une citoyenneté mondiale et
des droits de l’homme sur le modèle la citoyenneté nationale ?
de la Cour européenne, la création L. L. : Pas plus qu’entre la citoyen-
tendre ; et la perte d’autonomie des s’interpénétrer : cette vision est dé- d’une deuxième chambre à l’ONU neté française et la citoyenneté
États, qui sont pris à l’heure actuelle sormais obsolète. Et l’on voit bien qui représenterait la société civile, européenne à l’heure actuelle !
dans des réseaux d’obligations ré- qu’il y a des questions pour lesquelles ou encore le projet d’un Parlement Certes, on reproche à la citoyen-
ciproques et qui ne peuvent plus la logique des États est inadaptée. mondial. Cette dernière idée suscite neté européenne d’être un peu
prendre de décisions seuls. L’idée a Prenez le protocole de Kyoto sur les bien des railleries, parce que l’on abstraite, mais cela ne veut pas
prévalu pendant longtemps que les questions climatiques : il est normal imagine un parlement sur le modèle dire qu’elle soit sans substance
États étaient des boules de billard, que les États n’arrivent pas à s’en- du Parlement français, et cela paraît et cela permet justement d’éviter
qui pouvaient s’entrechoquer sans tendre, ce n’est pas dans leur intérêt. utopique : mais il pourrait y avoir une concurrence. La citoyenneté
mondiale, elle, n’a jamais été aussi
compte rendu prégnante. Mais pour qu’elle soit
pleine et entière, il manque une
De la souveraineté des États à la société civile mondiale voie institutionnelle, qui permette
Que nous voulions l’admettre fini » à Hiroshima et Auschwitz qui peine à aller au-delà de simples une reconnaissance juridique
ou non, il existe une citoyenneté ont marqué les consciences, l’une politiques réactives face aux pro- et confère des droits. Un certain
mondiale de fait, fondée sur des symboliquement, l’autre morale- blèmes de sécurité et de droits de nombre de textes, comme la Dé-
responsabilités partagées : telle ment, et jusqu’à aujourd’hui. Re- l’homme. Le développement de la claration universelle des droits de
est la thèse du Nouvel Âge de montant à l’émergence de la notion société civile mondiale et les diffé- l’homme de 1948, le préambule
la citoyenneté mondiale. Louis de souveraineté des États au XVIIe rents projets d’institutions cosmo- de la Charte des Nations unies ou
Lourme retrace les étapes du dé- siècle, l’auteur analyse l’évolution politiques envisagés à l’heure ac- le traité de non-prolifération en-
veloppement du sentiment d’ap- des relations internationales, la tuelle soulèvent un grand nombre térinent d’ores et déjà le principe
partenance à un monde commun réduction actuelle de l’autonomie de questions philosophiques, étu- d’une loi de l’humanité – qui n’est
– des grandes découvertes qui des États et le déficit démocratique diées ici avec beaucoup de clarté donc pas une loi des États. Reste à
consacrent le début d’un « monde d’une gouvernance mondiale qui et de pédagogie. Q appliquer ces droits qui ont été re-
connus aux peuples. Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 15


exposition

Depuis le 4 avril et
jusqu’au 31 août, une
exposition pas comme les
autres se tient à l’Institut
du monde arabe. « Il était
une fois l’Orient Express »
est une fabuleuse odyssée,
à bord d’un train de
légende. Embarquement
immédiat.

Il était une fois l’Orient Express


S
Texte et photos par Sarah Nuyten
de nombreux écrivains et cinéastes.
ur le parvis de l’Institut L’exposition permet d’ailleurs aux
du monde arabe, une visiteurs de découvrir le wagon où
majestueuse locomotive a été tournée la scène finale du film
accueille les visiteurs et de Lumet, dans laquelle Poirot ré-
donne le ton. Un peu unit les douze suspects après avoir
plus loin, on retrouve les quatre résolu le crime...
voitures bleu nuit et blanc crème du La visite se poursuit de manière plus
plus mythique des trains. classique à l’intérieur de l’IMA. Af-
C’est à l’intérieur des wagons que fiches, plans de route, anecdotes,
l’exposition commence : un aller valises et costumes d’époque,
simple vers un passé fastueux. De vidéos d’archives, mobilier ou pho-
1883 à 1956, l’Orient Express a sil- tos… Cette fois, place à l’Histoire
lonné les rails entre l’Europe et le et au rôle de l’Orient Express, qui
Bosphore, avec à son bord notables, permit de faire le lien entre l’Eu-
diplomates, commerçants, artistes rope et un Orient jusqu’alors ré-
ou militaires. Le long des couloirs et inspiratrice de Marcel Proust prends plein les yeux. Ça fait rêver, servé à une poignée d’aventuriers.
étroits, on découvre des cabines élé- ou Paul Claudel. À la place habi- ça donne envie de voyager, de partir Marie-Christine, 47 ans, détaille
gantes, comme celle destinée aux tuelle de la dame, un chapeau à très loin… » Tous les trois s’arrêtent avec émotion une des vitrines. Son
amants, avec son intérieur douillet plumes, des gants de cuir noir, un soudain devant la cabine 21/25, père a, pendant des années, conduit
et romantique. roman jauni et une coupe de cham- mi-horrifiés, mi-amusés. Une scène la locomotive de l’Orient Express.
Un peu plus loin, on pénètre dans pagne… Quelques fauteuils plus de crime a été reconstituée à l’inté- Il a même joué son propre rôle dans
une voiture-salon grand luxe  : loin, un journal daté du 20 octobre rieur, clin d’œil au célèbre roman le film de Lumet. « Je voulais absolu-
vingt places et dix tables équipées 1883 traîne sur la table, à côté d’une d’Agatha Christie. On s’attendrait ment voir cette exposition, explique
de lampe en bronze, plus deux bouteille de vin millésimé et d’une presque à voir surgir Hercule Poi- Marie-Christine. Je retrouve exacte-
vastes compartiments-salons. La vieille machine à écrire. rot et sa moustache au détour d’un ment le luxe, l’esprit de découverte,
décoration intérieure est signée couloir… De Graham Greene à Paul d’aventure, que j’avais découvert
René Lalique. Çà et là, les effets Vapeur et essence Morand en passant par Terence toute petite aux côtés de mon père.
personnels de quelques passagers Charles et son copain Hugo, 13 ans, Young, George Cukor ou Sidney Je me souviens de l’odeur de la va-
de renom semblent avoir été ou- sont fascinés. Virginie, la maman de Lumet et son Crime de l’Orient-Ex- peur, du bruit de la locomotive…
bliés, comme ceux de la princesse Charles, l’est tout autant : « J’étais press – adapté du roman d’Agatha C’est pour moi l’essence même du
Marthe Bibesco, femme de lettres venue pour les enfants et en fait j’en Christie –, l’Orient Express a inspiré voyage. C’est l’Orient Express ! » Q

16 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


époque // Un Québécois à Paris [5/6]

Les mots clés du quotidien


Journaliste et N’essayez jamais de
chroniqueur, Jean-Benoît rouspéter sans avoir
Nadeau est l’auteur dit « râlâlâ », les gens
de plusieurs livres à ne savent pas comment
succès sur la langue et réagir. Mais si vous dites
la culture : Le français, « râlâlâ », ils comprennent
quelle histoire ! (Le livre tout de suite. C’est très
de Poche), Pas si fous ces curieux
Français ! (Seuil) et Les temps, à tout le monde et en toutes
Français aussi ont un accent circonstances. Quand je trouve cela
(Payot). Il s’installe exagéré, c’est probablement juste
assez.
pour une année à Paris À la Gare de Lyon, quand le chauf-
et nous fait part de son feur se tourne pour vérifier si le bus
enthousiasme. est vide, je lui envoie mon plus bel
« au revoir ». Le chauffeur me sourit,

N
Par Jean-Benoît Nadeau il est content, il a oublié l’impair.
« Au revoir » (cela se prononce au
ous montons dans rwar, trois tons au-dessus de sa
le bus 91 direction voix normale) est un mot clé très in-
Gare de Lyon. Tan- téressant puisqu’il signifie à l’autre
dis que Julie et les que l’on reviendra. Il sert aussi à
enfants valident se rattraper si l’on a oublié de dire
leur billet, le chauffeur leur lance « bonjour ».
un regard noir. Un autre mot clé fascinant est « ah là
« Râlâlâ ! », dit-il. là ! », qu’il faut prononcer « râlâlâ »,
Je comprends tout de suite : nous mais trois tons plus bas que sa voix
avons oublié de dire « bonjour ». normale.
Alors je tente de corriger le problème « Râlâlâ » est en fait un signal sonore
en lui disant « merci ». Trop tard. qui annonce que l’on s’apprête à
« Mais il faut dire bonjour aux gens ! râler. Les Français vivent très bien
Râlâlâ ! Il y a des gens mal élevés… » « Bonjour », comme « au revoir », on est au téléphone. Les étrangers avec l’expression de la mauvaise hu-
J’ai beau être en France depuis dix « excusez-moi », « merci », « je vous se plaignent souvent du mauvais meur ou la confrontation en public,
mois, il m’arrive encore d’oublier en prie », « il n’y a pas de quoi » et caractère des Français, et pas seu- à condition d’y mettre les formes et
de dire bonjour, LE mot clé de toute « bon appétit », figurent parmi les es- lement des Parisiens. Mais neuf fois de suivre un certain protocole.
interaction ici. C’est qu’à Montréal, sentiels du kit de survie de l’étranger sur dix, j’ai constaté qu’ils ont oublié N’essayez jamais de rouspéter sans
d’où je viens, il est très rare qu’un en France. de dire bonjour. Car ici, on ne peut avoir dit « râlâlâ », les gens ne savent
employé s’attende à ce que des in- Ces mots relèvent de ce que les même pas demander l’heure sans pas comment réagir. Mais si vous
connus lui disent tous bonjour, à linguistes appellent la fonction d’abord dire bonjour. Si vous omet- dites « râlâlâ », ils comprennent tout
plus forte raison les 10 000 utilisa- phatique du langage. Ils ne com- tez le bon mot clé, les Français font de suite. C’est très curieux.
teurs d’un bus. Mais le chauffeur de muniquent aucune information : la gueule. Si vous faites le bon bruit, D’ailleurs, il suffit parfois de dire
bus parisien – tout comme d’ailleurs leur fonction est strictement so- ils sont d’une politesse exemplaire. tout simplement «  râlâlâ  » sans
le caissier, le libraire, le serveur ou le ciale. Ce sont les codes essentiels On ne dit jamais trop souvent « bon- autre explication pour corriger le
gardien de piscine – s’attend à rece- du protocole de communications – jour » ou « au revoir » en France. Ma problème. Exactement comme mon
voir 10 000 bonjours et à y répondre. tout comme le mot « allo » quand règle est de dire bonjour tout le chauffeur d’autobus. Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 17


© Marius de Buzon – Paysage de Kabylie

La fiche pédagogique
à télécharger sur :
www.fdlm.org B1

18 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Note
Mes paroles émergent en moi
Comme les bulles irisées
Qui vont mourir sur les eaux tristes.

Je n’ai rien dit qui fût à moi,


Je n’ai rien dit qui fût de moi,
Ah ! dites-moi l’origine
Des paroles qui chantent en moi !

Je n’ai pu créer des images


Ni charger les mots de magie,
Quelle main unissait les choses
Dans le néant de ma mémoire,
Les faisant éclater soudain
Dans les fruits d’un amour étrange ?

Jean Amrouche (1906-1962)


Homme de lettres et de radio, professeur et
Est-ce la main d’un Ange,
journaliste, poète et militant engagé en faveur
de l’indépendance de l’Algérie, Jean Amrouche
en moi présente et absente ?
demeure un homme à l’identité double, pétri
d’amour pour la culture française et révolté
Est-ce la main d’un Dieu veillant
par son statut « d’intellectuel colonisé ».
Kabyle et chrétien, exilé d’abord en Tunisie
au-delà de moi-même ?
puis en France, il a publié trois recueils :
Cendres (1934), Étoile secrète (1937) et Chants
Qui me dira le destin de ces paroles
berbères de Kabylie (1939). Il est connu égale-
ment pour ses exceptionnels entretiens avec
d’inconnu ?
de grands noms de la littérature française,
comme Gide, Claudel ou Mauriac. Il est mort
De quoi sont-elles messagères ?
peu de temps avant les accords d’Évian. Sa
sœur, Taos Amrouche, a été la première roman-
De qui suis-je le messager ?
cière algérienne de langue française.Q
Jean Amrouche, Étoile secrète, L’Harmattan, 1983.

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 19


l’actu
réseau trois questions à

Nouveaux outils, nouvelles questions


« Une forte visibilité
culturelle de
la francophonie »
établissements technologiques
Entretien avec de tout le pays, l’apprentissage
Yvonne Cansigno, du français n’est pas obligatoire,

©DR
mais selon l’institution et les dis-
« L’évolution des métiers liés à la po- des interventions d’experts et à de
récemment élue ciplines étudiées, cela peut être
litique de coopération pour le fran- nombreux partages d’expériences, présidente de l’AMIFRAM une condition requise pour ob-
çais et à la promotion du français à ont été analysées les probléma- (Association des tenir une licence, une maîtrise et
l’étranger », telle était la thématique tiques de l’enseignement bilingue/ professeurs et chercheurs même un doctorat.
du séminaire de formation qui a réuni plurilingue, du numérique éducatif,
à Paris, du 22 au 25 avril derniers, une de la dimension économique de la
de français du Mexique). Quelle est l’image de la langue
vingtaine d’attachés de coopération francophonie, de l’appui aux dépar- Propos recueillis par française et des cultures
éducative et attachés de coopération tements universitaires de français Sébastien Langevin francophones au Mexique ?
pour le français venus du monde entier. et du développement de nouveaux Les liens du Mexique avec la fran-
Organisé par l’Institut français en partenariats avec le secteur privé ou Quelle est la situation de cophonie remontent loin dans
lien étroit avec le ministère fran- dans le cadre de programmes multi- l’enseignement du français l’histoire : la forte visibilité cultu-
çais des Affaires étrangères et du latéraux. Les programmes et outils dans le système éducatif relle des pays francophones est
Développement international, ce développés par l’Institut français mexicain ? illustrée par tous les échanges éta-
moment de réflexion et d’échanges dans ces domaines (Fonds bilingue, Le système éducatif mexicain blis avec la France, le Québec, la
a permis de réaffirmer la place réseau social professionnel pour présente au niveau de l’ensei- Belgique, la Suisse, le Maroc, l’Al-
centrale qu’occupe la coopération professeurs de français IF profs, gnement du FLE une structure gérie, la Côte d’Ivoire et le Liban
éducative et linguistique dans la plateforme du français langue de relativement complexe. On es- depuis leur représentation poli-
diplomatie culturelle française et l’emploi, IF cinéma, Culturethèque, time à 1 500 le nombre de pro- tique au Mexique. La diffusion
de questionner les enjeux liés à la label professionnel multilingue, fesseurs de FLE dans tout le pays du français au Mexique n’est pas
promotion de la langue française programme «  Dialogue d’exper- et à plus de 120 000 personnes seulement associée à des aspects
sur les cinq continents. Grâce à tise ») ont également été présentés. Q mexicaines apprenant la langue académiques ou institutionnels.
française, dont environ 70 000 Il existe aussi ce charme sophisti-
étudient dans le système édu- qué, de glamour, de culture, d’art
en ligne
catif mexicain où le français est qui prend en considération la va-

Franc-parler fait peau neuve langue en option à l’école secon-


daire et au lycée, tout en étant
lorisation de la langue française
dans le contexte quotidien, social,
Franc-parler, le site pédagogique des pro- tions de TV5Monde, de RFI, de Canopée relativement bien représenté politique et historique. L’accès
fesseurs de français de l’Organisation et du Français dans le monde. dans l’enseignement supérieur. aux réseaux sociaux et à Internet
internationale de la Francophonie (OIF), Un moteur de recherche permet égale- Les 50 000 autres fréquentent est propice à s’informer plus fa-
animé par la Fédération Internationale des ment de filtrer ce Fil du français à partir divers organismes et institutions, cilement sur les cultures franco-
professeurs de français de critères thématiques, de à commencer par le réseau des
(FIPF), propose une nou- niveaux, de supports ou de Alliances françaises et l’Insti- « Ce charme sophistiqué,
velle version de son site compétences visées. tut français d’Amérique latine de glamour, de culture,
(IFAL). Un nombre croissant
destiné aux professeurs
de français dans le monde.
Et toujours des actualités,
des fiches et des res- d’établissements scolaires privés
d’art qui prend en consi-
À découvrir : une page sources pédagogiques, propose actuellement le français, dération la valorisation
d’accueil plus dynamique, des articles didactiques qui est la deuxième langue ensei- du français dans le con-
un menu réorganisé pour et des entretiens avec des gnée dans les centres de langues texte quotidien, social,
universitaires. Dans les univer-
une meilleure clarté et une
nouvelle rubrique, le Fil du français, dans
professionnels de l’ensei-
gnement du français. Q sités publiques et privées et les
politique et historique »
laquelle on retrouve les dernières publica- http://www.francparler-oif.org

20 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Billet du président

Il est temps d’affirmer


nos valeurs
Dans tous les pays d’Europe ou

© Léo Paul Ridet


presque, les résultats des élections
européennes de mai ont laissé
un goût amer dans la bouche des
femmes et des hommes de bonne
volonté, c’est-à-dire de toutes Jean-Pierre Cuq,
celles et ceux qui font des valeurs président de la FIPF
d’échange et de partage culturels
l’horizon de leur comportement ront jamais compter sur la moindre
quotidien, et qui craignent comme complaisance de notre part.
les miasmes de la peste brune les Il est certes dit au chapitre 1.2. de
discours de repli sur soi, à l’abri dé- nos statuts que  « la Fédération est
risoire des frontières imaginaires neutre du point de vue politique,
de pseudo-identités originelles. philosophique et religieux ». Mais
Les professeurs de français d’Eu- il s’agit de bien autre chose que
rope sont de ceux-là. Au premier de politique, car ces valeurs sont
©DR

rang. Fédérés dans deux puissantes celles de tous les démocrates,


phones, à faciliter leur intégration tique de l’ambassade de France et commissions, ils construisent à leur quelle que soit la manière dont ils
à la société mexicaine, à chercher l’Institut français d’Amérique la- manière l’Europe d’aujourd’hui en les expriment. S’il s’agit de philoso-
l’apprentissage de la langue, tine, ainsi que pour la Délégation préparant la jeunesse de demain. phie, ce n’est certes pas celle d’une
à comparer les usages et les ha- générale du Québec à Mexico, Mieux encore, ils ne le font pas d’école mais l’appropriation active
bitudes. De nombreux secteurs l’AMIFRAM est un partenaire pri- seuls : avec leurs collègues d’Amé- des valeurs supérieures et trans-
économiques sont concernés : la vilégié et indispensable pour la rique du Nord, d’Amérique latine cendantes que partagent les civi-
gastronomie, l’épicerie fine, les diffusion du français, le dévelop- et de la Caraïbe, d’Afrique et de lisations. Il ne s’agit évidemment
produits de beauté, la mode, les pement des certifications de fran- l’Océan indien, de l’Asie et du Paci- pas non plus de religion, car ceux
pièces automobiles… Nous avons çais langue étrangère à valeur fique, et avec ceux du monde arabe, qui les utilisent les méprisent en les
observé que chez les jeunes de internationale et le soutien à l’ac- ils transmettent aux jeunes et en ravalant au rang de vulgaires gad-
classes aisées, apprendre le fran- tivité professionnelle et associa- français les valeurs universelles de gets électoraux. Non, être neutre
çais est bien accepté car ils ont la tive des professeurs de français et la paix, de la tolérance, de la culture, ne signifie pas être passif et signifie
possibilité de voyager et d’utiliser des chercheurs du Mexique. de l’amour du travail bien fait. encore moins ne pas choisir. Cela
cette langue pour communiquer. En tant que présidente de Les fondateurs de la FIPF nous ont signifie seulement, mais c’est en
Les gens qui le font reconnaissent l’AMIFRAM pour la période 2014- légué un héritage dont chacun des effet fondamental, ne pas imposer
la valeur linguistique et culturelle 2016, je souhaite notamment membres de la fédération est dépo- à l’autre la manière de s’engager et
que cela implique et qui motive soutenir l’activité professionnelle sitaire, qu’il fait vivre et fructifier. respecter ses choix dans les moda-
leur apprentissage. et associative des professeurs Cet héritage est inscrit dans les mots lités de l’action.
de français au Mexique ; faire clés de nos statuts : échanger, par- Il se trouve que nous, les profes-
Vous venez d’être élue croître le nombre d’adhérents tager, favoriser la mise en commun seurs de français, avons choisi nos
présidente de l’AMIFRAM : de l’association ; promouvoir les et le dialogue, améliorer, et surtout valeurs, sans ambiguïté. Ces va-
quels sont vos principaux formations sous la forme d’un peut-être dans notre nom même, le leurs, nous aimons les dire et les
projets, en particulier pour le calendrier annuel annonçant les beau nom de fédération. Cet héri- vivre en français. Et nous pouvons
XVIIe Congrès National de votre opportunités de formation, en tage n’est pas celui d’un seul pays, les vivre justement parce que des
association qui aura lieu au coopération avec nos partenaires mais il vit à travers le monde entier. siècles et des continents de littéra-
mois d’octobre ? francophones et mexicains ; di- Il est temps pour nous de rappeler ture nous ont appris à les dire. Nous
L’AMIFRAM, née en 1970, est versifier l’offre d’enseignement ces valeurs, celles pour lesquelles savons que d’autres les disent en
l’une des associations les plus du français à tous les niveaux nous militons chaque jour. Plus anglais, en espagnol, en arabe, en
importantes et actives d’Amé- éducatifs ; pousser les certifica- que jamais il faut nous regrouper chinois, en wolof et dans tant et tant
rique latine. Pour le service de la tions de français langue étran- autour d’elles, les proclamer et les d’autres langues. Nous leur tendons
Coopération éducative et linguis- gère à valeur internationale.Q opposer à ceux qui les méprisent. la main. Et dans nos mains unies
Qu’ils sachent bien qu’ils ne pour- passe la force sûre de l’avenir.Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 21


focus

« Les acquisitions
langagières
ne sont pas
séparées les
unes des autres »

.com
- Fotolia
Feketa
© Petro
Les « approches Propos recueillis par Sébastien Langevin approches plurielles des langues à l’aspect « déséquilibré » de cette
et des cultures, le CARAP. Il s’agit compétence, en en tirant des consé-
plurielles » ont permis Vous avez dirigé cet d’un outil qui liste les compétences quences pour l’apprentissage d’une
à la fois une théorisation impressionnant ouvrage sur la développées avec les approches plu- langue donnée (ce qui se traduit
et une mise en pratique didactique du plurilinguisme rielles. On en apprendra beaucoup par les « niveaux » de compétence
plus en visitant le site http ://carap. et leurs découpages écrit/oral,
d’une didactique du à la lumière des recherches
de Michel Candelier. Pouvez- ecml.at/, où on trouvera aussi de compréhension/production). Il ne
plurilinguisme. Retour vous tout d’abord présenter les nombreux matériaux didactiques. s’est pas attaché à ce qui en consti-
les travaux de Michel grandes lignes des travaux de ce tue pourtant l’essentiel : le fait que
les acquisitions langagières ne sont
Candelier à l’occasion de didacticien ?
Christel Troncy : Comme germa-
Pourquoi faire un retour sur
ce « parcours intellectuel » et pas séparées les unes des autres,
la parution d’un ouvrage niste, Michel Candelier s’est d’abord ses résultats maintenant ? mais en relation les unes avec les
de référence sur ces intéressé à la linguistique et à la C. T.  : Le CARAP, construction autres. C’est ce manque du CECR
thématiques. didactique de l’allemand, en réflé- collective coordonnée par Michel que cherche à combler le CARAP.
chissant à des formes de didactique Candelier, est en voie de devenir
intégrée allemand/français. Il s’est un outil didactique majeur, à l’ins- L’éveil aux langues a très
consacré également aux politiques tar du CECR, dont il est d’ailleurs largement évolué et le CARAP
linguistiques éducatives. Au cours conçu comme le versant « pluri ». a vu le jour dans les années
des années 1990, il s’est engagé Le CECR a été construit avec pour 2000. Quel est le lien entre ces
dans des travaux concernant l’éveil fondement la « compétence pluri- deux événements didactiques ?
aux langues(1) (EAL), dans le cadre lingue et pluriculturelle ». Cepen- C. T. : Les principes de l’EAL en
Christel Troncy est agrégée de grands projets de recherche au dant, il s’est essentiellement attaché tant que démarche didactique ont
de Lettres modernes et niveau européen. Dans le prolonge- finalement peu changé depuis la
doctorante en Sciences ment direct de ces préoccupations, Mettre la pluralité première expérimentation d’en-
du langage et didactique au début des années 2000, émergent au service de tous vergure que constitue le projet eu-
la notion d’« approches plurielles » ropéen Evlang (1997-2001). Les
des langues.
et un Cadre de référence pour les
les apprentissages résultats des expérimentations les

22 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


© Gstudio Group - Fotolia.com
ont d’ailleurs validés. D’abord à pro-
pos du développement de capacités
métalinguistiques, qui permettent
de comprendre le fonctionnement
diversifié des langues ou variétés
linguistiques et d’opérer des trans-
ferts entre différents apprentis-
sages langagiers. Ensuite, dans le
domaine d’un plus grand intérêt
et une plus grande acceptation à
l’égard de la diversité, langagière
ou culturelle. Par la suite, ou paral-
lèlement, grâce aux apports d’autres
recherches, dans d’autres contextes
(à Grenoble, en Suisse, au Canada,
en Guyane…), on a pu mettre en
évidence des effets de l’EAL sur
d’autres aspects tels que l’estime de
soi pour les élèves allophones. Tout
cela a fortement contribué à casser
l’image d’une « simple » « sensibili-
sation à la diversité ».
Ce qui a changé, c’est d’abord l’ac-
cent mis sur ce que Michel Candelier
nomme dans un article les différents
« axes d’utilité » de l’EAL. Potentielle- tique intégrée des langues et les ap- l’apprentissage d’une langue parti- C. T. : Il s’agit d’une pleine évolution.
ment présents dès le début d’Evlang, proches interculturelles. C’est ce qui culière, et les approches plurielles. Une évolution positive qui prend
en tant qu’héritage des projets pré- a conduit au CARAP. Les objectifs D’autres évolutions sont à noter : du temps, étant donné le caractère
curseurs menés sous l’impulsion communs à ces approches ne sont l’introduction de l’EAL dans des dé- indéniable de changement de pa-
de Eric Hawkins au Royaume-Uni, en général pas pris en compte dans marches de didactique intégrée, radigme que représente la notion
ils ont été mis en avant de façons les approches « singulières ». On ne concernant les langues mais aussi d’éducation plurilingue. Pour faire
diverses en fonction des époques les trouve pas par exemple dans les d’autres disciplines, l’importance court : il y a d’une part les implan-
et, bien sûr, des contextes. Il y a eu descripteurs du CECR, alors même croissante prise par l’implication des tations déjà « historiques », en par-
clairement, à la fin du projet Evlang, que les approches plurielles peuvent parents, l’extension, à partir d’une ticulier de l’éveil aux langues, dans
un renforcement de l’accent accordé pleinement participer aux dévelop- centration sur l’enseignement pri- les programmes de Suisse romande
aux aspects métalinguistiques de pements d’objectifs pour l’appren- maire, à la maternelle, au collège et et de Catalogne, puis de Grèce, et
l’EAL, afin de mettre en évidence tissage d’une langue particulière. Il très récemment aux adultes migrants. des autres régions linguistiques de
son lien avec la notion de « compé- s’agit de mettre la pluralité au ser- la Suisse. Notons que le développe-
tence plurilingue et pluriculturelle » vice de tous les apprentissages. En Pouvez-vous donner quelques ment de « curriculums plurilingues »
et de le rapprocher d’autres ap- ce sens, il n’y a aucune opposition exemples d’applications – comme aujourd’hui, par exemple,
proches – les fameuses approches entre, par exemple, l’approche com- concrètes des approches en Autriche – fait nécessairement
« plurielles » : l’intercompréhension municative ou l’approche action- plurielles dans les écoles appel aux approches plurielles. C’est
entre langues « parentes », la didac- nelle, généralement focalisées sur européennes actuellement ? le cas aussi pour les classes « bilan-
gues » en France ! On peut suivre
les progrès des programmes de dif-
Extrait fusion du CARAP en Europe sur le
site(2) du Centre européen pour les
LES APPROCHES PLURIELLES langues vivantes (CELV). Il est re-
« La définition commune est désormais re- et la nature des activités d’enseignement marquable que de tous les projets du
lativement stable: “approches didactiques (mises en relation et simultanéité). Elle met CELV, c’est le projet CARAP qui ait
qui mettent en œuvre des activités d’en- en place un jeu d’inclusions et d’exclusions reçu en 2014 le plus de demandes
seignement/apprentissage qui impliquent catégorielles (ce qui relève des approches d’activités de « formation et conseil »
à la fois plusieurs (c’est-à-dire “plus d’une”) plurielles, ce qui relève des approches sin- adressées par les pays membres au
variétés linguistiques et culturelles”. Elle gulières) qui apparaît à la fois extrêmement CELV ! Faisons à nouveau le point
thématise la pluralité (nombre de variétés clair, mais aussi extrêmement… complexe, dans cinq ans ! Q
langagières et/ou culturelles concernées) dès que l’on essaie de le démêler! »
1. www.edilic.org ou http ://plurilangues.e-monsite.com
2. www.ecml.at/
Christel Troncy (dir.), Didactique du plurilinguisme, approches plurielles des langues et des cultures,
Presses universitaires de Rennes, p. 41. ECMLtrainingandconsultancyformemberstates/
CARAP/tabid/1160/language/fr-FR/Default.aspx

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 23


mot à mot

Bernard Cerquiglini, éminent


linguiste et spécialiste reconnu
de la langue française, révèle
et explique chaque jour sur
TV5Monde une curiosité
verbale : origine des mots et
expressions, accords pièges
et orthographes étranges…
Il a aussi accepté de régaler de
ses explications gourmandes
la curiosité des lecteurs du
Français dans le monde.
Merci Professeur !
onde
© Claude Vittiglio/TV5M

Dites-moi Professeur… Par Bernard Cerquiglini

Usage

Initier C’est au xviie siècle, en français, que le verbe,


On entend à tout propos le verbe initier, pour si- tout en gardant son nimbe de mystère, a été uti-
gnifier que l’on lance un débat, une enquête, un lisé pour indiquer les premiers éléments d’une
projet. doctrine que l’on enseigne, et notamment
C’est un emprunt, intervenu dans les années d’une science ; il signifie que l’on accède, avec
1950, à l’anglais to initiate, « commencer ». Il a effort, à ses secrets.
contaminé un verbe français qui désigne fonda- Le sémantisme français d’initier est donc clair et
mentalement l’admission à une pratique ou à une précis.
société secrète ; refusons cette évolution anglici- Pour marquer le moment initial d’une action,
sante. peut-on pour autant recommander le verbe
Initier a été emprunté, au milieu du xive siècle, au initialiser ? Je ne le ferai pas, car il s’agit d’un
latin initiare. En latin classique, ce verbe signifiait terme propre à l’informatique : on initialise
« ouvrir aux mystères » ; cette signification s’ac- un système, une disquette. Les verbes fran-
crut avec l’arrivée à Rome des cultes orientaux, çais ne manquent certes pas : commencer,
religions occultes. À la période impériale, initiare inaugurer, entreprendre, lancer, amorcer,
s’est employé plus largement au sens d’ouvrir à préluder, esquisser, entamer, etc. Une vraie…
un domaine de savoir. initiation à la synonymie ! Q

24 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Phonétique
minante / / on entend actuellement beaucoup
Le digramme gn parler des magnats (/ /) de la finance ou de la
Le digramme gn peut se prononcer de deux fa- presse.
çons en français : soit / gn / à la latine, soit / / L’évolution se fait clairement en faveur de la pro-
senti comme français. nonciation française. Ainsi, le Dictionnaire de
Des termes ayant une étymologie commune l’Académie de 1786 notait que la prononciation
peuvent présenter des divergences sensibles. de magnétique était dure comme en latin. Ce n’est
L’observation de trois mots issus du latin magnus plus le cas aujourd’hui : le mot est passé du statut
est éloquente à cet égard. Vous parlerez de la ma- d’emprunt technique encore un peu étrange (sa
gnitude (/ /) d’un séisme, mais d’un magnum, première attestation en français date de 1617)
mot désignant une grosse bouteille de cham- à celui de terme courant.
pagne ou une arme à feu. Les derniers digrammes gn irréductibles
En revanche, vous hésiterez pour magnat, em- se trouvent à l’initiale d’un petit groupe de mots
prunté au polonais vers 1732 et qui est issu du savants d’origine grecque : gnose, gnomique, etc. ;
latin médiéval magnates, « les grands ». Les dic- à ce titre, ils gardent leur prononciation.
tionnaires recommandent la prononciation / gn /. Pour le reste, la prononciation / / s’impose. J’en
Mais sous l’attraction de la prononciation do- témoigne. Q

Lexique

Ambulance de l’extrême fin du xixe siècle, on a parfois utilisé


Quand on lit les récits relatifs à la guerre de ambulance pour désigner le véhicule lui-même :
1914-1918, on est frappé par l’emploi particulier d’abord l’ambulance hippomobile, tirée par des
et constant qu’on y trouve du terme ambulance. chevaux, puis l’automobile qui l’a remplacée.
Jusqu’en 1940 en effet une ambulance, c’était un Avec la Seconde Guerre mondiale, cet emploi
hôpital militaire : « Il a été promptement conduit devient le seul usuel : ambulance désigne au-
à l’ambulance. » jourd’hui un véhicule, d’ailleurs civil autant que
Cet hôpital était mobile, se déplaçant avec les militaire, destiné au transport des malades et
troupes en campagne. Ce nom vient de l’adjectif blessés. On dira : « Il a été promptement conduit
ambulant, du verbe ambuler issu du latin ambu- en ambulance. »
lare, « se promener ». Le génie populaire a formé la locution tirer sur
Le service d’ambulance des armées, gérant les une ambulance, c’est-à-dire « s’acharner contre
hôpitaux mobiles, utilisait des voitures légères quelqu’un ». C’est un retour intéressant à l’emploi
pour le secours des blessés ; on parlait alors des militaire ; car, comme chacun le sait, « on ne tire
voitures de l’ambulance, ou d’ambulance. À partir pas sur une ambulance » ! Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 25


clés

Umberto Eco l’a dit : « Une Europe


de polyglottes n’est pas une
Europe de personnes qui parlent
couramment beaucoup de
langues, mais, dans la meilleure
des hypothèses, de personnes qui
peuvent se rencontrer en parlant
chacune sa propre langue et en
comprenant celle de l’autre. »

La notion
d’intercomp
Par Paola Bertocchini hension, le CECR se limitant à intro-

D
et Edvige Costanzo duire la notion de plurilinguisme en
réponse à la diversité linguistique et
es personnes qui culturelle de l’Europe. Mais s’il est
peuvent se ren- vrai qu’elle n’est pas mentionnée,
contrer en parlant l’intercompréhension est pourtant
chacune sa propre bien évoquée lorsque, pour insister
langue et en com- sur les bienfaits de la compétence
prenant celle de l’autre. » C’est bien communicative plurilingue, il est dit
d’intercompréhension que parle que « dans des situations différentes,
Umberto Eco. Mais quelles sont les un locuteur peut faire appel avec sou-
caractéristiques de cette notion et plesse aux différentes parties de cette
qu’implique-t-elle en didactique des compétence pour entrer efficacement
langues ? S’agit-il du dernier mot fé- en communication avec un interlocu-
tiche ou bien d’un atout important teur donné. Des partenaires peuvent,
pour gagner le pari de l’éducation par exemple, passer d’une langue ou
plurilingue prônée par les docu- d’un dialecte à l’autre, chacun exploi-
ments européens ? Est-elle « pra- tant la capacité de l’un et de l’autre
ticable » dans toutes les situations pour s’exprimer dans une langue et
d’apprentissage ? Et quelles sont les comprendre l’autre » (p. 11).
stratégies qui lui conviennent ? Cette évocation se marie bien aussi
à la désacralisation de quelques
L’intercompréhension pour mythes de la DDL dont, entre autres :
le plurilinguisme - celui du locuteur natif, modèle
Dans le Cadre européen commun idéal pour tout apprenant de langue
de référence pour les langues, on ne étrangère ;
parle pas, à vrai dire, d’intercompré- - celui des bienfaits miraculeux de

26 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


l’apprentissage en immersion, qui que l’on a des contacts entre les aussi en ce qui concerne le trai- La fiche pédagogique
repose sur le cloisonnement entre langues au vu des transparences tement des activités langagières. à télécharger sur :
les langues alors que l’apprentissage qu’elles présentent, et la prédicti- Sous prétexte d’authenticité, la
www.fdlm.org
plurilingue se veut intégratif ; bilité qui s’ensuit, les « vrais amis » réception et la production, inte-
- celui des travaux sur l’acquisition étant plus rentables que les « faux ractive et non, sont, en effet, pro-
basés toujours sur le rapport L1/L2, amis ». Sur ces principes s’appuient posées presque toujours simul-
alors que le développement d’une des stratégies comme l’approxima- tanément, avec une priorité de
compétence plurilingue comporte tion, le transfert et l’entrée par l’écrit présentation pour l’oral.
des opérations plus complexes entre (Escudé, Janin, 2010), fers de lance L’intercompréhension, par contre,
L1, L2, L3, où, par exemple, la pre- de l’intercompréhension. privilégie l’entrée par l’écrit en ré-
mière langue étrangère apprise peut ception essentiellement pour deux
devenir référence et source de trans- L’approximation raisons :
ferts pour d’autres langues en cours À ne pas confondre avec « ambi- - le fait de travailler sur plusieurs
d’apprentissage. guïté », l’approximation est ce qui langues à la fois rend difficile sinon
Et désacralisation rime avec pro- nous permet de saisir le sens glo- impossible leur activation immé-
vocation, mais ce qui l’était pro- bal d’un énoncé et d’en affiner pro- diate dans des situations d’oral
bablement au début du nouveau gressivement la compréhension en authentique, alors que le travail en
millénaire semble aujourd’hui avoir fonction des contextes dans lesquels compréhension écrite justifie intel-
donné ses fruits en terme d’éduca- on opère et des besoins qui s’en dé- lectuellement cette démarche ;
tion plurilingue, si un instrument gagent. C’est une stratégie indis- - le retour en force de l’écrit dans la
comme le Cadre de référence pour les pensable dans la communication vie quotidienne, papier ou numé-
approches plurielles (CARAP) a pu pour éviter les blocages lorsqu’on ne rique.

réhension
Et d’autres raisons s’ajoutent,
d’ordre méthodologique et motiva-
tionnel. Ainsi, par exemple :
- la saisie globale d’un texte per-
met de jouer sur l’inférence (hy-
pothèses/anticipations sur le sens)
devant les passages opaques en sa-
chant bien que l’on peut revenir en
arrière et modifier les hypothèses
effectuées si elles s’avèrent fausses ;
- la connaissance fine de la gram-
voir le jour pour faciliter la construc- connaît pas la structure ou le terme maire n’est plus une obsession, vu
tion de curriculums plurilingues à exact qui serait nécessaire. Voilà que l’objectif prioritaire est la com-
l’intérieur desquels l’intercompré- donc que l’apprentissage et l’uti- préhension globale du texte ;
hension trouve bien sa place. lisation des « mots vides » comme - le temps non plus ne fait obsta-
« machin, truc, chose… », loin d’être cle, car on n’est pas conditionné,
Stratégies et pratiques en DDL sanctionnés, vont être encouragés comme à l’oral, par la nécessité de la
C’est donc dans ce cadre que l’inter- pour permettre de pallier cet incon- réaction immédiate, souvent source
compréhension peut décliner ses vénient et de faire avancer la com- de démotivation devant un conti- thèmes. Mais rien n’empêche que
principes opérationnels et choisir munication et l’interaction. nuum discursif que l’on n’arrive pas l’on puisse activer une démarche
les stratégies à privilégier en DDL. à découper convenablement. d’intercompréhension en situation
Les premiers comprennent : le conti- L’entrée par l’écrit scolaire, ne fût-ce que pour ces deux
nuum langagier représenté par les Une démarche basée sur l’inter- Le transfert raisons, d’ordre respectivement co-
familles de langues, la conscience compréhension change la donne Le transfert des compétences, enfin, gnitif et éthique :
joue un rôle particulier dans une dé- - le va-et-vient explicite que l’appre-
marche d’intercompréhension, car nant est obligé de faire entre la langue
Bibliographie si on travaille sur plusieurs langues, source et les langues cibles mène, iné-
r$POTFJMEFM&VSPQFCadre euro- r.$BOEFMJFSet al., Le CARAP il est évident que meilleures sont les vitablement, au-delà des différences,
péen commun de référence pour – Un Cadre de référence pour les compétences dans la langue source, à identifier les constantes logiques et
les langues  ­EJUJPOT%JEJFS approches plurielles des langues plus facile et plus rapide sera l’acqui- sémantiques et à s’interroger sur les
%JTQPOJCMFFOMJHOFIUUQIVC et des cultures $&-7 %JT- sition des mêmes compétences dans universaux du langage ;
DPFJOUGS QPOJCMFFOMJHOFXXXFDNMBU les langues cibles. - les différences linguistiques et an-
r1&TDVEÊ 1+BOJO Le Point sur l’in- QVCMJDBUJPOT Cela explique pourquoi l’intercom- thropologiques auxquelles on est
tercompréhension, clé du plurilin- r1%PZÊ L’Intercompréhension. préhension trouve un terrain d’ap- confronté entraînent une attitude
guisme,$-&*OUFSOBUJPOBM  Guide pour l’élaboration plication sûrement profitable avec d’ouverture, de curiosité qui amène
r6&DP La Recherche de la des politiques linguistiques des publics adultes, bien scolari- non seulement à ne plus avoir peur
langue parfaite dans la culture eu- éducatives en Europe, $POTFJM sés, favorisés aussi, dans le recours des langues, mais aussi à ne plus
ropéenne ­EJUJPOTEV4FVJM  EFM&VSPQF Q à l’écrit, par la connaissance des avoir peur de l’autre. Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 27


reportage
Les élèves du VAM, programme francophone
mis en place par l’Institut franco-allemand
d’Erlangen (Allemagne).

Les vendredis après-midi


à l’école Pestalozzi
L’école primaire Texte par Julien Nairaince Notre VAM d’Erlangen Après constitution de l’équipe péda-

U
et photos par Jessica Théroux Bienvenue au VAM ! Depuis la ren- gogique, le projet a pu voir le jour
Pestalozzi située dans trée 2013, l’Institut franco-allemand dans les locaux de l’école Pestalozzi,
la ville allemande n vendredi après-midi d’Erlangen (dFi) a mis en place une prêtés gracieusement par sa direc-
d’Erlangen, plonge les comme un autre à petite école francophone à Erlangen, trice francophile, Carmen Vogt.
plus jeunes dans l’univers l’école primaire Pes- « ville huguenote » située au Nord de Le VAM est avant tout né du désir de
talozzi d’Erlangen. la Bavière. Intitulé « Mon vendredi maintenir un lien privilégié avec l’une
francophone lors de son Il est 15 h 15, les cou- après-midi », le programme accueille des cultures structurantes de l’enfant.
programme du vendredi loirs sont silencieux. une soixantaine d’enfants issus de la Il constitue également pour lui un
après-midi (VAM) créé en Tout à coup, la porte du hall s’entrou- communauté francophone de la ville vecteur de socialisation. « Les élèves
vre timidement, poussée par un bam- et des environs. Chaque vendredi, comprennent qu’il existe d’autres en-
2013. Visite guidée. bin, cartable vissé sur le dos. S’ensuit pendant quatre-vingt-dix minutes, fants comme eux, que l’interculturalité
un flot d’écoliers accompagnés de leurs un enseignement en français est est une richesse et qu’elle se partage »,
parents, tout ce beau monde conver- dispensé aux enfants de 2 à 11 ans, assure la directrice du dFi.
geant vers l’établissement qui semble leur permettant de garder un lien Son avis est partagé par Sophie,
soudain reprendre vie. privilégié avec la langue et la culture mère d’un jeune franco-allemand
Au milieu de ce joyeux tumulte se dis- francophones. de 4 ans. « Le programme a constitué
tinguent quelques formules, échan- À l’origine de ce projet, Rachel Gil- un déclic pour mon fils, qui me parle
Julien Nairaince est professeur de gées dans un français impeccable. lio, directrice du dFi, souhaitait ré- davantage en français et semble être
français à l’Institut franco-allemand « Bonjour, comment allez-vous ? », pondre à une forte demande locale, plus à l’aise avec la langue. Il réalise
et à l’université Friedrich Alexander « Marie, dépêche-toi ! », « À tout à dans cette commune où près de qu’il n’est pas le seul à parler français,
d’Erlangen. l’heure, papa ! » 400 francophones ont élu domicile. ce qui le rassure et l’encourage. »

28 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Chaque vendredi, un rement le même d’une année sur
enseignement en français l’autre, il est modulé en fonction du
profil des élèves et des attentes des
est dispensé aux enfants parents ».
de 2 à 11 ans, leur
permettant de garder Collectif
Anne-Sophie, 35 ans, également
un lien privilégié avec enseignante au VAM, exerçait au-
la langue et la culture paravant en tant qu’institutrice en
francophones France. Elle analyse ainsi les deux
systèmes scolaires : « En France, le
programme est assez dense. Un socle
Après seulement quelques mois de de connaissances, davantage axé sur
fonctionnement, le VAM semble l’étude de la langue, est exigé dès l’en-
donc déjà avoir convaincu. Et pour- trée à l’école primaire. En Allemagne,
tant, le défi était de taille. l’apprentissage est plus progressif.
Par exemple, un petit Français qui
Souris vertes entre en CP aura déjà démarré l’ap-
La difficulté majeure était de pro- prentissage de la lecture à la mater-
poser un programme qui puisse nelle, alors qu’un petit élève scolarisé
répondre à différentes attentes. « Il en Allemagne commencera seule-
existe trois catégories de familles ment à déchiffrer les lettres. Il en va
ayant pris part au projet, commente de même pour l’écriture, qui semble
Rachel Gillio. Les familles binatio- moins standardisée : l’écriture cur-
nales, solidement ancrées dans le sys- sive n’existe pas ici, et il faut prendre
tème allemand, pour lesquelles l’en- cette spécificité en compte en s’adap-
jeu est de maintenir un lien fort avec tant à la graphie allemande. »
le français. Ensuite, les familles fran- À son arrivée en Allemagne, Anne-
çaises, expatriées à court ou moyen Sophie a su très vite ajuster son ap-
terme, et qui souhaitent préparer au proche pédagogique. « La notion de
mieux la réinsertion de l’enfant dans plaisir est privilégiée dans ce type de
le système scolaire français. Enfin, les programme. Il faut soigner le rapport
familles germanophones ayant vécu affectif qu’a l’enfant avec la langue »,
en France, et désireuses de préserver explique l’institutrice.
le contact avec le français. » Quelques mois après son lancement,
Face à ces disparités, il s’agissait les acteurs du VAM comptent bien
d’assortir flexibilité et adaptation consolider et étendre le programme.
au projet pédagogique. Au total, « Nous réfléchissons à élargir l’offre
huit enseignantes, toutes franco- aux élèves entrant dans le secondaire
phones et diplômées de l’ensei- afin de garder une continuité dans
gnement supérieur, se partagent l’apprentissage », commente Rachel
autant de groupes aux noms fantai- Gillio, avant d’assurer que « la marge
sistes et colorés tels que les « pois- de manœuvre est encore très large ».
sons rouges », les « chiens bleus », Ce programme est en effet appré-
les « souris vertes » ou encore les hendé comme un projet collectif,
« coyotes mauves ». amené à être alimenté au fil des
Virginie, 35 ans, a en charge les mois par la mise en place d’activités
« petits gris », âgés de 4 à 5 ans. Si corollaires proposées par l’équipe
elle s’inspire du programme de ma- mixtes, et dont la langue de sociali- portance de « décloisonner » la langue. pédagogique et les parents.
ternelle en vigueur en France, elle sation et de scolarisation est l’alle- Pour l’équipe pédagogique du À ce titre, le dFi travaille déjà à la
explique néanmoins devoir « tenir mand. Il faut donc combler ce déficit VAM, il s’agit en somme de bâtir réalisation d’un livre audio. Les en-
compte du système éducatif alle- en favorisant le plus possible la prise un programme inspiré du système fants du VAM ont constitué la trame
mand ». L’accent est davantage mis de parole durant le cours de français français, mais adapté à l’hétérogé- d’une histoire qui sera prochaine-
sur l’oral, notamment sur les sons », explique Ariane, 40 ans, en charge néité et à l’environnement du pu- ment scénarisée et enregistrée en
et la découverte progressive du sys- des « chiens bleus » âgés de 7 à 8 ans. blic. Les groupes étant constitués studio, ce qui permettra sans doute
tème alphabétique français. Les enseignantes observent que les de petits effectifs, chaque ensei- aux jeunes apprenants et à leurs pa-
« La langue française n’est pas assez enfants utilisent souvent un vocabu- gnante peut s’adapter aux besoins rents de garder un premier souvenir
présente dans le quotidien de certains laire spécifique à la famille, à la vie de chacun. Ainsi, selon Virginie, éloquent de leurs vendredis après-
enfants, souvent issus de couples quotidienne, d’où, selon elles, l’im- « le programme n’est pas nécessai- midi à l’école Pestalozzi. Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 29


point de vue

Xavier North, délégué général

P
Par Xavier North
à la langue française et
as de dialogue culturel surtitrage, etc.) – sauf à ce que ces
aux langues de France, poursuit sans compréhension œuvres et ces productions restent
pour Le français dans le monde le réciproque : en faire inintelligibles et que la diversité des
commentaire des messages clés de le constat, c’est aussi- langues ne fasse ainsi obstacle au
tôt plaider pour que développement du dialogue inter-
sa délégation. Illustrés par soit prise en compte la dimension culturel.
le graphiste Joël Guenoun dans un linguistique de l’échange entre les En Europe, l’acquisition de compé-
court métrage accessible sur cultures. Comprendre l’autre dans tences linguistiques partagées fait
la page d’accueil du site sa singularité – et accéder à ses l’objet d’une politique spécifique
œuvres ou à ses productions cultu- de promotion du multilinguisme,
www.dglf.culture.gouv.fr, relles – suppose en effet (pour au- depuis la déclaration de Barcelone
ces quelques slogans dessinent tant que celles-ci aient recours au (2002), qui préconise l’apprentis-
en pointillés une politique des langage comme mode d’expression, sage de deux langues étrangères,
comme c’est le cas pour les textes en plus de la langue maternelle.
langues. Dans cette livraison, de la littérature ou de la pensée, les La traduction mérite en revanche
il revient (dans le prolongement œuvres audiovisuelles, théâtrales un effort particulier, dans la me-
de son propos précédent) sur ou lyriques) de disposer de compé- sure où elle peut être considérée,
la traduction, à laquelle le FDLM tences linguistiques partagées, au non pas comme une alternative à
moins « réceptives » (parler ou, au la connaissance des langues, mais
avait consacré un dossier minimum, comprendre la langue comme un moyen supplémentaire
dans son numéro 386 du partenaire). de développer la compréhension et
de mars-avril 2013. Mais quand on n’en dispose pas, on l’échange, ne serait-ce qu’en raison
peut aussi accéder au sens grâce à de l’impossibilité, pour un individu,
la traduction, sous diverses formes de développer des compétences
Xavier North
(traduction proprement dite, inter- actives dans un grand nombre de
prétation, doublage, sous-titrage, langues.

30 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Exercice hyper centrale. Ce risque ne peut l’allemand et le français), elle en
Mais il n’y va pas seulement du être déjoué que par la traduction, concerne en général plus de deux.
dialogue entre les cultures. De la qui permet, sinon de renverser les Elle a certes un coût, mais ce coût
traduction, on a souvent une vision rapports de force, du moins de le est sans commune mesure avec les
réductrice, et purement instru- corriger. C’est pourquoi elle est coûts sociaux, politiques et cultu-
mentale, comme si elle se limitait à pour nous aujourd’hui la clé de rels de l’imposition d’une langue
faire passer des significations d’une voûte d’une politique de la langue unique.
langue à l’autre. Or elle a aussi une ou plutôt des rapports entre les C’est pourquoi l’Union européenne
autre fonction, trop souvent mécon- langues. serait bien inspirée d’imprimer à
nue, qui est de maintenir la langue ses politiques en faveur du multi-
de départ, la langue source, « en état « Erasmus des idées » linguisme un tournant décisif, en
d’exercice ». Le rapport de forces Depuis l’origine, la construction donnant une cohérence d’ensemble
entre les langues est tel aujourd’hui européenne s’est assignée pour à des aides que leur dispersion ac-
que si les chercheurs français, par mission de faire circuler les biens, tuelle dans plusieurs programmes
exemple, n’ont pas l’assurance, les marchandises et les capitaux européens rend difficilement li-
grâce à la traduction, d’être com- (marché unique) puis les personnes sibles. Un « Erasmus des idées », qui
pris d’un lectorat non francophone, (programmes de mobilité) à l’inté- prendrait la forme d’un vaste plan
ils renonceront à terme à publier et rieur d’un espace dont les frontières de soutien à la traduction, trouve-
plus généralement à « penser » en sont progressivement tombées. Il rait sans doute un large écho en Eu-
français – c’est-à-dire à produire est paradoxal que l’Union ne se soit rope : si les partenaires de l’Union
des concepts dans notre langue. Le pas donné la même ambition dans sont par définition favorables au dé-
maintien d’une pensée française le domaine des idées, des savoirs ou veloppement des échanges, aucun
dans les sciences humaines et so- des expressions culturelles et artis- des Etats membres n’est insensible
ciales n’est donc pas seulement tiques, en les faisant circuler d’une à la préservation de sa langue, au
un enjeu majeur pour l’influence langue à l’autre par d’ambitieux maintien de son influence, à son
française dans le monde, mais aussi projets d’aide à la traduction. Plus rôle dans l’exercice de la citoyen-
pour l’emploi du français en France que sur les différents « secteurs » de neté, à sa capacité à exprimer les
même, dans un secteur crucial pour la culture, qui relèvent de la respon- réalités du monde contemporain.
la vie intellectuelle et culturelle de sabilité des États, c’est sur les mo- Sans une politique de la langue
notre pays – et la remarque vaut à dalités de l’échange, en effet, que ou des langues, qui permette à la
l’évidence pour toutes les langues l’Union européenne est en droit fois de préserver les identités lin-
productrices de savoir, de culture, d’intervenir à l’échelon supranatio- guistiques et de favoriser leur ren-
ou de « pensée ». À vrai dire, quelle nal, sans pour autant contrevenir contre, leur confrontation, leur
langue ne l’est pas ? au principe de subsidiarité : par dé- compréhension réciproque, leur
De ce point de vue, il est faux de dire finition, la traduction ne concerne évolution, bref leur coexistence,
que la traduction est ce qui permet jamais un seul État, et lorsqu’elle une langue unique pourrait bien
de s’affranchir de la différence des implique une des langues par- finir par s’imposer. Et le défi qui
langues : c’est au contraire ce qui lées par le plus grand nombre de est le nôtre est aujourd’hui de sus-
la fait vivre. En permettant à la fois locuteurs en Europe (l’anglais, citer un effort collectif pour orga-
de préserver les langues dans leur niser la diversité, c’est-à-dire pour
fonctionnalité et, par définition, de En permettant à la fois de permettre le passage d’une langue
faire passer des idées d’une langue à l’autre tout en préservant leur
à l’autre, la traduction joue ainsi un préserver les langues dans fonctionnalité, ce qui implique de
rôle fondamental pour préserver la leur fonctionnalité et, par substituer à un régime « vertical »
diversité culturelle et linguistique définition, de faire passer de tête à tête de chacune de nos lan-
tout en favorisant les échanges, et gues nationales avec l’anglais (par
chacun comprend pourquoi : dans
des idées d’une langue ailleurs évidemment indispensable
un monde où toutes les langues à l’autre, la traduction pour nos relations avec le monde
sont (et seront de plus en plus) en joue un rôle fondamental anglo-saxon) un régime « horizon-
contact avec toutes les langues, le pour préserver la diversité tal » de passerelles ou de réseaux
risque est grand, pour les langues tissés entre le plus grand nombre
de moindre diffusion d’être écra- culturelle et linguistique possible de langues, y compris bien
sées par les langues centrales, les tout en favorisant sûr l’anglais. Ce régime a un nom :
langues centrales par la langue les échanges c’est la traduction.Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 31


initiative

Les Américains ont leur Par Jean-Benoît Nadeau


Un autre
naire de l’anglais américain – avec à utiliser des ouvrages de référence

C
dictionnaire depuis 1828. des exemples d’auteurs ou de textes qui ne décrivent pas sa réalité ou qui
ela s’appelle Usito, québécois, et aussi des exemples lit- la présentent comme secondaire. »
Les Latino-Américains et il s’agit du premier téraires français. Le hockey est un cas célèbre. Le
et les Brésiliens ont les dictionnaire complet Hiver, fleuve, chemin sont des mots dictionnaire Le Robert fait d’abord
leurs depuis le XIXe siècle. Il du français vu d’Amé- universels au français, mais qui ont état du hockey sur gazon (qui ne se
rique. Lancé en mars un sens et un emploi différent en pratique presque pas en Amérique).
aura fallu attendre 2013 2013, il compte déjà 400 000 abon- France et au Québec. D’autres sont Quant au hockey sur glace, les dic-
pour que les Québécois nés en ligne. Usito n’est ni un diction- particuliers au Québec. Abri d’auto tionnaires européens expliquent
fassent de même. naire du joual (l’argot québécois), (abri voiture), inhalothérapie (thé- que cela se joue avec une crosse et
ni un cabinet de curiosités orales rapie respiratoire), truite mouchetée, un palet. Sauf que les Québécois
québécoises, mais un véritable dic- deux par quatre (colombage), pe- frappent la rondelle avec un bâton.
tionnaire qui décrit en 60 000 mots tites créances (un type de tribunal), Si vous cherchez Cour suprême
et 100 000 définitions la réalité de téléroman (un feuilleton télévisé), dans Le Robert, même problème.
l’usage du français tel qu’il s’écrit en poutine (un plat à base de frites), À cour, il est question de cour plé-
Amérique du Nord. Dans le monde pitoune (grume), traversier (ferry) nière, cour des aides, cour d’assises,
francophone, Usito marque une ou croche (qui n’est pas droit), cela cour de cassation, cour des comptes
première : c’est la première fois que n’existe pas ailleurs en francophonie et autre Haute cour de justice de la
la langue française est décrite d’un alors que n’importe quel lecteur de République – qui ne correspondent
point de vue non européen. nouvelles de Radio-Canada les em- strictement à rien en Amérique du
« On ne peut plus vivre avec l’illu- ploie couramment. Nord. Il faut aller au mot suprême,
sion qu’il n’y a qu’une seule forme de qui parle d’une Cour suprême « aux
français. C’est périmé, il faut ouvrir Les mots pour se dire États-Unis » – juste avant le suprême
les fenêtres, dit Alain Rey, le père du On ne peut pas reprocher aux Fran- de volaille. Pareil pour le merle : Le
Robert, qui faisait partie du comité çais de faire des dictionnaires pour Robert décrit un oiseau au plumage
scientifique. C’est très fort, les mots, eux-mêmes, mais on peut s’étonner généralement noir alors que les
dans la représentation que nous avons qu’il ait fallu tant de temps pour que
de nous-mêmes. Une simple liste des l’on s’avise de faire un dictionnaire « On mesure mal, en France,
canadianismes de bon aloi ne suffit adapté au réel d’Amérique du Nord. l’angoisse qu’éprouve
pas. Il faut un dictionnaire général. » « Ce sera un antidote à l’insécurité
Combien de québécismes dans langagière et à la diglossie, dit la pro- un francophone à utiliser
Usito ? C’est mal poser la question, fesseure Hélène Cajolet-Laganière, des ouvrages de référence
car toutes les définitions sont tra- de l’Université de Sherbrooke et di- qui ne décrivent pas
vaillées pour en ressortir l’usage rectrice éditoriale du dictionnaire
Les professeurs Hélène Cajolet-Laganière,
nord-américain – de la même ma- Usito. On mesure mal, en France,
sa réalité ou qui la pré-
Chantal-Édith Masson et Louis Mercier qui ont
œuvré à la réalisation d’Usito. nière que le Webster est un diction- l’angoisse qu’éprouve un francophone sentent comme secondaire »

32 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


« bon usage »
merles d’Amérique ont le plumage comme tels. La définition de bleuet en Vers un dictionnaire francophone ? Est-ce à dire que l’on peut rêver d’un
généralement roux et gris. « Ces la- tant que fleur est présentée comme Avant d’envisager une seconde vrai dictionnaire panfrancophone,
cunes ont pour effet de faire douter les un usage français – au Québec, c’est édition à partir d’un nouvel échan- comme celui que la Real Academia
locuteurs d’eux-mêmes et de ce qu’ils un fruit qui s’apparente à la myrtille. tillon de textes, les chercheurs de Española a créé pour l’espagnol en
ont appris », dit Hélène Cajolet-La- Les concepteurs d’Usito ont réussi à l’Université de Sherbrooke tra- 2000 ? « On peut rêver, mais on n’en
ganière, qui s’est d’abord distinguée surmonter plusieurs difficultés qui vaillent à intégrer d’autres fonc- est pas là. Comme nous avons déjà
en 1996 en publiant Le français au ont coulé plusieurs tentatives pré- tionnalités, ce qui est très simple un lexique des acadianismes, des bel-
bureau, il y a plus de 30 ans. cédentes de dictionnaires du fran- du fait qu’Usito est un dictionnaire gicismes et des helvétismes, il nous
çais québécois. À commencer par dématérialisé qui n’existe pas sur serait très aisé de créer des lexiques
Un projet scientifique le problème des jurons, des angli- papier, mais qui fonctionne par d’arabismes, de berberismes, de sé-
Les linguistes de l’Université de cismes et des marqueurs discursifs abonnement sur le web. Dans la négalismes. Nous avons amorcé des
Sherbrooke, à l’origine du projet, (genre, pis, tu, fa’que, t’sais, ben, première année, l’équipe a pu ajou- discussions sur ce point, dit Hélène
ont travaillé plus de 20 ans sur ce cou’don’), qui ne feront pas partie ter des centaines de mises à jour et Cajolet-Laganière. Quant au dic-
projet qui a coûté plus de 10 millions de la nomenclature puisqu’ils ap- de nouveautés, comme texto, texter tionnaire panfrancophone, c’est en-
de dollars. À partir de 15 000 textes partiennent d’abord au registre oral et toute la famille. Les linguistes core un rêve, quoique la technologie
journalistiques et scientifiques, ils (et souvent très vulgaire), mais qui travaillent également à intégrer la rende possible de créer une très large
ont colligé 52 millions de mots qui seront décrits parmi l’un des 80 ar- phonétique audio et des apports de banque textuelle. Après, c’est une
représentent un échantillon du fran- ticles encyclopédiques. l’étranger. question de moyens… » Q
çais écrit en usage au Québec. Ils ont « L’équipe d’Usito est un peu timide sur
ainsi identifié les 60 000 termes les ce point, mais il faut convenir que les
Présentation du dictionnaire Usito à l’Université de Sherbrooke, 21 mars 2013.
plus fréquents ou les plus utiles. Québécois ont un problème de repré-
L’équipe a ensuite mis dix ans à sentation quant à leur identité, et à
écrire et réécrire les définitions, ce ce qui est acceptable dans la langue »,
qui a impliqué plusieurs centaines admet Alain Rey. « Notre priorité a été
de collaborateurs, en plus de mettre de nous assurer que notre dictionnaire
à contribution l’Université Laval était bien reçu, dit Hélène Cajolet-La-
pour l’étymologie, l’Université du ganière. Avant même les médias, nous
Québec à Montréal pour la pronon- avons appuyé nos efforts de diffusion
ciation, l’Union des écrivains du sur les universités, les cégeps (lycées
Québec pour les biographies et Le québécois) et les langagiers. Mainte-
Trésor de la langue française pour nant, nous passons aux entreprises.
les citations littéraires. Nous développons aussi une coopéra-
Une des particularités d’Usito est de tion avec Azurlingua, à Nice, qui fait
ne pas perdre de vue les usages fran- dans la formation de formateurs et
çais. Ceux-ci sont présents, comme qui est très intéressée par notre pers-
cramer (brûler), mais signalés pective non européenne. »

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 33


zoom

Un parcours de « soldat du FLE »


et la chance de travailler dans
plus d’une trentaine d’écoles,
de l’école primaire à la faculté
ou même l’entreprise, avec des
effectifs très variés :
Théo Karoumenos possède
une solide expérience de
l’hétérogénéité. Témoignage.

Éloge de
l’hétérogénéité
D
Par Théo Karoumenos résoudre le mieux possible ces deux cun, tout en travaillant à la construc-
énigmes qui sont les grands effectifs tion du groupe-classe, fait valoir sa
eux questions me et le décrochage (actif ou passif) que différence et surtout reconnaît celle
trottaient dans la cela peut engendrer. En gros, il était des autres comme une valeur dont
tête depuis le début temps de tenter de gérer de façon po- il pourrait tout aussi bien s’inspirer.
de mon parcours  : sitive, grâce à diverses nouvelles ap- Une fois que l’on admet que l’hétéro-
Théo Karoumenos est comment gérer des proches et exercices, l’hétérogénéité généité des groupes d’apprentissage
enseignant de FLE et grandes classes (même en binôme) de niveau des groupes-classes de telle de langues est un état de fait et qu’il
d’anglais. Il a fondé à Maribor, en faisant en sorte que le maximum sorte que le maximum d’élèves, quel faut composer avec, il nous reste à
en Slovénie, sa propre école de personnes y trouve linguistique- que soit le niveau de connaissance reconnaître que, tout en respectant
de langues à but non lucratif ment son compte ? Et comment faire et de confiance à l’origine, puisse certains critères précis (notamment
(www.thezlatihrcek.com). en sorte qu’un public réellement in- s’épanouir non malgré la grande comportementaux), il n’y a pas de
Il est notamment l’auteur téressé et au départ même résolu, taille de ces groupes-classes mais bonnes ou mauvaises façons d’ap-
d’Enseignant à l’étranger assez nombreux dans des cours grâce à celle-ci. prendre une langue. Nous pouvons
(éd. Chronique sociale). hors cadre scolaire, ne s’amenuise Cette expérience de l’hétérogénéité même aller jusqu’à écrire qu’il n’y a
inexorablement au fil du temps et dans un groupe-classe d’apprentis- pas de bons ni de mauvais élèves. Il
des aléas de la vie personnelle de sage de langues, postule clairement n’y a, en réalité, que des différences
chacun ? que l’hétérogénéité des niveaux, et d’approches de l’objet d’apprentis-
a fortiori dans des grands groupes, sage qui est ici la langue étrangère.
Un objectif : l’épanouissement est une bonne chose et qu’il faut non
linguistique des élèves pas s’en éloigner en faisant toujours Principes d’une bonne gestion de
À travers cette expérience nouvelle, plus de mini-groupes et de sépara- l’hétérogénéité
complètement hors piste, qui était tions, mais la voir avant tout comme Et la gestion de l’hétérogénéité du
un cours autonome de français à un vivier de talents, de personnalités groupe-classe consiste pour l’ensei-
l’université de biologie de Zagreb, et d’approches dans l’apprentissage. gnant avant tout à mettre en place
en Croatie, mes mains étaient enfin Bref, comme une « micro-société », le maximum de leviers pour que le
Avec les collègues de l’école de Zagreb. entièrement libres pour tenter de un tout harmonieux et riche, où cha- plus grand nombre de types d’appre-

34 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Travailler l’hétérogénéité
Travailler l’hétérogénéité, c’est mettre
en place le maximum de leviers pour
que le plus grand nombre de types d’ap-
prenants puisse être tour à tour dans
la position de « formé et formateur ».
Le livre, qui prône une gestion positive
du groupe-classe hétérogène, propose
douze leviers qui jouent tout à la fois sur
une variété de conceptions de cadres
d’activité et sur l’adéquation entre tel
moment, telle organisation et telle acti-
vité. Avec pour objectif de permettre au
plus grand nombre (si ce n’est à tous)
de prendre ou reprendre confiance dans
l’apprentissage effectif de la langue.
36 activités où toutes les compé-
tences du CECR sont représentées
permettront au lecteur de puiser dans
ces ressources selon ses besoins pour
peu que, comme l’auteur, il considère
l’hétérogénéité comme une chance.Q
Théo Karoumenos, Travailler
l’hétérogénéité, Coll. Pédagogie/
formation, Éd. Chronique sociale.

Ateliers de l’école de langues fondée par Théo Karoumenos, « Zlati Hreck » (Le Hamster doré), à Maribor.

nants puissent trouver son compte, uniformisés » tout comme « orga- et mots) nouveaux et la production/
c’est-à-dire être dans une position nisateurs gérants », tout cela pour (ré)appropriation d’éléments fra-
où il peut tour à tour être « formé le bon déroulement de l’activité et giles ou difficiles. Tout comme pour
et formateur » comme dirait Bache- l’épanouissement de tous à un mo- l’organisation, c’est dans une variété
lard. Avec deux idées-forces pour ment donné. bien dosée entre retours sur des élé-
créer les conditions de bonne ges- Cette variété d’organisations ins- ments acquis et acquisition d’élé-
tion du groupe hétérogène : l’orga- taure des rituels, ce qui peut pa- ments nouveaux pour tous que les
nisation et les idées pédagogiques. raître surprenant au départ. Les circonstances pour gérer l’hétéro-
Première idée-force : l’organisation, bons changements d’organisation généité des niveaux seront les plus
à savoir le contenant. En effet, la de groupe, assez fréquents sans optimales. Il n’est pas impossible en
gestion positive de l’hétérogénéité pour autant être trop nombreux, effet de voir des élèves avancés avoir
du groupe-classe passe par une va- constituent des repères intégratifs plus de difficultés à gérer la nou-
riété de conceptions de cadres d’ac- et émancipateurs essentiels dans veauté qu’un élève « décrocheur »,
tivité. Passer d’une organisation à la gestion positive du groupe de ni- tout comme de voir ce dernier se ré-
une autre, c’est donner aux élèves et veau hétérogène. approprier des éléments de langue
à l’enseignant toute une variété de Deuxième idée-force : les idées pé- jugés infranchissables, peut-être
rôles autour d’un même objet d’ap- dagogiques, à savoir le contenu. plus facilement que les élèves avan-
prentissage. Une hétérogénéité des Ces activités peuvent se distinguer cés auparavant. Tant il est vrai que
publics à gérer passe par une hété- sous deux angles : la production/ le retour au savoir, la réintégra-
rogénéité des casquettes à porter. appropriation d’éléments (phrases tion dynamique des élèves moins
Ainsi le professeur peut passer de avancés dans le groupe-classe, la
coach (rythme sportif, contrainte Il n’y a, en réalité, que des reconstruction progressive de la
temps-espace, fondamentaux) confiance en soi passent d’abord
à accompagnateur (déclinaison, différences d’approches de et avant tout dans l’apprentissage
entraide, défi collectif). De par la l’objet d’apprentissage qui des langues par la production des
même distinction d’activités, les éléments les plus simples qui sont
élèves peuvent être « exécutants est ici la langue étrangère la phrase et le mot. Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 35


expérience

Quelques exemples illustrant la diversité de la chanson française contemporaine, qui peut servir
idéalement de support de cours pour un apprentissage plaisant du français.

Chanson francophone 
Un apprentissage de la diver
Adopter des modèles

D
Par Lídia Marques Transformer donnent lieu à des interactions di-
versifiées. L’enseignant est lui aussi
d’intervention ans l’apprentis-
l’apprentissage en plaisir
L’utilisation de la chanson en classe gagnant, puisque la chanson va lui
didactiques, orientés sage d’une langue de FLE constitue ici un véritable permettre de mettre en place des
vers la pédagogie vivante, les pro- atout et offre une bonne chance de démarches innovantes, à tous les
positions métho- transformer l’apprentissage en plai- niveaux d’apprentissage.
interculturelle, dologiques et les sir. Avec la chanson, il est plus aisé
participative et ressources à utiliser doivent tenir d’introduire l’interculturel en cours Une ouverture sur le monde
interactive. La preuve compte des (nouvelles) réalités et de resserrer ainsi le lien entre la La chanson française contempo-
par la chanson. sociales des jeunes, notamment langue et sa culture. De plus, elle raine est à l’image de la société
pour nous, Européens  : réalités aide à combler les lacunes s’agis- française : un mélange de couleurs,
pluralistes, multiculturelles, carac- sant des connaissances sociocultu- de cultures et de rythmes. Que de
térisées par une grande diversité relles sur la France et les Français, visages différents, que de noms
linguistique et raciale qui ne peut tout en soulignant l’actualité et la venus d’ailleurs, que de styles musi-
pas être ignorée en salle de classe. modernité du pays et de la langue. caux aux noms parfois quelque peu
Les apprenants doivent prendre Par là, elle permet de faire tomber étranges ! À côté de noms à conso-
conscience de l’utilité de ce qu’ils bien des stéréotypes et des préjugés nance française (Jean-Louis Murat,
apprennent en classe : d’où la né- des élèves. Francis Cabrel, Alain Souchon,
cessite d’un cours de FLE qui se pré- La chanson, en tant qu’instru- Bénabar, Florent Pagny, Vincent
sente comme un espace perméable ment pédagogique, permet aussi Delerm…), on trouve des noms
à l’actualité, amenant les élèves à de diversifier les pratiques com- d’autres origines comme Faudel,
s’exprimer, à établir des échanges, municatives, faisant en sorte que Khaled, Tété, Nâdiya, Zebda, Passi,
à comprendre. Il nous revient de les élèves se prêtent à des tâches Kassav qui attestent ainsi d’une
Lídia Marques est faire en sorte qu’ils établissent un naturelles comme répondre à des mixité culturelle qui se projette
professeure de FLE rapport affectif avec la langue qu’ils questions, prendre position, réali- aussi dans la variété linguistique
à l’Escola Secundária do apprennent : c’est par cette voie af- ser des activités de réécriture ou de que l’on trouve dans les paroles des
Dr. Manuel Laranjeira, fective que l’enseignant pourra pro- création, ou à des tâches simulées chansons. Les styles musicaux aussi
à Espinho (Portugal). voquer un changement d’attitude comme la participation à des simu- se sont enrichis et font preuve d’ori-
par rapport à l’apprentissage. lations ou à des jeux de rôles qui ginalité, aussi bien dans les sym-

36 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


sité culturelle et linguistique
que l’on sème  ». Faudel, dans la mec. » Sniper, lui, dénonce les pro- La chanson « Paris », interprétée
L’utilisation de la chanson « Dis-moi », place côte à blèmes sociaux dans 35 Heures de par Marc Lavoine et Souad Massi,
chanson en classe de FLE côte l’arabe et le français : « Dis-moi, cette façon : « Taffer, pour ma sécu jeune chanteuse algérienne, mérite
quel espoir a-t-on dans cette vie / Dis- faut qu’j’cotise / Taffer, pour ta so- d’être écoutée avec attention. Les
constitue ici un véritable moi, qui mêhédir pour comprendre ciété ou ton biz / Taffer, a chaque fin premiers accords de ce qui nous
atout et offre une bonne tout ça / Dis-moi, qui mêhédir elfim de mois c’est la crise ». Kool Shen, semble être une mandoline nous
chance de transformer koulchi / Si tu n’as pas compris l’ancien de NTM, critique ainsi les laissent penser qu’il va s’agir d’une
que la vie est un défi / Pour nous les médias : « Parce que d’toute façon mélodie italienne. Puis arrive un
l’apprentissage en plaisir jours se ressemblent / La souffrance maint’nant l’info ils t’la font tous tam-tam et nous imaginons alors
nous fait survivre ensemble ». Yan- façon fashion / Ouais façon kainri une chanson arabe. Quelle surprise
bioses musicales obtenues que dans nick Noah, quant à lui, chante  : « time for some action » / Ça parle quand nous écoutons les premières
les noms qui les désignent : French « Ose (okisé séki now, now, now, de gang ou bien d’traffic dès qu’entre paroles ! Il s’agit, en fait d’une chan-
R’n’B, raï, Raï’n’B, zouk, groove, rap, now....) / Ose (okisé séki now, now, quatre jeunes / Y a une embrouille / son sur Paris qui présente tous les
hip-hop, French reggae, etc. Le zouk now, now....) / Redonne à ta vie / Sa T’as catché l’vice fils ? / Ouais pour clichés de la capitale (cafés, monu-
illustre la joie de vivre sous le soleil vraie valeur ». Enfin, la chanson de qu’leur biz glisse ». ments, Seine, références littéraires,
des Antilles françaises. Jocelyne La- Magic System & Mohamed Lamine, Curieux mélange que celui qui fait etc.). L’ensemble montre combien
bylle, Kassav et Dis l’Heure 2 Zouk « Un Gaou à Oran » mêle le français, naître une variété linguistique inat- la Ville Lumière est devenue le lieu
ont suivi les pas de la Compagnie l’arabe, une langue africaine et l’an- tendue qui parfois peut dérouter. d’un profond métissage culturel où
Créole… glais. Époustouflant ! Pensons à nous, enseignants de les références européennes côtoient
Aujourd’hui, certaines chansons Cette réflexion serait incomplète français, éparpillés sur tous les conti- les influences orientales, africaines
marient la langue de Voltaire à si elle ne tenait pas compte de tous nents, qui bien souvent nous heur- et tant d’autres.
l’arabe, à l’afrikaans, au créole, etc. les apports des langages des jeunes, tons à cette barrière lexicale. Rassu- À Michel Boiron, qui défend depuis
Quelques exemples : issus des banlieues (verlan, veul, rez-vous, le site www.freelang.com toujours l’utilisation de la chanson
Dans sa chanson «  L’Orphelin  », emprunts à des langues étrangères) propose un service gratuit d’aide à en classe, le mot de la fin : « La chan-
Willy Denzey chante : « Ma ktoubch et que l’on retrouve si souvent dans la traduction, avec des traducteurs son est support d’expression écrite
chi mara ti khalik tsoufri / Mes frères, les chansons de rap ou de hip-hop. bénévoles pour toutes les langues. et orale, déclencheur d’activités et
gardons l’espoir et la force d’y croire / Diam’s, la rappeuse lauréate aux Visite obligatoire, donc, quand un point de départ d’une ouverture sur
Ma ktoubch chi mara ti khalik tsoufri Victoires de la Musique, chante : couplet est dans une langue que le monde… Le plaisir de l’écoute reste
/ Pour la paix dans le monde l’amour « Laisse-moi kiffer la vibe avec mon nous ne comprenons pas. une priorité. » Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 37


savoir-faire

Faire ses gammes


avec des « si »
Le mot si en français est

O
Par Michèle Freland-Ricard et des verbes. En revanche, on note que si n’est
un terme polysémique pas permutable avec tant, avec lequel il semble
n constate que si se retrouve dans en distribution complémentaire mais avec une
avec de nombreuses de nombreuses situations, ce qui légère différence de sens. Si donne un caractère
acceptions de nature pose de multiples problèmes aux intensif à l’adjectif et à l’adverbe, alors que tant
très différentes. apprenants, à la fois dans la tra- donne un caractère quantitatif au nom et au
duction du mot si lui-même et verbe et tellement donne à la fois un caractère
Il peut être nom dans l’utilisation des temps des verbes qui l’ac- intensif et quantitatif au nom, à l’adjectif, à l’ad-
masculin (note de compagnent. Le si semble se comporter comme verbe et au verbe.
musique), adverbe ou un intrus dans les structures grammaticales, où
Si Tant Tellement Trop Assez Peu
conjonction, il peut il représente toujours un cas à part. Examinons
tant de Tellement Trop de Assez de Peu de
les divers cas. Nom
exprimer la condition, travail de travail
Tellement
travail
Trop
travail
Assez
travail

la conséquence, Si = affirmation
Adjectifs si fatigué
fatigué fatigué fatigué
Peu fatigué
Tellement (un) peu
l’opposition et la Nous observons que la distribution est similaire Adverbes si rare
rare
Trop rare Assez rare
rare
pour la réponse négative. Dans le cas de la ré-
comparaison. ponse positive, la réponse si vient perturber la
Verbes
J’ai tant
fumé
J’ai tellement
fumé
J’ai trop
travaillé
J’ai assez
travaillé
J’ai peu
travaillé
distribution. La réponse naturelle sera oui et non
pas si, ce qui entraînera une incompréhension de légère différence de sens. Si donne un caractère
la part de l’interlocuteur. intensif à l’adjectif et à l’adverbe, alors que tant
donne un caractère quantitatif au nom et au
Réponse positive Réponse négative verbe et tellement donne à la fois un caractère
Question positive : intensif et quantitatif au nom, à l’adjectif, à l’ad-
« Fumes-tu ? » Oui Non verbe et au verbe.
Question négative : Cette subtile différence entre si, tant et tellement est
« Ne fumes-tu pas ? » Si Non d’une acquisition complexe. Il n’est pas rare d’en-
tendre : *Je suis tant fatigué ou *Il est tant étrange.
Si = quantitatif
Michèle Freland-Ricard est Si est un adverbe quantitatif au même titre que Si = Condition
formatrice FLE et phonétique. trop, tellement, assez, peu, avec lesquels il est per- Si est une conjonction de subordination expri-
Elle a travaillé à l’université mutable comme dans les exemples suivants : « il mant la condition au même titre que au cas où, à
d’Aix-en-Provence avec des est si intelligent, il est trop intelligent, il est telle- condition que ou dans la mesure où pour n’en citer
étudiants étrangers et comme ment intelligent, il est assez intelligent, il est peu que quelques-unes. Alors que ces conjonctions
directrice en Alliances fran- intelligent. » régissent le mode du verbe qui suit la conjonc-
çaises et Instituts français à Néanmoins, il existe des différences entre les tion (indicatif, subjonctif ou conditionnel), la
l’étranger (Madrid, Pérou et quantitatifs. Si fonctionne comme tellement, trop, conjonction de subordination si est la seule
Mexique). Elle poursuit au- assez et peu mais s’oppose cependant à eux par conjonction qui implique une concordance de
jourd’hui, bénévolement, sa distribution. Si n’accepte d’être suivi que par temps dans la phrase principale.
un travail de formatrice au des adjectifs et des adverbes alors que les autres Exemples : « Dans la mesure où il viendra, tu lui
sein d’institutions à l’étranger. conjonctions acceptent également des noms parleras. À condition qu’il vienne, tu lui parle-

38 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


ras. Au cas où il viendrait, tu lui parleras. » Mais
on dira : « S’il vient, tu lui parleras. S’il venait, tu
lui parlerais. »
Il convient donc de s’interroger sur le choix des
modes et des temps mais aussi sur la chronologie
de ces différents temps. On parle alors de concor-
dance des temps, mécanisme tant redouté par les
apprenants, peut-être à juste raison !

Ces changements de temps sont explicités


dans le tableau suivant :

Français Temps de la phrase Temps de la phrase Exemples


avec si principale
Présent indicatif Si tu veux, tu peux venir
Présent
Si tu veux, viens me voir
Réalité Impératif
Si tu veux, nous irons au cinéma Si = suggestion
Passé composé
Futur
Si tu as étudié tu seras reçue Dans le cas d’une suggestion, le temps utilisé est
Possibilité Imparfait indicatif Conditionnel présent Si tu voulais, nous irions au cinéma l’imparfait : « Et si on allait au cinéma ? »
Possibilité
Plus-que-parfait
Conditionnel présent
Si tu étais déjà allé à Paris, tu Si l’on considère que l’action est future, il est dif-
indicatif comprendrais ce que je veux dire
ficile de faire acquérir une structure comportant
Plus-que-parfait Si tu avais voulu, nous aurions
Impossibilité
indicatif
Conditionnel passé
pu aller au cinéma Si = Interrogation Indirecte un imparfait en français et l’on entend souvent
L’interrogation indirecte se caractérise par l’em- *Et si on irait au cinéma ?
Les phrases avec si ne sont jamais au futur ploi d’une phrase introductrice comme il de-
ou au conditionnel. Les constructions avec si mande que, il dit que au présent, ou il demandait Si = restriction
servent à indiquer à la fois la simultanéité ou que ou il disait que au passé. Dans ce cas l’adverbe, si est interchangeable avec
la postériorité mais également l’antériorité et aussi, sans toutefois utiliser la même structure,
donc l’impossibilité de l’action en cours. Style Direct Style Indirect puisque avec aussi on doit faire une inversion qui
Ces multiples implications contenues dans les Interrogations Qu’est-ce que tu fais ? Demander ce que n’est pas obligatoire avec si.
constructions en si de condition sont d’un abord Questions
Est-ce que tu viens ?
Viens-tu ? Tu viens ?
Demander SI
Phrases commençant par aussi Phrases commençant par si
difficile pour les apprenants à cause des chan-
gements de temps à opérer. Mais l’obligation de L’interrogation indirecte est introduite par si en Inversion + subjonctif
+ adjectif Aussi intelligent soit-il, il rate
Inversion possible + subjonctif
Si intelligent soit-il, il a raté l’examen
mettre un imparfait dans une phrase impliquant français uniquement lorsque le style direct est l’examen Si intelligent qu’il soit, il a raté l’examen
une action possible dans le futur est certainement une question totale (par opposition aux interro- pas inversion + subjonctif pas inversion + subjonctif
+ adjectif
ce qui leur paraît le plus illogique. Une erreur fré- gations introduites par un mot interrogatif). + que
Aussi grande qu’elle paraisse Si grande qu’elle paraisse elle est
elle est seulement en primaire seulement en primaire
quente consiste donc à utiliser le conditionnel « Peux-tu venir ? » Î « Je me demande (présent)
après si dans la subordonnée exprimant la condi- si tu peux venir » ; « Je me demandais (passé) si tu À travers ces six cas et leurs exemples, on perçoit
tion, par exemple : *Je viendrais si tu voudrais. pourrais venir ». que le maniement des temps des verbes qui ac-
Si le verbe introducteur est au passé, il faut opérer compagnent si, adverbe ou conjonction, n’a rien
des changements de temps et l’on constate que la d’aisé pour des non-natifs. Seule une pratique
construction d’interrogation indirecte introduite régulière permet d’acquérir les mécanismes et
par si accepte le futur ainsi que le conditionnel, d’atteindre des concordances de temps correctes.
ou le conditionnel passé pour le verbe qui le suit : Par expérience, nous savons que les apprenants
« Viendra-t-elle ? » Î « On se demande si elle vien- ne retiennent pas les concordances de temps par
dra » ; « On se demandait si elle pourrait venir », « des exercices écrits répétitifs. Il faut les accom-
On se demandait si elle aurait pu venir ». pagner dans la découverte et l’utilisation des
Ceci entraîne de nombreuses confusions de concordances de temps à travers des activités lu-
temps avec le si de condition que nous venons diques, jeux, chansons ou activités théâtrales. Un
de voir et qu’il est impossible de faire suivre d’un simple jeu de l’oie tel qu’il est présenté en page 75
conditionnel. permet, par un biais ludique, l’utilisation du fonc-
tionnement des concordances de temps. « Ah ! si
En savoir plus seulement le français était plus facile », diront les
Voir la fiche correspondante étudiants. Mais avec des si, on mettrait Paris en
en page 75 de ce numéro B1 bouteille !Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 39


documents

3ÌDBQJUVMBUJGEFTEPDVNFOUTTP
Reportages audio et transcriptions disponibles pour les abonnés à la revue papier sur www.fdlm.org

Actualité t-BMJBT3BQIBÎMF+VJO Éducation


t-F[BQQJOHEFNBJKVJOMF'FTUJWBMEF$BOOFT t-BDIBOTPOGSBODPQIPOFTVSMFTSBEJPT"WSJM t6OFjƃÌWFJMMFVTFEÌDSJUVSFƃx.BJ
VOFTVSWFJMMBODFBDDSVFEVCBDDBMBVSÌBUMFT+FVYPMZN- t'MPSFOU.BSDIFU+BOWJFS t-FTDBIJFSTEFWBDBODFT/PWFNCSF
QJRVFT+VJMMFU t;B[0DUPCSF t-FTÌMÏWFTjƃEÌDSPDIFVSTƃx.BJ
t-F[BQQJOHEFNBJTQÌDJBMQSÌTJEFOUJFMMF.BJ t$BSNFO.BSJB7FHB.BJ t-BGFSNFUVSFEVOFÌDPMFSVSBMF4FQUFNCSF
2012 t)PNNBHFÈ+FBO'FSSBU.BST t4FQSÌQBSFSBVYÌQSFVWFTEFGSBOËBJTEVCBD+VJMMFU
t-F[BQQJOHEFGÌWSJFSEFSOJÏSFMJNJUFQPVSÌDIBOHFS t%FTNBOVFMTTDPMBJSFTOVNÌSJRVFT'ÌWSJFS
TFTWJFVYGSBODTVOBQQFMBVTFDPVSTQPVSMBWJMMFEF)PNT Écologie, environnement, agriculture t-BSFOUSÌFÈMÌDPMFNBUFSOFMMF4FQUFNCSF
FO4ZSJFMFUSJPNQIFEVmMNThe Artist.BST t2VÌCFDMFWJOEFHMBDF0DUPCSF t-BTVQQSFTTJPOEFQPTUFTEFOTFJHOBOUT"WSJM
t-F[BQQJOHEFKBOWJFSMB-ÌHJPOEIPOOFVSEPOOÌF t1BSPMFTEFOGBOUTMFNBORVFEFBV+VJO t-BUÍUFFUMFTKBNCFT PVVOFFYQÌSJFODFEFOPVWFBVY
È"VOH4BO4VV,ZJEFVYQBOEBTHÌBOUTQSÍUÌTQBSMB t2VÌCFDMFTJSPQEÌSBCMF.BJ SZUINFTTDPMBJSFT4FQUFNCSF
$IJOFMFmMNThe Artist'ÌWSJFS t4BMPOEFMBHSJDVMUVSFMBQMVTCFMMFWBDIFEV4BMPO t-FTSZUINFTTDPMBJSFT"WSJM
t-F[BQQJOHEPDUPCSFOPWFNCSFVOFOPVWFMMF "WSJM
GPSNFEÌQVJTFNFOUDIF[MFTFOTFJHOBOUTMFSBKFVOJT- t2VÌCFDNÌUÌP MFGBDUFVSWFOU"WSJM Francophonie
TFNFOUEFTDFMMVMFTMFQSJY(PODPVSUBUUSJCVÌÈ"MFYJT t%FTjƃDPOUJOFOUTƃxEFEÌDIFUTQMBTUJRVFTEBOTMFTPDÌBOT t3PLJB5SBPSÌ VOFHSBOEFWPJYEV.BMJ/PWFNCSF
+FOOJ/PWFNCSF 'ÌWSJFS t3ÌQVCMJRVFEÌNPDSBUJRVFEV$POHPMFTFOGBOUTEFT
t-F[BQQJOHEFTFQUFNCSFPDUPCSFMBDPNNÌNPSB- t-FTQBDFQPVCFMMF0DUPCSF SVFTEF,JOTIBTB+VJMMFU
UJPOEFMBCPMJUJPOEFMBQFJOFEFNPSUMF5(7BV.BSPD t6OFFYQÌSJFODFEFSFDZDMBHFEFTFBVYVTÌFT0DUPCSF t4ÌOÌHBMLa Pirogue VOmMNEF.PVTTB5PVSÌ+BOWJFS
VOTPDJBMJTUFÈMBQSÌTJEFODFEV4ÌOBUMBNPSUEF4UFWF t"MFSUFTÌDIFSFTTFTVSMB'SBODF+VJMMFU 2013
+PCT0DUPCSF t-FT"NBQ BTTPDJBUJPOTQPVSMFNBJOUJFOEVOFBHSJDVM- t#FMHJRVFVOWFOUEFSÌWPMUFBWFDMFDIBOUFVSCFMHF"SOP
t-F[BQQJOHEFMÌUÌMBTÌDIFSFTTFEBOTMB$PSOFEF UVSFQBZTBOOF.BJ /PWFNCSF
M"GSJRVFVOFjƃSÏHMFEPSƃxQPVSMB[POFFVSPVOKVEPLB t-IJTUPJSFEVQBJO.BJ t2VÌCFDMFWJOEFHMBDF0DUPCSF
GSBOËBJTÈMIPOOFVS4FQUFNCSF t5SFNCMFNFOUEFUFSSFBV+BQPO"WSJM t2VÌCFDMFHSPVQF.POPHSFOBEF+VJMMFU
t-F[BQQJOHEBWSJMNBJIPNNBHFÈ"JNÌ$ÌTBJSF t-FQSFNJFSNBSDIÌBVYCPWJOTEVXFC.BST t-JCBO%PNJOJRVF&EEÌKamal Jann.BJ
MFTEFSOJFSTUSBWBVYEFDPOmOFNFOUÈ5DIFSOPCZMEFT t-BDSJTFEFMÌMFWBHF'ÌWSJFSƃ t2VÌCFDMFTJSPQEÌSBCMF.BJ
RVPUBTEBOTMFGPPUCBMMGSBOËBJTMBNPSUEF#FO-BEFO t-FTQPNNFTEV-JNPVTJO%ÌDFNCSF t2VÌCFDNÌUÌP MFGBDUFVSWFOU"WSJM
.BJ t-FTEÌDIFUTSBEJPBDUJGT%ÌDFNCSF t#FMHJRVFMFDIBOUFVS4USPNBF0DUPCSF
t-F[BQQJOHEFKBOWJFSMFUSFNCMFNFOUEFUFSSFFO t-BWPJUVSFÌMFDUSJRVFBUFMMFVOBWFOJSƃ /PWFNCSF t2VÌCFD'SFE1FMMFSJO DPOUFVSRVÌCÌDPJT%ÌDFNCSF
)BÒUJVOBOBQSÏTMB3ÌWPMVUJPOUVOJTJFOOFWVFEF1BSJT t-FTNPJTTPOTIBVUFUFDIOPMPHJF0DUPCSF t4ÌOÌHBM'BUPV%JPNF-FWJTBHFEFMFNQMPJ UFYUFMV

MBSFQFOUBODFEFMB4/$'QPVSTPOSÖMFEBOTMB4IPBI t-FTOÌPSVSBVY+VJO 4FQUFNCSF
'ÌWSJFS t4IBOHIBJ&YQP.BJ
t-F[BQQJOHEFTFQUFNCSFPDUPCSFMBNPSUEF Langue française
$MBVEF$IBCSPMMBDPOEBNOBUJPOEFMFYUSBEFS+ÌSÖNF Économie t-FTJOTVMUFT0DUPCSF
,FSWJFMHSÏWFNBTTJWFDPOUSFMBSÌGPSNFEFTSFUSBJUFT t)PNNBHFJMZBTPJYBOUFBOT MBQQFMEFMBCCÌ1JFSSF.BJ t4FQSÌQBSFSBVYÌQSFVWFTEFGSBOËBJTEVCBD+VJMMFU
/PWFNCSF 2014 t&YQPMBOHVFTMBMBOHVFGSBOËBJTFÈMIPOOFVS.BST
t-F[BQQJOHEFMÌUÌKVJMMFU EFTUSPVQFTBGSJ- t-PCTPMFTDFODFQSPHSBNNÌF+VJMMFU t1SPWFSCFTBOJNBMJFST/PWFNCSF
DBJOFTEÌmMFOUTVSMFT$IBNQT¯MZTÌFTVOEJTDPVST t-FYJMmTDBMFYQMJRVÌBVYFOGBOUT.BST tMots en toc et formules en tic PVOPTUJDTEFMBOHBHF+VJO
NVTDMÌTVSMBTÌDVSJUÌMFTDIBNQJPOOBUTE&VSPQFEBUI- t-FOPNCSFEFDIÖNFVSTGSBODIJUMBCBSSFEFTNJMMJPOT tjƃ&I WBEPOD FI QIPOBSEƃxƃMFOÌPMPHJTNFEFMBOOÌF
MÌUJTNFMBSFOUSÌFTDPMBJSF4FQUFNCSF /PWFNCSF +BOWJFS
t-F[BQQJOHEFNBJM0. DIBNQJPOEF'SBODFEF t-FDPWPJUVSBHF+VJO t-FTDSBCCMFBBOT4FQUFNCSF
GPPUCBMMMBmOEFMBSFUSBJUFÈBOTMFT$IBNQT¯MZTÌFT t%FTCPÑUJFSTQPVSVOFjƃÌDPDPOEVJUFƃx"WSJM t6OUPVSOPJEFTMBNBVUIÌÆUSFEFM0EÌPO"WSJM
USBOTGPSNÌTFODIBNQHÌBOU+VJO t-F$SÌEJUNVOJDJQBMEF1BSJTPVjƃ.BUBOUFƃx+BOWJFS
t-F[BQQJOHEFNBSTBWSJM4JNPOF7FJMÌMVFÈM"DB- t6OFCBOEFSPMFQPVSSFDSVUFS%ÌDFNCSF Littérature
EÌNJFGSBOËBJTFMBTÌDVSJUÌÈMÌDPMFMBUFNQÍUF9ZOUIJB t-BQPMJUJRVFEFWFOUFJNNPCJMJÏSFEFTCJFOTEFM¯UBU t-FQSJY(PODPVSUEFTMZDÌFOTBUUSJCVÌÈ4PSK$IBMBOEPO
"WSJM +VJMMFU +BOWJFS
t-FT"NBQ BTTPDJBUJPOTQPVSMFNBJOUJFOEVOFBHSJDVM- t.JDSPUSPUUPJSjƃL’ÉtrangerE"MCFSU$BNVTƃx4FQUFNCSF
Chanson UVSFQBZTBOOF.BJ t.JDIBFM&EXBSETÌMVÈM"DBEÌNJFGSBOËBJTF.BJ
t$ISJTUPQIF.BJ t-FQSFNJFSNBSDIÌBVYCPWJOTEVXFC.BST t-FQSJY'FNJOBBUUSJCVÌÈ1BUSJDL%FWJMMF+BOWJFS
t-FDPMMFDUJG'BVWF.BST t-FNÌDÌOBUEFDPNQÌUFODFT.BST t1PÌTJFL’HirondelleEF1IJMJQQF%FMBWFBV UFYUFMV

t¯UJFOOF%BIP+BOWJFS t-BDSJTFEFMÌMFWBHF'ÌWSJFS 4FQUFNCSF
t3PLJB5SBPSÌ VOFHSBOEFWPJYEV.BMJ/PWFNCSF t-BHSPHOFEFTSPVUJFST+VJMMFU t%PNJOJRVF&EEÌKamal Jann.BJ
t%PNJOJRVF"+BOWJFS tjƃ.BUBOUFƃxOFDPOOBÑUQBTMBDSJTF PVMFTQSÍUTTVSHBHF t"V4BMPOEVMJWSFMB+BQPOBJTF3ZPLP4FLJHVDIJ.BJ
t6OWFOUEFSÌWPMUFBWFDMFDIBOUFVSCFMHF"SOP/PWFNCSF +VJO t-F1SJOUFNQTEFTQPÏUFT"WSJM
t2VÌCFDMFHSPVQF.POPHSFOBEF+VJMMFU t4IBOHIBJ&YQP.BJ t7JDUPS)VHPÀ ceux qu’on foule aux pieds UFYUFMV
"WSJM
t$BUIFSJOF3JOHFS+VJO t-BQÌOVSJFEFQPNQJFST"WSJM t-FQSJY(PODPVSUEFTMZDÌFOTBUUSJCVÌÈ$BSPMF.BSUJOF[
t+VMJFUUF(SÌDPVOOPVWFMBMCVN"WSJM t-FT3FTUPTEVD”VS.BST %ÌDFNCSF
t#FMHJRVF4USPNBF0DUPCSF t-FNÌDÌOBUEFOUSFQSJTF.BST t"MFYJT+FOOJ EFSOJFSQSJY(PODPVSU/PWFNCSF

40 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


OPSFTEVFrançais dans le monde
t#SJHJUUF"VCFSUTendres duos UFYUFMV
4FQUFNCSF t-FSFUPVSEVESBQFBVEJTQBSV/PWFNCSF Société
t*SÏOF/ÌNJSPWTLZSuite française UFYUFMV
. "WSJM t6OIBVUMJFVEFMIJTUPJSFTPDJBMFMF'BNJMJTUÏSF4FQUFNCSF t-FORVÍUFjƃ(ÌOÌSBUJPORVPJƃx+VJMMFU
t.JDIFM#VUPSBV1SJOUFNQTEFTQPÏUFT UFYUFTMVT
 t.JDSPUSPUUPJSMFTKPVSOÌFTEVQBUSJNPJOF4FQUFNCSF t-FTNÏSFTQPSUFVTFTJOUFSEJUFTFO'SBODF.BST
.BST t-FQBSDEF7FSTBJMMFTEJYBOTBQSÏTMBUFNQÍUF+VJMMFU t-FYJMmTDBMFYQMJRVÌBVYFOGBOUT.BST
t)PNNBHFÈ"OESÌF$IFEJE.BST t-FQIBSFEF$PSEPVBO.BST t-FOPNCSFEFDIÖNFVSTGSBODIJUMBCBSSFEFTNJMMJPOT
t'BUPV%JPNF-FWJTBHFEFMFNQMPJ UFYUFMV
4FQUFNCSF /PWFNCSF
t-FT¯UPJMFTOPJSFTEF-JMJBO5IVSBN+VJO Politique t-FTJNVMBUFVSEFOUSFUJFOTEFNCBVDIF0DUPCSF
t"OESÌF$IÌEJEL’escapade des saisons UFYUFMV
.BJ t-JOUFSWFOUJPOGSBOËBJTFBV.BMJ.BST t-FDPWPJUVSBHF+VJO
t"OUIPOZ1IFMQTMon pays que voici UFYUFMV
.BST t-F[BQQJOHEFNBJTQÌDJBMQSÌTJEFOUJFMMF.BJ tjƃ.BUBOUFƃxPVMF$SÌEJUNVOJDJQBMEF1BSJT+BOWJFS
t¯MFDUJPOQSÌTJEFOUJFMMFQBSPMFTEFOGBOUT.BJ t-FTNBSUQIPOFmMÈMBQBUUF+VJO
Micro-trottoir, points de vue croisés t¯MFDUJPOQSÌTJEFOUJFMMFNÌUJFS HBSEFEVDPSQT"WSJM t6OFIJTUPJSFEFDPVMFVSTPVMBGPSDFTZNCPMJRVFEFTDPV-
tjƃ+PVFSƃx+VJMMFU t¯MFDUJPOQSÌTJEFOUJFMMFMBDPVSTFBVYQBSSBJOBHFT.BST MFVST'ÌWSJFS
tjƃ-VNJÏSFƃx.BJ t¯MFDUJPOTMFTMJNJUFTEFTTPOEBHFTEPQJOJPO'ÌWSJFS t-FTQPNQJFSTCPVMBOHFST0DUPCSF
tjƃ'FVJMMFƃx.BST t-FESPJUEFWPUFEFTÌUSBOHFSTBVYÌMFDUJPOTMPDBMFT tjƃ.BUBOUFƃxOFDPOOBÑUQBTMBDSJTF PVMFTQSÍUTTVSHBHF
tjƃ"UUFOESFƃx+BOWJFS +BOWJFS +VJO
tjƃ'BUBMƃx/PWFNCSF t-BQPMJUJRVFEFWFOUFJNNPCJMJÏSFEFTCJFOTEFM¯UBU t-FTOÌPSVSBVY+VJO
tjƃL’ÉtrangerE"MCFSU$BNVTƃx4FQUFNCSF +VJMMFU t-BQÌOVSJFEFQPNQJFST"WSJM
tjƃ4PMFJMƃx+VJMMFU t.JDSPUSPUUPJSjƃEFWPJSEJOHÌSFODFƃx"WSJM t-FT3FTUPTEVD”VS.BST
tjƃ%FNBJOƃx.BJ t-FTIBSLJT%ÌDFNCSF
tjƃ.BSJBHFƃx.BST t-FTÌMFDUJPOTSÌHJPOBMFT"WSJM Sport
tjƃ$IPJTJSƃx+BOWJFS t-BDFOUJÏNFÌEJUJPOEV5PVSEF'SBODFDZDMJTUF+VJMMFU
tjƃ7JTBHFƃx/PWFNCSF Portraits, hommages t-6MUSB5SBJMEV.POU#MBOD+BOWJFS
tjƃ(BHOFSƃx4FQUFNCSF t6OFjƃÌWFJMMFVTFEÌDSJUVSFƃx.BJ t-FT+FVYPMZNQJRVFT4FQUFNCSF
tjƃ.BSDIFƃx+VJMMFU t*MZBTPJYBOUFBOT MBQQFMEFMBCCÌ1JFSSF.BJ t-FTÉtoiles noiresEF-JMJBO5IVSBN+VJO
tjƃ¯USBOHFƃx.BJ t/FJM"SNTUSPOH0DUPCSF
t-FWFOESFEJ.BJ t3PMBOE.PSFOP MJOWFOUFVSEFMBDBSUFÈQVDF+VJO Technologie, sciences
tjƃ1BSMFSƃx.BST t3BZNPOE"VCSBD.BJ t-BWBMJTFEFWBDBODFTEVHFFL+VJMMFU
tjƃ$BQSJDFƃx+BOWJFS t"OESÌF$IFEJE.BST t-BOVNÌSJTBUJPOEFT”VWSFTEBSU+VJMMFU
tjƃ#MBODƃx/PWFNCSF t4JNPOF7FJM"WSJM t8JLJQÌEJB MFODZDMPQÌEJFFOMJHOF.BST
tTintinFUjƃ-FTFDSFUEFMB-JDPSOFƃxBVDJOÌNB/PWFNCSF t/FMTPO.BOEFMB"WSJM t-FTMJWSFTOVNÌSJRVFT4FQUFNCSF
tjƃ4ÌEVDUJPOƃx4FQUFNCSF t+FBO'FSSBU"WSJM t-FTNPUTEFQBTTFOFOPVTQSPUÏHFOUQBTBTTF[.BST
tjƃ)BTBSEƃx+VJMMFU t*OWFOUJPOMBQQBSFJMQIPUPOVNÌSJRVF+BOWJFS
tjƃ+FVOFTTFƃx.BJ Régions t*OWFOUJPOMIJTUPJSFEV(14+BOWJFS
t-FOVDMÌBJSF"WSJM t6OQFUJUWJMMBHFBVWFSHOBUUPVDIFMFQBDUPMF+BOWJFS t*OWFOUJPOMIJTUPJSFEFMBUÌMÌDPNNBOEF/PWFNCSF
t%FWPJSEJOHÌSFODF"WSJM t-BGFSNFUVSFEVOFÌDPMFSVSBMF4FQUFNCSF t.POUSFNPJDPNNFOUUVUBQFT KFUFEJSBJRVJUVFT
t-BKPVSOÌFEFMBGFNNF.BST t6OFCBOEFSPMFQPVSSFDSVUFS%ÌDFNCSF 0DUPCSF
t-BWSBJFWJF.BST t6OFQFUJUFÌHMJTFFO$SFVTFÈTBVWFS/PWFNCSF t-ÌDPVUFEFMBNVTJRVFFOTUSFBNJOH0DUPCSF
t-FTCPOOFTSÌTPMVUJPOTQPVS'ÌWSJFS t-FTJOTVMBJSFTEV1POBOU0DUPCSF t)PNNBHFÈ3PMBOE.PSFOP MJOWFOUFVSEFMBDBSUFÈ
t-FTKPVSOÌFTEVQBUSJNPJOF4FQUFNCSF t6OFFYQÌSJFODFEFSFDZDMBHFEFTFBVYVTÌFT0DUPCSF QVDF+VJO
tjƃ7PZBHFƃx+VJO t-B$7RVJQFODIBJU+VJO t%FTCPÑUJFSTQPVSVOFjƃÌDPDPOEVJUFƃx"WSJM
tjƃ-JWSFƃx.BJ t-FT"NBQ BTTPDJBUJPOTQPVSMFNBJOUJFOEVOFBHSJDVM- t.ÌUÌPMFGBDUFVSWFOU.BST
tjƃ#POIFVSƃx.BST UVSFQBZTBOOF.BJ t%FTNBOVFMTTDPMBJSFTOVNÌSJRVFT'ÌWSJFS
t-FTQPNNFTEV-JNPVTJO%ÌDFNCSF t-FSPCPU$VSJPTJUZÈMBEÌDPVWFSUFEF.BST+BOWJFS
Patrimoine t-FTNPJTTPOTIBVUFUFDIOPMPHJF0DUPCSF t-FTKFVYWJEÌPFUMFVSJNQBDUTVSMBTBOUÌEFTFOGBOUT
t-BOVNÌSJTBUJPOEFT”VWSFTEBSU+VJMMFU t-FTQPNQJFSTCPVMBOHFST0DUPCSF %ÌDFNCSF
t-FCBTTJONJOJFSEV/PSE1BTEF$BMBJTJOTDSJUBVQBUSJ- t6OOPVWFMÌQJDJFSÈ4BJOU%POBU4FQUFNCSF t%FTWJTJUFTWJSUVFMMFTEFNBHBTJOT%ÌDFNCSF
NPJOFNPOEJBM%ÌDFNCSF t-FTOÌPSVSBVY+VJO t-FTQJSBUFTEVOPVWFBVNPOEFPVMFQJSBUBHFJOGPSNB-
t-F.V$&.EF.BSTFJMMF/PWFNCSF t-FTÌMFDUJPOTSÌHJPOBMFT"WSJM UJRVF/PWFNCSF
t-B/VJUEFTNVTÌFT+VJMMFU t*OUFSOFUÈMBDBNQBHOF"WSJM t-FTBOTE*#.+VJMMFU
t6OFUSBEJUJPOMBCBHVFUUFEFQBJO+VJMMFU t-FTNBSUQIPOFmMÈMBQBUUF+VJO
t-FOPVWFBV-PVWSFEF-FOT.BJ Santé, médecine t-BGVTÌF"SJBOF.BST
t-F.VTÌFEFT"SUT'PSBJOT0DUPCSF t"OOJWFSTBJSF"NBOEJOF MFQSFNJFSCÌCÌÌQSPVWFUUF t-BMPJ)BEPQJTJYNPJTBQSÏT.BST
t6OFQFUJUFÌHMJTFFO$SFVTFÈTBVWFS/PWFNCSF 0DUPCSF t$BEFBVYJOTPMJUFTQPVSBNBUFVSTEFIBVUFUFDIOPMPHJF
tTintinFUMFDJOÌNB/PWFNCSF t-FTWBDDJOT"WSJM +BOWJFS
t-F7JFVYDIÆUFBVEFMÑMFE:FV0DUPCSF t-FTKFVYWJEÌPFUMFVSJNQBDUTVSMBTBOUÌEFTFOGBOUT t-BWPJUVSFÌMFDUSJRVFBUFMMFVOBWFOJSƃ /PWFNCSF
t-BGÍUFEFMBHBTUSPOPNJF0DUPCSF %ÌDFNCSF t-BmOEFTOVNÌSPTEFUÌMÌQIPOF/PWFNCSF
t-BQPMJUJRVFEFWFOUFJNNPCJMJÏSFEFTCJFOTEFM¯UBU+VJMMFU t-FQSJY/PCFMEFNÌEFDJOF0DUPCSF t-FTVDDÏTEF'BDFCPPL0DUPCSF
t-B$7RVJQFODIBJU+VJO t-FNBORVFEFQÌEJBUSFTFO'SBODF"WSJM t1PSUSBJUEVOQJSBUF'SBOËPJTMF)BDLFS4FQUFNCSF
t-IJTUPJSFEVQBJO.BJ t-FTDBOEBMFEV.FEJBUPS+BOWJFS t«MÌDPMFEFTBTUSPOBVUFT"WSJM
t-FSFQBTHBTUSPOPNJRVFGSBOËBJTDMBTTÌBVQBUSJNPJOF t-FTBDDJEFOUTEFMBWJFDPVSBOUF+VJMMFU t-BDVMUVSFTVSMFNPCJMF"WSJM
JNNBUÌSJFMEFM6OFTDP"WSJM t-FTSZUINFTTDPMBJSFT"WSJM t*OUFSOFUÈMBDBNQBHOF"WSJM

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 41


innovation

Travailler en français :
Le MOOC « Travailler en

N
Par Alix Creuzé et Jérôme Rambert naire d’interactions pour des appre- la production, de l’interaction ou en-
français », animé par une nants de français ayant pour objec- core de la collaboration. Les forums
otre objectif était tif de vivre et de travailler dans un permettaient d’échanger sur les acti-
équipe internationale de d’expérimenter autre pays que le leur. vités, de poser des questions ou bien
professeurs de français un nouveau type Notre propos était de tester un es- de mutualiser les productions.
langue étrangère d’enseignement- pace d’apprentissage où les contenus Nous avons évalué à environ
d’Espagne, d’Italie, apprentissage de ne seraient pas figés mais pourraient 5 heures de travail hebdomadaire
qualité, ouvert et dynamique. Il être conçus, complétés et modi- les tâches à réaliser. Il a été néces-
du Royaume-Uni et s’agissait donc de concevoir un fiés en cours du processus, par les saire, au vu de notre thématique, de
d’Allemagne, a invité des MOOC – ou CLOM en bon français : concepteurs ou par les participants jongler entre tâches individuelles et
apprenants de français cours en ligne ouvert et massif – lin- eux-mêmes. Pour ce faire, nous nous tâches collaboratives. Les activités
guistique dans une approche ac- sommes appuyés sur le principe du proposées permettaient d’acquérir
du monde entier tionnelle (l’apprenant est un acteur CMOOC, fondé sur une démarche des savoir-faire de manière progres-
à réfléchir, échanger et social qui accomplit des tâches) participative, où chacun effectue ses sive en utilisant des ressources en
réaliser des activités sur mais aussi de tester un CMOOC propres recherches d’informations, ligne. Elles étaient indépendantes les
(MOOC connectiviste) de français échange avec ses pairs, peut définir unes des autres même si le parcours
le thème du travail. langue étrangère où « l’intéressant son propre niveau d’investissement suivait une progression logique.
se passe sur le réseau », selon l’ex- (Stephens Downes, 2012). Les participants ont commencé par
pression de Christine Vaufrey. faire un bilan personnel et en com-
Structure et contenus du MOOC menter les résultats sur le forum
Expérimenter un espace « Travailler en français » (test en ligne Kledou). Ils ont pu
d’apprentissage « in progress » Une série de thématiques globales ensuite découvrir le site Europass et
Lancé lors de deux journées de tra- dans la démarche de recherche créer leur CV en ligne, travailler en
vail à l’Institut français de Londres d’emploi a été identifiée, de la re- binôme et évaluer les CV produits
Alix Creuzé est responsable de en juin 2013 puis coordonné et cherche à l’intégration dans une avec l’aide d’une grille d’évaluation,
l’innovation pédagogique et multimédia animé à distance, nous avons choisi équipe multiculturelle et, pour cha- rédiger une lettre de motivation,
à l’Institut français d’Espagne (Madrid). de prendre le MOOC comme ter- cune, des tâches concrètes ont été participer à une simulation d’entre-
rain d’expérimentation avec l’en- élaborées. tien, créer une charte collaborative
vie de prolonger la collaboration Chaque semaine, une feuille de des règles d’or pour travailler au
Jérome Rambert est professeur, initiée avec « Voyages en français » route dévoilait la tâche principale sein d’une équipe multiculturelle,
coordinateur pédagogique et formateur (http ://voyagesenfrancais.fr/) et ainsi que les tâches intermédiaires voter pour les règles essentielles et
en TICE à l’Institut français d’Italie (Milan). surtout avec la conviction que le et les ressources pour les réaliser. découvrir le résultat en ligne.
MOOC, par sa dimension ouverte, Certaines activités relevaient de la Des rendez-vous synchrones heb-
pouvait être un terrain extraordi- recherche, de la compréhension, de domadaires étaient aussi proposés :

42 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Illustrations par Marion Charreau (www.territoiresdeslangues.com)

un MOOC de FLE d’exercices ou d’activités de langue ticipation des uns et des autres, non MOOC et d’en profiter pleinement.
S’adresser différemment (lexique, grammaire) dans le par- contraignante, à laquelle la majo- Nous croyons cependant ferme-
au public, l’encourager cours autres que des ressources en rité d’entre eux est peu habituée. ment à la compatibilité du format
à l’autonomie, l’initier ou ligne et des aides méthodologiques. D’où des retours inquiets dans les MOOC au monde du FLE. S’adres-
compléter sa pratique de Par la suite et en fonction des difficul- forums et dans la messagerie du ser différemment à notre public,
tés ou des doutes des participants, MOOC : « Où sont les cours ? » ; « l’encourager à l’autonomie, l’initier
l’apprentissage en réseau : des activités complémentaires ont Que dois-je faire ? Pouvez-vous m’ex- ou compléter sa pratique de l’ap-
une nouvelle frontière où été proposées sur Facebook ou sur pliquer ? » ou encore : « Je ne pour- prentissage en réseau représentent
s’investir et investir un forum spécifique. rai pas assister à la visioconférence, une nouvelle frontière où s’investir
Un grand nombre de participants est-ce que je peux quand même suivre et investir. Selon nous, le point cen-
deux visioconférences (l’une à ob- s’est trouvé confronté à un triple le MOOC ? » tral qui reste à travailler pour qu’un
jectif thématique, l’autre linguis- défi : suivre un parcours dans une MOOC soit pleinement utile aux
tique) menées par des professeurs langue étrangère, utiliser ou ac- En guise de conclusion provisoire apprenants est celui de la mise en
de français ou par des experts dans quérir des compétences techniques Force est de reconnaître qu’il fau- place effective d’une communauté
le domaine concerné. et apprendre autrement en utili- dra beaucoup de pratique avant d’apprentissage où la collabora-
En fin de semaine, la « feuille de sant une méthodologie ouverte, que tout un chacun soit en mesure tion, la participation soient réelles,
route » était enrichie par les inter- s’appuyant sur l’initiative et la par- d’appréhender la dynamique d’un tangibles.Q
ventions et les contributions des
participants (synthèses visuelles, CARTE D’IDENTITÉ DU MOOC « TRAVAILLER EN FRANÇAIS »
visioconférences enregistrées, clins Durée : 7 semaines. tant travailler en France, dans professeurs en classe présen- Google Drive, Google+ et le site
d’œil sonores, travaux partagés des Objectifs : Faire découvrir et un pays francophone ou dans tielle, professeurs et tuteurs Google, support du MOOC. Le
apprenants) donnant lieu à un ré- partager des ressources en une entreprise francophone. dans des dispositifs en ligne, dispositif de visioconférences
sultat toujours imprévu. ligne sur le thème de l’emploi 1 200 inscrits au départ. concepteurs pédagogiques, Blackboard a permis d’organi-
Un questionnaire d’autoévaluation et du travail ; faire acquérir des Niveau : À partir du niveau B1 formateurs TICE, coordinateurs ser des rendez-vous en temps
était proposé à la fin de cette feuille savoirs et savoir-faire pour cher- en cours d’acquisition. pédagogiques. réel, tant pour l’équipe de pro-
de route ainsi qu’un tableau partagé cher et trouver un emploi dans Équipe : Professeurs de FLE Dispositif : Des outils gratuits, fesseurs que, par la suite, pour
pour que chacun puisse afficher ses un pays francophone tout en dé- travaillant dans les Instituts représentatifs du web 2.0 les rencontres avec les partici-
commentaires, mutualiser des mots- veloppant des compétences de français d’Espagne (Madrid) , pour travailler aussi bien en pants. Le forum a été créé sur
clefs ou partager des moments forts. compréhension écrite et orale d’Italie (Milan), du Royaume-Uni amont, lors de la préparation, Weebly. L’usage des réseaux
en lien avec les objectifs visés. (Londres), d’Allemagne (Brême) que pendant le cours avec sociaux Facebook et Twitter
Et la langue dans tout ça ? Public visé : À partir du niveau et à l’Open university (Royaume- les participants : un compte et une Lettre d’information
Bien que ce projet soit à destination B1 en cours d’acquisition. Uni) avec des expériences di- Google ad hoc a ainsi été créé, hebdomadaire ont complété ce
d’apprenants de français langue Jeunes professionnels souhai- verses en tant qu’enseignants : centralisant l’adresse Gmail, dispositif.Q
étrangère, nous n’avons pas intégré

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 43


ressources
multimédia
Tourisme, théâtre, gastronomie, des Par Chantal Parpette

rencontres sous toutes les formes…


FOS

Les métiers du voyage


Une nouvelle collection, Le fran- fessionnel, par des dialogues audio,
çais en contexte, consacrée au une rubrique « Le saviez-vous ? » ou
monde professionnel, a vu le jour encore « Un point d’histoire », un
chez EMDL. Le premier ouvrage article « À la rencontre de profes-
concerne le tourisme niveau A1+/ sionnels », « Le point métier », etc.
A2+ (A. Laygues et A. Coll, 2014). Ces différents supports animent la Communiquer à distance
Destinée aux professionnels, ou aux découverte de données profession- Fini les mails ou les sms surtaxés.
étudiants attirés par ce domaine, la nelles et la communication à travers Skype, vous connaissiez ? Voici
méthode aborde 5 champs (office du des activités variées de classement, Viber, Line et WhatsApp. WhatsApp
tourisme, agence de voyages, trans- de remise en ordre, de mise en re- vous permet de clavarder et d’en-
ports, hébergement, événementiel), lation d’informations, de comparai- voyer des photos, vidéos, ou en-
chacun divisé en 4 contextes de 2 son, de constitution d’écrits à partir core « notes vocales » à vos amis.
pages dans le but d’illustrer la diver- de modèles. Chaque module abou- site compagnon de l’éditeur, clair et Viber passe au cran supérieur en
sité des situations et des postes de tit à la réalisation d’un projet final- facile d’accès : pour chaque module, proposant de passer des appels ou
travail. Le module « Hébergement » action de groupe : préparation d’un le site propose une vidéo authen- même de fusionner avec vos SMS
aborde ainsi l’accueil en hôtel, mais devis de transport, promotion d’un tique de quelques minutes (avec (uniquement avec certains sys-
aussi en camping et en croisière. établissement hôtelier, organisation transcription) ainsi qu’un article- tèmes), et Line des appels vocaux
Des documents variés et brefs sur d’un salon. Un accent particulier est interview d’un professionnel du tou- ou vidéo. Alors, qui est injoignable
lesquels sont greffées des activités mis sur la dimension lexicale, impor- risme, documents ensuite utilisés maintenant ? Le temps de MSN
dynamiques donnent une forme tante dans ce domaine professionnel dans le livre de l’apprenant. Par ses messenger est bien révolu. Q
alerte à l’apprentissage. Chaque mo- par sa diversité et son exigence de contenus nouveaux et ses activités, Applications disponibles sur les
dule est structuré par un chat entre précision. Il faut souligner la bonne cet ouvrage renouvelle efficacement plateformes de téléchargement.
une formatrice-tourisme et un pro- combinaison entre le manuel et le l’approche du français du tourisme. Q

jeu

Le théâtre des échanges Les Google Glass


Des rencontres entre deux amies à sion visent à assurer la maîtrise du débarquent
la maison, ou un jour de soldes, des sens, mais aussi à conduire les ap- L’idée ne date certes pas d’hier :
conversations entre un homme et une prenants à construire leur propre in- des prototypes existent depuis
femme qui se remarquent dans la rue terprétation de la scène (L’étudiante plus d’une dizaine d’années. En
ou se sont donné rendez-vous par In- est-elle naïve  ? manipulatrice  ? – 2014, ces lunettes connectées
ternet, deux vieilles dames évoquant Quelle phrase Philippe s’apprêtait-il sont enfin rendues accessibles
leurs amours anciennes, le tout évoqué à prononcer et qu’il n’a pas dite ? – au grand public. Grâce à elles,
de manière décalée, insolite, humoris- Comment expliquez-vous la présence se superposent à votre vue, par
tique, parfois triste. Ce sont autant de de Martin dans la voiture de Bob ?). le biais d’une petit écran, des
scènes « françaises » que propose la Puis dans une seconde partie – données issues d’Internet: plans,
quinzaine de sketches écrits par P. De « Pour dire » –, après quelques exer- adresses, agenda… Des com-
Bouter dans Rencontre… rencontres. cices d’entrainement au jeu théâtral, mandes vocales ou tactiles sur
Avec cet ouvrage, une nouvelle collec- les apprenants interprètent le sketch l’une des branches permettent
tion, « À lire, à dire » fait son apparition en jouant sur différentes visions pos- également d’utiliser la caméra
aux PUG (2014). Chacun des chapitres sibles des personnages, en modifiant intégrée, d’écouter de la musique
est construit autour d’un dialogue de les lieux, ou encore en imaginant B1, mais peuvent s’adresser à des ni- et de profiter des fonctionnalités
forme théâtrale entre deux person- d’autres fins. La variété des proposi- veaux plus avancés où ils pourront de nombreuses applications. Une
nages, avec didascalies, indication des tions offre une combinaison souple être lus, interprétés, transformés de amélioration de l’ergonomie et du
décors, et mouvements sur scène. entre interprétation et composition. manière plus sophistiquée, permet- design est même prévue dans le
Dans un premier temps – « Pour Les sketches, de longueur différente, tant à chaque groupe de se prêter au courant de l’année.Q
lire » – des activités de compréhen- sont accessibles à partir de A2 ou de jeu à sa manière. Q

44 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


bonne chère

À table !
Comme le laisse imaginer cette
agréable interpellation, c’est à une
approche du français sur le thème
de la gastronomie que nous convie
cet ouvrage de M. Prochasson-
Renard (Société des écrivains,
2013). Destiné aux débutants, le
manuel comporte deux parties. La
première regroupe une quinzaine
de dialogues (écrits dans le manuel,
enregistrés oralement sur le site
de l’éditeur) dans lesquels on re-
trouve, dans
le contexte
de la res-
tauration,

Tu me suis ?
les divers
échanges du
niveau A1 :
présenta-
tion, réser-
vation d’une
table par
téléphone,
Comment être toujours côté des chaînes institutionnelles, nouvel ajout. Une fonctionnalité demande
à la page et au courant actualités, émissions musicales, pratique pour recevoir très régu- d’itinéraire,
courts métrages ou séquences hu- lièrement des vidéos autour des description
des dernières nouvelles ? moristiques sont ainsi disponibles thèmes abordés avec les appre- de plats, conseils autour d’un menu,
Certes vous connaissez 24/24 sur ordinateurs, tablettes et nants. Vous assurez un cours de paiement, réclamation… Elle est
déjà Instagram, téléphones, en toute liberté. français de spécialité ? Vous aurez associée à un cahier d’exercices
Pinterest, Facebook, à disposition une grande diversité dans lequel sont traités les points
Vlogage, vlogage de vidéos qui pourront vous servir de grammaire. La seconde partie,
mais avez-vous déjà Chez les particuliers, l’offre est de supports authentiques. Tuto- intitulée « Culture de la gastrono-
entendu parler des immense… et de qualité inégale, riels de maquillage, de bricolage, mie », vise d’une part à développer
chaînes vidéo ? mais quelles diversité ! Il faut flâner astuces pratiques ou conseils de la maîtrise du vocabulaire de la

D
et rebondir d’une chaîne à l’autre mode sont autant de supports utili- cuisine à travers photos et dessins
pour trouver votre vlogueur(euse) sant du lexique spécialisé. Pour ne accompagnés d’exercices d’appa-
ailymotion et You- préféré(e). Tiens, encore un nou- pas vous perdre, sur votre compte, riements, de classement (Regroupez
Tube proposent veau mot : vlog, il est la contraction vous trouverez dans une rubrique les fruits et légumes par saison), de
à chaque titulaire de blog et de vidéo... dédiée la liste de vos abonnements, devinettes (Mange-t-on ces légumes
d’un compte sur Ainsi, pour la classe, plusieurs et, le cas échéant, le nombre de crus ? cuits ? les deux ?), de position-
leur plateforme, options s’offrent à vous. Suivre nouvelles vidéos mises en ligne. nement de spécialités culinaires
particuliers ou institutionnels, de des chaînes : spécialisées en FLE Vous pourrez également créer sur des cartes de France... Elle ap-
créer une « chaîne » à leur nom, ou non, et vous abonner pour votre propre chaîne, vous permet- porte d’autre part des informations
réunissant toutes les vidéos qu’ils être assuré d’être informé de tout tant de poster des vidéos à destina- simples et clairement illustrées sur
ont publiées, consultables via un tion de vos étudiants ou permettre la gastronomie des différentes ré-
abonnement à la chaîne en un à vos abonnés de découvrir les vi- gions – liste de plats et composition
simple clic, gratuitement. Elles Tiens, encore déos que vous avez aimées. Q de quelques spécialités. On peut sa-
apparaissent sur une page dédiée, un nouveau mot : vlog. luer ici l’idée originale qui offre aux
où les vidéos peuvent être clas- Il est la contraction de Flore Benard et Nina Gourevitch, apprenants d’entrer dans la langue
sées, réunies en liste de lecture ou Alliance française par une thématique particulière,
associées à d’autres chaînes. Du blog et de vidéo Paris Île-de-France d’apprendre en quelque sorte le
français autrement. Q
Ch. P.

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 45


Un nègre
en eau douce
Archéologie mémorielle Auto-nègre
Que sont ces notes jetées au hasard d’une inspi- Journal de Clément R., 09 juin 2012 : île d’Olk-
ration dans l’application dédiée de mon iPhone ? hon, lac Baïkal, Russie.
Il y a plus d’un an dans l’effervescence d’un voyage Retranscrit par Clément R., 09 juin 2013 : Café de
finissant je tapotais mon écran tactile afin de for- l’Industrie, Paris, France.
mer quelques mots, quelques phrases, quelques Note de l’auteur : Afin de se plonger dans le rôle de
octets additionnés aux milliards de cette galaxie l’écrivain, architecte, aventurier, auquel semble
en progression perpétuelle voués à une quasi aspirer le sujet d’étude Clément R., j’ai délibé-
éternité que l’on nomme par facilité le cloud. rément choisi d’écrire dans un lieu caricatural ;
Extraits : « Olkhon, centre de l’univers bouriate. espérant, par ce biais, m’imprégner de ce qu’un
Bracelet dans l’arbre à souhait. Suisses, première bourgeois bohême à tendance gauchiste – mais
classe, organisé avec gamin suite à un reportage largement dépolitisé par facilité – doit ressentir
télé. Plein de Français, banya. Baignade, dix ans lorsqu’il couche ses mémoires de voyageur blasé,
gagnés, foot, petits gitans. » mais conscient, sur son Macbook. L’emploi du « je »
La liste est longue, la tâche semble insurmon- et du présent m’est apparu comme la méthode la
table, j’ai l’impression de devoir romancer la vie moins grotesque pour rendre ce récit vivant.
de quelqu’un d’autre. Je suis auto-nègre. Com-
ment donner un sens à ces lignes ? Comment Le sujet semble vivre
insuffler de la vie à ces bribes de souvenirs ? J’ai son dernier grand dépaysement
passé l’année à me persuader qu’il était possible Un poids sur mon épaule m’extrait de la léthar-
de vivre autrement, que ces mots pouvaient s’ex- gie. Le balancement irrégulier de la route associé
tirper des pages de ce carnet pour être lues par à la musique familière de mes écouteurs m’avait
des étrangers, que des gens pourraient même temporairement emporté loin de mon corps,
me donner de l’argent pour le faire. Mais cela ne de ce bus, de la Russie. J’ai ce goût dans la
devait pas, ne pouvait pas être leur raison d’être. bouche, propre aux siestes délicieuses, celles que
Il faut laisser l’envie d’écrire prendre le dessus, l’on aimerait voir durer éternellement. À travers
ce n’est ni un moyen, ni une fin. C’est un besoin. la poussière de la vitre, je découvre un paysage de
Un besoin thérapeutique qui ne se paye pas en collines pelées, vaguement enrobées d’un duvet
liquide deux fois par semaine. gris-vert, celui-là même qui monopolise la géo-
graphie depuis des centaines de kilomètres. Nous
sommes en terre bouriate, la Bouriatie.
Clément Reychman Note de l’auteur : Le sujet se lance ici dans une
Né en 1980, Clément Reychman analyse pour le moins farfelue, associant allègre-
est architecte et dessine aussi par ment les Bouriates à leurs voisins Mongols.
l’écrit. Il vient de Paris et se rêve à Géographiquement, je ne suis pas en Bouriatie, je
l’étranger. La contemplation d’une suis dans l’oblast d’Irkoutsk séparé de la République
carte du monde l’angoisse car, bouriate par le lac Baïkal. Les Bouriates considèrent
même s’il a appris à mettre des le lac comme leur « mer sacrée », l’île d’Olkhon
murs autour des gens, des murs qu’il comme le centre de leur univers. C’est là que Khan
aimerait beaux, contemporains, il ne Houbou Noion est devenu le premier chaman.
vit que pour les faire tomber, mettre Ce qui n’est pas rien. Pour faire simple : les Bouriates
trois caleçons dans un sac à dos, et sont des Mongols du Nord. Ils ont la même langue,
partir ailleurs dire du mal des gens, les mêmes joues roses rebondies, les mêmes ger
avec tendresse. Il travaille sur des (yourtes mongoles), les mêmes cheveux noir de
reportages, romans et bandes des- jais et la même tendance à l’élevage. Dans cet en-
sinées. Il raconte ses voyages dans semble de tribus mouvantes, au cœur du xiie siècle,
un blog qu’il partage avec son frère, on peut constater qu’ils étaient intégrés à ce qui de-
Maxime (http://untitreastucieux. viendra au siècle suivant l’empire mongol. Celui-là
tumblr.com/). Il travaille pour les même qui a dominé le monde, quand une bonne
revues Long Cours et Gibraltar. cavalerie et des archers d’exception avaient plus de

46 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


valeur qu’un bon PIB et des réserves de pétrole d’ex- tissu et une baignade dans de l’eau à 10 °C pour premier. Question de principe. Ils vont à Olkhon,
ception. Depuis, aux dépens de leurs éminemment passer son espérance de vie de 35 à 45 ans. Car comme moi, car c’est une étape obligatoire pour
conciliants voisins russes et chinois, ils n’ont cessé c’est bien là le but de mon périple. Se plonger « faire » le Baïkal. Ils sont sidérés par la vétusté
de réduire leurs terres et leur influence. Il y a 10 ans, intégralement dans l’eau du Baïkal – réputée la du bus qui y mène, par la dureté du chauffeur qui
les Mongols ne connaissaient que Zinedine Zidane plus pure du monde – est censé apporter longé- refuse de fermer la fenêtre dès que leur minot a
comme Français, je ne connaissais qu’un certain vité et santé. La notice est même formelle : 10 froid ou de la rouvrir dès lors qu’il a trop chaud. Et
Gengis Kahn. 700 ans d’histoire entre parenthèses, ans de gagnés. Ce qui, dans mon cas, rattrape la ce, malgré les supplications répétées en français,
une sacrée gueule de bois. De récentes découvertes demi-année d’excès que je viens de traverser… ou dans un anglais très précaire, que lui oppose le
semblent éclaircir l’horizon du pays. Les Mongols pater familias.
s’étaient bornés à ce qui se passait au-dessus du sol, Le sujet constate que C’est un peu fort pour eux, jusqu’ici ils ont profité
un peu d’agriculture, beaucoup d’élevage, c’est en tous les chemins mènent à Rome de la première classe du Transsibérien dans le
regardant en dessous qu’ils ont trouvé le jackpot. De Enfin la pause. Le Transsibérien m’a appris à confort cossu qu’offre un peuple qui ne rechigne
monstrueuses réserves, d’or, d’argent et de charbon bénir ces courts moments où l’espace alentour pas à soigner ses riches. Il fait défiler sur l’écran
encore inexploitées. La Mongolie est un gigantesque semble infini. Joie d’un horizon à 360°. Le chauf- de son iPhone les photos de sa maison-cabine :
désert où la pauvreté des sols n’est comparable qu’à feur de notre camionnette et les passagers russes toilettes personnelles, lit double, intimité maxi-
la richesse du sous-sol. De quoi faire tourner à plein se précipitent dans la grande cabane en bois male. Le tout pour seulement 2 ans de salaire
régime l’atelier du monde, le voisin chinois. Depuis qui fait office de restoroute. Seuls, à l’extérieur, d’un Bangladais. L’envie de ce voyage est née
l’an 2000 tous les voyants sont au vert, la Mongolie restent les fumeurs incontrôlables et moi-même. d’un reportage télévisé. Ç’a été une révélation. Ils
affole les graphiques : croissance, IDH, espérance Une paire de touristes caricaturaux, assortis de ont pensé : pourquoi pas nous ? Ni une ni deux,
de vie… Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont plus leur progéniture, un bambin qui ne tient pas en- ils ont contacté une agence qui s’est chargée de
pauvres, mais la tendance est positive. Les plus rê- core debout, me fait face. Vêtements techniques, tous les détails organisationnels. Ils voyagent de-
veurs envisagent un développement semblable aux shorts, chaussures de randonnée et lunettes puis maintenant deux semaines et commencent
pays du Golfe pour les descendants de Gengis. polarisantes : ils sont parés pour l’aventure. Ils partiellement à s’acclimater, peut-être qu’un
Malheureusement pour les Bouriates, ils se si- pestent contre le chauffeur, pour une raison légi- léger apprentissage des rudiments de russe
tuent juste de l’autre côté de la frontière, ils time semble-t-il. Ils ont cet accent désuet propre eût été bénéfique à leur intégration. Des mots
peuvent donc s’asseoir sur les swings de golf au à nos voisins transalpins amateurs de chocolat et simples comme « bonjour » ou « merci ». Pour leur
dernier étage des tours les plus hautes du monde, de libéralisme bancaire. Aussi associables que je défense, ils voyagent avec un enfant totalement
sur les descentes à ski au milieu du désert de Gobi sois, il est difficile de ne pas révéler ma nationa- dépendant, ce qui en terme d’aventure les placent
et autres comparaisons de taille de pénis par l’in- lité dans ce genre de situation. J’engage donc la dans la catégorie des 0,01 % des gens les plus cou-
termédiaire de clubs de foot européens. Pour eux conversation, poli mais sur mes gardes ; les leurs rageux au monde. Je préfère me taire et les lais-
c’est walou : un festin de marmotte à l’occasion, refusent toute action collective dans un commu- ser profiter, je ne suis pas sûr d’avoir leur témérité
deux ou trois arbres morts entourés de bouts de nautarisme dément, je ne tendrai pas la main en le moment venu.

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 47


Le sujet rumine la notion d’éternelle sorte de sauna sibérien. Un voyageur a frappé
insatisfaction à la porte, le lieu, l’ambiance et ce Russe polyglotte
Khoujir. Le minibus vomit tous ses passagers en et goguenard lui ont plu. Il est rentré chez lui et
centre-ville, en admettant qu’une artère prin- en a parlé à ses amis, qui en ont parlé à leurs amis,
cipale percée de quatre rues puisse former une qui en ont parlé aux guides de voyages, qui en ont
ville. L’urbanisme s’effrite vite ici. Ce groupement parlé sur Internet. À Khoujir, ses bicoques se sont
humain n’a pas de raison particulière de se déve- reproduites pour absorber la masse toujours plus
lopper outre mesure. Peu de richesses naturelles, importante de voyageurs qui, n’échouant plus
un climat difficile, et un isolement qui l’aurait ici par hasard, se sont mués en touristes. Son au-
rendu idéal pour un bagne de fort belle facture : berge est devenue un petit village dans le village.
l’Alcatraz du Baïkal. Tout un programme. Avec la Quelqu’un ayant l’esprit d’entreprise, un brin
réussite des goulags, étonnant que Staline n’y ait libéral, un brin opportuniste, s’est dit qu’il fallait
pas pensé. Eh bien si, comme tout grand vision- capitaliser sur tout ça. On a investi, embauché,
naire, il y a bien pensé ! Un petit goulag familial rationnalisé. On a instauré des règles, élargi
où la pêche à l’omoul, principale ressource du l’offre. On a fait des gros sous, du pognon. Les
lac, était l’occupation majeure des pensionnaires. mauvaises langues disent que ce quelqu’un pour-
Maintenant que l’ordre a foutu le camp, tout va rait partager les nuits du créateur. Le serpent, la
à vau-l’eau, on se satisfait d’un port à l’abandon, pomme, tout ça. Des misogynes.
d’un peu de terre battue au sol et d’un des plus Toujours est-il que la petite auberge d’antan s’est
magnifiques paysages qu’il m’ait été donné de transformée en base de vacances où nous avons
voir. Le voyageur peut y passer de toute évidence atterri bien malgré nous. Le plus dur est de mettre
mais de là à y vivre … fin à une série de vingt nuits gratuites alors qu’à
De charmantes bâtisses de bois côtoient des pa- quelques pas de là un étonnant couchsurfeur offre
rallélépipèdes de parpaings à l’enduit lépreux. le gîte.
On y trouve du pain, du poisson séché, du sau-
cisson médiocre, un peu de fromage. Forcément, Le sujet traite du fanatisme religieux
il y a toutes sortes de vodka et cognac très utiles et de l’étrangeté du concept
pour récupérer un bidet encrassé. Sergueï est un orthodoxe forcené. L’étude de la
Dans ce hameau, le développement du tourisme philosophie à la Sorbonne ne l’a pas détourné de sa
a été un don du ciel. Un homme, plus que les foi, au contraire. Sur l’île, il est en mission d’évan-
autres, a senti le vent tourner. Il a investi sur le gélisation, il doit enseigner aux indigènes bouriates
potentiel de tourisme « roots » de l’île. que croire aux pouvoirs supposés d’un chaman fils
Il a construit des chalets en bois et proposé un peu d’un aigle à tête blonde, envoyé par les dieux sur
de confort aux touristes de passage : quelques lits, Olkhon, est une hérésie. Ils doivent se concentrer
une cantine à la bonne franquette et un banya, sur ces écrits légitimés par deux mille ans d’histoire
trafiquée : un barbu blond, fils d’une menteuse adul-
tère qui prêche la bonne parole entre deux tours de
passe-passe. Dans sa chapelle, montée à l’huile de
coude, l’élégant Sergueï, barbe fournie sous regard
pénétrant, accueille tous les voyageurs de passage.
En bon prédicateur 2.0 il utilise le couchsurfing pour
faire honneur à l’écriteau qu’il a placardé au-dessus
de sa porte : Philoxenia. Comme les deux tiers des
resorts de la mer Égée, Sergueï promet un bon ac-
cueil aux étrangers, l’hospitalité. Il faut dire qu’il a
baroudé Sergueï, suffisamment pour parler cou-
ramment russe, anglais et français sans accent.
À la discussion, son prosélytisme est assez léger, il se
contente de se faire connaître en carillonnant et vit
de peu de choses à l’écart des turpitudes du monde.
Finalement, à choisir entre Sergueï et le business-
man vénal qui me sert d’hôte, un temps de réflexion
supplémentaire n’aurait pas été superflu.

Le sujet remarque que


même dans un ancien goulag
le football réunit les peuples
Tout repose sur René le Kazakh. C’est lui l’instiga-
teur des réunions, très privées, du club des ama-
teurs de football non russe sur petit écran. René

48 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


travaille ici et, parfois, le grand manitou lui laisse Le sujet parle de sa
le passe, sésame pour l’accès à la télévision com- sensibilité aux légendes
mune. Car les voyages c’est bien, ça ouvre l’esprit, Elle est là, elle me fixe. Calme.
ça rend curieux mais en ce moment je n’ai pas la Glaciale. Mon corps emmaga-
tête à ça. C’est la coupe d’Europe de football. sine de la chaleur pour passer
Hier notre club était au grand complet : des Fran- l’épreuve. Le rite de passage. La
çais, des Anglais et un Allemand. Il avait sorti confrontation entre elle et moi.
pour l’occasion le maillot de la Mannschaft, ap- Le bain dans le Baïkal. Ce lac-
porté trois litres de bière, il était prêt à soutenir mer, le plus profond du monde.
son pays. C’est là que René a fait faux bond. Dis- Il est recouvert de glace durant
paru. Le désespoir dans ses yeux était indescrip- 8 mois de l’année. Celle-ci a
tible. L’un des Français présent a été formel : « S’il fondu il y a moins de 15 jours.
nous fait ça pour demain, je casse tout. » France – Dans Michel Strogoff, Jules
Angleterre. La tension est déjà palpable. Verne raconte que personne
Cet après-midi nous avons arrondi les angles ne s’est jamais noyé dans le lac.
avec Steven l’Anglais et Ruaridh le Franco-Écos- A contrario, on relate que, de
sais. Nous formons une équipe franco-anglaise nos jours, le gouvernement
à cinq. Face à nous de jeunes locaux. Moyenne fixe une date à laquelle les vé-
d’âge 16 ans. Les plus grands sont sur le bord hicules n’ont plus le droit de
du terrain, feignant le désintéressement le plus circuler dessus. Évidemment,
complet en enchainant bières et cigarettes. L’un personne ne la respecte. La
d’eux parle très fort, plaisante. C’est un grand vraie date serait celle où le pre-
gitan voûté : 18 ans maximum. Il a une vilaine mier camion fait céder la glace
peau, un duvet de moustache et une frange de et entame une chute au ralenti de 1 600 mètres. Un bras de lac sépare l’île des montagnes im-
cheveux pointus plaquée sur le front. Il joue en J’ai fini d’installer l’appareil pour la vidéo témoin. posantes qui observent la rive. La surface de
dilettante : 5 minutes sur le terrain, 5 minutes Je me tiens debout, en slip de bain, terriblement l’eau est intacte, irréelle langue aquatique qui
en dehors. Il court très vite, effectuant des raids viril. L’eau du lac frétille. Le décompte silencieux repousse la terre rocailleuse au large, quand le
solitaires qui se terminent par une mine du droit. commence, à trois : lac devient mer. Les collines herbeuses s’effritent
Heureusement que le virevoltant Ruaridh a la 3. Fécamp. Je dîne chez des amis. À table, face à au contact de l’eau, au bout d’une anse à un jet
main ferme aux cages. Celui-ci allie la détermi- moi, il y a Nacer. Il a préparé une spécialité algé- de pierre du village trône Chamanka, le majes-
nation écossaise à la rudesse grenobloise, à moins rienne. La chorba. Pour moi le mot chorba signi- tueux pic rocheux qui, orphelin, les pieds dans
que ce ne soit l’inverse. Il n’empêche que le grand fie soupe, de Dakhla à Vladivostok en gros. Pour le Baïkal, appelle au mysticisme. Les Bouriates
gitan et son équipe d’enfants s’apprêtent à nous lui c’est une recette de là-bas, très précise, très ne s’y sont pas trompés, ils en ont fait le cœur de
mettre une petite raclée. Gentiment, sans forcer. goûtue. Oignons, carottes, pois chiches, tomates leur univers, un lieu hautement sacré que seuls
Aujourd’hui, en tant que membre le plus faible concassées et petites pâtes de blé qu’on ne trouve les chamans et quelques touristes anglo-saxons
techniquement de mon équipe, je dois prendre qu’au bled. On jette ensuite beaucoup d’épices et ignares et irrespectueux se risquent à gravir.
mes responsabilités. de coriandre. Une fois servi, on arrose de citron. Un arbre décharné lui fait face, il est le récep-
Le gitan tente un débordement sur la droite, dans 2. La pression monte. Nacer fait partie d’un tacle des offrandes bouriates, des milliers de
un de ces rushs effrénés qui ferait pâlir Djibril groupe de baigneurs : les pingouins. Toute l’an- bandelettes de tissu l’ont momifié pour l’éternité.
Cissé lui-même. C’est dire. Ni une, ni deux, je le née ils plongent dans la Manche, qu’il vente, Tandis que le firmament s’embrase pour célébrer
prends en chasse. Il me voit, essoufflé et pataud, pleuve ou neige. Choses fréquentes dans la ré- la mort d’un nouveau jour, j’accroche, tremblo-
et se dit qu’il va m’éliminer à la vitesse comme gion. C’est leur truc, son truc. Nager ou mourir. tant, ce bracelet qui défie mon hétérosexualité
les dix fois précédentes. Je m’accroche, utilisant 1. Si Nacer peut, je peux. La tête sous l’eau du depuis maintenant plusieurs mois. J’abandonne,
mon huitième souffle, je vais chercher les res- Baïkal une fois = dix ans de vie gagnée. dès lors, l’espérance que se réalise le vœu que
sources insoupçonnées de mon corps, celles que 0. Projection de sable. Cri de pucelle. Fraîcheur. j’avais formulé dans la moiteur de la gare de
je n’avais jamais utilisées à part lors du … jamais Plouf. Bangkok pour confier mon destin aux supersti-
en fait. Je me jette sur la terre battue caillou- tions d’un peuple qui vénère des rochers et des
teuse, tel Christophe Pignol dans ses meilleures Le sujet, malgré une prédisposition au arbres morts enturbannés.
années nantaises, et j’emporte tout : ballon, gitan mépris et à la suffisance, peut, parfois, Note de l’auteur : Tandis que le temps du voyage
et peau de ma jambe. Mon adversaire fait un vol être touché par la magie des lieux s’effiloche, le temps du récit prend lui de l’am-
plané suivi d’un inesthétique roulé boulé. Il se « Non, c’est couvert ce soir, le coucher du soleil ne pleur. Le sujet laisse libre cours à la fantaisie de
relève furibard. Je fais un signe de main pour lui sera pas terrible. » La moue est dédaigneuse, l’auteur. Il peut ainsi malmener ces instants de
signifier que je n’ai pas envie de me battre mais la sentence lapidaire. Ce couple de cinquante- vie vécus par le prisme d’un autre lui-même, pour
que je l’ai bien baisé quand même. L’esprit Pierre naires français, jovial, a la baroude dans le sang. leur faire raconter ce que bon lui semble. D’une
de Coubertin. Avec l’âge, en toute logique, ils recherchent plus façon bassement littéraire, il tente de conclure ce
Par la suite son équipe capitule. Le moral lâche. de confort, sûrs de leurs acquis. texte en introduisant de la poésie, là où le sujet
Nous reprenons l’avantage sur les marmots. J’ai Quelques minutes plus tard, devant l’époustou- semble bien incapable d’en voir... Q
vengé Napoléon et apaisé les rancœurs de la flant spectacle de cette fin de journée sibérienne,
guerre de Cent Ans. Nous sommes dans de bonnes la profondeur de leurs certitudes absurdes me
dispositions pour regarder le match de ce soir. semble abyssale. Crédit photos © Clément Reychman

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 49


Enseigner
autrement
© pict rider - Fotolia.com

50 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


U
n tableau, noir ou blanc, directement le rapport entre professeur
des apprenants sagement et élève, et conduisent à repenser le pacte
assis devant et un(e) en- pédagogique, ainsi qu’en témoigne dans
seignant(e) faisant son ce dossier une enseignante utilisant l’ap-
cours… Même si l’organi- proche Silent Way. Outre ces approches
sation géographique et pédagogique de la non conventionnelles, des activités lu-
salle de classe évolue peu à peu, les cours diques en classe permettent également
de langue restent pour beaucoup figés d’aborder la langue et la civilisation par
dans des pratiques et des façons d’être des biais détournés : le théâtre, consi-
héritées du début du xxe siècle. Pourtant, déré comme une réelle pratique d’en-
comme l’explique Bernard Dufeu dans seignement, ou le jeu de société offrent
notre entretien, depuis plus de quarante de belles opportunités de « faire du fran-
ans de nouvelles pratiques interrogent çais » autrement.Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 51


entretien
Cours de psychodramaturgie
linguistique : après la rencontre
de deux participants soutenus
par leurs sous-groupes, ceux-ci
les préparent à une nouvelle
rencontre en les « rechargeant »
linguistiquement à partir de
ce qu’ils ont exprimé lors
du premier échange.

Depuis plus de quarante ans, des


pratiques éprouvées permettent
d’enseigner les langues en sortant
des sentiers battus. Les explications
de Bernard Dufeu, spécialiste de ces
pratiques non conventionnelles.

« S’interroger sur certaines éviden


Propos recueillis par Sébastien Langevin de documents authentiques… Les approches
dites non conventionnelles se distancent de cer-
Vous avez participé au numéro de Recherches tains ou de tous ces points.
& Applications – Le français dans le monde
intitulé « Apprendre les langues étrangères Y a-t-il une philosophie commune
autrement », en 1999. Quel sens peut-on entre les différentes approches dites
donner à cet « autrement » en matière « non conventionnelles » ?
d’enseignement-apprentissage du français ? B. D. : Il y a des différences importantes entre ces
Bernard Dufeu : Cet « autrement » varie suivant approches, qui reposent non seulement sur des
les approches. Voici quelques aspects considé- pratiques, mais sur des conceptions de l’homme
rés comme conventionnels par certaines d’entre et de l’apprentissage parfois opposées.
elles : la centration sur les contenus, d’où la Prenons des exemples. La suggestopédie s’est
place du manuel, qui influence non seulement beaucoup préoccupée des facteurs qui freinent
le choix des contenus, mais également le mode ou inhibent l’apprentissage. Elle cherche à dé-
d’approche de la langue, la relation entre les velopper une atmosphère de détente en cours et
participants et le rôle de l’enseignant ; le mode propose une vision harmonieuse de l’enseigne-
de communication : l’enseignant pose beaucoup ment. Sur le plan méthodologique, elle repose
Docteur en sciences de de questions dont il connaît la réponse, l’impor- sur un déroulement en phases de type « conven-
l’éducation et formateur tance de son temps de parole, la domination du tionnel », mais tente de diversifier fortement les
d’enseignants de langues « parler sur » (les choses, les gens, les événe- exercices et la phase de transfert. La psychodra-
étrangères, Bernard Dufeu ments) par rapport au « parler à » (à l’autre, aux maturgie, elle, a intégré certains fondements du
a notamment publié Les autres) dans les échanges ; une conception sé- psychodrame (spontanéité créatrice, concept
Approches non convention- curisante de l’enseignement qui s’exprime, entre de rencontre, d’action – sens originel du mot
nelles des langues étran- autres, dans la place accordée à la progression drama –, orientation vers les participants et le
gères (Hachette, 1996). des contenus linguistiques, la fragmentation du groupe), certaines attitudes (écoute empathique
Voir aussi : www.psychodra- savoir, la programmation de l’approche gram- du participant, mode de conduite de groupe) et
maturgie.org maticale, les formes classiques d’évaluation ; les certaines techniques qui ont été adaptées à l’ap-
étapes du déroulement d’une unité ; la concep- prentissage des langues (double, miroir, rôle et
tion de l’authenticité dans l’emploi pédagogique renversement de rôle…). Elle emprunte à la dra-

52 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Après la rencontre de
deux protagonistes,
les « soutiens » de chaque
participant entrent en
relation avec un participant
de l’autre groupe.

ces des pratiques pédagogiques »


maturgie, entre autres, la notion de forces drama- semble de leurs conceptions et de leurs pratiques, « Acquérir la langue étrangère
turgiques dans la création des exercices et dans le car tout choix méthodologique est avant tout un
choix des textes. choix personnel, d’où l’importance de l’adéqua- en la vivant en action et en relation
tion entre l’enseignant et son mode de travail. plutôt que de l’apprendre de manière
Ces approches se sont développées dans abstraite »
les années 1970, puis ont été largement Les jeux, sérieux ou non, les simulations,
utilisées dans les années 1980 et 1990. la pratique théâtrale sont fréquemment vers les participants et le groupe (l’animateur
Désormais, sont-elles encore fréquemment intégrés aux cours de français. propose un cadre ouvert à l’expression à travers
employées par les enseignants de langue ? Ces activités à la fois pédagogiques et une activité qui stimule le désir d’expression des
B. D. : En Allemagne, où je réside, ce sont sur- récréatives vous semblent-elles importantes participants, ce sont les participants qui orientent
tout la suggestopédie et la psychodramaturgie pour la progression des apprenants ? l’activité et qui déterminent les contenus) ; une
qui sont les plus présentes dans le domaine dit B. D. : Oui, quand elles permettent aux participants conception de l’individu comme un être unique
« alternatif » et connaissent une expansion pro- de faire vivre directement la langue ou de déve- (chacun a sa progression et suit son chemin à son
gressive. Mais à côté de leur emploi dans leur lopper une relation positive avec cette langue. Un rythme dans la langue étrangère) ; suivre au lieu
version standard, le plus importants est que certain nombre de ces pratiques est utilisé pour as- d’anticiper (ainsi dans les rencontres entre parti-
certaines de leurs conceptions et de leurs activi- souplir et élargir un enseignement de conception cipants une technique dite de « recharge » permet
tés contribuent à améliorer l’apprentissage des plus sévère. Elles sont donc bienvenues quand elles de développer linguistiquement les dialogues
langues en général. Ainsi, depuis plus de trente permettent un contact plus souple avec la langue spontanés et de renforcer les nouvelles acquisi-
ans lors d’ateliers dans différents pays et depuis étrangère et son enseignement ainsi qu’une meil- tions linguistiques) ; acquérir la langue étrangère
quinze ans dans le cadre des stages BELC d’été, leure intégration de celle-ci. en la vivant en action et en relation plutôt que de
je présente à des enseignants venant de tous les l’apprendre de manière abstraite ; le développe-
horizons des techniques de la psychodramatur- Vous pratiquez vous-même l’enseignement ment du double niveau de l’apprentissage, c’est-
gie qui sont exploitables dans des contextes clas- de la psychodramaturgie linguistique à-dire le développement des compétences non
siques d’enseignement. depuis plus de trente ans : pouvez-vous seulement du « niveau de surface » : la prononcia-
Ces approches invitent à se poser des questions exposer en quelques mots les principes tion, le lexique, la syntaxe, l’interculturel, mais, en
sur certaines « évidences » des pratiques conven- de cette approche originale ? parallèle, du « niveau profond », c’est-à-dire des
tionnelles. Elles peuvent apporter un enrichisse- B. D. : Voici quelques orientations qui demande- attitudes, aptitudes et comportements (concen-
ment de l’enseignement des langues sans que les raient à être illustrées pour en comprendre leur tration, écoute, ouverture, flexibilité…) qui faci-
enseignants aient l’obligation d’adhérer à l’en- traduction dans la pratique : une orientation litent l’acquisition d’une langue étrangère. Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 53


analyse

Transformer la salle
de cours en scène de
spectacle, le temps d’une
activité théâtrale…

Ateliers « théâtre et FLE » animés par

Faire du théâtre
Adrien Payet à Lima, New Delhi et Rome.

une véritable pratique


L
Par Adrien Payet trale se réalise la plupart du temps psychologiques, linguistiques ou
sous la forme d’un atelier dont le but encore corporels. Oser prendre la
e théâtre en cours de fran- est de monter une pièce de théâtre parole, mettre le ton ou faire des
çais langue étrangère a en français. Il s’agit là d’un projet mimiques, fait partie intégrante de
connu un essor important passionnant qui permet d’aborder l’apprentissage d’une langue. Les
ces dix dernières années. la littérature de manière vivante et jeux proposés permettent aux ap-
On peut aujourd’hui fa- offre aux apprenants un très beau prenants de se sentir en confiance.
Adrien Payet est professeur cilement identifier deux approches défi. La seconde approche, plus pé- Une fois cette cohésion de groupe
de français et l’auteur du livre à la fois distinctes et complémen- dagogique, consiste à se servir du réalisée, tout devient possible dans
Activités théâtrales en classe taires. L’une d’elle consiste à initier théâtre comme technique d’ensei- la classe. Donc, pour motiver les ap-
de langue, CLE International, les apprenants à une pratique artis- gnement. Il s’agit d’introduire des prenants, il faut avant toute chose
2010. tique. Dans ce cas, l’activité théâ- activités théâtrales dans la classe chercher à créer un environnement
pour motiver les apprenants, les propice à l’écoute, à l’échange et au
débloquer et les aider à devenir des plaisir d’apprendre.
Enseigner le français aux enfants et préadolescents communicants autonomes dans des Mais l’activité théâtrale, si elle est
situations variées. ludique, n’est pas pour autant ré-
Contes illustrés, dessins animés, clips Pour accéder aux fiches pédagogiques : créative. Utilisée de manière cohé-
musicaux et programmes courts sur http://enseigner.tv5monde.com/collec- Dépasser les blocages rente à l’intérieur d’un cours, elle
l’environnement servent de supports à tion/cours-pour-les-3-12-ans. À voir éga- Apprendre une langue, c’est devient une technique d’enseigne-
un ensemble de fiches pédagogiques lement, sur www.tivi5mondeplus.com*, prendre des risques, se confron- ment très performante. À travers
spécialement conçues pour initier les des programmes jeunesse de qualité à ter à l’échec, au regard des autres une approche multisensorielle, les
enfants à la pratique du français. Les consulter gratuitement en direct ou à la et à l’évaluation négative. Les ac- apprenants vont non seulement ap-
activités proposées dans ce matériel carte. tivités théâtrales permettent aux prendre les sons ou les mots, mais
laissent une place importante au jeu et * disponible toutes zones hors France, Belgique, Suisse, apprenants de dépasser un certain également les vivre corporellement.
à la créativité. Grande-Bretagne, Irlande, États-Unis et Canada. nombre de blocages qu’ils soient Par exemple, ressentir les vibra-

54 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


QUELQUES IDÉES REÇUES SUR LE THÉÂTRE
EN CLASSE
À l’occasion de formations de formateurs données dans plusieurs
pays(1), Adrien Payet a rencontré des professeurs passionnés et
convaincus, mais aussi un certain nombre d’appréhensions com-
munes. Voici quelques éléments de réponses et pistes de réflexion.

L’activité théâtrale n’est pas accessible aux niveaux débutants


« C’est faux, de nombreuses activités théâtrales dans mon
livre ont pour but d’assimiler des notions de vocabulaire ou de
grammaire du niveau A1. Dans ma pratique, je propose toujours
aux apprenants d’aller du geste à la parole. Les mots viennent
s’ajouter au jeu au fur et à mesure des acquisitions langagières. »

Le théâtre c’est bon pour les enfants, pas pour les adultes
« C’est vrai qu’ils sont impressionnants ces hommes et femmes
En savoir plus d’affaires qui arrivent en cours en éteignant leurs trois téléphones
Voir les fiches correspondantes A1 portables. Quand je les ai vus arriver dans ma classe, j’avoue
en pages 77 et 78 de ce numéro B1 avoir douté moi aussi, et pourtant… Ils ont un tel besoin de

d’enseignement
« sortir de leur rôle » et de se défouler qu’ils sont finalement
très demandeurs de ces activités ! Il est par contre nécessaire
qu’ils comprennent l’intérêt pédagogique du théâtre en classe
et prennent conscience de leurs progrès. »

On ne peut pas faire de théâtre avec des grands groupes


« Il est vrai que le nombre idéal se situe entre 10 et 20 appre-
tions à l’émission de certains sons manquent souvent d’authenticité et nants. Ce n’est évidemment pas le cas de la majorité des ensei-
permet aux apprenants de prendre de pertinence. Les théâtraliser leur gnants. J’ai donné par exemple en Inde une formation théâtrale
conscience qu’en accordant leur redonne un sens, car on ne cher- à 70 participants. Toutes les activités n’étaient pas réalisables,
corps comme un instrument de mu- chera pas simplement à simuler, mais nous avons réussi à en adapter un grand nombre. Nous
sique, ils sont capables de « jouer » mais à interpréter, donc à agir per- avons par exemple transformé les jeux de groupe en scindant la
les sonorités de la langue française. sonnellement sur la situation. classe en binômes ou en plusieurs sous groupes. »
Cette dernière devient alors bien Jouer au théâtre, c’est acquérir du
moins étrangère ! pouvoir, celui par exemple de chan- Il faut avoir beaucoup de temps avec les élèves
Prenons un autre exemple : le jeu ger de peau ou de vivre sur scène pour mettre en place ces activités
des statues-personnages. Le pro- des expériences nouvelles. De là « Penser qu’il faut un temps supplémentaire revient à penser
fesseur énonce une liste de voca- découle une prise de plaisir qui de- que l’activité théâtrale vient s’ajouter en plus du cours. En fait,
bulaire et les apprenants doivent vient à la fois le moteur de l’appren- l’activité théâtrale, lorsqu’elle est bien intégrée à la leçon, ne
se figer en des statues représen- tissage et l’aliment principal de la demande pas plus de temps qu’une autre. Ce que cela demande,
tant ces mots. Dans un instant très motivation. c’est un changement dans nos pratiques d’enseignants et donc,
court, les apprenants doivent com- Faire du théâtre en classe, c’est il est vrai, une certaine prise de risque. »
prendre le mot, puis le visualiser et oser une nouvelle pratique péda-
enfin l’interpréter corporellement. gogique, sortir de la routine pour Je risque de perdre mon autorité d’enseignant
Ce mécanisme leur permet de gra- motiver les apprenants et leur per- « C’est en fait tout l’inverse qui se passe. L’activité théâtrale donne
ver le vocabulaire de manière du- mettre de s’exprimer pleinement en un pouvoir à l’enseignant qui devient en quelque sorte le maître du
rable dans leur mémoire corporelle. français. Comme disait Peter Brook, jeu. Vous construisez également un nouveau rapport professeur/
le théâtre c’est aussi « faire sortir de élèves si vous acceptez de vous investir dans l’activité. »
Interpréter et non simuler chacun ce qui, sans cette occasion,
Viennent ensuite les jeux de rôles. resterait caché ». Et on s’en rend très 1. Retrouvez toutes les informations sur les parutions et formations d’Adrien
Payet sur son blog : www.theatre-fle.blogspot.com
Bien qu’ils plaisent aux appre- vite compte : le talent, ce n’est pas ce Certaines formations sont également disponibles à distance.
nants, les jeux de rôles traditionnels qui manque chez nos apprenants ! Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 55


reportage
Utilisation du jeu « Rendez-vous avec
le français » par Laurence Audy-Samaniego,
professeure de FLE à l’Alliance française
de Paris.

Je joue donc
Q
« Rendez-vous avec le Texte et photos par Sarah Nuyten surtout la langue : ils viennent tout la France, juge Laurence. La plupart
français » est un jeu de juste de passer au niveau avancé B2. des jeunes qui viennent apprendre la
ui étaient les sans-cu- C’est pour se perfectionner qu’ils langue restent à Paris. En plus d’amé-
plateau qui s’adresse lottes ? Des soldats ? suivent des cours intensif de FLE à liorer leur français, ce jeu leur montre
à toute personne Des princesses  ? l’Alliance française. Quatre heures que la France, ce n’est pas que la capi-
désireuse d’apprendre le Ou des révolution- chaque après-midi, avec Laurence tale, mais une multitude de régions,
naires  »  ? Face à Audy-Samaniego. Cette jeune pro- avec leurs spécificités, leurs richesses
français. Une manière la question de sa camarade, Chao fesseure enseigne le français aux et leur place dans l’Histoire. »
ludique d’appréhender – dit « Roc » –, 26 ans, affiche une étrangers depuis six ans. Et depuis
la culture, l’histoire mine perplexe. Autour de la table peu, elle expérimente un nouvel Boussole ou bossu ?
et les spécificités de où est posé le jeu de plateau, les outil de travail : le jeu de plateau Les quatre équipes sont chacune par-
huit autres élèves ne semblent pas « Rendez-vous avec le français ». Au ties d’une ville : Valence, Besançon,
la France, en même non plus connaître la réponse. Roc milieu de la salle, le plateau du jeu Reims et Nancy. À chaque tour, on
temps que sa langue. se décide finalement et lance au ha- – une carte détaillée de France avec lance les dés et on tire une carte. Une
Illustration au sein d’un sard : « Des princesses ! – Faux. Les ses principales villes –, des pions, bonne réponse permet d’avancer, l’ob-
sans-culottes étaient des révolution- des cartes et un sablier. Objectif : jectif étant de rejoindre une autre ville
cours de FLE de l’Alliance naires. » Le jeune Chinois hausse les voyager dans le plus grand nombre définie en début de partie. Les ques-
française de Paris. épaules, un sourire aux lèvres. C’est de villes en France métropolitaine et tions portent sur la francophonie, l’his-
au tour de Regina de répondre à dans les DOM-TOM, par le biais de toire, la culture et la société françaises
une question. questions et de défis. « C’est un bon ou encore la langue et ses expressions
Chao, Regina, Damaris, Liz, Da- outil du point de vue de la compréhen- les plus typiques.
vann… Ils sont neuf, ont entre 18 et sion et de la visualisation de ce qu’est Quelques lancés de dés plus loin,
37 ans et viennent de Chine, du Ban- on retrouve Roc en pleine action : il
gladesh, des États-Unis, du Mexique « En plus d’améliorer doit cette fois faire deviner un mot
ou encore de Russie. Certains sont leur français, ce jeu leur en le mimant. Le jeune homme se
en France depuis quelques se- lève, se penche, fait quelques pas en
maines, d’autres depuis plusieurs montre que la France, ce grimaçant. Personne ne devine ce
mois. De ce pays, ils connaissent n’est pas que la capitale » qu’il cherche à représenter. Laurence

56 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


j’apprends
Audy-Samaniego s’approche de Roc, Fou rire général. « Voilà pourquoi ce gabelle, qui fut le premier président tout ce qui a trait à la francophonie.
lit sa carte et éclate de rire : « Je pense jeu est un excellent moyen de renfor- de la Tunisie ou encore ce que si- À l’issue d’une grosse heure de jeu,
que tu confonds avec un autre mot ! » cer la cohésion du groupe, d’améliorer gnifie le terme familier « relou » ou les avis sont partagés. Damaris, qui
Elle va vers le tableau numérique et, l’ambiance de travail, s’amuse l’ensei- l’acronyme « CAF ». Ils parleront de vient du Mexique, n’est pas embal-
en quelques clics, affiche l’image d’une gnante. Et je peux vous assurer qu’ils re- Marguerite Yourcenar, du Musée lée par le concept : « Ça ne m’a pas
boussole. « Voilà ce que tu devais nous tiendront tous ce qu’est une boussole. » d’Orsay, de Georges Pompidou et de tellement amusée. C’est très axé sur
faire deviner Roc : une boussole ! C’est Jean Moulin. À l’aide de gestes, de la France, ce serait peut-être mieux
un instrument qui sert à s’orienter. Toi Renforcer les amitiés rébus et de devinettes maladroites, s’il y avait des questions du monde
tu nous as mimé un bossu, comme dans D’autres cartes permettront aux tous vont approfondir un peu plus entier. Mais pour ce qui est de l’ap-
Notre-Dame de Paris de Victor Hugo ! » neuf jeunes de savoir ce qu’était la leur connaissance du français et de prentissage de la langue, je trouve
les cours classiques bien plus utiles. »
Contrairement à Damaris, Régina,
31 ans, bangladaise, a apprécié cet
intermède ludique. « Chaque équipe
Une marionnette pour rire en français était bien dans le jeu, je pense que
Pour sensibiliser aux langues de jeunes enfants de 2 à 7 ans, il faut obligatoirement c’est un bon moyen de se détendre
enseigner autrement. Heidi est professeure de français à Exeter, au Royaume-Uni. Depuis tout en apprenant. Et puis ça permet
2009, elle est accompagnée de Tonton la tortue, dans des vidéos tout spécialement de comprendre la culture et l’histoire
destinées aux plus jeunes publics. Marionnette manipulée par l’enseignante, Tonton lui de France, ce qui est très important à
donne la réplique dans des séquences à la fois ludiques et instructives. Les structures mes yeux pour mieux appréhender la
grammaticales comme « J’aime / Je n’aime pas » sont répétées de nombreuses fois langue. » « Moi aussi, j’ai bien aimé,
dans des sketchs humoristiques susceptibles de capter l’attention des plus petits. Grâce ajoute Roc, tout sourire. On fait da-
à ses talents d’actrice, Heidi parvient ainsi à divertir tout en offrant un premier contact vantage connaissance avec les autres,
avec le français. À chaque nouvelle mise en ligne d’une vidéo, le vocabulaire et les struc- ça renforce notre amitié. Et, bien sûr,
tures grammaticales utilisées sont répertoriés. Le principal but avoué est de faire rire les c’est un bon moyen d’apprendre des
enfants : une première approche positive qui peut faire naître l’envie d’aller plus loin ! choses. Moi aujourd’hui, par exemple,
http://thelanguagetortoise.com/ j’aurais appris la différence entre un
bossu et une boussole ! »Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 57


témoignage

Deux élèves pointent une phrase ensemble sur le tableau de mots.


Les mots sont colorés pour indiquer la prononciation (chaque couleur
correspond à un phonème).

Fanny guide deux élèves dans la construction de leur phrase de


comparaison, ici avec l’adjectif à ne pas choisir (phrase à pointer
« La réglette jaune est plus grande que la rouge »).

Silent Way, subordonner l’ensei

J
Texte et photos par Fanny Passeport Une autre voix Pourquoi se limiter à une commu-
Un cours de langue où À la suite de cette expérience initiale, nication « acceptable » ou, dit-on,
l’enseignant n’ouvrirait e suis enseignante de FLE je me suis inscrite à une première « compréhensible », quand on peut
depuis 3 ans. Je pratique formation en Silent Way en « Anglais obtenir de bien meilleurs résultats
pas la bouche et serait de l’approche Silent Way (en langue étrangère » où il était question en si peu de temps ? Silent Way
ce fait plus attentif v.f., la voie silencieuse) au d’observer des personnes améliorer réussit le pari de l’acquisition : la
à la situation didactique ? quotidien dans une école leur anglais pendant trois jours. L’at- langue étrangère devient peu à peu
internationale à Bangalore, en mosphère m’a tout de suite plu, les ré- proche. L’apprenant n’adoptera pas
Le témoignage de Fanny, Inde. Lors de mon parcours univer- sultats étaient plutôt positifs et le pro- la langue comme une extériorité, il
professeure de français sitaire, j’ai eu la chance d’étudier à cessus mêlé de réflexions personnelle l’habitera et ce processus de coexis-
en Inde, adepte de Besançon pendant une année et d’y et pédagogique rendait l’apprentis- tence qui semble souvent être long
l’approche Silent Way. améliorer considérablement mon sage vraiment humain. Les affects des et semé d’embuches, sera dès le dé-
anglais et avec beaucoup de plaisir. apprenants étaient pris en compte. Je part un mode d’apprentissage.
Ce cours d’anglais était une vraie pouvais les voir se transformer dans
nouveauté, car je n’y entendais que et par la langue pour toucher un Autre L’exploration de la langue
très rarement la voix de mon ensei- en eux. C’est véritablement le corps, par l’élève
gnante. C’était bien la première fois notre manière d’être, notre façon Silent Way ne peut se réduire à une
que cela se produisait ! Comment de bouger, qui se modifient lorsque méthode qui impliquerait une vision
peut-on apprendre une langue vi- nous rentrons en contact avec une procédurière et fixe. Il s’agit plutôt
vante sans que le professeur, lui- nouvelle langue. Le seul fait de réali- d’une posture, d’une attitude, d’un
même, ne parle ? Comment fait-on ser que l’on a une autre voix, que l’on point de vue. Alors, comment ce re-
si l’on n’a pas de modèle à imiter ? prononce un son nouveau participe gard se construit-il ? Certes, j’utilise
C’était bien à nous-autres étudiants de cette prodigieuse métamorphose. des outils pédagogiques1 spécifiques
Fanny Passeport est professeure de communiquer ou plutôt de nous Les participants effectuaient des au Silent Way : les panneaux de mots
de FLE à l’école internationale de exprimer puisque nous parlions de exercices de respiration, de rythme, en couleurs, le « fidel », les réglettes
Stonehill, à Bangalore (Inde). Elle nous et non de « Brian » (who is in de phonétique et accédaient à une Cuisenaire, le pointeur, etc. mais en
est active dans l’association Une the kitchen…). Cette enseignante certaine jouissance phonatoire parler longuement ici réduirait Si-
Éducation pour Demain et adepte nous «  laissait apprendre  », elle dans la langue nouvelle. La dif- lent Way en un ensemble de règles à
de l’utilisation des TICE dans ses subordonnait l’enseignement à l’ap- férence entre le début et la fin du suivre, d’instruments à manipuler.
cours (Moodle). Son site : http:// prentissage et c’est là le vrai défi de stage en termes de prononciation De même, mon silence n’est en rien
lefrancaisencouleurs.weebly.com. Silent Way. et de grammaire était considérable. un abandon de mes élèves, celui-ci

58 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Une élève utilise le pointeur pour sélectionner l’orthographe d’un mot sur le « fidel » (un tableau
où chaque orthographe possible de la langue est organisée par couleur et donc par son).

Utilisation des doigts pour guider une élève dans la structure de sa phrase, qui était : « Il [premier doigt]
faut [deuxième doigt] une [troisième doigt] réglette rouge et une blanche pour faire une verte. »

gnement à l’apprentissage
me permet d’être « présente » à la répéter après le prof autant de fois que sables et apparaissent au quotidien selon la modalité : exclamation,
situation didactique, de savoir si je l’on veut, si l’on ne concentre notre dans une classe Silent Way. Par interrogation, déclaration, etc.
devrais ou non intervenir pour fa- attention que sur nos oreilles, notre exemple, pour la phrase « Tu as un Je pourrai ainsi relever ou abais-
ciliter, guider voire même diriger. bouche ne s’éduquera pas. A contra- bleu stylo* », tout en dépliant mes ser le pointeur pour provoquer ces
Silent Way est une expérience de la rio, si nous nous observons faire des 5 doigts l’un après l’autre (un pour réalisations mentales. Ceci peut se
découverte, je dois faire émerger ce erreurs, réessayer, notre présence se chaque mot), je demanderai à l’élève faire d’autres manières. Silent Way
désir d’exploration chez mes élèves retrouve dans notre bouche et donc de répéter sa phrase. Les deux der- permet d’ouvrir un champ de pos-
et les aider à transformer leurs vou- à la production du son, non à son niers mots posent problème quant à sibilités et de favoriser la créativité
loirs en pouvoirs. Caleb Gattegno écoute. C’est bien l’appareil phona- leur position, je pourrai alors croiser des enseignants.
– concepteur de cette approche – toire qu’il faut éduquer, non l’oreille. les deux doigts correspondant pour
résume cette démarche : « Le profes- L’enseignant doit alors accompagner « forcer » une prise de conscience Un souffle d’inspiration
seur travaille sur l’élève qui travaille l’élève dans ce parcours d’exploration chez l’apprenant. Je suis une enseignante Silent Way
sur la langue.  » Ma classe Silent phonétique et lui proposer des amé- De la même façon, pour un phonème en devenir. D’ailleurs, mes collègues
Way, c’est aussi un espace de coo- liorations grâce à un feed-back qui mal prononcé, par exemple le [ ], je les plus expérimentés pourraient
pération où l’on profite des erreurs peut-être visuel et/ou kinesthésique pourrai proposer d’autres mots avec dire la même chose. Car rien n’est
et où l’on partage les réussites des ou qu’il peut même exprimer orale- le même phonème et observer si le figé et le professeur se positionne
autres. Il n’y a pas de place pour la ment car le silence est un outil péda- problème persiste. Je pourrai éga- aussi dans « l’apprendre ». Ce qui
moquerie et les inhibitions se lèvent gogique, non une doxa. lement positionner ce son ailleurs est a fortiori une
au moment même où l’on expéri- dans un mot. Si « rat » pose pro- évidence pour moi,
mente ensemble avec la langue. Des expériences concrètes blème, je pourrai proposer « gras » c’est qu’il n’y a pas
Dans la pédagogie Silent Way, ap- (ou le [ ] est en position médiane). de retour en arrière.
Apprendre à parler
et non à écouter
prendre constitue une série de prises
de conscience. Il faut d’abord être
Lorsque cela fonctionne, on peut
essayer à la position finale (« noir »)
Cette approche mé-
rite d’être mieux www.fdlm.org
aller sur
Ma pratique du Silent Way m’a permis conscient qu’il existe quelque chose et/ou retenter le mot de départ. On connue. C’est un Pour plus
de constater une réelle amélioration de nouveau, d’inconnu. Il faut en- peut anticiper de nombreuses cor- milieu de partage, d’information :
de la prononciation de mes élèves. Si suite accepter de se tromper (l’erreur rections phonétiques en Silent Way d’échange, d’intros- sur le matériel
le credo actuel repose toujours sur l’ac- est même perçue comme un « ca- et proposer des réponses efficaces. pection. Comme Gat- Silent Way, voir
quisition linguistique par imitation et deau fait à la classe » selon Gattegno) Côté prosodique, Silent Way per- tegno le dirait : « Ins- le site http ://
répétition, Silent Way postule que et par cet exercice de la pratique (et met d’utiliser le pointeur comme pirez-vous de cette uneeduca-
l’on peut apprendre une langue sans non de la répétition), atteindre la baguette rythmique. La phrase « Ça approche et regardez tionpourde-
modèle mais par feed-back. On pourra maîtrise. Ces étapes sont indispen- va » peut être intonée différemment où cela vous mène. »Q main.org

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 59


58 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014
L’auteur
« ConexionES » est une
opération de résidences
croisées en bande bessi-
née dans deux Alliances
françaises : à Lyon avec
Benjamin Lebègue et à
l’Alliance française de Ro-
sario (en Argentine) avec
German Peralta (publi-
cation de deux planches
dans le prochain Français
dans le monde). Les deux
auteurs ont eu pour mis-
sion de croquer la vie de
ces deux établissement
aux trajectoires diffé-
rentes, 30 ans pour celle
de Lyon, 100 ans pour
celle de Rosario. Ce projet
a croisé la célébration des
130 ans du réseau des Al-
liances françaises et était
soutenu par la Fondation
Alliance française.Q

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 59


DR
L’école des filles
DR

Terrain wallonné
Prix Jean-Vigo 2000, Saint-Cyr, de Pa-
tricia Mazuy, reste d’une étonnante
modernité et n’a rien perdu de son
message : il y est en effet question de
l’école que Madame de Maintenon a Quand dix amis – dix hommes allures de conte philosophique tré «  un very belge trip  », Le
créée à la fin du XVIIe siècle pour ac- – décident de rejoindre « Le car- sous ses dehors potaches. Grand’Tour démontre, une fois
cueillir les filles de la noblesse ruinée naval du monde » pour faire la Sur les routes de la campagne encore, combien les cinéastes
et en faire des femmes libres, grâce fête le temps d’un week-end, en wallonne, nos antihéros ques- du plat pays sont inventifs,
à une éducation d’avant-garde. Ce qui, chantant et en buvant, sans se tionnent la vie, hésitent, se impertinents, originaux, sans
évidemment, ne sera pas sans consé- douter un instant que, pour cer- confient, rigolent, agacent, pi- tabous, et – objectivement – ta-
quences… À noter des suppléments à tains, cela prendra six mois, cela colent, se soutiennent, ou pas, lentueux. Ils n’ont pas leur pareil
la hauteur du film. Q donne Le Grand’Tour (Blaq Out) bref, ils vivent une aventure pour nous entraîner dans des
de Jérôme Le Maire… Cette extraordinaire que le cap de la histoires invraisemblables qui,
improbable fiction, tournée quarantaine a, mine de rien, cependant, titillent toujours
comme un documentaire, a des insufflé… Drôlement sous-ti- notre intelligence. Q

L’animation en majuscules
Un autre film
Après six comédies sentimentales,
Emmanuel Mouret, qui emprunte à
Rohmer, Guitry et Woody Allen, s’est
essayé, avec une réussite relative, au
drame romanesque avec Une autre vie. Voilà de quoi réjouir nos
Cette histoire d’électricien qui tombe mirettes  ! Trois magni-
amoureux d’une pianiste virtuose vaut, fiques créations franco-
surtout, par la composition de JoeyStarr, européennes rappellent aux
sulfureux rappeur ici tout en émotion… spectateurs combien l’ani-
Et par le documentaire qui accompagne mation, sur le Vieux Conti-
l’édition DVD. Pour le reste, on peut pré- nent, et dans l’Hexagone en
férer le style curieux, un brin déroutant, particulier, est une affaire
de ses autres films. Q sérieuse.
Le Piano magique (Arte édi-
tions) est un programme de trois courts-métrages
qui rend hommage à l’univers de Chopin et Beetho-
ven. Ici, la poésie des images le dispute à la beauté
des mélodies. Avec En sortant de l’école (France tions Montparnasse), long-métrage brillant né de
TvDistribution), c’est toute l’inventivité de l’inclas- la non moins talentueuse série télé du même nom,
sable Jacques Prévert qui est illustrée. En 13 films de mêle images de synthèse et décors réels pour une
3 minutes, de jeunes réalisateurs mettent leur génie aventure burlesque et poétique sans pareil. Trois
graphique au service de la grâce des mots du poète. styles, trois écoles, trois savoir-faire somptueux qui
Enfin, Minuscule, la vallée des fourmis perdues (Édi- confinent à la virtuosité. Un régal intégral. Q

62 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Par Bérénice Balta

Radio libre
L’acteur-réalisateur suisse Lionel
Baier a su restituer, avec brio
et nostalgie, l’ambiance des
années 70 et les sentiments
d’espoir, de liberté et de ré-
volte qui prévalaient alors. Les
Grandes Ondes (à l’Ouest) suit
DR

Le vieil homme et la terre


une bande de pieds nickelés
de la radio, qui se retrouvent au Portugal, en pleine
révolution des Œillets, alors qu’ils venaient pour un
reportage sur l’entraide helvète dans le pays. Un DVD
La crise économique, au Ca- une réalité de plus en plus des citadins, l’abnégation du enrichi d’un entretien avec le cinéaste et d’un court-
nada, contraint de plus en prégnante, inhérente aux personnage, font de ce se- métrage (quasi long, de 54 min) tout à fait surprenant. Q
plus de paysans à céder leurs difficultés des fermiers, mais cond long-métrage de Sébas-
terres… Mais Gaby (entouré aussi dans une relation père- tien Pilote une œuvre magis-
de ses moutons), résiste, lui ! fille remarquable, sensible trale, poignante et d’une rare
Lorsqu’une de ses filles, par- et émouvante, inspirée par intensité. Le jeune cinéaste Le monde ado
tie s’installer à Montréal, l’ap- Le Père Goriot, d’Honoré de est aidé en cela par l’extraor- Vandal de Hélier-Cisterne (Prix
pelle à l’aide, les choses vont Balzac. dinaire comédien Gabriel Ar- Louis-Delluc 2013) est un pre-
se compliquer… L’âpreté du sujet, la lenteur cand, frère de Denys « Le Dé- mier long-métrage percutant sur
Sorte de western québécois, du temps qui s’écoule, la ru- clin de l’empire américain » le monde du graffiti découvert par
Le Démantèlement (chez desse d’un mode en vie en Arcand. Même avec peu de un adolescent en mal de repères.
Blaq Out) nous plonge dans train de s’éteindre, le cynisme suppléments, du grand art ! Q Tu seras un homme de Benoît
Cohen s’interroge, lui, sur le diffi-
cile passage à l’âge adulte. Bien

Ceux de 14, comme en 14


que fort différents dans leur réali-
sation, ces deux films ont des al-
lures de cousinage, tout à fait pas-
sionnant et très enrichissant. Un
1914-2014… Cent ans déjà ! La Première Guerre En huit fois 52 minutes, la série documentaire de peu comme les deux faces d’une
mondiale, parfois qualifiée de « totale », a amené Jan Peter, 14, des armes et des mots (en coffret de 3 même pièce… indépendantes et
des changements géopolitiques si profonds, des DVD, chez Arte Éditions) suit quatorze individus, pourtant indissociables ! Q
bouleversements socio-économiques si intenses, militaires et civils, hommes et femmes, de tous
qu’ils en ont modifié les équilibres internationaux et les pays impliqués. En mêlant archives inédites,
transformé durablement le cours du xxe siècle. Notre reconstitutions fictionnelles, journaux intimes
monde d’aujourd’hui en porte encore les stigmates. et correspondances, les quelque sept heures de Au poil !
Pour célébrer ce triste centenaire et le mettre en récit donnent la parole à ceux qui ont vécu ces La génialissime Sólveig
perspective, plusieurs productions audiovisuelles moments d’Histoire, celle avec un grand H, per- Anspach prouve, une
ont ainsi vu le jour. Deux, en particulier, ont re- mettant grâce à leurs témoignages de mieux com- fois encore, ses talents
tenu l’attention, tant elles apportent un éclairage prendre le monde qui nous entoure. de conteuse dans Lulu
précis, documenté, humain, sur ce conflit majeur Apocalypse, la 1ère Guerre mondiale (en coffret de 3 femme nue, en adaptant la
du siècle dernier. DVD, chez FranceTvDistribution) est pour sa part bande dessinée d’Étienne
plus « cinématographique », plus « spectaculaire »… Davodeau. Le Belge Bouli
D’autant que le commentaire est l’œuvre de l’ac- Lanners et la lumineuse
teur-cinéaste Mathieu Kassovitz. À partir de 500 Karin Viard (César de la
heures d’archives, mises en couleur, Isabelle Clarke meilleure actrice en 2000,
et Daniel Costelle ont réalisé une véritable plongée grâce au premier film de la
dans la tête de celles et ceux qui ont participé au réalisatrice, Haut les cœurs !) prêtent leur talent
conflit ou qui l’ont subit, soldats ou civils, sans oublier à cette histoire qui ressemble à une quête tout
de montrer ces gouvernants et politiques qui tirent en étant ancrée dans la réalité douloureuse,
les ficelles d’enjeux censés dépasser le commun des pour beaucoup, de la recherche d’un emploi.
mortels mais qui les concernent au premier chef. C’est intelligent, subtil et émouvant ! Q
À l’heure où l’Europe connaît, à nouveau, de belli-
queux soubresauts, où le monde s’embrase, ici et
là, pour des raisons économiques, religieuses ou
ethniques, il est plus qu’urgent de visionner ces
aller sur
www.fdlm.org pour retrouver
différents documents : essentiel. Q les bandes-annonces.

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 63


Jeunesse Par Natacha Calvet Romans Par Bernard Magnier et Sophie Patois

Devenir L’appât Dugain

© DR
femme Les images affluent à la lecture de l’Emprise de
Trois jeunes filles Marc Dugain, vraie fiction inspirée par diverses
mais femmes déjà affaires politico-industrielles. Et notamment
par leurs mots, l’affaire Karachi, comme le reconnaît l’auteur
leurs désirs, leurs avant d’ajouter : « Je cherche à attirer l’attention
combats. Trois des lecteurs non pas sur des faits, mais sur un sys-
monologues qui tème. » Détaillée et efficace, sa démonstration
soufflent sur les nous entraîne donc dans les arcanes et les affres
braises de la révolte. Trois ré- du pouvoir avec des portraits bien saisis et sans
cits de liberté et d’émancipa- concession d’homme politique, de directeur du
tion. Ces héroïnes ordinaires renseignement intérieur, de président d’un grand
interrogent avec ténacité la re- groupe militaro-industriel, bref, la fine fleur de
ligion quelle qu’elle soit mais ceux qui dirigent le pays.
surtout le rapport au corps. Qu’il Chargée de faire le lien entre tout ce beau monde
s’agisse de jeter son corset, de vou- et de retrouver surtout les traces d’un syndicaliste
loir aimer et être aimée, de ne pas trop curieux, Lorraine, agent secret de son état,
céder aux appels des sirènes publi- donne encore plus de piquant à l’intrigue. Pein-
citaires en refusant de s’exposer, ture au vitriol d’une classe politique vouée à un
jamais le féminisme n’aura paru simulacre de démocratie, la fiction dénonce ainsi
plus nécessaire. le pouvoir avant tout, et son emprise… Q S. P.
Jeanne Benameur, Le Ramadan de la parole, Marc Dugain, L’Emprise, Gallimard
Actes Sud Junior

Amour,
version
originale Le roman d’un salaud
C’est l’année du bac pour An- Shar, né dans un village d’Algérie au début des
nabelle et elle veut être la meil- années trente, va quitter sa montagne pour se
leure. C’est sans compter une rendre à Alger et y faire de mauvaises rencontres
famille chamboulée et des ren- qui le conduiront sur des chemins de dérives…
contres bouleversantes en D’aventures sans scrupules en crimes et trahisons
anglais sous-titré. multiples, il va connaître une vie aventureuse et
Susie Morgenstern joue délinquante, en Europe, en Amérique latine et en
de ses thèmes favoris, Asie, avant de revenir dans son pays natal au mo-
l’amour, la mémoire ou le ment où celui-ci connaît les premiers soubresauts
lien entre les générations. insurrectionnels. Dès lors, il décide de participer
Elle happe son lecteur à la lutte, changeant sans vergogne de camp au
à travers de courts cha- gré de ses intérêts et de l’évolution du conflit, tra-
pitres qui explorent les différents hissant les uns et les autres, et, au moment de l’In-
points de vue des personnages. dépendance, s’arrangeant pour faire disparaître
Un roman qui cerne avec finesse les témoins gênants, se constitue une image de
les questionnements adolescents. « héros » qui le mènera au sommet de la hiérarchie
De la légèreté dans la gravité et un et… de l’imposture. Mais l’Histoire (et la justice
optimisme éclatant. des hommes) le retrouvera à l’aube du xxie siècle,
Susie Morgenstern, Comment tomber amoureux… là où débute ce roman à la trame rétrospective. qui en découle, le roman d’un salaud (inutile ici
sans tomber, l’école des loisirs Avec Un génial imposteur, Kebir M. Ammi offre de chercher à trouver un autre mot car il en est
le récit « exemplaire » de la vie d’un « maître du l’archétype) soudain rattrapé par l’opiniâtreté
simulacre » diabolique, d’un antihéros doué du d’un homme… et d’un romancier ! Q B. M.
sens de la parole, des langues et de la séduction Kebir M. Ammi, Un génial imposteur, Mercure de France

64 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


POCHES
POCHES
POCHES
POCHES
POCHES
Épopée mutique Poches francophones Par Bernard Magnier
Ahmed Taroudant mène une vie recluse et
Si les bouches se ferment d’Alban Lefranc n’appar- solitaire occupée par la lecture frénétique
tient pas, à l’évidence, à une catégorie littéraire de romans policiers qu’il entasse dans son
classique. D’abord parce qu’il y est beaucoup petit appartement du XIXe arrondissement de
question d’histoire, l’histoire contemporaine de Paris. Tout pourrait aller paisiblement s’il ne
l’Allemagne en particulier, de celle qui détraque retrouvait sa jeune voisine sauvagement as-
les corps et les esprits. Et que la figure centrale de sassinée. Rachel Kupferstein et Jean Hamelot
ce récit, son fil rouge si l’on peut dire, est précisé- sont les deux policiers chargés de l’enquête…
ment un personnage réel : Bernward Vesper, fils Une « Juive ashkénaze » et un « Breton lunaire
d’un poète nazi et compagnon de Gudrun Ensslin, » sur les traces d’un « Arabe border line » dont
égérie de la Fraction armée rouge avec qui il eut le « profil » et le comportement, ses lectures
un fils. Fulgurante et inscrite sous le signe de la compulsives et ses relations avec la victime
violence, sa brève existence prend fin avec son en font un coupable sur mesure…
suicide en 1971. Karim Miské, Arab Jazz, Points
La violence politique, du brun au rouge, teinte
donc ce récit déroutant et saisissant. Où il est
question bien sûr de la confusion d’une époque et Les illusions et désillusions d’un jeune Marocain
d’un héritage maudit. Et des paroles et des actes qui, délaissant l’intimité familiale mais aussi les
qui tuent ainsi que des bouches qui se ferment, interdits, part à Genève où il se croit attendu
fatalement. Q S. P. par Jean, un ami suisse avec qui il a voyagé au
Maroc, qu’il a aimé et qu’il est venu retrouver
© C. Hélie
Alban Lefranc, Si les bouches se ferment, Verticales
en Europe afin d’y poursuivre ses études. Une
Europe idéalisée par son jeune âge et qui ne ré-
pond pas à ses attentes. Un roman que l’écrivain

Gandhi ou les limbes du pacifique


vient lui-même d’adapter au cinéma.
Abdellah Taïa, L’Armée du salut, Points

Le romancier à succès Gilbert Sinoué, né au Caire,


quitte les terres égyptiennes qu’il affectionne Le double lauréat du Prix Goncourt (sous le
pour nous conduire en Afrique du Sud sur les nom de Gary et sous celui d’Emile Ajar) conte
traces d’un jeune avocat indien qui n’est pas en- ses premières années, sa naissance, en 1914,
core devenu le Mahatma Gandhi. Un long séjour dans la partie de la Russie devenue Lituanie, la
sud-africain au début du xxe siècle, au cours du- « promesse » faite à sa mère qui l’élève seule
quel le jeune homme va être confronté au racisme et leur départ pour la Pologne puis la France.
et voir ainsi son destin bouleversé. À l’instar de À leur arrivée à Nice, la découverte d’un pays
Rosa Parks aux États-Unis, Gandhi, alors avocat, admiré, les années difficiles, les premières
effectue (en première classe !) un voyage en train amours puis sa participation très active à la
d’où il va être expulsé en raison de sa couleur de Seconde Guerre mondiale…
peau. Cet événement, traumatique et fondateur, Romain Gary, La Promesse de l’aube, Folio
se passe à Pietermaritzburg et donne son titre au
roman de Gilbert Sinoué.
Ces années de formation sont contés par Her- Un jeune apprenti cuisinier va trouver refuge et
mann Kallenbach, un architecte juif allemand, éducation auprès d’un vieil homme, peintre et
avec lequel Gandhi va se lier d’une amitié très in- poète, qui lui-même tenait son savoir d’un autre
time et c’est par sa voix que seront relatés les faits ancien… L’écrivain voyageur a choisi pour ce
et gestes du futur leader pacifiste indien. Un por- roman d’initiation et comme destination émi-
trait qui laisse entrevoir un personnage beaucoup nemment poétique et tragique, le Japon, tout à
plus rugueux, autoritaire et au demeurant assez la fois réel et fantasmé.
éloigné de l’image iconique véhiculée ensuite par Hubert Haddad, Le Peintre d’éventail, Folio
son engagement pour la non-violence et sa lutte
victorieuse contre l’oppression coloniale britan-
nique... Sur les traces d’un itinéraire d’initiation
et d’une étonnante confession amoureuse. Q B.M.
© DR

Gilbert Sinoué, La Nuit de Maritzburg, Flammarion

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 65


Bande dessinée Par Sébastien Langevin

Une jeunesse syrienne


Avoir un père syrien, une tout seuls. » Selon cette auto- dans des harmonies de cou-
mère bretonne et surtout rité paternelle forte et omni- leurs qui jouent sur les ef-
une chevelure blonde ne fa- présente, le tout jeune Riad fets d’une fausse bichromie
cilitent pas la vie lorsque l’on doit apprendre la langue surannée. Jeune auteur de
passe ses premières années syrienne et connaître les bande dessinée (Retour au
entre la Lybie et la Syrie. Riad grands écrits politiques pour collège, Pascal Brutal) et ré-
Sattouf raconte dans le pre- devenir « l’Arabe du futur ». alisateur de films (Les Beaux
mier volume de L’Arabe du Mêlant cette idéologie Gosses, Jacky au royaume des
futur comment il a vécu cette panarabe et réflexions in- filles), Riad Sattouf capture
prime jeunesse à l’ombre de times, l’album oscille entre avec sensibilité les souvenirs
son père, intellectuel épris autobiographie et récit de d’une enfance, d’une famille,
d’absolu qui répétait : « Édu- voyage. Les souvenirs de d’un rêve…
qués, les Arabes se libèreront l’enfant sont ainsi restitués Riad Sattouf, L’Arabe du futur, Allary Éditions

Par Philippe Hoibian


Essais

L’Union européenne
et ses voisins Comment Internet et les nouvelles technologies
L’Europe se trouve en difficulté face à ont colonisé nos vies
la montée des autres grandes régions C’est une analyse très critique de l’évolution
mondiales (Alena,Mercosur,Asean+3…). actuelle de nos sociétés. Pour l’auteur, le dé-
Pour relancer le projet européen,il faudrait ferlement technologique (cartable électronique,
mettre en place une politique de voisinage cloud, e-book, Twitter, tablette tactile, Facebook,
« lisible et partagée », avec la Turquie, les smartphone…) bouleverse notre rapport au
pays du Maghreb, de l’Est et des Balkans, monde, aux autres et à nous-mêmes. Les
qui peuvent être un formidable relais de croissance pour une nouvelles technologies donnent l’illusion de la
économie européenne essoufflée. Les enjeux environnemen- toute-puissance : transparence, accès immédiat
taux (pollutions, transition énergétique, adaptation au change- à une infinité de connaissances et de produits
ment climatique),les mouvements de personnes (les étudiants culturels, démultiplication des contacts et des
internationaux, les touristes, les immigrés) nécessitent une De l’héritage échanges. Elles permettent de faire plus de
coopération régionale, tirant parti des avantages stratégiques à la métamorphose choses toujours plus vite, mais laissent de
de la proximité géographique. Sont réunis ici les principaux essais moins en moins de temps pour s’adonner à
Pierre Beckouche et Yann Richard, Atlas de la grande Europe, Autrement que Nora a consacrés à la France, une seule activité dans le calme, pour réfléchir.
son identité, sa mémoire. L’État-na- Le livre numérique qui prétend démocratiser l’accès au savoir participerait
Lever le voile sur le voile tion s’enracine de la Révolution à la liquidation de la lecture linéaire, profonde, concentrée que permet
Comment et pourquoi le voile est-il aux retombées du gaullisme et du le livre papier. Une page de site web contient de nombreux éléments qui
devenu au XXe siècle l’un des sym- communisme (ces deux versions perturbent une lecture suivie : boutons de navigations, ascenseurs ou
boles de l’islam, alors qu’il ne serait de la France), qui ont mélangé listes déroulantes, mini-logiciels proposant des informations (la Bourse,
pas à l’origine une exigence reli- l’idée nationale et l’idée révolution- la météo) ou des divertissements, vidéos, pubs, annonce d’un nouveau
gieuse ? Les campagnes de dévoile- naire. Des portraits d’historiens courriel, demande de connexion sur Skype…
ments obligatoires et spectaculaires « exemplaires » comme Michelet Plus l’internaute clique sur des liens, visite de pages et surfe sur Internet,
décidées par quelques dirigeants (« l’hystérie identitaire ») et Lavisse plus le moteur de recherche et les entreprises fonctionnant sur ce modèle
(Atatürk, Reza Shah, Bourguiba) (« instituteur national »), une analyse recueillent des informations, et plus elles engrangent de profits. Ces
comme preuve de la modernité de fine et pertinente de l’idée de généra- sursollicitations cognitives favorisent un état de constante distraction, le
leur nation, ont échoué. Actuellement, de nombreuses musul- tion, des destins mêlés de la France zapping, le papillonnage fébrile.
manes considèrent le voile comme un signe d’appartenance, et des juifs : les grands moments de Par ailleurs, des millions de personnes se fichent elles-mêmes sur les
une façon de se distinguer des autres femmes. Dans les la définition identitaire de la France réseaux sociaux en donnant bien plus d’informations que la police, les
sociétés occidentales, le voile contredit un ordre visuel fondé (la Révolution, l’affaire Dreyfus, Vichy) entreprises et les publicitaires ne peuvent en collecter. Voyeurisme et
sur la transparence (valeur esthétique, morale et politique) et ont été en même temps les dates narcissisme s’entremêlent, les moments de « vraies » rencontres se ra-
lui oppose un provocant plaidoyer pour l’opaque, le caché, le clés du destin juif. La France se sait réfient, les goûts et les comportements s’uniformisent. On trouvera dans
secret, l’obscur, la dissimulation. un passé mais se voit-elle un avenir ? cet ouvrage bien d’autres questionnements sur la numérisation du monde.
Bruno Nassim Aboudrar, Comment le voile est devenu musulman, Flammarion Pierre Nora, Recherches de la France, Gallimard Cédric Biagini, L’Emprise numérique, L’Échappée

66 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


science-fiction Par Martin Baudry

Combats
Poètes de métier ou amateurs, paci-
fistes ou nationalistes, français, an-

écologiques
glais, allemands, italiens ou russes,
par-delà les tranchées qui les ont sé-
POCHES
POCHES
POCHES
POCHES
POCHES
parés et les portions de territoire qu’ils
ont défendues, ces Poilus fameux ou Grand Prix de l’Imaginaire
anonymes mêlent ici leurs voix en un 2014, catégorie « nouvelle
douloureux témoignage jailli d’un uni- francophone », le dernier re-
Par Claude Oliviéri vers de boue et de mort. cueil de Thomas Day tisse un
Guillaume Picon, Poèmes de Poilus, Points rapport charnel au monde

Le printemps des poètes


comme il va (mal). D’une
île du Pacifique, tombeau
de Magellan, à la zone interdite autour de
Fukushima, de la jungle cambodgienne au
Télérama et Gallimard célèbrent le Prin- Lexicographe franc-tireur, explorateur fin fond de l’Australie, le format court rend le
temps des poètes 2014 avec un nouveau de l’univers mystérieux et cocasse propos encore plus percutant. Le style de l’au-
coffret de 12 mini-recueils de 48 pages des mots, Michel Leiris aligne des dé- teur s’est assagi mais pas la rage qui nourrit une
reflétant l’extrême diversité de la poésie finitions en rafales, dévoilant au ha- science-fiction habitée de l’intérieur au service
française du XXe siècle. Beaucoup plus sard des gloses ce qui se joue dans d’une écologie sans concession.
qu’une succession d’auteurs reconnus, la jungle de la langue. Son projet : Thomas Day, Sept secondes pour devenir un aigle, Le Bélial
il s’agit d’accueillir les présences essen- « Aimer le mets des mots, méli-mélo
tielles qui, d’Apollinaire à René Char, ont de miel et de moelle. » Ce répertoire

L’alcool
marqué le mouvement des idées, la libéra- des trouvailles d’un écrivain consti-
tion de l’imaginaire et des mœurs en des temps de guerres tue un véritable protocole d’invention

conserve ?
mondiales et « d’utopies sanglantes ». poétique.
Petite bibliothèque de poésie du XXe siècle, Gallimard Michel Leiris, Glossaire j’y serre mes gloses, suivi de Bagatelles végé-
tales, Gallimard
Parmi les nombreuses rééditions d’Al- Un virus transforme les
cools, on retiendra celle présentée par Quels sont les outils, les formes hommes en zombis, sauf les
Didier Alexandre au Livre de Poche (avec et les techniques de la poésie alcooliques. Du coup, tout
un important dossier de 150 pages et contemporaine ? Qu’est-ce que la le monde est ivre du matin
une chronologie de Laurence Campa). Ce « modernité négative » ? Qui sont au soir. Pour Antonin, cela
recueil aujourd’hui centenaire où s’inau- les fils de Dada ? Où se situent le ne va pas sans quelques
gure la poésie du XXe siècle se présente rock, le slam, la chanson ? Autant désagréments : calvitie précoce, ventre mou,
moins comme un livre de rupture que de de questions qui trouvent leur ré- teint jaunâtre étoilé d’acné et un foie hypertro-
liberté qui permet au poète de recueillir ponse dans la Caisse à outils joyeu- phié qui commence à lui comprimer le poumon
l’héritage du passé tout en s’ouvrant à sement impertinente de Jean-Mi- droit. Pour ses quinze ans, Antonin aimerait bien
la modernité de la vie ordinaire. André Breton, qui voyait chel Espitallier. Ce panorama invite rencontrer une jeune fille avant de se suicider.
en lui « le lyrisme en personne », saluait « le champion du à une exploration des territoires les Auteur culte de la série Doberman, Joël Houssin
poème-événement [qui] exige de tout nouveau poème qu’il plus saillants de la poésie contemporaine, en cartographie est également l’un des meilleurs représentants
soit une refonte totale des moyens de son auteur ». les courants, analyse les tendances fortes et donne des de la science-fiction française tendance punk
Guillaume Apollinaire, Alcools, Le Livre de Poche pistes pour se repérer dans cet univers foisonnant. post-apocalyptique des années 1980.
Jean-Michel Espitallier, Caisse à outils, Pocket Joël Houssin, Le Temps du Twist, collection Folio SF, Gallimard

polar Par Martin Baudry

L’Hexagone noir Dard sans Antonio


Son premier roman, La Politique du tumulte (réédition en Le succès de San-Antonio (intégrale en cours chez Robert
Point Seuil) avait fait parler de lui. Détesté par certains, Laffont) repose sur la truculence et les jeux de mots.
encensé par la majorité des autres, François Médé- Pourtant, cet Hercule de la « littérature de foire » dissi-
line n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat du mule une œuvre au noir que l’écrivain nommait lui-même
polar français. Le second, Les Rêves de guerre, est du ses « romans de la nuit ». Sept d’entre eux sont rassem-
même acabit. Brillant et agaçant à la fois, tout n’est blés chez Omnibus. Il s’agit d’implacables suspenses
pas encore entièrement convaincant, mais l’influence psychologiques publiés sous son véritable nom entre
d’Ellroy est mieux digérée, et l’auteur continue de se 1956 et 1966. Maître des atmosphères vénéneuses et
coltiner une réalité française qui fait d’habitude fuir désespérées, Frédéric Dard s’y révèle à l’égal des plus
les plus endurcis. grands noms du roman noir américain.
François Médéline, Les Rêves de guerre, La Manufacture des livres Frédéric Dard, Romans de la nuit, Omnibus

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 67


à écouter

© Manuel Lagos Cid


en bref

Deux ans après Haïti debout,

Ici, c’est la Bretagne


l’Haïtien Bélo (Prix Décou-
vertes RFI 2006), sort son
4e album, Natif natal. Les mé-
lodies mêlent sonorités haï-
tiennes, reggae et funk, avec Trois ans après le très rock Chansons ordi-
en prime de nombreux artistes naires, Miossec revient avec Ici-bas, ici même,
locaux (Queen Bee, B.I.C., Eddy un nouvel album aux arrangements épurés.
François notamment). L’année 2014 a bien commencé pour Mios- qui marque à la fois ses 20 ans de carrière et
sec : en février , il a reçu aux Victoires de la les 50 ans du chanteur breton. Le refrain de la
Dick Annegarn publie Vélo va, son 17e opus. L’auteur Musique un récompense dans la catégorie première chanson d’Ici-bas, ici même, donne le
de « Bruxelles » avait d’abord écrit ces chansons pour « chanson de l’année » pour « 20 ans », un beau ton du disque : « C’est pas fini on vient de com-
d’autres mais a finalement choisi de les interpréter lui- texte sur le temps qui passe écrit pour Johnny mencer / C’est pas fini on peut se retourner ».
même. Il célèbre ses 40 ans de carrière en juin à l’Olympia. Hallyday en guise de cadeau d’anniversaire La majeure partie de l’album a été enregistrée
pour ses 70 ans. Deux mois plus tard, le voici au bord de la mer en Bretagne, dans sa maison
L’ivoirienne Dobet Gnahoré qui publie son 9e album, sans doute l’un des du Finistère aux côtés de l’arrangeur Albin de
a commencé sa carrière à plus beaux disques de sa carrière. Il est en- la Simone et de l’ingénieur du son Jean-Bap-
l’âge de 12 ans, mais pour la core question d’anniversaire pour cet opus tiste Brunhes.QE. S.
première fois, elle a composé
elle-même la quasi-totalité des
morceaux de son 4e album,
Na Drê. Deux titres ont ce-
pendant été composés avec
Lokua Kanza et Paco Sery.

Nous avions adoré les espiègles Archimède en 2012


avec leur 2e album, Trafalgar. Voici venir le 3e, Arcadie,
au son toujours aussi délicieusement britannique. Sur
les pas de « Morgane de toi », de Renaud, le single
« Julia » célèbre un heureux événement chez les Ar-
chimède. Moins potache, mais charmant…

Pour célébrer ses 20 ans de


musique, Astonvilla réappa- Gérard Manset
raît sur les écrans de contrôle
avec un 5e album studio. Le s’est posé
© DR

titre « Roule vite » revient aux


origines du groupe : rythme
heurté, guitare âpre, voix guttu- Dans la France in Rock, Manset est un mythe. Avec son 20 e album,
rale de Fred Franchitti. Comme Auteur, compositeur, interprète, écrivain, Un Oiseau s’est posé,
une heureuse réminiscence de Bashung-86… photographe, peintre, voyageur, il naît à Manset revisite 18 de ses classiques en « live »
Saint-Cloud en 1945 et débute en 1968 avec avec ses invités : Raphaël, Axel Bauer, dEUS
On le savait depuis 2007 et son 1er album, Repenti, le métaphorique « Animal on est mal ». Il et Mark Lanegan, des Queens of the Stone
Renan Luce, chaînon manquant entre Renaud et Sou- connaît le succès fou en 1975 : « Il voyage en Age… À ce jeu, on est ébloui par « No Man’s
chon, est une des plumes les plus fines de la chanson solitaire ». Depuis, perfectionniste, intran- Land Motel », version franco-anglaise de « Il
française. Son 3e album, D’une tonne à un tout petit sigeant, refusant scènes et plateaux télé, il voyage en solitaire », « Animal on est mal »
poids, ne déçoit pas : histoires de vie ironiques, clins fascine aussi bien les amoureux du texte que revu par dEUS, « Comme un guerrier » ou
d’œil tendres et superbe prise de son… Q les passionnés de la note juste et les fans du « Entrez dans le rêve »... Plus une douzaine
rythme sec. d’autres nouveaux classiques. Q J.-C. D.

68 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


Par Jean-Claude Demari et Edmond Sadaka

Coups de cœur
Livres à écouter Voix double
Par Sophie Patois
Depuis plusieurs années les albums de duos connaissent un
Marqué à jamais par l’effroyable expé- beau succès. Bon nombre d’artistes choisissent de revisiter
rience de la guerre de 1914, l’écrivain leur propre répertoire (ou de reprendre des airs connus) en
français Maurice Genevoix (1890-1980) s’entourant d’autres vedettes.
en a fait une matière littéraire de pre-
mier ordre. Normalien mobilisé le 2 août L’album de Gérard Lenorman,
1914, il racontera cette épreuve dans une Duos de mes chansons, fut l’un
série de 5 volumes rassemblés sous le des grands succès de l’année
titre générique de Ceux de 14. En 1972, 2011, et lui permit de relancer
l’académicien revient sur ce pan de son sa carrière. À ses côtés, pour
histoire dans La Mort de près, un texte chanter ses titres phares, des
époustouflant. Plus que des images, les artistes de la jeune génération
mots d’une précision inouïe sanglent de réussite qui n’arrêtera pas le tragique (Zaz, Grégoire, Joyce Jonathan…)
l’effroi, le froid, la mitraille et l’horreur du destin de cet auteur pourtant célébré (Prix mais aussi des vedettes confir-
combat. Lu par Bernard Métraux, cette Goncourt pour Les Racines du ciel notam- mées comme Maurane ou Florent Pagny.
œuvre remarquable est aussi un témoi- ment) qui se donna la mort en 1980,
gnage humain indispensable. un an après le suicide de son ex-femme, En 2008, Charles Aznavour a repris ses chansons les plus
Dans un tout autre style mais avec l’actrice Jean Seberg. Q célèbres aux côtés d’artistes prestigieux comme Elton John,
beaucoup d’intensité également, La Pro- Paul Anka, Sting, Placido Domingo, Céline Dion, Johnny Hal-
La Mort de près de Maurice Genevoix lu par
messe de l’aube de Romain Gary, récit Bernard Métraux, écoutez lire Gallimard.
lyday ou encore Nana Mouskouri.
autobiographique, renvoie aux grandes La Promesse de l’aube, de Romain Gary lu par
espérances maternelles. Une injonction Hervé Pierre de la Comédie-Française, écoutez Deux ans plus tôt, Michel Delpech réenregistrait 13 de ses
lire Gallimard. grands « tubes » (« Le Chasseur », « Quand j’étais chanteur »,
« Chez Laurette », etc.) avec notamment Alain Souchon, Julien
Clerc, Bénabar, Laurent Voulzy, Clarika, Francis Cabrel.

La Belge Maurane était en 2012 de passage aux Franco-


folies de Montréal pour son
spectacle « Carte blanche »,
qui célébrait ses 25 ans de
carrière. Elle avait convié
sur scène de nombreux
artistes, dont Isabelle Bou-
lay, Daniel Lavoie, Michel
Fugain. Un album souvenir
est né de ce moment : Mau-
rane live.

Aubert chante En 2008, le chanteur italo-belge Salvatore Adamo s’est en-

Houellebecq
touré de vedettes de la scène française (Thomas Dutronc,
Olivia Ruiz, Jeanne Cherhal, Alain Souchon, Julien Doré, Bé-
nabar) pour donner un souffle nouveau à ses plus grands
© DR

classiques, de « Tombe la neige » à « Inch’allah ».

Depuis Téléphone puis sa carrière solo, on Le résultat, Les Parages du vide, est éton- Il est arrivé en France à 10 ans et c’est une vraie
connaissait Jean-Louis Aubert comme namment gémellaire : le compositeur- star dans son pays (le Portugal) tout comme dans
l’un des auteurs les plus exigeants et les interprète Aubert s’approprie littéra- la communauté lusophone de France : Tony Carreira a sorti
plus torturés de la génération rock… En lement les textes… En particulier l’im- début 2014 un disque fran-
2014, il décide d’innover : comme avant pressionnant « Isolement », superbe mé- co-portugais où il chante
lui Stephan Eicher avec Philippe Djian lodie pour poème amoureux, ou encore notamment avec Gérard
et No One Is Innocent avec Maurice « Voilà, ce sera toi », poème d’amour sur Lenorman « Michelle »,
G. Dantec, Jean-Louis Aubert cède la mélodie superbe… Sans oublier le fort avec Michel Sardou « En
plume à un écrivain, mettant en musique rythmé « La possibilité d’une île », déjà chantant » et avec Serge
Configuration du dernier rivage, recueil mis en musique de façon plus languide Lama «Une île». Q
de poèmes de Michel Houellebecq qui par Carla Bruni… Un album essentiel,
a paru en 2013. totalement aubertien. Q J.-C. D.

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 69


A1. Chats chouchous
1 Je suis japonaise. Je suis blanche et rondelette. J’adore le rose ! Je porte souvent une fleur à
l’oreille. Mon prénom de 5 lettres commence par K.

2 Je suis acteur et j’ai joué aux côtés d’Audrey Hepburn. Ma robe rousse est tigrée. Je suis le seul
chat à avoir reçu à ce jour deux Patsy Award. Mon prénom évoque la couleur de mon pelage. Mon
prénom de 7 lettres commence par O.

3 Je suis française. Je suis astronaute : j’ai été le premier félin à voyager dans l’espace, en 1963 ! Je suis
noire au museau blanc. Mon prénom de 9 lettres commence par F et évoque un autre chat célèbre.

4 Je suis anglais. Médaillé de la Royal Navy, j’ai servi à bord d’une frégate entre 1948 et 1949. J’ai
reçu des milliers de lettres de mes admirateurs et des centaines de personnes ont assisté à mon
enterrement. Mon prénom de 5 lettres commence par S.

5 Je suis exceptionnellement habile et éloquent. Je suis mondialement connu. J’ai rendu riche mon
maître. Je porte chaussures aux pattes. Je n’ai pas de prénom.

A2. Tchatche de chat


Par Haydée Silva Associez chaque image à la B
réplique correspondante, puis
« Si on prend le mot inventez une réplique pour le A
journal, et qu’on chat restant.
D
remplace le J par un C, 1 Allez, maman, encore cinq minutes, j’ai trop sommeil !
le O par un H, le U par 2 Viens ici, fais-moi un bisou…
un A, le R par un T et 3 S’il te plaît, papounet, dis ouiiii !
qu’on supprime 4 Regarde, j’ai réussi ! Prends une photo, vite !

le reste, on obtient
le mot CHAT. C’est C
dingue, non ? »
(Philippe Geluck) E

B1. Le chat et le soleil


À l’aide du nuage Le c_ _ _ o_ _ _ _ _ les y_ _ _
de mots et du le s_ _ _ _ _ y e_ _ _ _
canevas ci-dessous, le c_ _ _ f_ _ _ _ les y_ _ _
reconstituez le s_ _ _ _ _ y r_ _ _ _
La fiche pédagogique le poème « Le chat et
à télécharger sur : le soleil » de Maurice v_ _ _ _ p_ _ _ _ _ _ _ le s_ _ _
www.fdlm.org Carême. q _ _ _ _ le c _ _ _ se r _ _ _ _ _ _ _
j’a _ _ _ _ _ _ _ dans le n _ _ _
d _ _ _ m _ _ _ _ _ _ _ de s _ _ _ _ _

70 Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014


B2. Chat alors !
Savez-vous…
1 Ce que se disent deux chats
quand ils sont amoureux ?
2 Ce qu’un chat demande quand
il entre dans une pharmacie ?
3 Comment faire aboyer un chat ?

C1. Mots miaulés


Trouvez sur la grille (de gauche à
droite, de droite à gauche, de haut en
bas, de bas en haut) une quinzaine de SOLUTIONS
mots en relation avec les chats. Besoin Chagrin ; d2. Chapon ; e3. Chapitre.
d’indices ? Consultez les définitions. a5. Charrue ; b4. Chaloupe ; c1.
C2. Chats rades en images
Définitions : Race de chat aux poils longs et soyeux. Changer de couleur suivant le jeu de la lumière, comme
les reflets des yeux du chat. Zone cutanée de l’extrémité de la patte, formée d’une épaisse couche de corne
souple. Qui marche en appuyant sur les doigts. Sorte d’assiette large et creuse sans rebord. Bruit de gorge que
fait entendre le chat en colère. Partie d’un toit associée aux chats de race indéterminée et commune. Forma-
tion cornée pointue et crochue. Boire à coups de langue. Faculté de bien voir dans l’obscurité. Synonyme de
pelage. Faire entendre de petits grondements continus et réguliers. Chat à poil ras et aux yeux bleus. Marqué
de bandes foncées. Extrémité du museau.

C2. Chats rades en images


Truffe.
Retrouvez la + = (chat) + (peau) = (chapeau).
Robe. Ronronner. Siamois. Tigré.
solution aux Gouttière. Griffe. Laper. Nyctalopie.
« additions » Digitigrade. Écuelle. Feulement.
suivantes en Angora. Chatoyer. Coussinet.
regroupant les C1. Mots miaulés
images trois par et il la boit (il aboie).
trois, les deux A On lui donne une soucoupe de lait
premières étant 1 sirop pour ma toux (matous) ? » 3.
l’équivalent sonore pour l’autre. » 2. « Puis-je avoir un
de la troisième : B
1. « Nous sommes faits l’un (félins)

2 B2. Chat alors !


de soleil.
çois dans le noir / deux morceaux
C / quand le chat se réveille / j’aper-
3 soleil y resta / voilà pourquoi le soir
entra / le chat ferma les yeux / le

D
Le chat ouvrit les yeux / le soleil y

4 B1. Le chat et le soleil


A3. B1. C4. E2.
A2. Tchatche de chat
E 4. Simon. 5. Le chat botté.
5 1. Kitty. 2. Orangey. 3. Félicette.
A1. Chats chouchous

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 71


appel à contribution

Le français dans le monde


c’est vous !

Partagez avec les lecteurs du français dans le monde vos expériences


en classe, vos projets pédagogiques, vos savoir-faire didactiques

Envoyez-nous vos compte-rendu, articles ou fiches pédagogiques


(7 000 signes, espaces compris, sous traitement de texte)
à l’adresse suivante : contribution@fdlm.org

Le français dans le monde // n° 394 // juillet-août 2014 79


ISSN 0015-9395
ISBN 978-2-090-37087-4

9 782090 370874

S-ar putea să vă placă și