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NOUVELLES MYTHOLOGIES

Collection dirigée par


Mazarine Pingeot et Sophie Nordmann

Interroger la norme, la représentation, les poncifs, révéler, au-delà de


leur apparente évidence, la construction sociale qui les sous-tend, tel est
le travail critique de ces « Nouvelles mythologies », des enquêtes, des
essais, des récits placés sous l’égide de Roland Barthes pour observer,
décrire et comprendre notre temps.
« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à
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réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété
intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

Conception graphique
Barbara Lhenry / Éditions Robert Laffont

© Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2017

ISBN 978-2-221-20041-4
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www.laffont.fr.
À Camille, mon évidence
« La confiance ! A-t-on besoin de la demander,
quand on la mérite ? »
Robespierre, Discours du 29 juillet 1792
Introduction

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai trouvé la France injuste et


belle. Son présent me désolait, son passé me consolait. Je l’aimais
autant que je la haïssais. Gambetta et Le Pen. Dans l’enfance, les
livres d’histoire étaient ma consolation et ma promesse. Plus tard, la
nuit, en quittant les bureaux des ministères, j’ai bien souvent erré
dans les splendeurs des salons vides. J’interpellais de Gaulle, Ferry,
Jaurès, Louise Michel ou Césaire. Ils étaient avec moi en
imagination. Je les cherchais en vain parmi mes contemporains. En
vain aussi je les ai cherchés en moi-même.

À l’école, on m’a bien fait comprendre qu’il y aurait ceux d’en


haut et ceux d’en bas. Ceux d’en haut pourraient prétendre changer
le système, s’ils le voulaient. Il fallait que je réussisse pour, depuis
l’intérieur, contribuer à la construction d’une France en accord avec
elle-même. Travaillons bien. Jouons le jeu. Je me suis fait violence
pour faire de belles études. J’ai appris à parer la vérité d’atours
plaisants : c’est ce qu’on me demandait. Jolies phrases, manière
d’être, savoir être, port de tête, voix soumise, hésitante. Rhétorique
classique mâtinée de subversion convenue, courtisanerie traçant
sans bruit les chemins sur lesquels passeraient, en contrebande, la
vie durant, les renforts permanents de l’ordre. Et j’ai connu la gloire
sincère des grandes écoles.
J’ai pris ensuite bien du plaisir à exercer les fonctions de
conseiller au cabinet du maire de Paris, puis dans différents
ministères sous le quinquennat de François Hollande. J’y ai
beaucoup appris. Je me suis senti très utile en travaillant au bien
commun. Toute ma vie je repenserai à ces moments avec joie et
reconnaissance, un jour, même, avec nostalgie. Mais à travers moi
désormais l’ordre établi se perpétuait. Ce livre est là pour mettre fin
à la traîtrise.

J’avais bien trop longtemps joué le jeu. Le masque avait fini par
coller à la peau. Je me disais : il faut des chefs. Bienveillants mais
des chefs quand même. Certains doivent diriger, d’autres suivre, c’est
comme ça. Mais que devient alors en politique l’idée même de
démocratie ? Qu’est-ce qui nous pousse à croire que gouvernement
des élites et gouvernement du peuple sont des formules
équivalentes ?

Ce livre défend l’idée qu’une mythologie politique fait obstacle à


la démocratie, en même temps qu’elle en entretient l’exigence
légitime. C’est elle qui, tout en nous encourageant à poursuivre
l’idéal d’égalité politique, cherche à nous contraindre, à l’inverse,
d’accepter la prétendue nécessité des représentants décidant pour
nous tous. C’est elle qui dissimule la contradiction dans les termes
de cette formule : démocratie représentative, et que j’appelle ici
l’« ordre représentatif ». Elle qui nous pousse à croire que cet ordre
est la moins pire des solutions.

1
Cette mythologie est elle-même constituée de quatre mythes.
Deux d’entre eux concernent la représentation politique – le mythe
des hommes meilleurs et le mythe des hommes compétents. Les deux
autres ont respectivement trait au peuple – le mythe du chaos
conjuré – et au citoyen – le mythe de la volonté libre. J’analyserai ces
mythes un par un après avoir éclairé la crise politique actuelle en
montrant ses causes historiques. Cette crise de la représentation,
cette défiance générale à l’encontre d’une classe politique totalement
décrédibilisée, rend plus lucide quant aux illusions générées par le
système lui-même, au-delà des hommes qui l’incarnent. Ses
secousses dissipent l’écran de fumée, laissent voir la nudité des rois.
J’écris ici à la lumière de ce moment particulier.

À sa lumière ? Un nouveau livre pour dénoncer les politiques ?


Certains diront : c’est inutile, superficiel, vu la gravité de la
situation. Pour eux c’est évident : si nous en sommes là, c’est la faute
au néolibéralisme. On ne traitera pas les raisons profondes du
problème en s’en prenant à des pantins maniés par de plus puissants
qu’eux. D’accord. Mais comment en finir avec le néolibéralisme ? Si
la réponse comporte un « on » – « On n’a qu’à faire ceci ou cela » –,
qui est précisément ce « on » ? Je répondrai qu’on n’a qu’à
commencer par la classe politique. Non par les politiques, mais par la
classe politique en tant que système.
Comme certains thérapeutes qui, pour soigner des addictions,
s’attaquent à leurs manifestations visibles, quotidiennes,
douloureuses, sans se lancer dans une longue et douteuse
investigation sur leurs racines psychiques, on peut, pour soulager
nos souffrances, s’en tenir au soin de ce symptôme qu’est la crise
démocratique. La classe politique est à portée de colère. À propos du
néolibéralisme, on demande au contraire : quel est son numéro de
téléphone ?

Je n’ai pas dans ma ligne de mire les personnes mais bien le


système en tant que tel. Ici, système n’est pas synonyme
e
d’institutions. La V République est une monarchie élective. Ses
représentants les plus éminents sont presque exclusivement issus des
rangs des élites sociales du pays, en tout cas ils leur obéissent. Ma
critique se veut pourtant plus radicale : c’est le fait même d’une
classe politique née de la division du travail que j’incrimine ici.
Cette classe met la souveraineté à l’envers. Dans la démocratie
représentative, la décision du citoyen est l’exception, et sa
délégation, la règle. Même quand elle s’actualise par le vote, la
souveraineté populaire consiste simplement à nommer des
concurrents se sentant solidaires entre eux – ils s’appellent même
mutuellement « collègues » au Parlement. Des collègues passant
désormais le plus clair de leur temps sous le feu des insultes.
Le système traverse aujourd’hui la crise la plus grave de son
histoire bicentenaire. Une crise où se joue son existence même.
I
La crise du gouvernement
représentatif
« L’ancien meurt et le nouveau ne peut
pas naître 1 » (Gramsci)
Le premier versant de la crise politique actuelle est sombre et
glacé. Il est dur comme les politiques professionnels. La terre sèche
de l’abstention couvre sa roche hostile. N’insistons pas. Nous
connaissons. Les politiques servent les intérêts des milieux
2
d’affaires . La presse est saturée de leur corruption. Leurs tentatives
de manipulation sont de plus en plus souvent mises en échec par les
journalistes d’investigation et les réseaux sociaux. Errance morale
qui se double souvent d’une incapacité à traiter les problèmes sur un
plan technique. La politique a ses recrutements, ses promotions, ses
mutations, ses mises au placard. Sauf à de très rares exceptions, c’est
un métier à vie. Pourtant, de toutes les professions, celle de politique
est presque la seule à ne pas vouloir s’avouer telle. Ceux qui
l’exercent brandissent comme un titre de gloire, quand c’est le cas,
de faire ou d’avoir fait autre chose dans la vie. Et, conscients de ce
qui leur arrive, les politiques répètent sans arrêt qu’ils ont vraiment
changé. Les bons éléments ne sont pas épargnés par l’indignation
générale. Leur voix parfois sensée est couverte par les beuglements
des apparatchiks inamovibles.
Et nous, dans tout ça ? Nous continuons d’espérer, un peu, qu’un
jour, quelqu’un, peut-être…

Sur l’autre versant de la crise, des mouvements démocratiques


3
fulgurent, font partout retentir leur écho . On n’y croit plus, aux
femmes ni aux hommes capables de sauver le monde. On place sa
foi dans la puissance du collectif. En Espagne, avec les Indignés ou
Podemos, envoyant 69 députés à l’Assemblée dès 2015. En Italie,
avec le Mouvement 5 étoiles : 1 500 élus locaux,
127 parlementaires, 17 députés européens, 11 mairies. En France,
avec Nuit debout. Aux États-Unis, avec Occupy Wall Street. En Sierra
Leone, avec le programme de participation populaire Leh Wi Tok. En
Amérique latine, à Taïwan, en Islande, en Chine aussi, la démocratie
s’imagine, se fait entendre et voir, disparaît, resurgit. Elle revendique
l’horizontalité de la décision, l’anonymisation du discours (les
participants à Nuit debout précisent systématiquement qu’ils n’en
4
sont pas les porte-parole et se font tous appeler « Camille ») ainsi
qu’un recours parcimonieux et vigilant à la représentation, tenue
5
pour un mal nécessaire .
Parallèlement, les citoyens sont de plus en plus nombreux à
boycotter, signer des pétitions, faire la grève ou manifester en
dehors de tout appel syndical. Ils occupent lieux de travail, espaces
6
publics, bâtiments ou sites menacés de destruction . Ils s’impliquent
dans la vie associative et locale, multiplient les initiatives pour le
7
lien social et la citoyenneté . Partout, la vie civique se réinvente.
Les professionnels de la politique proclament la République en
danger. En réalité, ce sont eux qui le sont.

La crise politique contemporaine constitue un nouvel épisode de


l’opposition entre démocratie réelle et démocratie d’apparence. Les
citoyens tentent de se réapproprier leurs droits civiques. On ne
cherche plus à changer d’hommes, mais de système. Pour se
défendre, les politiques rehaussent les barrières à l’entrée de leur
corporation, cherchent à rendre plus difficile l’accès au marché des
8
voix .
Pourquoi la démocratie ne vient-elle pas à bout de cette classe
politique partout pointée du doigt, partout cernée ?
C’est même le contraire qui se passe. En Espagne, le Parti
populaire a fait son retour alors que la poussière de l’épopée des
Indignés n’était pas retombée. En 2012, le référendum sur la
nouvelle Constitution islandaise, plus démocratique, a suscité une
participation ridicule, et les conservateurs ont remporté les élections
seulement quatre ans après la révolution des casseroles. Quant aux
Irlandais, rappelés à voter un an après avoir dit « Non » au traité de
Lisbonne en 2008, ils se sont soumis à leurs élites leur intimant
l’ordre de dire « Oui ». Pourquoi l’échec des référendums de 2005 et
2009 sur le nouveau système électoral de la Colombie-Britannique
(une des provinces du Canada) ? Élaboré par des citoyens tirés au
sort, fruit d’un an de travail soutenu, ce nouveau système semblait
9
pourtant plus juste . Et pourquoi l’écrasement par les urnes de
l’initiative « Oui, pour que ta voix compte » ? Lancée au
Liechtenstein en 2012, cette votation populaire voulait supprimer le
droit de veto du prince, après la menace proférée par celui-ci de
10
s’opposer à toute loi visant à légaliser l’avortement . Ses pouvoirs
sont régulièrement élargis depuis. En France, l’élection de 2007,
pourtant marquée par l’irruption du thème de la participation, s’est
soldée par le triomphe du plus résolu partisan du despotisme
républicain. Une victoire de l’extrême droite à la présidentielle de
2017, soit quelques mois seulement après Nuit debout, n’a rien
d’impossible. Comment expliquer que la réaction triomphe par les
urnes de la démocratie réelle ?

La violence légitime des élites


Répression d’Occupy Wall Street, des Indignés, de Nuit debout…
Vu le traitement infligé par l’ordre représentatif à ces mouvements
quand ils prennent de l’ampleur, on est tenté de répondre : c’est la
1
violence qui fait obstacle à la démocratie réelle . Mais pourquoi
celle-ci n’est-elle pas davantage critiquée par l’opinion publique ?
C’est que nous sommes les héritiers d’un long conflit entre les
partisans du pouvoir de tous et les partisans du pouvoir de quelques-
uns prétendument meilleurs que les autres. Catalysé par
la révolution de 1789, ce conflit s’est poursuivi tout au long du
e
XIX siècle, avant que s’ouvre une période de paix sociale où la

violence populaire demeure une possibilité à laquelle il est admis de


répondre sans ménagement. Notre système est la stabilisation
précaire d’une guerre civile toujours possible. Il est le fruit d’un
compromis entre les partisans de l’oligarchie et ceux de la
démocratie, compromis né, pour emprunter une expression
de Michel Foucault, de la continuation de la guerre par d’autres
2
moyens : ceux des actes réglementaires et de la politique, soutenus,
si besoin, par la force toujours mobilisable.

C’est la classe politique qui assume le rôle de force d’interposition


dans une guerre toujours latente entre le petit nombre de ceux qui
possèdent le pouvoir et les partisans de son partage.
D’invention récente à l’échelle de l’Histoire, cette classe a tout
d’abord garanti l’ordre représentatif au bénéfice des vainqueurs de la
révolution de 1789 : les propriétaires. La révolution de 1789 fut
avant tout initiée par la bourgeoisie de la richesse mobilière : celle
3
des banques, des manufactures et du grand commerce . Victorieux,
les révolutionnaires opposèrent ensuite, explicitement, le
gouvernement mesuré des élites économiques et intellectuelles à la
démocratie, régime honni, pouvoir des passions déréglées de la
plèbe. En cela ils n’innovaient pas ; comme l’écrit Jacques Rancière :
« Le mot lui-même [de démocratie] est l’expression d’une haine. Il a
d’abord été une insulte inventée [dans la Grèce antique]. Il est resté
synonyme d’abomination pour tous ceux qui pensaient que le
pouvoir revenait de droit à ceux qui y étaient destinés par leur
4
naissance ou appelés par leurs compétences . » L’élite sociale était
sincèrement convaincue d’être la plus à même de décider de ce qui
5
était bon pour tous .
Dès ses débuts, la République s’est assumée comme oligarchique.
Cette décision pèse encore lourdement sur notre actualité. Dans son
discours du 29 juillet 1792 sur la déchéance du roi et le
renouvellement de la législature, Robespierre a ainsi prononcé des
paroles qui s’appliquent assez bien à notre époque : « [Les
représentants] n’étaient, de leur aveu même, que des mandataires
du peuple, et ils se sont faits souverains, c’est-à-dire despotes (…). Si
la nation n’a point encore recueilli les fruits de la révolution, si des
intrigants ont remplacé d’autres intrigants, si une tyrannie légale
semble avoir succédé à l’ancien despotisme, n’en cherchez point
ailleurs la cause que dans le privilège que se sont arrogé les
mandataires du peuple, de se jouer impunément des droits de ceux
6
qu’ils ont caressés bassement pendant les élections . »

e
Tout au long du XIX siècle, le projet hégémonique des
révolutionnaires issus de la richesse mobilière s’est heurté à la
résistance intellectuelle, politique, syndicale ou armée de ceux qui
cherchaient à accorder la réalité gouvernementale aux véritables
idéaux de la Révolution.
La répression de la Commune, qui avait adopté le principe de
révocabilité permanente de ses élus « au lieu, comme l’écrit Marx, de
décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe
dirigeante devait “représenter” et fouler aux pieds le peuple au
7
Parlement », est venue mettre un coup d’arrêt brutal aux tentatives
des classes populaires pour récupérer par les armes leur droit à
l’élaboration des décisions collectives. Que fallait-il faire d’autre,
s’indigne le duc de Broglie, face à l’obstination de la « canaille », au
« refus de la plèbe d’admettre l’ascendant normal des classes élevées
8
et supérieures » ?

e
Depuis le milieu du XX siècle, l’interminable litanie contre les
dictatures communistes n’a cessé de conforter la victoire des
partisans du pouvoir confié aux élites sociales. Staline a été une
aubaine pour l’ordre représentatif. Il n’y a pas d’alternative. Gauche,
droite : leur opposition réside pour l’essentiel dans leur bonté plus
ou moins grande envers les dominés. Robert Badinter, Nicolas
Sarkozy : ce n’est pas rien comme différence. Aucun pourtant n’est
disposé à partager le pouvoir au-delà d’un cercle restreint.
Déclaration assénée sur un ton martial par le président de la
République et le Premier ministre français (les généraux en chef de
cette force d’interposition qu’est la classe politique), signifiant le
miracle d’un gouvernement tempéré mais efficace, modéré mais
chargé de passions patriotiques mobilisables à tout instant, la
République servirait de rempart aux errances populistes d’une
démocratie impossible.

Le combat pour la démocratie réelle n’aura cependant pas été


vain. Le suffrage universel est ainsi, selon le philosophe Jacques
Rancière, « une concession arrachée à un type de gouvernement
originellement construit par les élites fortunées et cultivées contre
l’idée même de démocratie, et tenant pour équivalents le
gouvernement des meilleurs et la défense de l’ordre propriétaire
(…). Il est une forme mixte, née de l’oligarchie, détournée par le
combat démocratique et perpétuellement reconquise par l’oligarchie
qui propose ses candidats et quelquefois ses décisions au choix du
9
corps électoral ». Le spectacle des révolutions d’inspiration
10
communiste au début du XX siècle a également poussé les
gouvernements occidentaux à consentir, par ce que Pierre
20
Rosanvallon appelle le « réformisme de la peur », à de grandes
avancées sociales.
Mixte d’aristocratie, où seules les élites sociales gouvernent, et de
démocratie, puisque le peuple choisit parmi les élites celles qui lui
conviennent le mieux ; initialement construit contre le
gouvernement d’un peuple rapidement assimilé à « la populace », et
auquel la peur des insurrections a tout de même imposé de sérieux
infléchissements, l’ordre représentatif s’est peu à peu imposé comme
la réalité prétendument indépassable de notre vie politique.

Quand les élites révisent l’Histoire


Partout en France des monuments et des lieux confortent
1
symboliquement ce triomphe des classes supérieures . La tombe
immense d’Adolphe Thiers, chef du pouvoir exécutif après la chute
de l’empire, artisan de l’écrasement sans pitié de la Commune de
Paris (mars-mai 1871), trône au centre du Père-Lachaise. À quelques
pas de là se trouve le mur des Fédérés, où furent fusillés les derniers
communards, grand final d’une répression atroce que Thiers
proclame être « une des plus grandes victoires que l’ordre social et la
2
civilisation aient jamais remportées ». Sortant de la gare de Nancy,
on débouche sur une place qui porte le nom de ce grand adversaire
de la démocratie : place Thiers. Encore lui. À l’inverse, c’est au terme
de débats stupéfiants qu’on a accordé à Robespierre le nom d’une
station de métro ou d’une rue minuscule.
Des distinctions prestigieuses font aussi la gloire des chantres de
l’ordre représentatif. Ainsi du prix Goncourt, du nom de Jules et
Edmond de Goncourt. Inquiet, ce dernier écrivait dans son Journal,
au début de la Commune : « Ce qui arrive c’est tout bonnement la
conquête de la France par la population ouvrière. Le gouvernement
quitte les mains de ceux qui ont un intérêt matériel à la conservation
3
de la société . » Et le 14 Juillet ? Rappelle-t-il la prise de la Bastille,
ou la fête de la Fédération un an plus tard, une démonstration de
force des propriétaires et de l’armée désormais à destination des
4
bouillonnants sans-culottes ?
Nous baignons dans des signes accréditant l’idée que ce pays doit
tout à ses élites sociales. Quand elles n’écrasaient pas dans le sang
les revendications du peuple, elles n’ont pourtant pas trop brillé par
leur courage. De Gaulle décrit savoureusement dans ses Mémoires
comment il fut lâché en rase campagne par les « notables » de la
5
France de 1940 . À l’exception de cet acte inaugural et sublime que
fut l’épopée de 1789, l’élite sociale française a semblé plus occupée à
faire réviser l’histoire en sa propre faveur qu’à y accomplir de belles
choses.

Une construction symbolique prolonge ainsi, dans les esprits,


l’adhésion à cet ordre représentatif qu’on appelle aujourd’hui,
abusivement, démocratie. Comme toute mythologie, au sens où
l’entendait Roland Barthes, celle de la politique contemporaine
cherche à naturaliser ce qui a été brutalement imposé. Les choses,
nous disent les mythes, n’auraient pu être autrement. Ils
transforment « l’Histoire en Nature », écrit Barthes. Ils peuplent
6
l’« univers indistinct » du seul « Homme éternel », évacuant toute la
violence qu’ont dû déployer certains pour dominer les autres. Ce
seront eux, les autres, qui, au contraire, feront violence à la
démocratie en s’attaquant à l’ordre établi.
La mythologie de la politique contemporaine cherche à faire
passer notre système pour ce « gouvernement du peuple, par le
peuple, pour le peuple » en lequel Abraham Lincoln voit la seule
7
cause légitime de tout combat armé . Préserver l’ordre représentatif
justifiera la violence : la liberté, avanceront les élites sociales, est à
ce prix.

Dominants et dominés changent de visage en fonction de


e
l’époque. Les grands industriels du XIX siècle ont passé le relais aux
managers, aux financiers, aux consultants, aux entrepreneurs du
Net, aux ingénieurs des Mines, aux inspecteurs des finances. Aux
rhétoriciens traitant bien leur bonne et leurs paysans, mais effrayés
par la Commune, aux honnêtes littérateurs pleurant à la lecture des
Misérables, mais insultant le député Hugo, ont succédé des
journalistes complaisants, des universitaires recrutant des
semblables, des stars du show-biz préférant la charité à l’égalité. En
face d’eux qui ont-ils ? Non pas les prolétaires unis par la lutte et la
solidarité, non pas les ouvriers des grandes mines et des fourneaux
fumants se débattant pour leur survie, mais la grande masse des
classes moyennes et populaires, des précaires et de ceux qui ne
travaillent pas.
Ce qui n’a pas changé en revanche depuis l’avènement de l’idée
démocratique, c’est que se perpétuent, dans le champ politique, les
hiérarchies du champ social. Ce n’est pas juste, mais on s’y est fait.
On a pris l’habitude que ceux qui ont le pouvoir dans la société
dominent aussi dans les assemblées. Ce sont les élites sociales qui
fixent l’agenda des questions politiques, les termes de leur
formulation, le répertoire des réponses possibles. Aujourd’hui avant
tout économique et financière, l’élite sociale est obsédée par la dette
de l’État, la fiscalité, l’attractivité de la France, la compétitivité des
entreprises. On n’entendra donc parler que de ça. L’élite porte aux
responsabilités ceux qui sauront poser et résoudre ses problèmes à
elle, dans ses termes à elle.
Mais si demain c’étaient les peintres qui occupaient le haut du
pavé social, on ne parlerait plus en politique que de peintures, de
toiles, de cadres ou de marché de l’art. Si c’étaient les sportifs, ce
serait par l’organisation des jeux Olympiques ou par la réfection des
stades qu’on serait occupés, comme on l’est aujourd’hui par les
grands contrats ou l’allègement des charges.
Ainsi, le champ politique reproduit le champ social. La
démocratie suppose pourtant que chacun, quelle que soit sa position
sociale, participe également aux décisions portant sur les forces qu’il
met en commun ainsi qu’à la définition des priorités. Elle exige
qu’un chef d’entreprise, qu’un chômeur, qu’une start-upeuse, qu’un
chauffeur-livreur, qu’une infirmière ou qu’un professeur cessent
d’être ce qu’ils sont dans la société chaque fois qu’ils entrent dans le
champ civique.
Sous les masques divers que l’époque leur fait prendre, les élites
gouvernent et se passent le flambeau du choix « pour tout le
monde ». L’ordre politique est représentatif non du peuple, mais de
la hiérarchie sociale. Qu’importe : la mythologie est là pour
conserver les apparences. Selon elle, la démocratie confierait
idéalement le pouvoir aux plus sages et aux plus compétents des
hommes.

Des sages ? Les politiques ? Avec leurs mises en examen ?


Rappelons-nous d’abord que les citoyens font spontanément
bénéficier les politiques d’un traitement moral à part. Ils leur
accordent une indulgence proportionnelle à l’ardeur des tentations
auxquelles ils sont soumis. La sélection des plus sages devrait ainsi
être tenue pour un idéal à poursuivre. Cette vision des choses
présente la crise actuelle comme un problème de personnes, non de
système. Après les incompétents d’aujourd’hui, d’autres viendront
qui seront meilleurs et nous sauveront. Faut-il le croire ?
II
Le mythe du gouvernement
des plus sages
D’où vient le charisme des politiques ?
Nous n’aimons pas les politiques. Pourtant, que l’un d’eux, un
peu célèbre, fasse son entrée dans une pièce et tout le monde se
taira. Qu’il vous parle, vous vous mettrez pour ainsi dire au garde-à-
vous, vous sourirez bêtement à ses blagues insipides, vous
tremblerez, vous chercherez vos mots pour lui répondre. Il faut du
courage pour dire au président de la République : « Touche-moi pas,
tu me salis ! », car quelque chose de magique l’entoure.
J’ai pu observer ce phénomène sur moi-même, y compris au
contact de femmes et d’hommes politiques pour lesquels je n’avais
aucune admiration particulière, c’est le moins qu’on puisse dire. J’ai
ressenti une irrépressible joie la première fois que j’ai croisé Rachida
Dati dans les travées du Conseil de Paris, et la même joie servile, un
dimanche matin, en la voyant se promener sans apparat dans le
e
VII arrondissement.
Un halo de sainteté entoure les puissants. L’alimente peut-être en
secret la tradition leur attribuant des pouvoirs surnaturels :
« Vespasien revenant d’Assyrie, écrit La Boétie, et passant par
Alexandrie pour aller à Rome s’emparer de l’empire fit des
merveilles : il redressait les boiteux, il rendait clairvoyants les
aveugles, et tout plein d’autres belles choses qui ne pouvaient être
crues, à mon avis, que par de plus aveugles que ceux qu’il
1
guérissait . » Mis à part ce résidu farfelu du soin moyenâgeux des
2
écrouelles qu’est la grâce présidentielle , nous savons pourtant bien
que les politiques ne font pas de miracles. Alors pourquoi cette
auréole ?
Blaise Pascal dévoile les mécanismes psychiques par lesquels
nous en venons à révérer, rien qu’en en percevant l’apparence, la
personne même du puissant : « La coutume [on dirait aujourd’hui
l’habitude] de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours,
d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine [notre
corps] vers le respect et la terreur [fait] que leur visage, quand il est
quelquefois seul et sans ces accompagnements, imprime dans leurs
sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la
pensée leur personne d’avec leur suite qu’on y voit d’ordinaire jointe.
Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume croit
qu’il vient d’une force naturelle. Et de là viennent ces mots : le
3
caractère de la divinité est empreint sur son visage, etc. » Le visage
du roi tient en respect simplement parce qu’on ne le distingue plus
des cohortes de gendarmes, gardes du corps, conseillers à gros
dossiers, hauts fonctionnaires, communicants virevoltants,
journalistes chargés d’appareils high-tech qui l’entourent
habituellement.
Un ami, pourtant d’extrême gauche, m’a confessé avoir crié
« Vive la France ! » au passage de Jacques Chirac, qu’il voyait pour la
première fois, en vrai, remonter lentement la rue Soufflot dans toute
la pompe de sa gloire avant de franchir, d’un pas solennel, les portes
immenses du Panthéon pour escorter Alexandre Dumas dans
l’éternité.
Le politique est seul à la tribune sous un cône de lumière
dissipant les ténèbres. Les mots tonnent et s’abattent sur la foule en
bas dans le noir. Le décorum fait de l’homme un grand homme. Sa
voix devient acclamations. On ne l’entend plus sans frémir. Son
visage est celui de la nation. Sa personne incarne le public du
plateau de télévision dont le casting a été soigneusement réalisé par
le conseiller en communication. Elle est l’image des Français.
Par association d’idées, ce mécanisme confère la puissance à
l’apparence de l’élu. Il implique également un troisième terme : celui
de « bourgeoisie ».
e
Le style bourgeois du XIX siècle, période de la fortune des
Rougon, de l’opposition frontale entre ouvriers et propriétaires
d’usines, d’Haussmann et des boiseries cossues, des beaux hôtels
e
particuliers du VII arrondissement parisien et des tableaux
pompiers, s’affiche glorieusement dans tous les rites du pouvoir. Les
interviews du président dans son bureau doré, ses conférences dans
les salons de l’Élysée rappellent chaque fois la victoire d’une certaine
manière d’être et de penser : celle de la bourgeoisie. À l’inverse, les
jeans de Cécile Duflot soulèvent un tollé.
Devant tant de faste, aux repas officiels où il faut se conformer
aux us et coutumes de la haute société (commencer par les couverts
de l’extérieur puis prendre ceux du milieu…), durant les réunions de
cabinet, où se perpétuent l’action et la présence mystique du
responsable politique, celui qui n’est pas familier des mœurs du
grand monde est ébloui par ces êtres augmentés, prolongés par tant
de richesses, que sont les hauts responsables politiques. D’autres
sont plus à l’aise. Ils sont chez eux dans les lieux de la République.
Est-ce bien normal que tout le monde ne puisse pas en dire autant ?

Lors de ma première réunion interministérielle à l’hôtel Matignon


(j’étais alors au cabinet de la ministre du Commerce extérieur),
arrivé le premier, je m’étais assis au centre afin de mieux entendre.
D’un regard de l’organisateur, conseiller du Premier ministre, je fus
projeté à l’extrémité de la table en chêne. Ma fierté ravalée, je pris
quelquefois la parole avec véhémence, parce que le sujet me tenait à
cœur, et que les solutions ne m’allaient pas. On posait sur moi des
yeux froids. On m’écoutait poliment. Avant de continuer comme si je
n’avais rien dit. « La règle, me dit mon directeur de cabinet, c’est de
toujours sembler d’accord. C’est comme ça qu’on fait passer les
idées. »
Toi, qui n’es pas du grand monde, rappelle-toi que tu es toléré
parmi les ors !

Le travail gouvernemental est chargé de préséances rappelant au


respect de la hiérarchie sociale. Au lieu de donner à voir la nation
dans sa pluralité, les symboles actuels du pouvoir renvoient
uniquement à l’élite du moment, héritière de celle du passé.

Un raisonnement s’est installé inconsciemment dans les esprits :


la force appartient au pouvoir politique ; le pouvoir politique
appartient à l’élite sociale. La force appartient donc à l’élite sociale.
Pour paraphraser Pascal, on peut dire que nous sommes soumis à la
4
classe politique et à nos élites par deux « cordes d’imagination »
leur attribuant l’apparence de la force et la légitimité de la violence.
Et nous ployons.

La violence de l’universel
Force aussi grande que juste. Selon le mythe, seul celui qui ne
manque de rien sur le plan matériel et jouit de toute la considération
sociale saura mettre son action au service de quelque chose qui le
dépasse. Lui seul ne s’épuise pas dans un dur labeur du soir au
matin. Il n’éprouve pas ce ressentiment qui écrase le dominé et le
1
rend dangereux . Il a disposé du temps nécessaire à de longues
études indispensables à la connaissance de l’universel et de la
société. « Les pères fondateurs américains ou les partisans français
du régime censitaire n’ont en effet, remarque Jacques Rancière, vu
nulle malice à identifier la figure du propriétaire à celle de l’homme
public capable de s’élever au-dessus des intérêts mesquins de la vie
2
économique et sociale . »
Cultivée, apaisée, libérée de la tyrannie des besoins, l’élite sociale
pourra guider le peuple vers son salut en prenant des décisions
inspirées par l’universel : ce qui est juste et bon pour tout le monde.

e
Les leaders politiques de la III République ont souvent utilisé
l’argument de l’universel pour légitimer la violence. Ils ont
notamment justifié la colonisation par ce biais. Pour Jules Ferry,
3
« les races supérieures ont un droit [et] un devoir » de civilisation
vis-à-vis des « races » inférieures. La colonisation est un bienfait y
compris pour ceux qui la subissent. Pour la conduire, c’est à bon
droit qu’on usera de force. De même, on pourra, pour le bien de
tous, forcer le petit peuple à adopter ce que les élites sociales auront
unilatéralement décidé.
C’est pourquoi l’uniformité sociologique des gouvernements, des
cabinets, des assemblées nationales, n’émeut pas vraiment la classe
politique. Aucun ouvrier député ? Oui, et alors ! Aucun précaire ?
Encore heureux ! Que comprennent-ils au bien commun eux qui
galèrent soir et matin ? Aucun chômeur ? Il ne manquerait plus que
ça ! On ne remet pas les clés du destin collectif aux désespérés !

Toute occasion sera bonne pour rappeler la sombre incurie


populaire, et les méfaits de ses coups de sang irréfléchis. En 2005,
bordée d’injures après le « Non » au référendum sur l’Europe.
Salauds de pauvres et de populistes ! Vous ne comprenez pas ?
L’Europe, bon Dieu, c’est le modèle de l’universalisme ! Nouvelle
pluie acide après le Brexit. Un reportage diffusé sur France 2 le
30 juin 2016 nous invite à nous apitoyer sur le sort de petites filles
interviewées à Hyde Park, l’un des quartiers les plus favorisés de
Londres. D’un petit ton triste et charmant, elles nous expliquent qu’à
cause du Brexit, il leur sera plus difficile de faire leurs études à
4
l’étranger ou d’y partir en vacances . Jusqu’à quand fera-t-on
obstacle au rêve d’Érasme et de Hugo ? À dix ans d’intervalle, les
textes de Serge July et de Bernard Henri-Lévy, respectivement sur le
« Non » au traité constitutionnel et sur le Brexit, témoignent bien de
5
cette violence prétendument légitime de l’universalisme .
Le vote contre la construction des minarets en Suisse ? Une
nouvelle manifestation du racisme bien connu du peuple. Pourtant,
pas un mot sur les 206 autres initiatives populaires ayant fait l’objet
d’une votation depuis leur instauration en 1848, ni sur
les 218 référendums obligatoires – portant sur des modifications
constitutionnelles – ou les 180 référendums facultatifs – qui
permettent aux citoyens de s’opposer à n’importe quelle loi votée par
le Parlement fédéral –, sans compter les référendums locaux dans un
6
pays qui n’a rien d’une bourgade avec ses 5,2 millions d’électeurs .
On disserte sur le référendum croate de 2013 précisant dans la
Constitution que « le mariage est l’union entre un homme et une
femme », exclusivement. Quel contraste, dira-t-on, avec la classe
politique éclairée à qui la France doit le mariage pour tous ! Mais
parle-t-on des Irlandais, qui, en 2015, ont choisi à 62,1 % d’autoriser
le mariage entre personnes de même sexe. Oublie-t-on que la Manif
pour tous est partie des beaux quartiers ? On agite le spectre de la
peine de mort sans cesse tiré, par la furie crasseuse du peuple ignare
et bête, de ce néant où seule a su le plonger la clairvoyance
supérieure des élites. On oublie que c’est ce même peuple qui a voté
en 1981 pour François Mitterrand, dont le programme comportait
explicitement l’abolition de la peine de mort, et que, dans une
séquence devenue légendaire, le candidat avait affirmé, droit dans
les yeux des téléspectateurs, qu’il appliquerait cette mesure à
laquelle seuls des sondages prétendaient que les Français y étaient
opposés. On répète à l’envi l’idée sans preuve que l’instauration du
référendum d’initiative populaire rendrait le gouvernement
impossible à cause du détournement systématique qu’en feraient
les partis extrêmes. Sans se soucier des contre-exemples de la Suisse
ou du Liechtenstein, où ce genre d’obstruction ne s’est jamais
produit.
Enfin, tout au plaisir d’apprendre aux autres ce qu’ils ont à faire,
on cherche à oublier qu’« un peuple, comme le rappelle
magnifiquement Rousseau, est toujours le maître de changer ses lois,
même les meilleures ; car s’il lui plaît de se faire mal à lui-même, qui
7
est-ce qui a droit de l’en empêcher ? ». Qui dit en effet qu’une
décision démocratique est nécessairement admirable ? Elle sera la
plus conforme possible à la volonté d’un peuple donné. Rien de plus.

Ainsi s’exprime le mythe de la démocratie : malgré les défauts


des femmes et des hommes politiques actuels, l’ordre représentatif
vaudrait quand même mieux que les errements du peuple. Faisons le
gros dos jusqu’à ce que des héros viennent. De ces grands
personnages, on tolérera toujours quelques petits pas de côté avec la
morale. Après tout, l’espace politique est un espace à part. Pourvu
qu’ils nous sauvent, ça ira. Ainsi, l’indignation le dispute à la
conviction que l’action politique n’a pas à être régie par le droit
commun. Faute de sages, nous pourrions avoir les plus sages
possibles. Le mythe fait croire dur comme fer à la venue de
rédempteurs, tout en protégeant les corrompus que nous inflige la
situation politique actuelle.

Le principe de hiérarchie
Quelques êtres seulement pourront formuler ce qui est bon pour
tous : les femmes et les hommes politiques. Ils en confieront
l’application concrète à d’autres, dotés de la même hauteur de vue
qu’eux.
Ainsi du pacte de responsabilité et de solidarité. Annoncé par le
président de la République le 31 décembre 2013, il vise à accorder
des allégements de charges aux entreprises (entendre : aux chefs
1
d’entreprise) pour leur permettre de créer de l’emploi en France . Il
s’agit de faire confiance aux talents, d’en appeler à leur conscience
de la situation gravissime de la France. Cette improbable union
sacrée, où les élites économiques agiraient dans l’intérêt général
sans être tenues par des contreparties, ne produira pas les résultats
2
escomptés .
Pour consulter ce qu’ils appellent la « société civile », c’est vers
les élites également que le principe de hiérarchie oriente les
responsables politiques. Le lendemain des attentats de janvier 2015,
le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports ainsi que la
secrétaire d’État chargée de la Ville, auprès de laquelle je travaillais
alors, avaient décidé de réunir des associations pour réfléchir à la
crise des valeurs dans ces ghettos de la misère dont étaient issus les
meurtriers de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher et de Montrouge. Il
n’y avait dans la salle pratiquement que des représentants de
grandes associations nationales. Les orateurs, qui pour certains,
comme ils le reconnaissaient eux-mêmes, avaient eu la chance de
naître dans de beaux quartiers et de faire de belles études,
estimaient sincèrement révoltant qu’on n’ait pas donné à tous la
chance de partager les mêmes valeurs du vivre ensemble : « Nous
sommes tous coupables », « Nous avons raté quelque chose », etc.
Une bienveillance qui n’est pas allée jusqu’à donner la parole aux
quartiers difficiles en question. Là encore, le principe de hiérarchie
avait été mis en œuvre :
— Culture : soutien aux artistes installés plutôt qu’à ceux qui
sont en pleine ascension ;
— Sport : priorité donnée au professionnel sur l’amateur ;
— Recherche : vastes partenariats public/privé plutôt qu’aide aux
petits laboratoires…
Dans chaque branche, le principe de hiérarchie prend d’abord
soin de l’élite. Charge à elle, ensuite, de s’occuper, à son tour, d’une
foule d’obligés.
Les élites placent une confiance sans limites dans leur propre
sens de l’intérêt général. Confiance incroyable, pour qui n’a pas vu
de près combien naturellement, aveuglément, se transmet, entre
semblables de haut vol, ce flambeau ardent du devoir dont les
couches sociales supérieures s’imaginent sérieusement investies.

Le principe de hiérarchie impliquera de tancer quelquefois le


peuple. L’attitude de certains conseillers de cabinet, sincèrement
animés de bonnes intentions, me faisait penser à ces mots de
Nizan à propos du bourgeois feignant de « traiter le peuple comme
l’ensemble de ses enfants ; il le reprend, l’avertit, le secourt, car il est
assez clair que le peuple ne saurait prendre lui-même en main ses
destinées. Quand il punit le peuple, il le punit comme son propre
3
enfant, pour son bien ».

Qu’est-ce qu’une question politique ?


La justification de la délégation des pouvoirs civiques se
recommande souvent d’une vision tragique de l’Histoire. Les grandes
actions appellent, argue-t-on, les hommes d’exception. L’œuvre du
grand homme, écrit Hegel, « est donc ce que visait la véritable
volonté des autres ; c’est pourquoi elle exerce sur eux un pouvoir
qu’ils acceptent malgré les réticences de leur volonté consciente :
s’ils suivent ces conducteurs d’âmes, c’est parce qu’ils y sentent la
puissance irrésistible de leur propre esprit intérieur venant à leur
1
rencontre ». Mais la vie politique de tous les jours ? Ces sublimes
délires de Hegel sur le héros sachant instinctivement ce qu’il nous
faut à tous, ses constructions magistrales et dangereuses sur le génie
porteur d’universel et de clarté dissipant les ténèbres pour imposer
sa volonté : ces développements grandioses et dictatoriaux
embrument encore l’esprit des intellectuels contemporains, presque
tous au service de l’ordre représentatif.
Au quotidien, l’activité politique n’a pas cette grandiloquence. Au
lieu d’embrasser d’un coup d’œil, avec Hegel, l’histoire universelle
(de l’Occident), et ceux qui l’ont faite pour, dit-on, notre plus grand
bien ; au lieu de nous extasier sur les amoureux du sabre, des
flammes et du sang, penchons-nous, plus modestement, sur ce qu’est
une question politique. Demandons-nous alors si une réponse à celle-
ci peut être, comme le prétend le mythe du gouvernement des plus
sages, formulée de façon unilatérale par des professionnels élus.

Une question politique se situe, par définition même, au


croisement des sciences. Elle ne relève exclusivement d’aucune en
particulier. Par ailleurs, elle implique toujours une dimension
humaine.
Les problèmes que se pose un ingénieur à propos des moyens de
repousser le point de fusion d’un matériau ne sont pas politiques.
Ceux qui concernent sa carrière le sont : ils entrecroisent des
considérations techniques et de personnes. L’agent comptable d’un
collège peut s’en tenir à ce que lui ont appris ses études ou
l’expérience pour calculer les recettes annuelles de son
établissement, pas pour contribuer à l’apaisement d’un conflit, qui
lui pourrit la vie au quotidien, entre le proviseur et le proviseur
adjoint. Le sociologue a des méthodes et des procédures, acquises
par la théorie et par la pratique, qu’il appliquera à des objets divers,
sous le contrôle rigoureux de ses pairs qui le liront et le
sanctionneront. Quant aux élus, pour décider de la construction d’un
complexe sportif, ils consulteront des ingénieurs, des architectes, des
urbanistes, des paysagistes, des comptables ou des sociologues, sans
que leur décision puisse prétendre à la validation ou à l’infirmation
par aucun de ces professionnels ; ce sont les citoyens qui, au final,
diront s’ils ont eu raison d’agir comme ils l’ont fait.

La question politique recèle aussi une pluralité de valeurs


morales entre lesquelles il faudra choisir. Comment trancher entre la
construction d’une autoroute, qui, selon le spécialiste de
l’aménagement du territoire, générera x emplois par an dans les y
communes environnantes sur les z années à venir, et la préservation
de l’écosystème « unique en Europe », affirme le botaniste, d’une
2
forêt fertile que cette autoroute menacerait ? Que choisir entre
l’environnement et l’emploi ?
Toute question politique naît ainsi d’un besoin, clairement
exprimé (mais que veut dire « clairement » ?) par la population –
vivre en sécurité, travailler, lutter contre le cancer – ou validé
a posteriori par le bon fonctionnement de ce qui aura été proposé –
comme un nouvel équipement se révélant à l’usage pertinent. Y
répondre implique de faire des choix entre des intérêts concurrents
nés de la diversité de ces besoins. Ainsi, pour Hume, « quand une
passion n’est pas fondée sur de fausses suppositions, quand nous ne
choisissons pas des moyens impropres pour atteindre la fin,
l’entendement ne peut jamais la légitimer ou la condamner. Il n’est
pas contraire à la raison que je préfère la destruction du monde
entier à l’égratignure de mon doigt. Il n’est pas contraire à la raison
que je choisisse ma ruine totale pour empêcher le moindre déplaisir
d’un Indien ou d’une personne qui m’est entièrement inconnue. Il est
même aussi peu contraire à la raison que je préfère un bien reconnu
moindre à un bien supérieur et que j’aie une ardente affection pour
3
le premier plutôt que pour le second ».
En retour, une question devient politique à partir du moment où
elle assume cette diversité de choix. La dangerosité d’un produit
comme l’amiante a été évaluée par des spécialistes. C’est aux
citoyens, en revanche, c’est-à-dire, en l’état actuel de notre système,
à leurs représentants, qu’est revenue la décision d’établir, aux termes
d’un débat, un calendrier de nettoyage, ainsi que la répartition des
coûts entre entreprises et pouvoirs publics.

Imaginons maintenant que nous nous entendions parfaitement


sur nos valeurs et leur hiérarchisation. Que nous nous accordions sur
toutes les questions ayant trait à l’égalité, à la justice, à
l’environnement, etc. Que nous sachions tous choisir entre la forêt et
l’emploi. Se poserait toujours la question du temps visé par l’action
politique. Qui pourra dire assurément que le long terme vaut mieux
que le court terme ? Que signifient, précisément, ces deux notions ?
Combien d’années ? Vaudra-t-il mieux une autoroute livrable en dix
ans mais qu’il faudra changer quinze ans après sa mise en service, ou
patienter vingt ans pour construire une voie de meilleure qualité,
mais sans bénéfice d’ici là pour l’emploi ?
Imaginons maintenant que nous soyons tous d’accord sur ce que
sont le court et le long terme. Alors le problème disparaîtrait puisque
nous serions tous d’accord. Dans ce cas, il n’y aurait plus de
politique.

La démocratie ? Pas sans moi


Un jour, auprès d’une amie, ancienne conseillère en cabinet
ministériel, j’exprime mon indignation face à l’absence des ouvriers,
des chômeurs, des petits salariés ou des cadres moyens dans les
instances de décision politique. Un système censitaire de fait barre le
1
chemin de l’élection à une immense partie de nos concitoyens . Les
choix s’imposent à eux. Mon amie n’y voit rien de grave. Il suffirait
que le personnel politique se soucie davantage du sort de « ces
Français-là ». Ce qui importe, selon elle, ce sont les décisions, pas
ceux qui les prennent. Mieux vaut de bonnes mesures prises par
quelques-uns que de mauvaises prises par tous.
Allons donc plus loin que nos hypothèses précédentes. Imaginons
maintenant, comme mon amie l’appelle de ses vœux, qu’un collège
de sages parfaits puisse décider unilatéralement de ce qui est bon
pour tous. Qu’il devine ce que nous voulons et le fasse sans nous
consulter. Même alors, nous ne serions pas satisfaits. Car le fait
d’avoir été prise en commun est essentiel à la décision en démocratie.
Cette exigence de participation de chacun à ce qui le touche de
près ou de loin est formulée depuis très longtemps par le code de
Justinien : Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari
debet ; ce qui concerne tout le monde doit être discuté et approuvé
2
par tous . Cette exigence déborde le seul cadre politique, comme le
fera comprendre un exemple tiré de la vie quotidienne. La compagne
d’un de mes proches n’avait pas pu assister au début de son
déménagement à cause d’une obligation. Elle n’était pas contente,
car on ne l’avait pas attendue pour déplacer certains objets. Il y avait
notamment un meuble affreux, mais d’une grande valeur
sentimentale à ses yeux, qu’elle nous reprochait d’avoir bougé sans
elle. Cet acte inaugural d’une nouvelle vie devait porter la trace de
son effort. De même, en politique, les décisions qui me concernent
doivent être soumises à mon jugement.

Mais, précisément, qu’est-ce qui me concerne ? Tout ce qui


touche à la nation ? Ou ce qui affecte ma vie quotidienne ? Seuls les
habitants de la région ont-ils le droit de se prononcer sur le tracé de
l’autoroute ? Que faut-il entendre ici par « région » ? La liste de ceux
qui peuvent prendre part au débat dépendra de ce qui est en jeu.
Elle est l’objet d’une négociation permanente, voire d’une
revendication. Quand un référendum est d’initiative
gouvernementale, il faut s’attendre à ce que les dirigeants, qui
disposent d’un grand nombre de statistiques sur les populations
locales et l’état de leur opinion, cherchent à poser la question
seulement à ceux qui sont susceptibles de répondre comme eux.
Pourquoi n’y a-t-il pas de consultation nationale sur Notre-Dame-
des-Landes ?

Ainsi fonctionne le mythe du gouvernement des plus sages.


Impressionnés par des symboles, trompés par un universalisme
illusoire, nous acceptons de déléguer notre pouvoir politique aux
élites sociales, tout en continuant de vénérer, de façon
contradictoire, l’idéal démocratique.

On objectera alors qu’il existe tout de même une classe


supérieure à nous, certes, non pas moralement, mais techniquement
parlant. Selon ce deuxième mythe, il y aurait des gens plus
compétents que nous à qui il faudrait confier les rênes de l’État.
III
Le mythe du gouvernement
des plus compétents
L’homme politique, un perroquet
Il est de plus en plus difficile de placer ses espoirs en la venue
d’hommes suprêmement vertueux surgissant pour nous sauver. Qu’à
cela ne tienne : on mettra en avant la supériorité technique du
politique pour justifier l’existence d’une classe à part, chargée des
affaires communes. L’idée n’est pas nouvelle : dès la fin du
e
XVIII siècle, l’abbé Sieyès, l’un des grands acteurs et théoriciens de la

Révolution française, auteur d’un livre très célèbre en son temps,


Qu’est-ce que le Tiers-État ?, avait défendu la nécessité de
1
professionnels de la politique .
Aujourd’hui plus que jamais, la parole publique impressionne par
son érudition chiffrée. L’économie y est omniprésente : chômage,
fiscalité, éducation, culture même. Les économistes convertissent à
leur langue cryptée les politiques de tous bords. Les sages peuvent
bien attendre ; la pratique de la politique n’en réclamera pas moins
un long et difficile apprentissage auquel on devra consacrer sa vie.
Dans les deux assemblées, chacun revendique « pragmatisme »,
« efficacité », « nécessité ». On cherche à disqualifier les tenants du
vieux monde, adeptes de l’« idéologie » : dans son discours du 3 juin
2014 à l’Assemblée nationale, portant sur la réforme de la lutte
contre la récidive, Éric Ciotti prononce dix fois cette accusation
d’« idéologie ». Lors du même débat, on trouve l’échange suivant :
M. Nicolas Dhuicq (UMP) : Vous avez parlé d’idéologie, madame
la garde des Sceaux, mais avec cet article, nous voyons bien que
vous êtes au service de l’idéologie.
M. Jean-Pierre Blazy (PS) : Pas vous, bien sûr !
Sieyès triomphe.

Mais d’où les politiques tirent-ils leur science sur tant de sujets
différents ? Qui travaille dans l’ombre à leur gloire ? Dans un
discours prononcé à l’université Rutgers le 15 mai 2016, Barack
22
Obama critique l’anti-intellectualisme du candidat Trump . Il
s’inspire, sans le citer, d’un passage du Protagoras de Platon où
Socrate compare l’art du politique à celui de l’architecte ou du
constructeur de navires. On laisse aux spécialistes la construction
d’un bateau ou d’une maison. Qu’il soit question de politique, et « on
voit se lever indifféremment, s’insurge Socrate, pour prendre la
parole, architectes, forgerons, corroyeurs, négociants et marins,
riches et pauvres, gens bien nés et gens du commun, et personne ne
33
leur jette leur incompétence à la figure ». Avec son style
équilibrant passion et approche apaisée des problèmes, technicité et
engagement, « coolitude » et sérieux, le président Obama modernise
les exemples, séduit, fait rire, est applaudi.
Ce discours a plusieurs auteurs. Un cabinet en aura sans doute
fourni la matière première à un speechwriter, une « plume » en
français, qui en aura pesé le moindre mot avant de le soumettre à la
relecture du patron. Barack Obama aura ensuite indiqué les passages
à renforcer, à retoucher, à ajouter, et ce sera reparti pour un tour
jusqu’à satisfaction de l’orateur. En France aussi, chacune des prises
de parole ou des décisions importantes d’un décideur politique est
préparée avec soin par les membres de son cabinet en lien avec la
haute administration. Elle sera pourtant assumée à la première
personne.
L’impression de supériorité technique que donne le politique doit
beaucoup aux armées de conseillers dont il est caparaçonné.

À la Sorbonne, lors d’une table ronde à laquelle je participais


avec deux anciens conseillers en communication politique, je
défendais l’idée qu’il fallait montrer au grand public le
fonctionnement des cabinets afin qu’il voie tout ce que le
responsable politique doit à ses collaborateurs en matière de savoir.
Je proposais même que certaines notes aux ministres soient diffusées
sur Internet. Mes compagnons virent rouge. L’un d’eux me traita, à
mots voilés, de fasciste, rien que ça. L’ordre représentatif doit ainsi
sa survie à la dissimulation d’une foule de techniciens qui alimentent
en permanence la parole et l’action publiques. Les partisans de
l’ordre invoquent avec vigueur je ne sais quelle raison d’État pour
continuer de plonger dans l’ombre toute cette armée de petites
mains de haut niveau qui cherchent à faire passer les politiques pour
44
des surhommes omniscients .

Les savoirs politiques à la portée de tous


Comme on l’a vu, les savoirs politiques s’exercent au carrefour
des sciences. Ils ne relèvent pas exclusivement de l’une d’entre elles.
Regardant la chaîne parlementaire à l’heure des questions au
gouvernement, on reconnaîtra pourtant volontiers au politique une
apparente facilité à se mouvoir dans l’onde trouble des lois, des
institutions et des procédures. Il convoquera aussi avec agilité des
faits économiques et sociaux pour éclairer la situation du pays, en
déduire des propositions, discréditer celles de son adversaire.
L’homme politique parle vite. Il s’exprime bien. Cela sonne juste.
Pourtant, quiconque a travaillé dans un cabinet ministériel ou a été
élu relativise rapidement l’étendue et la profondeur de ces
connaissances-là. Une conseillère régionale de Nancy, qui n’avait
rien d’une politique professionnelle, m’a confié un jour ces mots que
j’ai transcrits immédiatement dans un carnet : « Au début,
franchement, j’avais peur, je me disais : comment je vais faire ? Et
puis, en voyant comment ça se passe, tu t’y mets un peu, et tu
comprends, à moins d’être complètement beubeu [c’est ainsi qu’on
désigne les simples d’esprit en Lorraine]. »

Les conférences de consensus, nées au Danemark et reprises dans


de nombreux pays, soumettent à l’évaluation de citoyens volontaires,
mais non experts, des questions très pointues. Elles montrent
combien les questions politiques sont abordables par des individus
ordinaires. Ce fut, en France, le cas pour les questions des OGM
(1999), des ondes (2009) ou de la fin de vie (2013). De l’avis des
experts eux-mêmes, l’appropriation par les non-spécialistes des
enjeux techniques susceptibles d’éclairer une décision rappelle que
15
les savoirs politiques sont bel et bien à la portée de tous .
Plus encore, par la finesse de leurs diagnostics et propositions,
ces conférences illustrent à merveille l’affirmation d’Aristote selon
laquelle la vérité portant sur le peuple entier n’est susceptible d’être
restituée dans toute son étendue qu’à condition de bénéficier du
26
concours du plus grand nombre . La vie en commun est mouvante.
Des nouveautés, techniques, sociales, culturelles, y surgissent en
permanence. Pour appréhender ces changements, la démocratie
devrait idéalement faire appel à tous. Un peu comme les
météorologues se servent des données des avions en vol pour faire
évoluer, en temps réel, leurs prévisions. Plus les points de vue seront
nombreux et variés sur la réalité, plus l’image que l’on s’en fera sera
précise.

De façon plus fondamentale, il faut revenir au principe qui veut


que rien de ce qui me concerne ne me soit étranger. Est-il juste que
37
les lois soient si nombreuses et si complexes ? Est-ce juste que je
subisse ce que je ne comprends pas ? Moins nombreuses, plus
courtes, plus lisibles surtout, c’est seulement alors que les lois
pourraient, étant comprises de tous, disposer de toute la force
commune. La démocratie suppose que l’on fasse vœu de pauvreté et
de clarté en matière réglementaire.
À l’inverse, si l’on veut, à tout prix, des lois plus techniques (pas
sûr que ce soit nécessaire), il faut construire une société plus à
même d’en saisir le sens. Des lois compliquées devraient supposer
des cours de droit pour tous. Ce n’est pas une question de capacités
mais de compétences. Alors pourquoi le droit n’est-il pas un
enseignement obligatoire à l’école ? Au lieu de ça, quand une loi est,
pour le coup, parfaitement comprise, et non moins parfaitement
rejetée par le peuple, nos gouvernants reconnaissent, magnanimes,
qu’ils n’ont pas su bien l’expliquer, qu’ils n’ont pas fait preuve d’assez
de « pédagogie » – un mot qui veut dire, littéralement, « art de
conduire les enfants ».

S’il existe une supériorité du responsable politique en matière de


connaissance des lois, des procédures ou des institutions, elle doit
donc beaucoup à ses équipes. Et combien de règles
incompréhensibles et inutiles dissimulent l’essentiel aux yeux du
grand public, découragent le citoyen de prendre toute sa part à la
décision politique, en tâchant de le persuader que certaines
questions doivent nécessairement être traitées sans lui ?

Il existe toutefois un domaine dans lequel le professionnel de la


politique est supérieur aux autres : celui de l’habileté.

Le politique : un homme habile qui sait


ce qu’il veut
On peut distinguer deux sens au mot « politique ». La politique
concerne d’abord l’organisation de la vie collective, l’agencement des
forces mises en commun. Elle est également l’art de l’emporter sur la
18
partie adverse : ce que Spinoza appelle l’« habileté ». Le politique
habile sait ce qu’il faut faire et dire pour obtenir ce qu’il veut, que les
objectifs qu’il poursuit soient bons ou non.
« Habileté » ne signifie pas nécessairement filouterie – une
campagne électorale employant des méthodes sophistiquées en
29
relève . Le réformiste capable d’agréger les forces favorables à son
projet et de neutraliser ses adversaires au moyen d’arguments
frappants est aussi un modèle de l’homme habile. Dans les discours
que j’étais chargé d’écrire pour lui, un responsable politique me
conseilla un jour de faire preuve à la fois « de vertu et d’habileté.
L’habileté sans la vertu, c’est le cynisme. La vertu sans l’habileté,
c’est se condamner à ne servir à rien ». Identifier les rapports de
force ; les employer à son profit ; faire croire à tous qu’on est de leur
côté ; mobiliser et affaiblir ; avoir le sens du tempo ; conserver
la lucidité nécessaire dans les moments difficiles ; sélectionner,
parmi ceux proposés par les équipes, les bons éléments de langage et
bien poser sa voix, ses gestes et son regard : cela s’apprend et se
cultive.

Les idées du professionnel de la politique ne sont pas meilleures


que celles du profane, mais il sait mieux les faire passer. Voilà ce qui
manque aux partisans de la démocratie réelle : l’habileté. Ils la
méprisent. Et ils ont tort. Pour décrédibiliser Nuit debout, le
gouvernement a braqué les caméras sur les casseurs, lançant l’assaut
30
final devant l’hôpital Necker-Enfants malades . Puis deux ministres
au visage triste et grave se sont exprimés sur le champ de ruines
laissé par des « vandales » (ce sont les mots du président de la
République ; en réalité, quelques vitres fendues par une poignée de
désœuvrés). Par la magie de la propagande gouvernementale, les
manifestants sont devenus autant d’apprentis terroristes qui, selon le
chef du gouvernement, ne voulaient rien de moins que « tuer du
41
policier ». Au lieu de s’en tenir à la dénonciation, bien menée par
52
les réseaux sociaux , de cette grossière tentative de manipulation,
certains participants de Nuit debout ont cru bon d’excuser les
casseurs, voire de revendiquer leurs actes sur un plan symbolique :
« Nous sommes tous des casseurs », et de les mettre en parallèle avec
la « casse » sociale du gouvernement… Croyaient-ils vraiment que
les Français allaient, pour prendre leur parti, du jour au lendemain,
se retourner contre les policiers qu’ils avaient si unanimement
encensés après les attentats ?

Être habile, c’est aussi, par exemple, proposer l’expérimentation


d’une proposition dont en réalité on ne veut pas. Ainsi de la loi
d’août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de
la justice. Cette loi prévoyait que, dans certaines juridictions (comme
le tribunal correctionnel ou le tribunal de l’application des peines),
siègent deux citoyens aux côtés de trois magistrats professionnels.
Menée à Dijon et à Toulouse, son expérimentation fut arrêtée par
Christiane Taubira en mars 2013 sous prétexte d’une organisation
trop lourde et de la diminution du nombre de dossiers traités. Les
citoyens assesseurs avaient pourtant amélioré l’image de la justice.
Mais ce progrès avait été qualifié, par les rédacteurs du rapport
ayant conduit à l’abandon de l’expérimentation, de simple « leçon
d’instruction civique approfondie » à des « juges occasionnels » pour
qui « la raison commune et le bon sens tiennent lieu de
63
compétence ». Quoi qu’il en soit, dès l’annonce de
l’expérimentation, les syndicats de magistrats surent sans doute
qu’ils n’avaient rien à craindre d’une mesure qui, bien qu’annoncée
en grande pompe par le président de la République, pourrait être
stoppée d’un trait de plume dans l’indifférence générale.
Il est presque émouvant de constater que cette méthode de
l’expérimentation est tenue de longue date comme un moyen pour
ne pas faire ce qu’on avait promis. Le 27 octobre 1789, un jeune
notable de la ville d’Avallon, dans l’Yonne, effrayé par les progrès de
la Révolution, se plaint de la décision prise par une assemblée
populaire « de mettre le pain blanc à 3 sous au lieu de 3 sous 31 et
le bis à 2 sous au lieu de 3 sous moins 1 liard qu’il coûte. (…) Je
proposai de charger (sic) de faire des expériences sur la farine de
pain blanc et de pain bis et de ne donner le taux qu’après ces
expériences. À la pluralité des voix, le pain blanc fut mis à 3 sous et
74
le pain bis à 2 sous (…) . » Pour enterrer plus tard une mesure
dont il ne veut pas, le jeune bourgeois cherche ainsi à gagner du
temps par la mise en place d’une expérience qu’il pourra même
tâcher de saboter en secret.
Expérimenter, c’est contenter tout le monde : on fait croire qu’on
met quelque chose en place ; on rassure en sous-main ceux qui en
craignent la pérennisation ; et on fait si possible assumer la fin de
son expérimentation par ses successeurs.

L’habileté place-t-elle le politique totalement à part ? Rappelons


qu’il n’est pas seul pour mener la guerre. S’il occupe déjà un mandat,
au moment des campagnes, une partie de son équipe travaillera à sa
réélection. En cabinet ministériel, il y a même quelquefois un
conseiller « affaires réservées » exclusivement chargé de s’occuper de
sa circonscription (rémunéré par l’État). Chaque fonction politique
est une place forte avec ses mercenaires, qui se battent pour eux-
mêmes en même temps que pour leur chef. Ce temps que le
responsable politique utilise pour attaquer et se défendre doit être
retiré de celui qu’il consacre au bien public : « Les politiques, écrit
Spinoza, on croit que ce qu’ils font, c’est tendre des pièges aux
hommes plutôt que prendre soin d’eux, et on les estime habiles
85
plutôt que sages . »
Mais chacun d’entre nous sait aussi plus ou moins bien user de
procédés politiques au travail ou dans la vie de tous les jours. On est
parfois habile sans le savoir. Un jour, j’ai tenté de prendre la tête
d’une association et j’ai lamentablement échoué. Pour me faire
barrage, tous les coups avaient été permis. On me répétait souvent,
quand je me montrais moi-même un peu belliqueux : « Matthieu, on
n’est pas dans un parti politique ! » Je veux bien le croire ! Dans quel
parti politique apprend-on par mail, comme cela m’est arrivé, que la
seconde de sa propre liste a rejoint son adversaire, a même cosigné
le dernier document de campagne envoyé par lui quelques jours
avant le vote, et figure désormais en bonne place dans
l’organigramme du camp adverse !
Les fans de Koh Lanta sur TF1 se réjouissent des combines des
concurrents, les voient estimer les rapports de force, cacher leur jeu,
user, pour gagner, en plus de la puissance physique dans les
épreuves d’élimination, de ruses et de mensonges, de fausses
promesses et de brusques renversements d’alliance, ourdis dans le
plus grand secret. L’habileté des politiques professionnels n’est pas
d’une nature différente.

Dans cette perspective, les théories du complot rendent un grand


service au pouvoir politique : elles le gratifient d’un génie dans l’art
de la guerre dont il ne dispose pas plus que n’importe qui d’autre.
Elles font croire à chacun qu’il n’est pas de taille à se mesurer au
machiavélisme de ces êtres supérieurement malins que seraient les
puissants. Elles entretiennent avec les gouvernants une distance
mythologique. Le complotisme prolonge une tendance partout
répandue, y compris dans les médias sérieux, consistant à prêter aux
politiques des intentions et des capacités qu’ils n’ont pas. Les
descriptions dans les journaux de ces supposés coups à douze
bandes nous faisaient rire en cabinet. Elles nous donnaient le
sentiment d’être bien plus intelligents que nous ne l’étions en réalité.
Pour ce qui est des politiques, je les crois incapables de méditer
durant de longues années des scénarios complexes, eux qui
multiplient plutôt les coups de force sans autre cohérence que celle
d’une volonté tenace d’être au pouvoir.

Mais voilà justement ce qui, à coup sûr, distingue le politique de


tous les autres citoyens : vouloir, de toutes ses forces, prendre le
pouvoir et le garder. Une volonté qui puise à bien des sources. C’est
parfois la passion de la justice et du prochain qui nourrit
l’engagement. D’autres aiment simplement leur métier, le Parlement,
les discussions, serrer les mains, comme le facteur qui aime sa rue et
son vélo, comme le gardien du parc qui se réjouit de la croissance
des fleurs et du sourire des enfants dans les jeux, comme la serveuse
pour qui le bruit du percolateur et le coup de feu de midi sont des
raisons de vivre, comme on aime son usine ou sa salle de classe.
Mais d’autres encore, et ce sont eux qui aujourd’hui dominent,
veulent, précisément, dominer. Est-ce le pouvoir qui les a
corrompus, ces femmes et ces hommes à qui l’ambition tient lieu de
talent ? Il y a de vieux routiers qui ne sont pas de mauvais bougres,
et de jeunes loups dont on apprend, avec effroi, qu’ils veulent entrer
dans la carrière. Le temps, semble-t-il, ne fait rien à l’affaire.
La soif de dominer fait supporter l’ennui. Tenir bon dans
d’assommantes réunions. Passer des heures à écouter un vieil élu
conter le récit de ses exploits électoraux. Se laisser humilier par lui
dans l’espoir d’en être adoubé. Vous ne ferez pas le poids contre une
telle détermination. Elle pare les coups terribles assénés par les
pairs. Avec le temps, le politique constitue des réseaux d’alliés
écrasant tout sur leur passage. Le maire d’un arrondissement
parisien m’a un jour confié que pour se faire élire la première fois,
lui et son équipe avaient appelé tous les électeurs par téléphone.
Tous. Je l’imaginais seul, dans son salon, l’annuaire ouvert à la lettre
« A », attendant anxieusement 8 heures du matin pour commencer à
96
appeler les retraités. Voilà toute la différence entre eux et nous .

Cette détermination poussera quelquefois à la faute. Les


politiques ne se rendent pas toujours compte que les nouveaux
médias jettent une lumière toujours plus crue sur des procédés qui,
auparavant, restaient dans l’ombre. Sur le Net, on trouve une photo
107
de fiches surlignées de Nicolas Sarkozy . Prise en 2012 lors d’une
émission l’opposant à Laurent Fabius, on peut y lire les arguments
du candidat de l’UMP pour déstabiliser son adversaire et des petites
phrases assassines, dont l’ancien président fit croire qu’il les
improvisait. Autre exemple : on apprit, le jour même de son
lancement, que le mouvement d’Emmanuel Macron, En marche !,
était soutenu financièrement par certaines grandes fortunes de
France et que son clip de présentation avait pillé des banques
d’images américaines.
Les rois sont nus, mais ils conserveront leur trône tant qu’ils n’en
seront pas chassés. Parce qu’ils veulent le pouvoir. Nous, pas assez.

Récapitulons : pour mesurer quelle part de son temps le politique


consacre réellement à l’intérêt général, il faut en soustraire celui
qu’il accorde à sa propre image et à son avenir professionnel. Dans le
temps qu’il lui reste alors, il a bien souvent plusieurs mandats à
gérer ; c’est le cas de plus de la moitié des députés et des sénateurs.
Pour ne citer qu’un exemple, Jean-Michel Baylet (PRG) possédait
quatre mandats (sénateur du Tarn-et-Garonne, conseiller municipal
de Montjoi, président de la communauté de communes des Deux
Rives, président du conseil général du Tarn-et-Garonne) et six
fonctions (président du Parti radical de gauche, président du conseil
d’administration du service départemental d’incendie et de secours
du Tarn-et-Garonne, président de la maison départementale des
personnes handicapées, etc.), avant de devenir ministre de
l’Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités
territoriales en février 2016, fonction qu’il a décidé de cumuler avec
celles de conseiller municipal de Monjoi, de conseiller départemental
du Tarn-et-Garonne et de président de la communauté des Deux
Rives. Il est également P-DG de La Dépêche du Midi.

Se réapproprier la vie en commun


Imaginons maintenant que l’administration reçoive directement
ses instructions de citoyens au mandat court et non renouvelable.
Dans de telles conditions, les décisions, qu’elles soient bonnes ou
mauvaises, ne seraient nullement parasitées par des enjeux
électoraux. De tels élus ne devraient pas pour autant s’en remettre
aveuglément à l’administration pour traduire en actes leurs
décisions. La démocratie est le gouvernement « du peuple », « pour
le peuple », mais aussi « par le peuple » ; c’est le peuple tout entier
qui, dans la détermination des moyens, doit, idéalement, en assumer
collectivement et également la charge. Si ce n’est pas possible, qui le
fera ? Sur qui doit peser le poids de telle ou telle mesure ? Le
spécialiste ne peut répondre seul à cette question.

Tout le monde souhaite par exemple qu’il y ait moins d’accidents


de voiture ; diminuer le nombre de morts sur la route, c’est
incontestablement agir pour le peuple. On ne doit pas pour autant
confier aux seuls techniciens le soin de fixer les moyens de cet
objectif. En admettant qu’elles soient toutes également efficaces,
abaisser les limitations de vitesse, punir plus sévèrement leur
dépassement, faire plus de contrôles routiers ou imposer aux
établissements de nuit le recours à l’alcootest, ce ne sont pas des
mesures identiques. Chacune de ces solutions implique des choix,
qui sont autant de réponses différentes à la question de savoir sur
qui doivent peser les mesures visant cet objectif que nous voulons
tous : la diminution du nombre de morts sur la route ? Sur
l’ensemble des citoyens ? Indirectement (dépenses liées aux radars
et au déploiement du personnel policier sur les routes) ou
directement (règles de circulation plus strictes) ? Sur les débitants
d’alcool ? Sur l’industrie automobile, à qui l’on demande de
travailler sur des tests électroniques empêchant la voiture de
démarrer à partir d’une certaine alcoolémie ? Les moyens ne
peuvent être décrétés politiquement neutres. Comme sur les fins,
mais plus subtilement, les politiques se bardent encore ici d’« Il
faut » pour dissimuler, derrière les apparences hautaines de la
technique, l’écart, quelquefois immense, entre conseilleurs et
payeurs.

Faudra-t-il alors que je me mêle de tout, depuis le régime de


retraite jusqu’aux opérations extérieures des forces armées ? Y a-t-il
au contraire des questions relevant uniquement de spécialistes parce
qu’elles sont d’une technicité intimidante, ou qu’exposer leurs détails
au grand jour pourrait se révéler dangereux ? Je n’aurais donc pas
mon mot à dire en cas de guerre exigeant l’enrôlement de tous ceux
qui sont en âge de se battre : moi-même, mon enfant, mon frère,
quelque citoyen que ce soit ? Le peuple suisse ne considère pas que
l’achat d’armes soit du seul ressort des spécialistes ; en 2014, un
référendum d’initiative populaire a conduit au rejet, à 53,4 %, d’un
projet d’acquisition, voté au Parlement, de vingt-deux avions de
combat.
Il est donc impossible de dresser une liste a priori de ce qui peut,
ou doit, pour des raisons de sécurité ou d’urgence, échapper au
regard démocratique. Pas plus qu’elles ne recoupent celles des
découpages administratifs, les limites de ce qui me concerne ne
peuvent être tracées de façon abstraite. Certaines questions que l’on
croyait réservées aux seuls spécialistes s’imposent soudain, et de
façon inattendue, à nous tous.

La réappropriation civique est en marche


et rien ne l’arrêtera
Rousseau conteste que la division du travail civique, confiant à
des professionnels le soin des affaires publiques, soit une nécessité. Il
cible notamment le système de représentation mis en place depuis
un demi-siècle en Angleterre au moment où il rédige le Contrat
social, et admire « la stupidité de la nation anglaise, parce qu’elle n’a
pas mis de frein à la puissance d’agir de ses représentants (…). Sitôt
18
qu’ils sont élus, [le peuple anglais] est esclave, il n’est rien ». Pour
Rousseau, la représentation est nécessaire sur le plan de l’exécution
des lois, ce que nous appelons le pouvoir exécutif – qui, en France,
soit dit en passant, n’est aucunement séparé du pouvoir législatif,
dont il oriente la totalité des décisions. Mais elle est une usurpation
quand elle touche à la construction et à l’adoption de ces principes
universels et nécessaires régissant la vie en commun que sont les
lois.
À quoi cette délégation, funeste sur le plan de la liberté, est-elle
due ? Au progrès de la division du travail en général, né des
mutations de la production. Pour Rousseau, c’est cette division qui,
dans le domaine politique, a poussé à confier les tâches civiques à
des professionnels. Les discussions parlementaires ne font certes pas
rêver tout le monde… Franchement, qui d’entre nous a vraiment
envie de passer des journées entières à discuter de fiscalité, de
sécurité sociale ou de pollution des eaux et forêts ? Seulement voilà,
et nous le savons bien : « Sitôt que le service public cesse d’être la
principale affaire des citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de la
bourse que de leur personne, l’État est déjà près de sa ruine. (…)
219
donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers . »
Mais s’esquisse à présent un mouvement inverse. La
réappropriation civique opposée à la division du travail originelle,
ayant abouti à la constitution d’une classe politique à part, est un
des traits marquants des expériences démocratiques
30
contemporaines . Interrogée sur la démocratie rotative qu’une liste
citoyenne a instaurée dans la petite ville de Saillans, dans la Drôme
– chaque élu siège pour un temps donné avant de laisser sa place au
suivant –, une partisane de la réappropriation civique confie ainsi :
« Il faut bien comprendre que ce qui se passe à Saillans, c’est
quelque chose de nouveau, on est en train d’apprendre. » Pour une
autre, ce qui est « difficile dans les systèmes de vote actuels, c’est
qu’on vote pour une personne. Je ne veux plus voter pour une
personne, je veux voter pour prendre des décisions, pour participer à
41
la vie de mon village, de mon département, de mon pays . »
La réappropriation civique concerne les décisions portant à la fois
sur les objectifs et sur les moyens pour y parvenir. Mais Rousseau va
plus loin, affirmant qu’elle pourrait aussi concerner la réalisation de
ces décisions. Il croit en effet « les corvées moins contraires à la
liberté que les taxes (…). Dans un État vraiment libre les citoyens
font tout avec leurs bras et rien avec de l’argent : loin de payer pour
s’exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-
mêmes. » Il voudrait qu’« on imposât toujours les bras des hommes
plus que leur bourse, que les chemins, les ponts, les édifices publics,
le service du Prince et de l’État se fissent par des corvées et non
52
point à prix d’argent ». Le cas de Marinaleda, une petite ville
d’Espagne autogérée, où nombre de tâches d’intérêt général sont
réalisées par les citoyens eux-mêmes, montre bien que les limites de
la réappropriation civique ne peuvent être fixées a priori, qu’elles
peuvent dépasser le cadre de la décision pour concerner aussi leur
63
mise en œuvre dans ses aspects les plus concrets .

Un tel mouvement semble traduire sur le plan politique une


volonté que manifestent plus largement les citoyens de se
réapproprier ce qui avait été confié à d’autres. Circuits courts,
jardins partagés, automédication, autonomie énergétique, ou
simplement plaisir de fabriquer soi-même un meuble, expriment un
refus, toujours plus affirmé, de remettre à des professionnels les clés
de la vie quotidienne. Il n’est plus vrai, Socrate, qu’on laisse à
l’architecte seul le soin de la construction de sa maison. Nous savons
que le bonheur est dans l’action.

Pourquoi, alors, continuer à déléguer à la classe politique ce que


nous nous devons à nous-mêmes ? C’est qu’un autre mythe, plus
redoutable encore, fait obstacle à la démocratie.
IV
Le mythe du chaos conjuré
Un rite de soumission
e
À ses débuts, au XVII siècle, le carnaval de Dunkerque s’organisait
autour d’un festin – la foye – que les armateurs offraient aux marins-
pêcheurs avant leur départ, pour six mois, vers l’Islande. Les marins
touchaient la moitié de leur solde, le reste à leur retour – beaucoup
ne revenaient pas du Grand Nord.
Pour commémorer ce rituel, et en vue de « donner aux fêtes du
1
carnaval dunkerquois un éclat particulier », la mairie instaure en
1962 une pratique qui a perduré depuis avec quelques variantes : le
lancer de harengs. La foule des « carnavaleux » se bouscule sous les
balcons de l’hôtel de ville pour attraper au vol des harengs sous
cellophane, devenus, avec Michel Delebarre, édile célèbre pour ses
2
cumuls de mandats spectaculaires , des homards en plastique
échangeables contre de vrais homards chez les poissonniers :
« Delebarre, des homards ! » Depuis 2014 et l’élection de Patrice
Vergriete, ce sont des frites en mousse parce que « Vergriete, des
frites ! ».
Lors de la foye, les riches propriétaires de navires faisaient
oublier qu’ils envoyaient de pauvres gens risquer leur vie avec un
simple repas de fête – après tout, ils leur donnaient du travail.
Aujourd’hui, en perpétuant cette tradition, les Dunkerquois
renouvellent symboliquement leur soumission à l’autorité politique
3
et à l’élite sociale . La foule a faim, nourrissons-la. Et vite, bigarrée,
multiple, houleuse, criarde, le regard vide, elle se battrait pour un
hareng. Sans ses maîtres, perchés sur leur balcon, ce serait la
4
« guerre de tous contre tous ». Tourbe agitée par le plus bas des
instincts : manger. Grondement d’individus mortellement
dangereux, mer déchaînée qu’on n’apaise jamais qu’en surface. Seul
un pouvoir autoritaire peut mettre fin à cette brutalité dont les
hommes continueraient sinon à s’accabler jusqu’à ce que prenne fin
la vie lamentable d’une espèce détestable.

Contenir l’« hydre à cent têtes (…) qui en république, écrit


5
Hobbes, ne doit prétendre qu’à la gloire de l’obéissance » est une
exigence vitale au sens propre. Il faut des institutions dures et des
représentants inébranlables. Sans quoi, c’est le chaos. Pour faire
sentir cette vérité, Hobbes convoque la vie quotidienne : pourquoi
fermons-nous notre porte à clé ? pourquoi doit-on être vigilant seul
le soir dans une rue mal éclairée ? Parce que nous savons bien ce
que vaut notre prochain sans la peur du gendarme : pas grand-
chose. Conflits armés, extrême droite, islamisme, commentaires
haineux sur le Net, l’homme est un loup pour l’homme.
Comment organiser la parole dans de telles conditions ?
Comment faire pour que les débats ne dégénèrent pas en pugilat ?
La possibilité de la guerre de tous contre tous doit restreindre l’accès
à la délibération et à la décision. Après tout, cet accès, rendu
possible par le suffrage universel, n’est qu’une concession arrachée à
l’ordre élitaire naturel. D’où la République, qui, comme l’écrit
Jacques Rancière, est « depuis Platon, le nom du gouvernement qui
assure la reproduction du troupeau humain en le protégeant contre
l’enflure de ses appétits de biens individuels ou de pouvoir
6
collectif ».
La République est un rempart contre les pulsions populaires.
Faisant passer les passions au tamis sage et savant de la
représentation, elle seule les transforme en raisons ; des loups elle
fait des hommes. Et de la foule, un peuple.

On va plus loin et on imagine même un contrat auquel


souscriraient les hommes, lassés de leur propre incapacité à se
prendre en main. Ce pacte seul définirait un espace réglé permettant
la vie en commun en confiant le pouvoir à des représentants. Ceux-ci
devront quelquefois avoir le courage d’aller à l’encontre de ce que le
peuple, redevenu foule car s’exprimant en dehors des cadres
convenus, aura eu le front de vouloir leur faire entendre.
Selon les termes du contrat, c’est la classe politique qui possède
la souveraineté. On l’a tout particulièrement vu lors du débat sur la
loi Travail. La pétition mise en ligne dès les débuts de sa
contestation sur le site www.loitravail.lol a totalisé près d’un million
de signatures en quelques jours. Des manifestations ont rassemblé
des milliers de personnes pendant des mois. Le Parlement a été à
moitié contraint, par le recours à l’article 49.3 de la Constitution, de
valider cette loi, au nom d’une vision unilatérale de la lutte contre le
chômage : celle du gouvernement. (J’écris « à moitié » car les
députés auraient pu adopter une motion de censure pour faire
chuter le gouvernement. Ils étaient libres, comme certains l’ont fait,
d’aller jusqu’au bout de leur démarche. Ils ont préféré se soumettre
plutôt que de compromettre leurs chances d’être investis par le parti
aux élections législatives de 2017.) Et la loi a fini par passer.
Mais pour éviter que ces confrontations pénibles ne se produisent
trop souvent, on a décidé de garder un certain nombre de principes
universels à l’abri des passions : c’est la Constitution qui les détient
en son auguste écrin, protégée par les sages, loin des errements des
ignorants que nous sommes. Une fois la loi passée, une fois l’ordre
rétabli, le peuple ignare est nettoyé de ses errements
autodestructeurs. Voici l’unité préservée, et chacun de nous protégé.
Voici le chaos conjuré. Ainsi qu’un nouveau mythe à dissiper.

Diviser pour mieux régner


Une société est d’autant plus violente qu’elle est plus
manifestement inégalitaire. La France a déjà été plus injuste
qu’aujourd’hui. Mais l’était-elle alors aussi ouvertement ? Les
nouveaux médias assurent une large connaissance de l’état des
inégalités en tout genre. Aujourd’hui, même quand ils vivent loin, les
riches sont les voisins de tous. Bonne vieille vérité qui veut, comme
e
l’écrit Eugène Varlin, socialiste libertaire du XIX siècle, que « tant
qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout
1
regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines ».
Que les Français soient en colère, difficile de s’en étonner. Même
dans un climat aussi délétère, il faut pourtant garder en tête que l’on
doit moins de guerres à l’excès de confiance qu’à l’excès de
méfiance.
Qui en revanche, même en ces temps troublés qui sont les nôtres,
a croisé l’homme parfaitement tourné vers lui-même que décrit
Hobbes ? Qui connaît un individu poursuivant son pur intérêt à lui,
sans se soucier ni de ses parents, ni de ses enfants, ni de ses amis ?
Le pire criminel aime au moins sa mère. Le chef mafieux travaille
pour sa famille. Le loup, s’il chasse les loups, les chasse en meute, et
pour la meute. L’égoïsme absolu est une invention dont usent
aujourd’hui les partisans de l’ordre représentatif pour accréditer
l’idée que le peuple ne peut exister qu’au travers de procédures
autoritaires.
Quelle preuve sérieuse a-t-on, a contrario, du pouvoir de
rassemblement des politiques ? À quelle guerre intestine ont-ils mis
fin ? Aux émeutes des banlieues en 2005 ? À l’effroyable intégrisme
islamiste, dont se chargent plutôt la police et la guerre ? Au
répugnant racisme, dont personne ne s’occupe en haut lieu ?
Tiennent-ils vraiment les murs d’un édifice qui sans eux
s’écroulerait ? La Belgique est restée sans gouvernement légitime
pendant cinq cent quarante et un jours entre 2010 et 2011. S’est-elle
effondrée dans le fracas d’une guerre civile ? La société française,
profondément atteinte par une succession d’attentats, manifestait
une nouvelle fois son unité au lendemain de ceux de
novembre 2015. Que prouvait le spectacle des parlementaires se
déchirant à l’Assemblée quatre jours plus tard, sinon que les
politiciens ont besoin qu’on se tape dessus pour pouvoir jouer
2
ensuite les rassembleurs ? Semblable au baron de Münchhausen se
sauvant lui-même des eaux en se tirant par les cheveux, la classe
politique comble les gouffres qu’elle ouvre elle-même pour exister.

Que l’idée de contrat social serve à comprendre pourquoi nous


obéissons aux lois que nous avons votées, passe encore. Que ce
contrat accorde à certains le droit exclusif de définir et de voter ces
lois, sans aucune considération pour ce qu’en pensent les citoyens,
voilà qui s’oppose à l’idée même de souveraineté populaire. Pour
Rousseau, « ceux qui prétendent que l’acte par lequel un peuple se
soumet à des chefs n’est point un contrat ont grande raison. Ce n’est
absolument qu’une commission, un emploi dans lequel, simples
officiers du souverain [l’ensemble des citoyens], ils exercent en son
nom le pouvoir dont il les a faits dépositaires, et qu’il peut limiter,
3
modifier et reprendre quand il lui plaît ».
Tout ce qui est décidé par les représentants devrait être
révocable par l’expression directe du peuple : ce principe évident est
par exemple mis en œuvre en Suisse, où des référendums dits
facultatifs permettent à cinquante mille citoyens de contester une loi
adoptée par le Parlement.

A fortiori, suis-je tenu de respecter ce que d’autres, parfois morts


depuis très longtemps, se sont arrogé le droit de placer hors de ma
portée dans une Constitution ? Dois-je considérer comme sacré,
demande Auguste Blanqui fustigeant les utopistes, ce que des
« fanatiques amants de la claustration (…), maçonnant à l’envi des
4
édifices sociaux pour y claquemurer la postérité », ont cherché à
établir pour moi et pour l’éternité ? Difficile de garder son calme en
prenant connaissance, dans le détail, de ce chef-d’œuvre
e
oligarchique qu’est la Constitution de la V République. Décidée dans
l’urgence et la peur de la guerre civile, expression la plus pure du
principe de hiérarchie auquel elle fournit en retour un outil
permanent d’oppression, ce sont des lois pour l’empire qu’elle taille,
des décrets pour la France coloniale en déclin. Sans mentir,
impossible de s’attarder sur ce vaniteux papier à la gloire d’un seul
homme, le président, dont l’ombre patriarcale plane sur chaque
article, sans éprouver la colère la plus authentique envers une
dictature du passé qui voudrait nous laisser croupir, ainsi que les
générations à venir, dans les fantasmes fascisants des rescapés des
deux grandes guerres. Notre devenir collectif devrait être ouvert à
tous les possibles, au lieu d’être enserré dans un triste carcan forgé
par les messieurs de 1958, que prolongent jusqu’à nous neuf vieux
5
sages riches garants de l’ordre représentatif .

L’objection du trop grand nombre contre


la démocratie ?
Nos Constitutions modernes reposent sur un mépris : celui des
hommes prétendument mauvais par nature. Pour empêcher ces
dangereux personnages de se faire du mal les uns aux autres mais
aussi à eux-mêmes, il leur faut soi-disant pour gardiens ces
admirables politiques sortis des ténèbres où nous sommes plongés.
Doit-on pour autant postuler que l’homme est fondamentalement
bon pour être démocrate ? Il faudra en tout cas tenir sa nature,
quelle qu’elle soit, pour conciliable avec sa participation à la vie
collective. Par définition, la démocratie est le système politique dans
lequel chacun se juge soi-même digne de prendre part au destin
commun et juge tous les autres tels.
Il est un peuple qui a pris très au sérieux cette formulation de la
démocratie pure, et a su limiter la délégation de pouvoir à quelques
charges exécutives placées sous son contrôle : le peuple athénien au
e
V siècle avant J.-C. Pour lui la souveraineté était bien populaire. La

représentation, qu’elle soit politique ou administrative, était un pis-


aller né du fait que tout le monde ne pouvait décider de tout en
permanence.
Je me souviens bien de la façon dont, pourtant, à l’école, on nous
parlait de ce modèle de démocratie. On passait rapidement sur le
fait que tous les citoyens athéniens avaient un accès libre à
l’Assemblée du peuple (l’Ecclesia), vrai lieu d’expression de la
souveraineté où siégeaient régulièrement six mille personnes (soit
plus de dix fois l’Assemblée nationale française). Peu de mots sur le
fait que le Conseil (la Boulè) qui préparait l’ordre du jour, ainsi que
les tribunaux, qui avaient aussi pour fonction de juger les lois elles-
mêmes, étaient composés de citoyens tirés au sort à partir de listes
établies par circonscriptions. Pas un mot sur la mixité de ces
circonscriptions, obtenue par d’habiles réformes : pauvres et riches
s’y côtoyaient, des pauvres pouvant, du coup, par tirage au sort,
représenter des riches au Conseil ou au tribunal (l’Héliée). Peu de
chose sur les principales magistratures, généraux ou orateurs par
exemple, certes, pourvues au moyen d’élections, mais occupées pour
un temps très court, assurant la rotation des charges. Rien sur la
méfiance des Athéniens envers la professionnalisation des politiques
ainsi qu’envers les fonctionnaires, suspectés d’obstruer leur rapport
direct avec leur propre destin commun.
On insistait lourdement en revanche sur les contradictions des
Athéniens : esclavage, discussions vaines, domination de quelques
familles bien informées, intrigues des orateurs et des stratèges, etc.
On n’envisageait pas que la fin de cette démocratie, sans équivalent
depuis, ait pu être due aux appétits des puissants et à leurs divisions,
1
ainsi qu’aux guerres plutôt qu’à l’épuisement du système lui-même .
Et qui réalise, en France, les travaux les plus durs ? Qui, depuis ses
ghettos, s’est vu promettre tant de fois la participation aux élections
locales ? Il suffit de se pencher sur le sort des ouvriers travaillant au
Bangladesh loin des regards français pour en rabattre un peu sur
l’éloge de notre République soi-disant sans esclaves ni métèques…

Athènes voulait que le premier venu, Ho boulomenos, puisse


prendre la parole à l’Assemblée des citoyens : « Dans les oligarchies,
écrit Eschine, ne prend pas la parole qui veut, mais le détenteur du
pouvoir ; dans les démocraties, tout le monde peut le faire, et quand
2
bon lui semble . » D’où sa pratique du tirage au sort, chacun étant
tenu pour digne d’être aux responsabilités. Alors qu’aujourd’hui en
France, comme le formule Rancière, « le gouvernement de n’importe
qui est voué à la haine interminable de tous ceux qui ont à présenter
des titres au gouvernement des hommes : naissance, richesse ou
3
science ».
On prétendra que le tirage au sort risque de remettre le pouvoir
entre les mains de fous furieux ou d’imbéciles. Mais si les Français –
qui n’ont par ailleurs aucune difficulté à confier le sort d’un accusé à
ces imbéciles et à ces fous furieux lors des procès d’assises –
pensaient vraiment cela, combien peu ils aimeraient la démocratie !
Combien peu ils s’aimeraient eux-mêmes ! Le principe de la
démocratie est la souveraineté populaire. Son idée fondamentale est
que chaque citoyen est capable d’exercer le pouvoir. Le premier venu
d’entre nous sera-t-il moins cultivé, moins bienveillant, moins digne
de la délibération et de la décision collective que le premier venu des
e
Grecs du V siècle avant Jésus-Christ ?

Si nous aussi nous prenions au sérieux l’idée qu’en démocratie le


dernier des hommes – mais qui est-il ? – peut participer au pouvoir
tout comme les autres, nous serions plus regardants sur la qualité de
son instruction. Des procédures comme le tirage au sort supposent
l’égalité en même temps qu’elles la créent ; si le hasard désignait les
dirigeants, alors, nous mettrions tout en œuvre pour que chaque
citoyen soit parfaitement en mesure d’exercer les plus hautes
responsabilités. Nous ferions en sorte que le pouvoir ne puisse pas
tomber entre les mains d’un sale type ou d’un ignorant. Non en
truquant les élections, mais en éradiquant l’ignorance et ce qui
pousse habituellement les hommes à se faire du mal les uns aux
autres. Ainsi, selon Rousseau, « les élections par sort auraient peu
d’inconvénients dans une véritable démocratie où, tout étant égal
aussi bien par les mœurs et par les talents que par les maximes et
4
par la fortune, le choix deviendrait presque indifférent ». L’égalité
de l’instruction serait alors une nécessité vitale : il en irait du salut
de tous. Alors qu’à présent notre système éducatif favorise un petit
nombre de futurs leaders, élite sociale sélectionnée dès le plus jeune
âge pour tenir les rênes du pays, responsables politiques, dirigeants
d’entreprise, universitaires, autant de premiers de la classe cultivant
très tôt l’entre-soi, décidant ensemble pour les autres.

On opposera alors à cet éloge de la démocratie grecque


l’objection du trop grand nombre. La démocratie ? Bonne pour ces
« bourgades » qu’étaient Athènes ou Rome – des bourgades de
plusieurs dizaines de milliers d’habitants tout de même. Impossible
de s’entendre à soixante-six millions. Rousseau ne pense pas qu’« il
soit désormais possible au souverain [le peuple] de conserver parmi
5
nous l’exercice de ses droits si la cité n’est [pas] très petite ». Il sera
d’autant plus difficile de laisser le peuple exercer directement le
pouvoir que les communautés seront plus diverses sur le plan des
mœurs, des opinions et des croyances : « Théoriquement, affirme
Raymond Aron, les représentants pourraient être choisis au hasard,
mais les citoyens des sociétés modernes sont trop différents les uns
des autres pour accepter une autre méthode que celle de
6
l’élection . »

Il faut concéder que c’est dans de petites communautés que la


démocratie trouve son terrain d’expression le plus favorable. Les
ouvriers agricoles de Marinaleda se sont d’abord organisés à la fin
des années 1970 pour chasser les grands propriétaires terriens.
Aujourd’hui, l’économie de cette ville de trois mille habitants, dont
la municipalité possède les logements, tourne principalement autour
d’une conserverie fonctionnant en coopérative avec temps de travail
et salaire uniques, les bénéfices étant intégralement réinvestis dans
l’entreprise.
À l’inverse, l’accroissement de la population a été fatal à la
démocratie des Cosaques. Sous la pression du nombre, ces
populations, profondément attachées à l’égalité au sein de leur
communauté, ont dû remplacer leur assemblée générale, assurant
jusqu’ici une administration directe sous la supervision d’un chef
toujours révocable, par des commissions de plus en plus
7
nombreuses .
À l’échelle communale, la question de l’hétérogénéité des
populations n’est pas non plus insurmontable. Les assemblées
citoyennes indiennes, qui traduisent en fait le principe de
gouvernement local dit du Panchayat Raj développé à la fin des
années 1950, ont vu leurs pouvoirs considérablement renforcés
depuis le début des années 1990. La participation à la vie publique
des populations marginalisées y a été parallèlement encouragée au
travers d’une politique de quotas audacieuse. Le village de
Kuthambakkam, au sud-est de l’Inde, est ainsi devenu célèbre du fait
de la participation citoyenne qu’y a structurée et encouragée son
maire Rangaswamy Elango entre 1996 et 2006. Dans cette ville
défavorisée et minée par les violences contre les intouchables, les
femmes et les minorités ethniques, des assemblées villageoises
(Gram Sabha) incluant l’ensemble des familles à égalité, débattent
sur les enjeux publics au même titre que le conseil municipal. Ce
dernier soumet, sur la base des propositions de ces assemblées, un
plan d’action que celles-ci doivent, de surcroît, valider. La fracture
entre les différentes catégories sociales et religieuses s’est alors
résorbée. Les enfants de castes différentes, désormais tous scolarisés,
se côtoient dans une même crèche collective placée au sein d’un
lotissement d’une cinquantaine de maisons mitoyennes où vivent
manifestement en bonne entente intouchables et brahmanes. Aucun
des cinq mille habitants de la ville n’est au chômage. Le succès est
tel que des Panchayat Academy fondées par Rangaswamy Elango au
début des années 2000 diffusent un peu partout dans le pays les
principes de la république villageoise théorisée par Gandhi et mise
8
en œuvre dans la démocratie de Kuthambakkam .

Mais que deviennent les grands horizons si les questions sont


seulement locales ? Il faut se méfier des visions grandioses, de leur
appel aux sacrifices pour soi-même mais aussi, quelquefois, surtout
pour les autres. Au moment de perdre son travail, une employée de
cartonnerie aura bien raison de se moquer éperdument des
justifications de la fermeture de son poste par la théorie des
9
destructions créatrices au nom de laquelle on en ouvrira soi-disant
dix autres à l’autre bout du monde.
Par ailleurs, les grandes solutions sont quelquefois une somme de
petites. L’écologie, ce pourrait être aussi la préservation de localités
auxquelles chacun accorderait une attention d’autant plus grande
qu’il s’en sentirait responsable, ayant tous les jours sous les yeux sa
rue, le parc qu’il voit depuis sa fenêtre ou les arbres dans la cour de
son lycée. Un système éducatif peut devenir graduellement plus juste
par l’accumulation de petites décisions faisant sentir peu à peu leurs
effets, en lieu et place des saupoudrages qui tombent en fine pluie
depuis le ciel des utopies. Le tout est la somme des parties. Le global
suppose le local.

À l’inverse, une démocratie réelle est-elle envisageable, par


exemple, à l’échelle de l’Europe ? Le problème n’est pas que les
peuples européens ne savent pas qui sont leurs dirigeants, comme
les partisans de l’ordre représentatif l’écrivent ici ou là. C’est qu’ils ne
se connaissent pas entre eux. L’Europe ne sera pas démocratique
aussi longtemps que les populations qui la composent n’échangeront
pas entre elles régulièrement, directement, indépendamment de
leurs représentants. Qui peut citer les noms des États membres de
l’Union européenne ? J’en étais moi-même incapable avant d’écrire
ces lignes. Au lieu d’avancer l’objection du trop grand nombre et de
son corollaire, celui de l’hétérogénéité des populations, pour justifier
l’hypercentralisation de la décision en Europe ; au lieu de prétendre
que les questions qui y sont débattues sont trop techniques pour le
commun des mortels, il faudrait plutôt, et de toute urgence,
s’interroger sur les conditions de la souveraineté populaire et de la
démocratie réelle dans un espace sinon voué à disparaître.

Porté par un délire d’homogénéité, le néofascisme fait, lui, tout


au contraire, le choix du repli sur soi. Il se veut un préalable à la
démocratie du peuple pur culturellement, ethniquement,
socialement. Dans cette perspective, ouverte par le philosophe et
juriste Carl Schmitt, l’un des penseurs officiels du nazisme, le
fascisme autoritaire, guerrier, quelquefois incarné dans la figure du
chef suprême, serait une étape vers l’avènement d’une démocratie de
la transparence où chacun pourrait se reposer sur son voisin
identique à lui. Puisque, « en démocratie, il n’y a que l’égalité des
semblables et la volonté de ceux qui appartiennent aux semblables
(…), la force [d’un tel système] se manifeste à sa capacité d’écarter
ou de tenir éloigné l’étranger et le non-semblable, celui qui menace
10
l’homogénéité ». Fin de l’immigration. Citoyenneté de seconde
11
zone pour les populations différentes. « Remigration ».
Homogénéisation forcée des mœurs, de la pensée et de l’action. Le
parti s’immisce dans la vie privée pour aplanir les divergences ou les
maintenir hors de portée de l’expression publique, met les artistes et
les intellectuels au pas, rêve d’action collective par des femmes et
des hommes aimant et détestant les mêmes choses.
Le conseil municipal (Dorpsraad) de la communauté autogérée
d’Orania, en Afrique du Sud, exige de ses habitants qu’ils parlent
afrikaans, soient chrétiens et en mesure de subvenir à leurs besoins.
Tous sont blancs, même si aucun texte n’interdit à un Noir d’y vivre.
Dans cette ville d’un millier d’habitants, aucun parti politique n’est
représenté lors des élections locales. Pas de police ni de prison à
Orania, mais une milice citoyenne, une monnaie locale, un système
d’éducation autonome, le drapeau de l’apartheid, et pour emblème
un enfant blond qui se retrousse les manches. Chacun des présidents
sud-africains a visité cette petite ville charmante, Mandela y
compris. Il paraît qu’on y vit heureux.
En France, les hommes et les femmes politiques néofascistes
revendiquent avec plus d’habileté que les autres la proximité
culturelle, ethnique, sociale et même physique avec leurs partisans :
« Je suis comme vous », semblait dire en permanence le père de
12
l’extrême droite française contemporaine, Pierre Poujade . Marine
Le Pen aussi, quoique riche héritière, joue la carte de la
proximité avec le peuple : parler franc et peu châtié, regard
déterminé mais un peu triste de dominée, posture victimaire, traits
burinés, discrétion sur son mode de vie, habits simples, quand
d’autres, jouant l’écart entre eux et nous, laissent fuiter des photos
13
de leurs vacances luxueuses .
Un autre exemple de ce délire du même, cherchant à fusionner
égalité et identité, est donné par ce que Monique et Michel Pinçon-
Charlot appellent la « très grande bourgeoisie ». Endogame, sûre
d’elle-même et de son bon droit, pleinement consciente de ses
intérêts, la très grande bourgeoisie vit dans un entre-soi totalement
assumé, partiellement fondé sur la naissance, c’est-à-dire
ouvertement raciste au sens le plus restreint qu’on puisse donner au
14
terme de race : la lignée . Un aperçu de ce racisme quasi biologique
est fourni par un extrait du documentaire Une pieuvre nommée Bercy.
Présidant une réunion – à laquelle participe d’ailleurs Emmanuel
Macron, alors inspecteur des finances – la ministre de l’Économie
Christine Lagarde se réjouit qu’on se comprenne instinctivement à
Bercy, parce qu’on y est tous du même monde.
Le projet ultime de ce fascisme chic, prônant l’individualisme
pour autrui et le collectivisme pour soi, rêvant d’une société
15
pulvérisée de travailleurs précaires , est, peut-être, l’expulsion hors
de France de la classe ouvrière au moyen de transferts de charge
vers des pays pauvres, son grand remplacement par des élites issues
du peuple, arrachées à leur triste destinée par la bienveillance d’en
haut, rescapées reconnaissantes auxquelles serait accordée la
purification par les mœurs supérieures, vestiges d’un long passé
glorieux, dont leur serait fait le présent. En attendant ce temps de la
communion ultime, quand leur entre-soi sera menacé, les grands
bourgeois n’hésiteront pas à descendre, plus prosaïquement, dans
16
l’arène .

On voit donc qu’il faut se méfier de l’objection du trop grand


nombre contre la démocratie réelle. Surtout, cette objection ne tient
pas compte des nouvelles technologies de communication. Combien
de temps fallait-il, à Athènes, pour que ceux qui n’y étaient pas
présents un jour donné prennent connaissance des décisions de
l’Assemblée populaire ? Plusieurs heures, plusieurs jours même en
incluant les colonies. Mais la démocratie numérique n’est pas celle
du crieur public. Aujourd’hui, nous pouvons suivre en direct un
débat à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Pour les éclairer, des
décryptages, des rapprochements ou des mots d’humeur sont
proposés sur-le-champ par les professionnels de l’information et des
sciences politiques, mais aussi par n’importe quel citoyen connecté –
pour peu, ce qui est certes encore loin d’être le cas de tout le
monde, qu’il soit capable de se débrouiller avec Internet.
Contributions en ligne portant sur la loi « Pour une République
numérique », budget participatif parisien, qui a mobilisé près de
70 000 personnes en 2015, soit une augmentation de plus de 60 %
en un an d’existence, puis 160 000 en 2016, innombrables forums
proposant de faire de la politique autrement : Internet compense
l’impossible présence physique des Grecs « sans cesse [assemblés]
17
sur la place », écrit Rousseau, par les contributions virtuelles d’un
peuple bien réel.

Imaginons une consultation qui porterait sur la construction d’un


complexe sportif dans une ville où 100 000 habitants seraient en âge
et en droit de voter. Il s’agirait d’interroger les citoyens sur le bien-
fondé de cet équipement ainsi que sur son emplacement et son
budget. Une cellule Internet composée de cinquante fonctionnaires
pointus sur le sujet serait mobilisée pour répondre à chacun des
habitants et lui permettre de se forger une opinion éclairée. À raison
de quinze minutes par habitant et de six heures par jour par
fonctionnaire, il faudrait environ quatre-vingt-cinq jours pour
consulter tout le monde. Chacun pourrait alors se prononcer en
connaissance de cause.

Le débat exclut-il l’action ?


Variante de l’argument du trop grand nombre, l’argument de
l’efficacité sera souvent invoqué pour contrer l’idée de démocratie
réelle. N’est-il pas préférable de vivre dans un État, certes, pas tout à
fait démocratique, mais en mesure de répondre à l’urgence ?
Démosthène s’en prenait aux tergiversations des Athéniens face aux
intentions belliqueuses de Philippe de Macédoine : « Il nous encercle
1
de toute part, nous enveloppe, nous qui tardons, inertes . » Lénine a
tiré les leçons du désastre militaire de la Commune : tout le pouvoir
aux bolcheviks ! Podemos a doté l’esprit des Indignés d’un corps
discipliné en mesure d’opérer la conquête de l’État par les urnes.
La règle qui veut que l’action collective soit ralentie par le grand
nombre de délibérants n’est cependant pas établie au regard de
l’expérience. Les conquêtes d’Athènes et son expansion prodigieuse
ne sont pas le fait d’un dictateur maniant seul les forces disponibles,
mais bien de la démocratie à son apogée. De façon plus locale, et
pour ne s’en tenir qu’à un exemple fameux, l’expérience
d’autogestion qu’a connue le Sport Club Corinthians Paulista sous la
dictature militaire brésilienne vient aussi nous rappeler que
discipline et discussion ne sont pas nécessairement antithétiques.
Entre 1981 et 1985, joueurs mais aussi employés prenaient part aux
décisions selon le principe : un votant, une voix. Cette fameuse
expérience de démocratie radicale a élevé le Corinthians au rang de
symbole universel de la revendication démocratique mais aussi au
2
plus haut niveau du football brésilien .

Alors, franchement, sous tous les septennats et quinquennats


récents, qu’ils soient de droite ou de gauche, à l’exception peut-être
des mesures visant à répondre aux menaces imminentes, quelle
décision a fait face à une urgence telle qu’un débat démocratique
authentique, impliquant tous les citoyens pendant plusieurs mois,
aurait compromis le salut du pays ? Qu’est-ce qui peut justifier qu’on
muselle la parole ? Pour allier efficacité et discussion, il suffit
pourtant de fixer rigoureusement le temps imparti au débat. Au lieu
de ça, on fait le choix de ne pas discuter du tout.

L’autogestion comme horizon


de la démocratie
On ne se lassera pas de le répéter : un transfert de souveraineté
ne devrait s’opérer que dans la mesure où, pour des raisons de pure
organisation, on ne peut pas tous décider directement de ce qu’on
veut faire des forces mises en commun. Perçue comme un pis-aller,
la représentation n’interviendrait plus que dans le cas où l’incapacité
technique de demander l’avis de tous serait établie. Car, en principe,
1
en démocratie « tous gouvernent tous, toujours et simultanément ».
Quant à la Constitution, si elle devait subsister, ce ne devrait jamais
être qu’à des fins organisationnelles. Il faudrait sans cesse pouvoir la
2
remettre en question, comme c’est le cas en Suisse par exemple . De
même, ne devraient être prises, pour les générations futures, que des
décisions toujours révocables par elles. Là encore, décider pour
autrui serait tenu pour l’exception.
S’il est vrai, comme le suggère Rousseau, qu’« un peuple qui
gouvernerait toujours bien n’aurait pas besoin d’être gouverné », s’il
est exact que « s’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait
démocratiquement » et peut-être aussi qu’« un gouvernement si
3
parfait ne convient pas à des hommes », l’autogestion constitue
pourtant l’horizon sur lequel le réformateur doit garder les yeux
fixés, pourvu qu’il tienne sincèrement à la démocratie. L’idéal
régulateur de la décision politique, c’est un monde où l’homme est
maître de toutes les forces qu’il a mises en commun. Un monde où
chacun, de plus en plus, fait ce qu’il veut comme il le veut.
Pour progresser vers lui, il faut renverser le rapport établi par
l’ordre représentatif entre le peuple et ses représentants. Ce point est
essentiel. Il marque la différence énorme entre l’horizon du système
actuel et celui de la démocratie réelle : L’ordre représentatif vise la
Constitution parfaite et intouchable élaborée par les meilleurs. La
démocratie veut la contribution perpétuellement renouvelée de chacun
au meilleur des mondes possibles.

Le mythe du chaos conjuré cherche ainsi à justifier notre


asservissement par notre sécurité collective. L’anthropologie
malheureuse qui sous-tend sa vision du monde détermine aussi la
conception que chacun se fait de sa propre subjectivité : il y a du mal
en nous qu’il faudrait juguler. Là encore, en nous-même, devraient
prétendument régner autorité et délégation, afin que ne s’exprime
que la meilleure partie de notre être : tel est le mythe de la volonté
libre.
V
Le mythe de la volonté libre
À la recherche d’un nouvel atome
de la politique
Pour comprendre en quoi la conception que nous nous faisons
spontanément de notre propre subjectivité fait obstacle à la
démocratie, commençons par nous demander de quoi est constitué
l’espace politique – un peu comme la physique cherche à identifier
l’entité ultime de la matière.

Cette question traverse l’histoire de la philosophie. Pour Aristote,


c’est le foyer qui est l’atome de la réalité politique. En deçà de cet
atome se trouve la sphère privée, celle des relations intrafamiliales.
1
Elle n’est pas de nature politique . Pour la modernité, qui culmine à
e
la fin du XVIII siècle avec la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen, c’est la volonté libre qui explique et légitime l’action
2
politique . Les penseurs de la modernité prennent soin de distinguer
cette notion de celle de désir. Être doté de volonté, ce n’est pas se
laisser porter par ses envies, ni changer d’avis tout le temps. C’est, au
contraire, poursuivre les mêmes objectifs en dépit de l’adversité :
être constant, solide, fidèle à ses idées, à son parti, loyal envers ses
e
chefs, contre vents et marées. Au XIX siècle, des penseurs comme
Guizot ou Marx contestent ce recours à la volonté libre au bénéfice
d’une analyse du champ politique en tant que produit de la lutte des
« classes ». Les classes sont les vrais agents de l’Histoire. Pour Marx,
elles déterminent aussi, sans que nous le sachions, notre vision du
monde, des autres et de nous-mêmes.
Les approches de la politique en termes de volonté libre et de
classes sociales se font aujourd’hui concurrence. En toute rigueur, la
position de classe exclut la volonté libre : comment être à la fois
libre et déterminé par sa classe sociale à penser ce que l’on pense, à
vouloir ce que l’on veut, à agir comme on le fait ? « Si l’homme n’est
pas le sujet qu’il croit être, écrit Francis Wolff, la notion de
conviction individuelle sur laquelle est fondée la démocratie
moderne n’a évidemment aucun sens. Ou, plutôt, c’est une illusion
3
néfaste et aliénante . » À l’inverse, si nous sommes tous libres,
comment expliquer les constantes de pensée et d’action mises en
évidence par la sociologie ? Comment expliquer en particulier les
corrélations entre appartenance sociale et comportement électoral ?
Si ces deux types d’analyse coexistent aujourd’hui, ils ne jouent
cependant pas à armes égales : c’est la volonté libre qui constitue
l’élément auquel on a spontanément recours pour fonder la vie
politique contemporaine. C’est vers elle également que nous nous
tournons le plus fréquemment pour légitimer une décision ou
protester contre celles qui lui feraient obstacle. Et le but des
partisans de la lutte des classes n’est-il pas de substituer à leur
déterminisme la liberté de la volonté ?
Les tendances électorales les plus récentes manifestent de plus en
plus clairement la revendication de volonté libre. Comme l’écrit
Bernard Manin, politologue français contemporain, du fait
d’« évolutions sociales de grande ampleur, comme l’individualisation
des conditions professionnelles, l’effritement des formes sociales
propres à la société industrielle, l’élévation du niveau d’instruction et
l’affaiblissement consécutif de la déférence à l’égard des autorités ou
4
de porte-parole, ou encore la diffusion des médias », les citoyens
votent de moins en moins pour les mêmes personnalités politiques
ou les mêmes partis d’élection en élection. De plus en plus, nous
faisons de chaque scrutin l’occasion d’exprimer librement ce que
nous pensons, indépendamment de notre appartenance sociale,
indépendamment même de ce que nous avons voté antérieurement :
« Les citoyens, observe Bernard Manin, se mobilisent autour d’un
objet ou d’un thème qui les préoccupe particulièrement, et non
autour d’un vaste programme couvrant tous les domaines de l’action
5
gouvernementale . »
Les citoyens se détournent ainsi peu à peu des hommes pour se
tourner vers les projets. Vers chaque projet, imposant chaque fois de
nouer des alliances nouvelles.

Parallèlement, dans ses formes les plus radicales, la


revendication démocratique contemporaine cherche à imposer
chaque acte de volonté, chaque volition, comme nouvel élément du
politique. Chaque décision doit pouvoir rebattre les cartes, redéfinir
des alliances toujours ponctuelles. La prise de position individuelle
en fonction de la seule question posée, non de ses propres choix
antérieurs, de son appartenance sociale ou partisane, ni des
injonctions d’un leader, apparaît ainsi comme la condition nécessaire
de la démocratie réelle.
Condition nécessaire, mais pas suffisante. Pour que la démocratie
soit remise à l’endroit, l’information devra également circuler sans
entraves pour être partagée par tous les citoyens : seulement alors,
ils pourront se prononcer de façon éclairée. Le passage de l’ordre
actuel à un ordre divisant toujours plus finement les volontés,
jusqu’aux volitions autonomes, supposerait également la destruction
de tous les groupements d’intérêts susceptibles d’imposer leurs
exigences à des subjectivités éparpillées. C’est ce qu’ils font parfois
lors de référendums locaux, notamment quand la législation ne
prévoit pas de plafonnement des dépenses de campagne en la
matière ; ce fut le cas en Californie en 2012 à propos de l’étiquetage
des produits OGM, les industriels de l’agroalimentaire mobilisant,
avec succès, des moyens financiers colossaux pour faire échouer la
proposition, à laquelle la population était pourtant favorable avant
6
le lancement du référendum . Nous savons combien certains rêvent
7
de n’avoir en face d’eux que des citoyens isolés à leur merci .
À l’inverse, lorsque les mouvements se réclamant de la
démocratie réelle nourrissent leurs revendications d’axiomes
prétendument indiscutables sur le néolibéralisme ou le
développement durable par exemple ; lorsqu’ils assènent
unilatéralement des conclusions qui ne devraient relever que du
débat démocratique – impliquant tout le monde ; lorsqu’ils laissent
des professionnels de l’économie devenir leurs porte-parole ;
lorsqu’ils finissent par se plier à des dogmes forgés par des savants ;
lorsqu’ils préparent le remplacement d’une classe par une autre –
celle des économistes hétérodoxes – meilleure mais brutale, inhabile
et surtout pas plus légitime que qui que ce soit d’autre pour définir
seule ce qui est bon pour tous ; alors ils nous déçoivent, ils se
délitent et ils retombent dans le néant.
Ils progressent au contraire quand ils restituent à chacun sa
8
liberté de choix et ne laissent aucun camp cristalliser . Ils nous
convainquent quand ils tendent vers la revendication pure de la
démocratie comme forme sans contenu du politique : celle où tout
se décide en commun.

L’indépendance, vertu fondamentale


de la démocratie
La démocratie implique l’indépendance du citoyen envers autrui,
l’arrachement à son influence en tant qu’elle fait obstacle à la liberté
de sa décision : « Si, quand le peuple suffisamment informé délibère
[c’est-à-dire, comme l’entend ici Rousseau, décide, et non pas
discute], les citoyens n’avaient aucune communication entre eux,
1
(…) la délibération serait toujours bonne . » Il faut donc traquer les
tribuns, les séducteurs, les agressifs, les dominateurs : ce sont les
ennemis de l’intérêt général. Ils attachent les citoyens à leur
personne, et les détournent du face-à-face avec les idées et elles
seules.
En toute rigueur, la démocratie suppose également d’envisager
chaque question indépendamment de toutes les autres. Au lieu de
ça, les grands partis, avec leurs longs programmes couvrant toutes
les questions, cherchent à décalquer leurs réponses sur une règle
générale découlant d’une vision cohérente à laquelle il faudrait
adhérer coûte que coûte.
Il n’est pas contradictoire d’être, par exemple, à la fois pour un
impôt très progressif et pour une politique sécuritaire très
rigoureuse. Ou même pour que tel impôt soit très progressif et pas
tel autre. Qu’est-ce qui interdit de vouloir en même temps la sortie
de l’Union européenne et une politique d’immigration très
accueillante assortie du droit de vote des étrangers à toutes les
élections ? Quand elles sont trop pesantes, les doctrines sont bien
incapables d’embrasser la complexité mouvante du réel.
À cause de ses professionnels, l’espace politique est divisé en noir
et blanc, les partisans du noir insultant ceux du blanc. On vote pour
l’un ou l’autre candidat avec ses gros sabots. Mais réfléchir, c’est
nuancer. La démocratie devrait pouvoir isoler les questions, les
décoller, les séparer en fines lamelles, les soumettre une à une à la
réflexion de chacun. Le citoyen devrait faire preuve d’indépendance,
y compris envers lui-même pour empêcher ses décisions de
s’influencer mutuellement.

Le citoyen de la démocratie réelle devra apprendre à détacher ses


décisions de lui-même, à reconnaître en lui la multiplicité de ses
propres points de vue. Alors, incohérent en apparence, il
ressemblera trait pour trait à l’homme de la démocratie moqué par
Socrate dans la République. Figure emblématique d’une société sens
dessus dessous, où l’enfant désobéit au père, l’élève au professeur, la
femme à son mari, les bêtes à leurs maîtres et à tous, où hiérarchie
et gouvernement sont foulés au pied, cet homme est anarchique en
dedans de lui-même. Pour lui tous les désirs se valent : ce fils de
bonne famille « soutient que tous les plaisirs sont de même nature et
qu’on doit les estimer également (…). Aujourd’hui il s’enivre au son
de la flûte, demain il boira de l’eau claire et jeûnera ; tantôt il
s’exerce au gymnase, tantôt il est oisif et n’a souci de rien, tantôt il
semble plongé dans la philosophie (…). Sa vie ne connaît ni ordre ni
2
nécessité, mais il l’appelle agréable, libre, heureuse ».
On peut, avec Socrate, blâmer cette société où aucune valeur ne
règne en maître. On peut mépriser le type d’homme qui en découle.
On peut au contraire voir en cette société et en cet homme la
révélation de l’arbitraire des hiérarchies que nous plaçons
habituellement entre les désirs, faisant valoir celui-ci plutôt que tel
autre sans savoir réellement pourquoi.

Le vieux Socrate, mentor des tyrans riches et beaux, barde de


l’oligarchie, n’est pas d’accord. Qu’importe à l’homme
démocratique ? Il est heureux, et cet « ami de l’égalité » le
demeurerait dans un système capable d’admettre la coexistence des
désirs sans les juger ni bons ni mauvais a priori. La mission d’un tel
système serait d’organiser l’expression de ces désirs, pas de les
hiérarchiser. Et, d’un point de vue moral, qui est plus précieux que
l’homme démocratique aux yeux de son prochain ? Qui mieux que
lui saura comprendre les autres ? Il les traitera en égaux comme il
traite en égaux tous les désirs qui les agitent.

L’homme démocratique de Platon est le brouillon de l’honnête


homme de la Renaissance et de l’âge classique. De celui de Marx
également, car dans la société communiste : « Personne n’est
enfermé dans un cercle exclusif d’activités et chacun peut se former
dans n’importe quelle branche de son choix ; c’est la société qui règle
la production générale et qui me permet ainsi de faire aujourd’hui
telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher
l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la
critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir
3
chasseur, pêcheur, berger ou critique . » De même que l’autogestion
est l’horizon de l’organisation de la vie en commun, de même le
démocrate doit travailler à se rendre toujours plus conscient d’être
lui-même plusieurs.
Devenir démocrate veut ainsi dire accueillir en égales ses propres
aspirations et les faire cohabiter le mieux possible.

En attendant l’avènement de la démocratie réelle, la France-qui-


se-lève-tôt continue de faire la guerre aux bruyants noctambules. Les
ennemis de l’automobile continuent de prendre de haut ceux pour
qui elle est matin et soir synonyme d’autonomie dans le cocon de
l’habitacle. Les commerçants continuent d’être traités de gens
vulgaires par les universitaires, qui sont des inutiles aux yeux des
commerçants. L’anthropologie politique d’aujourd’hui, qui identifie
l’homme à sa volonté libre, constante, fidèle, loyale, continue de
tailler à la serpe dans notre pluralité. Pauvre tronc nu de la volonté
libre ! Pauvres de nous. Cause, en métaphysique, d’une illusoire
4
transparence de soi à soi , l’étiolement de la vie intérieure se traduit,
en politique, par le choix d’un homme ou d’un parti représentant
confusément telle parcelle amaigrie de soi-même.
Au contraire, la démocratie réelle doit libérer la richesse d’une
vie intérieure assumée comme plurielle, où chacun comprendra
d’autant mieux les autres qu’il se vivra davantage lui-même comme
un autre.

La démocratie est un sport de combat


La discussion permet d’associer tous les citoyens aux décisions
qui les concernent. C’est par elle également qu’on sélectionne ses
désirs les plus compatibles avec l’action collective. Pour les faire
entrer en symbiose avec ceux de nos concitoyens, il faut les exprimer
et les confronter. Au terme de cette épreuve, tout ne franchit pas la
barre du fantasme.
Il n’est pas nécessaire non plus de postuler que l’homme est
naturellement bon pour que les désirs individuels puissent
1
s’accorder. Même « un peuple de démons », écrit Kant, peut
comprendre qu’il est dans son intérêt de s’entendre avec les autres
pour contenter ses appétits. Je peux m’avouer à moi-même mon
agressivité et vouloir la contenter. Comment l’exprimer sans nuire à
autrui ? On autorisera par exemple les sports de combat. On
permettra la vente de jeux vidéo et de films violents. De certains
d’entre eux. À partir de tel âge.

À l’inverse, Douze hommes en colère de Sidney Lumet illustre la


manière dont la discussion peut faire apparaître et neutraliser ceux
de nos désirs qui sont incompatibles avec les fins collectives du
moment.
Devant se prononcer sur le cas d’un jeune homme accusé d’avoir
assassiné son père, douze jurés se défont, en les formulant et en les
confrontant, des préjugés qui faussent leur jugement. Aucun n’a
peur des autres. Aucun ne se sent moins juste ni moins compétent
que les autres. Aucun ne prend à partie l’un de ses collègues à titre
personnel, ni ne se plie à l’autorité de l’habit ou de l’âge.
Indépendance envers autrui. Chacun, aussi, se heurtant aux autres
qui ne s’en laissent pas conter, se voit renvoyer à la face ce qui biaise
son propre raisonnement. Un père de famille prend ainsi conscience
de sa volonté de punir, à travers l’accusé, son propre fils. À l’épreuve
d’une confrontation entre égaux, nos désirs révèlent ainsi la part
d’eux ayant droit au grand jour. Comment s’imaginer qu’un homme
soit plus rationnel tout seul plutôt qu’au terme d’un débat avec ses
semblables ? Ils sanctionneront ses préjugés et ses délires en même
temps que les leurs. Indépendance envers soi-même conquise grâce
à autrui. Lors des discussions, aucun des douze hommes en colère
(les discussions sont vives) ne connaît le nom ni la profession des
autres. À la fin du film on apprendra seulement comment s’appellent
deux d’entre eux : l’un des jurés demande son nom au personnage
incarné par Henry Fonda. Au départ, peu convaincu de la culpabilité
du jeune homme, c’est lui qui avait simplement demandé qu’« on en
parle ». Grand démocrate dont on ne saura rien d’autre, et qui
s’éloigne, en souriant, après avoir été gratifié d’une simple poignée
de main.

La démocratie suppose ainsi des femmes et des hommes qui ne


se soumettent à personne, ni n’ont peur de changer d’avis. Elle
suppose l’affrontement, non entre doctrines ou entre individus, mais
entre idées. Non entre ennemis, mais entre adversaires se
respectant. Chacun y tient ses positions de bonne foi sans rancune
envers son adversaire. Les alliances y sont ponctuelles et provisoires.
À l’image de celle des Cosaques zaporogues, du mot turc qazaq
voulant dire « hommes sans attaches », qui, querelleurs et ivres
d’égalité, ne se tenaient pas rigueur des insultes, voire des coups,
qu’ils s’envoyaient parfois rudement pendant leurs assemblées
générales, où tout ce qui était essentiel se décidait en commun, la
démocratie réelle devra savoir circonscrire les moments
2
d’affrontement aux débats portant sur une décision .

Décrivant un tracé fluctuant que stabilisent des alliances


ponctuelles, anonymes et toujours révocables, les décisions en
démocratie pourraient ainsi être comparées aux manches d’une
partie de cartes. Chaque manche, chaque débat aurait ses alliés et
ses adversaires. Tel qui se retrouverait seul jouerait ensuite en
équipe. Puis changerait encore de partenaire. L’enchaînement des
décisions décrirait ainsi dans le temps la courbe de l’intérêt général.
Au quotidien nous avons d’ailleurs l’habitude de ne pas toujours
l’emporter quand nous décidons à plusieurs. Je vais au cinéma avec
un ami. Je souhaiterais voir un film d’action, lui préférerait une
comédie. Je pourrais le laisser choisir, à condition que la fois
suivante ce soit moi qui choisisse. Nous pourrions aussi aller voir un
drame. À moins que chacun ne prenne simplement plaisir à faire
plaisir à son ami. Pour Rousseau, « il y a souvent bien de la
différence entre la volonté de tous [ce que tout le monde veut à un
moment donné : aller voir une comédie et aller voir un film d’action]
et la volonté générale [ce qui serait juste que nous fassions et que la
discussion seule mettra au jour] (…). Ôtez de ces mêmes volontés
les plus et les moins qui s’entredétruisent, reste pour somme
3
[résultat] des différences la volonté générale . » Les concessions
finissent par équilibrer la différence entre gains et pertes de chacun
– encore une fois, gagner peut consister à faire plaisir.
La volonté générale n’est donc pas l’universel des sages imposé à
tous, mais le produit d’un nombre indéfini de concessions
particulières. Pour être bon citoyen, il faut par conséquent « savoir
4
tour à tour gouverner et obéir », comme l’écrit Aristote. Gagner,
perdre, gagner, perdre. Ou bien passer son tour parce que la
question ne m’intéresse pas, ou que je ne me sens pas capable d’être
lucide à son propos : en démocratie on a le droit de ne pas faire de
politique, mais à ses risques et périls. Vous voulez tous ce que je ne
veux pas. Passe pour cette fois. En revanche, si je dois sans cesse
renoncer à ce qui m’importe – y compris si ce qui m’importe est
d’aider les autres : SDF, migrants, malades, enfants défavorisés –,
c’est qu’il y a un problème, soit de mon côté, soit de celui de la
nation. Que faire alors ? M’en aller ? Lutter contre la folie qui s’est
emparée de mes concitoyens ? Redisons que la démocratie n’aboutit
pas nécessairement au bonheur des hommes.

Une liberté à conquérir


La conscience, explique Sartre dans L’Être et le Néant, possède
une tendance fondamentale à nier sa liberté en tâchant de se faire
chose. Elle s’attribue à elle-même des qualités d’être ; à la manière
dont la table est carrée ou dont la plante rejette de l’oxygène, je
cherche à être colérique, timide ou même professeur de philosophie,
musicien, etc. Ces qualités détermineraient une fois pour toutes ma
pensée et mon action. Sartre donne une description fameuse de ce
phénomène de chosification : jouant à fond son rôle social, le garçon
de café cherche à abolir sa liberté, à nier sa capacité de choix, sa
1
responsabilité .
La très grande bourgeoisie actuelle, celle que Michel et Monique
Pinçon-Charlot décrivent dans leurs livres, est la catégorie sociale
qui, parfaitement consciente de ses intérêts, se chosifie elle-même de
2
la façon la plus spectaculaire . L’individu n’est pas lui-même mais
une étape dans sa lignée. Il est le fils, le petit-fils et l’arrière-petit-fils
de ces ancêtres illustres réifiés pour l’éternité dans la galerie de
portraits de la demeure familiale. Le caractère de chacun est fixé par
la place qu’il occupe dans la généalogie. Sa vision du monde est
figée. On votera en fonction de l’intérêt de sa classe, sans se poser de
question. Les ouvriers des grandes fabriques se chosifient aussi,
quoique de plus en plus difficilement du fait de leur précarité. En
s’appelant eux-mêmes les « Goodyear », les « Renault », ou, plus
significativement, les « Alsthommes » (sic), ils revendiquent une
fierté d’appartenance tout en satisfaisant une tendance subjective à
la chosification, tendance exacerbée, le cas échéant, par la rapacité
des actionnaires et des fonds de pension qui les considèrent comme
de simples « ressources humaines ». Sur fond de crise et de
chômage, représentants d’une classe menacée, il arrive que les
ouvriers en appellent à la nation et à la « race » blanche.
Symétriquement, le fanatisme religieux pourrait aussi trouver l’une
de ses explications dans cette tendance à la chosification non
satisfaite par une société de plus en plus éclatée.
Cette tendance à la chosification continue de s’exprimer dans le
champ politique, tant chez les citoyens que, plus encore, chez les
élus. Elle entraîne l’adhésion aux partis et aux personnes, ainsi qu’à
l’inverse, le rejet en bloc des idées de l’adversaire. Un épisode
montre à quel point la chosification se couple, chez les politiques
professionnels, avec les exigences de la conquête et de l’occupation
du pouvoir. Accepté dans un premier temps par la commission du
Développement durable et de l’Aménagement du territoire, un
amendement déposé en mai 2013 par Marion Maréchal-Le Pen
portant sur la nécessité de transmettre aux populations alentour les
plans d’évacuation de zones industrielles à risque, est rejeté deux
heures plus tard, lors d’une séance demandée à cet effet, l’identité
3
de la dépositaire ayant été connue entre-temps .
Cela signifie-t-il qu’il ne faut pas s’unir ? Retrouver, sous l’unité
fictive de la subjectivité, sous la peau unanime, le bruissement de la
vie intérieure, le carnaval des volitions et lui faire droit autant que
possible, exclut-il l’action en commun contre l’ordre établi ? C’est
tout le contraire ! Comme on l’a vu, l’oppression a ses
prolongements dans la conscience. Elle enfonce ses racines dans les
représentations. La domination dans les têtes naturalise les rangs et
les propriétés. C’est elle qui cherche à dissimuler, derrière son écran
de mythologie, la privatisation de l’État ou la transmission des
4
capitaux de génération en génération . C’est elle qui teinte de
sacralité et de nécessité des prééminences arbitraires. Elle qui nous
fait courber la tête devant des puissants protégés par des rites
auxquels nous souscrivons par faiblesse.
Vestibule de la lutte, préalable à l’union des forces, seule
l’indépendance pure, envers autrui et envers soi-même, est en
mesure de libèrer de ce que Céline nomme l’« ignoble envie
5
d’obéir ». Elle seule ouvre au possible de l’alliance juste et efficace.
Non pas à vie et militante. Mais anonyme. Sans promesse.
Révocable. Portant sur des questions toujours plus précises. Nouée à
seule fin de vaincre l’adversaire du moment. Un moment qui peut
durer toute une vie. Voire plusieurs.

La démocratie à l’endroit
La revendication démocratique progresse. Elle force la classe
politique à s’adapter. Ses représentants les plus lucides en appellent,
sinon à un renversement du rapport entre le peuple et ses
représentants restituant son entière souveraineté à celui-ci, du moins
à une meilleure association des citoyens à la décision publique.
N’insistons pas sur les ripolinages qui, à l’image de la loi
constitutionnelle du 23 juillet 2008, rebattent simplement les cartes
entre les membres de la classe politique elle-même. Cette loi crée un
référendum d’initiative partagée fixant des conditions impossibles à
l’expression populaire : 1/5 des membres du Parlement, 10 % des
électeurs inscrits sur les listes électorales, soit plus de quatre millions
de personnes pour l’activer ! Par comparaison, l’initiative populaire
suisse requiert seulement 1 % des électeurs pour être enregistrée et
aucun membre du Parlement.

En revanche, depuis une trentaine d’années, les mouvements


participatifs creusent le lit de la démocratie réelle avec une force
1
croissante . Dans le sillage du budget participatif de Porto Alegre,
actif de la fin des années 1980 au début des années 2000, de
nombreuses villes du monde ont mis en place des instances associant
mieux les habitants à la décision publique. En Chine, dans la
municipalité de Chengdu, un programme impliquant cinq millions
de personnes et plus de 2 300 villages remet entre les mains des
conseils ruraux locaux – surveillés par les cadres du parti, mais tout
2
de même – un budget de près de 300 millions d’euros .
La Commission nationale du débat public (créée en 1995) ou la
loi de démocratie de proximité (2002) ont inscrit la notion de
« participation » dans la réalité institutionnelle française. Le budget
participatif parisien ou le dispositif grenoblois d’interpellation et de
votation d’initiatives rencontrent une audience de plus en plus
grande auprès des citoyens.
D’aussi bonnes intentions recèlent nécessairement un peu de
filouterie. En 2001, les parlementaires ont relevé de 20 000 à 80 000
habitants le seuil à partir duquel les conseils de quartier sont
obligatoires. Anne Hidalgo, qui souhaitait, par le budget participatif
(d’un montant réellement significatif), mener des projets qui soient
« construits et décidés par les Parisiens directement afin de lutter
3
contre le discrédit du politique », a intégré à la campagne électorale
de 2014 un projet de réaménagement du boulevard de la Chapelle.
Ce projet a ensuite été inscrit au Plan d’investissement de la
mandature 2014-2020… avant, en 2015, d’être soumis au vote des
Parisiens sous le titre « Beaux boulevards dans le Nord-Est parisien »,
e e
les maires des X et XVIII arrondissements allant même jusqu’à
affirmer que le projet serait mis en œuvre même s’il était invalidé
lors du vote des Parisiens. Verdict du vote : le projet n’est pas
retenu… mais déposé à nouveau en février 2016 par la municipalité
pour figurer dans le budget participatif… avant d’être à nouveau
rejeté… et de nouveau déposé. Gageons que cette petite histoire ne
se terminera qu’avec l’adoption du projet d’une manière ou d’une
autre.
La démocratie participative présente beaucoup de défauts – il y
entre une part de mauvaise foi ; ce sont avant tout des populations
4
favorisées qui s’en emparent ; elle repose sur le principe
fondamental qui voudrait que le peuple ne soit bon qu’à être
consulté ainsi qu’à implorer les puissants de l’écouter un peu ; elle
reconnaît l’insuffisance du système actuel sans le remettre
frontalement en cause ni inverser l’ordre de la souveraineté, qui
continue d’appartenir à la classe politique ; elle fonctionne comme
ce que Barthes appelle une « vaccine », confessant le « mal
accidentel d’une institution de classe pour mieux en masquer le mal
5
principiel ». Elle donne pourtant du champ à ce que le philosophe
6
Jon Elster appelle les « forces civilisatrices de l’hypocrisie » : on y
apprend à devenir citoyens et on y développe le goût de l’action
publique.

La remise à l’endroit de la souveraineté impliquerait de confier


aux représentants le simple rôle de commissaires, non de politiciens
voulant pour moi ce qu’il faudrait vouloir, agissant à ma place
comme il faudrait agir. Cette inversion sera réellement effective
quand la démocratie réelle, horizontale, anonyme, hors partis, se
donnera des institutions adéquates. Alors la marche qui sépare
chacun d’entre nous de la décision collective s’érodera avant de
disparaître. Les assemblées locales seront dotées de pouvoir. Du
pouvoir. La représentation, accessible à chacun, deviendra
l’exception. Au lieu d’aller voter pour d’improbables sauveurs, nous
consacrerons tous un peu de temps par an au bien commun. Au lieu
d’écouter et de lire à longueur de journée des hommes habiles nous
promettre la lune, Antarès, Saturne et ses anneaux, simplement pour
sauver leur peau, nous plancherons sérieusement sur des
propositions de loi utiles et en petit nombre. Au lieu d’entretenir un
ordre représentatif injuste, nous serons pleinement les acteurs de
notre destin. La démocratie à l’endroit. Sa rotation a déjà
commencé.
Conclusion

Un matin d’août, dans Paris déserté, on passa au Kärcher les tags


de la place de la République. Plus qu’un hommage qu’on effaçait,
c’était la confiscation d’un espace devenu public, transformé par
l’Histoire et portant ses stigmates. Sur sa page Facebook, Pierre
e
Aidenbaum, le maire du III arrondissement, ne cachait pas sa joie :
« La place de la République enfin propre ! » Il n’était pas le seul à se
réjouir. Reprise en main du vertical ! Triomphe de la classe
politique ! Et puis, un soir, des mains anonymes ont de nouveau
couvert de tatouages la peau glacée de la figure allégorique.

Place de l’Abolition de la peine de mort, rue du Mariage pour tous,


quai Nuit debout, allée du 11 Janvier, rue de la Révolte de 2005,
boulevard du Droit de vote des femmes : un jour peut-être l’honneur
ira d’abord aux grands événements collectifs. Pas aux leaders. Avant
cela s’effondrera le système politique actuel. Du mythe de la
démocratie représentative, on gardera le bel idéal, l’héritage de
1789, le rêve d’égalité. Mais on dissipera ses fantômes qui nous
paralysent : la démocratie ne peut être le gouvernement des plus
sages ni des plus compétents. Elle n’est pas non plus un rempart
contre le chaos. Ni la conjonction de volontés libres, mais
appauvries, transparentes, visant la stabilité dans le temps,
conjurant le changement. On y verra plus clair quand on
comprendra enfin que la démocratie, c’est l’idéal de femmes et
d’hommes toujours plus indépendants et plaçant leurs forces en
commun.

« La fin même des mythes, écrit Roland Barthes, c’est


d’immobiliser le monde : il faut que les mythes suggèrent et miment
une économie universelle qui a fixé une fois pour toute les
hiérarchies des possessions. [Ils] ne sont rien d’autre que cette
sollicitation incessante, infatigable, cette exigence insidieuse et
inflexible, qui veut que tous les hommes se reconnaissent dans cette
image éternelle et pourtant datée qu’on a construite d’eux un jour
11
comme si ce dût être pour tous les temps . » Comme ceux qui
soutenaient le pouvoir du roi, les mythes contemporains auréolent
les élus d’un triste halo de fatalisme. Déraciner ces mythes de sa
propre conscience ; extirper les principes de soumission qui les ont
fait naître et les entretiennent : voilà le préalable à un gouvernement
authentiquement du peuple, pour le peuple, par le peuple. La pensée
déblaie simplement le terrain. Ensuite, tout reste à faire. Et les
difficultés commencent.

Nous connaissons l’ennemi : c’est la classe politique dans son


existence même. En renouveler le personnel reviendrait simplement
à nous accorder un sursis, avant l’effondrement inéluctable dans le
fascisme qui revient toujours quand le peuple n’a plus que sa colère
à opposer à l’ordre injuste. Même bienveillants, ces dirigeants
inamovibles continueraient d’entretenir en nous le sentiment
désespérant de notre impuissance, à dessécher notre imagination
civique. Les gouvernants forment un clergé dont il faut séparer
l’État. Notre tâche de citoyens consiste à nous défaire de cette classe
parasitaire n’ayant que trop vécu de notre paresse et de notre
lâcheté. De cette inconséquence, nous serons bien payés, le jour où
ceux qui, aujourd’hui, proclament, désormais haut et fort, que la
France est blanche et chrétienne, nous montreront de quoi nos
institutions sont capables.
Pour éviter cela, il faut imaginer la vie politique sans
professionnels. C’est la première étape. Certes, elle ne va pas de soi
parce qu’« il est particulièrement difficile, sans doute, écrit Bernard
Manin, d’obtenir l’acquiescement d’une élite à sa propre éviction.
Cela exige en général une extraordinaire pression externe et souvent
2
la violence ». Les héros de 1905 s’en sont-ils tenus aux sourires de
ceux parmi les prêtres qui n’étaient pas de mauvais hommes ?
Français, encore un effort, si tu veux être démocrate !
Notes

Introduction
1. « Mythologie » est ici à entendre au sens que Roland Barthes lui donne :
système de signes renvoyant à l’idéologie « bourgeoise ». Cf. Mythologies, Paris,
Seuil, 1957, p. 246-272.

I
La crise du gouvernement représentatif

« L’ancien meurt et le nouveau ne peut pas naître »


(Gramsci)
1. Antonio Gramsci, Cahiers de prison (1948), cahier 3, § 34, trad. Paolo
Fulchignoni, Gérard Granel et Nino Negri, Paris, Gallimard, 1978, p. 283.
2. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le Président des riches, Paris, La
Découverte, 211, p. 43-69.
3. Elisa Lewis et Romain Slitine, Le Coup d’État citoyen, ces initiatives qui
réinventent la démocratie, Paris, La Découverte, 2016.
4. L’assemblée générale du « 44 mars » (les participants ont décidé de compter
les jours en restant au mois de mars depuis les débuts de Nuit debout le
31 mars) a décidé que « toutes les prises de parole publiques, en particulier
devant des caméras, devraient être faites en nom propre par la/le citoyen.ne
lui.elle-même et non au nom de [leur] mouvement ».
5. Sandra Laugier et Albert Ogien, Le Principe démocratie, Paris, La
Découverte, 2014, p. 35-54. Dans son « non-statut » en sept articles, le
Mouvement 5 étoiles déclare ainsi qu’il « n’est pas un parti politique et [qu’]il ne
va pas le devenir. Il veut être un témoin de la possibilité de parvenir à un
échange d’opinions efficace et à un débat démocratique en dehors des liens
associatifs et des partis (…) » (http://meetupeuropa.eu/documenti/non-statuto-
fr.pdf).
6. Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance,
Paris, Seuil, 2006.
7. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion,
coll. « Champs », 2012, p. 309-335.
8. C’est ce que vise, sans complexe, la loi organique de modernisation des
règles applicables à l’élection présidentielle du 25 avril 2016, en favorisant les
grandes formations politiques et les politiques professionnels au détriment des
petits candidats (http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-
discussion/proposition-loi-proposition-loi-organique-modernisation-regles-
applicables-election-presidentielle.html).
9. Assemblée des citoyens sur la réforme électorale de la Colombie-
Britannique, Afin que chaque vote compte. Arguments pour la réforme électorale de
la Colombie-Britannique, rapport final, 10 décembre 2006.
10. « Une principauté au bord de l’implosion : le Liechtenstein suivra-t-il la
mouvance des Printemps révolutionnaires ? », Atlantico, 14 mai 2012
(www.atlantico.fr/decryptage/liechtenstein-fin-regne-prince-monarchie-
constitutionnel-referendum-contre-droit-veto-thomas-nicklas-333977.html).

La violence légitime des élites


1. Sandra Laugier et Albert Ogien, Le Principe démocratie, op. cit., p. 207-225.
2. Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Cours au Collège de France,
1976, Paris, EHESS/Gallimard/Seuil, 1997. Il inverse ici la célèbre formule du
e
théoricien de la guerre du XIX siècle Clausewitz : « La guerre est la continuation
de la politique par d’autres moyens. »
3. Albert Soboul, La Révolution française (1965), Paris, PUF, 2010. « La
Révolution marque l’avènement de la société bourgeoise et capitaliste dans
l’histoire de la France (…). Sous l’angle de l’histoire mondiale, elle mérite d’être
considérée comme le modèle classique de la révolution bourgeoise » (p. 5).
4. Jacques Rancière, La Haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2007, p. 7.
5. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, op. cit.
6. Œuvres de Maximilien Robespierre, Édition du Centenaire des études
robespierristes, Paris, SER, t. XI, 2007.
7. Karl Marx, La Guerre civile en France, Paris, Éditions sociales, p. 63-65.
8. Cité par Henri Guillemin (www.youtube.com/watch?v=PwXwDp3Ze7Q).
9. Jacques Rancière, La Haine de la démocratie, op. cit., p. 61.
10. Expression qu’emploie Pierre Rosanvallon, par exemple dans son interview
au journal La Croix du 30 septembre 2011.
Quand les élites révisent l’Histoire
1. Mathieu Garnier et Étienne Quiperé, « Ces 200 personnalités sont les stars
des rues françaises », Slate, 12 avril 2016
(http://www.slate.fr/story/115683/noms-rues-les-plus-courants).
2. Discours d’Adolphe Thiers du 8 juin 1871 devant l’Assemblée nationale.
3. Cité par Henri Guillemin, ibid.
4. Id.
5. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre t. I : L’Appel : 1940-1942, in
Mémoires, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2000, p. 85-87.
6. Roland Barthes, Mythologies, op. cit., p. 250.
7. Abraham Lincoln, Discours de Gettysburg, 19 novembre 1863.

II
Le mythe du gouvernement des plus sages

D’où vient le charisme des politiques ?


1. Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire (1576), in Œuvres
complètes, Paris, William Blake and Co. Édit., 1991, p. 87 (je modernise
l’orthographe et la grammaire).
2. Possibilité restreinte par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui
supprime les grâces du 14 Juillet et lors de l’élection d’un nouveau président.
3. Blaise Pascal, Pensées, texte établi par Louis Lafuma, Paris, Seuil, coll.
« Points Essais », 1992, Lafuma 25.
4. Ibid., Lafuma 828.

La violence de l’universel
1. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, op. cit., spéc.
p. 135-170 sur l’opposition entre fédéralistes et antifédéralistes, ces derniers
défendant l’idée que les représentants devraient ressembler aux représentés. La
conception élitiste de la démocratie l’a finalement emporté.
2. Jacques Rancière, La Haine de la démocratie, op. cit., p. 65. Cf. aussi Bernard
Manin, Principes du gouvernement représentatif, op. cit., p. 13.
3. Jules Ferry, Discours à la Chambre des députés du 28 juillet 1885. Réponse
de Clemenceau : « Je ne comprends pas que nous n’ayons pas été unanimes ici à
nous lever d’un seul bond pour protester violemment contre vos paroles. »
4. https://www.youtube.com/watch?v=Hg_3tmKtXV0
5. Serge July, « Chef-d’œuvre masochiste », Libération, 30 mai 2005
(www.liberation.fr/evenement/2005/05/30/chef-d-oeuvre-masochiste_521500)
et Bernard-Henri Lévy, « Étrange défaite à Londres », Le Monde, 25 juin 2016
(www.lemonde.fr/idees/article/2016/06/25/bernard-henri-levy-etrange-defaite-
a-londres_4958066_3232.html).
6.
www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/17/03/blank/key/eidg__volksinitiativen.html
7. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social (1762), livre II, ch. XII, Paris,
Gallimard, coll. « Folio Essais », 1992, p. 216.

Le principe de hiérarchie
1. www.economie.gouv.fr/pacte-responsabilite
2. http://www.lepoint.fr/politique/pacte-de-responsabilite-un-bilan-tres-
mitige-17-01-2016-2010671_20.php
3. Paul Nizan, Les Chiens de garde, Paris, Rieder, 1932, p. 35.

Qu’est-ce qu’une question politique ?


1. Friedrich Hegel, La Raison dans l’histoire (1830), trad. Kostas Papaioannou,
Paris, 10/18, 1993, p. 123.
2. Merci à Joël Chandelier pour cet exemple, fourni par son professeur de
collège.
3. David Hume, Traité de la nature humaine (1739), livre II, partie III,
section III, trad. Philippe Folliot, version numérique, Bibliothèque Paul-Émile-
Boulet, Université du Québec, 2006.

La démocratie ? Pas sans moi

1. Daniel Gaxie, Le Cens caché : inégalité culturelle et ségrégation politique,


Paris, Seuil, 1978.
2. Pour une analyse de cette formule qui figure au livre II du Code de
l’empereur Justinien, cf. André Gouron, « Aux origines médiévales de la maxime
Quod omnes tangit », in Histoire du droit social. Mélanges en hommage à Jean
Imbert, Paris, PUF, 1989.

III
Le mythe du gouvernement des plus compétents
L’homme politique, un perroquet
1. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, op. cit., p. 11-18.
Cf. aussi Montesquieu, De l’esprit des lois (1748), Paris, Gallimard, 1970, p. 240.
2. www.youtube.com/watch?v=UjGUUGw0pQ8
3. Platon, Protagoras, 319d, trad. Frédérique Illdefonse, Paris, Flammarion,
coll. « GF », 1997.
4. http://investigation.blog.lemonde.fr/2009/04/03/bruno-fay-2/

Les savoirs politiques à la portée de tous


1. Loïc Blondiaux, Le Nouvel Esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie
participative, Paris, Seuil, 2008, p. 58-61.
2. Sur la défense de la démocratie par Aristote en tant que le plus efficace des
régimes, cf. Francis Wolff, Aristote et la politique, Paris, PUF, 1992, p. 106-123.
Cf. aussi Mikhaïl Bakounine, La Commune de Paris (1871), Paris, Éditions CNT,
2005, p. 86-87 : « Quels sont les cerveaux assez puissants, assez vastes, pour
embrasser l’infinie multiplicité et diversité des intérêts réels, des aspirations, des
volontés, des besoins dont la somme constitue la volonté collective d’un peuple,
et pour inventer une organisation sociale capable de satisfaire tout le monde ? »
3. Rapport public 2006 – Sécurité juridique et complexité du droit, Paris, La
Documentation française, 15 mars 2006. Le projet de loi pour la croissance et
l’activité, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 11 décembre
2014, comptait 106 articles. Après la première lecture à l’Assemblée nationale,
295 articles. La loi définitivement adoptée le 10 juillet 2015 comprenait 308
articles. Le Journal officiel est passé de 13 000 à 23 000 pages entre 1974 et
2014. Cf. Philippe Sassier et Dominique Lansoy, Ubu loi. Trop de lois tue la loi !,
Paris, Fayard, 2008.

Le politique : un homme habile qui sait ce qu’il veut


1. Baruch Spinoza, Traité politique (1677), trad. Bernard Pautrat, Paris, Allia,
2013.
2. Sur les méthodes de campagne contemporaines, cf. Guillaume Liégey,
Arthur Muller et Vincent Pons, Porte à porte, Reconquérir la démocratie sur le
terrain, Paris, Calmann-Lévy, 2013.
3. « Loi Travail : l’hôpital Necker-Enfants malades vandalisé par des casseurs »,
Le Parisien, 14 juin 2016 (www.leparisien.fr/faits-divers/loi-travail-l-hopital-
necker-enfants-malades-vandalise-par-des-casseurs-14-06-2016-5883871.php).
4. « Valls à Necker : ‘’Les casseurs voulaient tuer des policiers’’ », BFMTV,
15 juin 2016 (www.bfmtv.com/politique/manuel-valls-a-l-hopital-necker-a-
paris-degrade-par-des-casseurs-984382.html).
5. Alexandre Boudet et Ambre Lefèvre, « Ce qu’il s’est vraiment passé à
l’hôpital Necker-Enfants malades en marge de la manif contre la loi Travail »,
Huffington Post, 15 juin 2016 (www.huffingtonpost.fr/2016/06/15/hopital-
necker-enfants-malades-vraiment-passe-casseurs-manif-loi-
travail_n_10475066.html).
6. Xavier Salvat et Didier Boccon-Gibod, Rapport à Madame la garde des
Sceaux, ministre de la Justice, sur l’expérimentation des citoyens assesseurs dans les
ressorts des cours d’appel de Dijon et Toulouse, février, 2013, p. 4
(www.presse.justice.gouv.fr/art_pix/1_1_Rapport_bilan_experimentation_citoyens_assesseurs
7. Serge Aberdam, Serge Bianchi, Robert Demeude, Émile Ducoudray, Bernard
Gainot, Maurice Genty et Claudine Wolikow, Voter, élire pendant la Révolution
française 1789-1799. Guide pour la recherche, Paris, Comité des travaux
historiques et scientifiques, 2006.
8. Baruch Spinoza, Traité politique, op. cit., p. 31.
9. Robert Michels, Les Partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des
démocraties (1911), trad. Samuel Jankélévitch, Bruxelles, éd. de l’Université de
Bruxelles, 2009. Pour l’auteur, le militantisme et le talent organisationnel avant
tout permettent l’ascension des aspirants politiques. Cf. aussi Joseph
Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie (1943), trad. Gaël Fain, Paris,
Payot, 1990.
10. « Sarkozy-Fabius, l’antisèche du président-candidat », L’Express, 7 mars
2012 (www.lexpress.fr/actualite/politique/sarkozy-fabius-sur-france-2-l-
antiseche-du-president-candidat_1090470.html).

La réappropriation civique est en marche et rien


ne l’arrêtera
1. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, livre III, ch. XV, Paris, Gallimard,
coll. « Folio Essais », p. 250-253. Cf. aussi livre II, ch. I, p. 190-191.
2. Id.
3. Sandra Laugier et Albert Ogien, Le Principe démocratie, op. cit., p. 7-31.
4. Extraits de « Journal des bonnes nouvelles – Saillans », Mouvement commun,
23 décembre 2015 ; Maud Dugrand, « La démocratie autrement, 4/6 : la petite
République de Saillans », Le Monde, 4 août 2016
(www.lemonde.fr/festival/article/2016/08/04/la-democratie-autrement-4-6-la-
petite-republique-de-saillans_4978544_4415198.html).
5. Jean-Jacques Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, ch.
XI, Paris, Arvensa éditions, 2014, p. 64-65.
6. Gilbert Haffner, « Marinaleda, phalanstère andalou dans une Espagne en
crise », Le Monde diplomatique, août 2013, p. 17 (www.monde-
diplomatique.fr/2013/08/HAFFNER/49520).
IV
Le mythe du chaos conjuré

Un rite de soumission
1. La Voix du Nord, 3 mars 1962 (www.lavoixdunord.fr/region/carnaval-de-
dunkerque-le-premier-jet-de-harengs-remonte-ia17b47588n2661548).
2. Pierre Falga et Flavien Hamon, « Le palmarès des “cumulards” de la
République », L’Express, 10 septembre 2013
(www.lexpress.fr/actualite/politique/le-palmares-des-
cumulars_1279994.html#).
3. www.youtube.com/watch?v=0NLTq11BD3o
4. Thomas Hobbes, Léviathan (1651), XVI, Paris, Gallimard, coll. « Folio
Essais », 2000.
5. Id., Le Citoyen ou les Fondements de la politique (1642), VI, § 18 (B), Paris,
Flammarion, coll. « GF », 1982, p. 149.
6. Jacques Rancière, La Haine de la démocratie, op. cit., p. 37.

Diviser pour mieux régner


1. Cité par Michel Cordillot, Eugène Varlin, Chronique d’un espoir assassiné,
Paris, Les Éditions ouvrières, 1991, p. 94.
2. Hélène Bekmezian, « Un “triste spectacle’’ à l’Assemblée, quatre jours après
les attentats », Le Monde, 17 novembre 2015 (www.lemonde.fr/attaques-a-
paris/article/2015/11/17/a-l-assemblee-la-droite-survoltee-face-au-
gouvernement_4812162_4809495.html).
3. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, op. cit., livre III, ch. I, p. 218.
4. Auguste Blanqui, Textes choisis, Paris, Éditions sociales, 1955, p. 156. On
comparera les modalités de révision de la Constitution française avec celles de la
Suisse (http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/veme-
republique/heritages/comment-reviser-constitution-aujourd-hui.html et
https ://www. admin.ch/opc/fr/classified-
compilation/19995395/index.html#a195).
5. « Le Conseil constitutionnel censure la taxe à 75 %, Matignon annonce un
nouveau dispositif », Le Monde, 29 décembre 2012
(www.lemonde.fr/politique/article/2012/12/29/le-conseil-constitutionnel-
censure-l-impot-de-75-sur-les-tres-hauts-revenus_1811406_823448.html).

L’objection du trop grand nombre contre


la démocratie ?
1. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, op. cit., p. 19-79.
2. Démosthène, Philippiques. Sur la couronne. Eschine, Contre Ctésiphon, trad.
Christian Bouchet, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2000, p. 292.
3. Jacques Rancière, La Haine de la démocratie, op. cit., p. 103.
4. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, op. cit., livre IV, ch. III, p. 265.
5. Ibid., livre III, ch. XV, p. 253.
6. Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, coll. « Folio
Essais », 1965, p. 77.
7. Iaroslav Lebedynsky, Les Cosaques. Une société guerrière entre libertés et
pouvoirs. Ukraine – 1490-1790, Paris, Errance, 2004.
8. Stéphanie Tawa Lama-Rewal, « Des républiques villageoises aux
associations de quartier. Généalogie des dispositifs participatifs indiens », Revue
o
Tiers Monde, 2010, vol. 1, n 201, p. 177-192.
9. Joseph Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, op. cit., p. 96.
10. Carl Schmitt, Parlementarisme et démocratie (1923-1926), trad. Jean-Louis
Schlegel, Paris, Seuil, 1988, p. 42-45.
11. http://www.liberation.fr/france/2014/11/18/la-remigration-des-
identitaires-aux-portes-du-fn_1145502
12. Roland Barthes, Mythologies, op. cit., p. 92, 176 et 199.
13. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Sociologie de la bourgeoisie,
Paris, La Découverte, 2007, notamment p. 35-47.
14. Ibid., p. 11.
15. Ibid., p. 101-111.
16. Id.
17. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, op. cit., livre III, ch. XV, p. 252.

Le débat exclut-il l’action ?


1. Démosthène, Philippiques, op. cit., I, 9, p. 89.
2. David Ranc et Sonntag Albrecht, « La “démocratie corinthiane”, un exemple
d’organisation créative dans le football au temps de la dictature brésilienne »,
o
Humanisme et Entreprise, 2013, vol. 3, n 313, p. 3-18.

L’autogestion comme horizon de la démocratie


1. Francis Wolff, Aristote et la politique, Paris, PUF, p. 109.
2. Au sujet des initiatives populaires en Suisse, cf. www.ch.ch/fr/initiatives-
populaires/

3. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, op. cit., livre III, ch. IV, p. 226-
3. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, op. cit., livre III, ch. IV, p. 226-
228.

V
Le mythe de la volonté libre

À la recherche d’un nouvel atome de la politique


1. Aristote, Les Politiques, livre I, chap. I, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2015.
Pour un commentaire de la méthode analytique et génétique employée par
Aristote pour passer de la famille à la cité, cf. Francis Wolff, Aristote et la
politique, op. cit., p. 40-82.
2. Pierre Manent, Enquête sur la démocratie, Paris, Gallimard, 2007, p. 435-
464. Cf. aussi Carl Schmitt, La Notion de politique (1932), trad. Marie-Louise
Steinhauser, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1992.
3. Francis Wolff, Notre humanité, Paris, Fayard, 2007, p. 284 et Charlotte
Nordmann, Bourdieu/Rancière, la politique entre sociologie et philosophie, Paris,
Amsterdam, 2006.
4. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, op. cit., p. 311.
5. Ibid., p. 329.
6. http://www.telerama.fr/monde/loic-blondiaux-pourquoi-le-peuple-serait-il-
plus-deraisonnable-que-les-elites, 144997.php
7. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le Président des riches, op. cit.
Pour un contrepoint, cf. aussi Guillaume Liégey, Arthur Muller et Vincent Pons,
Porte à porte, op. cit., p. 122-137, qui relativisent l’idée d’une volatilité intégrale
de l’électorat.
8. Le Mouvement 5 étoiles séduit parce qu’il est « non une idéologie, mais des
idées ». Cf. l’article de Michel Wieviorka paru dans The Conversation le 20 janvier
2016, l’historien estimant que le M5S n’est « pas nécessairement lisible dans les
catégories du tripartisme actuel », qu’il est « inclassable tant il emprunte à la
gauche et à la droite classiques, mais aussi à des thématiques d’extrême droite »
(wieviorka.hypotheses.org/637).

L’indépendance, vertu fondamentale de la démocratie


1. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, op. cit., livre II, ch. III, p. 193.
2. Platon, République, livre VIII, 559d-562a, trad. Robert Baccou, Paris,
Flammarion, coll. « GF », 1966, p. 318-321.
3. Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie allemande (1845), in Karl Marx,
Philosophie, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, p. 319.
4. Mazarine Pingeot, La Dictature de la transparence, Paris, Robert Laffont,
coll. « Nouvelles Mythologies », 2016, p. 23-59.

La démocratie est un sport de combat


1. Emmanuel Kant, Vers la paix perpétuelle (1795), trad. Jean-François Poirier
et François Proust, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2006, p. 105.
2. Iaroslav Lebedynsky, Les Cosaques, op. cit.
3. Jean-Jacques Roussseau, Du contrat social, op. cit., livre II, ch. III, p. 193.
Pour une lecture radicalement différente, et plus classique, de la volonté
générale chez Rousseau, cf. Bernard Manin, « Volonté générale ou
o
délibération ? », Le Débat, 1985, n 33, p. 72-85.
4. Notamment dans Les Politiques, op. cit., livre VI, ch. II, Paris, Flammarion,
coll. « GF », 1993, p. 417-420 et livre III, ch. IV, p. 219-220 et livre III, ch. XI, p.
240-245, où Aristote, en particulier en 1281a42-1281b15, procède à un éloge
sans ambiguïté du gouvernement démocratique parce que « la masse, prise en
corps, est supérieure aux individus même les meilleurs » (Francis Wolff, Aristote
et la politique, op. cit., p. 110).

Une liberté à conquérir


1. Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, Première partie, ch. II, Paris, Gallimard,
1943.
2. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, La Violence des riches, chronique
d’une immense casse sociale, Paris, La Découverte, 2014, p. 11-45.
o
3. Amendement n 83 à l’article 4 du projet de loi portant diverses dispositions
d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement
durable. Cf. Compte rendu intégral de la deuxième séance du mercredi 15 mai
2013, Assemblée nationale.
4. Michel et Monique Pinçon-Charlot, La Violence des riches, op. cit., p. 131-
163.
5. Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932), Paris, Gallimard,
coll. « Folio », 1972, p. 379.

La démocratie à l’endroit

1. Loïc Blondiaux, Le Nouvel Esprit de la démocratie, op. cit.


2. Zhuang Ming, « Le budget participatif de la municipalité de Chengdu »,
resolis.org, mai 2014 (www.resolis-org/fiche-pratique/le-budget-participatif-de-
la-municipalite-de-chengdu/185).
3. La Tribune, 10 mars 2014.
4. Loïc Blondiaux, Le Nouvel Esprit de la démocratie, op. cit., p. 70-74. C’est
aussi le cas de certains mouvements citoyens où ne siègent que des membres de
l’élite sociale cultivant l’entre-soi.
5. Roland Barthes, Mythologies, op. cit., p. 262.
6. Jon Eslter, « Argumenter et négocier dans deux assemblées constituantes »,
o
Revue française de science politique, 1994, vol. 44, n 2, p. 187-256.

Conclusion
1. Roland Barthes, Mythologies, op. cit., p. 268.
2. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, op. cit., p. 167.
Remerciements

Ce livre, comme tout autre, est un travail collectif. Il doit


infiniment à Sophie Nordmann et Mazarine Pingeot, dont le talent et
la confiance ont su transformer ma colère en indignation ; à Vanessa
Springora, qui, par son savoir-faire, sa patience et sa bienveillance,
m’a permis de rendre ma pensée plus accessible, c’est-à-dire plus
juste ; à Marinette Valiergue, qui a mis à ma disposition une
documentation abondante et précieuse sur les mouvements
démocratiques actuels ; à Emmanuel Bonin, Joël Chandelier, Pierre
Haroche, Pierre-Julien Harter, Julien Jeanneney, Guillaume
Johnson, Camille Laplanche, Emmanuel Martin, Vincent Monadé,
Alicia Tsitsikalis et Daniel Truong-Loï pour leurs conseils et
relectures amicaux et indispensables ; enfin, à toutes celles et ceux
qui, chez Robert Laffont, ont contribué à l’élaboration d’un ouvrage
possédant au moins le mérite de satisfaire à peu près son auteur –
seul responsable, bien sûr, des idées ici défendues.
Dans la même collection
Mazarine Pingeot, La Dictature de la transparence, 2016.
Lauren Malka, Les journalistes se slashent pour mourir, 2016.
Hubert Prolongeau, « Couvrez ce sein… », 2017.

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