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Edith Fuchs
44-56 minutes
Accueil > Regards croisés > Emmanuel Faye (dir.) : Heidegger, le sol, la
communauté, la race
Si en effet l’épisode du Rectorat a pu passer aux yeux des admirateurs pour une
« grosse bêtise », vite oubliée afin que son auteur revienne au vrai travail de la
pensée [1], le « chef d’œuvre du siècle » ainsi que le nomme Emmanuel Martineau,
ne saurait en rien subir quelque outrage.
L’adhésion de Heidegger au nazisme, quand elle finit par être reconnue par la
France philosophique, parut à beaucoup, relever de la nécessaire séparation entre
l’œuvre et la vie. Beaucoup ont argué, suivant en cela Arendt [3] d’une analogie :
de même que Platon, à plusieurs reprises , fit le voyage à Syracuse auprès de Denys
le tyran, de même en somme métaphoriquement, Heidegger auprès de Hitler.
Parmi les nombreuses objections à opposer à cette analogie, l’une consisterait à
souligner que Platon prit le risque d’être emprisonné ou pire pour convertir le tyran
à la droite philosophie en commençant par la mathématique, tandis que Heidegger
occupa une fonction officielle en servant de toute sa fougueuse radicalité les vues
du dictateur.
Les travaux d’Emmanuel Faye furent accueillis en France par une vraie bataille de
philosophes, tous corps professoraux et officiels confondus. [4] : avec son
Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie : autour des séminaires
inédits de 1933-1935, la probité philosophique du grand admiré menaçait
ruines. [5]. Par contre-coup, qu’allait-il advenir de celle des adulateurs ?
Les neuf contributions sont magistralement présentées par E. Faye dans son
Introduction ; quelques remarques destinées à donner le sentiment de leur
richesse, du triple point de vue historique, politique et philosophique suffiront
donc.
Il faut en premier lieu souligner quel plaisant abîme sépare le style de l’auteur
étudié- sa lenteur, son ton péremptoire, son obscure profondeur- de l’alerte
concision des différents essais. La bibliographie elle aussi réconforte par
l’abondance jusqu’à ce jour des travaux démystifiants- beaucoup plus anglais,
allemands, mais aussi italiens et espagnols que français, on le sait. « La critique de
Heidegger commence à se frayer un chemin en France » constate modestement
Emmanuel Faye. [9]. L’intérêt de ces contributions tient non seulement à leur
teneur intrinsèque mais aussi au caractère ouvert des analyses qui, à de
nombreuses reprises esquissent des pistes de recherche à effectuer. Cette
nécessité tient au moins autant à l’abondance des écrits de Heidegger (E. Faye
remarque avec raison que « peu d’esprits auront le loisir d’aller consulter les 102
volumes de la Gesamtausgabe , les 35 volumes en cours de parution chez Alber
Verlag de la correspondance et autres textes publiés hors Gesamtausgabe . En ce
sens la prolixité verbale de Heidegger continue de le protéger. ») [10], qu’à
l’ahurissant statut de ces « œuvres complètes ».Ainsi par exemple, E. Martineau ,
dans l’introduction à sa traduction de Sein und Zeit justifie le choix de l’exemplaire
N101963 , améliorée par Heidegger, vingt- six ans après la première édition. Autre
exemple : « aussi bien la traduction française parue chez Gallimard, que l’espagnole
parue chez Destino, (du cours consacré à Nietzsche que Heidegger avait prévu pour
le semestre d’hiver 1941-1942) se sont fondées sur l’édition de 1961 (dans le
volume II du Nietzsche) qui, à la lumière de la publication de l’original en 1990 ,
s’est avérée être une falsification, du fait des manipulations de Heidegger lui-même
comme Emmanuel Faye l’a prouvé dans sa recherche ». [11].
S’il est certain , comme l’écrit aussi G. Pégny que « l’évolution du corpus ne peut
qu’entraîner une évolution des interprétations » , les documents les plus récents
jettent une lumière rétrospective dépourvue d’ « innocence » sur des publications
anciennes, si on veut bien avoir présent à l’esprit que Heidegger lui-même décida
« d’intégrer dans le programme de publication qu’il mit sur pied, des textes
ouvertement nazis ». [12].C’est ainsi que, dans le paragraphe 44a de Etre et temps
dans lequel il est question de la théorie de la vérité, quelques lignes qui purent
passer relativement inaperçues, ou seulement érudites, prennent, après coup, un
fort curieux parfum ; le fragment très connu d’Aristote concernant l’homologie aux
choses des affections de l’âme (pathemata tes psuches) aurait, écrit Heidegger,
« fourni son occasion à l’élaboration de la définition ultérieure de l’essence de la
vérité comme adaequatio intellectus et rei- Thomas d’Aquin qui renvoie à propos
de cette définition à Avicenne, qui l’avait à son tour reçue du Livre des définitions
d’Isaac Israëli (X° siècle) utilise aussi au lieu de adaequatio.. les termes
correspondentia et convenientia ».(Martineau p. 160 (214 édition en allemand)).
On imagine la responsabilité qui pèse sur celui qui recouvrit pour toujours, jusqu’à
Heidegger, le concept grec de vérité. [13].
Or, si l’ensemble du recueil apporte déjà une riche moisson de ce point de vue, son
poids essentiel est, semble-t-il, ailleurs : c’est la continuité du racisme, et donc du
nazisme de Heidegger qui est mis en lumière, d’un bout à l’autre de ses écrits. Les
écrits de la période du Rectorat , explicitement marqués politiquement, relèvent
selon les décisions- mêmes de l’auteur, de ses œuvres complètes. La contribution
de Julio Quesada Martin montre combien le racisme gît, présent/masqué dès les
premiers écrits , et l’étude de Jaehoon Lee, en s’attachant avec précision à la
correspondance de Yorck von Wartenburg avec Wilhem Dilthey revient sur la
conception heideggerienne du « sol ». Selon les mots d’E. Faye (p. 13) « l’absence
de sol est utilisée par Heidegger comme arme de combat contre l’absence
d’enracinement dans l’historicité de l’homme moderne, de l’ego cartésien à la
conscience intentionnelle husserlienne ».
Il nous faut nommer encore, pour donner le sentiment des apports de cet ouvrage,
l’importance d’une lettre de Heidegger à l’historien d’art Kurt Bauch (camarade de
parti à la NSDAP rappelle G. Pégny p. 205) . E. Faye rapporte avoir pris, en 2007,
« pour la première fois appui sur une lettre alors inédite à Kurt Bauch » pour
souligner « la nécessité de prendre au sérieux l’usage heideggerien de l’ « être »
comme d’un mot-couvert ou prête-nom(Deckname). (p. 71).Un long fragment de
cette lettre constitue l’exergue du chapitre VII (p. 211) et le texte allemand figure
en note 1 p. 270. N’est-il pas étrange de lire, sous le plume de Heidegger, que
« l’être de l’étant » est une formule, un « Deckname », et l’explicitation à laquelle
se livre ensuite Heidegger dans ce fragment de lettre, est plutôt effrayante. La
majorité des contributions, on le comprend, reviennent sur cet aveu. F. Rastier n’a
assurément pas tort de dire de cette lettre, qui ne fut accessible qu’en 2004, qu’elle
est apte à « renouveler « la question, c’est-à-dire à jeter le doute, surtout, si,
comme il le fait, on ajoute que Heidegger a, par ailleurs, écrit que le « Vaterland »
est l’être-même (Seyn) . [19].
Avant toutefois de voir comment les auteurs se soucient de la façon dont Heidegger
fabriqua sa propre innocente gloire posthume, il convient d’exprimer la satisfaction
que peut procurer la notion de « mythologie politique » quand, sans révérence, elle
s’applique, non à des auteurs qui ont cessé d’être reçus pour majeurs, mais à celui
qui est souvent couronné « plus grand philosophe du XX° siècle ».
Il faudrait commencer par redire avec Franz Neumann [20]qu’ aucune philosophie
n’est responsable du nazisme, ce qui peut s’entendre de multiples façons. Du point
de vue de ce recueil, cela signifie que tous les écrits qui ont contribué à façonner
l’assentiment à l’ensemble des courants pré-nazis, comme à la « révolution
conservatrice », furent le fait de propagandistes et d’idéologues, non de
philosophes.
La difficulté avec Heidegger (que nous avons, pour notre part, rencontrée moins
crucialement peut-être avec Spengler) c’est que la « vision-du-monde » commande
des écrits qui se présentent comme une philosophie savante destinée à
révolutionner pas moins que toute l’histoire de la philosophie, de Platon à l’auteur
soi-même. L’ironie de l’histoire, si on ose dire, est que Spengler , dans cette
« authentique philosophie allemande » à laquelle il prétend, avec son Déclin.. avoir
donné le jour, joue au savant omniscient alors qu’il ne cesse et d’inventer et de
s’égarer, raison pour laquelle nous avons vu en lui un « polymathe
misologue ». [21].Heidegger, lui, est assurément instruit mais pour autant il traite
et l’histoire et les œuvres philosophiques avec la plus grande et tendancieuse
liberté ; il n’incite guère ni ses lecteurs, ni ses étudiants à la connaissance dès lors
que l’essentiel se joue dans l’appartenance immémoriale et silencieuse au sol de la
communauté. C’est là, dit autrement le refrain de Spengler : la culture fait les
hommes, et non l’inverse. Heidegger comme Spengler paraissent bien n’effectuer
que des variations sur la dichotomie banale , en atmosphère de « révolution
conservatrice » , entre la culture enracinée et la civilisation cérébrale, l’une est vie,
forme, dynamique ; l’autre , mortifère, mécanique, sclérosée.. [22]. A cet égard, ce
que défend F. Rastier est fondamental : pour cerner les multiples stratégies de
cryptage de Heidegger, il propose de distinguer « trois domaines sémantiques
entrelacés dans une interaction constante… le discours de l’ontologie
philosophique, celui du mythe identitaire et celui du radicalisme politique ». F.
Rastier choisit un exemple simple, cent fois répété par Heidegger : « l’essence
(termes d’ontologie) non encore purifiée (mythe identitaire de la race pure) des
Allemands(catégorie politique). [23].
Toute la contribution de Julio Quesada Martin voit avec raison que Heidegger
« conserve les formes de la philosophie que cependant il détruit », c’est-à-dire des
formes inspirées de la phénoménologie de Husserl, dont il effectue bel et bien la
liquidation. Jaehoon Lee montre, quant à lui, comment, dès 1924 Descartes est
pour Heidegger, l’ennemi à abattre et comment Heidegger oppose « le sol
cartésien et le sol grec comme a priori de la communauté ».
Enfin, héritée sans doute de la « génialité » nietzschéenne, Heidegger a la grande
habitude des raccourcis audacieux , non seulement sur l’histoire, pour laquelle il
n’a que mépris, mais sur toute l’histoire de la philosophie. [26]. Les « lieux »
heideggeriens par excellence ne relèvent-ils pas de la fausse évidence des vues de
Sirius ? De quelle unicité s’agit-il dans le cas de « la » métaphysique
« occidentale » ? de « la » science moderne ? de « la » technique ? sans omettre
« l’accomplissement de la subjectivité ». (p. 95 par exemple), et pourquoi toujours
« Occident » et jamais Europe ?
Tous les chercheurs , et spécialement Emmanuel Faye, mettent en lumière une
constante stratégie de double langage. Il ne s’agit plus du double jeu de la
nazification de vocables philosophiques accompagné de l’ontologisation de thèmes
et vocables nazis, mais pour Heidegger, de multiplier les double sens, de sorte
qu’une oreille peu alertée par les résonnances antisémites/nazies peut assez
aisément se laisser berner par la fascinante prose de Heidegger. Ainsi s’entendent
en deux acceptions distinctes , à la fois en sens et valeur : Weltanschauung (p.321
et p. 47 note 2)-Verjudung(p.314-15) ;Modernité(p.17-p. 124-125) ; Dissimulation
(p. 232-236) ; Occident (p. 216 note 1) ; Existence (p.150-51) ; Mort (p. 278 et sa
note 3-p.279) ; Subjectivité(p. 16 – 69 à 77- et 121). [27]. E. Faye marque bien, dès
son introduction, (pp. 15-16) ce point capital : dans le cours sur Nietzsche, la
« nécessité métaphysique du dressage et de la sélection raciale repose sur
l’interprétation de l’être comme subjectivité ». Or, le travail philologique montre
que « Heidegger distingue entre la « subjectivité » accomplie du peuple, du Nous
de la communauté, et celle, dégénérée, du Moi de l’individualisme « libéral » issu,
selon lui, de Descartes ».
Sans rendre à chacun son dû, on peut dire que dans la plupart des articles, l’étrange,
perdurant et mondial succès de Heidegger est abordé. Dans un chapitre intitulé
« Un avenir radieux ? », F. Rastier dresse en vérité un tableau accablant de la gloire
mondiale de Heidegger, en ce qu’elle a fort peu à voir avec la philosophie. Marx ,
dira-t-on, a servi de bannière, sans pour autant avoir été lu, à toutes sortes de
révolutions, réelles ou fictives ; Heidegger, lui, sans avoir été lu, est utilisé tant par
des courants xénophobes, néo-nazis que par des radicalismes d’extrême gauche.
En ce sens seul le « flair politique » est en jeu. [31].Comment être étonné que des
propagandistes et des idéologues perçoivent bien plus clairement que des
philosophes « académiques. » le poids politique de l’hostilité à l’universalisme, à la
rationalité, à la démocratie et inversement la portée politique de la référence
laudative au sol, à la race, à la souche, à la communauté , comme à tous les vocables
aptes à alimenter les fantasmes identitaires. [32].
De ces quelques points de vue, on trouverait ample confirmation dans les deux
grands récepteurs français que sont Derrida et J.F. Lyotard. Une des façons pour
Derrida de rendre vraiment douteuse toute mise en cause de Heidegger consiste à
accuser Husserl ! [43]. Quant à l’imitation du « Maître » elle est spécialement lisible
dans un passage que Derrida consacre à Hölderlin (p. 124) dans lequel il écrit j’ai
beaucoup parlé de l’esprit comme d’un revenant, Heidegger dirait ici, dans un autre
langage, qu’il faut penser la revenance à partir d’une pensée toujours à venir du
venir. La revenance même reste à venir depuis la pensée en elle du venant, du
venant en son venir même. Voilà ce que Hölderlin pense, ce dont il a l’expérience et
la garde en poète.
Lyotard, lui, on le sait, dans son Heidegger et « les juifs » [44] atteint un sommet
puisqu’il parvient à la thèse selon laquelle rien n’est plus proche du judaïsme que
Heidegger ; ce paradoxe justifie l’interdit que son opuscule proclame p. 97 : J’ai dit :
interdit d’amalgamer. De faire bloc de la pensée heideggerienne avec sa
« politique » et avec le contexte socio-historique où elle s’est jouée. Puis, derechef
p. 109, Je répète que toute déduction, même très médiatisée du « nazisme » de
Heidegger à partir du texte de Sein und Zeit est impossible, et qu’à y procéder on se
livrerait à une singerie aussi sinistre que fut l’ « instruction » des « procès » de
Moscou.. ». A ceci près qu’ on peut supposer que celui qui fait l’objet de ces mots
assassins, n’est pas un procureur doté du pouvoir de prononcer un arrêt de mort,
ni Heidegger un opposant politique que le premier aurait à cœur de liquider : en
voilà des analogies venimeuses et indignes !
Telle qu’elle est pratiquée par Emmanuel Faye et par les chercheurs qui se
consacrent à l’approche critique de ce roué philosophe qui voulut en finir avec la
philosophie [47] pour lui substituer le « penser », largement métamorphosé en
« mythologie politique » , l’histoire philosophique de la philosophie n’a plus guère
à voir avec les travaux de l’excellent E. Bréhier par exemple. Il lui faut non
seulement ce que Marc Bloch appelle « le métier d’historien », mais aussi celui de
philologue, de traducteur, de linguiste, de sémanticien. Entre cent exemples, la
façon de cerner les variations de Heidegger sur la subjectivité entre 1938 et 1942,
puis ensuite après 1945 a quelque chose de saisissant. [48]. Heidegger- le sol, la
communauté, la race ne manquera pas de susciter les objections. On dira sans
doute que les contributeurs de l’ouvrage sont gens tendancieux puisque tous liés,
à un titre ou un autre, à Emmanuel Faye. Il faut répondre que s’il en est ainsi, c’est
bien le signe qu’Emmanuel Faye n’a rien d’un Quichotte exalté et rêveur mais que,
les convictions philosophiques et morales qui relient, comme c’est manifestement
le cas, une communauté de chercheurs sont inséparables de la liberté personnelle
de chacun ; il ne s’agit aucunement de la révérence mimétique d’adeptes sectaires.
Il faut rappeler inversement, comment Marcel Conche, par exemple, osa prétendre
que le national-socialisme, comme tel, n’a pas grand chose à voir avec Auschwitz
(p. 283). Qui ignore que le seul point commun aux multiples courants et
mouvements qui « coagulèrent » dans l’hitlérisme fut précisément la haine anti-
juive ?Et que furent les hauts faits du nazisme sinon les guerres d’extermination à
l’ « Est » , comme on disait, et la Destruction des Juifs d’Europe , [49] c’est-à-dire
crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Un homme qui tient le genre de
propos dénégateur de Conche ne risque pas d’entendre, quant à lui, la voix
destructrice de Heidegger.
Faut-il bien commenter les « sommités » qui, par exemple, trouvent bon d’en
appeler à la faiblesse générale de la condition humaine qui échoit en partage à tout
philosophe, pour asserter sans autre forme de procès que Heidegger est
certainement « un grand philosophe » en « même temps qu’il fut un nazi très
ordinaire » et « que la philosophie s’en débrouille » ! [50].
Les chercheurs qui ont contribué à l’ouvrage qui vient d’être présenté, prennent de
tout autres voies : ils sont sans doute beaucoup moins « tolérants/indifférents »
mais aussi beaucoup moins « expéditifs ». Tous en tout cas sont mus par la
conviction que F. Rastier formule très explicitement : appeler de ses vœux
l’extermination d’une partie de l’humanité est absolument contraire à toute
philosophie. Aurait-on la naïveté pré-heideggerienne de croire que la philosophie
« aurait un but de compréhension et d’émancipation » ? quelle concession il y
aurait là aux Lumières, tant honnies par Heidegger, et par tous ceux qui tiennent
que « les Lumières ont conduit à l’extermination » ! F. Rastier avec raison avance
plutôt deux arguments : la philosophie s’est séparée de la mythologie par la
recherche d’arguments réfutables, ce qui ne saurait être ethnocentrique- et par la
dialogique qui dépasse le cercle des disciples, car toute thèse doit se soumettre à
l’épreuve de l’étranger.. en cela, l’appel à l’extermination disqualifie une
philosophie comme telle , car elle appelle au meurtre de l’étranger, celui qui
justement pouvait objecter…
Notes
[1] Arendt Martin Heidegger a quatre-vingts ans in Vies politiques note p. 318 sq
Gallimard 1974
[2] L’entrée récente de Jünger dans La pléiade signe d’ailleurs, s’il le fallait, le
caractère fort solitaire du livre de Michel Vanoosthuyse : Fascisme et littérature
pure. La fabrique d’Ernst Jünger. Agone 2005
[3] op.cit.
[5] Dans le présent recueil, E. Faye écrit dès les premières lignes : « le champ
philosophique français est encore aujourd’hui très imperméable aux recherches
critiques sur Heidegger.. »- voir la note 3 de cette première page.
[7] p. 24 note 2, E. Faye regrette avec raison un nouveau Molière quand il rappelle
comment Das Wesen des Seyns fut traduit par « l’aîtrée de l’estre » . On pourrait
ajouter « l’être-le-là »
[9] p. 10 note 1
[13] G. Pégny annonce une étude particulière qui sera consacrée à cette curieuse
« généalogie » p. 207 note 3
[14] Hans Mayer dans Allemands et Juifs : la révocation PUF 1999 écrit p. 103 :
« depuis la deuxième moitié du XIX° siècle, né dans l’Etat pluriethnique des
Habsbourg , avait vu le jour un mouvement opposé à toute forme de Lumières, de
concorde démocratique, de bien-être et de concurrence. L’antisémitisme de Karl
Lueger fut lourd de conséquences.. on chercha à opposer à la foi crédule en
l’économie et en la rationalisation de toutes les formes d’existence, une figure de
l’Autre.. la plupart du temps on appelait cela « l’âme »… Mayer nomme alors
Langbehn, Klages, Schuler et Theodor Lessing qui « propageait la formule de la
ruine de la terre par l’esprit » . Il existait donc, poursuit-il, « un large courant de
résistance obstinée allemande et austro-allemande à l’univers de la technique
moderne, des sciences exactes , de l’administration démocratique et des
communications entre les hommes ». La majorité de ces écrivains prolixes et
célébrés, les Langbehn, Klages, Schuler et beaucoup d’autres, mis à part Lessing et
même Klages, sont gens ignorants et plutôt des « déclassés » qui tous, adorent
opposer l’ « âme » à l’ « esprit » . De ce point de vue, on peut voir dans ce recueil
le rappel de l’importance du cercle des « Kosmiker » que rappelle Robert E. Norton
dans les pages accablantes qu’il consacre à Gadamer.
[16] nous renvoyons à notre essai : Entre chiens et loups : dérives politiques dans la
pensée allemande XIX°-XX° siècles . Le Félin 2011- Prix Osiris de l’Institut de France
[18] dans Max Weinreich : Hitler et les professeurs chap.IV p. 31- Belles Lettres 2013
[19] p. 270 et note 1 qui renvoie à la section « Das Sein als Deckname » de l’étude
d’Emmanuel Faye intitulée « Der Nationalsozialismus in der Philosophie : Sein,
Geschichtlichkeit,Technik und Vernichtung in Heideggers Werk… »
[22] voir les éloquents fragments de Heidegger commentés par G. Pégny pp. 228-
29. Ainsi par exemple ..chacun est né dans une communauté ; il grandit déjà dans
une certaine vérité déterminée, avec laquelle il s’explique plus ou moins. L’homme
est celui-là dont l’histoire représente l’advenir de la vérité.].Les voies de la parodie
de philosophie dans le Déclin..sont plutôt naïves, d’autant que le volume II de cette
« authentique philosophie allemande » jette le masque dans les abondantes
considérations sur l’Etat, la Nation, le peuple. Heidegger, pourrait-on dire, est
infiniment plus subtil. G. Pégny écrit avec pertinence qu’il « remplace une
morphologie culturelle organiciste par une gigantomachie ontologique. Le recteur
de Friburg réécrit l’histoire de l’être à sa mesure, en y intégrant l’anarchie asiatique
indomptée et les ivresses dionysiaques » [[P.187
[23] p.288-89
[27] E. Faye rappelle que dans son Heidegger, introduction du nazisme… il avait
déjà montré que Heidegger oppose radicalement subjectivité et « égoïté »
(Ichheit).. c’est très positivement qu’il évoque l’accomplissement du subjectivisme
(Erfüllung) dans l’affirmation de l’humanité historique (geschichtliche
Menschentum) , dans le peuple et la nation , et « l’accent mis sur la
communauté »en opposition à « l’égoïsme de l’individu »… l’égoïsme est une
dégénérescence (Entartung) de l’être soi-même. » fragments de la p. 77
[28] p. 146 sq
[29] Benjamin sollicite dans une lettre à Scholem, l’avis de ce dernier, à propos d’un
« travail exécrable » : Benjamin soupçonne l’auteur de ne dire (ce dont il ne peut
juger) sur « le temps historique que des absurdités » et sur « le temps mécanique »
ses considérations sont, elles aussi erronées comme il le soupçonne ». Il s’agit de
l’article issu de l’allocution prononcée par Heidegger pour l’obtention de la « Venia
Legendi » à Friburg ». p. 240 Hans Mayer op.cit qui ajoute que « ce que Benjamin
critique si sévèrement n’est autre que la leçon inaugurale de Martin Heidegger.
[31] p.303 sq F. Rastier apprend que Heidegger a « fait école chez des islamisants,
puis chez certains islamistes aujourd’hui au pouvoir… » et aussi que « son lustre est
grand dans les anciennes puissances de l’Axe, de l’Italie , avec la « pensée faible »
de Vattimo ou la théologie politique d’Agamben, jusqu’au Japon..
[32] p.304 note 1 F. Rastier rappelant que beaucoup d’auteurs désormais opposent
la communauté à la démocratie, cite l’ouvrage collectif La démocratie dans quel
état ? qui comporte des contributions de G. Agamben, Alain Badiou, J.L. Nancy, et
Slavoj Zizek et rappelle que « la communauté reste un thème pétainiste majeur »
[36] En 38, dans une conférence publique, on comprend bien que Heidegger
entend marquer la continuité avec la période du Rectorat. En 1950, il veut suggérer
que, passé le Rectorat, il prit ses distances pour avoir compris que le national-
socialisme représentait l’apogée du subjectivisme moderne initié par Descartes. En
38, Descartes représentait la destruction de la métaphysique, en 1950 , pour la
publication du « même » écrit, Descartes devenait l’accomplissement de cette
métaphysique (Vollendung) - ce que montre bien Emmanuel Faye).
[39] Nicolaus Sombart dans Chroniques d’une jeunesse berlinoise 1933-1943 ; Quai
Voltaire 1992, écrit p. 326 à propos de Carl Schmitt ce qui paraît pouvoir se dire de
Heidegger : il faut toujours commencer par isoler certains concept-clés et les
vérifier par une confrontation avec leur champ sémantique, leur aura poétique..
son vocabulaire est fait de codes.. le chemin herméneutique qui donne accès à
l’œuvre n’est pas la compréhension explicative mais une mantique qui pratique
le déchiffrage. Heidegger développa selon N. Sombart un « idiome privé ». On voit
bien comment on peut en venir à croire que seul l’allemand de ces écrivains en
permet l’accès, auquel aucune traduction ne saurait prétendre.
[40] dans la revue Cités n° 56-2013 , l’article de F. Rastier Vattimo et les mains sales
de Heidegger cite Zizek qui affirme nettement que Heidegger est grand, non malgré
son engagement nazi, mais grâce à lui .. (p. 178)
[41] pp. 58-59 : Löwith ne s’est jamais rendu compte que le Heidegger de Sein und
Zeit représentait, non pas un nihiliste actif et individualiste, mais un décisionnisme
pour ainsi dire communautaire
[43] dans De l’esprit- Heidegger et la question Galilée 1987 p. 95-96, Derrida se livre
à une attaque en règle de Husserl en prenant appui sur deux très brefs passages de
la Conférence de 1935, attaques qui consistent en interprétations assez aisément
contestables croyons-nous.
[46] Dans l’essai qui commente les Quelques réflexions sur la philosophie de
l’hitlérisme d’E. Lévinas, M. Abensour , lui aussi, parle de la philosophie « pré-
heideggerienne » à laquelle il ne saurait être question de revenir, même quand on
a pris ses distances avec Heidegger, comme ce fut le cas pour Lévinas
[47] La Lettre sur l’humanisme est rappelée p. 95 note 2 quand Heidegger écrit que
la pensée à venir n’est plus philosophie
[48] p. 95 sq contribution d’E. Faye