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LA PENSÉE

DE
KRISHNAMURTI
PAR

RENÉ FOUÉRÉ
TOUS DROITS RÉSERVÉS
POUR TOUS PAYS.
LA P E N S É E
DE
KR1SHM AM URTI
PAR

RENÉ FOUÉRÉ

ÉDITIONS « ÊTRE LIBRE » CERCLE DU LIVRE


20, RUE PÈRE DEDEKEN 6 6 , BOUL. RASPAIL
BRUXELLES PARIS
A u Swâm i Siddhestcârananda qui
m ’invita à les écrire, en me laissant
admirablement une totale liberté
d ‘expression, je dédie ces pages en
témoignage de profonde estime et
d ’affectueuse gratitude.
R . F.
Je tiens à exprimer ici mes très vifs remerciements ;
“ à Ram Linssen qui m ’a toujours témoigné la
plus haute et affectueuse estime et qui m ’a si spon­
tanément offert d ’éditer ces pages qu’il avait aimées
“ à Madame R am Linssen et à Mademoiselle
Aurélie de Limburg Stirum, qui ont amicalement
apporté leurs soins les plus attentifs à cette édition ” ;
“ à Madame Marguerite Bangerter, qui n’a cessé
par son amitié dévouée et ses appréciations chaleu­
reuses, d ’encourager mes efforts
Introduction.
L e texte p u b lié dans les lign es q u i suiven t est, à
quelques s im p lific a tio n s près, c e lu i d 'u n e con féren ce fa ite
à P a r is à la dem ande d u S w a m i Sidd h esw a ra n a n d a , sous
les auspices du C entre de R ech erch es P h ilo s o p h iq u e s et
S p iritu e lle s , don t l'a n im a tric e est M a d a m e M . M . D avy.
L 'a u te u r a donné la m êm e con féren ce avec quelques
m o d ifica tio n s à l'In s titu t de Sciences et P h ilo s o p h ie de
B ru x e lle s , dont la revue « S p iritu a lité » a p u b lié le com pte
rendu.
N ou s avons te n u à m ettre à la d is p o s itio n du p u b lic
u n des exposés les plus re m a rq u a b le m e n t cla irs et brefs
de la pensée de K ris h n a m u rti.
Com m e l'a e x p rim é l'a u te u r au cou rs de ses co n fé ­
ren ces , ses in te rp ré ta tio n s n 'e n g a g e n t n u lle m e n t la pensée
k ris h n a m u rtie n n e . L e s personnes qui,, après lectu re de
l'œ u v re excellente de R en é F o u é ré , v o u d ra ie n t co n s u lte r
les p u b lica tio n s de K ris h n a m u rti, p o u rro n t s'adresser au
C ercle d u L iv r e , 66, b ou leva rd R a s p a il, à P a ris , o u à
R a m Linssen, 20, ru e P è re D edeken , à B ru xelles.
Krisfinamurti et les autorités spirituelles.
« D e m êm e que, dans un cirque, les anim aux sont
dressés à m anœ uvrer pour l’am usem ent des spectateurs,
ainsi l’individu est poussé par sa peur à rechercher ces
entraîneurs spirituels qu’il appelle prêtres et swâmis,
qui sont les défenseurs d ’une spiritualité de contrebande
et de toutes les inanités de la religion. 11 est évident que
la fonction de ces entraîneurs spirituels est de créer
pour vous des am usem ents, donc ils inventent des céré­
m onies, des disciplines et des adorations; toutes ces
m anifestations prétendent être belles dans leur expres­
sion, m ais dégénèrent en superstitions. I out cela n ’est
que de la friponnerie sous le m anteau du service. «
Ces paroles, proférées par K rishnam urti en 1934,
à Ojaï, et qui sont si dures à l’égard des représentants
de toutes les religions organisées du m onde, nous révè­
lent de façon saisissante tout ce qu’il y a d ’insolite,
d ’aucuns diraient m êm e de scandaleux, dans le person­
nage et l’attitude du sage indien :
K rishnam urti est un « spirituel » qui se dresse
violem m ent contre toute autorité spirituelle, un icono­
claste qui vitupère les Eglises, un non-conform iste im ­
pénitent. Cet hom m e auquel on ne refuse pas, m êm e
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aux Indes, une envergure spirituelle, fait litière de
toutes les traditions. Position hérétique et originale,
position dont il semble être, parm i les tenants contem ­
porains de la spiritualité indienne, le seul et singulier
représentant. Ce trait suffirait déjà à le désigner à notre
attention.
Je ne songe pas un instant à nier que je sois d ’ac­
cord, quant au fond, avec le contenu du texte de Krish-
nam urti que je viens de citer. Ainsi que je l’ai soutenu
dans mon étude (( Disciplines, Ritualisme et Spiritua­
lité », je considère que rites et cérémonies ne sont que
distractions dangereuses à l’égard de ce que j’appelle­
rai « l’unique essentiel », pour me servir d’une formule
du R. P. Laberthonnière, avec qui j’ai eu autrefois
d ’ém ouvants rapports et dont j’ose dire qu’avec sa belle
intelligence et sa profonde hum anité, il reste pour moi
la plus adm irable figure de chrétien que j’aie connue.
J ’ai dit mon accord, quant au fond, avec Krishna-
murti. En ce qui concerne la forme, je ferai deux
réserves. La prem ière, c’est que, selon un autre m ot
du même Laberthonnière, on ne saurait refuser la bonne
foi à personne. La seconde, c’est que je suis personnel­
lem ent opposé à toutes les condam nations massives et
sommaires, fussent-elles prononcées par Krishnamurti,
à l’égard de qui j’entends conserver l’entière liberté à
laquelle lui-même m’encourage. J ’ajouterai, si p ara­
doxal que cela puisse sembler, que Krishnam urti serait
sans doute d ’accord avec mes propres observations.
Ces précisions une fois apportées, j’espère que l’on
estim era, avec moi, que j’ai mieux à faire que de me
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poser en arbitre dans le débat qui oppose Krishnamurti
à ceux qui, très légitimement, peuvent s’estimer offensés
par ses invectives. Et plutôt que de rester sur le plan
d’une polémique, qui risquerait d ’être stérile, il me
semble bien préférable d ’essayer de dégager la perspec­
tive, tout à la fois spirituelle et psychologique, en
fonction de laquelle l’attitude d ’un Krishnamurti est,
sinon justifiée, du moins compréhensible. En d’autres
termes, je vais m ’efforcer de caractériser la pensée de
Krishnamurti.
Krishnamurti se défend lui-même d ’être un philo­
sophe spéculatif et son message est le produit d ’une
expérience intérieure qu’il a vécue, et continue de vivre
en permanence, selon ses propres déclarations. C’est
dire que son enseignement est lié à sa personne. Je dirai
donc quelques mots de l’homme en même temps que je
tenterai d'exposer sa pensée.
Krishnamurti est né, vers 1895, à M adanapalle,
près de Madras, de parents brahmanes. 11 a une enfance
très malheureuse et erre en haillons, avec son jeune
frère Nityânanda sur les routes de l’Inde. Des membres
de la Société Théosophique s’intéressent à lui et
M adame Besant, la Présidente de la Société, l'adopte.
A yant annoncé la venue prochaine d ’un Instructeur du
m onde, sorte de Christ ou de Bouddha, qui viendra en
notre siècle égaré prêcher aux hommes la voie du salut,
les leaders de cette même Société ont rassemblé les
fidèles anticipés de l'Instructeur a venir dans un orga­
nisme baptisé « Ordre de l’Etoile d ’Orient », dont ils
ne tarderont pas à confier la présidence à Krishnamurti.
Ils finiront même par dire que Krishnamurti, jusqu’alors
passablem ent m uet ou évasif, deviendra lui-même, au
term e de quelque extraordinaire m étam orphose, l’In­
structeur du m onde. On a déjà créé pour lui une Eglise
et un O rdre m açonnique, dont il devra assumer la direc­
tion.
Mais N ityânanda meurt et, après la perte de ce
frère qu’il aim ait tendrem ent, Krishnam urti traverse
une crise profonde et profondém ent douloureuse de­
vant laquelle les rem èdes communs, les consolations
que les hommes ont découvertes pour bercer leur dou­
leur, se révèlent inopérants. Cette crise, apparem m ent
insoluble, va pourtant se dénouer d ’elle-même, de façon
soudaine et surprenante. Un phénom ène aussi curieux
que rare, sur lequel Krishnamurti reviendra souvent
dans son enseignem ent ultérieur,' mais dont il aura
d ’abord été lui-même le tém oin ébloui, va surgir.
Je le décrirai en disant que, parvenue à un paro­
xysme de dépouillem ent et d’acuité, l’immense douleur,
la douleur désespérée de Krishnamurti va se dissoudre
d ’elîe-même, faisant place im prévisiblem ent à une
suprêm e extase. Du plus profond des ténèbres où se
débat Krishnam urti, une lueur fulgurante jaillit qui,
d’un coup, va illuminer à jam ais son être intérieur.
Quelque chose comme une présence est ipaintenant en
lui, présence qu’il n’avait pas sollicitée, qui ne répond
à rien, se trouve là sans raison et le remplit d’un bon­
heur sans mesure
Soudainem ent transform é, devenu méconnaissable,
Krishnam urti commence à parler avec une assurance,
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une autorité inattendues. Il déclare qu’il s'est uni à son
Bien-Aimé, qu’il a atteint la libération, c’jest-à-dire,
sans doute, un état d ’illumination intérieure plus ou
moins com parable à celui qu’avait connu le Bouddha.
Il semble vivre dans une extase sans fin, dans une per­
pétuelle communion avec cette présence divine qui s’est
manifestée en lui et q u il invoque avec ferveur. Son
langage est, à ce moment, d ’une poétique douceur,
d ’une amoureuse tendresse. Il constitue, à l'adresse de ses
auditeurs, une invitation ém ouvante à participer à sa
propre délivrance et à sa propre béatitude.
Krishnamurti écrit alors des poèm es d ’une adm i­
rable fraîcheur où transparaît sa frémissante sensibilité.
Mais cette poésie même semble assoupir ceux qui l’en­
tendent dans une sorte de paresseux bonheur. Pour les
arracher à ces délices ensommeillées, Krishnamurti va
progressivem ent durcir son langage et va même devenir
d ’une véhémence brutale. Bientôt il va prendre violem­
m ent à partie l’autorité, particulièrem ent celle des lea­
ders théosophes, qui s’interpose déjà, comme un écran
obstiné, entre les cœurs et les pensées de ses auditeurs
et sa propre fraîcheur vivante.
Parallèlem ent, une évolution intérieure se dessine
chez Krishnamurti. On aurait pu croire qu’il allait rester
le dévôt de cette divinité qu’il avait découverte en lui-
même. Mais il doute de cette image objective qui lui
est apparue et n’a de cesse tant qu’il ne l’a pas auda­
cieusem ent pénétrée et transpercée. Cette capacité de
douter, au cœur même de l’extase, est caractéristique
de Krishnamurti. Elle devait lui inspirer plus tard les
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lignes que je vais citer et qui sont sans doute le plai­
doyer le plus extraordinaire et le plus grandiose qui ait
jam ais été écrit en faveur du doute :
« Plus rien ne dem eurera pour ceux qui acceptent
tout d ’une autorité extérieure, pour ceux qui sont recou­
verts de la poussière de la tradition, de la poussière dea
croyances agonisantes. Mais, lorsque vous appelez le
doute et secouez ainsi cette poussière, il reste le résultat
de votre propre déterm ination, l’extase de votre propre
pensée et de votre propre sentim ent, et cela rien ne
peut le détruire. Plus vous doutez, plus im pitoyable­
m ent et logiquem ent vous examinez vos croyances sous
toutes leurs faces, et plus clairem ent apparaît la vérité
dans toute sa force et sa beauté primitives...
» Vous dites : « Si nous doutons de tout, il ne
nous restera plus rien ». Tant mieux ! Quelle est l’im­
portance des choses auxquelles vous vous accrochez si
le doute peut les détruire ? De quelle valeur sont vos
traditions et tout ce que vous avez accumulé, si la tem ­
pête du doute peut les balayer? Tout cela sera sem ­
blable à une construction faite sur le sable : lorsqu’ar-
rivent les vagues puissantes, elle est com plètem ent
détruite. En évitant la vie, en la craignant, vous vous
abritez dans les choses agonisantes, et la souffrance se
trouve dans cet abri. Mais en appelant le doute et la
souffrance dans la plénitude de votre cœur, vous créerez
ce qui sera éternel et portera l’estampille du bonheur...
C’est pourquoi je voudrais pousser chaque être qui
cherche la vérité à attirer à lui les tem pêtes du m onde
et à détruire ainsi la faiblesse de son esprit et de son
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cœur... L’homme qui n’appelle jamais le doute ne péné­
trera pas dans les espaces libres où se trouvent la certi­
tude de la connaissance et la liberté...
» Il nous faut tout mettre en doute, afin que du
paroxysme du doute naisse la certitude. Ce n’est pas
lorsque vous vous sentez fatigués ou malheureux qu’il
faut douter; n’importe qui peut faire cela. C’est dans
les moments d’extase que vous devez douter, car vous
découvrez alors si ce qui demeure est vrai ou faux. »
Sans ce paroxysme de doute, Krishnamurti n’eût
été qu’un homme ébloui, prosterné devant une divinité
extérieure et invisible. Grâce à lui, il passe à travers
toutes les images, crève toutes les toiles, sort de ses
propres rêves. Les personnages divins s’évaporent. Non
seulement Krishnamurti demeure seul mais encore, con­
clusion inouïe, il s’évanouit lui-même, disparaît de son
propre regard.
Krishnamurti, alors suivi par des dizaines de mil­
liers de personnes, vient de déclarer positivement qu'il
est l’Instructeur du Monde. Cette déclaration suscite un
enthousiasme délirant. Krishnamurti reçoit des hom­
mages capables de faire tourner les têtes les plus solides
ou de corrompre l’homme le mieux disposé. A Trichi-
nopoly, le parquet de son wagon disparaît sous les lilas
et les roses. Un baron hollandais lui fait présent d’un
château historique entouré d ’un domaine de cinq mille
acres. Mais tout cet encens qui monte vers lui ne par­
vient pas à l’étourdir. 11 reste parfaitem ent lucide et
d ’une simplicité déconcertante. Et quand on veut lui
faire endosser les rôles prévus à son intention, quand
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on veut le faire monter sur les autels préparés pour lui,
l’orage qui s’annonçait éclate. Placé devant une alter­
native qui s’est présentée à bien des hommes au cours
de l’histoire, Krishnamurti pouvait : soit conserver à
son message toute sa pureté, au risque de voir se déta­
cher de lui un grand nom bre de ceux qui le suivaient;
soit dégrader ce message, le m ettre à la portée de la
m édiocrité générale, et augm enter ainsi le nom bre de
ses partisans. Sans hésiter, il s’engage dans la voie diffi­
cile. 11 rejette en bloc et les organisations et les cérém o­
nies qui s’y accomplissent. Dans un rem arquable dis­
cours, il annonce la dissolution de l’Ordre de l’Etoile
d ’Orient. Quelques extraits de ce discours décisif en
m ontreront la rare grandeur et l’énergie :
« La vérité est un pays sans chemins que l’on ne
peut atteindre par aucune route quelle qu’elle soit,
aucune religion, aucune secte. Tel est mon point de vue
et je le maintiens d ’une façon absolue et incondition­
nelle...
» S’il n’y a que cinq personnes qui veuillent
entendre, qui veuillent VIVRE, dont les visages soient
tournés vers l’éternité, ce sera suffisant-. A quoi cela
sert-il d ’avoir des milliers de personnes qui ne com­
prennent pas, définitivem ent embaumées dans leurs
préjugés, ne voulant pas la chose neuve, originale, mais
la voulant traduite, ram enée à la mesure de leur indivi­
dualité stérile et stagnante...
« Parce que je suis la Vérité... je désire que ceux
qui cherchent à me com prendre soient libres. Et non
pas qu’ils me suivent, non pas qu’ils fassent de moi une
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cage qui deviendrait une religion, une secte. Ils de­
vraient plutôt s’affranchir de toutes les craintes : de la
crainte des religions, de la crainte du salut, de la crainte
de la spiritualité, de la crainte de l’amour, de la crainte
de la mort, de la crainte même de la vie. Comme un
artiste qui peint un tableau parce que c’est son art qui
est sa joie, son expression, sa gloire, son épanouisse­
ment, c’est ainsi que j’agis et non pas afin d'obtenir
quoi que ce soit de qui que ce soit.
» Vous êtes habitués à l’autorité, à l’atmosphère
de l’autorité. Vous croyez, vous espérez qu’un autre,
par des pouvoirs extraordinaires — un miracle -— va
vous transporter dans la région de la liberté éternelle
qui est le Bonheur. »
Krishnamurti a pulvérisé les dernières illusions.
Il n’est plus qu’un homme qui voyage à travers le
m onde et parle à ceux qui désirent l’écouter. Ayant
dénoncé les méfaits de l’autorité, de celle même qu’on
lui prête, il ne pouvait, soüs peine de se contredire,
conserver à son message sa forme affirmative, senti­
m entale, du début. Il va donc le détacher toujours da­
vantage de sa personne. L’affirmation va faire place à
l’analyse et c’est ainsi que nous allons arriver à la
forme actuelle de son enseignement.
***
Ayant ainsi retracé très rapidem ent l’histoire de
Krishnamurti et donné déjà, à ce propos, quelques
lueurs sur sa pensée, je vais m aintenant m’çfforcer
d'exam iner celle-ci de plus près.
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Mais, au seuil même de cet examen d’une pensée
qui, je le souligne, reste toujours en devenir puisque
son auteur est vivant, je ne crois pas inutile, tant sont
étroits les rapports qui lient la pensée au langage, de
présenter quelques remarques sur le langage dont se
sert Krishnamurti.
Ce langage est simple, directem ent psychologique,
dépouillé de toute référence mythique. On pourrait
même dire : dépouillé de toute terminologie propre, si
Krishnamurti ne chargeait pas, assez souvent, d ’une
signification insolite ou insoupçonnée des termes fort
communs. 11 lui arrive ainsi de creuser des gouffres
vertigineux à l’intérieur de mots qui nous semblaient
parfaitem ent rassurants et familiers. Il est par là un
grand philosophe, si le philosophe est celui qui nous
révèle le visage obscur, le visage méconnu des choses
quotidiennes, celui qui nous fait voir le banal sous un
biais stupéfiant. Et quelque chose d ’étrangei se dé­
couvre souvent dans la transparence même de la parole
d ’un Krishnamurti. Sa clarté, bien que réelle, demeure
déconcertante au prem ier contact. Il semble que, par­
fois, il parvienne à rassembler, en une poignée de mots
d’inoffensive apparence, tout le mystère du monde et
notre mystère propre. Sur ses lèvres, ces mots-là de­
viennent alors inépuisables comme un reflet entre deux
miroirs.
On notera aussi que Krishnamurti, essentiellement
préoccupé de la transform ation immédiate de ses audi­
teurs, n’est pas soucieux d’élaboration doctrinale. On
ne doit donc pas s’étonner s'il paraît prendre, d ’une-
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m inute à l’autre, des positions contradictoires. 11 ne
s'agit pas pour lui de construire un système intellectuel
m ais de déloger ses interlocuteurs des positions de certi­
tude sur lesquelles leurs esprits et leurs coeurs se sont
endorm is. Les gens, a-t-il dit une fois, n ’ont pas besoin
d ’être instruits mais d ’être réveillés. Cela explique, en
partie, chez Krishnam urti, une véhém ence dans l’ex­
pression qui pourrait le faire passer, à tort, pour har­
gneux ou m éprisant.
On com prendra, par tout ce que je viens de dire,
com bien il est malaisé de savoir ce qu’est, en dernière
analyse, à travers toutes ces inflexions tactiques, la véri­
table pensée de Krishnamurti. Je vais néanmoins
essayer, à mes risques et périls, d ’esquisser le trop
rapide panoram a d’un enseignem ent qui, sous d ’appa­
rentes répétitions, est extraordinairem ent vaste et revêt
les nuances les plus subtiles. Mais je ne saurais entre­
prendre cette tâche aventureuse sans faire les plus
expresses réserves sur mes propres interprétations.
Une question préalable, d ’ailleurs, se pose : Peut-
on parler sans quelque im propriété de la pensée de
Krishnam urti ? 11 sem blerait que non, puisque Krishna­
m urti affirme que la pensée qu’il exprime, du fait qu'elle
est suprêm em ent im personnelle, ne saurait être spécifi­
quem ent sienne.
Nous serions tentés de voir en Krishnamurti, si
nous faisons abstraction des conditions particulières
dans lesquelles son éveil spirituel s’est produit, un mys­
tique com parable à bien d ’autres. Mais ce qui, de très
bonne heure, apparaît caractéristique de sa réalisation
19
spirituelle, c’est, comme en tém oignent éloquem m ent
les propos de lui que je viens de rapporter, la violence
avec laquelle il se dresse contre l’autorité, l’assaut qu’il
livre à la tradition.
D ’aucuns pourront penser que Krishnam urti prend
un malin plaisir à décocher aux représentants des reli­
gions organisées les traits dont il les crible. Tel n’est
pas m on avis. Cette interprétation, d ’ailleurs, s’accorde­
rait mal avec la m erveilleuse sensibilité que trahissent
ses écrits poétiques et aussi avec le fait qu’il se m ontre
très affectueux dans le privé avec ceux-là mêmes dont
il attaque avec tant de violence, ex-cathedra, les doc­
trines ou les attitudes.
Non, il ne s’agit pas pour lui de ruiner l’autorité
par esprit de dém olition systém atique et rageuse. Ce
qu’il veut bien plutôt, c’est nous pousser à m ettre en
question les valeurs que l’autorité nous impose, quitte
à les reprendre ensuite à notre com pte si, après exam en,
nous les jugeons saines et correctes. Mais alors nous les
prenons personnellem ent en charge, en connaissance
de cause. Nous assumons la responsabilité effective de
les avoir choisies. Nous les avons pour ainsi dire
recréées, en nous-mêmes; nous les avons faites vraim ent
nôtres, tandis qu’auparavant elles étaient comme des
écailles étrangères plaquées sur la chair vive de notre
esprit. K rishnam urti ne prend pas systém atiquem ent
le contrepied des opinions com munes et le doute m êm e
n ’est pour lui — que l’on se souvienne du texte que je
viens de citer — que le moyen d ’atteindre à une iné­
branlable certitude. Et non une chose à cultiver pour
20
elle-même. En un mot, Krishnamurti, tout comme Sar­
tre. insiste sur la nécessité de vivre une vie pleinement
responsable, d’atteindre à cette entière et libre assomp-
tion de nos actes qui fait de nous une personne authen­
tique, prenant lucidement en mains sa propre destinée.
Le salut devient ainsi un acte de courage personnel.
Une consigne, même pertinente, se révèle nuisible, si
on l’adopte aveuglément, sans en pénétrer le sens, sans
en saisir la nécessité. Elle contribue à créer une habi­
tude d’action inconsciente, d’abdication paresseuse; à
développer en nous une passivité qui fait que nous
persistons .indéfiniment dans l’erreur si, par malheur,
quelqu’un d ’autre nous y a fait une fois tomber.
Carlo Suarès rapporte qu’un jour quelqu’un de­
m anda à Krishnamurti : « Dois-je quitter l’Eglise ? »
Krishnamurti lui répondit : « Pourquoi devriez-vous
quitter l’Eglise ? » L’autre comprit qu’on lui conseillait
d ’y rester. 11 n’en était rien : Krishnamurti invitait seu­
lem ent son auditeur à se rendre compte des vraies
raisons de son acte. Sa réponse est caractéristique.
A ceux qui voudraient chercher dans l’autorité un
abri contre leurs propres incertitudes, Krishnamurti dé­
m ontre qu’un tel abri n’existe pas. Quelles que puissent
être nos illusions sur ce point, nous restons le seul juge,
le juge en dernier ressort de notre existence, de nos
actes et de notre vérité. A un auditeur qui affirmait la
nécessité d’une autorité spirituelle, Krishnamurti, à
Auckland, répond en substance : « Vous dites qu’il
vous faut un prêtre pour vous conduire à la vérité.
Mais, si vous ne savez pas ce qu’est la vérité, comment
21
pouvez-vous être assuré qu’on vous y conduit? Et, si
vous le savez, quel besoin avez-vous d'un guide, » On
sera tenté de voir, dans cette sorte de court-circuit
logique, un pur jeu verbal qui, au mépris de toute vrai­
semblance, tendrait à ruiner tout le crédit que l’on peut
accorder aux conseils d ’autrui, toute la valeur qu’on y
attache. Mais je pense que, par ce raisonnem ent à
l’emporte-pièce, Krishnamurti entend m ettre sous nos
yeux cette vérité incontestable que c’est nous qui, en
dernière analyse, sommes le souverain juge de toutes
choses, même lorsque nous paraissons nous soum ettre
à une autorité, car c’est nous qui, consciemment ou
non, nous faisons juge de la valeur de cette autorité
pour notre direction personnelle. En sorte que nous
portons la responsabilité de tout et, en particulier, de
ce que nous appelons nos certitudes. C’est un point que
nous n’avons que trop tendance à oublier.
Parce que Krishnamurti secoue violemment les
assises de l’autorité spirituelle, maints anarchistes ont
cru voir en lui l’un des leurs. C’est peut-être une con­
clusion hâtive. Krishnamurti ne cherche pas dans sa
lutte contre l’autorité ce que tant d’autres y trouvent,
c’est-à-dire un motif d ’exaltation personnelle. Il vise
bien au delà. C’est le salut éternel de l’homme qu’il a
en vue, si je puis m ’exprim er ainsi, et non un défi
stérile aux pouvoirs établis.
Pour Krishnamurti, l’individu ne peut se libérer,
spirituellem ent, que de l’intérieur, car, la personne, dans
sa pleine notion est, en essence, une solitude spirituelle.
Aucune puissance étrangère ne peut donc l’installer.
22
autoritairem ent et d’office, dans cette liberté intérieure
qui est perfection. Et pour que l’hom m e puisse, par un
acte intime, se libérer totalem ent; pour qu’il puisse
réaliser une com plète conversion de ses conduites, il
faut qu’il assume d ’abord la totale responsabilité de ses
actes et de sa vie, c’est-à-dire réalise une parfaite prise
en main de soi par soi. T ant qu’il n ’a pas fait cela, il
n ’agit pas vraim ent. Ses actes ne sont pas vraim ent
siens, mais restent, en quelque m anière, extérieurs à
lui-même, aliénés. 11 subit une sorte de fascination qui
fait de lui, partiellem ent, non plus une personne mais
un exécutant, un autom ate.
11 ne suffit pas, toutefois, que l’homme, pour son
salut, ait pris en mains, délibérém ent, les rênes de sa
vie. Il faut encore qu’il découvre la lumière qui éclai­
rera son chemin solitaire. Et il ne peut faire cette
découverte vivante qu’en repensant à neuf tous les élé­
m ents de son existence. A cet égard, le rejet krishna-
m urtien de l’autorité spirituelle ne vise à rien d ’autre
qu’à réaliser les conditions d ’une réflexion libre et pro­
fonde; qu’à dresser, entre la pure résolution de l'esprit
et la contam ination des valeurs reçues, une sorte d ’écran
sanitaire. Ainsi la pensée peut devenir pareille à cette
lam pe, placée dans un lieu abrité, dont parle la Bha-
gavad-Gîtâ.
On voit par là que l’individualisme prêché par
Krishnamurti n’est aucunem ent opposition à la société.
11 ne tend ni à rom pre ni même à relâcher les liens qui
nous rattachent à autrui. Il se borne à faire de l’individu
un îlot de recherche délibérée et solitaire au sein de
23
l’océan furieux des opinions. Selon le mot de Krishna-
murti, il consiste à délivrer l’esprit de i’encerclem ent
de l’erreur. En somme, cet individualism e n’est qu’un
esseulem ent de la pensée.
J ’ajouterai que la liberté prêchée par Krishnam urti
n’a rien de commun avec le fait de suivre d’aveugles
impulsions. Elle exprim e la condition de l’homme qui a
cessé de s’abandonner à la facilité des im itations défor­
m antes pour devenir un créateur; de l’hom m e qui, écar­
tant toutes les surimpositions, a retrouvé la note pure
de son être, sa vocation naturelle et originale, son génie
propre, cette « unicité individuelle » dont parle Krish­
nam urti et qui ne constitue en aucune façon un égoïsme.
Ainsi la libération spirituelle est vue par Krishna­
murti dans une perspective de création, et tout ce qui
tend à étouffer, à étrangler le créateur que nous sommes
en puissance lui apparaît ipso facto comme un obstacle
évident à cette libération spirituelle. De là ses im pré­
cations contre les rituels et l'autoritarism e religieux qui,
bien souvent, font de l’homme un autom ate de la
pensée et de la dévotion. Krishnam urti est bien m oins
préoccupé de m eurtrir ou d ’abattre l’autorité spirituelle
que d ’arracher à ses prises l’individu vivant et respon­
sable, seul qualifié, selon lui, pour atteindre à la libé­
ration véritable.
Il s’ensuit que la révolte de Krishnam urti n ’a rien
d’un m ouvem ent d ’humeur, ni d ’un âpre défi personnel,
mais s’alim ente de graves raisons et, sous de rudes
apparences, s’inspire d ’un am our authentique. Il est
bien vrai que, selon une pittoresque formule dont le
2 <
Swâmi Siddheswarananda s’est fait l’interprète, Krish-
namurti a souvent l’air d’attendre ses auditeurs au tour­
nant pour leur lancer des briques à la figure, mais la
réponse à cette observation se trouve, à mon sens, dans
cette affirmation de Claude Bragdon, que « l’enseigne­
ment de Krishnamurti paraîtra désespérant jusqu’à ce
que l’on s’aperçoive que ses coups ne visent que nos
chaînes ».
**«
Je pense avoir dégagé en quelque mesure la signi­
fication du rejet krishnamurtien de l’autorité spirituelle.
Je précise bien « spirituelle », car il ne fut jamais dans
l’intention du penseur indien de faire le procès de toute
autorité sociale, ni de se dresser contre les organisations
assurant la production, la distribution ou la mise en
oeuvre de tout ce qui est nécessaire à l’entretien de la
vie ou à son expression normale.
Je n’oublie pas que le Krishnamurti qui vient d ’en­
trer en guerre contre les organisations religieuses est
aussi celui qui se flatte d’avoir atteint la plus haute
réalisation spirituelle. Vous serez certainem ent curieux
de savoir comment s’exprime dès lors sa vision du
monde. Voici, à ce propos un texte de lui, qui date de
1930, et qui reste encore, dans sa forme, très indien :
« La soi-conscience est le résultat de cette exis­
tence individuelle qui connaît la séparation, le conflit
entre individus, tandis que la conscience est ce Soi en
qui toute conscience individuelle existe et qui se trouve
au delà du tem j s et de l’espace, bien que le temps et
l’espace soient contenus en lui. La conscience indivi­
25
duelle décroît et périt, connaît la naissance et la mort.
A u contraire, pour cette conscience perm anente, il n ’est
pas de déclin. Elle est continue, inchangeable et vous
ne pouvez pas lui attribuer la soi-conscience indivi­
duelle quelles que soient les naissances, les m orts et
toutes les transform ations. »
A ppelez ego ou personnalité phénom énale ce que
Krishnam urti dénom m e « soi-conscience » ; appelez
âtm an ce qu’il dénom me « Soi » ; observez, en outre,
que ce texte adm et im plicitem ent cette réincarnation
sur laquelle Krishnamurti refusera plus tard de se pro­
noncer, et vous aurez l’impression que sa psychologie
et sa m étaphysique ne s’écartent guère, à ce moment,
de celles du V édânta. On notera aussi que, d ’accord en
cela avec les penseurs védântins, Krishnamurti repousse
la notion d ’une im m ortalité personnelle. En recourant
à des textes de la même époque, on m ontrerait égale­
m ent qu’il entend s’élever au delà du point de vue qui
oppose la m atière à l’esprit. Plus généralem ent, le Soi
dont il parle (et qui, sem blable en cela à l’âtm an
indien, paraît bien être la base ontologique de toute
existence) est conçu par lui comme un dépassem ent de
toutes les oppositions dans lesquelles s'em barrasse une
pensée limitée. En particulier, comme un dépassem ent
de la plus fondam entale de ces oppositions : celle que
nous établissons entre le sujet et l’objet.
Ce Soi, qu’il semble désigner tout aussi bien par
les mots Vie, Absolu, Réalité (avec des majuscules), il
le décrit comme essentiellement dynamique, se renou­
velant perpétuellem ent. On pourrait dire qu’il a une
26
conception héraclitéenne de l’infini. Son éternité est une
mobilité éternelle, insaisissable à la pensée; un devenir
hors du temps (en anglais : Timeless becoming). C’est,
nous dit-il encore, un immuable changement.
Cette éternité ne peut pas être connue à la m a­
nière d ’un objet. Elle ne peut être que vécue, « existée »
dirait Sartre. Nous n’avons pas à attendre, ni même à
espérer que la m ort nous en ouvre les portes. Nous ne
serons pas projetés en elle automatiquement, miracu­
leusement. Elle est à découvrir, par notre effort propre,
ici et m aintenant, dans le présent et non pas dans un
lointain avenir. Elle est même, Krishnamurti se ren­
contre sur ce point, et sur bien d’autres, avec M. Louis
Lavelle, l’éternel présent. Dans ce présent éternel, toute
la réalité se trouve, pour lui, concentrée. Le reste est
illusion, et il nous le montre dans une image saisissante
et grandiose :
Le vent du désert, nous dit-il, balaie la trace du
Seul s’imprime le pas présent. [voyageur.
Le passé, le futur, du sable lissé par le vent.
Dès lors, pour vraiment vivre, pour atteindre,
-comme une fleur ouverte au soleil, notre suprême épa­
nouissement, nous devons vivre non pas au passé, ni à
ce futur problém atique que nous ne cessons de déduire
du passé, mais au présent. C’est pour cela encore, et
non pour le vain plaisir d’offenser ou de défier les
autorités consacrées, qu’il nous exhorte, avec tant
d ’énergie, à rejeter le poids mort de ces traditions qui,
27
en nous enchaînant au passé et en nous poussant auto­
ritairem ent dans les cadres d’un avenir préformé, nous
détournent doublem ent du présent vivant, de l’expé­
rience fraîche et neuve.
Que telle soit bien la préoccupation de Krishna-
murti, on en trouvera la preuve dans ce beau texte de
lui, que M. Paul A ndréota a pris pour épigraphe de
son ouvrage « Evangéline » :
« Pour vivre dans ce m aintenant im m édiat qui est
l’éternité, il faut vous éloigner de tout ce qui est
mesquin et appartient au passé ou à l’avenir. Vos espé­
rances mortes, vos fausses théories, vos craintes, vos
anxiétés, vos ambitions, vos dieux, tout doit dispa-
paître. »
Mais que l’on y prenne garde, le présent dans
lequel Krishnam urti nous presse d ’aller vivre est un
présent aux profondeurs d’abîme, renferm ant en soi
l’essence de l’univers entier. Ce n ’est aucunem ent le
présent de l’im prévoyance, de l’impulsion brutale ou de
l’irréflexion. Ce n ’est pas davantage celui de la facilité
ou de la licence.
Certes, Krishnamurti répétera à l’envi que le cri­
tère même de la libération est le fait de vivre sponta­
ném ent, sans cet effort qui nous divise, qui installe en
nous la contradiction, qui nous m et en guerre avec
nous-même. Mais la spontanéité dont il parle est une
spontanéité intelligente, qui suppose une intense con­
centration de l’esprit. Elle est aux antipodes du divertis­
sement. Elle résulte du fait que, chez le libéré, et c’est
en cela que consiste proprem ent la libération, la vie„
28
considérée comme substrat perm anent de toutes les
existences, s’est délivrée de ses limitations antérieures.
N ettoyée de toutes les réactions en lesquelles s’empri-
sonnait sa spontanéité naturelle, elle devient dès lors
action pure, c’est-à-dire pure création. Ce point appa­
raîtra clairement quand j’aurai dit ce que Krishnamurti
entend par « réactions ».
Une éducation conformiste, résultat de traditions
accumulées, a enlisé notre pensée dans les ornières du
passé, en même tem ps qu’elle canalisait nos désirs nais­
sants vers des objectifs conventionnels. Elle nous a
appris à sérier, à classifier les êtres et les circonstances,
à les répartir entre les cases d’un immense fichier,
comme des espèces zoologiques. Simultanément, elle
nous a dicté, pour chaque cas, une réponse toute prête,
stéréotypée, mécanique. De ce fait, nous avons perdu
la conscience vive des êtres et des événements. A
travers le grillage des définitions apprises, nous ne dis­
tinguons plus leurs contours réels. Nous les stylisons,
nous les simplifions. Nous substituons à leur complexité
vivante, à leur mystère, des schématisations intellec­
tuelles, rassurantes ou commodes; de la même manière
que, selon Bergson, nous remplaçons la durée vivante
par un espace figé.
Nous vidons ainsi autrui de sa réalité humaine, de
son authenticité propre, de cet indéfinissable quelque
chose qui le rend unique et fait de lui une personnalité
vivante, une présence originale. Nous le réduisons à
n’être plus qu’un objet de série, aux incitations duquel
nous répondons en automates.
29
Or, à chaque instant, ainsi que Sartre l’a bien vu,
nous tendons à imposer aux autres, comme un fait
intime, la définition que nous nous formons d ’eux; nous
tendons à les jeter vivants dans le moule de nos inter­
prétations. En sorte que, par le jeu des réciprocités,
nous nous transform ons les uns les autres en de pauvres
automates, dont la vie devient terriblem ent creuse. Et
notre prétendue action n’est que réactions apprises.
Répondre d’une façon systématique, machinale, incons­
ciente, aux actions des êtres et des circonstances, c’est,
précisément ce que Krishnamurti appelle « réagir ».
Et c’est bien réagir, en effet, à la m anière d’une espèce
chimique, et non d ’un être vraim ent conscient et res­
ponsable.
En se libérant de cette surcharge du passé, de ces
réactions appauvrissantes, la vie devient, chez le libéré,
action pure. Alors chacun des actes qui ponctue le cours
de cette existence éveillée est une création vivante, une
invention. C’est une réponse toujours lucide, constam ­
m ent « personnelle », aux sollicitations du présent.
Etres et choses sont directem ent saisis, appréciés en
eux-mêmes, par une intelligence éternellem ent tendue,
pénétrante. Ils se trouvent chaque fois pensés à neuf et
à vif, sans référence aux critères conventionnels. C’est
dire que chaque acte du libéré est perpétuelle renais­
sance, recom m encem ent à zéro. C’est l’acte d’un être
qui brûle incessamment son passé, m aintenant ainsi son
esprit dans un état de fraîcheur, de vacuité créatrice.
La vie dans le présent, pour un tel être, n ’est pas une
30
vie de facilité mais d ’intensité. Krishnam urti nous le
dit :
« Il vous faut vivre appliqué, concentré, ardent,
dans chaque acte, chaque pensée, chaque amour, entiè­
rem ent concentré sur ce m om ent du tem ps, qui n ’est ni
distant ni proche, ce m aintenant qui est l’harmonie de
la raison et de l’amour. »
Cela suppose un éveil extraordinaire, écrasant.

31
Krishnamurti et les rituallsmes,
A la lumière des lignes que je viens de citer, nous
pouvons voir le vrai visage de l’anti-ritualisme de Krish­
nam urti : C’est un ritualisme dont les cadres ont éclaté
jusqu’à couvrir la vie entière.
Pour Krishnamurti, la libération ne consiste pas à
faire des choses singulières, artificielles, inusitées, mais
à faire extraordinairem ent des actes ordinaires à faire
n ’im porte quoi avec la suprême attention qu’apportent
les ritualistes à accomplir leurs exercices solennels et
spécialisés. « Considérez chaque événem ent de votre
vie comme s’il devait provoquer une crise en vous »,
dira Krishnamurti à ses auditeurs. Les adeptes des reli­
gions organisées ont choisi de faire, avec une applica-
, tion le plus souvent absente de leur conduite ordinaire,
des gestes insolites et plus ou moins factices qui, en bien
des cas, confèrent au moi une m anière de distinction et
d ’éclat, lui fournissent des occasions de définition et
d’orgueil. Accomplir avec ferveur des actions com ­
munes, c’est beaucoup moins voyant et remarqué. Cela
ne fournit aucun prétexte d ’affirmation personnelle et
spectaculaire. Vivre une destinée simple, fût-ce avec
une immense richesse intime, ne semble pas original.
32
Mais Krishnamurti nous rappelle opportuném ent
que ce qui importe, en dernière analyse, ce n’est pas
ce que l’on fait mais la manière dont on le fait. En
réalité, en rejetant les rites inventés exprès, et en invi­
tant ses auditeurs à épuiser la substance et la significa­
tion des actes communs, il fait de la vie entière, de
tous les gestes naturels de la vie, les éléments d’un
immense rituel immédiat; du plus simple, du plus gran­
diose et du plus efficace de tous les rituels. Du plus
efficace, parce que, ici, l’efficacité individuelle et l’effi­
cacité sociale se rejoignent, parce que ce rituel perm a­
nent est persévération de vie intense et que, directement
en rapport avec les conduites individuelles, il constitue
d’emblée une morale. Cette gigantesque attention à la
vie totale transcende infiniment toute application inter­
mittente et fragmentaire à des actes suggérés.
Krishnamurti repousse encore les cérémonies et les
rites parce que la libération, telle qu’il la conçoit, n’a
rien à voir avec les stimulations que beaucoup recher­
chent à travers ces cérémonies et ces rites, et qu’ils
pourraient aussi bien trouver au moyen de n’importe
quels excitants vulgaires. 11 insiste sur le point que les
participants à ces rites cherchent bien moins la libéra­
tion pour elle-même que pour les satisfactions qu’ils en
attendent. Ils deviennent ainsi hypocrites, comme ces
croyants qui s’intéressent aux faveurs de Dieu bien plus
qu’à Dieu même. Et la libération, qui se refuse à des
mains cupides, leur échappe indéfiniment. Ils tournent
le dos à sa générosité. Ces chercheurs de plaisirs spiri­
tuels rejoignent en essence les chercheurs de plaisirs
33
matériels, comme l’avait bien vu Saint Jean de la Croix
et comme il l’a noté, pour notre édification, sur la sym­
bolique gravure par laquelle s’ouvre sa « Montée du
Carmel ».
J ’ai parlé tout à l’heure des traditions qui inspirent
une éducation conformiste. Je ne voudrais pas que l’on
pense, par ce que j’en ai dit, que ces traditions sont
dénuées, à mes yeux, de toute valeur. On peut raisonna­
blem ent adm ettre que la tradition est un mélange de
vérités précieuses et d’erreurs épouvantables. Par elle
nous participons sim ultanément à la sagesse et à la folie
de tous les temps. Si elle nous apporte des lumières
adm irables, elle représente, à d ’autres égards, une sorte
de crasse millénaire, intellectuelle et morale, dont cha­
que génération frotte consciencieusement la génération
suivante.
Je n ’oublie pas, en tout cas, que c’est par la tradi­
tion que l’humanité est, selon un mot célèbre, pareille
à un homme qui apprend toujours et ne m eurt jamais.
Sans elle, un Krishnamurti serait inconcevable et sans,
doute l’a-t-il voulu marquer lorsqu’il a écrit, dans un de
ses poèmes :
« J ’ai pulvérisé le rocher sur lequel j’ai grandi. »
Au cœur de l’éternité que Krishnamurti nous pro­
pose, ne se dissimule, je l'ai déjà noté, aucun Dieu
personnel. « Savoir, dit-il, que la connaissance de la
vérité est dans le présent, qu’il n’y a pas d’être suprême-
extérieur à cette réalité qui est dans l'hom m e, et que
cette réalité ne connaît ni le temps, ni la division, ni
l’unité ni la séparation, c’est le commencement de la
34
sagesse. » Et il affirme ailleurs : « 11 n’y a pas d ’autre
Dieu que l’hom m e purifié et devenu parfait ». Que l’on
ne com prenne pas toutefois cette dernière assertion
com me signifiant que l’individu, en tant que moi, en
tant que personnalité phénom énale et sociale, est Dieu.
Pour Krishnamurti, Dieu n’est pas une réalité extérieure
à découvrir, mais un état de conscience à réaliser. 11 est
donc vain, selon lui, de s’agenouiller devant un Dieu
conçu comme une sorte de moi agrandi à l’échelle cos­
mique.

35
Krishnamurti et l'amour véritable.
Infinim ent sensible à toutes les formes et m anifes­
tations de la beauté, ainsi qu’à la beauté sans form e;
épris d ’art, et lui-même poète, Krishnam urti ne professe
pas que la vie terrestre soit mauvaise et n’affiche aucun
m épris pour le corps. Il ne fait m ême pas de l’absti­
nence sexuelle la condition sine qua non de la plus haute
réalisation spirituelle. L’univers sensible ne lui apparaît
pas comme un m irage de la m âyâ shankarjenne. Toutes
choses, nous dit-il, sont réelles; ce qui est illusoire, ce
sont les valeurs que nous leur attribuons. Et tout notre
effort doit être orienté en vue de découvrir les vraies
valeurs, les valeurs éternelles des choses; c’est-à-dire
notre plus profond, notre vrai désir, Selon lui, il ne
s’agit pas, en effet, de tuer le désir mais de l’em pêcher
de se satisfaire dans l’illusion.
Pour Krishnam urti, l’am our véritable, qui est le
term e auquel peuvent nous conduire les expériences
com m unes de l’am our, n ’est pas un rapport entre deux
êtres, quels qu’ils soient; c’est un état d’être, une sorte
de soleil intérieur et perm anent dont les rayons peuvent
être braqués sur n ’im porte quel passant qui, dès lors,
est vu à leur lumière. Cet am our, nous dit Krishnam urti,
36
est pareil à la rose qui répand son parfuni sur tous ceux
qui l’approchent. 11 ne se préoccupe pas d ’aider les
autres, il les aide du fait de son existence même, tout
comme la rose et le soleil. Cet amour qui peut s’adresser
à n’importe quel objet, est libre de tout objet. Et, réci­
proquement, il laisse libres ses objets. Son existence
éternelle n’est pas subordonnée à la présence ni aux
sentiments propres d’un être choisi. 11 est don pur et
offrande véritable, parce qu’étant lui-même sa propre
plénitude, il n’attend rien de son objet en retour de la
lumière et de la tendresse qu’il lui accorde. Un tel
amour nous remet en mémoire le mot de Jésus disant
que son Père céleste fait luire son soleil sur les bons
comme sur les méchants. Il ne consiste pas à aimer tout
le monde, d ’un amour abstrait, mais à accorder à
chaque survenant la même qualité d’affection. Il n’a
rien de commun, d ’autre part, avec cette vénération qui
élève un être particulier sur un piédestal, en abaissant
simultanément tous les autres. Quelqu'un ayant voulu
se prosterner devant Krishnamurti, alors qu’il se trou­
vait dans un restaurant, en Allemagne, il prit ce dévot
par la main et, le conduisant devant la servante, lui dit :
« Agenouillez-vous devant la gretchen, ce sera beau­
coup mieux ».
La conception que se fait de l’amour Krishnamurti
n ’a rien de spéculatif. Elle est divinement simple et
naturelle. Caractéristique est cette réponse qu’il fera à
un auditeur : « Quand vous cherchez une explication de
l’amour, c’est une explication surnaturelle qu’il vous
37
faut. A quoi bon, quand l’am our hum ain suffit à nous
enseigner tout ce qui est nécessaire ? »
On voit que, selon Krishnamurti, et à l’encontre
du préjugé universel et invétéré, l’attachem ent dans les
rapports, qui nous vaut tant de douleur à l’occasion de
la trahison ou de la m ort de l’être aimé, est la négation
même de l’am our et témoigne sim plem ent de notre indi­
gence intérieure. En réfléchissant profondém ent et hon­
nêtem ent, nous reconnaîtrons que c’est Krishnam urti
qui a raison et que les am ours ordinaires ne sont le plus
souvent que m archandages subtils ou grossiers, escla­
vage, exploitation et em prisonnem ent réciproque.
A un auditeur, Krishnam urti répond : « Vous d e­
m andez pourquoi je ne parle pas d ’am our et de com pas­
sion. La fleur parle-t-elle de son parfum ? Elle EST,
sim plem ent... Nous ne discutons pas la lumière du
soleil, elle est là; nous sentons sa chaleur et nous-perce­
vons sa pénétrante beauté. Ce n ’est que lorsque le soleil
est caché que nous discutons de son éclat. Il en est ainsi
de l’am our et de la compassion. »
Pour Krishnam urti, cet am our dont il nous parle,
et qui est sans objet propre, donc sans inclination préfé­
rentielle, est à la racine de l’im m ortalité vécue. Nous en
avons la révélation saisissante dans cet avertissem ent
qu’il nous adresse : « T ant que vous dites, j’aim e celui-
ci, je n’aim e pas celui-là, il y a pour vous m ort et soli­
tude ». A la lumière de cela, nous pouvons com prendre
cette affirm ation, qui revient souvent sur ses lèvres,
que « l’am our est à lui-même sa propre éternité » et
nous arrivons à cette notion fort curieuse que notre
38
expérience du temps se trouve liée à une disposition
élective de notre sensibilité.
Si Krishnamurti va à l’encontre de l’opinion com ­
mune quand il nous dit que, là où l’attachem ent existe,
il n’y a pas d’amour, il malmène plus rudem ent encore
cette même opinion quand il soutient que, là où il y a
effort et mérite, il n’y a pas vertu.
Rien, pourtant, n’est plus certain; et il devrait
sem bler superflu qu’on y insiste. Si je fais effort pour
m e contraindre à la vertu, pour en accomplir doulou­
reusement les gestes, c’est que quelque chose en moi
résiste à cette vertu même que je prétends incarner. Je
ne suis donc pas entièrem ent vertueux. La vertu n’a pas
pour moi un attrait total, irrésistible, mais j’en attends
quelque chose dont je consens à payer le prix. Ce sont
là, nous dit Krishnamurti, des ruses d ’esprits perdus à
la poursuite d ’un bénéfice.
Il est impossible d’être pleinem ent quoi que ce
soit quand on est contradictoire. « Quand vous êtes
contradictoire, insiste Krishnamurti, qui se rencontre
ici avec Sartre, vous ne pouvez pas être honnête ».
L’homme vraim ent vertueux, et par là vraim ent naturel,
ce n’est pas celui qui résiste victorieusement à une ten­
tation qu’il éprouve, c’est celui qui ne peut plus être
pris au piège de la tentâtion parce qu’il en a réalisé,
avec tout son être, la vraie nature. Un tel homme ne
possède pas la vertu à la manière d’un bien sensible
qu’il aurait saisi et détiendrait, avec effort et orgueil,
comme une source de profit : il est cette vertu même.

39
Le problème des opposés.
Krishnamurti démasque, dans ce qui précède, une
illusion profonde qui est celle des opposés : beaucoup
de personnes, qui pensent lutter contre l’esprit de pos­
session en acquérant de la vertu, font de cette vertu
une possession nouvelle et sont prises au filet de leur
propre aveuglement. Leur prétendue victoire sur elles-
mêmes n’est alors qu’un échec subtil et insoupçonné.
Ainsi, des attitudes qui paraissaient s’opposer et
s’exclure, à un certain niveau d’observation, se révèlent'
équivalentes à un niveau supérieur, correspondant à
une vision plus subtile.
Par ce qui précède, on voit encore que, pour Krish­
namurti comme pour les Bouddhistes, il n’y_ a qu’un
seul péché : l’ignorance, la nescience. Ce qui nous
libère d e- façon certaine, définitive, ce n’est pas le
renoncement que l’on s’impose avec effort et en déchi­
rant l’unité de son être,, c’est l’intelligence de notre con­
dition véritable. Nous pouvons, pour reprendre une
image de Krishnamurti, être tentés de jouer avec un
serpent venimeux quand nous ne savons pas ce qu’il est.
Mais, si nous le savons, nous n’avons aucun désir de
40
nous rapprocher de lui, ni aucun m érite à en rester
distant.
Un hom m e qui a peur, nous dit K rishnam urti, cul­
tive la bravoure. En réalité, il ne fait que fuir la peur
dans son opposé, c’est-à-dire que, tout au fond, il reste
poltron. M ais s’il discerne la cause de la peur, celle-ci
cesse d ’elle-m êm e. Il n ’est plus alors ni courageux ni
poltron. 11 est sim plem ent. Il atteint une pure condition
d ’être, transcendante à toutes les oppositions.
Chaque opposé ne se définit qu’en fonction et
avec le secours de ce qu’il rejette. Il en contient donc
l’essence et la nécessité. Ainsi l’hum ilité, consciente de
soi, est pétrie de son propre orgueil. E t l’on ne peut
vouloir se sentir bon (je dis bien se sentir et non pas
sim plem ent être) sans souhaiter par là, im plicitem ent,
que d ’autres s’abandonnent à la m échanceté; de m a­
nière à constituer, en quelque sorte, le repoussoir qui
rendra apparente notre propre vertu et nous en donnera
le sentim ent distinctif. Une si étrange « vertu » est
condam née à susciter sa propre contradiction, son
propre obstacle.
M ais alors, dem andera-t-on, en quoi consiste donc,
pour K rishnam urti, la vertu véritable ? 11 répondra, par
exem ple, que selon lui, la m odestie consiste « à ne p as
savoir que l’on est distinct d ’autrui ». R éponse aussi
sim ple que profonde et qui désarm e toute critique. Elle
revient à dire que la vertu ne consiste pas à s’affirm er
quelque chose, m ais « à être com m e rien ». « Soyez
rien, nous dit K rishnam urti, la vie devient alors extra­
ordinairem ent sim ple et belle ». Mais bien peu d ’esprits
41
so n t capables de saisir la poétique grandeur d ’une p a ­
reille form ule. Elle ne renferm e rien en elle qui puisse
séduire l’hom m e superficiel, l’hom m e qui veut à tout
prix être quelque chose.
T oute notre vie, nous assure K rishnam urti est
em pêtrée dans ce stérile effort contre l’opposé que l’on
ap pelle « poursuite de l’idéal », et dont le vrai m obile
est l’incurable désir, le désir m alsain de gagner quelque
chose quand ce n ’est pas celui de se protéger contre la
douleur qui s’attache aux conduites réputées vulgaires.
Nous n ’accom plissons pour ainsi dire jam ais un
acte pour lui-m êm e. Nous visons quelque chose d ’autre
à travers lui, un futur qui se reform e indéfinim ent et
nous échappe toujours, en sorte que notre présent, qui
devrait être plein et vivant, reste éternellem ent creux,
décevan t et m isérable; une atten te infinie, traversée de
loin en loin d ’éclairs fascinants.
Nous passons, nous dit K rishnam urti, du désir d ’un
chapeau à celui d ’une fem m e, puis à celui de Dieu et
nous pensons avoir fait par là un grand progrès. En
réalité, notre désir n’a fait que changer d ’objet et nous
restons pris dans le cercle du désir, c’est-à-dire dans le
cercle de l’insatisfaction, de la douleur.
Ainsi K rishnam urti fait le procès des conceptions
com m unes d ’idéal et d ’évolution, celle-ci n ’étant, en
définitive, que le glissem ent éternel du désir à la sur­
face des objets; glissem ent qui ne saurait nous conduire
à cette rupture soudaine et authentique du cercle du
désir, qui constitue proprem ent la libération.
« Pour m oi dit-il, il n’y a qu’une vérité, la déli­
42
vrance de la soif intérieure. Tout le reste n’est qu'une
illusion, infinie dans ses variétés, ses gloires et ses dis­
tinctions. Le saint, le pécheur, l’esclave, le conquérant,
l’homme de vertu et d’accomplissement spirituel sont
tous pareils, dans leur illusion, s’ils sont enracinés dans
leur soif intérieure. Un espace et un temps immenses
peuvent les séparer l’un de l’autre, mais le saint qui a
-évolué en s’éloignant du pécheur n’a fait que progresser
■de l’illusion du plus bas vers l’illusion du plus haut. »

43
La Conscience de soi et la peur.
On notera que, dans son assaut contre les idéaux
(« Un idéal est toujours quelque chose qui n’est pas »,
déclarait-il récemment, avec un ironique bon sens)
Krishnamurti n ’épargne même pas la non-violence
(j’entends la non-violence comme idéal et non pas en
tant qu'attitude effectivement vécue). Il affirme que ce
n ’est pas en cultivant l’idéal de la non-violence que
l’on pourra instaurer la paix dans le monde, mais seule­
ment quand l’individu — cette formule me paraît ad­
mirable — sera capable d’embrasser la violence elle-
même dans une compréhension compatissante.
Krishnamurti se flatte d'avoir atteint la vérité,
mais cette vérité dont il nous parle ne se laisse pas
réduire à une formule intellectuelle : c’est une présence
vivante, un nouveau nom de la vie même. Et parce
qu’elle est cette présence vivante, elle ne peut pas être
objectivement connue. Pas plus que l’éternité avec
laquelle elle se confond. Si nous dem andons à Krishna­
murti pourquoi il en est ainsi, il nous répondra, avec
une singulière profondeur :
« Vous ne pouvez connaître que quelque chose
qui est passé. 11 vous est impossible de connaître (avec
44
l’intellect seul) quelque chose de réellem ent vivant.
V ous ne pouvez analyser, « connaître » votre pensée
que lorsqu’elle n’est plus. Vous ne pouvez connaître
une chose vivante car, à chaque instant, elle est vivace,
vitale, créatrice. S’il vous plaît, voyez l’im portance de
ceci, car la vérité n ’est pas une chose qui puisse être
connue. »
Il n’y a, en effet, de connaissance objective que
du passé, même dans l’ordre matériel, et, ainsi que l’a
dit excellem m ent M. Paul Guillaume, toute introspec­
tion est une retrospection. Quand, dans la conscience
d e soi, le moi tente de se saisir lui-même, il n’atteint
que son propre passé. Sur le plan de la connaissance,
sujet et objet sont, par définition, disjoints, et nous
som m es éternellem ent condam nés à m archer, pour ainsi
dire, derrière nous-même sans jam ais pouvoir rattrap-
per notre réalité vivante. Une parfaite coïncidence avec
nous-m êm e supposerait une sorte d ’intuition de notre
présent im m édiat, qui se trouverait alors saisi, ou plutôt
« existé », sans intervention de cette analyse discursive
qui nous rejette toujours au passé. Cette intuition, qui
est perception de la signification de l’acte au sein de
son accomplissem ent même, et non après coup, par
une réflexion tardive et toujours dépassée par le jaillis­
sem ent continu de ses objets successifs, cette intuition,
dis-je, est sans doute ce que Krishnam urti appelle « lu­
cidité » (en anglais « awareness »), cette dernière étant
seule capable, selon lui, de nous ouvrir les portes de la
connaissance effective de nous-mê'me, de notre actua­
lité vivante. Il n ’a aucune estime pour les procédés
introspectifs qui de son point de vue, ne font que
45
limiter l’action, de même que l’analyse d ’un sentiment
intense entraîne sa destruction, et n ’ont pas de valeur
vraiment révélatrice. Ni, par conséquent, libératrice,
puisque, pour Krishnamurti, le chemin de- la libération
— pour autant qu’on puisse parler ici d’un chemin —
passe par la pleine connaissance de soi. Et il se ren­
contre avec le Maharshi pour dénoncer comme illusoire
toute connaissance qui n’est pas d ’abord fondée sur
celle de soi.
La solution effective et durable de nos difficultés
vitales, des problèmes intéressant notre conduite, ne
peut être obtenue, d’après Krishnamurti, par aucune
m éthode mais seulement par l’éveil en nous d’une intel­
ligence ou intuition créatrice qui, pénétrant constam­
m ent la signification du milieu, nous rend libres de ce
milieu, quel qu’il soit. Cette intelligence apparaît
comme une synthèse de l’émotion et de la pensée com­
munes, de la raison et de l’amour. Cette synthèse, qui
transcende les termes qu’elle unit, ne diffère pas d ail­
leurs de cet amour indépendant de son objet que j’ai
évoqué plus haut.
C’est parce que nos émotions sont sans cesse di­
vorcées d’avec nos pensées que nous ne vivons pas
vraiment, que nous n’atteignons pas ce degré de pré­
sence au monde et d’intensité d’où surgiraient, spon­
tanément, des réponses toujours efficaces aux situations
qui nous sollicitent. En d ’autres termes, nous ne
sommes pas en entier dans nos actes, nous les accom­
plissons dans un état de division de nos puissances et
de distraction. Ils deviennent dès lors incomplets, inap­
46
propriés, et nous laissent un sentim ent d ’insatisfaction
qui, renaissant indéfinim ent des tentatives m êmes que
nous faisons pour le réduire, devient inépuisable. Ainsi
sommes-nous constam m ent obsédés par un futur qui
ne cesse de se reform er et l’on pourrait dire, paraphra­
sant un m ot de Pascal, qu'attendant sans cesse de vivre
nous ne vivons jamais.
11 s’ensuit que nous restons perpétuellem ent enve­
loppés dans le tissu de ces m ém oires cicatricielles qui,
s’attachant à nos actions m anquées, suscitent en nous
ces « réactions de term inaison », dont parle M. Pierre
Janet, se rencontrant ici avec Krishnam urti. Selon ce
dernier, le faisceau de ces m ém oires cicatricielles con­
stitue la substance m ême du moi em pirique, de ce moi
que nous saisissons quand nous avons conscience de
nous-même. On voit, par ce qui précède, que ce moi,
qui se réduit à une conscience d ’obstruction et d’échec,
consacre notre esclavage à l’égard du temps. Il est ce
résidu, des actions incom plètes d ’hier, qui s’interpose
com m e un barrage entre nous-même et notre éternel
accomplissem ent.
Q u’il en soit bien ainsi, on le vérifie, négative­
m ent, en observant que, dans les états de plénitude, le
sentim ent du moi est absent. « Q uand vous êtes réelle­
m ent heureux, profondém ent am oureux, nous dit Krish­
nam urti, il n ’y a pas de « vous ». Il y a cette extase
du bonheur, ou cet immense sentim ent d ’amour. Je dis
que c’est cela le réel, tout le reste e,st faux. »
Nous découvrons par là une nouvelle et stupé­
fiante définition de la libération : c’est un état dans
47
lequel toute conscience explicite de soi a cessé, parce
que la contradiction s’est dissoute qui, au sein du sujet,
donnait naissance à chacun des term es indispensables
à la conscience commune de soi : l’observateur et l’ob­
servé. On com prend m aintenant pourquoi Krishna-
murti, en parvenant à la libération, a perdu jusqu’à la
conscience distincte de lui-même.
Mais si, dans l’état de libération, nous ne sommes
plus conscient, explicitement, de nous-même, c’est
parce que nous sommes plus que conscient de nous-
même : nous sommes notre conscience même (I). Un
tel état n’est donc pas destruction effarante, mais per­
fection et parachèvem ent de la conscience.
Auparavant, il y avait un nous-même que nous
dintinguions de la conscience que nous en avions. Main­
tenant cette distinction se trouve abolie, dépassée :
être et conscience d'être, penseur et pensée, se sont
rejoints, toute division, dissimulation ou contradiction
interne a çessé. Rien ne se perd, tout s’unifie. La fusion
des term es en efface la notion distincte, mais non la
réalité. Elle ne détruit pas le contenu de l’être mais le
rend transparent.
Nous nous perdons de vue parce que nous nous
sommes suprêm ement atteint, parce que cette perpé­
tuelle marche en arrière de nous-même sur la route du
temps, qui caractérisait la conscience de soi, a pris fin.
Ainsi, cette perte apparente de la conscience de soi est
( 1) « Consciousness itself is the I », nous dit Krish-
namurti.
48
le som m et de la conscience. Elle tém oigne du rassem ­
blem ent de notre être, de la victoire rem portée sur la
misère de notre division. Bien loin que cette condition
soit effrayante, elle est, nous dit Krishnam urti, la con­
dition dans laquelle toute peur a cessé. Et c’est parce
que l’hom m e libéré réalise pleinem ent sa propre origi­
nalité créatrice qu’il cesse d ’en être conscient.
Ainsi, dans la conception de Krishnamurti, cette
conscience de nous-même, à laquelle nous nous accro­
chons si désespérém ent, est conscience d'un obstacle à
notre plénitude. Mais, à nos regards abusés, cet ob­
stacle prend le visage de cette plénitude m ême qu’il
nous interdit. De ce mur qui nous sépare de la vie libre,
nous faisons le fondem ent de notre vie. Sa raideur
obtuse est prise par nous pour une solidité massive et
substantielle, objective; pour la garantie même de notre
durée propre.
Selon la rem arque de Krishnam urti la conscience
de soi ne surgit pourtant que lorsque nous sommes lésés,
entravés. Elle n’est ainsi que la soif de notre épanouis­
sement. Et cette soif est insatiable, car elle ne cesse de
vider le présent au profit d ’un éternel futur. Dépouil­
lant nos actes de leur signification intrinsèque, les rédui­
sant à n être que des moyens en vue d ’une fin jam ais
atteinte, elle entraîne la terreur de la m ort, de la m ort
qui peut nous em pêcher d’atteindre cette plénitude qui
nous hante et dont, par le désir m ême que nous en
avons, nous ne cessons de rejeter dans l’avenir la possi­
bilité.
Krishnam urti nous m ontre ainsi dans le moi un
49
procesus d ’aveuglement perm anent et de misère per­
m anente; un conditionnement initial de la conscience,
qui ne cesse de se reformer lui-même à la faveur d’in­
terprétations ignorantes qu’il entretient; un cercle
vicieux qui, enraciné dans l’imposition pédagogique des
erreurs du passé, ne cesse de se reconstituer, en dépit
de tous les soufflets de l’expérience. Ce processus est
inséparable d’une peur profonde, d’une peur qui est à
l’origine de toutes les autres et que Krishnamurti ap­
pelle, pour cette raison, fondamentale.
Cette peur n’est que l’ombre portée, l’ombre fatale
de la limitation consciente. Le moi, en effet, qui est
conscience de limite se saisit comme un flot perdu dans
ces océans sans bornes de l’espace et de la durée dont
il s’est forgé lui-même la notion. Cette perception qu’il
a, plus ou moins obscurément, de sa condition, fait de
lui une détresse vivante et inavouée, en même temps
qu’elle le pousse à rechercher indéfiniment une sécurité
qui ne cesse de le fuir. Il tente vainement d’agrandir
son exiguïté première, de consolider sa faiblesse tra­
gique et, pour cela, il se m et à accumuler, avec une
frénésie cruelle, les matériaux les plus divers qu’il
trouve à sa portée; à tyranniser les êtres pour étendre
l’empire de sa volonté. Mais la conscience lui vient tou­
jours que l’appropriation la plus im pudente et la plus
enragée ne saurait vraiment modifier le rapport entre
lui-même et le cadre infini, toujours débordant, dans
lequel il ne cesse de se situer. Ainsi, tout son effort
d’agrandissement personnel, qui déchire et ensanglante
le monde, n’est finalement qu’évasion stérile, poursuite
50
fatigante d ’une sécurité fantôm e, fuite absurde devant
la perception franche de sa condition véritable. Cette
perception seule, nous dit Krishnamurti, peut m ettre un
term e à ce tourm ent aigu et auto-créateur que nous
nous condam nons à être; briser cet aiguillon que, sans
le com prendre, nous utilisons pour nous harceler nous-
même indéfinim ent.

51
Le problème de l'effort.
Je signalerai ici la liaison entre l’effort pour pos­
séder quelque chose et l’effort d’imitation d’un modèle.
Vouloir posséder quelque chose c’est vouloir réaliser
un modèle de soi en tant qu’être-possédant-cette-chose.
Le circuit de l’imitation, la poursuite infinie du « deve-
nir-quelque-chose », et le circuit possessif ne sont donc
qu’un seul et même circuit. Et l’on voit par là combien
est cohérente la position de Krishnamurti. Il n’y a de
paix et d’accomplissement pour la conscience que si,
abandonnant le processus horizontal et futile du « de-
venir-quelque-chose », elle s’élève, en quelque sorte
verticalement, jusqu’à un pur être, qui est en même
temps action pure.
On objectera qu’au dire même de Krishnamurti, cet
être-là est encore un devenir. Certes, mais c’est un
devenir pur, un devenir spontané, le devenir créateur
de la vie, et non le devenir de l’imitation d’un modèle,
lequel, déployant sans cesse devant nous un avenir de
stimulation, de fascination, ne cesse de nous arracher
à l’éternelle plénitude du présent vivant.

52
U ne des originalités de K rishnam urti, apôtre con­
séquent de la spontanéité, c’est d ’affirm er avec insis­
tance qu’aucune intervention délibérée volontaire, telle
qu’on la conçoit com m uném ent, ne peut m ettre un
term e à ce cycle de conditionnem ent d ’où ne cessent de
surgir, inséparablem ent, la conscience de soi et la dou­
leur. La raison qu’il nous en donne est fort sim ple : la
volonté de briser ce cycle surgit elle-m êm e du condi­
tionnem ent qu’elle devrait rom pre, car elle s’enracine
dans ce désir de gagner quelque chose qui est la carac­
téristique m êm e du m oi. A insi, cette volonté peut
am ener des changem ents D A N S la conscience, m ais
non pas un changem ent DE conscience.
« C ’est la vérité qui vous libère, dit K rishnam urti,
et non votre effort pour vous libérer ». Langage qui
fait singulièrem ent penser à la parole chrétienne :
« Sachez la vérité et elle vous délivrera ».
A u surplus, les efforts volontaires et délibérés p ar
lesquels nous espérons, en nous contraignant cruelle­
m ent, parvenir à une prétendue perfection, ne consti­
tuent, en réalité, qu’une tentative de nous conform er
à un m odèle et en tretiennent une ignorance profonde
de notre nature véritable. Nous som m es si occupés à
devenir quelque chose d ’autre que nous ne parvenons
jam ais à savoir exactem ent ce que nous som m es. A insi,
nous vivons dans une perpétuelle illusion.
D ’ailleurs, tous nos efforts volontaires n ’aboutis­
sent qu’à instituer des com portem ents rigides qui n e
cessent de nous m ettre en conflit avec les circonstances
changeantes, avec tout ce qui, en nous-m êm e ou hors
53
de nous, échappe à notre contrôle. Dès lors, ces com ­
portem ents se font périodiquem ent détruire, nous obli­
geant à d ’interm inables et laborieuses reconstructions.
En sorte que nos efforts volontaires créent indéfinim ent
leur propre et pénible nécessité.
Enfin, lorsque les trouvant indésirables, nous com ­
prim ons nos tendances dans une direction, elles se dila­
tent subrepticem ent dans une autre. Et notre m alaise,
dont nous ne recherchons pas la cause véritable, ne fait
que changer de form e et de niveau. C ’est dire que notre
effort pour le dissiper vraim ent n ’aboutit jam ais et que
nous n ’en avons jam ais fini de lutter contre nous-m êm e,
donc de nous diviser, de nous fragm enter, de m ain­
tenir en nous cette contradiction qui n ’est qu’un autre
nom de la conscience de soi.
Pleinem ent form ulée par K rishnam urti aux envi­
rons de 1938, cette thèse de la stérilité de l’effort
volontaire, com m un, apparaît déjà, dans ses écrits an té­
rieurs, com m e une extension de vues que MM. Sartre
et M erleau-Ponty ont tout récem m ent exprim ées. Elle
est au principe de l’hostilité que m anifeste K rishna­
m urti à l’égard de cette m éditation qui est forcém ent
d e l’esprit dans une direction particulière et prém éditée.
E lle n ’est sem ble-t-il, qu’un aspect d ’une thèse plus
générale affirm ant la stérilité, dans l’ordre spirituel, de
toute tentative qui fait jouer à l’une de nos puissances
(volonté, intelligence ou ém otion) un rôle m ajeur et
privilégié.
Doit-on conclure de ce qui précède que K rishna­
m urti déconsidère tout effort ? Ce serait, je crois, une
54
conclusion excessive. Krishnamurti établit en fait une
distinction entre deux sortes d’efforts : l’un qui pro­
cède de la volonté de désir ou de satisfaction; l’autre
qui naît de la volonté d ’intelligence. Il faut comprendre
ici : d ’intelligence de soi.

55
Krisluiamurtl et la philosophie.
Il ne m ’est pas possible de m’étendre davantage
sur la solide et profonde analyse faite par Krishnamurti
de la condition humaine. Cette analyse, qui prolonge et
parachève celle que le Bouddhisme avait déjà amorcée,
saisit sur le vif, par des moyens d’une simplicité et
d ’une acuité déconcertantes, nos agissements quotidiens
et en exprime le suc im pitoyablem ent. Elle désarme,
par des rem arques d’apparence presque naïve, les
objections les plus solides que nous pensions pouvoir
formuler. Ce sont des flèches si acérées qu’on n ’en
distingue pas la pointe. Leur subtilité dissout les argu­
m ents adverses avant même qu’on l’ait reconnue. Cela
semble inoffensif mais, en y regardant de près, on y
découvre, selon le mot de M. de W eltheim, une sorte
d’énergie intranucléaire à l’état pur.
En com parant le texte, en quelque sorte statique et
métaphysique, que j'avais cité au début, et qui date de
1930, avec les développem ents récents que je viens de
résumer, on peut voir que la pensée de Krishnamurti,
où les considérations sur le tem ps prennent m aintenant
une si grande place, est devenue une analyse des con­
ditions de l’action du moi au sein de ces cadres de
56
l’espace, du tem ps et de la causalité, qui sont à la fois,
les créations de ce moi et le pilori de son supplice. C’est
dire que la pensée de Krishnamurti, tout au moins dans
son expression, s’est singulièrement rapprochée de celle
des penseurs occidentaux d ’aujourd’hui.
Cette pensée, j’y insiste, est fort peu m étaphysique.
Krishnam urti se rencontrerait sans doute avec Jules
de G aultier pour dire que si la recherche métaphysique
est la plus passionnante de toutes, c’est parce qu’elle
est la plus vaine. J ’irais même jusqu’à dire qu’il a un
tour d ’esprit anti-m étaphysique, ce qui n ’exclut pas que
d ’autres puissent découvrir une m étaphysique dans ses
écrits. Pas plus que le Bouddha, auquel il fait souvent
penser, Krishnam urti n ’est obsédé par le problèm e de
l’origine des choses. Son enseignement qui, dans sa
form e récente, ne réclame aucun acte de foi, est, à bien
des égards, une phénom énologie un existentialisme
que l’on pourrait situer à califourchon entre celui de
Sartre et celui de Lavelle. Surtout, je l’ai déjà noté,
Krishnam urti n’a rien d ’un doctrinaire, d’un spéculatif,
et je citerai, à cet égard, un texte de lui que je tiens
pour profondém ent révélateur de sa pensée intime :
« Je n’ai jam ais imaginé, nous dit-il, ce que pou­
vait être la vérité. Je n ’ai jamais eu la soif de la possé­
der. Com m ent pouvez-vous vouloir posséder quelque
chose si vous ne savez pas ce que c’est? Mais je con­
naissais toutes les choses qui m ’enchaînaient, qui m uti­
laient m a pensée, mes émotions, qui gaspillaient m on
énergie. Je connaissais en somme les choses qu il est
très facile de connaître. Et, en me libérant de la soif
57
intérieure, cause de nombreux obstacles, j’ai su ce qu’est
la vérité; mais si quelqu’un m’avait dit ce que c’est,
si je l’avais imaginé et si j’avais conformé ma vie à
cette idée, cela n’aurait pas été la vérité, cela aurait
été une chose morte, un accomplissement transformé en
cendre. »
J ’ose, dire qu’avec ce texte caractéristique, nous
sommes au cœur même de la pensée krishnamurtienne.
Nous tenons le fil doré qui relie toutes ses m anifesta­
tions successives et en assure la continuité. La pensée
de Krishnamurti est une pensée essentiellement pra­
tique, visant directem ent à la transform ation des êtres.
Si elle s’aventure à paraître métaphysique, c’est pure
condescendance à l’égard de l’auditoire.
Krishnamurti considère comme vaines les con­
structions philosophiques qui s’efforcent d ’atteindre la
réalité; les échafaudages intellectuels qui am bitionnent
de s’élever jusqu’au sommet des choses. La vérité ne
peut être, pour lui, qu’une découverte vivante, et non
la solution en mots d ’une énigme spéculative. 11 refuse
à nos esprits limités la capacité de se former une notion
adéquate du réel. De son point de vue, nous n’avons
pas à édifier des représentations illusoires de ce qui est,
mais à devenir conscients de ce que nous sommes en
pensée et en acte. C’est cette pleine conscience, à la­
quelle doivent participer à la fois, conjointement, nos
pensées et nos émotions, qui est libératrice, qui nous
ouvre effectivem ent les portes de l’inconnu.
Q uand nous avons conscience pleinem ent et sim­
58
plem ent de ce qui est, nous dit Krishnam urti, ce qui est
se trouve suprêm em ent transform é.
En affirm ant de la sorte que la prise de conscience
transform e ce qu’elle saisit, Krishnam urti s’accorde
av ec M. Pierre Janet et, sauf erreur, avec Hegel.

59
Le problème de le souffrance.
En définitive, ce qui nous sépare de la libération,
c’est, je l'ai dit, le refus de faire face honnêtement à ce
que nous sommes. Et il n’est d ’autre remède à la dou­
leur que cet affrontement auquel, d’ailleurs, elle nous
convie, sans que nous comprenions son langage. Quand
nous souffrons, nous cherchons à notre souffrance de
prétendus remèdes. Pour Krishnamurti, ces remèdes
ne sont que stériles échappatoires, constructions idéales
dans la contemplation ou la poursuite desquelles nous
oublions momentanément notre souffrance, mais sans
parvenir jamais à en déraciner les causes profondes et
permanentes. C’est en ne détournant pas les yeux de la
souffrance, en nous ouvrant à elle totalement, que nous
pouvons amener sa dissolution authentique et sponta­
née, sa destruction sans séquelles.
En d ’autres termes, le chemin de notre affranchis­
sement de la douleur passe à travers cette douleur
même. « La souffrance, nous dit Krishnamurti n’est
pas autre chose que cette haute et intense clarté de la
pensée et de l’émotion qui vous force à reconnaître les
choses telles qu’elles sont ».
Cette expérience de l’affranchissement spontané
60
d e la douleur, de sa transform ation soudaine en extase,
n’a-t-elle pas été celle mêm e de Krishnam urti après la
m ort de son frère? C ’est elle qui ne cesse d ’illum iner
en profondeur tout son enseignem ent et de lui inspirer
des lignes aussi adm irables que celles que je vais citer :
« De m êm e que vous ne désirez pas changer une
form e ravissante, la lum ière d ’un coucher de soleil, la
vision d ’un arbre dans un cham p, ainsi ne m ettez pas
obstacle au m ouvem ent de la douleur. Laissez-là m ûrir,
car, dans son propre processus d ’épanouissem ent est la
com préhension. Lorsque vous êtes conscient de la bles­
sure de la douleur, sans acceptation, résignation ou
dénégation, sans l’inviter artificiellem ent, alors la souf­
france éveille la flam m e de l’intelligence créatrice. »
C ette libération spontanée paï1 la douleur fait
invinciblem ent penser à la libération psychanalytique
et il serait intéressant ici d ’établir une com paraison.
M ais je ne puis m ’attarder sur ce point.

61
Krishnamurti et le problème social.
Je voudrais achever par quelques considérations
sur l’aspect social de l’enseignement de Krishnamurti,
aspect que l’on a déjà pu pressentir, à travers tout ce
que j’ai dit.
Le problèm e individuel, nous dit Krishnamurti, est
le problèm e du monde. C’est parce que nous sommes
individuellem ent aveugles, cruels et cupides que le
m onde est désordonné, barbare et sanglant. Cette
intime corruption de l’homme, qui pourrit toute légis­
lation, ne peut être éliminée par aucune, quelqu’ingé-
nieuse qu’on l’imagine.
Entièrement conséquent avec lui-même, Krishna­
murti condam ne la mentalité possessive non seulement
chez l’individu, mais encore dans toutes ses formes
sociales si séduisantes soient-elles. C’est dire qu’il dé­
nonce, sans aucun ménagement, l’égoïste esprit familial,
le nationalisme, le racisme l’exploitation économique.
« Le terme « nation », disait-il récemment, est
séparatif, exclusif; il est cause de discordes et de
guerres. Il n’y a pas de nation qui aime la paix. Elles
sont toutes agressives, dominatrices, tyranniques. Tant
qu'une nation demeure une entité à part, séparée des
62
autres, orgueilleuse de son isolement, de son patrio­
tisme, de sa race elle entretient des misères sans nom
pour elle-même et pour les autres. V ous ne pouvez pas
avoir la paix et, à la fois, être exclusif. Vous ne pouvez
pas avoir des frontières économiques et sociales, natio­
nales et raciales, sans attirer l’inimitié et la jalousie, la
peur et la méfiance. Vous ne pouvez pas, sans inviter
à la violence, posséder beaucoup pendant que les autres
m eurent de faim. Nous ne som m es pas séparés, nous
sommes des êtres hum ains qui com m uniquent entre eux.
V otre souffrance est la souffrance d’autrui, en tuant un
autre, c’est vous que vous détruisez; en haïssant autrui,
vous souffrez, car vous êtes l’autre. La bonne volonté
et la fraternité ne s’obtiennent pas au m oyen de fron­
tières et de nationalités séparées, exclusives; celles-ci
doivent être écartées si l’on veut donner la paix et
l’espoir aux hommes.
» Et, d ’ailleurs, pourquoi vous identifiez-vous à
une nation, à un groupe ou à une idéologie, quels qu’ils
soient ? N’est-ce pas pour protéger votre petit moi, pour
nourrir vos vanités mesquines et périssables, pour sou­
tenir votre propre gloire ? Quel orgueil peut-on tirer
de ce moi créateur de guerre et de misère, de conflits
et de confusion? La nation est la glorification du moi,
elle nourrit la discorde et la souffrance. »

63
Conclusions.
En manière de conclusion, je voudrais dire ceci :
Il est possible de discuter indéfiniment sur le ni­
veau de réalisation spirituelle atteint par un Krishna­
murti. Je me sens totalem ent inapte à entrer dans un
tel débat. Mais je pense que ceux qui m’auront suivi
jusqu’au bout, sans se laisser dém onter par le langage
déconcertant ou parfois désagréable de Krishnamurti,
pourront reconnaître que son enseignement est l’un des
plus simples, des plus pénétrants et des plus grandioses
que le monde ait connus.
En vérité, Krishnamurti, c’est la vie même, dans
sa nudité vertigineuse; c’est le gouffre où s’ém iettent
et s’évaporent nos fragiles notions, « ces faibles repères
que nous avons tracés à la surface des choses », dont
parle un héros de Sartre.
Et, en même temps, Krishnamurti, c’est un miracle
de naturel, l’homme le plus humain qui soit. Il a dé­
pouillé jusqu’à la dernière fibre de ce m anteau des
âges qui revêt chaque naissance de la folie sanglante
du passé. Cet Hindou, en lequel il me plaît de saluer
«64
l’un des plus hauts représentants de sa race, a perdu
jusqu’à l’orgueil de lui appartenir.
Il apporte avec lui, selon ses propres term es, la
plus gigantesque révolution de tous les tem ps : la révo­
lution du réel. C ette révolution est aussi celle de
l’am our. D ’un am our qui est à lui-même sa propre
éternité et sans lequel, nous dit Krishnam urti, il n’y a
pas d ’espoir pour le monde.
Si m eurtrissant que puisse être, pour nos pensées
étroites et nos sentim ents exclusifs, ce singulier pro­
phète, j’ai de bonnes raisons de penser qu il ne cesse
pas de dissimuler, sous la rudesse de son langage, une
infinie sollicitude, une ém ouvante tendresse. On en
trouvera le tém oignage dans ce poèm e adm irable, par
lequel j’achèverai cet exposé :
« Viens avec moi t’asseoir près de la mer, ouvre ton
[cœ ur, sois libre,
Je te parlerai d ’une paix intime.
Comme celle des profondeurs calmes.
D ’une liberté intime,
Comme celle de l’espace.
D ’un bonheur intime,
Comme celui des vagues qui dansent.
Vois, la lune trace un chem in de silence sur la m er sombre,
A insi,devant m oi,l’intelligence ouvre un sentier lumineux.
La douleur gémissante se caches sous la m oquerie d'un
Le poids d ’un am our périssable alourdit le cœur, [ sourire,
La raison est déçue et la pensée s’altère.
65
Ah ! viens t’asseoir près de moi,
Ouvre ton cœur, sois libre.
Comme la lumière que la course immuable du soleil
L’intelligence en toi viendra. [ram ène.
Les lourdes terreurs d ’une attente angoissée,
S’en iront de toi, comme les vagues reculent sous l’as-
[saut des vents.
Viens t’asseoir près de moi,
Tu sauras quelle intelligence donne un amour vrai.
Comme le vent chasse les nuées aveugles.
La pensée claire chassera tes préjugés stupides
La lune est amoureuse du soleil
Et le rire des étoiles remplit l’espace.
Oui, viens t’asseoir près de moi,
Ouvre ton cœur, sois libre.

66
A P P E ND I CE .

Je me suis perm is de relever, entre certains aspects


de l’enseignem ent de Krishnam urti et les vues de
quelques penseurs, pour la plupart contem porains, des
similitudes parfois rem arquables. Je ne voudrais pas
que l’on se m éprît sur la signification de ces rappro­
chements.
Je me suis assez souvent entretenu avec ceux que,
dans l’entourage de Krishnamurti, on appelle, un peu
péjorativem ent, des « intellectuels » (et qui restent des
hommes, après tout) pour savoir à quel point ils sont, en
général, im perm éables à ce qui, chez Krishnamurti, dé­
borde leurs conceptions, m alheureusem ent spécialisées.
Ceux mêmes qui exprim ent adm irablem ent telles consé­
quences particulières du point de vue central qui est
celui de Krishnamurti, s’avèrent absolum ent incapables
de saisir ce point de vue central qui, pourtant, à leur
insu, est la lumière invisible à quoi s’alim ente ce qu’il
y a de valable dans leurs réflexions. A certains
m om ents, cette cécité m ’a paru si désespérante et si
cruelle que j’en aurais presque pleuré.
67
J ’ajouterai que, même chez des auteurs qui,
comme Lavelle, sem blent exprimer, en langage philo­
sophique ou métaphysique, non pas seulement un
aspect particulier mais la totalité même de l’enseigne­
m ent krishnamurtien, l’ensemble des propositions aux­
quelles ils parviennent est presque totalem ent dépourvu
de la vertu libératrice, de la vertu d ’auto-révélation
qui se trouve incluse dans les propos directs et incisifs
d ’un Krishnamurti. Leurs exposés, si adm irables soient-
ils, ne sont pas de nature, d ’autre part, à troubler
sérieusement le repos de ceux qui, consciemment ou
non (il faut toujours faire la part de la bonne foi),
travaillent dans le monde, subtilement ou manifeste­
ment, à la destruction de l'hum ain.
Enfin, non seulement je ne saurais prétendre que
c’est par l’étude des penseurs modernes que l’on peut
com prendre la pensée de Krishnamurti, mais encore je
serais tenté d’affirmer l’inverse, à savoir que c’est en
partant des indications données par Krishnamurti que
l’on peut découvrir le sens humain ultime des construc­
tions philosophiques m odernes ou anciennes, sens qui
a échappé aux auteurs mêmes de ces constructions.
La conscience, très vive, que j’ai de tout cela,
n ’a pu et ne saurait, à l’avenir, m ’empêcher de signaler,
à l’occasion, un certain nom bre de rapprochem ents
évidents, et pas seulement pour le plaisir ou la vanité
intellectuelle de les signaler.
Laberthonnière me disait un jour que le Christia­
nisme serait sans valeur humaine si, tout en restant
68
transcendant, en quelque manière, aux possibilités de
l’hom m e de ce temps, il n’apparaissait pas néanm oins
à cet hom m e m ême comme 1© term e concret vers
lequel tendent ses vœux propres et naturels. De m anière
analogue, je dirai que Krishnam urti ne serait pas l’em ­
blèm e de l’accomplissem ent hum ain si son enseigne­
m ent n’apparaissait com me le point de convergence
positif de ces aspirations, dispersées et lacunaires, qui
sont au principe des recherches spécialisées de nos
philosophes et de nos penseurs. Plus brièvem ent, je
dirai que Krishnam urti ne serait pas Krishnamurti si,
i tout en n’étant com parable à rien, il n’apparaissait pas
com m e l’aboutissem ent de tout.
En d ’autres termes, on doit com prendre que des
sim ilitudes existent, mais qu’elles ont ce caractère par­
ticulier d ’être à sens unique. Tout se retrouve en Krish­
nam urti, toutes les étincelles valables qui aient jam ais
illuminés les esprits des chercheurs, et cependant, ce
que lui-même dit ne saurait être retrouvé intégralem ent
dans les œ uvres d’aucun des penseurs m odernes. On
dem andera : « Mais ne s’y trouve-t-il pas partielle­
m ent ? » Je répondrai que l’enseignement de Krishna­
m urti n ’est pas une thèse intellectuelle. Il a, si je puis
dire, la structure d’un organisme vivant. En consé­
quence, un tel enseignem ent ne peut qu’être totale­
m ent ou n’être pas. J ’ajouterai que chez nos penseurs,,
la synthèse a un caractère conjectural. A partir de vues,
d ’intuitions partielles, ils essaient de se former, par
¡ associations logiques, plus ou m oins risquées, une notion
de la totalité. Chez Krishnam urti, au contraire, la syn-
69
thèse est directem ent, vitalement appréhendée (I). Elle
est primitive, et les vues partielles qu’il nous en donne
ne s’en déduisent qu’à titre second et dérivé.
Lors même qu'elles sont exactes, à- leur niveau
propre (comme est exacte, au sens géométrique, la
projection d’un projet réel), les conceptions de nos
penseurs ne sont, pour ainsi dire, que les déchets intel­
lectuels de cette appréhension immédiate de la réalité
que réalise à chaque instant, selon ses propres décla­
rations, Krishnamurti.
On me perm ettra d’illustrer ma pensée par une
com paraison empruntée à l’optique, plus précisément
à la stéréoscopie. La stéréoscopie est cette sorte de
miracle qui nous permet, à partir de deux images rigou­
reusement plates, mais différentes, d ’atteindre à la
perception d ’un relief saisissant. Or, il est indubitable
que l’image à trois dimensions, que nos regards, fina­
lement, découvrent, n ’utilise d ’autres éléments que ceux
contenus dans les images planes qui servent à la former
et dont chacune représente une vue de l’objet réel.
C’est en vain, pourtant, que l’on rechercherait sur ces
images, considérées en elles-mêmes, une dimension qui
ne leur appartient pas en propre et qui n’apparaît qu'au
(1) C’est p o u r q u o i J érô m e de W e lth e im a p u écrire
a d m ir a b le m e n t (d a n s le n° 27 d e « L a T o u r de F eu ») q u e
l ’e n s e ig n e m e n t d e K r ish n a m u r ti « c o n stitu e u n e m a tiè r e
n e u v e , p re m iè r e , a u p r è s d e q u o i to u te sc ie n c e , to u te
m o r a le , to u te r e lig io n a c tu e lle fo n t fig u r e de r o u tin e
h o m é e , de r é c u p é r a tio n b e s o g n e u se ».

70
prix de leur synthèse visuelle. En assimilant la « pen­
sée » de Krishnam urti à la vision stéréoscopique finale
(ou, mieux encore, à la vision directe de l’objet réel)
et celle de nos penseurs aux images planes, on saisira
peut-être mieux m on sentim ent véritable, et en quoi
la vision intellectuelle des choses constitue une sorte
d ’abaissem ent de leur réalité, directem ent saisie.

71
Œuvres de Krislinamurti.
Ouvrages édités aux Editions Adyar,
4, square Rapp, Paris (7e) :
Bulletins de l’Etoile (1929, 1930, î 93 1, 1932).
Conférences : O m m en 1933.
Nouvelle Z élande 1934.
Italie-Norvège 1935.
New-York 1935.
Ojai 1936.
Om m en 1936.
O m m en 1937-38.
L ’Immortel Am i (Poèmes).
Le Chant de la V ie (Poèmes).
Expérience et Conduite.
La Source de Sagesse.
La Vie libérée.
De quelle autorité ?
Le Service dans l’Education.
Le Sentier.
P réparation individuelle.
Le Royaum e du Bonheur.
A ux Pieds du Maître.
ik
72
Ouvrages de J. Krishnamurti,
publiés par d ’autres éditeurs :
Causeries d ’Ojai 1944 : Editions J. V igneau, Paris.
K rishnam urti parle : Causeries 1945-46. Editions du.
M ont Blanc.

Ouvrages de J. Krishnamurti,
publiés par le « Cercle du Livre », 66, boulevard
Raspail, Paris (6e) :
Causeries de M adras-Benarès 1947-49.
Causeries d ’O jai 1949.
Causeries de Paris 1950 à la Sorbonne, à l’Institut
Pasteur et à la Salle de la M utualité.

Ouvrages sur J. Krishnamurti :
K rishnam urti et l’U nité H um aine, par Carlo Suarèsv
(Editions « Cercle du Livre »).
Carlo Suarès : L ’H om m e et le Moi.
René Fouéré : Krishnam urti, l’hom m e et sa pensée.
(Editions « Etre Libre », 20, rue Père D edeken,
Bruxelles).
René Fouéré : Disciplines, Ritualism es et Spiritualité.
(Editions « E tre Libre », 20, rue Père D edeken,
Bruxelles).
73
René Fouéré : La Pensée de Krishnamurti. (« Cercle du
Livre », Paris. Editions «-Etre Libre », Bruxelles).
Ram Linssen : Etudes Psychologiques de C. G. Jung à
Krishnamurti. (Editions « Etre Libre », Bruxelles.
« Cercle du Livre », Paris).
Ram Linssen : Krishnamurti et la Pensée Occidentale
(développem ent de conférences données à l’Uni­
versité de Genève, à Lyon et Casablanca). (Edi­
tions « Etre Libie », Bruxelles. « Cercle du Livre »,
Paris).
Ram Linssen s L’Avenir du Monde. (Editions « Etre
Libre », Bruxelles).
Ludovic Réhault : Krishnamurti, Instructeur du Monde.
Ludovic Réhault : Krishnamurti et le Problème social.
Ludovic Réhault : Krishnamurti et la Révolution.
Ludovic Réhault : Krishnamurti et l’Individualisme.
Pierre d’Angkor : Krishnamurti et l’Irréligion de
l’Avenir.
M. Degives : Krishnamurti.
Dr. J. J. Poortman : Krishnamurti en de W ijsbegeerte.
(La Haye, Hollande).

74
Revues, Périodiques traitant de Krishnamurti :
« Spiritualité », 20, rue Père Dedeken, Bruxelles.
(« Cercle du Livre », Paris). Entièrem ent consa­
crée à l’étude de Krishnamurti, articles de Ram
Linssen et René Fouéré.
« Le Signe de l’Homme » : Directeur M. J. A. Bourrel,
Les H auts Raymonds, Dieulefit (Drôme).
« Cartas de Noticias » : Institut Culturel Krishnamurti,
1 I 7, avenida Rio Branco, Rio de Janeiro, Brésil.
*
« La Tour de Feu ».
La revue de poésie et littérature « La Tour de
Feu », publie un numéro spécial consacré à Krish­
nam urti, com prenant des articles de :
Jean Herbert.
René Fouéré.
Pierre d’Angkor.
Carlo Suarès.
Ram Linssen.
P. Sartre.
M arthe Boissier.
G . Delfin.
M arguerite Bangerter.
Rom Landau.
Etc., etc.

75
Table des matières.
Page
I n tr o d u c tio n ........................................................ 7
Krishnamurti et les autorités spirituelles . 9
Krishnamurti et les ritualismes . . . . 32
Krishnamurti et l'amour véritable . 36
Le problème des opposés............................... 40
La conscience de soi et la peur . . . . 44
Le problème de l’e ffo rt............................... 52
Krishnamurti et la philosophie . . . . . 56
Le problème de la souffrance . 60
Krishnamurti et le problème social 62
C onclusions........................................................ 64
A p p e n d ic e .............................................................. 67
Achevé d’imprimer le trente novembre
mil neuf cent cinquante et un, sur
les presses de Tlmprimerie Belgica
(J. Vantrier)rue Thiéfry, 57, Bruxelles.

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