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Dufour
Les Tontons flingueurs
décryptés
Les références et le langage des Tontons
ABD éditions
Les Tontons flingueurs décryptés de Bertrand Dufour
ABD éditions
abdeditions@gmail.com
http://abd-editions.wix.com/abdeditions
https://www.facebook.com/ABD-éditions-536628819836347/
https://twitter.com/abdeditions
ISBN
979-10-95247-10-4
Chez le même éditeur
Sciences et techniques
Comprendre les moteurs d'avions , Romain Arcis, ABD éditions, Juillet 2015
Humour
Brèves de boulot , Adrien Simon, ABD éditions, Septembre 2015
Communication
Le guide du tutorat en entreprise , Bertrand Dufour, ABD éditions, Septembre
2015
Théâtre
Le Procès de Julien Sureau , Jean-Jacques Dufour, ABD éditions, Octobre 2015
Meg , Jean-Jacques Dufour, ABD éditions, Novembre 2015
Monsieur Joseph , Jean-Jacques Dufour, ABD éditions, Février 2016
Du même auteur
Le guide du tutorat en entreprise , ABD éditions, Septembre 2015
Les Tontons flingueurs
décryptés
Les références et le langage des Tontons
Bertrand Dufour
Mars 2016
Vous ne ferez rire personne avec un truc pareil.
(La production, avant le tournage des Tontons flingueurs )
Avant propos
Les Tontons flingueurs restent un OVNI du cinéma français. Un mystère. Film
culte pour des générations de français, il fut pourtant tourné avec un budget
serré, faisant face au scepticisme des producteurs, au désistement de sa vedette
pressentie, Jean Gabin, et à un accueil très mitigé de la presse. Le succès n'est
d'ailleurs pas totalement au rendez-vous lors de sa sortie sur les écrans. La magie
du temps le fera pourtant passer à la postérité et rentrer dans la légende du
cinéma. Mais on s'interroge: pourquoi le film fonctionne si bien ? On résume
souvent Les Tontons flingueurs à une comédie burlesque et simpliste d'une bande
de potaches tournée par Georges Lautner et assaisonnée des bons mots d'argot de
Michel Audiard. Mais en y regardant de près, l'argot n'y est pourtant pas si
fréquent, et en décortiquant la réalisation, le jeu d'acteur se révèle extrêmement
précis.
Bien plus complexe et élaboré qu'il n'y parait, le film tient en réalité beaucoup
par la grande force de ses dialogues millimétrés. A la manœuvre, Michel
Audiard, un autodidacte de la rue au savoir encyclopédique et à la culture
littéraire digne d'un agrégé de lettres. Pour construire ses dialogues, il s'appuie
constamment sur des références artistiques, musicales, philosophiques,
littéraires, historiques, tout en faisant des clins d’œil à l'actualité. Loin des seuls
« bourre pifs » et autres formules mémorables, Audiard peut aussi bien faire
référence à l'horloger d'un roi, aux théories de Freud, à un écrivain polonais
rescapé des camps de la mort, au conflit séculaire entre Corneille et Racine, au
concile Vatican 2, à la succession de Charlemagne, ou encore au général de
Gaulle !
Mais l'écriture de Michel Audiard, c'est aussi une langue à part entière. Elle
emprunte à tous les lexiques, à toutes les professions, mélange tous les registres
de langue, remanie la syntaxe, invente des expressions, fait usage de métaphores
improbables qu'il utilise de façon incongrue...
Cet ouvrage propose donc de revenir au texte d'Audiard, de décortiquer les
dialogues du film, d'en analyser son vocabulaire, son registre de langue, sa
syntaxe, mais aussi ses nombreuses références culturelles et historiques. Une
invitation à redécouvrir le film sous un jour nouveau, en se replongeant dans les
citations les plus savoureuses mais aussi les plus méconnues, en revisitant notre
Histoire, tout en s'imprégnant du parfum d'une époque.
Mais de quoi sera-t-il question exactement ? D'argot, de cours de français
revisités, voire dynamités, de cours d'Histoire revus et corrigés, de Napoléon et
la Berezina, de l'occupation allemande, de la guerre d'Indochine et d'Algérie, des
meubles de style Louis XV et Louis XVI, du rapport de Michel Audiard avec la
gauche, la droite, la nouvelle vague ou le général de Gaulle, de la porcelaine de
Paris, de l'œuvre de Plutarque, du Lido, de la carrière sportive de Lino Ventura,
de l'église de Saint Germain de Charonne, de la Légion, du marché de
l'automobile dans les années 1950 et 1960, des bons mots d'Alphonse Allais, de
l'arsenal des Tontons, des théories freudiennes sur les rêves en couleur (ou non),
de l'influence d'Orson Welles sur le film, du lien entre Jacques Lacan et Alfred
Hitchcock, de la querelle des Anciens et les Modernes, de l'alambic du père Jo,
de la recette du « bizarre », de sandwichs à la purée d'anchois, d'un théoricien du
taôisme au IVème siècle avant Jésus Christ...
Pour aborder tout cela, nous allons d'abord revenir à la genèse du film, pour en
comprendre la paternité et l'origine. Puis, nous examinerons les ressorts des
dialogues écrits par Michel Audiard. Par quels moyens le dialoguiste a-t-il rendu
les répliques de ce film irrésistibles et inoubliables pour l'éternité ? Ensuite, nous
allons revenir plus en détail sur l'origine et l'étymologie du vocabulaire utilisé et
des expressions les plus insolites du film. Nous nous replongerons également
dans l'Histoire de France, puisque les références nous y invitent constamment.
Mais, Les Tontons flingueurs , c'est aussi le reflet d'une époque, le début des
années 1960, une période en plein bouleversement où cohabitent le monde
ancien, celui des Tontons, et le monde moderne, celui de Patricia et d'Antoine.
Nous examinerons également la question de l'argent, dont il est souvent question
dans le film, ainsi que les méthodes de management et de leadership appliquées
aux Tontons. Sans oublier un petit détour par les différents « lieux » qui
incarnent Les Tontons flingueurs , ainsi qu'une réflexion sur les valeurs véhiculées
par le film, pour terminer par quelques anecdotes sur les acteurs, un sondage sur
le rapport particulier des français avec Les Tontons, mais aussi un point sur sa
carrière internationale.
Sommaire
Aux origines des Tontons
Albert Simonin, l'argot et Max le menteur
Georges Lautner et les Monocles
Michel Audiard, le dialoguiste de Jean Gabin
Le secret des dialogues
Un peu d’argot
L'utilisation du parler populaire...
... et du langage soutenu
Des formules déjà bien rodées
Parler anglais comme une vache espagnole
Une opposition de registre linguistique
Des répétitions pour donner du rythme
La syntaxe remaniée
Ridiculiser les personnages
Inadéquation du ton et des termes
Des inventions sorties de nulle part
Des personnages aux noms atypiques
L’art de la métaphore
Des expressions inappropriées
Savoir relativiser et minimiser
Jouer sur la dualité du langage
Des situations qui nous parlent
Soulager nos instincts les plus bas
Avoir de la répartie
Des emprunts à tous les univers
Cours d’argot et de parler populaire
Les expressions
Cours d'Histoire
L'Antiquité
Le Moyen Âge
L'Ancien régime
La Révolution française
Le Premier Empire
La Monarchie de Juillet
La Colonisation
La Première Guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale
L'Après guerre
La Cinquième République
La Guerre d'Algérie
La Guerre froide
La culture des Tontons
Arts et littérature
L'homosexualité
La peine de mort
La prostitution
La télévision
L’automobile
Les armes
L'économie
La politique
L'éducation
Le cinéma
Les spécialités culinaires
Les boissons
Les jeux
L'argent
Cours de leadership et de management
Soigner sa prise de fonction
Bien connaitre ses équipes
S’entourer d’une garde rapprochée
Travailler sa communication
Soigner son image
Se rendre disponible
Manier la politesse
Manifester son empathie
Monter au front
Savoir déléguer
Motiver ses équipes
Bien conduire une réunion
Avoir une vision
Négocier les objectifs
Surveiller le planning
Surveiller le budget
Surveiller le périmètre d’activité
Savoir accepter la critique
Prendre une décision
Savoir sanctionner
Entretenir ses réseaux
Gérer le recrutement et les carrières
Les lieux
L'Eglise Saint-Germain de Charonne
Le bowling de la Matène
Villa Seurat
Les studios Eclair
Le feu rouge d'Epinay
La villa du mexicain
La clinique Dugoineau
Le « clapier » de Tomate
Le Château de Vigny
Le cimetière de Pantin
Les Champs-Elysées
Rue Godot
Montauban
Les contradictions des Tontons
Un problème dans la chronologie
Quelques erreurs
Les valeurs des Tontons
L’autorité
L’amitié
Machisme et condition féminine
La virilité
La violence
L’honneur
L’argent
Des hommes d'action
La nostalgie
L'anti-modernité
Conservatisme social
La tradition
La religion
La famille
Anecdotes sur les acteurs
Lino Ventura (alias Fernand Naudin)
Francis Blanche (alias Maitre Folace)
Bernard Blier (alias Raoul Volfoni)
Jean Lefebvre (alias Paul Volfoni)
Robert Dalban (alias Jean)
Jacques Dumesnil (alias Louis le mexicain)
Horst Frank (alias Théo)
Sabine Sinjen (alias Patricia)
Venantino Venantini (alias Pascal)
Claude Rich (alias Antoine Delafoy)
Pierre Bertin (alias Adolphe Amédée Delafoy)
Mac Ronay (alias Bastien)
Paul Mercey (alias Henri)
Dominique Davray (alias madame Mado)
Charles Regnier (alias Tomate)
Henri Cogan (alias Freddy)
Les Tontons et nous
La carrière internationale des Tontons
Remerciements
Bibliographie
Crédits photos
Aux origines des Tontons
Les Tontons flingueurs , c’est d’abord la rencontre de trois hommes, de trois
parcours singuliers qui vont se retrouver entre 1962 et 1963 pour écrire le
scénario, élaborer les dialogues et réaliser le film. Ces trois hommes sont Albert
Simonin, un romancier de série noire, Michel Audiard, déjà dialoguiste de
référence, et Georges Lautner, un cinéaste déjà reconnu mais qui n'est encore
qu'à l'aube de sa carrière.
Albert Simonin, l'argot et Max le menteur
Albert Simonin est né en 1905 à Paris dans le 18ème arrondissement. Très jeune,
il exerce différents métiers, notamment électricien ou chauffeur de taxi, avant
d'entamer une carrière de journaliste à L'Intransigeant . Après la défaite de 1940,
il écrit pour le journal pétainiste La France au travail , sous la direction d'Henri
Coston. S'ensuit une période au « Centre d'action et de documentation ». Cette
officine de la collaboration, financée par les allemands, se charge de diffuser la
propagande antisémite et antimaçonnique, très à la mode en ce temps là.
Simonin y retrouve d'ailleurs Henri Coston et rédige avec lui une brochure de
propagande, Le bourrage de crâne . Condamné à 5 ans de prison après la
libération, il n'est libéré qu'en 1950 à la suite d'une amnistie.
Après cette période de détention, Albert Simonin publie une série de romans
policiers inspirés de ses multiples expériences de la rue. Il fait notamment
paraître une trilogie des aventures de « Max-le-Menteur », un truand certes
vieillissant mais pas au point de raccrocher les gants. Touchez pas au Grisbi ,
publié en 1953, en constitue le premier volet, suivi en 1954 par Le Cave se rebiffe
, et enfin en 1955 par Grisbi or not grisbi .
Publiée dans la collection Série noire, la trilogie rencontre aussi un grand succès
lors de ses adaptations au cinéma. Dès 1954, le réalisateur Jacques Becker tourne
Touchez pas au grisbi , avec Jean Gabin dans le rôle de « Max-le-menteur ». Un
acteur débutant lui donne la réplique, un certain... Lino Ventura. En 1961, c'est
un autre cinéaste de premier plan, Gilles Grangier, qui adapte et réalise Le Cave
se rebiffe , le deuxième volet de la trilogie. Le personnage de Max-le-Menteur a
entre temps disparu de l'adaptation, mais c'est de nouveau Jean Gabin qui officie
dans le rôle principal, celui du « Dabe », un gangster retiré des « affaires », et
qui revient dans le circuit pour un dernier coup. Pour lui donner la réplique, un
de ses amis et par ailleurs un second rôle confirmé, un certain... Bernard Blier.
Pour les dialogues du film, un personnage qui commence à faire beaucoup parler
de lui : Michel Audiard. Quant au dernier opus de la trilogie « Max », Grisbi or
not Grisbi , il sera adapté avec beaucoup de liberté par rapport au roman sous un
titre provisoire, Le terminus des prétentieux . Son titre définitif sera... Les Tontons
flingueurs !
C'est donc un roman d'Albert Simonin qui constitue l'origine lointaine des
Tontons flingueurs . Le scénario sera d'ailleurs écrit conjointement par l'auteur de
la trilogie du « Grisbi » et par le dialoguiste vedette du Cave se rebiffe , Michel
Audiard. Quelques éléments du roman y sont conservés : sur son lit de mort, «
Fernand-le mexicain » (Louis le mexicain dans le film), demande à son ami
d'enfance Max-le-menteur (Fernand Naudin dans le film) de protéger les revenus
de sa femme (de sa fille Patricia dans le film) contre les « malfaisants ». Max-le-
menteur a notamment maille à partir avec les frères Volfoni, deux truands certes
un peu ridicules (Robert Volfoni porte des charentaises presque en permanence),
mais méchants et meurtriers (dans le film, les frères Volfoni ne sont ni méchants
ni meurtriers, ils sont juste ridicules). Comme dans les deux précédents volets de
la trilogie de Simonin, Max est secondé par son ami fidèle, le « Gros Pierrot »
(ce personnage n'a pas d'équivalent dans le film, ni dans Le Cave se rebiffe .
Fernand Naudin est toutefois secondé par Maitre Folace et Pascal, deux
nouveaux personnages). Une lutte s'engage alors entre les deux clans, Max et le
« Gros Pierrot » d'un côté, les Volfoni de l'autre (comme dans le film, sauf qu'il y
aura aussi le rôle important de Théo et sa bande qui sont absents du polar de
Simonin). Dans le roman, le terrain de cette lutte sans merci est celui du milieu
hippique et des courses de chevaux, ce qui n'est pas le cas dans le film (la
bataille se déroule sur une péniche, dans une distillerie, sur la route de
Fontainebleau, dans le parc de la villa du mexicain...). Dans Grisbi or not Grisbi ,
le personnage de « Florence » tient également un rôle de premier plan dans
l'histoire. Max-le-menteur va en effet tomber amoureux de cette prostituée de
luxe, qui joue aussi les rabatteuses pour des casinos clandestins. Cette femme de
caractère est la seule à tenir tête à Max, le chef de clan. Dans le film, le
personnage de « Florence » a disparu, et il n'y a aucun rôle féminin de premier
plan pour la remplacer. Il n'est d'ailleurs à aucun moment question de la vie
privée ou intime de Fernand Naudin.
Albert Simonin s'est ainsi spécialisé dans les histoires de gangsters à la française.
L'auteur dépeint dans ses romans l'univers des « Affranchis », qui tourne
toujours autour de trois activités : le jeu dans les casinos ou les tripots
clandestins (principalement la roulette et le poker), la prostitution dans des
maisons closes clandestines (les « clandés »), et enfin la production d'alcools
forts de contrefaçon (pastis, whisky, eau de vie... le tout souvent frelaté). Dans le
film, nous constatons effectivement que ce sont bien là les trois branches de
l'organisation du mexicain (Madame Mado tient une maison close, les Volfoni et
Tomate les casinos clandestins et Théo la distillerie). Dès lors, les « Affranchis »
n'ont de cesse de s'entretuer pour protéger leurs chiffres d'affaires ou pour
étendre leurs parts de marché. A cet univers des affranchis, Simonin oppose celui
des « caves », ces braves gens dont il dit lui-même : « lecteurs, venons nous
encanailler en lisant des romans qui mettent en scène des truands ».
Mais Albert Simonin n'est pas le seul à prospérer sur le créneau du polar à la
française. L'ancien collabo, repris de justice et condamné à mort, José Giovanni,
va connaitre le succès avec des romans noirs tels que Le Trou , publié en 1957, et
dont Jacques Becker tournera l'adaptation au cinéma en 1960. En 1958,
Giovanni publie également Le Deuxième Souffle dans la collection Série noire.
Livre qui sera porté sur les écrans en 1966 par Jean-Pierre Melville avec en
vedette le duo Lino Ventura et Paul Meurisse.
Autre personnage peu recommandable, Auguste Le Breton. Cet ancien
délinquant publie Razzia sur la Chnouf en 1954 qui sera adapté au cinéma par le
réalisateur Henri Decoin en 1955. Jean Gabin campant le rôle d'Henri Ferré,
alias « le Nantais », venu restructurer un réseau de drogue. C'est aussi à Auguste
Le Breton que l'on doit l'invention du mot « Rififi », tiré de son célèbre polar Du
Rififi chez les hommes , également publié à la collection Série noire. Quelques
années plus tard, en 1967, il publie Le clan des siciliens qui servira de scénario
pour le mythique film d'Henri Verneuil, réunissant à l'écran Jean Gabin, Lino
Ventura et Alain Delon.
Là où Albert Simonin révolutionne l'écriture du polar, c'est en transcrivant à
l'écrit le phrasé et le vocabulaire de la langue populaire, en truffant ses romans
de mots d'argot empruntés aux truands parisiens. Mais l'auteur ne se contente pas
de transcrire certains passages de ses romans dans la langue argotique des
affranchis. Non, c'est l'intégralité du livre qui est écrit en argot et dans le langage
faubourien.
Si l'auteur a donné une dimension nouvelle au polar en l'écrivant entièrement en
argot et dans la langue du peuple, il s'inscrit lui-même dans la lignée de quelques
précurseurs célèbres. Des suites de la guerre de 14-18 tout d'abord, qui a vu se
côtoyer dans les tranchées de la Somme et de Verdun le petit peuple et les
écrivains issus de la bourgeoisie. Roland Dorgelès dans Les Croix de Bois (1919)
ou Henri Barbusse avec Le Feu (1916) vont ainsi témoigner des horreurs de la
Grande Guerre en écrivant pour la première fois dans le langage du peuple, et en
lui donnant la parole.
Mais le grand dynamiteur de la syntaxe, celui qui va complètement transposer le
langage parlé et populaire dans la narration, c'est Louis Ferdinand Céline, auteur
en 1932 du révolutionnaire Voyage au bout de la nuit , puis en 1936 de Mort à
Crédit , et qui inspirera des auteurs comme Albert Simonin ou Michel Audiard.
Moins connu, le premier roman de Raymond Queneau, Le Chiendent , publié en
1933, introduit également l'écriture en parler populaire. Le style « Simonin » va
lui-même faire école et légitimer l'utilisation du langage de la rue en littérature,
comme le fera Frédéric Dard avec la série des San-Antonio , ou encore l'auteur de
Série noire, Jean Vautrin.
Après les Tontons, Albert Simonin travaillera essentiellement comme scénariste,
collaborant avec les plus grands réalisateurs : Marcel Carné, Henri Verneuil,
Gilles Grangier, Edouard Molinaro. Il reconstituera avec Georges Lautner et
Michel Audiard leur trio magique à deux reprises : fin 1963 pour Les Barbouzes ,
et en 1967 pour le Pacha .
Georges Lautner et les Monocles
Natif de Nice en 1926, Georges Lautner monta à Paris dans les années 1930 pour
y suivre sa mère, la comédienne Renée Saint-Cyr (de son vrai nom Marie-Louise
Vittore), qui s'illustra notamment en 1937 dans L'Opéra de quat'sous . Il débute sa
carrière au cinéma comme assistant réalisateur à partir de la fin des années 1940
( Le Trésor de Cantenac de Sacha Guitry, Les Chiffonniers d'Emmaüs de Robert
Darène ou encore Courte Tête de Norbert Carbonnaux). En 1958, Georges
Lautner réalise son premier film, La Môme aux boutons . Au même moment,
démarre le courant de la « Nouvelle Vague » : en 1958, Claude Chabrol tourne Le
beau Serge , suivi en 1959 par Les quatre cents coups de François Truffaut, et par
bout de souffle de Jean-Luc Godard en 1960.
Se démarquant nettement du cinéma de la « Nouvelle Vague », Georges Lautner
va mettre au point un genre nouveau à l'aube des années 1960 : le polar
burlesque. Il réalise ainsi en 1961 Le Monocle noir , une parodie des films
d'espionnage. Le film s'inspire pourtant du très sérieux roman du même nom
publié en 1960 par le Colonel Rémy, Compagnon de la Libération et ancien
agent secret. Ce grand résistant de la France Libre, en froid avec le général de
Gaulle sur la question du « résistantialisme » et sur le rôle du Maréchal Pétain
pendant la guerre, puise dans ses souvenirs de guerre pour écrire ses romans
d'espionnage.
Mais Georges Lautner va dynamiter le genre en rendant ce roman d'espionnage
comique et parodique, ce qu'il n'était pas du tout à l'origine. Dans le rôle
principal, l'acteur Paul Meurisse incarne un agent secret flegmatique et pince
sans rire, séducteur auprès des femmes, et à l'allure aristocratique et raffinée
jusque dans sa façon de tenir un revolver. Le polar burlesque façon Lautner est
né, mélangeant habilement les codes du film noir et de la comédie. L'écriture du
scénario impose un ton et un rythme particulier, avec un enchainement rapide
des séquences, beaucoup de gags et des dialogues teintés d'humour noir.
Le réalisateur et son acteur fétiche reconduisent avec succès le « Monocle » en
tournant L'œil du monocle en 1962, suivi par Le monocle rit jaune en 1964. Ces
parodies de films d'espionnage vont fortement inspirer d'autres films de Lautner
de cette période, particulièrement Les Barbouzes (sorti sur les écrans fin 1964)
mais aussi bien évidemment... Les Tontons flingueurs .
Lautner adopte par ailleurs une vision souple et dynamique de la réalisation et du
cadrage, s'inscrivant ici dans la lignée des réalisateurs de la Nouvelle Vague. Il
s'oppose en cela à la réalisation à l'ancienne et très statique de ses prédécesseurs,
Jacques Becker et Gilles Grangier, qui avaient porté à l'écran les deux premiers
volets de la trilogie du « Grisbi » avec Jean Gabin.
Si les Tontons restent assurément le plus grand succès populaire de sa
filmographie, Georges Lautner a cependant réalisé de nombreux films
mémorables, du début des années 1960 aux années 1980. Après la série des «
Monocles », les Tontons flingueurs et Les Barbouzes , le cinéaste réalise
notamment Des pissenlits par la racine (1963), Les Bons vivants (1965), Ne nous
fâchons pas (1966), Le Pacha (1968), Sur la route de Salina (1969), Laisse aller,
c'est une valse (1970), Flic ou voyou (1979), Le Guignolo (1980), Le Professionnel
(1981)... Aux côtés de la plupart de ces grands succès de Georges Lautner, le
grand dialoguiste du cinéma populaire, un certain... Michel Audiard.
Michel Audiard, le dialoguiste de Jean Gabin
Michel Audiard est né en 1920 dans le 14ème arrondissement de Paris. Titi
parisien des quartiers populaires, il arrête rapidement ses études après un CAP de
soudeur. Mais Audiard a une vraie passion pour la littérature qui le conduit à
dévorer les œuvres de Bossuet, Balzac, Proust, Céline, Rimbaud et beaucoup
d'autres. Parallèlement, il s'intéresse au cinéma et notamment aux dialoguistes
vedettes de l'époque, Jacques Prévert et Henri Jeanson. Ce passionné de vélo, qui
renonce toutefois à en faire sa carrière (« il ne monte pas les côtes »), traverse la
période de l'occupation sans prendre part à la guerre, rebuté à la fin de la guerre
par les règlements de comptes de l'épuration. Livreur de journaux après la
libération, il commence une carrière de journaliste à L'Etoile du soir , puis comme
critique pour Cinévie . Se rapprochant du milieu du cinéma, Michel Audiard
débute en 1949 comme scénariste et dialoguiste du film d'André Hunebelle,
Mission à Tanger . Les succès s'enchainent : Méfiez vous des Blondes, à nouveau
avec André Hunebelle, Le Passe-muraille de Jean Boyer, Les Trois Mousquetaires
encore avec André Hunebelle, Poisson d'Avril de Gilles Grangier ou encore Gas-
oil, à nouveau avec Grangier. C'est d'ailleurs sur ce dernier tournage, Gas-oil ,
qu'Audiard fait une rencontre déterminante : Gabin.
Jean Gabin, de retour au premier plan après le tournage de Touchez pas au grisbi
en 1954, et Michel Audiard, le scénariste et dialoguiste montant des années
1950, vont enchainer ensemble les succès à partir de la fin des années 1950 : Les
Grandes Familles de Denys de la Patellière en 1958, Archimède Le Clochard de
Gilles Grangier en 1959, Les Vieux de la vieille toujours avec Gilles Grangier en
1960, Le président d'Henri Verneuil en 1961, Le Baron de l'écluse de Jean
Delannoy en 1960, Le cave se rebiffe de Gilles Grangier en 1961, Le gentleman
d'Epsom également de Gilles Grangier en 1962, Un singe en hiver d'Henri
Verneuil encore en 1962 et Mélodie en sous sol du même Henri Verneuil en
1963... Une collaboration qui comptera en tout 17 films, parmi les plus grands
succès de l'époque.
Face aux jeunes réalisateurs, les Chabrol, Truffaut ou Godard, Michel Audiard
fait figure de repoussoir, de scénariste à l'ancienne. Ses thèmes de prédilection,
les champs de courses, le cyclisme, les maisons closes, le petit peuple parisien,
les combines de petits truands... en font une icone du cinéma populaire. «
Cinéma de papa » s'insurgent en cœur les cinéastes de la Nouvelle Vague et les
Cahiers du cinéma . Audiard réplique à sa manière, par un bon mot : « Nouvelle
Vague ? Plus vague que nouvelle ». Qu'importe les critiques, les films du
dialoguiste font un tabac. Sa recette ? Une solide culture littéraire et une
connaissance sans pareil du langage des faubourgs. Audiard fréquente
inlassablement les bistrots, les libraires, les trottoirs parisiens et les chauffeurs de
taxi. Il sait mieux que personne faire parler le petit peuple dans ses films.
La participation de Jean Gabin à l'adaptation du troisième volet de la trilogie de
Simonin, Grisbi or not grisbi , semble naturelle. Il avait déjà interprété le rôle
vedette dans les deux précédents opus de « Max-le-menteur », Touchez pas au
grisbi et Le cave se rebiffe . D'autant qu'après ce dernier succès, la paire Simonin-
Audiard est reconduite par Gaumont (le producteur du film) pour travailler sur le
scénario et les dialogues. La réalisation est confiée à un jeune réalisateur qui a
fait ses preuves : Georges Lautner.
Lautner, Simonin et Audiard ont d'ailleurs déjà travaillé ensemble quelques
années auparavant. C'était sur le tournage de Courte tête , un film sorti en 1956 et
réalisé par Norbert Carbonnaux. Au scénario, Albert Simonin, aux dialogues,
Michel Audiard. Déjà une fructueuse collaboration. Assistant réalisateur du film
: Georges Lautner. La future équipe des Tontons est là.
Mais Jean Gabin pose des difficultés pour participer au projet. Georges Lautner
souhaite en effet imposer sa propre équipe technique, avec laquelle il a l'habitude
de travailler (Maurice Fellous, Antoine Archimbaud, Claude Vital...). L'acteur
veut lui aussi travailler avec ses techniciens habituels. Dans un premier temps, la
production écarte le réalisateur au profit de son acteur vedette. Mais ce dernier
finit par jeter l'éponge définitivement, ce qui signe le retour de Lautner et de son
équipe technique dans le projet.
Que s'est-il réellement passé avec Gabin ? Officiellement, il prétexte un scénario
trop faible pour engager sa participation. Mais officieusement, les relations entre
l'acteur et son ami dialoguiste, Michel Audiard, se sont détériorées lors du
tournage de leur dernier film, Mélodie en sous sol . Jean Gabin estime qu'il a été
moins bien servi que son jeune partenaire, Alain Delon, qui aurait hérité des
meilleures répliques et des meilleures scènes du film. En froid, il ne souhaite
donc pas collaborer à nouveau avec Audiard. A la place, il rejoint l'équipe de
tournage du dernier opus d'une autre célèbre trilogie, celle du commissaire
Maigret. Gabin tient ainsi le rôle titre dans Maigret voit rouge , réalisé par Gilles
Grangier en 1963, en même temps que les Tontons. Il officiait déjà dans le rôle
du commissaire dans les deux précédents volets, Maigret tend un piège , réalisé en
1958 par Jean Delannoy, et Maigret et l'affaire du Saint-Fiacre , réalisé en 1959
par ce même réalisateur. Dans Maigret voit rouge , Gabin travaille avec Jacques
Robert, le scénariste et dialoguiste habituel de... Georges Lautner (il a
notamment écrit le scénario et les dialogues des « Monocles »). De son côté,
l'équipe du « gribi » doit trouver une solution de rechange, et c'est finalement
Lino Ventura, le rival de Jean Gabin dans le premier volet de la trilogie, Touchez
pas au grisbi , qui reprendra le rôle principal.
Michel Audiard et Jean Gabin finiront par se réconcilier et par travailler à
nouveau ensemble en 1967 sur le tournage du film Le Pacha . A la réalisation,
Georges Lautner, et pour le scénario, Albert Simonin. L'équipe complète qui
aurait dû officier pour Les Tontons flingueurs .
Un scénariste qui manie l'argot et écrit la trilogie Max-le-menteur en langage de
la rue, un réalisateur qui s'est rodé à la réalisation de films noirs burlesques avec
Paul Meurisse, et un dialoguiste qui distille ses expressions faubouriennes depuis
des années avec Jean Gabin. Voilà pour la genèse des Tontons.
Le secret des dialogues
L'efficacité des dialogues font incontestablement la force des Tontons flingueurs .
Si le film a autant marqué les esprits, beaucoup plus que la série des « Monocles
» du même Georges Lautner reposant pourtant sur le même genre
cinématographique et tournée à la même période, c’est parce que l’écriture des
dialogues a été confié à un Michel Audiard probablement au sommet de son art.
Car il y un style « Audiard », ce sens de la formule qui fait mouche, et qui repose
non pas tant sur l'usage de l'argot (plus occasionnel qu'on ne le pense), que sur
cette manière inimitable de triturer la langue française dans tous les sens pour en
chambouler la syntaxe et sans cesse la réinventer. La recette du dialoguiste, c'est
toujours un savant dosage entre la gouaille faubourienne (de son 14ème
arrondissement) et des références permanentes empruntées à la culture classique
(à laquelle était très attaché cet autodidacte de la rue qui connaissait tout et avait
tout lu, même les 12 tomes de A la recherche du temps perdu ).
Nous allons donc examiner plus en détail les différentes ficelles du professeur
Audiard pour construire les dialogues des Tontons, et en faire ce chef d'œuvre de
la culture populaire française.
Un peu d’argot
On pense généralement que le succès des Tontons flingueurs tient essentiellement
à l'argot qu'utiliserait constamment Michel Audiard pour nourrir ses dialogues.
C’est pourtant une erreur. Si le dialoguiste emprunte bien ici ou là quelques mots
ou expressions à la langue argotique, la langue des faubourgs parisien (celle des
truands et du petit peuple de Paris), ils ne sont pas si nombreux. Sans commune
mesure en tout cas avec les romans d'Albert Simonin, chefs d'œuvre d'argot,
mais qui ne sont pas transposables en l'état pour le cinéma et le grand public.
Michel Audiard s'est d'ailleurs toujours défendu d'écrire ses dialogues en argot,
langue qu'il jugeait lui-même incompréhensible, privilégiant plutôt l'utilisation
d'un langage mixte. L'argot lui servant à marquer une rupture dans une phrase
plutôt soutenue. Néanmoins, sa collaboration avec Albert Simonin, le pousse à
introduire certaines expressions argotiques qui font mouche. Dans la même veine
qu'Audiard, Simonin joue d'ailleurs lui aussi sur les différents registres de langue
dans ses romans, mélangeant l'argot, omniprésent, avec quelques formulations
précieuses. Audiard a également compris l'usage qu'il pouvait tirer de l'utilisation
de l'argot. Dans son écriture, ce langage de caïd permet souvent d'asseoir
l'autorité naturelle des chefs qui veulent en imposer, tout en maniant une forme
d'humour. L'avantage est double, celui de faire rire et de renforcer la crédibilité
des personnages.
Si les formules argotiques sont très loin de faire le style « Audiard », elles sont
néanmoins fréquentes dans le film, plus que ne veut bien l'affirmer en tout cas le
dialoguiste qui n'en utiliserait pratiquement pas selon ses dires. En voici donc
quelques-unes.
Louis le mexicain : « 60% de velours. »
[...]
Henri : « Y’a du suif chez Tomate… »
[...]
Pascal : « … flingue en pogne… »
[...]
Maitre Folace : « Touche pas au grisbi… »
[...]
Raoul Volfoni : « … un petit cave est venu me chercher… »
« Velours », « suif », « flingue », « pogne », « grisbi », « cave »… On peut
constater que l’argot s’utilise essentiellement pour parler d’argent (velours,
grisbi) ou de combines de voyous (suif, cave, flingue…).
Nous verrons dans le chapitre suivant l'étymologie et la signification exacte de
tous les mots ou expressions argotiques que nous avons trouvé dans la bouche
des Tontons.
Il est toutefois intéressant de noter que certains mots autrefois d'argot sont
aujourd'hui rentrés dans le langage familier, voire dans le langage courant. En
voici quelques-uns (que l'on retrouve ou non dans le film) : taule, être en rogne,
troquet, fastoche, fortiche, pote, se magner, c'est dans la poche...
L'utilisation du parler populaire...
Bien plus que la langue argotique, c'est le parler populaire que Michel Audiard
introduit dans les dialogues de ses films, et notamment dans les propos de la
plupart des Tontons. Il donne ainsi la parole au peuple des faubourgs, réutilisant
le langage et les expressions des bistrots, des artisans et des ouvriers qu'il côtoie
dans son quartier.
Louis le mexicain : « ... mais question de laisser ses os, y'a que la France... »
Le parler populaire se nourrit, comme l'argot, d'expressions souvent imagées. «
Laisser ses os » au lieu de « se faire enterrer » en est un exemple dans la bouche
du mexicain. Et au lieu de prononcer les phrases en entier, on les contracte : « y'a
que la France ». Le tout avec l'accent titi parisien.
Fernand Naudin : « ... Depuis plus de vingt piges que je te connais, je te l'ai vu
faire 100 fois ton guignol alors hein ? Et à propos de tout : de cigarettes, de
came, de nanas, ça toujours été ton truc à toi. Et une fois je t'ai même vu
chialer, alors tu vas pas me servir ça à moi non ? »
Cette fois-ci, c'est le Fernand provincial, le Fernand de Montauban, qui retrouve
sa langue des faubourgs, cette langue qu'il partageait encore avec son ami Louis
15 ans auparavant. Dans son propos, on relève de nombreuses expressions
familières : « piges », « guignol », « came », « nanas », « chialer ».
Mais ce n'est pas seulement le vocabulaire utilisé par Fernand Naudin qui inscrit
ses propos dans le parler populaire. La syntaxe de ses phrases s'en ressent aussi.
L'inversion des locutions de la phrase par exemple avec « Depuis plus de vingt
piges que je te connais » au lieu de « je te connais depuis plus de vingt piges »
qui serait plutôt du registre courant. Ici, l'utilisation du « que » souligne
particulièrement la familiarité. Autre expression, « ça a toujours été ton truc »,
avec le « ça » en début de phrase, spécifique au langage parler populaire. Enfin,
l'expression « tu vas pas me servir ça », où la négation « ne » a disparu, et avec
l'emploi du verbe « servir » qui, dans ce contexte, devient familier.
Fernand Naudin : « Voilà dix ans que t'es barré... »
Encore une tournure familière dans la bouche de Fernand Naudin, qui
décidemment les accumulent en ce début de film au contact de son ami retrouvé.
« Tu es parti depuis 10 ans » sonne trop parfaitement le registre courant. Mais
cette phrase est d'une banalité à mourir, et n'a aucune chance de marquer les
esprits. En renversant sa structure, en remplaçant le verbe « partir » par « se
barrer », formulation beaucoup plus familière, et en contractant « tu es » par «
t'es », le dialoguiste remanie la phrase de fond en comble pour l'ancrer dans le
langage parlé.
... et du langage soutenu
Mais la langue des Tontons ne tient pas au seul registre populaire. Ce serait là
aussi réducteur par rapport à la qualité d'écriture d'Audiard. Une analyse plus
fine des dialogues nous montre au contraire que le registre de langue peut
changer radicalement et nous surprendre. Il n'est ainsi pas rare de voir les mêmes
personnages utiliser tour à tour le langage populaire, puis soutenu.
Fernand Naudin : « Souhaiteriez-vous nous fournir quelques explications ? »
Reprenons l'exemple de Fernand Naudin, dont nous avons entendu les propos
très familiers lorsqu'il parle avec son ami Louis. C'est pourtant le même
personnage qui s'adresse quelques minutes plus tard à Madame Mado dans un
registre beaucoup plus soutenu, donnant même du « Souhaiteriez-vous... ». Le
dialoguiste crée donc la surprise et brouille les pistes sur le personnage de
Naudin, capable de jouer sur plusieurs registres, d'employer des mots d'argot,
suivies de tournures très soutenues.
Antoine Delafoy : « ... je ferai donc mon panégyrique moi-même, c'est parfois
assez édifiant et souvent assez drôle... »
Moins surprenant, c'est finalement la famille Delafoy qui défend le plus le
langage châtié de la haute bourgeoisie. Il faut dire qu'Antoine Delafoy a des
lettres et qu'il aime le faire savoir. Combien de films avez-vous vu où l'un des
personnages utilise le mot « panégyrique » ? Etonnamment, c'est dans le cinéma
d'Audiard que l'on peut trouver des mots d'un registre aussi particulier. Le
vocabulaire d'Antoine reste toujours volontiers précieux et un peu élitiste dans la
bouche d'Antoine, avec ici aussi l'emploi du mot « édifiant ».
Adolphe-Amédée Delafoy : « Voyez-vous monsieur, rien ne vaut ces vieilles
demeures de familles »
De la même façon, monsieur Delafoy père manie volontiers des tournures
recherchées, engageant ainsi la conversation avec Fernand Naudin par du «
Voyez-vous Monsieur ». Compte tenu de son milieu d'origine et de son âge, il
n'est du coup pas très étonnant qu'Adolphe-Amédée Delafoy utilise aussi le
terme « vieilles demeures de familles », expression aujourd'hui plutôt désuète.
Sur le registre de langue, on est loin du vocabulaire des Tontons dans la cuisine,
parlant de « petite taule » pour évoquer une toute autre maison, celle de Lulu « la
nantaise ».
Des formules déjà bien rodées
Les formules de la paire Audiard/Simonin font presque toujours mouche dans Les
Tontons flingueurs . L’un des secrets, c’est que beaucoup des expressions
utilisées ont déjà été employées et testées dans les précédents films dialogués par
Michel Audiard, ou dans les romans publiés par Albert Simonin avant le
tournage.
Raoul Volfoni : « En pleine paix, il chante et puis crac, un bourre-pif ! »
« Bourre-pif » en voilà une drôle d’expression. Elle est maintenant entrée au
panthéon de la langue française. Grâce aux Tontons flingueurs ? Pas tout à fait.
Dans le roman d’Albert Simonin, La balle dans le canon , publié en 1958, il y est
déjà question de « bourre-pif ». De même, l’expression est utilisée dans Le cave
se rebiffe , le film de Gilles Grangier sorti sur les écrans en 1961, d'après un
scénario d’Albert Simonin et sur des dialogues de Michel Audiard.
Si on comprend facilement la signification de l’expression grâce aux
démonstrations très convaincantes de Fernand Naudin, son analyse est
finalement tout aussi explicite. Dans le langage familier, « bourrer » signifie «
maltraiter », et « pif » désigne évidemment le nez. Mais « bourre-pif », ça sonne
quand même mieux que « maltraiter le nez » semble-t-il ?
Bastien : « Le prix s'oublie, la qualité reste »
Discussion rapport qualité/prix au sujet du petit dernier de chez Beretta entre les
cousins Bastien et Pascal. La formule vient en réalité du film Poisson d’avril , du
réalisateur Gilles Grangier, qui sort dans les salles en 1954, sur des dialogues
signés Michel Audiard. L’expression sera d’ailleurs reprise à nouveau en 1957
dans Maigret tend un piège , film franco-italien de Jean Delannoy, sorti en 1958.
C’est encore Michel Audiard qui travaille sur les dialogues de cette adaptation à
l'écran du roman de Georges Simenon. Le dialoguiste réutilise la formule. Dans
les Tontons, il s’agit donc du recyclage d'un recyclage.
Raoul Volfoni : « Tu ne sais pas ce qu'il me rappelle ? C't'espèce de drôlerie
qu'on buvait dans une petite taule de Bien Hoa, pas tellement loin de Saigon.
Les volets rouges et la taulière, une blonde comaque. Comment qu'elle
s'appelait non de Dieu ? »
Fernand Naudin : « Lulu la nantaise. »
« Comment tu l'as connu ? »
« Oh, dans un coup idiot, à Shanghai, un soir en rentrant dans le bistrot de
Maria-la-nantaise sur la route de Bien Hoa. »
« Maria-la-nantaise », « Bien Hoa ». Comme le monde est petit. Si la nantaise
est devenu Lulu, il semble décidément qu'il s'en soit passé des choses à Bien
Hoa. Ce dialogue est tiré du film d’Henri Decoin Le feu aux poudres , sorti en
1957. Aux dialogues, un romancier de polar... Albert Simonin.
Louis le mexicain : « ... chez moi quand les hommes parlent, les gonzesses se
taillent. »
Dans le roman d’Albert Simonin, Touchez pas au grisbi , l’écrivain, qui travaillera
quelques années plus tard à l’adaptation de la fameuse suite ( Grisbi or not grisbi
), introduit la formule « Quand je parle aux hommes, les gonzesses se taisent ».
Simonin n’est donc pas allé chercher bien loin les réflexions viriles de Louis. A
noter que dans le roman, ce sont bien les femmes qui sont visées par cette
réplique, et non un couple d’homosexuel comme dans Les Tontons flingueurs .
Mais pour le caïd du Mexique, femmes ou homosexuels, quelle différence ?
Bastien : « ... c'est pas l'arme de tout le monde, ça ! »
La formule a là aussi déjà servi sous une forme très proche, dans Le cave se
rebiffe : « C'est pas le flingue de tout le monde ».
Raoul Volfoni : « Moi, je suis objectif »
Raoul Volfoni est objectif sur le mexicain. Mais la formule qu'il utilise date peut-
être aussi des « grandes heures du mexicain », quelques années plus tôt.
L'expression est en effet une réutilisation du roman Méfiez vous des blondes , sorti
en 1950.
Raoul Volfoni : « Aux quat' coins d'Paris qu'on va l'retrouver éparpillé par
petits bouts, façon Puzzle. Moi, quand on m'en fait trop j'correctionne plus :
j'dynamite, j'disperse, j'ventile. »
La même année que Les Tontons flingueurs , en 1963, sort sur les écrans le film
de Marcel Bluwal, Carambolages . Il met en scène un jeune homme ambitieux
(Paul Martin alias Jean-Claude Brialy) qui rêve d'accéder au poste de directeur
général occupé par un homme volontiers colérique (Norbert Charolais alias
Louis de Funès). Pour arriver à ses fins, Paul décide d’employer les grands
moyens et de confectionner une bombe artisanale. Pendant sa préparation, il
déclare fiévreusement, comme possédé : « Je vais lui dynamiter la tronche, à ce
con, le disperser aux quatre vents, le réduire en fumée ». Ça ne vous rappelle pas
quelqu’un de connu ? Raoul Volfoni ? Aux dialogues de Carambolages , on
retrouve bien évidemment Michel Audiard.
Maitre Folace : « ... un vrai magicien le Jo... »
Pour sortir « 25 litres de 3 étoiles à l’alambic » avec des patates et de la sciure de
bois, il faut en être un sacré de magicien en effet. Et visiblement, la réputation de
Jo traverse le temps et… les films. En effet, ce magicien de la distillation
clandestine est déjà évoqué dans Courte tête , un film de Norbert Carbonnaux
sorti en 1956. Au scénario, Albert Simonin. Pour les dialogues, Michel Audiard.
Et comme assistant réalisateur, Georges Lautner.
Raoul Volfoni : « .. .toute une époque... »
Ah, la nostalgie ! Elle est constamment évoquée dans l’écriture d’Audiard. «
Toute une époque » se souvient rêveur Raoul Volfoni. Déjà, dans Le Gentleman
d’Epsom , un film de Gilles Grangier sorti en 1962, sur un scénario d’Albert
Simonin et des dialogues de Michel Audiard (encore eux), les victimes
consentantes du fameux gentleman (Richard Briand-Charmery alias le
commandant, alias… Jean Gabin) disait de lui : « ça c’est un monsieur, un vrai.
Et oui, le style d’autrefois, toute une époque ». Cocu mais content en fin de
compte.
Théo : « Je ne dis pas que c'est pas injuste, je t'ai dit que ça soulage ! »
Le « soulagement » assez singulier de Théo, qui vient de « flinguer » les Volfoni
à bout portant devant la clinique, puise en partie son origine dans l'œuvre de
Simonin là aussi. En effet, dans Touchez pas au grisbi , l'auteur écrivait déjà la
formule « ça nous détendait les nerfs » dans de pareilles circonstances...
Fernand Naudin : « Faut quand même admettre que c'est plutôt une boisson
d'homme »
Dans le même opus de Simonin, Touchez pas au grisbi , il est aussi question de
boisson, mais pas de boisson d'homme. L'auteur écrit « Ce devait être une
boisson pour intellectuels », par contraste avec les vraies « boissons d'hommes »,
du genre « le bizarre ». Le dialoguiste a en tout cas repris la syntaxe de la phrase
de Simonin pour l'adapter aux Tontons.
Raoul Volfoni : « Faut reconnaître, c'est du brutal ! »
Le fameux « brutal » est lui aussi une récupération de Simonin. Toujours dans
Touchez pas au grisbi , qui semble décidemment une source inépuisable de
dialogues d'anthologie, l'auteur y écrit « même le brutal lui donnait pas la
moindre sensation ».
Parler anglais comme une vache espagnole
Un autre secret d’Audiard, c’est d’introduire par petites touches quelques mots
d’anglais dans ses dialogues. Les acteurs ayant bien évidemment pour consignes
de les prononcer avec l’accent le plus épouvantable et le plus « frenchy » qui
soit. Finalement, le dialoguiste est presque en avance sur notre époque qui a vu
l’anglais envahir par exemple le monde du travail et l'univers du « management
» (Steering commitee, planning, briefing, Return on investment…).
Jean : « Welcome sir, my name is John »
[...]
Jean : « Your room is ready sir ! »
Dans le film, le majordome de la maison du mexicain, Jean alias John, est
préposé à parler ponctuellement anglais. L’accent est « so french », et l’emploi
d’autant plus incongru que ni lui ni ses interlocuteurs ne parlent la langue de
Shakespeare. Si Jean connait dix phrases, c’est bien le bout du monde. Peut-être
parle-t-il un peu anglais avec Patricia. Le mexicain, sur son lit de mort, n’a-t-il
pas précisé à son ami Fernand qu’il lui avait fait apprendre l’anglais, chez les
sœurs.
Paul Volfoni : « ... des nervous breakdown comme on dit de nos jours »
Le cadet des Volfoni ne fait vraiment aucun effort d'accentuation en évoquant la
maladie dépressive des chefs d'entreprise, « le nervous breakdown ». Il prend en
effet bien le temps de prononcer lentement chaque syllabe de l’expression,
détruisant la moindre notion d’anglais de la phrase.
Raoul Volfoni : « … éparpillé par petits bouts, façon puzzle »
L’ainé des Volfoni ne sauve pas vraiment l’honneur de la famille. Sa
prononciation de « puzzle » restera probablement unique dans les annales de
l’accent pourri. Une belle trouvaille de Michel Audiard là encore.
Une opposition de registre linguistique
Une autre clé du succès des dialogues d’Audiard, c’est d’introduire en
permanence des oppositions de registres linguistiques. Et souvent pour un même
personnage.
Maitre Folace : « … Allons mademoiselle ! L’oncle de Patricia vous dit qu’il
n’y a plus de scotch, un point c’est tout. »
Une invitée : « Vous n’avez qu’à en acheter, avec ça ! »
Maitre Folace : « Touche pas au grisbi, salope !! »
Maitre Folace a de l'éducation. Il sait se tenir en société. Il répond donc
calmement à l'interpellation de la jeune fille saoul, donnant même du «
mademoiselle », et employant un langage tout à faite convenable, sans faute de
syntaxe. Digne d'un vrai notaire. Mais il ne faut pas le titiller beaucoup pour que
ce voyou de la comptabilité bascule dans la langue des truands. Avec « Touche
pas », on passe directement au tutoiement et à une construction de phrase des
plus simplifiée. Suivi par l'utilisation de l'argot « grisbi ». Pour finir par une
injure grossière avec « salope ». A noter le spasme quasi hystérique qui s'empare
du notaire juste après avoir prononcé cette phrase. Tout son visage semble saisi
d'une furie indescriptible. La « mademoiselle » fait d'ailleurs demi-tour aussi sec,
effrayée par l'ambiance et les personnages de la cuisine.
Fernand Naudin : « ... l'homme de la pampa, parfois rude reste toujours
courtois, mais la vérité m'oblige à te le dire : ton Antoine commence à me les
briser menu ! »
Là encore, l'oncle Fernand fait d'abord montre d'une grande maitrise de soi, en
appelant même à la « courtoisie ». Mais les facéties du petit ami de Patricia l'ont
poussé dans ses retranchements. Il est à bout et cela se lit sur son visage. C'est
donc avec courtoisie, en utilisant une phrase à la syntaxe parfaite, et sur un ton
posé presque jusqu'à la fin, que monsieur Naudin va exprimer ses impressions,
pour finalement exploser et terminer sur un registre « grossier ». Le contraste
entre le début et la fin des propos de l'oncle de Patricia fonctionne à merveille.
Encore une formule culte du film qui a marqué les esprits.
Fernand Naudin : « Sur le plan des emmerdements... »
Fernand n'est pas très chaud, c'est le moins que l'on puisse dire, pour reprendre
les affaires de son ami d'enfance. En utilisant la formule « sur le plan », le futur
oncle de Patricia emploie presque un langage technocratique, appelant à une
analyse technique et nuancée. Mais non, il va directement à l'essentiel et change
encore de registre de langue en parlant des « emmerdements ».
Maitre Folace : « Seulement, le tout-venant a été piraté par les mômes »
A l'expression vieillie de « tout venant » (qui désigne des marchandises à
proximité immédiate, non triées, en vrac), le dialoguiste associe le verbe «
pirater » assez peu approprié au contexte mais dont la signification est on ne peut
plus claire. « Pirater » signifie pourtant à l'origine exercer une activité de pirate
sur les mers. On est donc loin de l'idée évoquée ici d'une bande d'étudiant vidant
le bar de la maison de famille. Le verbe « pirater » a pourtant, depuis les années
1960, retrouvé un usage courant, mais dans le monde de l'informatique.
Fernand Naudin : « Et vous avez rien remarqué ? »
Jean : « Si monsieur, les valises. »
Fernand Naudin : « ... Comment une môme qui s'en va soit disant à l'école
avec des valoches et vous, vous trouvez ça naturel ? »
Encore un étrange contraste linguistique dans cet échange entre Fernand et Jean.
On observe en effet une inversion des rapports, avec un Fernand Naudin qui
multiplie les tournures familières, contrastant avec le registre courant, voire
soutenu de Jean. L'homme de Montauban parle de « môme », Jean appelle son
maitre « monsieur ». Le domestique parle de « valises » là où monsieur Fernand
utilise le terme familier de « valoches ».
Des répétitions pour donner du rythme
A plusieurs reprises, Michel Audiard va faire usage de la figure de style de la
répétition dans son écriture. Ce procédé rhétorique appliqué à la syntaxe des
phrases donne ainsi un rythme rapide et soutenu aux dialogues, et est également
approprié pour enchainer les images, et particulièrement efficace pour dynamiser
les répliques des personnages.
Antoine Delafoy : « Antoine Delafoy, le plus respectueux, le plus ancien, le
plus fidèle ami de Patricia. »
Sans surprise, c'est le verbeux Antoine Delafoy qui utilise le plus ce type de
formulation. Pour se qualifier, il enchaine ainsi à trois reprises « le plus ».
Audiard utilise ici la figure de style de l'anaphore, ce qui permet de mieux
souligner à quel point le petit ami de Patricia, en fait des tonnes avec Fernand.
Ajouté à la diction rapide et au jeu personnel de l'acteur, cela lui donne
immédiatement un côté encore plus énervant.
Antoine Delafoy : « Patricia vous évoque, vous cite, vous vante en toute
occasion. »
Toujours Antoine et là encore la figure de l'anaphore, mais cette fois-ci pour
vanter les mérites de l'oncle Fernand. Pour le plus grand agacement du nouveau
« taulier » de la maison.
Raoul Volfoni : « Moi, quand on m’en fait trop j’correctionne plus :
j’dynamite, j’disperse, j’ventile »
Cette fois-ci c'est Raoul Volfoni qui est pris d'un accès de fureur après avoir reçu
un nouveau bourre-pif. En s'essayant à la préparation d'explosifs, il décrit le
scénario prévu pour en finir avec le « gugus de Montauban ». En utilisant
toujours une anaphore, il va détailler chaque étape de son projet, mais en
utilisant un tout autre registre de langue par rapport à Antoine. D'abord «
j'dynamite », puis « j'disperse » et enfin « j'ventile ».
La syntaxe remaniée
Louis le mexicain : « Oui, oh, maintenant que t’es dans l’honnête »
[...]
Maitre Folace : « Qu’est ce qu’on fait, on s’risque sur le bizarre »
[...]
Madame Mado : « Le furtif, par exemple, a complètement disparu. »
Que ce soit dans la bouche du mexicain, de son notaire ou de madame Mado,
ceux-ci font un usage parfois très particulier de la syntaxe. L'usage de « honnête
», « bizarre » et « furtif » est ici détourné pour en faire des noms, commençant
par un article, et non plus des adjectifs. Ce procédé aide ainsi à personnifier des
choses habituellement peu claires. Ici, « l'honnête » va désigner une entreprise
officiellement déclarée au fisc et au registre du commerce, à l'opposé des affaires
du mexicain.
De la même façon, « le bizarre » se matérialise ici dans une gnole plus que
douteuse des « grandes heures du mexicain ». Quant au « furtif », c'est un client,
le profil de l'homme marié qui vient donc discrètement rendre visite à madame
Mado et à ses demoiselles « après dîner ».
Raoul Volfoni : « … flingué à la surprise »
Là aussi, le dialoguiste a quelque peu remanié la phrase. La tournure classique
aurait plutôt été de dire « flingué par surprise ». On dira en revanche « gagné à la
surprise générale ». En mélangeant les deux tournures, Audiard trouve de
nouvelles formulations qui permettent de rendre drôle une phrase qui aurait été
tout ce qu'il y a de plus banal autrement.
Fernand Naudin : « … ça part sévère les droits de succession »
Là encore, la structure de la phrase est chamboulée pour donner une autre
dimension au propos de Fernand. Tout d'abord en débutant la phrase par « ça »,
emprunté au registre familier. Puis en faisant logiquement passer le sujet « droits
de succession » en fin de phrase. Ce propos, emprunté au lexique des notaires,
est d'ailleurs un des nombreux emprunts d'Audiard à des univers très variés.
Louis le mexicain : « … fais tomber 100 sacs au toubib. »
Cette phrase de Louis est construite aussi par un détournement de la syntaxe.
L'expression « faire tomber » a bel et bien un sens habituellement, mais pas du
tout celui que lui donne Audiard dans cette phrase. On est plutôt dans une
utilisation imagée de l'expression.
Raoul Volfoni : « C't'espèce de drôlerie qu'on buvait.. »
Le dialoguiste détourne ici totalement le mot de son sens premier.
Habituellement, « drôlerie » s'emploie pour désigner une parole ou une action
drôle. Audiard prend donc encore une fois certaines largesses avec la langue
française, utilisant le qualificatif de « drôlerie » à la place du nom de l'alcool
qu'il est censé désigner. Malgré ce bouleversement lexical, le dialogue
fonctionne parfaitement, et nous comprenons ce que l'auteur a voulu dire. Il
aurait également pu utiliser le terme « curiosité », d'un sens proche, mais avec «
drôlerie », cela sonne encore mieux.
Fernand Naudin : « Voilà dix ans que t'es barré »
Ici, le dialogue déforme même ce qui relève du registre familier. En effet, dans le
langage populaire, le verbe pronominal « se barrer » signifie évidemment partir.
Sauf que dans le propos de Fernand Naudin, le verbe n'est plus pronominal et «
se barrer » devient simplement « barrer », ce qui renforce encore la familiarité
des échanges entre Fernand et son vieux pote Louis.
Ridiculiser les personnages
Raoul Volfoni : « On est quand même pas venu pour beurrer des sandwichs »
Des caïds de la trempe de Raoul Volfoni (du moins ce qu'il croit être) ne sont pas
venus pour faire la « tambouille » à la surprise-partie de Patricia. D'où
l'expression de Volfoni senior « beurrer des sandwichs » lorsqu'il voit les
sandwichs à la purée d'anchois que sont en train de préparer monsieur Fernand et
son notaire (« il aide lui »).
Raoul Volfoni : « Il a osé me frapper. Il se rend pas compte... »
Raoul Volfoni a beau jouer les chefs de bandes, il ne s'attire guère que les
moqueries de madame Mado (« un vrai chef ») et surtout les bourre pifs à
répétition de Monsieur Fernand. A l'autorité naturelle du nouveau patron
s'oppose tout au long du film la posture faussement martiale du très sanguin chef
du clan Volfoni.
Inadéquation du ton et des termes
Paul Volfoni : « Écoute, on te connaît pas, mais laisse nous te dire que tu te
prépares des nuits blanches, des migraines, des nervous breakdown, comme on
dit de nos jours »
A peine Fernand Naudin a-t-il repris la succession du mexicain qu'il doit subir
les menaces à peine voilées des frères Volfoni. Alors que le nouveau patron est
en train de manger un morceau au bowling, Paul Volfoni lui lance cet
avertissement sur les futurs problèmes qu'il ne manquera pas de rencontrer s'il
accepte de s'occuper de l'organisation. Sauf que Paul Volfoni lance cet
avertissement très lentement, d'une façon terne et sur un ton doucereux. Prenant
presque l'air d'un chien battu. Cette absence totale de conviction et d'énergie
contredit ainsi totalement le contenu de ses propos qui se veulent menaçants. Ce
qui rend dès le début du film les frères Volfoni ridicules et peu crédibles dans
leur course à la succession.
Maitre Folace : « je me permets d'intimer l’ordre à certains salisseurs de
mémoire… »
Les Tontons sont dans la cuisine, en train de se saouler au « bizarre » tout en
évoquant avec nostalgie le temps passé, et notamment la période de l'occupation.
Maitre Folace, qui semble le plus bavard de la bande en état d'ébriété, se lance
dans une plaidoirie en faveur de l'un de ces amis de l'époque, un certain « Jo le
trembleur » dont on comprend qu'il était spécialisé dans la distillation
clandestine, qui plus est avec des ingrédients peu communs (des pommes de
terre...). Dans son délire alcoolique, il évoque les détracteurs de son ami Jo, et
c'est avec une solennité totalement inappropriée qu'il prend la défense de son
ami : « je me permets d'intimer l'ordre... ». Solennité inappropriée étant donné le
personnage qui est défendu, solennité inappropriée étant donné l'état éthylique
de celui qui se prétend son avocat, et solennité inappropriée étant donné le lieu et
le contexte, une discussion d'ivrogne dans une arrière-cuisine lors d'une surprise-
partie à 2 000 francs nouveaux. On a connu plus bel hommage.
Fernand Naudin : « Dehors et les familles françaises, ça se respecte monsieur
»
Fernand Naudin est passablement éméché par la beuverie dans la cuisine. Sur un
malentendu, en raison d'un excès de boisson, l'oncle de Patricia va chasser
Antoine de la maison et mettre un terme à la petite « sauterie ». Dans son
emportement, Fernand Naudin invoque la défense d'une certaine idée de la
famille française, exigeant même le « respect », rien que ça ! C'est peu de dire
qu'il est à ce moment précis plutôt mal placé pour donner des leçons sur les
valeurs familiales.
Des inventions sorties de nulle part
Raoul Volfoni : « … au terminus des prétentieux »
Audiard avait déjà trouvé « la maison mère », une belle métaphore pour désigner
le ciel. Mais en voici ici une autre tout aussi magnifique, à classer dans le
registre des inventions improbables : « le terminus des prétentieux ».
Patricia : « Je civette, je bainmarise, je ragougnasse »
Le dialoguiste fait ici le jackpot avec l’enchainement de trois verbes conjugués à
la première personne du singulier, et qui sont autant de verbes purement
inventés.
Raoul Volfoni : « Moi, quand on m’en fait trop j’correctionne plus... »
Michel Audiard poursuite dans sa découverte linguistique et invente le verbe «
correctionner » qui sonne très bien et veut bien dire ce qu’il veut dire, mais qui
reste inconnu des dictionnaires. Une petite merveille.
Raoul Volfoni : « ... endosser le massacre. »
Encore une trouvaille savoureuse et magnifiquement interprétée par Bernard
Blier. L'art d'associer un verbe totalement sorti de son contexte, « endosser »,
avec le terme de « massacre », inadapté à la situation.
Raoul Volfoni : « j'vais le travailler en férocité »
Même idée de Michel Audiard : prendre un verbe existant (et courant) pour
l'associer à une expression sans aucun rapport. Et ça fonctionne.
Maitre Folace : « Curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases »
La formule du notaire de l'organisation est une phrase sortie de nulle part. Une
fois de plus, de la pure invention du duo Simonin-Audiard. Toute la phrase
semble hors contexte, comme tirée subitement d'un autre film. C’est d'ailleurs
une des phrases les plus connues du film, jouant sur le registre de l’absurde.
Autrement dit, pour le notaire, « trêve de blabla inutile ». Mais la version
Audiard reste pour la postérité la meilleure
Le chauffeur de taxi : « Moi j'ai un collègue comme ça, transporteur de cocus
»
« Transporteur de cocus » ! En voilà un beau métier et une belle invention. A
noter l'utilisation de « transporteur » plutôt que « chauffeur », ce qui rajoute à
l'incongruité de l'expression. On imagine relativement bien ce curieux attelage
du chauffeur et du cocu, lancé à la poursuite de la femme infidèle.
Des personnages aux noms atypiques
Fernand Naudin : « Lulu la nantaise. »
[...]
Raoul Volfoni : « Et bien c'est devant chez elle que Lucien le cheval s'est fait
dessoudé. »
[...]
Monsieur Fernand : « Par Teddy de Montréal, un fondu qui travaillait qu'à la
dynamite. »
[...]
Maitre Folace : « D’accord, d'accord, je dis pas qu'à la fin de sa vie Jo le
trembleur il avait pas un peu baissé. »
Curieux attelage que tous ces amis évoqués par Fernand Naudin, Raoul Volfoni
et maitre Folace dans la séquence souvenir de la cuisine. Ils ont tous hérité de
surnoms qui incarnent un certain milieu et une certaine époque. Audiard sait là
encore faire rire en affublant à certains personnages des noms risibles et en
adéquation avec l'univers un peu particulier des Tontons. Leurs prénoms laissent
tout d'abord la place à des diminutifs : Lulu, vraisemblablement pour Lucienne,
Teddy, sans doute pour Edouard, ou encore Jo, pour Joseph ou Georges.
A chacun de ses diminutifs est aussitôt accolé un qualificatif généralement
explicite sur l'identité ou les caractéristiques de la personne. Souvent la ville
d'origine : Nantes pour Lulu, Montréal pour Teddy. Mais le terme peut aussi
désigner l'activité de la personne. Ainsi, « cheval » désigne en argot l'héroïne. Le
nommé Lucien pourrait donc s'être fait connaitre dans le trafic de drogue, et non
celui de chevaux. Quant au qualificatif « trembleur » se rapportant à Jo, il
s'utilise pour parler d'une personne particulièrement craintive. Serait-ce le cas du
fameux magicien en distillerie ? A moins que ce ne soit lui qui inspire cette
crainte à ces concurrents bistrotiers ?
L’art de la métaphore
Un autre ressort du succès des dialogues d’Audiard, c’est sa maitrise de l’art si
subtile de la métaphore comique.
Raoul Volfoni : « Voilà quinze ans qu’on fait le trottoir pour le mexicain, j’ai
pas l’intention de continuer à tapiner pour son fantôme. »
Au lieu de dire « Voilà quinze ans qu’on paye notre redevance au mexicain, j’ai
pas l’intention de continuer à payer pour son successeur », phrase sans intérêt,
l’ainé des Volfoni emploie des « images », comme dirait Paul Volfoni, en faisant
d'un bout à l'autre de la phrase une parfaite analogie avec le monde de la
prostitution. Dis avec la gouaille de Bernard Blier, la métaphore fonctionne à
merveille. Ça a quand même une autre « gueule » que la version policée.
Raoul Volfoni : « … j’vais l’renvoyer tout droit à la maison mère… »
Une trouvaille géniale du dialoguiste pour désigner la maison de Dieu. Qui plus
est en parfaite cohérence avec la parole biblique. Un comble pour ces truands,
malgré tout souvent empreints d’une forme de religiosité. Qui est encore
aujourd'hui capable de se recueillir à l'église de façon aussi habitée que les
Tontons pendant la cérémonie de mariage de Patricia ?
Pascal : « Le Mexicain l'avait achetée en viager à un procureur à la retraite.
Après trois mois l'accident bête ... Une affaire ! »
Connaissant le principe du viager, et la réputation du mexicain, on imagine assez
bien le type d'accident bête qui a dû arriver à ce pauvre procureur à la retraite. Il
ne fallait quand même pas que l'affaire prenne la même tournure que dans le film
Le viager avec Michel Serrault en en arrière grand-père increvable.
Raoul Volfoni : « Ah ? Il était dans les chars ? »
Maitre Folace : « Non, dans la limonade, soit à c’qu’on t’dis. »
Ici, maitre Folace emploie le terme générique de « limonade » pour désigner ce
qui est vraisemblablement tout sauf de la limonade (et des eaux de régime). En
parler populaire, l’expression est utilisée pour la consommation de boissons
alcoolisées ou de vin dans un bistrot. De l’alcool de mauvaise qualité en général.
Voire de très mauvaise qualité, car pour « décimer tout une division de panzers
», il faut y aller…
Des expressions inappropriées
Pascal : « Ça doit pouvoir se régler à l’amiable »
Et voici la première gâchette du mexicain, Pascal, qui emploie un vocabulaire
presque juridique (« règlement à l’amiable ») pour signifier qu'il va, « flingue en
pogne », remettre de l’ordre dans une partie clandestine d'un tripot tout aussi
clandestin. Curieux chez les truands ce besoin de réciter des cours de droit,
pourrait-on dire pour paraphraser quelqu'un de connu...
Pascal : « A la fin de sa vie, il s'était penché sur le reclassement des
légionnaires. »
Fernand Naudin : « Ah ! Si c'est une œuvre, alors là !! Là, c'est autre chose. »
Fernand Naudin assimile sans sourcilier le recrutement chez les légionnaires à
quelques bonnes œuvres de Louis « le mexicain ». Les bonnes œuvres, pour ce
chef de clan, n'ont pourtant pas grand-chose à voir avec les œuvres sociales de la
paroisse ou les collectes pour banques alimentaires. Dans le langage actuel, on
pourrait dire que Louis « fait du social » en recrutant chez Tonton ou chez les
rescapés de la Légion.
Raoul Volfoni : « Je m’en vais lui faire une ordonnance, et une sévère… »
Raoul Volfoni n’est jamais à court d’inspiration et sait lui aussi piocher dans
différents registres, même (et surtout) les plus inappropriés. Le docteur Volfoni,
à moins qu’il ne soit pharmacien, est en effet en train de préparer une «
ordonnance » maison qu'il compte bien administrer à Fernand Naudin. On avait
pourtant dit de ne pas jouer avec les produits ménagers et les pétards.
Théo : « Mais maintenant, on a le droit pour nous »
L’ami de Théo : « Le droit ? »
Théo : « Légitime défense, avec moi, ça pardonne pas »
Echange étonnant là encore, et totalement incongru, entre Théo et son ami
Vincent. Le patron de la distillerie clandestine invoque ainsi tout naturellement «
le droit », et même « la légitime défense », situation juridiquement très codifiée
par le droit. Le dialoguiste ne peut ici que nous faire rire, car comment prendre
au sérieux un fou de la gâchette comme Théo, sans foi ni loi, qui invoque son
bon droit et sa légitime défense après un règlement de compte qui lui n'est
codifié nulle part dans la loi. Même Vincent a dû mal à comprendre.
Savoir relativiser et minimiser
Maitre Folace : « … on a dû arrêter la fabrication, y’a des clients qui
devenaient aveugles. Oh. Ça faisait des histoires »
Un autre des ressorts comiques de l'écriture d'Audiard, c'est aussi de savoir
relativiser ce qui est grave. Ainsi, maitre Folace semble évoquer le fait que les
clients devenaient aveugles avec le « bizarre » comme un simple désagrément.
Un problème d'importance mineure, de la tambouille de service après-vente pour
clients râleurs ou mauvais coucheurs.
Pascal : « ... des fois que la réunion devienne houleuse ; j’ai une présence
tranquillisante… »
Pascal, le porte flingue du clan de Fernand Naudin, enchaîne ici ce que l'on peut
appeler des « euphémismes de bienséances ». Peut-on sérieusement parler de «
réunion houleuse » pour de pareils maniaques du pistolet ? Pour en plus en
rajouter jusqu'à se considérer comme une présence tranquillisante »…
Maitre Folace : « ... Monsieur Naudin a quelque peu bousculé Monsieur
Volfoni senior. »
Est-ce que distribuer des « bourre-pifs » à répétition signifie bien « quelque peu
bousculé » quelqu'un ? Chacun jugera. Mais là encore, nous ne sommes pas loin,
en toute bonne foi, de l'euphémisme...
Jouer sur la dualité du langage
Antoine Delafoy : « Je vous connais monsieur et je vous admire. Patricia vous
évoque, vous cite, vous vante en toute occasion, vous êtes le gaucho, le
centaure des pampas, l’oncle légendaire… »
Fernand Naudin : « Et moi, elle ne m’a jamais parlé de vous. »
[...]
Antoine Delafoy : « Quoi ? Vous n’allez pas dîner avec nous ? Moi qui venais
de dire à Jean de monter du champagne. »
Fernand Naudin : « Votre invitation me bouleverse ! »
Dans ces deux échanges, Audiard joue sur le contraste entre la personnalité
d'Antoine Delafoy et celle de Fernand Naudin. Ce qu'il va traduire dans leur
façon de s'exprimer. D'un côté, Antoine Delafoy, le fils de bonne famille,
flamboyant, bavard et cultivé, frôlant parfois l'insolence au point d'agacer. De
l'autre Fernand Naudin, l'ancien voyou des faubourgs parisiens, reconverti en
honnête chef d'entreprise provincial, volontiers renfermé et brut de décoffrage.
Les échanges entre ces deux personnages que tout oppose, s'en ressent. Et pas
seulement dans le registre de langue. Dans ses propos, l'oncle Fernand n'emploie
pas de mots argots et n'utilise pas non plus le langage populaire. Non, ce qui
contraste, c'est le ton exalté et le « besoin de faire des phrases » d'Antoine face
au ton sec et aux propos brefs et cassants de Fernand. C'est le choc des
civilisations, le choc de deux mondes, de deux façons de s'exprimer. Entre une
langue riche et flamboyante et une parole économe et efficace.
Des situations qui nous parlent
Jean : « Il aide, lui ! »
Situation incongrue du majordome qui reproche presque explicitement à son
patron de ne pas aider « à beurrer les sandwiches » de la surprise-partie de
Patricia. « Il aide, lui » lance Jean à son patron médusé, parlant de maitre Folace
qui est en cuisine. En plus de cette surprenante inversion des relations entre «
maitre » et « esclave », chacun étant resté jusqu'à présent bien dans son rôle, la
formule de Jean a cette particularité de parler à tout le monde. Qui en effet n'a
jamais été l'objet de ce reproche à la maison : « il aide, lui » ? La situation sent
évidemment le vécu pour la plupart d'entre nous.
Soulager nos instincts les plus bas
Théo : « Je ne dis pas que c’est pas injuste, je dis que ça soulage… »
Théo campe dans le film un ancien soldat nazi, rescapé de Stalingrad, et
reconverti assez mystérieusement dans les activités de distillerie clandestine du
mexicain. On comprend très rapidement le côté manipulateur et sadique du
personnage, tentant à plusieurs reprises d'assassiner son nouveau patron tout en
faisant porter le chapeau aux Volfoni. Dans cette séquence, Théo est sans doute
au sommet de son art en matière de cynisme. L'opération commando contre la
maison du mexicain ayant échouée, il se rabat sur les frères Volfoni qu'il flingue
à bout portant à la sortie de la clinique. Avec son sens inimitable de la formule, Il
nous décrit ce sentiment de délectation sadique après l'opération, ce qui peut
aussi parler à nos pulsions revanchardes et malsaines les plus enfouies. La
jouissance triomphant de la justice.
Avoir de la répartie
Dans Les Tontons Flingueurs , Michel Audiard a très bien servi le rôle de Fernand
Naudin en matière de répartie. En effet, à plusieurs reprises, l'homme de la
pampa va moucher les propos de ses interlocuteurs par quelques répliques bien
senties. Faisant de lui un as de la répartie.
Raoul Volfoni : « Qu'est ce qu'on peut faire qui t'obligerait ? »
Fernand Naudin : « Décarrer d'ici »
Premier exemple assez brut de décoffrage : « Décarrer d'ici ». Simple, ferme et
définitif. N'appelant à aucune discussion, aucune négociation. La place de patron
n'est plus à prendre, même employant un ton obséquieux.
Tomate : « On ne se serait pas permis de vous flinguer sur le domaine ? »
Fernand Naudin : « Et ben, on s’est permis. »
Fernand répond ici à la question de Tomate en reprenant précisément les termes
de la question, « on ne se serait pas permis ? », mais pour les tourner à
l'affirmative « on s'est permis ». Cet usage de la répétition donne ici plus de
poids à sa réponse, qui en devient du coup plus marquante que s'il s'était
contenté d'un : « Et ben, si ».
Fernand Naudin : « Les Volfoni ont essayé de me flinguer, oui maitre. »
Maitre Folace : « Ce n’est pourtant pas leur genre. »
Fernand Naudin : « Et ben ça prouve qu’ils ont changé de genre. Voilà. »
Là encore, dans sa dernière réplique, monsieur Fernand reprend partiellement les
propos du notaire dans sa réponse avec la réutilisation du mot « genre ». Audiard
utilise à nouveau la figure de la répétition pour construire une répartie efficace.
Antoine Delafoy : « Ne vous donnez pas la peine, je connais le chemin… »
Fernand Naudin : « Justement, faudrait voir à l’oublier »
Les relations entre l'oncle Fernand et « monsieur Antoine » ne sont jamais au
beau fixe. Le pourtant bavard Antoine va être soufflé par le tonton de Patricia
qui répond du tac au tac par « faudrait voir à l'oublier ». Simple, brutal et
définitif. Antoine et les Volfoni, même combat, même traitement syntaxique.
Expéditif.
Des emprunts à tous les univers
Ce qui fait également le succès des dialogues d'Audiard, c'est que celui-ci
n'hésite jamais à emprunter des expressions à des univers très différents, comme
par exemple aux lexiques de certaines professions ou par l'emploi de termes
techniques qui font autorité. Pour les réutiliser bien entendu dans un tout autre
contexte. C'est là encore un moyen de bouleverser la construction des dialogues,
en innovant sans cesse.
Fernand Naudin : « Et sur le plan des emmerdements 36 fois la mise »
Le futur repreneur des affaires du mexicain fait encore preuve d'une belle
répartie. Alors que l'ami d'enfance de Fernand Naudin lui vante les bénéfices que
rapportent sa roulette clandestine, ce dernier lui réplique sèchement par cette
formule inventée qui fait écho au jeu de la roulette, puisqu'il correspond au gain
possible lorsqu'on mise sur un numéro du tapis vert.
Raoul Volfoni : « ... tout le monde l’aurait donné à cent contre un... »
Michel Audiard fait ici appel à un autre champ lexical qu'il connait bien : celui
des courses de chevaux. Passionné de turf et fréquentant assidument les
hippodromes, le dialoguiste a déjà travaillé sur les dialogues de deux films
tournant autour des courses hippiques : Courte tête (sorti en 1956) et Le gentleman
d'Epsom (sorti en 1962). Dans Les Tontons flingueurs , il n'est pas question d'un
des grand « dada » de Michel Audiard, avec le vélo, mais il y fait néanmoins
cette brève allusion dans la bouche de Raoul Volfoni.
Raoul Volfoni : « ... J'vous préviens qu'on a la puissance de feu d'un
croiseur... »
[...]
Raoul Volfoni : « ... Et vous verrez qu'il demandera pardon et au garde à vous
»
Le très belliqueux et va-t-en guerre Raoul Volfoni emploie à plusieurs reprises
des expressions de l'armée : « croiseur », « garde à vous ». Le tout prononcé sur
un ton faussement martial qui ne fait qu'en rajouter sur le peu de crédibilité du
personnage. Bien que Michel Audiard ne soit pas très porté sur la chose (nous
parlons de l'armée bien sûr), on peut aussi y voir dans cette allusion une volonté
de se moquer de la grande muette.
Jean : « Je serais pas étonné qu'on ferme ! »
Alors que la surprise-partie de Patricia dégénère... du côté de la cuisine, l'oncle
Fernand, qui a abusé du vitriol, s'est enfin décidé à mettre un terme à ce qui ne
devait être qu'une « dinette au coin du feu ». En commençant par virer sans
ménagement Antoine Delafoy de la maison. John, alias Jean, le domestique tient
alors ce propos lucide, malgré son taux d'alcoolémie, et fait ainsi une analogie
avec l'univers des bistrots, des restaurants ou des boites de nuit. Pas très étonnant
puisque la maison s'est transformée le temps d'une soirée en ce genre
d'établissement. Michel Audiard, qui fréquentait beaucoup les bistrots du 14ème
arrondissement, fait ici appel un monde qu'il connait bien. Et peut être a-t-il fait
lui aussi quelques fermetures de café ?
Fernand Naudin : « Ouais, quand la protection de l'enfance coïncide avec la
crise du personnel, faut plus comprendre, faut prier ! »
L'oncle Fernand est songeur, et un brin fataliste. Il vient de recevoir la démission
de sa première gâchette, Pascal, alors qu'il vient tout juste de faire connaissance
avec sa turbulente nièce Patricia.
Pour évoquer cette situation, il utilise des expressions habituellement propres au
domaine économique et social. Le terme de « crise du personnel » vient par
exemple du vocabulaire de l'entreprise, ce que l'on peut comprendre car Fernand
Naudin est avant tout entrepreneur en machine agricole. Quant à la « protection
de l'enfance », le terme fait sourire à double titre. D'une part, si Patricia n'est pas
encore majeure, elle est déjà une grande et belle jeune fille. D'autre part, dis dans
la bouche d'un chef d'organisation pseudo-mafieuse, cela peut faire sourire. Qui
aurait cru que l'oncle de Montauban était aussi sensible à ce sujet ? Quoiqu'il en
soit, « protection de l'enfance » désigne bien évidemment l'ensemble des règles
et des législations pour assurer l'éducation et le droit des enfants.
Antoine Delafoy : « Monsieur Naudin, vous faites sans doute autorité en
matière de Bulldozer, de tracteur et Caterpillar »
Antoine Delafoy désigne, non sans une pointe de mépris, les activités de chef
d'entreprise de Fernand Naudin à Montauban : « bulldozer », « tracteur », «
Caterpillar ». En s'appuyant sur ce vocabulaire technique, il semble comparer, un
brin dédaigneux, les activités de « motoculture » de l'oncle Fernand avec ses
activités hautement artistiques et par essence plus nobles. Entre l'univers des
machines agricoles de Fernand Naudin et celui de la musique expérimentale
d'Antoine Delafoy, il y a un monde semble signifier l'insolent compositeur.
Les citations évoquées ici sont loin d'être exhaustives, mais donnent néanmoins
la plupart des clés pour comprendre le fonctionnement des dialogues d'Audiard.
Dans la suite de notre analyse, nous allons voir que les dialogues empruntent à
davantage d'univers encore : l'Histoire, la politique, la religion, l'actualité, la
prostitution.... Nous n'avons vu là que quelques exemples.
Cours d’argot et de parler populaire
Fernand Naudin : « ... faut vraiment qu'il ait besoin de mon pognon, ou qu'il
soit tombé dans une béchamel infernale »
Tout d'abord, d'où vient « pognon » ? Eh bien il vient de... pogne ! Oui, de
prendre dans la « pogne » (donc de « pogner »), c'est à dire de prendre dans la
main. Le « pognon » désigne donc l'argent qui permet d'acheter ce que l'on met
en « pogne » pour manger.
Une autre origine qui se recoupe avec cette première explication serait que
pognon est un dérivé de « poignon », c'est à dire de « poignée », comme la
poignée d'argent. On en revient bien à la « pogne ».
Par ailleurs, « pogne » a une signification particulière dans la région lyonnaise.
Elle désigne en effet une brioche nature, parfumée à la fleur d'oranger, et
originaire de Romans, dans la Drôme.
Comme c'est le cas pour « pognon » avec « pogne », il est à noter que beaucoup
d'autres mots d'argot désignant l'argent font directement ou indirectement
référence à la nourriture : oseille (feuilles ressemblant à des épinards), flouze
(herbes, plantes ou légumes), galette (gâteau rond et plat), fric (fricot ou
fricassée), pèze (haricot), artiche (troncature de l'artichaut), trèfle (plante
herbacée), blé (comme son nom l'indique). Normal non ? L'argent ne sert-il pas
en premier lieu à manger ?
Quelques mots d'argot en signifiant aussi argent n'ont cependant pas de rapport
direct avec la nourriture : auber (vient de blanc en vieux français, la couleur de
l'argent), braise (en vieux français, provient de flambe ou flamboyant), douille
(enveloppe d'une cartouche d'armes à feu), osier (servant à faire les paniers à
provision), morlingue (dérivé de monnaie, pour désigner le portefeuille).
Une autre racine de l'expression « pognon » viendrait d'un certain Henri Pognon,
chef comptable pour des usines au Creusot. Plus originale et amusante, cette
version n'est cependant pas vérifiée.
Qu'en est-il maintenant de l'expression argotique « béchamel » ? Elle est dérivée
bien entendu de la fameuse sauce blanche, à base de farine de lait et de beurre.
Cette sauce tient son nom du marquis de Nointel, un certain Louis de Béchameil.
Financier, il sera successivement surintendant du duc d'Orléans, puis maitre
d'hôtel du roi Louis XIV. Amateur de cuisine, c'est dans son château de Nointel
qu'il perfectionnera une sauce déjà existante et lui laissera son nom.
Comme nous l'avons vu pour « pognon », l'argot est une langue imagée faisant
souvent appel à la nourriture. L'expression « béchamel » signifie donc dans ce
contexte avoir des problèmes. Ce qui peut avoir un sens, car cuisiner une
béchamel n'est pas sans poser quelques problèmes en effet...
Henri : « Eh bien ma vieille, tu nous fais attendre, la route a pas été trop toc ?
»
Après l'expression familière mais amicale de « vieille », c'est bien sûr la formule
« la route a pas été trop toc ? » qui pose question. Là encore, l'expression est
plutôt familière et prend un sens péjoratif. On l'emploie couramment pour
désigner quelquechose de faux, comme par exemple des bijoux, de la verrerie...
A l'origine, la formule a une connotation méprisante, indiquant ce qui est sans
valeur, ce qui est faux, laid ou défectueux.
L'originalité d'Audiard est d'utiliser le mot « toc » pour désigner une route, ce
qui n'est pas son usage habituel.
Fernand Naudin : « La preuve qu'il est revenu, c'est pas un char »
Dans Les Tontons flingueurs , il est à plusieurs reprises question de chars.
Notamment de char Patton et de char Panzer. Ici, il est aussi question de « char
», mais pas du tout dans le même sens
L'étymologie de char vient du Latin « Carrus » qui désignait à l'époque un char
romain à quatre roues. On retrouvait cette origine dans la langue gauloise avec «
carros » et en breton avec « karr ». L’orthographe a cependant évolué, et on écrit
parfois « charr » ou « charre ». Depuis le début du XXème siècle, le mot « char »
et ses dérivés orthographiques prennent une autre signification, et désignent ce
qui est faux, ce qui relève du bluff, de la plaisanterie ou du mensonge. C'est en
ce sens que les expressions « arrête ton char ! » ou « monter un char » signifient
mentir ou raconter des histoires pour plaisanter ou non.
Fernand Naudin : « Tu sais, 900 bornes, faut quand même les tailler »
Ici, le dialoguiste chamboule la syntaxe pour y introduire de l'argot. Au lieu de
dire de façon familière « faut quand même les faire », il utilise le verbe « tailler
». En réalité, « tailler » est une contraction du verbe pronominal « se tailler »,
une expression d'argot qui signifie partir rapidement ou déguerpir. Le verbe est
donc utilisé sans sa forme pronominale, mais en conservant l'idée de « partir », et
donc de faire des kilomètres, si on reprend le sens qu'en donne Fernand Naudin.
Louis le mexicain : « Et j'ai eu souvent peur de clamser là-bas au milieu des
macaques sans jamais avoir revu une tronche amie»
Le verbe « clamser » appartient au registre populaire. Il a plusieurs dérivés
orthographiques tels que « clamcer » ou « clamecer » qui signifient mourir. Nous
retrouvons deux étymologies possibles pour expliquer l'origine du verbe «
clamser ». D'un côté, on trouve « crampe », qui désigne une forte douleur, et qui
serait à l'origine de « crampser », signifiant également mourir. L'autre
explication serait à chercher dans « clamps », qui désignait un instrument de
chirurgie particulièrement sensible à manier, et pouvant entrainer la mort du
patient en cas d'erreur.
Le mot « tronche » est une expression populaire couramment utilisée bien qu'à
connotation familière. Elle désigne la tête depuis le XVIème siècle. Son origine
semble venir du latin « trunca », et désignait alors la « poutre ».
Louis le mexicain : « Henri, fais tomber 100 sacs au toubib ! »
Comme nous l'avons vu précédemment, l'expression « faire tomber » tient autant
de l'invention que du détournement, puisque le dialoguiste l'emploi plutôt dans le
sens de « confier » ou de « donner ».
Le terme de « sac » est l'une des nombreuses expressions d'argot pour désigner
l'argent. L'étymologie du mot sac vient du latin « saccus » qui désignait le sac ou
la bourse. L'argot a finalement conservé partiellement son usage d'origine, en
désignant le contenu (l'argent) par le nom du contenant (sac).
Le terme de « sac » était très utilisé à l'époque des anciens francs. Un sac valait
alors mille francs anciens, c'est à dire 10 francs nouveaux.
Louis le mexicain : « Je suis revenu pour caner ici et pour me faire enterrer à
pantin avec mes viocs »
Autre locution argotique, le verbe « caner ». Il signifie également mourir,
agoniser ou être sur le point de mourir. On l'utilise encore de nos jours pour
signifier être mort de fatigue. L'origine de cette expression vient du mot « cane »
(la femelle du canard), et de l'expression familière « faire la cane », c'est à dire
avoir peur et reculer devant le danger ou s'enfuir, comme le ferait une cane. «
Caner » découle logiquement de la suite possible à une fuite face au danger :
mourir. Une autre expression d'argot proche de « caner » signifie également
mourir : « calancher ». Elle tient son origine de « caler », c'est à dire de baisser la
voile d'un bateau (dans le vocabulaire maritime). Ce qui est interprété comme un
aveu de faiblesse. On connait la suite...
Les parents du mexicain sont désignés par le terme de « vioques » ou « viocs »,
selon les orthographes. Logiquement, « vioc » est une contraction de « vieux »
avec les suffixes tirés de l'argot « oc » ou « oque ». Certaines sources y voient
aussi un rapprochement avec le terme provençal « velhaco », qui signifie « vieux
».
Louis le mexicain : « Les Amériques c'est chouette pour prendre du carbure »
L'expression « carbure », prononcée par le mexicain, vient du mot « carburant »
et désigne à nouveau l'argent. C'est assez logique, car dans l'imaginaire collectif,
le carburant, c'est ce qui permet d'avancer, comme l'argent dans le monde du
mexicain.
Louis le mexicain : « Je décambute bêtement, et je laisse une mouflette à la
traîne »
« Décambuter » est encore une expression argotique qui a plusieurs
significations : sortir, sortir de prison, s'enfuir ou encore mourir. C'est
évidemment dans le sens de « mourir » que le mexicain emploie « décambuter ».
Avec « mouflette », nous sommes plutôt sur le registre familier. « Moufflet » est
une expression populaire pour désigner un enfant, et « moufflette » son
équivalent féminin. L'origine de moufflet vient de l'ancien français « mouflet »
qui signifiait « tendre ».
Enfin, l'expression familière « à la traine » signifie dans ce contexte « toute seule
» ou « sans protection ». Nous sommes quand même dans le monde dangereux
des Tontons.
Louis le mexicain : « Bah, tu sais combien ça laisse une roulette, 60% de
velours »
Le mexicain utilise une nouvelle fois une expression d'argot avec « velours »
pour parler d'argent. On comprend en effet facilement que Louis désigne par là
le taux de rentabilité des roulettes de ses tripots clandestins. Mais l'utilisation de
l'expression « velours » n'est pas totalement anodine. En effet, dans l'argot des
joueurs, « velours » désigne le tapis, c'est à dire l'endroit où sont déposées les
mises des joueurs. L'expression « éclairer le velours » signifie effectivement «
déposer sa mise sur le tapis ».
La roulette qui laisse « 60% de velours », cela signifie qu'une fois les gains
payés, c'est tout de même 60% qui vont dans la poche du « gérant de la partie »,
en l'occurrence Tomate et les Volfoni. Comme quoi, pour faire fortune, plutôt
que de jouer, il vaut mieux carrément acheter la roulette ou le casino.
Dans un tout autre registre, l'expression « velours » peut aussi s'employer pour
désigner le plaisir, ce qui est agréable. Velours = argent, velours = plaisir. Argent
et plaisir, rien de totalement irréconciliable...
Raoul Volfoni : « Plus 30 briques de moyenne par an sur le flambe… »
Le terme de « flambe » a deux significations en argot. La première, la plus
connue sans doute, désigne une épée, en référence au « flamboiement » de la
lame. Mais, dans son deuxième sens, l'expression sert aussi à parler d'un « tripot
». L'origine de « flambe » vient du verbe « flamber », ce que l'on fait dans tous
les casinos, clandestins ou non.
Louis le mexicain : « Tu livrerais ma petite Patricia aux vautours »
Le mexicain emploie ici le mot « vautours » au sens figuré pour désigner des
personnes avides et surtout motivées par l'appât du gain. L'expression peut aussi
s'employer pour parler des usuriers ou des escrocs. « Vautours » fait évidemment
référence à ces rapaces qui se nourrissent de carcasses d'animaux.
Fernand Naudin : « Et à propos de tout : de cigarettes, de came, de nanas… »
En argot, came désigne en premier lieu la « cocaïne » ou toutes autres drogues.
On utilise aussi ce terme pour désigner plus généralement de la marchandise de
mauvaise qualité. On savait que les Tontons trempaient dans les activités du jeu,
de la prostitution et des alcools clandestins. Qu'ont-ils trafiqué avec la « came »
? Nous n'en saurons pas plus, mais cette activité ne semble plus avoir cours. On
peut en tout cas penser à la piste indochinoise. En effet, à l'époque coloniale, la
consommation d'opium était courante en Indochine française. Il existait même
une Régie de l'Opium, qui détenait le monopole de l'activité. De là à imaginer
que Louis et Fernand se soient lancés dans une activité clandestine concurrente...
Le mot « came » vient bien évidemment de l'apocope de « Camelote ». Ce mot
de « camelote » ou « camelotte » (une variante orthographique) provenant
vraisemblablement de « Camelotier », du latin « camelus », dérivé lui-même de
l'arabe « Chameau ». A l'origine, le « camelot », qui désigne maintenant un
marchand ambulant, était en effet un bibelot réalisé en poils de chameau.
Louis le mexicain : « chez moi, quand les hommes parlent… »
Le terme « homme » a ici une double signification. En effet, en plus de désigner
le sexe des personnes présentes dans la chambre (des hommes par opposition à
des femmes), l'expression « les hommes » est aussi à comprendre dans le
langage du « Milieu ». Les affranchis se nomment en effet entre eux les «
Hommes », par opposition à ceux qui ne sont pas du « Milieu ». Les honnêtes
gens, qui sont aussi appelés les « caves », ne sont donc pas considérés des «
Hommes ». Ne sont ainsi dignes d'être des « Hommes » que les affranchis, ces
hommes d'honneur qui se sont mis en marge de la loi.
Louis le mexicain : « … les gonzesses se taillent. »
L'ami de Théo, homosexuel, est désigné par le mexicain sous le vocable péjoratif
de « gonzesse ». Dans le monde des « Hommes », il n'y a pas de différence entre
les femmes et les homosexuels : tous des gonzesses. Le reste étant les « caves ».
Ce mot est aujourd'hui fréquemment utilisé dans le langage familier. « Gonzesse
» désigne le plus souvent une femme, mais aussi quelquefois un homme que l'on
considère efféminé ou lâche. Etymologiquement, « Gonzesse » est le féminin de
gonze, synonyme de « mec », d'homme quelconque. Une sorte de « beauf » ou
de « cave » dans la langue du milieu. « Gonze » peut ainsi désigner aussi bien un
« bon chaland », facile à plumer, qu'un honnête chrétien. Gonze vient à l'origine
de l'italien « Gonzo » qui désignait un « paysan ».
Raoul Volfoni : « ... le mexicain, ça été une épée, un cador »
L’utilisation de « cador » vient vraisemblablement du verbe arabe « qadir »
signifiant être capable ou être puissant. On l’utilise donc pour qualifier
quelqu’un de particulièrement expert ou renommé dans son domaine. Le
mexicain semble bien de la trempe des cadors aux dires des Tontons qui parlent
de lui avec nostalgie. « Les grandes heures du mexicain » se rappelle maitre
Folace. « Dans 100 ans on en parlera encore » prédit même Raoul Volfoni.
Synonyme de cador, le mot « épée ». L’expression vient du latin spatha, qui
désignait une épée longue, et de l’ancien français « espee ». Si le mot épée est
surtout utilisé dans le monde militaire pour qualifier l’arme, « épée » s’utilisait
aussi en langage populaire pour qualifier un homme qui donne beaucoup de
plaisir à ses partenaires lors de relations sexuelles. Le bon coup quoi ! Un
homme de grand talent qui, par association d’idée, est vraisemblablement un «
cador » dans ce domaine.
Pascal : « La psychologie, y'en a qu'une : défourailler le premier »
L’origine de l’expression « défourailler » est à chercher du côté de « fourailler »
qui est presque un synonyme de « fouiller » ou de « chercher au hasard ». En
langage populaire, « défourailler » s’entend comme dégainer ou sortir une arme
à feu et l’utiliser. C’est dans ce sens que Pascal l’utilise pour expliquer sa
psychologie (commentaire de Théo : « c’est un peu sommaire, mais ça peut être
efficace »).
Le terme a cependant d’autres significations. En argot ancien, il signifiait sortir
de prison. Plus vulgairement, le verbe s’emploie aussi pour qualifier de façon
assez crue des relations sexuelles, disons… sauvages.
Raoul Volfoni : « Y'a vingt piges, le Mexicain, tout le monde l'aurait donné à
cent contre un : flingué à la surprise »
Le mot « pige » est dérivé du verbe « piger » qui signifie en langage populaire
comprendre. Mais le mot pige a une autre signification en langage plus
technique. Il désigne une longueur conventionnelle pour une mesure. De façon
plus générale, une pige est associée à un nombre. En langage familier, « pige »
est donc utilisé pour compter le nombre d'années, mais ce n'est que l'exemple le
plus connu d'utilisation de « pige ». A noter que « pige » désigne de la même
façon la rétribution reçue pour une tâche donnée. C'est notamment le cas dans le
journalisme (les pigistes).
Paul Volfoni : « Il avait comme des vapes, des caprices d'enfants »
Etre dans les « vapes » est passé dans le langage courant. C’est néanmoins une
contraction argotique du mot « vapeur ». Au pluriel, « avoir des vapeurs »
qualifiaient autrefois le fait d’avoir des troubles de santé mentaux ou des pensées
morbides.
Dans un sens plus actuel, les « vapes » du mexicain signifierait plutôt être dans
un état second ou d’hébétude, proche de la perte de connaissance. En cause, la
fatigue ou la consommation de médicaments. Ce qui peut expliquer les «
caprices d’enfants » du mexicain.
Raoul Volfoni : « Qu'est ce qu'on peut faire qui t'obligerait ?
Fernand Naudin : « Décarrer d'ici »
Le verbe « décarrer » peut aussi prendre l’orthographe « décarer ». Ce verbe
vient lui aussi de l’argot et signifie dans son sens premier (et dans le sens de
Fernand Naudin) partir, s’en aller au plus vite ou décamper.
Dans l’argot des voyous, « décarrer » s’entendait aussi dans le sens de sortir de
prison ou d'être acquitté par la justice. La prison a d'ailleurs en argot ses petits
noms. Si on parle souvent de « taule », on peut aussi en parler de « ballon », de «
cabane », de « trou », de « gnouf », de « violon », de « placard »...
Henri : « Y'a du suif chez Tomate, trois voyous qui chahutent la partie ; les
croupiers ont les foies pour la caisse »
Le mot « suif » désigne à l’origine de la graisse animale dont on se sert
principalement pour faire des chandelles et des bougies. En argot, se faire
réprimander fortement (ou plus couramment violement engueuler) par quelqu’un
se dit aussi « recevoir un gras ». Par association d’idée, on dit aussi « recevoir un
suif ». A contrario, « donner un suif » signifie réprimander soi-même quelqu’un.
Par association d'idée, le terme « suif » veut donc dire qu’il y a un problème, un
scandale ou un conflit. L’argot va parfois chercher loin !
L’origine du mot « chahut » n’est pas certaine, mais pourrait venir du nom d’un
oiseau qui s’appelait autrefois le « chahu ». Ce mot signifie en ce sens faire du
bruit (du chahut) dans le but de perturber une personne ou une situation.
Littéralement, il signifie même crier comme un « chat huant », ce qui donne une
petite idée de l’intensité du chahut en question. Dans le sens qu’en donne ici
Henri, cela a plutôt à voir avec du tapage ou du scandale.
Autre expression d’argot dans la phrase d’Henri : « avoir les foies ». Dans cette
utilisation très imagée, le patron du bowling faire comprendre à monsieur
Fernand que les croupiers ont la trouille pour la recette de la soirée. Dans le
même registre, on pourrait parler d’avoir la « frousse », « les boules », « les
chocottes », « les chtouilles ». « Avoir les foies » peut se voir aussi comme «
avoir la chiasse », conséquence d'une très grande peur. A l’origine, on disait
même « avoir les foies blancs », car quelqu’un dans un état normal a le foie
rouge, et non blanc. L’expression « avoir les foies blancs » s’est ensuite
raccourci pour devenir plus simplement «avoir les foies ». Et on comprend la
suite...
Ami de Théo : « A ton avis, c'est un faux caïd ou un vrai branque ? »
« Caïd » est un mot d’origine arabe, qui désigne le chef. Dans le langage de la
rue, c’est devenu le chef de bande, le chef des voyous. Un cador dans sa branche
en somme...
A l’opposé, le terme de « branque » désigne une personne naïve ou stupide. A
l’origine, ce mot vient de l’argot des voyous. C’est un dérivé de « brancard » qui
désignait à l’époque un « cacolet », sorte de panier qui servait à transporter les
gueux à l’hospice. Les voyous, qui n’avaient que du mépris pour ces pauvres, les
ont ainsi associés à ce conteneur un peu particulier.
A noter que l’interrogation de l’ami de Théo n’a pas vraiment de sens. « Faux
caïd » ou « vrai branque », il n’y a que très peu de différence en réalité. Dans les
apparences peut être...
Fernand Naudin : « Je m'attendais à quelque chose de plus important. Mais
c'est un clapier ! »
En langage péjoratif, « clapier » désigne un logement misérable, un taudis ou un
lieu où sont entassés les pauvres. Une sorte de bidonville. Il peut s’employer
également dans le sens de maison mal famée ou encore de maison de tolérance
sordide. Fernand Naudin s’attendait peut être à trouver une belle demeure,
presque un casino. Et c’est une vieille maison délabrée, située dans un trou
perdu, qu’il trouve en face de lui.
Le mot est d’origine occitane, composé de « clap » (qui désigne un tas de
pierres) et de « ier ». Sa première utilisation est donc logiquement de désigner un
éboulis, un tas de pierre. Ce n’est que par extension que le mot est par la suite
employé pour parler d'une cage pour élevage de lapins. Pas forcément le grand
confort effectivement.
Pascal : « Je serais d'avis qu'on aborde mollo »
« Mollo » est un dérivé de « mou » ou « mol » mais à consonance italienne. En
langage populaire ou familier, cela signifie y aller doucement, tranquillement, en
douceur ou avec prudence pour ne pas prendre de risque. On remarque que «
Mollo » est ici employé avec le verbe « aborder » (« aborde mollo ») alors que «
Mollo » s'utilise généralement avec le verbe « aller ». Michel Audiard prend là
encore certaines libertés avec la syntaxe.
Un roman policier publié en 1955 par Zep Cassini (de son vrai nom Victor Marie
Lepage), Mollo sur la joncaille , reprend ainsi ce mot dans le titre. A noter que «
joncaille » signifie en argot de l'or ou des bijoux. Bref, de quoi prendre du «
carbure ». Lepage est, avec Albert Simonin, un des grands romanciers à écrire
des polars dans l'argot du milieu. Echappant de justesse à l'épuration (il aurait
fait parti de l'équipe de la rue Lauriston et se serait engagé dans la Milice)
contrairement à Simonin, il inspira au prix Nobel Patrick Modiano une partie du
roman Dans le café de la jeunesse perdue .
Pascal : « L'ami fritz ? »
Fritz était un prénom courant en Allemagne à la fin du XIXe siècle. Le terme de
« frisé », très utilisé pendant l’occupation allemande de la France entre 1940 et
1944, est dérivé de « Fritz ».
C’est aussi le titre d’un roman du même nom d’Erckmann-Chatrian, publié en
1864. Sous le pseudonyme Erckmann-Chatrian se cache deux auteurs, Emile
Erckmann et Alexandre Chatrian, deux écrivains français originaires de la
Moselle. A l’origine de récits régionalistes et nationalistes, ils situent l’action de
L’ami fritz en Alsace mais dans une zone rattachée au palatinat (région ouest de
l’Allemagne) depuis le congrès de Vienne en 1815.
Maitre Folace : « Quand le lion est mort, les chacals se disputent l'empire.
Enfin, on ne peut pas demander plus aux Volfoni qu'aux fils de Charlemagne
»
Pour décrire la succession difficile de Louis le mexicain (« trois morts subites en
moins d'une demi-heure » dixit Fernand), Maitre Folace fait référence à la
succession oh combien houleuse de Charlemagne, qui déboucha finalement sur
le fameux traité de Verdun.
Cet épisode historique mérite que l'on revienne dessus. Tout d'abord parce
qu'une petite erreur s'est glissée dans le propos du notaire. En effet, ce ne sont
pas les fils de Charlemagne qui ont posé problème, mais ses petits fils !
Pour cela, petit retour au IXème siècle. L'empereur Charlemagne meurt d'une
pleurésie (complication suite à une pneumonie) le 28 janvier 814 à Aix la
Chapelle. Il se fait d'ailleurs enterrer là-bas, dans son palais. Pour sa succession,
le problème va se régler avant sa mort. Son fils ainé Pépin, roi d'Italie, meurt en
810 et le cadet, Charles, en 811. Pour régler sa succession, l'empereur prend
donc la sage décision d'organiser en 813 pas moins de 5 synodes (assemblée
d'ecclésiastiques) pour régler la question de sa succession et l'organisation de
l'Empire. C'est notamment l'objet des conciles de Tours, de Mayence, d'Arles ou
encore de Chalon. Charlemagne prend soin de faire ratifier les décisions de ces
conciles en assemblée générale, à Aix la Chapelle. La succession revient donc
logiquement à l'unique survivant de ses fils : Louis.
Fernand Naudin : « Ouais, n'empêche qu'à la retraite de Russie, c'est les mecs
qu'étaient à la traîne qu'ont été repassés »
La retraite de Russie. On n'évoque plus tellement ce qui fut pourtant l’un des
épisodes les plus marquants et tragiques de l'Histoire de France. Même pour les
années 1960, cette référence semble venir de très loin. On peut y voir sans doute
la patte de Michel Audiard, grand lecteur et amoureux de littérature. Nous
associons en effet le plus souvent la retraite de l'armée napoléonienne au roman-
feuilleton de Tolstoï, Guerre et Paix . Mais, pour Audiard, il faut plutôt chercher
ses sources d'inspiration du côté de Balzac, dont il dévore les romans. Le grand
romancier français du XIXème, dont l'œuvre est fortement marquée par l'épopée
napoléonienne, fait en effet à plusieurs reprises de la campagne de Russie le
sujet de ses romans. Dans L'Adieu , Balzac dresse ainsi le portrait déchirant d'une
femme séparée du militaire français qu'elle aimait lors du passage de la
Berezina. Bataille de la Berezina que l'on retrouve également dans La Peau de
Chagrin . L'atmosphère de débandade de la retraite de Russie est également
largement dépeinte dans Le médecin de campagne .
Si Michel Audiard n'a aucun mal à trouver des récits de cet épisode tragique
dans la littérature, qu'en est-il de la réalité historique ?
Tout commence en 1812 avec la campagne de Russie. Napoléon rassemble 450
000 hommes dans ce que l’on appelle la Grande Armée. C'est d'ailleurs,
effectivement, la plus grande armée jamais rassemblée pour l'époque. Elle est
commandée par les plus grands maréchaux de l'Empire : Murat, Davout, Mortier,
Lefebvre, Ney, Gouvion Saint-Cyr, Poniatowski... presque de quoi faire le tour
complet des boulevards des Maréchaux à Paris ! Après avoir conquis toute
l'Europe, Napoléon 1er est au fait de sa gloire en 1812. Il a conquis toute
l'Europe, de l'Espagne à la Russie. Le traité de Tilsit fait de Napoléon et de la
Russie des alliés. Seule l'Angleterre résiste. Napoléon espère donc atteindre
l'Angleterre, qui possède alors la maitrise des mers, en s'emparant de sa colonie
anglaise de l’époque : l'Inde. Et pour atteindre l'Inde, il faut passer par la Russie.
Mais la Russie n'est plus un allié fiable, car elle continue de faire du commerce
avec l'Angleterre, en violation avec le traité d’alliance. Napoléon lance donc sa
grande coalition (composée de français, d'autrichiens, de Prussiens, de Saxons,
de Polonais...) contre l'empereur Alexandre 1er de Russie.
Les russes sont surpris, et la grande armée avance rapidement en territoire russe
jusqu'à Moscou. Pour finalement s'emparer de la ville après la victoire de la
Moskova sur l'armée de Koutouzov. Napoléon s'installe au Kremlin, le palais des
tsars, et ses troupes occupent Moscou. Le Maréchal Mortier est nommé
gouverneur de la ville.
Coup de génie, coup de bluff ou suicide, les russes vont alors incendier la ville,
qui sera détruite au trois-quarts, privant ainsi l'armée napoléonienne de vivres.
La Grande Armée doit donc faire demi-tour et commence alors cette fameuse
retraite, qui restera comme un des plus grands désastres de l'Histoire militaire.
Les troupes de Napoléon quittent en effet Moscou le 18 octobre 1812. Mais c'est
trop tard, le froid s'abat sur des soldats mal équipés pour ce climat et mal
encadrés par des officiers dépassés. La retraite est désordonnée, marquée par les
pillages de troupes indisciplinées, qui ont faim et froid. Napoléon commet aussi
l'erreur de passer par le même chemin qu'à l'aller. Les russes y avaient pourtant
détruit les vivres et les récoltes avoisinantes, privant les troupes napoléoniennes
de ravitaillement au retour. Les chevaux ne résistent pas non plus et sont mangés
par des hommes affamés.
Au passage de la Berezina, il ne fallait pas être à l'arrière en effet
Le 25 novembre, c'est une troupe de seulement 50 000 hommes qui se présente
pour traverser la Bérézina. Le fleuve n'est pas gelé, et les troupes russes
occupent le seul pont de la région. Napoléon fait construire deux ponts pour faire
passer ce qu'il reste de son armée. Entre le 26 et le 28 novembre, soldats,
voitures et marchandises vont traverser la Bérézina dans des conditions
difficiles. C'est justement le 28 que les russes passent à l'attaque. Les ponts sont
détruits par les pontonniers français pour empêcher les russes de passer. Laissant
environ 10 000 hommes, qui n'avaient pas encore traversé le fleuve, à la merci
des russes. Donc Fernand Naudin fait bien d'être sur ses gardes. A la Bérézina, il
ne fallait pas être à la traine...
Pour la petite histoire, des chercheurs ont récemment exhumé, du côté de
Vilnius, des squelettes de soldats de la grande armée (ils avaient sur eux des
pièces de 20 francs). Et ce qu'ils ont mis en évidence est assez incroyable.
L'armée de Napoléon n’aurait pas été vaincue par le froid, ni par la faim, ni par
les russes... mais par les poux ! En effet, la grande armée, en traversant des
régions et des routes sales, auraient pour beaucoup d’entre eux contracté le
typhus, diffusé par des poux. Beaucoup de soldats sont alors victimes de fortes
fièvres et de plaques rouges. Vinrent s'ajouter à cela des problèmes de
dysenterie, dus à des problèmes de ravitaillement en eau potable. Un mois
seulement après le début de la campagne de Russie, 80 000 soldats sont déjà
frappés par le typhus et sont morts ou invalides. L'épidémie va se diffuser, et
faire des ravages pendant tout le reste de la campagne.
A noter que Monsieur Fernand emploie ici l'expression « se faire repasser »,
utilisée encore fréquemment aujourd’hui dans le langage populaire. L'expression
signifie à l'origine se faire arnaquer, escroquer ou berner par quelqu'un. Dans le
cas présent, cela signifierait plutôt « retourner tout droit à la maison mère », ou
six pieds sous terre.
La Monarchie de Juillet
Antoine Delafoy : « L’ironie du primate, l'humour Louis-philippard... »
Le qualificatif « Louis-philippard » est loin d'être un compliment adressé à oncle
Fernand qui vient de critiquer Antoine et ses « instruments de ménage » destinés
à faire de la musique expérimentale. L'expression se réfère, bien-sûr, au règne du
roi des français, Louis-Philippe 1er, entre 1830 et 1848. « Louis-philippard » est
ainsi relatif à une politique « petite-bourgeoise », répressive pour les classes
populaires, mais libérale et bienveillante pour la bourgeoisie. Rapporté à
Fernand Naudin et à son humour, le terme qualifiera donc un certain
conformisme et une étroitesse d’esprit.
Revenons pour cela quelques instants sur le règne de Louis-Philippe. Il est le fils
de Philippe « Egalité », le cousin du roi Louis XVI, de la branche des Orléans, et
qui vota sa mort. A la faveur de l'abdication de Charles X, suite à la révolution
dite des « Trois Glorieuses » en juillet 1830, Louis-Philippe arrive au pouvoir et
prend le nom de Louis-Philippe 1er. Il devient roi des français, et non plus roi de
France, et instaure ce qui s'appellera « la monarchie de juillet ».
Sa légitimité est pourtant dès le départ contestée par les tendances politiques de
tous bords. A sa droite, les légitimistes contestent l'abdication de Charles X, qu'il
considère toujours comme le vrai roi de France. A la mort de « leur » roi, il
prenne le parti de « Henri V », plus connu sous le nom de Comte de Chambord.
Petit fils de Charles X, il est aux yeux des royalistes ultras le seul descendant
légitime. de la couronne de France. Louis-Philippe n'est donc qu'un usurpateur,
un « Orléans », qui plus est le fils d’un régicide. A sa gauche, ce sont les
républicains modérés qui contestent son autorité. L'opposition est notamment
incarnée par Alphonse de Lamartine, un ancien monarchiste passé dans le camp
républicain. Plus à gauche encore, l'opposition républicaine s'incarne aussi par
des figures comme les socialistes Armand Barbès ou Auguste Blanqui.
Fernand Naudin a un humour Louis-philippard
Louis-Philippe gouverne donc au centre, et va asseoir sa légitimité sur sa base
orléaniste, incarnant une monarchie libérale et modernisée. Le roi va s'appuyer
successivement, tout au long de ses 18 ans de règne, sur quelques grandes
figures du régime : François Guizot et le Duc de Broglie pour le parti orléaniste
(centre droit), Odilon Barrot et Adolphe Thiers (centre gauche) ou des figures
glorieuses de l'époque impériale, comme le Maréchal Soult.
Pendant les premières années de son règne, Louis-Philippe est apprécié et aimé
de ses concitoyens qui l’appellent même le « Roi Citoyen ». Son train de vie
modeste et son exercice du pouvoir modéré tranchent avec ses prédécesseurs. Le
roi entreprend un rapprochement avec l'Angleterre et la reine Victoria. L'heure
est à l'entente cordiale. Victor Hugo lui est reconnaissant d'avoir gracié pendant
son règne tous les condamnés à mort.
Mais, sa popularité va progressivement se dégrader avec l'arrivée au pouvoir des
conservateurs, rassemblés autour de la figure de François Guizot, en
remplacement des réformistes incarnés par Adolphe Thiers. Le pouvoir ne
parvient pas à empêcher la paupérisation des classes populaires, la baisse du
niveau de vie et l'accroissement des inégalités. Dès 1831, Honoré Daumier
croque le roi des français, le représentant en forme de poire, tel un Gargantua,
insistant particulièrement sur sa bedaine et ses rouflaquettes. Le pouvoir, déjà
fragilisé par l'opposition conjointe du camp républicain et des légitimistes, est de
plus mis en cause dans plusieurs scandales retentissant (l'affaire Choiseul
notamment). Par ailleurs, la crise économique de 1846-1848 frappe de plein
fouet le pays. A partir de 1847, les républicains organisent une campagne dite
des « banquets ». Cette campagne, qui prend la forme de « banquets » leur
permet de contourner l'interdiction des réunions politiques.
Louis-Philippe, caricaturé en forme de Poire par Daumier
L'interdiction des « banquets » en février 1848 suscite dans la foulée la
démission de François Guizot et l'abdication du roi Louis-Philippe. Ce dernier
part en exil pour l'Angleterre avec sa famille. La reine Victoria lui met à
disposition le château de Claremont. Comme quoi, l'entente cordiale avec
l'Angleterre lui aura servi à quelquechose. Il meurt en exil deux ans plus tard.
Entre temps, la deuxième République est proclamée le 24 février 1848. Elle sera
présidée par Louis-Napoléon Bonaparte, le futur Napoléon III. Pour prendre le
pouvoir, il rentre de son exil... en Angleterre.
La Colonisation
Raoul Volfoni : « C't'espèce de drôlerie qu'on buvait dans une petite taule de
Biên Hoa pas tellement loin de Saigon »
Nous sommes dans la cuisine avec les Tontons. Après s'être risqué au « bizarre
», à cette « boisson d'homme », l'atmosphère se détend, et on se laisse aller à
l’évocation des souvenirs et aux confidences. Visiblement, les Tontons ont des
références communes quand il est question de « taule » ou alcool. Et les
souvenirs sont coloniaux. Ils ont apparemment fait étape quelques temps à Biên
Hoa, au Sud du Viêt Nam. Cette ville proche de Saigon (située à 30 km) est
surtout connue pour avoir abrité une base aérienne de l'Armée de l'air française,
ayant notamment servi lors de la guerre d'Indochine. Les américains en feront
par la suite une de leur base militaire pendant de la guerre du Viet Nam.
« Bien Hoa, pas tellement loin de Saigon »
Et Saigon ? C'est l'ancien nom d'Hô-Chi-Minh-Ville, rebaptisée en 1975 du nom
du leader communiste suite à la prise de la ville par les troupes du nord Viêt
Nam. Grande ville du Sud du pays, c'est le vrai poumon économique du pays
devant Hanoi, la capitale. Saigon, joua un rôle essentiel sous l'ère coloniale
française (l'époque dont parlent les Tontons). A partir de 1887, au début de l'ère
coloniale, elle devient en effet la capitale de la province de la Cochinchine, puis
de toute l'Indochine française (qui regroupe alors la Cochinchine, l'Annam, le
Tonkin, le Laos et le Cambodge). Après l'indépendance en 1954 et la partition de
l'Indochine française en trois pays, (le Laos, le Cambodge et le Viet Nam),
Saigon devient la capitale du Viet Nam (pays qui regroupe la Cochinchine,
l'Annam et le Tonkin). Siège du commandement américain pendant la guerre du
Viet Nam et centre économique du Sud Viet Nam, elle perdra son statut de
capitale pour Hanoi suite à sa chute en 1975.
Fernand Naudin et Raoul Volfoni évoquent leur jeunesse en Indochine. Mais que
faisaient-ils là-bas ? Nous n'en saurons pas plus. Leur passage à Biên Hoa, qui
constituait alors une grande base aérienne militaire, peut cependant nous donner
quelques indices. Ou bien ils effectuaient leur service militaire sur cette base
française, ou alors ils trempaient déjà dans des affaires douteuses. La proximité
de la base aérienne procurait aux trafiquants une clientèle nombreuse de jeunes
hommes, susceptibles de claquer leur solde dans des alcools de fabrication
maison, dans l'opium (alors très répandu en Indochine française) ou encore dans
des maisons closes comme celle à « volets rouges » de Lulu la nantaise.
D'ailleurs, les Tontons venaient ils fréquenter l’établissement de la belle taulière
en tant que client ou comme hommes de mains pour en assurer la protection ?
Mystère...
Antoine Delafoy : « Bref seul rescapé d'une famille ébranlé par les guerres
coloniales »
Quand Antoine Delafoy parle de « guerres coloniales » de quelles guerres parle-
t-il ? Pour comprendre, petit retour en arrière sur les deux principales périodes de
constitution de l’empire colonial français.
La première période se situe à partir du XVIème pour se terminer à l’époque
napoléonienne, au début du XIXème siècle, avec la perte de l’essentiel de ce
premier empire colonial. Ce dernier était constitué à partir du XVIème siècle
avec la conquête de territoires nord-américains (la Louisiane, le Canada…), d’un
certain nombre d’îles aux Antilles, par l’archipel des Mascareignes dans l’Océan
Indien, et enfin par des conquêtes en Afrique et en Inde, avec l’établissement de
comptoirs. La France du XVIIIème siècle, affaiblie par la guerre de sept ans, est
contrainte de renoncer à un certain nombre de territoires en Amérique et en Inde,
pour ne conserver que quelques territoires antillais (Saint-Domingue,
Martinique, Guadeloupe), et des comptoirs (Pondichéry). Le commerce avec les
îles va d’ailleurs prospérer, notamment grâce au café et au sucre au XVIIIème.
Mais aussi malheureusement avec le trafic d’esclaves. Bien que marié à une
béké martiniquaise, Joséphine de Beauharnais, Napoléon délaisse ces colonies
pour se consacrer à ses conquêtes en Europe.
Ce n’est qu’à partir de 1830 que la France repart à la conquête de nouveaux
espaces pour à nouveau bâtir un vaste empire jusqu’à la fin du XIXème siècle.
Tout d’abord en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. Elle se tourne aussi
vers l’Asie, avec la conquête de la péninsule Indochinoise, et en Océanie
(Polynésie, Nouvelle-Calédonie). Ce vaste empire, le deuxième plus étendu
après l’empire colonial britannique, couvrira à son apogée près de 1/10ème de la
surface de la terre.
En 1963, la France achève son processus de décolonisation entamé au lendemain
de la Seconde Guerre Mondiale. Le sujet est donc encore brûlant. Le Maroc, la
Tunisie, l’AOF (Afrique Occidentale Française), l’AEF (Afrique Equatoriale
Française)...
En faisant référence aux guerres coloniales, Antoine Delafoy fait ici
indirectement référence aux récents conflits dans laquelle la France a été
durement engagée dans les années d’après-guerre, et qui se sont soldés par le
processus de décolonisation : Guerre d’Indochine (1945-1954), Guerre d’Algérie
(1954-1962). Quant aux aïeux de « monsieur Antoine », ils ont
vraisemblablement participé aux conquêtes de la fin du XIXème et du début
XXème, que ce soit en Afrique de l’ouest, au Maroc ou encore en Indochine.
La Première Guerre mondiale
Raoul Volfoni : « Il faut dire Monsieur Raoul vous avez buté Henri, vous avez
même buté les deux autres mecs ; vous avez peut être aussi buté le Mexicain,
puis aussi l'archiduc d'Autriche... »
Raoul Volfoni s'emporte. Il sent les accusations portées contre lui par Théo puis
Fernand Naudin à propos des « trois morts subites en moins d'une demi-heure ».
Mais que vient faire là cet Archiduc d'Autriche ?
Il est question ici de François-Ferdinand de Habsbourg-Este. Ouf ! Oui, rien que
ça ! Né en 1863 à Graz, il est le fils de Charles-Louis d'Autriche, le frère de
l'empereur François-Joseph. Neveu de l'empereur, prince royal de Hongrie et de
Bohême, il est aussi l'héritier du trône de l'Empire austro-hongrois.
Nommé inspecteur général des armées par l'empereur, il participe à des
manœuvres en Bosnie au mois de juin 1914. Le 28 juin, François-Ferdinand est
en visite à Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, et à l’époque une des
composantes multiples de l’Empire Austro-hongrois. Le parcours en voiture de
l'Archiduc à travers la ville est l'objet d'un attentat à la grenade. Si François-
Ferdinand n'est pas blessé directement, les occupants de la voiture suivante le
sont. Il demande donc à aller les visiter à l'hôpital. Ce changement d'itinéraire
imprévu oblige la voiture à s’engager et à s'arrêter au milieu de la foule. Un
jeune militant nationaliste serbe, Gavrilo Princip, en profite pour tirer sur
l'archiduc et sur sa femme Sophie. Le couple décède quelques minutes plus tard.
En Serbie, on observe des manifestations de joie à l'annonce de la nouvelle. Le
28 juillet, l'Autriche-Hongrie déclare la guerre contre la Serbie, accusée d'avoir
organisé l'attentat. L'Allemagne apporte son soutien à son allié autrichien, tandis
que la Russie lance une mobilisation générale pour soutenir la Serbie.
L'Allemagne déclare la guerre à la Russie. En vertu de l'accord de triple entente
entre les trois pays, la France et l'Angleterre soutiennent la Russie et déclare la
guerre à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie. C'est l'embrasement de toute
l'Europe, pour une guerre qui ne devait durer que quelques semaines (elle dura
plus de 4 ans), et devait être « la der des ders » (on connait la suite).
Non, ce n'est pas Raoul Volfoni qui a tué l'Archiduc d'Autriche
Raoul Volfoni en rajoute donc pour notre plus grand plaisir, d'autant que le
coupable de cette affaire est parfaitement connu. Hasard des évènements,
quelques jours seulement avant la sortie du film, un autre assassinat va marquer
l'histoire : celui de John Fitzgerald Kennedy à Dallas le 22 novembre 1963. Et
pour celui-là, niveau coupable, il y a encore des zones d'ombres : Lee Harvey
Oswald seul, pas seul, la mafia, les cubains, les castristes, les anticastristes, le
KGB, la CIA, les sudistes, le Vice-président Johnson, et pourquoi pas... Raoul
Volfoni finalement ? On pourrait donc remplacer l'archiduc par JFK dans le
dialogue, cela aurait aussi très bien fonctionné.
La Seconde Guerre mondiale
Fernand Naudin : « ... vous êtes des hommes d'action et je vous ai compris... »
Volontairement ou non, le dialoguiste a glissé une des phrases les plus connues
de l'histoire de France, et qui résonne encore tout particulièrement dans
l'actualité de l'époque. Fernand Naudin déclare en effet lors du conseil
d'administration à l'adresse des Volfoni : « je vous ai compris » comme un
certain Charles de Gaulle quelques années plus tôt...
Quelques explications s'imposent quant à la signification de cette phrase. Elle est
prononcée lors d'un discours du général de gaulle à Alger, le 4 juin 1958, depuis
le balcon du gouvernement général, sous les acclamations de la foule des pieds
noirs et partisans de l'Algérie Française.
Antoine Delafoy : « Franck Emile jouera pour la première fois Bliel. Corelli,
Beethoven, Chopin, tout ça c'est très dépassé, c'est très con, mais avec Bliel :
ça peut devenir féroce, tigresque. Bref tout le monde y sera. »
En opposant avec vigueur un compositeur contemporain (Bliel) avec les «
classiques » Corelli, Beethoven et Chopin, Antoine Delafoy semble rejouer
l’éternelle querelle des anciens et des modernes. Cette allusion à la grande
controverse du XVIIème n’est probablement pas fortuite, tant Michel Audiard
était fin connaisseur de la littérature française.
La célébrissime querelle des Anciens et des Modernes remonte en effet au Grand
Siècle, le siècle de Louis XIV (le XVIIème) et qui opposa les écrivains français
de l'époque entre deux conceptions de la création littéraire.
Les « Anciens » d’un côté, que l’on peut aussi qualifier de « Classiques », sont
menés par Nicolas Boileau, (poète, écrivain et critique littéraire) et défendent
l’idée que la création littéraire ne peut s'appuyer que sur les grandes œuvres
classiques des auteurs de l’Antiquité. En effet, les « Anciens » estiment que
l’Antiquité Grecque et Romaine représentent la création littéraire la plus aboutie
qui soit, et doit donc constituer un horizon indépassable pour les auteurs du
Grand Siècle. Les auteurs doivent donc puiser leurs sujets de tragédies parmi les
sujets antiques et respecter les règles classiques du théâtre édictées par Aristote
dans La Poétique .
Corelli
Beethoven
Chopin... dépassés !
Antoine Delafoy : « Les sonates de Corelli ne sont pas de la musique douce »
Fernand Naudin : « Mais pour moi ça en est. Et je suis chez moi ! »
Antoine Delafoy : « Ah j'aime ça, la thèse est osée mais comme toutes les
thèses parfaitement défendable. »
Arcangelo Corelli était un violoniste italien du XVIIème siècle qui passa
l'essentiel de sa vie à Rome. Professeur, il devient aussi compositeur,
uniquement pour violon et orchestre, il accède de son vivant à une grande
reconnaissance dans toute l'Europe. Admiré par ses pairs, il est représentatif du
style baroque italien et perfectionne la technique du violon. Il influença de
nombreux compositeurs à l'instar de Bach, Haendel ou encore Vivaldi. François
Couperin lui dédia même son Apothéose (ou Apothéose de Corelli ). Exigeant, il
refusa de nombreuses commandes officielles pour se consacrer à son œuvre. Il
ne laissa à la postérité que quelques sonates pour les églises ainsi que des sonates
de chambre. Un temps retiré à Naples, il tente un retour à Rome. Mais celui-ci
passe inaperçu. Alessandro Scarlatti lui fait un jour remarquer qu'il a fait une
fausse note. Il en meurt de chagrin.
Mais quelle sonate écoutent donc Antoine et Patricia au moment où l'oncle
Fernand rentre dans le salon ? Nous savons qu'il y a, dans cette sonate, une «
petite flûte » qui « allait répondre aux cordes ». Fernand Naudin lui-même dîne
tout en s'initiant à Corelli, avec la pochette du disque entre les mains. C'est le
compositeur Michel Magne qui a travaillé sur les musiques du film. De quelle
sonate s'est-il donc inspirée ? Réponse : aucune ! Le morceau que nous
entendons n'est en réalité pas du tout de Corelli. Michel Magne s'est en fait
inspiré du tube d'un groupe des années 60, Le Carillon de Notre Dame , dont on
entend d'ailleurs la version originale lors de la boum de Patricia. La soi-disant
sonate de Corelli, chef d'œuvre qui a traversé trois siècles d'Histoire de la
musique, n'est autre que l'adaptation d'une musique twist pour la jeunesse yéyé !
Quelle déception ! Mais en même temps, c'est bien joué de la part de Magne,
Audiard et Lautner. Avec la pochette du disque qui apparait à l'écran, on y
croyait.
Pour en revenir au débat qui agite Fernand Naudin et Antoine Delafoy, on ne
peut effectivement pas parler de musique douce pour les sonates de Corelli.
L'œuvre du compositeur italien se rattache en effet au style baroque, très en
vogue au XVIIème et au XVIIIème siècle pour la musique ou l'opéra.
Le style baroque vient d'Italie et a d'abord qualifié un nouveau style
architectural. En musique, la période baroque fait ainsi suite au « contrepoint »
de la Renaissance, qui consistait alors à superposer des lignes mélodiques
distinctes. Le baroque se caractérise notamment par une improvisation à partir
d'un chiffrage des accords. Les instruments jouant la partie improvisée formant
le « continuo ». Cette technique musicale est aussi connue sous le nom de «
basse continue ».
Ce jeune freluquet d'Antoine, qui se permet de répondre avec insolence à l'oncle
Fernand, a donc raison. Mais comble de l'agacement, il laisse malgré tout la
porte ouverte à la discussion: « la thèse est osée, mais comme toutes les thèses,
parfaitement défendable ». L'intitulé du débat : les sonates de Corelli sont-elles
de la musique douce ou de la musique baroque dans la maison de Fernand
Naudin ? Ambiance garantie pour une fin de soirée mouvementée.
Antoine Delafoy : « ... défenseur de Puvis de Chavannes... »
Antoine Delafoy évoque le goût de son père pour la peinture de Puvis de
Chavannes. S'il affiche un certain mépris pour ce grand peintre symboliste du
XIXème, le fils de bonne famille n'en connait pas moins ses classiques.
Evidemment, pour lui, Puvis de Chavannes c'est comme Corelli, Beethoven et
Chopin, c'est « très dépassé » et « très con ». Néanmoins, petit retour sur la vie et
l'œuvre du peintre.
Lors de plusieurs séjours en Italie, Pierre Puvis de Chavannes étudie la peinture
auprès de grands maitres de l'époque comme Henry Scheffer, Eugène Delacroix
ou encore Thomas Couture. Il est également influencé par l'œuvre de Théodore
Chassériau et ses peintures murales.
Alexandre Le Grand...
... Jules César. Une paire d'hommes illustres
Ce chef d'œuvre de Plutarque a, par la suite, inspiré de nombreux auteurs,
notamment Corneille et Shakespeare, pour les sujets de tragédie. Ou encore
Beethoven pour sa 3ème symphonie . Et même un certain... Michel Audiard, qui
fait ainsi référence à l'œuvre dans les Tontons.
Fernand Naudin : « Et bien, les génies se baladent pas pieds nus, figure toi !
Hein ? »
Patricia : « Et Sagan ? »
Patricia est une sale gosse, et elle a en plus de la répartie lorsqu'il s'agit de
répliquer à son oncle. « Et Sagan ? ». Patricia fait bien sûr allusion à Françoise
Sagan (de son vrai nom Françoise Quoirez), une des personnalités littéraires les
plus en vue de l'époque.
Mais l'allusion à Sagan n'est pas anodine. Il y a en effet des similitudes entre le
personnage de Patricia et celui de Françoise Sagan. On devine d'ailleurs que
l'écrivaine aux origines bourgeoises suscite l'admiration des jeunes filles de la
bourgeoisie française comme Patricia. Celle qu'on a qualifiée de « charmant petit
monstre », a en effet souvent défrayé la chronique mondaine et judiciaire au
cours de sa vie. Premier point commun avec Patricia : une scolarité agitée. Sagan
aussi s'est fait « éjecter de partout », de tous les cours privés pour jeunes filles de
la bonne société parisienne (couvent des oiseaux, cours Hattemer...). Comme
Patricia, qui a écrit une brillante dissertation sur Dieu, Sagan lit beaucoup et a de
solides références littéraires (Cocteau, Flaubert, Malraux, Proust, Hemingway...).
Et comme Patricia, la préparation au baccalauréat est difficile. Après un échec en
1951, elle réussira finalement l'épreuve à la rentrée de septembre.
Françoise Sagan est plus assidue pour faire la fête dans les boites de nuit et clubs
de Jazz de Saint-Germain-des-Prés, que pour fréquenter les amphithéâtres de la
Sorbonne. Patricia aussi semble plus intéressée par l'organisation de boums à la
maison ou par les sorties avec la bourgeoisie friquée parisienne pour voir Franck
Emile en concert. Fille (sans le savoir) d'un truand interdit de séjour et d'une
ancienne « sujet vedette chez madame Reine », Patricia semble avoir
parfaitement intégré tous les codes de la société bourgeoise.
A l'été 1953, Sagan écrit son premier roman, Bonjour tristesse , qui est publié en
1954. Celle qui s'appelle encore Françoise Quoirez prend « Françoise Sagan »
pour nom d'auteur, un emprunt au personnage du prince de Sagan dans l'œuvre
de Proust. Bonjour tristesse dépeint une bourgeoisie riche et désabusée, menant
une vie facile, un père enchainant les conquêtes, une fille cynique et
manipulatrice. A 19 ans, seulement, l'ouvrage connait un immense succès. Mais
c'est aussi un énorme scandale. Une fille qui couche sans tomber enceinte, une
structure familiale qui se disloque. Ça fait désordre...
Françoise Hardy...
Le « yéyé » est d’abord un courant musical qui voit le jour en Europe au tout
début des années 1960. Dérivé de l’anglais « yeah » ou « yé », fréquent dans les
chansons rock de l’époque, il se transforme en « yéyé ». La musique yéyé adapte
pour l’essentiel les rythmes et les codes de la musique anglo-saxonne de
l’époque. A partir de là, on désignera les artistes et les fans de cette musique par
l’expression « les yéyés », qui prend alors une connotation péjorative. Les yéyés
deviennent même un sujet d’étude pour les sociologues. La société découvre une
jeunesse, née après la guerre, qui veut avant tout s’amuser, loin de la politique,
de la décolonisation, des anciens combattants et horreurs du passé.
... Claude François...
La vague yéyé gagne bientôt tous les grands artistes de l’époque : Antoine,
Claude François, Sylvie Vartan, Eddy Mitchell, Sheila, Dalida Johnny Hallyday,
Salvatore Adamo, France Gall, Françoise Hardy, Jacques Dutronc et bien
d’autres. 1963, année de la sortie du film, c’est la grande époque de Salut les
Copains , un magazine mais aussi une émission culte sur Europe n°1 qui donne le
ton à la génération yéyé. A côté, les Brassens ou Gainsbourg font figure de
résistants face à cette déferlante.
Georges Lautner a aussi tourné la série des monocles avec Paul Meurisse
A noter que Paul Meurisse fut un temps pressenti pour jouer le rôle de Fernand
Naudin, suite au forfait de Jean Gabin. Il déclina cependant la proposition pour
des raisons de santé. Et c'est Lino Ventura qui récupérera finalement le rôle.
L'oncle Fernand n'aurait à l'évidence pas du tout eu le même style avec Paul
Meurisse. Difficile en effet d'imaginer l'élégant acteur, toujours très distingué,
toujours tiré à quatre épingle toujours propre sur lui, distribuant des bourre-pifs
en veux tu en voilà... Le tout en maniant la langue des faubourgs. Non, ça
n'aurait jamais fonctionné.
Pour l'anecdote, dans le dernier film de la série, Le monocle rit jaune , c'est Lino
Ventura qui fait une courte apparition auprès de Paul Meurisse, alias le
commandant Dromard. Comme un clin d'œil au clin d'œil ?
Maitre Folace : « Touche pas au grisbi, salope »
Par cette mythique saillie contre une invitée de la surprise-partie, Maitre Folace
fait bien évidemment allusion au film Touchez pas au grisbi , réalisé par Jacques
Becker et sorti dans les salles en 1954. La suite, Le cave se rebiffe , est également
portée sur les écrans sous le même titre par Gilles Grangier, en 1961.
Dans Touchez pas au grisbi , Jacques Becker et Albert Simonin vont assurer
l'écriture du scénario et proposer une adaptation fidèle au roman. Simonin assure
lui-même l'écriture des dialogues du film.
Touchez pas au grisbi met en scène Max le menteur (Jean Gabin) et Henri
Ducros, alias Riton (René Dary) deux « associés » qui viennent de réaliser un de
leurs plus beaux coups, avec le vol de lingots d'une valeur de 50 millions de
francs. Oui mais voilà, Riton parle malencontreusement à sa maitresse de ce
magot, qui balance le tuyau à Angelo Fraisier (Lino Ventura), rival des deux
associés. Angelo kidnappe alors Riton et propose de le libérer en échange des
lingots. Max et sa bande vont alors tenter de récupérer leur ami des griffes
d'Angelo, tout en conservant aussi les lingots. Au prix de multiples fusillades,
Riton est mortellement blessé et les lingots brulent malencontreusement lors de
l'explosion de la voiture d'Angelo. Angelo et Max ont tous les deux perdu le «
grisbi » dans la bataille.
Savoir déléguer
Fernand Naudin : Ouais, c'que j'vois surtout, si on doit arriver à flinguer,
vous préférez que ce soit moi qui m'en charge, c'est ça ?
[...]
Maitre Folace : « Mais qui vous demande d'intervenir personnellement ?
Nous avons Pascal. Je le convoque ou pas ? »
Si Fernand Naudin monte souvent lui-même au front, il sait aussi suivre les
conseils avisés de son notaire, maitre Folace. Oui, quand il s'agit de faire une
descente dans un meeting d'opposants, il est préférable de faire appel à un ami
expert dans le maintien de l'ordre. Par exemple en convoquant Pascal. Inutile que
le grand chef se salisse les mains au maniement des armes. S'il est important de
s'impliquer et de ne pas fuir ses responsabilités, il convient également de savoir
déléguer certaines actions à ses collaborateurs. Notamment lorsqu'ils sont plus
performants que vous dans ce domaine. N'oubliez pas que chacun a besoin de
reconnaissance et de se réaliser. Dans votre équipe, tout le monde doit donc
pouvoir exercer des responsabilités à un moment donné pour pouvoir
s'accomplir.
Théo : « Voilà, j'arrive .... Vous, Monsieur Fernand ? »
Fernand Naudin : « Ben quoi ? Ça a l'air de t'épater ? »
Théo : « Raoul Volfoni est ridicule ! Je lui avais demandé de m'envoyer un
chauffeur, pas de vous déranger. »
[…]
Théo : « Tout est en ordre ! Mais Monsieur Fernand, vous ne prétendez pas ...
»
Fernand Naudin : « ... Quand y'a six briques en jeu, je prétends n'importe
quoi. »
Fernand Naudin est tombé dans le piège tendu par Théo. Probablement à cours
de main d'oeuvre, il se rend lui-même seul à la distillerie et se croit obliger
d'effectuer lui-même la livraison de pastis clandestin. Théo avait bien jugé le
caractère de monsieur Naudin, volontiers « impulsif », et trop souvent adepte du
proverbe « on n'est jamais si bien servi que par soi-même ». Il en paiera les
conséquences sur la route de Fontainebleau. Contrairement à Fernand, ne vous
précipitez pas pour effectuer toutes les activités à la place de vos collaborateurs
au prétexte que vous faites mieux ou que vous savez mieux. Est-il normal que le
chef d'une organisation mafieuse du calibre de celle du mexicain en soit réduit à
conduire lui-même son camion de livraison ? Là encore, n'oubliez pas de
déléguer de temps en temps. D'autant plus si vous sentez qu'il y a un piège.
Fernand Naudin : « Ça vous dirait de faire une petite commission pour moi ?
»
Pascal : « Nous, si les Volfoni sont plus dans le tourbillon ! »
Bastien : « Présenté comme ça, la chose peut nous séduire ! »
A la fin du film, monsieur Fernand semble d'ailleurs avoir bien compris la leçon.
Il propose à ses deux porte-flingues d'aller de sa part voir Théo à la distillerie.
Pour faire une petite « commission » comme il dit sous la forme d'une litote. Car
en réalité, il s'agit surtout de l'éliminer. Mais c'est ce pauvre Tomate qui va y
passer. Comme vous le voyez, il faut toujours faire confiance à des spécialistes
qui trouveront leur intérêt (et même leur plaisir) à effectuer efficacement les
tâches pour lesquelles ils ont été recrutés.
Motiver ses équipes
Fernand Naudin : « Vous avez l'air en pleine forme là ? Gais, entreprenants,
dynamiques ... »
Raoul Volfoni : « Et en plus, tu nous charries, c'est complet. »
Oui, bon, ce n'est peut être pas le meilleur exemple. Il est exact que le patron est
un peu ironique et surtout excessif dans son propos, tant l'ambiance à bord de la
péniche n'est pas des plus détendue. Mais l'idée est là. Prenez garde toutefois à
bien choisir vos mots, n'en faites pas trop, et faites attention au ton que vous
employez. Sinon effectivement, vos collaborateurs pourraient vraiment mal le
prendre.
Bien conduire une réunion
Raoul Volfoni : « J'croyais pas t'avoir invité... »
[...]
Fernand Naudin : « Si c'est des obsèques du Mexicain dont tu veux parler,
c'est moi que ça regarde. Maintenant si c'est celle d'Henri ... Tu pourrais peut
être les prendre à ta charge. »
Raoul Volfoni : « Non, ça ne va pas recommencer, j'vais pas encore endosser
le massacre. »
Fernand Naudin : « On parlera de ça un peu plus tard. Pour l'instant on a
d'autres petits problèmes à régler, priorités aux affaires. Je commence par le
commencement. Honneur aux dames. Mme Mado je présume ? »
[…]
Fernand Naudin : « Bien je vous remercie madame Mado, on recausera de
tout ça ... Qui est ce le mec du jus de pomme ? »
[…]
Fernand Naudin : « Bien, et maintenant à nous, dans votre secteur pas de
problème, le jeu a jamais aussi bien marché. »
Fernand Naudin vient à peine de faire irruption dans la salle qu'il a déjà pris le
contrôle des débats. Et d'emblée, il recadre l'objet de cette réunion à laquelle il
n'était initialement pas convié faut-il le rappeler. Ce qui nous permet de
souligner au passage que le choix des personnes invitées à une réunion est une
étape importante à ne pas négliger, et qui se révèle souvent crucial. Par exemple,
ne pas inviter son chef peut se révéler du plus mauvais effet. Mais revenons à
l'ordre du jour ! On ne parlera donc pas des obsèques du Mexicain, l'action est
du côté du patron. On ne parlera pas non plus des obsèques d'Henri, c'est Raoul
Volfoni qui est cette fois-ci proposé pour prendre en charge le sujet. Non,
Fernand annonce le périmètre de la réunion : « priorités aux affaires ». Ce qui
donne un cadre. Toujours aux commandes, c'est aussi lui qui interroge tour à tour
les différents protagonistes : madame Mado, puis Théo et enfin les Volfoni et
Tomate. Nous pouvons admirer la rigueur et la fermeté de Fernand dans sa
conduite de réunion. Le sujet est bien cadré dès le départ, ce n'est pas la
cacophonie mais un tour de table structuré où chacun intervient lorsque c'est son
tour. Bien définir l'objet de la réunion, faire un tour de table. Quelques bonnes
pratiques trop souvent oubliées. A retenir.
Surveiller le planning
Fernand Naudin : « Je t'ai déjà dis que j'en avais pour 48 heures maximum »
Fernand Naudin s'apprête à partir en voiture de Montauban, et il est frappé
comme tout le monde par un biais d'optimisme. A première vue, nous sous-
estimons tous systématiquement l'ampleur d'une tâche par excès d'optimisme et
peut être un manque d'expérience ou d'analyse approfondie. Ce qui nous conduit
à annoncer des dates de fin de projet irréalistes dès le départ. Si Fernand Naudin
ne se doute pas de ce qui l'attend (la reprise des activités de Louis, son nouveau
rôle de tuteur), il s'est néanmoins un peu trop avancé quant à sa date de retour,
sans peut-être se renseigner un minimum sur ce qui l'attend réellement.
Fernand Naudin : « Et bien, vous êtes gentil, je vous remercie, mais ... ce qui
m'arrangerait surtout, c'est si on pouvait régler nos affaires dans la journée. »
L'homme de Montauban est cette fois-ci au courant de ce qui l'attend. Il a vu son
ami Louis. Il sait tout ou presque : les affaires de Louis, le clapier de Tomate, la
distillerie clandestine, les Volfoni, Théo. Il sait même qu'il va devenir tuteur de
Patricia. Ce qui ne l'empêche pas d'être encore beaucoup trop optimiste et
complètement irréaliste lorsqu'il annonce qu'il veut régler les problèmes dans la
journée. Attention, il est important de savoir mettre à jour son planning
régulièrement et de prendre en compte les nouvelles contraintes et charges de
travail imprévues.
Fernand Naudin : « Moi demain à sept heures je ne serais pas loin de
Montauban, quant à mademoiselle Patricia, elle sera à ses études »
Attention, alerte à l'aveuglement. Fernand Naudin persiste dans son optimisme
qui traduit évidemment une volonté de se sortir au plus vite de toutes ces
histoires. Il serait nécessaire qu'il fasse dès à présent une petite analyse des
risques. Cela lui permettrait certainement de se préparer au pire, c'est à dire à
quelques nuits supplémentaires loin de Montauban.
Patricia : « Du thé à sept heures du soir ? »
Fernand Naudin : « C'est à dire qu'en ce moment, j'suis un tantinet décalé
dans mes horaires, oui. »
Fernand Naudin a traversé de nuit presque toute la France pour arriver juste à
temps au chevet de Louis. Il est donc logiquement fatigué et décalé dans ses
horaires. C'est le mal de notre temps que tous ces voyages d'affaires. En plein «
jet lag », l'entrepreneur prend son petit déjeuner à 7h du soir. A tous les
managers qui ont l'habitude de voyager, prévoyez-vous des périodes de repos,
mais n'oubliez pas de vous recalez au plus vite dans les horaires de la zone où
vous vous trouvez.
Surveiller le budget
Fernand Naudin : « Non mais, ces mecs n’auraient pas la prétention
d'engourdir le pognon de ma nièce, non ? »
[…]
Maitre Folace : « Vous savez combien il reste au compte courant ? 60 000, 6
briques ... »
Fernand Naudin : « Qu'est ce que ça veut dire ? Y'aurait du coulage ? »
Tout au long du film, Fernand Naudin garde un œil inquiet sur le budget de
l'organisation. Il faut dire que l'argent ne rentre pas comme il devrait. C'est la
révolte parmi les administrateurs des différentes succursales de l'organisation.
Secondé par maitre Folace qui suit le dossier de près, Fernand Naudin n'hésitera
pas à passer lui-même chez certains mauvais payeurs pour des opérations
sauvages de recouvrement destinées à remplir les caisses. Vous aussi, lorsque
vous êtes à la tête d'un projet ou d'une organisation, gardez constamment un œil
sur le budget. C'est le nerf de la guerre. Moins de budget, c'est moins de
ressources, moins de sous-traitants, moins de qualité. C'est un projet en danger.
Surveiller le périmètre d’activité
Raoul Volfoni : « Je te téléphonais seulement pour t'avertir qu'à la distillerie, y
sont en plein baccara, tu devrais t'en occuper, c'est ton rôle grand chef. »
Fernand Naudin : « Mais de quoi tu t'occupes ? »
Raoul Volfoni se délecte évidemment de téléphoner à son patron pour lui
annoncer des dysfonctionnements dans l’entreprise. Il a même le culot de
suggérer à son chef d’aller s’en occuper lui-même. Il paiera chèrement en
bourre-pifs cet excès de zèle malvenu et surtout imprudent vu le contexte.
Fernand Naudin a donc bien raison de recadrer immédiatement ce collaborateur
trop agité et de lui signifier qu’il n’a pas à se mêler des histoires de la distillerie.
Le domaine d’activité des Volfoni est et reste le jeu, pas le pastis clandestin.
Vous aussi, ayez toujours un œil très attentif sur les domaines d’activités de
chacun de vos collaborateurs. Il existe une tendance naturelle à sortir de son
cadre, et à exercer des activités non prévues. Ou encore de se mêler, même pour
dépanner, de projets qui ne les regardent pas. Eviter les confusions et recadrer
avec eux leurs périmètres au besoin.
Pascal : « Alors voilà, monsieur Fernand, on est passé à la distillerie. Théo
était pas là, on est tombé sur Tomate, curieux non ? »
Fernand Naudin : « Qu'est ce qu'il faisait là ? »
La première réaction de Fernand Naudin est significative. Il ne comprend pas et
ne tolère pas que Tomate, le spécialiste du jeu, soit allé se mêler d’histoires de
distillerie chez Théo. Maintenant, l'ampleur de la sanction administrée par Pascal
et Bastien n’est évidemment pas nécessaire. Un recadrage ferme et factuel
suffira largement.
Savoir accepter la critique
Pascal : « Oui, mais Monsieur Fernand, ce que vous avez fait aux Volfoni,
c'est pas bien ! »
Bastien : « C'est surtout pas juste ! »
Fernand Naudin écoute avec attention les reproches de Pascal et Bastien. Les
deux cousins ont beau parler sur un ton posé et bienveillant, les termes sont forts
: « c’est pas bien », « c’est pas juste ». Pourtant, le patron de l’organisation ne
prend pas mal ces reproches, et accepte au contraire de reconnaitre qu’il a peut-
être eu tort à propos des Volfoni. Nul ne peut prétendre avoir toujours raison et
détenir seul la vérité. A la manière d’un Fernand Naudin, volontiers magnanime,
apprenez à écouter les reproches (constructifs) qui vous sont faits. Pour en tenir
compte et progresser. Après cette explication, l’entrepreneur de Montauban va
enfin prendre les bonnes décisions en se concentrant sur Théo et sa bande, et non
plus sur les Volfoni qui n’y étaient (presque) pour rien depuis le début.
Prendre une décision
Louis le mexicain : « Voilà je serai bref. Je viens de céder mes parts à Fernand
ici présent. C'est lui qui me succède »
Raoul Volfoni : « Mais, tu m'avais promis de m'en parler en premier ! »
Louis le mexicain : « Exact ! J'aurais pu aussi organiser un référendum, mais
j'ai préféré faire comme ça »
Sans être l'exemple idéal pour illustrer la prise de décision, l'organisation du
mexicain est en effet tout sauf une démocratie, cet échange entre Louis et Raoul
montre néanmoins que le chef de l'organisation est capable de trancher, de
prendre une décision ferme, de s'y tenir et de la défendre malgré les
contestations. Sans aller jusqu'à cette fermeté extrême, un leader doit être
capable de prendre une décision même si celle-ci est mal acceptée au départ. En
revanche, il conviendra dans ce cas d'écouter davantage que Louis les
oppositions et de défendre le bien fondé de cette décision. Avec des flingues
cachés sous les couvertures, il y a encore une marge de progression de ce côté là.
Savoir sanctionner
Fernand Naudin : « J'avais oublié : les 10% d'amende. Pour le retard. »
Raoul Volfoni : « Il a osé me frapper. Il se rend pas compte. »
Fernand Naudin revient dans la salle de réunion du conseil d'administration et
administre un magistral bourre-pif à Raoul Volfoni qui a le malheur d'aller lui-
même ouvrir la porte. Premier bourre-pif d'une longue série. Il lui précise au
passage le montant de l'amende à payer pour les retards de paiement. Si le
principe d'une sanction est nécessaire, il convient néanmoins d'éviter deux
choses. D'abord le bourre-pif, qui est à bannir dans le monde du travail (et en
dehors aussi). Et enfin, si sanction il y a, vous devez avertir par avance votre
collaborateur sur les règles à respecter et lui rappeler à quoi il s'expose s'il ne
rectifie pas son comportement. Vous aurez alors fait le maximum pour ne pas en
arriver aux extrémités de monsieur Fernand.
Entretenir ses réseaux
Raoul Volfoni : « Nous par contre, on est des adultes, on pourrait peut être
s'en faire un petit ? »
Fernand Naudin : « Ça le fait est. maître Folace ? »
Maitre Folace : « Seulement, le tout venant a été piraté par les mômes. Qu'est
ce qu'on fait, on s'risque sur le bizarre ? Ça ne va rajeunir personne. »
Raoul Volfoni : « Ben nous voilà sauvés. »
Fernand Naudin, maitre Folace et les frères Volfoni partagent quelques verres de
l'amitié dans la cuisine. Une façon de ressouder les liens et d'oublier les conflits
présents. La méthode fonctionnera d'ailleurs au delà de toutes les espérances.
Fernand et les Volfoni sont, pour un temps, réconciliés et s'associeront même,
sous l'effet de la boisson, pour chasser tous les invités de la boum de Patricia.
Inutile d'en arriver là. Par contre, apprenez à cultiver votre réseau et participer de
temps en temps à des « afterworks » avec d'autres collègues, notamment d'autres
managers. Un moyen d'échanger sur vos méthodes de travail dans une ambiance
conviviale. Et pour l'équipe, pensez à organiser de temps à autre un évènement
pour reconnaitre le travail et l'engagement de chacun ou pour remotiver vos
troupes si elles en ont besoin.
Patricia : « Oui, le bachot sans relations, c'est la charrue sans les bœufs, le
tenon sans la mortaise, bref, une nièce sans son petit oncle ! »
Patricia a bien compris l'importance des réseaux et de travailler son relationnel.
Peut-être un peu trop d'ailleurs. Attention à ne pas tomber dans l'excès inverse.
Passer son temps sur les réseaux sociaux n'est pas non plus votre cœur de métier.
Et l'organisation trop rapprochée d'évènements risque de tuer l'effet recherché.
Trop d'évènements tuent l'évènement.
Patricia : « Mon oncle, c'est merveilleux, je n'aurais jamais pensé qu'on avait
autant d'amis. »
Fernand Naudin : « Nous en avons encore beaucoup plus que tu ne le penses
! »
Votre réseau est sans doute beaucoup plus développé que vous ne le pensez.
Réseau du lycée, de la fac, des écoles, des associations, de vos anciens boulots,
de vos précédents postes dans l'entreprise. Oui, comme le dit si bien Fernand,
des relations, nous en avons beaucoup plus qu'on ne le pense.
Gérer le recrutement et les carrières
Pascal : « A la fin de sa vie, il s'était penché sur le reclassement des
légionnaires. »
En route pour le tripot clandestin de Tomate, Pascal parle à Fernand Naudin des
filières de recrutement plutôt « exotiques » de son ancien patron Louis. Après les
mystères sur l’arrivée de Théo « le coquet » au sein de l’organisation, une autre
source prometteuse en hommes de main semble avoir connu quelques succès : la
Légion étrangère. Dans vos processus de recrutement, inspirez-vous de Louis le
mexicain, et essayez vous aussi de diversifier le profil des candidats recherchés.
Trop d’entreprises souffrent de « cooptation » et vivent sur des cercles d’anciens
des mêmes grandes écoles, ou alors sur des profils très lisses de jeunes
surdiplômés qui ne veulent surtout prendre aucun risque pour leur avancement.
Pensez au contraire à compléter vos équipes par des profils plus autodidactes ou
plus rebelles, susceptibles d’enrichir l’expérience de vos équipes, mais aussi
d’examiner les problèmes sous un angle différent.
Maitre Folace : « Et puis il est pas plus british que vous et moi ; c'est une
découverte du Mexicain. »
Louis est décidément un expert pour dénicher des talents insoupçonnés. N’a-t-il
pas eu une riche idée de recruter Jean ? Cet ancien cambrioleur, sans doute un
peu maladroit puisqu’il s’est fait prendre à de nombreuses reprises, était en
réalité fait pour exercer le métier de majordome de standing. Oui, l’ancien patron
faisait aussi paradoxalement dans la réinsertion de malfaiteurs. Comme lui,
apprenez à trouver le talent qui se cache derrière un candidat aux apparences peu
flatteuses.
Patricia : « Non, monsieur me proposait une tournée en Egypte. »
Antoine Delafoy : « Hein ? »
Raoul Volfoni : « Non, j'disais l'Egypte comme ça ! J'aurais aussi bien pu
dire... Le Liban. »
Vous avez un élément très prometteur dans votre équipe ? Tant mieux pour vous
et apprenez à en tirer parti tant qu’il est là pour faire progresser votre activité.
Mais cela n’aura qu’un temps, et il aspirera forcément à évoluer. Ne cherchez
donc pas à le bloquer ou à le retenir à tout prix. Au contraire, prenez exemple sur
Raoul Volfoni qui a su percevoir la fabuleuse carrière internationale qui attend
Patricia au Moyen-Orient. Comme lui, aidez-le à progresser et à grimper. Il
pourra vous être un allié précieux par la suite pour vos projets ou votre propre
carrière.
Les lieux
L'Eglise Saint-Germain de Charonne
La cérémonie de mariage de Patricia et Antoine, à laquelle Monsieur Fernand
manque d'arriver en retard pour régler quelques affaires courantes, a été filmée
devant, puis à l'intérieur de l'église Saint-Germain de Charonne, dans le 20ème
arrondissement de Paris.
Elle doit son nom à Saint Germain, évêque d'Auxerre vers l'an 430, qui aurait
rencontré Sainte- Geneviève, la future patronne de Paris, à Charonne. Dans le
film, on aperçoit d'ailleurs à l'intérieur de l'Eglise un tableau peint par Joseph-
Benoit Suvée représentant cette rencontre. Dans cette prise de vue, les Tontons
sont alors dans une posture improbable, agenouillés sur des prie-Dieu, en plein
recueillement. Un oratoire aurait été bâti à l'emplacement de cette rencontre. Ce
qui deviendra plus tard l'actuelle église Saint-Germain de Charonne, datant du
XVème et XVIIIème siècle essentiellement, avec même quelques restes du
XIIème siècle.
Cimetière de Charonne
L'église et le cimetière donnent sur une place, la place Saint-Blaise, toute proche
de la rue Saint-Blaise. C'est l'ancienne place de la mairie, lorsque la commune de
Charonne existait encore. Le nom de la rue et de la place est lié à une chapelle de
l'église, consacrée justement à Saint-Blaise (un martyr romain du IIIème siècle).
La place Saint Blaise, dans le quartier de Charonne
Le bowling de la Matène
Au début du film, Fernand Naudin retrouve son ami d'enfance Louis le mexicain
sur son lit de mort. Le mexicain « n'a pas été rappelé ». Il est donc venu
clandestinement et a trouvé refuge chez un ami commun, Henri, qui tient un
bowling sur les champs Elysées. Ça, c'est pour le scénario.
Dans la réalité, les scènes au bowling n'ont pas été tournées aux champs Elysées
bien évidemment (il n'y a pas de bowling sur la plus belle avenue du monde),
mais dans un vrai Bowling, flambant neuf, le bowling de la Matène à Fontenay-
sous-Bois.
Construit en 1961, il est la réplique exacte d'un bowling de Chicago. Son
promoteur, un certain monsieur Dhérin, croit en l'avenir de ce sport encore peu
répandu dans l'hexagone.
L'inauguration en décembre 1961 se fait en grande pompe et réunit quelques
vedettes de l'époque tels que l'acteur Fernandel (qui lancera la première boule, la
boule d'or), Félix Marten (acteur et chanteur), Philippe Clay (acteur) ou encore le
journaliste sportif Roger Couderc.
Fernandel inaugure le bowling de la Matène en 1961
Si le bowling accueille des compétitions sportives (championnats, coupes...), il
est aussi régulièrement utilisé pour le tournage de films, de séries, de clips ou de
publicités. C'est le cas de Monsieur Hire de Patrice Leconte en 1989 (avec
notamment Michel Blanc) ou encore de Jean-Philippe de Laurent Tuel en 2006
(avec Fabrice Lucchini et Johnny Hallyday).
Villa Seurat
Après la fugue de Patricia, l'oncle Fernand se lance à sa recherche, aidé en cela
par le majordome « so british » Jean qui a eu la bonne idée de relever le numéro
du radio-taxi qu'elle a pris (« Yes sir ! »).
Le taxi s'arrête à l'entrée d'une impasse que l'on reconnait être la Villa Seurat.
Située dans le 14ème arrondissement de Paris, elle débute au niveau de la rue de
la Tombe-Issoire. Bâtie dans les années 1920, ce qui s'appelle alors la cité Seurat
a vocation à abriter et regrouper des artistes dans des ateliers et maisons dans le
style de petits hôtels particuliers.
Louis le mexicain : « Ouais, j'ai compris : les potes, c'est quand tout va bien. »
Fernand Naudin : « Ça va pas toi, dis ? Hein ? J'ai pas dis ça ! »
Autre valeur importante, l'amitié. Fernand le fait d'ailleurs remarquer à son pote,
il a tout laissé pour venir le voir, juste au moment de la foire d'Avignon. Il
s'offusque donc que son ami puisse douter un instant de son amitié et de sa
fidélité malgré toutes les années passées.
Fernand Naudin : « J’ai promis à mon pote de m’occuper de ses affaires ».
Si la perspective de jouer au tuteur et au gestionnaire en affaires douteuses ne
l'enchante guère, il va néanmoins le faire par amitié et fidélité. Même au prix de
« nervous breakdown » comme le lui prédit Paul Volfoni. Car une promesse est
une promesse.
Maitre Folace : « Et c'est pour ça que je me permets d'intimer l'ordre à
certains salisseurs de mémoire qu'ils feraient mieux de fermer leur claque
merde ! »
La fidélité, le souvenir même après la mort, Fernand Naudin n'est pas le seul à
l'incarner. Ainsi Maitre Folace se lance dans un hommage vibrant envers son ami
Jo le trembleur, victime des ragots de certains salisseurs de mémoire.
Machisme et condition féminine
Fernand Naudin : « Monsieur Delafoy, quand vous aurez terminé avec vos
instruments de ménage... » ?
Si l'oncle de Montauban et ses amis sont prompts à la nostalgie après quelques
verres de vitriol, ils sont nettement moins ouverts à la modernité. Lors de
l'arrivée de Fernand Naudin chez Antoine, pour retrouver sa nièce, il fait en effet
des réflexions sur l'œuvre d'Antoine (« instruments de ménage ») qui témoignent
d'une absence totale de compréhension de l'art moderne. Déjà que l'oncle de
province n'avait pas d'avis sur la question, le voilà à contempler de la
robinetterie et des balles de ping-pong censées interpréter la musique des «
sphères ». Ici, Audiard se moque à la fois des jeunes créateurs qui se prennent
pour des génies, mais aussi des personnages comme Fernand Naudin, totalement
hermétiques à la culture moderne.
Antoine Delafoy : « Adolphe-Amédée témoigne en matière d'art de perversion
assez voisine des vôtres. »
Le propre père d'Antoine Delafoy, le « Président », ne semble d'ailleurs rien y
comprendre non plus à la modernité. Pétri de culture classique, et issu d'un autre
milieu que Monsieur Fernand, ses références en matière d'art (Puvis de
Chavannes, Reynaldo Hahn) ne rencontrent pas plus d'échos ou de
compréhension chez son fils, qui se moque volontiers des références
complètements dépassées d'Adolphe-Amédée.
Ce conflit entre les anciens et des modernes met en scène le père et le fils
Delafoy d'une part, mais aussi Patricia et son oncle de l'autre, ce dernier ne
semblant guère goûter aux arts de l'époque : le twist, la musique yéyé et les
romans de Françoise Sagan.
Conservatisme social
Louis le mexicain : « Mais je m'en fous du ciel ... J'y serai un petit homme »
Chez les Tontons, question religion, on est croyant. Peut-être un peu moins
pratiquant, ou alors une pratique un peu particulière... Dans les échanges entre
Fernand et Louis au début du film, on comprend d'ailleurs que le mexicain croit
au ciel, et admet lui-même qu'il y sera peu de chose par rapport à Dieu.
Louis le mexicain : « Je l'avais faite élever chez les sœurs »
Mais sa piété ne s'arrête pas là, car il a voulu le meilleur pour sa petite fille. Il a
donc confié son éducation à des religieuses, dans des pensions tenues par des
sœurs. La dissertation de Patricia, qui lui vaut « seulement » la note de 16 sur 20
ne portait-elle d'ailleurs pas sur l'existence de Dieu, débattue à grand renfort de
Bossuet et de Pascal ?
Maitre Folace : « c'est moi qui l'ai tenue sur les fonts baptismaux »
La jeune fille a bien évidemment été baptisée. Maitre Folace en sait
quelquechose, puisqu'il est lui-même le parrain de la jeune fille.
Les autres Tontons ne sont pas en reste. On peut noter leur recueillement très
solennel lors de la cérémonie à l'Eglise, dans la toute dernière séquence du film,
agenouillés sur leurs prie-Dieu, l'air grave, attentif, Paul Volfoni se prenant
même la tête dans la main, sans doute pour réciter quelques prières à l'intention
des jeunes mariés.
Tout le monde est là, même Pascal et son cousin Bastien qui viennent d'éliminer
Théo en plastiquant sa voiture à la sortie. En rentrant dans l'église, ils prennent
même le temps de prendre de l'eau bénite dans la main pour faire le signe de
croix.
Fernand Naudin : « ... les histoires de famille, ça, c'est comme une croyance,
ça force le respect. »
Fernand Naudin lui-même, dont on ignore le rapport à la religion, admet que les
croyances, au même titre que les histoires de famille, il respecte profondément.
La famille
Raoul Volfoni : « ... mais mon frère et moi, c'est pas notre genre... »
Après la religion, la famille justement pour finir. L'univers des Tontons flingueurs
, c'est en effet une grande famille. A part Fernand Naudin, dont on ne sait rien à
ce sujet, la plupart des autres personnages évoquent à un moment donné leur
famille.
Raoul et Paul Volfoni travaillent ainsi en famille et sont associés (à 50%) dans
toutes les affaires de tripots clandestins.
Pascal : « ... j'habite chez ma mère. »
Pascal, la première gâchette qui n'hésite jamais à sortir son arme, informe de
façon presque touchante qu'il habite chez sa mère. Un « Tanguy » qui pose son
Beretta sur sa table de nuit, ce n'est pas forcément très courant. Il semble
d'ailleurs posséder toutes les qualités d'un bon fils, très prévenant et sans histoire
(« chez nous c'est la règle, santé, sobriété »).
Pascal : « Bastien, c'est le fils de la sœur de mon père, comme qui dirait, un
cousin direct »
Ce même Pascal qui discute d'ailleurs des nouvelles de la famille avec Bastien,
le porte flingue des Volfoni. Nous apprenons par la suite que Bastien n'est autre
que son cousin germain.
Patricia : « Ça ne vous ennuie pas que je vous appelle tonton ? »
Patricia n'a plus ses parents, mais semble vouer un culte et une grande
admiration à son oncle, même si elle lui cause bien des soucis. L'oncle Fernand
semble d'ailleurs peu à son aise dans son nouveau rôle de tonton/tuteur, ne
sachant pas, par exemple, s'il doit embrasser sa nièce lors de leur rencontre. « Ça
se fait » doit-elle lui dire.
Antoine : « Papa, Adolphe-Amédée Delafoy, dit « Le président »
Enfin, nous faisons connaissance lors de la demande en mariage avec le père
d'Antoine, Adolphe-Amédée. Si beaucoup de choses les séparent, notamment
leur conception de l'art, il n'en résulte pas moins qu'ils sont liés par un certain
goût pour la tradition et un certain élitisme.
Fernand Naudin : « Dehors et les familles françaises, ça se respecte monsieur
»
D'ailleurs, Fernand Naudin, alors qu'il chasse Antoine sans ménagement de la
surprise-partie, ne se fait-il pas le porte parole et grand défenseur des valeurs
familiales, exigeant le « respect » pour les familles françaises !
Anecdotes sur les acteurs
Lino Ventura (alias Fernand Naudin)
Avant de faire l'immense carrière que l'on connait au cinéma, Lino Ventura
s'initie d'abord à la lutte gréco-romaine avant d'entamer une grande carrière de
catcheur après la guerre. Il fut même sacré Champion d'Europe des poids
moyens en février 1950. Connu sous le nom de Lino Borrini alias « la fusée
italienne », il a toujours conservé sa nationalité de naissance, la nationalité
italienne.
Lino Ventura est victime d'une double fracture à la jambe droite en mars 1950,
un mois seulement après son sacre européen, lors d'un combat au cirque d'hiver à
Paris. Sa carrière sportive terminée, il se reconvertit un temps comme
organisateur de combats de catch, étant lui-même responsable d'une « écurie » de
catcheurs.
Il est finalement approché par le réalisateur Jacques Becker pour donner la
réplique à Jean Gabin dans Touchez pas au grisbi en 1954. Le film fonctionne,
relançant la carrière de Jean Gabin et lançant par la même occasion celle de Lino
Ventura. Avec l'immense succès du Gorille vous salue bien en 1957, l'acteur
italien devient rapidement une des têtes d'affiche du cinéma français.
Francis Blanche (alias Maitre Folace)
Auteur, acteur, chanteur, humoriste, Francis Blanche avait tous les talents. Mais
ne vous fiez pas trop à sa réputation et à son allure potache, car il est aussi connu
pour avoir été le plus jeune bachelier de France, à l’âge de 14 ans seulement.
Dans les années 1940 et 1950, Francis Blanche fait partie de la célèbre troupe
des Branquignols dirigée par Robert Dhéry et Colette Brosset. Cette compagnie,
spécialiste de l'absurde et de la dérision et dont les spectacles étaient
généralement prétexte à un enchainement de gags loufoques, faisait aussi
scandale avec ses filles nues sur scène. La troupe aux multiples talents lancera la
carrière de beaucoup des grands noms de la comédie d'après guerre, au cinéma
comme au théâtre. Outre Francis Blanche, on y trouvait Jean Lefebvre (un autre
Tonton), Louis de Funès, Michel Serrault, Jacqueline Maillan, Jean Carmet....
Grande figure du music-hall, Francis Blanche excellait dans ses nombreux
sketches joués en duo avec son grand partenaire Pierre Dac, voix de Radio
Londres pendant la guerre, et grand artiste de l'après guerre, créateur notamment
du journal humoriste, L'os à moelle .
Francis Blanche officiera successivement sur Paris Inter (aujourd'hui France
Inter) puis sur Europe 1 pour des feuilletons radiophoniques comme le
célébrissime Signé Furax ou ses irrésistibles canulars téléphoniques.
Auteur de centaines de poèmes et de chansons, il tient étonnamment des rôles
classiques au théâtre (comme Tartuffe ) et même dans une opérette ( Le chevalier
du ciel ) avec Luis Mariano !
Bernard Blier (alias Raoul Volfoni)
Bernard Blier n'est pas seulement une « gueule » du cinéma, celle du français
moyen qui attire à lui tous les bourre-pifs. L'acteur a en effet débuté au
conservatoire sous la direction de Louis Jouvet. Avant les Tontons, Blier a déjà
tourné pour Marcel Carné en 1938 dans Hôtel du Nord , et avec Jean Gabin dans
Le jour se lève en 1939.
Prisonnier de guerre après la défaite de juin 1940, il perd une trentaine de kilos,
ce qui lui permet de tenir enfin des rôles de jeunes premiers et de séducteurs.
Plutôt inattendu pour cet acteur qui n'était pas connu sur ce registre. Après la
guerre, il retrouve ses kilos et ses rôles plus habituels, interprétant régulièrement
des maris cocus. Il déclara lui-même avoir été « le plus grand cocu de l'histoire
du cinéma français ». Fait assez méconnu, si l'acteur est le partenaire régulier de
Jean Gabin, Louis de Funès ou encore Pierre Richard en France, il mène en
parallèle une grande carrière comme second rôle en Italie.
Blier devient à partir des années 1960 l'acteur fétiche d'Audiard. Il affirmait
d'ailleurs que le dialoguiste était un voleur, et qu'il lui piquait ses propres mots
pour les mettre dans ses films. Nous avons donc enfin trouvé la vraie source
d'inspiration de Michel Audiard !
Jean Lefebvre (alias Paul Volfoni)
Robert Dalban reste l’un des plus grands seconds rôles du cinéma français du
XXème siècle. Dans les années 20, il débuta comme comique troupier, puis en
accompagnant la grande actrice Sarah Bernhardt en tournée aux Etats-Unis dans
un numéro de music hall. Apparaissant dans les revues et les opérettes, sa
carrière au cinéma démarre à partir des années 1940.
En 1950, Robert Dalban est même sélectionné par la Metro Goldwyn Meyer
pour faire la voix de Clark Gabble dans la mythique superproduction, Autant en
emporte le vent .
Il était surnommé parait-il « Big pencil » car son « engin » impressionnait ses
camarades de douche.
Jacques Dumesnil (alias Louis le mexicain)
Avec Les Tontons flingueurs , Jacques Dumesnil signe son dernier rôle au cinéma.
Ouf ! Il aurait été dommage pour lui de ne pas en être. Après les Tontons, il se
consacrera exclusivement au théâtre et à la télévision.
Cet acteur, qui a partagé sa carrière entre le théâtre et le cinéma, était à la base
ingénieur mécanicien et dessinateur industriel, métier qu'il abandonne
rapidement pour le théâtre.
Ancien sociétaire de la Comédie Française, il est aussi la voix française de
Charlie Chaplin dans Monsieur Verdoux et Un roi à New-York .
Horst Frank (alias Théo)
L’inquiétant acteur allemand Horst Frank est surtout connu outre-rhin pour avoir
crée et joué dans la série Airport unité spéciale .
Sabine Sinjen (alias Patricia)
Claude Rich tient une place un peu à part dans l'univers des Tontons. Pour ce
jeune premier, sorti du Conservatoire national supérieur d'art dramatique et
acteur de théâtre de formation, jouer du Michel Audiard avec des « gueules »
comme Lino Ventura, Francis Blanche et Bernard Blier n'est pas chose facile.
D'autant que l'acteur lorgnait plutôt sur le rôle de Pascal, la première gâchette,
tenu par Venantino Venantini.
Au théâtre, le comédien est habitué à jouer Shakespeare, Hugo, Courteline ou
Sagan, il entame pourtant une carrière au cinéma dès 1955 avec Les Grandes
Manœuvres de René Clair. Il tournera par la suite avec Louis de Funès dans Oscar
et dans Paris brûle-t-il de René Clément où il incarne le général Leclerc. Il
tournera au cours de sa carrière pour les plus grands cinéastes, notamment Jean
Renoir, Alain Resnais ( Je t'aime, Je t'aime ) et François Truffaut. Il travaillera
même à nouveau pour Michel Audiard devenu réalisateur, dans Une veuve en or .
Plus récemment, il tient le rôle du druide Panoramix dans Astérix & Obélix :
mission Cléopatre d'Alain Chabat, sorti en 2002.
Pierre Bertin (alias Adolphe Amédée Delafoy)
Ce nom ne vous dit peut être pas grand chose, mais Mac Ronay était une vedette
internationale, probablement l'acteur le plus connu du casting du film à travers le
monde. Dans les années 1960, Mac Ronay était en effet surtout connu pour ses
numéros de magicien comique, ratant tous ses tours. Une sorte de Garcimore,
même si ce dernier finissait quand même par les réussir.
Célèbre pour ses numéros de music-hall, comme celui de dresseur de puces, il fit
quelques apparitions au cinéma outre Les Tontons flingueurs , notamment dans
L'Aile ou la Cuisse .
Paul Mercey (alias Henri)
Paul Mercey se fait connaitre à partir des années 1950. Il est notamment le
partenaire de Jean Yanne dans la plupart de ses sketchs, ainsi que dans ses films.
Fidèle second rôle du cinéma d'Audiard, il apparait dans Les Vieux de la vieille de
Gilles Grangier en 1960, dans Un singe en hiver d'Henri Verneuil en 1962 ou
encore dans Mélodie en sous sol du même Henri Verneuil en 1963.
Mais c'est pour quelques apparitions célèbres qu'il reste dans la mémoire des
cinéphiles. Dans Mais où est passé la septième compagnie de Robert Lamoureux,
il tient ainsi le rôle d'un boulanger. Paul Mercey tournera à nouveau avec
Lamoureux dans le deuxième volet de la trilogie, On a retrouvé la septième
compagnie , campant cette fois un réparateur de roue de moulin . Il joue également
un curé qui fait des grimaces avec Louis de Funès dans Le Gendarme en Balade
de Jean Girault. Il est enfin le moustachu des bains turcs dans La Grande
Vadrouille de Jean Girault, intrigué par le manège de Louis de Funès et Bourvil à
la recherche de « Big moustache ».
La grande vadrouille , les Tontons flingueurs , les gendarmes ... Paul Mercey est
finalement au casting de la plupart des grands succès populaires des années 1960
et 1970.
Dominique Davray (alias madame Mado)
De son vrai nom Marie-Louise Gournay, Dominique Davray a souvent joué les
rôles de mères maquerelles à l'écran, notamment dans Les Bons vivants , réalisé
en 1965 par Georges Lautner et Gilles Grangier. Pour le scénario et les dialogues
du film, à nouveau la paire Simonin-Audiard. Elle y incarne, au côté de Bernard
Blier, la tenancière d'une maison close frappée par la loi Marthe-Richard et dont
l'établissement doit fermer, au grand déchirement de tout le monde :
pensionnaires, clients...
Mais c'est en 1952 que l'actrice est révélée à l'écran dans le film de Jacques
Becker , Casque d'or , où elle joue aux côtés de Simone Signoret. C'est encore
sous la direction de Jacques Becker qu'on la remarque en 1954 dans Touchez pas
au grisbi , le premier volet de la trilogie Max-le-menteur de Simonin. En 1963, la
même année que les Tontons, elle joue aussi dans Mélodie en sous-sol , réalisé par
Henri Verneuil, sur des dialogues de Michel Audiard.
L'actrice également a souvent tourné avec Louis de Funès, incarnant sa femme
(dans Le Tatoué de Denys de la Patellière), la tenancière d'un café (dans Les
Grandes Vacances de Jean Girault) ou une religieuse (dans Le Gendarme en
Balade de Jean Girault)
Charles Regnier (alias Tomate)
Cet acteur allemand, comme son nom ne l'indique pas, était doublé dans son rôle
de « Tomate ». Sa carrière se partage par la suite entre la France et l'Allemagne.
En France, il apparait à nouveau aux côtés de Lino Ventura dans Avec la peau des
autres de Jacques Deray en 1966. Il joue aussi le rôle de Conan Bécher, le moine
inquisiteur qui accuse Joffrey de Peyrac de sorcellerie dans Angélique Marquise
des anges . En Allemagne, Charles Regnier tourne notamment avec le grand
cinéaste suédois Ingmar Bergman dans L'Œuf du serpent en 1977.
Henri Cogan (alias Freddy)