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INTRODUCTION
AUX ŒUVRES DE

FERENCZI

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LACAN

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RIVAGES/PSYCHANALYSE
Collection dirigée p a r
J.-D. NASIO
INTRODUCTION
A U X ŒUVRES DE

FREUD • FERENCZI
GRODDECK • KLEIN
W INNICOTT • DOLTO
LACAN
ISBN : 2-86930-756-X
© 1994 Éditions Payot & Rivages
106, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
Sous la direction de
J.-D . N A S IO

INTRODUCTION
A U X ŒUVRES DE

FREUD • FERENCZI
GRODDECK • KLEIN
W INNICOTT • DOLTO
LACAN

avec les contributions de

A.-M. Arcangioli, M.-H. Ledoux, L. Le Vaguerèse,


J.-D. Nasio, G. Taillandier, B. This et M.-C. Thomas

R I V A G E S
PSYCHANALYSE
Liminaire

Introduction à l’œtwre de FREUD


Extraits de l’œ uvre de S. F reud
Biographie de Sigm und F reud
Choix bibliographique

Introduction à l ’œuvre de FERENCZI

Extraits de l’œ uvre de S. Ferenczi


Biographie de Sândor Ferenczi
Choix bibliographique

Introduction à l’œuvre de GRODDECK

Extraits de l’œ uvre de G. G roddeck


Biographie de G eorg G roddeck
Choix bibliographique
Introduction à l ’œuvre de Melanie KLEIN
Extraits de l ’œ uvre de M. Klein
B iographie de M elanie Klein
C hoix bibliographique

Introduction à l ’œuvre de WINNICOTT


Extraits de l’œ uvre de D.W. W innicott
Biographie de D onald W oods W innicott
C hoix bibliographique

Introduction à l ’œuvre de Françoise DOLTO


Extraits de l’œ uvre de F. Dolto
Biographie de Françoise Dolto
Choix bibliographique
*

Un témoignage sur la clinique de Françoise DOLTO


*

Introduction à l ’œuvre de LACAN


Extraits de l’œ uvre de J. Lacan
Biographie de Jacques-M arie Lacan
Choix bibliographique
Liminaire

Voici réu n is p o u r la p rem ière fois, e n u n seul


volum e, les g ran d s au teu rs de la psychanalyse.
N o tre dessein est d e p ré se n te r l ’essentiel de la
vie e t d e l ’œ uvre d e ch acu n de ces p io n n iers
qui m a rq u e n t n o tre m a n ière de p e n se r e t de
p ra tiq u e r l ’analyse, n o tre langage, e t plus g én é­
ra le m e n t la cu ltu re d ’a u jo u rd ’hui. N ous avons
co n çu ce livre com m e u n in stru m e n t de travail
d o n t c h aq u e ch ap itre, consacré à l ’u n des sept
grands psychanalystes, p ro p o se au le cteu r : u n e
p ré se n ta tio n de sa b io g rap h ie ; u n exposé clair
e t rig o u re u x des idées fo n d am en tales de son
œ uvre ; des extraits choisis de l’œ uvre ; u n
tableau ch ro n o lo g iq u e des événem ents décisifs
de sa vie ; et en fin u n e sélection des ouvrages
publiés e n français. Ces d ifféren tes ru b riq u es
p e rm e ttro n t au le cteu r d ’accéd er à n o tre livre
p a r l ’e n tré e qui lui convient. Avec cette in tro ­
d u ctio n , no u s sou h aito n s q u e le le cteu r ait le
désir e t l ’en th o u siasm e d ’aller co n su lter directe­
m e n t les textes o rig in au x des œ uvres.
Les psychanalystes qui o n t collaboré à ce
volum e collectif se so n t efforcés de m o n tre r
les spécificités des œ uvres étudiées. Ils se sont
appliqués n o n seu lem en t à ex p o ser u n e th éo rie,
m ais su rto u t à faire revivre l ’âm e de chaque
a u teu r, les désirs e t les conflits qui o n t façonné
son style e t m arq u é l’œ uvre au-delà des
concepts. C h aq u e co llab o rateu r a réd ig é sa
c o n trib u tio n , im p rég n é n o n se u lem en t du
c o n te n u de l ’œ uvre co m m en tée, m ais aussi de
l ’im age in té rie u re de l ’a u te u r ap p ro ch é.
N ous d estin o n s cet ouvrage ta n t à l’é tu d ia n t
d ésireu x de d isp o ser d ’u n dossier co m p let sur
ch acu n e des g ran d es figures de la psychanalyse,
q u ’au psychanalyste confirm é qui — à l ’instar
d e F reu d — n e cesse de revenir aux fo n d em e n ts
de la th éo rie. Souvenons-nous des n o m b reu x
textes dans lesquels F reu d revient en effet aux
fo n d em e n ts de sa d o ctrin e p o u r en d ég ag er
l ’essentiel, com m e il le fit p a r ex em p le dans
son u ltim e écrit, Y Abrégé de psychanalyse, q u ’il
réd ig e a à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Q ue
se passe-t-il alors ? Avec la réd ac tio n de son
Abrégé, F reu d invente e n co re d e nouveaux
concepts. Aussi, le re to u r au x fo n d em en ts com ­
porte-t-il souvent la gestation in a tte n d u e du
nouveau. L ’e n se ig n e m e n t devient re c h e rc h e , et
le savoir an cien , u n e vérité nouvelle. Le p rin ­
cipe qui a gu id é co n stam m en t n o tre travail de
transm ission de la psychanalyse, p e u t se résu m er
en u n e fo rm u le : cherchons à bien dire ce qui a
déjà été dit, et nous aurons la chance, peut-être, de
dire du nouveau. C ’est dans c e t esp rit q u e nous
avons co n çu le p ré se n t ouvrage.
*

C hacun des ch ap itres q u e l ’o n va lire est la


version très rem an iée e t écrite d ’u n e co n féren ce
p ro n o n c é e p a r ch aq u e co llab o rateu r d e ce livre,
dans le cad re de VEnseignement de 7 grands cou­
rants de la psychanalyse. Le cycle de ces c o n fé re n ­
ces d ’e n se ig n e m e n t avait été organisé p a r les
Sém inaires Psychanalytiques de Paris, d e d écem ­
b re 1991 à ju in 1992.
J.-D.N.
Introduction
à Vœuvre
de

FREUD

J.-D. NASIO
Schéma de la logique de la pensée freudienne
*

Définitions de l ’inconscient
Définition de l ’inconscient du point de vue descriptif
Définition de l ’inconscient du point de vue systématique
Définition de l ’inconscient du point de vue dynamique
Le concept de refoulement
Définition de l ’inconscient du point de vue économique
Définition de l ’inconscient du point de vue éthique
*

Le sens sexuel de nos actes


*

Le concept psychanalytique de sexualité ,


Besoin, désir et amour
%
Les trois principaux destins des pulsions sexuelles
refoulement, sublimation et fantasme.
Le concept de narcissisme

Les phases de la sexualité infantile


et le complexe d ’Œdipe
Remarque sur l ’Œdipe du garçon :
le rôle essentiel du père

. Pulsions de vie et pulsions de mort.


Le désir actif du passé
*

Le transfert est un fantasme dont l ’objet


est l ’inconscient du psychanalyste
L ’acceptation de processus psychiques inconscients,
la reconnaissance de la doctrine de la résistance et du refoulement,
la prise en considération de la sexualité et du complexe d ’Œdipe
sont les contenus principaux de la psychanalyse
et les fondements de sa théorie,
‘ et qui n ’est pas en mesure de souscrire à tous
ne devrait pas compter parmi les psychanalystes.
S. Freud

U n siècle — e t q u el siècle ! — no u s sépare de F reud,


d u jo u r où il décid a d ’ouvrir son cab in et à V ienne et
de réd ig e r le p re m ie r ouvrage fo n d a te u r de la psycha­
nalyse, L ’Interprétation des rêves.
U n siècle, c ’est très lo n g ; lo n g p o u r l ’histoire, p o u r
la science e t p o u r les tech n iq u es. T rès lo n g p o u r la vie.
Et p o u rta n t, c ’est très p e u p o u r n o tre je u n e science, la
psychanalyse. La psychanalyse, je l ’avoue, n e fait pas
de p rogrès à la m a n ière des avancées scientifiques et
sociales. Elle s’o ccu p e des choses sim ples, toutes sim­
ples, qui so n t aussi im m en sém en t com plexes. Elle s’oc­
cupe de l’a m o u r e t de la haine, d u d ésir e t de la loi,
des souffrances e t d u plaisir, de nos actes d e parole,
de nos rêves e t nos fantasm es. La psychanalyse s’occupe

17
des choses sim ples e t com plexes, m ais é te rn e lle m e n t
actuelles. Elle s’en occupe n o n seu lem en t au m oyen
d ’u n e p en sée abstraite, d ’u n e th é o rie d o n t je ferai é ta t
dans ce ch ap itre, mais à travers l ’ex p érien ce h u m ain e
d ’u n e rela tio n co n crète e n tre d e u x p arte n aires, analyste
e t analysant, exposés m u tu e lle m e n t à l ’in cid en ce de
l ’u n sur l ’a u tre '.
Mais u n siècle, en co re u n e fois, c ’est b eau co u p . Et
au cours d e ces c e n t ans, les p ro b lèm es traités p a r la
psychanalyse o n t souvent été désignés e t conceptualisés
sous différentes form es. L ’ex p érien ce to u jo u rs u n iq u e
de ch aq u e cu re d ’analyse c o n tra in t e n effet le psychana­
lyste qui s’y engage à re p e n se r ch aq u e fois la th é o rie
qui justifie sa p ratiq u e. C ep en d a n t, le fil in altérab le
des p rin cip es fo n d am e n tau x d e la psychanalyse traverse
le siècle, o rd o n n e les singularités de la p en sée analyti­
que e t assure la rig u eu r lég itim an t le travail d u psycha­
nalyste. O r, q u el est ce fil qui assure u n e telle co n ti­
n u ité, quels so n t les fo n d em e n ts de l ’œ uvre
fre u d ie n n e ? Ces fo n d em e n ts o n t été com m entés, résu ­
m és e t réaffirm és d ’in n o m b rab les fois. C o m m en t vous
les tra n sm ettre alors d ’u n e façon nouvelle ? C o m m en t
p a rle r de F reu d a u jo u rd ’h u i ?
J ’ai pris l’o p tio n de vous so u m ettre m a lectu re de
l ’œ uvre fre u d ie n n e à p a rtir d ’u n e q u estio n qui m ’a
h ab ité tous ces d ern ie rs jo u rs, tandis q u e j ’écrivais ce
texte. J e m e suis sans cesse d em an d é ce qui m e frap p ait
le plus chez F reud, ce q u i de lui vivait e n m oi, dans
le travail avec m es analysants, dans la réflex io n th é o ri­
que qui o rie n te m o n écoute, e t dans le désir qui
m ’anim e de tran sm ettre e t faire exister la psychanalyse
com m e elle existe en cet in sta n t o ù vous lisez ces

18
S. Freud

pages. Ce qui m e frap p e le plus chez F reud, ce qui


dans son œ uvre m e renvoie à m oi-m êm e e t qui d o n c
co m m u n iq u e ainsi à l ’œ uvre son actualité vivante, ce
n ’est p o in t sa th é o rie d o n t je vais p o u rta n t vous p arler,
ni m êm e sa m é th o d e q u e j ’ap p liq u e dans m a p ratiq u e.
N on. Ce qui m ’e n c h a n te q u a n d je lis F reud, q u a n d je
pen se à lui e t le fais vivre, c ’est sa force, sa folie, sa
force folle e t géniale de v o uloir saisir chez l ’au tre les
causes de ses actes, d e vouloir trouver la source qui
anim e u n être. Sans d o u te , F reu d est-il avant to u t u n e
volonté, u n désir ach a rn é de savoir ; mais son génie
est ailleurs. Le génie est a u tre chose que le vouloir
ou le désir. Le g én ie de F reu d est d ’avoir com pris que
p o u r saisir les causes secrètes qui a n im en t u n être, qui
a n im e n t cet a u tre qui souffre e t que n o u s écoutons,
il fa u t d ’ab o rd e t su rto u t d éco u v rir ces causes en soi-
m êm e, refaire en soi — to u t en g a rd a n t le co n tact
avec l ’au tre qui est en face — le ch em in qui va de
nos p ro p res actes à leurs causes. Le génie n e réside
d o n c pas dans le d ésir de dévoiler u n e énigm e, mais
de p rê te r son m oi à ce d ésir ; de faire d e n o tre m oi
l’in stru m e n t capable d ’a p p ro c h e r l ’origine voilée de la
souffrance de celui qui parle. La volonté de découvrir,
si ten ace chez F reu d , co n ju g u ée à cette m odestie excep­
tio n n elle d ’en g ag e r son m oi p o u r y parvenir, c ’est cela
que j ’adm ire ta n t e t d o n t j e n e saurai jam ais vous
re n d re com pte p le in e m e n t avec des m ots e t des
concepts. Le génie fre u d ie n n e s’explique n i n e se
transm et, e t p o u rta n t, il ne p e u t d e m e u re r la grâce
in o u ïe d u fo n d ate u r. N on, le g én ie freu d ie n est le saut
q ue to u t analyste est ap p elé à accom plir en lui-m êm e
toutes les fois q u ’il éco u te v éritab le m en t son analysant.
*

19
Schéma de la logique de la pensée freu d ien n e

F reu d n o u s a laissé u n e œ uvre im m ense — il fut,


nous le savons, u n travailleur infatigable — e t to u te
sa d o ctrin e est m a rq u é e p a r son d ésir d e d é c e le r l’ori­
gine de la souffrance de l’au tre e n se servant de son
p ro p re m oi. J e vais d o n c essayer de vous p ré se n te r
l ’essentiel de cette d o ctrin e, les fo n d em e n ts d e la th é o ­
rie fre u d ie n n e , sans o u b lier q u ’elle reste u n e tentative
sans cesse ren o u v elée de dire ce qui n o u s m eu t, de
d ire l ’indicible. T o u te l’œ uvre fre u d ie n n e est à cet
ég ard u n e im m en se rép o n se, u n e rép o n se inachevée à
la question : quelle est la cause de nos actes ? C o m m en t
fo n ctio n n e n o tre vie psychique ?
J e voudrais ju s te m e n t vous faire c o m p re n d re l ’essen­
tiel d u fo n c tio n n e m e n t m en tal tel q u e l ’envisage la
psychanalyse e t tel q u ’il se confirm e lo rsq u e le psycha­
nalyste est avec son p atien t. La co n ce p tio n fre u d ie n n e
d e la vie m en tale p e u t en effet se fo rm aliser en u n
schém a logique élém en taire qui n o u s est ap p a ru lors
de n o tre rele ctu re des écrits de F reud. A m esu re que
nous avons c h erc h é à no u s ra p p ro c h e r davantage d u
c œ u r de la th é o rie au lieu de l’a p p ré h e n d e r d u d eh o rs,
nous l ’avons vue se tran sfig u rer. D ’ab o rd la com plexité
s’est réd u ite. Puis les d ifférentes parties se so n t im b ri­
quées les u n es dans les autres p o u r s’o rd o n n e r enfin
en u n e sim ple é p u re d e le u r ra p p o rt. Si je réussis à
vous tran sm ettre u n tel schém a, j ’au rai alors accom pli
p le in e m e n t m o n p ro p o s, celui de vous in tro d u ire à
l’œ uvre de F reud, car ce schém a re p re n d é to n n a m m e n t
la logique im plicite e t in te rn e de l ’ensem ble des textes
freudiens. Dès l ’Esquisse d ’une psychologie scientifique

20
S. Freud

p a ru e en 1895, ju s q u ’à son d e rn ie r ouvrage, VAbrégé de


psychanalyse éc rit en 1938, F reu d n e cesse de re p ro d u ire
sp o n ta n é m e n t, souvent à son insu, en u n quasi-autom a­
tism e d e la pensée, le m êm e schém a de base exprim é
selon diverses variantes. C ’est p récisé m en t cette logique
essentielle q ue je te n te ra i m a in te n a n t de vous exposer.
N ous p ro c é d e ro n s d e la faço n suivante : je com m en­
cerai p a r co n stru ire avec vous ce schém a élém en taire,
et le m odifierai p ro g ressiv em en t à m esure q u e nous
dév elo p p ero n s les thèm es m ajeurs q u e so n t l ’inconscient,
le refoulement, la sexualité, le complexe d ’Œdipe, et le transfert
dans la cure analytique.

V enons-en à n o tre schém a de base. En quoi consiste-


t-il ? P o u r ré p o n d re , il m e fau t d ’ab o rd ra p p e le r q u ’il
est u n e version co rrig ée d ’u n m o d èle co n cep tu el déjà
classique utilisé p a r la n europhysiologie d u XIXe siècle
afin d e re n d re co m p te de la circu latio n de l ’influx
nerveux, e t baptisé schém a d e l ’arc réflexe. J e précise
to u t d e suite q u e le m o d èle d e l ’arc réflexe reste
u n p arad ig m e tou jo u rs fo n d am e n tal d e la n eu ro lo g ie
m o d ern e.

Le schém a n eu ro lo g iq u e de l’arc réflexe est très


sim ple et b ie n co n n u (figure 1). Il co m p o rte d eu x ex tré­
m ités : celle de gauche, ex trém ité sensitive o ù le sujet
p e rç o it l’excitation , c ’est-à-dire l’in jectio n d ’u n e q u an ­
tité « x » d ’én erg ie — lo rsq u e p a r exem ple il reçoit
u n lég er c o u p de m a rteau m édical sur le genou. Celle
de d ro ite, ex trém ité m o trice, tran sfo rm e l ’énergie
reçu e en u n e rép o n se im m éd iate d u corps — dans

21
n o tre exem ple, la ja m b e réag it aussitôt p a r u n m ouve­
m e n t réflexe d ’ex ten sio n . E n tre les d eu x ex trém ités
s’installe ainsi u n e ten sio n qui ap p a ra ît avec l ’excitatio n
e t d isp araît avec la d éch arg e éco u lée p a r la rép o n se
m otrice. Le p rin cip e régissant ce trajet en fo rm e d ’arc
est d o n c très clair : recevoir l ’én erg ie, la tran sfo rm e r
en action, e t c o n sé q u e m m e n t abaisser la ten sio n d u
circuit.

Figure 1
Schéma de l’arc réflexe

22
S. Freud

Nous croyons que [le principe de plaisir] est chaque fois


provoqué par une tension déplaisante
et qu ’il prend une direction telle que son résultat final
coïncide avec un abaissement de cette tension,
c’est-à-dire avec un évitement de déplaisir
ou une production de plaisir.
S. Freud

A ppliquons à p ré s e n t ce m êm e schém a réflexe au


fo n c tio n n e m e n t d u psychism e. Eh b ien , le psychisme
est é g alem e n t g o u v ern é p a r le p rin cip e visant à résor­
b e r l ’ex citatio n e t abaisser la tension, à ceci p rès q u e le
psychism e — nous allons le voir — éch a p p e ju s te m e n t à
ce p rin cip e. D ans la vie psychique, en effet, la tension
ne s’épuise jam ais. N ous som m es, .tan t que no u s vivons,
co n stam m en t sous ten sio n psychique. Ce p rin cip e
d ’abaissem ent de ten sio n , que nous devons p lu tô t
co n sid ére r com m e u n e te n d an ce e t jam ais com m e un
accom plissem ent effectif, p o rte en psychanalyse le nom
de Principe de déplaisir-plaisir. P o u rq u o i l ’a p p e le r ainsi
« déplaisir-plaisir » ? Et p o u rq u o i affirm er q u e le psy­
chism e est toujou rs sous tension ? P o u r ré p o n d re ,
re p re n o n s les d eu x ex trém ités de l ’arc réflexe, mais
cette fois en irh ag in an t q u ’il s’agit des d e u x pôles de
l’ap p areil psychique lui-m êm e, celui-ci é ta n t im m ergé
dans le m ilieu de la réalité ex térieu re. La fro n tiè re de
l’ap p areil sépare d o n c u n d ed an s d ’u n d eh o rs qui
l’e n to u re (figure 2).
*

23
D ans le pôle gauche, ex trém ité sensitive, nous re p é ­
ro n s d eu x caractéristiques p ro p res au psychism e :

a) L ’excitation est to u jo u rs d ’o rig in e in te rn e et


jam ais ex tern e. Q u ’il s’agisse d ’u n e excitatio n prove­
n a n t d ’u n e source e x tern e com m e p a r ex em p le le choc
provoqué p a r la vue d ’u n v io len t a cc id en t de voiture,
ou q u ’il s’agisse d ’u n e ex citation p ro v e n a n t d ’u n e
source co rp o relle, u n besoin telle la faim , l’excitation
d em eu re to ujo u rs in te rn e au psychism e p u isq u e aussi
b ie n le choc ex té rie u r o u les besoins in térieu rs c ré e n t
u n e e m p re in te psychique à la m a n ière d ’u n sceau
im prim é dans la cire. E n u n m ot, la source d e l ’excita­
tion en d o g è n e est u n e e m p re in te , u n e id ée, u n e im age
ou, p o u r em ployer le term e ap p ro p rié : u n re p ré s e n ta n t
id é atio n n e l chargé d ’én erg ie, ap p elé en co re re p ré se n ­
ta n t des pulsions. T erm e — celui de p u lsio n — que
nous re n c o n tre ro n s souvent dans ce ch ap itre.

b) D euxièm e caractéristique. Ce re p ré se n ta n t, ayant


été chargé u n e p rem ière fois, a la p articu la rité de re ste r
si d u ra b le m e n t excité à la m a n ière d ’u n e b atterie, q u e
to u te tentative d e l ’ap p areil psychique p o u r réso rb er
l ’excitation e t su p p rim er la ten sio n s’avère u n e te n ta ­
tive vouée à l’échec.
O r, cette stim ulation in in te rro m p u e e n tre tie n t dans
l ’ap p areil u n niveau élevé de ten sio n vécu d o u lo u re u se ­
m e n t p a r le su jet com m e u n ap p el p e rm a n e n t à la
décharge. C ’est cette ten sio n p én ib le q u e l ’ap p areil
psychique te n te en vain d ’abolir, sans jam ais y p arv en ir
véritablem ent, que F reu d n o m m e déplaisir. N ous avons
ainsi u n é ta t de déplaisir effectif e t in c o n to u rn a b le , et
à l’opposé u n état h y p o th étiq u e de plaisir absolu q u e

24
S. Freud

l’o n o b tie n d ra it si l ’ap p areil réussissait à éco u ler im m é­


d ia te m e n t to u te l ’én erg ie e t élim in er la tension. Préci­
sons bien le sens d e ch acu n d e ces d eu x m ots : déplaisir
signifie m ain tien o u au g m en tatio n d e la tension, et
plaisir, suppression d e la tension. C ep en d an t, n ’ou­
blions pas q ue l ’éta t d e ten sio n d ép laisan t e t p én ib le
n ’est rien d ’a u tre q u e la flam m e vitale de n o tre activité
m e n tale ; déplaisir, ten sio n e t vie d e m e u re n t à jam ais
inséparables.

D ans le psychism e d o n c, la tension ne disp araît


jam ais to talem en t, p ro p o s q u i p e u t se tra d u ire p a r :
dans le psychism e, le plaisir absolu n ’est ja m ais o b ten u .
Mais p o u rq u o i la ten sio n est-elle toujours p ressan te et
le .plaisir absolu jam ais a tte in t ? P o u r trois raisons. La
p rem ière, vous la connaissez d éjà : la source psychique
de l ’excitation est à ce p o in t intarissable q u e la tension
reste é te rn e lle m e n t réactivée. La d eu x ièm e raison
co n c e rn e le p ô le d ro it d e n o tre schém a. Le psychisme
n e p e u t o p é re r co m m e le système nerveux e t réso u d re
l’excitation p a r u n e actio n m o trice im m édiate, capable
d ’évacuer la tension. N on, le psychism e ne p e u t ré p o n ­
d re à l ’excitation q u e p a r u n e m é ta p h o re de l ’action,
u n e im age, u n e p en sée o u u n e p aro le re p ré se n ta n t
l ’actio n e t n o n l ’actio n c o n crè te qui au ra it perm is
l’e n tiè re d éch a rg e d e l ’én erg ie. D ans le psychisme,
to u te rép o n se est in év itab lem en t m édiatisée p a r u n e
re p ré se n ta tio n qui n e p e u t o p é re r q u ’u n e d éch arg e
partielle. De la m êm e m a n ière q u e nous avons placé
au p ô le gau ch e le re p ré s e n ta n t psychique d e la pulsion
(excitation p u lsio n n elle c o n tin u e ), nous plaçons au
pôle d ro it le re p ré s e n ta n t psychique d ’u n e action. Aussi
l’ap p are il psychique reste-t-il soum is à u n e tension irré ­

25
ductible : à la p o rte d ’en tré e, l ’afflux des excitations
est co n stan t e t excessif ; à la sortie, il n ’y a q u ’un
sim ulacre d e rép o n se, u n e rép o n se virtuelle q u i o p ère
seu lem en t u n e d éch a rg e partielle.
Mais il est e n co re u n e troisièm e raison, la plus im p o r­
ta n te e t la plus in téressan te p o u r nous, q u i ex plique
p o u rq u o i le psychism e est toujours sous ten sio n . Elle
consiste en l ’in terv en tio n d ’u n facteu r d écisif que
F reud n o m m e refoulement. Avant d ’e x p liq u er ce q u ’est
le refo u lem en t, il m e fau t p réciser q u ’e n tre le re p ré se n ­
tant-excitation e t le rep résen tan t-actio n , s’é te n d u n
réseau de n o m b re u x autres re p résen tan ts qui tissent
la tram e d e n o tre appareil. L ’én erg ie q u i afflue et
circule de gau ch e à d ro ite, d e l’excitatio n à la
décharge, traverse n écessairem en t ce réseau in te rm é ­
diaire. C ep en d a n t, l’én erg ie ne circule pas d e la m êm e
m an ière p arm i tous les rep résen tan ts (figure 2).

26
Figure 2
Schéma de l’arc réflexe appliqué au fonctionnement du psychisme
Si nous figurons le re fo u le m en t com m e u n e b a rre
qui sépare n o tre schém a en d eu x parties, le réseau
in term éd iaire se divise ainsi : certains rep résen tan ts,
q u e nous rassem blons com m e u n g ro u p e m ajo ritaire
situé à gauche de la b arre, so n t très chargés d ’én erg ie
e t se c o n n e c te n t de telle faço n q u ’ils fo rm e n t la voie
la plus co u rte e t la plus rap id e p o u r te n te r d e p arv en ir
à la décharge. Parfois, ils s’o rg an isen t à la m a n ière
d ’u n e grappe e t fo n t co n flu er to u te l ’én erg ie en u n
seul re p ré se n ta n t (co n d en satio n ) ; d ’autres fois, ils se
re lie n t l ’u n d e rriè re l ’au tre en file in d ie n n e p o u r laisser
l ’én erg ie fluer plus facilem en t (d ép lacem en t) *.
C ertains autres re p résen tan ts d u réseau — q u e nous
allons rassem bler com m e u n g ro u p e plus re stre in t situé
à d ro ite de la b a rre — so n t to u t a u ta n t chargés d ’é n e r­
gie e t c h e rc h e n t aussi à s’en délivrer, m ais en u n e
d éch arg e le n te et m aîtrisée. Ces d ern ie rs s’o p p o sen t
à la d écharge rap id e voulue p a r le p re m ie r g ro u p e
m ajoritaire d e rep résen tan ts. U n conflit s’installe alors
e n tre ces deux g ro u p es : l ’u n qui veut to u t d e suite

* Cette vision économique du mouvement et de la répartition


de l’énergie peut se traduire en une vision « sémiotique » selon
laquelle Y énergie qui investit une représentation correspond à la
signification de la représentation. Dire qu’une représentation est
chargée d’énergie équivaut à dire qu’une représentation est signi­
fiante, porteuse de signification.
Ainsi le mécanisme de la condensation de l’énergie correspond-
il à la figure de la métonymie selon laquelle une seule représentation
concentre toutes les significations ; et le mécanisme du déplacement,
à la figure de la métaphore selon laquelle les représentations se
voient attribuer une par une, successivement, toutes les significa­
tions. Notons par ailleurs que pour Lacan, ce rapport est inversé :
la condensation est le ressort de la métaphore ; et le déplacement,
le ressort de la métonymie.

28
S. Freud

le plaisir d ’u n e d éch arg e to tale — le plaisir est ici


souverain ; e t l ’a u tre g ro u p e qui s’o ppose à cette folie,
rap p elle les exigences d e la réalité e t incite à la m o d é ra­
tion — la réalité est ici souveraine. Le p rin cip e qui
gouverne ce deu x ièm e g ro u p e de re p ré se n ta n ts se
n o m m e Principe de réalité.

Le p re m ie r g ro u p e co n stitu e le système inconscient qui


a d o n c p o u r m ission d ’éco u ler au plus vite la tension
e t essayer d ’a tte in d re le plaisir absolu. Ce système a
les caractéristiques suivantes : il est com posé exclusive­
m e n t de re p ré se n ta n ts d e pulsion, com m e si le re p ré ­
se n ta n t d u p ô le g au ch e s’était d ém u ltip lié en b eau co u p
d ’autres. F reu d les n o m m e « rep résen tatio n s in­
conscientes ». Ces rep résen tatio n s, il les ap p elle aussi
« rep résen tatio n s d e chose » p arce q u ’elles co nsistent
en des im ages (acoustiques, visuelles o u tactiles) de
chose o u d e bribes d e chose im prim ées dans l ’in ­
conscient. Les rep résen tatio n s d e chose so n t de n atu re
p rin cip ale m en t visuelle e t fo u rn issen t la m atière avec
laquelle se fa ç o n n e n t les rêves, e t su rto u t les fantasm es.
A joutons q u e ces im ages ou traces m nésiques n e sont
dén o m m ées « rep résen tatio n s » q u ’à co n d itio n d ’être
investies d ’énergie. Aussi, u n re p ré se n ta n t psychique
est-il la co n jo n ctio n d ’u n e trace im agée (trace laissée
p ar l ’in scrip tio n d e frag m en ts de choses o u événem ents
réels), e t d e l ’én erg ie q u i ran im e cette trace. Les re p ré ­
sentations inconscien tes d e chose n e resp ecten t pas les
co n train tes de la raison, de la réalité o u d u tem ps —
l ’in co n scien t n ’a pas d ’âge. Elles n e ré p o n d e n t q u ’à
u n e seule exigence : c h e rc h e r in sta n ta n é m e n t le plaisir
absolu. A cette fin, le système in co n scien t fo n ctio n n e
suivant les m écanism es d e co n d en satio n e t d ép lacem en t

29
destinés à favoriser u n e circu latio n flu id e d e l’én erg ie.
L ’én erg ie sera dite lib re p u isq u ’elle circule e n to u te
m obilité e t avec p eu d ’entraves dans le réseau
inconscient.
Le deuxièm e g ro u p e de re p résen tan ts co n stitu e éga­
le m e n t u n système, le système préconscient-conscient. Ce
g ro u p e ch e rc h e aussi le plaisir, mais à la d ifféren ce
d e l’inconscien t, il a p o u r m ission de red istrib u er
l ’én erg ie — én erg ie liée — e t de l ’éco u ler le n te m e n t
suivant les indications d u P rin cip e d e réalité. Les re p ré ­
sentants d e ce réseau se n o m m e n t « rep résen tatio n s
p réco n scien tes e t rep résen tatio n s conscientes ». Les
p rem ières so n t des rep résen tatio n s d e m o t ; elles reco u ­
v ren t différents aspects d u m o t tels q u e son im age
acoustique q u a n d le m o t est p ro n o n c é , son im age
g rap h iq u e , o u en co re son im age gestuelle d ’écritu re.
Q u a n t aux rep résen tatio n s conscientes, ch ac u n e est
co m posée d ’u n e re p ré se n ta tio n de chose accolée à la
re p ré se n ta tio n d u m o t qui désigne cette chose. L’im age
acoustique d ’u n m ot, p a r exem ple, s’associe à u n e
im age m n ésiq u e visuelle de la chose p o u r lui assigner
u n nom , m a rq u e r sa q u alité spécifique, et la re n d re
ainsi consciente.
Soulignons-le : les d eu x systèmes c h e rc h e n t la
décharge, c ’est-à-dire le plaisir ; m ais tandis q u e le
p re m ie r te n d au plaisir absolu e t n ’o b tien t, com m e
nous le verrons, q u ’u n plaisir p artiel, le second, lui,
vise e t o b tie n t u n plaisir tem p éré.
*

Cela é ta n t posé, no u s pouvons à p ré se n t no u s d em an ­


d e r : q u ’est-ce q u e le re fo u le m en t ? P arm i les défïni-

30
S. Freud

tions possibles, j e p ro p o serai celle-ci : le re fo u le m en t


est u n épaississem ent d ’én erg ie, u n e ch ap e d ’én erg ie
qui em p êch e le passage des co n ten u s inconscients vers
le p réco n scien t. O r cette cen su re n ’est pas infaillible :
certains élém ents refoulés p assen t o u tre, fo n t b ru sq u e­
m e n t irru p tio n dans la conscience sous u n e fo rm e
déguisée, e t s u rp re n n e n t le sujet incap ab le d ’id en tifier
le u r origine inco n scien te. Ils ap p araissen t d o n c dans
la conscience, m ais to u t en restan t in co m p réh en sib les
e t énigm atiques p o u r le sujet.

Ces extériorisatio n s d éfo rm ées d e l ’in co n scien t réus­


sissent alors à d é c h a rg e r u n e p artie de l ’én erg ie p u l­
sionnelle, d éch a rg e qui p ro c u re u n plaisir seu lem en t
partiel e t substitutif eu ég ard à l ’idéal poursuivi d ’u n e
satisfaction co m p lète e t im m éd iate qui au rait été o b te­
n u e p a r u n e h y p o th é tiq u e d éch a rg e totale. L ’au tre
p a rtie d e l’én erg ie p u lsio n n elle, celle qui n ’a pas fra n ­
chi le refo u lem en t, reste co n fin ée dans l ’in co n scien t
e t réalim e n te sans cesse la ten sio n pénible.

N ous avions d it q u e l’ap p are il psychique avait p o u r


fo n ctio n d ’abaisser la ten sio n et p ro v o q u er la d éch arg e
d ’én erg ie. S achan t m a in te n a n t q u e la stim ulation e n d o ­
gène est in in te rro m p u e , q u e la rép o n se est toujours
in co m p lète, q u e le re fo u le m e n t au g m en te la tension
e t oblige celle-ci à tro u v er des expressions d éto u rn ées,
nous pouvons d o n c co n clu re q u ’il existe différents
types de d éch arg e p ro c u ra n t d u plaisir :

• U n e décharge hypothétique, immédiate et totale qui p ro ­


v o q u erait u n plaisir absolu. C ette p lein e d éch arg e s’ap ­
p a re n te au cas d e la d isp aritio n de la ten sio n lors
d ’u n e rép o n se m o trice d u corps. O r, p o u r le psychism e,

31
nous le savons, cette solution id éale est im possible.
C ep en d an t, lo rsq u e no u s ab o rd ero n s le th è m e d e la
sexualité, nous verro n s com bien cet idéal d ’u n plaisir
absolu reste la référen c e in c o n to u rn a b le des pulsions
sexuelles.
• U ne décharge médiate et contrôlée p a r l’activité in tel­
lectuelle (pensée, m ém o ire, ju g e m e n t, atte n tio n , etc.),
qui p ro c u re u n plaisir tem p éré.
• Et enfin, u n e décharge médiate et partielle o b te n u e
q u a n d l ’én erg ie e t les co n ten u s de l ’in c o n scien t fran ­
chissent la b a rriè re d u refo u lem en t. C ette d éch arg e
g én ère u n plaisir p artiel et su b stitu tif in h é re n t aux
fo rm ations de l ’in conscient.
Ces trois types d e plaisirs so n t rep résen tés dans la
figure 2 d e la page 27.

Avant de re p re n d re e t résu m er n o tre sch ém a d u


fo n c tio n n e m e n t psychique, il no u s fau t é tab lir q u elques
précisions im p o rtan tes c o n c e rn a n t la signification du
m o t « plaisir » e t la fo n ctio n d u refo u lem en t. A p ro p o s
d u plaisir, re m a rq u o n s q u e la satisfaction p artielle et
substitutive attach é e aux fo rm atio n s de l ’in co n scien t
n ’est pas nécessairem en t ressentie p a r le su jet com m e
u n e sensation agréable d e plaisir. Il arrive m êm e sou­
vent q ue cette satisfaction soit vécue p a rad o x a lem e n t
com m e u n déplaisir, voire com m e u n e so u ffran ce e n d u ­
rée p a r le sujet en p ro ie à des sym ptôm es névrotiques
o u à des conflits affectifs. Mais alors, p o u rq u o i
em ployer ce te rm e de plaisir p o u r qu alifier le caractère
p én ib le d e la m an ifestatio n d ’u n e p u lsio n ? P arce q u ’en

32
S. Freud

to u te rig u eu r, la n o tio n fre u d ie n n e de plaisir est à


e n te n d re au sens éco n o m iq u e d e « baisse d e la te n ­
sion ». C ’est le système in co n scien t qui, p a r u n e dé­
charge p artielle, tro u v erait d u plaisir à soulager sa
tension. Aussi, d evant u n sym ptôm e qui fait souffrir,
devons-nous d iscern e r clairem en t la souffrance éprouvée
p a r le p a tie n t e t le plaisir n o n ressenti gagné p ar
l’inconscient.
V enons-en m a in te n a n t au rô le d u refo u le m en t et
soulevons le p ro b lèm e suivant : p o u rq u o i faut-il q u ’il
y ait re fo u le m e n t ? P o u rq u o i faut-il q u e le m oi s’oppose
aux sollicitations d ’u n e pu lsio n q u i n e d em an d e q u ’à
se satisfaire e t lib érer ainsi la ten sio n d ép laisan te qui
règ n e dans l ’in c o n scien t ? P o u rq u o i faire b arrag e à la
d éch arg e lib ératrice d e la poussée in co n scien te ? Q uelle
est la finalité d u re fo u le m e n t ? L ’o b jectif d u refo u le­
m e n t n ’est pas ta n t d ’éviter le d éplaisir qui règ n e dans
l ’in co n scien t, que d ’éviter le risq u e ex trêm e en co u ru
p a r le m oi d e satisfaire e n tiè re m e n t e t d irec tem en t
l’exigence p u lsio n n elle. En effet, la satisfaction im m é­
diate e t totale de la poussée p u lsio n n elle d é tru ira it p ar
sa d ém esu re l ’éq u ilib re d e l ’ap p areil psychique. Il
existe d o n c d e u x sortes d e satisfactions pulsionnelles.
L ’u n e, totale, q u e le m oi idéalise com m e u n plaisir
absolu, m ais q u ’il évite — grâce au re fo u le m en t —
com m e u n excès d e stru c te u r 2. L ’a u tre satisfaction est
u n e satisfaction p artielle, m o d é ré e e t ex em p te de
périls, q ue le m oi tolère.

N ous pouvons à p ré s e n t résu m er en u n m o t le


schém a logique qui traverse en filigrane l ’œ uvre de

33
F reu d et, ce faisant, d éfin ir l ’in conscient. R eportons-
nous à la figure 3 e t posons-nous la qu estio n : co m m en t
fo n ctio n n e le psychism e ?

L ’essentiel de la logique d u fo n c tio n n e m e n t psychi­


q u e considéré d u p o in t de vue d e la circu latio n de
l ’én erg ie, se résu m e d o n c en q u atre tem ps :

Premier temps : excitatio n co n tin u elle de la source


e t m ouvem en t de l’én erg ie en q u ê te d ’u n e
d éch arg e co m p lète jam ais attein te —» Deuxième
temps : la b a rriè re d u re fo u le m en t s’o p p o se au
m ouvem ent d ’én erg ie —» Troisième temps : la p a rt
d ’én erg ie qui n e fra n c h it pas la b a rriè re reste
confinée dans l ’in co n scien t, e t rétro a g it sur la
source d ’excitation —» Quatrième temps : la p a rt
d ’én erg ie qu i fra n c h it la b a rriè re d u refo u le m en t,
s’extériorise sous la fo rm e d u plaisir p a rtie l in h é ­
re n t aux form atio n s de l ’in conscient.

Q u atre tem ps d o n c : la poussée co n stan te de l ’in ­


conscient, l ’obstacle qui s’y oppose, l ’én erg ie qui reste,
e t l ’énergie qui passe. Voilà le schém a q u e j e souhaitais
vous p ro p o ser e n vous d e m a n d a n t d e le m e ttre à
l ’épreuve de v otre le ctu re des textes freu d ien s. Peut-
ê tre constaterez-vous co m b ien F reu d raiso n n e co n fo r­
m é m en t à cette logique essentielle des q u a tre tem ps 3.

34
2
FORMATIONS
DE L’INCONSCIENT
4 • A ctes in v o lo n ta ire s

• M an ifesta tio n s p a th o lo g iq u e s
Plaisir
partiel • R elatio n s affectives
• avec une personne
• avec des choses
• vis-à-vis de nous-même
• transférées au psychanalyste

Plaisir
absolu
DEDANS D E H O R S

Figure 3
Schéma des 4 temps du fonctionnement psychique
1. Mouvement continuel de l’énergie vers le plaisir absolu
2. Barre du refoulement qui s’oppose au mouvement d’énergie
3. Energie qui ne franchit pas la barre du refoulement et relance une nouvelle excitation
4. Énergie qui franchit la barre du refoulement et s’extériorise sous la forme de plaisir partiel inhérent aux formations
de l’inconscient
D éfinitions de l ’inconscient

A bordons m a in te n a n t l ’in c o n scien t suivant les diffé­


ren ts points d e vue établis p a r F reud, en te n a n t co m p te
des vocables particu liers qui d ésig n en t les d eu x ex tré­
m ités d u schém a : la source de l ’ex citation (temps 1) et
les form ations ex térieu res de l’in c o n scien t (temps 4).
C hacune d e ces extrém ités p re n d ra u n n o m d iffére n t
selon la perspective e t la term in o lo g ie avec lesquelles
F reud d éfin it l ’inconscient.

□ Définition de l ’inconscient du point de vue descriptif.


— Si nous envisageons l ’in co n scien t d u deh o rs, c ’est-
à-dire d u p o in t de vue d escrip tif d ’u n observateur, moi-
m êm e p a r exem p le à l ’ég ard d e m es p ro p re s m anifesta­
tions inconscientes ou à l’ég ard des m anifestations ém a­
n a n t de l ’in co n scien t d e l ’au tre, n o u s n ’en percevrons
que les rejeton s. L ’inco n scien t, lui, reste supposé
com m e u n processus o b scu r et inconnaissable à l ’o ri­
gine de ces m anifestations. U n sujet co m m et u n lapsus
p a r exem ple, e t n o u s co n cluons aussitôt : « Son
in co n scien t parle. » Mais nous n ’ex p liq u o n s rien sur
le processus qui sous-tend cet acte ; l ’in co n scien t nous
est inaccessible.
Et q u an d b ie n m êm e m éco n n aîtrio n s-n o u s la n a tu re
d e l ’inconscient, il nous reste à savoir co m m en t re p é re r
les rejeto n s d e l’in conscient. P arm i l ’infinie variété
des expressions et des co m p o rtem e n ts h um ains, leq u el
id en tifier com m e u n acte surgi d e l ’in co n scien t ?
Q u an d pouvons-nous affirm er : ici il y a de l ’in ­
conscient ? Les fo rm atio n s d e l ’in co n scien t se p résen ­
te n t à nous com m e des actes in a tte n d u s qui surgissent

36
S. Freud

b ru sq u e m e n t dans n o tre co n scien t e t d ép assen t nos


in ten tio n s et n o tre savoir conscient. Ces actes peu v en t
ê tre des con d u ites o rd in aires com m e, p a r exem ple, les
actes m anqués, les oublis, les rêves ou m êm e l’ap p ari­
tio n soudaine d e telle o u telle idée, voire l ’invention
im p ro m p tu e d ’u n p o èm e ou d ’u n co n ce p t abstrait,
o u en co re des m anifestations p ath o lo g iq u es qui fo n t
souffrir, tels les sym ptôm es névrotiques o u psychoti­
ques. Mais q u ’ils so ien t n o rm au x ou p athologiques,
les rejetons de l ’in co n scien t re ste n t toujours des actes
su rp ren an ts e t én ig m atiq u es p o u r la conscience du
sujet e t d u psychanalyste. A p a rtir d e ces p ro d u ctio n s
psychiques term inales e t observables, no u s supposons
l ’existence d ’u n processus in co n scien t o b scu r e t actif
qui agit en nous, sans q u ’au m êm e m o m en t n o u s le
sachions. N ous nou s trouvons vis-à-vis de l ’in co n scien t
devant u n p h é n o m è n e qui s’accom plit in d é p e n d a m ­
m e n t de nous e t d é te rm in e c e p e n d a n t ce que nous
som m es. En p résen ce d ’u n acte n o n in te n tio n n e l, nous
postulons l ’existence d e l ’in conscient, n o n seu lem en t
com m e la cause de cet acte, m ais en co re com m e la
q u alité essentielle, l ’essence m êm e d u psychism e, le
psychism e lui-m êm e. Le co n scien t n e serait alors q u ’u n
ép ip h é n o m è n e , u n effet seco n d aire d u processus psy­
ch iq u e inconscient. « Il fau t voir dans l’in co n scien t —
n o u s d it F reu d — le fo n d d e to u te vie psychique.
L ’in co n scien t est p areil à u n g ra n d cercle q u i en ferm e­
rait le co n scien t com m e u n cercle plus p e tit (...). L ’in­
co n scien t est le psychique lui-m êm e et son essentielle
réalité 4. »

□ Définition de l ’inconscient du point de vue systématique.


— N ous avons déjà défin i l ’in co n scien t com m e un

37
système en a b o rd a n t la stru ctu re d u réseau des re p ré ­
sentations. D ans cette perspective, la so u rce d ’excita­
tion s’appelle représentation de chose, e t les p ro d u its te r­
m in au x so n t des manifestations déformées de l ’inconscient.
Le rêve en est le m eilleu r exem ple.

□ Définition de l ’inconscient du point de vue dynamique.


Le concept de refoulement

La théorie du refoulement
est le pilier sur lequel repose
l ’édifice de la psychanalyse.
S. Freud

Si m a in te n a n t n o u s définissons l’in c o n scien t d u p o in t


d e vue dynam ique, c ’est-à-dire d u p o in t d e vue d e la
lu tte e n tre la m o tio n qui pousse e t le refo u le m en t
qui em p êch e, la source d ’excitation se n o m m e alors
représentants refoulés, et les p ro d u ctio n s term in ales sont
des éch ap p ées m éconnaissables de l’in c o n scien t sous­
traites à l’action d u re fo u le m e n t5. Ces dérivés du
refoulé s’a p p e lle n t retours du refoulé, rejetons du refoulé
ou en co re rejetons de l ’inconscient. R ejetons, au sens de
je u n e s pousses d ’in co n scien t qui, m algré la ch ap e du
refo u lem en t, éclo sen t déguisées à la surface d e la
conscience. Les exem ples les plus fréq u en ts de ces
rejetons déform és d u refo u lé so n t les sym ptôm es névro­
tiques. J e pen se à cet analysant qui, au v o lan t de sa
voiture, est so u d ain em en t assailli p a r l ’im age ob séd an te
d ’u n e scène dans laquelle il se voit h e u rte r d élib éré­
m e n t u n e vieille fem m e traversant la ru e. C ette idée
fixe qui s’im pose à lui, le fait souffrir e t l’em p êch e
souvent d ’utiliser son véhicule, se révélera au cours de

38
S. Freud

l ’analyse com m e le reje to n co n scien t e t dissim ulé d u


re p ré s e n ta n t refou lé de l ’am o u r in cestu eu x p o u r sa
m ère. La re p ré se n ta tio n in co n scien te « am o u r inces­
tu eu x » a d o n c fran ch i la b arre d u re fo u le m en t p o u r
ap p a ra ître dans la conscience tran sfo rm ée en son co n ­
traire, à savoir u n e im age o b séd an te d ’ « im pulsion
m e u rtriè re ».
R em arq u o n s q u e ces ap p aritio n s conscientes d u
refoulé, ces reto u rs d u refo u lé p eu v en t se concevoir
ég alem en t com m e des solutions d e com prom is dans le
conflit qui o p p o se le m o u v em en t d u refo u lé vers la
conscience e t le re fo u le m en t qui le repousse. « Solution
de com prom is » signifie q u e le re to u r d u refo u lé est
u n m ixte com posé en p artie d u refo u lé et en p artie
d ’u n élé m e n t conscien t qui le m asque. A u trem e n t dit,
le re to u r d u refo u lé est u n d ég u isem en t conscient
du refoulé, mais incap ab le c e p e n d a n t de le m asq u er
co m p lètem en t. Ainsi, dans n o tre exem ple, la figure de
la victim e, in c a rn é e p a r la vieille dam e, laisse-t-elle
tran sp ara ître, sous les traits d ’u n e fem m e âgée, la figure
refo u lée de la m ère. U ne a u tre illu stratio n des traces
visibles d u refo u lé dans le re to u r d u refo u lé nous est
p ro p o sée p a r F reu d q u a n d il co m m en te u n e célèbre
gravure d e Félicien Rops. L ’artiste y fig u re le cas d ’u n
ascète qui, p o u r chasser la te n ta tio n de la ch air (le
refo u lé), se réfugie au p ie d de la C roix (refo u lem en t)
et voit su rg ir avec stu p e u r l ’im age d ’u n e fem m e n u e
crucifiée (re to u r d u refo u lé com m e so lu tio n de com ­
prom is) à la place d u C hrist. Le re to u r d u refo u lé est
ici u n com prom is e n tre la fem m e n u e (p artie visible
du refoulé) e t la croix qui la su p p o rte (refo u lem en t).
A joutons p a r ailleurs q u e les rejeto n s d e l’in co n scien t
peuvent, u n e fois parvenus à la conscience, subir u n e

39
nouvelle action d u re fo u le m e n t qui les ren v o ie dans
l ’in co n scien t (refo u le m en t d it seco n d aire o u refo u le­
m e n t après-coup).
U n m o t en co re p o u r ju stifie r la d éfin itio n d u refo u le­
m e n t que nous avons avancée plus h a u t com m e é ta n t
u n e ch ap e d ’én erg ie q u i em p êch e le passage des co n te ­
nus inconscients vers le p réco n scien t *. F reu d , en effet,
n ’a jam ais re n o n c é à co n sid ére r le re fo u le m e n t com m e
u n je u com plexe de m ouvem ents d ’én erg ie. J e u d estin é
d ’u n e p a rt à c o n te n ir et fixer dans l’enclos d e l’in ­
conscient les rep résen tatio n s refoulées, e t d ’au tre p a rt
à ra m e n e r dans l ’in co n scien t les rep résen tatio n s fugiti­
ves qui é ta ie n t p arvenues au p réco n scien t o u à la
conscience après avoir d éjo u é la vigilance d u refo u le­
m ent. Aussi F reu d distingue-t-il d eu x g en res de refo u le­
m e n t : u n refoulement primaire qui co n tie n t e t fixe les
rep résen tatio n s refo u lées au sol d e l’in co n scien t, e t u n
refoulement secondaire qui refo u le — au sens littéral de
faire recu ler — dans le système in co n scien t les rejeto n s
préconscients d u refoulé.
Le re fo u le m en t p rim aire, le plus prim itif, est n o n
seu lem en t u n e fixation des rep résen tatio n s refoulées

* Les « éléments refoulés » qui passent à travers la barre du


refoulement peuvent être la représentation, munie de sa charge
énergétique, ou bien (ce que privilégie Freud) la charge seule,
détachée de la représentation. Nous examinerons plus loin la pre­
mière éventualité, celle du passage dans le conscient de la représen­
tation investie de sa charge. Quant à la seconde éventualité, celle
du passage de la charge seule, Freud entrevoit quatre destins possi­
bles : rester entièrement refoulée ; passer la barre et se commuer
en angoisse phobique ; passer la barre et se convertir en troubles
somatiques dans l’hystérie ; ou encore, passer la barre et se transfor­
mer en angoisse morale dans l’obsession.

40
S. Freud

au sol d e l’in co n scien t, mais u n e cloison én erg é tiq u e


que le p réco n scien t e t le con scien t d ressen t co n tre la
poussée d ’é n erg ie lib re v en an t de l ’in conscient. Cette
cloison est d ite « contre-investissem ent », c ’est-à-dire
investissem ent co n tra ire q u e le système Précons-
c ie n t/C o n sc ie n t o p p o se aux tentatives d ’investissem ent
de la poussée inco n scien te.
Le deu x ièm e m o d e de refo u lem en t, d o n t le b u t est
de renvoyer le re je to n dans son lieu d ’orig in e, est aussi
u n m ou v em en t d ’én erg ie, mais plus com plexe. P o u r
l’essentiel, il se résu m e aux o p ératio n s suivantes cen ­
trées a u to u r d u re je to n conscient o u p réco n scien t du
refoulé :
■ • D ’ab o rd , re tra it d e la ch arg e préco n scien te-
consciente d ’én erg ie liée q u e le reje to n avait acquise
lors d e son séjou r d an s le p réco n scien t o u dans le
conscient.

• U ne fois délesté d e sa ch arg e préco n scien te-


consciente e t voyant son an cien n e ch arg e in co n scien te
réactivée, le reje to n est alors attiré, com m e aim anté,
p ar les autres rep résen tatio n s in conscientes fixées à
jam ais dans le système in co n scien t p a r le re fo u le m en t
prim aire. Le reje to n fu g itif re n tre alors au bercail de
l’inconscient.

□ Définition de l ’inconscient du point de vue économique.


— Si nous définissons cette fois l ’in co n scien t d u p o in t
de vue éco n o m iq u e, celui q u e nous avons ad o p té p o u r
d év elo p p er n o tre schém a, la source d ’ex citation s’ap ­
pelle représentant de pulsions, e t les p ro d u ctio n s te rm in a­
les d e l ’in c o n scien t so n t des fantasmes, o u plus exacte­

41
m e n t des co m p o rtem en ts affectifs e t des choix
a m o u re u x inexpliqués, sous-tendus p a r des fantasm es.
J ’ex p liq u erai dans u n in stan t la n a tu re de ces fantas­
mes, mais le u r localisation to p iq u e dans n o tre schém a
soulève le pro b lèm e suivant. Les fantasm es p eu v en t
n o n seu lem en t a p p ara ître dans la conscience — com m e
nous venons d e le d ire — au titre d e p ro d u ctio n s
term inales de l’in co n scien t telles q u e des liens affectifs
irraisonnés ou enco re, plus p articu lièrem e n t, des rêve­
ries d iu rn es e t des fo rm atio n s d éliran tes ; ils p eu v en t
aussi rester enfouis e t refoulés d an s l ’in co n scien t, ayant
alors le statu t de rep résen tatio n s inco n scien tes de
chose. Mais les fantasm es p eu v en t en co re jo u e r le rôle
d e défenses d u m oi c o n tre la poussée in co n scien te.
C ’est-à-dire q u ’u n fantasm e p e u t to u t aussi b ien p re n ­
d re le rô le d ’u n reje to n p réco n scien t d u refoulé, d ’u n
c o n te n u in co n scien t refo u lé ou m êm e d ’u n e défense
refo u lan te. D ans n o tre schém a, no u s localisons le fan ­
tasm e ta n t en-deçà de la b a rre d u re fo u le m e n t (temps 1)
q u ’au niveau d e la b a rre (temps 2), ou en co re, au-delà
de la b arre (temps 4).

□ Définition de l ’inconscient du point de vue éthique.


— Si, enfin, nous définissons l ’in c o n scien t du p o in t
de vue éth iq u e, nous le n o m m ero n s désir. Le désir est
le m ouvem ent d ’u n e intention in co n scien te qui aspire à
u n but, celui d e la satisfaction absolue. Les p ro d u ctio n s
term inales d e l ’in co n scien t so n t à c o n sid ére r ici com m e
des réalisations partielles du désir ou, si l ’o n veut, des
satisfactions partielles e t substitutives d u d ésir eu ég ard
à la satisfaction idéale, jam ais attein te. N ous qualifions
d ’é th iq u e cette d éfin itio n d e l ’in c o n scien t dans la
m esure o ù nous assim ilons le m o u v em en t énergie

42
S. Freud

décharge à la te n d an ce d e l ’in co n scien t à se faire e n te n ­


d re e t se faire re c o n n a ître com m e u n A utre. E thique
aussi, dans la m esu re o ù n o u s conférons au b u t idéal
d u désir, u n e valeur : la valeur indépassable d ’u n bien
su p érieu r, d ’u n souverain Bien q u e la psychanalyse
n o m m e inceste. F o n cièrem en t, le désir est toujours
d ésir d ’inceste. N ous y reviendrons.

A près vous avoir m o n tré le fo n c tio n n e m e n t d e l ’ap­


p areil psychique suivant la logique d ’u n schém a spatial,
je vous ai p roposé u n e vision descriptive, systém atique,
dynam ique, éco n o m iq u e e t éth iq u e de l ’in conscient,
mais to u t ceci serait in c o m p let si nous n ’inscrivions
n o tre ap p areil dans le fil d u tem ps e t n e l ’incluions
dans l ’univers d ’au tru i. D eux facteurs e n c a d re n t la vie
psychique : le tem ps e t les au tres (figure 4). Le tem ps
d ’ab o rd , car le fo n c tio n n e m e n t psychique n e cesse de
se ren o u v eler to u t au lo n g d e l ’histo ire d ’u n sujet, au
p o in t d ’é c h a p p e r à la m esu re d u tem ps. L ’in co n scien t
est h ors le tem ps, c ’est-à-dire p e rp é tu e l dans le tem ps
historique. Silencieux ici, il ré a p p a ra ît là e t n e d é p é rit
jam ais. T entez d e le faire taire, il va aussitôt revivre,
re b o u rg e o n n e r dans d e nouvelles m anifestations. Aussi,
quel q ue soit l ’âge, l ’in c o n scien t dem eure-t-il u n p ro ­
cessus irrép re ssib lem en t actif e t intarissable dans ses
p ro d u ctio n s. Q ue vous ayez d eu x jo u rs de vie ou quatre-
vingt-trois ans, il persévère dans son élan e t p arvient
toujours à se faire e n te n d re .

Mais nous devons en co re c o m p re n d re q u e la vie


psychique est p lo n g ée dans le m o n d e d ’au tru i, dans

43
le m o n d e d e ceux à qui nous som m es attach és p a r le
langage, p a r nos fantasm es et nos affects. N o tre psy­
chism e p ro lo n g e n écessairem en t le psychism e d e l’au­
tre avec qui nous som m es en relatio n . Les sources de
nos excitations so n t les traces q u e laisse en no u s l ’im ­
p act d u désir d e l’au tre, de celui o u d e ceu x q u i nous
tie n n e n t p o u r l ’o b je t d e le u r désir. G om m e si la flèche
du temps 4 d u schém a d e l’ap p areil psychique d e l ’au tre
rejo ig n ait p o u r la stim u ler la source d ’ex citatio n de
n o tre p ro p re app areil. Et, à l ’inverse, co m m e si nos
p ro p res p ro d u ctio n s ravivaient à le u r to u r le d ésir de
l’au tre. R egardons la figure 4.

44
l ’autre

Figure 4
Les productions de l’inconscient de l’autre stimulent les sources de mon inconscient.
Et mes propres productions stimulent les sources de l’inconscient de l’autre
Le sens sexuel de nos actes

N ous som m es m a in te n a n t à m êm e de fo rm u le r la
prém isse fo n d atrice de la psychanalyse. Nos actes, ceux
q u i nous éch a p p en t, n o n seu lem en t so n t d éterm in és
p a r u n processus inco n scien t, m ais su rto u t o n t u n sens.
Ils véhiculent u n m essage e t v eu len t dire a u tre chose
q ue ce q u ’ils m o n tre n t de p rim e abord. A vant F reud,
les actes les plus in a tten d u s passaient p o u r des actes
anodins. A u jo u rd ’h u i, avec F reud, su p p o ser u n sens
aux conduites e t aux p aro les qui n o u s d ép assen t est
d evenu u n geste co u tu m ier. Il suffit de co m m ettre u n
lapsus p o u r so u rire aussitôt, p o u r ro u g ir parfois, en se
croyant trah i p a r la révélation d ’u n désir, d ’u n sens
jusque-là voilé.
Mais q u ’est-ce q u ’u n sens ? Q u ’est-ce q u e le sens
d ’u n acte ? La signification d ’u n acte in v o lo n taire
réside dans le fait q u ’il est le su b stitu t d ’u n acte idéal,
d ’u n e action im possible qui, dans l’absolu, au ra it d û se
p ro d u ire mais n ’a pas eu lieu. Q u a n d le psychanalyste
in te rp rè te e t dévoile la signification d ’u n rêve p a r
exem ple, que fait-il sin o n m o n tre r q u e le rêve en ta n t
q u ’acte est le su b stitu t d ’u n au tre acte q u i n ’est pas
venu à jo u r ; q u e ce q u i est, est le substitut de ce qui
n ’a pas été. Nos actes involontaires o n t d o n c u n sens.
Mais co m m en t q u alifier ce sens ? Q uelle est la te n e u r
d u sens caché de nos actes ? La rép o n se à cette ques­
tio n énonce la g ran d e d écouverte de la psychanalyse.
Q u e dit-elle ? Q u e la signification de nos actes est u n e
signification sexuelle. Mais p o u rq u o i sexuelle ? R ep o r­
tons-nous à la figure 5 e t voyons de quelle n a tu re est
la source à l ’o rig in e de la te n d an ce p u lsio n n elle, et

46
S. Freud

de quelle n a tu re est le b u t idéal au q u el cette ten d an ce


aspire, j e veux d ire l ’action idéale e t im possible qui
n ’a pas eu lieu, e t d o n t nos actes so n t les substituts.
Le sens de nos actes est u n sens sexuel parce q u e la
source e t le b u t de ces ten d an ces so n t sexuels. La
source est u n re p ré s e n ta n t p u lsio n n el d o n t le co n te n u
re p ré se n ta tif co rre sp o n d à u n e rég io n d u corps très
sensible e t excitable, d ite zone érogène. Q u a n t au but,
toujours idéal, il est le plaisir p arfait d ’u n e action
parfaite, d ’u n e p arfaite u n io n e n tre d eu x sexes, d o n t
Y inceste in c a rn e ra it la fig u re m ythique e t universelle.

Le concept psychanalytique de sexualité

Ces ten d an ces, q u i a sp iren t à l ’idéal im possible d ’u n e


satisfaction sexuelle absolue, n aissent dans la rep résen ­
tation d ’u n e zone éro g èn e d u corps, b u te n t co n tre
le re fo u le m e n t e t s’ex tério risen t en fin p a r des actes
substitutifs de l ’im p o ssib le 6 acte in cestu eu x — , ces
tendances s’a p p e lle n t pulsions sexuelles. Les pulsions
sexuelles so n t m ultiples, elles p e u p le n t le te rrito ire de
l’inco n scien t e t le u r existence re m o n te loin dans n o tre
histoire, dep u is l’éta t em b ry o n n aire, p o u r n e cesser
q u ’avec la m ort. L eurs m anifestations les plus m a rq u a n ­
tes ap p araissen t d u ra n t les cinq p rem ières an n ées de
notre enfance.
F reud décom po se la pulsion sexuelle e n q u atre élé­
ments. Mis à p a rt la source d ’où elle ja illit (zone éro ­
gène), la force qui la m e u t e t le but q u i l ’attire, la

47
pulsion se sert d ’u n objet au m oyen d u q u e l elle essaie
de p arv en ir à son b u t idéal. C et o b jet p e u t être u n e
chose ou u n e p erso n n e, parfois soi-m êm e, parfois u n e
au tre p e rso n n e, mais il est to u jo u rs u n objet fantasmé
p lu tô t que réel. Cela est im p o rta n t p o u r co m p re n d re
q ue les actes substitutifs à travers lesquels les pulsions
sexuelles s’ex p rim e n t (u n e p aro le in a tte n d u e , u n geste
involontaire ou des liens affectifs que n o u s ne choisis­
sons pas) so n t des actes m oulés sur des fantasm es et
organisés a u to u r d ’u n ob jet fantasm é.

Mais je dois en co re ajo u ter u n é lé m e n t essentiel qui


caractérise ces pulsions, à savoir le plaisir p articu lier
q u ’elles p ro c u re n t. N on pas le plaisir absolu q u ’elles
visent, mais le plaisir lim ité q u ’elles o b tie n n e n t : u n
plaisir p artiel qualifié de sexuel. O r, q u ’est-ce q u e le
plaisir sexuel ? Et plus g é n é ra le m e n t : q u ’est-ce q u e la
sexualité ? D u p o in t de vue de la psychanalyse, la sexua­
lité h u m a in e n e se ré d u it pas au c o n tact des 'organes
g én itau x de d eu x individus, n i à la stim u latio n de
sensations génitales. N on, le co n ce p t de « sexuel » revêt
en psychanalyse u n e accep tio n b ie n plus large q u e
celle de « génital ». Ce so n t les enfants e t les pervers
qui o n t m o n tré à F reu d la vaste é te n d u e de l’idée de
sexualité. N ous ap p ellero n s sexuelle to u te co n d u ite qui,
à p a rtir d ’u n e rég io n é ro g èn e d u corps (b o u ch e, anus,
yeux, voix, p eau ...), e t en s’ap p u y an t sur u n fantasm e,
p ro cu re u n certain type de plaisir. Q uel plaisir ? U n
plaisir qui co m p o rte d eu x aspects. D ’ab o rd , sa diffé­
ren ce radicale avec cet au tre plaisir p ro c u ré p a r la
satisfaction d ’u n besoin physiologique (m anger, élim i­
n er, d o rm ir...). Le plaisir de té te r d u n o u rrisso n p a r
exem ple, son plaisir d e succion, co rre sp o n d d u p o in t

48
S. Freud

d e vue psychanalytique à u n plaisir sexuel q u i n e se


co n fo n d pas avec le so u lag em en t d ’assouvir sa faim.
S o ulagem ent et plaisir re ste n t certes associés, mais le
plaisir sexuel de succion d ev ien d ra vite u n e satisfaction
re c h e rc h é e p o u r elle-m êm e h o rs d u besoin n atu rel. Le
sujet p re n d ra plaisir à sucer, in d é p e n d a m m e n t de to u te
sensation de faim . D euxièm e aspect : le plaisir sexuel
— b ie n distinct d o n c d u plaisir fo n ctio n n el — , polarisé
a u to u r d ’u n e zone éro g èn e, o b te n u grâce à la m éd ia­
tio n d ’u n objet fan tasm é (et n o n pas d ’u n o b jet réel),
se retro u v e ra p arm i les d ifférents plaisirs des caresses
p rélim inaires au co ït lui-m êm e. P o u r g a rd e r n o tre
exem ple, le plaisir de succion se p ro lo n g e ra com m e
plaisir d ’em brasser le corps de l ’être aimé.

□ Besoin, désir et amour. — P o u r m ieux situ er l ’écart


e n tre plaisir fo n ctio n n el e t plaisir sexuel, arrêto n s-n o u s
u n in stan t e t définissons clairem en t les n o tio n s de
besoin, désir e t am o u r. Le besoin est l ’exigence d ’u n
org an e d o n t la satisfaction s’acco m p lit ré e lle m e n t avec
u n o b jet co n cre t (la n o u rritu re p a r ex em p le), e t n o n
avec u n fantasm e. Le plaisir de bien-être qui se dégage
n ’est a u c u n e m e n t sexuel. Le désir, en revanche, est
u n e expression de la pu lsio n sexuelle, o u m ieux, la
pulsion sexuelle elle-m êm e q u a n d nous lui attrib u o n s
u n e in te n tio n n a lité o rien tée vers l’absolu d e l ’inceste
et la voyons se c o n te n te r avec u n o b jet fantasm é
in c arn é p a r la p e rso n n e d ’u n au tre désirant. A la diffé­
ren ce d u besoin, le d ésir n a ît d ’u n e zone é ro g èn e du
corps e t se satisfait p artie lle m e n t avec u n fantasm e
d o n t l ’objet est u n a u tre d ésiran t. Ainsi, l’a tta c h e m e n t à
l’a u tre équivaut-il à l ’a tta c h e m e n t à u n o b jet fantasm é,
polarisé a u to u r d ’u n o rg an e éro g èn e particu lier.

49
'L’amour, enfin , est aussi u n atta c h e m e n t à l ’au tre, mais
de m an ière globale e t sans le su p p o rt d ’u n e zone
éro g èn e définie. Bien en te n d u , ces trois états s’im bri­
q u e n t e t se c o n fo n d e n t dans to u te rela tio n am o u reu se.

Mais p o u rq u o i ces pulsions sexuelles n ’o b tien n en t-


elles q u ’u n plaisir lim ité ? Et en co re, p o u rq u o i se
contentent-elles d ’objets fantasm és e t n o n pas d ’objets
concrets e t réels ? P o u r ré p o n d re , rep o rto n s-n o u s à la
figure 5. Eh bien , les pulsions sexuelles n ’o b tie n n e n t
q u ’u n plaisir p artiel e t substitutif, p arce q u e c ’est le
seul plaisir q u ’elles o n t p u g ag n er d e h a u te lu tte après
s’ê tre arrach ées au x défenses d u m oi. Q uelles d éfen ­
ses ? En p re m ie r lieu, le refo u lem en t. O r, le refo u le­
m e n t est aussi à sa m an ière u n e force, o u m ieu x
en co re, u n e pulsion. Cela voudrait-il d ire q u ’il y au rait
d eu x groupes de pulsions opposées : le g ro u p e des
pulsions qui te n d e n t à la d éch arg e e t le g ro u p e des
pulsions qui s’y o p p o sen t ? O ui, c ’est ju s te m e n t la p re ­
m ière th é o rie des pulsions p ro p o sée p a r F reu d au
d é b u t de son œ uvre e t ju s q u ’en 1915 q u a n d il in tro ­
d u ira le c o n ce p t de narcissism e. N ous verro n s b ie n tô t
quelle est la d eu x ièm e th é o rie fo rm u lée ap rès cette
date, mais p o u r le m o m e n t distinguons d eu x ten d an ces
pulsionnelles antagonistes : les pulsions sexuelles refo u ­
lées e t les pulsions d u m oi refo u lan tes *. Les p rem ières
re c h e rc h e n t le plaisir sexuel absolu, tandis q u e les
secondes s’y o p p o sen t. Le résu ltat de ce co n flit consiste

* Avec cette expression « pulsions du moi refoulantes », nous


réduisons le vaste champ des pulsions du moi à son aspect essentiel.
Etudier de façon exhaustive le domaine des pulsions du moi excéde­
rait les limites de ce travail.

50
OBJETS FANTASMES FORMATIONS
DE LA PULSION DE L’INCONSCIENT

pouce

fèces • Actes involontaires


Manifestations pathologiques
> phallus • Relations affectives
> • avec un e personne
mère • avec des choses
• vis-à-vis de nous-meme
père • transférées a u psychanalyste

psycha­
nalyste

Fantasmes Formations
inconscients aux de
sous-jacents l’inconscient
/
Inceste impossible

D E H O R S

Figure 5
Les pulsions sexuelles, leurs 3 principaux destins
(refoulement, sublimation, fantasme) et leurs extériorisations
p récisém en t en ce plaisir dérivé e t p artiel que nous
avons no m m é plaisir sexuel.

Les trois p rin cip a u x destins des pulsions


sexuelles : refoulement, sublim ation et fantasm e.
L e concept de narcissisme
Si vous avez fait vôtre la lo g iq u e en q u a tre tem ps
d u fo n c tio n n e m e n t psychique, vous ad m ettrez aisém en t
q ue le destin des pulsions sexuelles est to u jo u rs le
m êm e : elles so n t co n d am n ées à to u jo u rs trouver, sur
le ch em in de le u r b u t idéal, l ’o p p o sitio n des pulsions
d u m oi, c ’est-à-dire l’obstacle d u refo u lem en t. Mais,
o u tre le refo u lem en t, le m oi o ppose d eu x au tres obs­
tru ctio n s aux pulsions sexuelles : la su b lim atio n e t le
fantasm e.

□ La Sublimation. — La p rem ière de ces entraves


consiste à d é to u rn e r le trajet de la pu lsio n e n changeant
son but : cette m an œ u v re s’ap p elle su b lim atio n e t elle
réside dans le rem p lacem en t d u b u t sexuel idéal
(inceste) p a r u n au tre b u t n o n sexuel à valeu r sociale.
Les réalisations culturelles e t artistiques, les relations
de tendresse e n tre p aren ts e t enfants, les sen tim en ts
d ’am itié e t les liens sen tim en tau x dans le cou p le, so n t
toutes des expressions sociales des pulsions sexuelles
d éto u rn é es de le u r b u t virtuel.

□ Le Fantasme. — L ’au tre b arriè re im posée p a r le


m oi est plus com p liq u ée, mais co m p re n d re son m éca­
nism e nous p e rm e ttra d ’ex p liq u er p o u rq u o i les objets
avec lesquels la pulsion o b tie n t d u plaisir sexuel so n t

52
S. Freud

des objets fantasm és e t n o n pas réels. C et au tre obstacle


que le m oi oppose aux pulsions sexuelles consiste n o n
pas e n u n ch a n g e m e n t de b u t, com m e c ’était le cas
de la sublim ation, m ais en u n changement d ’objet. A la
place d ’u n o b je t réel, le m oi installe u n ob jet fantasm é,
com m e si, p o u r a rrê te r l’élan d e la pu lsio n sexuelle,
le m oi c o n te n ta it la pu lsio n e n la le u rra n t avec l ’illu­
sion d ’u n o b jet fantasm é.
Mais co m m en t le m oi réussit-il u n tel to u r de passe-
passe ? Eh b ien , p o u r ch an g e r l’ob jet réel e n u n objet
fantasm é, il d o it d ’ab o rd in c o rp o re r au-dedans de lui
l’o b jet réel ju s q u ’à le tran sfo rm e r e n fantasm e. P ren o n s
u n exem ple e t d éco m p o so n s artificiellem en t cette ruse
dp m oi en six étapes.
1. Im aginons u n e rela tio n affective avec u n e p e r­
so n n e q u i nous attire e t que n o u s aim ons. Sans distin­
g u er besoin, désir e t am o u r, préo ccu p o n s-n o u s d u sta­
tu t de ladite p e rso n n e, lo rsq u ’elle est tran sfo rm ée
d ’o b jet réel en o b je t fantasm é. Supposons d ’ab o rd que
cette p e rso n n e soit l ’o b jet réel vers leq u el la pulsion
sexuelle s’o rien te.
2. N ous (c ’est-à-dire le m oi) aim ons cette p erso n n e
ju s q u ’à l’in c o rp o re r au-dedans de no u s e t en faire u n e
p artie de nous-m êm e.
3. N ous nous id en tifio n s ainsi à l’être aim é q u i est
en nous, e t le traito n s avec u n am o u r plus puissant
en co re q u e celui q u e no u s lui p o rtio n s q u a n d il était
réel.

4. A lors, la p e rso n n e aim ée cesse d ’être au-dehors


et vit à l’in té rie u r d e no u s com m e u n ob jet fantasm é

53
qui e n tre tie n t e t ravive c o n stam m en t la p u lsio n
sexuelle. Ainsi, la p erso n n e réelle n ’existe plus p o u r
nous que sous l’espèce d ’u n fantasm e, m êm e si co n jo in ­
te m e n t nous c o n tin u o n s à lui re c o n n a ître u n e existence
au to n o m e dans le m o n d e. P ar co n séq u en t, q u a n d nous
aim ons, nous aim ons to u jo u rs u n ê tre fait de l ’étoffe
d u fantasm e e t référé à cet au tre ê tre réel q u e nous
reconnaissons au-dehors.
5. La rela tio n am o u reu se, fo n d ée ainsi sur u n fan ­
tasm e qui apaise la soif de la pulsion, p ro c u re d o n c
ce plaisir p artiel que no u s avons qualifié d e sexuel.
6. N ous aim ero n s ou h aïro n s n o tre p ro c h a in selon
le m ode q ue nou s avons d e c h é rir o u h a ïr à l ’in té rie u r
de nous, son d o u b le fantasm é. T o u tes nos relations
affectives, e t en p articu lier la rela tio n qui s’étab lit e n tre
le p a tie n t e t son psychanalyste — am o u r de tran sfert — ,
toutes ces relation s ép o u se n t é tro ite m e n t les m oules d u
fantasm e ; fantasm e qui m obilise l ’activité des pulsions
sexuelles e t p ro c u re d u plaisir.

□ Le concept de Narcissisme. — C ep en d a n t, dans les


séquences q ue no u s venons de d éco u p e r, no u s n ’avons
pas relevé le geste essentiel d u m oi q u i lui p e rm e t de
tran sfo rm er l ’o b jet réel e n ob jet fantasm é. Q uel est ce
geste ? C ’est u n e torsion d u m oi qui s’ap pelle narcis­
sisme. Le narcissism e est l ’état sin g u lier d u m oi q u a n d
— afin d ’in c o rp o re r l ’o b jet réel e t le tran sfo rm e r en
fantasm e — il p re n d la place d ’ob jet sexuel e t se fait
aim er et d ésirer p a r la p u lsio n sexuelle. C om m e si le
m oi, p o u r d o m p te r la p u lsion, la d é to u rn a it de son
b u t idéal e t la tro m p ait en lui d isan t : « P uisque tu
cherches u n o b je t p o u r parv en ir à tes fins sexuelles,

54
S. Freud

viens, sers-toi de m oi ! » La difficulté th é o riq u e du


co n c e p t de narcissism e est de b ien co m p re n d re que
les pulsions sexuelles e t le m oi — id entifié à l ’objet
fantasm é — co n stitu e n t d eu x parties de nous-m êm e.
Le m oi-pulsion sexuelle aim e le m oi-objet. C ’est ainsi
q ue n o u s pouvons fo rm u ler : le m oi-pulsion s’aim e lui-
m êm e com m e u n o b jet sexuel. Le narcissism e ne se
d éfin it n u lle m e n t p a r u n sim ple re to u r sur soi dans
u n « s’aim er soi-m êm e », m ais en u n « s’aim er soi-m êm e
com m e objet sexuel » : le m oi-pulsion sexuelle aim e le
m oi-objet sexuel. L ’am o u r narcissique d u m oi p o u r lui-
m êm e, en ta n t q u ’o b jet sexuel, est à la base de la
co n stitu tio n de tous nos fantasm es. Aussi peu t-o n
co n clu re que la m atière des fantasm es, c ’est toujours
e t in év itab lem en t le moi.
R ésum ons d o n c les p rin cip au x destins des pulsions
sexuelles : être refoulées, sublim ées ou en co re leu rrées
p a r u n fantasm e.

Les phases de la sexualité infantile et le


complexe d ’Œ dipe

Mais les pulsions sexuelles re m o n te n t loin dans n o tre


enfance. Elles o n t u n e h isto ire qui p o n ctu e le dévelop­
p e m e n t de n o tre corps d ’en fan t. L eu r évolution com ­
m ence dès la naissance e t culm ine e n tre trois et cinq
ans avec l’ap p a ritio n d u com plexe d ’Œ d ip e q u i m arq u e
l’atta c h e m e n t de l ’en fa n t au p a re n t de sexe o pposé et
son hostilité envers le p a re n t d u m êm e sexe. Ce sera

55
la réso lu tio n de ce com plexe q u i c o n d u ira l ’e n fa n t à
trouver son id e n tité d ’h o m m e o u de fem m e. La p lu p a rt
des événem ents survenus d u ra n t ces p rem ières an n ées
de la vie so n t frap p és d ’oubli, effacem en t q u e F reu d
no m m e amnésie infantile.
N ous pouvons d ég ag er b rièv em en t trois phases dans
l’histoire des pulsions sexuelles infantiles. T rois phases
qui se d istin g u en t selon la d o m in an ce de la zo n e é ro ­
gène : la phase o rale dans laquelle la zone d o m in a n te
est la b o u ch e, la p hase anale o ù c ’est l’an u s q u i p ré ­
vaut, e t la phase p h alliq u e avec le p rim at de l ’o rg an e
génital m asculin.
*

La phase orale recouvre les six p rem iers m ois d u


n o u rrisso n ; la b o u ch e est la zone éro g èn e p rév alen te
e t p ro c u re au b éb é n o n seu lem en t la satisfaction de
se n o u rrir, mais su rto u t le plaisir d e sucer, c ’est-à-dire
de m e ttre en m o u v em en t les lèvres, la lan g u e e t le
palais dans u n e a ltern an ce rythm ée. Q u an d o n em ploie
l ’expression « pulsio n o rale » ou « plaisir o ral », il faut
é ca rter to u t ra p p o rt exclusif avec la n o u rritu re . Le
plaisir oral est fo n d a m e n ta le m e n t plaisir d ’ex e rc e r u n e
succion sur u n ob jet q u e l ’o n a dans la b o u ch e ou
que l ’o n p o rte à la b o u ch e, e t q u i oblige la cavité
buccale à se co n tra c te r e t se re lâ c h e r successivem ent.
P o u r le n o u rrisso n — no u s l’avons vu — , ce gain de
plaisir en m arge d u rassasiem ent d o it être qualifié de
sexuel. L ’o b jet de la p u lsio n orale n ’est d o n c pas le
lait q u ’il in g ère en ta n t q u ’alim ent, mais l ’afflux de
lait ch au d qui excite la m u q u eu se, o u en co re le m am e­
lon d u sein m a tern el, la tétin e, puis q u elq u e tem ps

56
S. Freud

après, u n e p artie d u corps p ro p re, le plus souvent les


doigts e t su rto u t le p o u ce, q u i tous sont des objets
réels qui e n tre tie n n e n t le m o u v em en t cadencé de la
succion. Et qui tous so n t des objets p rétex tes qui sou­
tie n n e n t les fantasm es. L orsque no u s observons u n
en fan t en train de su cer son p o u ce b ien ap pliqué
co n tre le creu x d u palais, et le re g a rd rêveur, nous
déduisons q u ’à ce m o m e n t il éprouve — psychanalyti­
q u e m e n t p a rla n t — u n in ten se plaisir sexuel. N ’o u ­
blions pas q u e l’a tta c h e m e n t aux objets réels est avant
to u t u n a tta c h e m e n t à des objets fantasm és. Ainsi, le
pouce réel que l ’en fa n t suce est en vérité u n objet
fantasm é q u ’il caresse, c ’est-à-dire lui-m êm e (narcis­
sism e). A joutons q u ’il existe en co re u n e p hase orale
tardive q u i com m en ce vers le sixièm e m ois de la vie
avec l’a p p aritio n des p rem ières dents. Le plaisir sexuel
de m o rd re, parfois avec rage, com p lète le plaisir de
succion.
*
La phase anale se développe au cours des deuxièm e
et troisièm e années. L ’orifice anal est la zone éro g èn e
d o m in an te, e t les selles c o n stitu en t l ’ob jet réel qui
d o n n e prise à l’o b jet fantasm é des pulsions anales. De
la m êm e m a n ière q u e no u s avions distingué plaisir de
m anger e t plaisir sexuel de succion, no u s devons ici
séparer le plaisir fo n c tio n n e l de d é fé q u e r en se soula­
geant d ’u n besoin co rp o rel, d u plaisir sexuel de re te n ir
les selles e t les éjecter b ru sq u em en t. L ’ex citation
sexuelle de la m u q u eu se anale est p ro v o q u ée avant
to u t p a r u n rythm e p articu lier d u sp h in c te r an al q u a n d
il se co n tracte p o u r re te n ir e t se d ilate p o u r évacuer.
*

57
Originellement, nous n ’avons connu que des objets sexuels :
la psychanalyse nous montre que des gens,
que nous croyons seulement respecter, estimer, peuvent,
pour notre inconscient, continuer à être des objets sexuels.
S. Freud

La phase phallique p récè d e l ’é ta t final d u d év elo p p e­


m e n t sexuel, c ’est-à-dire l’o rg an isatio n g én itale d éfin i­
tive. E ntre la phase p h alliq u e q u i s’é te n d d e trois à
cinq ans e t l’organ isatio n g énitale p ro p re m e n t d ite q u i
ap p a ra ît lors d e la p u b e rté , s’in tercale u n e p ério d e
dite « de latence » p e n d a n t laquelle les p ulsions sexuel­
les sero n t inhibées.
Au cours de la phase p h alliq u e, l’o rg an e g én ital m âle
— pénis — jo u e le rô le d o m in an t. P o u r la fille, le
clitoris est consid éré, d ’ap rès F reud, com m e u n a ttrib u t
phallique, source d ’excitation. A l ’in star des au tres p h a ­
ses, l ’objet réel d o n n e assise à l ’o b jet fantasm é. Ici, le
pénis e t le clitoris ne so n t q u e les su p p o rts concrets
e t réels d ’u n o b jet fantasm é n o m m é p h allu s 7. Q u a n t
au plaisir sexuel, il résulte des caresses m astu rb ato ires
e t des atto u ch em en ts rythm és des p arties génitales,
aussi rythm és q u e p o u v aien t l’être les m ouvem ents
altern és de la succion p o u r le plaisir oral, e t de la
ré te n tio n /e x p u ls io n p o u r le plaisir anal.
Au d é b u t de cette phase, g arço n e t fille cro ie n t que
tous les êtres h u m ain s o n t ou d ev raien t avoir « u n
p h allu s» . La différence des sexes h o m m e /fe m m e est
alors perçu e p a r l’en fa n t com m e u n e o p p o sitio n posses­
seu r d u p h a llu s/p riv é du p hallus (ch âtré). E nsuite, fille
e t garçon suivront u n e voie d ifféren te ju s q u ’à le u r
id e n tité sexuelle définitive. Ces voies d iv erg en t parce

58
S. Freud

que l ’objet (phallus) avec leq u el se satisfait la pulsion


p h alliq u e p re n d chez l ’u n e t chez l ’au tre u n e form e
différente. P o u r le garçon, l ’o b jet de la p u lsio n c ’est-
à-dire le phallus, c ’est la p erso n n e de la m ère, ou
p lu tô t la m ère fantasm ée e t quelquefois, cu rieu sem en t,
nous allons le voir, le p è re lui-m êm e. P o u r la fille,
l’o b jet est d ’ab o rd la m ère fantasm ée, puis dans un
second tem ps le p ère. Le p e tit g arçon e n tre dans
l’Œ d ip e e t se m e t à m a n ip u ler son pénis, to u t en se
livrant à des fantasm es liés à sa m ère. Puis, sous l’effet
com biné de la m en ace de castration p ro férée p a r le
père e t de l ’angoisse pro v o q u ée p a r la p erc e p tio n du
corps fém in in privé de phallus, le g arço n re n o n c e en fin
à posséder l ’objet-m ère. L ’affect a u to u r d u q u el l’Œ dipe
m asculin s’organise, culm ine e t se d én o u e, c ’est l'an­
goisse ; l ’angoisse d ite de castration, c ’est-à-dire la
crain te d ’être privé de la p artie d u corps que le garçon
tie n t à cet âge p o u r l ’ob jet le plus estim able : son pénis
d o n t le fantasm e a p o u r n o m « phallus ».

Chez la p etite fille, le passage de la m ère au p ère est


plus com pliqué. L ’év én em en t m ajeu r d u ra n t l ’Œ dipe
fém inin est la d éc e p tio n que ressent la fille e n consta­
ta n t le m an q u e d ’u n p hallus d o n t elle croyait p o u rta n t
avoir été dotée. Ce sen tim en t de d éce p tio n o ù se
m ê len t ra n c u n e e t nostalgie p re n d ra la fo rm e achevée
d ’u n affect d ’envie : l ’envie d u pénis. Pénis — n e l’o u ­
blions pas — d o n t le fantasm e est le phallus. L ’affect
au to u r d u q u e l gravite l’Œ d ip e fém in in n ’est d o n c pas
l’angoisse com m e p o u r le g arçon, m ais l ’envie. Envie
du pénis qui d ev ien d ra très vite d ésir d ’avoir u n en fan t
du p ère, e t plus tard , u n e fois la fille d evenue fem m e,
désir d ’avoir u n en fa n t de l’h o m m e élu. Précisons

59
c e p e n d a n t q ue F reud, b eau c o u p plus tard , a com plété
la th é o rie de la castration chez la fille en reco n n aissan t
que l ’envie n ’était pas l ’u n iq u e rép o n se à la castration
q u ’elle cro it déjà e t d éfin itiv em en t accom plie d u fait
de son m a n q u e de pénis. Il existe e n co re chez la
fem m e u n a u tre affect q u e l ’envie, celui d e l ’angoisse.
D ’u n e angoisse qui d o it ê tre com prise com m e la crain te
n o n pas de p e rd re le p é n is/p h a llu s q u ’elle n ’a jam ais
eu, m ais de p e rd re cet au tre « p h allus » inestim able
q u ’est l ’a m o u r v en an t de l’o b jet aim é. L ’angoisse de
castration chez la fem m e n ’est au tre d o n c q u e l ’an ­
goisse de p e rd re l’am o u r de l ’être aim é. E n u n m ot,
les d eu x affects m ajeurs q u i d é c id e ro n t de l ’issue de
l ’Œ d ip e fém in in so n t l ’envie du pénis e t l ’angoisse de
perdre l ’amour.

Remarque sur l ’Œdipe du garçon :


le rôle essentiel du père

J e voudrais dissiper ici u n m a le n te n d u fré q u e n t


c o n c e rn a n t l’Œ d ip e d u g arço n e t e n p articu lier le rôle
q u ’y jo u e le p ère. H ab itu ellem en t, com m e no u s venons
nous-m êm e de le faire, n o u s m etto n s l ’acc en t sur l ’at­
ta c h e m e n t d u garçon à sa m ère com m e o b jet sexuel
et sur la h a in e envers le p ère. O r, sans re n ie r cette
co n fig u ratio n classique de l’Œ d ip e, F reu d a te llem en t
privilégié le ra p p o rt d u g arçon avec son p è re q u e no u s
n ’h ésitero n s pas à faire d u p ère — e t n o n de la m ère
— le p erso n n ag e p rin cip al de l ’Œ d ip e m asculin. En
voici l ’arg u m en t. D ans la p rem ière étap e de la fo rm a­
tion de l’Œ dipe, no u s reconnaissons d eu x sortes d ’at­
ta c h e m e n t affectif d u g arço n : u n a tta c h e m e n t d ésiran t

60
S. Freud

p o u r la m ère co n sid érée com m e o b jet sexuel, e t su rto u t


u n a tta c h e m e n t p o u r le p è re pris com m e u n m odèle
à im iter. Le garço n fait de son p ère u n idéal q u ’il
v o u d rait lui-m êm e devenir. Le lien à la m ère — ob jet
sexuel — n ’est au tre q u e l’élan d ’u n désir, tandis q u e
le lien au p ère — ob jet idéal — repose sur u n senti­
m e n t d'amour p ro d u it p a r Y identification à u n idéal.
Ces d eu x sentim en ts, d ésir p o u r la m ère e t am o u r
p o u r le p ère, nous d it F reu d , « se ra p p ro c h e n t l ’u n
de l ’au tre, finissent p a r se re n c o n tre r, e t c ’est de cette
re n c o n tre q ue résulte le com plexe d ’Œ d ip e n o rm al » 8.
O r, q u e se passe-t-il lors de cette re n c o n tre ? Le p etit
garçon est m a in te n a n t g ên é p a r la p résen ce de la
p e rso n n e d u p è re qui b arre son élan d ésiran t vers la
m ère. L ’id en tificatio n am o u reu se avec le p è re idéal se
transform e alors en u n e attitu d e hostile co n tre le p ère
et fin it p a r dériver en u n e iden tificatio n au p ère en
ta n t q u ’h o m m e de la m ère. L ’en fa n t veut à p résen t
rem p lacer le p è re au p rès de la m ère prise com m e
objet sexuel. A ssurém ent, tous ces affects envers le p ère
se cro isen t e t se co m b in e n t e n u n m élange d e tendresse
p o u r l ’idéal, d ’anim osité p o u r l ’intrus, e t d ’envie de
posséder les attrib u ts de l’hom m e.

C ep en d an t, il p e u t e n co re arriver q u e l ’Œ d ip e se
re to u rn e en u n e curieuse inversion. Le véritable Œ dipe
inversé — expressio n très usitée e t ra re m e n t b ie n com ­
prise — consiste en u n ch a n g e m e n t radical d u statut
de l’objet-père : le père apparaît aux yeux du garçon comme
un désirable objet sexuel. T o u t a basculé. D ’o b jet idéal
qui suscitait l ’ad m iratio n , la tendresse e t l ’am o u r, le
père est devenu à p ré se n t u n o b jet sexuel q u i excite
le désir. Avant, le p è re était ce q u ’o n voulait être, u n

61
idéal ; m a in te n a n t le p è re est ce q u ’o n v o u d rait avoir,
u n o b jet sexuel. En u n m ot, p o u r le garço n , le p ère
se p résen te sous trois figures d ifféren tes : aim é com m e
u n idéal, haï com m e u n rival e t d ésiré com m e u n
o b jet sexuel. Voilà ce que n o u s ten io n s à so u lig n er :
l ’essentiel de l’Œ d ip e m asculin, ce so n t les vicissitudes
d u ra p p o rt d u g arço n à l ’ég ard de son p è re e t n o n
p o in t — com m e o n le cro it d ’h ab itu d e — à l ’ég ard
de la m ère.

U n m o t e n co re p o u r so u lig n er les p articu larités de


la ph ase p h alliq u e si essentielle p a r ra p p o rt aux phases
p récé d en tes, pu isq u e de son issue d o it d é p e n d re la
fu tu re id e n tité sexuelle de l’e n fa n t d evenu ad u lte. En
voici les aspects à rete n ir. R em arq u o n s d ’a b o rd que
dans cette phase, l ’o b jet fantasm é de la ptrlsion ne
p re n d plus ap p u i com m e au p arav an t su r u n e p artie
d u corps de l ’individu telle le p o u ce o u les excrém ents,
mais sur u n e p erso n n e. L ’o b jet fantasm é d e la p u lsio n
(phallus) p re n d la figure d ’u n e m ère o u d ’u n p ère
en p ro ie à des désirs e t des pulsions. Ainsi, la m ère
est-elle p erçu e p a r le g arçon d e la p hase p h alliq u e à
travers le fantasm e d ’u n e m ère d ésiran te.

R em arquons e n co re q u ’au cours de cette p h ase, l’e n ­


fan t fait p o u r la p rem ière fois l ’ex p érien ce de p e rd re
l’o b je t de la pulsio n , n o n pas à la suite d ’u n e évolution
n atu re lle com m e p o u r les stades p ré c é d e n ts (sevrage
p a r ex em p le), m ais e n rép o n se à u n e o b ligation
in c o n to u rn a b le . Le g arçon p e rd son objet-m ère p o u r
se so u m ettre à la loi universelle de l ’in te rd it de l ’in­

62
S. Freud

ceste. Loi q ue le p ère o rd o n n e à l’en fa n t de resp ecter


sous p ein e de le priver de son pénis.
R em arquons enfin que la phase p h alliq u e est la seule
qui se c o n clu t p a r la réso lu tio n d ’u n choix décisif : le
sujet devra choisir e n tre sauver u n e p artie de son corps
p ro p re ou sauver l’o b jet de sa pulsion. C ette alternative
équivaut e n définitive à élire u n e fo rm e ou u n e au tre
de phallus : soit le pénis, soit la m ère. Le g arço n au ra
à d é c id e r e n tre p réserv er son corps de la m en ace de
la castration, c ’est-à-dire p réserv er le pénis, o u g ard er
l ’o b jet de sa pulsion, c ’est-à-dire sa m ère. Il d o it choisir
e n tre sauver son pénis e t re n o n c e r à la m ère, ou ne
pas re n o n c e r à la m ère, mais alors sacrifier son pénis.
A ssurém ent, l ’issue n o rm ale consiste à re n o n c e r à son
objet e t sauver l’in tég rité de sa p erso n n e. L ’am o u r
narcissique p rim e sur l ’a m o u r objectai. C ette alternative
que je p résen te com m e le d ram e q u ’au rait vécu u n
en fa n t m ythique est e n vérité la m êm e alternative que
nous traversons tous à certain s m o m en ts de n o tre exis­
tence, lorsque nou s som m es co n train ts de p re n d re des
décisions o ù l ’en jeu est de p e rd re ce qui nous est le
plus cher. Alors, p o u r p réserv er l ’être, c ’est l’ob jet que
nous a b a n d o n n o n s.

P ulsions de vie et pulsions de mort. Le désir


a c tif d u passé

J e vous ai a n n o n c é q u e F reu d avait m odifié sa p re ­


m ière th é o rie des pulsions qui o p pose les pulsions

63
refoulantes d u m oi aux pulsions sexuelles. Le m o tif
p rin cip al en a été la d éco u v erte d u narcissism e. En
effet, souvenons-nous q u e p o u r tro m p e r les pulsions,
le m oi est d evenu u n o b je t sexuel fan tasm é : il n ’y a
plus de distinctions à é tab lir e n tre u n supposé o b jet
sexuel ex té rie u r e t réel sur lequel se p o rte ra it la libido
des pulsions, e t le m oi lui-m êm e. L ’o b jet sexuel ex té­
rieu r, l’objet sexuel fantasm é e t le m oi so n t u n e seule
e t m êm e chose que no u s ap p elo n s o b jet d e la pulsion.
De ce p o in t d e vue, o n p e u t affirm er : le m oi s’aim e
lui-m êm e com m e o b jet d e pulsions.

Mais si la libido des pulsions sexuelles p e u t se p o rte r


sur cet objet u n iq u e q u ’est le m oi, alors il n ’y a plus
lieu de re c o n n a ître au m oi u n e volonté défensive et
refo u la n te co n tre lesdites pulsions sexuelles. P ar consé­
q u en t, les pulsions d u m oi disparaissent d e la th é o rie
d e F reud, e t avec elles le co u p le de c o n tra ires pulsions
d u m o i/p u lsio n s sexuelles. F reu d p ro p o se alors de
re g ro u p e r les m ouvem ents lib idinaux, p o rtés ta n t sur
le m oi que su r les objets sexuels ex térieu rs, sous le
term e u n iq u e de pulsions de vie, en l’o p p o sa n t au term e
d e pulsions de mort. Le b u t des pulsions d e vie est la
liaison libidinale, c ’est-à-dire le n o u ag e des liens p a r
le tru c h e m e n t de la libido, e n tre n o tre psychism e,
n o tre corps, les êtres e t les choses. Les pulsions de vie
te n d e n t à to u t investir lib id in a lem e n t e t à m a in te n ir
la cohésion des parties d e la substance vivante. En
revanche, les pulsions de m o rt visent la déliaison, le
d é ta c h e m e n t de la libido des objets, e t le re to u r in é lu c­
table de l’ê tre vivant à la ten sio n zéro, à l’é ta t in o rg an i­
que. A cet égard, précisons que la « m o rt » qui p résid e
à ces pulsions n ’est pas to u jo u rs synonym e de d estru c­

64
S. Freud

tion, d e g u erre o u d ’agression. Les pulsions d e m o rt


re p ré s e n te n t la te n d a n c e de l ’ê tre vivant à tro u v er le
calm e de la m ort, le rep o s et le silence. Elles p eu v en t
aussi ê tre à l ’o rig in e des m anifestations h u m ain es les
plus m e u rtrières lorsq u e la ten sio n c h erc h e à se soula­
ger su r le m o n d e ex térieu r. C ep en d a n t, q u a n d les
pulsions de m o rt re ste n t à l ’in té rie u r de nous, elles
so n t p ro fo n d é m e n t bénéfiques.
N otons que ces d eu x groupes d e pulsions agissent
n o n seu lem en t d e co n cert, mais q u ’elles p a rta g e n t u n
trait com m un. J ’aim erais m ’y a tta rd e r p arce q u e ce
trait constitue u n co n c e p t ab so lu m en t nouveau, u n saut
dans la pen sée fre u d ie n n e . Q uel est ce trait com m un
aux pulsions de vie e t d e m o rt ? Q uel est ce co n cep t
nouveau ? A u-delà de le u r d ifférence, la p u lsio n de vie
com m e celle d e m o rt visent à réta b lir u n état a n té rie u r
dans le tem ps. Q u e ce soit la pulsion d e vie q u i ch erch e
à a u g m e n te r la ten sio n , ou la pulsion d e m o rt qui
aspire au calm e e t au re to u r à zéro, toutes d eu x te n d e n t
à re p ro d u ire e t à ré p é te r u n e situation passée, que
celle-ci ait été ag réab le o u désagréable, p laisan te ou
déplaisante, sans ten sio n o u avec tension. N o tre vie et
la vie d e ceux qui n o u s p arlen t, nos p atien ts, m o n tre n t
que nous te n d o n s souvent à ré p é te r nos échecs et nos
souffrances avec u n e fo rce plus puissante parfois que
celle q ui nous c o n d u it à retro u v e r les événem ents
agréables. Tel le cas d u so ld at trau m atisé d e g u e rre qui
ne p e u t s’e m p ê c h e r d e revoir en rêve, rép étitiv em en t,
l’év én em en t trau m atiq u e où la b o m b e explosa à ses
côtés.
Bref, le nouveau c o n ce p t in tro d u it p a r F reu d avec
la deu x ièm e th é o rie des pulsions est celui d e la compul­

65
sion à la répétition dans le temps. L ’exigence à ré p é te r
le passé est plus fo rte q u e l ’exigence à c h e rc h e r dans
le fu tu r l ’év én em en t plaisant. La co m pulsion à ré p é te r
est u n e p ulsion p rem ière e t fo n d am e n tale, la pu lsio n
des pulsions ; ce n ’est plus u n p rin c ip e q u i o rien te
mais u n e te n d an ce q u i exige d e re to u rn e r en arrière,
de retro u v e r ce qui a déjà eu lieu. Le d ésir actif d u
passé, m êm e si le passé était mauvais p o u r le m oi,
s’ex p liq u e p a r cette com pulsion à re p re n d re ce qui
n ’a pas été achevé, avec la volonté d e le com p léter.
N ous avions m o n tré q u e nos actes involontaires é ta ie n t
les substituts d ’u n e actio n idéale e t in accom plie. Aussi,
la com pulsion à la rép é titio n serait-elle ce désir de
re to u rn e r au passé e t p arach ev er sans entraves e t sans
d é to u r l ’action qui s’éta it avérée im possible, com m e si
les pulsions incon scien tes n ’allaien t jam ais se résig n er
à être co n d am n ées au refo u lem en t.
P ar co n séq u en t, no u s pouvons affirm er q u e la p u l­
sion à ré p é te r dans le tem ps est plus irrésistible en co re
q ue celle à retro u v e r le plaisir. La te n d a n c e conserva­
trice p ro p re aux d eu x pulsions — celle de rev en ir
en a rriè re — p rim e su r l’au tre te n d a n c e to u t aussi
conservatrice régie p a r le p rin cip e de plaisir — celle d e
retro u v e r u n éta t sans tension. Aussi F reu d considère-
t-il la com pulsion à la rép é titio n co m m e u n e force qui
dépasse les lim ites d u p rin cip e d e plaisir, q u i va au-
delà de la re c h e rc h e d u plaisir. N éan m o in s, le co u p le
de pulsions d e vie e t d e m o rt reste réglé p a r l ’action
co n ju g u ée de ces d eu x p rin cip es m ajeurs d u fo n ctio n ­
n e m e n t m e n tal : retro u v e r le passé e t retro u v e r le plai­
sir.

66
S. Freud

Le transfert est u n fa n ta sm e dont l ’objet est


l ’inconscient d u psychanalyste

J e dois m a in te n a n t con clu re. J e voudrais le faire en


vous d e m a n d a n t d ’e n tre r dans le cab in et d u psychana­
lyste e t y re c o n n a ître que la relatio n d u p a tie n t avec
le p raticie n p e u t aussi se co m p re n d re com m e u n e
expression d e la vie des pulsions. De l ’atta c h e m e n t le
plus passionné à l ’hostilité la plus obstinée, la relatio n
analytique e m p ru n te to u tes ses p articu larités aux fantas­
m es qui su p p o rte n t e t o n t su p p o rté les relatio n s affecti­
ves que l ’analysant a d éjà vécues de p a r le passé. C ’est
le p h é n o m è n e d u tran sfert. Précisons b ie n q u e le lien
tran sféren tiel avec l ’analyste n ’est pas la sim ple re p ro ­
d u ctio n dans le p ré se n t des liens affectifs e t désirants
d u passé. Le tran sfert est avant to u t la m ise en acte
des m êm es fantasm es qui s’ex p rim aie n t ja d is sous la
fo rm e des prem iers liens affectifs. Il fau t d o n c com ­
p re n d re q ue le tran sfert n ’est pas la rép é titio n d ’u n e
rela tio n an cien n e, m ais l’actualisation d ’u n fantasm e.

Le m a n ie m e n t d u tra n sfe rt re q u ie rt d u p raticien n o n


seu lem en t u n e g ran d e adresse e t ex p érien ce, mais u n e
co n stan te activité d ’a u to p e rc e p tio n de lui-m êm e. L ’ins­
tru m e n t d u psychanalyste, ce n ’est pas seu lem en t le
savoir, mais avant to u t son p ro p re inco n scien t, le seul
m oyen d o n t il dispose p o u r ca p te r l ’in c o n scien t du
p atien t. Si dans le com plexe d ’Œ d ip e, l ’o b jet de la
pulsion p h alliq u e est le d ésir d e la m ère, n o u s devrions
avancer q ue dans le transfert, l ’ob jet d e la pulsion
analytique — appelons-le ainsi — est l ’in c o n scien t d u
psychanalyste.

67
C ette singulière d isponibilité d e l ’analyste, qui lui
p e rm e t d ’agir avec son in co n scien t m ais aussi d e s’ex p o ­
ser à l ’in co n scien t de l ’au tre, ex p liq u e q u e les p ro d u c ­
tions de l’in c o n scien t q u i o n t surgi au cours de la cu re
p eu v en t ap p a ra ître to u r à to u r chez l ’u n o u l ’au tre
des p arte n aires d e l ’analyse. C ’est cette alte rn a n c e qui
m ’a co n d u it à avancer la thèse d ’u n in c o n scien t u n iq u e.
Il n ’y a pas d e u x in conscients a p p a rte n a n t l ’u n à l ’an a­
lyste, l ’au tre à l ’analysant, mais u n seul e t u n iq u e
inconscient. Les fo rm atio n s de l ’in co n scien t, d o n t l’ap­
p aritio n alte rn e e n tre analyste e t analysant, p eu v en t
lég itim em en t ê tre co nsidérées com m e la d o u b le expres­
sion d ’u n u n iq u e in co n scien t, celui d e la rela tio n analy­
tique.
*

La psychanalyse n ’est pas u n système clos, à la


m a n ière d ’u n e th é o rie abstraite. Elle est c o n tra in te de
s’ouvrir co n stam m en t e t d ’avancer e n tâ to n n a n t, guidée
p a r u n e seule exigence : s’en g ag e r dans l ’éco u te de
celui qui souffre e t d it sa souffrance. Ce fait, le seul
fait q u ’il y ait des p atien ts qui ex p rim e n t le u r d o u leu r,
oblige le psychanalyste à revenir co n stam m en t aux fo n ­
d em en ts de la psychanalyse, à revoir, re p re n d re et
actualiser les p rin cip es e t co ncepts de base — com m e
je viens de le te n te r à travers ce travail. La psychanalyse,
à la différence d ’au tres disciplines de l ’esprit, est inévi­
ta b lem e n t ouverte p arce que sans cesse soum ise à
l’épreuve de cette vérité q u ’est la réalité clinique.

68
E xtraits
l ’œ u v r e d e S. F r e u d

B io g r a p h ie
d e S ig m u n d F r e u d

C h o ix
b ib lio g r a p h iq u e
Extraits
de l’œuvre de S. Freud

La psychanalyse est un procédé, une méthode et la théorie


qui en dérive

Psychanalyse est le n o m : 1) d ’u n p ro céd é d ’investiga­


tion des processus psychiques qui a u tre m e n t so n t à
p ein e accessibles ; 2) d ’u n e m é th o d e d e tra ite m e n t des
tro u b les névrotiques q u i se fo n d e sur cette investiga­
tio n ; 3) d ’u n e série d e co n cep tio n s psychologiques
acquises p a r ce m oyen (...) l.
*

La connaissance favorise la cure, et la cure fa it connaître

(...) il y a a u tre chose q u e je sais. Il y a eu en


psychanalyse dès le d é b u t u n e étro ite u n io n de la cu re
e t d e la rech e rc h e, la connaissance am en ait le succès,
o n n e pouvait pas tra ite r sans a p p re n d re q u elq u e chose
de nouveau, o n n ’a c q u é rait au cu n éclaircissem ent sans
en ép ro u v er l ’actio n bienfaisante. N o tre p ro c é d é analy­
tiq u e est le seul dan s leq u el cette p récieu se co n jo n ctio n
est conservée 2.
*

Quels sont les contenus de la théorie psychanalytique ?

J e vais en co re u n e fois re g ro u p e r les facteurs qui


co n stitu e n t le c o n te n u d e cette th éo rie. Ce so n t : l ’ac­

71
cen t mis su r la vie p u lsio n n elle (affectivité), sur la
dynam ique psychique, sur la signifiance e t le d éterm i­
nism e g én érau x , m êm e des p h é n o m è n e s psychiques
a p p a re m m e n t les plus obscurs e t les plus arbitraires,
la d o c trin e d u conflit psychique e t de la n a tu re p a th o ­
gène d u refo u le m en t, la co n ce p tio n des sym ptôm es
m orbides com m e satisfaction substitutive, la reco n n ais­
sance d e la signification étio lo g iq u e de la vie sexuelle,
en p articu lier celle des am orces d e la sexualité in fan ­
tile 3.
*

Le temps 4 et le temps 3 de notre schéma

U n e p artie [des m otions p u lsio n n elles sexuelles] p ré ­


sente la p récieuse p ro p rié té de se laisser d é to u rn e r de
leurs buts im m édiats e t ainsi en ta n t q u e ten d an ces
« sublim ées » d e m e ttre le u r én erg ie à la disposition
de l’évolution cu ltu relle [n o tre temps 4], Mais u n e au tre
p artie d e m e u re dans l ’in c o n scien t en ta n t q u e m o tio n
de d ésir insatisfaite e t pousse à la satisfaction, quelle
q u ’elle soit, m êm e d éfo rm ée [n o tre temps 3] 4.
*

Ce qui est, est le substitut de ce qui n ’a pas été

[Les] sym ptôm es [sont] nés dans des situations


c o n te n a n t u n e im pulsion à u n e action, im pulsion (...)
qui avait été rép rim ée (...). C ’est à la place d e ces
actions qui n ’o n t pas eu lieu q u e les sym ptôm es avaient
ju s te m e n t s u r g i5.
*

72
S. Freud

Le refoulement primaire est une fixation du représentant


psychique au sol de l ’inconscient

N ous som m es d o n c fo n d és à ad m ettre u n refoulement


originaire, u n e p re m iè re p hase d u refo u lem en t, qui
consiste e n ceci q u e le re p ré s e n ta n t psychique (re p ré ­
sen tan t-rep résen ta tio n ) d e la p u lsio n se voit refu ser la
prise en ch arg e dan s le conscient. Avec lui se p ro d u it
u n e fixation ; le re p ré s e n ta n t c o rre sp o n d a n t sub­
siste (...) d e façon in a ltéra b le e t la p u lsio n d em eu re
liée à lui 6.
*

Après que le refoulé est arrivé à la consciencé sous la


forme de rejetons, le refoulement secondaire est le refoule­
ment qui ramène ces rejetons à leur lieu d ’origine, c’est-
à-dire à l ’inconscient

Le deu x ièm e stade d u refo u lem en t, le refoulement


proprement dit, c o n ce rn e les rejeto n s psychiques d u
re p ré s e n ta n t refoulé. (...) Le re fo u le m en t p ro p re m e n t
d it est d o n c u n re fo u le m e n t après-coup 7.
*

Le refoulé est une partie seulement de l ’inconscient (l’au­


tre partie étant constituée p a r l ’action du refoulement
elle-même)

La psychanalyse no u s a ap p ris q u e l ’essence d u p ro ­


cessus de re fo u le m e n t n e consiste pas à su p p rim er, à
a n é a n tir u n e re p ré se n ta tio n re p ré se n ta n t la pulsion,
mais à l ’e m p ê c h e r d e dev en ir consciente. N ous disons
alors q u ’elle se trouve dans l ’é ta t « in c o n scien t » et

73
nous pouvons fo u rn ir des preuves solides de ce que,
to u t en é ta n t in co n scien te, elle p e u t p ro d u ire des
effets, d o n t certain s m êm e a tte ig n e n t fin a le m e n t la
conscience. T o u t refo u lé d e m e u re n écessairem en t
inconscient, mais no u s ten o n s à p o ser d ’e n tré e q u e le
refoulé n e reco u v re pas to u t l ’in co n scien t. L ’in ­
co n scien t a u n e ex ten sio n plus large ; le refo u lé est
u n e p artie d e l’in c o n s c ie n t8.

Le refoulé dicte nos actes et détermine nos choix affectifs

T o u t ce q u ’u n e n fa n t de d eu x ans a d éjà p u voir


sans c o m p re n d re p e u t b ien n e jam ais rev en ir à sa
m ém oire, sauf dans ses rêves. (...) Mais à u n m o m e n t
d o n n é ces d ern ie rs [événem ents] do u és d ’u n e g ran d e
force co m p u lsio n n elle p eu v en t surgir d an s la vie du
sujet, lui d ic te r ses actes, d é te rm in e r ses sym pathies
o u ses an tip ath ies e t souvent d é c id e r d e son choix
a m o u re u x lorsqu e ce choix, cas très fré q u e n t, est in d é ­
fen d ab le d u p o in t de vue ratio n n e l 9.

Les enfants et les pervers ont appris à Freud que la


sexualité humaine dépasse largement les limites du génital

O n est allé ju s q u ’à (...) faire [à la psychanalyse]


le re p ro c h e extravagant d e « to u t » ex p liq u e r p a r la
sexualité. (...) E n ce qui co n ce rn e l ’ex ten sio n d o n n é e
p a r nous à l’id ée de sexualité, ex ten sio n q u e nous
im posait la psychanalyse des enfants e t ce q u ’o n appelle
les pervers, nous rép o n d o n s à ceux qui, de le u r h a u te u r,

74
S. Freud

je tte n t u n re g a rd de m épris su r la psychanalyse, q u ’ils


d ev raien t se ra p p e le r co m b ien l’id ée d ’u n e sexualité
plus é te n d u e se ra p p ro c h e d e l ’Eros d u divin P laton 10.

Le plaisir sexuel de sucer et le plaisir d ’apaiser la faim


sont deux satisfactions initialement associées qui ensuite
se séparent

L ’en fan t, q u a n d il suce, re c h e rc h e dans cet acte u n


plaisir déjà éprouv é e t qui, m a in ten a n t, lui revient à la
m ém oire. En su çan t de m a n ière ry th m iq u e u n e p artie
d ’é p id e rm e o u de m u q u eu se, l ’en fa n t se satisfait.
(...) N ous diro n s q u e les lèvres d e l ’e n fa n t o n t jo u é le
rôle d e zone érogène e t q u e Y excitation causée par l ’afflux
de lait chaud a p ro v o q u é le plaisir. Au d éb u t, la satisfac­
tion d e la zone éro g è n e fu t é tro ite m e n t liée à l ’apaise­
m e n t de la faim . (L ’activité sexuelle s’est to u t d ’ab o rd
étayée su r u n e fo n ctio n servant à conserver la vie, d o n t
elle ne s ’est re n d u e in d é p e n d a n te q u e plus tard .) 11

Dans l ’Œ dipe masculin, le père se présente aux yeux du


garçon sous trois figures différentes : aimé comme un
idéal, haï comme un rival, et désiré comme un objet
sexuel. Dans ce dernier cas, non seulement le garçon tient
son père pour un objet sexuel, mais s ’offre à lui, à
l ’instar de la mère, comme objet sexuel

La rela tio n d u p e tit g arço n à son p è re est (...) u n e


relation am bivalente. A côté de la h ain e qui v o u d rait
élim in er le p ère en ta n t q u e rival, u n certain d eg ré

75
de ten d resse envers lui est, en règle g én érale, p résen t.
(...) U n e au tre com p licatio n survient q u a n d (...) la
m enace q ue la castration fait p eser sur la m asculinité
ren fo rce l ’in c lin atio n d u g arço n à se re p lie r d an s la
d irectio n d e la fém in ité, à se m e ttre à la place de la
m ère e t à te n ir le rô le de celle-ci com m e o b jet d ’am o u r
p o u r le p è re 12.
*

Dans l’Œ dipe féminin, l ’affect qui domine n ’est pas,


comme pour le garçon, l’angoisse de castration, mais
l ’envie du pénis.

Il en va a u tre m e n t p o u r la p etite fille. D ’em b lée elle


a ju g é e t décidé. Elle a vu cela, sait q u ’elle n e l ’a pas
e t veut l ’avoir. (...) La p etite fille refuse d ’acc ep ter le
fait de sa castration, elle s’en tê te dans sa conviction
q u ’elle possède b ie n u n pénis e t est c o n tra in te p a r la
suite d e se c o m p o rte r com m e si elle était u n ho m m e.
Les conséquences psychiques de l ’envie d u p én is (...)
so n t m ultiples e t o n t u n e g ran d e p o rté e 13.
*

L ’autre affect qui domine dans le complexe de castration


de la femme n ’est pas l ’angoisse d ’être châtrée, puisqu’elle
l ’est déjà dans son fantasme, mais l ’angoisse de perdre
l ’amour de l ’être aimé.

(...) dans le cas d e la fem m e la situ atio n d e d a n g e r


restée la plus active sem ble ê tre celle de la p e rte
d e l’objet. N ous pouvons a p p o rte r à cette c o n d itio n
d é te rm in a n t l ’angoisse (...) la p etite m o d ificatio n sui­

76
S. Freud

vante : à savoir q u ’il n e s’agit plus de l’absence de


l ’o b jet ou d e sa p e rte réelle, mais au co n tra ire, de la
perte d ’amour d e la p a rt de l ’o b j e t 14.
*

Le propre de la psychanalyse n ’est pas le transfert, mais le


dévoilement du transfert, sa destruction et sa renaissance.

Il n e fau t pas cro ire q u e le p h é n o m è n e du


« tran sfert » soit créé p a r l ’in flu en ce psychanalytique.
Le « tran sfert » s’é tab lit sp o n ta n é m e n t d an s toutes les
relations h u m ain es, aussi b ie n q u e dans le ra p p o rt
de m alade à m éd ecin ; il tran sm et p a rto u t l ’in flu en ce
th é ra p e u tiq u e e t il agit avec d ’a u ta n t plus de force
q u ’o n se d o u te m oins de son existence. La psychanalyse
n e le crée d o n c pas ; elle le dévoile s e u le m e n t15.
*

La cu re analytique n e crée pas le tran sfert, elle ne


fait q ue le d ém asq u e r com m e les autres p h én o m èn es
psychiques cachés. (...) D ans le tra ite m e n t psychanalyti­
que, (...) toutes les ten d an ces, m êm e hostiles, doivent
ê tre réveillées, utilisées p o u r l ’analyse en é ta n t ren d u es
conscientes ; ainsi se détruit sans cesse à nouveau le
transfert. Le tran sfert, destin é à ê tre le plus g ran d obsta­
cle à la psychanalyse, dev ien t son plus p u issan t auxi­
liaire, si l ’o n réussit à le d ev in er ch aq u e fois e t à en
tra d u ire le sens au m alade 16.

*
* *

77
Références des E xtraits cités

1. « Psychanalyse et théorie de la libido » in Résultats, idées,


problèmes, II, P.U.F., 1985, p. 51.
2. La Question de l ’analyse profane, Gallimard, 1985, pp. 150-
151.
S. « Petit abrégé de psychanalyse » in Résultats, idées, problè­
mes, II, op. cit., p. 104.
4. Ibid., p. 115.
5. Ibid., p. 100.
6. « Le refoulem ent » in Métapsychologie, Gallimard, 1968,
p. 48.
7. Ibid., pp. 48-49.
8. « L’inconscient » in Métapsychologie, op. cit., p. 65.
9. Moïse et le monothéisme, Gallimard, 1948, pp. 169-170.
10. Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1987, pp. 32-
33.
11. Ibid., p. 105.
12. « Dostoïevski et le parricide » in Résultats, idées, problèmes,
II, op. cit., p. 168.
13. « Différence anatom ique entre les sexes » in La Vie
sexuelle, P.U.F., 1969, p. 127.
14. Inhibition, symptôme et angoisse, P.U.F., 1965, p. 68.
15. Cinq leçons sur la psychanalyse, Payot, 1987, pp. 61-62.
16. Cinq psychanalyses, P.U.F., 1954, pp. 87-88.

78
Biographie
de Sigmund Freud

1856 N aissance d e Sigism und F reu d à F reib erg en


6 m ai M oravie, dans u n m ilieu d e petits co m m er­
çants juifs. Q u an d F reu d voit le jo u r, il a déjà
d eu x dem i-frères de vingt e t vingt-quatre ans,
issus d u p re m ie r m ariage d u p ère. Ces dem i-
frères o n t à p e u près le m êm e âge q u e la
m ère d e F reud.

1860 R ésidence à V ienne de to u te la fam ille.

1873 E n trée à l ’U niversité e t d écouverte de l ’an ti­


sém itism e.
L ectu re d e G œ the.
Assiste au cours de p h ilo so p h ie de B ren tan o
(th éo ricie n d u co n ce p t de conscience).

1876 E n tré e au la b o ra to ire d e B rücke p o u r é tu d ie r


le système n erveux d u poisson.

1878 R en co n tre de B reuer.


É tudes de n europsychiatrie.

1885-86 S éjour à Paris. B ourse d ’étu d es p o u r travailler


au p rès de C harcot.

1886 F reu d ouvre son cab in et à V ienne. T ra d u it les


Leçons du Mardi d e C harcot.
E tudes de neu ro p sy ch iatrie infantile.
M ariage avec M arth a Bernay.

79
1887 R en co n tre de Fliess.
P ratiq u e l ’hypnose.
Réside en F rance, à Nancy, p o u r travailler
auprès d e B ernheim .

1890 P ratiq u e avec ses p atien ts la m é th o d e c ath arti­


que.

1891 Installatio n de son cab in et dans la Berggasse


à V ienne. Il y restera p resq u e cin q u a n te ans,
ju s q u ’à son d é p a rt p o u r l’A n g leterre.

1893 R édaction, avec B reuer, des Etudes sur l ’Hystérie.


P ublication d e Quelques considérations pour une
étude comparative des paralysies motrices organiques
et hystériques.
Découverte des concepts de défense et de
refoulement.

1894 R u p tu re avec B reuer. Découverte du concept


de transfert.

1895 C o n cep tio n d e l 'Esquisse d ’une psychologie scienti­


fique.
N aissance de son cin q u ièm e en fan t, A nna
F reud, qui dev ien d ra u n e célèb re psychana­
lyste d ’enfants.

1896- P e n d a n t ces dix ans, F reu d aim e voyager sou-


1907 vent en Italie p o u r y passer ses vacances d ’été.

1896 E m ploi p o u r la p rem ière fois d u m o t « psycha­


nalyse ». M ort d u p è re de F reud.

80
S. Freud

1897 Découverte du concept de l’Œdipe.


D éb u t d e son autoanalyse.
L ’Interprétation des rêves. Première théorie de
l’appareil psychique comme un appareil
réflexe.
Découverte de l’inconscient comme un
système.
1900 Analyse de la je u n e hystérique « D ora ».

1902 Steckel, u n disciple d e F reud, com m en ce à


p ra tiq u e r la psychanalyse.

1903 F o n d atio n d u p re m ie r g ro u p e des psychana­


lystes, « Société Psychologique d u m e rc red i ».
’ Découverte de la première théorie des pul­
sions : pulsion sexuelle et pulsion du Moi.
Psychopathologie de la vie quotidienne.

1904 G rèce, A th èn es e t l ’A cropole.

1905 R en co n tre d e Ju n g . Découverte des stades de


développement de la sexualité infantile.
Trois essais sur la théorie de la sexualité. Le mot
d ’esprit et ses rapports avec l ’inconscient.

1908 R en co n tre de S an d o r F erenczi e t d ’E rn est


Jo n es. P rem ier C ongrès In te rn a tio n a l de Psy­
chanalyse à Salzbourg.
Découverte du complexe de castration.
1909 Voyage en A m ériq u e avec J u n g e t Ferenczi.
C inq co n féren ces d ’in itiatio n à la psychanalyse
à la C lark University. (Les Cinq leçons sur la
psychanalyse.)

81
1911 Découverte du concept de narcissisme grâce
à l’étude de la psychose paranoïaque.

1913 R u p tu re avec Ju n g .

1920 F o n d atio n de la polyclinique d e B erlin e t de


1’ « In te rn a tio n a l J o u rn a l o f Psychoanalysis ».
Deuxième théorie de l’appareil psychique : Ça,
Moi, Surmoi et Monde extérieur.
Deuxième théorie des pulsions : pulsion de
vie, pulsion de mort.
Au-delà du principe de plaisir. Découverte du
concept de compulsion à la répétition.

1923 Mise en place du concept de phallus.


D iagnostic d u can cer d e la m âch o ire. P rem ière
o p ératio n . M ort de son petit-fils « le plus
aim é », H einz.
Importance du concept du Ça comme le
domaine le plus impersonnel et le plus étran­
ger au Moi.
Le Moi et le Ça.

1926 Inhibition, symptôme et angoisse.


A nnée de la fo n d a tio n de la Société Psychana­
lytique de Paris.

1929 R u p tu re avec Ferenczi.

1931 A ggravation d u can c er de la m âch o ire.

1936 80 ans, noces d ’or.


Mai

82
S. Freud

1938 L ’Anschluss : R oosevelt e t M ussolini in terv ien ­


n e n t en faveur de F reud. Il s’exile à L ondres,
accom pagn é de son ép o u se e t d e le u r fille
A nna. Il y re ç o it des p atien ts q u asim en t ju s q u ’à
la fin de sa vie. Les d eu x d ern ie rs livres : Abrégé
de psychanalyse e t L'Homme Moïse et la religion
monothéiste.

1939 23 sep tem b re : m o rt d e S igm und F reud, à


83 ans.

1951 M ort d e M arth a F reud.

83
Choix
bibliographique

FREUD, S.,

TEXTES DANS LESQUELS FREUD SYNTHETISE


LESSENTIEL DE SON ŒUVRE

« C o n trib u tio n à l ’histo ire d u m o u v em en t psycha­


nalytique » in Cinq leçons sur la psychanalyse, Payot,
1978, pp. 69-155.

Introduction à la psychanalyse, Payot, 1981.

Sigmund Freud présenté par lui-même, G allim ard, 1984.

La Question de l ’analyse profane, G allim ard, 1985.

Abrégé de psychanalyse, PUF, 1978.


*

LAPLANCHE, J. e t PONTALIS, J.-B., Vocabulaire de la


psychanalyse, PUF, 1967.

NASIO, J.-D., Enseignement de 7 concepts cruciaux de la


psychanalyse, Rivages, 1988, e t P etite B ib liothèque
Payot, 1992.

84
Introduction
a Voeuvre
de

FERENCZI

B. THIS
Sândor Ferenczi écrit à Sigmund Freud
%

Le jeu signifiant de la lettre détermine la relation


entre S. Freud et S. Ferenczi
%

La vie de Sândor Ferenczi


%

Le jeune Sândor manque de sécurité affective

L ’élément liquide marque l ’œuvre de Ferenczi

La rencontre avec Freud

Ferenczi entre Freud et Jung


Séductions et traumatismes
*

Ferenczi, interlocuteur privilégié de Freud


*

L ’analyse mutuelle de Sândor Ferenczi


et de Georg Groddeck
*

L ’abandon de la technique active au profit de


la technique d ’indulgence et de relaxation
*

La néo-catharsis.
Ce dont les névrosés ont besoin : c’est d ’être
véritablement adoptés par leur thérapeute
%

La méthode de la relaxation :
accepter l ’agir dans la cure permet au patient
de se remémorer
%

Conclusion
Sândor Ferenczi écrit à Sigm und Freud

S ân d o r F erenczi écrit à S igm und F reu d ou, plus


exactem ent, le D r F erenczi S ân d o r écrit au Dr Sigm und
F reud, e t cette co rresp o n d an ce va d u re r u n q u a rt de
siècle : 1 236 lettres qui n ’é ta ie n t pas traduites. P o u r­
quoi ? C ensure, in te rd it de lire ? N ous to u ch o n s là au
foyer b rû lan t, au noyau inadm issible e t refo u lé au cœ u r
de l ’œ uvre fre u d ie n n e .
O r, ces lettres qui s’é c h a n g e n t e t q u ’en fin nous p o u ­
vons co n n a ître *, c ’est à travers le je u d e la le ttre et
p a r l ’id e n tité des initiales des p rén o m s e t des nom s,
que nous les ab o rd ero n s. S ândor Ferenczi réitère Sig­
m u n d F reud. Mais S ân d o r Ferenczi est h o n g ro is, e t en
h ongrois le n o m p récè d e le p rén o m . D onc, p rem ier
chiasm e, F. S. écrit à S. F. F erenczi S ân d o r écrit à Sig­
m u n d F reud. Le h o n g ro is place d ’ab o rd le d éterm i­
n an t, puis le d éterm in é , le plus vaste avant le plus

* La publication en français de la correspondance de Sigmund


Freud et Sândor Ferenczi est récente: Correspondance, tome I, 1908-
1914, Calmann-Lévy, 1992.

89
précis ; il va d u g én éral au p articu lier. Le libellé de
l ’adresse l ’in d iq u e b ien : c ’est d ’ab o rd le n o m de la
ville, B udapest, puis le n o m de la ru e, e t en fin le
n u m é ro 9.

Le je u sig n ifia n t de la lettre détermine la


relation entre S. Freud et S. Ferenczi

M on p ro p o s n ’est pas d ’e x p liq u er l ’œ uvre de


F erenczi p a r des caractéristiques de lan g u e, m ais à la
suite d u ch ap itre de J.-D. N asio consacré à F reu d , je
voudrais so u lig n er q u e F erenczi vien t après F reu d , dans
u n second tem ps. O r, la q u estio n se pose : co m m en t
S ân d o r F erenczi intégrera-t-il le m essage fre u d ie n ?
Ferenczi écrit to u jo u rs à F reu d en allem an d , d o n c
dans u n e langue qui n e se p rê te pas aux effets de
style de son hong ro is m atern el, e t F reud, q u a n t à lui,
n e lui ré p o n d jam ais en h o ngrois. Asym étrie évidente,
car F reu d n e q u itte pas sa langue. Ecrivant à A rn o ld
Zweig p o u r lui d e m a n d e r de n e pas q u itte r son pays,
F reud évoquait p récisé m en t le d a n g e r d ’a b a n d o n n e r
sa lan g u e : « Il vous fa u d ra it re n o n c e r à v otre lan g u e,
qui n ’est pas u n vêtem en t, mais votre p ro p re p eau ! » 10
J e n ’insisterai pas su r le génie p ro p re à c h aq u e lan­
gue, m ais je re m a rq u erai sim p lem en t co m bien le style
de F reud, elliptiq u e e t concis le plus souvent, co n traste
avec celui de Ferenczi, q u i allo n g e ses p h rases p o u r
e x p rim er ses sentim ents.

90
S. Ferenczi

Mais p o u rq u o i les o p p o ser ? N ous n ’avons pas en co re


ab o rd é le je u d e la le ttre dans le corps de leurs nom s
respectifs.

F reu d — Ferenczi
FRE FER

F reu d est n é à E m b erg en M oravie, p etite ville qui


dans la lan g u e slave, celle de ses trois p rem ières an n ées
d ’enfance, s’ap p elait P rib o r. Frei c ’est lib re : « die freie
E nergie », l’én erg ie libre. Et si p a r ailleurs F reu d s’écrit
avec u n « d » term in al, rap p elo n s que « F re u n d » c ’est
l’am i, e t « F re u de » c ’est la jo ie.

,L e je u d e la lettre d an s le corps des m ots d ép lace


e t tran sfo rm e le sens. Vous co m p ren ez alors le d ram e
d u tra d u c te u r qui, c h e rc h a n t à privilégier le sens des
m ots e t des phrases, laisse é c h a p p e r le je u des signi­
fiants qui se jo u e n t d e nous, à n o tre insu. P ar exem ple,
le « e » de F reud g (la joie), qui n ’ap p a ra ît pas à la
fin d u p atro n y m e « F reu d », sera aussi so ig n eu sem en t
élim iné d u p ré n o m Siégm und q u i dev ien d ra Sigm und.
Il p re n d soin de sig n er ses lettres « Sigm. F reu d » p o u r
que l ’on évite le Sigism und de ses déb u ts en Moravie
(qui le réfère à u n h éro s n atio n aliste), e t le S iégm und,
p ré n o m d u p erso n n ag e p rin cip al de l ’o p éra de R ichard
W agner, La Walkyrie. S iégm und est le frère ju m e a u ,
mais aussi l ’am an t d e sa sœ u r Sieglinde. Le fils de
le u r a m o u r in cestu eu x p re n d u n n o m qui com m ence
aussi avec la syllabe « Sieg », Siegfried. En élim in an t la
voyelle « e » tro p liquide, afin de privilégier la co n so n n e
et d ’assécher en q u elq u e sorte son no m e t son p rén o m ,
F reu d réalisait u n e cu rieu se o p ératio n .

91
Mais re p re n o n s le m o t F re u (n )d , l ’am i. P o u r écrire
e n allem an d le m o t « am i », il fau t in tro d u ire u n « n »
dans le corps de F reu(w )d. C et am i m ais aussi en n em i
qui jo u e u n rôle essentiel dans la vie de F reu d , ce fu t
d ’ab o rd Ju liu s (le p e tit frè re ), puis W ilhelm Fliess
(celui qui « c o u le » ) , en su ite C ari J u n g (le je u n e ) , et
enfin Sâwdor. S ân d o r (d im in u tif d ’A lex an d re) qui en
ho n g ro is se p ro n o n c e C h â n d o r devient « S an d er » en
allem and, ayant p e rd u 1’«Alex» d ’A lex an d er ( «l e p ro ­
te c te u r de l ’h o m m e ») n .
A lexandre le C o n q u é ra n t a fait to m b e r l’E m pire
perse e t s’est em p aré de Babylone. Il a co m m en cé sa
carrière en a llan t in te rro g e r u n p rê tre égyptien p o u r
savoir qui était son p è re divin : Zeus ou Dionysos d o n t
Olympias, sa m ère, était u n e p rêtresse ? E n so rtan t d u
tem ple, ses am is lui d e m a n d è re n t ce q u ’avait d it le
p rê tre . A lexandre m u rm u ra ces q u elq u es m o ts : « C ’est
m o n secret, m es œ uvres ré p o n d ro n t à la' q u estion
posée. » Et la rép o n se fu t en effet la c o n q u ê te de tous
les territo ires qui s’é te n d e n t ju s q u ’à l ’In du s. Mais avant
de réussir son œ uvre, A lexandre d u t tra n c h e r le n œ u d
g o rd ien , sans m êm e se d o n n e r la p ein e d e le d é n o u e r
— sans « lusis » p récisém en t — , car il le tra n c h a d ’u n
coup d ’ép ée. Et d ’u n pas d écid é, il alla c o n q u é rir son
E m pire, d é tru isa n t l ’éq u ilib re des puissances établies.
Q ue fait F reu d ? Il se consacre à la q u estio n d u p ère.
D u ra n t to u te sa vie cette qu estio n in sistera avec u n e
force co n tra ig n an te. L ’œ uvre de F reu d co m m en ce
après la m o rt d e son p ère, avec la Traumdeutung (L ’I n­
terprétation des rêves), elle s’affirm e avec Totem et tabou
(le m e u rtre d u p è re de la h o rd e ), e t elle s’achève enfin
avec L ’Homme Moïse et la religion monothéiste assassiné p a r

92
S. Ferenczi

son p eu p le. Mais cette œ uvre que constitue p o u r F reu d


son p ro p re M oïse, il l ’a érig ée com m e « u n e statu e
effrayante de g ra n d e u r, sur u n socle d ’argile, de sorte
que n ’im p o rte q u el fo u p o u rra la ren v erser », com m e
il le d it lui-m êm e.

Œ uvre im m ense, écrit J.-D. Nasio, mais est-elle si assu­


rée d ’u n socle solide q u i la m ette à l ’abri d ’u n renverse­
m e n t ? N ous voyons d éjà q u e les initiales « F. S. »
(Ferenczi S ândor) ren v ersen t les initiales d u p è re de
la psychanalyse « S. F. ». J e u de lettres q u i d écid erait
d u destin d e l ’œ uvre de ce p è re ? C ette œ uvre sera-
t-elle renversée p a r celle d u fils ?

S ur q u o i repose la dynam ique d e l ’histo ire d u M ouve­


m e n t psychanalytique ? S ur la relatio n q u e le sujet
étab lit avec le p è re e t sur la place q u e la co n cep tio n
fre u d ie n n e d o n n e au p è re dans la co n stitu tio n d u sujet.
P o u r F reud, to u t sem ble to u rn e r a u to u r d e M oïse, le
p è re essentiel.

Le n o m « M oïse » est sans d o u te lié p o u r F reu d à


la découverte des m écanism es d e l ’oubli. Ainsi, dans
sa le ttre à W ilhelm Fliess d u 26 a o û t 1898, F reu d lui
fait c o n fid e n tie llem en t éta t de l ’o ubli qui lui est ap p aru
à p ro p o s d u n o m d ’u n p o ète, Ju liu s M osen. « Je m e
souvenais de «Julius » [nous d it F reud] et réussis à
p ro u v er q ue j ’avais refo u lé le n o m de M osen à cause
de certaines associations. » De quelles associations
s’agissait-il ? F reu d n e so u h aite pas en d ire plus. O r,
«Julius » est ju s te m e n t le p ré n o m de son je u n e frère
(m o rt e n bas âge) e t « M osen » n ’est pas sans évoquer
le « Moses », M oïse en allem and. Mais il rev ien d ra à
M oïse u n e nouvelle fois q u a n d il se re n d ra à R om e,

93
e n 1912. C ’est à N oël 1913 q u e F reu d écrivit son
p re m ie r essai su r M oïse, Le Moïse de Michel-Ange, achevé
le 1er ja n v ie r 1914 ; il ne v o u d ra pas le p u b lie r sous
son nom , m ais il le sig n era de trois astérisques (***).

A braham , F erenczi e t Jo n e s p ro te s te ro n t co n tre l ’an o ­


nym at tran sp are n t, car to u t le m o n d e re c o n n a îtra l ’au­
te u r ! Mais F reu d v eu t ab so lu m en t m a in te n ir l’anony­
m a t e t il se fâche avec F erenczi q u i insiste trop.
A braham est m ieux traité ; il lui d o n n e trois b o n n es
raisons, ajo u ta n t m êm e q u e « seule la pression des
éditeurs de la revue Imago l ’a poussé à d o n n e r cet
essai ». A Jo n es, troisièm e m o u sq u etaire, il précise :
p o u rq u o i in su lter M oïse en a jo u tan t m o n n o m au sien ?

Mais le « Moses » n e d o it pas être ra p p ro c h é du


« m on » de Sigismond (« d e r M ond » — la lu n e ), déjà
devenu S igm und. Face à M oïse, F reu d n e p e u t jo u ir
de son nom . Et q u a n d il s’évanouira e n p arlan t-av ec
Ju n g , à M unich, to u t com m e il s’était évanoui à B rèm e
en 1909, c ’est F erenczi qui ra p p ellera q u e les évanouis­
sem ents de F reu d to u rn e n t to u jo u rs a u to u r d ’u n th èm e
b ien précis : les vœ ux de m o rt des fils à l’ég a rd d u
p ère. Vous voyez le rôle q u e jo u e le « F re u n d »
Ferenczi, l’am i Ferenczi. C ar avec M oïse, c ’est en effet
le m e u rtre d u p è re q u i est évoqué. Le p eu p le ju if
refuse l ’aveu d u m e u rtre, c’est-à-dire q u ’il refuse d ’ac­
com plir ce saut q u e F reu d n o m m e u n p ro g rès :
re c o n n a ître q u e le m e u rtre d u p è re est au fo n d e m e n t
de la cu ltu re. « Au d é b u t était l ’acte. » 12

A près l’aveu d u vœ u de m ort, après la reco n n aissan ce


d u désir p arricid e, vient enfin le p a rd o n e t la réco n c i­
liation e n tre père e t fils : « die V ersö h n u n g ». M ouve­

94
S. Ferenczi

m e n t de réco n ciliatio n qui s’accom plit q u a n d le fils se


re c o n n a ît com m e tel : « Sohn », fils, h ab ité p a r le désir
p arricid e. La décision de s’a rra c h e r au m o n d e m ater­
nel, à ce tém oignag e des sens qui est au c œ u r de
la m a tern ité, p o u r accéd er à la p a te rn ité grâce au
ra iso n n e m e n t e t à travers le pro g rès de la vie de
l ’esprit, voilà le travail d u fils. Voilà le ch em in q u ’u n
fils d o it acco m p lir p o u r q u ’il soit b ien établi q u e la
p a te rn ité « est plus im p o rta n te » que la m atern ité.
C om m e s’il pouvait y avoir u n e rivalité, alors que p ère
e t m ère so n t tous d eu x indispensables p o u r que l ’e n ­
fa n t soit conçu. Im p o rtan ce d e la p atern ité , m êm e si
elle ne p eu t, com m e la m a tern ité, être co n n u e p a r le
tém oignage des sens 13.
C om m e F reu d le laisse e n te n d re à p ro p o s de son
livre Moïse, nous pouvons d ire q u e l ’œ uvre fre u d ie n n e
est érigée to u t e n tiè re sur u n socle d ’argile, de sorte
q ue n ’im p o rte q u el fou p o u rra la renverser. O r, ce
socle fragile, ce G olem fragilisé 14 n ’est a u tre — avoue
F reu d à A rnold Zweig dans u n e lettre d u 16 d écem b re
1934 — que le fragile ro m an h isto riq u e in titu lé
L ’Homme Moïse et la religion monothéiste q u ’il réd ig eait
alors. F reud co n sid éra it son p ro p re texte com m e très
critiquable. Etait-ce p o u r son hypothèse d e l’égyptianité
de l ’ho m m e M oïse ? N ous n e saurions ré p o n d re mais
p eu t-être q u ’en reco n n aissan t la fragilité de son ro m an ,
il reconnaissait en fait la fragilité de son œ uvre to u t
en tière.
W ladim ir G ran o ff ad m et n e pas p ouvoir ré p o n d re à
la question d e savoir « p o u rq u o i M oïse s’était, peut-
être très tôt, e t plus sec rè te m e n t q u ’on ne p e u t le
supposer, e m p aré de l ’im ag in atio n de F reu d ? » E n fan t

95
d ’u n e au tre fam ille, sauvé des eaux, trouvé d an s u n
m ilieu h u m id e, e t recueilli d an s u n m ilieu asséché,
l’o rigine de la vie de M oïse évoque p o u r F reu d le
travail analytique com m e le le n t e t m é th o d iq u e assèche­
m e n t d u Z uidersee.

Si F reu d d o it sans cesse cac h er son p ré n o m o rig in el


Sigism ond, s’il n e l ’écrit pas avec la syllabe « mo », c ’est
sans d o u te p arce q u e dans son en fan ce M onika Zaj(i)c,
sa n an ie, l’initia à l ’o nanism e. Voilà p o u rq u o i F reu d
n e v o u d rait pas de Sigismond, p o rte u r des lettres in te r­
dites. Ne pas en p a rle r ! O r « Moses » in c lu t d an s son
n o m la m êm e syllabe refoulée.

Mais le p ré n o m « S igm und » recèle en c o re u n e au tre


n ég atio n révélatrice d u sujet F reud. En élim in a n t le
p e tit « is » de Sigism ond, F reu d signait « Sigm. F reu d »
mais, h asard des nom s e t des lettres qui g o u v ern en t
l ’existence, voilà q u ’u n beau jo u r de 1908, le d im an ch e
2 février, S ândor F erenczi frap p e à sa p o rte . C oup de
fo u d re récip ro q u e, a-t-on d it ... ou je u de lettres que
le hasard organise : le « is » su p p rim é d e Sigism ond
revient inversé sous la fo rm e glorieuse d u « csi » de
Ferenczi. Au « Si » initial de S igm und d éb arrassé de
son « is », voilà q u e C h ân d o r o p pose u n n o m q u i se
p ro n o n c e « Fer-ent-xw », Ferenczi. C u rieux n o m q u i p ar
la d e rn iè re le ttre « i » ne cessera d ’év o q u er e t de faire
revenir le p ro b lèm e d u trau m atism e d e la p etite
enfance, m arq u é p a r le n o m de sa n an ie séductrice
M onika Zaj(zjc, traum atism e q u i devrait ê tre refo u lé
e t nié.

N ous voyons co m bien o p ère dans la rela tio n e n tre


F reu d e t F erenczi le je u signifiant des lettres q u i s’effa­

96
S. Ferenczi

c e n t e t se substitu en t, q u i se p e rd e n t e t rev ien n en t.


Ces d ép lacem en ts signifiants, sans cesse évoqués dans
le u r co rresp o n d an ce , d é c id e ro n t n o n seu lem en t du
destin de le u r relatio n , mais en co re de l’œ uvre fre u ­
d ie n n e e n général. Mais attardons-nous u n p e u sur la
destinée d e cet in te rlo c u te u r privilégié de F reu d que
fu t Ferenczi.

L a vie de Sândor Ferenczi

Q ui était S ân d o r F e re n c z i15 ? En 1848, B ern ât F ran­


kel (né en 1830), im m ig ran t j u i f polonais, o rig in aire
de Cracovie, s’engage com m e volontaire dans la lu tte
co n tre les H absbou rg , épisode de la g u erre d ’in d é p e n ­
d an ce qui se soldera p a r l ’échec des patrio tes hongrois.
Dès la cap itu latio n , n o tre h éro s de 18 ans s’installe
com m e lib raire à la ville de Miskolc, ru e P rincipale,
n° 73. A cette librairie, il a d jo in d ra u n e im p rim erie et
u n e agence d ’organ isatio n de concerts, grâce à laquelle
se p ro d u iro n t des artistes de ren o m m ée m ondiale. Les
poètes de la résistance h o n g ro ise, C h â n d o r Petôfi et
M ichel T om pa, v e rro n t leurs œ uvres éditées p a r l ’a n ­
cien co m b attan t, h éro s de la résistance.
Dix ans plus tard , en 1858, B ern ât épouse Rosa
E ibenschütz, n ée d ’u n e fam ille polonaise vivant à
V ienne. L e u r fam ille sera très n o m b reu se. P rem ier
en fan t, H en rik , 27 m ars 1860 ; deu x ièm e en fan t, Max,
19 m ars 1861 ; troisièm e en fan t, Zsigm ond (Sigmund),
17 m ars 1862; q u atrièm e en fan t, Ilona, 30 sep tem b re

97
1865 ; cinquièm e en fan t, R ébus (Rebecca), 24 avril 1868 ;
sixièm e en fan t, Jakab, 14 ju ille t 1869 ; sep tièm e en fan t,
Gizella, 8 ju in 1872. Elle n ’a que six m ois au d é b u t
de l ’an n ée 1873, mais sa m ère est d éjà e n ce in te du
fu tu r Sândor.

Le h u itièm e en fa n t sera en effet S ân d o r (d im in u tif


d ’Alexandre), n é le 7 ju ille t 1873. G izella e t S ândor,
sœ u r e t frère d ’âge très ra p p ro c h é , se ro n t élevés en sem ­
ble, presq u e ju m elés. Il est in téressan t de ra p p e le r ici
que F reud lui aussi avait u n e sœ ur, n é e après lui,
ap p elée Gizella, q u ’il n ’aim ait pas fo llem en t. En revan­
che, il a d o re ra Gisella Fluss, q u a n d il rev ien d ra à
G m ünde, e n M oravie. La fu tu re fem m e de F erenczi
s’ap p ellera elle aussi Gizella. Gizella A ltschul, de h u it
ans son aîn ée, ép o u sera e n p rem ières n oces Géza Pàlos
avec lequel elle au ra d eu x filles : Elm a e t M agda. C ette
d e rn iè re ép o u sera plus ta rd u n je u n e frè re de S ândor,
Lajos (Louis).

P o u r situer l ’an n ée de naissance de S ân d o r en 1873,


rap p elo n s q ue S igm und F reu d a 17 ans, e t com m ence
déjà ses études de m éd ecin e, tandis q u e G eorg G rod-
deck, lui, est u n en fa n t de 7 ans. Mais l ’év én em en t
histo riq u e im p o rta n t à cette ép o q u e, c ’est la ré u n io n
des d eu x villes Pest e t Buda, situées au b o rd du D anube.
U ne nouvelle ville, B udapest, n a ît en m êm e tem ps que
Sândor.

E n 1879, la fam ille F rankel ch an g e son n o m ju i f en


u n n o m hongrois. Le c h an g e m en t de n o m est m e n ­
tio n n é sur l ’ex tra it de naissance des en fan ts nés avant
1879. S ân d o r a 6 ans q u a n d il p e rd son n o m F rankel
p o u r s’ap p e le r Ferenc. De F rankel o n était passé à

98
S. Ferenczi

F renkel ou Fraenkel, p o u r dev en ir Ferenci. P eu à p eu


l’usage va y ajo u ter u n « z » e t le n o m dev ien d ra d éfin iti­
v em en t Ferenczi.
Vous y retrouvez le F rankel qui signifie le franc. O n
avait p ro p o sé au glo rieu x co m b atta n t volontaire de
l ’In su rrectio n de 1848 le n o m de « Ferenczy », écrit
avec u n « y », signe de noblesse en H o n g rie, mais en
d ém o crate convaincu, il refusa e t devint Ferenczi.

Le je u n e Sândor m anque de sécurité affective

N ous avons b ien com pris q u ’avec to u te sa p ro g én i­


ture, Rosa F rankel est d éb o rd ée . C ’est u n e fem m e
in tellig en te e t active, efficace dirons-nous, mais elle
n ’est pas te n d re . A près S ân d o r n a îtro n t en co re q u atre
enfants. Le neuvièm e ap p elé M oritz Kàroly, n é en
1877 ; e t plus tard , Vilma, n ée le 3 ju in 1878, qui
m o u ru t d ’u n e d ip h té rie l ’a n n é e de sa naissance. O n
voit q ue p o u r S ân d o r, à 4 ans, les souhaits de m o rt
fratricide se réalisen t m ag iq u em en t, tandis que sa m ère
som bre à cette p é rio d e dans u n état dépressif. Il y
au ra en co re d eu x autres naissances dans la fam ille,
Lajos, n é le 6 sep tem b re 1879, e t Zsôfia, n ée le 18 ju ille t
1883.
La vie riche e t b ie n rem p lie q u e m è n e n t les Ferenczi
est in te lle c tu e lle m e n t stim ulante p o u r les enfants, mais
les p a re n ts p araissen t ex trê m e m e n t réservés p o u r to u t
ce qui c o n ce rn e la vie affective : les contacts so n t des
plus réd u its e t o n évite de p a rle r d u corps, d u sexe

99
ou des ém otions. O n est élevé en série p a r u n e m ère
d éb o rd ée p a r ses m atern ités. Bref, tro p p e u d ’am o u r
e t tro p de sévérité.

Aux dires de Zsôfïa, S ân d o r reste le p référé de son


p ère qui m e u rt en 1888 alors q u e n o tre je u n e g arço n
a 15 ans.

Il est évident que d ans cette difficile am biance fam i­


liale, le p e tit S ân d o r n ’a pas p u vivre la « d electatio »
indispensable à l’ép an o u issem en t de son être e t de sa
santé psychique. Il n ’y a au cu n e possibilité avec cette
m ère hyperactive e t d é b o rd é e , fût-elle in tellig en te, d ’ac­
com plir son « désir vital ». D onc au cu n e « sécu rité de
base » h a p to n o m iq u e , co n firm ée dans u n e relatio n
d ’apaisem ent. Il c h e rc h e ra co n stam m en t à s’affirm er
in tellectu ellem en t, to u jo u rs en q u ête de nouvelles sti­
m ulations, dans l’a tte n te vaine de ce q u i p o u rra it l ’apai­
ser. C ’est la « catastro p h e » affective. Il m an ifestera sans
cesse l ’in te n tio n d ’être re c o n n u affectivem ent d an s le
« Bon » q u ’il est, m ais ce vœ u n e sera jam ais com blé
e t son ê tre jam ais confirm é. Il ne re n c o n tre ra q u e des
frustrations d o n t l ’accu m u latio n fait trau m a q u a n d le
désir vital n ’est pas a c c o m p li16. M éfiance d o n c vis-à-
vis d u g ro u p e fam ilial e t de la société. M alaise dans
la fam ille e t dans la civilisation.

O n voit b ien q u e to u t le p ro b lèm e de Ferenczi


to u rn e a u to u r de cette q u ête de co n firm atio n affective,
q u ’il ne recevra jam ais.

100
S. Ferenczi

L ’élément liquide marque l ’œuvre de Ferenczi

A la m o rt d u p ère, Rosa Ferenczi, qui avait toujours


secondé son m ari, p re n d la d irectio n de la librairie.
Elle p résid ait p a r ailleurs l ’U n io n des Fem m es Juives
de la ville et, en hôtesse gén éreu se, elle recevait les
am is e t les intellectu els de passage, o rg an isan t à la
m aison ré u n io n s e t concerts de m usique de cham bre.
P o u r l ’ad o lescen t q u ’est S ândor, la d isp aritio n de
son p ère est u n e catastro p h e q u ’il év o q u era en co re à
l ’âge de 24 ans, dans u n p o èm e adressé à sa m ère :
Au seuil d ’une vie nouvelle
Je te salue Mère mienne
Personne d ’autre, toi seule
Tu me comprends quand je pleure
Brûlantes larmes, brûlante vérité
Allongées là, dans le cercueil
Vingt-quatre de mes années !
« C atastro p h e » 17. N ous som m es dans les larm es,
dans l’élé m e n t liquide. T halassa (qui en grec signifie
« la m e r » ) n ’est pas loin, e t « G rüsse ich d ich M utter
m eine » (Je te salue Mère mienne) n ’est pas sans évoquer
le p o èm e de H ein e : « M eergruss » (Salut à la mer).
N ’oubliez pas q ue le D an u b e est fleuve, élé m e n t liquide
p a r excellence ; il traverse V ienne, qui s’écrit en alle­
m an d W ien ; e t W ein c ’est le vin. B rûlantes larm es,
q u an d , le jo u r d e ses 25 ans, il revoit son p è re allongé
dans la tom be. D onc F erenczi p leu re, q u a n d F reu d se
veut sec.

101
D ans la p rem ière éd itio n de la Traumdeutung, F reu d
signale que certain es p erso n n es fo n t dans le u r som m eil
des rêves où elles v o len t dans les airs, des
« F lugtrâum e », disait-il. Rêves de flo ttem en t, d ’ap esan ­
te u r, rêves typiques d o n t la source d o it ê tre ch erc h ée
« dans les je u x de m o u v em en t si agréables aux
enfants ». D ans les éd itio n s suivantes, F reu d ajo u tera
que ces rêves so n t en relatio n avec les sensations d ’érec­
tio n e t les souvenirs de la scène prim itive, to u t en
p récisan t q ue lui-m êm e n ’a jam ais fait p e rso n n e lle m e n t
de tels rêves. M ichael B alint, d an s Les Voies de la régres­
sion 18, ra p p ro c h e ra cette absence chez F reu d des rêves
aériens, de « la lég ère névrose d ’angoisse » q u ’il é p ro u ­
vait face aux voyages. Mais il so u lig n era aussi que les
passages de L ’Interprétation des rêves c o n c e rn a n t les
« F lugtrâum e » o n t eux-m êm es « voyagé », c ’est-à-dire
changé de place e t de ch ap itre au fil des no m b reu ses
rééd itio n s de ce livre fo n d ate u r. O r, en 1930, q u a n d
F reu d p ro cèd e à u n e nouvelle révision de sa Tratimdeu-
tung, il n e ju g e pas nécessaire de m e n tio n n e r les idées
de F erenczi c o n ten u es dans Thalassa, ouvrage de 1924,
qui je tte u n nouvel éclairage sur les « F lu g trâu m e ».
L ’om ission de F reu d no u s su rp re n d , car no u s savons
com b ien il ra p p o rta it co n scien cieu sem en t to u tes les
co n trib u tio n s nouvelles de ses élèves.
« De nos jo u rs, il p a ra îtra év id en t — éc rit B alint —
de co n sid ére r les rêves de vol e t le se n tim e n t o céan iq u e
com m e u n e ré p é titio n soit de la to u te p re m iè re rela­
tio n m ère-enfant, soit de l ’existence in tra-u térin e
e n co re plus préco ce, p e n d a n t laquelle nous faisions
vraim ent u n avec n o tre univers e t flottions ré ellem en t
dans le liquide am n io tiq u e, sans avoir p ra tiq u e m e n t
de poids à p o rter. »

102
S. Ferenczi

Bien e n te n d u , to u t est là : l ’en fa n t in utero est


c o n fo n d u avec la m ère, ils n e fo n t q u ’u n dans cette
origine décrite p a r les au teu rs anglais, e t plus p articu ­
lièrem e n t p a r les kleiniens. M ythe « u n ie n » fo n d a m e n ­
tal qui n e p e rm e ttra jam ais aux ten an ts de cette école
de re c o n n a ître l ’im p o rtan ce de la voix, o b jet essentiel
de la vie fœ tale.
F reu d a négligé l ’ex p érien ce avec les p atien ts « p ro ­
fo n d é m e n t régressés », a p p ro ch e q u ’il n ’a jam ais affec­
tio n n ée. B alint ajou te : « C ’est Ferenczi qui, dans Tha-
lassa, fra n c h it l ’étap e suivante dans l ’in te rp ré ta tio n de
ces rêves. Il p re n d p o u r p o in t de d é p a rt de sa th é o rie
p h y lo g én étiq u e d u coït, à la fois les rêves de flo ttem en t,
le sym bolism e de l’eau, l’id e n tité sym bolique e n tre
eftfant e t pénis, et le sen tim en t d ’u n io n avec l’en v iro n ­
n em en t. Si nous accep to n s toutes ces hypothèses, il
faut c o n sid ére r ces trois états : l’en fa n t en sécurité
dans les bras de sa m ère, l’existence in tra-u térin e et
l’existence thalassale, com m e id e n tiq u es su r le p lan
sym bolique. Les “ espaces amis ” n e so n t alors q u e des
souvenirs de ces états visant à satisfaire le désir. »
S ân d o r Ferenczi, 1’ « H éraclite de la psychiatrie h o n ­
groise », com m e le n o m m e C laude L o r i n 19, est en
effet m a rq u é p a r l ’é lé m e n t liquide. O n sait que p o u r
H éraclite to u t est flux e t fluide.
P ar ces exem ples, no u s voyons co m m en t S ân d o r
Ferenczi in terro g e S igm und F reud, o u p lu tô t co m m en t
l’œ uvre de Ferenczi est u n re to u r de ce qui a été
élim iné chez F reu d p o u r des raisons p erso n n elles liées
à son histoire.
*

103
Q u a n d S ân d o r fera ses étu d es de m éd ecin e, il re m o n ­
te ra le D anube, en allan t vers l ’O uest, p o u r s’in staller
à V ienne. Il h ab itera chez son o ncle S ig m u n d F rankel
e t il fré q u e n te ra sa fam ille m atern elle, les Eibenschütze,
les « tireurs d ’if », p o u rrait-o n trad u ire. Son frère p ré ­
féré, S igm und Ferenczi, travaille com m e chim iste dans
u n e p a p e te rie p ro ch e de V ienne. Les d e u x frères ad o ­
re n t l’alpinism e e t fo n t souvent de l ’escalade ensem ble.
F erenczi e t F reu d p a rtiro n t eux aussi escalad er les
m ontagnes, au cours de no m b reu ses vacances passées
ensem ble, car S ân d o r est u n co m p ag n o n agréable, actif,
e n tre p re n a n t, plein de fo u g u e e t de vie. F reu d en ferait
volontiers u n g en d re, m ais sa fille M athilde to u rn e ra ses
regards ailleurs.

L a rencontre avec Freud

C o m m en t s’est p résen té F erenczi q u a n d il a re n ­


co n tré F reu d p o u r la p rem ière fois en 1908 ? Il se
p ro p o se d ’ex p o ser l ’ensem ble des d éco u v ertes fre u d ie n ­
nes à u n public m édical ig n o ran t. Il d em an d e alors
conseil car la tâche est difficile e t il n e fa u t pas g âch er
les choses p a r manque de tact. L ’exposé, suivi de discus­
sions anim ées avec des n eu ro lo g u es, sera u n e totale
réussite. F erenczi se réjo u it de n ’avoir avec les m édecins
« plus au cu n com plexe ». F élicitations d e F reu d e t en
re to u r d em an d e de conseils p o u r u n e p atie n te attein te
d ’u n d élire de jalo u sie, à p ro p o s de laquelle sero n t
discutés les m écanism es de l ’h o m o sex u alité fém in in e.
D ans cet éch an g e avec F reud, F erenczi évoque « la

104
S. Ferenczi

ré p u g n a n c e des ho m m es p o u r les vieilles fem m es ».


A près u n m ois seulem en t, F erenczi in terv ien t au
C ongrès d e S alzbourg p o u r p ré se n te r u n travail sur
« Psychanalyse e t Pédagogie ».

R em arquons q u e ce n ’est pas u n je u n e h o m m e


tim ide e t in e x p érim e n té qui est venu re n d re visite à
F reud. Ferenczi est u n esp rit ouvert, b rillant, u n vérita­
ble observateur de son tem ps. En 1908, il est déjà
l ’a u te u r de n o m b re u x articles p ré a n a ly tiq u e s20. En
1899, il a écrit « Spiritism e » p o u r te n te r de co m p re n ­
d re le p ro b lèm e des transm issions de pensée. U n jo u r,
il é ta it allé re n d re visite à u n de ses vieux amis, le
d o c te u r F elletar. C ’était u n vieil original, spirite
papenté, qui lui p ro p o sa d ’o rg an iser u n e séance en son
h o n n e u r. A u n m o m e n t de la soirée, il invita Ferenczi
à p o se r u n e qu estio n à l ’E sprit qui devait ré p o n d re
p a r l ’in te rm é d ia ire d ’u n m éd iu m in c arn é p a r l ’u n e des
p erso n n es présentes. Le m éd iu m en l ’occasion, c ’était
la p e tite fille d u d o c te u r Felletar. Ferenczi réd ig ea ainsi
sa q u estio n : « Q ue fait en ce m o m e n t la p e rso n n e à
qui j e pense ? » La rép o n se véhiculée p a r la voix de
la p e tite fille, fu t : « La p e rso n n e à qui vous pensez
s’assied à cet in sta n t dans son lit, d em an d e u n verre
d ’eau, reto m b e e t m eu rt. » Ferenczi reg ard a alors sa
m o n tre e t réalisa so u d ain q u e l ’h e u re à laquelle il
au ra it d û arriver au p rès de son p a tie n t était dépassée
de quelques m inutes. Sans p re n d re congé de son h ô te,
il q u itta p ré c ip ita m m e n t la m aison e t b o n d it dans u n e
voiture. Arrivé au chevet de son p atien t, il a p p rit que
to u t s’était d é ro u lé com m e la p etite fille l ’avait d it au
m o m e n t précis : le p atien t, assis dans son lit, avait, en
effet, d em an d é u n v erre d ’eau avant de m o u rir.

105
Ces ex p érien ces tro u b lan tes, q u i in téressa ien t b eau ­
coup F reu d e t F erenczi, sero n t fré q u e m m e n t ab o rd ées
dans le u r co rresp o n d an ce.
*

En 1900, F erenczi écrit différents articles préan aly ti­


ques : « C onscience e t d év elo p p em en t », « D eux erreu rs
de diagnostic », « N ouvel essai d ’explication de la m ens­
tru a tio n ». En 1901, « L ’am o u r dans la science » e t u n
p e u plus tard, e n 1902, « H om osexualité fém in in e » e t
« P aran o ïa ». L ’a n n é e suivante, il pu b lie « C o n trib u tio n
à l ’organisation d u service h o sp italier d u m éd ecin assis­
ta n t », e t en 1904, « La valeur th é ra p e u tiq u e d e l ’hyp­
nose ». Au IIIe C ongrès de psychiatrie h o n g ro ise qui a
lieu en 1905, F erenczi p résen te u n e co n trib u tio n in titu ­
lée « C réatio n d ’u n com ité de défense des h o m o ­
sexuels », e t en 1906, il publie successivem ent « De la
p rescrip tio n en th é ra p ie n eu ro lo g iq u e », « E tu d e su r
les placebos », puis la trad u c tio n d ’u n texte d u m éd ecin
français G eorges D um as : « L ettre à u n ad o lescen t qui
veut é tu d ie r la m éd ecin e », e t u n article « Etats sexuels
in term éd iaires ». En 1907, il étab lit les p rem iers
contacts avec Carl-Gustav J u n g à Zurich. 11 s’ach è te u n
c h ro n o m è tre e t s’e n tra în e aux tech n iq u es d ’association
d ’idées. Ferenczi d é b u te sa p ratiq u e analytique e n 1908,
à l ’âge de 35 ans.

Ferenczi entre Freud et J u n g

Ferenczi sera le tém o in des p ro b lèm es hom osexuels


n o n résolus e n tre F re u d e t Ju n g . Dans son livre Ferenczi,

106
S. Ferenczi

paladin et grand vizir secret21, P ierre S ab o u rin intitule


son deu x ièm e ch ap itre, « A m biance d u m én ag e à trois :
F reud - J u n g - F erenczi ». Il relate u n épisode de la
rela tio n e n tre F reu d e t Ju n g , d o n t tém o ig ne u n e lettre
de ce d e rn ie r datée d u 28 o cto b re 1907 22, c ’est-à-dire
quelques m ois avant la p rem ière re n c o n tre de F reud
e t de Ferenczi.
« Ma v én éra tio n p o u r vous a le caractère d ’u n
e n g o u e m e n t passionné, religieux qui, q u o iq u ’il ne me
cause au cu n a u tre désag rém en t, est toutefois ré p u g n a n t
e t ridicule p o u r m oi à cause d e son irréfu tab le conso­
n an ce éro tiq u e. Ce se n tim e n t ab o m in ab le p ro v ien t de
ce q u ’é ta n t p e tit garçon, j ’ai succom bé à l ’atte n ta t
hom osexuel d ’u n h o m m e q u e j ’avais au p arav an t
vénéré (...). J ’ai de la ré p u g n an c e dans les rap p o rts avec
les collègues qui tra n sfè re n t fo rte m e n t su r m oi (...). Je
crains donc votre confiance. J e crains aussi la m êm e réac­
tion chez vous q u a n d je vous p arle de m es intim ités. »
Q ue ré p o n d it F reu d à cette lettre de J u n g ? N ous
l’ignorons, mais il su g g érera dans u n e au tre lettre,
quelques jo u rs plus ta rd : « (...) Le tran sfert en prove­
n an ce de la religiosité m e sem b lerait p a rtic u liè re m e n t
fatal (...) J e ferai d o n c m o n possible p o u r m e faire
co n n a ître com m e in a p te à servir d ’ob jet de
culte (...) » 23
C ’est p récisé m en t dans ce co n tex te q u e Ferenczi
ap p araît, e t nous pouvons déjà n o te r q u e l ’étoile J u n g
va d é c ro ître q u a n d celle de Ferenczi se lèvera.
En 1909, ils iro n t tous les trois en A m érique.
Ferenczi, dès l ’e n tré e d u p o rt de New York, est pris de
vom issem ents : serait-ce q u elq u e chose q u ’il a m angé ?

107
F reu d d ira : « C ’est q u elq u e chose q u ’il a p ensé. » J u n g
en revanche affirm era : « C ’est q u elq u e chose q u ’il
pen se avoir m angé. » Mais q u a n d F reu d e t J u n g vom i­
ro n t à le u r to u r, Ferenczi d éclarera : « C ’est sû re m e n t
q u elq u e chose q u e moi j ’ai m an g é ! »

Séductions et traumatismes

Q ue savait Ferenczi d e 1’ « a tte n ta t h o m o sex u el » subi


p a r J u n g p e tit garço n ? Rien, b ie n sûr, mais il se souve­
n a it très b ien q u ’il avait, d an s son en fan ce, été lui-
m êm e victim e d ’u n in c id e n t h o m o sex u el ayant ab o u ti
à u n e réactio n de d é g o û t in ten se, après q u ’u n cam a­
ra d e de je u , plus âgé, l ’e u t convaincu de se laisser
m e ttre dans la b o u ch e u n « gros pénis b ru n e t veiné ».
Mais si le trau m a est p réco ce, il n ’est pas c e p e n d a n t
le p rem ier. Bien avant, u n e b o n n e d ’en fan ts l’avait
déjà séd u it à l ’âge d ’u n an ! C ’est p o u rq u o i, adolescent,
revivant cet an cien traum atism e, il « se m a stu rb ait q u a­
tre à cinq fois p a r jo u r, e t p a r u n e co n c e n tra tio n
fo rm idable e t la som m ation de toutes les situations
éro tiq u es excitantes, réussissait l ’ex p lo it de faire gicler
le sperm e ju s q u ’au p lafo n d h a u t de cinq à six
m ètres ! » 24. D ésig n an t ses exploits m astu rb ato ires p a r
la ph rase latine « ejaculatio usq u e ad cœ lum » (ju sq u ’au
ciel !), Ferenczi élève sa p ro testatio n c o n tre les abus
in to lérab les des adultes séducteurs. Il retro u v e ra m êm e
« des scènes passionnelles q u i o n t vraisem b lab lem en t
eu lieu, au cours desquelles u n e fem m e d e ch am b re
m ’a laissé jo u e r avec ses seins puis a pressé m a tête

108
S. Ferenczi

e n tre ses jam b es, si b ie n q u e j ’ai pris p e u r e t q u e j ’ai


com m encé à étouffer. C ’est la source de m a h ain e des
fem m es : c ’est p o u r cela que je veux les disséquer,
c ’est-à-dire les tuer. C ’est p a r là que l ’accusation de
m a m ère : “tu es m o n m e u rtrie r”, m ’a a tte in t en plein
c œ u r e t m ’a am en é à vouloir com pulsivem ent aid er
tous ceux qui souffrent, su rto u t les fem m es » 25. O n
co m p re n d p o u rq u o i F erenczi voulut ré h a b ilite r la th é o ­
rie de la séd u ctio n à l ’o rigine des névroses, que F reu d
avait so u ten u e auparavant.
U n a u tre fait trau m atiq u e fu t le mauvais traitem en t,
te rrib le m e n t b ru tal, q u ’u n e g o u v ern an te lui infligea
p o u r sa m a lp ro p re té anale. Il en résu lta p o u r le g arçon
« u n e te n d an ce exag érée à p o rte r atte n tio n ou égards
aux d esid erata d ’au tres p erso n n es, à le u r p laire ou à
le u r d ép laire » 26.
Au cours de son travail d ’analyste, F erenczi re p ro ­
d u ira ses conflits avec sa m ère ou ses substituts m a ter­
nels. C ’est dans le cad re de sa te ch n iq u e ap p elée « an a­
lyse m u tu elle »* que Ferenczi déco u v rira la réalité e t
l’im p o rtan ce des traum atism es de la p etite enfance. En
ap p liq u a n t l ’analyse m utu elle, Ferenczi co m m ettait u n
m e u rtre sym bolique sur ses p atien ts, to u t com m e les
adultes l ’avaient p e rp é tré sur l’en fan t, q u e ce soit l ’en ­
fan t q ue l ’analyste a été ou q u e ce soit l’e n fa n t que
le p a tie n t a été. « Q u ’il pousse aussi loin q u ’il le p e u t
la b o n té e t la relaxatio n , le m o m e n t vient o ù l ’analyste
d o it re p ro d u ire de ses m ains le m e u rtre p e rp é tré jad is
sur le p atien t. » 27 Mais ce m e u rtre sym bolique est-il

* Nous reprendrons plus loin la technique de l’analyse mutuelle


à propos de la rencontre Ferenczi-Groddeck.

109
inévitable ? O ui. D ans la m esu re où F reu d l ’a in itiale­
m e n t p e rp é tré sur son analysant Ferenczi. R appelons
q ue F reud a été l ’analyste de F erenczi p o u r de courtes
p ério d es d e quelqu es jo u rs e t à d eu x reprises en 1911
e t 1913. La re p ro d u c tio n de la relatio n de F erenczi à
sa m ère e u t lieu dans u n tran sfert sur F reu d , u n F reud
« d u r e t é n erg iq u e » qui n e pouvait pas o ffrir à son
analysant « les soins, la b o n té e t l’ab n ég a tio n com ­
p lète » d o n t il avait besoin. F reud, analyste d e Ferenczi,
ré p é ta le « m e u rtre d ’âm e » qui avait laissé F erenczi
« ém o tio n n e lle m e n t m o rt ». T rag éd ie a n a ly tiq u e 28.
Mais F reud, q u a n t à lui, n o te Ferenczi, « n e veut rien
savoir d u m o m e n t trau m atiq u e de sa p ro p re castration
dans l ’en fan ce ; il est le seul qui n e d o it pas être
analysé. »

F reud en effet avait ren ié sa « n e u ro tic a » tro p liée


à W ilhelm Fliess, e t à tous les sen tim en ts hom osexuels.
Il est resté, ju s q u ’à l ’âge d e 45 ans, d an s u n e ex trêm e
d ép e n d a n c e à l ’ég ard de Fliess. Mais il v eu t l ’oub lier,
com m e il v o u lu t o u b lier tous ses traum atism es, e t en
p articu lier celui p ro d u it p a r la séd u ctio n de M onika,
la b o n n e de son enfance.

E n 1909, F reu d m én ag e sa rela tio n avec ses d eu x


« fils ». Il est « ravi de l ’accord sans n uages q u i l ’u n it »
à Ferenczi, e t il confie à J u n g : « D im an ch e d ern ie r,
Ferenczi a été u n b au m e p o u r m oi. J ’ai à nou v eau p u
p a rle r d u plus im p o rta n t e t d u plus in tim e : c ’est en
effet q u e lq u ’u n d o n t j e suis ab so lu m en t sûr. »

F reud a séd u it e t a été séd u it p a r l ’in tellig en ce de


S. Ferenczi qui, en 1909, écrit « T ran sfert e t Introjec-
tio n », té m o ig n an t de son ex cep tio n n elle capacité de

110
S. Ferenczi

p e n se r e t de th éo riser. La séd u ctio n est u n dévoiem ent,


u n d é to u rn e m e n t d u désir de l ’en fa n t p a r l’adulte.
D errière le charm e d e la p e rso n n e séductrice qui vise
à ê tre l’o b je t d u d ésir d ’au tru i, il y a le risque, le
d ram e d u réveil des séductions trau m atisan tes au cours
d u tran sfert analytique. Et si J u n g e t F erenczi avaient
mis en acte avec leurs p atien tes respectives, Sabina
S pielrein e t Elm a Palos, la séd u ctio n que F reud, le u r
analyste, avait ex ercée sur eu x ? L ’acting-out d ’u n psy­
chanalyste serait, en d e rn iè re instance, la m ise en
actio n d u désir d u psychanalyste qui l’a analysé. Mais
le d ram e c ’est q u ’au m o m e n t de l’acting-out, il n ’y a
plus d ’analyse. Ceci étan t, dans le q u a tu o r Ferenczi
(l’analysant e t l ’analyste) - G izella (l’épouse) - Elm a
(la p atien te ) - F reu d (l’analyste), qui re c o n n a îtra les
séd u cteu rs e t les séduits ?
Mais n ’an ticip o n s pas. N ous som m es en février 1910,
d eu x ans après la p rem ière re n c o n tre Freud-Ferenczi. A
Carl-Gustav Ju n g , tel Moïse co n fia n t à Jo su é la m ission
d ’a tte in d re la te rre prom ise, F reu d écrit, e n le
tu to y an t : « Sois d o n c tran q u ille, c h e r fils A lexandros,
je te laisse davantage à c o n q u é rir que je n ’aurais p u
en m aîtriser m oi-m êm e : to u te la psychiatrie, e t l ’assen­
tim e n t d u m o n d e civilisé qui est acco u tu m é à m e consi­
d é re r com m e u n sauvage! », c ’est-à-dire u n Juif. N ’ou­
blions pas q u ’à cette ép o q u e c ’est J u n g qui est le seul
non-Juif de la « h o rd e fre u d ie n n e ».
1910, c ’est l ’a n n é e d u C ongrès de N u rem b erg e t c ’est
aussi l’a n n é e de l’acte de fo n d a tio n de l’A ssociation
Psychanalytique In te rn a tio n a le (I.P.A.), association qui
a p p a ra ît dans u n co n tex te où la relatio n Freud-Jung-
F erenczi rem u e les vieux traum atism es.

111
P o u r in tro d u ire e t p ré se n te r les statuts d e PI.P.A.
dans le congrès, F erenczi ab o rd e le p ro b lèm e sur le
m ode d ’u n e fam ille im aginaire qui fe ra it c o h ab iter
d eu x inconciliables : « la fran ch ise [to u jo u rs ce
« franc » qui exige la vérité] e t l ’au to rité. Aussi les
pulsions seront-elles id é alem en t sublim ées e t la sauvage­
rie des ancêtres, socialisée. Les analystes y so n t com m e
des apôtres de la p aix étern elle, obligés p a r le u r idéal
de faire la g u erre ». P ro m o te u r d ’u n e in stitu tio n
(l’I.P.A.) qui sera, à la longue, fossilisante, F erenczi
échappera-t-il aux pièges q u ’elle recèle ?

Ferenczi, interlocuteur privilégié de Freud

P o u r c o m p re n d re de façon vivante co m m e n t F erenczi


suivait e t acco m p ag n ait F reu d dans son élab o râtio n
th é o riq u e, j ’ai pensé que nous p o u rrio n s relire q u el­
ques passages de la co rresp o n d an ce éch an g ée 29.
P renons, p a r exem ple, l ’a n n é e 1911. Le 13 novem ­
bre, F reud lui confie : « C h er am i (...). J e suis o ccu p é
de 8 h à 8 h, mais m o n cœ u r est e n tiè re m e n t au Totem,
avec leq u el je progresse très le n tem e n t. » Et quinze
jo u rs plus tard, le 30 novem bre, p o u r la p re m iè re fois,
F reud l’appelle : « Cher fils ». « Le travail c o n c e rn a n t le
Totem est u n e c o ch o n n e rie. J e lis de gros livres qui
so n t sans in té rê t car je connais déjà les conclusions
(...). J e n ’ai pas le tem ps tous les soirs. »
D ans u n e le ttre d u 1 8 jan v ier 1912, Ferenczi ra p p o rte
à F reu d le cas clinique d ’u n en fa n t q u ’il n o m m e « Le

112
S. Ferenczi

p e tit H om m e-C oq » *. Le 23 ja n v ie r de la m êm e an n ée,


F reu d écrit : « C her ami. V otre “p e tit h o m m e ” est u n
régal. J e vais p ro b a b le m e n t vous p rie r de m ’offrir cette
observation p o u r u n travail su r le Totem, ou de la
p u b lie r sans référen ce au Totem. L ’artisan at scientifique
c o n tra in t à de telles m esquineries. »
Dans la m êm e lettre, q u elq u es lignes plus loin, F reu d
fait u n lapsus en p a rla n t de M adam e J u n g : « Ce qui
m e co n tra rie, c ’est q u ’en ré p o n d a n t à vos lettres, je
m e suis en c o re u n e fois laissé aller com m e u n im bécile
à être très ch aleu reu x , e t q u e je lui ai co m m u n iq u é tous
les résultats de m a re c h e rc h e sur la religion, com m e à
vous. » Vos lettres, c ’est u n lapsus de F reu d qui voulait
écrire ses lettres, en p e n sa n t aux lettres de J u n g ou
d e son épouse.
Le 27 ja n v ie r 1912. F erenczi s’am use de ce lapsus :
« P o u r vous m o n tre r q u e j ’ai appris de vous l ’a rt de
tire r des conclusions im p o rtan tes à p a rtir de petits
signes, je cite u n passage de votre d e rn iè re lettre. Vous
m ’écrivez, à moi, à p ro p o s de M adam e J u n g : “Ce qui
m e co n tra rie c ’est q u ’en ré p o n d a n t à vos lettres, je
m e suis e n c o re u n e fois laissé aller com m e u n im bécile

* Ferenczi présente le cas à Freud en ces termes: «J’ai en ce


moment un cas sensationnel, un frère du “ petit Hans ” par son
importance. Un garçon âgé maintenant de cinq ans, reçut un coup
de bec d ’un coq, sur la verge, alors qu’il urinait dans un poulailler,
à l’âge de 2 ans 1 /2 (...). Depuis ce moment, toute la vie psychique
de ce garçon tourne autour des poules et des coqs (...). Pendant
des mois, il ne fit que caqueter et faire cocorico (...). Il appelle son
père un coq (...). C’est un formidable sado-masochiste. (...) » On
trouve cette lettre in Correspondance, op. cit., pp. 349-350. Le cas a
été publié in Œuvres complètes, tome II, pp. 72-78, et cité par Freud
dans Totem et tabou.

113
à ê tre très ch a le u re u x ”. J e re g re tte m oi aussi q u e vous
ayez co m m u n iq u é les thèm es de la psychologie des
religions à J u n g (...). » Et u n p e u plus loin il ajo u te :
« Je vous adresse le “p e tit H om m e-C oq”. J e vous p rie
d e vous en servir com m e b o n vous sem blera, p o u r le
travail sur le Tabou. »

C o m m en t F reu d va-t-il ré p o n d re dans sa le ttre du


1erfévrier 1912? « C h e r am i, il y avait lo n g tem p s que
je n ’avais reçu u n e le ttre o ù les vérités se p ressaien t
a u ta n t q ue dans votre d e rn iè re . P ar b o n h e u r, elles ne
so n t pas toutes tristes. C om m ençons p a r v otre “ p e tit
H om m e-C oq ”. C ’est to u t sim p lem en t u n régal, e t il
a u ra u n g ra n d avenir. J ’esp ère q u e vous n ’allez pas
cro ire que je veux sim p lem en t le co n fisq u er p o u r m oi,
ce serait u n e bassesse de m a p art. Mais il n e fau d rait
pas le p u b lier avant q u e j ’aie p u so rtir “ Le re to u r
infantile d u totém ism e ” afin que je m ’y réfère alors. »

C o n c e rn a n t le lapsus relevé p a r Ferenczi, F reu d réa­


git : « Il ne vous a pas éch a p p é q u ’à cette occasion m a
m éfiance s’est trah ie à nouveau, au m o m e n t o ù je
c h erc h e [vis-à-vis de Ju n g ] à m e d éd o m m ag er p a r u n
nouvel investissem ent. » O n voit b ien q u e le lapsus de
F reu d est en relatio n avec le désir de c h â tre r les fils,
o u de leu r im poser la castration sous u n e fo rm e ou
u n e autre.

Le 13 m ai 1913, F reu d é c rit: « Je p eu x vous écrire


de nouveau a u jo u rd ’hui, car le travail sur le Totem s’est
achevé hier. U n e m ig rain e épouvantable, u n e rareté
chez m oi (...) [a] failli au d e rn ie r m o m e n t m ’em p ê c h e r
de fin ir (...). D epuis VInterprétation des rêves (...) je n ’ai
jam ais travaillé à qu o i que ce soit avec a u ta n t d ’assu­

114
S. Ferenczi

ran ce e t d ’ex altatio n (...). Celui qui v o u d ra em brasser


la princesse qui d o rt là-dedans devra de to u te façon
se tailler u n chem in à travers quelques haies d ’épines
de litté ratu re e t de références. »
Le 12 ju in de la m êm e an n ée , F reu d se d it « sérieuse­
m e n t revenu de [sa] surestim atio n initiale de ce travail,
e t [q u ’il est] dans l ’ensem ble soucieux. Si vous pouviez
— poursuit-il — m e faciliter cette tâch e difficile en
m e p ro p o sa n t u n a d d itif o u u n e m odification, j ’en
serais très h eu reu x . »
E t le 23 ju in , F erenczi ré p o n d à F reud com m e au rait
ré p o n d u u n analyste : « C h er M onsieur le Professeur.
L ’im pression p ro d u ite p a r le travail su r le Totem était
.e x tra o rd in a ire m e n t p ro fo n d e , b ien q u e j ’en connusse
déjà la p lu p a rt des orien tatio n s. (...) T o u t cela
m ’am èn e à p e n se r q u e votre h ésitatio n a posteriori est
en réalité u n d ép la c e m e n t de la soumission a posteriori
aux pères (et à votre p ro p re p ère) auxquels, d an s ce
travail, vous faites p e rd re les d ern ie rs restes de pouvoir
sur l ’âm e h u m ain e. C ’est q u e votre œ uvre est aussi u n
repas totém ique. Vous êtes le p rê tre de Mithra q u i tue
le p è re de ses p ro p re s m ains — vos élèves so n t les
tém oins d e l ’acte “sacré”. V ous-m êm e avez co m p aré
l’im p o rtan ce d u travail sur le Totem à celle de l ’Interpré­
tation des rêves — cette d e rn iè re, toutefois, était “la
réactio n à la m o rt d u p ère !” Dans l ’Interprétation des
rêves, vous avez m en é le co m b at co n tre votre p ro p re
p ère ; dans le travail sur le Totem, co n tre ces im agos
p atern elles religieuses fan to m atiq u es. D ’où la fête ju b i-
latoire p e n d a n t la genèse de l ’œ uvre (p e n d a n t l’acte
d u sacrifice) à laquelle o n t fait suite les scrupules après
coup. J e suis fe rm e m e n t convaincu q u e le travail sur

115
le Totem d ev ien d ra u n jo u r le p o in t n o d al d e la science
de l ’histoire de la civilisation h u m ain e. »

Le 9 ju ille t 1913, p o u r le q u aran tièm e anniversaire


de Ferenczi, F reu d le félicite e t lui confie que cet
anniversaire lui rap p elle sa p ro p re q u aran tain e,
« depuis laquelle j ’ai déjà plusieurs fois ch an g é de
p eau , ce qui, com m e on le sait, se p ro d u it tous les
sep t ans ». Plus loin, dans la lettre, e t p o u r ré p o n d re
à la d em an d e de F erenczi de recevoir d e nouveaux
écrits, F reu d re p re n d le th è m e de la p ério d icité e t
avoue : « Je ne sais pas en co re si je p eu x e n co u ra g er
votre esp o ir q ue je puisse vous c o m m u n iq u er q u elq u e
chose de nouveau. Les b o n n es choses v ie n n e n t vrai­
m e n t chez m oi selon u n e p ério d icité d e sep t ans. »

Le serp en t, dit-on, était d an s le m o n d e an tiq u e obligé


de ch an g e r de p eau p récisé m en t tous les sept ans.
Souvenez-vous de la bisexualité de Tirésias qui, après
avoir frap p é des serp en ts en train de s’u n ir, fu t
co n d am n é à se tran sfo rm e r e n fem m e. O r, sep t ans
plus tard, il re n c o n tra u n au tre co u p le de serp en ts,
mais cette fois, fra p p a n t le se rp e n t m âle, il red ev in t
u n hom m e.

Avec cette m u e-d ép o u illem en t (qui e n allem an d


s’écrit « EntM w iung », sép aratio n de la p e a u « Haut »),
nous avons m a in te n a n t u n co n ce p t fre u d ie n im p o rta n t :
l’en d o to m ie. L ’en d o to m ie c ’est la sép aratio n d ’u n e p a rt
de soi-m êm e, fût-ce la peau. En effet, la co u p u re d u
co rd o n om bilical ne sépare pas l’e n fa n t d e sa m ère,
mais de sa p ro p re enveloppe, c ’est-à-dire de son pla­
centa.

116
S. Ferenczi

En rép o n se à cette lettre, F erenczi ne fait pas rem a r­


q u e r à F reu d q ue l ’allusion à la p ério d icité est u n
résid u de sa rela tio n avec Fliess. E t c o n c e rn a n t le th èm e
d e la p eau p récisém en t, il n e fait au cu n e référen c e à
cette p eau si p articu lière q u ’est la m e m b ran e am n io ti­
q u e reco u v ran t l ’e n fa n t S igm und, au m o m e n t de sa
naissance. P ar ailleurs, si F erenczi avait été lacanien,
il au ra it p u e n te n d re en allem an d le titre d u livre
Totem et tabou com m e « Tod-M und-T abu » : la m ort-la
bouche-le tabou. E t en co re, si p a r ra p p o rt au co n te n u
de cet ouvrage il avait p u étab lir le ra p p ro c h e m e n t
avec l ’in jo n ctio n in terd ictrice « N o tocar la re in a » (Ne
pas toucher la rein e ) *, il au rait révélé à F reu d l’im p o r­
tan ce d u to u c h e r (Die Berührung), m o t qui se trouve
dans Totem et tabou e n 72 o ccu rren ces au cours de
65 pages. E nfin, il au ra it p u aussi, à p a rtir d ’u n ch ap itre
de ce m êm e livre consacré à la m agie, m o n tre r à F reud
q u ’avec sa classification de la m agie en m agie p a r
co n tig u ïté e t m agie p a r analogie, il définissait les lois de
la p aro le, celles de la m é ta p h o re e t de la m étonym ie ;
véritables lois de l’in c o n scien t q u e F erenczi fo rm u lait
déjà à sa façon avec les m ots « m é tap h o ria - m étony-
m ia ».

* Déjà, dans une lettre précédente du 18janvier 1912, Ferenczi


avait abordé, sans l’expliciter, le thème de l’interdit de toucher en
analyse, en rapportant à Freud l’anecdote de cette Reine d ’Espagne
dont la robe avait pris feu au vu de tous les courtisans, et qui
n ’avait pu être sauvée parce que l’étiquette de la Cour interdisait
de toucher la Reine : « No tocar la Reina » (Ne pas toucher la Reine).
Voir Correspondance, op. cit., p. 349.

117
L ’ « analyse m utuelle » de Sândor Ferenczi et
de Georg Groddeck

La g u erre de 1914-1918 arrive, F erenczi est m obilisé


e t les névroses de g u erre le p assio n n en t. O r, e n 1918,
p o u r la p rem ière fois, il signale q u ’à côté de la
m é th o d e classique de psychanalyse, il serait souvent
indispensable d ’u ser d ’u n e m é th o d e plus rap id e, « Kur-
sorische », dit-il, p o u r o b te n ir u n ch a n g e m e n t im p o r­
tant. C ’est e n effet de cette ép o q u e que d ate son souci
de racco u rcir la cu re analytique. D onc p a ra llè le m e n t
au « long fleuve tran q u ille » de la te ch n iq u e analytique,
p lein e de « S p rô d ich k eit » (pleine de re te n u e ),
Ferenczi v eu t m e ttre au p o in t u n e m é th o d e plus active
visant à o b te n ir ra p id e m e n t des résultats décisifs. N ous
verrons com bien la re n c o n tre avec G eo rg G ro d d eck
au ra à cet ég ard u n im p act indiscutable. C ar c ’est au
c o n tact e t à travers les divers échanges avec G. G ro d ­
deck q ue F erenczi a b a n d o n n e ra sa te c h n iq u e active
p o u r lui p ré fé re r la te ch n iq u e dite d ’in d u lg en ce e t de
relaxation.

D epuis quelques an n ées, G ro d d eck s’est fait co n n a î­


tre e t re c o n n a ître p a r F reud com m e u n m agnifique
analyste sauvage q u i s’occupe des m aladies o rganiques.
Il a souvent invité F reu d à B aden-B aden mais en vain,
F reu d n ’ayant jam ais accepté de s’y re n d re .

C ’est F erenczi qui, en revanche, osera p é n é tre r dans


le « S atanarium ». Aussi, le 17 ao û t 1921, écrit-il à son
« T rès h o n o ré M onsieur le C ollègue » p o u r lui faire
savoir q u ’il a d écid é de « jo in d re l ’u tile à l ’ag réab le »,
p récisan t q u ’il d ésirait se rep o ser e t « b én éficier des

118
S. Ferenczi

soins de celui qui ap p liq u ait la psychanalyse aux m ala­


dies organiques. »
Mais p o u rq u o i veut-il re n c o n tre r G ro d d eck ? O n a
d it q u ’il souffrait d e tub ercu lo se, ce q u i est faux. La
véritable raison est que sa m ère venait de m o u rir! Et
toutes les n u its il se réveillait sans souffle, la peau
glacée, p resq u e sans pouls, avec des d o u leu rs card ia­
ques, parfois avec des p alpitations, p e rd a n t to u te
confiance e n l ’avenir. Il voyait venir la fin sans avoir
jam ais reçu de sa m ère la tendresse ta n t atten d u e.
Le 5 sep tem b re 1921, il re n c o n tre en fin G eorg G rod­
deck. D ans sa le ttre d u 25 d écem b re de la m êm e an n ée,
il l ’appelle déjà « C h er am i ». C ette le ttre adressée à
G roddeck est im p o rta n te p arce q u ’elle révèle l ’intim e
souffrance d e F erenczi ; citons-en u n lo n g extrait.
« D epuis très longtem ps, je m e com plais dans u n e fière
réserve e t j e cache m es sentim ents, souvent m êm e à
m es proches. Etais-je tro p exigeant, ou b ie n m a m ère
(...) était-elle tro p sévère : selon m o n souvenir, il est
certain q u ’e n fa n t j ’ai reçu d ’elle tro p p eu d ’am o u r
et tro p de sévérité. S en tim en talité e t caresses éta ie n t
in co n n u es dans n o tre fam ille. D ’a u ta n t plus ja lo u se ­
m e n t é ta ie n t cultivés des sen tim en ts com m e : le resp ect
p u d iq u e à l ’ég ard des p aren ts, etc. D ’u n e telle éd u ca­
tion, pouvait-il résu lter au tre chose q u e de l’hypocrisie ?
P réserver les ap p aren ces, cac h er les “mauvaises h ab itu ­
des” c ’était le plus im p o rtan t. C ’est ainsi que je devins
u n ex cellen t élève e t u n o n an iste secret (...). M êm e
objectivem ent p arlan t, ce n ’est d o n c pas rie n si, après
de tels an técéd en ts, je m e d éclare vaincu (besz>gt) p ar
votre n atu re l, votre gentillesse e t votre am abilité n a tu ­
relle. Jam ais en co re je ne m ’étais exp rim é aussi fra n ­

119
c h e m e n t à l ’égard d ’u n h o m m e, m êm e pas le “Sieg-
m u n d ” (F reu d ), d o n t le no m a causé l’e rre u r d ’écritu re
dans le m o t besi(e)gtso. P ar pério d es, je m ’étais laissé
analyser p a r lui (u n e fois d u ra n t 3 sem aines, u n e au tre
fois d u ra n t 4-5 sem aines), p e n d a n t des an n ée s nous
avons voyagé ensem b le ch aq u e été : je n e pouvais pas
m ’ouvrir to u t à fait lib re m e n t à lui ; il avait tro p de
ce “resp ect p u d iq u e ”, il éta it tro p g ran d p o u r m oi, il
avait tro p d ’u n p ère (...)• Ce q u e je voulais c ’était d ’être
aim é de F reud. V otre le ttre m ’a in cité à u n nouvel
effo rt ; elle m ’a aussi aidé à m e d ém asq u er, m êm e si
ce n ’était q u e p artiellem en t, d ev an t m a fem m e. J e lui
ai d e nouveau p arlé d ’insatisfaction, d ’a m o u r refo u lé
p o u r sa fille Elm a, qui au ra it d û être m a fiancée. Elle
l’a d ’ailleurs été ju s q u ’à ce q u ’u n e re m a rq u e q u elq u e
p e u d ésap p ro b atrice d e F reu d m ’ait am en é à lu tte r
avec a c h a rn e m e n t co n tre cet am o u r, à rep o u sser carré­
m e n t la je u n e fille. »

P o u r c o m p re n d re cette d é sap p ro b atio n de F reud,


rap p elo n s d ’ab o rd q u e S ân d o r avait ép o u sé Gizella en
1919, après de longues an n ées de fiançailles. A cette
ép o q u e, il avait 46 ans, alors q u ’elle en avait 54 e t était
m è re déjà de deu x je u n e s filles, Elm a e t M agda. H u it
ans avant ce m ariage, en 1911, était survenu u n épisode
d o u lo u reu x dans la vie d u couple. S ân d o r ayant engagé
u n e psychothérap ie avec Elm a, la fille aîn ée de Gizella,
âgée de 24 ans, s’était épris de sa p atien te e t e n avait
fait sa fiancée, avec le c o n se n te m e n t résig n ée de la
m ère. F inalem ent, cette crise p u t se réso u d re avec les
noces de S ân d o r e t Gizella, m êm e si ce co n flit avait
laissé u n e blessure to u jo u rs vive chez ch acu n . Q u an t
à Elma, elle avait p u poursuivre son analyse avec F reud.

120
- S. Ferenczi

Mais re p re n o n s la lettre au m o m e n t où il d é c rit un


de ses sym ptôm es. « C ’est m o n in h ib itio n au travail
(idées qui v ie n n e n t à ce p ro p o s : tu ne dois pas surpas­
ser le p è re ). Au cours de l ’an n ée 1915-16 (...), j ’ai
développé u n e im p o rta n te e t “g ran d io se” th é o rie du
d é v elo p p em e n t génital, en ta n t q u e réactio n des ani­
m aux au d a n g e r d ’assèch em en t au m o m en t de l’ad ap ta­
tion à la vie te rre stre. J e n ’ai jam ais p u m e réso u d re
à m e ttre sur p a p ie r ce travail de valeur (...). Q u a n d je
veux écrire, je suis pris de d o u leurs. » Soulignons que
l’œ uvre o ù il ex p o sera cette g ran d e th éo rie s’in titu lera
in itia lem e n t en h o n g ro is « K atastróphák » (Catastrophes
dans le développement du fonctionnement génital)31 e t ne
p araîtra fin a le m e n t q u ’après n e u f ans de gestation d o u ­
loureuse.

« Ce sym ptôm e (in h ib itio n au travail) — poursuit-il


— est souvent acco m p ag n é p a r l’idée : “ça n ’e n vaut
pas la p e in e ”. C ’est-à-dire : le m o n d e ne m e d o n n e
pas assez p o u r m é rite r de m a p a rt ces “cad e au x ” ;
m a n ifestem en t de l ’érotism e anal : je ne veux rien
lâch er ta n t q u ’o n n e m e d o n n e pas q u elq ue chose en
cadeau. Mais quel est ce cad eau ? Ça n e p e u t ê tre que
l ’en fa n t d o n t la fem m e d o it m e faire cad eau — o u à
l ’inverse — q ue je dois e n fa n te r p o u r le m o n d e (p o u r
le p ère, la m è re ). Le pire, c ’est q u e m o n érotism e ne
veut a p p a re m m e n t pas se satisfaire de ces explications.
J e veux, “Ç a” veut, n o n pas u n e in te rp ré ta tio n analyti­
que, m ais q u elq u e chose de réel : u n e je u n e fem m e,
u n e n fa n t ! A pro p o s : n e pensez-vous pas que le m o t
célèbre à p ro p o s de “crie r après l ’e n fa n t” [Schrei nach
dem Kinde] n ’est que le re to u rn e m e n t d u désir d ’e n te n ­
dre crier u n e n f a n t32 ? » N ’o u blions pas que Ferenczi

121
n ’a jam ais été p ère, si ce n ’est d ’u n e c ertain e psychana­
lyse.

Face à la d em an d e im p érieu se de F erenczi qui


réclam e u n e je u n e fem m e e t u n en fan t, G roddeck
pense sû re m e n t à Elm a e t n e p e u t q u ’in te rro g e r son
ami. P o u rq u o i F reu d a-t-il d ésapprouvé cet am o u r p o u r
Elm a ? Elle a quinze ans de m oins q u e lui ? la belle
affaire ! Il a b ien épousé la m ère d ’Elm a, G izella : elle
avait 54 ans, il en avait 46, c ’est-à-dire h u it ans de plus
que lui. A u jo u rd ’h u i l ’affaire est te rm in ée ! Mais
Ferenczi constate u n e recru d escen ce d e ses spasm es
cardiaques liés à u n e p e rtu rb a tio n in co n scien te : « l ’in ­
fini des énigm es de la libido ».

E n 1922, F erenczi écrira à G ro d d eck : « Le P rofesseur


F reud a pris u n e o u d eu x h eu res p o u r s’o ccu p e r de
m es états ; il s’en tie n t à son o p in io n p ré c é d e m m e n t
ex prim ée, à savoir q u e l’é lé m e n t p rin cip al cl>ez m oi
serait m a h ain e à son égard, lui qui (to u t com m e
autrefois le p ère) a em p êch é m o n m ariage avec la
fiancée la plus je u n e (actu ellem en t belle-fille). E t de
ce fait m es in ten tio n s m e u rtrières à son égard, qui
s’ex p rim e n t p a r des scènes de décès n o ctu rn e s (refro i­
dissem ent, râles). Ces sym ptôm es seraie n t su rd éterm i­
nés p a r des rém iniscences d ’observation d u co ït p a re n ­
tal. J e dois avouer q u e cela m ’a fait d u b ie n de pouvoir,
p o u r u n e fois, p a rle r de ces m ouvem ents de h ain e face
au père ta n t aim é. »

O n voit le rôle que jo u e G eorg G roddeck. Son am i


S ândor p e u t enfin p arler, s’im p liq u er, aller ju s q u ’au
b o u t de son dire, e t il n e s’en prive pas. E n fan t de
fam ille n o m b reu se, Ferenczi in a u g u re sa co rre sp o n ­

122
S. Ferenczi

d an ce p a r ce cri d u cœ u r : « Je veux u n en fan t. Ça


veut u n e n fa n t ! » Et, selon lui, F reu d le lui a refusé,
en lui conseillant d ’ép o u ser u n e fem m e tro p âgée.
G roddeck s’éto n n e , lui qui, précisém en t, vit avec
Emmy von Voigt, u n e je u n e p atien te q u ’il a g u érie e t
q u ’il ép o u sera en su ite en 1923. Emmy souffrait d ’h é­
m orragies u té rin es e t des massages l ’avaient gu érie défi­
nitivem ent. Aussi avait-elle voulu rester au S anatorium
p o u r a p p re n d re la tech n iq u e salvatrice. C ’est au cours
de cette fo rm atio n q u e le m aître e t l ’élève s’éta ie n t
aimés.
T ran sfert m al liq u id é ? F reu d , dans son article
« O bservations sur l ’am o u r de tran sfert » 33, rec o n n a îtra
q u e ,l’am o u r de tran sfert a tous les attrib u ts d ’u n am o u r
véritable. Si l ’analyste e t sa p atien te so n t tous d eu x
libres, de c o n d itio n e t d ’âge qui co rresp o n d en t, il n ’y
a pas d ’in c o n v én ien t m ajeu r à ce q u ’ils con v o len t en
justes noces, écrira-t-il. L ’am o u r de tran sfert est u n
sym ptôm e ap p a ru dans la fo u rn aise d u tran sfert : il
faut certes l ’analyser, mais p eu t-o n l ’agir ? Les prem iers
analystes fu ren t, plus souvent q u ’o n ne v eu t b ien le
dire, co n fro n tés à cette in terro g atio n . Et certains é p o u ­
saient le u r p atien te , lorsque la cu re avait pris fin.
Q ue vient d ’a p p re n d re Ferenczi au p rès de cet
hom m e ch aleu reu x ? Q u ’il p e u t s’étab lir u n « co n tact
affectif » e n tre th é ra p e u te e t p atien t. G ro d d eck to u ch e,
masse, baigne, p ié tin e ; n ’o u blions pas q u ’il est u n
élève d ’E rn est Schw eninger, le célèb re m éd ecin de
Bismarck *. La m é th o d e g ro d d eck ien n e d e relax atio n

* Le lecteur pourra se reporter au chapitre suivant consacré à


l’œuvre de Georg Groddeck.

123
au ra u n e in flu en ce d éte rm in a n te sur F erenczi lo rsq u ’il
assouplira la te ch n iq u e analytique classique e n la re n ­
d a n t plus « élastique » e t « variable ».
Ferenczi découvre e n o u tre q u e son am i a, lui aussi,
besoin de p a rle r e t de s’allo n g er su r u n divan. Il n ’a
pas fait d ’analyse o u p lu tô t, il s’analyse in d ire c te m e n t
avec son au d ito ire de m alades au S an ato riu m , en
ra c o n ta n t ses rêves e t en livrant p u b liq u e m e n t ses asso­
ciations au cours de ses célèbres Conférences psychanalyti­
ques à l ’usage des malades. C ep en d an t, G ro d d eck s’allon­
gera enfin sur le divan de F erenczi à B udapest, c ’est
là l ’origine de l’analyse m u tu elle 34. A ce p ro p o s, c ’est
Ferenczi qui, p o u r la p rem ière fois, em p lo ie le m o t
d ’ « analysant » p o u r d ésig n er le p a tie n t com m e actif,
en réalisant son analyse e t en analysant son psychana­
lyste.
Pouvons-nous d ire q u e ce co n tact avec G ro d d eck est
suffisant p o u r apaiser le sujet F erenczi d an s' sa q u ête
d ’u n e co n firm atio n affective ? n u lle m e n t ! Il n e suffit
pas de « to u c h e r » sur le m o d e g ro d d eck ien , en co re
faut-il u n « c o n tact affectivo-confirm ant », n o u s d it
Frans V eldm an. G ro d d eck est tro p objectivant, m a n ip u ­
lant, e t la « sécurité de base » ne p o u rra se d évelopper,
car il m an q u e cette « delectatio » in h é re n te à to u te
tendresse affective. O r, n e co n fo n d o n s pas la ten d resse
e t la caresse. La ten d resse est aux an tip o d es d e to u te
stim ulation éro tisan te. « Storge » en grec c ’est la te n ­
dresse, « S tergo » signifie j ’aim e te n d re m e n t. Ce verbe
« Stergo » est co n stru it à p a rtir d u « S téréos » qui en
grec veut d ire le réel, ce qui est ferm e e t solide. La
tendresse, c ’est-à-dire l’am o u r des p aren ts, re p ré se n te
p o u r les G recs ce qui re n d ferm e, afferm it e t sécurise.

124
S. Ferenczi

D onc, m algré G roddeck, Ferenczi reste n o n apaisé et


toujours en rech e rc h e. N ous devons m a in te n a n t passer
quelques an n ées p o u r nous re n d re à O x ford en 1929,
au X Ie C ongrès In te rn a tio n a l de Psychanalyse.

L ’abandon de la technique active au profit de


la technique d ’indulgence et de relaxation

En ao û t 1929, F erenczi p résen te u n e co n trib u tio n


décisive, « P rogrès de la tech n iq u e analytique », q u ’il
in tro d u it e n situ an t sa place dans le m o u v em en t freu ­
dien : « Ma position p erso n n elle dans le m ouvem ent
psychanalytique — écrit-il — a fa it de ma personne une
chose in term éd iaire e n tre élève e t professeur, e t cette
position d o u b le m ’autorise e t m ’habilite p eu t-être (...)
à p laid er p o u r u n e ju s te ap p réciatio n de ce qui a été
confirm é p a r l ’ex p érien ce. »
Ferenczi d écrit en su ite les p rem iers succès, mais aussi
la fragilité, de ce q u ’il ap p elle la « paléo-catharsis »,
l’ancienne m é th o d e cath artiq u e p rô n é e p a r B reuer.
« Dans m o n zèle, certes en co re ju v én ile, je m e suis
ingénié à tro u v er des m oyens d ’ab rég e r ce tem ps [de
la cure] e t de p ro v o q u er des résultats th é ra p eu tiq u es
m eilleurs. E n généralisan t, e t en a c c en tu an t davantage
ce p rin cip e d e fru stratio n , d o n t F reu d lui-m êm e s’était
reconnu p artisan au C ongrès de B udapest (1918), e t
en re c o u ra n t à u n accroissem ent artificiel de la tension
[« th é ra p e u tiq u e activ e» ], j ’ai ch erc h é à favoriser la
répétition d ’événem ents trau m atiq u es an térieu rs e t u n e

125
m eilleure réso lu tio n de ceux-ci p a r l ’analyse. Vous
n ’ignorez certa in e m e n t pas q u e nous n o u s som m es
parfois laissés e n tra în e r, m oi-m êm e e t q u elq u es autres
qui m ’avaient suivi, à des excès dans le d o m ain e de
l’activité. Le plus grave de ces excès consistait à fixer
un terme à la cure, m esure p ro p o sée p a r R a n k 35 e t
ad o p tée p a r m oi à l ’ép o q u e. J ’ai eu assez de d iscern e­
m e n t p o u r m ’aviser à tem ps de ces exagérations, e t je
m e suis p lo n g é avec a rd e u r dans l’analyse d u M oi
(...) que F reud en tre-tem p s avait a b o rd ée avec ta n t de
succès (...). C ep en d an t, j ’avais de plus en plus l ’im p res­
sion, en ap p liq u a n t ces co n cep tio n s dans l ’analyse, q u e
la relatio n e n tre m éd ecin e t p a tie n t co m m en çait à
ressem bler u n p e u tro p à u n e rela tio n de m aître à
élève. J ’ai acquis é g alem e n t la conviction que m es
patien ts é ta ie n t p ro fo n d é m e n t m éco n ten ts de m oi, mais
q u ’ils n ’osaient to u t sim p lem en t pas se rév o lter o u v erte­
m e n t co n tre le dogm atism e e t la p é d a n te rie d o n t nous
faisions preuve. Dans u n de m es travaux consacrés à
la liberté, j ’ai d o n c invité mes collègues à en seig n er
à leurs patien ts u n e plus g ran d e lib erté, à le u r a p p re n ­
d re à s’a b a n d o n n e r plus lib re m e n t à le u r agressivité
envers le m éd ecin ; e n m êm e tem ps je les ai ex h o rtés
à faire preuve d ’u n p e u plus d ’h u m ilité à l ’ég ard de
leurs p atients, à ad m ettre les fautes éventuelles q u ’ils
a u ra ie n t p u co m m ettre ; e t j ’ai préco n isé u n e plus
g ran d e élasticité, év en tu ellem en t m êm e aux d ép en s de
nos théories (...). Au cours de m a lo n g u e p ratiq u e
analytique, j e m e suis co n stam m en t retro u v é en train
d ’e n frein d re ta n tô t l ’u n , ta n tô t l ’au tre des “Conseils
tech n iq u es” de F reud. La fidélité au principe selon leq u el
le p a tie n t d o it être allongé fu t trahie o ccasio n n ellem en t
p a r l ’im pulsion in d o m p tab le des m alades à se lever

126
S. Ferenczi

d ’u n b o n d , à d é am b u ler dans la pièce ou à p a rle r avec


m oi les yeux dan s les yeux (...). L ’effet de choc de
l’in te rru p tio n b ru tale de la séance m ’a plus d ’u n e fois
obligé à p ro lo n g e r la séance ju s q u ’à l ’éco u lem e n t de
la réactio n ém otive, voire à co n sacrer au m alade deux
séances p a r jo u r, o u plus. »
« Il fau t donc a d m ettre — résu m e Ferenczi — que
la psychanalyse travaille en fait avec d eu x m oyens qui
s’o p p o se n t l ’u n l ’au tre ; elle p ro d u it u n e au g m en tatio n
de ten sio n p a r la fru stratio n e t u n e relax atio n en au to ­
risant des libertés. »

L a néo-catharsis. Ce dont les névrosés ont


besoin : c ’est d ’être véritablement adoptés p a r
leur thérapeute

Q uelle est la nouvelle m é th o d e cath artiq u e de


Ferenczi et quelle d o it être l ’attitu d e ad éq u ate du
m éd ecin ? « U ne totale sincérité, u n e g ran d e lib erté et
voilà, dans cette atm o sp h ère de confiance u n p e u plus
idéale, q ue surgissent des sym ptôm es hystériques co rp o ­
rels, de violents m ouvem ents d ’expression, des varia­
tions brusques de l’état de conscience, b re f des états
de transe dans lesquels des fragm ents d u passé sont
revécus, la p e rso n n e d u m éd ecin d em eu re alors le seul
p o n t e n tre le p a tie n t e t la réalité. »
Mais n e co n fo n d o n s pas cet ab o u tissem en t cath arti­
que au b o u t d ’u n e lo n g u e analyse (néo-catharsis) avec

127
l’an cien n e catharsis b re u e rie n n e . La néo-catharsis
re d o n n e u n e g ran d e im p o rtan ce au facteu r trau m ati­
que originel dans le p ro b lèm e des névroses. Et p ar
co n séq u en t, u n e analyse ne saurait être co n sid érée
com m e achevée, to u t au m oins th é o riq u e m e n t, si l’o n
n ’a pas réussi à a ttein d re le m atériel m n ésiq u e trau m a­
tique. Il fau t donc, à côté de l’élasticité fantasm atique,
privilégier la réalité d u trau m atism e p ath o g è n e lui-
m êm e, qui est « b eau co u p m oins souvent la co n sé­
q u en ce d ’u n e hypersensibilité co n stitu tio n n elle des
enfants (...) q ue d ’u n [mauvais] tra ite m e n t [de l ’ad u lte
séducteur] v éritab lem en t in ad éq u at, voire m êm e cruel.
Les fantasm es hystériques ne m e n te n t pas, (...) [ils
m o n tre n t] co m m en t p aren ts e t adultes p eu v en t e n fait
aller très loin dans le u r passion é ro tiq u e p o u r les
enfants. (...) A u jo u rd ’hui, je suis de n o u v eau te n té d ’ac­
co rd er, à côté d u com plexe d ’Œ d ip e des enfants, une
importance plus grande à la tendance incestueuse des adultes,
refoulée et prenant le masque de la tendresse. D ’u n au tre
côté, je ne p eu x pas n ie r que l ’em p re ssem en t des
enfants à ré p o n d re à l’érotism e g énital se m anifeste
b eau co u p plus in ten sém en t, e t b eau c o u p plus p réco c e­
m e n t q ue nous n ’avions l ’h ab itu d e de le p e n se r ju s q u ’à
p ré se n t (...). Mais l’e n fa n t éprouve to u t a u ta n t d ’effroi
si l’on force p ré m a tu ré m e n t ses sensations génitales,
car ce que l’en fa n t d ésire en fait, m êm e en ce qui
co n cern e les choses sexuelles, c ’est seu lem en t le je u
e t la tendresse, et n o n la m anifestation violente d e la
passion » 36.

« N otre attitu d e am icale e t bienveillante [d ’analyste]


p e u t certes satisfaire la p artie infan tile d e la p e rso n n a ­
lité, la p artie affam ée de tendresse, mais n o n celle qui

128
S. Ferenczi

a réussi à é c h a p p e r aux in h ib itio n s d u d év elo p p em en t


e t à devenir ad u lte (...) [Et en co re] u n e p artie d u
corps, cachée, [qui] h éb erg e les parcelles d ’u n ju m e a u
d o n t le d év elo p p em e n t s’est trouvé in h ib é. »

C ’est cet e n fa n t caché e t p eu t-être réan im é p a r la


néo-catharsis, q u ’il fau d ra it aid e r à g ra n d ir ! Mais va-
t-on dans le sens d ’u n atta c h e m e n t d an g ere u x avec le
th é ra p e u te , sans d é ta c h e m e n t possible ? N on. Ferenczi
relate le cas d ’u n e p a tie n te qui, après d eu x ans de
d u r com bat, a p u lui d ire : « M ain ten an t q u e je vous
aim e, je p eu x re n o n c e r à vous. » Ce fu t p o u r cette
analysante « sa p re m iè re d éclaratio n sp o n tan ée après
l ’a p p aritio n d ’u n e a ttitu d e affective positive à m on
ég ard ».

G râce à sa nouvelle m é th o d e cath artiq u e, Ferenczi


a ainsi transform é la te n d a n c e à la rép é titio n en rem é­
m o ratio n . « T a n t q u ’elle m ’id en tifiait à ses p aren ts au
c œ u r d u r, la p a tie n te ré p é ta it co n stam m en t ses réac­
tions d e défi, m ais q u a n d j ’eus cessé de lui e n fo u rn ir
l’occasion, elle co m m en ça à d istin g u er le p ré se n t et
le passé, et après q u elq u es explosions ém o tio n n elles
de n a tu re hystérique, à se remémorer les chocs psychiques
q u ’elle avait d û su b ir dans son enfance. La ressem ­
blance e n tre la situ atio n analytique e t la situ atio n in fan ­
tile incite d o n c p lu tô t à la rép étitio n , le co n traste e n tre
les d eu x favorise la remémoration. »

P o u r co n clu re, Ferenczi insiste : « Ce dont ces névrosés


ont besoin, c’est d ’être véritablement adoptés et qu ’on les laisse
pour la première fois goûter les béatitudes d ’une enfance
normale. »

129
Bref, Ferenczi p arle ici d ’u n e delectatio p o u ssée ju s ­
q u ’à son term e, h arm o n isan t ainsi la th é o rie e t la
p ratiq u e. Mais ce q u ’il n e souligne pas assez, c ’est la
façon d o n t il fa u t s’y p re n d re p o u r q u ’à 1’ « a ttach e­
m e n t affectif sécu risan t » fasse suite le « d é ta c h e m e n t
co n firm a n t» . C o m m en t d év elo p p er ce q u e F erenczi
n o m m e la « fo rc e v itale» — vis vitalis? C ’est là to u t
le p roblèm e. Elle n e p e u t se d év elo p p er q u e dans
u n « co n tact affectivo-confirm ant » (ex p ressio n de
F. V eldm an), e t ceci b ie n avant la naissance.

L a méthode de la relaxation : accepter Vagir


dans la cure permet au p a tien t de se remémorer

D ans « Analyses d ’enfants avec des adultes »V, co n fé­


ren ce d o n n é e à l ’A ssociation Psychanalytique de
V ienne, le 6 m ai 1931, à l’occasion d u 75e anniversaire
de F reud, F erenczi co n firm e la nouvelle o rie n ta tio n de
sa tech n iq u e.
Il re c o n n a ît : « U ne foi fan atiq u e d an s les possibilités
de succès d e la psychologie des p ro fo n d eu rs m ’a fait
co n sid ére r les échecs éventuels, m oins com m e la consé­
q u en ce d ’u n e “in c u ra b ilité”, que d e n o tre p ro p re m ala­
dresse, hypothèse q u i m ’a n écessairem en t c o n d u it à
m o d ifier la te ch n iq u e dans les cas difficiles d o n t il
était im possible de v en ir à b o u t avec la te ch n iq u e
habituelle. C ’est d o n c à co n tre-cœ u r que je m e résous
à a b a n d o n n e r les cas les plus coriaces, e t j e suis p eu
à p e u devenu u n spécialiste des cas p a rtic u liè re m e n t

130
S. Ferenczi

difficiles, d o n t j e m ’o ccu p e m a in te n a n t d ep u is u n très,


très g ra n d n o m b re d ’années. Des form ules telles que
“la résistance d u p a tie n t est in su rm o n tab le” ou “le
narcissism e n e p e rm e t pas d ’ap p ro fo n d ir plus avant le
cas” ou m êm e la résig n atio n fataliste face au soi-disant
en lisem en t d ’u n cas, so n t restées p o u r m oi inadm issi­
bles. J ’ai pensé qu e, ta n t que le p a tie n t c o n tin u e à
venir, le fil de l ’esp o ir n ’est pas ro m p u . Je devais d o n c
sans cesse m e p o ser la m êm e q u estio n : est-ce q u e la
cause de l ’échec est to u jo u rs la résistance d u p atien t,
n ’est-ce pas p lu tô t n o tre p ro p re co n fo rt q u i d éd aig n e
d e s’a d a p te r aux p articu larités d e la p erso n n e elle-
m êm e, sur le p lan de la m é th o d e ? »

_F erenczi illustre alors sa te ch n iq u e p a r de rem a rq u a­


bles exem ples cliniques : « J ’ai d o n c poussé les p atien ts
à u n e “relaxation ” plus p ro fo n d e, à u n ab an d o n total
aux im pressions, ten d an ces e t ém o tio n s in térieu re s qui
surgissaient to u t à fait sp o n tan ém en t. D onc, plus l ’asso­
ciation devenait v raim en t libre, plus les paroles e t
autres m anifestations d u p atie n t d ev en aien t naïves —
enfantines, p o u rrait-o n d ire ; de plus en plus souvent,
aux p ensées e t rep résen tatio n s im agées v en aien t se
m êler de légers m ouvem ents d ’expression, quelquefois
m êm e des “ sym ptôm es passagers ” (...). Voici u n exem ­
ple : u n p a tie n t dans la force de l ’âge se décide, après
avoir su rm o n té de fo rtes résistances, n o ta m m e n t u n e
m éfiance in ten se, à faire revivre des événem ents d e sa
prim e enfance. J e sais d éjà (...) q u ’il m ’iden tifie à son
grand-père. T o u t à co u p [plötzlichJ 38, en p lein m ilieu
de son récit, il m e passe le bras a u to u r d u cou e t m e
ch u ch o te à l ’oreille : “ Dis, g ran d -p ère, je crains que
je vais avoir u n p e tit e n f a n t”... J ’ai alors eu l’idée,

131
h eu reu se m e semble-t-il, d e ne rien d ire to u t d ’ab o rd
d u tran sfert (...), mais de lui re to u rn e r la q u estio n , sur
le m êm e to n de c h u c h o te m e n t : “ O ui, p o u rq u o i d o n c
penses-tu cela ? ” C om m e vous voyez, j e m e suis laissé
e n tra în e r (...) dan s u n je u de questions e t réponses,
to u t à fait analogu e aux processus que no u s ra p p o rte n t
les analystes d ’enfants (...). Si vous co n sid érez que,
selon nos expérien ces e t hypothèses actuelles, la p lu ­
p a rt des chocs p ath o g èn es re m o n te n t à l ’en fan ce, vous
n e serez pas surpris de voir le p atien t, qui te n te de
livrer la genèse de son m al, to m b e r so u d ain d an s l’e n ­
fantin e t l ’in fan tile (...). Il arrive p a r ex em p le q u e le
p atien t, en avouant u n e fau te, no u s saisisse b ru sq u e­
m e n t la m ain e t no u s su p p lie de ne pas le b attre. »
Et Ferenczi de poursuivre : « Il n ’est pas ra re q u e les
p atien ts nous ap p o rte n t, souvent au m ilieu de leurs
associations, des petites histoires de le u r com position,
voire des poèm es ou des b o u ts rim és ; parfois ils récla­
m e n t u n crayon p o u r no u s faire cadeau d ’u n e im age,
en g énéral très naïve. N a tu re lle m e n t je les laisse faire,
e t je p ren d s ces petits do n s p o u r servir d e p o in t de
d é p a rt à d ’au tres fo rm atio n s fantasm atiques. »

« Certes, F reu d a raison d e no u s e n seig n e r q u e l’an a­


lyse re m p o rte u n e victoire lo rsq u ’elle réussit à rem p la­
cer l ’agir p a r la rem é m o ratio n ; mais je p en se q u ’il y
a ég alem en t avantage à susciter u n m atériel agi im p o r­
tant, qui p e u t en su ite ê tre tran sfo rm é en rem é m o ra­
tion. En p rin cip e, je suis, m oi aussi, c o n tre les ex p lo ­
sions in co n trô lées, mais je p ense q u ’il est utile de
découvrir, aussi la rg e m en t q u e possible, les ten d an ces
à l’action, cachées, avant de passer au travail de la
pensée (...). »

132
S. Ferenczi

A cet égard, nous savons q u e certains p atien ts se


p e rm e tta ie n t quelquefois d ’em brasser Ferenczi, ce qui
c h o q u era F reud. S ân d o r Ferenczi se fera re p ro c h e r
de « g âter » ses analysants e t de se laisser em brasser.
« J ’invoquerai, à m a déch arg e, q u e je n ’ai pas p rovoqué
in te n tio n n e lle m e n t ce processus, il s’est développé p a r
suite de m a tentative, à m o n avis légitim e, de re n fo rc e r
la lib erté d ’asso ciatio n ; j ’ai u n certain resp ect p o u r
ces réactions qui surgissent sp o n tan ém en t, j e les laisse
d onc a p p ara ître sans in tervenir, car je suppose q u ’elles
m an ifesten t des ten d an ces à la rep ro d u c tio n q u ’il n e
fau t pas em p êch er, m ais d o n t il faut favoriser le
d ép lo iem e n t avant d ’essayer de les m aîtriser. »
Si vous voulez c o m p re n d re co m m en t, de façon p a r­
fois d ram atiq u e, les analysants de Ferenczi s’e x p rim en t
e t F erenczi le u r ré p o n d , lisez cet article « Analyse d ’e n ­
fants avec des adultes ». « Parfois (...) c ’est la re p ro d u c ­
tion d e l’agonie psychique e t physique qui en tra în e
u n e d o u le u r in c o m p réh en sib le e t in su p p o rtab le. » En
ce cas, q ue faut-il faire ? « Des paroles apaisantes et
p leines de tact, év en tu ellem en t ren fo rcées p a r u n e
pression e n c o u ra g e a n te de la m ain, e t q u a n d cela
s’avère insuffisant, u n e caresse am icale su r la tête,
réd u isan t la réac tio n à u n niveau où le p a tie n t re d e ­
vient accessible. Le p a tie n t nous relate alors les actions
et réactions in a d éq u ate s des adultes, face à ses m anifes­
tations lors de chocs trau m atiq u es infantiles, e n opposi­
tion avec n o tre m a n ière d ’agir. »
Et Ferenczi de se d e m a n d e r : « O ù est passée alors
la fine analyse éco n o m iq u e, to p iq u e, dynam ique, la
reco n stru c tio n d e la sym ptom atologie, la p o u rsu ite des
investissem ents ch an g ean ts de l’én erg ie d u Moi e t d u

133
Surm oi, qui caractérisen t l’analyse m o d e rn e ? »
F erenczi ne néglige pas cette analyse éco n o m iq u e, to p i­
q ue e t dynam ique, au co n traire, avec lui, elle s’exprim e,
alors q u ’avec d ’autres psychanalystes, il n ’y a jam ais
« transe » ni revécu.

Mais nous n ’en finirions pas d ’é n u m é re r tous les


ap p o rts de S ân d o r Ferenczi, toutes ses in tu itio n s, to u t
ce qui a germ é dans sa pensée, e t qui se réalise au jo u r­
d ’hui.

Avant de conclure, je to n s en co re u n co u p d ’œ il sur


son article de 1933 : « Les passions des adultes e t le u r
in flu en ce sur le d év elo p p em en t d u caractère e t d e la
sexualité d e l’en fa n t », tra d u it sous le titre de « C onfu­
sion de langue e n tre les adultes e t l’en fa n t », e t sous-
titré : « Le Langage d e la tendresse e t de la passioh » 39.
C ette co n trib u tio n fit scandale au congrès de W iesba-
den, en sep tem b re 1932, car il suscitait d ’én o rm es
résistances, évoq u an t l ’hypocrisie p ro fessio n n elle des
psychanalystes qui re ste n t froids e t in tellectualisants
devant des patien ts en p lein e crise.

« Les patien ts n e so n t pas to u ch és p a r u n e expression


th é âtrale de pitié, mais je dois d ire seu lem en t p a r u n e
au th e n tiq u e sym pathie. J e ne sais pas s’ils la reco n n ais­
sen t au to n d e n o tre voix, au choix de nos m ots ou
de to u te au tre m an ière. Q uoi q u ’il en soit, ils devinent,
de m an ière quasi ex tralucide, les pensées e t les ém o­
tions de l ’analyste » [q u an d il fait preuve de bienveil­
lance : « F reu n d lich k eit »].

134
S. Ferenczi

D ans cet article-testam ent, Ferenczi re p re n d le p ro ­


blèm e d u traum atism e e t celui de l’iden tificatio n de
la victim e — u n en fa n t — à son agresseur à travers
l ’in tro jectio n . Il d écrit le m écanism e de « progression
trau m atiq u e » com m e u n m o u v em en t de sursaut de
l ’en fa n t e n rép o n se à l ’agression de l ’ad u lte séd u cteu r.
C ’est la réactio n d ’u n e n fa n t en détresse e t d an s l ’an ­
goisse de la m ort, qui active so u d ain em en t des disposi­
tions latentes o u n o n e n co re investies. E voquant ces
fruits devenus tro p vite m ûrs q u a n d le bec d ’u n oiseau
les a m eurtris, F erenczi m o n tre que, sur le p la n ém o­
tio n n el e t in tellectu el, le choc trau m atiq u e p e u t p e r­
m e ttre à u n e p artie d e la p erso n n e de m û rir subite­
m ent. C ette p artie, il la n o m m e le « n o u rrisso n savant ».
C,’est elle qui a p p a ra ît dans nos rêves q u a n d u n en fan t
au b erceau se m e t à p a rle r p o u r ex p liq u er à l ’adulte
ce q u ’il convient de faire. « C ’est incroyable ce que
nous pouvons vraim en t a p p re n d re de nos “ enfants-
savants ”, les névrosés ! », disait-il.

Conclusion

C itan t G oethe, F reu d avait écrit à Fliess (et M arie


B o n ap arte l’avait repris) : « Was h a t m an dir, d u arm es
K ind getan? » Q u’est-ce qu’on t ’a fait, à toi, pauvre enfant ?
F reu d voyait dans cette co m p lain te l’expression d ’u n e
nouvelle devise de la psychanalyse ; mais il l’avait aussi­
tô t oubliée. O r, F erenczi est venu la lui rap p eler. L ’in­
so u ten ab le à e n te n d re , l’h o rre u r, n ’est pas facile à
conserver dans n o tre m ém o ire ; no u s p référo n s oublier.

135
L ’in co n scien t « m ém o ire de l’oubli » ? En ra p p e la n t
toutes ces évidences, Ferenczi n e risquait-il pas d e faire
to m b e r l ’im m ense statu e au socle fragile ?
*

Et p o u rta n t, F erenczi, m o n pauvre en fan t, q u ’est-ce


q u ’o n t ’a fait ? F reu d lui-m êm e, après ta m o rt, écrivit
à Max E itingon q u e tu « avais co n n u u n grave épisode
d é lira n t ». Et dans la le ttre de rép o n se aux co n d o lé a n ­
ces envoyées p a r E rn est Jo n es, F reu d re p rit la m êm e
id é e : « N o tre p ein e est g ran d e e t d o u lo u reu se (...).
Mais cette p e rte n ’est en fait pas nouvelle. D epuis des
années, F erenczi n ’était plus avec nous, e t e n réalité,
il n ’était plus avec lui-m êm e (...). D u ran t les d ern iè res
sem aines, il n e pouvait ni m a rc h e r ni te n ir d eb o u t.
S im ultaném ent, co n fo rm é m en t à u n e lo g iq u e d iaboli­
que, la d ég én érescen ce m en tale survint sous fo rm e
de crises violentes paran o ïd es. » In v en tio n fre u d ie n n e !
T o u t l ’en to u ra g e h o n g ro is l’affirm e. Vous le voyez,
p o u r F reud, il fa u t ê tre fou p o u r vouloir ren v erser la
statue !
M ort, F erenczi nous pose a u jo u rd ’h u i e t d e façon
originale la qu estio n d u p ère. C ar la ten d resse q u ’il
p ro d ig u ait à ses m alades n ’est pas l ’ap an ag e exclusif
de la m ère. U traq u iste 40, S ân d o r Ferenczi m a in tie n d ra
ju s q u ’au b o u t son « pas l ’u n sans l ’au tre ». N ous savons
b ien q ue ce n ’est pas « o u le p è re ou la m è re », mais
l ’u n e t l’au tre, tous d eu x indispensables p o u r fo n d e r
la sécurité de base. Alors, Ferenczi est-il u n e « te n d re
m ère », com m e le qualifiait F reu d iro n iq u e m e n t ? N ’est-
ce pas p lu tô t F reu d lui-m êm e qui se trouve incap ab le
d ’assurer aussi u n nécessaire tran sfert m a tern el ?

136
S. Ferenczi

O ui, F erenczi est c h o q u a n t d ’avoir in c arn é la psycha­


nalyse. « Il fit d e tous les analystes ses élèves », re c o n n a î­
tra F reu d dans sa n o tice nécro lo g iq u e. « Il n ’est pas
pensable que l ’histo ire de n o tre science le laisse to m b er
dans l ’oubli », avait-il conclu. Im p en sab le d ’o u b lier u n
F erenczi qui in c arn e à nos yeux le refo u lé m êm e de
la psychanalyse freu d ie n n e.
M ort des com plications m édullaires d ’u n e an ém ie de
B ierm er, S ân d o r F erenczi n e pouvait plus se te n ir
d eb o u t, com m e le G olem fragilisé que no u s évoquions
à p ro p o s de M oïse. Il m e u rt dans son lit le 22 mai
1933, à 14 h 30.
A p ro p o s de cette m o rt, E rn est Jo n e s p référa affirm er
q u ’il m o u ru t « fou » 41. O ui, il fallait l ’être p o u r oser
dire, de façon irruptive, la vérité de sa souffrance. Le
m assacre des Saints-Innocents s’étern ise ! T ous les jo u rs
u n e princesse se p iq u e le d o ig t avec le fuseau de la
m é ch an te fée ; elle s’e n d o rt ainsi p e n d a n t d e longues
an n ées ju s q u ’à ce que, d ’u n baiser, u n b eau p rin ce
vienne la réveiller. S ân d o r Ferenczi lui aussi atten d ait,
car il n e se sen tait pas g u éri p a r l ’analyse. Avait-il eu
to rt d e l’avouer à F reu d ? Celui-ci ex p liq u era la
souffrance d e Ferenczi, son analysant, p a r « u n m an q u e
d ’a m o u r qui lui avait infligé u n e blessure inguérissa­
ble ».
D ’u n e certain e façon, F reu d a eu raison de d éclarer :
« Il n ’était plus avec nous, il n ’était plus avec lui-
m êm e. » Car, e n effet, il n ’était plus avec eux, en
1933, p u is q u ’il avait déjà cin q u an te ans d ’avance. Il
est m a in te n a n t avec nous, en 1994, e t il sera avec tous
ceux qui v ie n d ro n t p u iser d an s l’im m ense c h a n tie r de
son œ uvre.

137
N ous som m es u n certain n o m b re, en F rance, à p e n ­
ser q ue lorsque Ferenczi, après l’in c en d ie d u Reichstag,
conseillait à son am i : « Q uittez vite l ’A utriche... avec
votre fille, p o u r l ’A ngleterre... », ce n ’était n u lle m e n t
l ’avertissem ent d ’u n fou ! Mais nous savons q u e des
gens, sains d ’esprit, p eu v en t se m e ttre dan s des situa­
tions folles e t se faire tra ite r de fous, en c h e rc h a n t à
c o m m u n iq u er e t faire vivre leurs ex p érien ces à d ’au­
tres. Il y a là u n e q u estio n d ’éth iq u e p o u r ces « fous »,
am ants de la V érité *.

* Je tiens ici à remercier tous mes amis du groupe de traduction


du Coq Héron qui, avec moi, ont consacré tant d ’années à cette
tâche impossible : traduire la Correspondance entre Freud et Ferenczi.
Le premier tome de cette Correspondance est enfin paru en mars
1992. Sans Suzanne Achache-Wiznitzer, Judith Dupont, Suzanne
Hommel, Christine Knoll-Froissart, Pierre Sabourin, Françoise Sam-
son et Pierre Thèves, je n ’aurais pu vous introduire à la pensée
de celui que Freud tenait pour son « fils spirituel » ; ce qui ne
l’empêcha pas d ’être « abjecté » par la communauté analytique
durant longtemps. En ferons-nous un martyr? Les premiers radiolo­
gues, en ce temps-là, s’exposaient imprudemment aux rayons X.

138
E x tra its
l ’œ u v r e d e S. F e r e n c z i

B io g r a p h ie
d e Sândor F erenczi

C h o ix
b ib lio g r a p h iq u e
Extraits
de l’œuvre de S. Ferenczi

Le traitement cathartique de l'hystérie à l'époque de


Breuer

L ’e x tra o rd in aire m é rite d e B reu er fu t d ’avoir suivi


les indications m é th o d iq u es de sa p atien te , e t aussi
d ’avoir cru à la réalité des souvenirs qui surgissaient,
sans les é c a rte r d ’em blée, com m e c ’était l’h ab itu d e, en
tq n t q u ’in vention fan tasm atiq u e d ’u n e m alad e m e n ­
tale

Le danger d'intellectualisme

La rela tio n in te n sé m e n t ém o tio n n elle, de type


hypnotico suggestif, q u i existait e n tre le m éd ecin et
son p atien t, a prog ressiv em en t refro id i p o u r devenir
u n e sorte d ’ex p érien ce infinie d ’associations, d o n c u n
processus essen tiellem en t in te lle c tu e l2.

Du fantasme au traumatisme

A près avoir acco rd é to u te l ’a tte n tio n q ui rev ien t à


l ’activité fan tasm atiq u e en ta n t q u e facteu r p ath o g èn e,

141
j ’ai été am ené, de plus en plus fréq u em m en t, à m ’occu­
p e r d u traum atism e p ath o g èn e lui-m êm e 3.

L ’amitié tacite entre l ’analyste et l ’analysant

Ce pacte d ’am itié tacite p e rm e tta it en su ite à l ’a n a ­


lyste e t à 1’« analysant » [p rem ière o ccu rren c e d u term e
analysant en 1928] d e co llab o rer au d év o ilem en t de
l’in c o n s c ie n t4.

Le rôle du psychanalyste

La présen ce de q u e lq u ’u n avec q u i o n p e u t p a rta g e r


e t c o m m u n iq u er jo ie et souffrance (am o u r e t co m p ré­
h en sio n ) g u érit le trau m a 5.

Le tact

C ’est avant to u t u n e q u estio n de tact psychologique


(...) Mais q u ’est-ce que le ta c t? ( ...) Le tact, c ’est la
faculté de « sen tir avec » 6.

Le psychanalyste apprend des enfants

Q u a n t à savoir co m m en t tra d u ire les sym boles aux


enfants, je d irai q u ’en g én éral les enfants o n t plus à
nous a p p re n d re d an s ce do m ain e q u e l ’inverse. Les

142
S. Ferenczi

symboles so n t la lan g u e m êm e des enfants, nous


n ’avons pas à le u r a p p re n d re co m m en t s’en servir 1.
*

Le psychanalyste apprend des névrosés

C ’est incroyable, ce q u e nous pouvons v raim en t


a p p re n d re de nos « en fan ts savants », les névrosés 8.

*
* *

Références des Extraits cités

1. « Principes de relaxation et néo-catharsis » in Œuvres


complètes, tom e IV, Payot, 1982, p. 83.
2. Ibid., p. 85.
3. Ibid., p. 93.
4. « Le traitem ent psychanalytique du caractère » in Œuvres
complètes, op. cit., pp. 248-249.
5. Journal clinique, Payot, 1985, p. 272.
6. « Elasticité de la technique psychanalytique » in Œuvres
complètes, op. cit., p. 55.
7. « L ’adaptation de la famille à l’enfant » in Œuvres complè­
tes, op. cit., p. 42.
8. « Confusion de langue entre les adultes et l ’enfant » in
Œuvres complètes, op. cit., p. 133.

143
Biographie
de Sândor Ferenczi

1873 N aissance de S ân d o r Ferenczi, le 7 ju ille t, à


Miskolc, en H o n g rie. H u itièm e e n fa n t d e B er­
n â t F rankel, son p ère, e t Rosa E ibenschütz, sa
m ère, qu i a u ro n t ensem ble douze enfants.

1879 C h an g em en t de p atro n y m e : le n o m d u p è re
6 ans devient F erenci avant de se tran sfo rm e r p ro ­
gressivem ent en Ferenczi.

1888 M ort de B ern ât Ferenczi.


15 ans

1894 S ân d o r o b tie n t son dip lô m e d e m éd ecin à


21 ans V ienne ; il s’in téresse déjà aux p h é n o m è n e s
psychiques e t à l ’hypnose.

1896 Service m ilitaire dans l ’arm ée austro-hon-


23 ans groise.

1897 II exerce d ’ab o rd à l ’H ô p ital Rôkus d e Buda-


24 ans pest, puis devient m édecin-assistant à l ’H ospice
des pauvres e t des prostituées.

1899 P ublication de très n o m b reu x articles préanaly-


26 ans tiques ju s q u ’en 1908, d o n t Spiritisme, consacré
à la transm ission de pensée.

1900 Installatio n com m e n eu ro lo g u e.


27 ans

144
S. Ferenczi

1904 C h ef de service de neu ro lo g ie.


31 ans

1908 D im anche 2 février : p rem ière visite à Freud.


35 ans D éb u t d ’u n e lo ngue rela tio n avec celui qui
dev ien d ra son analyste, m aître et ami. F reu d et
F erenczi p a rta g è re n t en sem b le de no m b reu ses
vacances d ’été.
Ferenczi com m ence à ex erc er la psychanalyse
à B udapest.
C onférences de vulgarisation de la psychana­
lyse p o u r des m édecins.

1909 Voyage en A m érique avec F reu d e t Ju n g .


36 g.ns

1910 C ongrès de N u rem b erg . F o n d atio n de l ’Asso-


37 ans ciation In te rn a tio n a le de Psychanalyse (IPA ).
J u n g e n est le p re m ie r présid en t.

1911 T ra ite m e n t d ’Elma, la fille de sa fu tu re fem m e,


38 ans Gizella.
Fin 1911 : Ferenczi fait quelq u es sem aines
d ’analyse avec F reud.

1913 F erenczi fo n d e la Société H on g ro ise de Psycha-


40 ans nalyse.
P ublication d ’u n cas clinique : Le Petit Homme-
Coq.
N ouvelles séances d ’analyse avec F reud.
M obilisation com m e m éd ecin m ilitaire.
E bauche d ’u n e th éo rie d u co ït e t d u dévelop­
p e m e n t génital qui sera exposée plus ta rd dans
le livre Thalassa.

145
1918 Élu P résid en t d e l ’A ssociation In te rn a tio n a le
45 ans d e Psychanalyse.
1919 M ariage avec Gizella. Le couple n ’au ra pas
46 ans d ’enfants.
O uvre la p rem ière ch aire de psychanalyse à
l ’U niversité d e B udapest.
1921 P ublication des Prolongements de la technique
48 ans active en psychanalyse.
A oût : Ferenczi se re n d à B aden-B aden p o u r
re n c o n tre r G ro d d eck qui d e m e u re ra son am i
to u te sa vie.
1922 P résen tatio n de Thalassa : théorie de la génitalité
49 ans au C ongrès d e Berlin.
1923 P ublication d ’u n e série d ’observations clini­
50 ans ques, d o n t le Rêve du nourrisson savant.
F reu d est a tte in t d ’u n can cer de la m âch o ire.
G ro d d eck p u b lie le Livre du ça.
1924 P rem ière éd itio n de Thalassa : théorie de la géni­
51 ans talité.
C o au teu r avec O tto R ank des Perspectives de la
psychanalyse.
1926 70e anniversaire de F reud.
53 ans P rem ière re n c o n tre avec des analystes d e lan ­
gue française.
P ublication d e Contre-indications de la technique
active.
A b andon de la « tech n iq u e active » au p ro fit
de la « tech n iq u e d ’in d u lg en ce e t de relax a­
tion ».
P ublication des Fantasmes Gullivériens.
Voyage en A m érique.

146
S. Ferenczi

1927 R etour des Etats-Unis p a r L ondres.


54 ans A nnée de la fo n d a tio n de la Société Psychana­
lytique d e Paris.

1928 C onférence p u b liq u e à B udapest sur Elasticité


55 ans de la technique psychanalytique.

1929 P ublication de L ’E nfant mal accueilli et sa pul­


56 ans sion de mort.
P résen tatio n de la C o n féren ce Principe de
relaxation et néo-catharsis au C ongrès d ’O xford.
1930 P ublication d u Principe de relaxation et néo­
57 ans catharsis.
R édaction de la p rem ière p artie des Notes et
fragments.

1931 P ublication de l ’article Analyses d ’enfants avec


58 ans des adultes.
O u v ertu re d ’u n e p oliclinique psychanalytique
à B udapest.
R édaction des Réflexions sur le traumatisme.

1932 D éb u t d u Journal clinique.


59 ans R édaction de Confusion de langue entre les adultes
et l ’enfant.

1933 A utodafé de livres « anti-allem ands » à Berlin.


60 ans Refus d e p u b lie r Confusion de langue.

1933 D écès b ru tal de S ân d o r Ferenczi survenu à


24 mai l ’âge de 60 ans, à la suite de tro u b les respira­
toires provoqués p a r u n e aném ie p ernicieuse.

147
Choix
bibliographique

FERENCZI, S.,

Œuvres complètes, tom e I, tom e II, to m e III, et


tom e IV, Payot, 1982.

Journal clinique, Payot, 1985.

S ândor F erenczi - G eorg G roddeck, Correspondance,


Payot, 1982.

S igm und F reu d - S ân d o r Ferenczi, Correspondance,


tom e I, 1908-1914, Calmann-Lévy, 1992.

BRABANT-GERO, E., Ferenczi et l ’École hongroise de psycha­


nalyse, L ’H arm attan , 1993.

LORIN, C., Le Jeune Ferenczi. Premiers écrits 1899-1906,


A ubier, 1983.

Sândor Ferenczi (De la médecine à la psychanalyse),


P.U.F., 1993.

SABOURIN, P., Ferenczi, paladin et grand vizir secret,


E ditions U niversitaires, 1985.

148
Introduction
à r œuvre
de

GRODDECK

L. LE VAGUEBÈSE
La vie de Georg Groddeck
*
Groddeck, élève de Schweninger
*
Groddeck clinicien
*

La découverte du monde des symboles


*
Les conférences thérapeutiques de Groddeck
*

La première rencontre épistolaire avec Freud


*

Le dualisme de Freud et le monisme de Groddeck


*
Groddeck et la psychosomatique
*
L ’origine sexuelle de la maladie
*

Toute maladie est une création


*

La place de Groddeck dans le mouvement analytique

de son temps
*

Le Ça et les Ça de Groddeck
*

Conclusion
L a vie de Georg Groddeck

G eorg G ro d d eck est n é en 1866, soit dix ans après


F reud, dans u n p e tit village de Prusse, Bad Kôsen. En
cette seconde m oitié d u XIXe siècle, règ n e e n Prusse
u n e am biance cu ltu relle m a rq u é e p a r l ’asp iratio n à
u n e g ra n d e u r nouvelle de l ’E m pire qui ab o u tira, sous
l’im pulsion d u ch an c elier Bismarck, à la naissance de
l ’E tat allem an d *.
Son p è re éta it m éd ecin e t sa m ère évoluait, depuis
son enfance, dans les m ilieux intellectuels de l’ép o q u e.
D ern ier d e cin q enfants, G eorg était p récé d é dans la
fratrie p a r u n e sœ u r, Lina, plus âgée q u e lui mais
o ccu p an t c e p e n d a n t dans la fam ille la place d e la p etite
d ern ière. Elle devait ce privilège à u n e co n stitu tio n
fragile qui nécessitait de la p a rt de ses p aren ts des
soins constants. C ’est p ro b a b le m e n t en p artie à cause
de cette situ atio n fam iliale q u e G roddeck s’attach era

* Certains passages de ce chapitre ont été extraits de mon livre


Groddeck, la maladie et la psychanalyse, P.U.F., 1985. Nous remercions
les éditions P.U.F. de leur aimable autorisation.

153
plus ta rd à la co m p ré h en sio n des m écanism es de b én é­
fices p ro cu rés p a r u n e m aladie.
C onfié à u n e n o u rrice dès sa naissance e n raiso n de
l ’im possibilité de sa m ère à l’allaiter, G eorg fut, dès
ses p rem ières an n ées, plus ou m oins traité com m e sa
sœ ur. Il sera lon g tem p s habillé en fille e t c o n d u it à
la m êm e école q u e celle fré q u e n té e p a r Lina. C ette
é d u ca tio n d u je u n e G eorg re n d ra difficile l ’assom ption
de son id e n tité sexuelle.
U ne m orale assez stricte rég n ait au sein de la fam ille.
T o u te m arq u e de tendresse y apparaissait déplacée.
R appelons q u ’à cette ép o q u e, l ’éd u ca tio n des en fan ts et
des adolescents é ta it m arq u ée p a r u n e g ran d e rigidité.
E ducation « sc h re b é rie n n e », d u n o m de celui q u i en
fu t à la fois le th éo ricien e t le vulgarisateur, M oritz
S chreber, p ère d u célèb re « P résid en t S ch reb er », d o n t
le d élire servit à F reu d p o u r écrire son observation
d ’u n cas de p aran o ïa. M oritz S ch reb er « a p p liq u ait à
la pédagogie les m êm es p rin cip es de base que les
régim es totalitaires laïques o u religieux. C om m e eux,
il p en sait que, p o u r u n en fan t, ce qui co m p te avant
tout, ce so n t l’obéissance e t la discipline » 42. C ela nous
p e rm e t de m ieu x co m p re n d re certain es réactio n s et
certains co m p o rtem en ts u ltérieu rs de G roddeck, hési­
tant, selon les époques, e n tre l ’apologie de l ’o rd re et
la co n testatio n de celui-ci. A dolescent, on le v erra ainsi
lever l’é te n d a rd de la révolte e t se voir a ttrib u e r le
titre glorieux de « ro i des prisons », titre q u ’il devait à
son passage fré q u e n t dans le cach o t de l’étab lissem en t
scolaire o ù il d em eu rait.
Des difficultés éco n o m iq u es c o n tra ig n ire n t la fam ille
à p a rtir p o u r B erlin où G eorg com m ença, sur l ’invita­

154
G. Groddeck

tion de son p ère, des étu d es de m édecine. C o n fro n té


à la m o rt b ru tale de celui-ci, il trouva b ie n tô t en la
p erso n n e de l ’u n d e ses professeurs, l ’illustre D o cteu r
Schw eninger, u n n o uveau m o d èle e t u n idéal de
co n d u ite. La ré p u ta tio n de celui-ci p ro v en ait d ’u n
exploit p e u banal. Il avait réussi là o ù les autres avaient
éch o u é : faire céd e r l ’h o m m e le plus puissant d ’E u ro p e,
le ch an celier Bismarck. A l ’ép o q u e, la santé de ce
d e rn ie r s’était trouvée g ravem ent com prom ise p a r des
excès de toutes sortes. T ous les conseils de m o d ératio n ,
tous les soins propo sés p a r les divers m édecins appelés
auprès d u C h an celier s’éta ie n t révélés sans effets.
S chw eninger fu t le seul à p ouvoir im p o ser à Bismarck,
qui n ’e n voulait faire q u ’à sa tête, u n e hygiène de vie
très stricte qui lui a p ro b a b le m e n t sauvé la vie. C ette
réussite o b te n u e de h a u te lu tte, e t qui co n firm ait le
pouvoir absolu d u m éd ecin — fût-ce sur le plus p uissant
des m ortels — , assura d éfin itiv em en t la ren o m m ée
d ’E rnest Schw eninger.

Groddeck, élève de Schweninger

Schw eninger était en révolte co n tre les nouvelles


tendances m édicales de son ép o q u e. En effet, à cette
période, l’esp rit m êm e de la m éd ecin e trad itio n n elle
se trouvait bouleversé p a r le souffle de la nouvelle
m édecine scientifique d ’in sp iratio n p asteu rien n e. Q uel­
que chose de p ro fo n d dans la d ém arch e d u m éd ecin
était en train d e ch an g er. U n éq u ilib re, u n e certain e
m odalité de la p ratiq u e m édicale trad itio n n elle sem ­

155
b la ien t agoniser au p ro fit d ’u n e a p p ro ch e scientifique
d e la m aladie. Schw eninger to n n a it co n tre to u t cela,
car p o u r lui — e t ce p o in t est ab so lu m en t essentiel
— le m édecin n ’est pas u n scientifique, m ais u n artiste,
u n créateur. U ne telle co n cep tio n d u rô le d u m éd ecin
convenait to u t p a rticu lièrem e n t à G eorg q u i pouvait
ainsi réco n cilier les d eu x b ran ch es de sa fam ille. Le
re je t q u ’avait eu à subir son p ère p a r la belle-fam ille
s’en trouvait en q u elq u e sorte invalidé. E n effet, la
b ran ch e m a tern elle avait toujours co n sid éré de h a u t
le p ère, Karl G roddeck, q u i n ’était « q u ’u n m é d ecin »
e t n o n u n in tellectu e l o u u n artiste.

En ou v ran t la m éd ecin e d u côté de l ’a rt e t d u créatif,


c ’est to u te u n e m éd ecin e clinique élab o rée sur p lu ­
sieurs siècles qui, à travers Schw eninger, s’affirm e et
se d éfen d co n tre les nouvelles ten d an ces scientistes.
La d ém arch e causaliste d ’u n e m éd ecin e q u i m e t en
avant l’ag en t p ath o g èn e com m e seul fil c o n d u c te u r
p o u r la co m p ré h en sio n d u d é ro u le m e n t de la m aladie,
te n d à en éclipser les autres dim ensions. La d im en sio n
p ro p re m e n t h u m ain e, à la fois cu ltu relle e t langagière,
disparaît, to u t com m e se trouve m in o rée l ’im p o rtan ce
de l ’in sertio n de l’h o m m e au sein de son m ilieu cu ltu ­
rel. La place e t la fo n ctio n m êm es d u m é d ecin s’en
tro u v en t c o m p lè te m e n t bouleversées. Il n ’est plus ce
g u e tte u r a tte n tif de l ’osm ose subtile e n tre l’h o m m e e t
la n atu re , e n tre l ’h o m m e e t son destin, il est m a in te­
n a n t celui qui co m b at u n ag en t e x té rie u r q u ’il fau t
identifier, puis ex term in e r. C o n tre cette o rien tatio n ,
G roddeck ira b eau co u p plus loin en co re q u e Schw enin­
ger en faisant n o n seu lem en t d u m éd ecin u n créa teu r,
mais de la m aladie elle-m êm e u n processus créatif.

156
G. Groddeck

A uprès d e son m aître, G eorg G ro d d eck a p p re n d donc


la p h ilo so p h ie d ’u n e m éd ecin e q u i p rô n e la nécessité
d ’observer l ’h o m m e dans son m ilieu e t de ré d u ire le
poids d u diagnostic au p ro fit d ’u n e connaissance plus
intim e d u m alade, de ses p ro b lèm es e t de ses souffran­
ces.

S chw eninger p laid e, au p lan de l’attitu d e th é ra p e u ti­


que, p o u r u n e positio n de m aîtrise d u m éd ecin face
au m alade. C ’est le m éd ecin qui d écid e de tout, qui
sert de « m oi fo rt » au m alade e t qui l ’invite à ne pas
céd er au d é c o u ra g e m e n t ou à la te n ta tio n de l ’ab an ­
don, m ais l ’incite au co n tra ire à cro ire q u ’il p e u t g u érir
s’il le veut. C ette volonté d u p a tie n t n e p e u t s’appuyer
qup su r u n e confian ce aveugle e n son m éd ecin qui,
lui, se m o n tre sans failles, ni doutes, ni faiblesses.

P o u r le m éd ecin , le seul m aître, c ’est le m aître


absolu, la m ort, qu i seule le so u m et à sa loi. P ar
co n séq u en t, m algré cette figure fo rte q u ’il m o n tre au
p atien t, le m éd ecin ne d o it pas ig n o re r ses p ro p res
lim ites e t se p re n d re en q u elq u e sorte à son p ro p re
je u . A u co n tra ire, il d o it d e m e u re r p ru d e n t dans ses
actes, m esuré dans ses paroles, m odeste d evan t la d o u ­
leur, la m aladie e t la m ort. U ne m o rt q u ’il n e d o it
jam ais crain d re, acco m p ag n an t son m alade ju s q u ’au
b o u t de sa souffrance e t sans recu ler d ev an t au cu n e
épreuve.

D evenu, à la fin de ses études, l’assistant d e Schwe­


ninger, G ro d d eck a p p liq u era ces m êm es p récep tes to u t
au lo n g de sa vie p rofessionnelle. C ep en d an t, sa re n ­
contre avec la th é o rie psychanalytique e t la p e rso n n e de
Sigm und F reud, ainsi que les avancées de sa re c h e rc h e

157
clinique, d o n n e ro n t u n e d im en sio n nouvelle à son
a p p ro ch e de la m éd ecin e e t de la m aladie.

Groddeck clinicien

1900. Ce siècle s’a n n o n c e p a r u n év én e m en t m ajeur


p o u r l ’h u m a n ité : S ig m u n d F reu d p u b lie L'Interprétation
des rêves. A cette é p o q u e, G ro d d eck fait l’acquisition
d ’u n e p ro p rié té à B aden-B aden q u i d ev ien d ra u n lieu
de soin, le S anatorium . C ep en d an t, u n e p é rio d e tro u ­
blée s’ouvre p o u r lui. G ro d d eck a épousé u n e fem m e
divorcée, mais cette u n io n to u rn e vite à l’a ffro n te m en t
e t son m énage traverse u n e crise. S’a jo u ta n t à ces
difficultés conjugales, il d o it su b ir coup su r co u p la
m o rt de deux de ses frères e t de Lina, sa sœ u r p référée.
Les problèm es s’accu m u lan t, G ro d d eck se d é c o u ra ­
gea, su p p o rta n t sa vie plus q u ’il n e la vivait. Ainsi çéda-
t-il à la dépression. P o u r o u b lier tous ces deuils qui
l’a tteig n a ien t cru e lle m e n t e t de m an ière si ra p p ro c h é e ,
il s’investit de plus en plus dans le travail d ’écritu re,
p ro d u isit des essais e t p u b lia quelq u es articles scientifi­
ques.
Mais c’est su rto u t grâce à son travail clin iq u e q u ’il
p u t en fin co m m en ce r à so rtir de cette p é rio d e difficile.
E n 1909, G ro d d eck fit la connaissance d ’u n e m alade
que l ’o n co n n a ît sous le n o m d e Madame G. C ette
fem m e lui avait été adressée après avoir subi d eu x
graves opérations, e t se trouvait dans u n é ta t désespéré,
p ro ch e de la m o rt. Elle avalait u n n o m b re im p ressio n ­

158
G. Groddeck

n a n t d e m édicam en ts e t co n sid érait son séjo u r au Sana­


torium u n p e u com m e son ultim e recours. Aux p re ­
m iers soins prod ig u és, ré p o n d ire n t d ’ab o n d an tes
hém orragies intestin ales e t u térin es. Mais de cela G rod­
deck n e fu t pas a u tre m e n t surpris. Ce qui le frappa,
en revanche, c ’éta it la m a n ière d o n t elle parlait. Elle
utilisait en p articu lier m ille d éto u rs p o u r éviter de
p ro n o n c e r certains m ots : l ’arm o ire d ev en ait ainsi « le
truc p o u r ra n g e r les robes », et le tuyau de poêle,
« l’objet p o u r faire passer la fum ée ». C ertains de ces
objets devaient m êm e être écartés de sa vue, e t elle
en tra it v éritab le m en t en tran se lorsque q u e lq u ’u n en
face d ’elle m anifestait certain s tics com m e tirailler sa
lèvre o u bien jo u e r avec le g land d ’u n e chaise.
Face à cette curieu se b o n n e fem m e, G roddeck, à la
fois fasciné e t d ésarço n n é, re n o n ç a vite à lui a p p liq u er
ses sacro-saints p rin cip es de rig u e u r e t de m ise au pas.
En effet, nous dit-il, « j ’avais co u tu m e [à l ’ép o q u e]
d ’im poser avec u n e sévérité absolue m es rares o rd o n ­
nances : “ m o u rez p lu tô t q u e de transgresser m es pres­
criptions ” e t je n e plaisantais pas. J ’ai eu des m alades
de l’estom ac attein ts de vom issem ents o u de d o u leu rs
après l’ingestion d e certain s alim ents et je les ai n o u rris
exclusivem ent de ces alim ents ju s q u ’à ce q u ’ils eussent
appris à les s u p p o rte r ; j ’en ai forcé d ’autres, q u i é taien t
couchés à cause d ’u n e q u elco n q u e inflam m atio n vei­
neuse ou articu laire, à se lever e t à m a rc h er ; j ’ai soigné
des apoplectiques en les o b lig ean t à se p lie r tous les
jours en deux, e t j ’ai habillé des gens desquels je savais
q u ’ils devaient m o u rir dans p e u d ’h eu res e t les ai
em m enés se p ro m e n e r. » 43 U n co m p o rtem en talism e
avant la le ttre e n q u elq u e sorte.
*

159
L a découverte du monde des symboles

Mais avec M adam e G., tous ces p rin cip es e t ces


te ch n iq u es de persu asio n e t de rig u e u r s’av é re ro n t inef­
ficaces. En b o n clinicien, G ro d d eck s’in clin a e t se m it
in sen sib lem en t à p ercevoir a u tre m e n t le m o n d e de la
m aladie. Il fit la d écouverte de ce q u ’il allait ap p eler
les « symboles », c ’est-à-dire la co rre sp o n d a n c e existant
e n tre des m ots ou des objets usuels, e t des élém en ts
ayant tra it à la vie sexuelle. Ainsi découvrit-il q u ’u n
d o ig t levé pouvait « sym boliser » u n phallus e n érectio n ,
e t u n fo u r allum é, u n e fem m e a rd e n te e t p assionnée.

Dans u n article in titu lé « La co m p u lsio n d e symboli­


sation », G ro d d eck ex plique ce q u ’il e n te n d p ar
« sym bole ». « Q ue la m aison soit le sym bole d e l ’être
h u m a in e t plus p a rticu lièrem e n t de la fem m e, to u t le
m o n d e le sait. Mais il fau t so u lig n er ex p ressém en t que
l ’être h u m a in n e p e u t avoir eu l ’idée de l ’h a b ita t que
p a r u n e com pu lsio n in te rn e de sym bolisation e t que
dans la m aison il a re p ré se n té sym b o liq u em en t la
m atrice féco n d ée (...). P ar la voie de l ’association,
[apparaissent] de nouvelles im ages d u m o n d e h u m ain.
Le feu, la passion flam boyante, co n stru it le foyer,
sym bole de la cuisson e t fait cro ître l ’en fan t. »

« Mais au foyer s’associent le p o t, la cuillère, la tasse,


to u tes des im ages to u jo u rs nouvelles d u réce p tacle de
la fem m e. Le fo u rn e a u qui chauffe e n est issu, tandis
q ue la lu e u r d u feu a inventé la lam pe à huile, la
b ougie et la b o u ch e, cela sous la pression de l ’im age du
phallus qui s’im pose e n co re p a rto u t dans les am poules
électriques. Le co u teau ap p a re n té au p o ig n a rd , à la

160
G. Groddeck

lance, à to u te arm e, allégorise la p ercée de l ’hom m e


et, avec les ciseaux (fem m e qui ouvre ses cuisses) et
la fo u rc h e tte (m ain vagabonde de l ’o n an ism e), il est
issu d u com plexe de castration (...). La table est fo rm ée
d ’après la m ère n o u rric iè re ; l ’arm o ire, la copie
inconsciente de l ’onanism e. Les rid ea u x so n t des lèvres
de la vulve e t des hym ens, le tapis de m olles m uqueuses
et le lit, le je u m êm e de l ’am o u r : la fem m e y est la
couche, l ’ho m m e la cou v ertu re, fo n d u s en u n e u n ité
recé lan t l’enfant. » 44

D ans ce m ouvem ent, G ro d d eck m e t en ra p p o rt to u t


objet e t to u te action, soit avec u n e p artie d u corps et
essentiellem ent les o rg an es g én itaux, soit avec u n e
action en liaison avec la relatio n sexuelle, soit en co re
avec le ra p p o rt p ère-m ère-en fan t, e t fait ainsi d éco u ler
le m o n d e d e ce creuset.

O r, nous devons ici lever im m éd iatem en t u n e confu­


sion qui p o u rra it n a ître au sujet de ce term e de
« symbole ». C ar il n o u s fau t o p p o ser l ’utilisation faite
p ar G roddeck d u m o t « symbole » de celle o rd in aire­
m ent adm ise en psychanalyse, n o ta m m e n t avancée p a r
Lacan. Si l ’o n se réfère à l’usage « c o u ra n t », l’accep­
tion g ro d d eck ien n e d u term e de « symbole » est cor­
recte. Mais si l ’o n se réfère à la term in o lo g ie psychana­
lytique, plus p a rtic u liè re m e n t lacan ien n e, no u s devons
alors p récise r q ue lo rsq u e G roddeck p arle de symbole
ou de symbolique, c ’est p lu tô t au registre de l ’im aginaire
q u ’il fau t se référer, m êm e si, b ien évidem m ent, il n ’est
pas possible de su p erp o ser le c o n ce p t d ’im aginaire et
sa th éo risatio n lacan ien n e, avec ce q u e d écrit G roddeck
sous le term e d e symbolique.

161
A p a rtir de sa d écouverte d u symbolique, G roddeck
d éveloppera prog ressiv em en t u n e th é o rie de la m aladie
qui n ’est plus sim p lem en t la p ro lo n g atio n d e celle
élaborée p a r Schw eninger, mais la sien n e p ro p re . S’il
ne ren ie pas l ’id ée d ’u n h o m m e en osm ose avec son
m ilieu culturel, ainsi que la p o sitio n hygiéniste q u i en
découle, ce m ilieu n a tu re l lui p a ra ît so u d ain travaillé
p a r ce q u ’il ap p elle le symbole, soit, dans la term in o lo g ie
que nous avons ad o p tée a u jo u rd ’hui, Y imaginaire.

Les conférences thérapeutiques de Groddeck

Corps et âme
c ’est u n tout.
G. Groddeck

Le S anatorium d e B aden-B aden éta it p o u r G eorg


G roddeck à la fois son gagne-pain e t u n fo rm id ab le
ch am p d ’e x p é rim e n ta tio n e t de mise à l ’ép reu v e de
toutes les idées qui surgissaient en lui. L ’atm o sp h ère
qui y rég n ait éta it telle q u e ses p atien ts avaient su r­
n o m m é l ’en d ro it, le « S atanarium ».
Vers le m ilieu de 1916, après u n e brève p ério d e
m ilitaire, G roddeck, de re to u r chez lui, e n tre p re n d de
réaliser u n e série de co n féren ces d estin ées à ses m ala­
des. Ces réu n io n s qui se te n a ie n t le m e rc red i d ev in re n t
u n e véritable in stitu tio n à l’in té rie u r de l ’in stitu tio n .
G roddeck y p a rla it lib re m e n t en associant le plus sou­
vent à p a rtir d u m atériel q u ’il avait recu eilli au cours

162
G. Groddeck

de la sem aine, o u en s’ap p u y an t sur les questions q u ’il


sollicitait au p rès d e l ’assistance. L ’effet p ro d u it sur les
m alades se lisait dans leurs yeux. Ils é ta ie n t fascinés
par les talents d ’o ra te u r de G roddeck. P eu im p o rtait
au fo n d q u ’ils c o m p re n n e n t ou n o n le bien -fo n d é de
ce qui était dit. L ’en jeu sem blait ê tre ailleurs. L ’assis­
tance, en m ajorité fém in in e, croyait à ce q u e disait le
conférencier. Celui-ci, p o rté p a r sa parole, investi du
pouvoir charism atiq u e q u e lui co n férait l ’assem blée,
em p o rtait l ’a d h ésio n des plus sceptiques. Le b u t de
ces conférences était de c o n trib u e r au tra ite m e n t des
m alades à travers des exposés d ’en seig n em en t. Ce b u t
rép o n d ait au p rin cip e qui fera l ’originalité de l’œ uvre
groddeckienne : « C orps e t âm e c ’est u n to u t. »
Au cours de ces conférences, G roddeck ab o rd a it u n e
m ultitude de sujets divers e t variés. Il tâchait, p a r son
co m p o rtem e n t e t ses propos, de p ro v o q u er des réac­
tions e t des associations d ’idées chez ses p atien ts. En
outre, à travers cette p ratiq u e d ’en seig n em en t, G rod­
deck avait en tam é p o u r lui-m êm e u n e sorte d e « cure
de p aro le », dans l ’a tten te d ’u n e analyse d o n t il ne
bénéficiera, hélas ! jam ais.
Au S anatorium , sous l ’im pulsion p e rm a n e n te de
G roddeck, le m alad e est co n stam m en t bousculé, in te r­
rogé, délogé, p o u rrait-o n dire, d u co n fo rt assuré p ar
les hab itu d es e t la d u ré e d ’u n e m aladie ch ro n iq u e . S’il
en est ainsi, nous ex plique G roddeck, c ’est p arce que
le p rin cip e m êm e de la m aladie est de nous em p êch er
d ’accom plir des actes que nous ne désirons pas accom ­
plir o u d ’ép ro u v er des sensations (e n te n d re , voir...)
que nous n e vo udrions pas ressentir. Ce refus
inconscient (au sens d escrip tif de ce qui n ’est pas

163
conscient) e n tra în e des tro u b les d e l’o rg an e co n cern é.
Ainsi, u n e surdité survient p arce q u e le m alad e ne
veut pas e n te n d re telle p aro le, sa vue baisse p arce q u ’il
ne veut pas voir telle im age, etc.

E videm m ent, le n o m b re d ’im ages ou de p aro les que


ch acu n voit e t e n te n d dans la jo u rn é e est infini. C om ­
m e n t id e n tifier alors l’élé m e n t qui, p a r son reten tisse­
m e n t psychique, p a r l ’im p o rtan ce des co n n o tatio n s e t
évocations diverses, a p u p ro v o q u er u n tel p h é n o m è n e
de re je t e t de mise à l ’éca rt ? Seul le m alade est
susceptible de nous éclairer, ré p o n d G roddeck. N ous
reconnaissons déjà u n e p rem ière p a re n té avec la
m é th o d e psychanalytique : ce n ’est pas le m é d ecin qui
sait, m ais le m alade.

De plus, dans la p lu p a rt des cas, ajoute G roddeck,


ce que nous n e voulons n i voir, ni e n te n d re , n i é p ro u ­
ver est lié à la sexualité ainsi q u ’à l ’hypocrisie sociale
en ce do m ain e, e t plus p artic u liè re m e n t à celle qui
to u ch e à la sexualité fém in in e. Ces facteurs — sexualité
e t hypocrisie — a p p a rtie n n e n t d o n c à u n to u t au tre
registre q ue celui d ’u n m o n d e p eu p lé de bacilles et
de virus plus o u m oins m enaçants.

O n c o m p re n d b ie n alors co m m en t la d ém arch e grod-


d eck ien n e se ra p p ro c h e p e u à p e u de celle d e F reu d ,
su rto u t d u F reu d de la p rem ière ép o q u e, celle des
Etudes sur l ’hystérie, celle de la th é o rie de la séd u ctio n ,
celle où F reu d est à la rech e rc h e d ’u n év én em en t
trau m atiq u e d ’o rd re sexuel p o u r e x p liq u er l ’étiologie
des névroses, e t d ’u n e fru stratio n to u t a u ta n t sexuelle
p o u r ex p liq u er l’a p p aritio n des névroses d ’angoisse.

164
G. Groddeck

En 1916, la psychanalyse n ’était pas aussi ré p a n d u e


à travers le m o n d e q u ’elle ne l ’est a u jo u rd ’hui. C ep en ­
dan t, de n o m b re u x ouvrages avaient été publiés, e t le
nom d e F reud circu lait déjà dans les m ilieux m édicaux.
Des com m entaires critiques n o u rrissaien t les conversa­
tions. G roddeck avait e n te n d u p a rle r de F reud. Il avait
m êm e, en 1912, fo rm u lé d ans u n ouvrage p u b lié en
hom m age à E rn est Schw eninger, Nasamecu, certain es
rem arq ues critiques à l ’ég ard de la psychanalyse.
C ep en d an t, com m e il l ’avouera plus ta rd à F reud, il
ne connaissait alors la psychanalyse q u e p a r ouï-dire.
O r, m algré son in té rê t év id en t p o u r les découvertes
freu d ien n es, il ép ro u v ait de fortes réticences à p re n d re
co n tact avec le p ère de la psychanalyse, e t plus en co re
à se m êler à la h o rd e fre u d ie n n e . P o u r n o m m e r claire­
m e n t le s e n tim e n t qui l ’h ab itait, no u s co n clu ro n s sim­
p lem en t e n d isan t q u ’il était u n p e u ja lo u x . Il lui
faudra donc u n certain tem ps avant de s’a tte le r à u n e
lecture sérieuse des ouvrages analytiques, com m e L ’In­
terprétation des rêves ou la Psychopathologie de la vie quoti­
dienne.

L a première rencontre épistolaire avec Freud

En ju in 1917, G ro d d eck écrit u n e p rem ière le ttre à


F reud 45. Ce p re m ie r envoi se veut d ’ab o rd u n e le ttre
de p résen ta tio n , mais aussi d ’in terro g atio n . A près s’être
excusé des p ro p o s p e u am ènes sur la psychanalyse
co n ten u s dans Nasamecu, G roddeck en tam e le récit de
son p arco u rs p erso n n el, e t to u t d ’ab o rd de sa re n c o n tre

165
avec Madame G. A cette occasion, il an n o n c e à F reud
que les traitem en ts q u ’il e n tre p re n d so n t axés sur le
tran sfert e t sur la résistance. O n co n ço it q u ’u n e telle
e n tré e en m atière fû t p ro p re à séd u ire son in terlo cu ­
teur. Mais G ro d d eck se garde b ien d ’e n d ire davantage
sur ce sujet, e t en p articu lier d ’ex p liciter l ’usage q u ’il
fait de ces d eu x concepts. Il fait ainsi, dans u n p rem ier
tem ps e t à p e u de frais, acte d e soum ission, to u t en
se réservant p o u r l ’avenir.
A près avoir souligné q u e l ’o rigine de son irritatio n
p ro v en ait d u fait q u e la d écouverte de F reu d le privait
de la réalisation d u so u h ait d ’être créa teu r, c ’est-à-dire
au fo n d de deven ir en q u elq u e sorte u n e m ère, il en
vient à la questio n qui sem ble le p ré o c c u p e r le plus :
a-t-il ou n o n le d ro it de se d ire psychanalyste ?
P o u r étayer sa question, il souligne ce q u i le re n d
d iffére n t des autres. En p a rticu lier le fait q u ’il soigne
n o n pas des névrosés, mais des m alades attein ts d 'affec­
tions ch ro n iq u es. P o u rtan t, dans son esprit, il s’agit
b ien de la m êm e chose, mais il v o u d rait — d u m oins
est-ce le sens m anifeste de sa le ttre — e n avoir la
co n firm atio n p a r F reud.
Car, écrit-il, les psychanalystes s’in té re sse n t à la
névrose e t tra ite n t les névrosés, soit ! Mais la névrose
est, elle-m êm e, u n e m an ifestatio n d ’au tre chose, q u ’il
appelle le Ça. Et celui-ci, s’il p e u t à l ’occasion se
m anifester sous la form e d ’u n sym ptôm e hystérique
o u d ’u n e névrose obsessionnelle, p e u t to u t aussi b ie n
p re n d re la fo rm e d ’u n e p n e u m o n ie ou d ’u n cancer.
D onc, il n ’y a pas de raison de n e pas te n te r de soigner
ég alem en t ce type d ’affection p a r l ’in term éd iaire de
la psychanalyse.

166
G. Groddeck

C ep en d a n t, en é n o n ç a n t cette thèse qui lui est chère,


e t qui restera l ’œ uvre de sa vie, G roddeck hésite u n
peu. Il sollicite l ’avis de F reud, re d o u ta n t au fo n d to u t
a u ta n t sa d ésap p ro b atio n que son ap p ro b atio n totale
qui d é tru ira it c o m p lè te m e n t l’aspect « rév o lu tio n n aire »
de sa découverte.

La rép o n se de F reu d est rap id e e t en th o u siaste. Puis­


q u ’il utilise les n o tio n s de tran sfert e t de résistance,
il fait p artie, q u ’il le veuille ou n o n , de la h o rd e des
analystes. La seule réticen ce de F reu d p o rte sur la
banale asp iratio n de G ro d d eck à la p rio rité. Se ré fé ra n t
à ses p ro p res écrits 46, F reu d souligne q u ’il a lui-m êm e
déjà so u ten u l ’id ée q u e l’in co n scien t pouvait avoir u n e
action plastique in ten se sur les processus som atiques,
et que Ferenczi, à l ’ép o q u e p ro c h e p arm i les proches,
possédait lui aussi des d o n n ées q u i allaien t dans ce
sens. C om m ent, écrit-il, pouvez-vous vous a ttrib u e r la
p atern ité de cette d écouverte, alors que je suis au
m oins votre aîn é de dix ans ? Il rap p elle à G roddeck
que de to u te façon celle-ci est « dans l ’air », q u ’elle
est p résen te dans les conversations, les articles scientifi­
ques, e t ce, m êm e s’il n ’y est pas ex p licitem en t fait
référence. Q u ’il est d o n c possible q u e G ro d d eck ait
fini p a r s’en im p rég n er, sans q u ’il s’en re n d e com pte.
C ependant, cette a p p a re n te co m m u n au té d ’idées m as­
que en fait u n e p ro fo n d e in c o m p réh en sio n e t des diffé­
rences m ajeures. G ro d d eck e t F reud, au fo n d , n e se
ré fèren t pas à la m êm e chose. Et il sera b ie n tô t évident
q u ’il existe e n tre les d eu x hom m es des divergences
profondes q u a n t à le u r a p p ro ch e de la m aladie som ati­
que e t q u a n t aux rap p o rts fo n d a n t l ’éq u ilib re de l ’org a­
nisme h u m ain .

167
O r, la reconnaissan ce d e G roddeck, p a r F reu d , en
ta n t q ue su p erb e analyste, su r la foi d ’u n e sim ple le ttre,
a p p ara ît à nos yeux com m e p lu tô t in c o n g ru e . Il fa u t
ra p p e le r c e p e n d a n t que ce d e rn ie r éta it assez co u tu ­
m ier de ce g en re de geste e t se fiait plus à son im p res­
sion g én érale q u ’à des critères de q u alification claire­
m e n t établis 47.

Le dualism e de Freud et le monisme de Groddeck

La rép o n se ap p o rté e p a r F reu d aux q u estio n s posées


p a r G ro d d eck no u s p e rm e t de c e rn e r les p rin cip au x
points de désacco rd e n tre les d eu x hom m es. Ce qui
sépare d ’em blée F reu d e t G roddeck résid e dans la
référen ce, p e rm a n e n te e t co n stam m en t réaffirm ée p a r
G roddeck, à u n e co n ce p tio n m oniste to ta le m e n t co n ­
traire à la co n ce p tio n dualiste so u ten u e p a r F reud.
P o u r F reud, l ’ap p ro c h e m oniste de G ro d d eck est to u t
sim p lem en t à ra p p ro c h e r d u mysticisme. Il avertit G ro d ­
deck de se m éfier de cette p e n te qui sem ble l ’e n tra î­
n e r : « Vos expérien ces n e d ép assen t q u a n d m êm e pas
la reconnaissance d u fait q u e le fa c te u r psy a aussi
u n e g ran d e p o rté e in so u p ço n n ée d an s la co n stitu tio n
des m aladies org an iq u es. Mais cause-t-il seul ces m ala­
dies ? » Et il ajo u te : « certain em en t, l ’in c o n scien t est
la m éd iatio n co rrecte e n tre le c o rp o rel e t le spirituel,
p eut-être le missing link q u i a m a n q u é si lo n g tem p s ;
mais parce q ue nous l ’avons en fin p erçu , devons-nous,
p o u r cela, ne plus rie n ap ercev o ir d ’a u tre ? » 48.

168
G. Groddeck

Si, p o u r F reud, l ’in co n scien t a sû rem en t des effets


plastiques sur les processus som atiques, il rep résen te
n éan m o in s u n e instance a u to n o m e au sein d u psy­
chism e e n ta n t q u e n o tio n sép arée d u som atique. Ainsi,
« som atiser » est-il u n term e « analytique », en to u t cas
il le deviendra. Mais cette som atisation e n tre dans le
cadre de ce q ue l ’o n p o u rra it ap p e le r u n p rin cip e de
causalité psychique, p rin cip e q u i évoque p o u r nous
celui de causalité o rg an iq u e qui fo n d e la m éd ecin e
p asteu rien n e.

Les p e rtu rb a tio n s psychiques, év en tu ellem en t in­


conscientes, p ro v o q u eraien t des p ertu rb a tio n s dans le
corps suivant u n e action causale à sens u n iq u e. En
effet, s’il est vrai q u e le corps p e u t ég alem en t agir sur
le psychism e, il n ’y p ro d u it en réalité q u ’u n effet global
et m écan iq u e, com m e dans le cas d ’in to xications occa­
sio n n an t des hallu cin atio n s e t des délires, sans p o u r
cela agir sur le c o n te n u d e l ’idée o u de la pensée.
C om m e le re m a rq u e ju s te m e n t J. C h em o u n i, « psychéti-
ser, si l’o n p e u t oser cet affreux néologism e, ça n ’existe
pas. Il n ’existe en psychanalyse q u ’u n u n iq u e vecteur
o rien té dans u n e seule d irectio n . U ne action univoque,
im p liq u a n t dualism e e t actio n d é te rm in a n te d u psychi­
que sur l’o rg an iq u e » 49.

G roddeck so u tien t, au co n traire, u n e position


m oniste, d ’après laquelle psychique e t o rg an iq u e ne
sont q u e les d e u x form es d éterm in é es p a r u n e source
u nique : le Ça. La d ifféren ce est én o rm e.

F reud, à l ’ép o q u e, avait d éjà ad o p té u n certain n o m ­


bre d e positions im p o rtan tes e t auxquelles il se tie n t
ferm em ent. P arm i ces o p tions figure l ’ad h ésio n à la

169
m éd ecin e de son tem ps qui a relég u é aux registres de
l ’H istoire la co n ce p tio n d e l ’être h u m a in com m e créa­
tu re divine, e t de la psyché com m e te rrito ire de l ’âm e.
Il accepte e t so u tie n t la d im en sio n dualiste d e la m é d e­
cine d ’alors, to u t en la com plexifiant. Le dualism e lui
sem ble indispensab le p o u r co n so lid er son élab o ratio n
th é o riq u e e t éviter de so m b rer dans le mysticisme.
Risque d o n t il avait d éjà averti G roddeck. A travers
ces positions, F reu d reste u n h o m m e p ro fo n d é m e n t
en acco rd avec la m é d ecin e scientifique de son tem ps.
Son passé de n europhysiologiste, son travail de
re c h e rc h e en la b o ra to ire doivent être ici rap p elés, de
m êm e q ue son passage à la p ratiq u e clinique, m otivée
p a r la nécessité de g ag n er ra p id e m e n t sa vie. P o u r
G roddeck, c ’est au co n tra ire la m é d ecin e clin iq u e qui
dom ine. Il est l ’h é ritie r d ’u n e trad itio n m éd icale qui
plonge ses racines d an s la n u it des tem ps, e t d o n t la
p ratiq u e repose fo n d a m e n ta le m e n t sur u n e rela tio n
com plexe de l ’h o m m e avec la n a tu re , h o rs de to u t
dualism e. Si F reu d saisit b ien l’in té rê t q u e re p ré se n te
la d ém arch e d e G roddeck, il en p e rç o it aussi tous les
risques, e t n o ta m m e n t la difficulté d ’é la b o re r u n e th é o ­
rie dans ce cham p n o n dialectisable. Les erran ce s th é o ­
riques de G rodd eck n e p o u rro n t que re n fo rc e r sa
conviction sur ce p o in t.

Groddeck et la psychosomatique

H a b itu elle m en t o n d it d e G ro d d eck q u ’il est le p ère


de la psychosom atique. R ien n ’est plus faux. C om m e

170
G. Groddeck

l’in d iq u e celui qui, en F rance, fit c o n n aître la p en sée


de G eorg G roddeck, R oger L ew inter : « Le term e m êm e
de psychosom atique, qui n ’est pas de G roddeck, consa­
cre la division d e l’h o m m e en u n corps e t u n e âm e,
ce dualism e c o n tre leq u el G ro d d eck n ’a cessé de s’éle-
ver. » 50u
A u jo u rd ’hui, o n a l ’h ab itu d e de classer les m aladies
en d eu x groupes, o rg an iq u es et psychiques, classifica­
tion qui s’ap p u ie sur le dualism e co rp s/p sy ch é d o n t
nous avons d it q u ’il se tro u v ait au p rin cip e m êm e de
la m éd ecin e m o d e rn e e t sur leq u el F reu d assied sa
théorie. D ’u n côté, d o n c, on trouve le g ro u p e des
m aladies o rg an iq u es dans leq u el so n t incluses égale­
m en t les m aladies n eu ro lo g iq u es, les syndrom es toxi­
ques (toxicom anies alcooliques, m éd icam en teu ses, etc.)
qui p eu v en t p ré s e n te r des p ertu rb a tio n s d u c o m p o rte­
m ent e t d u fo n c tio n n e m e n t psychique. De l ’au tre, on
trouve le g ro u p e des m aladies psychiques o u m entales
qui se m an ifesten t p a r des anom alies d u co m p o rte m e n t
et des troubles d u cours de la pensée. Les traitem en ts
de ces m aux resten t, eu x aussi, b ien distincts e t spécifi­
ques. Le g ro u p e des m aladies org an iq u es relève d u
traitem en t ch iru rg ical o u m éd icam en teu x , tandis que
le groupe des m aladies psychiques re q u ie rt l ’actio n des
m édicam ents psychotropes o u des te ch n iq u es rela tio n ­
nelles ou co m p o rtem en tales.
Dans cette classification, u n certain n o m b re d ’affec­
tions reg ro u p ées sous le vocable de « psychosom ati­
ques » ne tro u v en t pas u n e place certain e, car celles-ci
relèveraient des d eu x catégories à la fois. Elles seraien t
psychiques p a r le u r o rig in e e t som atiques p a r leurs
m anifestations. U n e telle d ich o to m ie, si elle satisfait

171
assu rém en t le p résu p p o sé d u clivage c o rp s/p sy ch é, ne
résiste g u ère à la réflexion. L ’in tricatio n d e ces deux
entités est p e rm a n e n te e t com plexe dans ch aq u e mala­
die quelle q u ’elle soit, e t ch ac u n le re c o n n a ît im plicite­
m ent. Ainsi, les affections dites psychiatriques possè­
d e n t év id em m en t u n su b strat o rg an iq u e id en tifié ou
n o n qui p e rm e t d ’ex p liq u er les tro u b les en term es
physico-chim iques.
De m êm e, les m aladies dites o rg an iq u es n e résu lten t
pas d ’u n e sim ple in teractio n e n tre u n ag en t p ath o g èn e
e t l’organism e. A ucun m éd ecin n e so u tie n d ra it au jo u r­
d ’h u i u n e ap p ro c h e aussi sim pliste. P o u rta n t cette
ap p ro ch e , m êm e si elle co n d u it à des im passes logiques
e t n ’est so u ten u e c o n c rè te m e n t p a r au cu n m édecin,
reste a ctu ellem en t le fo n d e m e n t dualiste d e la m éd e­
cine m o d e rn e , ju s q u ’à l’ap p a ritio n d ’u n e nouvelle
o rie n ta tio n qui serait plus satisfaisante.
G roddeck to u rn e le dos à cette th é o risatio n dualiste
e t affirm e son o p p o sitio n , b ie n avant sa re n c o n tre avec
F reu d e t la psychanalyse. Sa p o sitio n fig u re dès la
p rem ière page des Conférences psychanalytiques à l ’usage
des malades ; dans le deu x ièm e c h ap itre d u Livre du Ça,
ainsi que dans sa p rem ière le ttre à F reu d : « C orps et
âm e c ’est u n to u t. L ’être h u m a in n ’a pas d eu x fo n c­
tions, je n e reco n n ais pas u n m al d u corps. » 51

L ’origine sexuelle de la maladie

T oujours à p a rtir de sa p o sitio n m oniste, G ro d d eck


s’in te rro g e : la m aladie a-t-elle u n b u t et si o u i leq u el ?

172
G. Groddeck

R é p o n d an t à cette q u estio n p a r l ’affirm ative, il in d iq u e


que le b u t ch erc h é p a r la m aladie p e u t être précisé
en observant le m o d e d u sym ptôm e. Si u n p a tie n t
souffre de m aux de tête, ceux-ci l’e m p ê c h e n t de
réfléchir e t de p en ser. Le b u t de la m aladie d o it d o n c
bien ê tre celui-là. De m êm e si q u e lq u ’u n est pris de
vom issem ents, c ’est q u ’il y a q u elq u e chose q u ’il ne
veut pas m anger, s’il a des d iarrh ées c ’est q u ’il ch erch e
à élim in er q u elq u e chose, s’il est constipé c ’est q u ’il
veut au co n tra ire conserver q u elq u e chose. P o u r G rod­
deck, la cause n ’est jam ais u n iq u e , mais le plus souvent,
en m e tta n t au jo u r l ’u n e de ces causes, cela suffit, dans
la p lu p a rt des cas, à faire d isp araître le sym ptôm e 52.
D ’ailleurs G ro d d eck se soucie p e u au fo n d de savoir
si’ce b u t existe o u pas, ce qui lui im p o rte, c ’est q u ’en
p ro céd an t de la so rte on puisse aid er le m alade. P o u r
connaître le b u t d e la m aladie, il faut d o n c observer
le sym ptôm e, mais cela n e suffit pas toujours. O n d o it
alors in te rro g e r d ire c te m e n t le m alade. Celui-ci dans
un p re m ie r tem ps évite de ré p o n d re . Il p en se q u ’on
l’accuse de sim ulatio n e t q u ’on ch erc h e à le p re n d re
en défaut. Il se révolte à l ’idée q u ’o n puisse im ag in er
q u ’il souffre p a r plaisir. P o u rtan t, si l ’o n parv ien t à
franchir ce p re m ie r obstacle, le p a tie n t p e u t c o n d u ire
le th é ra p eu te à la so lu tio n re c h e rc h é e 53.
P our G roddeck, en c h e rc h a n t à d éco u v rir ce b u t,
on tom be p resq u e to u jo u rs sur u n e o rigine sexuelle.
A son avis, l ’ê tre h u m a in d o it sans a rrê t ré p rim e r des
pensées et des besoins ayant u n lien é tro it avec la
sexualité, e t c ’est de cette rép ressio n fo rcen ée e t alié­
nante que naît, selon lui, la m aladie. En effet, les
pensées sexuelles so n t in h é re n te s à l’h om m e. Elles so n t

173
naturelles. De plus, a u to u r de lui, to u t vien t lui rap p e­
ler cette p ré é m in e n c e de la sexualité, e t p ro v o q u er
cette excitation q u ’il rép rim e. P o u r q u ’il p arv ien n e à
su p p rim er to ta le m e n t cette excitation, il fa u d ra it q u ’il
ferm e en p e rm a n e n c e les yeux e t se b o u ch e les oreilles,
q u ’il a rrê te de sentir, de ressen tir, e t su rto u t de penser.
G roddeck fait alors la su p p o sitio n que, dans cet effort
de répression, l’h o m m e fait taire l ’o rg an e sensoriel qui
lui p ro cu re la plus g ran d e p a rt d ’excitatio n e t q u ’il
o b tie n t ce ré su lta t grâce aux divers sym ptôm es q u ’il
déclenche. Mais ch aq u e o rg an e é ta n t u tile à u n e foule
de choses d ifféren tes, il est difficile de p récise r a priori
celle qui est visée. C ’est la raison p o u r laq u elle G rod­
deck est obligé de p o ser d ire c te m e n t la q u estio n au
m alade 54.

Toute maladie est une création

N ous avons vu co m m en t, dans la c o n ce p tio n de


Schw eninger, le m éd ecin po u v ait a p p ara ître com m e u n
artiste. P o u r G roddeck, c ’est davantage le m alad e o u
le Ça d u m alade qui est u n créateu r. Aussi, to u te
m aladie doit-elle être assim ilée à u n e créatio n . C ’est
dire q u ’u n e m aladie n ’est pas n écessairem en t à co m b at­
tre ; il p e u t exister de b o n n es m aladies. A u cours de
l’u n e de ses con féren ces psychanalytiques, G ro d d eck
d éclarait en effet : « Il vaut to u jo u rs m ieu x p ro d u ire
u n e m aladie in téressan te q u ’u n tab leau m éd io cre. »

174
G. Groddeck

La m aladie est d u côté des pulsions de vie, d u côté


de l ’expression de ce q u i est le plus essentiel en nous.
Mais elle est aussi, e t c ’est le revers de la m édaille, la
m arque d ’u n conflit, d ’u n sen tim en t de culpabilité
en racin é dans l ’enfance. Les m aladies trad u isen t n o tre
m alh eu r de n e pouvoir être l ’e n fa n t m erveilleux que
nous étions dans l ’im aginaire de nos p aren ts e t qui
constitue le fo n d de n o tre m oi-idéal ; elles peu v en t
nous c o n d u ire au seuil de la m ort.
La m aladie n e vient pas de l ’ex térieu r, elle vient
donc d ’u n conflit in tern e. Il est ab su rd e de co n sid érer
que l’être h u m a in puisse être le sim ple je u des agres­
sions extérieures. N on, s’il tom be m alade, c ’est q u e cela
ap p araît à ses yeux com m e u n e solution éco n o m iq u e
à ses problèm es. La m aladie le p ro tèg e d ’u n e foule
d ’agressions e t d e difficultés. De plus, ch acu n traite le
m alade avec plus de d o u ceu r, e t il éch a p p e ainsi à de
nom breuses co n train tes. G ro d d eck s’est to u jo u rs refusé
à co n sid érer la m aladie com m e le résu ltat de la re n ­
contre d ’u n individu avec u n bacille. D ’ab o rd , nous
dit-il, p arce q ue des bacilles, il en traîn e p arto u t. D onc
to u t le m o n d e devrait être m alade to u t le tem ps. O r
seuls certains individus so n t atteints, e t ce, au cœ u r
m êm e des pires épidém ies. C o m m en t cela se fait-il,
alors q u ’à l’évidence tous so n t soum is au m êm e envi­
ro n n e m e n t in fectieu x ? La rép o n se est claire : c ’est
parce q u ’à l’o rig in e se trouve l ’individu lui-m êm e et
non pas le m ilieu dans leq u el il vit.
Mais, face à la m aladie, q u e p e u t le m éd ecin ? Son
attitude d o it avant to u t être m odeste. Son o b jectif est
de trouver, avec l ’aide d u m alade, le sens caché —
fût-ce au m alade lui-m êm e — des sym ptôm es q u ’il

175
p résen te e t de c o n stitu er u n espace m a tern el o ù le
conflit p o u rra s’élab o rer. C ar to u te m aladie est en
relatio n avec la m ère e t le d ésir d u m alad e est de
revenir vers elle dans u n e rela tio n asexuée. La g u ériso n
enfin sera p o u r le m éd ecin sa m eilleu re réco m p en se.
C ’est au fo n d son o b jectif u n iq u e , p o u rrait-o n dire.
C o n tra ire m e n t à l ’analyste p o u r q u i la g u ériso n s’ob­
tie n t « de su rcro ît », p o u r G ro d d eck la g u ériso n est le
b u t e t la raison m êm e de sa d ém arch e.

L a place de Groddeck dans le m ouvem ent


analytique de son temps

En raison de son ap p ro c h e originale e t d u caractère


p articu lier de sa clin iq u e cen trée su r les m aladies orga­
niques à caractère c h ro n iq u e , mais aussi d u fait de sa
situation g éo g rap h iq u e, G ro d d eck o ccu p era u n e place
à p a rt dans le m ilieu analytique. M em bre d e l ’Associa­
tion Psychanalytique de B erlin dès 1920, il y p re n d
d ’em blée u n e position de fran c-tireu r, sous la p ro te c ­
tion to u jo u rs reno u v elée de F reud. En effet, G ro d d eck
refuse de se discipliner. Il voit d ’u n œ il p lus que
critique ses collègues psychanalystes e t ceux-ci en
re to u r le lui re n d e n t b ien , à l ’ex cep tio n n o ta b le de
S ândor Ferenczi, q u i sera n o n seu lem en t son am i e t son
p atien t, mais en co re son co n fid en t. G roddeck tie n d ra
Ferenczi p o u r son in te rlo c u te u r privilégié q u a n d il lui
confiera ses difficultés avec F reud, e t plus g é n é ra le m e n t
avec l’ensem ble d u m ilieu analytique. C ette a ttitu d e

176
G. Groddeck

provocatrice et anti« n o m e n k latu ra » c o rre sp o n d ra it à


u n e sorte de secon d axe de la m o d e rn ité de G roddeck.
Il ne m âche pas ses m ots, n i p o u r d é n o n c e r les stru ctu ­
res bureaucratisées, n i p o u r a b o rd e r fra n c h e m e n t les
problèm es de sexualité. F reu d le q ualifiera de « psycha­
nalyste rabelaisien ». R econnaissons q u e l ’im age est
plaisante.

A ce propos, il est vrai q u e G roddeck n e recu le pas


devant le fait d e p a rle r de m astu rb atio n , d ’h o m o sex u a­
lité, et s u rto u t de s’im p liq u e r en p a rla n t à la p rem ière
p erso n n e, c ’est-à-dire en d isan t to u t h a u t n o n pas
« l’hom osexualité est au c œ u r de to u t h o m m e », mais
« j ’ai eu à telle ép o q u e des désirs hom osexuels, je m e
suis m asturbé, etc. ». Ce n ’est év id em m en t pas to u t à
fait la m êm e chose de fo rm u le r « to u t h o m m e a des
pulsions hom osexuelles », e t d ’avancer « j ’ai des te n ­
dances hom osexuelles ». Cela n ’engage pas d e la m êm e
m anière.

G roddeck s’a ttaq u e é g alem e n t de fro n t à la resp ecta­


bilité naissante, aux allures de su p ério rité scientifique,
qui com m ence à se faire jo u r dans les m ilieux analyti­
ques. Voilà ce q u ’il d it de cette co m m u n au té analytique
et des instances d e reco n n aissan ce qui progressivem ent
se m e tte n t en place à l ’In stitu t de B erlin, e t serv iro n t de
m odèles à l ’A ssociation Psychanalytique In te rn a tio n a le :
« Si l ’A ssociation psychanalytique tie n t à conserver son
im portance, ou p lu tô t si elle tie n t à la reg ag n er, il
faut q u ’elle re n o n c e à v o uloir étab lir des articles de foi,
statuer avec su p erb e, jo u e r à la com m ission d ’exam en. »

G roddeck re p re n d à p ro p o s de la psychanalyse les


mêmes p rin cip es q u e son m aître Schw eninger ap p li­

177
q u ait à la m édecin e. Est psychanalyste celui q u i se sent
psychanalyste e t n o n pas celui qualifié selon les critères
d u savoir universitaire e t m oins en co re selon ceux
de la respectabilité bourgeoise. N éan m o in s, se sen tir
psychanalyste n e signifie pas p o u r a u ta n t q u e n ’im p o rte
qui est analyste e t q u ’il suffit de l ’a n n o n c e r à la can to ­
nade.
D ’au tre p art, il fau t signaler aussi q u ’il jo u a it parfois,
en raison de son élo ig n em e n t g éo g rap h iq u e e t de sa
p ratiq u e originale, le rôle de d e rn ie r reco u rs p o u r
les échecs th é ra p eu tiq u es. Ses collègues psychanalystes
pou v aien t c o n tester sa th é o rie o u n ie r ses succès th é ra ­
peutiques, mais ils n ’h ésitaien t pas c e p e n d a n t à lui
ad resser assez fré q u e m m e n t des cas supposés in cu rab les
o u face auxquels ils avaient eux-m êm es éch o u é . S ân d o r
F erenczi o ccu p e ra lui aussi cette place de d e rn ie r
reco u rs p o u r ces p atien ts difficiles d o n t p lus p erso n n e
ne voulait. C ’est u n aspect év id em m en t im p o rta n t à
re te n ir q u a n d o n s’attach e à co m p re n d re ce q u i pous­
sait F erenczi e t G ro d d eck aux confins de la rech e rc h e
clinique, to u t e n p e rm e tta n t aux autres analystes de
se c a n to n n e r dan s les d o m ain es o ù la p ra tiq u e psycha­
nalytique avait d éjà fait les preuves de son efficacité
e t d o n n é satisfaction.

178
G. Groddeck

Le Ça et les Ça de Groddeck

Le Ça désigne et ne peut désigner


rien d ’autre que la totalité du vivant
dans l ’être individuel à partir de sa conception.
G. Groddeck

Il p e u t sem bler p arad o x al de situ er cette n o tio n à


la fin de ce ch ap itre, alors q u ’il s’agit d ’u n e qu estio n
essentielle p o u r G roddeck, q u estio n qui se trouve au
p rin cip e m êm e de sa p o sitio n th é ra p e u tiq u e e t q u i fait
son originalité. En fait, il nous a p a ru nécessaire, avant
de d o n n e r u n e d éfin itio n d u Ça, d ’étu d ie r celui-ci en
, situation. De cette m an ière, les choses nous paraissen t
plus faciles à co m p re n d re. G ro d d eck d ’ailleurs n e p ro ­
cédait pas au tre m en t, plus en clin à d o n n e r des exem ­
ples q u ’à fo u rn ir les défin itio n s des term es q u ’il u tili­
sait. M algré tout, tô t o u tard , il était b ien obligé d ’en
venir là, e t nous avec lui.

Ainsi donc, le Ça désigne, p o u r G roddeck : « La to ta­


lité d u vivant dans l ’être individuel à p a rtir de sa
co n cep tio n (...), le Ça est q u elq u e chose d ’ab so lu m en t
d iffére n t de ce q ue j ’ai ap p elé le v égétatif (...). Il est
utilisé p a r F reu d dans u n au tre sens. » 55. L ’in co n scien t,
lui, recouvre to u t ce qui a été refo u lé e t n e p e u t
accéd er à la conscience. Associé au conscient, il fo rm e
ce que G ro d d eck ap p elle la « psyché », term e q u i s’o p ­
pose, p o u r lui, n o n pas au corps mais au végétatif.

A l ’ég ard d e la p a te rn ité d u vocable de Ça, rap p elo n s


que c ’est G roddeck q u i fu t le p re m ie r à l’in tro d u ire
dans la th é o rie ; F reu d l ’a lui-m êm e reco n n u , to u t en

179
d e m a n d a n t assez p e rfid e m e n t à G ro d d eck si, p ar
hasard, il n e l ’au ra it pas pris chez N ietzsche.
O n a voulu o pp o ser, ce qui est n atu re l, le Ça de la
th éo rie de G ro d d eck au Ça de la th é o rie fre u d ie n n e ,
en faisant de l ’au to n o m ie d u Moi le p o in t c en tral de
leurs divergences. Selon ce p o in t de vue, le M oi serait
u n e instance p artie lle m e n t a u to n o m e chez F reu d , et
in tég ré au Ça chez G roddeck. En fait, si l’o n ad o p te
cette m an ière de voir les choses, o n s’a p erç o it vite que
les positions so n t m oins tran ch ées q u e les ap p aren ces
p o u rra ie n t le faire croire. C ertes, p o u r F reu d , le Moi
constitue u n e instance séparée d u Ça. P o u rta n t, un
des aspects de sa th é o rie te n d à faire d u M oi u n e
sim ple te n d a n c e adaptative d u Ça, visant à p e rm e ttre
u n e in sertio n d u sujet d an s la réalité. E n o u tre , l’u n
des caractères essentiels de la d eu x ièm e to p iq u e est
de re n d re plus riches, plus com plexes, les m écanism es
de fo n c tio n n e m e n t d u Moi. Celui-ci se voit soum is à
des processus prim aires, c ’est-à-dire à ceux fo n ctio n ­
n a n t dans le Ça. De plus, le m oi est d é c rit com m e
é ta n t le siège de résistances inconscientes. Il occu p e
p a r c o n séq u en t u n e place p ro ch e de celle o ccu p ée p a r
le Ça dans la th é o rie de G roddeck, n o ta m m e n t lorsque
ce d e rn ie r p arle, à p ro p o s des m aladies, d u caractère
retors d u Ça e t de la nécessité de n ég o cier avec lui.
En fait, la véritable o p p o sitio n est ailleurs, e t la
d éfinition d u Ça d o n n é e p a r G ro d d eck n e p e u t laisser
au cu n d o u te à ce sujet. P o u r lui, le Ça n ’est pas une
instance psychique. C ’est là u n e d o n n é e co n stan te de
la th é o rie g ro d d eck ien n e. G ro d d eck co m b at avec la
d e rn iè re én erg ie la place d o m in an te a ttrib u ée à la
psyché, ainsi q u ’au cerveau com m e lieu de p ro d u c tio n

180
G. Groddeck

de la pensée. C ’est, dit-il, le Ça qui crée le cerveau et


n o n l ’inverse. Le Ça n ’est pas n o n plus le missing link,
le ch a în o n m a n q u a n t e n tre le corps e t l ’esp rit d o n t
p arle F reud. Il est la force vitale dans son acception
g o eth éen n e. Le Ça g ro d d eck ien n ’est pas le lieu du
refoulé, il est b ie n p lu tô t la N atu re o u le D ieu-N ature
de G oethe.
O n voit bien q u ’il y a là plus q u ’u n e sim ple diver­
gence e n tre F reu d e t G roddeck, il y a u n e opp o sitio n
de fo n d , u n e d ifféren ce radicale e n tre les d eu x co ncep­
tions.
*

Le Ça dirige tel u n m aître d ’œ uvre la co n stru ctio n


de l’organism e, l ’em bryogenèse, la m o rp h o g en èse. O n
p eu t se le re p ré s e n te r com m e u n e so rte de code g én éti­
que qui g ard e ra it en lui la m ém o ire de d eu x cellules
sexuées qui a u ra ie n t p articip é à sa co n cep tio n . Car
p o u r G roddeck, le Ça est fo n d a m e n ta le m e n t bisexuel.
O n n o te ra au passage q u e ce th èm e de la bisexualité
se retrouve é g alem e n t très fré q u e m m e n t chez Freud.
T outefois, cette référen ce à u n e co n stitu tio n
bisexuelle trouve sa lim ite dans la du alité q u ’elle ins­
taure e t q ue G ro d d eck co n tin u e p o u r sa p a rt à refuser.
O n voit ici c o m m en t sa th éo rie re n c o n tre , e t à la fois
co n to u rn e , la qu estio n fo n d am e n tale de la différence
des sexes e t ce q ue l ’on n o m m e le com plexe de castra­
tion. Sur cette b u tée, c ’est to u te la th éo risatio n de
l’in co n scien t qui est rem ise en question.
D ’u n e façon plus globale, on p e u t ajo u ter que, p o u r
G roddeck, toutes les lim ites d u Ça so n t arbitraires,

181
m ultiples, variées à l ’infini. C ette m u ltip licatio n des
lim ites visant à ab ro g er, o u à re n d re floue, la n o tio n
m êm e d e lim ite, cette m u ltip licatio n évoque u n in sta n t
l ’infini des possibilités ouvertes p a r le langage. Mais si
l ’on suit la logique g ro d d eck ien n e, le langage dev ien t
lui-m êm e assim ilable à u n e stru ctu re im aginaire.
E coutons G rod d eck : « O n d irait m êm e q u ’il se fo rm e
des Ça feints, vivant de le u r m ystérieuse existence, b ien
q ue l ’o n p o u rra it d ire d ’eux q u ’ils n e so n t q u ’appa-
ren ce e t nom s. C ’est ainsi q u e j e suis obligé, p a r exem ­
ple, de p ré te n d re q u ’il y a u n Ça de la m oitié supé­
rieu re e t de la m oitié in férieu re d u corps, u n au tre
de la d ro ite e t de la g auche, u n d u cou e t de la m ain,
u n de l ’espace vide d e l’ê tre h u m a in e t u n de la
surface de son corps. Ce so n t des en tités ; o n p o u rra it
presq u e im ag in er q u ’elles naissen t de p en sées, de
conversations, d ’actes, voire q u ’elles so n t des créatio n s
de cette in tellig en ce ta n t vantée. »

Conclusion

Q ue re te n ir de G ro d d eck e t de son œ uvre ? D ’ab o rd


ses aspects positifs. Sa très g ran d e capacité à re n d re
sensible, aux lecteu rs de ses ouvrages, la richesse co n te­
n u e dans la m aladie com prise com m e acte c ré a tif de
l’individu dans sa rela tio n au m o n d e e t à la n atu re .
L ’im p o rtan ce q u ’il fau t acco rd er à la d im en sio n n o n
consciente, aux lim ites d u m oi, des sensations sexuelles
précoces (la sexualité des enfants n ’est pas p o u r G rod-

182
G. Groddeck

deck u n vain m o t). A cet égard, il sera m êm e u n


p ré c u rse u r de la d escrip tio n de la relatio n p réco ce
m è re /e n fa n t, ainsi q u e de la nécessité de p o rte r a tte n ­
tion aux relations in tra-u térin es d u fœ tus.
Son caractère fo u g u eu x e t en jo u é, son côté
anarchiste e t d o n q u ic h o ttesq u e (figure à laq u elle il
s’identifie volontiers) en fo n t u n p erso n n ag e atta c h a n t
e t sym pathique. Sa lu tte co n tre le conform ism e naissant
au sein des instances analytiques est ég alem en t à m ettre
à son actif.
Côté négatif, il fau t dire u n m o t des p ro p o s racistes
que G roddeck a ten u s à certains m o m en ts d e sa vie.
La p u b licatio n de Nasamecu, l ’ouvrage q u e G roddeck
a* publié en ho m m ag e à Schw eninger, a pro v o q u é lors
de sa p aru tio n en F rance u n e véritable révolte de la
p art de ceux qu i ju s q u ’alors l ’avaient so u ten u . Ces
propos, m êm e si o n le d ép lo re, fo n t aussi p artie d u
personnage. V olontiers excessif, parfois ju s q u ’à l ’ab­
surde, co n trad icto ire, en tier, g én éreu x souvent, mais
aussi parfois fra n c h e m e n t abject, passant sans tran sitio n
de l ’apologie de l ’o rd re à celle d u d éso rd re e t de la
spontanéité, de la gén éro sité e t de l ’h u m an ism e le plus
total à u n e p en sée obtuse, raciste e t discrim inatoire.
Ainsi en est-il de cet a u te u r d o n t la com plexité
d éco n c ertera plus d ’u n lecteur. C om m e l’écrit Guy
Scarpetta dans u n article p u b lié dans le q u o tid ien Le
Monde : « Les intellectuels, nous dit-on ici, se so n t to u ­
jo u rs tro m p és ; ils o n t été les com plices des pires idéo­
logies totalitaires. » La q u estio n de fo n d est ailleurs :
« L’u n e des fonctio n s essentielles de la litté ra tu re est
de dire le mal, d ’ex p o ser l’envers o u le n o n -d it de ce
qui soude positivem ent les co m m u n au tés ; de ra p p e le r

183
q u ’il y a to ujours au-delà des discours positifs e t idéaux
d o n t se so u tie n t le lien social q u elq u e chose d ’im p u r
dans l ’h u m a n ité, e t de so cialem en t in cu rab le. T o u te
la difficulté, c ’est que la p o sitio n subjective p ro p re à
u n e telle dim en sio n de la litté ra tu re n e p e u t, d ’u n e
certain e façon, q u ’être im p liq u ée dans ce q u ’elle m et
en scène. » 56

184
E x tra its
l ’œ u v r e d e G. G r o d d e c k

B io g r a p h ie
de G eorg G roddeck

C h o ix
b ib lio g r a p h iq u e
G. Groddeck

Extraits
de l’œuvre de G. Groddeck

L ’âme et le corps

(...) la distinction de l ’âm e e t d u corps est u n iq u e­


m e n t u n e distin ctio n de m ots, n o n pas d ’essence ; que
le corps e t l ’âm e so n t q u elq u e chose de co m m u n ;
q u ’il s’y trouve u n Ça, u n e force p a r laqu elle nous
som m es vécus c e p e n d a n t q u e nous croyons vivre 1 ?
*

La maladie procure du repos

La m aladie, q u ’elle soit aiguë o u ch ro n iq u e , infec­


tieuse o u n o n , p ro c u re d u repos, p ro tèg e d u m o n d e
e x té rie u r blessant, o u d u m oins, de p h é n o m è n e s d é te r­
m inables qui so n t in su p p o rtab les. Ma p ro p re âm e tra­
vaille co n stam m en t avec de tels lieux de refuge p ré p a ­
rés longtem ps à l ’avance ; et cela, depuis u n e p ério d e
d é te rm in é e de l ’enfan ce, o ù elle fu t bouleversée ju s ­
q u ’en son tréfo n d s 2.
*

L ’action thérapeutique de nos théories

N o tre tâche est m oins d ’in v e n ter des th éo ries exactes


que de trouver des hypothèses de travail q u i o p è re n t
q u elq u e chose dans le tr a ite m e n t3.
*

187
Le malade est le maître du médecin

J e dois co rrig er u n e de m es affirm ations p ré c é d e n ­


tes : j ’ai d it — dans u n e certain e in te n tio n il est vrai
— q u elq u e chose d ’inexact. J ’ai d it q u e la volo n té de
m aladie se forge des rep ro ch es injustifiés co n tre le
m édecin. Au sens le plus p ro fo n d d u term e, ces
rep ro ch es ne so n t jam ais injustes ; ils so n t to u jo u rs
fondés dans la p erso n n alité d u m éd ecin , e t n e so n t
d o n c pas seu lem en t des particu larités de l’im age inven­
tée, mais d u m éd ecin lui-m êm e. Le m alade fait p re n d re
au m édecin conscience de son in conscient. C ’est p o u r­
quoi je crois que le m éd ecin est redevable au m alade.
Le m alade est le m aître d u m édecin. Ce n ’est q u e p a r
le m alade que le m éd ecin p e u t a p p re n d re la p sy ch o th é­
rapie 4.

Tout est langage

Le langage est le p o rte u r de la cu ltu re. Il est la


co n d itio n fo n d am en tale d u ra p p o rt h u m ain . Le lan­
gage a créé les religions e t l’art, il a b âti les ro u tes
e t pro p u lsé le co m m erce dans le m o n d e. Il est le
m oyen de tran sp o ser les pensées en actes, e t dans sa
féco n d ité étern elle, il suscite sans cesse de nouvelles
pensées (...). Tous les actes, les pensées e t les senti­
m ents, m êm e l ’am o u r e t la h ain e, m êm e D ieu e t la
N atu re d é p e n d e n t d u langage 5.*

188
G. Groddeck

Le Ça

C ’est u n m en so n g e e t u n e d éfo rm atio n q u a n d on


d it « je pense, je vis ». Il fa u d ra it d ire « Ça p en se, Ça
vit ». Ça, c ’est-à-dire le g ra n d m ystère d u m o n d e 6.

*
* *

Références des Extraits cités

1. Ça et Moi, G allim ard, 1977, p. 37.


2. La Maladie, l ’art et le symbole, G allim ard, 1969, p. 45.
3. Ibid., p. 57.
4. Ibid., p. 154.
5. Ibid., p. 138.
6. Ibid., p. 245.

189
Biographie
de Georg Groddeck

1866 N aissance de W alter G eorg G ro d d eck à


13 octo b re Bad Kôsen, province de Saxe. C ’est le cin­
q uièm e en fa n t d u couple.

1881 A la suite de p ro b lèm es financiers, la


fam ille p a rt s’in staller à B erlin.

1885 M ort de son p è re m éd ecin e t d é b u t des


étu d es m édicales. Il re n c o n tre Schwenin-
ger.

1896 Il est l ’assistant de Schw eninger.

1900 Il ouvre à B aden-B aden son p ro p re S anato­


rium , q u i sera b ie n tô t su rn o m m é le « Sata-
n ariu m ».

1909 Il re n c o n tre M adam e G., u n e p a tie n te d o n t


le tra ite m e n t m a rq u e u n to u rn a n t capital
dans sa p ratiq u e. Avec elle, G roddeck
découvre ce q u ’il ap p elle « le m o n d e des
symboles ».

1913 P ublication de Nasamecu (« AVrtura San at,


Medicus Curât » : le M édecin soigne mais
c ’est la N atu re q u i g u érit).

1914 G rodd eck est n o m m é resp o n sab le d ’u n


h ô p ital de la Croix-Rouge.

190
G. Groddeck

1916 D éb u t des « C onférences psychanalytiques


à l ’usage des m alades d u S an ato riu m ».

1917 G roddeck écrit à F reud. Il p u b lie p e u de


27 m ai tem ps après son p re m ie r article psychanaly­
tique : « D éterm in atio n psychique e t traite­
m e n t des affections o rganiques », d o n t
F erenczi fait u n e critiq u e favorable dans
Y Internationale Zeitschrift fu r Psychoanalyse.

1920 P rem ière re n c o n tre avec F reu d au C ongrès


de La Haye e t ad h ésio n à l’A ssociation
Psychanalytique de B erlin.

1921 P ublication de son « ro m an psychanalyti­


que » Le Chercheur d ’âme.

1921 P rem ier séjo u r de Ferenczi au S an ato riu m


Septem bre de B aden-B aden.

1923 G roddeck p u b lie Le Livre du Ça.

1934 Il m e u rt en exil à Zurich, après avoir écrit


10 ju in à H itler p o u r « l ’in fo rm e r » des m en ées
antisém ites des nazis.

1963 Le Livre du Ça est tra d u it en français p o u r


la p re m iè re fois et re n c o n tre im m éd iate­
m e n t u n très g ra n d succès.

191
Choix
bibliographique

GRODDECK, G.,

Un problème de femme, M azarine, 1979.

Nasamecu, la nature guérit, A ubier, 1980.

Le Pasteur de Langewiesche, M azarine, 1981.

Conférences psychanalytiques à l ’usage des malades,


C ham p libre, 1.1 (1978), t. II (1979), t. III (19,81).

Le Chercheur d ’âme, un roman psychanalytique, Galli­


m ard, 1982.

Le Livre du Ça, G allim ard, 1963.

Ça et Moi, G allim ard, 1977.

La Maladie, l ’art et le symbole, G allim ard, 1969.

« Du v en tre h u m a in e t de son âm e » in Nouvelle


Revue de Psychanalyse, G allim ard, 1971.

« B isexualité e t d ifféren ce des sexes » in Nouvelle


Revue de Psychanalyse, G allim ard, 1973.

192
G. Groddeck

Sândor Ferenczi Georg Groddeck, Correspondance,


Payot, 1982.

CH EM O U N I, J., Georg Groddeck, psychanalyste de l ’imagi­


naire, Payot, 1984.

GROSSMAN, C. e t S., L ’analyste sauvage, Georg Groddeck,


P.U.F., 1978.

L ’ARC, G. GRODDECK, n° 78, 1er trim estre, 1980.

LE VAGUERESE, L., Groddeck, la maladie et la psychana­


lyse, P.U.F., 1985.

ROUSTANG, F., Un destin si funeste, M inuit, 1976,

193
Introduction
ä Voeuvre
de

Melanie KLEIN

M.-C. THOMAS
Une vie
*
La technique psychanalytique du jeu et ses découvertes
*

La formation archaïque du surmoi ou le devoir


de jouissance
*

La précocité des stades du conflit œdipien,


« fine fleur » du sadisme
*

Trois aspects du primat de la mère


*

Le transfert et la castration
*
La métapsychologie kleinienne et ses découvertes

Le triptyque de la position dépressive

La phase schizo-paranoïde

La position dépressive

L ’envie

Conclusion
J ’ai lu, pour l ’introduction donnée ici, les textes de Melanie
Klein disponibles en français avec, au début, une certaine
difficulté — pour ne pas dire un désagrément — due au
style vertigineux d ’une pensée qui tiendra son point d ’orgue
dans le concept d ’id en tificatio n projective et son corollaire
méthodique, T in te rp ré ta tio n explicative. L ’effort pour tra­
verser ce qui est devenu une caricature kleinienne, reduplica­
tion des images à l ’infini selon la loi du talion, me permit
de trouver le legs d ’une femme qui dut certainement sortir
de ce même univers persécutif, de ce « cercle vicieux », grâce
à sa rencontre avec la psychanalyse et sa ténacité à servir
la découverte freudienne : « Il y a plus de divergence entre
la conception d ’A nna Freud et ma conception de la première
enfance qu ’entre les vues de Freud, prises dans leur ensemble,
et mes vues. » 57 De cette manière, ou d ’une autre, l ’affirma­
tion de fidélité de Melanie Klein à Freud a été constante.

J ’ai fa it de cette fidélité le guide positif de ma lecture. S ’est


alors dégagé non pas un système clos et dogmatique, sans
aucune autre référence qu’à lui-même comme certains des
commentateurs de M. Klein en donnent parfois l ’impression,
mais au contraire une série d ’avancées belliqueuses et novatri­
ces, sous-tendues par un dialogue avec Freud, Abraham,

199
Ferenczi ou d ’autres et ordonnées à la suite de la mise en
place de la technique psychanalytique du jeu dans la cure
avec les jeunes enfants.
Les révolutions kleiniennes dans la doctrine analytique
n ’ont pas manqué de parvenir à leurs propres seuils. Du
giron de ces marches-là Jacques Lacan appuiera son retour
à Freud et bouleversera à son tour.
Ma présentation de Melanie Klein esquissera donc une
lecture de son œuvre entre Freud et Lacan en comptant
inspirer de la curiosité pour les textes eux-mêmes, seule parade
à la dégradation du discours psychanalytique que constitue
tout digest.

200
M. Klein

Une vie

Le regard divise. D’un côté le feu; de l’autre, le feu. Le « noir


du feu » est incendie du soir, face à l’incendie blanc du matin.
Entre ces deux incendies — l’espace d’une fraction de seconde, le
temps des épousailles du feu — , l’irruption d’un visage familier.
E.Jabès

M elanie Klein, u n e des prem ières fem m es psychana­


lystes.

C ette fem m e, qui a e n tiè re m e n t re c o n n u l ’a p p o rt


de F reud, y com pris la pulsion de m o rt, fu t à l ’o rigine,
e t d u fo n d e m e n t analytique de la p ratiq u e des cures
avec les en fan ts e t d ’u n g ra n d c o u ra n t dans la psycha­
nalyse où la clinique d u narcissism e est à son com ble.

Il y a p resq u e ex ac tem en t c e n t douze ans, le 30 m ars


1882, naissait à V ienne M elanie Reizes, fu tu re M elanie
Klein. Sa vie p o u rra it se diviser selon les pays o ù elle
vécut.

L ’A utriche, à V ienne, o ù elle passa son en fan ce dans


une fam ille juive, m odeste e t cultivée, fit ses étu d es et
se fiança à 17 ans avec u n je u n e in g é n ie u r chim iste,
A rth u r Klein. Son p ère, M oritz Reizes, m o u ru t l’an n ée
suivante en 1900.

La H o n g rie, à B udapest, o ù elle vécut après son


m ariage (1903), o ù elle e u t ses enfants : M elitta, fu tu re
psychanalyste co n n u e sous le n o m de M elitta Schm ide-
berg, e t H ans, son fils aîn é qui m o u rra accid en telle­
m ent à l ’âge de 26 ans.

201
M elanie K lein c o n n u t alors des an n ée s difficiles
(1907-1914) p e n d a n t lesquelles elle fit d e n o m b reu x
voyages e t cures de repos à la suite de dépressions.
L ’an n ée 1914 m a rq u a u n to u rn a n t d an s sa vie : elle a
32 ans e t vient d ’avoir son troisièm e en fan t, E rich, qui
passera à la p o stérité sous le n o m de Fritz dans ses
p rem iers travaux psychanalytiques ; p eu de tem ps après,
Libussa Reizes, sa m ère q u i avait pris en m ain le foyer
des Klein, m e u rt ; enfin, M elanie Klein re n c o n tre la
psychanalyse e n lisant Le Rêve et son interprétation ( Über
den Traum, 1901) de F reud.
Ce fu t u n e révélation : en 1916, elle co m m en ça u n e
analyse avec S ân d o r Ferenczi, le plus é m in e n t psychana­
lyste hongrois, q u i lui d o n n a « la conviction de l ’exis­
ten ce de l ’in c o n scien t e t de son im p o rtan ce dans la
vie psychique » 58. Voilà, m e semble-t-il, ce q u i caracté­
rise le m ieux M elanie Klein : la conviction ; elle ne se
d é p a rtira jam ais d e l ’e n tière conviction d e la réalité
de l’inconscient, d u bien -fo n d é de la psychanalyse e t
son p o in t de vue en sera to u jo u rs d éterm in é . Ferenczi
attira son atte n tio n sur le d o n q u ’elle avait de co m p re n ­
d re les enfants e t l ’en co u ra g ea dans son p ro je t d e se
co n sacrer à la psychanalyse, plus p a rtic u liè re m e n t avec
les enfants. Elle co m m u n iq u a ses observations sur le
d év elo p p em e n t d ’u n je u n e g arço n (son fils Erich) à
la Société Psychanalytique de B udapest, e t en devint
m em bre.
Les bouleversem ents p o litiques des an n ées 1920, l ’ef­
fo n d re m e n t de l ’E m pire au stro -h o n g ro is p o u ssè ren t
M elanie Klein à s’ex iler vers u n troisièm e pays, l ’Alle­
m agne. Invitée p a r Karl A braham , elle s’installa à
B erlin ; p e n d a n t cinq ans, elle poursuivit sa fo rm atio n

202
M. Klein

auprès d e lui, ainsi q u ’u n e analyse. Elle fit éta t d e ses


prem ières cures avec les je u n e s enfants — d o n t les
siens — et de sa m é th o d e, la te ch n iq u e psychanalytique
du je u .
M elanie Klein com m en ça à ê tre re c o n n u e p o u r la
valeur de son travail. Ainsi en 1924, après u n e co m m u ­
nication au congrès de W ürzbourg in titu lée « La tech n i­
que de l ’analyse des je u n e s en fan ts » (cure de Erna,
6 ans), A braham s’é ta it écrié plein d ’en th o u sia sm e :
« L’avenir de la psychanalyse est in sép arab le d e l ’an a­
lyse p a r le je u . » 59
Elle fu t aussitôt invitée à faire des co n féren ces sur
son travail avec les en fan ts à L ondres où elle re m p o rta
un vif .succès. L ’invitation se tran sfo rm a alors en u n e
proposition, faite p a r le P résid en t de la Société b rita n ­
nique de Psychanalyse, E rn est Jo n es, d ’installatio n défi­
nitive en A ngleterre. La m o rt subite et p ré m a tu ré e de
Karl A braham en d éce m b re 1925, d ’autres raisons
d ’ordre privé d é c id è re n t M elanie Klein à acc ep ter le
soutien de Jo n e s e t à laisser le co n tin en t.
La G rande-B retagne, son ultim e p atrie, l’accueillit
en 1926. A p a rtir de ce m om ent-là e t d u ra n t tren te-
quatre ans, la vie d e M elanie Klein fu t co m p lète m en t
liée à la psychanalyse, aux activités de la Société b rita n ­
nique e t au m o u v em en t in tern atio n al. En 1960, à la
veille de sa m ort, elle d o n n a it en co re des consignes
pour son d e rn ie r m an u scrit e t p o u r les élèves q u ’elle
avait en fo rm ation. Elle avait 78 ans.
Seuls ses petits-enfants su re n t rée lle m e n t distraire
Melanie Klein de la p a rt d ’in h u m an ité — d ’autres
diront de génie — q u ’elle reco n n aissait avoir en elle.

203
V irginia W oolf a laissé dans son Journal u n p o rtra it de
M elanie Klein q u i p e rm e t d ’e n tr ’ap ercev o ir sa force,
a u tre m e n t silencieuse e t invisible : elle é ta it « u n e
fem m e de caractère avec u n e espèce de force en p artie
cachée — co m m en t dirais-je ? — , pas la ruse m ais la
subtilité, q u elq u e chose travaillant p a r e n dessous. U ne
traction, u n e torsion, com m e u n e lam e de fo n d : m e n a ­
çante. U n e dam e g riso n n an te e t b ru sq u e, avec de
grands yeux clairs e t im aginatifs » 60.
G ardons cette im age d e la fem m e p o u r m a in te n a n t
a p p ro c h e r la pen sée d e la psychanalyste.

L a technique psychanalytique d u je u et ses


découvertes
Ma pratique avec les enfants, comme avec les
adultes, et toute ma contribution à la théorie
psychanalytique dérivent de la technique de jeu.
M. Klein

M on in té rê t p o u r la p en sée de M elanie Klein —


in té rê t sans d o u te suggéré p a r la le ctu re d e Lacan —
rem o n te à u n e qu in zain e d ’an n ées, lo rsq u e je co m m en ­
çai à recevoir de je u n e s enfants p o u r u n travail analyti­
que. J e m e mis alors à les éc o u te r ex ac tem en t com m e
je le faisais avec les p atien ts adultes : éco u te de cette
au tre langue qui p arle à n o tre insu e t p o rte u n sujet
en devenir, plus q u ’éco u te d ’u n en fan t, d ’u n e je u n e
fem m e ou d ’u n h o m m e m ûr. Mais si la disposition

204
M. Klein

d ’éco u te était rig o u re u se m e n t la m êm e, le m atériel des


je u n es p atien ts q u ’elle ap p elait e t fo rm ait était, en
ap p aren ce, d iffé re n t : ils p arla ien t, mais aussi jo u a ie n t,
dessinaient, co n stru isaien t des cabanes...
J e m e to u rn a i vers M elanie Klein. Elle avait en effet
rep éré très tôt, dans la co n cep tu alisatio n de son travail
avec les enfants, la co n tra d ictio n suivante : les principes
essentiels de la cu re so n t les m êm es p o u r tous les
patients d ’u n e p a rt ; d ’a u tre p art, le psychism e des
patients très je u n e s est d iffére n t e t cette différen ce se
m anifeste p a r le je u . M elanie Klein a circo n scrit cette
co n trad ictio n dans ce q u ’elle a n o m m é la technique du
jeu o u Play-Technique.

Q u ’est-ce que la te ch n iq u e psychanalytique d u je u ?


C om m ençons p a r ce q u ’elle n ’est pas d an s son p rin ­
cipe. P rem ièrem e n t, la technique du jeu ne se réduit pas
à la thérapie par le jeu (Play-Therapy) d o n t le p rin cip e est
d ’offrir au p a tie n t u n e possible abréaction, u n e d éch arg e
ém otionnelle p a r laquelle il se libère d ’u n affect désa­
gréable car attach é au souvenir d ’u n év én e m en t trau ­
m atique q u ’il ré p é ta it incon sciem m en t. D ans u n e com ­
m unication d e 1937, « Je u », M elanie Klein rap p ellera
de façon én erg iq u e, en critiq u a n t u n e co n féren ce de
Maria M ontessori, que le « th é ra p e u te p a r le je u n ’est
pas qualifié p o u r in te rp ré te r le je u de l ’en fan t, car il
n ’a pas la m o in d re n o tio n sur la m an ière d ’in te rp ré te r
le transfert n ég atif » 61.

S’il y a ab réa ctio n dans u n e cu re d ’en fan t, c ’est


exactem ent au m êm e titre q u e dans u n e cu re d ’adulte

205
où la p aro le a aussi c e t effet de so u lag em en t p ro p re ­
m e n t abréactif. Cela im p liq u e q u e dans la c u re le jeu
n ’est pas une satisfaction des pulsions, com m e le p ré te n d a it
H erm in e von H u g H ellm u th : « seul le je u offre à
l’e n fa n t la possibilité d ’aller im p u n é m e n t au b o u t de
ses pulsions » 62. O n n e sait pas suffisam m ent co m b ien
u n e telle co n ce p tio n sur 1’ « im p u n ité des p ulsions »
dans le je u tisse u n lien pervers e n tre le th é ra p e u te
e t l’enfant, ni à q u el geste ex trêm e il rev ien t de le
d éch irer.

D euxièm em ent, la te ch n iq u e psychanalytique d u je u


ne se ré d u it pas à « l ’observation analytique ». G râce à
u n e connaissance de ce qui serait le rô le significatif
dévolu aux pulsions dans le je u — p a r exem p le, le
je u d u papa-m am an d o n n e ra it à l ’en fa n t l ’occasion de
satisfaire la pulsio n éro tiq u e anale, selon H. v. H ug-
H ellm u th — l’observation m in u tieu se de l ’e n fa n t en
train de jo u e r p e rm e ttra it d e co m p re n d re son co m p o r­
tem ent.
O n d o it p réciser q u e l’observation dite analytique
d u je u n e en fa n t le fig erait dans u n e rela tio n de type
voyeuriste, si cette observation n ’était pas prise dans
u n e écoute, dans u n e n c h a în e m e n t subjectif e t tran sfé­
ren tiel où, à cette co n d itio n , elle p e u t d o n n e r à l ’an a­
lyste u n m atériel précieu x .

L ’essentiel de la te ch n iq u e d u je u est ailleurs. En


fait, le je u dans la cu re révèle l’o p p o sitio n q u e je
m en tio n n ais p ré c é d e m m e n t e t q u e M elanie K lein p ré ­
cise ainsi : « Si les m oyens d ’expression des enfants
d iffère n t de ceux des adultes, la situation analytique
est, elle aussi, d ifféren te chez les u n s e t chez les autres.

206
M. Klein

Elle reste c e p e n d a n t, dans les d eu x cas, essentiellement


id en tiq u e. Les in te rp ré ta tio n s co n séquentes, la ré d u c ­
tion progressive des résistances e t la re m o n té e du
tran sfert vers des situations plus an cien n es, co n stitu en t
chez les enfants com m e chez les adultes la situation
analytique telle q u ’elle d o it être. » 63

A u trem e n t dit, plus q u ’u n e te ch n iq u e, la Play-Techni­


que est le nom de cette co n trad ictio n : te n ir à la fois
q u ’il y a u n psychism e spécifique à l ’e n fa n t e t q u e la
conduite de la cu re des p atien ts je u n e s est la m êm e
que celle des p atien ts adultes.

Q uelle est alors la spécificité d u psychism e des je u n e s


en fan ts? Il n ’y a pas d ’association verbale: l ’e n fa n t ne
peut pas faire d ’associations libres, com m e c ’est la règle
dans u n e cu re d ’ad u lte 64. Ce n ’est pas parce q u e les
enfants n e savent pas p a rle r : ils c o m m e n te n t parfois
très bien le u r je u , ou p arce q u ’ils n e v eu len t pas
associer. C ’est « p arce q u ’ils n e le peuvent pas, n o n pas
que la capacité d e tra d u ire leurs p en sées en paroles
leur fasse d é fa u t (...) mais p arce q u e Y angoisse o p pose
une résistance aux associations verbales » 65.

Si l’e n fa n t p arle, c ’est en g én éral de l’o rd re du


com m entaire ou d u m o t à m o t : les enfants qui, vers
deux ans, c o m m en ce n t à p a rle r ju x ta p o s e n t les mots.
Ce à q u o i l ’angoisse fait o p p o sition, c ’est très précisé­
m ent à la p aro le cristallisée, à la p aro le con d en sée,
m étaphorique. A la place de la c o n d en satio n en co re
impossible, vient le je u : le je u fait la place de l’associa­
tion, au sens analytique, de la co n d en satio n , d u m ot
pour u n au tre, place em barrassée p a r l ’angoisse. Le jeu
fait office de métaphore, il en est l ’officine 66.

207
J ’em ploie ici u n vocabulaire qui n ’est pas typique­
m e n t celui de M elanie K lein, m ais lisons-la b ien . Le
je u dans u n e cu re acq u iert le statu t d e cristallisation,
de serrage m é ta p h o riq u e : il a la dignité du rêve, il e n a
la con fig u ratio n , lieu de co n d en satio n p a r excellence :
« D ans le u r je u , les enfants re p ré s e n te n t sym bolique­
m e n t des fantasm es, des désirs e t des ex p érien ces. Ils
em p lo ie n t p o u r cela le langage, le m o d e d ’expression
arch aïq u e, p h y lo g é n étiq u e m en t acquis, avec leq u el les
rêves nous o n t fam iliarisés. » 67
P o u r a m e n e r le je u à l ’é ta t de fo rm atio n de l ’in ­
conscient, p o u r l’éc o u te r com m e l ’analyste éco u te u n
rêve e t d o n c p o u r q u ’il y ait in te rp ré ta tio n , l ’analyste
d o it te n ir com pte de plusieurs p aram ètres q u e M elanie
K lein expose de façon rig o u reu se. Il fa u t re te n ir les
plus m enus détails d u je u ; alors les enchaînements ap p a­
ra îtro n t e t l ’in te rp ré ta tio n sera effective. Il est néces­
saire de te n ir co m p te d u matériel que les enfan,ts fo u r­
n issen t d u ra n t la séance : jo u e t, d ram atisatio n , eau,
d éco u p ag e ou dessin ; de la manière d o n t ils jo u e n t ;
de la raison p o u r laquelle ils p assen t d ’u n j e u à l ’a u tre ;
des moyens q u ’ils choisissent p o u r leurs rep résen tatio n s.
« T o u t cet ensem b le d e facteurs, q u i sem ble si souvent
confus e t d ép o u rv u de signification, n o u s ap p a ra ît
com m e logique e t p lein de sens, ses sources e t les
pensées qui le so u s-ten d en t se rév èlen t à nous, si nous
l ’in te rp ré to n s ex ac tem en t com m e u n rêve. » 68
A vant d ’in te rp ré te r la séq u en ce d u je u q u i a cette
valeur de fo rm atio n de l ’in c o n scien t — c ’est-à-dire de
m ise en form e de la jo u issan ce e t d o n c de réso rp tio n
d e l ’angoisse — , M elanie K lein p re n d plu sieu rs p ré c a u ­
tions sans lesquelles de sim ples tran sp o sitio n s abstraites

208
M. Klein

de symboles seraie n t sans p o rtée . Elle n ’in te rp rè te que


si l’e n fa n t exprim e le m êm e m atériel psychique dans
des versions différen tes ; si ces activités s’acco m p ag n en t
d ’u n sen tim en t de culpabilité m anifeste ou b ien d ’an­
goisse ; si cela p e rm e t u n éclairage sur certains en ch a î­
nem ents ou si le m atériel est l ’effet d ’u n e in te rp ré ta ­
tion p récé d en te.
U ne in te rp ré ta tio n e n g e n d re la survenue d ’u n au tre
je u qui est à son to u r in te rp ré té , e t ainsi de suite. Alors
l’angoisse d im in u e dans la créatio n d ’u n e nouvelle
symbolisation.
P our M elanie Klein, les co n d itio n s p ratiq u es e t th é o ­
riques de l’in te rp ré ta tio n so n t les m êm es q u e dans
l’analyse des adultes. Ce n ’est pas l ’âge d u p a tie n t qui
est d é te rm in a n t, c ’est l ’attitu d e, la conviction in té rie u re
de l ’analyste qui trouve la te ch n iq u e nécessaire, a p p ro ­
priée.
C oncluons sur la te c h n iq u e psychanalytique d u je u .
L’appareil psychique d u je u n e e n fa n t a u n niveau de
tension élevé : l ’angoisse très p résen te, très fo rte ne
peut être gérée p a r l ’ap p areillag e d u m oi, le p rin cip e
de plaisir ; les rep résen tatio n s n ’avancent d ans cette
opacité q u ’en se d é p la ç a n t pas à pas, m o t à m ot.
L’association des rep résen tatio n s, c ’est-à-dire la c o n d e n ­
sation, est difficile à cause d e cette angoisse e t n e se
réalise q u e dans u n m o d e d ’expression p articu lier : le
jeu, qui a le m êm e statu t sym bolique q u e le rêve.
Ainsi, p e u à p eu , se co n stitu e le p rin cip e d e plaisir
qui aura l ’effet de p o rte r le sujet de rep résen tatio n s en
représentations, d e m otions pulsionnelles e n m otions
pulsionnelles, d ’objets in tério risés e n objets intériorisés,

209
en m e tta n t a u ta n t de rep résen tatio n s q u ’il est néces­
saire à m a in te n ir au plus bas le niveau de te n sio n qui
règle to u t le fo n c tio n n e m e n t de l’ap p are il psychique.
La cure est conçu e com m e u n e m ise en place du
p rin cip e de plaisir, soit la constitution du moi.

D ’avoir situé le je u dans la cu re de cette m a n ière


a perm is à M elanie K lein de poser, dès 1924, les fo n d e ­
m ents psychanalytiques de la cu re avec les enfants. Cet
acte69 s’est effectué dans la lu tte, lu tte c o n tre A nna
F reu d e t les-analystes viennois, F reu d com pris, e t lu tte
co n tre elle-m êm e, c o n tre ses tentatives d u d é b u t qui
consistaient à m é lan g er éd u ca tio n e t analyse.

En fo n d a n t de façon analytique le travail avec les


enfants, M elanie K lein a ro m p u avec l ’éd u catio n . Cela
a souvent été souligné, c ’est en effet capital. Il faut
voir les choses clairem en t et p récisé m en t : il y a trois
m anières de faire avec la sauvagerie h u m a in e, avec la
jouissance e t l ’angoisse, c ’est-à-dire avec la fo rce sans
foi n i loi qui est au-dedans de ch acu n de nous. Il y
a la po litiq u e, l ’éd u ca tio n e t la psychanalyse ; F reu d
disait d ’ailleurs l ’im possible de le u r tâche. C h acu n e de
ces disciplines a sa logique p ro p re, ses m oyens e t ses
objectifs p ro p res qui ex clu en t ceux des d e u x autres.

M elanie Klein s’est in te rd it le m élan g e des g en res ;


elle a d ém o n tré que l ’éducation dans la psychanalyse, soit
en d é b u t de cu re com m e « dressage » à l ’analyse, soit
en fin de cure com m e « do m p tag e » d u surm oi, ainsi
que le p réco n isait A n n a F reud, était n o n seu lem en t
inutile m ais em p êch ait u n travail d ’analyse m en é selon
les p rincipes freu d ien s : « N ous ad m etto n s in c o n d itio n ­
n ellem e n t q u ’u n e véritable situation analytique n e p e u t

210
M. Klein

s’étab lir q ue p a r des m oyens analytiques », affirm ait-


elle 70.
La position d e p rin cip e qui place le je u au c œ u r de
la fo rm atio n de l ’in co n scien t p e rm e t à M elanie Klein
de faire des découvertes. Voici les plus im p o rtan tes.

L a fo rm ation archaïque d u surm oi ou le devoir


de jouissance

C lassiquem ent, le surm oi est défini com m e l ’h éritie r


du com plexe d ’Œ d ip e : ce so n t les in terd its p a re n ta u x
qui re ste n t inscrits p o u r le sujet après le d éclin de la
relation œ d ip ie n n e . Le surm oi se constitue vers 4-5 ans
par l ’intériorisation des exigences e t des interd its. Et
cela selon u n processus p e u à p e u élab o ré p a r F reu d
qui est celui d e l 'identification. La figure 1 p résen te la
conception fre u d ie n n e d u surm oi d o n t la loi s’én o n ce
de cette façon form elle : l’e n fa n t re n o n c e à la satisfac­
tion de ses désirs œ d ip ien s frap p és d ’in terd it, il ab an ­
d o n n e l ’o b je t d ’a m o u r e t d e désir in cestu eu x et il
transform e son investissem ent sur les p aren ts en id e n ti­
fication aux p aren ts ; ce faisant, il in tério rise l ’in terd ic­
tion.

211
O bjets investis p a r la libido Identification aux parents
après le déclin de l’Œdipe
: Identi fi cati on aux objets après
' i leu r abandon
Surmoi œdipien

Figure 1
En / et / ' l’enfant investit libidinalement son père et/ou sa mère ;
il rencontre une limite, un interdit et renonce à ses objets d’amour.
Il transforme cet investissement en identification en 2,
et en intériorisation de l’interdit, en 3.
M. Klein

O r, M elanie Klein constate que les petits p atien ts


névrosés d e m oins de q u a tre ans subissent l’in flu en ce
d ’u n surm oi q u ’elle d écrit com m e féroce, capricieux,
d ’u n e sévérité ty ran n iq u e e t im pitoyable. P o u r b ien
co m p re n d re la déco u v erte q u e M. Klein a faite à p a rtir
de sa clinique, nou s devons situ er ra p id e m e n t la ques­
tion de l ’arch a ïq u e d an s la th é o rie freu d ie n n e. Car
F reud a ex p licitem en t évoqué la naissance d ’u n surm oi
arch aïq u e en 1923 dans « Le Moi e t le Ça » : d erriè re
la naissance d u surm oi se cache n o n pas l’iden tificatio n
aux p aren ts après l’Œ d ip e, mais « la p rem ière e t la
plus im p o rta n te id en tificatio n d e l ’individu : l ’id en tifi­
cation au p è re de la p réh isto ire p erso n n elle » 71, c ’est-
à-dire au p ère-m ère indifférencié, d ’avant la reco n n ais­
sance de la différen ce des sexes, p aren ts com binés de
la scène prim itive au-delà desquels se profile la figure
du P ère d e la H o rd e, celui qui jo u it de tout.
C ette id en tificatio n p rem ière est directe, im m éd iate
et plus p réco ce q u e to u t investissem ent d ’objet. L ’exi­
gence in c o rp o ré e est celle-ci : « tu dois être com m e le
père », com m e le P ère de la H o rd e, c ’est-à-dire « tu
dois vivre, tu dois jo u ir de to u t» . La figure 2 p résen te
cette som m ation d o n t le su p p o rt d ire c t est le corps.
Ensuite, les choix d ’objets qui a p p a rtie n n e n t à la
prem ière p é rio d e de la sexualité infantile, q u i co n cer­
n e n t le p è re e t la m ère de la relatio n œ d ip ie n n e et
qui se fo n t sur le m o d e d é c rit à la figure 1, v ie n d ro n t
ren fo rcer l ’id entificatio n p rim aire mais inversement. Le
résultat sera le surmoi œdipien qui vient c o n tre r én erg i­
q u em en t l ’exigence d u surm oi arch aïq u e en d isan t :

213
Père primitif
“ Tu d o is être ainsi
(comme le père) ”

Figure 2
Surmoi archaïque

« T u n ’as pas le droit d ’être com m e le p ère, tu n ’as pas


le d ro it de faire to u t ce q u ’il fait, d e jo u ir de ta m ère ;
tu dois vivre, mais ailleurs. »
Le surm oi ne s’épuise d o n c pas dans le p ré c e p te de
jo u ir, il co m p re n d aussi l ’in terd ictio n d e l ’o b jet de la
jouissance d u p ère. La figure 3 p résen te la synthèse de
la co n ce p tio n k le in ien n e d u surm oi.

214
Intériorisation

“ T u n ’as pas le droit d ’être


ainsi (com m e le père) ”

Figure 3
Synthèse de la conception kleinienne du Surmoi
M elanie Klein re c o n n a ît dans l’in c o rp o ra tio n d u p ré ­
cepte de jo u issan ce q u i se p ro d u it d u ra n t la p h ase orale
can n ib aliq u e le noyau d u surm oi o u su rm o i arch aïq u e.
L ’in flu en ce d u surm oi arch aïq u e est d o n c la force
in c o rp o ré e qui oblige im p érativ em en t l ’e n fa n t à vivre.
C ette force, si vive q u ’elle saccage, « pu lsio n de d estru c­
tion », est ju g u lé e au niveau des orifices d u corps qui
sont rythm és p a r le tem ps h u m ain . De ce b rid ag e
p o u sse ro n t des pulsions partielles, orales, anales e t uré-
trales, au sadisme p a rtic u liè re m e n t violent. Le sadism e
en je u d è s 'l e d é b u t de l ’o rg an isatio n p ré g é n ita le a
p o u r co n séq u en ce de p o ser la p hase o rale com m e
can n ib ale et la p h ase anale com m e oblative. Le can n i­
balism e e t l ’oblativité — soit le sadism e — p e rm e tte n t
de phalliciser l ’o b jet oral o u anal, c ’est-à-dire d ’e n faire
des objets de désir.
Les descriptio n s d u sadism e souvent rép étées p ar
M. Klein so n t b ien co n n u es ; le sadism e a u n e , im p o r­
tance considérab le au d é b u t de la co n stitu tio n d u m oi.
G râce à lui, l ’en fa n t p e u t vivre : « Jo u is d e la vie en
buvant to n lait, m ords, dévore, d éco u p e, attaq u e, si tu
n ’es pas satisfait. Et fais atte n tio n car ce q u e tu attaq u es
va t ’a tta q u e r à son to u r ; ce q u e tu veux t ’en v oudra. »
C ep en d an t, l ’in ten sité d u sadism e c o n tre l ’ex térieu r,
co n tre les objets ex térieu rs, s’ex p rim e sous u n e fo rm e
très éd u lco rée car les fantasm es extravagants d u d é b u t
d u d év elo p p em en t n e d ev ien n en t jam ais conscients.
C ette in ten sité se m anifeste de trois m an ières : p a r
l ’angoisse qui re n d l ’association verbale difficile, nous
l ’avons vu ; p a r la cru au té de l ’e n fa n t à l ’ég ard des
objets o u des petits an im au x ; p a r les fantasm es : l ’e n ­
fan t e n tre tie n t à côté de ses relatio n s avec les objets

216
M. Klein

réels, mais sur un autre plan, des relations avec des


imagos fantasmatiques qui so n t b o n n es o u mauvaises à
l’excès. Les bons e t mauvais objets in tério risés so n t
d o n c u n e dérive d u sadism e, no u s y reviendrons.
L’o rd re d e vivre sans frein , soit les pulsions des­
tructrices e t la dérive fantasm atique qui l ’accom pagne,
ne se ro n t tem p érés q u ’au m o m en t d u déclin de
l’Œ dipe, q u a n d l’e n fa n t a u ra re n o n c é à sa m ère. Le
re n o n c e m e n t à la m ère et, plus p récisém en t, à l’ob jet
de la m è re qui est source de vie, le sein, est u n e bataille
incessante qui com m en ce dès le sevrage.
V enons-en d o n c à la d eu x ièm e d écouverte de Mela-
nie Klein, celle de la p réco cité d u conflit œ d ip ie n
dom iné p a r la c ru au té d u surm oi.

L a précocité des stades du conflit œdipien,


« fin e fle u r » d u sadisme

P o u r M elanie Klein, les ten d an ces œ d ip ie n n es sont


libérées à la suite de la fru stratio n que l ’e n fa n t éprouve
au m o m en t d u sevrage, c ’est-à-dire vers 2-3 mois, et
seront ren fo rcées p a r les fru stratio n s anales e t urétrales
subies p e n d a n t l’ap p ren tissag e de la p ro p re té . T o u t le
parcours œ d ip ie n est accom pagné d ’angoisses p ersécu ­
toires e t de culpab ilité intense.
L’angoisse e t la culpabilité ne naissen t pas de cette
entreprise incestueu se œ d ip ie n n e, m ais d ’ab o rd des
pulsions d estructrices. « La culpabilité est en réalité u n e

217
réac tio n aux pulsions d estructrices » d o n t les pulsions
libidinales so n t in sép arab les 72. A u trem e n t dit, la culpa­
bilité est u n p ro d u it de la fo rm atio n d u su rm o i e t de
l ’in c o rp o ra tio n : l ’en fan t, dans son fantasm e, fait de ce
m écanism e u n th é â tre de l ’h o rre u r où, co u p é e t sép aré
d e sa m ère, il v eu t la re p re n d re en la m o rd a n t, la
dévorant, la d é c o u p a n t p o u r lui voler le sein, le pénis
d u p ère, ses fèces... Il se se n t co u p ab le d e lui avoir
fait m al e t crain t, p a r réto rsio n , u n e m êm e p u n itio n
de la m ère in tro jectée : le surm oi à son to u r m o rd ,
d éco u p e e t veut s’a p p ro p rie r le corps de l ’en fan t.

Ces angoisses e t cette culpabilité in ten se p eu v en t


m êm e e m p ê c h e r l’articu latio n incestueuse œ d ip ie n n e
e t la c o m p ro m e tte n t co n stam m en t. C ar le conflit
œ d ip ie n n e p e u t que se réso u d re au lieu de sa nais­
sance : le corps d e la m ère.

Le corps de la m è re est en effet l ’e n je u fan tasm atiq u e


de tous les processus sexuels de l’e n fa n t qui, aux stades
sadique-oral et sadique-anal, veut s’en a p p ro p ie r les
co n ten u s e t aussi — p a r curiosité — les c o n n a ître . Ce
lien très significatif à la m ère in tro d u it chez le garçon
e t chez les filles u n e phase d u d é v elo p p em e n t
m é co n n u e ju s q u ’alors qui consiste en u n e id en tificatio n
très précoce de la m ère, q u e M. Klein in titu le phase de
féminité. C ette p h ase sera la base d e la co n ce p tio n
originale de M elanie Klein c o n c e rn a n t l’Œ d ip e e t les
sexualités m asculine e t fém in in e. B rièvem ent, voici
co m m en t garçon e t fille, d ifférem m en t, vo n t s’o rie n te r
dans cette phase de féminité e t la dépasser. P o u r le g arçon
com m e p o u r la fille, o n retrouve au fo n d le m êm e
désir frustré d e p o sséd er u n o rg an e p articu lier.

218
M. Klein

Le garçon veut les o rg an es de la co n cep tio n , le vagin


et les seins, « fo n tain e de lait », com m e o rg an e de
réceptivité e t de g én éro sité ; il fait u n e équivalence
en tre les fèces à posséder, les enfants — le g arço n
veut u n en fa n t com m e sa m ère en a — e t le pénis
d u p ère, tous ces objets é ta n t dans le ven tre m atern el.
En re to u r, il cra in t p o u r son corps les m êm es attaques.

Mais si la p e u r d e la m ère est te llem en t écrasante,


c’est q u ’u n e p e u r in ten se de la castration p a r le p ère
s’y com bine : ce q u e le g arçon re d o u te , fin alem en t,
c’est le pénis d u p è re à l ’in té rie u r d u corps d e la
m ère. « C ’est u n e p e u r to u t à fait in su rm o n tab le car,
à ce stade d u d év elo p p em en t, la p artie est e n c o re
considérée com m e le to u t, e t le pénis tie n t lieu d e la
personne d u p ère. » 73 Q u elq u e chose d ’accen tu é, de
nocif m êm e, se dég ag e là.

C om m ent le garçon surm onte-t-il cette m en ace ? Il


va d ép lacer sa h ain e e t son angoisse inspirées p a r le
pénis d u p è re dans le corps de la m è re qui devient
« fem m e au pénis » e t castratrice. La m ère est d o n c
porteuse e t m éd iatrice de la castration p a r le p ère.
Pour M elanie Klein, ce déplacement vers la crain te du
pénis im aginaire de la m ère jo u e u n rô le im p o rta n t
dans l ’étiologie des tro u b les m en tau x ; c ’est ég alem e n t
une des causes d e l ’h o m o sex u alité e t des p e rtu rb a tio n s
de la sexualité m asculine.

La phase de fém in ité p o u r le g arçon se caractérise


donc p a r u n e angoisse liée au v en tre m a tern el e t au
pénis. Il n e p o u rra s’e n d ég ag er q u ’e n croyant fo rte­
m ent à la b o n té d e l ’o rg an e génital m asculin, le sien
et celui de son p ère, ce qui lui p e rm e ttra de ressen tir

219
ses désirs g én itau x à l ’ég ard de sa m ère, d e se p o sitio n ­
n e r de façon m asculine puis d ’a b a n d o n n e r sa m ère
afin de g a rd e r son intég rité.

Plus tard, si la phase de fém in ité n ’est pas v raim en t


dépassée m ais su rco m p en sée p a r des activités in tellec­
tuelles, l’h o m m e m an ifestera u n e rivalité avec les fem ­
mes, rivalité m êlée de h ain e e t d ’envie. Si au co n tra ire
cette phase est dépassée p a r u n e id en tificatio n au p ère,
ou b ie n analysée suffisam m ent p ro fo n d é m e n t, e t p a rti­
c u lièrem en t dans les cas de névrose obsessionnelle
com m e M elanie Klein le souligne, cela p e rm e ttra à
l’ho m m e d ’ex erc er sa bienveillante gén éro sité, à l ’in star
d u sein, e t de ré p a re r les dom m ages fantasm atiques
q u ’il lui a fait su b ir (fantasm e fém in in d u chevalier
servant !).

Pour la fille, les choses so n t d ifféren tes. Au d éb u t,


com m e le garço n , la fille se d é to u rn e de la mèye à la
suite d u sevrage e t de l’ap p ren tissag e de la p ro p re té .
Q u an d les ten d an ces génitales c o m m en ce n t à agir, on
assiste à un double déplacement : p re m iè re m e n t, la lib id o
orale se d ép lace sur le g énital e t la fille a connaissance
d e l’existence d u vagin ; d eu x ièm em en t, le b u t ré c e p tif
des organes g én itau x fém inins jo u e u n rôle d an s le
fait que la fille se to u rn e vers son p ère. Ce d o u b le
d é p lacem en t est ren fo rcé p a r l ’envie e t la h ain e in sp i­
rées p a r la m ère qui possède le pénis d u p ère e t qui
en a privé sa fille en n e le lui d o n n a n t pas. La crain te
q ue la m ère n e se venge de cette envie pousse la fille
à s’id e n tifier au p ère.

L ’identificatio n au p ère, p o u r u n e fille, est m oins


chargée d ’angoisse que l ’id en tificatio n à la m ère, b ien

220
M. Klein

que la relatio n de la fille à sa m ère d o n n e u n e d irectio n


plus o u m oins positive à sa rela tio n au p è re et, plus
tard, aux hom m es. S elon M elanie Klein, « le m ari re p ré ­
sente toujours e t e n m êm e tem ps la m ère qui d o n n e
ce qui est désiré e t l ’en fa n t bien-aim é ».
La fille reste to u te sa vie très m arq u ée p ar son désir
p o u r sa m ère e t p a r sa crain te d ’elle, d u fait d e lui
envier ce q u ’elle a. La jalo u sie p re n d là sa racin e. La
fille ne dépassera cette p osition q u ’en s’id e n tifian t à
la b o n n e m ère qui lui a d o n n é ce q u ’elle a p u et
en recevant d ’u n h o m m e ce q u e sa m ère n ’a p u lui
do n n er.

L ’aspect arch a ïq u e d u surm oi e t la co n stitu tio n très


précoce de l ’org an isatio n œ d ip ie n n e o n t été établis
par M elanie Klein dès 1925, d o n c d u vivant de F reu d
qui n ’en a jam ais re c o n n u la p e rtin e n c e . Il y a là u n e
question qui re n c o n tre celle des relations e n tre m aître
et disciples : alors q u e M elanie Klein tirait lo g iq u em en t
les conséquences des th éo ries d e F r e u d 74, q u e ces
conséquences é ta ie n t co rro b o rées p a r sa clin iq u e et
que le fait d ’en te n ir co m p te se révélait efficace dans
la cure des je u n e s enfants, p o u rq u o i F reu d les a-t-il
dém enties ? En 1927, il écrivait ceci à E .Jo n es : « Je
peux en to u t cas vous révéler q u e les vues de M me
K ein sur le surm oi chez les enfants m e sem b len t to u t
à fait im possibles e t co n trad icto ires avec tous m es p ré ­
supposés. » 75 II so u te n a it sa fille A nna qui insistait sur
le fait q ue le surm oi en fan tin est en co re sous l ’in ­
fluence directe d e l ’éd u ca tio n p aren tale — e t n o n
l’effet d ’u n e in c o rp o ra tio n p rim o rd iale d u p è re com m e

221
il le suggérait dans « Le Moi e t le Ça », o u d ’u n d é b u t
d ’in tro jectio n d u p è re in terd icteu r, co m m e M elanie
Klein le révélait.
O n p e u t su p p o ser q u ’il y a eu u n m a le n te n d u à
pro p o s d u surm oi. F reu d co n sid érait le su rm o i qui
advient au déclin d e l ’Œ d ip e, alors q u e M elanie Klein
analysait le surm oi arch a ïq u e p o u rta n t supposé p a r lui-
m êm e. M elanie Klein, dirait-on, avait p e rç u plus lo in :
en 1941, elle affirm era en co re à E .Jo n e s : « J ’insiste
p a rticu lièrem e n t sur le fait q u e si la d éco u v erte que
F reu d a faite d u surm oi n ’est pas d év elo p p ée davantage,
elle co u rt le risq u e de se p e rd re dans ce q u ’elle a
d ’essentiel. » P ren o n s des b ottes de sept lieues e t re m a r­
quons q ue Lacan a recueilli cet essentiel d an s le
co n ce p t d e jouissance et, dans l ’o ccu rren c e d u surm oi
arch aïq u e, d e jo u issan ce d e l ’A utre q u i p ré se n te ce
parad o x e : ressentie, elle n ’existe pas 76.
D ans la co n ce p tio n k le in ien n e de la p ro b lém atiq u e
de l ’Œ d ip e, la place donnée à la mère est centrale. Ce
sera la troisièm e d éco u v erte im p o rta n te issue d ’u n e
p ratiq u e avec les je u n e s enfants.

Trois aspects d u prim at de la mère

P rem ièrem e n t, la m ère k le in ien n e a p p a ra ît com m e


la m é tap h o re, l ’im age de VAutre Scène, p o u r em ployer
u n e n o tio n fre u d ie n n e , c ’est-à-dire le lieu o ù v o n t se
jo u e r p o u r le sujet ses fantasm es, ses désirs
inconscients, do n c la sym bolisation e t la co n stitu tio n

222
M. Klein

d u m oi e n te n d u e com m e co n stitu tio n d u p rin cip e de


plaisir. C ’est le lieu im agé où, d ’em blée, se n o u e la
rela tio n conflictuelle qui est la relatio n œ d ip ie n n e. La
te n d an ce œ d ip ie n n e en effet co n ce rn e p rin cip ale m en t
le corps de la m ère, V imago d u corps m a tern el, qui
est conçu com m e « la scène d e tous les processus et
de tous les événem ents sexuels » 77. P ar ailleurs, « ce
corps re p ré se n te dans l ’in co n scien t un trésor c o n te n a n t
toutes les choses désirables qui ne p eu v en t être tirées
que d e là » 78.

Si d o n c la rela tio n à la m ère est d ’em b lée conflic­


tuelle, c ’est q u e sur son te rra in se réalise n o n u n
ra p p o rt direct, d u el e n tre elle e t l ’en fan t, mais u n
, ra p p o rt o ù il y a tou jo u rs d éjà u n tiers en c o n cu rren c e :
le sein q u ’elle d o n n e o u n o n , les fèces q u ’elle exige,
le pénis d u p è re q u ’elle recèle. Ainsi la m ère est la
scène, le lieu des dép lacem en ts d u sujet e t le récep tacle
d ’u n n o m b re d ’objets de plus en plus co n sid érab le 79.

D euxièm em ent, la m ère k le in ien n e est une mère non


castrée, receleuse d u pénis e t p h alliq u e. N on seu lem en t
elle recèle tous les objets évoqués, le pénis d u p ère
et aussi le p è re p u isq u e la p artie vaut p o u r le tout,
mais elle-m êm e est com plète. A u trem e n t dit, c ’est u n e
m ère d ’avant la castration, au sens o ù F reu d e n te n d
la castration com m e ce q u i m e t fin à la toute-puissance
m aternelle après q u e l ’en fa n t a vu q u ’elle n ’a pas ce
que le p ère, lui, est censé avoir.

Il y a u n e différen ce e n tre la m ère fre u d ie n n e e t la


m ère k le in ien n e car le trau m a m ajeur, p o u r M elanie
Klein, n ’est ju s te m e n t pas la vue de la castration de
la m ère, n ’est pas la castration re p ré se n té e p a r la priva­

223
tio n possible d u pénis ; c ’est le trauma du sevrage80,
c ’est-à-dire le fait q u e le sujet d é p e n d e , d an s sa vie
anim ale, d u sein q u i satisfait et, dans sa vie h u m a in e,
d u sein qui fait u n m a n q u e lo rsq u ’il se fait a b se n t ou
présent.

Enfin, la mère est porteuse du sein, m a m o p h o re si je


p eu x m e p erm e ttre . Il est nécessaire de n o te r q u ’il y
a eu u n e d ég rad a tio n des concepts de sein, de m ère
qui so n t des objets p rim o rd iau x , m ythiques, c ’est-à-dire
a p p a rte n a n t à l ’o rd re discursif, au p ro fit d u sein e t de
la m ère de la réalité ; cela a e n tra în é u n e confusion
des d eu x niveaux dans les réflexions et la p ratiq u e
psychanalytiques.

M elanie K lein d ira q u e le sein est u n « o b je t d ’u n e


b o n té sans p areille » d o n t le béb é a u n e connaissance
in co n scien te : « le fait q u ’au d é b u t de la vie post-natale,
il existe u n e connaissance in co n scien te d u sein, e t que
l ’e n fa n t ait l’ex p érien ce d e sen tim en ts à l ’ég ard d u
sein, cela n e p e u t être co n çu q u e com m e u n h éritag e
phylo g én étiq u e » 81. La m ère est p o rteu se d u Sein, d ’u n
sein phylogénétiq u e, m ythique, en définitive p o rteu se
d u Souverain Bien 82.

Mais com m e le b éb é sen t q u ’il n ’a pas la gratification


m axim a e t la jo u issan c e to tale d u sein, il ressen t « u n e
nostalgie profonde de l ’objet-sans-pareil qui p o u rra it la
lui d o n n e r ». C ette nostalgie p ro fo n d e d u sein m ythi­
q ue p e u t se c o m p re n d re , je le p ro p o se, com m e la
satisfaction h allu cin ato ire, c ’est-à-dire com m e la
m ém oire de la pulsion. Les pulsions o n t u n e m ém o ire,
elles c o m p o rte n t la d im en sio n h isto riq u e q u e souligne
p a rfaitem en t M elanie Klein lo rsq u ’elle p a rle d ’u n e

224
M. Klein

connaissance d u sein p a r h éritag e p h y lo g én étiq u e.


C ’est la m ém o ire d ’u n a n té c é d e n t d e jo u issan ce à
jam ais p e rd u e t to u jo u rs rech erch é.
N ous som m es dev an t q u elq u e chose de com plexe
q ue nous p o u rrio n s d ire ainsi : la nostalgie p ro fo n d e
d u sein o u m ém o ire d e la pulsion est rivale, en n em ie
des satisfactions q u e la pulsion est ch arg ée d ’assurer
et c ’est là q u ’e n tre , dans l’ex p érien ce h u m ain e, la
d estruction.
Cela signifie q ue la m ère m ythique, p o rteu se d u sein,
est à la fois celle q u i p rovoque la nostalgie d u sein, la
satisfaction h allu cin ato ire, en fin de co m p te l’ex citation
m axim ale e t la satisfaction m axim ale mais m ortelle, et
en m êm e tem ps celle q u i apaisera h e u re après h e u re ,
jo u r après jo u r la ten sio n p récé d en te.

Le transfert et la castration

La p récocité d u surm oi d u fait de son o rig in e p réh is­


torique e t p h y lo g én étiq u e se n o u a n t très vite à la consti­
tution d u surm oi œ d ip ie n ; la p réco cité d u conflit
œ dipien dès le sevrage p récip ita n t u n e « id en tificatio n
à la m ère » p o u r les d eu x sexes ; en fin la place cen trale
d o nnée à la m ère com m e m é tap h o re de l’a u tre scène,
lieu du d é p la c e m e n t des objets intériorisés, so n t les
trois avancées qui p e rm e tte n t à M. Klein d ’étab lir la
possibilité d u tra n sfe rt dans la cu re avec les je u n e s
enfants, c o n tra ire m e n t à ce q u e A. F reu d affirm ait. Il
s’agit d ’u n « tran sfert sp o n tan é » e t m êm e en atte n te

225
de se réaliser, car « les objets in téresse n t l ’in c o n scien t
infantile dans la m esure o ù ils e n g e n d re n t o u d issip en t
l’angoisse ; de l ’u n o u l ’a u tre de ces caractères d é p e n d
la fo rm e positive o u négative d u tran sfert q u ’ils susci­
te n t » 83.
P ar ailleurs, l ’orig in alité de la co n ce p tio n de la cas­
tratio n chez M. Klein tie n t à la triad e p rin cep s
m è re /e n f a n t/o b je t (sein, fèces, pénis) p a r ra p p o rt à
la triad e fre u d ie n n e de 1923 m è re /e n fa n t/p h a llu s .
L ’originalité de la co n ce p tio n d u phallicism e de la
m ère est d u e au processus défen sif de d é p lacem en t
d u pénis d u p è re sur elle.
Si la m ère ap p a ra ît com m e abîm ée, am p u tée — varia­
tion de la castratio n — , ce n ’est pas p arce que l’en fa n t
a vu l’absence de pénis, m ais p arce q u ’il a pris fantasm a-
tiq u e m e n t le sein o u le pénis 84. Ce q u i m a n q u e à la
m ère, c ’est ce q u e l ’en fa n t lui p re n d ; il p o u rra d o n c
le lui re n d re e t ré p a re r la m ère « castrée ». N ous avons
là en gestation d eu x grands thèm es k lein ien s : h ain e
e t ré p a ra tio n , envie e t g ratitu d e.
M elanie Klein a ju sq u e-là u n e co n ce p tio n de la castra­
tion de type rétorsif, p ersécu to ire e t im aginaire,
co n cep tio n certes rég lée p a r la loi de l ’éch an g e : ce
q u ’u n garçon p re n d à sa m ère, il le d o n n e ra à sa
fem m e ; ce q u ’u n e fille a reçu de sa m ère, elle le
d o n n e ra à ses enfants. La d im en sio n sym bolique d e la
castration, c ’est-à-dire la p e rte qui au ra des effets de
sym bolisation, sera u n e co n séq u en ce d e la p ro b lém ati­
que d u deuil, telle que M elanie Klein la d ég ag era à
l ’issue de la positio n dépressive.
*

226
Génitalité

Latence

objet perdu SURMOI


Deuil œ d ipien
objet total
Position
dépressive phallique
(attaques sadiques
contre m ère et sein)
Sadisme
Mauvais sein
(absent)
Phase anal
schizo-paranoïde

et
oral
Angoisse
liaison de la pulsion
de m ort par la libido
(pulsion du m oi et
pulsions sexuelles)
SURMOI
archaïque
retour vers le sein

Nostalgie du sein
(satisfaction hallucinatoire)
force invisible
et silencieuse
de la pulsion de m ort

O bjet p hylogénétique
d ’u n e b onté sans pareille

Figure 4
Synthèse du conflit œdipien et de la position dépressive
En 1932, M. Klein écrira La Psychanalyse des enfants,
ouvrage qui p résen te l ’ensem ble de ses p rem ières avan­
cées. Celles-ci se ro n t b ie n tô t reprises, réo rg an isées et
prolongées p a r ce q u i sera v éritab le m en t l’in n o v atio n
de M. Klein dans le ch am p de la psychanalyse, à savoir
la phase schizo-paranoïde e t la p osition dépressive. La
figure 4 te n te d e faire la synthèse de cette réarticu latio n
de la p en sée k lein ien n e.

*
* *

L a métapsychologie kleinienne et ses découvertes

Avoir et être chez l’enfant. L ’enfant aime bien exprimer la


relation d’objet par l’identification: je suis l’objet. L ’avoir est
la relation ultérieure, retombe dans l’être après la perte d’objet.
Modèle : sein. Le sein est un morceau de moi, je suis le sein.
Plus tard seulement: je l’ai, c’est-à-dire je ne le suis pas...
S. Freud

N ous allons m a in te n a n t p é n é tre r plus avant dans


l’originalité m êm e de la pen sée de M elanie Klein, dans
« les p ro fo n d e u rs », selon son expression, de ce que
l’on p e u t ap p e le r la métapsychologie. La m étapsychologie
k le in ien n e élab o re le to u t d é b u t de la co n stitu tio n du
m oi, d u narcissism e prim aire, puis seco n d aire, c ’est-à-
d ire le passage d u com plexe d u sevrage, de la phase

228
M. Klein

fém inine ju s q u ’au com plexe d ’Œ dipe, sous les term es


de phase schizo-paranoïde e t position dépressive.
N ous m a in ten o n s la distin ctio n e n tre « phase » et
« position », m algré le stan d ard « position » u lté rie u r
ad o p té p a r M. Klein e t les kleiniens. Ce stan d ard efface
u ne différence : si la p osition dépressive est b ien u n e
position, term e à p re n d re d an s to u te sa richesse sém an­
tique d e place subjective, la phase schizo-paranoïde
est u n passage, u n e ap p aritio n d o n t seule la position
dépressive d o n n e u n ap erç u de p ro fo n d e u r sans fond,
de cloaque e t de m o rce lle m en t chao tiq u e. Il n ’y a
nulle sym étrie e n tre les deux.
Ces term es de « p hase » o u de « p o sitio n » m a rq u e n t
égalem ent le souci d e M elanie Klein d e n e pas ré d u ire
ces m om ents au tem ps d u d év elo p p em en t de la p etite
enfance. A u co n traire, o n retro u v e les m écanism es
schizo-paranoïdes e t les m écanism es dépressifs plus
tard, à l ’adolescen ce e t à l ’âge ad u lte. Ce sont des
positions subjectives ou des passages à une autre position
subjective autant que des étapes du développement psychique.
L eur élab o ratio n est rep érab le dans trois textes p rin ­
cipaux de M elanie Klein — triptyque de la position
dépressive — qui s’é c h e lo n n e n t sur douze ans, en 1934,
1940 e t 1946.

Le triptyque de la position dépressive

• Dès 1934, « C o n trib u tio n à l ’étu d e d e la psychoge­


nèse des états m aniaco-dépressifs » 85 est u n e ex p lo ra­

229
tion de la psyché k lein ien n e. C om m e L ’Interprétation
des rêves fu t p o u r F reu d le résu ltat d e son analyse 86,
ce texte su r la dép ressio n fu t certa in e m e n t p o u r Mela-
nie Klein, qui a 52 ans, la m a n ière de te rm in e r, de
façon p osthum e, son analyse avec A braham p ar-d elà sa
co n fid e n te P aula H eim an n , avec qui elle p u t p arle r, en
allem and, de sa vie alors p a rtic u liè re m e n t d o u lo u reu se.
C ’est u n texte difficile à lire parce q u e M elanie Klein
superpose des référen ces à « D euil e t M élancolie » de
S. F reud ; aux articles de K. A braham , « La Folie
m aniaco-dépressive » e t « Les états m aniaco-dépressifs
e t les étapes p rég én itales d ’o rg an isatio n d e la
libido » 87 ; à la psychopathologie de la m élan co lie, de
la m anie et de la p a ra n o ïa ; en fin à sa p ra tiq u e avec
les patients très je u n e s et adultes, ainsi q u ’à sa p ro p re
élab o ratio n psychique.
De ces superpo sitio n s se dessine une position centrale
dans le d év elo p p em e n t de l’en fa n t : la position dépressive
infantile q ue l’on p e u t d éfin ir ainsi : le n o u rrisso n , le
sujet, vers six m ois, est dans u n e p o sitio n telle p ar
ra p p o rt à sa m ère q u ’il l ’a p p ré h e n d e p o u r la p rem ière
fois com m e u n e to talité, com m e u n ob jet co m p let e t
n o n plus p a r ses parties (sein, m ains, visage, etc.). Ce
nouveau p o in t de vue a u n effet dép resseu r.
• Six an n ées plus tard , en 1940, dans « Le d eu il e t
ses rap p o rts avec les états m aniaco-dépressifs » 88, M ela­
nie Klein articule clairem en t e t p le in e m e n t la position
dépressive e t les no m b reu ses défenses élevées p o u r
co m b attre la dép ressio n e t le deu il dus à la p e rte de
l ’objet.
• Enfin, ce n ’est q u e six ans après, en 1946, dans
« N otes sur quelques m écanism es schizoïdes » q u e Mela-

230
M. Klein

nie Klein d o n n e ra to u te son am p leu r à u n é ta t p récé­


d a n t la position dépressive, état re p é ré depuis long­
tem ps, d o m in é p a r des angoisses p aran o ïd es e t p a r le
clivage d e l ’o b jet p rim o rd ial en u n o b je t b o n e t un
objet mauvais. Le re p érag e de la p hase schizo-para-
n o ïd e a perm is à M elanie Klein d ’in tro d u ire un
co n cep t qui d ev ien d ra très im p o rta n t dans l ’école klei-
n ie n n e, celui d 'identification projective89.
P ar facilité, je p ré se n te ra i de m an ière sy n thétique la
phase schizo-paranoïde, puis la position dépressive.
Avant tout, je voudrais citer M elanie Klein à p ro p o s
de ces concepts : « Les hypothèses q u e j ’avancerai, et
qui se ré fè re n t aux p rem ières phases d u dév elo p p e­
m ent, so n t inférées à p a rtir d u m atériel o b te n u dans
les’ analyses d ’adultes e t d ’enfants. » 90
Il n e s’agit donc pas d ’observation de n ourrissons
ou d ’u n e réalité tangible, mais de co n stru ctio n s élabo­
rées à p a rtir d ’u n e p ratiq u e discursive ; j ’em ploierai
donc in d ifférem m en t « sujet », « bébé » o u « e n fa n t »,
en sach an t q u ’il s’agit d ’u n enfant fictif.

L a phase schizo-paranoïde

R appelons-nous. Au co m m en cem en t, était le sein. Et


le sujet éta it le sein. Le sujet ne vit q u e p a r le sein,
q u ’en é ta n t le sein (« sein » dans son sens plein : à la
fois m ythique e t sauveteur p a r ra p p o rt à la détresse
du nouveau-né). Mais le bébé, le sujet, risque d ’être
anéanti p a r le sein : soit il d isp araît dans le sein q u an d

231
le sein est p résen t, p u isq u ’il est le sein ; soit c ’est le
n é a n t o u la satisfaction h allu cin ato ire qui l’an n u le en
ta n t que sujet q u a n d le sein est absent. C ’est u n état
d ’angoisse extrêm e, prim itive, u n e angoisse qui est sen­
tie com m e la p e u r d ’être a n éa n ti e t q u i p re n d la forme
de la p e u r de la p ersécu tio n .
Le sujet, le p re m ie r m oi o u « m oi p rim itif », réag it
alors. Sa fo n ctio n p rin cip ale est d ’a d m in istrer cette
angoisse essentielle en clivant l ’ob jet : la d éfen se p ri­
m ordiale dans le système k lein ien est le clivage. Le sein
en ta n t q u ’objet p rim o rd ial va être clivé en u n b o n
sein et u n mauvais sein, o u b ien en u n b o n ob jet q u e
le sujet possède e t u n mauvais qui est absent. C ’est
ainsi que s’instau re u n e altern an ce e n tre le sujet e t
l ’objet, e n tre l’ê tre e t l ’avoir : de n ’avoir pas l ’objet,
le sujet vient à l’être, altern an ce d ’o ù s’o rig in e l’id e n ti­
fication secondaire.
Avançons pas à pas : n o u s rep éro n s d o n c u n e ' p re ­
m ière e t radicale défense p a r clivage q u i divise le sein
en bon, c ’est-à-dire p ré se n t ; e t en m auvais, c ’est-à-dire
absent. Mais en m êm e tem ps que s’installe le clivage
se m e tte n t en place les m écanism es de Y introjection et
d e la projection. Voici u n e rap id e d éfin itio n de ces d eu x
concepts. D ans l ’in tro jectio n , la libido, e n l’o ccu rren c e
la pulsion sadique orale, investit u n o b jet e t en ram è n e
V imago, c ’est-à-dire la d éfo rm atio n fan tasm atiq u e d e cet
objet ex té rie u r qui est alors p erçu com m e « b o n » ou
com m e « mauvais » : ce se ro n t les objets in tériorisés,
d o n t la p ro p rié té fan tasm atiq u e e t p artielle sera in d i­
quée p a r les guillem ets. Ces objets so n t irrém éd ia b le­
m e n t co n n o tés de négativité car est mauvais p a r p rin ­
cipe to u t ce qui est m orceau , y com pris le « b o n » sein

232
M. Klein

qui p e u t parfois p e rsé c u te r ; seul l ’intèg re, le co m p let


est réellem en t b o n , e t p récisém en t l ’in tro jectio n ne
laisse pas subsister l’intèg re.
L ’in tro jectio n p articip e d u m écanism e g én éra l d ’in té­
riorisation, mais elle frag m en te les objets, alors que
l’id entification qui p articip e d u m êm e m écanism e
c o n c e rn e ra les objets dans le u r totalité. U ne fois intro-
jectés, les objets « bo n s » o u « mauvais » re s te ro n t à
l ’in té rie u r de l ’a u tre scène ; ils y sero n t inscrits, d éfiniti­
vem ent. L ’in tro jectio n est u n e m arq u e définitive.
C ’est p o u rq u o i la p ro jec tio n n ’est pas le m écanism e
strictem en t inverse de l’in tro jectio n , car le sujet aura
b eau te n te r d e m e ttre au-dehors les mauvais objets
intériorisés, de les p ro jeter, il n ’y arrivera pas. La p ro ­
jectio n , o u éjection, est la tentative d ’ex p u lser le sadism e
o u bien l ’objet « mauvais ». Bien que p ro jeté, l ’objet
reste mauvais o b jet in tério risé, om b re m a rq u é e dans
le m oi e t d ’a u ta n t plus d a n g ere u sem en t m e n açan t q u ’il
a été p ro jeté sad iq u em en t. D ’où les craintes d e ré to r­
sions vengeresses d e la p a rt d u sein de la m ère sur
lequel s’e x erc en t ces projections.
Le mauvais sein a d o n c d eu x niveaux de d éfin itio n :
c ’est p re m iè re m e n t le sein ab sen t ; d e u x iè m e m e n t et
conséquem m ent, c ’est le sein intério risé, c ’est-à-dire
partiel, « b o n » o u « mauvais ».
Le d é v elo p p em e n t d u sujet qui p re n d son d é p a rt
du clivage de l ’o b je t p rim o rd ial va être régi p ar les
m écanism es de l ’in tro jectio n e t de la p ro jectio n . Le
sujet in tro jecte l ’o b jet fantasm atique en s’en n o u rris­
sant mais aussi en le dévorant, le d é ch iq u eta n t. De
cela, le sujet veut se d é fe n d re en le p ro je ta n t car il

233
crain t ses représailles. L ’angoisse surgit e t le su jet est
poussé à in tro je c te r o rale m en t et sad iq u em en t u n au tre
o b jet équivalent, m ais éloigné de l’o b jet p rim o rd ial.
L ’angoisse surgit de n o u v eau avec la crain te de p ersécu ­
tio n vengeresse. Le sujet est poussé à u n n o u v eau
d ép lacem en t sur u n au tre ob jet équivalent, etc. Il s’agit
là d u m écanism e d u refo u le m en t tel q u e F reu d le
p résen te en 1915 d an s la Métapsychologie, m écanism e
qui est to u t aussi b ie n la m ise en place d u p rin cip e
de plaisir, celui qui baisse la ten sio n p a r le biais d u
je u o u p a r l ’association.
La phase schizo-paranoïde est d o m in ée p a r le
sadism e. Les pulsions sadiques orales, anales e t u rétra-
les se réu n issen t p o u r s’e m p a re r d u sein. L ’e n fa n t est
sous l’em prise d e la crain te d ’u n e vengeance ; il est
soum is à des sen tim en ts e t fantasm es de p ersécu tio n .
La d estru ctio n des p ersécu teu rs p a r des m oyens violents
o u au co n tra ire sournois e t rusés est la p rin cip ale
défense ; p a r exem p le, les p ro jectio n s anales visent à
m e ttre les ex crém en ts dans le corps d e la m ère. La
m ère est alors id en tifiée com m e mauvaise, c ’est l ’id e n ti­
fication projective. E t cela à l ’infini, selon u n « cercle
vicieux ».
Ce c o n ce p t d 'identification projective élab o re u n e réa­
lité clinique dep u is longtem ps re p é ré e p a r M elanie
Klein, en fait dès 1930 91. L ’id en tificatio n projective est
d ’ab o rd l’idée q u ’u n ob jet ex té rie u r p e u t être d étesté
dans la m esure o ù il rep résen te u n e p artie haïssable
d u sujet : le sujet éjecte, p ro jette son « mauvais », ses
excrém ents sur l ’a u tre e t l ’identifie ainsi com m e m au­
vais. Mais ce p e u t être aussi des parties b o n n es q u i sont
ainsi projetées, p e rm e tta n t à l’en fan t de d év elo p p er des

234
M. Klein

relations stables aux objets nécessaires à la con stitu tio n


d u moi.

Ce type d ’id en tificatio n a toutefois l ’in c o n v én ien t de


crée r la confusion e n tre m oi e t l ’au tre, ce qui n ’est pas
sans ra p p e le r les p h én o m èn es de transitivism e. M elanie
Klein précise que la n a tu re arch aïq u e de ce m écanism e
n ’est p résen te de façon n o rm ale que chez le n o u rris­
son, com m e reliq u at des angoisses e t des m écanism es
schizo-paranoïdes et d isp araît au d é b u t de la d euxièm e
année. L ’id en tificatio n projective persiste dans la psy­
chose. L ’utilisation abusive de ce c o n ce p t p ar les an a­
lystes kleiniens a été ré c e m m e n t in terro g ée 92.

Le « m auvais sein », qui se refuse o u se venge, est


alors p e rç u com m e p e rsé c u te u r in te rn e e t ex tern e. Ce
fait e t plus ta rd l ’assim ilation d u « mauvais sein » aux
fèces p ro d u ise n t le caractère fantasmatique e t irréaliste
que l ’e n fa n t e n tre tie n t avec tous les objets de son corps
(les bons d o n n a n t u n im m ense plaisir c o h ab iten t avec
les plus angoissants) e t tous les m o rceau x de son
m o n d e chao tiq u e. H eu reu sem en t, les m écanism es d ’in-
trojection e t de p ro jectio n se p o u rsu iv an t et le « b o n »
objet ayant dès le d é b u t u n e in flu en ce fo n d am en tale
sur le processus d u d év elo p p em en t, le m oi va s’o rg an i­
ser. O n p e u t d ire q u e sans le « b o n » objet, c ’est-à-
dire sans l ’in scrip tio n d u b o n sein p ré se n t e t celle d u
bon sein ab sen t (h allu cin é), le d év elo p p em en t s’a rrê te ­
rait.

A m esure que l ’in tro jectio n e t la p ro jectio n p erm e t­


te n t le d é p lacem en t d ’o b jet en objet, les im ages in té rio ­
risées se ra p p ro c h e n t plus é tro ite m e n t de la réalité, et
l’identification d u m oi avec les bons objets devient

235
plus com plète. C ette évolution va de p a ir avec u n
c h an g e m en t de la plus h au te im p o rtan ce : d ’u n e rela­
tio n à des objets p artiels e t disjoints — « b o n s » et
« mauvais » — le sujet passe à la rela tio n à son ob jet
m ajeur e t prév alen t : la m ère com m e u n to u t.

L a position dépressive

En effet, le m oi de l’e n fa n t se trouve vers six mois


devant la nécessité de re c o n n a ître la réalité psychique
aussi b ien que la réalité ex térieu re ; de re c o n n a ître
q u e les objets réels e t les p erso n n ag es im aginaires,
q u ’ils so ien t ex térieu rs o u in térieu rs, so n t liés les uns
aux autres. L ’e n fa n t en vien t à co n n a ître sa m ère
com m e u n e p e rso n n e en tiè re e t il s’id en tifie alors à
u n e p erso n n e co m p lète, réelle e t aim ée.
La position dépressive est d ’ab o rd caractérisée p ar
la place, la positio n q u ’a le sujet p a r ra p p o rt à la
m ère q u ’il a p p ré h e n d e com m e u n e to talité, u n e form e
com plète. L ’en fa n t investit lib id in a lem e n t cette form e
com plète qui d ev ien t objet d ’amour e t n o n plus seule­
m e n t objet des désirs ; c ’est le narcissism e seco n d aire.
Ensuite cette p o sitio n d o n n e assise à la situ atio n que
l ’o n appelle p e rte d e l’objet. « En effet, la p e rte de
l ’objet ne p e u t pas être ressentie comme une perte totale
avant q ue celui-ci n e soit aim é com m e u n objet
total. » 93 La c o n d itio n de la p e rte de l ’o b jet est l ’accès
à l ’au tre com m e to u t ce qui im m éd iatem en t le d éco m ­
plète. C ette o p é ra tio n est décisive dans u n e cure.

236
M. Klein

Le fran ch issem en t de cette étap e a u n effet dépresseur


et le sadism e d écro ît. J e p ro p o se d e re p é re r les raisons
de la dépression, raisons qui se co n ju g u en t e n tre elles.
• L ’action persistante de l ’angoisse persécutive des « m au­
vais » objets partiels risque de d étru ire, de faire m o u rir
l’o b jet d ’am our, l ’o b jet total. Le sujet d o it affro n te r le
fait q u e l ’objet d ’a m o u r est le m êm e que l ’o b jet de
haine.
• Le sujet d o n t le m oi est co m p lète m en t identifié
à l’o b jet total p e rç o it au m êm e m o m en t sa p ro p re
impuissance à protéger son b o n o b jet total co n tre les
objets p ersécu teu rs intériorisés p récé d em m e n t. C ette
im puissance, assim ilée à u n e faiblesse m ortelle, a u n
effet dépresseur.
• La crain te d e p e rd re l’ob jet aim é, sa p e rte e t le
désir de le retro u v e r p ro v o q u en t, réactiv en t ce q u e
M elanie Klein ap p elle la « nostalgie » d u p re m ie r objet
avant le clivage, le Sein. C ette nostalgie a ég alem en t
un effet dépresseu r.
• E nfin, l ’id en tificatio n de l ’o b jet dans sa totalité,
en ta n t que fo rm e com plète, p e rm e t au m oi de se
constituer é g alem e n t com m e fo rm e totale. La form e
totale d u m oi est d o n c dans la dépendance de l ’objet
aimé.
Ces raisons : la persistance de l’angoisse persécutive,
l’im puissance, la nostalgie, la d é p en d a n ce e t la p roxi­
mité d e l’am o u r e t de la hain e, so n t l’o rig in e de la
dépression infantile, e t co n stitu en t la source la plus p ro ­
fonde des d o u lo u re u x conflits vécus de la situation
œ d ip ien n e au cours de la névrose infantile. Ces raisons

237
so n t ég alem en t à l’o rig in e des dépressions de l ’âge
ad u lte e t l ’occasion de g ran d es souffrances e t d ’in h ib i­
tions m ajeures.
Le sujet, p o u r éviter les souffrances de la d ép ressio n ,
va m e ttre en œ uvre des défenses c o n tre la p résen ce de
l ’objet total, aim é p u isq u e cette p résen ce signe sa p erte.
Le n o m b re des défenses décrites p a r M elanie Klein
est im p ressio n n an t. J e n e m e n tio n n e ra i q u e les plus
im p o rtan tes :
• Les défenses maniaques o ù les sen tim en ts de toute-
puissance essaient de c o n trô le r les « mauvais » objets
d estructeurs. Le trio m p h e su r les objets intério risés que
le m oi d u sujet m aîtrise, h u m ilie e t to rtu re , fait p artie
d e la h ain e (la h ain e vient des pulsions d ’autoconserva­
tio n p o u r d éfen d re le m o i). La p ro te c tio n de l ’in tég rité
d u b o n o b jet to tal sera ainsi assurée, mais d e façon
fragile. P ar ailleurs, la toute-puissance caractérise u n
p e n c h a n t d u sujet à évaluer son o b jet de façd n exces­
sive, soit p a r u n e ad m iratio n sans b o rn es : l ’idéalisa­
tio n ; soit p a r u n m épris to tal : la dévalorisation. Cela
lui p e rm e t de se d é fen d re co n tre « la p e u r de p e rd re
le seul o b jet irrem p laçab le, sa m ère, q u ’il p le u re p o u r­
ta n t au fo n d de lui-m êm e ». En co n séq u en ce, les d éfen ­
ses m aniaques e m p ê c h e n t le travail d u deuil.
• T o u t com m e les défenses dans la fuite : fuite vers
les « bons » objets in tern es (psychoses, autism e) e t fuite
vers les bons objets ex tern es (états a m o u re u x à ré p é ti­
tio n dans les névroses).
• La réparation ou restau ratio n , en fin : le sujet est
co n tra in t, d u fait de son id en tificatio n au b o n objet, à
ré p a re r le « désastre créé p a r son sadism e ». D ifférents

238
M. Klein

fantasm es actu alisen t la ré p a ra tio n : celui de p réserv er


le corps m a tern el des attaq u es des mauvais objets ; o u
de re d o n n e r vie à ce qui a été tué, etc. R ed o n n er
l ’in tég rité à l’o b jet d ’a m o u r a u n effet de restau ratio n
du m oi. La ré p a ra tio n qui re n d form e, b eau té e t p erfec­
tion à l ’objet p e rd u est u n e co n d itio n de l ’accep tatio n
de la p erte. Elle fait d o n c p artie d u travail d u deuil.

Le seul vrai d ép assem en t de la position dépressive


est le travail du deuil, e t le deu il effectué de la m ère
et d u sein ; c ’est-à-dire le d eu il de la p e rso n n e fantasm a­
tique. Cela ne signifiera pas q u e la m ère soit m orte,
mais que le « b o n e x tra o rd in aire », le Bien S uprêm e
q u ’elle re p ré se n te , est p e rd u dès q u ’il est attein t.

E xam iner en détail le m écanism e d u deu il serait


long. R appelons sim p lem en t q u e M elanie Klein
re p re n d e n tiè re m e n t les processus freu d ien s co n cer­
n an t la m élancolie e t le deuil, à savoir : l ’o b jet d ’am o u r
com m e s u p p o rt de l’o b jet p e rd u est réérig é dans le
moi. U n investissem ent d ’o b jet est relayé p a r u n e id e n ­
tification, com m e p o u r la fo rm atio n d u surm oi. Faire
le deuil de l’o b jet aim é sera d o n c l ’aim er en co re plus
en le re sta u ra n t — ce qui provoque la d o u le u r — et
l’installer au-dedans de soi, l’inscrire en soi, mais pas
seulem ent : M elanie Klein pense que la p e rso n n e en
deuil réérige e n elle l ’être q u ’elle vient de p e rd re , et
réinstalle ég alem e n t ses « bons » objets in tério risés qui
avaient risqué la destru ctio n .

Résum ons-nous. La p o sitio n dépressive se caractérise


d ’être le m o m e n t crucial au cours d u d év elo p p em en t
où le sujet a réussi, en tro u v an t p e u à p e u la b o n n e
position, à réaliser la m ère com m e ob jet dans sa totalité

239
et, d u coup, a réussi p re m iè re m e n t à o rg an iser le
m o n d e ch ao tiq u e des objets partiels en les p la ç a n t au-
dedans o u au-dehors de cette fo rm e to tale, ce qui va
de p a ir avec u n e baisse de l’angoisse ; d eu x ièm em en t,
à en trev o ir la p e rte de cet ob jet d ’a m o u r q u ’est la
m ère mais qui en d e rn iè re analyse est le sein que
lui-m êm e avait été to u t autrefois. D ’o ù la d ép ressio n
(im puissance, nostalgie e t d é p e n d a n c e ) e t le deuil.
C ’est de l ’issue d u travail d u deuil d e l’o b jet p rim o rd ial
que d é p e n d ra la sortie de la névrose in fan tile et de
la névrose de transfert.

P o u r M elanie Klein, to u t deu il su rv en an t u lté rie u re ­


m e n t dans la vie ré an im era la p o sitio n dépressive, c ’est-
à-dire q u ’il y au ra u n e bouffée co n fu sio n n elle activée
p a r les angoisses persécu trices e t les sen tim en ts de
haine, de désespoir e t de nostalgie. La nostalgie, c ’est-
à-dire la m ém oire d u « b o n » objet, sera le stim u lan t
d u travail d u deuil. Ce n ’est q u e l ’am o u r p o u r l ’ob jet
e t n o n la h ain e qui assurera le processus. A ce stade
d u deuil, la souffrance p e u t dev en ir p ro d u c tric e et n o n
plus in h ib itrice. La reco n stru c tio n d u m o n d e in té rie u r
caractérise alors le succès d u travail d u deuil.

M elanie Klein acco rd e à cette c o m p ré h en sio n d u


deuil accom pli u n e p o rtée th é o riq u e e t th é ra p e u tiq u e
d ’u n e im p o rtan ce telle q u ’e n 1940 elle la d it im possible
à évaluer p le in e m e n t94. Ce n ’est q u e n e u f ans plus
tard q u ’elle en fera le critère de la fin de l ’analyse 95.

En effet, m êm e si des résultats satisfaisants o n t été


o b ten u s au cours de la cure, la fin de celle-ci va
inévitablem ent faire resu rg ir des sen tim en ts d o u lo u ­
reu x e t réactiver les angoisses o riginaires d e p ersécu ­

240
M. Klein

tions e t de dépressions. Cela p résu p p o se n o n seu lem en t


l’analyse des p rem ières ex p érien ces de deuil, mais sup­
pose aussi que la fin de la cu re soit équivalente à u n
état d e deuil. Le travail de deu il se p o u rsu it d ’ailleurs
après la term in aiso n des séances.

L ’envie

L ’évocation d u d e rn ie r travail th é o riq u e im p o rta n t


de M elanie K lein, « Envie e t G ratitu d e », pu b lié en
1957 96, va te rm in e r l ’ensem ble de cette p résen ta tio n .
M elanie Klein a 75 ans. P ar cet ouvrage, elle re n d
un ultim e hom m ag e à Karl A braham u n e tre n ta in e
d ’années après sa m ort, h om m age p o u r les découvertes
q u ’il avait faites c o n c e rn a n t les pulsions d e d estru ctio n
liées à l ’oralité e t à l’envie. C ’est aussi u n e so rte de
synthèse com m e M elanie Klein a e u l ’h ab itu d e d ’en
faire, à p a rtir des an n ées 50, en m e tta n t à ch aq u e
fois en lu m ière u n aspect singulier, o u de nouvelles
hypothèses.
Ici il s’agit des n o tio n s d ’envie e t de gratitu d e. L ’en ­
vie est liée au com plexe d ’Œ d ip e : on p arle de l ’envie
du pénis chez la fille ou de l ’envie de la féminité e t de
la grossesse p o u r le garço n , dans le cas d ’inversion de
l’Œ dipe. P o u r M elanie Klein, ce désir est com plexe,
car l’envie d u pénis d u p è re q u i a son existence p ro p re
est ren fo rcée p a r d eu x sources : p a r l ’envie d u corps
de la m ère e t p a r celle de to u t ce q u ’il co n tien t, le
pénis e t les bébés.

241
Mais l’envie dérive en fait d ’u n e fo rm e o rig in aire
qui est l ’envie du sein : c ’est la p rem ière é m o tio n fo n d a­
m en tale dans la rela tio n d u sujet au sein m a tern el
e t à la m ère. C ette rela tio n est d ’ailleurs issue d ’u n
re to u rn e m e n t : « Avoir fait p artie d u corps m a tern el,
écrit M elanie Klein, d u ra n t la gestation co n trib u e sans
d o u te au sen tim en t in n é d e l ’en fa n t q u ’il existe, ex té­
rie u r à lui, q u elq u e chose q u i est capable d e co m b ler
tous ses besoins e t tous ses désirs. Le b o n sein in c o r­
p o ré fait dès lors p artie in tég ran te d u m o i; l ’en fa n t
qui se trouvait d ’ab o rd à l ’in té rie u r d e sa m ère place
m a in te n a n t la m ère à l ’in té rie u r d e lui-m êm e. » 97

Mais, nous le savons, le sein se fait ab sen t e t u n


é lém en t de fru stratio n est n écessairem en t in tro d u it
dans la to u te p rem ière rela tio n de l ’e n fa n t au sein
m atern el. L ’envie est alors le sen tim en t de co lère q u ’é­
prouve u n sujet q u a n d il crain t q u ’u n a u tre , la m ère
o u u n au tre en fan t, ne possède cette chose désirable
e t n ’en jouisse, « jalo u issan ce », d ira Lacan.

L ’envie d u sein p e u t aussi b ien être p ro v o q u ée p a r


la gratification d u b o n sein puisque la g ratificatio n est
la preuve des ressources infinies d u sein, q u e p a r la
fru stratio n ou la p e rte d u sein.

L ’envie se réalise p a r la d é p ré d a tio n , le saccage d u


sein et p a r l ’in tro d u c tio n dans le sein m a tern el de
to u t ce qui est mauvais : les « mauvais ex crém en ts » o u
les « mauvaises parties » d e soi. La créativité d u sein
— e t là M elanie Klein p en se aux in te rp ré ta tio n s d o n t
elle n o u rrit ses p atien ts — est réd u ite à rie n p ar l ’as­
p ect d estru ctif de l ’id en tificatio n projective. L ’envie
c ’est, litté ralem en t, « je te r le mauvais œ il », in video.

242
M. Klein

N ous retro u v o n s là le g ran d th èm e k lein ien — déjà


ex p lo ré à p ro p o s de la phase schizo-paranoïde. P o u r­
tant, ici, M elanie Klein sem ble re n c o n tre r d eu x lim ites
au cercle vicieux in fin im e n t rétorsif. Et ce sero n t mes
d eu x d ern iè res rem arques.
La p rem ière lim ite est la prise en co m p te de l’ab­
sence d u sein qui en tro u v re à l’absence p u re, au vide
sans m éch an ceté, n i attaq u e, ni d o n c rép aratio n . C ette
absence est source de la créatio n : en effet, « les désirs
inassouvis — qui n e sau raien t être com blés — co n tri­
b u e n t à ouvrir la voie aux sublim ations et aux activités
créatrices » 98.
La deu x ièm e lim ite est l ’éch ec de l’analyse d u
tran sfert n ég atif lié à l ’envie chez les p atien ts qui p ré ­
sen ten t des angoisses p aran o ïd es et des m écanism es
schizoïdes sans ê tre p o u r a u ta n t psychotiques. Mais
p eut-être que plus q u ’u n e analyse fo rcen ée d u tran sfert
n ég atif qui, com m e je l ’ai souligné, reste u n e q uestion
im p o rtan te, ces patien ts attendaient-ils la reco n n ais­
sance d ’u n désir, q u elq u e chose com m e u n « plus de
sein » équivoque.

Conclusion

Fem m e qui a éveillé des passions, M elanie Klein a


mis to u te la sien n e dans la psychanalyse. Elle a réussi
à p o rte r sa pen sée à la connaissance de b eau c o u p :
psychanalystes dans le u r m ajorité, ph ilo so p h es " , écri­
vains.

243
A u jo u rd ’hui, il y a u n e accep tatio n m o n d iale d e son
œ uvre p a r l ’A ssociation In te rn a tio n a le de Psychanalyse,
m ais aussi, plus p ro c h e de nous, p a r Jacq u es Lacan.
Lacan qui co m p arait le stade d u m iro ir à la position
dépressive 100 ; o u b ie n les objets in tério risés à des signi­
fiants 101 ; o u en co re qui a su d o n n e r au m auvais ob jet
sa fo n ctio n de cause d u désir (kakon). E nfin, si M elanie
Klein a fait to m b er le p ère freu d ie n , Lacan n ’a-t-il pas
abouti to u t près de là ?
En effectu an t u n re to u r à F reud, Lacan a eu des
points de d é p a rt dans le ch am p de la psychanalyse.
U ne des assises p rincipales, je le p en se m a in te n a n t, a
été l ’œ uvre de M elanie Klein. Il n e s’agira d o n c pas,
dans les effets à venir de cette lectu re, de m e su re r
M. K lein à l ’au n e la can ie n n e p u isq u e n ’ayant pas dis­
tingué les trois registres de l’Im aginaire, d u Sym bolique
e t d u Réel, elle serait p e rd a n te dans la com paraison.
Au co n tra ire, la rig u e u r épistém o lo g iq u e v o u d rait que
soit re p é ré ce qui, d ’elle, co m p ta p o u r Lacan.

244
E x tra its
l ’œ u v r e d e M . K le in

B io g r a p h ie
d e M e la n ie K le in

C h o ix
b ib lio g r a p h iq u e
Extraits
de l’œuvre de Melanie Klein

Melanie Klein et Anna Freud

Il y a plus de divergence e n tre la co n ce p tio n d ’A nna


F reud e t m a c o n ce p tio n de la p rem ière en fan ce q u ’e n ­
tre les vues de F reu d , prises dans le u r ensem ble, et
les m iennes l .

Melanie Klein et Sândor Ferenczi

Je dois b eau c o u p à Ferenczi. U ne chose q u ’il m ’a


fait saisir et q u ’il a d év eloppée en m oi, c ’est la convic­
tion de l ’existence d e l’in co n scien t e t de son im p o r­
tance dans la vie psychique 2.

La technique du jeu

(...) m a p ratiq u e avec les enfants, com m e avec les


adultes, ainsi que m a co n trib u tio n à la th é o rie psycha­
nalytique dans son ensem ble, dérivent, en définitive,
de la tech n iq u e d u je u développée avec les je u n e s
enfants 3.

247
La psychanalyse d ’enfants

Si elle est co n d u ite assez loin, l ’analyse des je u n e s


enfants, com m e celle des enfants plus âgés, d o n n e u n e
im age d ’u n e com plexité e x tra o rd in a ire [qui] m o n tre
q u ’à l ’âge de trois ans p a r exem ple, ju s te m e n t parce
q u ’ils so n t déjà, d ans u n e très large m esu re, des p ro ­
duits de la cu ltu re, les enfants o n t traversé e t trav ersen t
en co re de graves conflits 4.
*

Si nous com paro n s cette te ch n iq u e avec celle des


adultes, nous re m a rq u o n s ceci : no u s ad m etto n s
in c o n d itio n n e lle m e n t q u ’u n e véritable situ atio n analyti­
que ne p e u t s’étab lir q u e p a r des m oyens analytiques 5.
*

Mais l’en fa n t ? Q u el p e u t être le rete n tisse ip e n t de


l’analyse su r u n e vie en p lein e évolution ? E n liq u id an t
les fixations sadiques infantiles, elle m o d è re la rig u e u r
d u surm oi, l ’in ten sité de l ’angoisse e t des besoins ins-
tinctuels. [...] En favorisant ce processus, l ’analyse suit
e t soutient, étap e p a r étap e, le cours n a tu re l de la
croissance de l’en fan t. [...] N ous posons im p lic item en t
des lim ites aux possibilités de l’analyse en s o u te n a n t
q ue les effets des p rem ières situations an x io g èn es ne
cessent jam ais c o m p lète m en t de se m an ifester 6.
*

L ’avis de Sigmund Freud sur Melanie Klein

V otre d em an d e q u e l’analyse des en fan ts soit u n e


vraie analyse, to u t à fait in d é p e n d a n te de to u te m esure

248
M. Klein

éducative, m e sem ble to u t a u ta n t n o n fo n d ée th é o ri­


q u e m e n t q u ’in a d éq u ate dans la réalité. Plus j ’en
ap p ren d s sur les choses, plus je crois que M elanie Klein
est dans la m auvaise voie et A n n a sur la b o n n e 7.

Un souvenir d ’un élève de Melanie Klein

Mrs Klein m e d it u n e fois : « G râce à D ieu, D o cteu r


Gammil, vous n ’avez pas in te rp ré té l ’envie dans ce
m atériel, car il n ’y avait rie n qui s’y rattach e. T o u te
cette sem aine, j ’ai eu plusieurs p erso n n es qui o n t
apporté d u m atériel et in te rp ré té l ’envie, alors q u ’il
n ’y avait p o u r cela a u cu n e preuve clinique. Vous savez,
je ne sais pas si m o n œ uvre sera d étru ite p a r m es
partisans les plus fervents o u p a r m es pires e n n e ­
mis !... »8

L’avis de Jacques Lacan sur Melanie Klein

Elle n e re n c o n tre , cette qu estio n d o n t le sujet p o n c­


tue le signifiant, pas d ’au tre éch o q u e le silence de la
pulsion de m o rt, d o n t il a b ien fallu q u ’elle e n tre en
jeu p o u r p ro v o q u er ce fo n d de dépression, reco n stitu é
par Mme M elanie Klein dans ce génie qui la guide au
fil des fantasm es 9.

*
* *

249
Références des E xtraits cités

1. « L e s origin es du tran sfert» (1951) in Revue Française


de Psychanalyse 16, n° 2, p. 209.
citée par P. G rosskurth, Melanie
2. « A u tob iograp h ie »
Klein, son monde et son œuvre, PUF, 1990, p. 104.
3. « La tech n iq u e psychanalytique d u je u , son h istoire et
sa signification » (1955) in Le Coq-Héron, n° 78, 1980.
4. Essais de Psychanalyse, « C olloq u e sur l ’analyse des
e n fa n ts» (1 9 2 7 ), p. 195.
5. Ibid., p. 182.
6. La Psychanalyse des enfants, « L im ites e t p o rtée d e l ’ana­
lyse d es en fan ts » (1 9 3 2 ), pp. 287-288.
7. S. Freud, 22 février 1928, lettre in éd ite à E. Jon es.
8. Jam es G am m il, « Q u elq u es souvenirs p erso n n els sur
M elanie K lein » in Melanie Klein Aujourd’hui.
9. J. Lacan, « R em arque sur le rapport de D an iel
L agache », in Ecrits, Seuil, 1966, p. 667.

250
Biographie
de Melanie Klein

VIENNE

1882 N aissance d e M elanie Reizes dans u n e fam ille


30 m ars juive d o n t le p è re est m édecin.
B enjam ine de trois aînés : Em ilie, E m m anuel
qui m e u rt e n 1902 e t S idonie qui m e u rt en
1886. P ro jet de faire des étu d es m édicales.

1899 17 ans. R en co n tre avec A rth u r Klein q u i fait


des étu d es d ’in g é n ieu r chim iste.

1900 M ort d e son p ère, M oritz Reizes.

1903 21 ans. M ariage avec A rth u r Klein. Le couple


31 m ars au ra trois en fan ts : M elitta en 1904, H ans en
1907 e t E rich en 1914.

1907-14 N o m b reu x voyages et cures de repos à la suite


de dépressions. La m ère de M elanie Klein,
Libussa, s’o ccu p e d u foyer ; elle m e u rt en
1914.

BUDAPEST

1910 Installation de la fam ille Klein à B udapest.

251
1914 32 ans. L ecture de L ’Interprétation des rêves de
S. F reud, conviction im m éd iate e t e n th o u ­
siaste.
1914 o u 1916, d é b u t d ’u n e cu re analytique
avec S ân d o r F erenczi q u i l’e n co u ra g e à se
co n sacrer à la psychanalyse et, en p articu lier,
à l ’analyse des enfants.

1919 P résen tatio n à la Société psychanalytique de


B udapest de son p re m ie r tex te : « Le ro m an
fam ilial à son état naissan t » (éd u ca tio n analyti­
q ue de son fils E rich ).
M em bre de la Société d e B udapest.
C h u te de l’E m p ire austro-hongrois.

1920 « A u-delà d u p rin cip e d u plaisir » d e F reud.


Au congrès d e La Haye, M. Klein e n te n d la
com m u n icatio n d e H erm in e von H ug-Hell-
m u th , « De la te ch n iq u e de l’analyse des
enfants ».

BERLIN

1921 M. Klein s’installe à B erlin. N om breuses cures


d ’enfants. S outien de Karl A braham .

1923 M em bre de la Société d e B erlin.


F reud publie « Le Moi e t le Ça », « L ’organisa­
tion génitale in fantile », « La d isp aritio n d u
com plexe d ’Œ d ip e ».

252
M. Klein

1924 42 ans. D éb u t 1924 à m ai 1925 : analyse de


14 mois avec K. A braham . En avril, M elitta
épouse W alter S chm ideberg.
Au V IIIe C ongrès In tern a tio n a l d e Psychana­
lyse, M. Klein p ré se n te « La tech n iq u e de l’an a­
lyse des je u n e s enfants ».
Découverte du Surmoi archaïque et de la pré­
cocité du complexe d’Œdipe.

1925 En ju ille t, M. Klein d o n n e des co n féren ces à


L ondres grâce à Alix Strachey.
Invitation de E rn est Jo n es à s’in staller en
A ngleterre. M ort d e K. A braham , le 25 décem ­
bre.

LONDRES

1926 Divorce e n tre M elanie e t A rth u r Klein. En


sep tem b re, M. Klein arrive à L ondres. Soutien
de E. Jo n e s e t des psychanalystes anglais.
F reud p u b lie Inhibition, symptôme et angoisse.

1927 45 ans. A près la p aru tio n d u livre d ’A nna


F reud, Le Traitement psychanalytique des enfants,
M. Klein organise u n colloque sur l ’analyse des
enfants.
Acte de fondement analytique de la pratique
avec les enfants.
M. Klein dev ien t m em b re de la Société b ritan ­
n iq u e d e Psychanalyse.

1929 F reud p u b lie Malaise dans la civilisation.

253
1929 Analyse de Dick (en fan t autiste de 5 ans) ju s ­
q u ’en 1946.
Démonstration de l’importance du symbole
dans le développement du moi.
1932 P ublication de La Psychanalyse des enfants. P re­
m ières analyses didactiques.
D éb u t des relations hostiles e n tre M. Klein et
sa fille M elitta.

1933 M ort d e S. Ferenczi. A rrivée d e P aula H eim an n


en A ngleterre.

1934 52 ans. M ort d e son fils H ans d an s u n accid en t


d e m o n tag n e, en avril. En août, p ré se n ta tio n
d e « C o n trib u tio n à la psychogenèse des états
m aniaco-dépressifs ».

1934-40 Découverte de la position dépressive et de la


1940-46 phase schizo-paranoïde.

1936 C o n féren ce su r « Le sevrage ».

1937 P ublication de L ’Amour, la haine et le besoin de


réparation, d e M. Klein e t J o a n Rivière.

1938 Arrivée à L ondres, en ju in , d e F reu d avec


son épo u se e t sa fille A nna. Il y m o u ru t le
23 sep tem b re 1939.

1940 R édaction définitive de la co m m u n icatio n faite


au XVe congrès en 1938, « Le deu il e t ses rap ­
ports avec les états m aniaco-dépressifs ».
D issensions e n tre M. Klein e t A. F reud.
S econde G u erre m ondiale.

254
M. Klein

1941 59 ans. Analyse de R ichard, u n g arçon de


10 ans. Connexion entre complexe de castra­
tion et position dépressive (cf. 1945, « Le com ­
p lexe d ’Œ d ip e éclairé p a r les angoisses p ré c o ­
ces » et 1956-59, réd actio n de Récit d ’une
analyse d ’enfant).

1942-44 Les Assem blées E x trao rd in aires e t les Discus­


sions C ontroversées o rg an isen t les oppositions
th é o riq u es e t p olitiques e n tre les kleiniens et
les anna-freudiens.
C onclusions en novem bre 1946 : la Société b ri­
ta n n iq u e est divisée en trois G roupes et la For­
m atio n en d eu x enseignem ents.
Elaboration de la doctrine kleinienne par
M. Klein et ses élèves, J. Rickm an, C. Scott,
D. W innicott, S. Isaacs, J. Rivière et P. H ei-
m ann.

1944 C om m unicatio n « La vie ém o tio n n elle des


bébés ». Analyse de H a n n a Segal.

1946 C om m u n icatio n « N otes su r quelq u es m écanis­


m es schizoïdes » o ù la notion d’identifîcation
projective sera in tro d u ite dans la réd actio n
de 1952 e t dév elo p p ée p a r les kleiniens, en
p articu lier H. R osenfeld à p ro p o s des psycho­
ses.

1947 65 ans. P ublication des Essais de Psychanalyse


(1921-1945).

255
1949 C ongrès de Z urich, « Sur les critères de fin
d ’analyse ».
Conception de la fin de la cure comme une
expérience de deuil.
« Le stade d u m iro ir com m e fo rm a te u r d e la
fo n ctio n d u J e » de J. Lacan (p rem ière version
d u stade d u m iro ir en 1938 ; in tro d u c tio n d u
« T em p s lo g iq u e » en 1945).

1951 C ongrès d ’A m sterdam , « Les origines du


tran sfert ».

1952 70 ans. B an q u et organisé p a r E. Jo n e s en son


h o n n e u r e t p u b licatio n d e Développements de la
psychanalyse p a r ses disciples e t collègues.

1953 C ongrès de L ondres, in terv en tio n su r « La psy­


chologie de la sch izo p h rén ie », « De l ’id en tifi­
cation ». Lacan p ro n o n c e « F o n ctio n e t ch am p
de la p aro le e t d u langage » à R om e.

1955 Fondation du Melanie Klein Trust.


C ongrès de G enève, « Une étude sur l’envie
et la gratitude ».
R u p tu re avec P. H eim an n .
P ublication d e « La te ch n iq u e psychanalytique
d u je u ; son h istoire, sa signification », article
écrit d ’u n e co n féren ce de 1953.

1957 P ublication de Envie et gratitude.

1958 M ort d ’E rn est Jo n es.

1959 « Les racines infantiles d u m o n d e ad u lte ».


C ongrès de C o p en h ag u e, « Se se n tir seul ».

256
M. Klein

1960 78 ans. Au p rin tem p s, M. Klein est attein te


d ’aném ie. Elle subit u n e o p ératio n d ’u n can ­
cer d u côlon en sep tem b re et m e u rt le 22 sep­
tem bre.

1961 P ublication d e Récit d ’une analyse d ’enfant.

257
Choix
bibliographique

KLEIN, M.

Essais de psychanalyse, Payot, 1972.

La Psychanalyse des enfants, P.U.F., 1969.

L ’A mour et la haine, Payot, 1968.

Développements de la psychanalyse, P.U.F., 1976.

Envie et gratitude et autres essais, G allim ard, 1968.

Psychanalyse d ’un enfant, T ch o u , 1973.

« Sur les critères d e fin d ’analyse » in Psychanalyse


à l ’Université, d éce m b re 1982, to m e 8, n° 29.

« La te ch n iq u e psychanalytique d u je u ; son his­


to ire et sa signification » in Le Coq-Héron, 1980,
n° 78.

« Le sevrage » in Le Discours psychanalytique, 1982,


n° 4 e t 5, 1983, n° 7.

« Les origines d u tran sfert » in Revue Française de


Psychanalyse, 16, n° 2.

258
M. Klein

COLLECTIF, PSYCHANALYSE, C.L.E., Melanie Klein


aujourd’hui, 1985.

GROSSKURTH, P., Melanie Klein, son monde et son œuvre,


P.U.F., 1990.

LAURENT, E., « Ce q u e savait M elanie » in Ornicar ?,


n° 24, 1981.
— « Trois guises d e l’ob jet » in Ornicar ?, n° 26-27,
1983.

MELTZER, D., Le Développement kleinien de la psychana­


lyse, t. 1 e t t. 2, Privat, 1984 e t 1987.

PETO T, J.-M ., Melanie Klein, Premières découvertes et pre­


miers systèmes 1919-1932, D unod, 1979.
— Melanie Klein, Le moi et le bon objet, 1932-1960,
D unod, 1982.

PONTALIS, J.-B., « Nos d éb u ts dans la vie selon M ela­


nie Klein » in Après Freud, G allim ard, 1968.

SEGAL, H ., Introduction à l ’œuvre de Melanie Klein,


P.U.F., 1969.
— Melanie Klein : développement d ’une pensée, P.U.F.,
1982.

THOMAS, M.-C., « La Play-Technique » in Le Discours


Psychanalytique, n° 5, 1982.

259
Introduction
à r œuvre
de

WINNICOTT

A.-M. ARCANGIOLI
La vie de Donald Woods Winnicott
*
L ’œuvre de D. W. Winnicott
*

Période de dépendance absolue


*

Les trois fonctions maternelles


*
La mère suffisamment bonne
*
Le vrai self
La mère insuffisamment bonne

Troubles psychiques dont l ’origine se situe durant


la période de dépendance absolue.
Orientations thérapeutiques

Période de dépendance relative

Les phénomènes transitionnels


L a vie de D onald Woods W innicott *

D onald W oods W in n ico tt est n é à Plym outh, u n p o rt


du sud-ouest de la G rande-B retagne. Il passe son
enfance dans u n e vaste d em eu re ag rém en tée d ’u n
gran d ja rd in . Ses p aren ts so n t p ro testan ts. Il est l ’u n i­
que garçon de la fam ille, il a d eu x sœ urs aînées. Son
père est très o ccu p é p a r ses activités professionnelles
et politiques. W in n ico tt s’exprim e su r son p e u de dispo­
nibilité : « P e n d a n t m es p rem ières années, m o n p ère
m e laissa tro p souvent à la garde d e m es n o m b reu ses
m ères e t les choses n e se sont jam ais co m p lète m en t
redressées 102 ». Ses p a re n ts so n t d e grands am ateurs
d ’art e t tous les m em b res de la fam ille s’a d o n n e n t à
la m usique.

Selon ses dires, W in n ico tt est envoyé en p en sio n à


Cam bridge p a r son p è re qui l’e n te n d p ro n o n c e r un
juron. C ’est là q u ’il co m m en cera ses étu d es de m éd e­
cine. O n raco n te q u e c ’est à la suite d ’u n e fractu re à

* Texte écrit avec la collaboration de J.-D. Nasio.

265
l’âge de 16 ans q u e W in n ico tt au rait choisi cette o rien ­
tatio n dans l ’esp o ir de n e jam ais d é p e n d re d ’u n m éd e­
cin en cas d e m aladie. Au d é b u t d e la g u e rre de 1914,
il a 18 a n s ; il est d ’ab o rd aide-infirm ier à C am bridge,
puis il s’engage dans la m arin e. A près la g u erre, il
p o u rsu it ses étu d es à L o n d res e t o b tie n t son d iplôm e
de m édecin e n 1920.

C ’est en lisant u n livre de F reu d q u ’il a l ’in tu itio n


que la psychanalyse est la voie q u ’il ch erch ait. En 1923,
à l’âge de 27 ans, il e n tre p re n d u n e cu re analytique
avec Jam es Strachey, qui d u re ra dix ans. D u ra n t cette
m êm e an n ée , W in n ico tt o b tie n t d eu x postes de consul­
ta n t en p éd iatrie, n o ta m m e n t au P a d d in g to n G reen
C h ild re n ’s H ospital, h ô p ital dans leq u el il ex ercera
p e n d a n t q u a ra n te ans. Sa co n su ltatio n de p é d iatrie se
tran sfo rm e ra p e u à p e u en co n su ltatio n de pédopsy­
chiatrie.

En 1924, il se m arie u n e p rem ière fois. Il divorcera


p eu après la m o rt de son p è re qui a lieu en 1948.

W innicott dev ien t psychanalyste qualifié d e la Société


b rita n n iq u e de Psychanalyse vers 1935. Il suit u n e
supervision avec M elanie Klein d e 1935 à 1940. A la
m êm e ép o q u e, M elanie Klein lui d em an d e de recevoir
son fils Eric en analyse.

En 1940, W in n ico tt engage u n e seco n d e analyse de


dix ans avec J o a n Riviere. P e n d a n t la g u e rre de
39-45, W innicott devient psychiatre c o n su ltan t des for­
ces arm ées. C ’est là q u ’il re n c o n tre sa deu x ièm e
fem m e, C lare B ritton, travailleuse sociale en psychia­
trie. Ils se m a rie n t en 1951.

266
D. W. WlNNICOTT

En 1954, W innico tt in te rc è d e au p rès de M elanie


Klein p o u r q u ’elle accep te d e recevoir sa fem m e en
analyse. P o u r m ieu x ap p u y er sa d em an d e, W in n ico tt
rappelle à M elanie Klein q u ’il avait d û re n o n c e r à
en g ag er u n e cu re analytique avec elle afin d e se consa­
crer en to u te lib erté à l ’analyse de son fils Eric. Finale­
m ent, Clare W in n ico tt suivra u n e cu re analytique avec
M elanie Klein ju s q u ’à la m o rt de cette d e rn iè re. R em ar­
quons que cette cu re se d éro u le ra dans u n clim at
p articu lièrem e n t orageux.
P o u r situer la place de D. W. W in n ico tt dans la
Société b rita n n iq u e de Psychanalyse, il co n v ien t de
rap p eler q u ’à p a rtir des an n ées 40, la Société est le
lieu de q uerelles ex trê m e m e n t violentes. Ces q u erelles
aboutissent en 1946 à la mise en place de d eu x p ro ­
gram m es de fo rm atio n . Il y a d eu x groupes an tag o n is­
tes, les Anafreudiens (élèves d ’A n n a F reu d ) e t les Klei-
niens, plus u n certain n o m b re d ’analystes q u i refu sen t
d ’ad h ére r à l ’u n o u l ’au tre « p arti » e t se re g ro u p e n t
sous l ’ap p ellatio n de Middle Groupe. C ’est dans ce
Middle G roupe q ue W in n ico tt trouve sa place. Sa rela­
tion avec A nna F reu d , mis à p a rt certains m o m en ts
critiques, est p lu tô t placée sous le signe de la n eu tralité.
Il en va a u tre m e n t de sa relatio n avec M elanie Klein,
car en tre eux s’est tissée u n e lo n g u e am itié qui sera
assombrie p a r leurs divergences th éo riq u es e t te ch n i­
ques.
A l’in té rie u r d e la Société b ritan n iq u e de Psychana­
lyse, W innicott o ccu p e d ifférents postes im p o rtan ts. Il
en est n o ta m m e n t le P résid en t de 1956 à 1959 e t de
1965 à 1968. A l ’occasion d e son p re m ie r m an d at, il
écrit à u n collègue : « Je m e sens d rô le lo rsq u e j ’occupe

267
le siège d u P résid en t p arce q u e je n e co n n ais pas m on
F reud com m e u n P résid en t devrait le c o n n a ître , m êm e
si je sens que j ’ai d u F reu d ju sq u e dans la m o elle de
m es os 103 ».
T o u t au long de sa carrière, W in n ico tt est très sou­
vent sollicité p o u r p ré se n te r des co n féren ces d evant
des au d ito ires variés, m édecins, travailleurs sociaux,
enseignants. Il fait ég alem en t u n e série d ’ém issions
ra d io p h o n iq u es à la BBC sur le d év elo p p em e n t de
l’enfant. Son activité p ro fessio n n elle très den se n e l ’em ­
p êch e pas de s’in téresser aux arts, à la vie sociale et
politique. Il est en co re e n p lein e activité lo rsq u ’il
m eurt, en 1971, d ’u n e m aladie p u lm o n aire e t card ia­
que.
Ces rep ères b io g rap h iq u es é ta n t posés, venons-en
m a in te n a n t à l ’œ uvre.

L ’œuvre de D. W. W innicott

T o u t au lo n g de son œ uvre, W in n ico tt m e t l ’accen t


sur l ’in flu en ce de l’e n v iro n n e m en t dans le d év elo p p e­
m e n t psychique de l ’ê tre h u m ain.
P o u r W innicott, com m e p o u r tous les au teu rs qui
é tu d ie n t son évolution, l ’être h u m a in p o rte en lui u n e
te n d a n c e in n é e à se d év elo p p er e t à s’u n ifier. C ette
ten d an ce s’actualise dans la mise en œ uvre des p ro ces­
sus de m atu ratio n . S ur le p lan psychique, l ’expression
« processus de m atu ratio n » s’ap p liq u e à la fo rm atio n

268
D. W. WINNICOTT

e t à l ’évolution d u m oi, d u ça e t d u surm oi, ainsi q u ’à


la m ise en place des m écanism es de défense élaborés
p a r le m oi chez u n individu sain. La santé psychique
rep o serait d o n c sur le libre d é ro u le m e n t d e ces proces­
sus d e m atu ratio n . C ep en d a n t, c ’est l’en v iro n n em en t,
re p ré se n té a u d é b u t p a r la m ère o u l ’u n de ses substi­
tuts, qui p e rm e ttra o u en trav era le libre d é ro u le m e n t
de ces processus. Suivant ce fil c o n d u c te u r défini p a r
l’in teractio n e n tre l ’e n v iro n n e m en t et le développe­
m e n t psychique de l’être h u m ain , nous allons considé­
re r les d eu x p rem ières p ério d es de la vie. D ’ab o rd la
p ério d e initiale, d e la naissance à 6 mois, o ù le p e tit
en fa n t est dans u n état de dépendance absolue à l’ég ard
de l’en v iro n n e m en t, c ’est-à-dire de la m ère. Puis, la
. seconde p ério d e , de 6 m ois à 2 ans, o ù l ’en fa n t est au
co n traire dans u n é ta t de dépendance relative.
T oujours p réo ccu p és p a r l’in flu en ce de l ’en v iro n n e­
m ent, nous étu d iero n s en su ite les troubles psychiques
d o n t l ’étiologie se situe p récisém en t au cours de ces
deux pério d es, e t les o rien tatio n s th é ra p eu tiq u es p ro ­
posées p a r W in n ico tt p o u r le tra ite m e n t de ces tro u ­
bles.

Période de dépendance absolue

P renons le p re m ie r p o in t : l ’évolution psychique de


l’être h u m a in d u ra n t la p é rio d e de dépendance absolue.
P our W innicott, c ’est ap p ro x im ativ em ent p e n d a n t les
six prem iers mois de la vie q u e l ’être h u m ain béb é

269
est dans u n éta t de d ép e n d a n c e totale à l ’ég ard de
l ’en v iro n n em en t, re p ré se n té à cette ép o q u e p a r la m ère
o u son substitut. Le b éb é d é p e n d e n tiè re m e n t d u
m o n d e q ue lui offre la m ère, mais le plus im p o rtan t,
e t qui est la base de la th é o rie d e W innicott, c ’est la
m éconnaissance p a r le b éb é d e son é ta t d e d é p e n ­
dance. D ans l ’esp rit d u b éb é, lui e t l ’e n v iro n n e m e n t
n e fo n t q u ’un. O r, id éalem en t, c ’est p a r u n e a d ap tatio n
p arfaite aux besoins d u b éb é q u e la m ère d evrait p e r­
m e ttre le libre d é ro u le m e n t des processus d e m a tu ra ­
tion.

Les trois fo n ctions maternelles

A ux débuts d e la vie, les besoins d u béb é so n t b ien


sûr d ’o rd re co rp o rel, mais il existe é g alem e n t des
besoins liés au d év elo p p em e n t psychique d u m oi.
L ’ad ap tatio n de la m ère à ces besoins d u b éb é se
concrétise à travers la mise en œ uvre de trois fo n ctio n s
m atern elles :

• la présentation de l ’objet,

• le holding,

• le handling.

Ces trois fonctio n s s’e x erc en t sim u ltan ém en t, mais


p o u r des raisons de clarté, je vais les a b o rd e r sép aré­
m ent.

270
D. W. WlNNICOTT

• Dans la fo n ctio n m atern elle de présentation de l ’ob­


jet, il m ’a sem blé q u e l ’exem ple le plus fra p p a n t était
la p résen ta tio n d u sein ou d u b ib ero n . C ette offre
d éb u te avec ce que W in n ico tt ap p elle le p re m ie r repas
th éo riq u e, qui est aussi u n p re m ie r repas réel. A ceci
près que ce p re m ie r repas th é o riq u e est rep résen té
dans la vie réelle p a r la som m e des ex p érien ces p réco ­
ces de n o m b reu x repas. A cause de l ’ex trêm e im m atu ­
rité d u nouveau-né, le p re m ie r repas n e p e u t p re n d re
a priori la signification d ’u n e ex p érien ce ém o tio n n elle,
mais « en raison d ’u n état de vie dans l’en fa n t e t grâce
au d év elo p p em en t de la ten sio n p u lsio n n elle, le tout-
petit en vient à a tte n d re q u elq u e chose ; e t alors q u el­
que chose s’avance, q u i p re n d b ie n tô t u n e form e, o u
bien c ’est la m ain, o u la b o u ch e qui s’avance to u t
n atu re lle m en t vers l ’ob jet » 104.

Au cours de ce p re m ie r repas, la m ère p résen te le


sein o u le b ib e ro n au m o m en t où le béb é est p rê t à
l’im aginer, d o n c à le trouver. En o ffran t le sein à p eu
près au bo n m o m en t, elle d o n n e au b éb é l’illusion q u ’il
a lui-m êm e créé l’o b jet d o n t il ressen t co n fu sém en t le
besoin. En lui d o n n a n t l ’illusion de cette créatio n , la
m ère p e rm e t au béb é de faire u n e ex p érien ce d ’o m n i­
potence, c ’est-à-dire q u e l ’ob jet p re n d u n e existence
réelle au m o m e n t o ù il est a tten d u . Au cours de cette
période de d é p e n d a n c e absolue, la m ère, qui s’arran g e
pour être disponib le d evant u n e excitation p o ten tielle
du bébé, va p e rm e ttre à celui-ci d ’acq u é rir au fil des
tétées la capacité d ’assum er des relations excitantes
avec les choses o u les gens. A u trem e n t dit, l’être
hum ain sera capable d ’ép ro u v er des ém otions, des sen­
timents d ’am o u r o u de h ain e sans q u ’ils re p ré se n te n t

271
u n e m enace p o te n tielle e t so ien t n écessairem en t u n e
source d ’angoisse in su p p o rtab le.
• La seconde fo n ctio n de la m ère c o rresp o n d au
holding, c ’est-à-dire m ain tien . La m ère p ro tèg e le b éb é
des d an g ers physiques, tie n t co m p te de sa sensibilité
cutanée, auditive, visuelle, de sa sensibilité à la ch u te,
d e son ig n o ran ce à l ’ég ard d e la réalité e x térieu re. A
travers les soins qu o tid ien s, elle installe u n e ro u tin e ,
des séquences répétitives. Avec cette fo n ctio n de h o l­
ding, W innicott m et l’acc en t sur la façon d e p o rte r le
bébé, d ’ab o rd p h y siq u em en t mais aussi p sychiquem ent.
Le m ain tien psychique consiste à so u te n ir le m oi d u
béb é dans son d év elo p p em en t, c ’est-à-dire à le m e ttre
en co n tact avec u n e réalité ex térieu re sim plifiée, ré p é ti­
tive, qui p e rm e t au m oi naissant d e tro u v er les p o in ts
de rep ères sim ples, stables, nécessaires p o u r m e n e r à
bien son travail d ’in tég ratio n dans le tem ps e t l ’espace.
• La troisièm e fo n ctio n de la m ère s’exerce à travers
le handling, c ’est-à-dire la m a n ip u latio n d u b éb é au
cours des soins. La m ère ch an g e le b éb é, le baigne,
le berce, etc. La m ise en œ uvre de cette troisièm e
fonction de la m ère est nécessaire p o u r le b ien -être
physique d u béb é qui s’éprouve p e u à p e u com m e
vivant dans u n corps, réalisan t ainsi u n e u n io n e n tre
sa vie psychique et son corps. U n io n q u e W in n ico tt
no m m e personn alisatio n .

L a mère suffisam m ent bonne


La m ère qui, p e n d a n t les p rem iers m ois de la vie
de son enfant, s’iden tifie é tro ite m e n t à lui e t qui, en

272
D. W. WlNNICOTT

th éo rie, s’ad ap te de façon p arfaite à ses besoins, est


qualifiée p a r W in n ico tt d e mère suffisamment bonne. C ’est-
à-dire assez b o n n e p o u r q u e le b éb é puisse s ’en accom ­
m o d e r sans dom m ag e p o u r sa santé psychique. C ette
m è re re p ré se n te l ’e n v iro n n e m e n t suffisam m ent bon
d o n t l ’im p o rtan ce est vitale p o u r la san té psychique
de l ’être h u m a in e n devenir. La m ère suffisam m ent
b o n n e p e rm e t au p e tit en fa n t d e d év elo p p er u n e vie
psychique et physique qui se fo n d e sur ses ten d an ces
innées. Il p e u t alors ép ro u v er u n sen tim en t de co n ti­
nuité d ’existence qui est le signe de l ’ém erg en ce d ’u n
vrai self, d ’u n vrai soi. Avec ce term e d e vrai soi, nous
ab ordons u n e des n o tio n s les plus abstraites de la
théorie w in n ico ttien n e.
Précisons à cet ég ard q u e W innicott n ’est pas le
créateu r d e la n o tio n de self ; cette n o tio n a été in tro ­
duite p a r H artm a n n , u n des fo n d ateu rs d e l ’école de
la Psychologie d u m oi, en 1950. P o u r cet a u teu r, le
self désigne la re p ré se n ta tio n d e la p e rso n n e en tière,
incluant le corps et l ’o rg an isatio n m en tale. Mais c ’est
W innicott qui a p ro p o sé de d istin g u er d eu x aspects
dans le self : u n vrai e t u n faux. Ces d eu x aspects d u
self sont p résen ts chez tous les êtres h um ains, mais dans
des p ro p o rtio n s e x trê m e m e n t variées d ’u n individu à
l’autre.

Le vrai self

Ce qui nous intéresse to u t de suite, c ’est le vrai self


Selon W innicott, le vrai self est la p e rso n n e qui est

273
m oi e t seu lem en t m oi, a u tre m e n t d it c ’est la p erso n n e
qui se co n stru it fo n d a m e n ta le m e n t à p a rtir d e la mise
en œ uvre de ses ten d an ces in n ées. Au d é b u t d e la vie,
le vrai self n ’est pas b eau c o u p plus q u e la som m e de
la vie sensori-m otrice. Il se m anifeste à travers u n geste
sp o n tan é, u n e idée p erso n n elle. « Le geste sp o n tan é
est le vrai self en action. Seul le vrai self p e u t être
c ré a te u r e t seul le vrai self p e u t ê tre ressen ti com m e
réel 105 ».
L ’évolution psychique d u b éb é telle que je viens de
la p ré se n te r est d o n c é tro ite m e n t liée à la p résen ce
d ’u n e m ère suffisam m ent b o n n e , e t suppose d u côté
d u b éb é u n e absence de facteurs h éréd itaires o u co n g é­
n itau x pathologiques.

L a mère insuffisam m ent bonne

Voyons m a in te n a n t ce q u ’il e n est de la mère insuffi­


samment bonne e t de ses conséquences.
W innicott nous d o n n e plusieurs d escrip tio n s de ce
type de m ère insuffisam m ent b o n n e. Elle p e u t co rres­
p o n d re à u n e m è re réelle o u à u n e situation. Q u an d
il s’agit d ’u n e m ère réelle, W in n ico tt p arle d ’u n e m ère
qui, g lobalem ent, n ’a pas la capacité de s’id e n tifier
aux besoins de son en fan t. Au lieu de ré p o n d re aux
gestes spontanés e t aux besoins d u b éb é, elle va y
substituer les siens p ro p res. C ep en d a n t, la p ire des
m ères est celle qui « au to u t d é b u t ne p e u t s’em p ê c h e r
de to u rm e n te r, c ’est-à-dire d ’être im prévisible », de pas­

274
D. W. WlNNICOTT

ser p a r exem ple d ’u n e a d ap tatio n p arfaite à u n e ad ap ­


tatio n d éfaillante, ou b ien de passer soudain de l’in g é­
ren ce à la négligence, de telle sorte que le b éb é ne
p e u t se fier à elle, ni prév o ir au cu n e de ses conduites.
Dans certains cas, la m ère insuffisam m ent b o n n e ne
désigne pas le c o m p o rte m e n t d ’u n e m ère réelle, mais
p lu tô t u n e situation où les soins so n t pro d ig u és à u n
en fan t p a r plusieurs p erso n n es. L ’e n fa n t re n c o n tre
alors u n e m ère e n m o rceau x e t il fait l ’ex p érien ce de
la com plexité des soins q u i lui so n t d o n n és e t n o n
de la sim plicité qui a u ra it été souhaitable. Selon les
circonstances, la m ère insuffisam m ent b o n n e est d o n c
rep résen tée p a r u n e p e rso n n e ou p a r u n e situation. A
propos de ce d e rn ie r cas de figure, W in nico tt écrira
q u ’u n e m ère insuffisam m ent b o n n e, c ’est le nom q u ’il
d o n n e « n o n pas à u n e p erso n n e mais à l ’absence de
q u elq u ’u n d o n t l ’a tta c h e m e n t à l ’e n fa n t est sim p lem en t
o rdinaire » 106.

Troubles psychiques dont l'origine se situe


durant la période de dépendance absolue.
Orientations thérapeutiques

Exam inons m a in te n a n t les effets que cette m ère


insuffisam m ent b o n n e a u ra sur l ’évolution psychique
de l’enfant. P o u r c o m p re n d re ces effets, il fau t ad m et­
tre que d u ra n t cette p é rio d e de d ép e n d a n c e absolue,
les défauts d ’a d ap tatio n de la m ère n e so n t pas ressentis
par le bébé com m e des fru stratio n s, c ’est-à-dire com m e

275
des refus à des satisfactions pulsionnelles. Les défauts
d ’ad ap tatio n p ro v o q u en t des carences d ans la satisfac­
tio n des besoins e t fo n t obstacle au d é ro u le m e n t des
processus vitaux.
A cette é p o q u e, le b éb é a besoin d ’u n e m è re qui
so u tien n e la naissance e t le d év elo p p em en t des p rin c i­
pales fonctions d u m oi, c ’est-à-dire l ’in té g ra tio n d an s
le tem ps e t dans l ’espace, la re n c o n tre avec les objets
d u m o n d e ex térieu r, l’u n ificatio n e n tre la vie psychique
e t le corps.
Q u an d le b éb é est privé d ’u n e telle m ère, la m a tu ra ­
tio n d u m oi n e p e u t s’effectu er et le d év elo p p em e n t
des principales fonctions d u m oi est b lo q u é o u dis­
tordu.

D u ra n t cette p ério d e , il co nvient de p e n s e r le béb é


com m e u n être im m atu re qui est to u t le tem ps au
b o rd d ’u n e angoisse inim aginable, im p en sab le. Q u an d
la m ère ne re m p lit pas sa fo n ctio n de so u tien d u m oi,
c ’est cette angoisse im p en sab le qui surgit. L ’angoisse
est alors p o rteu se d ’u n e m en ace d ’a n n ih ila tio n , d o n t
voici les principales variantes :
• Se m orceler.

• Avoir l’im pression d ’u n e ch u te sans fin.


• Se sen tir p o rté vers des som m ets infinis.
• Ne pas avoir de rela tio n avec son corps et, enfin,
ne pas avoir d ’o rie n ta tio n spatio-tem porelle.

Selon W innicott, ces variantes co n stitu e n t l ’essence


des angoisses psychotiques.

276
D. W. WlNNICOTT

C ’est en fo n ctio n des degrés e t des variétés de care n ­


ces d ’ad ap ta tio n m a tern elle e t de la façon d o n t le bébé
réussit à s’en acco m m o d er q u e celui-ci évoluera ou
n o n vers u n e fo rm e d ’o rg an isatio n p ath o lo g iq u e de la
p erso n n alité.
R appelons quelques-unes de ces organisations p ath o ­
logiques.
• La schizophrénie infan tile ou autisme (rem arq u o n s
que W in n ico tt n e d istin g u e pas ces d eu x stru ctu res
c lin iq u es).
• U ne schizophrénie latente qui p o u rra se m an ifester
u lté rie u re m e n t, e n p articu lier dans des p ério d es de
tension e t d e fatigue.
• U état limite où le noyau d u tro u b le est d e n atu re
psychotique b ie n q u e le p a tie n t se p résen te com m e
u n névrosé.
• La p e rso n n alité co n stru ite sur la base d ’u n faux
self. D ans ce d e rn ie r cas, la fo rm atio n d ’u n faux self
est le tra it p rin cip al de la réactio n d u béb é au x défauts
d ’a d ap tatio n de sa m ère. Face à u n e m ère q u i est dans
l’incapacité d e ressen tir ses besoins, le b éb é ren o n ce
à l’espoir d e les voir satisfaits. Il s’ad ap te à des soins
m aternels qui n e lui co n v ien n en t pas. Il se so u m et
aux pressions d ’u n e m ère qui lui im pose u n e façon
in ad éq u ate d ’e x p rim er ses ten d an ces in n ées e t l ’oblige,
par co n séq u en t, à a d o p te r u n e façon d ’être fausse et
artificielle. Le béb é développe u n e p erso n n alité cons­
truite à p a rtir d ’u n faux self. D ans les cas extrêm es,
ce self artificiel sera clivé d u vrai self qui, lui, sera
bloqué dans son expression. L ’o rg an isatio n de la vie

277
psychique basée sur u n faux self am èn e l ’individu à
ép ro u v er u n sen tim en t d ’irréalité su r lui-m êm e, les
autres e t la vie en gén éral. Parvenu à l’âge ad u lte, il
se co m p o rte com m e u n cam éléo n qui se fo n d dans le
m ilieu en v iro n n a n t e t qui réag it e n m iro ir p a r ra p p o rt
aux p erso n n es de son en to u rag e. Aussi sa capacité
d ’a d ap tatio n à l ’e n v iro n n e m e n t est-elle h y p ertro p h iée.
C ep en d a n t, u n se n tim e n t p ersistan t d ’irréalité, de
vacuité p e u t e n tra în e r des d éco m p en satio n s graves.
E nfin, le d e rn ie r tro u b le psychique d o n t l ’étiologie
se situe à cette p é rio d e :
• La personnalité schizoïde qui fait référen c e à u n e
p erso n n alité saine dans laquelle o n trouve n éan m o in s
des élém ents schizoïdes issus de la m ise e n œ uvre de
m écanism es de clivage.

P o u r d ég ag er des o rien tatio n s th é ra p eu tiq u es co n ce r­


n a n t ces différents tro u b les, W in n ico tt va ra iso n n e r à
p a rtir de la cure analytique telle q u ’elle a été élab o rée
p a r F reud. W inn ico tt co n sid ère q u e ce type de cu re
s’adresse à u n p a tie n t qui, au cours d e sa p etite
enfance, a reçu des soins suffisam m ent bons. Ces soins
o n t perm is au m oi d e l’analysant d e se d év elo p p er, de
dev en ir u n e entité, e t de vivre les pulsions d u ça. Son
o rg an isatio n psychique est d ’o rd re név ro tiq u e. Il en va
to u t a u tre m e n t p o u r u n p a tie n t d o n t l ’étiologie des
troubles se situe dans les p rem iers m ois de la vie. P o u r
u n tel p atien t, le choix th é ra p e u tiq u e est très différent.
Il est indispensab le dans ces cas de p re n d re en co m p te
la vulnérabilité e t les distorsions plus o u m oins graves

278
D. W. WlNNICOTT

subies p a r le m oi à cause de carences d ’a d ap tatio n


précoces e t massives.

P o u r ce p atien t, la possibilité d ’u n e gu ériso n ou


d ’u n e am élioration de son é ta t passe p a r u n e rem ise
en ro u te des processus de m atu ratio n de la to u te p etite
enfance. C ette rem ise en ro u te ne p o u rra avoir lieu
q ue dans le cad re d ’u n e rela tio n de d é p en d a n ce ex trê­
m e m e n t fo rte, voire absolue, avec le th é ra p e u te . Q u an d
cette d é p en d a n ce s’installe, l ’analyste se trouve alors
à la place de la m ère suffisam m ent b o n n e qui est
censée ré p o n d re aux besoins d u n o u rrisso n , a u tre m e n t
d it à ce d o n t le n o u rrisso n a besoin p o u r le libre
d é ro u le m e n t des processus de m atu ratio n .

C ’est grâce à sa capacité d ’id en tificatio n aux besoins


d u p a tie n t q ue l ’analyste assurera au niveau sym bolique
u n e fonction de so u tien psychique (ho ld in g ) qui crée ra
u n e situation de confiance. P ar exem ple, si le p a tie n t
a besoin de q u iétu d e, o n n e p e u t rien faire h orm is la
lui d o n n e r. U n p a tie n t se b lo ttit sur le divan, m e t la
tête sur sa m ain e t p a ra ît être au ch au d , satisfait ; le
m alade est seul. L ’analyste n ’a pas à in terv en ir, il d o it
rec o n n a ître q u ’il est lui-m êm e utilisé p a r le p a tie n t sur
u n m ode très p rim itif e t très positif. Il p e u t arriver
q u ’u n analysant m ouille le divan, se salisse ou bave.
Ces co m p o rtem en ts, loin d ’être u n e co m p licatio n de
la rela tio n analytique, so n t n a tu re lle m e n t in h é re n ts à
ce g en re de situ atio n th é ra p eu tiq u e. Le psychanalyste
n ’a rie n à e n d ire o u à en faire.

La capacité d e l ’analyste à s ’id en tifier aux besoins


du p a tie n t am èn e la lib ératio n des processus de m a tu ra­
tion e t e n tra în e u n dégel de la situation prim itive de

279
caren ce de l ’en v iro n n em en t. Elle p e rm e t au m oi u n e
évolution suffisante p o u r que le p a tie n t puisse ép ro u v er
de la colère e t l’e x p rim er q u a n d u n e care n ce d ’ad ap ta­
tio n in terv ien t dans la situ atio n analytique. C ette colère
vient rem p lacer les angoisses inim aginables d e l ’ép o q u e
prim itive, car le m oi a acquis la capacité d ’utiliser les
carences p o u r s’e n ric h ir e t la capacité d e vivre des
ém otions sans risque d ’an n ih ilatio n .
La séq u en ce est constituée p a r :
• l ’a d ap tatio n de l ’analyste aux besoins d u p atien t,
• la lib ératio n des processus de m a tu ratio n ,
• l ’in terv en tio n d ’u n e caren ce d ’ad ap tatio n ,
• la colère ressentie e t ex p rim ée p a r le p atien t,
• la nouvelle progression d u moi.
C ette séq u en ce se rép ète inlassab lem en t to u t au lo n g
d u travail th é ra p e u tiq u e . D ans les cas les plus favora­
bles, ce travail évoluera p ro g ressiv em en t vers u n e an a­
lyse classique.

Période de dépendance relative

A bordons m a in te n a n t la seco n d e p ério d e d e vie. Elle


s’é te n d app ro x im ativ em en t de 6 mois à 2 ans. C ’est
p o u r le p e tit en fa n t u n e p ério d e de dépendance relative
à l’ég ard de la m ère e t des substituts p a re n ta u x qui,
m a in te n a n t, in te rv ie n n e n t de façon plus fré q u e n te . La

280
D. W. WlNNICOTT

d é p e n d a n c e est relative car l ’e n fa n t p re n d conscience


de son assujettissem ent et, p a r co n séq u en t, il tolère
m ieux les défauts d ’ad ap ta tio n de sa m ère e t dev ien t
ainsi capable d ’e n p ro fite r p o u r se développer.

Q u a n d il ab o rd e cette d eu x ièm e p ério d e, l ’en fa n t


a co n sid éra b lem en t progressé. Il est en m esu re de
re c o n n a ître les objets e t les p erso n n es com m e faisant
p artie d e la réalité ex térieu re. Il p erço it sa m ère com m e
séparée de lui, e t réalise u n e u n ité e n tre sa vie psychi­
q ue e t son corps. Sa capacité à se situ er dans le tem ps
e t dans l’espace s’est aussi d év eloppée, n o ta m m e n t sa
capacité d ’an ticip e r su r l ’événem ent. Ainsi, les bruits
dans la cuisine, les p aroles d e la m ère, ses déplace-
. m ents, lui in d iq u e n t q u e la n o u rritu re sera b ie n tô t
p rê te e t q ue sa m ère va s’o ccu p e r de lui. D u côté
de la m ère, u n e év olution psychique s’est ég alem en t
p ro d u ite. Elle se dégage p eu à p eu d ’u n état d ’id en tifi­
cation à son enfant, q u i était in ten se d u ra n t la p rem ière
période. Elle re p re n d sa vie p erso n n elle e t / o u profes­
sionnelle e t in tro d u it des « défauts d ’ad ap tatio n » m esu­
rés à l ’ég ard d e l’en fan t. C ’est-à-dire q u e les « défauts
d ’a d ap tatio n » de la m è re so n t m a in te n a n t ajustés au
d év elo p p em en t de l ’en fan t, ce qui lui p e rm e t n o n
seu lem en t de les vivre sans d om m age mais aussi d ’en
tirer p ro fit p o u r son évolution.

C ep en d an t, p o u r p ro g resser sur le ch em in de l ’h u m a­
nisation, l ’e n fa n t devra en co re réso u d re de n o m b reu x
problèm es e t il a u ra en co re besoin de l ’aide d e sa
m ère. J e vais en d o n n e r u n exem ple à travers la diffi­
culté q ue re n c o n tre le p e tit e n fa n t p o u r p ercevoir sa
m ère de façon u n ifiée au cours de cette seconde

281
p ério d e d e vie. En effet, en a b o rd a n t cette p é rio d e , il
pense to u t d ’ab o rd ê tre en relatio n avec d e u x m ères.
La p rem ière, c ’est « la m ère des m o m en ts de calm e,
de tran q u illité », la m è re qui s’est o ccu p ée de lui à
travers les soins q u ’elle lui a p rodigués, qui lui a parlé,
qui a jo u é avec lui e t d o n t il a p u re c o n n a ître le
visage, la voix, les attitudes... C ette m è re q u i a veillé
sur son bien-être a été aim ée te n d re m e n t p a r l’en fan t.
La seconde m ère, c ’est la m ère q u ’il re n c o n tre au
m o m en t des repas, d ans des phases d ’ex citatio n où
l’agressivité est im p liq u ée. A cause d e la co m p o san te
agressive p ré se n te dans la p u lsio n o rale, le b éb é en
vient à im ag in er q u e la satisfaction de sa faim e n tra în e
u n e d é té rio ra tio n d u corps d e sa m ère, q u ’il y creuse
u n trou, u n vide.
P e n d a n t la p re m iè re p é rio d e de sa vie, le p e tit e n fa n t
n e s’est pas soucié d e cette d estru ctio n , m ais , m a in te­
n a n t il en ressen t d e l’in q u ié tu d e , car il re c o n n a ît q u ’il
d é p e n d d e sa m ère p o u r son bien-être. P o u r q u e le
p e tit e n fa n t réalise que « la m ère des m o m en ts d ’excita­
tion » n ’a pas été d étru ite, il lui est nécessaire de
re c o n n a ître que « la m ère des m o m en ts calm es », q u ’il
retrouve après u n m o m e n t d e ten sio n p u lsio n n elle, est
la m êm e p erso n n e. P o u r m e n e r à b ie n ce processus
d ’in tég ratio n des d eu x figures m atern elles, il a besoin
d ’u n e mère suffisamment bonne.
Au cours d e cette p ério d e , la m ère suffisam m ent
b o n n e est la m ère q u i survit. C ela signifie b ie n sûr
q u ’elle n e m e u rt pas, q u ’elle n e d isp araît pas, mais
cela veut d ire aussi b eau c o u p d ’autres choses. La survie
de la m ère im plique qu e, dans la réalité, c ’est la m êm e

282
D. W. WlNNICOTT

p erso n n e qui est p résen te e t s’occupe de l ’en fa n t p e n ­


d a n t les m o m en ts de calm e e t p e n d a n t les m om ents
de ten sio n p ulsionn elle.
La survie de la m ère est aussi re p résen tée p a r le fait
que la m ère des m om ents calm es c o n tin u e à s’o ccu p er
de l ’e n fa n t avec la m êm e a tte n tio n e t la m êm e ten ­
dresse. La m ère qui survit, c ’est la m ère q u i ne s’ab­
sente pas p o u r u n tem ps q u i excède la capacité de
l’e n fan t à g a rd e r d ’elle u n e re p ré se n ta tio n vivante, à
croire e n son existence. L ’in tég ratio n des différents
aspects de la m ère en u n e seule e t m êm e p erso n n e
va re la n c e r sous u n e au tre fo rm e la qu estio n de sa
survie. L ’e n fa n t éprouve m a in te n a n t u n e angoisse
dépressive, u n e in q u iétu d e, car c ’est la m è re dans sa
totalité q u ’il risque de d é tru ire avec ses attaq u es agressi­
ves.
Par ailleurs, il va ép ro u v er d e la cu lp ab ilité puisque
la m ère o b jet d e ses attaques, c ’est aussi la m ère aim ée
et aim ante des m o m en ts calm es.
C’est à cause de l ’angoisse dépressive e t de la culpabi­
lité que le p e tit en fa n t s’en g ag e dans des activités de
réparation e t de re stau ra tio n de la m ère ressentie
com m e en d o m m ag ée ou d étru ite. C ette ré p a ra tio n sera
mise en œ uvre au niveau fan tasm atiq u e, puis dans la
réalité, sous form e de gestes de tendresse, de cadeaux.
Pour q ue le p e tit e n fa n t puisse s u p p o rte r l ’angoisse et
la culpabilité, il lui fau t d o n c agir e t ré p a re r. A cette
fin, il a b eso in d e l ’existence d ’u n e m ère suffisam m ent
bonne, d ’u n e m ère qui réussisse à survivre.
L’ex p érien ce ré p é té e au fil des jo u rs de la survie de
la m ère p e rm e t à l’en fan t :

283
• d ’accep ter com m e siens les fantasm es e t les p e n ­
sées reliés à l’ex p érien ce p u lsio n n elle ;
• de d istin g u er p rogressivem ent ces fantasm es e t ces
pensées, de ce qui se passe d an s la réalité e x té rie u re ;
• de faire l’ex p érien ce d ’u n e rela tio n d ’ex citation
qui n ’est pas destructive ni d é stru ctu ran te.

Les phénomènes transitionnels

En rela tio n avec cette p é rio d e de la vie d u p etit


en fan t, il convient d e d ire q u elq u es m ots sur des activi­
tés q ue W innico tt a lo n g u e m e n t étudiées, e t q u i ap p a­
raissent au cours d u seco n d sem estre de la vie. P o u r
c o m p re n d re l ’ém erg en ce e t la signification de ces acti­
vités, il fau t les re p la c e r dans le co n tex te d e l ’évolution
psychique d u p e tit en fan t. S ch ém atiq u em en t, ap rès u n e
p ério d e o ù il a eu l ’illusion d ’ê tre tout-puissant, de
c ré e r les objets de ses besoins, de n e faire q u ’u n avec
sa m ère, il découvre p e u à p e u q u e lui e t sa m ère
so n t séparés, q u ’il d é p e n d d ’elle p o u r la satisfaction
de ses besoins e t que le fantasm e n ’est pas l’éq u iv alen t
d e la réalité. A près u n e p ério d e d ’illusion, il affro n te
la désillusion. C ’est p o u r se so u ten ir dans cette épreuve
difficile, g én éra trice d ’angoisse e t en p a rticu lier d ’an ­
goisse dépressive, q u e le p e tit e n fa n t d év elo p p e ces
activités. L eu r observation dans la vie q u o tid ie n n e d u
b éb é p e rm e t à W in n ico tt d ’e n faire la d escrip tio n sui­
vante :

284
D. W. WlNNICOTT

« 1. - Le b éb é p o rte à la bo u ch e, en m êm e tem ps
que ses doigts, u n o b je t ex térieu r, p a r ex em p le u n
coin d e d ra p o u de co u v ertu re ; ou
2. - il tie n t u n b o u t de tissu, q u ’il suce ou n e suce
pas v raim en t ; les objets g é n é ra le m e n t utilisés sont,
n atu re lle m en t, des couches e t plus ta rd des m ouchoirs.
Ce choix est fo n ctio n de ce qui est disp o n ib le e t se
trouve à p o rté e de l ’e n fa n t ;
3. - dès les prem iers m ois, le b éb é co m m en ce à
tirer des bouts de laine, il e n fait u n e b o u le avec
laquelle il se caresse ; il lui arrive, mais plus rarem en t,
d ’avaler la laine, ce q u i p e u t a m e n e r des com plica­
tions ; ou
4. - des activités buccales apparaissent, accom pa­
gnées d e divers sons, “m m ...m m ”, de gazouillis, de
bruits an au x e t des p rem ières notes m usicales, etc. » 107
La d escrip tio n de ces activités souligne le u r diversité
et nous in d iq u e q u ’elles in c lu e n t ou n o n l ’utilisation
d ’un objet. C ep en d a n t, en d é p it de leurs variétés, ces
activités o n t u n e caractéristiq u e co m m u n e. Elles revê­
tent u n e im p o rtan ce vitale p o u r l’en fan t, il s’y consacre
dans des m o m en ts où l ’angoisse p o u rra it surgir, n o ta m ­
m ent à l ’occasion de séparations d ’avec sa m ère, au
m om ent de l ’en d o rm issem en t. Ces diverses activités
seront appelées p a r W in n ico tt phénomènes transitionnels
et, par extension, si u n o b jet est utilisé, il sera n o m m é
objet transitionnel. Le q ualificatif de tran sitio n n el in d iq u e
la place e t la fo n ctio n q u e ces p h én o m èn es, ces objets
vont o ccu p e r dans la vie psychique d e l ’en fan t. Ils vont
venir se lo g er dans u n espace in term éd iaire e n tre la
réalité in té rie u re e t la réalité ex térieu re. C et espace

285
in term éd iaire va avoir u n rô le de ta m p o n d an s le choc
occasionné p a r la prise de conscience d ’u n e réalité
ex térieu re, p eu p lée de choses e t de p erso n n es, e t p ar
la m ise e n rela tio n de cette réalité ex té rie u re avec la
réalité in té rie u re p eu p lée, elle, de fantasm es p erso n ­
nels. C et espace, à cause d e la place q u ’il o ccupe, sera
ég alem en t qualifié d e tran sitio n n el.

L ’o b jet tran sitio n n el est u n signe tan g ib le de l ’exis­


tence de l’espace tran sitio n n el. C ep en d a n t, ce q u i est
im p o rtan t, ce n ’est pas l’existence effective d ’u n o b jet
mais l ’existence d ’u n espace tran sitio n n el qui p e u t
év en tu ellem en t ê tre h ab ité p a r des p h é n o m è n e s tran si­
tionnels qui p assen t in ap erçu s aux yeux d ’u n observa­
teur. Si l’é tu d e des p h é n o m è n e s tran sitio n n els s’est
focalisée su r l ’o b jet qui e n tie n t lieu, c ’est p arce que
l’existence d ’u n o b jet facilitait les observations. Q u an d
il existe u n o b jet tran sitio n n el, cet objet, no u s l ’avons
déjà évoqué, sert de défense co n tre l ’angoisse d ép res­
sive, mais nous pouvons aller plus loin d an s sa d escrip ­
tion, car cet o b jet est ch arg é de significations. Il re p ré ­
sente la m ère. Il est d o té des qualités d e la m ère des
m om ents calm es. « Il re p ré se n te la tran sitio n d u p e tit
en fa n t qui passe de l’é ta t d ’u n io n avec la m ère à l ’é ta t
où il est e n rela tio n avec elle, en ta n t q u e q u elq u e
chose d ’ex té rie u r e t d e sép aré 108 ». Il m a rq u e le pas­
sage d u co n trô le o m n ip o te n t exercé d ans le fantasm e
au co n trô le p a r la m an ip u latio n . Il p récè d e la
reconnaissance de la réalité ex térieu re p erçu e en ta n t
que telle, c ’est-à-dire n o n in te rp ré té e d an s u n e activité
fantasm atique. P o u r ce q u i est d u d estin d e cet objet,
il n ’est pas oublié mais désinvesti q u a n d il n ’est plus
nécessaire à l ’en fan t. E n fait, il p e rd sa signification

286
D. W. WlNNICOTT

q u a n d les p h é n o m è n e s tran sitio n n els d ev ien n en t diffus


e t se ré p a n d e n t dans l ’espace tran sitio n n el qui, j e le
rap p elle, se situe e n tre la réalité in té rie u re e t la réalité
ex térieu re.

C et espace tran sitio n n el persistera to u t au lo n g de


la vie. Il sera o ccu p é p a r des activités lu d iq u es et
créatrices e x trê m e m e n t variées. Il au ra p o u r fo n ctio n
de soulager l ’être h u m a in de la ten sio n co n stan te susci­
tée p a r la mise en rela tio n de la réalité d u d ed an s et
de la réalité d u deh o rs.

C om m e dans les au tres d om aines d u d év elo p p em en t


psychique, l ’en v iro n n e m e n t jo u e u n rôle dans l ’ap p ari­
tion e t l’évolution des p h én o m èn es transitionnels. T o u t
d ’abord, le u r a p p aritio n est p o u r W innicott le signe
que la m ère de la p rem ière p é rio d e a été suffisam m ent
bonne. P o u r ce qui est de l ’évolution de ces p h é n o m è ­
nes transitionnels, l ’e n v iro n n e m e n t a p o u r m ission de
respecter e t p ro té g e r le u r expression. Q u an d il s’agit
d ’u n objet, « les p aren ts en re c o n n a îtro n t la valeur
et l’e m p o rte ro n t p arto u t, m êm e en voyage. La m ère
acceptera q u ’il d ev ien n e sale e t sen te mauvais ; elle
n ’y to u c h e ra pas car elle sait b ien q u ’en le lavant,
elle in tro d u ira it u n e ru p tu re dans la c o n tin u ité de
l’ex p érien ce d u p e tit en fan t, cassure qui p o u rra it
détru ire la signification e t la valeur de l ’o b je t p o u r
l’en fan t » 109.

W innicott insiste sur la n o rm alité des p h én o m èn es


transitionnels ; toutefois, dans certains cas, on p e u t
discerner u n e psychopathologie. P ar exem ple, q u a n d
la m ère s’absente p o u r u n tem ps qui dépasse la capacité
de l’e n fa n t à la m a in te n ir vivante dans son souvenir,

287
on assiste à u n désinvestissem ent de l ’objet. Ce désin­
vestissem ent p e u t ê tre p récé d é d ’u n usage excessif qui
co rresp o n d à u n e tentative d e d én i de la sép aratio n
d ’avec la m ère e t d u se n tim e n t de p e rte q u ’elle provo­
que.

Les différents tro u b les psychiques liés au se n tim e n t


d ’u n e absence d e survie de la m ère au cours d e cette
p ério d e p eu v en t être reg ro u p és sous le te rm e de
« m aladies de la p u lsio n agressive », p arm i lesquelles
o n trouve la te n d a n c e antisociale, l ’h y p o co n d rie, la
p aran o ïa, la psychose m aniaco-dépressive, certain es for­
m es de dépression.

P o u r le tra ite m e n t d e ces troubles psychiques, W inni-


cott n e p ro p o se pas d ’am én ag em en t te c h n iq u e d e la
cure. Il attire c e p e n d a n t l ’a tte n tio n sur le fait que
l’analyse s’occup e d ’événem ents q u i se ra tta c h e n t à la
re n c o n tre e n tre l’agressivité e t la libido, e n tre la h ain e
et l’am our, à u n stade où l ’en fan t se soucie des consé­
quences d e sa h a in e e t e n éprouve d e la culpabilité.
En co n séq u en ce, ce qui va ê tre im p o rta n t, c ’est la
survie de l ’analyste, c ’est-à-dire q u e l ’analyste n e m e u re
pas, mais aussi q u ’il m a in tien n e la situ atio n analytique,
q u ’il n ’exerce pas de représailles e n rép o n se à la h ain e
ex p rim ée o u agie d u patien t.

C om m e nous venons de le voir, l ’en v iro n n e m e n t


constitue le s u p p o rt in dispensable sur leq u el l ’être
h u m a in va s’ap p u y er p o u r co n stru ire les bases d e sa
p erso n n alité. A p a rtir de cette perspective de dévelop­
p em en t, il est facile d ’im ag in er qu e, p o u r W innicott,
l’e n v iro n n e m e n t va c o n tin u e r à e x erc er u n e in flu en ce
sur l’e n fa n t qui g ran d it, sur l’ad o lescen t e t m êm e sur

288
D. W. WlNNICOTT

l’adulte. Si cette in flu en ce suit u n e co u rb e décroissante,


elle n e cesse jam ais co m p lètem en t. O n assiste à la
mise en place progressive d ’u n e in te rd é p e n d a n c e e n tre
l’individu e t l ’en v iro n n em en t.

* *

N ous voici arrivés au term e d e ce tex te d ’in tro d u c ­


tion à l ’œ uvre d e W innicott. Si j ’ai choisi de suivre le
fil c o n d u c te u r constitu é p a r l’étu d e d e l ’in flu en ce de
l’en v iro n n e m e n t su r le d év elo p p em e n t psychique, c ’est
q u 'il m ’a p p a ra ît com m e la p a rt la plus o rig in ale e t la
plus féco n d e de l ’œ uvre de W innicott.
W innicott estim ait que F reu d avait d it ce q u ’il y avait
à d ire dans le d o m a in e des névroses e t q u ’il avait mis
en place u n e te ch n iq u e th é ra p e u tiq u e ad ap tée aux
patients névrosés. D ans ce d o m ain e, il n e voyait rien
à ajouter. Son in té rê t p o rta it su r la vie des nourrissons,
des bébés e t su r les tro u b les d o n t l ’étiologie était an té ­
rieu re à la p é rio d e œ d ip ie n n e . C e rtain em en t il existait
déjà les travaux de M elanie Klein, a u te u r que W innicott
considérait com m e ayant c o n trib u é décisivem ent à
l’étude de la vie des bébés e t au d o m ain e de la psycho­
pathologie. Mais il se situ ait e n ru p tu re avec certains
aspects de la c o n ce p tio n k lein ien n e, e n p articu lier l ’ab­
sence de co n sid ératio n véritable p o u r l ’in flu en ce de
l’e n v iro n n e m en t sur l’être psychique. L ’étu d e de l ’in ­
fluence de l’e n v iro n n e m e n t a co n d u it W in n ico tt à élar­
gir le ch am p d e réflex io n e t d ’ap p licatio n d e la psycha-

289
nalyse. Il est passé d e l ’étu d e des conflits in traphysiques
à l ’étu d e des conflits interpsychiques, des distorsions
psychiques provoquées p a r u n e n v iro n n e m e n t p a th o ­
gène. C ette étu d e l ’a am en é à re c o n sid é re r la tech n i­
q u e analytique classique. W in n ico tt p ro p o se u n e te c h n i­
que th é ra p e u tiq u e nouvelle qui co n ce rn e des p atien ts
qui, dans le u r to u te p etite en fan ce, o n t re n c o n tré u n
e n v iro n n e m en t ayant éch o u é dans l ’ad ap ta tio n à leurs
besoins.
E n conclusion, o n p o u rra it affirm er que le p rin cip e
qui a o rien té l ’en sem b le des travaux de W in n ico tt
réside dans la nécessité d e m e ttre en place u n en v iro n ­
n e m e n t nouveau e t ad ap té à ch aq u e p atien t.

290
E xtraits
de l’œuvre de D. W. W innicott

B io g r a p h ie
de D o n a ld W o o d s W in n ico tt

C h o ix
b ib lio g r a p h iq u e
Extraits
de l’œuvre de D. W. Winnicott

La psychanalyse et l ’influence de l ’environnement

J e soutiens q u e la psychanalyse a à p ré se n t les m oyens


de d o n n e r le u r p lein e im p o rtan ce aux facteurs exté­
rieurs, les b o n s com m e les mauvais, e t p a rtic u liè re m e n t
au rôle jo u é p a r la m ère au to u t d é b u t de la vie,
q u an d l’e n fa n t n ’a pas en co re établi de sép aratio n
e n tre ce qui est lui e t ce qui n ’est pas l u i J.

La dépendance absolue

Dans cet état, l ’en fa n t n ’a pas les m oyens de


reco n n a ître les soins m atern els qui so n t su rto u t u n e
question de prophylaxie. Il ne p e u t pas a cq u é rir la
m aîtrise de ce qui est b ien e t de ce qui est m al fait ;
il est seu lem en t à m êm e d ’en tire r p ro fit o u de souffrir
de p e rtu rb a tio n 2.

Les enfants co m m e n c e n t à exister d ifférem m en t


selon que les co n d itio n s so n t favorables o u n o n . En
même tem ps, elles n e d é te rm in e n t q u e le p o te n tiel du
petit enfant, qui est in n é ; il est légitim e d ’é tu d ie r ce
potentiel in n é d e l’individu à part, to u jo u rs sans o u b lier

293
que le p o te n tie l in n é d ’u n en fa n t n e p e u t d ev en ir u n
enfant, s’il n ’est pas co u p lé à des soins m a tern els 3.
*

La mère suffisamment bonne

Le m ieux q u e p e u t faire u n e fem m e réelle avec u n


en fa n t est d ’être sensitivem ent suffisam m ent b o n n e au
d éb u t, de telle so rte que, dès le d ép art, l ’e n fa n t puisse
avoir l ’illusion q u e cette m ère suffisam m ent b o n n e est
le « b o n sein » 4.
*

Trouble - dépendance absolue

U n e faillite des p rem iers soins fo n d a m e n ta u x de l ’e n ­


v iro n n e m e n t p e rtu rb e les processus de m a tu ra tio n ou
les em p êch e de p artic ip e r à la croissance affective de
l’enfant. C ’est cette faillite d u processus d e m a tu ratio n ,
de l ’in tég ratio n , etc., qui co n stitu e la m aladie q u e nous
appelons psychotique 5.
*

La dépendance relative

Là l’en fa n t est capable d e se re n d re co m p te d u


besoin q u ’il a des soins m atern els d ans leu rs détails ;
il p eu t, de plus, les re lie r à des im pulsions p erso n n elles
e t plus tard, au cours d ’u n tra ite m e n t psychanalytique,
il p o u rra d o n c les re p ro d u ire d an s le tr a n s f e r t6.
*

294
D. W. WlNNICOTT

L ’inné et l ’acquis

La te n d a n c e h é ré d ita ire n e p e u t agir to u te seule,


c ’est l’en v iro n n e m e n t q u i facilite la croissance d e l ’in d i­
vidu au cours d u d é v elo p p em e n t d u béb é e t d u je u n e
enfant. A l ’ex trêm e o pposé, si o n disait que nous ap p re ­
nons to u t à nos enfants, ce serait m an ifestem en t u n e
absurdité. N ous n e som m es m êm e pas capables de
leur a p p re n d re à m a rc h er, mais le u r te n d an ce in n é e
à m a rc h e r à u n certain âge a besoin de no u s 7.
*

Phénomène transitionnel

L ’o b je t tran sitio n n el e t les p h én o m èn es tran sitio n ­


nels a p p o rte n t dès le d é p a rt à to u t ê tre h u m a in q u el­
que chose qui sera to u jo u rs im p o rta n t p o u r lui, à
savoir u n e aire n e u tre d ’ex p érien ce qui n e sera pas
contestée 8.
*

Les bases de la santé mentale

Le fo n d e m e n t d ’u n e stru ctu re psychique saine et


stable est c e rta in e m e n t à ra p p o rte r à la fiabilité d e la
m ère in te rn e , mais cette capacité est elle-m êm e so u te­
nue p a r l ’individu. Il est vrai q u e les gens p assen t le u r
vie à p o rte r le rév erb ère sur leq u el ils s’ap p u ien t, mais
quelque p a rt au co m m en ce m en t il d o it y avoir un
réverbère qui tie n t to u t seul, sinon il n ’y a pas d ’in tro-
jection de la fiabilité 9.

295
En conclusion

Si le d év elo p p em e n t se fait b ien , l’in d iv id u devient


capable de tro m p e r, de m e n tir, de transiger, d ’accep ter
le conflit com m e u n fait e t de re n o n c e r au x idées
extrêm es de p erfectio n e t d ’im p erfectio n q u i re n d e n t
l ’existence in to lérab le. La capacité de tran sig er n ’est
pas ce qui caractérise les fous.
L ’être h u m a in dans sa m a tu rité n ’est n i aussi gentil,
ni aussi m auvais q u e l’im m atu re. L ’e a u d an s le verre
est boueuse, m ais n ’est pas de la b o u e 10.

*
* *

Références des Extraits cités

1. Lettres vives, G allim ard, 1986, p. 195.


2. De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, p. 246.
3. Ibid., p. 243.
4. Lettres vives, op. cit., p. 74.
5. Processus de maturation chez l’enfant, Payot, p. 254.
6. De la pédiatrie à la psychanalyse, op. cit., p. 246.
7. Lettres vives, op. cit., pp. 249-250.
8. Jeu et réalité, G allim ard, 1975, pp. 22-23.
9. Lettres vives, op. cit., p. 216.
10. La Nature humaine, G allim ard, 1990, p. 179.

296
Biographie
de Donald Woods Winnicott

1896 N aissance de D o n ald W oods W in n ico tt à


P lym outh dans le D evon, au sein d ’u n e fam ille
p ro testan te. Il a d eu x sœ urs aînées.
A 13 ans, il est envoyé en p en sio n à Cam ­
bridge.
P e n d a n t la g u erre de 1914-18, il est aide-infir­
m ier à C am bridge, puis s’engage dans la
m arine.
A près la g u erre, il p o u rsu it ses étu d es m édica­
les à L o n d res, au St. B artholom ew ’s H ospital.
1920 Il o b tie n t son d iplôm e de m édecin.
Il se co n v ertit e t d ev ien t anglican.
1923 D éb u t d e sa psychanalyse avec Jam es Strachey.
Il o ccupe d eu x postes hospitaliers : l’u n au
Q u e e n ’s H ospital fo r C h ild ren , l ’a u tre au Pad-
d in g to n G reen C h ild re n ’s H ospital, o ù il
exerce p e n d a n t q u a ra n te ans.
1924 P rem ier m ariage. Il ouvre son c ab in et à H arley
S treet à L ondres.
Vers le m ilieu des an n ées tre n te , il devient
analyste qualifié d e la Société b rita n n iq u e de
Psychanalyse.
1935- 40 II suit u n co n trô le avec M elanie Klein. A cette
m êm e p ério d e , il reço it Eric, le fils d e M elanie
Klein, e n analyse.

297
1940 II engage u n e seconde analyse avec J o a n
Rivière.
P e n d a n t la g u e rre de 1939-45, il d ev ien t psy­
chiatre c o n su ltan t des forces arm ées.

1948 M ort de son p ère. Il divorce q u elq u es mois


plus tard.

1951 D euxièm e m ariage avec C lare B ritton.


De 1956 à 1959 e t de 1965 à 1968, il est
élu P résid en t d e la Société b rita n n iq u e de
Psychanalyse.

1968 II reço it « T h e Jam es S pence M edal fo r Paedia-


trics ».

1971 II m e u rt à L o n d res, le 2 5 jan v ier.

298
Choix
bibliographique

W INNICOTT, D .W .,

De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969.


Processus de maturation chez l ’enfant, Payot, 1970.
La Consultation thérapeutique et l ’enfant, G allim ard,
1971.
Fragments d ’une analyse, Payot, 1975.
feu et réalité, G allim ard, 1975.
La Petite « Piggle », Payot, 1980.
La Nature humaine, G allim ard, 1990.
Lettres vives, Correspondance, G allim ard, 1989.
*

OUVRAGES DE D. W. WINNICOTT DESTINÉS A UN


LARGE PUBLIC :
L ’E nfant et sa famille, Payot, 1971.
L ’E nfant et le monde extérieur, Payot, 1972.
Conversations ordinaires, G allim ard, 1988.
Le Bébé et sa mère, Payot, 1992.
Déprivation et délinquance, Payot, 1994.

299
Introduction
à l ’œuvre
de

Françoise DOLTO

M.-H. LEDOUX
La vie de Françoise Dolto
*
Introduction et thèmes majeurs
*
La relation mère-enfant et la triangulation
La dyade
La construction de V « infans »
La notion de triangulation
*
Les castrations symboligènes
Définition doltoïenne de la castration
La castration ombilicale
La castration orale
La castration anale
La castration symboligène
*
L ’image inconsciente du corps
Définition de l ’image inconsciente du corps
Les trois aspects de l ’image inconsciente du corps
La pathologie des images du corps
*

Propos sur les entretiens préliminaires


et la psychanalyse avec les enfants
Les entretiens préliminaires
Le cadre et les modalités techniques
*

Conclusion
*

Glossaire
des principaux concepts
de F. Dolto
L a vie de Françoise Dolto

J e vais d ’ab o rd , très brièvem ent, ra p p e le r quelques


aspects de la vie de F. D olto e t év o q u er sa place dans
l’histoire d e la psychanalyse.
Françoise M arette est n ée le 6 novem bre 1908 à Paris,
dans u n m ilieu de g ran d e bourgeoisie. Son éd u catio n
est p lu tô t stricte, co n traig n an te. La m o rt de la sœ u r
aînée, lorsque F rançoise a douze ans, e t les paroles
alors tenues p a r la m ère vont la culpabiliser p e n d a n t
longtem ps. La d ép ressio n consécutive d e M adam e
M arette re n d ra difficile la vie fam iliale. A près avoir
réussi son baccalau réat, F. D olto n ’o b tie n t pas le d ro it
de faire des étu d es su p érieu res, mais seu lem en t celui
de suivre u n e fo rm atio n d ’infirm ière. Ce n ’est que plus
tard q u ’elle e n tre p re n d ra des étu d es m édicales. Elle
suit alors u n e analyse avec R ené L aforgue (1934-1937),
rencontre S ophie M o rg en stern e t com m en ce très vite
à travailler com m e psychanalyste, après avoir ad h éré
en 1938 à la Société Psychanalytique de Paris. Elle
travaille au p rès d ’enfants, d ’ab o rd à l ’H ô p ital B reto n ­
neau puis, en 1940, à l ’H ô p ital Trousseau.

305

i
i
En 1953, a n n é e de la scission de la Société Psychana­
lytique de Paris, Françoise D olto, D aniel L agache et
Ju lie tte Favez B o u to n n ier, suivis p a r Jacq u es Lacan,
c ré e n t la Société Française de Psychanalyse, e n tra în a n t
d e rriè re eux d e n o m b reu x élèves-candidats analystes.
C ette société, n o n re c o n n u e p a r l ’O rg an isatio n In te rn a ­
tionale de Psychanalyse (IPA), va elle-m êm e se scin d er
e n 1963-1964 p o u r d o n n e r, avec J. Lacan, l ’Ecole F reu ­
d ie n n e de Paris, à laquelle F. D olto ad h è re , e t l ’Associa­
tion Psychanalytique de F rance (J. L ap lan ch e, J.-B. Pon-
talis, D. A nzieu...). A la fin des an n ées 1960, l ’essor de
l ’Ecole F re u d ien n e est assez pro d ig ieu x . D olto y tie n t
des sém inaires e t assure des contrôles.

C ’est en 1971 que p a ra ît Le Cas Dominique e t en


1978 q ue F. D olto a b a n d o n n e u n e g ran d e p artie de
ses activités in stitu tio n n elles e t analytiques p o u r se
co n sacrer davantage à p u b lie r d ’anciens textes e t à
écrire des livres.

Boris D olto, son ép o u x d ep u is 1942, m e u rt en 1981,


quelques mois après la d isp aritio n de Jacq u es Lacan.
C ’est e n 1979-1980 q u ’elle ouvre la « M aison V erte »
e t que, déjà m alade, elle com m en ce à recevoir dans
u n e p etite salle de la ru e Cujas les en fan ts d ’u n e
p o u p o n n iè re .

Françoise D olto m e u rt le 25 ao û t 1988 des suites


d ’u n e affection p u lm o n aire.

A bordons m a in te n a n t son œ uvre.

306
F. DOLTO

Introduction et thèmes majeurs

S ceptique devant to u t savoir constitué, Françoise


D olto nous p ro p o se des théo risatio n s originales, nova­
trices, re c h e rc h a n t to u jo u rs dans des sujets singuliers
les sources d ’u n savoir. Psychanalyste en acte, elle nous
livre u n e p arole, des réflexions co m m andées p a r la
clinique et l ’éco u te de l ’in conscient. G éniale clini­
cienne, elle fu t aussi u n e g ran d e th é o ricie n n e laissant
u ne œ uvre originale.

O u tre u n a rt socratiq u e d o u b lé d ’u n e éth iq u e rig o u ­


reuse, nous pouvons c e rn e r dans son œ uvre les thèm es
récu rren ts suivants :

• L ’être h u m a in est u n être de « filiation langa­


gière », u n ê tre de langage a p p a rte n a n t à u n e lignée.
Il s’inscrit dans u n m o n d e tran sg én é ratio n n e l.

• P arallèlem ent, il est source au to n o m e de désir dès


la conception. Françoise D olto so u tie n t q u e la nais­
sance est sym bolique d u d ésir de s’assum er, in c arn atio n
dans u n corps d ’u n su jet désirant.

• Les p erso n n es p aren tales so n t les ré p o n d a n ts de


la cohésion narcissique de l’en fan t, co h ésio n q u i se
réfère à la scène prim itive e t aux relations actuelles.
Ainsi le n o u rrisso n s’inscrit-il dans u n espace affectif
triangulaire.

• La nécessaire articu latio n des sexes p o u r d o n n e r


la vie d o it être dite à l ’enfant. U ne fem m e n ’est re n d u e
m ère que p a r u n p ère. Savoir q u e la m ère a conçu
l’enfant dans u n acte de désir avec u n h o m m e, place

307
l’en fa n t dans sa vérité e t le dégage d ’u n e hém ip lég ie
affective e t sym bolique.
• La venue au m o n d e est l ’in c a rn a tio n d e trois
désirs : celui de la m ère, d u p ère e t d u sujet lui-m êm e.
Françoise D olto va m êm e ju s q u ’à so u te n ir q u e l’en fa n t
choisit ses p aren ts ; aussi a-t-il des devoirs vis-à-vis d ’eux,
com m e ses p aren ts en o n t vis-à-vis de lui. Si tous les
p aren ts de naissance n e so n t pas des p a re n ts éd u ca­
teurs, en revanch e to u te a ttein te à la d ig n ité de ces
p aren ts g én iteu rs lui p a ra ît très grave p o u r le narcis­
sisme de l’enfant.

• L ’ « infans » s’in scrit d ’em b lée dans u n e triad e et


il n e p e u t sans dom m ages o ccu p e r la place d ’u n o b jet
éro tiq u e dans l ’éco n o m ie libidinale de la m ère. T o u te
situation où l ’e n fa n t sert d e p ro th èse à l ’u n des p aren ts
est pervertissante.

• L ’être h u m a in est e n qu ête, dès la vie fôetale, de


com m unication. La rela tio n in te rh u m a in e h um anise.
S’adresser a u n o u rrisso n p a r des p aroles tra d u isa n t ses
ém ois, sa souffrance, son h isto ire le fo n t e n tre r dans
le code h u m a in d u langage. Le « p a rle r vrai », c ’est-à-
d ire l’en tré e en réso n an ce avec l ’e n fa n t p a r la co m m u ­
nication au niveau o ù il se trouve, p ro d u it des effets
libérateurs e t stru ctu ran ts. Ainsi Françoise D olto p rô n e-
t-elle de d ire à l’en fa n t la vérité qui le co n ce rn e, fût-
elle la plus difficile, car le m en so n g e est en porte-à-
faux avec le pressen ti e t l’in co n scien t d u sujet. F o u rn ir
les rep ères d ’u n e h isto ire est u n devoir des adultes.
L ’en fa n t a besoin de c o n n aître la vérité de ses origines.
La véritable relatio n u n ifian te, sym boligène est b ie n la
relatio n de parole.

308
F. DOLTO

• Le sujet h u m a in , s’il veut se lib érer d ’états arch aï­


ques, régressifs, d o it affro n te r e t d épasser les castrations
om bilicale, orale, anale e t œ d ip ie n n e. Ces castrations
sont définies p a r Françoise D olto com m e des fru stra­
tions h éd o n iq u es, des épreuves au cours desquelles
l’en fan t re n c o n tre l ’in te rd it p a r ra p p o rt à u n e jo u is­
sance focalisée su r telle zone co rp o relle à u n certain
stade d u dév elo p p em en t. Le re n o n c e m e n t à u n objet
désiré, à u n faire ju sq u e-là autorisé, re n d possible u n e
sym bolisation adjacen te, u n circu it de co m m u n icatio n
plus élaboré. Les castrations sym boligènes in tro d u isen t
une m u tatio n d u désir. Elles so n t aussi des ex p érien ces
intronisantes au m o n d e h u m a in (castration om bilicale),
à l’a p p a rte n a n c e sexuelle (castration p rim aire), au
m onde de la cu ltu re (in te rd it d e l ’inceste e t castration
œ d ip ien n e). Au fond, elles p artic ip e n t au processus
d ’individualisation. A ch aq u e étap e d u dévelo p p em en t,
le désir b u te su r la loi, et la vie de l’individu s’en
trouve transform ée. Chez F rançoise D olto, les qualifica­
tifs d ’anal, oral, g énital n e trad u isen t pas seu lem en t
la ren co n tre des pulsions avec u n plaisir de zone éro ­
gène, mais e x p rim e n t aussi u n m o d e de re n c o n tre avec
l’autre, associé dans l ’in c o n scien t à ces lieux du corps,
source d ’excitation.

• F. D olto relève souvent des liens e n tre la névrose


des parents e t celle de leurs enfants. Ces d ern ie rs sont
porteurs de d ettes tran sg én ératio n n elles n o n acquit­
tées. Parfois, la souffrance n o n p arlée de d eu x lignées
dédynamise u n d escen d an t. Mais les en fan ts h é rite n t
aussi des qualités dynam iques d e leurs p aren ts. Ainsi
dans la stru ctu re d u sujet, y a-t-il trois g én ératio n s en
jeu. Françoise D olto n ’en ré d u it pas p o u r a u ta n t le

309
sujet à l ’expression d u seul fantasm e p aren tal. D ans
les e n tre tie n s prélim in aires, elle analyse les relatio n s
dynam iques inco n scien tes p aren ts-en fan t, to u t en
re m o n ta n t aux stru ctu ratio n s œ d ip ie n n es des p aren ts
et grands-parents.
• Si les défectuosités e t les ru p tu re s d u lien p ost­
natal p eu v en t avoir des rép ercu ssio n s graves su r la
vitalité d u n o u rrisso n , Françoise D olto s o u tie n t n é a n ­
m oins que les souffrances e t les m alh eu rs n e so n t pas
traum atisants s’ils p a rv ie n n en t à s’ex p rim er. Elle fait
re m a rq u e r que « l ’ê tre h u m a in a u n e ex tra o rd in a ire
capacité de su b lim er la privation de q u asim en t to u t,
à c o n d itio n q u ’o n m édiatise cette privation sans c h a n ­
ger la réalité, à c o n d itio n q u ’il soit en re la tio n à q u el­
q u ’u n et q u ’il puisse d ire son épreuve sans avoir besoin
de le m im er avec son corps » 110. Aussi s’écarte-t-elle
d ’u n e vision réaliste de la caren ce p o u r e x p liq u er les
difficultés psychopathologiques au p ro fit <d ’u n e
re c h e rc h e des signifiants alién an ts et de dynam iques
libidinales perverties.

• Les enfants so n t aux sources d u savoir, e t les


sym ptôm es so n t des questions m uettes, des m essages à
d éco d er, des m alen te n d u s mais aussi des expressions
de le u r vérité. Il n e s’agit d o n c pas de les ré é d u q u e r
o u de les re g ro u p e r sous u n étiq u etag e stérilisant.

N ous allons m a in te n a n t p ré s e n te r e t é tu d ie r les th è ­


m es m ajeurs de l ’œ uvre d o lto ïe n n e , à savoir : la relatio n
p réco ce m ère-en fan t e t la trian g u latio n ; les d ifféren tes
castrations sym boligènes ; l’im age in co n scien te d u

310
F. DOLTO

corps ; l ’im p o rtan ce des e n tre tie n s p rélim in aires e t le


cadre d ’u n e cu re psychanalytique avec u n en fan t.

L a relation mère-enfant et la triangulation

F. D olto a ap p o rté des d o n n ées nouvelles c o n c e rn a n t


la relatio n p réco ce m ère-enfant. Si u n e m ère n o u rri­
cière est essentielle a u b o n d év elo p p em en t psychologi­
que de l ’e n fa n t je u n e , le p ère, au tre p ô le d u triangle,
l’est to u t au tan t. Il exerce u n e fo n ctio n e t tie n t u n e
place ra d ic alem en t d ifféren tes d u rôle m atern el.
Nbus pouvons déjà avancer que la trian g u latio n
m ère-père-enfant com m en ce dès la co n cep tio n . La
fécondation est déjà u n e trian g u latio n e t la naissance,
m om ent ab o u ti de fo rce de vie e t de désirs, est fru it
d ’une re n c o n tre d e trois désirs : d ésir d ’u n e m ère,
désir d ’u n p ère, e t désir d ’u n sujet de s’in c a rn e r dans
un corps. Plus tard , la p ré te n d u e dyade sera toujours
triade, trip o d e. R em arq u o n s que F. D olto so u tie n t cons­
tam m ent que les p aren ts de naissance o n t été choisis
par l’enfant.

La dyade

Selon F. D olto, d u ra n t les prem iers m ois de la vie,


une p erso n n e u n iq u e est nécessaire p o u r servir de
relation élective au b éb é afin q u ’il se c e n tre à l ’in té­
rieur de lu i-m ê m e m . Elle ajoute aussi que, dès le
début, cette p e rso n n e d o it être m éd iatrice des autres.

311
L ’ « infans » n e fo n d e son existence q u e p a r e t dans
u n e rela tio n à u n au tre. Il se sen t e n tie r q u a n d la m ère
est p résen te e t lui parle. C ette stru ctu re d ’éch an g es et
de paroles est fo n d atrice p o u r son id en tité. La rela tio n
c o n tin u e avec u n e p e rso n n e tu télaire est vitale, p arce
q u ’elle crée la m ém o ire d ’u n « lui-m êm e — l ’a u tre »,
p rem ière sécurité narcissique. Elle est re p ré s e n ta n te de
l ’être « lui-elle ». C ette p résen ce h u m a in e vitale est
m éd iatrice des p ercep tio n s, in stau ratrice de sens et
d ’hu m an isatio n .

Dès la naissance, l ’e n fa n t est u n être de p aro le,


ré c e p tif e t actif, à l ’affût des éch an g es sensori-m oteurs,
d u langage vocal, gestuel. Il est en d em a n d e d e co m m u ­
n icatio n interpsychique. Le b éb é est avant to u t u n être
d ésiran t à la rech e rc h e d ’u n au tre. La te n sio n d u désir
so u tie n t la q u ê te d u n o u rrisso n vers la co m p lém e n tarité
d ’u n objet qui le satisfait, e t lui d o n n e son statu t
d ’être : « O ù est ce p a r qu o i j ’au rai l ’être ? » Q u an d
il n e reço it pas de rép o n se à son ap p el d ’échanges,
aux variations de ses sensations, de ses p erce p tio n s, il
n ’éprouve pas de fiabilité, il ne trouve pas q u e lq u ’u n
qui m édiatise ce q u ’il vit e t lui d o n n e sens. Il y a alors
risque de m ortalité sym bolique, psychique, p a r d éfau t
de co m m u n icatio n in te rh u m a in e vraie, p a r d éfau t de
co m m u n icatio n de psychism e à psychism e. Q u a n d la
m ère s’absente, le n o u rrisso n est privé d e ses rep ères,
il est com m e d éserté (l’o b jet p e rd u , c ’est aussi le sujet
qui se p e rd ), mais il se ressource lo rsq u ’elle ré a p p a ra ît
e t q ue se reco n stitu e u n c o n tin u u m d ’être. T rès tôt,
il em m agasine dans sa m ém o ire des p erce p tio n s de
ren co n tres auditives, olfactives, visuelles. Ces traces fo n t
p o n t e t se m ém o risen t. G râce à cela, p e tit à p etit, il

312
F. D olto

p o u rra s u p p o rte r l ’absence de la m ère, et cette dialecti­


que p ré s e n c e /a b s e n c e d ev ien d ra vitale p o u r l ’essor de
la vie psychique d u n o u rrisso n : « d ’absence e n p ré­
sence e t de p résen ce e n absence, l ’en fa n t s’in fo rm e
de son ê tre dans la solitude » 112.
F. D olto évoque la m ém o risatio n d ’u n lien, qui est
l’ex p érien ce fo n d am e n tale qui initie le p e tit d ’h o m m e
à son existence, lien in tro jecté, in tég ré au sensorium ,
synonyme de co h ésio n d u n o urrisson.
Au cours d u p re m ie r âge, le n o u rrisso n se co n stru it
en écho au vécu in c o n scien t e t au ressenti de sa m ère.
D olto ira ju s q u ’à d ire q u e la p ério d e p o stn atale est
une p é rio d e d ’id en tificatio n subie au clim at affectif
m aternel.

La construction de / ’« infans»

Le n o u rrisso n se c o n stru it à travers des rep ères ch ar­


nels e t p a r la co m m u n icatio n langagière. Il est arrimé
à u ne m ère co-être, à u n espace-tem ps, h u m an isé p a r
un lien de covivance. Dès les p rem iers jo u rs, il est relié
à la m ère p a r l ’olfactio n e t la voix, q u i lui p e rm e tte n t
de se retrouver. C ’est l’au tre qui est d é te n te u r de
l’identité d u sujet, car c ’est p a r l ’au tre, c ’est-à-dire p ar
la m ère n o u rrice , q u e l ’en fa n t re c o n n a ît e t se co n n aît
dans u n cham p d ’o d e u r, ou plus g én é ra le m e n t dans
un espace m édiatisé : « L ’e n fa n t e n te n d a n t se co n n aît
lui-même p a r qui lui parle. » 113 Sans l’au tre, la fo n ctio n
symbolique d e l ’e n fa n t to u rn e ra it à vide puisque c ’est
bien l ’au tre qui d o n n e sens à l’éprouvé e t au p e rç u ;
l’autre hum anise.

313
A ce stade, le n o u rrisso n est o b jet p artiel de la m ère
g ran d e masse, sp h è re ovoïde. C ’est-à-dire q u e d u ra n t
l’allaitem e n t e t les soins co rp o rels, le b éb é se se n t « u n
attrib u t de l ’être de sa m ère, en m êm e tem ps q u ’elle
lui ap p a ra ît com m e o b je t p artiel de lui-m êm e ». Alors,
p o u r F. D olto, 1 o b je t total, c ’est « lui — sa m è re n o u r­
rice en u n e im age d u corps, p h alliq u e, fu sio n n elle » 114.
Les m ains, les seins, les p h o n èm es d e la m ère sont
perçus p a r l ’en fa n t com m e m o rceau x d e son p ro p re
corps.

C est donc l’autre qui centre le sujet. Ainsi, l ’im age


du corps digestif, récep tacle à co m p lém e n ter, se consti­
tue davantage p a r l ’o d e u r de la m ère e t p a r le sein
reliés à la b o u ch e e t au nez d u n o u rrisso n , q u e p ar
le seul corps d e l’en fan t. Le corps d e la m ère, c ’est
aussi son corps à lui. Le n o u rrisso n se c o n stru it avec
des bouts de corps relatio n n el. Mais grâce aussi aux
références viscérales, il se sen t cohésif.
Lors d e la ru p tu re de la dyade sym biotique visible,
u n e zone éro g èn e olfactive, qui avait été c o m p lém e n tée
p a r l ’o d e u r de la m ère, jo u e ra u n rôle décisif. C ette
o d e u r est symbole d e la m ère car p a r elle, la m ère
est p résen te. A u-delà d e la distance d u corps à corps,
lorsque la m ère est sortie d u ch am p visuel, ce so n t les
p ercep tio n s subtiles com m e l ’o d eu r, certain s objets,
« m am aïsés », ou des traces m ém orisées q u i étab lissen t
u n lien narcissisant avec la m ère et p ro lo n g e n t le
« ressenti vivant en sécurité ».
Les paroles acco m p ag n an t les relatio n s « c o n stitu en t
les franges de la p résen ce tu télaire » 115. D e la dyade
surgit p e u à p eu u n « P rém oi » à p a rtir d e ces « seg­

314
F. DOLTO

m ents altern an ts de c o rp o réité » 116. P o u r le b éb é, cette


présence répétitive e t p lu riq u o tid ie n n e d u co n tact sen ­
soriel avec la m ère est ind isp en sab le à la conservation
des im ages d u corps de base.

Les soins n o u rriciers, rép étés, d o n n e n t aux zones de


com m u n icatio n substantielle (trous d u corps) u n e
valeur signifiante d ’échanges ; e t c ’est p a r les sens sub­
tils, c ’est-à-dire l’olfaction, la vue, l ’au d itio n , le to u c h e r
que le n o u rrisso n organise ses échanges signifiants.

Aux d éb u ts d e la vie, l’ê tre se réfère à l’om bilic, à


la b o u ch e, aux sensations d u tu b e dig estif e t aux sensa­
tions tactiles. Mais le corps n ’en est pas m oins e t avant
to u t u n lieu relatio n n el.

Résum ons.
• La m ère est sécurisante p a r le p o rtag e, les caresses,
les je u x de corps à corps, e t h u m an isan te p a r l’effet de
parole. M édiatrice des p ercep tio n s, elle d o n n e, grâce à
la parole, valeur signifiante aux sensations. Sans la
parole de l ’au tre, les p erce p tio n s de l ’en fan t ne sont
croisées q u ’à son p ro p re corps, d ev en an t alors corps-
chose.

• La d isco n tin u ité dans la dyade e n tra în e u n e alter­


nance e n tre le co-être avec la m ère e t le n o n -co-être.
Cette d isco n tin u ité re d o u ta b le (lorsque sa m ère se
détache de lui, l ’infans est com m e am p u té) est n é a n ­
moins p o n c tu a n te , sym boligène. Elle in itie l ’en fa n t à
l’expérience d u m an q u e, au flux d u tem ps, à l ’expé­
rience des retrouvailles e t au co n stat q u e la m ère p e u t
aussi d ésirer ailleurs.

315
• S’il est vrai q u e dans la dyade, l’infans est assujetti
au ressenti m a tern el, il est p rê t n éan m o in s à recevoir
le langage e t est lui-m êm e source a u to n o m e de désir.

N ous n ’a b o rd ero n s pas ici les aspects p ath o g è n e s de


la relatio n m ère-en fan t. R em arq u o n s sim p lem e n t que,
p o u r F. D olto, il n ’y a pas d e b o n n es ni d e m auvaises
m ères, schém a tro p sim pliste. Mais elle n o u s sensibilise
à d écrypter les co n séq u en ces p ath o lo g iq u es d e d ifféren ­
tes configurations de la rela tio n m ère-en fan t : les consé­
quences m utilantes p o u r le b éb é d ’être u n o b je t ré p a ra ­
te u r, les effets m o rcelan ts d ’u n e tro p g ra n d e éro tisatio n
orale e t anale des p aren ts... Ainsi, la jo u issan c e d u
corps à corps peut-elle être u n e éclipse de l’être , de
l ’id e n tité d u sujet. C itons F. D olto : « L ’h o m m e n ’est
pas le re p ré s e n ta n t de la m o rt p o u r l ’in co n scien t. La
fem m e l ’est, p arce q u e c ’est d ’elle q u e v ie n n e n t les
jouissances qui fo n t o u b lier son corps au su jet e t son
ê tre à l’enfant. L orsque, affam é, elle l ’a apaisé, lorsque,
angoissé, elle l ’a consolé, il se sen t d ev en u elle, mais
c ’est à elle aussi q u ’il d o it re n o n c e r (...). L ’en fan t, lui,
d o it se d é ro b e r à sa sollicitude à p a rtir d ’u n certain
p o in t de son d év elo p p em en t, e t refu ser d e lui d o n n e r
le plaisir q u ’elle lui d em an d e à p a rtir d ’u n certain
m o m en t, qui est, au plus tard , celui d e l ’Œ d ip e. C ’est
p o u rq u o i je pen se q u e la m ère p e u t ê tre sym bole de
la m o rt a u ta n t q u e de la vie. » 117 Sans m êm e p a rle r
de relations p ath o g èn es m ère-en fan t, F. D olto so u tie n t
d o n c que la jo u issan ce en ta n t q u e satisfaction d u désir
équivaut d ’u n e certain e façon à l’évan o u issem en t du
s u j e t 118. Elle a p a r ailleurs toujours été soucieuse de
d ég ag er la p ro b lém atiq u e de la dyade e t mis l ’accen t
sur le rôle sé p a ra te u r e t dynam ique d u p ère.

316
F. D olto

La notion de triangulation

Dès la co n cep tio n , l’en fa n t se situe dans u n e triade.


La dyade m ère-en fan t n ’a de sens stru c tu ra n t q u e si
la m ère m a te rn a n te « conserve e t c o n tin u e de dévelop­
p e r des in térêts m ajeurs p o u r la société » 119, e t garde
u n a ttrait physique e t ém o tio n n el p o u r le conjoint.
P our le n o u rrisso n , « son corps, son être n e se distin­
g u en t de ceux de la m ère que dans les m o m en ts où
une troisièm e p e rso n n e est p résen te » 12°.
La n o n -rép o n se aux appels de l ’en fan t lo rsq u e la
m ère se trouve o ccu p ée avec son co njoint, est u n com ­
p o rtem en t m a te rn e l stru ctu ran t. Il y a d o n c u n au-
delà de l ’a u tre m a te rn e l et, p a r co n séq u en t, u n au-
delà de la dyade. Si l ’en fan t est le cen tre exclusif
de l ’in té rê t et de la p o larisatio n de la m ère, il reste
em prisonné dans le d ésir m atern el, e t la source de
son désir risque alors de se tarir. En u n m ot, c ’est
parce q ue l’e n fa n t voit sa m ère co u p lée avec u n p arte­
naire q ue la dyade q u ’il fo rm e avec elle p re n d sens
pour sa fu tu re accession à l’id e n tité sexuelle.
F. D olto n e cesse de nous ra p p e le r que le couple
m ère-père re p ré se n te toujours la m éd iatio n de base,
la cellule d e référen c e sym bolique d o n t la « fo n ctio n
originelle est d ’assurer la trian g u latio n ». Elle affirm e
q u ’« il fau t u n e trian g u latio n p o u r q u e le sujet parle
de lui dans u n J e référé à u n II » 121, e t « c ’est parce
que la p e rso n n e m a te rn a n te d éro b e à son e n fa n t des
valences én erg é tiq u es e t ém o tio n n elles, p o u r les d o n ­
ner à l’être h u m a in qui l’attire g én itale m en t e t qui
est co m p lém en taire de sa fém inité, q u e le d ésir du
nourrisson e t d e l ’e n fa n t trouve u n e issue in itiatiq u e

317
à l’aim ance ». Sans troisièm e term e, il n ’y a pas d e Je.
Françoise D olto a to u jo u rs critiq u é l’id éologie som ­
m aire d e l ’am o u r m a tern el tous azim uts ; l ’aim an ce
p e u t ê tre la p ire des choses, l ’alién atio n , la confusion.
C ’est au co n tra ire le corps à corps b a rré qui p e rm e ttra
l ’a p p aritio n des sublim ations p h o n ato ires.

F. D olto rap p elle avec insistance la fo n ctio n h u m a n i­


sante d u p è re dans la rela tio n m ère-en fan t, d éliv ran t
l’e n fa n t d ’u n e rela tio n im ag in aire régressivante. Il cons­
titu e le pivot de la stru ctu re trian g u laire. Le p è re a
u n e fo n ctio n séparatrice et dynamogène. La rela tio n d u elle
d o it être m a rq u é e p a r la loi d u p ère (co n jo in t, am an t),
« loi salu tairem en t dissociative p o u r la dyade exquise
d u n o u rrisso n », signifiant à l’e n fa n t q ue la m ère ne
lui a p p a rtie n t pas, e t à la m è re que l ’e n fa n t n ’est pas
son p ro d u it. Aussi « le p ère n ’est ni b o n ni mauvais ;
c ’est celui qui b arre la m ère e t q u i su p p rim e chez
l ’e n fa n t le besoin de la faire so u rire ou p le u re r » '122.
R em arquons ici la co ïn cid en ce d e p en sée avec l ’affirm a­
tio n de J. Lacan q u a n d il qualifie le p è re d e « p riv ateu r
d ’o b je t ».

Le p è re exerce u n e puissance d y n am o g èn e p o u r la
dyade m ère-enfan t, en rac in e l’e n fa n t dans u n e filiation
p a r le n o m q u ’il transm et, e t jo u e u n rôle décisif
dans la sexuation. A ce sujet, F. D olto so u tie n t l ’idée
d ’attractio n s hétéro sex u elles précoces q u ’elle situe dès
les p rem ières tétées. P o u r le garçon, le p è re est u n
soutien narcissique, u n m o d èle id en tificato ire. P o u r la
fille, c ’est le p ère qui va ré p o n d re à ce qui, d an s la
m ère, n e d o n n e pas rép o n se au d ésir sexualisé d e la
fille.

318
F. D olto

Le p ère est, selon F. D olto, « u n axe qui verticalisé »,


u n pôle a rticu la teu r e t m utatif. Elle insiste su r l ’im p o r­
tance p o u r l ’e n fa n t de c o n n aître son rôle féco n d a teu r,
connaissance qui lui d o n n e ainsi statu t e t valeur. Le
sexe fém inin ayant, lui, d ’em blée u n e valeur d u fait
de l ’a tta c h e m e n t à la m ère p e n d a n t les p rem ières
années. Alors, se savoir fils d e son p ère in d iq u e la voie
p o u r le garçon vers l ’id en tificatio n m asculine.

Les castrations symboligènes

La n o tio n de castratio n chez Françoise D olto n ’est


pas superposable au com plexe de castratio n chez
F reud. Il n e s’agit pas d ’u n e m enace o u d ’u n fantasm e
de m utilation p é n ie n n e , m ais d ’u n e privation, d ’un
sevrage réel e t sym bolique c o n c e rn a n t u n o b je t investi
é ro tiq u e m e n t ju sq u e-là e t qui d o it u n jo u r ê tre in terd it.
O n passe ainsi d ’u n o b jet p artiel à u n au tre, d ’u n
m ode d ’activités e t de relatio n s à u n au tre m o d e plus
élaboré.

Définition doltoïenne de la castration

« Le m o t de castratio n en psychanalyse re n d com pte


du processus qui s’acco m p lit chez u n être h u m ain
lo rsq u ’u n au tre ê tre h u m a in lui signifie que l ’accom ­
plissem ent de son désir, sous la form e q u ’il v o u d rait
lui d o n n e r, est in te rd it p a r la Loi. » 123 O u en co re :
« Les castrations — au sens psychanalytique — sont

319
des épreuves de p artitio n sym bolique. Elles s o n t u n
dire o u u n agir signifiant, irréversible e t q u i fait loi,
qui a d o n c u n effet o p é ra tio n n e l dans la réalité. » 124
D ans la perspective de l’h isto ire e t d u d év elo p p e­
m ent, la castratio n est co n çu e p a r F rançoise D olto
com m e u n in te rd it o p posé à u n e satisfaction a u p ara­
vant co n n u e mais qui d o it être dépassée, déplacée.
« Le ch em in est u n jo u r d éfin itiv em en t co u p é d an s la
p o u rsu ite d ’u n “de plus en p lu s” d u plaisir q u e p ro cu re
la satisfaction d irecte e t im m éd iate co n n u e d an s le
corps à corps avec la m ère e t l’ap aisem en t d u besoin
substantiel. » 125 C et in te rd it d ’agir com m e au p arav an t
provoque u n effet de choc, u n e révolte e t d e l ’in h ib i­
tion. L ’en fa n t p o u rra s u p p o rte r l’ép reu v e p a r la verbali­
sation e t la co n statatio n q u e l ’ad u lte est lui aussi soum is
à l ’in terd it. Il y a u ra p ro h ib itio n des pulsions — les
pulsions n e p o u v an t plus se satisfaire d ire c te m e n t dans
le corps à corps o u avec des objets in c estu eu x — ,
re fo u le m e n t e t en su ite sublim ation.
Il y a d o n c l’id ée q u e la loi n ’est pas seu lem en t
répressive mais aussi initiatrice 126, « p ro m o tio n n a n te »,
libératrice e t sublim atoire. La castratio n , en in te rd isa n t
certaines réalisations d u désir, oblige e t lib ère les p u l­
sions vers d ’autres m oyens, d ’autres re n co n tres, délais­
san t u n m o d e de satisfaction éprouvé ju sq u e-là p o u r
accéd er à u n jo u ir plus élaboré.

La castration ombilicale

La césure d u co rd o n om bilical o p è re co m m e u n e
véritable castration. L ’om bilic castré, la n o u rritu re vien t

320
F. D olto

d o rén av a n t p a r la b o u ch e. Il y a, à ce m o m en t, p artitio n
physique d u corps avec la p e rte d ’u n e p artie ju sq u e-
là essentielle à la vie. C ette m u tatio n fo n d am en tale
(passage d ’u n m ilieu liq u id e à u n m ilieu a érien ), cette
sép aratio n réalisée p a r la section d u co rd o n au niveau
réel, Françoise D olto la n o m m e castration ombilicale.
Elle est co n co m itan te de la naissance e t fo n d atrice de
l’être h u m ain . L ’alternative serait : sors de tes envelop­
pes, c ’est to n p lacen ta o u la m ort. Sortie difficile car
« q u itte r le p lacenta, q u itte r les enveloppes, c ’est-à-dire
q u itter l ’oxygénation passive, le passif n u tritif e t en
m êm e tem ps la sécurité p o u r le corps to u t en tier, c ’est
v raim ent sortir d ’u n é ta t vital, le seul co n n u , c ’est
m o u rir » 127. T ran sfo rm atio n s fo n d am en tales car « la
césure om bilicale o rig in e le schém a co rp o rel dans les
lim ites de l ’envelop p e qui est la p eau , co u p ée d u pla­
centa e t des enveloppes incluses dans l’u téru s, e t à lui
laissées. L ’im age d u corps, o riginée p artie lle m e n t dans
des rythm es, la ch aleu r, les sonorités, les p ercep tio n s
fœ tales, se voit m odifiée p a r la variation b ru sq u e de ces
perceptions ; en p articu lier, la p erte, p o u r les pulsions
passives, auditives, d u d o u b le b a tte m e n t de c œ u r q u ’z'n
utero l’e n fa n t en te n d a it. C ette m o dification s’accom pa­
gne de l ’a p p aritio n de la soufflerie p u lm o n aire e t de
l’activation d u péristaltism e d u tu b e digestif qui, l ’en ­
fant né, é m e t le m éco n iu m accum ulé dans la vie fœ tale.
La cicatrice om bilicale e t la p erte d u p lacen ta peuvent,
du fait d e la suite d u d estin h u m ain , être considérées
com me u n e p réfig u ra tio n de toutes les épreuves q u ’on
nom m era plus ta rd castrations » 128. D ans le ventre
m aternel, le sang p la cen ta ire alim en tait le fœ tus. D oré­
navant c ’est sur l ’air q u e la vie se greffe. La lum ière,
les odeurs, les sensations n e so n t plus filtrées p a r le

321
corps de la m ère. Le béb é a besoin d ’u n o b je t p artiel
qui ne soit plus om bilical mais la su b lim atio n de la
relatio n om bilicale, la rela tio n à la n o u rritu re p assan t
p a r la b o u ch e e t n o n plus p a r l’om bilic : l’om bilic est
castré. La sép aratio n avec le p lacen ta est d o n c m o m e n t
sym bolique de naissance qui, en ta n t q u e viabilité d u
fœ tus, est source de vitalité sym boligène, n e serait-ce
q u ’au niveau d u narcissism e des gén iteu rs.

La castration orale

Elle c o rresp o n d au sevrage. Le d ésir d u sein est


in terd it, l ’e n fa n t est privé de la m am elle. La castratio n
orale « signifie la privation im posée au b éb é d e ce qui
est p o u r lui le cannibalism e vis-à-vis de sa m è re : c ’est-
à-dire le sevrage, e t aussi l ’e m p ê c h e m e n t d e co n so m ­
m er ce qui serait poison m o rtifère p o u r son corps, soit
l’in te rd it de m a n g er ce qui n ’est pas alim en taire, ce
qui serait d an g e re u x p o u r la santé ou la vie » 129. C ette
castration est p o u r l ’e n fa n t u n e sép aratio n d ’avec u n e
p artie de lui-m êm e q u i se trouvait dans le corps de la
m ère : le lait. F rançoise D olto rem a rq u e q u e ce lait
est à la fois à la m ère e t au n o u rrisso n p u isq u e c ’est
lui qui le fait m o n te r dans les seins m atern els.
L ’e n fa n t se sép are de l ’o b je t p artiel sein e t de la
p rem ière n o u rritu re lactée. Sa b o u ch e est privée d u
té to n q u ’il croyait sien. Il va co m b ler ce tro u b é a n t
q ue crée l ’absence d u sein, en m e tta n t le p o u ce dans
sa bouche. La castration o rale pose u n in te rd it de
corps à corps, dynam ise le désir de p a rle r (il fau t
castrer la langue d u té to n p o u r que l ’e n fa n t puisse
parler) e t la déco u v erte de nouveaux m oyens de com ­

322
F. D olto

m unication. Mais ce sevrage im p liq u e aussi q u e la m ère


accepte la ru p tu re d u corps à corps e t q u ’elle puisse
co m m u n iq u er a u tre m e n t que p a r les soins corporels.
Les pulsions orales b arrées à u n certain niveau de
réalisation p o u rro n t alors se tran sm u ter d an s u n com ­
p o rte m e n t langagier. Voilà l ’effet sym boligène de la
castration orale : l ’in tro d u c tio n de l ’en fa n t e n ta n t que
séparé d e la p résen ce ab so lu m en t nécessaire de la
m ère, à la rela tio n avec au tru i, aux éch an g es m im iques
et verbaux, m odulés, expressifs.
Si le langage préexiste à la naissance, c ’est, p o u r
Françoise D olto, seu lem en t après le sevrage d u corps
à corps que l’assim ilation de la langue m atern elle com ­
m ence à se faire. E n co re faut-il que ce sevrage n ’in te r­
vienne pas dans u n e relatio n vide de paroles. « L orsque,
au co n traire, la sép aratio n d u sevrage est progressive
et que le plaisir p artiel qui lie la b o u ch e au sein est
conduit p a r la m è re à se d istrib u er sur la connaissance
successive de la tactilité d ’autres objets q u e l ’en fan t
m et à sa b o u ch e, ces objets nom m és p ar elle l ’in tro d u i­
sent au langage, e t nous assistons alors au fait que
l’enfant s’exerce, lo rsq u ’il est seul e t éveillé dans son
berceau, à se “p a rle r” à lui-m êm e, e n lallations d ’abord,
puis en m od u latio n s de so n o rité, com m e il a e n te n d u
sa m ère le faire avec lui e t avec d ’autres. » 130

La castration anale

La castration anale signifie la sép aratio n avec la m ère


pour la d é p e n d a n c e des besoins excrém entiels, la fin
de l’assistance m a tern elle p o u r l ’e n tre tie n d u corps et
l’habillage, la fin d u parasitage physique e t l’en tré e

323
dans l ’agir, les exp érien ces, l’au to n o m ie m o trice, les
m an ip u latio n s lu d iq u es avec les autres, le re p érag e des
lim ites. L ’in te rd it de l’agression d u corps d ’a u tru i, du
m e u rtre, d é c o u le ra it de la su b lim atio n des pulsions
anales. La castratio n anale in d u it l ’in te rd it de la d é té ­
rio ratio n , l ’in te rd it d e n u ire à au tru i, l ’en se ig n e m e n t
de la différence e n tre possession p e rso n n elle e t posses­
sion de l ’au tre, l’in te rd it d e faire n ’im p o rte qu o i p o u r
son plaisir éro tiq u e. P ar la su b lim ation d u d ésir anal,
l’e n fa n t devient in d u strieu x e t lu d iq u e, ac q u ie rt u n e
plus g ran d e m aîtrise de la m o tricité e t d u co m m erce
avec les autres.
D ans L ’Image inconsciente du corps, F. D olto d istin g u e
d eu x acceptions d u term e « castratio n anale ». La p re ­
m ière est synonym e de sép aratio n e n tre l’e n fa n t e t
l’assistance de sa m ère p o u r le « faire » ; c ’est e n q u el­
q ue sorte u n seco n d sevrage. La seco n de accep tio n se
ra p p o rte à l ’in te rd it signifié à l ’e n fa n t de to,u t agir
nuisible vis-à-vis d ’u n au tre. Il n e s’agit év id em m en t
pas d e dressage, de m u tilatio n , ni de d ésir de
co n trô le 131. La castration n ’existe e t ne se p ro d u it que
si l’e n fa n t est re c o n n u com m e sujet, si ses pulsions
(vandaliques) so n t e n p artie barrées. Elle d o it être
d o n n é e p a r ceux q u i so u tie n n e n t l’id en tificatio n au
sexe de l’enfant.

La castration symboligène

La castration signifie arrêt, p erte , m o d ificatio n du


ra p p o rt à l ’au tre, n o ta m m e n t au niveau d u corps, m o d i­
fication d u tra je t p u lsio n n el : dans la castratio n o m bili­
cale, a rrê t de ne faire q u ’u n avec la m ère, d ’être

324
F. D olto

dedans, d ’être n o u rri p a r le co rd o n ; p erte des envelop­


pes, d u p lacen ta, p e rte de l ’au d itio n de son p ro p re
rythm e card iaq u e ; dans la castration orale, a rrê t d ’u n
type de nourrissage, d ’u n type de corps à corps, p erte
de la m am elle que l’e n fa n t croyait sien n e ; dans la
castration anale, p e rte de la d é p en d a n ce physique p o u r
les besoins, l’habillage, p e rte d ’u n e m am an qui fait
tout.

Loin d ’ê tre b arrag e, traum atism e négatif, la castra­


tion est dynam isante e t la co n d itio n d ’accès à u n e
plus g ran d e au to n o m ie. Elle est co n co m itan te de l ’être
hum anisé sujet e t n o n plus ob jet de l ’au tre. La castra­
tion est sym boligène en ta n t q u ’elle em p êch e les p u l­
sions de se satisfaire im m éd iatem en t dans u n circu it
court vers l ’o b je t visé, p o u r différer le u r satisfaction
en u n circu it lo n g au m oyen d ’u n o b jet de tran sitio n ,
puis grâce à des objets successifs reliés au p re m ie r
objet.

P our q ue les castrations so ien t po rteu ses d ’u n e valeur


sym boligène, plusieurs co n d itio n s so n t souhaitables :

• Le schém a c o rp o rel de l’en fa n t d o it être en


m esure de les su p p o rter. U n en fa n t qui n ’au ra pas été
assez longtem ps auprès d u corps de sa m ère régressera
au m o m en t d u sevrage lors de la castration o rale ; il y
a un ju ste m o m e n t p o u r ch aq u e castration ; les pulsions
doivent avoir trouvé satisfaction dans u n p re m ie r tem ps.

• Il est nécessaire q u e l ’ad u lte d o n n a n t la castration


soit anim é de perm issivité, de respect, d ’am o u r chaste,
q u ’il puisse servir d ’ex em p le e t re n d re son pouvoir e t
son savoir accessibles u n jo u r à l ’en fan t.

325
• Le désir d o it être re c o n n u e t valorisé.

• Ces castrations, toujours conflictuelles, o n t besoin


de paroles.

Alors, la castratio n est sym boligène e t valorisante


p u isq u ’e n e m p ê c h a n t la réalisatio n de la satisfaction
im m édiate e t régressivante, elle ouvre à l ’e n fa n t les
relations d ’échan g e. Ce n ’est q u ’au p rix de castrations
o p ératio n n elles, « c ’est-à-dire reçues à tem ps et n o n à
contretemps, je veux dire qu an d les pulsions refoulées
p a r les in terd its so n t à la fois capables de s’o rg an iser
e n p artie en tabous in co n scien ts solides, tandis que
les pulsions libres p eu v en t acc éd er au plaisir dans les
co n q u êtes d u stade libidinal suivant » 132, q u e l’en fa n t
s’hum anise. Les castrations so n t d o n c, p o u r n o tre
a u teu r, des épreuves m utatives p o n c tu a n t le dév elo p p e­
m e n t de l ’e n fa n t ; elles p a rtic ip e n t à l ’ap p ren tissag e
d u désir hum anisé.

L ’image inconsciente d u corps

N ous som m es en p résen ce d ’u n co n c e p t original, lié


in tim e m e n t à la p ratiq u e de F rançoise D olto avec des
enfants très régressifs ou psychotiques. Elle a poursuivi
sa th éo risatio n des im ages in co n scien tes d u corps p e n ­
d a n t plus de vingt-cinq ans, p u isq u e le p re m ie r article
sur ce sujet est p a ru en 1957 133, tandis q u e le livre
Lim age inconsciente du corps d ate de 1984.

326
F. D olto

Souvenons-nous q u e, dès son origine, l’être h u m ain


est lui-m êm e source a u to n o m e de désir. Dès sa co n cep ­
tion, u n sujet p re n d corps, im m ergé dans le langage
e t fro tté aux ém ois de l’e n to u ra g e le plus im m édiat,
à travers des échanges substantiels e t subtils. Le substan­
tiel est à c o m p re n d re com m e le m o n d e des besoins,
celui d e la m atérialité de la n o u rritu re e t des excré­
m ents, c ’est-à-dire des objets partiels d ’échanges. Le
subtil, lui, se réfère au cœ u r à cœ u r, à la com m unica­
tion, au désir, à l ’olfaction, à l ’o u ïe e t à la vue.

Définition de l ’image inconsciente du corps

Le co n c e p t d ’image inconsciente du corps ré p o n d au


souci d ’a p p ré h e n d e r les p rem ières rep résen tatio n s psy­
chiques e t de p e n se r les étapes p réspéculaires ; car, si
p o u r F. D olto l ’infans est u n être rela tio n n e l e t en
com m unication, il est dès le d é p a rt d o u é d ’u n e activité
représentative. C ette fo n ctio n s’étaye dans les échanges
qui s’en g a g e n t au lieu de son corps. Les paroles e t les
affects, associés au vécu co rp o rel e t relatio n n el, laissent
des im pressions som atopsychiques à p a rtir desquelles se
co n stitu en t les prem iers rep ères, les p rem ières im ages
inconscientes du corps.
L ’im age inconscien te d u corps est u n e n o tio n fo n d a­
m e n tale m en t issue de la clinique ; elle re n d com pte
des rep résen tatio n s précoces, n o n figuratives au
m o m en t où elles s’élab o ren t, e t qui se rév élero n t seule­
m en t après-coup, d u ra n t la cu re analytique, grâce au
dessin e t au m odelage. Précisons ici q u e les re p ré se n ta ­
tions conscientes so n t p o stérieu res au fa ç o n n e m e n t de
ces im ages inconscientes. L ’im age incon scien te du

327
corps n ’est n i le schém a co rp o rel, ni le corps fantasmé,
mais le lieu in c o n scien t d ’ém ission e t de récep tio n des
ém ois, focalisés d ’ab o rd aux zones éro g èn es de plaisir.
Elle est à co m p re n d re com m e u n e mémoire
inconsciente d u vécu, o u e n co re com m e « Ça relation­
nel ». T race stru ctu rale de l ’h isto ire ém o tio n n elle du
sujet, e t n o n p ro lo n g e m e n t psychique d u schém a cor­
porel, l’im age in co n scien te d u corps se faço n n e comme
élab o ratio n d ’ém ois p récoces éprouvés dans la relation
intersubjective avec les p aren ts n o u rriciers. Synthèse
vivante des ex p érien ces vécues, elle « réfère le sujet du
désir à son jo u ir, m édiatisé p a r le langage m ém orisé de
la com m unicatio n e n tre sujets » 134. Sorte de réceptacle
psychique basal, elle est le lieu de re p ré se n ta tio n des
expériences relatio n n elles. C ette im age est fondam enta­
le m en t u n sub strat rela tio n n e l qui passe p a r le corps,
lieu de la co m m u n icatio n précoce. N ous retrouvons
ainsi cette id ée d o lto ïe n n e de l ’in d isp en sab le croise­
m e n t e n tre l ’éprouvé co rp o rel e t le langage, afin de
p ro d u ire de la rep résen tatio n .

L’infans p ro d u it des im ages com m e p rem iers repères


identificatoires, p rem ières sym bolisations dans son être
allant-devenant. D olto te n a it p a rtic u liè re m e n t à cette
n o tio n d ’im age e t d éco m p o sait le m o t ainsi 135 :

/ renvoie à l’id e n tité


ma, à m am an, m a m am an
ge, à te rre , base, corps je à advenir

N ous avons, dans n o tre ouvrage su r F. D olto 136, dis­


tingué trois aspects de l ’image inconsciente du corps : un
aspect structural, u n asp ect g én étiq u e o u dynam ique,
e t u n aspect relatio n n el.

328
F. D olto

Les trois aspects de l ’image inconsciente du corps

□ L ’aspect structural— L ’im age d u corps se p résen te


com m e l’articu latio n dynam ique d ’u n e im age de base,
d ’u n e im age fo n ctio n n elle e t d ’u n e im age des zones
érogènes. Ces trois m odalités de l’im age in consciente
d u corps so n t reliées p a r u n su b strat dynam ique, les
pulsions de vie.

• L ’image de base co n ce rn e l ’être dans sa cohésion


narcissique. Elle p re n d sa source dans le vécu rép étitif
de masse e t p résen tifie l ’im age d u corps au repos.
Associée à la scène co n cep tio n n elle, à l ’im age fœ tale
e t au narcissism e fo n d am en tal, elle lie le sujet à la
vie. La resp iratio n e t la circu latio n cardio-vasculaire
seraien t p rin c ip a le m e n t les lieux co rp o rels de cette
image. L ’im age de base est constitutive de ce narcis­
sisme p rim o rd ial o u fo n d am en tal, qui s’actualise dans
les p rem ières relatio n s acc o m p ag n an t la resp iratio n , la
satisfaction des besoins e t des désirs partiels. Cette
notion d ’im age de base s’a p p a re n te à certain es concep­
tions d u self, lorsque, p a r exem ple, F. D olto la défin it
com m e ce qui p e rm e t de se ressen tir dans u n e
« m êm eté d ’ê tre », dans u n e co n tin u ité narcissique spa­
tio-tem porelle. Elle recouvre donc le sentiment d ’exister
dans une continuité. T o u te m en ace co n tre l’in tég rité de
cette im age de base est ressentie com m e m ortelle.

• L ’image fonctionnelle se d éfin it com m e l ’im age sthé­


nique d ’u n sujet visant l ’accom plissem ent de son désir ;
elle véhicule les pulsions de vie. Elle est active, dynam i­
que, ex c e n tra n te p a r ra p p o rt à l’im age de base en raci­
nante. Elle est liée à la ten sio n d u désir.

329
• L ’image érogène, elle, focalise plaisir e t d éplaisir
dans la relatio n à l’autre.
Ces trois im ages so n t n o u ées e n tre elles p a r Y image
dynamique qui co rresp o n d au désir d ’être e t de persévé­
re r dans u n advenir, à u n e « in ten sité d ’a tte n te et
d ’attein te de l’o b je t », à u n e ten sio n d ’in te n tio n . C ette
im age exprim e « en ch acu n de nous l ’E ta n t a p p e la n t
l’A dvenir ; le sujet en d ro it de d ésirer » 137.

□ L ’aspect génétique, dynamique — L ’im age d u corps


est le fru it d ’u n e élab o ratio n e t d ’u n d év elo p p em en t
la re m a n ia n t à travers le tem ps. C h aq u e stade vient
m odifier les rep résen tatio n s de l’im age de base. Ce
serait l’im age resp irato ire, l ’im age d u corps la plus
arch aïq u e « p arce q u e l’air q u e nous resp iro n s c ’est
n o tre p lacen ta » 138. Françoise D olto d istin g u e ensuite
u n e im age de base orale, puis u n e im age anale. Le rôle
des expériences olfactives, visuelles, auditives, tactiles et
la nécessité d ’u n co n tin u u m de p erce p tio n s rép étées
e t reco n n u e s s o n t fo n d am e n tau x dans la co n stitu tio n
de ces im ages. Avec le tem ps, les im ages d u corps
évoluent e t se stru c tu re n t grâce aux ém ois, articulés
au désir éro tiq u e. Les castrations p e rm e tte n t leurs
rem odelages successifs.
Lors de l’ex p érien ce d u m iro ir, l ’im age d u corps est
refoulée e t d isp araît au p ro fit de la c o rp o réité visible.
N ous som m es en p résen ce d ’u n e fo rm e de castration
p u isq u ’il y a re m a n ie m e n t radical, clivage e n tre l’im agi­
naire e t la réalité, alig n em en t de l ’éprouvé sensoriel
sur le visuel. La réalité d u visible s’im pose. C ette ex p é­
rien ce est u n e épreuve où le su jet se découvre au tre,
distinct de la m ère. La reconnaissance dans le m iro ir

330
F. DOLTO

est u n e situation d ram a tiq u e dans laquelle s’im pose


u ne id en tificatio n à u n corps séparé. Le m iro ir b o u le­
verse d o n c la p ro b lém atiq u e de l ’im age in consciente
du corps. L ’im age scopique devient le su b stitu t
conscient de l’im age d u corps inconsciente.

□ L ’aspect relationnel — L ’élab o ratio n de l ’im age du


corps ne se fait q u e d an s u n ra p p o rt d ’échanges et
de langage à au tru i. Elle p re n d ap p u i sur l ’au tre, se
façonne « e n intuitive référen c e au désir de l’au tre ».
Elle est agencée au corps, au ressenti e t au d it de la
m ère. La co m m u n icatio n sensorielle, ém o tio n n elle et
la parole de l ’au tre ap p araissen t com m e les d eu x subs­
trats de cette im age d u corps. La p aro le organise et
perm et le cro isem en t d u schém a c o rp o rel e t de cette
image inconsciente.

La pathologie des images du corps

F. D olto m e t plus p a rtic u liè re m e n t en valeur d eu x


faits. La disjonction des trois im ages d u corps, e t le
repli (ou le re to u r) sur u n e im age de base plus arch aï­
que. Plusieurs n o tio n s r e n d e n t com pte de cette p ath o ­
logie : n o n -stru ctu ratio n , enclaves p h o b iq u es, altéra­
tion-dissociation, dévitalisation.
Brièvem ent, n o to n s q u e :
• s’il y a d a n g e r e t a ttein te de l ’im age de base,
des m écanism es p h o b iq u es ou persécutifs p eu v en t se
développer ;
• s’il y a d é fa u t de p e rso n n e n o u rricière ou absence
de reconnaissance d u désir, o n p e u t crain d re u n e

331
régression avec résu rg en ce d ’u n e im age d u corps pas­
sée ;
• s’il y a p e rte des p rem iers rep ères identificatoires,
n o ta m m e n t sensoriels, il existe u n risq u e de m o rt psy­
chique ;
• q u a n t à l’altératio n e t à la dissociation, la ren ­
co n tre avec des enfants psychotiques o u autistes nous
renvoie à des im ages arch aïq u es d u corps, à l ’ac­
crochage de l ’e n fa n t à u n e im age à laq u elle il n e p eu t
re n o n c e r, à des zones psychiques d élab rées, insolites,
plus g u ère codifiées dans la relatio n à l ’au tre. Le croise­
m e n t e n tre corps, ém ois, paroles, au tre, a été m alm ené.
Plusieurs cas p eu v en t se p résen te r. G én éralem en t, une
défaillance dan s la co m m u n icatio n p e rtu rb e la m êm eté
d ’être : l ’infans est privé de la possibilité de p artag er
ses ex p érien ces sensorielles e t son éprouvé n ’est ni
reçu, ni « sensé » p a r u n au tre. La p e rte de l’au tre à
u n âge très p réco ce éq uivaut à u n e p e rte de la bo u ch e
relatio n n elle, à u n e p e rte d u lieu d u lien dans son
corps. L ’im age d u corps dans ce cas est am p u tée d ’u n e
zone éro g èn e, p artie avec la m ère. F. D olto a toujours
souligné les risques de la d isco n tin u ité d u sensorium
langagier m ère-en fan t, p o u v an t p ro v o q u er des dissocia­
tions de l ’im age d u corps. L ’en fa n t p e u t ainsi p e rd re
to u t sens de son id en tité, te n u e t faço n n é avec un
au tre, p e rd re to u te capacité de c o m m u n iq u er e t s’e n ­
ferm er en rég ressan t dans u n état de sensations co rp o ­
relles, viscérales assu ran t u n m in im u m de sen tim en t
d ’existence, avec d o n c p révalence des pulsions de m ort.
F aute de rela tio n à l’au tre, de n o u ag e e n tre schém a
co rp o rel e t im age inco n scien te d u corps, e n tre sujet
e t corps, l ’infans est h ap p é dans u n im ag in aire hors-

332
F. DOLTO

sens, livré à des sensations e t à des p ercep tio n s qui,


n o n m édiatisées, d ev ie n n e n t insensées e t fortuites.
En conclusion, la co n ce p tio n originale de F. D olto
sur l ’im age in co n scien te d u corps vise à re n d re com pte
de l ’activité psychique préco ce d u n o u rrisso n , des figu­
rations corporo-psychiques d u sujet en relatio n , avant
le stade d u m iroir. Françoise D olto situe plus volontiers
le c œ u r de l ’être a u th e n tiq u e dans cette im age
inconsciente d u corps, tandis que le m iro ir innove le
m onde de l ’ap p aren ce.

Propos su r les entretiens prélim inaires et la


psychanalyse avec les enfants

F. D olto a eu le m érite d ’ex p rim er clairem en t la


spécificité d u travail de rééd u c atio n , d u travail psycho­
th érap iq u e e t de la p ratiq u e psychanalytique avec des
enfants. Les indicatio n s, les co n ditions, le co n trat, les
entretiens prélim in aires, la place d u psychanalyste p ar
rap p o rt aux p aren ts e t à l ’éd u ca tio n o n t été de sa p a rt
l’objet d ’explications précises 139. D ans sa p ratiq u e, elle
portait u n e g ran d e a tte n tio n à l ’en v iro n n e m e n t fam i­
lial. Aussi, avant q u e n e soit d écid ée u n e cu re p o u r
l’enfant, les en tre tie n s p rélim in aires revêtent-ils une
grande im p o rtan ce, u n e fo n ctio n essentielle.

Les entretiens préliminaires

Ils doivent p e rm e ttre , d ’u n e p art, de c e rn e r d ’où


vient la d em an d e, de re c h e rc h e r qui souffre vraim ent

333
et, d ’au tre part, d ’é tu d ie r la dynam ique fam iliale, la
place de l ’e n fa n t d an s le narcissism e des p aren ts, les
p rojections d o n t il a été l’objet, l’œ d ip e d u p ère,
l’œ d ip e de la m ère, le « je u » in c o n scien t p arents-
enfant. A ttentive au discours p a re n ta l, F. D olto savait
re p é re r ce qui avait p u se tisser e n tre la m è re et
l’infans, la place o ccu p ée p a r le p ère, ce q u ’il en était
d u désir des p aren ts l ’u n envers l ’au tre. Elle recevait
g é n é ra le m e n t les p aren ts ensem ble, puis la m è re seule,
le p è re seul, l ’e n fa n t avec ses p aren ts e t l ’e n fa n t seul.
Elle exigeait que le p ère, m êm e ab sen t ou sép aré de
la m ère, d o n n e son acco rd p o u r la d é m arch e en tre p rise
e t p o u r la décision d ’en g ag e r la cu re de l’en fan t.

Les p a re n ts é ta ie n t am enés à fo rm u le r d ev an t l ’en ­


fa n t les raisons p o u r lesquelles ils avaient p en sé à u n e
aide, à u n e psych o th érap ie analytique p o u r lui. Il lui
paraissait im p o rta n t q u e les p aren ts d isen t eux-m êm es
ce qui les g ên ait e t elle d em a n d a it aussi à l ’e n fa n t ce
q u ’il en pensait. L ’e n fa n t était en su ite vu seul afin
q u ’il puisse d ire à son to u r ce qui lui faisait p ro b lèm e
ou pas.

Parfois, les en tre tie n s avec les p aren ts suffisaient à


d é n o u e r u n e situation, n o ta m m e n t lo rsq u e l ’e n fa n t
n ’était q ue le sym ptôm e d ’u n e p ro b lém atiq u e p a re n ­
tale. Q u an d l ’en fa n t refu sait de venir, elle d e m a n d a it
à la p erso n n e la plus anxieuse à son sujet de ven ir en
p a rle r avec elle.

Dans ce travail p rélim in aire, F. D olto essayait de faire


ém erg er ce qui avait p u se d ire e t se p ro je te r avant
que l ’en fan t n e soit né, de c o m p re n d re sa place dans
u n e histoire aux ram ifications com plexes, faite d ’événe-

334
F. D olto

m ents, de désirs, de paroles, ces d ern ières parfois d éci­


sives q u a n t à la destin ée d u sujet. Elle s’efforçait de
faire préciser le vécu p aren tal de la p etite enfance,
d ’évaluer les processus inconscients en je u , de re p é re r
les satisfactions de l’e n fa n t a u to u r de l ’oralité, de l ’ana-
lité, avec la re n c o n tre ou n o n des castrations symboligè-
nes. Elle te n ta it de saisir ce qui se trouvait véhiculé
im p licitem en t dans les paroles, de retro u v er ce qui
avait p u a lién er l ’e n fa n t à des signifiants particuliers
e t le d ésaxer de son « allant-devenant ». F. D olto p o rta it
ainsi u n e ex trêm e atte n tio n au co n tex te e t à la langue
parlée. Elle essayait de re p é re r e t d ’ex p liciter la place
tenue p a r l ’e n fa n t dans la p ro p re éco n o m ie psychique
de la m ère, de m e ttre au jo u r des fixations éro tiq u es
, régressivantes de la dyade dans lesquelles l’en fa n t
trouve parfois u n e certain e jo u issan ce (cf. la n o tio n
de « sym bolique faussée »). Ces en tre tie n s visaient d o n c
à réin jecter le sym ptôm e — sym ptôm e à co m p re n d re
com m e langage à d éco d er, m a le n te n d u — dans la
dynam ique rela tio n n e lle, h isto riq u e, inconsciente,
parents-enfant.
Ce travail p rélim in aire d e m an d ait d u tem ps, mais u n
tem ps d ’a u ta n t plus p récieu x q u e F. D olto évitait les
cures des enfants de m oins de six ans. Elle pensait,
en effet, q ue p e n d a n t l ’Œ dipe, u n e p e rso n n e am en ée
à re n c o n tre r fré q u e m m e n t u n e n fa n t risq uait de re ta r­
der son évolution vers u n e stru ctu ra tio n libidinale
sexuée, cette stru ctu ra tio n ne p o u v an t s’effectu er favo­
rab lem en t selon elle q u e dans la co n jo n ctio n fam iliale
triangulaire.
Si u n e d em an d e vraie de l ’en fa n t ém erg eait à l’issue
de ces ren co n tres, alors u n travail analytique individuel

335
pouvait com m en cer, après en g én éral trois séances d ’es­
sai.

Le cadre et les modalités techniques

Si le cadre d e la cu re avec les adultes n ’est pas


applicable avec des enfants e t nécessite q u elq u es amé­
nagem ents, n éan m o in s il n ’existe pas de d ifféren ce de
n a tu re e n tre l ’analyse d ’adultes e t l ’analyse d ’enfants.
Les deux règles fo n d am en tales, la verbalisation d ’asso­
ciations libres e t le p a ie m e n t des séances, s o n t reprises
avec toutefois des m odalités p articulières.
• Françoise D olto p rô n a it u n certain d ép o u illem en t
dans le m atériel e t refusait l ’a p p o rt de jo u e ts. L ’enfant
a seu lem en t à sa disposition des papiers, des crayons,
de la p âte à m o d e ler e t sa p aro le. Il p e u t to u t dire
m ais pas to u t faire : « T u dis en m ots, en dessin ou
m odelage to u t ce que tu penses o u ressens p en d an t
que tu es ici, m êm e ce que, avec d ’autres personnes,
tu sais ou tu crois q u ’il n e fa u d ra it pas d ire. » Q uant
au su p p o rt de la p ratiq u e, l ’a u te u r s’en ex p liq u e ainsi :
« Voici de longues an n ées que no u s en reg istro n s ces
dessins e t m odelages (...) com m e des associations libres,
tém oins adjacents d u vécu tran sféren tiel, e n relation
p ro b ab le avec les p ro p o s tenus, qui so n t so u v en t fort
différents des thèm es dessinés e t m odelés (...) créations
[qui] nous ap p araissen t alors com m e u n rêve extem po­
ran é, d éc o u la n t de la rela tio n analytique d e transfert,
q ue l ’étu d e d u c o n te n u la te n t p e rm e t d ’expliciter. » 140

Si le dessin est com pris com m e u n e stru ctu re du


corps p rojetée, u n fantasm e, u n tém o in d e l ’image

336
F. D olto

inconsciente d u corps, l ’im p o rta n t est n éan m o in s de


faire p a rle r l ’e n fa n t sur son dessin, de le faire associer
sur cette m éd iatio n re p résen tan te. Dessins e t m odelages
o n t à être q uestion n és, parlés, p re n a n t u n e valeur quasi
équivalente des rêves e t des fantasm es de la p ratiq u e
analytique avec les adultes. Ainsi, dessins e t m o d e­
lages, enregistrés com m e des associations libres, sont-
ils com pris com m e tém oins d u vécu h isto riq u e et
tran sféren tiel, com m e tém oins d ’im ages d u corps, puis­
que dans ces p ro d u ctio n s l’e n fa n t se rep résen te.
L’im age d u corps est dans cette perspective u n e m édia­
tion p o u r e x p rim er rêves, fantasm es e t désirs. Elle n ’est
pas réd u ctib le au dessin ou au m odelage, mais d o it se
révéler p a r le dialogue analytique.
O n a b eau c o u p souligné cette faculté m erveilleuse
de F. D olto d ’éc o u te r les enfants à le u r niveau de
co m p réh en sio n , car « éco u ter u n en fan t, c ’est im p o r­
tant, mais à c o n d itio n de c o m p re n d re ce q u e p a rle r
veut dire à l ’âge q u ’il a. Et ceci d é p e n d d e l ’im age
du corps qui est u n langage ». Avec de très je u n e s
anorexiques o u psychotiques, les éco u ter « signifie leu r
parler au niveau des im ages d u corps » 141. Travailler
avec eux, c ’est c o m p re n d re ce langage des im ages du
corps e t étab lir u n e co m m u n icatio n signifiante à ce
niveau. F. D olto tra d u it donc, dans la lan g u e de l ’en ­
fant, ce q u ’elle ressent. Elle lui p ro p o se alors u n e
construction éclairan te sur laquelle il p re n d ra appui
pour rep artir.
• Le p a ie m e n t sym bolique est ici l ’éq u iv alen t du
p aiem en t des séances en analyse d ’adultes. Il p a ra ît
fo ndam ental q u e l ’analysant investisse sa psychanalyse
com m e espace d ’au to n o m ie p o u r u n travail p erso n n el.

337
Françoise D olto insiste sur le fait q u e l’analyse n ’est
pas u n je u , ni u n e éro tisatio n rela tio n n e lle, ni de la
jouissance partagée. L ’en fa n t vient p o u r a p p re n d re sur
lui-m êm e, n o n p o u r se faire consoler. Le p a ie m e n t
sym bolique (caillou, tim b re, b o u t d e p a p ie r coloré)
cadre le registre de la cure, place l’e n fa n t dans u n e
position de sujet d ésiran t e t p résen tifie la d e tte envers
l’analyste. Ni cadeau, ni o b jet p artiel, il n ’a pas à être
in te rp ré té ; il rep résen te le c o n tra t e t a valeur
d ’échange p o u r le travail engagé avec le psychanalyste.

Conclusion

A près cette p résen ta tio n des ap p o rts th é o riq u es origi­


naux de Françoise D olto, évoquons b rièv em en t la clini-.
cienne novatrice.
Son souci proph y lactiq u e e t sa passion de l’éd u ca tio n
entrevus dès son je u n e âge (« dev en ir m éd ecin d ’éd u ca­
tion ») re ste ro n t le fil c o n d u c te u r d e sa vie pro fessio n ­
nelle. Elle a vite la conviction q u e l ’étiologie des tro u ­
bles se situe dans les non-dits e t les dynam iques
inconscientes tran sg én ératio n n elles perverties. J u g e a n t
de su rcro ît que les ap p o rts de la psychanalyse n e
devaient pas être circonscrits au seul cab in et de l ’an a­
lyste, ni à la capitalisation d ’u n savoir, elle se consacra,
vers la fin de sa vie, à d ’in n o m b rab les activités de
p révention com m e la créatio n de la M aison V erte, lieu
d ’accueil e t d ’éco u te de p aren ts e t d ’enfants en bas âge,
ou à la p u blication de n o m b reu x ouvrages. M ilitante de

338
F. DOLTO

la p aro le vraie e t de l ’éco u te des enfants, elle travailla


à restitu er la vérité d u sujet dans sa d im en sio n dési­
ran te. Aussi l ’e n fa n t q u ’elle p ro m e u t est-il au to n o m e,
ayant des droits mais pas tous les droits.
Pouvoir e n te n d re l ’en fan t, p e n se r dans son m o d e de
pensée, se m e ttre à sa place sans q u itte r la position
d ’analyste, telle fu t sa gageure. T o u t cela sans m ièvrerie
ou com passion régressivante, en ne c o n fo n d a n t pas
p ratiq u e psychanalytique e t éd u catio n . Son travail n ’est
jam ais d u colm atage mais u n e mise en m ots qui
re d o n n e sens e t fierté au sujet. L ’in su p p o rtab le, il faut
no n le co m b ler p a r des m esures form elles o u p seu d o ­
réparatrices, m ais l ’e n te n d re et en p re n d re acte.
Françoise D olto fu t su rto u t u n e clin icien n e th é o ri­
sant après coup, d o n t le savoir m êm e venait des enfants
en analyse. Ils fu re n t ses en seig n an ts p arce q u ’elle fu t
capable de « p re n d re langue » avec eux e t de les p re n ­
dre au sérieux. Assez élo ig n ée des q u erelles d ’écoles,
elle laisse u n e œ uvre im p o rtan te, cen trée sur la levée
du mal de vivre.

* *

339
Glossaire
des principaux concepts
de F. Dolto

Bicéphale

Aux débuts d e la vie, les p aren ts se ra ie n t ressentis


p a r l ’en fan t com m e u n e sorte d ’u n ité stru c tu ra n te
b icép h ale : « L ’en fa n t les ressent, au d éb u t, co m m e u n e
dyade bicép h aliq u e, puis b ico rp o réisée, puis com m e
u n e association co m p lém e n taire e t articu lée de puissan­
ces, q u ’il re p ré se n te sous la fo rm e m ythique d u ro i et
de la rein e dans ses dessins, m odelages e t fantasm es »
(Au jeu du désir, p. 70).

Castration

Chez F. D olto, la n o tio n de castration va de p air


avec celle de Loi e t sous-tend m u tatio n , ép reu v e et
sublim ation. « En psychanalyse, le term e signifie u n e
in terd ictio n d u désir p a r ra p p o rt à certain es m odalités
d ’o b te n tio n de plaisir, in terd ictio n à effet h arm o n isa n t
e t p ro m o tio n n a n t, ta n t d u d ésiran t ainsi in té g ré à la
loi qui l ’hum anise, que d u d ésir au q u el cette in te rd ic ­
tio n ouvre la voie vers de plus g ran d es jo uissan ces » (Au
jeu du désir, p. 301). Les castrations so n t des épreuves
m u tan tes ayant des effets sym boligènes, g é n é ra te u rs de
nouvelles m anières d ’être. Parfois elles o n t des effets
p ath o g èn es, car c ’est seu lem en t dans la confian ce, le

340
F. DOLTO

respect e t des paroles justes, q u ’elles s’accom plissent


e t se dépassent.

Castration naturelle ou primaire

Résulte de la réalité m o n o sex u ée e t m o rtelle d u


corps h u m ain . Les filles n ’o n t pas de pénis, les garçons
n ’a u ro n t pas d ’enfan t.

Castration ombilicale

Elle se réfère à la naissance, à la c o u p u re d u co rd o n


om bilical, au passage d ’u n certain type de vie — la
vie fœ tale — à u n n o u v eau g en re de vie — la vie
aérien n e — d o n t les m odalités so n t très d ifféren tes :
m ilieu, p ercep tio n s, circuits d ’éch an g e nouveaux.

Castration orale

C o n tem p o rain e d u sevrage, de la privation de


consom m er q u elq u e chose qui vient d u corps d e la
m ère, o u de ce qui n ’est pas alim entaire. R u p tu re
du corps à corps can n ib aliq u e p ro m o u v an t u n circuit
d ’échanges plus lo n g e t le désir de p arler.

Castration anale

S’e n te n d à la fois com m e sép aratio n e n tre l’en fan t,


capable de m otricité v o lontaire, et l ’assistance auxiliaire
de sa m ère (acquisition de l’au to n o m ie m otrice, n o u rri­
ture, h ab illem en t, d éam b u latio n ), e t com m e in te rd it
de to u t agir nuisible vis-à-vis des au tres (in te rd it du

341
m e u rtre, d u vandalism e). La sublim ation de ce p ro ces­
sus c ’est le faire in d u strieu x , lu d iq u e, lan g ag ier e t cu ltu ­
rel avec les autres.

Castration symboligène
La castration est u n e verbalisation de l’in te rd it d o n n é
à telle visée d u désir. C et in te rd it initie le sujet à la
puissance de son d ésir e t à la loi. P ar le travail d u
refo u le m en t, u n re m a n ie m e n t dynam ique s’o p è re avec
u n processus de m u tatio n , de sublim ation, d ’élab o ra­
tion que n ’exigeait pas l ’o b jet visé p rim itivem ent. L ’in ­
te rd it est rép ressif p o u r l’agir mais p ro m o tio n n a n t p o u r
le sujet dans son h u m an isatio n . Les castrations o n t des
effets sym boligènes en ta n t q u ’elles p e rm e tte n t aux
pulsions de s’ex p rim er a u tre m e n t q u e p a r la seule et
im m édiate jo u issan ce d u corps. Elles so u tie n n e n t la
sym bolisation des pulsions dans le sens lan g ag ier vers
la rech e rc h e de nouveaux buts, de façon co n fo rm e
aux lois d u gro u p e. La castratio n est sym boligène en
ta n t que privation de la satisfaction des p ulsions dans
u n circuit co u rt en rela tio n avec l ’ob jet visé p o u r être
reprise dans u n circuit plus lo n g avec d ’au tres objets.
Les castrations so n t fructueuses, o n t u n e valeu r p ro m o ­
tio n n elle, e n tra în e n t des m u tatio n s et o u v ren t les rela­
tions d ’échange. Elles do iv en t ê tre d o n n é e s p a r ceux
qui so u tie n n e n t l’id en tificatio n de l ’en fan t, e t se réali­
ser dans le respect, avec acc o m p ag n em en t d e paroles
e t prom esse.

Fonction symbolique
Il est assez difficile d e voir dans la n o tio n de fo n ctio n
sym bolique u n c o n ce p t b ien précis, m algré sa position

342
F. D olto

cen trale dans la p en sée de F. D olto. C ’est ce qui spéci­


fierait les êtres hu m ain s en ta n t :

• q u ’ils so n t stru c tu re lle m e n t des êtres de langage ;

• q u ’ils se d iffére n cien t les uns des au tres parce


q u ’inscrits dans u n e histoire, u n m ythe p articu lier à
chacun : « La fo n ctio n sym bolique, d o n t to u t être
hu m ain à sa naissance est d o u é, p e rm e t à u n nouveau-
né de se d iffére n cier en ta n t que sujet d ésiran t et
p rén o m m é d ’u n re p ré se n ta n t anonym e d e l ’espèce
hum aine » (Lim age inconsciente du corps, p. 82) ;
• q u ’ils so n t capables (« do u és ») de liaison, de
représentations, de m édiatisation des pulsions, capables
de m e ttre d u sens aux sim ples p ercep tio n s, sensations.
Par cette fo n ctio n , to u t a valeur de langage p o u r le
petit d ’hom m e.

La fo n ctio n sym bolique est corrélative, fo n d atrice de


l’hum ain. Elle est co n stam m en t en je u dans la vie et
perm et de d év elo p p er la rela tio n in terh u m ain e. Son
exercice au sein de cette rela tio n croisée dans un
espace trian g u laire est l ’o rigine de l ’o rg an isatio n langa­
gière.

La fo n ctio n sym bolique s’o ppose à l’in stin ct de l ’ani­


mal. Elle a des effets sym boligènes si elle est n o u rrie
par le langage hum ain .

Humanisation

L’être h u m a in est u n être de langage ; telle est sa


spécificité. Le véhicule de l’h u m an isatio n est la parole.

343
La p aro le hum an ise to u t ce qui est l’olfaction e t l ’an i­
m alité d u corps à corps.

Idéal du Moi

Il est co n co m ita n t de la réso lu tio n d e l ’œ d ip e ; il


surgit « des déco m b res d u d ésir in cestu eu x , attire et
stim ule le Moi à des réalisations cu ltu relles » (Le Cas
Dominique, p. 2S7). N e s’in c a rn a n t pas d an s u n être
h u m ain , c ’est u n e in stan ce p o st-œ d ip ien n e se ra p p o r­
ta n t à l ’éth iq u e.

Image du corps

Elle se stru ctu re d an s la rela tio n intersubjective ; elle


se co n stru it sous l’effet des pulsions, de la co m m u n ica­
tio n sensorielle (ex p érien ces olfactives, visuelles, tacti­
les), d u langage e n te n d u . C ’est l’esquisse d ’u n e im ité.
F. D olto d it q ue c ’est u n Ça rela tio n n e l, pris dans un
corps situé dans l’espace, u n lieu de re p ré se n ta tio n
des pulsions. L ’im age d u corps est liée à l ’histoire
p erso n n elle, est spécifique d ’u n e rela tio n libidinale.
Elle « est la synthèse vivante de nos ex p érien ces ém o­
tionnelles ». Elle réfère le sujet à son jo u ir, m édiatisé
p ar le langage m érporisé de la co m m u n icatio n e n tre
sujets. Elle p e u t être co n sid érée com m e « l’in c arn atio n
sym bolique in co n scien te d u sujet d é s ira n t» (Lim age
inconsciente du corps, p. 22). Sorte de récep tacle psychi­
que basal o ù les ém ois, le vécu s’inscrivent.
D ’u n p o in t de vue stru ctu ral, elle p e u t se d éco m p o ser
en u n e im age de base, u n e im age é ro g èn e e t u n e
im age fo n ctio n n elle.

344
F. D olto

Image de base

P roche de la n o tio n w in n ico ttien n e d u sen tim en t


co n tin u d ’exister. Im age q u i se réfère à u n ressenti, à
u n e m êm eté d ’être, dans u n e c o n tin u ité narcissique.
Elle est constitutive du narcissism e prim o rd ial.

Image érogène

Im age associée à l ’im age fo n ctio n n elle d u corps, lieu


de focalisation d u plaisir e t d u déplaisir.

Image fonctionnelle

Im age sth én iq u e d ’u n sujet qui vise l ’accom plisse­


m e n t de son désir.
Im age de base, im age éro g èn e, im age fo n ctio n n elle
assum ent l ’im age d u corps vivant et le narcissism e du
sujet à ch aq u e étap e de son évolution.

Moi idéal

« Le Moi idéal est u n e instance qui p re n d u n être


de la réalité (u n Toi) com m e re p è re idéalisé (m odèle),
p o u r le pré-sujet q u ’est Moi référé à Toi. M odèle m aî­
tre, e n d ro it de dire “J e ”. A près l ’œ d ip e, le sujet est
lui-m êm e le sujet Je , assum ant Moi, son c o m p o rtem e n t
m arq u é de la loi génitale a u ta n t que le so n t les adultes ;
et l’Idéal d u Moi n ’est plus référé à q u e lq u ’u n , mais
à u n e éth iq u e qui sert au Moi de so u tien im aginaire
p o u r l’accession à l ’âge ad u lte » (L ’Image inconsciente
du corps, n o te 1, p. 29). Les p erso n n es su p p o rts d u Moi

345
idéal so n t g é n é ra le m e n t les p aren ts. Au p o in t d e vue
g én étiq u e, le Moi idéal se situ erait avant la réso lu tio n
de l ’œ dipe.

Narcissisme

Il est défini com m e « la m êm eté d ’être, c o n n u e et


reco n n u e , allan t d ev en an t p o u r ch acu n dans le génie
de son sexe » (L ’Image inconsciente du corps, p. 50). Il est,
dès la naissance, croisé à la rela tio n subtile langagière
o rig in ée dans la m ère. Ce term e recouvre le p lan de
la cohésion e t d e la c o n tin u ité d u sujet. Il est à co n ce­
voir com m e u n co n tin u u m dep u is la vie fœ tale ju s q u ’à
la m ort. Il est lié au cro isem en t de l’im age d u corps
inconsciente e t d u schém a co rp o rel p ré c o n sc ie n t et
conscient. Il se co n stru it d an s la relatio n , au jo u r le
jo u r, « avec les désirs de l’élue de son d ésir e t ses
fam iliers, avec son p è re g é n ite u r» (L'Image inconsciente
du corps, p. 157).
F. D olto disting u e trois narcissism es : « le fo n d am e n ­
tal, le p rim aire e t le seco n d aire qui s’o rg an isen t suivant
la figure d ’u n o ig n o n com posé de p elu res recouvertes
les unes les a u tre s» (L'Enfant du miroir, p. 16).

Narcissisme primordial ou fondamental

C ’est le narcissism e d u sujet en ta n t q u e sujet d u


désir de vivre, p réex istan t à la naissance e t p eu t-être
à la co n cep tio n , « qui anim e l’ap p el au vivre d an s u n e
é th iq u e qui so u tie n t le sujet à désirer. C ’est ce en qu o i
l ’e n fa n t est h é ritie r sym bolique d u désir des g én iteu rs
qui l ’o n t c o n ç u » (L ’Image inconsciente du corps, p. 50).

346
F. DOLTO

Ce co n c e p t recouvre, com m e souvent chez F. D olto,


u ne a p p ro ch e stru ctu rale ( cf le langage, la filiation)
e t u n e a u tre plus vécue, plus relatio n n elle, q u a n d p ar
exem ple elle fait d e la m ère n o u rric e le g a ra n t de ce
narcissism e fo n d am e n tal, ou d éclare que ce narcissism e
est e n rac in é dans les p rem ières relations acco m p ag n an t
la resp iratio n , les p rem iers besoins nutritifs, la satisfac­
tion des désirs partiels.

Signalons q u ’u n sens q u elq u e p eu d iffére n t est


d o n n é à cette n o tio n dans u n au tre passage : « Le
narcissism e p rim o rd ial est lié à l ’assom ption de fait,
par le nouveau-né, de la castration om bilicale » (Limage
inconsciente du corps, p. 200).

Narcissisme primaire

Il fait suite au p ré c é d e n t. « Il est en té su r lui, au


sens analogique de la greffe. Il vient s’y ad jo in d re (...).
L’im age d u cœ u r d e l’o ig n o n env elo p p é de ses tu n i­
ques illustre b ien la rela tio n q u ’il y a e n tre narcissism e
fondam ental et narcissism e prim aire » (L ’Image
inconsciente du corps, p. 156). C ertains lieux, certains
fonctionnem ents d u corps, élus grâce à la ré p étitio n
des sensations éprouvées, vo n t servir de cen tre au n ar­
cissisme prim aire. F o n ctio n n em en ts substantiels mais
aussi subtils, com m u n icatio n s, activité m en tale éto ffen t
ce narcissism e.

Dans u n au tre passage de Lim age inconsciente du corps


(p. 200), le narcissism e prim aire résulte de l ’ex p érien ce
du m iroir qui révèle à l’en fan t son visage. E xpérience

347
co n co m ita n te de la connaissance d u corps com m e
sexué.

Narcissisme secondaire
Il d éco u le de l’in te rd it de l ’inceste, d e la socialisation
des pulsions sexuelles. C o n co m itan t de la d ifféren ce
e n tre p en ser e t agir, de l ’id en tificatio n d u sujet dans
le g ro u p e social. Ce narcissism e est co n te m p o ra in de
l’œ d ip e (cf. L ’Image inconsciente du corps, p. 199). D ans
Au jeu du désir, c ’est l ’in tro jectio n de la dyade ém o tio n ­
nelle qui ouvre le registre d u narcissism e seco n d aire.

Nourrisson
Dans u n e perspective de d év elo p p em en t, F. D olto le
situe com m e objet p artiel d ’u n e g ran d e m asse, ta n g e n t
au corps de la m ère, puis d o u b lu re d e celle-ci avant
l’accès à l ’au to n o m ie. En m êm e tem ps, elle le situe
aussi com m e sujet dès la co n cep tio n , avec u n désir
p ro p re jam ais to talem en t c o n d itio n n é p a r le d ésir de
l’autre.

Objets mamaïsés
D ésigne des objets ad o p tés com m e substituts m a ter­
nels, objets associés à la m ère, e t q u i la r e n d e n t p ré ­
sente b ie n q u ’absente dans la réalité.

Objet total
« J ’appelle “ ob jet to tal ” u n être vivant dans son
en tièreté, arb re, anim al, être h u m a in » (L ’Image

348
F. D olto

inconsciente du corps, n o te 1, p. 38). P o u r F. D olto, l ’objet


total est déjà là, dès les déb u ts de la vie, c ’est l ’en fan t
et sa m ère n o u rrice. « L ’o b jet total, sujet b icéphale,
c ’est lui-sa m è re n o u rrice, en u n e im age d u corps,
p hallique, fusionnelle » (Séminaire de psychanalyse d ’en­
fants vol. 2, p. 127).

Objets partiels

« J ’appelle “ o b jet p a r tie l” u n e p artie représentative


de l ’objet total, p a r laquelle le sujet p e u t e n tre r en
relation m édiatisée à cet ob jet to ta l» (L ’Image
inconsciente du corps, n o te 1, p. 38).

Pré-Moi

Le Pré-M oi su rg it p eu à p eu des altern an ces de


fusion-défusion avec la m ère n o u rrice. Ce Pré-M oi
« désigne la conscience du sujet dans son schém a cor­
porel e t dans son im age d u corps d ’avant la castration
prim aire, im age du corps n o n en co re co n sciem m en t
sexué, mais déjà éro g èn e d u fait de l ’érectilité locale... »
(L ’Image inconsciente du corps, n o te 1, p. 248). Il se cons­
truit p a r m ém o risatio n à travers le langage co m p o rte­
m ental é m o tio n n el e t verbal de l’instance tutélaire,
croisé aux ex p érien ces lu diques e t utilitaires de l ’e n ­
fant. Il est lim ité p a r le Pré-Surm oi qui so u tien t, en co u ­
rage ou b arre le désir. Il y au ra it un Pré-M oi à d om i­
nance orale lorsq u e l ’en fan t, su b lim an t b ien les
pulsions orales après le sevrage, est dans le plaisir des
paroles utilitaires e t ludiques ; u n Pré-M oi anal lorsque
l’enfant, qui a sublim é des pulsions anales après le

349
sevrage, est dans le plaisir de l ’agir u tilitaire e t lu d ique.
Le Pré-M oi génital se re p é re ra it p a r les questions
posées c o n c e rn a n t le sexe.

Pré-Surmoi

Voix in tério risée de la m ère ou d u p ère. F. D olto


d it aussi que « le Pré-Surm oi c ’est l ’acco rd ém o tio n n el
e t rythm ique de l ’en fa n t avec la p erso n n e d o n t d é p e n d
sa vie » (Séminaire de psychanalyse d'enfants, p. 236). D ’u n
p o in t de vue g én étiq u e, il se co n stitu e à p a rtir d ’u n e
zone éro g èn e d ’u n stade a n té rie u r. A u stade oral, cette
zone est d en tale ; au stade anal, elle est re je t ; au stade
génital, « la zone éro g èn e im aginée jo u a n t le rô le du
Pré-Surm oi est m o rcelan te q u a n t à l ’o b je t p artiel
p én ien , mais elle est rem p lacée p a r la p e rso n n e en tiè re
d u sujet e t le Pré-Surm oi anal p e u t su rto u t e n tre r en
actio n co n tre le sujet face aux au tres » (Séminaire de
psychanalyse d ’enfants, p. 219).

Pulsions de mort

Elles so n t le fait d ’u n corps n o n alertab le p a r le


désir. Elles so n t sans rep résen tatio n s, n i actives, ni
passives, vécues dans u n m a n q u e d ’id éatio n . Il s’agit
d e repos, de m ise e n tre p aren th èses d u su jet et n o n
d ’agressivité ou d u désir de m o u rir. Pulsions alibidina-
les, végétatives, d o n t l ’être h u m a in a besoin com m e
p e n d a n t le som m eil p o u r se rep o ser car le d ésir est
épuisant.

350
F. DOLTO

Pulsions de vie

Pulsions actives ou passives, toujours liées à u n e


re p ré se n ta tio n au service d e la libido.

Sensorium

A concevoir com m e « noyau narcissique d ’u n e exis­


tence en sécurité ». N o tion voisine d e celle de narcis­
sisme, à laquelle F. D olto accole parfois le term e exis­
tentiel.

, Substantiel

C ’est le soutien d u vivre p o u r le corps. M onde de


besoins. « P ar substantiel, j ’en ten d s la m atérialité de
la n o u rritu re e t des excrém ents, objets p artiels
d ’échange » (Au jeu du désir, n o te p. 64). Le substantiel
« est lié au besoin ré p é titif dans ses m odalités de plaisir
sans s u rp rise » (L ’Image inconsciente du corps, p. 83).

Subtil

Le subtil se réfère au co n traire, au cœ u r à cœ u r, à la


com m unication, aux m odes de co m m u n icatio n : « P ar
subtil, j ’en te n d s l ’olfaction, l’o u ïe e t la vue p a r lesquel­
les l’objet est p e rç u à d istance » (Au jeu du désir, p. 64).
L’érogénisation d u subtil (olfaction, au d itio n , vue) est
une sym bolique davantage lan g ag ière q u e celle d u
substantiel (succion).

351
Symbolisation

Processus lié à l ’in terd it, à la castratio n , à la loi.


« Les pulsions ainsi refoulées subissent u n re m a n ie m e n t
dynam ique e t le désir, d o n t le b u t in itial a été in terd it,
vise son accom plissem ent p a r des m oyens nouveaux,
des sublim ations : m oyens q u i exigent, p o u r leu r satis­
faction, u n processus d ’élab o ratio n que n ’exigeait pas
l’objet p rim itiv em en t visé. C ’est ce d e rn ie r processus
qui seul p o rte le n o m d e sym bolisation, d éco u lan t
d ’u n e castration e n te n d u e au sens psychanalytique »
{L ’Image inconsciente du corps, p. 80).

352
E xtraits
l ’œ u v r e d e F. D o lt o

B io g r a p h ie
d e F r a n ç o is e D o lt o

C h o ix
b ib lio g r a p h iq u e
F. D olto

Extraits
de l’œuvre de F. Dolto

L ’être humain se donne naissance

Dès la vie fœ tale, l’être h u m ain n ’est pas u n e p artie


d u corps m atern el, il est déjà u n iq u e. C ’est lui qui
p a r la m éd iatio n de p è re e t m ère p re n d vie e t se
d o n n e naissance. Il est la Vie m êm e. Il persévère dans
son d é v elo p p em e n t e t sa venue à term e p a r son désir
à >naître \

U n e n fa n t h u m a in est le fru it de trois désirs ; il faut


au m oins le désir co n scien t d ’u n acte sexuel com plet
du p ère ; il fau t au m oins le désir in c o n scien t d e la
m ère, m ais ce q u ’on ou b lie c ’est q u ’il fau t aussi le
désir in c o n scien t de survivre p o u r cet em bryon dans
lequel u n e vie h u m a in e s’o rigine 2.

La castration est nécessaire et humanisante

T oute m a re c h e rc h e c o n c e rn a n t les tro u b les précoces


de l’être h u m a in s’ap p liq u e à d é c o d e r les con d itio n s
nécessaires p o u r q ue les castrations d o n n ées à l’en fan t
au cours d e son d év elo p p em en t lui p e rm e tte n t l’accès

355
aux sublim ations e t à l’o rd re sym bolique de la loi
h u m a in e 3.

Il n ’y a pas de sym bolisation sans castratio n d u désir


im aginaire 4.

Parler vrai à Venfant

T o u t en fa n t a l’e n te n d e m e n t de la p aro le q u a n d
celui qui parle, lui p arle a u th e n tiq u e m e n t en vo u lan t
c o m m u n iq u er q u elq u e chose qui p o u r lui est vrai 5.

C ’est form idab le de voir u n être h u m a in p u iser la


force qui filtre à travers des m ots p o rte u rs de sens 6.

Sans paroles ju ste s et véridiques sur to u t ce qui se


passe, e t d o n t il est p artie p re n a n te ou tém o in , sans
paroles adressées à sa p e rso n n e et à son esp rit réceptif,
[l’enfant] se p erço it lui-m êm e e n tiè re m e n t objet-chose,
végétal, anim al, soum is à des sensations insolites, mais
n o n sujet h u m a in 7.*

356
F. D olto

N otre rôle n ’est pas d e d ésirer q u elq u e chose p o u r


q u e lq u ’un , mais d ’ê tre celui grâce au q u el il p e u t adve­
n ir à son désir 8.
*

Notre rôle de parents

P o u r b ien se dév elo p p er, l ’en fan t devrait être à la


p érip h é rie d u g ro u p e de ses p aren ts, e t n o n pas en
co n stitu er le c e n tre 9.
*

La m ère n ’est n i b o n n e ni mauvaise, elle est u n e


m ère p o u r l ’oral, puis p o u r l ’anal, à p re n d re e t à
'rejeter 10.
*

Ça n ’est pas dévalorisant d ’avoir des p aren ts qui


n ’o n t pas p u aller plus loin q u e d ’assum er u n en fan t
ju sq u ’à sa naissance, puis de l ’a b a n d o n n e r u .
*

Trois générations pour faire une psychose

Il fa u t donc trois g én ératio n s p o u r q u ’apparaisse


une psychose : d eu x g én ératio n s de g rands-parents et
parents névrosés dans la g én étiq u e d u sujet, p o u r q u ’il
soit psychosé 12.*

*
* *

357
Références des E xtraits cités

1. La Cause des enfants, L affont, 1985, p. 285.


2. Sexualité féminine, Scarabée, 1982, p. 329.
3. L ’Image inconsciente du corps, Seuil, 1984, p. 82.
4. La Difficulté de vivre, In teréd ition s, 1981, p. 253.
5. France Culture, 14 sep tem b re 1987.
6. Séminaire de psychanalyse d ’enfants, S eu il, 1982, p. 136.
7. La Difficulté de vivre, op. cit., p. 360.
8. Séminaire de psychanalyse d ’enfants, op. cit., p. 84.
9. La Cause des enfants, op. cit., p. 273.
10. Quelque part sur le chemin de F. Dolto, S euil, 1988, p. 13.
11. Séminaire de psychanalyse d ’enfants, op. cit., p. 18.
12. Le Cas Dominique, S eu il, 1974, p. 242.

358
Biographie
de Françoise Dolto

1908 N aissance de Françoise M arette dans u n e


6 novem bre fam ille b o u rg eo ise, cath o liq u e mais peu
p ra tiq u a n te , q u i co m p tera sep t enfants
(d eu x filles, cinq g a rç o n s). Elle est la q u a­
trièm e.
E nfance très fam iliale, assez d o ré e mais
p e u lib re : « Jamais je n ’ai pris un repas hors
de chez ma mère ou ma grand-mère ju squ ’à
25 ans. »
D ans les p rem iers mois, u n e n u rse irlan­
daise s’o ccu p e de Françoise. Renvoi de
cette n u rse qui avait d éro b é quelques
bijoux. Ju ste ap rès ce d ép art, à six mois,
b ro n ch o -p n eu m o n ie de Françoise : « C ’est
ma mère qui m ’a sauvée en me gardant contre
elle pendant toute la nuit... serrée contre son
sein. » E pisode de vie retro u v é lors de la
cu re analytique avec l ’énigm e d e la rue
V ineuse, h ô te l de passe lu x u eu x q u e la
n u rse fréq u en tait.
Vers 4 ans, ex p érien ce de la passerelle de
la ru e d u R anelagh avec le train qui passe,
le p h é n o m è n e d e la fu m ée : « Le monde
disparaissait, on se croyait dans le ciel », et
l ’in te rro g a tio n su r l’après-m ort e t la cons­
ta tatio n de la lim ite d u savoir des adultes.

359
1916 A 7 ans e t dem i, m o rt d u p a rra in à la
g u erre, « oncle œ d ip ie n » que Françoise
D olto co n sid érait com m e son fiancé, et
d o n c « veuve à vie », « veuve de guerre à
7 ans ».
La scolarité se passe su rto u t à la m aison.
F rançoise est u n e p etite fille inventive,
curieuse.
A 8 ans, elle affirm e v o uloir ê tre m éd ecin
d ’éd u catio n , « un médecin qui sait que,
quand il y a des histoires dans l ’éducation,
ça fa it des maladies aux enfants, qui ne sont
pas de vrais malades ».
Les désastres de la g u erre, les familles
ru in ées p a r la m o rt d u m ari l ’in c ite n t à
devoir a p p re n d re u n m étier.

1920 A 12 ans, m o rt de sa sœ ur. A la veille


S eptem bre de sa p rem ière co m m u n io n , la m ère de
F rançoise lui an n o n c e q u e sa sœ u r a u n e
m aladie m ortelle e t q u ’il fau t p rie r, D ieu
po u v an t p eu t-être faire u n m iracle : « Et
comme je n ’ai pas su faire une prière assez
bien, elle est morte deux mois après... Je me
suis sentie tout à fa it coupable, et ma mère
me l ’a confirmé. » « Jamais je ne serais devenue
psychanalyste sans ce deuil bouleversant pour
toute l ’économie familiale. » D épression de la
m ère. A près cette m o rt, « une sorte d ’étei-
gnoir est tombé sur la maison ».

360
F. DOLTO

A 15 ans, naissance d u d e rn ie r frère


a p p o rta n t « quelque chose comme le vent du
large ». F rançoise va b eau co u p s’en occu­
p er, « avec lui j ’ai découvert la psychologie de
l ’enfant ».

1924-34 Classe de p h ilo so p h ie au lycée M olière,


seule a n n é e o ù Françoise est allée au lycée
tous les jo u rs. Réussite au baccalauréat,
ce qui est p lu tô t m al pris p a r sa m ère
p arce q u e « une fille qui a son bac n ’est plus
mariable ».
A rrêt des étu d es après le baccalauréat.
In te rd it p aren tal. Travailler, p o u r u n e
fem m e c ’est d échoir.
E tudes d ’in firm ière à 22-23 ans. O b tie n t
son dip lô m e en 1930.
A 24 ans, co m m en ce ses étu d es de m éd e­
cine en m êm e tem ps q u e son frère P hi­
lippe.
D éb u t d ’u n e psychanalyse, en p artie p o u r
se délivrer d ’u n e culpabilité, avec L afor­
gue qui avait déjà son frère P h ilip p e en
analyse.

1935 R en co n tre avec S. M orgenstern à l ’H ôpital


des E nfants M alades.
A l ’occasion d ’u n rem p lacem en t d ’in te rn e
dans u n h ô p ital psychiatrique, confirm a­
tion d ’u n travail de p rév en tio n à faire avec
les enfants.

1936 F rançoise q u itte la m aison fam iliale, suite


à des conflits avec sa m ère.

361
1937 Fin de son analyse avec L aforgue, le
12 m ars.

1938 P ich o n l’en g ag e à l’H ô p ital B reto n n eau .

1939 Françoise M arette so u tie n t sa thèse Psycha­


nalyse et Pédiatrie. Elle d ésire ê tre p éd iatre,
m ais L aforgue la pousse à être psychana­
lyste.
S ém inaires à l ’In stitu t e t co n trô les avec
H artm a n n , G arm a, L œ w enstein, Spitz.
Elle devient titu laire de la Société Psycha­
nalytique de Paris.

1940 Elle travaille à l ’H ô p ital T ro u sseau (jus­


q u ’en 1978).
1941 F rançoise M arette re n c o n tre Boris D olto.
M ariage en 1942.

1946 Elle travaille q u elq u e tem ps au p re m ie r


CMPP « C laude B ern ard ».

1949 T ex te « C ure psychanalytique à l’aide de


la p o u p ée F le u r» , RFP, t. X III, n ° l .

1953 Conflits au sein de la Société Psychanalyti­


q u e de Paris. D ém ission de D. Lagache,
J. Favez B o u to n n ier, F. D olto, Lacan. C réa­
tio n de la Société Française de Psychana­
lyse, n o n re c o n n u e p a r l ’IPA, en ju in .

1953 Rom e. R ap p o rt de Lacan, « F o n ctio n e t


S eptem bre ch am p de la p aro le e t d u langage en psy­
chanalyse ». D olto e t Lacan se d o n n e n t
l ’accolade m algré q u elq u es divergences.

362
F. DOLTO

1960 P ublication d ’u n article im p o rtan t, « La


libido gén itale et son destin fém in in ».

1962 F. D olto travaille au C en tre E tienne-M ar­


cel, ju s q u ’au d é b u t des an n ées 1980.

1963-64 La Société Française d e Psychanalyse n ’est


pas re c o n n u e p a r l ’IPA, qui vise p rin cip a­
le m e n t Lacan et, à u n deg ré m o in d re,
F. D olto. Scission de cette Société. Lacan
fo n d e l’Ecole F reu d ien n e de Paris à
laquelle F. D olto ad h ère. Essor im p o rta n t
de cette Ecole les an n ées suivantes.

1971 P ublicatio n d u Cas Dominique.

1976 « D o cteu r X », « SOS Psychanalyste », Fleu-


rus (ém issions de rad io de 1969).
D ébuts de « L orsque l ’en fan t p a ra ît » sur
F rance-Inter.

1978 F. D olto in te rro m p t son activité d e psycha­


nalyste.

1979 C réatio n de la M aison Verte.

1980 Le 5 jan v ier, Lacan ap p elle à la dissolution


de l ’EFP. F. D olto s’y oppose. D issolution
votée le 27 sep tem b re 1980.

1981 P aru tio n de La Difficulté de vivre e t de Au


jeu du désir.
M ort de Boris D olto en ju illet.
M ort de Lacan le 9 septem bre.

363
1982 P aru tio n d u Séminaire de psychanalyse d ’en­
fants.

1984 P aru tio n d e L ’Image inconsciente du corps.


D u ra n t les d ern iè res an n ées de sa vie,
F. D olto se consacre à la p u b licatio n de
n o m b reu x ouvrages. D epuis 1978, elle ne
p re n d plus d e p atien ts adultes en analyse,
mais p o u rsu it ses con su ltatio n s des très
je u n e s enfants, ru e Cujas.

1988 Le 25 août, à l ’âge d e 79 ans, F. D olto


décèd e des suites d ’u n e affection p u lm o ­
naire.

364
Choix
bibliographique

D O LTO , F.

Préface au Premier rendez-vous avec le psychanalyste,


M. M annoni, D en oël-G onthier, 1965.

Psychanalyse et pédiatrie, Seuil, 1971.

Le Cas Dominique, Seuil, 1971. Points, 1974.

La Difficulté de vivre, In teréd itio n s, 1981. Livre de


po ch e, 1988.

Au Jeu du désir, Seuil, 1981.

Séminaire de psychanalyse d ’enfants, Seuil, 1982.

Sexualité féminine, Scarabée, 1982. Livre de p o che,


1992.

L ’Image inconsciente du corps, Seuil, 1984.

Séminaire de psychanalyse d ’enfants, 2, Seuil, 1985.

Tout est langage, V ertiges-C arrère, 1987.

Dialogues québécois, Seuil, 1987.

Autoportrait d ’une psychanalyste, Seuil, 1989.

365
D O LTO , F. e t NASIO, J.-D., L ’E nfant du miroir, Rivages,
1987, e t P etite B ibliothèque Payot, 1992.

AUBRY, J. ; BARUK, S. ; CIFALI, M. ; HALMOS, C. ;


MONTRELAY, M. ; PERALDI, F. ; RASSIAL, A. et
J.-J. ; RO UD IN ESCO, E. ; de SAUVERZAC, J.-F. ;
VASSE, D. : Quelques pas sur le chemin de Françoise
Dolto, Seuil, 1988.

LE CO Q-H ERO N , n° 111-112, « Françoise D olto vue et


lue p a r ses collègues e t am is », 1989.

LEDOUX, M.-H., Introduction à l ’œuvre de Françoise Dolto,


Rivages, 1990.

SAUVERZAC (de) J.-F., Françoise Dolto, itinéraire d ’une


psychanalyste, A ubier, 1993.

366
Un témoignage
sur la clinique
de

Françoise DOLTO

J.-D. NASIO
J ’ai eu le privilège d ’assister e t de p a rticip e r à la
C onsultation de M adam e D olto qui se te n a it dans u n e
p etite salle de la ru e Cujas à Paris, o ù elle recevait de
très je u n e s enfants en difficulté psychique *. A près avoir
assuré p e n d a n t tre n te ans sa C onsultation g én érale à
l’H ôpital T rousseau, Françoise D olto avait te n u en 1985
à re p re n d re ce travail clinique, mais consacré cette fois
aux seuls enfants d ’u n e p o u p o n n iè re . La p o u p o n n iè re
est u n établissem ent public de séjo u r te m p o raire dans
lequel vivent des enfants so u ffran t de sérieuses diffi­
cultés fam iliales o u sociales. Ces enfants so n t en co re
petits, d ’âge variable, e n tre quelq u es mois et qu atre
ans ; ils o n t été séparés de le u r fam ille d ’o rigine et
sont p o rteu rs d ’u n passé d o u lo u reu x , voire tragique.
Ils v ie n n en t à la C o n sultation de la ru e Cujas p o u r
des troubles psychiques souvent graves, et so n t accom ­
pagnés p a r u n e auxiliaire de p u é ric u ltu re qui reste
présente p e n d a n t la séance lorsque l ’en fa n t le
dem ande. Les petits p atien ts so n t suivis p a r F. D olto

* Ce texte est la version corrigée d ’une intervention réalisée en


hommage à Françoise Dolto. J ’ai tenu à garder la forme parlée qui
me semble la plus adaptée au ton du témoignage.

369
deux fois p a r mois. Les cures, h a b itu ellem e n t assez
courtes, se p ro lo n g e n t parfois u n e o u d eu x années
selon la d u ré e d u séjo u r d e l’e n fa n t à la p o u p o n n iè re .
Q u an d l ’enfant, en atte n te d ’u n e fam ille adoptive, a
enfin été placé, la p o u rsu ite d u tra ite m e n t d é p e n d
alors de la décision des nouveaux p aren ts d e co n tin u e r
o u n o n la th érap ie.
Mais l ’idée in é d ite de Françoise D olto, q u i re n d sa
C onsultation si p articu lière, est d ’avoir in tro d u it au
sein m êm e des cures la p articip a tio n active — tels
des co th érap eu te s — d ’u n g ro u p e de psychanalystes
so u h aitan t se p e rfe c tio n n e r d an s le u r m étier. M étier
de « psychanalyste », e t n o n , com m e certains p o u rra ie n t
le p en ser, de « psychanalyste d ’enfants ». P o u r M adam e
D olto, en effet, le psychanalyste d ’enfants n ’existe pas.
Ce qui existe, e n revanche, c ’est le psychanalyste qui
p ratiq u e l’analyse avec des enfants. La psychanalyse telle
que l ’a définie F reu d est l ’ex p érien ce de l ’in c o n sc ie n t,
d ’u n sujet in d é p e n d a m m e n t de son âge.
La C onsultation de la ru e Cujas s’a p p elait Séminaire
o u plus ex ac tem en t Séminaire pratique de psychanalyse
des troubles relationnels précoces. D ans ce lo n g titre so n t
co n ten u es les trois fonctions, les trois visées de ce
travail. Le m o t « S ém inaire » in d iq u e la visée fo rm atrice
à l ’égard des analystes présents. D ans l ’expression « psy­
chanalyse des tro u b les relatio n n els », s’affirm e la visée
th é ra p e u tiq u e adressée à des en fan ts so u ffran t de tro u ­
bles provoqués p a r u n lien h u m a in m alade. R appelons
que dans la th é o rie de F. D olto, u n tel lien p ath o lo g i­
que e t in co n scien t e n tre l ’en fa n t e t l’au tre est co n cep ­
tualisé au titre d ’image inconsciente du corps; u n e des
m odalités de cette im age est en effet la rela tio n de

370
F. D olto

l’en fa n t à son en to u rag e. Et enfin, l ’ad jectif « p réco ce »


résum e la troisièm e visée, préventive e t sociale, co n cré­
tisée p a r u n e action th é ra p e u tiq u e in terv en an t très tô t
dans la vie d u sujet.
*

Mais avant d ’a b o rd e r p récisém en t le travail clinique


de Françoise D olto, sa m an ière d ’éco u ter l’en fan t, je
voudrais vous faire d éco u v rir la p etite salle de la ru e
Cujas {figure 1).

371
Figure 1
Plan de la salle de la Consultation
de la rue Cujas
F. DOLTO

N ous y trouvions u n e table e n to u ré e de trois chaises :


celle de M adam e D olto, celle de l ’en fant, e t puis à
côté, celle réservée à l ’auxiliaire de p u é ric u ltu re lors­
q u ’elle était p ré se n te à la séance. A quelq u es m ètres
à d ro ite de la table, en dem i-cercle, s’in stallaien t les
psychanalystes-auditeurs disposés de telle sorte q u ’au­
cune de leurs chaises n e soit située d erriè re l ’enfant.

Ce noyau d ’analystes ne co n stitu ait pas, com m e on


p o u rrait l ’im aginer, u n g ro u p e d ’observateurs recevant
passivem ent l ’en seig n e m en t d ’u n e p ratiq u e. N ous
étions, au co n tra ire, des p articip an ts le plus souvent
actifs dans n o tre im p lication vivante e t tran sféren tielle
à l’égard de la cu re e t en acco rd intim e avec la dynam i­
que p ro p re à la séance. Actifs aussi lorsque l’e n fan t
s’adressait à l ’u n de no u s d ire c te m e n t o u à l ’ensem ble
du groupe. A u m o m en t d ’e n tre r et sortir, le p e tit
patient saluait to u t le m o n d e e t nous lui rép o n d io n s.
Il nous arrivait aussi, à la d em an d e de Françoise D olto,
de ch a n te r en c h œ u r u n e co m p tin e com m e « Au clair
de la lune ». Q uelquefois c ’é taien t les hom m es seule­
m ent qui devaient c h an ter, d ’autres fois toutes les voix
se m êlaient à l ’unisson. Il arrivait en co re q u e l’en fan t
s’approche de l ’u n de nous e t q u e M adam e D olto
l’encourage à c o m m u n iq u er avec nous à travers un
objet ou à nous p arler. N otre g ro u p e d ’adultes re p ré ­
sentait p o u r l ’e n fa n t u n nouvel espace social faisant
partie in tég ran te d e la séance. J e dis « u n nouvel espace
social », car nous n e rep résen tio n s ni la p o u p o n n iè re ,
ni la famille de naissance, ni la fam ille adoptive, mais
une tout a u tre figure d u corpus social, v éritab lem en t
originale dans la vie de l ’enfant.

373
Le cadre de la C on su ltatio n in clu ait aussi la salle
d ’a tten te avec ses d eu x chaises d ’e n fa n t e t son coffre
à jo u e ts c o n te n a n t des p o u p ées e t des p eluches.
A u-delà de la salle d ’atten te , se trouvait le b u re a u
de M onsieur Pascal chargé de l ’accueil des en fan ts et
des m a tern an tes ; il no u s p rév en ait au fu r e t à m esu re
de l’arrivée des petits p atien ts qui se su ccéd aien t ch a­
q ue dem i-heure. Les séances é ta ie n t en tre co u p ées
d ’u n e pause d u ra n t laquelle no u s éch an g io n s avec
Françoise D olto nos im pressions sur le d ialogue analyti­
q ue qui venait d ’avoir lieu.
J ’avais l’h ab itu d e de m ’asseoir sur la p rem ière chaise
située ex actem en t à la h a u te u r de la table. Cela
m ’offrait u n p o in t de vue tel q u e la table dev en ait à
m es yeux le te rra in su r leq u el se d é ro u la it l ’étra n g e
p artie d ’u n e séance analytique, le lieu o ù se d écid ait
le ra p p o rt d u psychanalyste avec l ’en fan t. S ur cette
table éta ie n t posés d ifférents objets q u e je tiens à
détailler. O n y trouvait u n e b o îte c o n te n a n t de la p âte
à m o d eler, des feuilles de p ap ier, u n étu i de gros
feutres, u n e vieille b o îte à biscuits rem p lie de divers
petits jo u e ts (un soldat, u n can ard , u n b ateau , etc.),
e t en p articu lier : u n e règle en bois, des petits ciseaux,
u n vrai trousseau de clés, u n e ch aîn ette, d eu x petits
cou teaux, l ’u n à b e u rre p o u r le m o delage e t l ’au tre
plus tra n c h a n t, u n p e tit m iro ir, u n sifflet et des crayons
d e couleurs à la m ine toujours cassée q u e Françoise
D olto taillait souvent avec u n can if q u ’elle so rtait de
son sac à m ain. A travers ce geste de tailler le crayon,
elle in d iq u ait à l ’en fa n t q u e ch acu n devait s’o ccu p e r
de la tâche qui lui revenait. Elle l ’incitait ainsi à se
co n sacrer à son p ro p re dessin o u m odelage. J e p en se

374
F. D olto

p a r exem ple à u n e p etite p atien te, Lætitia, qui souffrait


de ce q u ’o n appelle u n e « pseudo-débilité », c ’est-à-dire
q u ’elle faisait toujours le béb é alors q u ’elle avait cinq
ans. Elle sollicitait sans cesse l’atte n tio n de M adam e
D olto e t lui réclam ait le co m m en taire d e ses dessins.
Françoise D olto p re n a it alors les crayons à la m ine
cassée e t co m m en çait à les tailler. Q u an d Læ titia deve­
nait tro p insistante, elle ré p liq u ait : « E coute, fais ton
dessin ! C hacun fait ce q u ’il a à faire : m oi, je taille ;
toi, tu dessines ton rêve ! »

Je disais avoir eu le privilège d ’assister à cette C onsul­


tation, car ce fu t en effet u n rare privilège d ’avoir pu
a p p ré h e n d e r aussi im m éd iatem en t co m m en t travaille
un psychanalyste. N ous étions — les analystes-partici­
pants — convoqués d ’em blée au plus vif de l ’écoute
analytique e t des effets de cette éco u te sur l ’en fa n t et
sur nous-m êm es. Plusieurs fois, observant Françoise
Dolto à l ’œ uvre, j ’ai été saisi de la voir agir en prise
directe avec l ’incon scien t, o u m ieux, devrais-je dire,
en prise directe avec cette instance psychique q u ’elle
théorisait sous le no m d ’im age in co n scien te d u corps.
Si n o tre g ro u p e était à ce p o in t im p liq u é dans les
cures, c ’est q ue nous étions n o n seu lem en t tém oins
de l’acte analytique mais, plus en co re, l’u n e des co n d i­
tions de l’accom plissem ent de cet acte, voire de la
rapidité avec laquelle pouvait surgir le re to u r du
refoulé et se m obiliser les sym ptôm es de l ’enfant. La
présence des analystes dynam isait les élém en ts figés de
la structure psychique d u p a tie n t et favorisait ainsi la
conclusion rap id e des cures. J e dis « acte analytique »,

375
car la C onsultatio n n ’était pas u n e p ré se n ta tio n de
m alades, m ais le lieu o ù se p ra tiq u a ie n t des cures
rig o u re u se m e n t analytiques, e t plus brèves e n c o re que
celles m enées en cab in et privé. Cela, j ’insiste, grâce
à l’in flu en ce de cette p résen ce tierce des analystes-
participants, p résen ce qui brisait la d u alité éro tisan te
et im aginaire d u lien enfant-psychanalyste. J ’ai souvent
pensé que cette p résen ce tierce des analystes pesait
d ’u n poids décisif su r le style d ’in terv en tio n de
F. D olto. J e dirais m êm e q u e to u te sa te c h n iq u e e t son
a p p ro ch e si particu lières o n t été m odelés p a r tre n te
ans de p ratiq u e à ciel ouvert, tre n te ans d e p ratiq u e
en présen ce d ’u n A utre analytique investi p a r elle de
l ’a u to rité d ’u n g aran t de son travail. C ette instance
tierce — incluse sy m boliquem ent dans to u te analyse
— s’in c arn ait dans le cadre de la C o n su ltatio n en
u n e place vivante qui p e rm e tta it à F rançoise D olto,
lo rsq u ’elle n e co m p re n ait pas ce qui se passait au cours
d ’u n e séance, de se q u e stio n n e r o u v erte m en t e t nous
q u e stio n n e r devant l ’en fan t. J e m e souviens d u cas
d ’A ïcha, u n e p etite fille g rav em en t psychotique suivie
p a r M adam e D olto d u ra n t d eu x an n ées consécutives.
P e n d a n t toutes les séances, A ïcha, in co n so lab le, p le u ­
rait sans d isco n tin u er : elle arrivait en p le u ra n t, p le u ra it
to u t au lo n g de la séance e t re p a rta it to u jo u rs en
p le u ra n t. A vant m êm e q u ’elle n ’arrive, n o u s l ’e n te n ­
dions déjà h u rle r sa souffrance dans la ru e, e t nous
nous disions : « Tiens, c ’est l’h e u re d ’A ïcha ! » A u cours
de la séance, allongée p a r te rre , A ïcha criait, p le u ra it
et m artelait le sol de sa tête. Elle était sans d o u te le
p a tie n t le plus difficile à suivre e t à su p p o rter. Le
caractère p én ib le de ces séances était tel q u e d eu x des
participants-analystes p ré fé rè re n t q u itte r d éfin itiv em en t

376
F. D olto

la C onsultation. Aussi, lors d ’u n e séance d u ra n t


laquelle A ïcha h u rla it e t se lam en tait face co n tre terre,
Françoise D olto, résignée, lui avoua : « Je ne sais plus
quoi te d ire p o u r t ’aider... », e t aussitôt, elle se to u rn a
vers nous, nous reg ard a, fit le geste de s’ex cu ser de
ne savoir que d ire à l’e n fa n t e t nous d em an d a, à nous,
de lui souffler le m o t qui ferait cesser le m alh eu r.
Vous im aginez à qu el p o in t nous étions considérés p ar
D olto com m e de véritables in terlo cu teu rs, des tém oins
im pliqués activem ent dans la réalisation de l’acte analy­
tique.

*
* *

Le m o m e n t est ven u m a in te n a n t d ’a b o rd e r avec vous


le p o in t vif de l ’action analytique de Françoise D olto,
sa façon singulière d ’éc o u te r l ’en fa n t e t de co m m u n i­
q u er avec lui. J e le ferai à p a rtir de m a p ro p re p e rc e p ­
tion, indissociable de la th é o rie e t de la p ratiq u e qui
m ’an im en t, e t certain q u e d ’en p a rle r n e saurait dire
l’acte to u t en tier. En effet, n u l ne p o u rra jam ais tra­
duire la n a tu re exacte de l ’acte d u psychanalyste.
Si sur la scène analytique de la C onsultation, au
m om ent o ù l ’en fa n t e n tre dans la salle, nous circonscri­
vons l ’espace psychique d u psychanalyste Françoise
Dolto, nous pouvons d istin g u er d eu x facteurs agissants
au m o m en t o ù la th é ra p e u te éco u te v éritab lem en t son
patient. D ’u n e p art, u n arrière-p lan qui p ré p a re son
écoute e t la présu p p o se. C et arrière-p lan est défini p ar

377
I
sa longue ex p érien ce de p raticie n n e, p a r son histoire
p erso n n elle e t p a r l’univers co n cep tu el qui lui sert de
référen ce. L ’au tre facteu r constitue l ’éco u te p ro p re ­
m e n t dite, le m o d e p a rticu lier q u ’avait D olto d ’accom ­
p lir l ’acte d ’éco u ter, j e veux d ire de faire silence et
de délivrer u n e in te rp ré ta tio n .
C onsidérons d ’ab o rd l’arrière-p lan d ’o ù l ’analyste
s’engage dans l’écoute. Il est essen tiellem en t anim é
p a r u n désir ferm e e t p u issan t : vouloir p a rle r aux
hum ains. « Ce q u e je ch erc h e — disait-elle — c ’est
p a rle r avec cet être h u m a in quel q u ’il soit. Il v eu t d ire
q u elq u e chose, e t m oi, je veux lui p arler. » O r, q u an d
F. D olto parlait, sa voix p re n a it cette in to n a tio n in im ita­
ble, la voix de D olto. U n e voix qui réso n n e e n co re avec
son tim bre captivant e t qui avait le p ouvoir sin g u lier de
stim uler la pensée. N on seu lem en t n o tre p en sée, mais
su rto u t la p ro p re p en sée de Françoise D olto. U ne voix
qui, en rev en an t à son oreille, avait la puissance d ’en- ,
g e n d re r des pensées nouvelles e t très souvent d ’e n tra î­
n e r son esp rit à réfléch ir sous la fo rm e d ’u n dialogue
qui s’é n o n ça it à h au te voix. L o rsq u ’elle s’adressait à
l’en fa n t ou nous relatait des cas cliniques, elle p arla it
en m e tta n t s p o n ta n é m e n t en scène les différen ts p e r­
sonnages de l’histoire. Suivant u n m o u v em en t ré c ip ro ­
que, la voix re c ré a it la p en sée et, en re to u r, la p en sée
devenait so n o re, se faisait voix.
D eux autres idées-forces p ré p a ra ie n t l’éco u te de
Françoise D olto. D ’ab o rd la conviction assurée q u ’u n e
psychanalyse d ’en fan t n ’est pas u n e psy ch o th érap ie
d ’enfant. Sans jam ais les o p p o ser com m e des p ratiq u es
co n cu rren tes m ais p lu tô t co m p lém en taires — puis­
q u ’u n e psychanalyse p e u t très b ien su ccéd er à u n e

378
F. DOLTO

psychothérapie — F. D olto spécifiait souvent de façon


tran c h ée ce q u ’é ta it l ’analyse d ’en fan t. En voici u n e
affirm ation p arm i d ’autres : « (...) Si l ’analyse d ’en fan t
a u n sens c ’est u n iq u e m e n t p arce q u ’elle se rap p o rte
à l ’analyse d u refo u lé, c ’est-à-dire aux âges p ré c é d a n t
la vie actuelle de l’en fa n t e t pas d u to u t aux événe­
m ents de sa vie p résen te. Si no u s d o n n o n s des in te rp ré ­
tations p a r ra p p o rt aux relatio n s actuelles de l ’en fan t,
nous n e faisons pas de l’analyse, nous faisons u n e
p sychothérapie de soutien. Si c ’est de la psychanalyse,
c ’est que to u t ce qui est actu el e n tre l ’e n fa n t e t les
p ersonn es de sa vie p résen te n e nous reg ard e pas.
C ’est là la castratio n de l’analyste. » 142

L ’au tre conviction toujours agissante d an s son écoute


d ’analyste co n d u isait D olto à co n sid ére r les sym ptôm es
com m e l ’expression m alade d ’u n ém oi in co n scien t jad is
éprouvé p a r l ’en fan t. U n ém oi qui, lors de sa p rem ière
apparition n ’avait pas p u être n om m é. Le psychanalyste
est donc ap p elé à te n ir le rô le d ’u n m oi auxiliaire
qui, sur la scène d e l ’analyse, délivre o p p o rtu n é m e n t
le nom ju sq u e-là m a n q u a n t d ’u n ém oi égaré.
Dans l ’arrière-p lan de l ’espace psychique de l ’analyste
Françoise D olto, se c o n ju g u en t d o n c le d ésir puissant
de p arle r aux hum ain s, le p rin cip e que la p sychothéra­
pie n ’est pas la psychanalyse, e t enfin la c e rtitu d e q u ’un
symptôme révèle l ’e rran ce d ’u n ém oi sans nom .

Venons-en à p ré s e n t à l’a u tre co m p o san te d u travail


d’écoute, celle d u ja illissem en t chez le psychanalyste
d’une parole in terp rétativ e. J e voudrais vous p ro p o ser

379
u n artifice d ’exp o sitio n destin é à vous tra n sm e ttre com ­
m e n t j ’ai p e rç u — j e dirai « visuellem ent » — e t fo rm a­
lisé au plus près la gestation de cet acte analytique
q u ’est l ’in te rp ré ta tio n .
Im aginons q u e Françoise D olto, assise d ev an t son
p e tit p atien t, essaie de jeter un pont pour atteindre l ’in­
conscient de l ’enfant. A p a rtir d e cette visée, son éco u te
va se d é ro u le r en q u atre tem ps. D ans u n p rem ier
tem ps, elle p re n d ap p u i sur des signes observés dans
le c o m p o rte m e n t gestuel d u p atien t, dans le m o in d re
ex p rim é d u visage, dans son attitu d e lu d iq u e, d an s ses
dessins, dans les m ots o u les sons q u ’il ém et, o u en co re
dans les d o n n ées de l ’histo ire fam iliale d u sujet recu e il­
lies lors des p rem iers en tretien s.
D ans u n deu x ièm e tem ps, e t à p a rtir de ces indices,
il lui arrive souvent de n e pas c o m p re n d re , d ’être
p erp lex e e t d ’e n tre r dans u n e p hase de tâtonnement
qui p ré p a re la survenue p ro b ab le de l’in te rp ré ta tio n .
A u n certain m o m en t, F. D olto sem ble so u d ain 5 ’isoler
mentalement e t faire ce q u e j ’appelle « le silence en
soi », c ’est-à-dire se soustraire aux échos de son p ro p re
m oi. D ans cet é ta t d ’ex trêm e o u v ertu re, in fin im e n t
éveillée, elle p e rç o it alors u n au tre e n fa n t très d iffére n t
de celui qui est assis d evant elle. C et au tre e n fa n t est
u n enfant inconscient, ayant l’asp ect d ’u n n o u rrisso n
m a lh eu reu x , p ré m a tu ré , au cri étouffé, q u i ch erc h e en
vain à dire, qui souffre e t qui atten d . Si nous élargissons
le cham p de la scène, ap p araissen t alors d ’autres p e r­
sonnages qui, à la m a n ière d ’u n e ro n d e fan tasm atiq u e,
gravitent a u to u r de l ’en fa n t in co n scien t. Celui-ci n ’est
d o n c jam ais seul, m ais toujours in tég ré dans u n e scène
e t engagé dans u n e relatio n intersubjective. U n e telle

380
F. D olto

p erc e p tio n o p érée p a r l ’analyste n ’est au tre q u e la


p erc e p tio n d e l ’im age in co n scien te d u corps d u p e tit
p atien t. Soyons clair : l’analyste ne p erço it pas u n e
im age in co n scien te d u corps déjà là q u e l ’en fa n t p o rte ­
ra it en lui ; n o n , l’analyste la crée au m o m e n t m êm e
o ù il la p e rç o it e t lui d o n n e existence en ta n t que
synthèse vivante e t actuelle de la rela tio n tran sféren ­
tielle.

C onsidérons m a in te n a n t le troisièm e tem ps. T o u t en


g ard an t le c o n tact e t la p aro le avec son p a tie n t et, au-
d elà avec l ’assistance des analystes-participants, F. D olto
s ’identifie en silence à l ’enfant inconscient. Elle fait siennes
la souffrance e t l’atte n te de cet en fan t sans p o u r a u ta n t
être affectée p a r u n q u elco n q u e sen tim en t de com pas­
sion. S’id e n tifie r à la d o u le u r de l’au tre n e signifie
n u llem en t ressen tir de la p ein e o u d e la pitié.

R em arquons que to u t en accom plissant le processus


silencieux d ’id en tificatio n à l ’en fa n t inco n scien t, F ran ­
çoise D olto p e u t aussi p re n d re le rôle de ch aq u e p e r­
sonnage de la constellatio n fantasm atique. Et to u t ceci,
sans jam ais p e rd re le c o n tact avec l'e n fa n t de la séance
et les analystes présents.

Le q u atrièm e e t d e rn ie r tem ps est celui d u jaillisse­


ment de l ’interprétation. C ’est le tem ps o ù le psychanalyste
accom plit effectivem ent l ’acte analytique ; il é n o n ce à
haute voix dans le p ré se n t de la cure, le m o t a tte n d u
que l’e n fa n t in co n scien t avait besoin de d ire o u d ’e n ­
tendre. N ous concevons l ’in te rp ré ta tio n de F. D olto,
et plus g é n é ra le m e n t to u te in te rp ré ta tio n analytique,
com m e l ’én o n c ia tio n — adressée à l ’oreille de l ’en fan t
actu ellem en t p ré s e n t dans la séance — des m ots, des

381
phrases o u des sons qui seraie n t sortis d e la b o u ch e
de l’en fa n t in c o n scien t s’il avait p u p a rle r ; ou en co re
com m e l ’é n o n ciatio n des m ots, des p hrases o u des sons
qui seraie n t sortis de la b o u ch e de l’u n des p erso n n ag es
de la ro n d e fan tasm atiq u e si ce p erso n n ag e avait pu
d ire ce qui ja d is avait été tu. En assum ant sa fo n ctio n
de m essager, F. D olto tran sm et à l’en fa n t d e la séance
le signifiant q u ’elle vient d e re n c o n tre r en s’id e n tifian t
à l’en fa n t inconscien t. Elle tran sm et à l ’u n — l ’en fa n t
de la séance — ce q u ’elle a puisé chez l ’au tre —
l’en fa n t inconscient.

A travers ce d éco u p ag e artificiel, j ’ai essayé de vous


re n d re visible le fo n c tio n n e m e n t de l ’éco u te d ’u n psy­
chanalyste. J ’ai te n té au m ieu x de c e rn e r le p o in t vif
d u désir d u psychanalyste F rançoise D olto, sans o u b lier
que, dans sa vérité, il d e m e u re ra irrésistib lem en t inex­
pliqué. C ’est p récisé m en t p arce q u e ce d ésir reste inex­
pliqué q u ’il gard e p o u r m oi la force d ’u n ap p el qui
in terro g e l’analyste en co n stan t devenir q u e je crois
être.

Vous aurez pressen ti à travers ce tém o ig n ag e com ­


b ien les an n ées de travail avec F rançoise D olto o n t
influencé m a p ratiq u e e t la th é o rie q u i la sous-tend.

J e souhaite co n clu re en so u lig n an t u n trait p arm i


b eau co u p d ’autres qui caractérisen t la p e rso n n alité de
Françoise D olto. En la voyant travailler, j ’ai toujours
e u l’im pression de p ercevoir plusieurs p erso n n es en
m êm e tem ps, ch acu n e p a rla n t u n dialecte d iffére n t :

382
F. D olto

• Dolto psychanalyste qui d it e t délivre l ’e n fa n t de sa


souffrance ;
• Dolto enfant q u a n d elle s’identifie en silence à son
p e tit p a tie n t ;
• Dolto maître qui enseigne ;
• Dolto amie, qui vibre e t qui a p eu r. C om bien de
fois sur le ch em in qui no u s con d u isait à la ru e
Cujas, m ’a-t-elle surpris dans la voiture en m e
co n fian t son trac avant d ’en g ag er u n e nouvelle
m atin ée de sa C onsu ltatio n ? U n trac qui, m algré
u n e vie de p ratiq u e, se ré p é ta it com m e si ch aq u e
nouvelle m atin ée était m arq u ée p a r l ’in n o c en ce
de la p rem ière fois !
Il m ’est arrivé d e lui d ire : « T u es u n m erveilleux
polyglotte qui n o n seu lem en t p arle plusieurs dialectes,
mais les parle tous en m êm e tem ps. »

383
Introduction
à Vœuvre
de

LACAN

G. TAILLANDIER
I
Le problème du style : folie de Jacques Lacan
*

Q u’est-ce que la personnalité ?


*

Le miracle du stade du miroir


*
L ’aliénation dans le désir de l ’autre
*
Sortir de l ’aliénation : la psychanalyse
*
La dette symbolique
*
L ’inconscient de Freud, c’est le discours de lAutre

II
Le Graphe par éléments
I. — Le problème d u style : folie de Jacques
L acan *

Jacq u es Lacan n a ît en 1901. Il fau d ra à p e in e vingt-


cinq ans p o u r q ue co m m en cen t à ap p ara ître sur la
scène d u m o n d e les effets de cette naissance, e n un
p rem ier p o in t q ue no u s pouvons relever dans u n p etit
texte psychiatrique 143 d o n t o n p e u t d ire q u e l ’essentiel
de ce q u e Jacq u es Lacan a à nous y d ire est déjà
p résent. C ’est le p ro b lèm e d u style ; ce sujet, J.-D. Nasio
l’a autrefois travaillé, mais j ’ai to u t de m êm e l’in te n tio n
de vous en d ire d eu x m ots.
Le style, p o u r Jacq u es Lacan, c ’est u n syndrom e
d ’influence. Il n ’éc rit pas p o u r le plaisir, il écrit parce
qu’il n e p e u t pas faire au tre m en t, il est inspiré ; il
subit u n e in flu en ce qui l’oblige à écrire e t qui fait
que sa m ain ne p e u t cesser d ’écrire, que sa voix ne
peut cesser de se faire e n te n d re . « Avoir d u style »
n ’est, dans ces conditions, que très seco n d aire à la

* Mes remerciements à J.-D. Nasio, M.-C. Thomas, A.-M. Arcan-


gioli.

387
question d ’être la m ain qui écrit à la place de ce que
dicte le syndrom e.
D ’ores e t déjà, dans ce texte, nous voyons a p p ara ître
le p ro b lèm e fo n d am en tal de la d ém arch e lacan ien n e,
à savoir que le style est u n effet au to m atiq u e, au sens
freu d ie n ; c ’est u n autom atism e de rép étitio n , effet
d ’u n e véritable folie.
C o n sid érer q u e le p ro b lèm e d u style est l’effet d ’u n e
folie, la m anifestatio n de cette m êm e folie, voilà, m e
semble-t-il, le cadre, l’h o rizo n sous leq u el se dép lo ie
l ’en fer p erso n n el d e Jacq u es Lacan, l’ob lig atio n o ù il
est de p ro d u ire ce qui reste sous son nom .

Q u ’est-ce que la personnalité ?

U n p e u plus tard, ap p a ra ît u n texte, dans u n e revue


obscure 144, où se fait jo u r à nou v eau u n com plexe
to u t à fait original d o u b lé d ’u n in té rê t fo rt p articu lier
p o u r u n e stru ctu re singulière, la p a ra n o ïa ; ce com ­
plexe p e u t être tiré de m ille m anières. Situons-le de
la façon suivante : le p ro b lèm e posé d u lien e n tre la
p a ra n o ïa com m e stru ctu re clinique e t la folie com m e
fait h u m ain gén éral, le to u t lié p a r u n ra p p o rt de
prim e ab o rd co n tin g e n t au fait que n o u s avons affaire
à deux sœ urs, les sœ urs P apin, c ’est-à-dire aussi à d eu x
fem m es. C om m e si nous devions p e n se r q u ’ê tre fem m e
p o u r Jacques Lacan c ’était être folle, com m e si ce
ra p p o rt d u el q u e le u r p aran o ïa, le u r folie à deux,
nous révèle était déjà en seig n an t, c o n c e rn a n t la posi-

388
J. Lacan

tion q u ’on p e u t d o n n e r à la fem m e dans le raiso n n e­


m e n t de Lacan.

Puis Jacq u es Lacan p ro d u it u n e thèse in titu lée « Le


cas Aimée » 145, u n e fem m e u n e fois de plus p aran o ïa­
que ; e t ici, les choses se précisent. Ce qui intéresse
Jacques Lacan, c ’est le lien e n tre p aran o ïa e t stru ctu re
de la personnalité. La p aran o ïa co n sid érée com m e form e
exem plaire de la folie d o it nous en seig n er sur la p erso n ­
nalité h u m ain e. Ce m o t de personnalité va d ’ailleurs
être pris dans u n sens, avec des équivoques, sur lesquel­
les d ’autres o n t jo u é 146. La p erso n n alité est u n m asque
qui repose sur d u vide, c ’est là le fo n d de l’ex p érien ce
p aran o ïaq u e q ue Jacq u es Lacan s’ach a rn e à dégager.
L’exp érien ce p aran o ïaq u e, q u e d ’autres nous o n t
appris à situer e n term e de pro jectio n , est avant to u t
celle d ’u n e méconnaissance. M éconnaissance radicale de
toutes choses, en p articu lier d ’u n soi-m êm e — e t aussi
bien de l ’autre. Le p aran o ïaq u e ne v eu t rie n savoir
de ce qui co n stitu e sa p ro p re position subjective.

Voilà, p o u r Jacq u es Lacan, e n qu o i consiste la p erso n ­


nalité : elle est une fonction d ’ignorance. Le co u p de cha­
peau q ue d o n n e ici Lacan à la n o tio n de « p aran o ïa
critique » e m p ru n té e à son am i Salvador Dali, n e
change rien au fait que la p erso n n alité h u m ain e, que
Lacan ex tra it com m e ce qui serait u n e stru ctu re origi­
nale de l ’être h u m a in , n ’est q u ’u n e sorte d ’o u tre, de
bulle en ex p an sio n qui n ’a d ’au tre m érite que de
s’identifier au c o n to u r qui ren ferm e u n vide central,
ce vide q ue le p aran o ïaq u e ig n o re essen tiellem en t ;
en quoi la p a ra n o ïa serait révélatrice d e cette stru ctu re
radicale dans l ’ê tre hu m ain . La p erso n n alité n ’est donc

389
pas l ’a ttrib u t d ’u n e substance h u m ain e, m ais la
substance h u m a in e elle-m êm e.
L ’être h u m ain , p lu tô t q u e d ’avoir u n e p erso n n alité,
est u n e p erso n n alité. D ans cette m esure, l ’ê tre h u m a in
est fou, mais pas au sens clinique de la psychose.
C ep en d an t, c ’est b ie n la p aran o ïa au sens clin iq u e qui
nous a révélé cette folie radicale q u i d o n n e la stru ctu re
de l ’être. L ’être h u m a in est fo u e n ce q u ’il n e p e u t
q u ’ig n o re r ce qui ferait sa substance e t ce sous cette
form e étra n g e d ’u n e p erso n n alité m ég alo m an iaq u e,
d éliran te. V oilà la révélation q u i m e sem ble ê tre au
cœ u r d u p ro b lèm e q u e pose, avec Lacan, la p a ra n o ïa :
la révélation sym ptom atique d ’u n e ex p érien ce h u m a in e
de la folie, d ’u n e folie consubstantielle à la n a tu re
h u m a in e elle-m êm e.
C ette ex p érien ce — p o u r u ser d ’u n term e lacan ien
— est u n e ex p érien ce primordiale. Elle n ’est n i arch aï­
que, n i dépassée, n i réso rb ée, ni réso rb ab le ; elle est
la révélation d ’u n noyau d e folie qui ne sau rait être
ni dépassé ni déplacé. Voilà ce avec q u o i Jacq u es Lacan
a affaire, e t il lui reste sur les bras la q u estio n de
savoir co m m en t é la b o re r cette ex p érien ce p rim o rd iale.

Le miracle d u stade du miroir

A près l ’ex p érien ce p rim o rd iale, Jacq u es Lacan


dévoile u n o b jet b ie n c o n n u : le stade du miroir. C om m e
c ’est cu rieu x de d écouvrir le stade d u m iro ir après
l’ex p érien ce p rim o rd iale de la p erso n n alité h u m a in e

390
J. Lacan

en ta n t q u ’ex p érien ce de la folie ! N ’irait-on pas à


su pposer que cette déco u v erte d u « stade d u m iro ir » 147
serait com m e u n déco u rs de l ’ex p érien ce d o n t nous
venons de p a rle r ?

Sous réserve d ’inventaire histo riq u e plus précis, la


découverte d u stade d u m iro ir est sen sib lem en t co n tem ­
p o rain e de la décision de Jacq u es Lacan de faire u n e
analyse. C ette décision au ra it été prise lorsque ayant
par-dessus to u t souhaité h é rite r du poste de G. G. de
C léram bault e t s’en é ta n t vu repousser, Jacq u es Lacan
avait décidé de fin ir en psychanalyse, su r l ’épreuve de
l’échec à p re n d re la place de son m aître, le seul q u ’il
nom m e com m e tel.

O uvrons u n e p aren th èse en seig n an te qui ro m p e u n


p eu le cours de m a m o n stratio n . Le stade d u m iro ir 148,
il n ’est pas mauvais d ’en d ire d eu x m ots e t de p réciser
que Jacq u es Lacan n ’en est pas l ’in v en teu r, co n tra ire­
m ent à u n e idée ré p an d u e . Il au rait été inventé p ar
H enri W allon ; c ’est chez celui-ci q u ’on trouve l ’expres­
sion « stade du m iro ir ». Il s’agirait to u t de m êm e de
savoir si Jacq u es Lacan s’est co n ten té de re p re n d re
une invention d ’H en ri W allon o u s’il nous d it au tre
chose. J e crois pouvoir p réciser que chez W allon, qui
est partisan d ’u n e co n ce p tio n g én éticien n e d u dévelop­
pem ent d u psychism e, ce stade désigne u n sim ple
m om ent critique rév élateu r chez le sujet h u m ain d u
franchissem ent de la co n stitu tio n de l ’au tre com m e
autre, e t p a r c o n séq u en t de la différen ciatio n d u m oi
et de l ’au tre. C ette perspective ne d o n n e au stade du
miroir pas d ’au tre p o rté e q u e d ’être u n sim ple signe
d’un m o m e n t d u d év elo p p em e n t de l ’enfant.

391
Il fau t so u lig n er la nou v eau té radicale d e l ’a p p o rt
d e Jacq u es Lacan su r ce p o in t, qui consiste su r le
p la n th é o riq u e en ce q u ’il n ’est jam ais g én éticien , et
q ue p a r c o n séq u en t ce stade d o it avoir chez lui u n e
p o rté e au tre q u e d ’être u n m o m en t critiq u e d u déve­
lo p p e m en t. Q uelle est-elle ?
P o u r la dégager, le m ieux est de co n stru ire ce stade
d u m iro ir avec ses term es. N ous avons b eso in de cons­
tru ire u n mythe; ce n ’est pas pire q u e de co n stru ire
u n développem en t. U n m ythe est q u elq u e chose d ’aussi
réel q ue le d év elo p p em e n t d e l ’en fan t. Ce m ythe s’ap­
p u ie sur l ’idée qu e l’être h u m a in est u n ê tre p ré m a tu ré
à sa naissance ; é ta n t p ré m a tu ré — e t je précise bien
q u e ceci est u n m ythe d o n t je n e m e soucie pas de
tro u v er le soubassem en t biologique, c ’est u n m ythe
qui a la m êm e p o rté e que d e re c o n n a ître q u ’Eros est
le fils de P énia e t de Poros, le fils de la d èch e et
d u Bon Secours... — , eh b ien , l ’être h u m a in est dans
la dèche, e t son ê tre est frap p é d ’u n e in c o o rd in a tio n
m otrice constitutive.
C o m m en t dans ces co n d itio n s vais-je, en ta n t q u ’en-
fant, trouver u n e solution à ce m arasm e ? L ’id ée est
q ue je n e parv ien d rai à tro u v er de so lu tio n a u d it
éta t de d ésh éren ce q u e p a r la voie d ’u n e précipitation
— term e ém in e m m e n t lacan ien — p a r laq u elle j ’anticipe
la m a tu ratio n de m o n p ro p re corps grâce au fait que
je m e ru e dans l ’im age de l ’au tre que je trouve com m e
p a r m iracle e n face d e m oi. C ette p ré cip ita tio n dans
l’im age de l ’au tre, voilà m a ressource, voilà m o n Poros,
p o u r arriver à so rtir de m a p ré m a tu ra tio n néo-natale.
Il en résulte u n certain n o m b re de d ép liem e n ts de
cet état, à savoir que, p u isq u e le fan to c h e q u e j ’ai

392
J. Lacan

en face de m oi c ’est ce qui p e u t d o n n e r co h ésio n à


m on in c o o rd in atio n , il en résulte q u e cet au tre, n u lle­
m e n t constitué p a r m oi mais p lu tô t révélé dans ce
m o u v em en t de p récip itatio n , cet au tre, je suis en lui
rad icalem en t, aliéné.

L ’aliénation dans le désir de Vautre

J e suis aliéné en ce sens que j e n ’ai d ’u n ification


— si ta n t est q u e ce term e vaille chez Lacan, plus
q u ’à titre en seig n a n t — de m o n é ta t in c o o rd o n n é ,
q u ’au p rix d ’être alién é dans ce en quoi j ’arrive à
m e constituer. Ce n ’est pas que je constitue l ’au tre
à p a rtir de m oi. C ’est b ien au co n tra ire que, si tan t
est q u ’il y a u n m oi, il est le résu ltat de l’effet q u ’a
sur m oi cet au tre, au p rix que cette im age de moi,
constituée dans l ’au tre e t p a r l’au tre, y est prim ordiale-
m e n t aliénée.
Dans ces conditio n s, le m oi n ’est jam ais que l ’im age
de l’au tre, e t voilà co m m en t va le m onde.
Q u ’e n résulte-t-il p o u r ce q u e je veux, si ta n t est
q u ’en ta n t q u ’ê tre in c o o rd o n n é , en d eçà de m on
im age, j ’aie des vœ ux — e t je m e gard e b ien de
tran c h er si ce so n t des désirs, des d em an d es o u quoi
que ce soit de ce g en re, car je n ’en suis pas là ? Eh
bien, cette im age de l ’au tre m e les d éro b e ; n o n seule­
m ent je suis alién é en lui, mais l’au tre m e d éro b e
ce qui p o u rra it ressem b ler à u n e id en tification, me
dérobe à u n p o in t tel q u e m êm e ce que je veux, je

393
n ’en sais rien. C onstitutivem ent, c ’est dans l’a u tre et
p ar l’au tre que ce q u e je veux va m ’ê tre révélé, c ’est
p a r l’effraction q u e l’a u tre co m m et e n rép o n se à ce
m o uvem ent co n stitu tif de m o n être q u e j ’ai u n e révéla­
tion de ce que je p eu x vouloir.

M on désir est littéralement le désir de l ’autre: j ’en passe,


p o u r les chem ins de ce que je veux, p a r les m ouve­
m ents de la m a rio n n e tte de l ’au tre, p a r les chem ins
d e son désir. J e ne sais de m o n d ésir rie n si ce n ’est
ce que l ’au tre m ’en révèle puisque je suis obligé de
le suivre à la trace. En sorte que l’o b jet de m o n désir,
c ’est l ’objet d u désir de l ’au tre, mon d ésir n ’a pas
m êm e l’o m b re d ’u n sens ; l ’objet d u d ésir est l ’ob jet
d u désir d e l ’au tre, ce q u e les m ouvem ents d u reg ard ,
voire de la voix de l ’au tre, m ’o n t in d iq u é com m e ayant
statut d ’objet, je té en p â tu re à m o n reg ard .

N ous nous trouvons d ev an t l ’an ec d o te souvent ra p ­


p o rtée p a r Lacan, q u e nous raco n te sain t A ugustin,
d ’u n en fan t q u ’il vit, aîné re g a rd a n t son frè re p u în é
au sein, e t devant cet é ta t de jo u issan ce q u ’il attrib u e
à l’enfant, pâlissant, lui, l’aîné. C ette ex p érien ce nous
est révélatrice d u fait q u e p o u r cet aîné, l ’au tre, ce
p e tit frère, ce so n t ses m ouvem ents q u i lui d o n n e n t
l’in d icatio n constitutive de ce que lui, en deçà, p e u t
désirer : il en pâlit d ’envie.

Ainsi e t seco n d airem en t, cet ob jet cause d u désir


est constitué com m e au tre, p a r le fait que c ’est l’o b jet
d u désir de l ’au tre. D ans ces co n ditions, u n e d éfin itio n
connexe d u désir no u s est d o n n é e : le désir est avant
tout une séquelle de cette constitution du moi dans l ’autre.

394
J. Lacan

Voilà l ’ex p érien ce fo n d am en tale d u ra p t q u e l ’autre


in tro d u it dans ce q u e j ’ap p ellerai le sujet e t q u i d éfinit
l ’alién atio n constitutive de l’être. Ce qui vient à la
re n c o n tre d u sujet dans le m iro ir ce n ’est pas l’autre,
mais le ra p t q ue cet au tre o p ère sur lui.

Sortir de l ’aliénation : la psychanalyse

A u tan t vous d ire q u e cette ex p érien ce de l ’aliénation


constitutive de l ’être h u m a in dans l ’au tre n ’a, avec la
psychanalyse de F reud, pas l ’o m b re d ’u n rap p o rt.
Le p ro b lèm e qu i se pose à Jacq u es Lacan dans ces
conditions, q u el est-il ? C ’est de so rtir de cette expé­
rience in au g u rale d e l ’alién atio n . P o u r en sortir, il
faut y e n tre r ; il fau t e n tre r 149 dans la psychanalyse.
Le p ro b lèm e au p o in t o ù il en est dans ce que je
vous ai p résen té est : co m m en t va-t-on s’y p re n d re p o u r
in sérer cette ex p érien ce p rim o rd iale dans le cham p
psychanalytique ? Il fau d ra lui d o n n e r le couvert de
la psychanalyse, fau te de q u o i d e grands dan g ers me
p a ra îtra ie n t m e n a c e r Lacan, o u p lu tô t les suites de
cette ex p érien ce prim o rd iale.
Ainsi se pose le p ro b lèm e p o u r Lacan, lo rsq u e ayant
mis les pieds dans la psychanalyse, il se re n d com pte
q u ’il fau t bien so rtir d e to u t ça. Q u ’est-ce q u i va lui
p erm e ttre de d é b lo q u e r cette fâcheuse situation ? A
cet égard, il m e p a ra ît q u e le silence des an n ées 40
observé p a r Lacan n ’est pas fo rtu it e t la g u erre n ’est
pas u n e explication suffisante. J e p ense q u e Lacan est

395
en co m b ré p a r sa p ro b lém atiq u e e t que les m oyens lui
fo n t d éfau t p o u r savoir co m m en t s’en tire r ; ce silence
m e p a ra ît ê tre u n tem ps nécessaire p o u r tro u v er u n e
issue aux apories de l ’aliénation.
P o u r en sortir, Jacq u es Lacan va devoir é lab o rer
b eau c o u p d ’astuces nouvelles. J e p o u rrais, à p a rtir de
là, vous dire que grâce au sym bolique, à l’im ag in aire
e t au réel, nous trouverions u n e issue h eu reu se à nos
difficultés. En réalité, je n e crois pas que les choses
se p assent ainsi.
La p rem ière astuce de Jacq u es Lacan p o u r se tire r
d ’affaire est u n e méthode de distinction des plans. D ans
le fatras q u ’est l ’ex p érien ce psychanalytique — je p arle
de l’ex p érien ce vécue p a r to u t u n ch acu n ; lisez d o n c
Le Petit H an s150 e t voyez ce q u ’est u n fatras d ig n e de
ce no m , u n texte o ù il est im possible que q u ic o n q u e
retrouve — c ’est le cas de le d ire — ses petits, e t
ses pères en co re m oins. C o m m en t c o m p re n d re q u elq u e
chose à des histoires de girafes, des petites, des g ran d es,
froissées, pas froissées, des culottes, des n o ires, des
ja u n es, que sais-je enco re, e t le p e tit H ans au m ilieu
de to u t ça ? Jacq u es Lacan va d istin g u er d ans ce fatras
des plans. Si vous croyez q u ’ils so n t im aginaire, sym boli­
q ue e t réel, ça serait u n p e u rap id e. Si le sym bolique,
l ’im aginaire e t le réel so n t b ien les résultats secondaires
de cette m éth o d e, la m é th o d e est p rem ière su r ce
résu ltat ; nous devons nous atta c h e r à la m a n ière d o n t
Jacq u es Lacan p ro c è d e avant d e nous a tta c h e r au résul­
tat, faute de quoi no u s p re n d ro n s l ’arb re p o u r la fo rêt
q u ’il nous dérob e.

396
J. Lacan

A utre astuce, Jacq u es Lacan in au g u re, re n d original


dans le travail psychanalytique, u n e d ém arch e nouvelle,
u n fil d ire c te u r de son travail, u n e réflexion sur la
structure de l ’action analytique en tant qu’elle concerne l ’ana­
lyste. Il y a là plusieurs choses : n o n seu lem en t cette
réflexion co n ce rn e l’action psychanalytique, e t ceci est
ce rta in e m e n t u n a p p o rt m ajeu r de Jacq u es Lacan —
n ’oubliez pas la série des sém inaires qui p o rte ro n t
p o u r titre : « L ’Acte psychanalytique », « L ’Objet de la psy­
chanalyse », « Problèmes cruciaux pour la psychanalyse », il
en existe u n e série d o n t la fo n ctio n est d ’essayer de
savoir en quoi consiste l’actio n psychanalytique q u a n d
on se co m m et à être analyste.
Jacques Lacan n e se soucie pas d u transfert, de savoir
co m m en t l ’analysant vit sa p etite histoire. Ce qui l ’in té­
resse c ’est la psychanalyse didactique, c ’est-à-dire en
quoi la psychanalyse en seig n e q u elq u e chose à quel­
q u ’un. Il p re n d d ’em b lée le p o in t de vue de l ’analyste
car la psychanalyse didactiq u e, c ’est le p ro b lèm e de
l’analyste. U ne réflexion su r la stru ctu re de l’analyste,
et j ’ai b ien d it la stru ctu re , car l’analyste n ’est pas
un être h u m ain , c ’est u n e fo n ctio n q u ’o n endosse.
Dans cette m esure, il y a lieu d ’élu cid er cette fo n ctio n
ex trao rd in aire e t nouvelle qui est la place d u psychana­
lyste 151.

T roisièm em ent, cette réflexion engage u n au tre cou­


rant in é d it dans l ’histoire. E nten d o n s-n o u s b ien : il y
a des p récurseurs. C et in éd it, c ’est u n e réflex io n sur
la structure des fonctions du père e t le u r in terv en tio n
dans le psychism e h u m ain.

397
Bien sûr, chez F reu d le p è re est o m n ip résen t. Bien
q u ’o n nous dise q u e c ’est la m ère qui le serait dans
le com plexe d ’Œ d ip e, en fait c ’est le p è re qui est au
p re m ie r plan.
Il m e sem ble q u e l ’effo rt m ajeu r de Jacq u es Lacan
sur ce p o in t a consisté à p o rte r à la q u estio n ces
fonctions. En qu o i cela consiste d ’être u n p ère, d ’en
avoir la fonction.

L a dette symbolique

E u égard à la difficulté in te rn e o ù Jacq u es Lacan


risque de s’e n fe rm e r avec ce p ro b lèm e de l ’alién atio n
en l ’im age de l ’au tre, ce que j ’ai baptisé « les sém inai­
res négatifs » de Jacq u es Lacan m e sem ble im p o rtan t.
Il se trouve q ue le sém inaire de Jacq u es Lacan a com ­
m encé à p a rtir de 1953. Ces sém inaires o n t u n
n u m é ro : un , deu x , trois, etc. L ’e n n u i c ’est q u ’il y en
a d eu x autres e t q u ’ils n e fo n t pas p artie de la liste
de son en seignem en t. Alors je les ai baptisés : “m oins
u n ”, “m oins d e u x ”.
Ils d a te n t de 1951-52 e t 1952-53. Ces sém inaires m e
sem b len t être négatifs à u n au tre titre, à savoir q u ’il
n ’y en a pas de traces, sauf quelques vestiges, e t en
ceci en co re q ue ju s te m e n t ils so n t hors d u ch am p des
concepts du sym bolique, de l ’im aginaire e t d u réel.
Ces sém inaires constitutifs de l ’en seig n e m en t de Lacan,
nous p ro p o se n t ceci :

398
J. Lacan

• P rem ièrem e n t, u n e nouvelle co n ce p tio n d u


transfert. En p articu lier à p ro p o s de D ora, Jacques
Lacan, au lieu d e c h e rc h e r si le tran sfert c ’est de
l ’am o u r ou de la h ain e, va s’efforcer de le p e n se r en
term es de mutations de position d u sujet. La façon d o nt,
d ’u n e m an ière in te rn e au pro g rès m êm e de la parole,
le sujet change de position, voilà la nouvelle m éth o d e
p o u r concevoir le fait d u transfert. Dans le sujet
h u m a in se p ro d u is e n t des substitutions de p o sitio n qui
fo n t q ue dès q u e le sujet s’engage à p arle r, il n ’est
plus com m e avant.
• D euxièm e p o in t. L ’être h u m a in est constitué
d ’ab o rd p a r u n e dette. C ette d ette, ce n ’est pas lui
qui l ’a co n tractée, p o u rta n t il d o it la payer. N éanm oins,
c ’est dans les g én ératio n s p récé d en tes q u ’elle a été
co n tractée ; le destin de l ’ê tre h u m ain est d ’é p o n g er
les dettes de l’A utre, de se su b stitu er à l’A utre p o u r
payer la d ette en question. Là en co re nous trouvons
ce term e de substitution que j ’ai déjà évoqué à propos
du transfert.
L ’Homme aux ra ts152, dans cette série de sym ptôm es
que constitue sa névrose obsessionnelle, d o it payer une
dette q u ’il n ’a p o u rta n t n u lle m e n t co n tractée puisque
ce so n t ses p aren ts, e t en p articu lier son p ère, qui
l’au raien t co n tractée. L ’u n de ses aspects possibles, ce
que n o tre h o m m e aux rats suggère, c ’est q u ’il doit
payer. Le père a failli dans plusieurs événem ents, en
particulier en ceci q u ’au lieu de d o n n e r suite à l’am o u r
q u ’il p o rta it à u n e fem m e pauvre, il a p référé faire
un b eau m ariage avec u n e fem m e m oins pauvre, la
m ère de l ’H o m m e aux rats, ce qui lui p erm e tta it
d ’ép o n g er ses au tres dettes. Bref, to u t sem ble prouver

399
q ue la faute, la faille d u p ère consiste en ceci, q u ’il
a cédé su r le désir q u i pouvait être le sien. P eut-être
que l ’H om m e aux rats, lui, n e céd era ju s te m e n t pas.
Le p o in t im p o rta n t que no u s avons mis en évidence
est ceci : le sujet névrosé paye u n e d ette q u ’il n ’a pas
co n tractée, u n e d e tte co n tractée p a r les autres, qui
l’anticipe dans son histoire.
• T roisièm e p o in t de ces sém inaires, o n voit ap p ara î­
tre u n e p ro b lém atiq u e radicale su r la question de la
folie.
S eulem ent, o n va m a in te n a n t b ap tiser cette p ro b lé ­
m atique d ’u n term e q u ’on trouve dans F reu d , la fo rclu ­
sion, le rejet, la Verwerfung. Ces term es o n t p o u r fo n c­
tion de b ap tiser n o tre q u estio n sur la folie, qui reste
e t qui n ’est pas résolue, à savoir : q u elle est la d im en ­
sion folle in h é re n te au fo n c tio n n e m e n t de l ’être
h u m a in ? N ous allons faire sem b lan t d ’é la b o re r u n e'
th éo rie de la psychose, mais en vérité, ce q u e nous
ch erch o n s est u n e th éo rie de la folie de l ’être h u m ain .
O r, c ’est grâce à ce co n ce p t nouveau-né de forclusion
que nous te n tero n s d e nous frayer u n ch em in.

L'inconscient de Freud, c ’est le discours de


VAutre

R ep ren o n s ce q u e no u s avons trouvé sur la d ette.


N ous allons aussi b ap tiser cette d ette d ’u n term e qui
au rait to u te u n e h isto ire (Lévi-Strauss, Jak o b so n ), nous

400
J. Lacan

allons la b ap tiser « symbolique ». Ce c h an g e m en t de nom


nous fait basculer dans u n d o m ain e nouveau. A upara­
vant, dans n o tre p rem ière d ém arch e, Y aliénation que
je réalisais dans l ’autre me constituait; ici il sem ble que
q u elq u e chose de nou v eau se passe qui tie n d ra it en
ceci q u ’être fou, c ’est payer les dettes de VAutre.

N ous avons réussi à in sé re r n o tre p ro b lèm e initial,


cette histoire d ’alién atio n dans l ’au tre, nous avons
réussi en la re n d a n t symbolique, en la re n d a n t processus
historique co n stitu é p a r e t dans l’A utre, à l’in sérer
dans le langage ; p a r co n séq u en t, no u s p en so n s que
nous pouvons trou v er u n e issue à la rép étitio n d e la
dette e t q u e n o u s pouvons la trouver dans la parole.

La parole, voilà la fo n ctio n qui d o it nous p erm e ttre


de trouver u n e issue à la répétition de la dette. J e p ro ­
nonce ici d é lib é ré m e n t le term e freu d ie n de rép étitio n .
Vous co m p ren ez b ien q u e la liaison à étab lir e n tre
rép étitio n au sens de l ’autom atism e de rép é titio n (p u l­
sion de m o rt), e t la d ette sym bolique, reste à dégager.

Par la d éfin itio n de cette d ette sym bolique, nous


avons trouvé le cad re qui no u s p e rm e t de co n sid érer
élaborables les diverses difficultés trouvées su r n o tre
chem in : l ’ex p érien ce p rim o rd iale de l ’alién atio n dans
l’Autre. •

• R aisonnons. P rem ièrem en t, si l ’être h u m ain est


à ce p o in t é tra n g e r à soi-m êm e q u ’il n e puisse exister
que com m e p rix à payer d ’u n e d ette o ù il ne « com pte
pour presq u e rien » ; d eu x ièm em en t, si l’in tu itio n ini­
tiale d u rapt de l ’être dans l ’im age de l ’au tre est vraie ;
alors, p o u r a u ta n t q u e n o u s avons iden tifié le cham p

401
d u langage avec la d ette, le statu t de cet ê tre h u m ain
est d ’être divisé dans les effets d u langage.
• Le sujet, cette fois baptisé, est l ’effet d u langage ;
il est l’effet de la d ette q u ’il ap u re.
• Si, d ’au tre p art, cette p ré é m in e n c e d ’u n A utre
qui dépasse l ’histo ire p erso n n elle d u sujet, si cette
p ré é m in e n c e d ’u n A utre radical e t tran sh isto riq u e est
vraie, alors il est possible de d o n n e r u n e d éfin itio n
nouvelle des concepts anciens e t d ire que l’in co n scien t
d e F reud est le discours de l Autre. L ’in c o n scien t est la
place que j ’o ccu p e dans la d ette, p o u r a u ta n t q u e je
m e sois substitué à u n a u tre qui l ’a co n tra ctée p o u r
moi.
• En co n séq u en ce, le désir q u e je n ’ose pas b ap tiser
mon désir, est le désir de l ’Autre. J e n ’ai rie n d ’au tre
à faire q u ’à suivre les chem ins d u d ésir q u e l ’A utre
m ’a prescrits.
N ous venons d ’in tro d u ire u n te rm e qui reste p eu
précisé, le term e de désir. C ette nouvelle situ atio n du
désir en ta n t q u e désir de l ’Autre, e n ta n t q u e l’in ­
conscient est le discours de l ’A utre, en ta n t q u e le
sujet h u m ain est effet d u langage, c ’est-à-dire effet
d ’u n e d ette co n stitu an te, le désir, voilà la p ie rre an g u ­
laire de la nouvelle co n stru ctio n qui no u s servira à
p ro g resser dans la co m p ré h en sio n d u sém in aire de
Jacq u es Lacan. *

*
* *

402
J. Lacan

II. — Le Graphe p a r éléments

Le schéma dit du « Graphe » a été développé par Lacan


au cours des années 1958-59 lors des Séminaires V et VI
intitulés respectivement : « Les formations de l ’inconscient »
et « Le désir et son interprétation. » Le Graphe rassemble
comme nul autre mathème, la plupart des concepts majeurs
de la théorie lacanienne. Présenter ici ce Graphe nous a
semblé une des meilleures voies d ’accès à l ’essentiel de l ’œuvre
de Jacques Lacan. Notre contribution 153 se veut une étude
rigoureuse des leçons que Lacan avait consacrées au Graphe
au cours des Séminaires V et VI. Aussi, demandons-nous
au lecteur de lire notre texte parallèlement à la lecture de
ces séminaires.

L orsqu’on veut lire Lacan, il est nécessaire de recons­


tituer les m aillons m a n q u an ts de ce q u ’il écrit, si l ’on
veut ne pas se laisser e m p o rte r p a r la p a rt de dissim ula­
tion que son é critu re co m p o rte. C ette écritu re se veut
d élibérém ent effaçante de ses traces : il suffit d o n c de
suivre ces traces pas à pas p o u r savoir lire e t éviter
les illusions. E n quoi, dans cette p ratiq u e de l ’écritu re,
il satisfait à sa p ro p re d éfin itio n d u signifiant, q u i est
de n aître de l ’effacem en t de la trace. N ous n ’avons
pas à e n té rin e r cet effacem ent.
Pour in te rp ré te r le G rap h e 154, la m êm e règle est
nécessaire : il fau t casser le G rap h e en les élém ents
qui o n t servi à sa co n stru ctio n : ainsi les m ystères de
la Trinité sont-ils levés.
Procédons ainsi.

403
Au d éb u t, le G rap h e n ’a dans les écrits de Lacan
aucune explication ad éq u ate : toutes so n t rétroactives
e t dissim ulantes de le u r vraie cause.

Q uels so n t d o n c les élém en ts réels d u G rap h e ? N ous


dirons q u ’il p ro cèd e de d eu x points to u t à fait distincts
e t sans ra p p o rt au cu n avec la co n stru ctio n d u G rap h e
lui-m êm e.

Le p re m ie r est u n e ré in te rp ré ta tio n d u sch ém a lin ­


guistique de Saussure. Le second est la th é o rie de
l ’après-coup p résen té e d ’ab o rd en 1945 dans Le Temps
Logique. N otons q u e ce texte n e c o m p o rte aucune réfé­
ren ce au sym bolique : c ’est d ire que la n o tio n d ’après-
coup est, chez Lacan, an té rie u re à sa th é o rie d u
symbole, qui d ate de 1950-51 (Lévi-Strauss). Il fau t
p a r ailleurs n o te r q u ’elle est to u t aussi é tra n g è re à
la n o tio n fre u d ie n n e de Nachträglichkeit, il fau d ra m o n ­
tre r que, b ien q u e Lacan p ro cèd e d e F reu d su r ce
point, c ’est l ’inverse qui est vrai ; c ’est p arce q u e Lacan
disposait d ’u n e th é o rie de l ’après-coup q u ’il a su lire
dans F reu d ce c o n ce p t ju sq u e-là m é co n n u . Mais les
d eu x d octrines n e c o ïn cid en t pas, e t so n t au to n o m es
e t n o n d éductib les l ’u n e de l ’au tre. Il restera it à se
d e m a n d e r d ’où vient la n o tio n d ’après-coup chez
Lacan : je ne le sais pas en co re. P eu t-être d ’u n e
in te rp ré ta tio n d e D escartes, d o n t je n e vois pas l ’o ri­
gine.

Q u an t au p re m ie r p o in t, la lectu re d e Saussure, c ’est


la leçon 1 d u Séminaire V qui va no u s a p p re n d re le
m ouvem ent g én étiq u e de la p en sée de Lacan sur le
signifiant, o u p lu tô t sur le G raphe.

404
J. Lacan

Saussure pro p o se u n s c h é m a 155 de la co n stitu tio n


d u langage : les pensées fo rm e n t u n e m asse am o rp h e,
u n flux ; de m êm e les sons, u n « royaum e flo ttan t ».

Figure 1

Et le pro b lèm e est, p o u r Saussure, de savoir comment


intervient le langage dans ce royaum e de flux. Il pose
que la créatio n d u signifiant (et d u signifié de ce
fait) réside dans la c o u p u re d ’élém en ts discrets qui,
en tra n c h a n t sons e t pensées, e n g e n d re n t le signe :

405
i I
i sa i
sons :
images acoustiques

Figure 2

D ’o ù p o u r Saussure la stru ctu re d u signe :

concepts Sé
signe = -----
image acoustique Sa
(référent)

Bien loin d o n c que le flux des sons soit celui


des Sâ, c ’est la création de coupures qui p ro d u it l ’o rd re
Sâ. N otons d ’ailleurs q u e le schém a saussurien m e t le
Sâ en dessous d u S£, e t q u e c ’est Lacan q u i ren v ersera

406
J. Lacan

le schém a : p rem ière tran sfo rm atio n qui im p liq u e la


thèse de la prévalence du Sâ dans la d éterm in a tio n
d u S-, thèse absente chez Saussure 156.
O r, nous n o to n s q u e dans le Séminaire V, leço n 1,
Lacan in te rp rè te le schém a de Saussure de la façon
suivante : le flux I serait celui d u S3, l ’au tre celui du
S£. O n voit q u ’il y a là u n e première déformation de la
thèse de Saussure. C hez Saussure, le Sâ n ’est pas flux,
mais n a ît de la co u p u re. De m êm e le Sé.
C ette p re m iè re d éfo rm atio n va e n e n g e n d re r d ’au­
tres. Au p ro b lèm e saussurien d u rapport e n tre les d eu x
flux, Lacan va être am en é à su b stitu er u n e autre mise
en ra p p o rt q ue celle des co u p u res : le p o in t de capiton.
11 y a là plusieurs thèses sous-jacentes :
1. — Le Sâ et le S£ fo rm e n t d eu x « chaînes » ou
flux.
2. — Ces chaînes so n t parallèles. O n to u ch e à u n
problème de fond de la th éo rie d u langage : p o u rq u o i
le Sâ e t les effets d u Sâ devraient-ils être parallèles ?
3. — Il y a nécessité de mise en ra p p o rt des chaînes.
Mais d ’o ù vient don c cette thèse ? E t co m m en t conce­
voir cette m ise en ra p p o rt ?
4. — La m ise en ra p p o rt, qui est chez Saussure la
coupure, devient chez Lacan le point de capiton. N ous
allons voir p o u rq u o i. Il n ’y a en effet au cu n e d éd u ctio n
naturelle des thèses 2 à 4. O n voit sim p lem en t que
le pro b lèm e d u p o in t d e cap ito n vient rem p lacer chez
J. Lacan la thèse de la co u p u re chez Saussure. O n a
affaire à d e u x versions d ’u n p ro b lèm e classique
(thèse 2). Plus p ro fo n d é m e n t, on devine que le p ro ­

407
blêm e d u p o in t de cap ito n est chez L acan l ’o p é ra tio n
d u N om -du-Père.
5. — Mais il reste à e x p liq u er p o u rq u o i la liaison
e n tre chaînes devrait ê tre u n e rétroaction (thèse 4).
P o u r cela, il fau t in tro d u ire ici u n m aillon de plus,
jam ais cité p a r L acan ; c ’est la th é o rie fre u d ie n n e de
YEntstellung (d éfo rm a tio n ), interprétée p a r Lacan. L ’in ­
te rp ré ta tio n en p o stu le q u e 1’ Entstellung d e F reu d est
le glissem ent in d éfin i d u S i sous le SA Et, notons-
le, pas l’inverse. Ce qui pose u n p ro b lèm e irrésolu.
L ’in sertio n d u m aillon fre u d ie n interprété d isto rd to u t
à fait le ra iso n n e m e n t de Saussure : il im p liq u e en
effet la tran sfo rm atio n des flux en chaînes et, au tre
thèse disjointe, le glissem ent en sens contraire des d eu x
chaînes.
--------------------------« - — —----------------------------------------------^ Sa

Figure 3

A vrai dire, ce p o in t n ’est, dans le tex te d e Lacan,


jam ais clairem en t établi. O n est d o n c ici obligé de
m odéliser. Il est, dans le texte, sim p lem e n t q u estio n
d ’u n d é p lacem en t relatif des chaînes. Il s’agira de p ro u ­
ver la féco n d ité de cette in te rp ré ta tio n 158.
Ce m aillon é ta n t in tro d u it, c ’est sur lui q u e va m a in te­
n a n t o p é re r le m aillon suivant, d o n t il n e fallait pas

408
J. Lacan

m a n q u e r le p o in t d ’insertio n . Ce m aillon est celui de


l’après-coup. C ollap san t les thèses 1 à 5, Lacan in tro d u it
alors l ’idée q ue la liaison e n tre les ch aîn es (qui est
équivalente au p ro b lèm e de l ’Ananke Stenai chez Aris­
tote 159) a la stru c tu re de l’après-coup, soit, d u p o in t
de capiton, a rrim a n t les d eu x couches :

Figure 4

O n voit q ue le caractère to talem en t n o u v eau de cette


thèse p a r ra p p o rt à Saussure e t le p o in t o ù elle le
rep ren d : la nécessité de lien e n tre flux parallèles. De
ce fait, la th é o rie la can ien n e d u sym bolique est u n e
théorie de l ’après-coup. Le lien sym bolique est d ’ab o rd
après-coup. Mais p o u rq u o i cela ? Ce so n t les m aillons
antérieurs de cette th é o rie de l ’après-coup qui nous
m anquent. S oulignons seu lem en t à n o u v eau q u e la
théorie de l ’après-coup é ta n t hétérogène e t indépendante
de toute thèse su r le symbole, le lien e n tre les deux
est p ro b lém atiq u e e t d e m a n d e ra it à être fo n d é. Bien
que Lacan suive ici Saussure, il le d éfo rm e to u t à fait.

409
Ce m aillon é ta n t o b te n u , nous o b te n o n s u n schém a
à d eu x couches (nous éviterons so ig n eu sem en t la n o tio n
d'étages) qui con stitu e le p ro to sch ém a à p a rtir d u q u el
le raiso n n e m e n t d u Séminaire V, leço n 1, va p ouvoir se
m e ttre en place. Il se p ro d u it u n e série de no u v eau x
sauts qui va m e n e r au schém a à u n étage 159.
1. — La ligne d u Sâ est m ain ten u e sous ce n om ,
n o n sans d ’ailleurs u n ajo u t im p o rtan t, c ’est q u e la
ligne de l ’après-coup fait avec elle u n circu it o ù circule
en m ém o ire l ’élé m e n t in co n scien t « Fam ille ». Ne doit-
on pas d ire que c ’est p lu tô t ce circu it qui est la ch aîn e
d u Sâ ? Ici, d ’autres sauts sem b len t s’an n o n ce r.

410
J. Lacan

2- — Q uoi q u ’il en soit, u n second saut est o p éré,


sous u n e nouvelle thèse : la co u ch e in férieu re est alors
in te rp ré té e com m e ch aîn e d u « discours co m m u n » (ou
plus tard, d u discours co u ran t) d u « m o u lin à p aroles ».

Cette in te rp ré ta tio n d e la ch aîn e saussurienne du


<£>

im p o rte b eau co u p : elle suppose la prévalence du


, elle suppose q u e la p aro le « p lein e » n e p ro cèd e
que des effets d u Sâ, elle suppose que le S£ soit
« dom iné » p a r le Sâ.
Cette succession d ’in te rp ré ta tio n s no u s m èn e d o n c
au p rincipal d u schém a à u n étage, à q u elq u es détails

411
près qui v ie n d ra ien t se greffer en plus (la lig n e d ’après-
co u p in te rp ré té e com m e in te n tio n , le lieu d u code,
l ’in te rp ré ta tio n de la ligne d u S i com m e celle de l ’ob jet
m é to n y m iq u e).
C ’est alors q u e vo n t se p ro d u ire, p o u r arriver au
G raphe définitif, d eu x sauts e n tiè re m e n t distincts et
qui vont bouleverser les in te rp ré ta tio n s d éjà p ro d u ites.
Le p re m ie r de ces sauts a lieu dans le Séminaire V, le
second dans le Séminaire VI160.
Dans la leçon d u 11 ju in 1958 161 est in tro d u ite u n e
thèse e n tiè re m e n t nouvelle : la thèse de VAu-delà. Il fau t
savoir que, o u tre ses consonances trad itio n n elles, la
n o tio n d ’au-delà a u n e fo n ctio n systém atique d é te rm i­
n a n te dans de n o m b reu x discours. N ous assistons ici
à son o p é ra tio n dans le discours de Lacan. Il ne fau t
pas e n m a n q u e r les effets.
Il est en effet posé : 1) q u ’il y a u n au-delà d e la
d em an d e ; 2) q u e la d em an d e s’adresse à l’A utre ;
B) q ue l ’A utre lui-m êm e d em an d e, mais 4) q u ’il y a
u n au-delà d e cette d em an d e. C et au-delà va p re n d re
5) le nom p ro p re d u désir. Ce désir est chez Lacan
le nom p ro p re que p re n d l ’au-delà de la d em an d e.
O r, c ’est à p a rtir de ce saut dans les raisons que
la reduplication du Graphe à u n étage est am en ée.
La reduplication du Graphe est la forme logique de l ’au-
delà de la demande ;
Il fau t poser plusieurs questions.
1. — P o u rq u o i l ’au-delà in tro d u it-il ce ( d é d o u b le ­
m ent ?

412
J. Lacan

2. — P o u rq u o i la stru ctu re résu ltan te de l ’au-delà


devrait-elle être h o m o lo g u e à ce q u ’elle d éd o u b le ?
Rien n ’est évid en t dans ces thèses, q u ’il fau t d o n c
étayer si o n n e v eu t pas q u ’elles so ien t subreptices.
N ous prop o so n s de dire q u e la d u p licatio n du
G raphe est le résu ltat de l’o p ératio n idéalisante à
l ’œ uvre dans la q u estio n de l ’a u -d e là 162.
O n a vu e n effet plus h a u t q u e l ’arrim age e n p o in t
de cap ito n était la rep rise de la q u estion trad itio n n elle
sur la stru ctu re d u signe. O n voit ici à nou v eau que
la d u p licatio n d u G rap h e suppose (question 2) l ’analogie
de la d em an d e e t de son au-delà : c ’est u n retour de
la question d u signe, e t en p articu lier d e la q u estion
sur la d é te rm in a tio n de la p en sée p a r le langage. U ne
question trad itio n n elle revient sous u n e fo rm e nouvelle
p a r l ’in te rm é d ia ire d e la q uestion 2.
Il fau d ra it alors in te rro g e r ici la valeur d 'écart en tre
les d eu x étages d u G raphe. P o u rq u o i est-ce le fantasm e
e t le a qui o n t à m a in te n ir cet écart ? Q uelle est la
n a tu re d e cet é c a rt ? Est-ce là le p ro b lèm e nécessaire
de l’é c a rt d u signe : écart d ’o ù p ro cèd e le signe et
q u ’il m a in tie n t ?
T outefois, l ’ach èv em en t d u G rap h e n ’est pas en co re
acquis, e t u n p o in t d écisif m an q u e encore. Il en résulte
en p articu lier que l ’in te rp ré ta tio n des lignes secondai­
res d u G raphe d— (0 a) e t i(a )— m com m e im aginai­
res n ’est pas en co re au to risée dans la d éd u ctio n , bien
que to u t sem ble l’ap p eler.
Il n ’est questio n au niveau d u Séminaire V q u e de
Y objet métonymique, des ru in es de l ’objet, de ses débris.

413
Le texte n e peut pas encore en d ire plus sans forçage
logique e t historique.
En effet, u n saut im p o rta n t m a n q u e en co re , que
les am biguïtés d u tex te dissim ulent. Ce saut n e sera
fait que dans le Séminaire VI. D ans le Séminaire V, l ’in­
te rp ré ta tio n d u d o u b le é tag em e n t se fait d ans les te r­
m es suivants : la ligne in férieu re est celle d u Sâ, de
la d em an d e articulée. L ’au-delà, q u ’est l ’étage 2, est
simplement in te rp ré té com m e au-delà d e cette ligne,
donc com m e au-delà du signifiant (voir les figures 7 et
8).
C ’est seu lem en t dans le Séminaire VI q u ’u n renverse­
m e n t m ajeu r a p p a ra ît su b rep ticem en t, co u p lé à l ’in tro ­
d u ctio n d ’u n e distin ctio n in é d ite : celle de l ’én o n cé
e t de l ’én o n ciatio n . Si l’én o n ciatio n est e n reste de
l ’én o n cé, elle n e p e u t d o n c se situ er q u e dans l ’au-
d elà de la d em an d e, in te rp ré té e elle-m êm e com m e
éno ncé.
Mais le sau t est ailleurs : il consiste e n ceci que,
pour la première fois, l ’au-delà de la demande est interprété
comme le signifiant. C ’est la p rem ière o ccu rren c e tex­
tuelle n e tte de la co n ce p tio n lacanienne d u signifiant : le
signifiant n ’est plus le lieu d u code ; il est le signifiant
inconscient, m arq u e d u désir de l ’A utre ; il est la p u l­
sion.
Le saut est m ajeu r : il efface en effet la p ro b lém atiq u e
d e l ’au-delà e t la dissim ule désorm ais to u t à fait.
Il en résulte des am biguïtés q u ’il fau t savoir tran c h er.
Si C laude C onté est am en é à in te rp ré te r la ligne su p é­
rie u re d u G raph e com m e én o n cé, l ’a u tre com m e é n o n ­

414
J. Lacan

ciation, c ’est fau te d ’avoir ap erçu ce s a u t 163. Il suppose


en effet, sur la base d u Séminaire V, q u e le signifiant
est l ’énonciation, ce qui est ju ste dans le Séminaire VI,
mais faux dans le Séminaire V, o ù le signifiant com p o rte
seulement son au-delà.
N om m er cet au-delà le signifiant, et l ’én o n cé, c ’est
collapser la p ro b lém atiq u e des d eu x sém inaires. L ’ap­
plication de la distin ctio n é n o n c é /é n o n c ia tio n n ’est
pas applicable au Séminaire V sans d isto rd re le texte.
O n voit b ie n q u ’il en résulte, p a r cette série de
renversem ents, qu e le Séminaire VI arrive à re tra c e r sous
u ne au tre fo rm e (u n G rap h e à d eu x étages) les in tu i­
tions d u Séminaire V dans le G rap h e à d eu x couches :
1. — L ’étage su p é rie u r red ev ien t l ’étage de l ’in ­
conscient e t d u signifiant, ce que le G rap h e à d eu x
couches nous in d iq u ait (le Sâ « fam ille ») ;
2. — l ’étage in fé rie u r red ev ien t l’étage d u discours
com m un ;
3. — mais il a subi ég alem e n t u n certain n o m b re
de transform ation s ;
4. — les d eu x étages d u G rap h e ne d istin g u en t plus
le S2 et le S£ saussuriens, le S- e t le S£ saussuriens
sont en effet réduits à la ligne du discours commun164
et destitués d e la différence saussurienne ;
5. — les d eu x étages n ’en re tra c e n t pas m oins la
différence-, mais celle-ci est désorm ais celle de l ’én o n cia­
tion (le au sens de Lacan désorm ais) e t d e l ’én o n cé
(effets de S£ au sens de L acan). « L a ligne saussu­
rienne » est b ie n celle o ù se p ro d u ise n t les effets d u

415
sens, mais qui la tran sg ressen t en y faisant a p p ara ître
l ’o p ératio n d u S- lacanien : on retrouve le sch ém a de
fo n c tio n n e m e n t d u G rap h e à d eu x couches.

Il en résulte désorm ais, mais m o y e n n an t ce travail,


u n e possibilité d ’in te rp ré te r les lignes seco n d aires en
term e d ’im aginaire :

• si les lignes p rincipales so n t la stru c tu re signi­


fian te ;

• e t si les lignes secondaires p ro c è d e n t d ’u n e ré d u ­


plication d u « discours co m m u n » ;

• le discours co m m u n p e u t être in te rp ré té com m e


im aginaire ;

• e t les d eu x lignes secondaires so n t p o rteu ses


d ’im aginaire.

E ncore ceci n ’est-il pas so u ten ab le sans u n clivage


co n ce p tu el : d ’u n e p art, l ’o b jet m éto n y m iq u e (le « mil­
lio n n aire ») est scindé en d eu x p o u r u n e p art, il devient
la cause du désir, à p a rtir de la p ro b lém atiq u e d e l ’ob jet
p e rd u ; mais p a r ailleurs, s’il est l’au tre e n leq u el on
s’aliène (l’objet d u désir de l’a u tre ), il est d o n c aussi
Vautre imaginaire i (a).

C ’est selon ce clivage que les d eu x lignes secondaires


v o n t pouvoir ê tre qualifiées à' imaginaires, avec la co n d i­
tio n supplémentaire q u e la nécessité d ’éca rt im p u tée au
désir va être virée à la ligne seco n d aire ($ a-d ),
n o n sans u n forçage g rap h iq u e, puisque, litté ra le m e n t
p arlan t, cet éca rt n ’est pas localisable su r le G rap h e
(en raison de sa p arfaite d u p licatio n ).

416
J. Lacan

O n voit q u ’ici en co re in te rp ré te r e n term e d ’im agi­


n aire le G rap h e à d e u x couches ou le G rap h e d o u b lé
d u Séminaire V est anticiper su r la p ro b lém atiq u e du
Séminaire VI, où seulement apparaît pour la première fois
le concept lacanien du S2 dans le développement du Graphe.
Mais o n a vu entre-tem p s que, loin que ce soit ce
co n ce p t d u S2 qui ex p liq u e la genèse d u G raphe, c’est
plutôt l ’inverse qui est vrai, ce q u ’o n te n d à o u b lier p ar
l’effet m êm e d u style de Lacan.

Figure 7
Le Graphe dans le Séminaire V

417
Figure 8
Le Graphe dans le Séminaire VI

418
E x tra its
d e l ’œ u v r e d e J. L a c a n

B io g r a p h ie
d e J a c q u e s-M a r ie L a c a n

C h o ix
b ib lio g r a p h iq u e
Extraits
de l’œuvre de J. Lacan

L ’être de l ’homme porte en lui la folie

Loin [que la folie] soit p o u r la lib erté « u n e insulte »,


elle est sa plus fidèle com pagne, elle suit son m ouve­
m e n t com m e u n e om bre.
Et l ’ê tre de l ’h o m m e, n o n seu lem en t n e p e u t être
com pris sans la folie, mais il ne serait pas l ’être de
l’h om m e s’il n e p o rta it en lui la folie com m e la lim ite
de s a 1li b e r té 1.
*

Le mythe du stade du miroir : l ’être humain est un être


prématuré à sa naissance

La fo n ctio n d u stade d u m iro ir s’avère p o u r nous


(...) com m e u n cas p articu lier de la fo n ctio n de l ’imago,
qui est d ’étab lir u n e relatio n de l ’organism e à sa réalité.
(...) La n o tio n objective de l’in ach èv em en t an ato m iq u e
du système pyram idal (...) co n firm e cette vue que nous
form ulons com m e la d o n n é e d ’u n e véritable prématura­
tion spécifique de la naissance chez l ’h o m m e 2.
*

Le désir de l ’homme est aliéné dans le désir de l ’autre

Au-delà de ce q u e le sujet d em an d e, au-delà d e ce


que l’au tre d em an d e au sujet, il y a ce q u e l ’au tre (la

421
m ère) désire. N ous avons à plusieurs reprises insisté
sur ce que d éfin it la d im en sio n d u d ésir : ê tre re p é ré
dans le désir de l ’A utre. (...) O n p o u rra se re p o rte r,
e n tre autres, à l ’analyse d u rêve de « la belle b o u c h è re »
qui se crée u n désir insatisfait (...) e t n ’assum e son
désir q ue sous la fo rm e de celui de son am ie 3.
*

N otre form ule que le d ésir de l ’h o m m e est le désir


d e l ’A utre vise cette o rig in e o ù le d ésir se co n stitu e
com m e désir d ’u n d é s ir 4.
*

(...) le désir de l’h o m m e trouve son sens d an s le


désir de l ’au tre, n o n pas ta n t parce q u e l ’a u tre d é tie n t
les clefs de l’o b jet désiré, q u e p arce q u e son p re m ie r
o b je t [du désir d e l’ho m m e] est d ’être re c o n n u p ar
l ’a u tre 5.
*

Le destin de l ’être humain est d ’éponger les dettes de


l ’autre

Le p ère [de l ’H o m m e aux rats] (...) n ’a jam ais pu


rem b o u rser sa d ette. (...) D ’au tre p art, il y a q u elq u e
chose q u ’o n p e u t ap p eler, dans l ’h isto ire d u père,
substitution : substitu tio n de la fem m e rich e à la fem m e
pauvre dans l ’am o u r d u p ère. E t à l ’in té rie u r d u fan ­
tasm e développé p a r le su jet [l’H o m m e aux rats]
(...) nous voyons qu e, p o u r que la d ette soit re n d u e,
il n e s’agit pas de la re n d re à l ’am i, il s’agit d e la
re n d re à la fem m e pauvre. (...) T o u t se passe com m e

422
J. Lacan

si les im passes p ro p res à la situation originelle, à savoir


ce qui n ’est pas résolu q u elq u e p art, se d ép laçait (...)
se re p ro d u isait to u jo u rs en q u elq u e p o i n t 6.

La névrose de l ’Homme aux rats s ’organise autour de


la dette impayée du père

De m êm e, est-ce en reco n n aissan t la subjectivation


forcée de la d e tte obsessionnelle [de l ’H o m m e aux
rats] (...) q ue F re u d arrive à son b u t : soit à lui faire
retro u v e r dans l ’h isto ire de l ’indélicatesse de son père,
de son m ariage avec sa m ère, de la fille « pauvre mais
jo lie », de ses am o u rs blessées, (...) la b éance im possible
à co m b ler d e la d e tte sym bolique d o n t sa névrose est
le p r o t ê t 7.

Le Graphe montre le rapport du désir avec le sujet du


signifiant

Il nous fau t (...) in tro d u ire u n certain g rap h e (...)


ayant été co n stru it (...) p o u r re p é re r dans son étage-
m e n t la stru ctu re la plus la rg e m en t p ratiq u e des d o n ­
nées d e n o tre ex p érien ce. Il no u s servira ici à p ré se n te r
où se situe le d ésir p a r ra p p o rt à u n sujet d éfin i de
son articu latio n p a r le s ig n ifia n t8.

* *

423
Références des Extraits cités

1. « Propos sur la causalité psychique » in Ecrits, Seuil,


1966, p. 176.
2. « Le stade du m iroir co m m e form ateu r d e la fo n ctio n
du J e telle q u ’e lle n ou s est révélée dans l ’ex p érien ce
psychanalytique » in Ecrits, op. cit., p. 96.
3. « Les Form ations d e l ’in c o n sc ien t », com p te ren d u de
J.-B. Pontalis in Bulletin de psychologie, t. XII (1958),
p. 250 sq.
4. « Le désir e t son in terp rétation », co m p te ren d u de
J.-B. P ontalis in Bulletin de psychologie, t. XIII (1 9 5 9 ),
p. 263 sq.
5. « F o n ctio n e t ch am p d e la parole e t du lan gage en
psychanalyse » in Ecrits, op. cit., p. 268.
6. « Le m ythe in d ivid u el du névrosé o u P oésie e t vérité
dans la névrose », co n fé ren ce p r o n o n c ée au C ollège
p h ilo so p h iq u e, C .D .U ., 1956.
7. « F o n ctio n e t ch am p d e la parole e t du lan gage en
psychanalyse » in Ecrits, op. cit., p. 303.
8. « Subversion du sujet e t d ialectiq u e du désir dans l ’in ­
c o n scien t freu d ien » in Ecrits, op. cit., pp. 804-805.

424
Biographie
de Jacques-Marie Lacan

1901 N aissance de Jacques-M arie Lacan.

1929-32 T extes prépsychanalytiques.

1932 T hèse sur les rap p o rts e n tre psychose p ara­


n o ïa q u e e t p erso n n alité.

1932-36 Analyse p erso n n elle. Psychanalyste.

1949-53 T extes p rép arato ires de son en seig n em en t.

1951 Le Séminaire, (I). Sém inaires de textes fre u ­


diens : L ’H o m m e aux rats, L ’H o m m e aux
loups, Dora.

1953 C o n féren ce sur « Le Sym bolique, l’Im agi­


n aire e t le R éel ». « R ap p o rt de R om e » sur
« F onctio n e t ch am p de la p aro le e t d u lan­
gage en psychanalyse ».

1953-63 Le Séminaire, (II). Le m oi, le désir, les


concepts fo n d am e n tau x de l ’actio n psycha­
nalytique.

1964 Q u itte la Société Française de Psychanalyse.


F onde l ’Ecole F reu d ien n e de Paris.

1964-69 Le Séminaire, (III). L ’acte psychanalytique, la


passe : « Le psychanalyste ne saurait s'autoriser
que de soi-même. »

425
1969-72 Le Séminaire, (IV). La sexuation, la jo u is­
sance, le discours.

1972-81 Le Séminaire, (V). Le n œ u d b o rro m é e n , le


S inthom e.

1980-81 D issolution de l’Ecole F re u d ie n n e d e Paris.

1981 M ort d e Jacq u es Lacan à l’âge de 80 ans.

426
Choix
Bibliographique

LACAN, J.,

Les Ecrits, Seuil, 1966.

Séminaire VII: L'éthique de la psychanalyse, Seuil,


1986.

Séminaire X I: Les quatre concepts fondamentaux de la


psychanalyse, Seuil, 1973.

DOR, J., Introduction à la lecture de Lacan, tom es I e t


II, D enoël, 1985 e t 1992.

NASIO, T.-D., Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan,


Rivages, 1992.

ROUDINESCO, E., La Bataille de cent ans, tom e II, Seuil,


1991.

427
NOTES
DE L ENSEMBLE
DES CHAPITRES
Chapitre I — Freud
1. Ces m ots d ’ouverture m ’o n t été inspirés par la lecture
d ’un texte d ’A lexan d re Koyré con sacré à D escartes, « Entre­
tiens sur D escartes » in Introduction à la lecture de Platon,
G allim ard, 1962.
2. Cette th èse qui co n sid ère le plaisir absolu com m e un
d anger n ’a jam ais été fo rm u lée aussi e x p licitem en t par Freud.
N ou s l ’avons d év elo p p é e à partir d es p rop osition s freu d ien ­
n es sur le re fo u le m en t, éclairé q u e n ou s som m es par le
co n ce p t lacan ien d e jo u issa n ce. A ce sujet, voir nos avancées
dans L ’Hystérie ou Venfant magnifique de la psychanalyse, Rivages,
1990, pp. 18-21, et « L ’in c o n sc ie n t e t la jo u issa n ce » in Cinq
leçons sur la théorie de Jacques Lacan, Rivages, 1992, pp. 33-63.
3. C ette lo g iq u e en quatre tem ps n o u s a servi par ailleurs
p our p résen ter les co n cep ts lacan ien s d e jo u issa n ce et
d ’ob jet a. Cf. n o tre ouvrage Cinq leçons sur la théorie deJacques
Lacan, op. cit., pp. 13-63.
4. S. Freud, L ’Interprétation des rêves, P.U.F., 1967, p. 520.
5. Les sou rces des co n cep ts freu d ien s d e re fo u lem en t et
de rep résen tation p ro v ien n en t e n partie d e l ’œ uvre d ’un
p h ilo so p h e e t p sy ch o lo g u e allem an d du XIXe siècle, Joan Frie­
drich H erbart. O n p eu t accéd er à son œ uvre, in éd ite en
français, par la lectu re d ’un ouvrage a n cien de M arcel
M auxion, La Métaphysique de Herbart et la critique de Kant,
H ach ette, 1894.
6. L e lecteu r d e Lacan p en sera ici au célèb re ap horism e :
« Le rapport sex u el est im p ossib le » o u en co r e « Il n ’y a pas
de rapport sex u el ». D ’après nos p rop os, il pourra com p léter
la form u le d e la façon suivante : il n ’y a pas de rapport
sexuel incestueux, il n ’y a q ue d es rapports sexu els substitutifs.
7. P ou r ap p rofon d ir n os p rop os sur le stade p halliq u e, le
lecteur pourra se reporter aux chapitres « Le c o n ce p t de
castration » e t « Le c o n c e p t d e phallus » in Enseignement de
7 concepts cruciaux de la psychanalyse, Rivages, 1988, pp. 23-69.
8. « L ’id en tifica tio n » in Essais de psychanalyse, Payot, 1981,
pp. 167-168.

431
Chapitre II — Ferenczi

9. Nous avons là une langue fino-ougrienne qui va du


plus général au plus intim e, mais c’est aussi une langue
agglutinante qui connaît la conjugaison objective, c’est-à-dire
la m arque de l’incorporation de l’objet dans le verbe :
Kalaf — je : so n chapeau
ad — je : il le donne
« L ’exploitation stylistique et poétique de ces structures
m ontre que les Hongrois sentent l ’objet défini comm e une
possession. La dom ination (sur l’objet, dans le cas de la
conjugaison objective ; sur le possédé dans le cas du syntagme
nom inal possessif) est effectivem ent la m arque sém antique
com m une qui lie les deux structures », écrit Georges Kassaï
dans « Noms propres, énonciations, appropriation ». Nous
n ’avons pas encore compris que le dialogue Freud-Ferenczi
est le fruit d ’une rencontre de deux langues bien différentes.
Fondée sur le principe de l’agglutination, la langue des
Magyars colle sans cesse, en un seul m ot, ce que les autres
langues indo-européennes veulent isoler. «Je vous aime » —
« Ich liebe dich » — « I love you ». En hongrois, un seul
m ot « Szeretlek ». Nul besoin de distinguer le « je » du « tu »,
et il n ’y a pas de distinction de genre. « Il » et « elle »
n ’existent pas, il n ’y a que « », c’est-à-dire « l’autre ». Si
vous voulez com prendre pourquoi l’Ecole anglaise prom eut,
avec Melanie Klein, l’unité « m ère-enfant », le « ne faire
q u ’un seul » originel, l ’am our prim aire « balintien » (de
Michael Balint), aussi bien que l’agrippem ent « herm anien »
(de Im re H erm ann), vous devez vous souvenir q u ’ils sont
tous des analysants de S. Ferenczi, qui était fier de parler
le hongrois, langue où les fragm ents de mots sont collés,
s’agrippent les uns aux autres, comme le souligne Kathleen
Kelley-Laine, dans son article « U ne m ère-une terre, une
langue », paru dans L e C o q -H é ro n n° 125, « L ’héritage de
Ferenczi ». Alors q u ’en français les mots qui désignent le
père et la m ère se distinguent essentiellem ent par la lettre
initiale, « p » et « m », « f » et « m » en anglais { fa th e r -
m o th er ) , « v » e t « m » en allem and ( V a te r - M u t te r ) , le hongrois

432
N otes

cache au cœur des mots la lettre qui établit la différence :


« anya » - mère ; « apa » - père. Et « enfant » qui, en français,
est « in-fance » — défini comme « celui qui ne parle pas »
— sera en hongrois nommé « gyerek », ce qui veut dire
« viens ici » (gyere). L’impératif du verbe « venir » définit
l’enfant, celui que l’on appelle « viens ! », celui qu’il faut
toujours appeler, mettre en mouvement, pour qu’il ne reste
pas en arrière. N ’oubliez pas que le Hongrois est nomade :
les cavaliers, ancêtres des Hongrois, quittent les plaines de
la Volga en 1500 avant Jésus-Christ et nomadisent dans les
steppes du sud de la Russie jusqu’au IXe siècle de l’ère chré­
tienne. « Un long contact avec les Tchouaches et les
Kiptchaks, du IVe au IXe siècle, valut à la langue un apport
de mots turcs », nous explique Claude Hagège dans L e S o u ffle
d e la la n g u e (O. Jacob, 1992, p. 206). C’est en 896 que les
Magyars atteignent les Carpates et s’installent, au début du
Xe siècle, dans l’ancienne Pannonie.
Les prem iers docum ents écrits en hongrois datent de la
fin du XIIe siècle, c ’est-à-dire deux cents ans après le début
de la christianisation, sous le règne d ’un souverain canonisé
sous le nom de saint Etienne. Avec la Contre-Réforme qui,
au XVIIe siècle, ram ène au catholicisme plus de la moitié de
la population devenue protestante, la dom ination du latin
s’éten d it dans le vocabulaire confessionnel, scientifique, poli­
tique, administratif. Il était d ’usage, « au Parlem ent, dans les
assemblées nobiliaires, les débats notariaux, les assises savan­
tes, de ne s’exprim er q u ’en latin, ou d ’utiliser... un hongrois
lardé de mots e t tours de phrase purem ent latins. » (C. Ha­
gège, op. cit., p. 207).
Après le turc, le slave des missionnaires, le latin de la
Contre-Réforme, l ’allem and a profondém ent m arqué la lan­
gue hongroise. A la fin du XVIIIe siècle survint « le sursaut
patriotique d ont une des m anifestations principales fut, de
m anière révélatrice, le culte de la langue. Le hongrois, qui
paraissait alors, selon le m ot du poète m oderne E. Ady, une
« pauvre Cendrillon » lorsqu’on le com parait aux langues de
la civilisation européenne des Lumières, était perçu comme
le symbole de l’hum iliation nationale. Par conséquent, restau­
rer l’Etat, c’était, d ’abord, réform er la langue. » (C. Hagège,

433
op. cit., p. 207). Ce mouvement de rénovation culmine entre
1848, date de la révolution hongroise contre les Habsbourg,
et 1867, date de la défaite autrichienne de Sadowa. Le latin
a cessé de régner dans le pays et le hongrois devient le
moyen de communication officiel d ’un Etat multinational.
Certains réclament même que le magyar soit employé comme
langue de commandement dans l’armée. Une seule langue,
où le « un », l’agglutiné, l’indistinct, l’agrippé, est si prégnant
qu’il « contient tout ce qui joint, communique, se m et d ’ac­
cord, se marie, s’égalise, s’individualise. Et ce « un » — egy
— qui traverse la langue hongroise, s’oppose à la coupure
en deux moitiés — « fél » — qui signifie aussi la peur (fêlelem -
l’effroi). « Féleszu » c’est fou, c’est-à-dire moitié d ’esprit,
« félarvac » c’est l’orphelin, « félbemaradni » c’est échouer,
à moitié fait, « felrebeszélni » c’est délirer, parler à côté. La
coupure fait peur, la séparation est effrayante.
10. S ig m u n d F re u d - A r n o ld Z w eig , C o rre s p o n d a n c e 1 9 2 7 - 1 9 3 9 ,
lettre du 21 février 1936, Gallimard, 1973, p. 167.
11. Dans C h â n d o r , la sifflante est chantante, mais dans le
patronym e Fer-ent-czi, il convient de faire sonner glorieuse­
m ent la sifflante finale. Le « x » d ’Alexandros s’en ten d à la
fin du patronym e prononcé à haute voix : « Ferenczi ». C ’est
pourquoi ce serait une faute de prononcer ce nom en le
chuintant : F eren tch i. Ce n ’est pas un nom que l’on prononce
en éternuant, il s’agit d ’un nom illustre !
12. « Im Anfang war die T at ». C’est avec cette phrase que
Freud term ine son livre T o te m e t ta b o u .
13. « (...) la m aternité est attestée par le tém oignage des
sens, tandis que la paternité est une conjecture, édifiée sur
une déduction et sur un postulat. » S. Freud, L ’H o m m e M o ïs e
et la re lig io n m o n o th é iste , Gallimard, 1986, p. 213.

14. G o lem est un m ot hébreu qui n ’apparaît q u ’une seule


fois dans la Bible (Ps 139, 16). Il signifie « masse inform e ».
Le Golem est incarné par Adam façonné de glaise avant
que Dieu ne lui insuffle la vie et l’âme.
15. Pour plus de précisions sur la biographie de Sândor
Ferenczi, le lecteur pourra se rep o rter à l’excellente préface

434
N otes

de Judith D upont, « Les sources des inventions » in Sândor


Payot, 1982.
F e re n c zi - G eo rg G ro d d eck , C o rre sp o n d a n c e ,

16. En haptonom ie (science du contact), cette « confirma­


tion affective » est essentielle, mais Ferenczi restera toute sa
vie en attente de ce qui ne viendra jamais.
17. K a ta s tr ô p h â k , qui signifie en français « Catastrophes »,
est le titre hongrois d ’un des essais les plus célèbres de
Ferenczi. Le titre com plet est « Catastrophes dans le dévelop­
pem ent du fonctionnem ent génital - Une étude psychanalyti­
que. » Cet essai est davantage connu sous le titre « Thalassa,
ou psychogenèse des origines de la vie sexuelle » in Œ u v r e s
com plètes, tome III, Payot, 1974.

18. M. Balint, L e s V oies d e la régression , Payot, 1972.


19. C. Lorin, L e J e u n e F eren czi. P re m ie rs éc rits 1 8 9 9 -1 9 0 6 ,
Aubier, 1983.
20. Pour plus de précisions, vous pourrez vous reporter
au livre de Claude Lorin, op. cit.
21. P. Sabourin, F eren czi, p a l a d i n e t g r a n d v i z i r secret, Editions
Universitaires, 1985.
22. S ig m u n d F r e u d - C a r l- G u s ta v J u n g , C o r re s p o n d a n c e I, Galli­
mard, 1975, p. 149.
23. I b id ., p. 153.
24. S. Ferenczi, J o u r n a l c lin iq u e , Payot, 1985, p. 144.
25. I b id ., p. 112.
26 I b id ., pp. 84-85.
27. I b id ., p. 103. Lire par ailleurs à ce propos « Le m eurtre
du patient par l’analyste » de Peter Rudnytsky in L e C oq-
H éron , n° 125, 1992, pp. 19-23.

28. J. D upont, « L ’analyse de Ferenczi par Freud » in


n° 127, 1992, pp. 51-56.
L e C oq-H éron ,

29. S ig m u n d F r e u d - S â n d o r F eren czi, C o rre sp o n d a n c e , tom e I,


Calmann-Lévy, 1992, pp. 327, 333, 349, 352, 356, 359, 360,
467, 511, 514, 520, 523, 524, 525, 529.

435
30. S â n d o r F e re n c zi - G e o rg G ro d d eck , C o rre s p o n d a n c e , o p. cit.,
pp. 55-57. Lapsus de Ferenczi : c ’est dans le prénom de
Freud, S i( e ) g m u n d écrit avec un « e » , et non dans besiegt
correctem ent orthographié, que se trouve l’e rre u r d ’écriture.
31. En français, « Thalassa. Psychogenèse des origines de
la vie sexuelle » in Œ u v r e s com plètes, tome III, Payot, 1974,
pp. 250-323.
32. B. This, « Schrei nach dem Kinde », « Le cri de Ferenczi »
in L e C oq-H éron, n° 85.

33. In L a T e c h n iq u e p sy c h a n a ly tiq u e , P.U.F., 1985, p. 127.


34. Etant donné que Ferenczi, dans sa correspondance, n ’a
pas cessé d ’interpréter les symptômes de Freud, nous pouvons
considérer que l’analyse de Ferenczi avec Freud était déjà une
analyse mutuelle.
35. Rappelons que Freud avait lui aussi fixé en un prem ier
temps, un term e à la cure de l’Homme aux loups. Plus tard,
il renoncera à cette pratique et reconnaîtra son erreur.
36. En hongrois, « Szerelem » c’est la passion amoureuse,
« Szereles » la tendresse.
37. In Œ u v r e s com plètes, tome IV, Payot, 1982, pp. 98-112.
38. « Plötzlich » qui signifie tout à coup. Vous retrouverez
partout, dans l’œuvre de Freud, ces « plötzlich » qui, soudaine­
ment, nous font signe. Dans la Gradiva, la jeu n e fille disparaît
soudainem ent entre deux colonnes, « schön und schlank
plötzlich ». « Q u’est-ce qui, dans une image, fait participer
l’enfant à l’intérieur de l’adulte ? La réponse est tout à fait
claire : ce qui est verbalisé de façon irruptive. » J. Lacan, L e
S ém in a ire. L e s E c rits tech n iq u es d e F reu d, leçon du 2 ju in 1954,
Seuil, 1975.
39. In Œ u v r e s com plètes, tome IV, op. cit., pp. 125-135.
40. U tra q u iste est un m ot dérivé du latin utraque, « l’une et
l’autre ». Nom donné au XVe siècle aux Hussites de la Bohême
qui comm uniaient sous les deux espèces. Ferenczi appelait
« utraquistique » la m éthode q u ’il employait en appliquant les
modèles psychanalytiques pour com prendre la physiologie et,

436
N otes

inversement, des modèles issus de la biologie pour étudier les


phénomènes psychiques.
41. Ernest Jones télégraphie à Max Eitingon, le 29 mai 1933 :
« La seule consolation est l’amère vérité qu’un événement ne
menace plus de provoquer une explosion dans le mouvement
international lui-même. »

Chapitre III — Groddeck

42. M. Schatzman, L 'E s p r it a ssa ssin é, Stock, 1974.


43. L e L iv r e d u ça, Gallimard, 1963, pp. 290-291.
44. L a M a la d ie , l ’a r t et le sym bole, Gallimard, 1969, p. 284.
45. Ç a et M o i, Gallimard, 1977, p. 35 et sq.

, 46. Comme en témoigne une note de Freud figurant dans


« L’inconscient » (1913) in M étapsych ologie, Gallimard, 1940,
p. 85.
47. C f à ce sujet le livre de P. Guyomard, L a J o u is s a n c e d u
tra g iq u e, Aubier, 1992, p. 17.
48. Ç a et M o i, op. cit, p. 35 et sq.

49. Cf. G eorg G roddeck, p sy c h a n a ly ste de l ’im a g in a ire , Payot,


1984.
50. Cf l’Introduction à L a M a la d ie , l ’a r t e t le sym bole, op. cit.,
p. 18.
51. C onférences p sy c h a n a ly tiq u e s à l ’u sa g e des m a la d e s, tome I,
Champ libre, 1978, p. 1.
52. Ib id ., p. 159 et 163.
53. Ib id ., p. 244 et sq.

54. Idem .

55. L a M a la d ie , l ’a r t et le sym bole, op. cit., pp. 145-146.


56. « La tyrannie de la bien-pensance » in Le M onde du
19juin 1991, p. 2.

437
Chapitre IV — M. Klein

57. M. Klein, « Les origines du transfert » in R e v u e f r a n ç a is e de


16, n° 2, p. 209. Communication au XVIIe Congrès
P sych a n a lyse,
International de Psychanalyse, 1951, traduite par D. Lagache.
58. M. Klein, «A utobiographie», 1959, inédite, déposée au
Melanie Klein Trust, citée par Phyllis Grosskurth, M e la n ie K le in ,
so n m o n d e et so n œ u vre, P.U.F., 1990, p. 104.

59. M. Klein, L a P sy c h a n a ly se des e n fa n ts (1932), P.U.F., 1969,


« Préface à la prem ière édition », p. 2, et N. Abraham et M. To-
rok, « Introduction à l’édition française » in E ssa is d e P s y c h a n a ­
lyse ( 1 9 2 1 - 4 5 ) , M. Klein, Payot, 1972, p. 9. Une autre version
de l’appréciation de Karl Abraham : « L’avenir de la psychana­
lyse réside dans la psychanalyse des enfants », est donnée par
Jean-Michel Petot, M e la n ie K le in , p rem ières d écou vertes et p re m ie r
systèm e, 1 9 1 9 - 1 9 3 2 , Dunod, 1979, p. 23.
Voir égalem ent A. Strachey, « Rapport sur une conférence
de M. Klein à Berlin » in J o u r n a l d e la P sy c h a n a ly s e d e l ’e n fa n t,
4, Le transfert, Le Centurion, 1987, p. 196.
60. V. Woolf, J o u r n a l, V, 1 9 3 6 - 1 9 4 1 (Anne Olivier Bell, Lon­
dres ; Hogarth Press, 1984, p. 209), cité par P. Grosskurth,
p. 312.
61. M. Klein, «Jeu», conférence inter-clinique, (inédite),
29 janvier 1937, Institut Welcome d ’Histoire de la Médecine,
citée par P. Grosskurth, pp. 308-309.
62. H. Von Hug-Hellmuth, E ssa is p sy c h a n a ly tiq u e s, Payot,
1991, p. 224 e t sq.
63. M. Klein, « Les principes psychologiques de l’analyse des
jeunes enfants » (1926) in E ssa is d e P sych a n a lyse, op. cit., p. 175.
64. La spécificité du psychisme de l’enfant est celle-ci : son
moi est en cours de constitution. La partie du ça, c’est-à-dire
de la réserve pulsionnelle, qui est modifiée sous l’influence
directe du m onde extérieur par l’interm édiaire du système
perception-conscience, est en cours de fabrication ( c f S. Freud,
« Le Moi et le Ça », 1923). Ce moi débutant n ’a pas la capacité,
n ’a pas l’appareillage nécessaire pour traiter l’immense

438
N otes

angoisse provoquée par le refoulem ent originaire. Rappelons-


nous : le refoulem ent originaire fait disparaître à jamais la
satisfaction totale ou jouissance — qui du coup se caractérise
d ’être hors représentation — mais laisse au sujet la charge
de l ’affect qui y était corrélatif. Cette charge d ’affect, puissante,
ne peut être gérée d ’emblée par l’appareillage pulsionnel et
le fonctionnem ent du principe de plaisir, d ’où l’angoisse.
65. M. Klein, « Colloque sur l’analyse des enfants » (1927)
in E ssa is d e p sy c h a n a ly se , op. c it., p. 189.
66. M.-C. Thomas, « La Play-Technique », in L e D isc o u rs P sy­
c h a n a ly tiq u e ,n° 5, décembre 1982.
67. M. Klein, « Les principes psychologiques de l’analyse des
jeunes enfants» (1926) in E ssa is d e p sy c h a n a ly se , op. c it., p. 172.
68. M. Klein, ib id ., p. 173.
69. Cet acte, reconnu par K. Abraham au congrès de
Salzbourg et consigné au chap. V des E ssa is d e p sy c h a n a ly se , se
rejouera plus tard, en terre anglaise, quand Anna Freud habi­
tera Londres, lors d ’un événement mémorable dans l’histoire
de la Société britannique de Psychanalyse appelé L e s G ra n d e s
C on troverses ou les D isc u s sio n s controversées. Elles s’étalèrent de
1942 à 1944 en une douzaine de réunions scientifiques où
anna-freudiens et kleiniens exposèrent leurs travaux divergents.
Cf. P. Grosskurth, p. 362 et sq ., H. Segal, D é v e lo p p e m e n t d ’u n e
pensée, chap. 8, p. 85 et sq. Voir également King P., A . F reud,
M . K le in C on troversy, 1 9 4 1 - 1 9 4 5 , Ricardo Steiner, Tavistock,
1992.
70. M. Klein, « Colloque sur l’analyse des enfants » (1927)
in E ssa is d e p sy c h a n a ly se , op. cit., p. 182. Avec des nuances, cf.
M.-C. Thomas, « La Maîtresse » et « Nursery Gossip » in L e
D iscou rs P sy c h a n a ly tiq u e , n° 2 et n° 7, 1983.
71. S. Freud, « Le Moi et le Ça » in E ssa is d e p sych a n a lyse,
Payot, 1981, chapitre III, « Le moi et le surmoi ».
72. M. Klein, « Les premiers stades du conflit œdipien », in
L a P sy c h a n a ly se des e n fa n ts (1932), P.U.F., 1969, pp. 145-146.
73. M. Klein, « Les premiers stades du conflit œdipien » in
L a P sy c h a n a ly se des e n fa n ts (1932), P.U.F., 1969, p. 148. Toute

439
cette clinique élaborée depuis 1920, exposée m éthodiquem ent
en 1932, sera systématisée en 1946 (phase schizo-paranoïde).
74. Non seulem ent des théories de Freud datées de 1924
(«Le Moi et le Ç a»), mais égalem ent de celles de 1908
dans les « Conclusions de l’analyse d ’une phobie », in Cinq
psychanalyses, P.U.F., 1970, pp. 193-198 et de 1918 dans les
remarques finales de « L’Homme aux loups », pp. 418-420,
entre autres.
Par ailleurs, en 1932, M. Klein discute très m inutieusem ent
les deux conceptions concernant la form ation du surmoi dans
« Les premiers stades du conflit œ dipien » in La Psychanalyse
des enfants, p. 150 et sq.
75. Lettre du 31 mai 1927. Je remercie Colette H ochard et
Jean-Pierre Lefèvre de m ’avoir donné la possibilité de lire les
lettres de Freud, en cours de traduction, là où il est question
de M. Klein. Voir égalem ent les lettres de Freud à Jones citées
par Ph. Grosskurth in Melanie Klein, son monde et son œuvre,
op. cit., voir en particulier la lettre du 22 novembre 1928,
p. 239.
76. M. Klein, lettre citée par Ph. Grosskurth in op. cit., p. 608.
Une autre question concerne la m anière de traiter l’influence
du surmoi archaïque dans une cure, la m anière de traiter la
jouissance. Melanie Klein, me semble-t-il, la traita par le biais
du transfert négatif et, dans sa conception du transfert, par
le biais de l’interprétation et du sens. Il y a là une recherche
essentielle pour les psychanalystes parce qu’à ce niveau il ne
s’agit pas de technique, mais d ’une question d ’ordre éthique.
77. M. Klein, « Les stades précoces du conflit œ dipien »
(1928), in Essais de psychanalyse, op. cit., pp. 231-232.
78. M. Klein, « Contribution à la théorie de l’inhibition intel­
lectuelle » (1931), in Essais de psychanalyse, idem, pp. 288-289.
79. M. Klein, « Les premiers stades du conflit œ dipien »
(1932), in La Psychanalyse des enfants», op. cit., p. 161.
80. M. Klein, « Le sevrage » (1936), traduit et com m enté par
M.-C. Thomas, in Le Discours Psychanalytique, 1982, nos 4, 5 et

440
N otes

81. M. Klein, « En observant le com portem ent des nourris­


sons » (1952), in Développements de la psychanalyse, P.U.F., 1991,
p. 249, note n° 1.
82. Lacan, en 1960, a réarticulé ces concepts fondam entaux
dans son séminaire sur l’éthique de la psychanalyse où précisé­
m ent il proposa une clé de la notion kleinienne de création :
« L’articulation kleinienne consiste en ceci - avoir mis à la
place centrale de das Ding, le corps mythique de la m ère »,
p. 127 et 141. La relation du Surmoi et de La Chose est
examinée aux chapitres IV et V, en particulier, in L ’Ethique de
la psychanalyse, livre VU, Seuil, 1986, pp. 81-82.
83. M. Klein, La Psychanalyse des enfants, op. cit. p. 36.
84. C’est ce type de conception de la castration, toute fantas­
matique, qui fait dire à Freud qu’elle annonce « une nouvelle
manière d ’irréaliser l’analyse » (la rendre irréelle et irréalisa­
ble). Cf. lettre de Freud à Jones du 23 septembre 1927 en
cours de traduction. Des critiques de cet ordre seront portées
sur la théorie kleinienne par J.-B. Pontalis dans « Nos débuts
dans la vie selon Melanie Klein », in Après Freud, Gallimard,
1968, p. 191 et sq. ; et par Mustapha Safouan dans « Le fan­
tasme dans la doctrine psychanalytique et la question de la
fin de l’analyse », in Études sur l ’Œdipe, Seuil, 1974, p. 166 et
sq. Cf. Lacan, Écrits, Seuil, 1966, pp. 728-729. On peut remar­
quer ce paradoxe : alors que le prim at du phallus dans le
complexe d ’Œ dipe et le complexe de castration n ’est pas
relevé par M. Klein, toute sa conception de la sexualité infantile
baigne dans le phallique sans jamais s’en dégager. Une caracté­
ristique du système kleinien est dans l’adéquation phallus-
sadisme. Cela a des conséquences pratiques : toute parole est
interprétable, toute parole a un sens explicable, il n ’y a pas
de non-sens.
85. M. Klein, « Contribution à l’étude de la psychogenèse
des états maniaco-dépressifs » in Essais de psychanalyse, op. cit.,
p. 311 et sq. En 1934, M. Klein était fortem ent déprimée.
Malgré une récente tranche d ’analyse de 7 mois avec Sylvia
Payne, elle subissait le contrecoup du départ récent d ’un ami
très cher, le journaliste Kloetzel, en Palestine. Cela dans un
climat de disputes haineuses avec sa fille Melitta qui s’était

441
ralliée à ses adversaires. Mais surtout, elle fut accablée par la
m ort de son fils aîné, Hans, survenue au printem ps 1934.
Tous ces événements provoquèrent une sorte de catastrophe
intérieure, une profonde dépression qu’accompagna Paula Hei-
mann. M. Klein fit le compte rendu de ce deuil et du travail
d ’analyse qui suivit dans la cure de «MmeA» («Le deuil et
ses rapports avec les états maniaco-dépressifs » in Essais de
psychanalyse, op. cit., p. 354 et sq.).
86. On parle de 1’ « auto-analyse » de Freud. Or, en 1897,
il écrivait ceci : « L’auto-analyse est réellem ent impossible. Je
peux seulem ent m ’analyser au moyen de ce que j ’apprends
du dehors (comme si j ’étais un autre) ». Cet autre fut W. Fliess
à qui Freud prêta un savoir (cf. Octave Mannoni, Freud, Seuil,
1968).
87. S. Freud, « Deuil et mélancolie » (1917) in Métapsycholo­
gie, Gallimard, 1968.
K Abraham, « Préliminaires à l’investigation et au traitem ent
psychanalytique de la folie maniaco-dépressive et des états
voisins » (1912) in Œuvres complètes, 1.1, Payot, 1989, p. 212 et
sq. ; « Esquisse d ’une histoire du développement de la libido
fondée sur la psychanalyse des troubles m entaux » (1924) in
Œuvres complètes, t. II, Payot, 1989, p. 171 et sq. (« Première
partie : Les états maniaco-dépressifs et les étapes prégénitales
d ’organisation de la libido»),
88. M. Klein, « Le deuil et ses rapports avec les états
maniaco-dépressifs » in Essais de psychanalyse, op. cit., p. 341 et
sq.
89. M. Klein, « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes »
in Développements de la psychanalyse, op. cit., p. 274 et sq. Ce
travail a fait l’objet d ’une communication devant la Société
britannique de Psychanalyse en 1946. M. Klein réécrivit cet
article en 1952 pour l’édition de Développements de la psychana­
lyse; c’est alors qu’elle définit précisém ent le concept d ’identifi­
cation projective.
90. Ibid., p. 274.
91. M. Klein, « L ’importance de la formation du symbole
dans le développement du moi » in Essais de psychanalyse, op.

442
N otes

cit., p. 263 et sq. : Dick assimile son sadisme à ses mauvais


excréments qui sont projetés à l’intérieur du corps de la mère ;
la m ère est identifiée aux excréments projetés.
92. H. Rosenfeld, Impasse et interprétation, P.U.F., 1990, en
particulier « L’influence de l’identification projective sur la
tâche de l’analyste », p. 185 et sq.
93. M. Klein, « Contribution à l’étude de la psychogenèse
des états maniaco-dépressifs » in Essais de psychanalyse, op. cit.,
p.313.
94. M. Klein, « Le deuil et ses rapports avec les états
maniaco-dépressifs », idem, p. 362.
95. M. Klein, « Sur les critères de fin d ’analyse » (1949) in
Psychanalyse à l ’Université, 1982, t. 8, n° 29, p. 5.
96. M. Klein, « Envie et gratitude » in Envie et gratitude, et
autres essais, Gallimard, 1975. « Envie et gratitude » a fait l’objet
d’une1communication au congrès de Genève en 1955.
97. Ibid., p. 15.
98. Ibid., p. 25.
99. En France nous retiendrons M. Merleau-Ponty, La Prose
du monde, Gallimard, Cours à la Sorbonne, Cynara, 1988, (« Les
relations avec autrui chez l’enfant»), et G. Deleuze, Logique
du sens, 27e à 30e séries, Minuit, 1969.
100. J. Lacan, « De nos antécédents » in Écrits, op. cit., p. 70.
101. J. Lacan, « La direction de la cure et les principes de
son pouvoir » in Écrits, op. cit., p. 614.

Chapitre V — Winnicott
102. A. Clancier, J. Kalmanovitch, Le Paradoxe de Winnicott,
Payot, 1984, p. 17.
103. P. Grosskurth, Melanie Klein, son monde et son œuvre, op.
cit., p. 518.
104. D. W. Winnicott, La Nature humaine, Gallimard, 1990,
p. 135.

443
105. D. W. Winnicott, Processus de maturation chez l ’enfant,
Payot, 1970, pp. 125-126.
106. D. W. Winnicott, Lettres vives, Gallimard, 1988, p. 78.
107. D. W. Winnicott, Jeu et réalité, Gallimard, 1975, p. 11.
108. Ibid., p. 26.
109. Ibid., p. 11.

Chapitre VI — F. D o i .to

110. F. Dolto, Dialogues québécois, Seuil, 1987, p. 188.


111. Elle justifie cette thèse d ’une unique personne nourri­
cière par le fait que, lors de l’oralité envahissante, le nourrisson
doit s’assurer qu’il n ’a ni mangé, ni excrété cette personne
maternante.
112. Au du jeu du désir, Seuil, 1981, p. 251.
113. L ’Image inconsciente du corps, Seuil, 1984, p. 149.
114. Séminaire de Psychanalyse d ’enfants, 2, Seuil, 1985, p. 127.
115. Au jeu du désir, op. cit., p. 251.
116. Ibid., p. 80.
117. L ’Image inconsciente du corps, op. cit., p. 224.
118. Citons encore: « L ’approche exaltante de la satisfac­
tion, suivie de la rencontre orgastique dans une expérience
éphém ère de délivrance de sa tension à être, est une mort.
L’expérience répétitive de l’attraction excitante, provoquée par
le complément de l’image de son corps, le conduit, à travers
l’acte d ’union qui calme sa tension, à la disparition de ce qui
était se sentir dans son corps : au dépouillem ent sensoriel de
l’image de ce qui lui appartenait hors de cet acte. » Au jeu
du désir, op. cit., p. 63.
119. La Difficulté de vivre, Livre de poche, 1988, p. 134.
120. Les Cahiers du nouveau-né, n° 3, Stock, 1980, p. 369.
121. Dialogues québécois, op. cit., p. 82.

444
N otes

122. Ibid., p. 186.


123. L ’Image inconsciente du corps, op. cit., p. 78.
124. Ibid., p. 82.
125. Ibid., p. 71.
126. « C’est donc par interdit que le sujet désirant est initié
à la puissance de son désir, qui est une valeur ... », ibid., p. 79.
127. La Cause des enfants, R. Laffont, 1985, p. 210.
128. L ’Image inconsciente du corps, op. cit., pp. 90-91.
129. Ibid., p. 99.
130. Ibid., pp. 101-102. F. Dolto ajoute que le langage devient
symbolique de la relation corps à corps « en se m utant en
circuit long, par le subtil des vocalisations et du sens de ces
mots qui recouvrent les perceptions sensorielles différentes,
mais toutes “ mamaïsées ” par la voix de la mère, la même
que lorsqu’il était au sein », ibid, p. 102.
131. « Une castration anale sainement donnée, c’est-à-dire
non centrée sur le pipi-caca, mais sur la valorisation de la
motricité manuelle et corporelle, doit perm ettre à l’enfant de
substituer aux plaisirs excrémentiels (limités) la joie de faire,
de m anipuler les objets de son m onde ... », ibid., p. 124.
132. Le Cas Dominique, Points, Seuil, 1974, note p. 247.
133. « A la recherche du dynamisme des images du corps
et de leur investissement symbolique dans les stades primitifs
du développement infantile», La Psychanalyse 3, pp. 297-315.
134. L ’Image inconsciente du corps, op. cit., p. 23.
135. F. Dolto et J.-D. Nasio, L ’E nfant du miroir, Rivages, 1987,
p. 13.
136. M.-H. Ledoux, Introduction à l ’œuvre de Françoise Dolto,
Rivages, 1990.
137. L ’Image inconsciente du corps, op. cit., p. 58.
138. L ’E nfant du miroir, op. cit., p. 27.

445
139. Nous avons dans notre ouvrage exposé et développé
l’ensemble de ces questions.
140. Au jeu du désir, op. cit., p. 70.
141. L ’Enfant du miroir, op. cit., p. 25.

Chapitre VII — Un témoignage sur la clinique de


F. Dolto
142. Lettres de l ’Ecole Freudienne de Paris, n° 20, mars 1977,
p. 270.

Chapitre VIII — J. Lacan


143. Ecrits inspirés et schizophrénie. Texte republié en édition
pirate dans un volume de Petits Ecrits de J. Lacan.
144. In Le Minotaure. Cela se trouve en photocopies pirates,
puisqu’il est impossible à ce jo u r de lire Lacan autrement...
145. De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la person­
nalité, Seuil, 1975.
146. M. Mauss, in Sociologie et Anthropologie, P.U.F., 1966.
147. « Le stade du m iroir comme form ateur de la formation
du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychana­
lytique » in Ecrits, op. cit., pp. 93-100.
148. Ce stade du m iroir de J. Lacan est une question plus
délicate q u ’il n ’y paraît, car quand nous lisons « Le stade du
m iroir » dans les Ecrits, nous lisons un texte tardif de 1949,
déjà tout marqué des bouleversements qui vont se faire jo u r
dans sa démarche. Com m ent pouvons-nous savoir que le texte
de 49 nous dit quelque chose sur celui de 1936 à M arienbad ?
De sorte que ju sq u ’à plus ample découverte, le texte de
Marienbad, nous ne savons pas ce que c’était.
149. Cette structure d ’entrer pour en sortir est capitale chez
Lacan, et conditionne sa définition de l ’acte psychanalytique.
150. S. Freud, Cinq psychanalyses, P.U.F., 1973, pp. 93-198.

446
N otes

151. Là-dessus, J.-D. Nasio en a rajouté pas mal.


152. In Cinq psychanalyses, op. cit., pp. 199-261.
153. Ce texte a été publié dans Le Discours Psychanalytique,
n° 1, octobre 1981, pp. 30-32.
154. Cf. J. Lacan, in Ecrits, op. cit., pp. 793-827 et en particu­
lier p. 817.
155. F. de Saussure, Traité de linguistique générale, Payot, 1968,
ch. 4, p. 156.
156. Cf. O. Ducrot et S. Todorov, Dictionnaire encyclopédique
des sciences du langage, 1972 ; J.-L. Nancy et P. Lacoue-Labarthe,
Le Titre de la lettre, 1973.
157. Il s’agit là d ’un problème de fond de la lecture de
Lacan, présenté dans le Séminaire VII, L ’éthique de la psychanalyse,
Seuil, 1991, leçons 1 à 5, sous le nom aussi de « décussation »
entre langage et inconscient. Ce problème ne me semble pas
avoir été étudié ju sq u ’à présent.
158. Cf. Aristote, La Métaphysique, a, Vrin, 1970, pp. 107-118.
159. Cf. J. Lacan, Les formations de l ’inconscient (séminaire
inédit), leçons 1 à 5.
160. Cf. J. Lacan, Le désir et son interprétation (séminaire iné­
dit).
161. Cf. J. Lacan, Les formations de l ’inconscient.
162. Cf. J. Derrida, « La mythologie blanche » in Marges de
la philosophie, Galilée, 1972.
163. Cf. C. Conté, « 0 ( ) D », in Lettres de l ’E.F.P., n° 21, août
1977.
164. Remarque due à Pierre-Gilles Gueguen.

447
TABLE
Introduction à l’œuvre de
FREUD p. 13

S chém a de la logique de la pen sée fre u d ie n n e . - D éfini­


tions de l’inconscien t. D éfinition de l ’in c o n scien t d u
p o in t de vue descriptif. D éfinition de l’in c o n scien t d u
p o in t de vue systém atique. D éfinition de l ’in c o n scien t
d u p o in t de vue dynam ique. Le c o n ce p t d e refo u le­
m ent. D éfinition de l ’in co n scien t d u p o in t de vue éco­
nom iq u e. D éfinition de l’in c o n scien t d u p o in t d e vue
éth iq u e. - Le sens sexuel de nos actes. - Le c o n ce p t
psychanalytique de sexualité. B esoin, désir e t am o u r. -
Les trois p rin cip au x destins des pulsions sexuelles :
refo u lem en t, sublim ation e t fantasm e. Le c o n c e p t de
narcissism e. - Les phases de la sexualité infan tile e t le
com plexe d ’œ d ip e. R em arq u e sur l’Œ d ip e d u g arço n :
le rôle essentiel d u p ère. - Pulsions de vie e t pulsions
de m ort. Le désir actif d u passé. - Le tran sfert est u n
fantasm e d o n t l ’ob jet est l ’in co n scien t d u psychanalyste.

Extraits de l’œuvre de S. Freud


Biographie de Sigmund Freud
Choix bibliographique
J.-D. NASIO
*

450
Introduction à l’œuvre de
FERENCZI p. 85

S ândor F erenczi éc rit à S igm und F reud. - Le je u signi­


fian t de la le ttre d é te rm in e la relatio n e n tre S. F reud
e t S. Ferenczi. - La vie de S ân d o r Ferenczi. - Le je u n e
S ândor m a n q u e de sécurité affective. - L ’é lém en t
liquide m a rq u e l’œ uvre de Ferenczi. - La re n c o n tre
avec F reud. - Ferenczi e n tre F reu d e t Ju n g . - S éductions
e t traum atism es. - Ferenczi, in te rlo c u te u r privilégié de
F reud. - L ’analyse m u tu elle de S ân d o r Ferenczi e t de
G eorg G roddeck. - L ’ab a n d o n de la te ch n iq u e active
au p ro fit de la te ch n iq u e d ’in d u lg en ce e t de relaxa­
tion. - La néo-catharsis. Ce d o n t les névrosés o n t
besoin : c ’est d ’ê tre v éritab lem en t ad o p tés p a r le u r th é ­
rapeute. - La m é th o d e de la relax atio n : acc ep ter l ’agir
dans la cu re p e rm e t au p a tie n t de se rem ém o rer. -
C onclusion.

Extraits de l’œuvre de S. Ferenczi


Biographie de Sândor Ferenczi
Choix bibliographique

B. THIS
*

451
Introduction à l’ œuvre de
GRO D D ECK p. 149

La vie de G eorg G roddeck. - G roddeck, élève d e Schwe­


n in g er. - G ro d d eck clinicien. - La d éco u v erte d u m o n d e
des symboles. - Les co n féren ces th é ra p e u tiq u e s de
G roddeck. - La p rem ière re n c o n tre ép isto laire avec
F reud. - Le dualism e de F reu d e t le m onism e d e G rod­
deck. - G ro d d eck e t la psychosom atique. - L ’o rigine
sexuelle de la m aladie. - T o u te m aladie est u n e créa­
tion. - La place de G ro d d eck d an s le m o u v em en t analy­
tiqu e de son tem ps. - Le Ça e t les Ça d e G roddeck. -
C onclusion.

Extraits de l’œuvre de G. Groddeck


Biographie de Georg Groddeck
Choix bibliographique

L. LE VAGUERÈSE
*

452
Introduction à l’ œuvre de
Melanie K L E IN p. 195

U ne vie. - La te ch n iq u e psychanalytique d u je u e t ses


découvertes. - La fo rm atio n arch aïq u e du surm oi ou
le devoir de jouissan ce. - La p récocité des stades du
conflit œ d ip ie n , « fine fleu r » d u sadism e. - Trois
aspects d u p rim a t de la m ère. - Le tran sfert e t la
castration. - La m étapsychologie k le in ien n e e t ses
découvertes. - Le triptyque d e la position dépressive. -
La phase schizo-paranoïde. - La position dépressive. -
L ’envie. - C onclusion.

Extraits de l’œuvre de M. Klein


Biographie de Melanie Klein
Choix bibliographique

M.-C. THOMAS
*

453
Introduction à l’œuvre de
W IN N IC O T T p. 261

La vie d e D onald W oods W innicott. - L ’œ uvre de


D. W. W innicott. - P ério d e de d ép e n d a n c e absolue. -
Les trois fonction s m aternelles. - La m ère suffisam m ent
b o n n e. - Le vrai self. - La m ère insuffisam m ent b o n n e . -
T roubles psychiques d o n t l ’origine se situe d u ra n t la
p ério d e de d é p e n d a n c e absolue. - O rien ta tio n s th é ra ­
peutiques. - P ério d e de d é p en d a n ce relative. - Les p h é ­
no m èn es transitionnels.

Extraits de l’œuvre de D. W. Winnicott


Biographie de Donald Woods Winnicott
Choix bibliographique

A.-M. ARCANGIOLI
*

454
Introduction à l’œuvre de
Françoise D O L T O p. 301

La vie de F rançoise D olto. - In tro d u ctio n e t thèm es


m ajeurs. - La rela tio n m ère-en fan t et la trian g u latio n .
La dyade. La co n stru ctio n de 1’ « infans ». La n o tio n de
trian g u latio n . - Les castrations sym boligènes. D éfinition
d o lto ïe n n e de la castration. La castration om bilicale.
La castration orale. La castration anale. La castration
sym boligène. - L ’im age in co n scien te du corps. D éfini­
tion de l’im age inco n scien te d u corps. Les trois aspects
de l’im age inconscien te d u corps. La p ath o lo g ie des
im ages d u corps. - Propos su r les e n tre tie n s p rélim in ai­
res e t la psychanalyse avec les enfants. Les en tretien s
prélim inaires. Le cadre e t les m odalités tech n iq u es. -
C onclusion. - G lossaire des p rin cip au x concepts de
F. D olto.

Extraits de l’œuvre de F. Dolto


Biographie de Françoise Dolto
Choix bibliographique

M.-H. LEDOUX
*

455
Un témoignage sur la clinique de

Françoise DOLTO p. 367

J -D . NASIO

456
Introduction à l’œuvre de
LACAN p. 385

I - Le pro b lèm e d u style : folie de Jacq u es Lacan. -


Q u ’est-ce que la p erso n n alité ? - Le m iracle d u stade
d u m iroir. - L ’alién atio n dans le désir de l ’au tre. - S ortir
de l ’alién atio n : la psychanalyse. - La d ette sym bolique. -
L ’in c o n scien t de F reud, c ’est le discours de l ’A utre. -
II - Le G rap h e p a r élém ents.

Extraits de l’œuvre de J. Lacan


Biographie de Jacques-Marie Lacan
Choix bibliographique

G. TAILLANDIER
*

NOTES- DE LENSEMBLE DES CHAPITRES p. 429


N ous ten o n s à rem e rcier MM. les E diteurs
qui o n t b ien voulu no u s au to riser à re p ro d u ire
les citations extraites de leurs fonds.
Ouvrages
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de J.- D. Nasio
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L ’Hystérie ou l ’enfant magnifique de la psychanalyse

L ’Inconscient à venir

Un psychanalyste sur le divan

Sous la direction de J.-D. Nasio


Le Silence en psychanalyse

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