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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

Le patrimoine chrétien de la
Cappadoce
p. 6-13

Full text
1 « En vérité, s’il est possible de reconnaître la présence de Dieu d’après ce qu’on voit, on
serait tenté de penser que Dieu habite dans la nation des Cappadociens, plutôt que dans
des lieux étrangers. Combien y a-t-il ici de sanctuaires grâce auxquels le nom de Dieu est
glorifié ? On ne peut compter davantage de sanctuaires, ou presque, dans le monde
entier ! » (Grégoire de Nysse, Lettre 2,9)
2 Comme toute la Turquie, la Cappadoce est riche en vestiges des civilisations successives
qui ont fleuri sur son sol. Sa spécificité réside surtout dans son patrimoine chrétien. On
évalue à plus de six cents les églises et monastères d’époque byzantine conservés dans les
villages ou la campagne cappadocienne, monuments pour la plupart rupestres qui
s’échelonnent entre l’époque paléochrétienne et le XIIIe siècle. Ce patrimoine, à la fois
archéologique et spirituel, nous introduit dans l’univers des communautés villageoises et
monastiques qui vécurent au Moyen Age dans cette région.
3 Le nom de Cappadoce est apparu pour la première fois sous la forme Katpatuka pour
nommer l’une des satrapies de l’Empire perse et a été ensuite appliqué jusqu’à la fin de la
période byzantine à des réalités géographiques et administratives très variables. La région
qui nous intéresse, celle où se trouvent la plupart des monuments byzantins, est située au
centre-est du haut plateau anatolien, entre le fleuve Kizil Irmak (l’Halys des Byzantins),
au nord, Niğde au sud, Aksaray à l’ouest et Kayseri à l’est, les établissements rupestres
étant surtout concentrés aux environs d’Ürgüp et au sud-est d’Aksaray.
4 Des récits des premiers voyageurs aux « tours » organisés d’aujourd’hui, la Cappadoce n’a
cessé d’étonner explorateurs et visiteurs, séduits par l’alliance des paysages saisissants et
des monuments. Les descriptions du premier voyageur européen, Paul Lucas, chargé par
le roi de France d’un voyage d’étude en Anatolie au début du XVIIIe siècle, se heurtèrent
d’abord à l’incrédulité des contemporains, et les sites et les monuments qu’elles avaient
fait connaître retombèrent vite dans l’oubli. L’exploration de la Cappadoce ne devait
reprendre qu’un siècle plus tard, avec les voyages de Charles Texier, de William John
Hamilton, de William Francis Ainsworth, d’Anastasios M. Lévidis, pour ne citer que les
plus importants, ou encore, au début du XXe siècle, de Hans Rott. Mais ce sont les
campagnes menées entre 1907 et 1912 par le père jésuite Guillaume de Jerphanion et le
monumental ouvrage qui en résulta sur les églises rupestres et leur décor qui marquent le
début de l’étude scientifique de la Cappadoce. Depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, l’exploration s’est poursuivie, les découvertes des trois dernières décennies
ayant plus que doublé le matériel archéologique connu à l’époque de Jerphanion. Si ce
patrimoine s’accroît chaque année, invitant à compléter ou à nuancer ce que l’on pensait
acquis, il s’effrite dans le même temps, sous l’effet de l’érosion bien sûr, mais aussi sous
celui du développement du tourisme…

Le mont Argée
L’un des deux grands massifs volcaniques, qui dominent la Cappadoce, le mont Argée
(Erciyes Daği), au sud de Kayseri (Césarée), photographié ici depuis le haut plateau entre
Ṣahinefendi et Güzelöz.

Carte de la région des établissements rupestres de Cappadoce.


5 Les paysages étranges auxquels les monuments sont parce que rupestres associés dans
une relation particulièrement intime, sont dus à la formation géologique de la région. Le
haut plateau anatolien, d’une altitude de 1 000 à 1 500 m, qui s’abaisse lentement vers le
nord (Kizil Irmak) et vers l’ouest (lac Salé) est dominé par une série de complexes
volcaniques, distribués obliquement du nord-est de Kayseri au sud-ouest de Karapinar
6 (au sud d’Aksaray). Liés à la collision entre les plaques continentales afro-asiatique et
eurasiatique, ils se sont formés sur une longue période, du miocène supérieur au pliocène,
par la superposition de cendres, de lapilli, de dépôts ignimbritiques, produits par une
activité éruptive de type explosif, alternant avec l’effusion de coulées de lave basaltique et
andésitique. Les plus importants de ces complexes volcaniques sont le mont Argée
(Erciyes, 3 917 m) au sud de Kayseri, véritable emblème du pays, représenté empanaché
de fumée sur les monnaies cappadociennes d’époque romaine – son activité s’est en effet
poursuivie jusqu’à la période historique –, et le Hasan Dagi (3 253 m), près d’Aksaray. A
ces grands massifs polygéniques sont associés de très nombreux volcans monogéniques,
principalement du quaternaire. L’érosion due aux eaux de ruissellement, au gel et au vent
a ensuite modelé ces roches magmatiques et pyroclastiques – en grande partie des tufs
formés par la cimentation des cendres, lapilli et scories, amoncelés en couches épaisses
sur le socle de l’ancien plateau, – y creusant vallons ou gorges, déchiquetant la roche
friable, la plissant en côtes parallèles ou rayonnantes et donnant naissance à une
extraordinaire floraison minérale : cônes, pyramides, cheminées de fée, dômes arrondis,
flèches aiguës… La couleur variable du tuf, blanc, ocre, jaune, beige, gris, rose, violacé, en
fonction de la densité et de la composition chimique de la roche ajoute à la diversité de
ces paysages uniques au monde : elle peut être uniforme sur de grands espaces ou au
contraire alterner en lits superposés de teintes différentes.

Paysage de Cappadoce en hiver


Le massif Ak tepe et le village de Çavuşin.
7 Modelé par l’érosion, le tuf tendre a aussi été creusé par l’homme d’une multitude
d’habitations, de refuges et de dépôts souterrains, d’installations agricoles, de tunnels
destinés à canaliser les eaux, de citernes, d’églises et de monastères. Dans quelle mesure
la densité de ces établissements, qui n’ont sûrement pas tous été en usage en même
temps, reflète-t-elle l’importance de la population rurale à l’époque byzantine ? On a
souvent décrit la Cappadoce comme une région aride et déshéritée, ce qui n’est vrai de
nos jours que pour certaines parties, et ce qui ne l’était sûrement pas dans l’Antiquité et
au Moyen Âge. Si aujourd’hui le haut plateau est par endroits uni et désolé, ce n’est pas le
cas partout; de larges vallées cultivées l’entaillent, tandis que, dans les vallons et ravins
étroits, la verdure mêle partout ses tons à ceux de la roche. La Cappadoce médiévale,
comme la Cappadoce antique, était encore plus largement cultivée et son peuplement
devait être important. La fertilité des sols volcaniques, l’abondance des eaux de
ruissellement, un système d’irrigation élaborée avaient permis la mise en valeur de la
terre et le développement d’une vie rurale active, malgré un climat continental très rude,
aux fortes variations interannuelles : hiver glacial et enneigé, été brûlant et sec. Bien
qu’emphatique, la description que nous a laissée Grégoire de Nysse de la « sainte
Ouanôta », que l’on peut identifier à l’actuelle Avanos, au bord du Kizil Irmak, est
évocatrice : « en bas, le fleuve Halys, embellissant l’endroit de ses rives escarpées, brille
comme un galon d’or sur une longue robe de pourpre grâce au limon qui rougit ses flots.
En haut, une vaste montagne boisée s’étend le long d’une grande arête couverte de tous
côtés d’une chevelure de chênes […] Descendant le long de la pente, la garrigue qui a
poussé d’elle-même rejoint les champs cultivés au pied de la montagne, car tout aussitôt
des vignes déployées le long des coteaux, des plaines et des ravines du bas de la
montagne, comme un manteau de couleur verte, couvrent toute l’étendue qui se trouve
là. » Grégoire décrit aussi les vergers : « Homère n’a pas vu le pommier aux fruits
éclatants que nous avons ici, qui reprend la couleur de ses propres fleurs grâce à
l’intensité de la teinte de ses fruits ; il n’a pas vu le poirier plus blanc que l’ivoire qu’on
vient de polir. Et que pourrait-on dire de la variété et de la diversité des pêches, mélange
et combinaison de diverses espèces ? ». Les renseignements que l’on peut tirer des textes
et de l’observation de la réalité présente permettent de se faire une idée de la vie rurale à
l’époque byzantine, idée bien sûr approximative car l’on ignore la part des cultures et
animaux acclimatés ou multipliés par les Turcs après la conquête. Cultures vivrières dans
les jardins, où poussent légumes et légumineuses, vergers plantés d’arbres fruitiers
(pommiers, poiriers, abricotiers, pruniers, pêchers, amandiers, etc.), vigne, mais aussi
culture extensive de céréales, pâturages, composent le paysage rural de la Cappadoce.
Perfectionné par les Seldjoukides, un système d’irrigation existait dès l’époque byzantine ;
tout le monde ne pouvait pas, comme Eustathe Boïlas (vers 1050) en un lieu situé entre la
Cappadoce et Edesse, faire construire des canalisations pour arroser jardins et prairies,
mais les paysans devaient déjà canaliser les eaux dans de profonds tunnels de drainage,
taillés dans le tuf, capter les sources, aménager des citernes, creuser des collecteurs. De
tels aménagements, destinés au contrôle hydrogéologique de la région, existent dans la
plupart des vallées et l’avancement de l’érosion atteste leur ancienneté : ils remontent
vraisemblablement à l’époque byzantine, sinon plus tôt… Les installations agricoles
conservées en Cappadoce n’ont encore fait l’objet d’aucune étude scientifique, qui serait
pourtant susceptible d’apporter un éclairage intéressant sur la vie rurale de la région au
Moyen Age. Ainsi, il n’est pas exclu que certaines salles aménagées pour la pressure du
raisin et la production de vin remontent à l’époque médiévale, de même peut-être que des
ruchers, la récolte du miel étant essentielle pour l’alimentation. Les pigeonniers, si
caractéristiques du paysage cappadocien actuel, semblent surtout s’être multipliés à
l’époque post-byzantine, mais ils existaient sans doute avant, l’utilisation du guano pour
fertiliser les sols étant attestée de longue date. L’élevage, activité d’appoint indispensable,
fournissait la force de travail – les animaux tirant l’araire et la charrette – les moyens de
transport et de déplacement, mais aussi un supplément lacté et carné à l’alimentation et
la matière première des vêtements et des tapis, ces derniers mentionnés déjà sous
Dioclétien. Aux chevaux de Cappadoce, réputés depuis l’Antiquité, s’ajoutaient mulets et
ânes, troupeaux de bovins et d’ovins, animaux de basse-cour ; l’élevage des moutons et
des chèvres, développé par les tribus turques, n’a pas été introduit par elles. Les fresques
des églises byzantines conservent d’ailleurs des images d’animaux, qui paraissent
inspirées par la réalité quotidienne, qu’il s’agisse d’onagres, de moutons marqués d’une
tache brune ou de chèvres. Parmi les activités attestées depuis les premiers siècles
figurent, outre l’agriculture et l’élevage, l’industrie textile, la sidérurgie et la céramique
(poteries, briques).

Paysage près d’Avcilar (Göreme), dans le quartier de Karşibecak


8 Ni aride ni pauvre, la Cappadoce n’était pas non plus – quelle qu’ait été la précarité des
communications à l’époque byzantine – un bastion isolé : les routes militaires et
commerciales reliant Constantinople à l’Orient convergeaient sur Césarée (Kayseri), la
grande métropole régionale, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de la région des
vallées volcaniques, tandis que les deux routes reliant les aplekta de Koloneia (Aksaray) et
Césarée passaient l’une au nord, par Zoro-passos (Gulçehir), puis le long de l’Halys et par
Venasa (Avanos), l’autre, au sud, par Nazianze, Malakopea (Derinkuyu) et Kyzistra. À
Koloneia (Aksaray), la route reliant Constantinople à la Cilicie et à la Syrie (par les portes
de Cilicie) croisait la voie menant d’Ikonion (Konya) à Sébaste (Sivas), via Césarée, où
passaient aussi le grand axe ouest-est menant d’Ancyre (Ankara) à Mélitene et l’axe
nord-sud d’Amisos à la Cilicie. La Cappadoce occupait donc une situation stratégique, au
carrefour des grands itinéraires nord-sud et ouest-est de l’Empire. Les monuments
conservés sont pour la plupart à l’écart de ces grandes voies de passage et des métropoles,
d’ailleurs peu nombreuses, où les destructions ont dû être les plus importantes ; ils sont
proches, en revanche, des petites agglomérations auxquelles les communautés
monastiques étaient unies par des liens étroits.
9 Les témoignages parvenus de l’époque byzantine sont pour la plupart rupestres, excavés
dans le tuf, alors que les édifices construits, sans doute moins nombreux mais plus riches,
ont presque tous disparu. Adaptée au milieu physique, l’architecture rupestre, soumise
surtout à l’action lente mais inéluctable de l’érosion (encore que l’action néfaste de
l’homme les touche aussi), doit à sa solidarité avec le rocher d’avoir souvent survécu
jusqu’à nos jours. Le recours à l’excavation palliait la pénurie de bois consécutive aux
déboisements de la fin de l’Antiquité : Strabon, déjà, déclare que la Cappadoce manque de
bois un peu partout, sauf sur les flancs du mont Argée, couvert de forêts de chênes
(Géographie XII, 2.7). La nature de la roche – tuf tendre, facile à travailler – se prêtait à
l’aménagement de locaux, qui avaient l’avantage d’être isolés à la fois de la forte chaleur
estivale et de la rigueur de l’hiver: pièces d’habitation, installations défensives, religieuses
et agricoles furent ainsi taillées dans le rocher. Cette tradition – qui n’est pas propre à la
seule Cappadoce – a d’ailleurs été signalée par plusieurs auteurs antiques et médiévaux,
tels Varron, dans son Économie rurale (I, 57), qui mentionne les greniers souterrains
servant en Cappadoce à conserver le blé, ou Léon le Diacre, au Xe siècle, qui rappelle que
les habitants de Cappadoce étaient appelés troglodytes parce qu’ils vivaient dans des
cavernes. L’excavation était économique, ne requérant pas d’autre matériel que des outils
pour creuser la roche, éventuellement des poutres de bois pour des échafaudages
sommaires et des brouettes pour l’évacuation des gravats. Aucun texte ne décrit les
techniques anciennes, mais les procédés encore en usage aujourd’hui permettent de s’en
faire une idée. On devait creuser d’abord un tunnel s’enfonçant dans le rocher jusqu’au
centre de la salle à excaver, que l’on dégageait ensuite à partir de ce point, en laissant
éventuellement en réserve les colonnes ou piliers prévus au centre. Des supports en bois
étaient installés pour permettre l’excavation des parties hautes et l’on taillait ensuite,
quand il s’agissait d’églises ou de salles élaborées, les détails architecturaux, du haut
(voûtes, coupoles) vers le bas (pilastres, arcatures, aménagements liturgiques) et du fond
vers l’extérieur, en évacuant au fur et à mesure les gravats. De petites équipes d’artisans
suffisaient pour effectuer ce travail, mais ceux-ci devaient être suffisamment qualifiés et
expérimentés pour ne pas commettre d’erreurs de taille irréversibles. Le maître d’œuvre
avait probablement ce titre de maïstor que l’on trouve dans quelques inscriptions ou
graffiti, comme celui tracé dans le vestibule du monastère de Bezir Hane, près d’Avcilar,
qui mentionne le « maïstor Nicétas, du village de Saint-Théodore ». Si la technique de
l’excavation ne donne pas droit à l’erreur, elle autorise une certaine souplesse dans
l’interprétation des modèles et la possibilité de créer des formes originales résultant soit
de la nécessaire adaptation à un site donné, soit de la combinaison de traits
correspondant dans l’architecture construite à des types différents, soit encore du désir de
créer des formules irréalisables en architecture maçonnée. Pourtant, dans la plupart des
cas, les architectes excavateurs restent fidèles aux modèles typologiques établis,
reproduisant les éléments architectoniques habituels – arcs, pilastres, colonnes,
chapiteaux, voûtes, coupoles… – bien que ceux-ci ne soient nullement nécessaires à la
statique de l’édifice.
Le site de Zelve
Au premier plan, les cônes de tuf modelés par l’érosion et creusés par l’homme.
10 Réponse naturelle à l’environnement et aux conditions géologiques locales, l’excavation a
été pratiquée de tous temps et l’est encore aujourd’hui ; dans certaines zones, les salles
rupestres ont été, au cours des siècles, réaménagées, agrandies ou remaniées pour être
utilisées à d’autres fins (pigeonniers, remises, granges, pressoirs à vin, etc.): dates et
fonctions primitives sont alors bien difficiles à préciser. Les modifications provoquées par
l’usage prolongé des locaux s’ajoutent donc aux effets de l’érosion. Le très grand nombre
d’établissements rupestres conservés en Cappadoce ne doit pas masquer, en effet, les
limites de cette documentation archéologique. L’habitat rural byzantin nous reste presque
totalement inconnu : les maisons construites ont disparu, l’habitat rupestre, souvent
réoccupé et remanié, est très difficile à dater. Particulièrement intéressantes à cet égard
sont les recherches menées depuis peu autour de Çanh kilise (région d’Aksaray), qui ont
permis de mettre en évidence l’existence d’une ville byzantine en grande partie rupestre,
avec ses maisons et ses monastères. Bien que subsistent ici ou là des forteresses, des
ponts, des routes, des installations agricoles, ce sont les églises et les monastères qui ont
jusqu’à présent surtout retenu l’attention des chercheurs, bien qu’ils n’aient jamais fait
l’objet de fouilles archéologiques scientifiques. En attendant qu’une collaboration plus
étroite entre historiens, archéologues, historiens d’art et épigraphistes permette une
synthèse des données documentaires disponibles, la présentation du patrimoine
cappadocien, à la lumière des connaissances actuelles, peut sinon éclairer les aspects
matériels de la vie quotidienne, du moins aider à retrouver un peu de l’esprit des lieux à
l’époque byzantine…

© CNRS Éditions, 1997

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. Le patrimoine chrétien de la Cappadoce In: La Cappadoce: Mémoire de
Byzance [online]. Paris: CNRS Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet:
<http://books.openedition.org/editionscnrs/925>. ISBN: 9782271078650.

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. La Cappadoce: Mémoire de Byzance. New edition [online]. Paris: CNRS
Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet: <http://books.openedition.org
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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

Les plus anciens


monuments : la vie
religieuse à l’époque
protobyzantine
p. 14-29

Full text
1 Alors que des témoignages archéologiques, principalement funéraires, des époques
hellénistique et romaine nous sont parvenus, qui n’ont d’ailleurs pas encore reçu toute
l’attention qu’ils méritent, aucun monument chrétien ne semble conservé en Cappadoce
avant le Ve-VIe siècle. Pourtant, les sources attestent la continuité du peuplement entre
l’Antiquité et l’époque byzantine, la diffusion précoce du christianisme et une activité de
construction importante dès le IVe siècle. Certes divisé, en raison de la prolifération des
sectes et des hérésies, le christianisme est alors bien implanté en Cappadoce – la
littérature patristique en témoigne – même si, ici ou là, se manifestent encore des
survivances du paganisme. C’est le cas, vers 370, à Venasa (l’actuel Avanos), qui avait été
dans l’Antiquité la seconde ville sacrée de Cappadoce et le centre du culte de Zeus
Ouranios : un diacre tenta d’y rétablir les antiques panégyries, dévoyant la jeunesse de la
ville et organisant cortèges et danses, au grand scandale de Grégoire de Nazianze et de la
communauté chrétienne. Déjà grand centre de formation théologique au IIIe siècle,
Césarée, la métropole régionale, acquiert dans la seconde moitié du IVe siècle, grâce aux
Pères de l’Église cappadociens Basile de Césarée, Grégoire de Nysse et Grégoire de
Nazianze, un extraordinaire rayonnement spirituel. De nombreux chorévêques sillonnent
les campagnes, le seul évêché de Césarée n’en comptant pas loin d’une cinquantaine, et
Basile se plaint qu’ils aient ordonné prêtre n’importe qui. Une province prospère et
populeuse, une communauté chrétienne bien implantée, un clergé villageois relativement
nombreux et de condition modeste, qui se recrutait parmi les gens du cru : tout cela
suppose l’existence de lieux de culte, déjà nombreux si l’on en croit la lettre (citée en
exergue de notre introduction) dans laquelle Grégoire de Nysse essaie de dissuader les
moines d’entreprendre le pèlerinage en Terre Sainte en invoquant le grand nombre de
sanctuaires existant en Cappadoce. Si elle comptait des églises publiques, des oratoires
privés, des ermitages et des couvents, dont le nombre est bien difficile à évaluer, la
Cappadoce était aussi au IVe siècle riche en martyria. Plusieurs s’élevaient dans les
faubourgs de Césarée, comme ceux du berger cappadocien Mamas, de saint Eupsychios,
de saint Gordios, de sainte Julitte ou encore des Quarante Martyrs de Sébaste ; le
martyrium de saint Mercure, qui n’est mentionné qu’à partir du VIe siècle, remontait sans
doute aussi à une haute époque. Dans une lettre adressée à l’évêque d’Iconium (Konya)
pour lui demander des ouvriers, Grégoire de Nysse décrit, bien qu’il n’existe pas encore,
un martyrium – dont on ignore le titulaire – qu’il projetait de construire à Nysse ;
l’évêque participe activement à l’entreprise : c’est lui qui recrute les ouvriers, lui aussi qui
finance le chantier et choisit les matériaux en fonction de ses possibilités, lui enfin qui
précise les termes du contrat à proposer aux ouvriers. Le culte des martyrs était donc
florissant, et la célébration de leurs fêtes, qui attirait en grand nombre les habitants des
environs, était l’occasion de marchés et de foires.

Hagios Stéphanos
Église funéraire du monastère de l’Archangélos, près de Cemil : vue vers l’abside. Au
plafond de la nef, des tapis d’ornements, avec, dans la partie orientale, une croix ; sur les
parois, des panneaux votifs, partiellement repeints (VIIe -IXe s. ?).
2 De tous ces sanctuaires, il ne reste rien, non plus que de la fameuse Basiliade fondée par
Basile près de Césarée, vaste complexe d’hôtelleries pour les voyageurs et d’hospices pour
les pauvres et les malades. De même, c’est seulement par les sources littéraires que l’on
connaît l’existence de riches villas suburbaines, telles celle située à Macellum, près de
Césarée, lieu d’exil de l’empereur Julien, ou celle de Ouanôta (Avanos), appartenant à un
certain Adelphios, ami de Grégoire de Nysse. La description enthousiaste qu’en a laissée
ce dernier nous apprend qu’elle était pourvue de tours (probablement défensives) et
qu’elle présentait une cour intérieure bordée sur trois côtés d’un portique à colonnes, avec
au centre un bassin peuplé de poissons ; une spacieuse salle de réception, richement
décorée, s’ouvrait sur cette cour. À cette demeure était associée, un peu à l’écart, une
chapelle privée.
3 La Cappadoce protobyzantine avait aussi ses icônes vénérées : dès le VIe siècle, celles-ci,
appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans la vie publique et dans la dévotion
privée, se multiplient à Byzance et les légendes concernant les images miraculeuses
prolifèrent. Il existait en Cappadoce, à l’époque de Justinien, au moins deux portraits
acheiropoietes (qui ne sont pas faits de la main de l’homme) du Christ. Le récit le plus
ancien (v. 560 apr. J.-C), connu à travers une traduction syriaque, rapporte comment une
femme païenne aperçut un jour dans le bassin de son jardin à Kamuliana, près de
Césarée, une image du Seigneur peinte sur un linge. L’ayant sortie de l’eau, elle constata
qu’elle n’était pas mouillée, la mit dans son voile pour la montrer à l’homme qui
l’instruisait, et en obtint ainsi une réplique exacte, le portrait s’étant imprimé sur son
voile. L’une de ces deux images fut transportée à Césarée, l’autre, d’abord conservée à
Kamuliana, où une église fut construite en son honneur, fut transférée à Constantinople
en 574 ; devenue l’un des « défenseurs spirituels » de la capitale, elle fut utilisée comme
palladium dans les guerres contre les Perses. Intermédiaires efficaces entre les hommes et
Dieu, les icônes sont dotées de pouvoirs miraculeux, liés à la croyance en la présence du
saint représenté dans l’image ; une valeur protectrice, prophylactique, mais aussi
curative, leur est attachée et l’on s’adresse à elles pour être préservé de tout mal ou guéri
de ses maladies. Icônes cultuelles ou peintures plus didactiques décorant les églises, les
images -intermédiaires privilégiés qui élèvent l’homme à la connaissance du monde
suprasensible – jouaient sans doute dans la vie religieuse de la Cappadoce
paléochrétienne un rôle plus important que ne le laissent soupçonner les vestiges
conservés.

Un grand établissement rupestre aux environs d’Avanos : le


« saray » d’Özkonak
4 Plusieurs monuments des Ve et VIe siècles, construits (Comana, Göreme d’Argée, Eski
Andaval, etc.) et rupestres (près de Çavuşin, à Zelve, Balkan dere, etc.), sont conservés,
qui témoignent à la fois de l’existence d’une tradition artistique locale bien développée et
des liens de la région avec la Syrie et la Palestine ; jusqu’au concile de Chalcédoine, en
451, qui la rattacha au patriarcat de Constantinople, la chrétienté cappadocienne était en
effet dépendante d’Antioche et elle continuera longtemps à entretenir des liens privilégiés
avec la Syrie. Parmi les monuments rupestres les plus anciens, plusieurs peuvent être mis
en relation avec le rayonnement de Venasa (Ouanôta/Avanos) dotée dans l’Antiquité
d’une grande architecture civile et religieuse et encore très florissante à l’époque
patristique. Non loin, près du village d’Özkonak (autrefois Genezin), au nord du Kizil
Irmak (Halys), dans une zone où l’on a aussi retrouvé des vestiges d’époque romaine, se
dresse encore – mais pour combien de temps ? – un des complexes rupestres les plus
impressionnants de la région, ce qui lui vaut l’appellation locale de « saray » (palais), bien
qu’il s’agisse, plus vraisemblablement, d’un établissement monastique. Établi près d’une
rivière, il comporte comme noyau central quelques hautes salles voûtées, excavées autour
des trois côtés d’une cour, qui domine le vallon ; les massifs rocheux encore conservés sur
le côté sud de la cour permettent d’envisager l’hypothèse d’une cour jadis fermée, clôture
naturelle, dont l’entrée se trouvait probablement – comme aujourd’hui – vers l’angle
sud-est. Au fond (au nord) se dresse un portique monumental composé de trois arcades
très élancées, dont une seule est conservée, donnant sur un haut couloir voûté. Au centre,
s’ouvre une grande salle (11 x 4 m), pourvue d’une entrée monumentale, dont on peut
penser, vu sa localisation et son importance, qu’elle servait de salle de réunion ou de
réfectoire. Au fond de la pièce, un étroit couloir, primitif, mène à une salle rectangulaire
voûtée, très fraîche, qui faisait peut-être office d’aire de stockage pour la nourriture ; le
couloir pouvait être obturé par une meule de pierre, que l’on roulait en travers. À
l’extrémité orientale du portique, séparée de la salle principale par une pièce plus petite,
de fonction indéterminée, se trouve l’église, dont la porte est surmontée d’une croix
sculptée. La nef basilicale, assez étroite mais très haute, est bordée d’épais piliers carrés,
ornés d’une colonnette dans le champ creux médian – comme on le voit dans des
monuments du Bas Empire –, tandis que moulures et chapiteaux évoquent l’architecture
paléochrétienne de Syrie. Encadrant le portique, sur les côtés ouest et est de la cour,
s’ouvrent des passages voûtés, plus bas, surmontés chacun d’une pièce à plafond. Au
rez-de-chaussée sont excavées deux grandes salles voûtées, dans la partie occidentale,
dont l’une est pourvue au bas des parois de niches cintrées, qui pouvaient servir de
sièges : c’est là encore un type de salle (de réunion ? d’étude ?) courant dans les
installations monastiques de Cappadoce. Une pièce plus petite pourvue de quelques
niches-placards est excavée, en face, près de l’église.
Le complexe rupestre d’Özkonak (VIe s. ?)
Sur ce plan approximatif n’est représenté que le niveau principal, où salles et
église sont excavées autour d’une cour (N. Lemaigre-Demesnil, d’après N.
Thierry).

L’établissement rupestre d’Özkonak


En haut : Vue générale du site ; à gauche, près du lit de la rivière, un premier niveau de
salles ; au-dessus de la cour, à flanc de colline apparaît le niveau supérieur, où se trouvent
des aménagements funéraires.
En bas : Vue de la partie centrale, vers le nord, avec au centre, a gauche de la seule arcade
du portique conservée, l’entrée de la salle principale
À droite : Vue intérieure, vers l’ouest, de l’église du complexe d’Özkonak.
5 Plusieurs salles rupestres, aujourd’hui fort érodées et ensablées, sont creusées au-dessous
et au-dessus du noyau central du monastère, vers l’ouest. Un premier niveau inférieur
comporte plusieurs pièces indifférenciées, communs ou resserres, tandis que plus bas et
plus à l’ouest, près du lit de la rivière, se trouvent les restes d’un habitat (salles et cuisine).
Sans doute le monastère était-il à la tête d’une exploitation agricole, mais l’on ne repère
plus les limites de ses domaines. À un niveau supérieur, sous la table du plateau et à
l’arrière du noyau central, sont encore excavées toute une série de pièces rectangulaires et
une église à deux absides, d’un type fréquent sur les sites funéraires. Il est possible que la
nécropole du monastère ait été établie dans ces parages, mais l’ensablement ne permet
pas de repérer avec certitude arcosolia et tombes.
6 Par l’ampleur des proportions, la hauteur des voûtes et du portique, l’emploi généralisé de
la voûte en berceau pour couvrir des salles très hautes et très grandes, le type
architectural de l’église et son décor, le complexe monastique d’Özkonak peut être
attribué au VIe siècle.

Une basilique de pèlerinage : Saint-Jean-Baptiste de Çavuşin


7 C’est également au rayonnement d’Avanos que l’on peut attribuer la multiplication aux
e e
V -VII siècles des établissements rupestres dans les vallons et falaises de la rive sud du
Kizil Irmak. Dans le cirque de Zelve, à 5 km au sud-est d’Avanos, s’est développé un
centre de peuplement rural, tandis que dans les vallons et ravins propices à la retraite qui
entaillent le massif de Çavusin (Güllü dere, Kizil Çukur, Zindanönü, Meskendir,
Kavaklidere) s’installaient ermites et moines. Ceux-ci furent peut-être attirés dans la
région par les reliques insignes qui étaient conservées dans la basilique Saint-
Jean-Baptiste, qui domine le village de Çavuşin. Creusée sous une nécropole qui occupe le
sommet de la falaise, bien en vue, elle a dû jouer un rôle important, comme basilique
martyriale, dans la vie religieuse locale : son emplacement, ses dimensions, son
aménagement liturgique et son décor en témoignent aujourd’hui encore, malgré la
précarité de son état de conservation. Par ses caractéristiques architecturales, elle s’inscrit
aisément dans la tradition monumentale antique et protobyzantine de la région, et
présente aussi des points communs avec les églises contemporaines de Syrie. Le portique
à trois colonnes qui, jadis, signalait de loin la présence du sanctuaire et dont la dernière
colonne s’est écroulée en 1975, ressemblait à la façade des tombeaux antiques conservés
dans les environs. Les chapiteaux à volutes, dérivés du ionique, les arcs en plein cintre
cernés d’un corps de moulures plates, la frise sculptée de denticules ioniques,
l’encadrement mouluré des portes évoquent à la fois les façades des monuments antiques
et protobyzantins d’Asie Mineure (églises construites de Göreme d’Argée, Tomarza,
Skupi) et certaines façades syriennes des Ve-VIe siècles. L’intérieur de l’édifice, dont
l’articulation ne présente pas de correspondance avec la façade, est spacieux et pouvait
accueillir une foule nombreuse : en cela, la basilique de Çavuşin, comme en général les
églises protobyzantines, se distingue bien des fondations médiévales, souvent privées, et
destinées à un nombre peu important de fidèles. La nef centrale, presque carrée, est
couverte d’un plafond jadis sculpté d’une croix ; deux colonnades sur stvlobates –
aujourd’hui obturées – la séparaient d’un collatéral nord à abside et d’une annexe sud. Du
côté nord, des plaques de chancel fermaient les entrecolonnements, disposition
certainement dictée par la nécessité de séparer différentes catégories de fidèles, tandis
que du côté sud s’ouvre une salle plus courte, pourvue au plafond et sur le haut de sa
paroi est d’un décor sculpté. La partie orientale du vaisseau principal, légèrement
resserrée, correspond à l’espace du bêma (sanctuaire) réservé au clergé, comme
l’indiquent les communications établies au nord avec l’abside du collatéral, au sud avec
des pièces pourvues de niches et servant vraisemblablement de sacristie (diakonikon).
Mais l’aménagement le plus intéressant de cette basilique est celui de l’abside de la nef
principale. Au centre, la banquette qui longe la paroi, sorte de synthronon rudimentaire
pour le clergé, s’interrompt pour laisser place à un trône large au siège élevé. Au-dessus,
une croix sculptée dans un médaillon. Devant le trône, creusée dans le sol, une fosse à
reliques rectangulaire, que fermait jadis une dalle, accessible à l’ouest – comme dans la
tradition palestinienne – par trois marches, et à l’est par une cavité triangulaire
permettant l’accès aux reliques. L’autel n’est pas conservé. La fosse à reliques de Çavuşin
est la plus grande et la mieux aménagée conservée en Cappadoce, mais d’autres subsistent
ici ou là, comme dans l’église Saint-Théodore (Pancarlik kilise), près d’Ürgüp, surtout
connue pour ses peintures du Xe siècle, mais dont l’excavation et le décor sculpté
remontent à l’époque protobyzantine. Ces aménagements, comme aussi, à Çavuşin,
l’usure du rocher par la corde qui descendait encensoirs et eulogies, témoignent de
l’importance du culte des reliques dans ces basiliques paléochrétiennes.
La basilique Saint-Jean-Baptiste
Église creusée sous le sommet de la falaise dominant le village de Çavuşin ; vue
axonométrique, montrant ce qui restait jusqu’en 1975 du portique à colonnes de la façade
(d’après Arts de Cappadoce, p. 88, fig. 45).
Saint-Jean-Baptiste de Çavuşin
Détail de la façade, avant son effondrement : frise de denticules au-dessus des grandes
arcades cernées d’un corps de moulures plates et partie supérieure du chapiteau à volutes.
8 La mention de « Jean le Prodrome » dans l’inscription mutilée longeant l’arc absidal
suggère une dédicace de l’église à saint Jean-Baptiste, hypothèse confortée par la
représentation sur le mur sud, à droite de l’abside, du festin d’Hérode, de la danse de
Salomé et de la mort de Jean. Des reliques de saint Jean-Baptiste se trouvant à Césarée au
début du IVe siècle, il n’est pas impossible que l’une d’elles ait été acquise et conservée à
Çavuşin. Le Prodrome jouit d’ailleurs d’une vénération importante en Cappadoce, dans la
tradition primitive du christianisme oriental de Palestine, de Syrie et de Mésopotamie : le
rôle d’Antioche et de la Syrie dans la fondation des communautés chrétiennes de
Cappadoce a probablement favorisé le développement de ce culte. Autre possibilité, qui
d’ailleurs n’exclut pas la première : la fosse abriterait la main de Hiéron, saint martyr
originaire de la toute proche Matiane (devenue successivement Maçan, Avcilar et
Göreme). On sait par sa Passion rédigée à la fin du Ve ou au début du VIe siècle, que
Hiéron, jeune viticulteur enrôlé de force dans les armées de Dioclétien, fut martyrisé à
Mélitene pour avoir refusé d’abjurer sa foi. Sa main, coupée de son vivant, fut renvoyée à
sa mère, en Cappadoce, afin de servar « à la plus grande gloire de la foi inaltérable des
Cappadociens ». La légende a sans doute été créée pour accréditer le culte d’un saint local
et de sa relique. La basilique de Çavuşin fut-elle le martyrium de saint Hiéron ? Sa
situation, proche de Matiane comme de Korama (Göreme), est en tout cas conforme aux
données textuelles et, dans cette même région sont conservées la plupart des images de
saint Hiéron, qui témoignent de la permanence – ou du renouveau ? – de son culte après
l’époque des raids arabes et de l’iconoclasme.
Saint-Jean-Baptiste de Çavuşin
Intérieur de l’abside principale avec au centre, creusée dans le sol, la fosse aux reliques ;
au fond, interrompant le synthronon, le trône sous un médaillon sculpté contenant une
croix.
9 Il reste très difficile d’évaluer le degré de célébrité du sanctuaire de Çavuşin : cette
basilique martyriale drainait-elle des pèlerins seulement locaux ou sa réputation
s’étendait-elle plus loin ? Conséquence sans doute des attaques répétées des Arabes
frontaliers, l’église fut abandonnée, puis médiocrement réaménagée, sur une échelle plus
modeste, au IXe siècle vraisemblablement : les colonnades furent alors murées et une
porte ouverte au sud, près de la paroi occidentale, tandis que l’on condamnait la porte
principale et que l’on rétrécissait la porte nord.
10 Des peintures décoraient l’église, dont ne subsistent que de pauvres fragments de
datation délicate (VIIe-IXe siècles ?). Elles ont fait l’objet de déprédations récentes :
badigeon vert sur certaines, rayures sur d’autres. Dans la voûte de l’abside, une vaste
composition célébrait le triomphe du Christ adoré par quatre anges, sous l’image de la
croix et entre le Soleil et la Lune personnifiés. Au registre inférieur, la grande croix
inscrite dans un cercle, sculptée au-dessus du trône, est encadrée par deux panneaux très
abîmés, qui contenaient un ange en adoration vers la croix, à gauche, et saint
Jean-Baptiste, à droite, titulaire probable de la basilique. Une série de figures en pied (les
apôtres et la Vierge et Jean-Baptiste) fut ensuite peinte sur ce registre, ainsi que le
Baptême et la Transfiguration aux extrémités, épisodes de la vie du Christ lors desquels
s’est révélée sa nature divine. D’autres scènes, évoquant l’Enfance, la Passion et la
Résurrection, décoraient la partie orientale de la net, où se trouve aussi, sur le mur sud, le
tableau illustrant le festin d’Hérode, la danse de Salomé et la mort du Prodrome.
Quelques panneaux votifs, dispersés sur les parois de la nef, témoignent de la
fréquentation du lieu : saint Georges sur le mur sud, les Trois Hébreux dans la fournaise
et le Sacrifice d’Abraham sur le mur ouest, Vision d’Eustathe, hâtivement dessinée, dans
l’angle nord-est.
Saint-Jean-Baptiste de Çavuşin
Mur nord du vaisseau principal : à gauche (à l’est), dans l’espace du sanctuaire :
représentations de l’Incrédulité de Thomas en haut et, plus bas (au-dessus de la porte
menant dans une sacristie), du Festin d’Hérode avec la danse de Salomé et la mort de
Jean-Baptiste.

Le culte de la croix à Zelve


11 Si la basilique de Çavuşin conserve le souvenir du culte rendu aux reliques ses saints, le
centre voisin de Zelve, dont le développement semble à peu près contemporain ( VIe
siècle), témoigne de l’intensité dans la région – comme d’ailleurs dans l’ensemble du
monde chrétien primitif – du culte de la croix, dans la tradition de la liturgie de
Jérusalem. Cela ne surprend pas, compte tenu des liens étroits entre la Cappadoce et la
Terre Sainte ; malgré les recommandations de Grégoire de Nysse – « Conseille aux frères,
mon cher, de quitter leur corps pour aller vers le Seigneur, et non la Cappadoce pour aller
en Palestine » (Lettre 2,18) –, le flot des pèlerins de Cappadoce en Terre Sainte ne s’est
pas tari et la décoration des églises reflète l’importance de la dévotion portée au signe de
la Passion du Christ et de sa victoire sur la mort. Mais à Zelve, cette stavrophilie
s’accompagne d’une tendance à l’aniconisme (absence de représentations figurées) qui
n’est pas dans la tradition du patriarcat chalcédonien de Jérusalem, et dont l’origine reste
incertaine. Reflète-t-elle la réticence du christianisme primitif à l’égard des images, qui se
fondait à la fois sur de nombreuses références scripturaires (Exode 20, 4-5, Lévitique
26,1, haïe 40, 18, etc.) et sur le souci de se démarquer des païens ? Est-elle liée à
l’influence du monophysisme, qui fut fortement implanté en Cappadoce, neuf sièges
épiscopaux ayant été temporairement occupés par des monophysites au début du VIe
siècle ? Bien que cette hérésie n’ait manifesté aucune opposition doctrinale aux images,
une série d’églises protobyzantines de Syrie du Nord (patriarcat d’Antioche) et de
Mésopotamie (Tur’ Abdin), hauts lieux du monophysisme et régions géographiquement
proches de la Cappadoce, sont en effet, comme plusieurs sanctuaires de Zelve,
caractérisées par une décoration non figurative exaltant la croix. Il faut rappeler enfin que
les centres ruraux de Cappadoce ont de tous temps constitué un terrain propice à
l’éclosion ou à la survie d’hérésies marginales et de sectes : la diffusion d’une tradition
décorative non figurative pourrait exprimer la réserve de ces mouvements à l’égard des
images prônées par les Chalcédoniens, à moins qu’il ne s’agisse que d’une tradition locale
« neutre », sans connotations sectaires particulières…
12 Quelle que soit son origine, une même inspiration stavrophile et aniconique caractérise le
décor de plusieurs églises de Zelve. À l’entrée de l’une d’elles, la n° 2 est peinte, au-dessus
de la porte, une croix latine sous arcade ; deux autres croix encadraient l’entrée. À gauche
est tracée l’invocation d’un certain Nicétas, qui adresse ses prières au « signe divin, porte
du Paradis, qui lave des péchés, force des faibles, que les nations invoquent, arme
invincible, qui glace le mépris, Bois trois fois bienheureux ». À droite, une autre
inscription précise : « Cette porte est celle de la Sainte Trinité ; c’est par elle que les justes
entrent. » Croix et inscriptions sont difficiles à dater, mais peuvent être contemporaines
de l’excavation de l’église, que l’on peut placer, compte tenu de ses caractéristiques
architecturales et de son décor sculpté, au VIe siècle. Elle se présente comme une large
basilique voûtée d’un berceau légèrement évasé – la voûte se raccordant aux murs par un
encorbellement à deux degrés – avec une abside nettement surélevée par rapport à la nef,
dont l’autel comporte à sa base, sur sa face postérieure, une petite cavité à reliques. Le
décor est sobre, consistant en une frise continue de moulures (longeant les arcades des
niches creusées dans les parois latérales et se poursuivant entre elles horizontalement), en
frises de zigzag et en croix sculptées. Deux d’entre elles – grandes croix grecques, inscrites
sur un disque -encadrent l’entrée, tandis que des croix de Malte, entourées d’un cercle de
zigzag, occupent les écoinçons entre les niches du mur nord. Dans la partie ouest de
l’église, au sud, l’aménagement post-byzantin d’un pressoir à vin et de cuves a souvent été
décrit à tort comme une installation baptismale ancienne, d’où l’appellation actuelle du
monument : Vaftizci kilise.
13 Le plus important sanctuaire de Zelve semble avoir été l’église n° 4, dont les vastes
dimensions, la typologie et le décor indiquent l’ancienneté ( VIe siècle ?) Elle est appelée
localement Balikli kilise / Üzümlü kilise (église aux poissons / église aux raisins), en
raison du décor de poissons du mur est de la nef sud et de rinceau de vigne de l’abside
nord. Il s’agit d’une basilique à plafond, pourvue de trois absides, qui communique au
nord avec une chapelle annexe. À l’exception d’une médiocre composition figurée, dont il
ne reste que l’image de saint Joseph, dans l’abside du parecclèsion, le décor consiste en
images de la croix et en ornements simples, géométriques et végétaux. Une grande croix
est sculptée au plafond des deux nefs, d’autres sont peintes sur les parois (croix de Malte
sur des disques en méplat, croix latines sous arcades) ; au-dessus de l’abside centrale, une
croix accostée par deux poissons – composition conforme à la symbolique du
christianisme primitif.

Zelve, église n° 2
Extrémité sud-ouest de la nef, montrant une partie du décor sculpté (corps de moulures
longeant les arcades, frise de zigzag en haut du mur nord, croix dans un cercle sur le mur
ouest).
14 Dans l’abside sont creusées trois niches, présentant chacune une croix en son centre,
l’ensemble évoquant sans doute les trois croix du Golgotha. Celle du centre, plus profonde
et plus large, semble avoir été destinée à l’encastrement d’une croix de bois ou de métal
contenant peut-être un fragment du Saint Bois, dispositif attesté ailleurs, dans l’ermitage
de Saint-Néophyte de Paphos (Chypre), par exemple. Au niveau du pied de la croix, à
gauche et à droite, des rainures permettaient l’encastrement d’une tablette limitant en
dessous un renfoncement rectangulaire pouvant recevoir un petit coffre à reliques. De
nouvelles peintures – figuratives cette fois-ci –, réalisées vers le début du Xe siècle dans le
porche d’entrée de l’église, témoignent de la persistance au-delà de l’époque des raids
arabes du culte de la croix. Elles montrent en effet la croix, au sommet de la voûte, portée
triomphalement par les archanges Michel et Gabriel, en atlantes, tandis que saint
Constantin, premier empereur chrétien, et sa mère Hélène, qui découvrit la Vraie Croix,
encadrent la Théotokos peinte au-dessus de l’entrée. Seule église de Zelve à avoir été
redécorée après l’iconoclasme, la basilique n° 4 a dû jouer un rôle important – lié à la
présence d’une relique de la croix – dans ce centre religieux.
15 Qui étaient les occupants de ce site ? L’éboulement d’énormes blocs rocheux a mis en
évidence, en les faisant apparaître comme en coupe, la densité des habitations
troglodytes, creusées sur différents niveaux – et à des périodes différentes – dans les
contreforts verticaux de tuf qui séparent les vallées convergeant pour créer le cirque de
Zelve. Le plus souvent, il s’agit de pièces grossièrement rectangulaires, à plafond, reliées
par un réseau complexe d’escaliers et de passages, dont certains pouvaient être obturés
par des meules de pierre. La fonction des salles est difficile à préciser, de même que leur
date, mais il est clair que le centre de Zelve n’était pas purement religieux : à une
communauté villageoise, avec ses églises, devaient être associés un ou plusieurs
monastères. L’activité semble s’être réduite après l’époque des raids arabes : les seuls
témoignages post-iconoclastes sont les peintures du vestibule de Zelve n° 4 et celles qui
décorent un petit oratoire attenant, ainsi qu’un intéressant libelle d’affranchissement des
esclaves, qu’un prêtre, Anthime, fit inscrire dans la seconde moitié du Xe siècle au-dessus
de son tombeau (au lieu appelé erronément Yazili kilise, « l’église écrite »).

Zelve, église n° 4
En haut. Vue vers le nord-est ; on aperçoit au plafond l’extrémité de la croix sculptée ; au
fond les trois absides ; à gauche, le parecclèsion nord.
En bas. Détail des trois niches au fond de l’abside centrale, avec au centre l’excavation
destinée à l’encastrement d’une croix.
16 Le site fut réoccupé après la conquête turque : une mosquée mi-rupestre, mi-construite
en témoigne. Les musulmans cohabitaient peut-être avec des chrétiens : en tout cas, ils ne
se sont pas acharnés sur les images de la croix, conservées en grand nombre dans les
églises du site. À l’époque moderne et jusqu’aux années cinquante de ce siècle, Zelve
abritait encore un village troglodyte, qui fut abandonné en raison des risques
d’éboulements. Aujourd’hui, la plupart des monuments du cirque sont menacés par
l’érosion et ce patrimoine monumental est en voie de disparition.

Le culte des images à Hagios Stéphanos (monastère de


l’Archangélos, près de Cemil)
17 À côté de décors aniconiques, la Cappadoce offre aussi des décors composés d’images de
personnages sacrés, preuve que coexistaient dans la même région des communautés de
sensibilités différentes. Dans une petite série d’églises, dont la datation, incertaine,
oscille, selon les auteurs, entre le VIIe et le IXe siècle, des compositions dogmatiques ou
votives et des figures de saints sont ainsi associées à la glorification de la croix, croix
triomphale de la Passion, croix vivifiante paradisiaque, mais aussi symbole de l’aide
divine apportée aux armées chrétiennes. Le retour triomphal à Jérusalem en 630 de la
relique de la Vraie Croix, reprise par Héraclius aux Perses, a favorisé le développement de
ce culte, alors même que, menacée, la Cappadoce se militarisait. Souvent, c’est une grande
croix gemmée qui couvre tout ou partie du plafond ou de la voûte de la nef, peinte sur un
champ de rinceaux de cornes d’abondance stylisées, d’où s’échappent grappes de raisin,
vrilles, parfois grenades, et que peuplent dans certains cas des oiseaux ou d’autres
animaux, évoquant une vision paradisiaque. Un décor de ce type, investi probablement
d’une fonction protectrice et prophylactique pour le sanctuaire et ses usagers, se voit par
exemple à Hagios Stephanos, près du village de Cemil (au sud d’Ürgüp), ou encore, un
peu plus tard, dans l’église de Joachim et Anne et dans celle du stylite Nicétas, à Kizil
Çukur.
18 À Hagios Stéphanos, église funéraire d’un complexe monastique dédié à l’Archange
Michel, sur lequel nous reviendrons, des figures isolées et des scènes, fort endommagées
aujourd’hui, s’ajoutaient à l’exaltation de la croix. Dans l’abside, une croix gemmée
inscrite dans une couronne végétale surmonte une série de saints sur la paroi, parmi
lesquels on peut reconnaître, malgré l’altération des peintures, la Vierge à l’Enfant entre
deux archanges et deux figures de Jean-Baptiste qui, nous l’avons vu, fait l’objet d’une
vénération particulière en Cappadoce, et à qui l’église, comme souvent les sanctuaires
funéraires, pouvait être dédiée. Au plafond de la nef, trois tapis d’ornements : entrelacs,
damiers et, à l’est, rinceaux de cornes d’abondance, avec grappes de raisin, grenades et
oiseaux, issus du pied d’une grande croix latine imitant une pièce d’orfèvrerie. Sur les
parois sont réparties quelques images assez dégradées, parfois repeintes qui ne
composent pas un programme cohérent, mais paraissent correspondre à des ex-voto de
fidèles. Sur le mur oriental, à gauche de l’abside, est ainsi peinte, sur deux couches
successives, la Vierge orante ; une longue inscription, appartenant à la seconde couche
(VIIIe-IXe siècles ?), précise le sens de l’image en évoquant l’efficacité de l’intercession de
Marie en faveur des défunts : « Oui, la Porte de Dieu, ce sont tes mains tendues vers le
Seigneur, au milieu des gémissements indicibles et des larmes de compassion, intercédant
auprès de ton fils, notre Dieu : en effet, il écoute toujours les prières de sa mère. » Sur le
mur nord de la nef, se succédaient d’est en ouest le Baptême du Christ par Jean-Baptiste,
le Voyage à Bethléem, sainte Euphémie en buste dans un médaillon surmontant une croix
au pied feuillu, une croix richement ornée sous une arcade et l’Annonciation. Sur le mur
ouest, deux saintes femmes ; sur le mur sud, le Christ vainqueur du mal, la Chasse de
saint Eustathe (au-dessus de la porte primitive), le Christ et les apôtres.
19 Deux images retiendront notre attention : le Christ vainqueur du Mal et la Chasse
d’Eustathe. La première, inspirée du psaume 91, montre le Christ piétinant le lion et le
serpent ; quelle que soit ici sa date exacte, cette composition est caractéristique de la
symbolique protobyzantine. À l’évocation traditionnelle du triomphe sur le Mal a été
associée celle de l’espoir du donateur et des fidèles en la miséricorde divine : « Venez à
moi, vous tous qui souffrez » (Matthieu, XI, 28), proclame le Christ dans l’inscription
tracée sur son livre. Quant à la légende de saint Eustathe, dont le dernier avatar est en
Occident l’histoire de saint Hubert, elle appartient au tréfonds hagiographique anatolien
et sa pérennité en Cappadoce est remarquable. Illustrée dès le Haut Moyen Âge et
jusqu’au XIIIe siècle, cette théophanie du cerf miraculeux, propre à enflammer la ferveur
populaire, nous introduit au cœur de la religiosité cappadocienne. Le succès de cette
image en Cappadoce, où elle fut probablement créée, est attesté non seulement par le
nombre des images conservées, mais aussi par les graffiti de fidèles qui les accompagnent.
Légende bien connue que celle du Christ qui se révèle, dans les bois d’un cerf, au général
romain Placidas, païen qui pratiquait sans le savoir les vertus chrétiennes, notamment la
charité. Parti à la chasse dans une montagne boisée avec ses soldats, il poursuit seul une
bête plus grande que les autres échappée de la harde, la rejoint et voit le cerf dressé sur un
haut rocher, portant sur ses bois la croix plus resplendissante que le soleil et, entre eux,
l’image du Christ. L’animal lui parle, déclare être le Christ et l’exhorte à la conversion.
Devenu chrétien sous le nom d’Eustathe, Placidas, après bien des péripéties, subira le
martyre avec sa femme et ses fils. L’épisode qui a retenu l’attention en Cappadoce est
celui de la chasse et de la vision, qui va déterminer la conversion et le salut du général
romain et de sa famille. La légende chrétienne s’inscrit dans une tradition mythique très
ancienne : chez les peuples chasseurs, l’importance accordée au cerf a fait naître plusieurs
traditions indo-européennes concernant le cerf qui parle et qui révèle au juste les voies du
salut. On pensa longtemps que la légende hagiographique de saint Eustathe était née à
Rome, où son culte est attesté dès le VIIIe siècle, mais les découvertes faites en Cappadoce
et, dans une moindre mesure, en Géorgie plaident aujourd’hui en faveur d’une origine
orientale, d’autant plus vraisemblable qu’il existe en Euphratène, au nord-est de la
Cappadoce, au couvent de Benka, un site où une tradition qui remonte au moins au Xe
siècle place l’apparition miraculeuse du cerf au cavalier Placidas. C’est donc probablement
en Anatolie et à une époque reculée qu’est née, dans la continuité du culte du cerf attesté
de l’époque proto-hittite à l’époque romaine, la légende chrétienne de la vision
d’Eustathe.
20 La pluralité des contextes, dans lesquels la scène est figurée en Cappadoce, reflète les
nuances attachées au culte des images : motif apotropaïque au-dessus des portes – c’est le
cas à Hagios Stéphanos –, elle est ailleurs image votive à l’entrée du sanctuaire ou
paradigme du salut dans un contexte funéraire. On se souvient ici que le cerf est depuis
les temps immémoriaux en relation avec le monde des morts ; il est l’animal de Diane-
Hécate, divinité chasseresse et funèbre, et la chasse au cerf décore bien des sarcophages
d’époque romaine. Parmi les représentations précoces, celle de Hagios Stéphanos, d’un
type unique, offre la particularité de montrer le cerf, très grand, faisant face au cavalier,
qu’escortent trois chiens courants ; habituellement, le cerf, plus petit, la croix entre les
bois, se retourne vers son poursuivant : c’est ce que l’on voit dans le vallon de Kurt dere
(près de Karacaören), à Saint-Jean-Baptiste de Çavuşin, et dans une église proche de
Güzelöz (Mavrucan n° 3), pour ne citer que quelques exemples précoces.

La Vision d’Eustathe
Une représentation précoce (VIIIe s. ?) de la Vision d’Eustathe, comme image du salut
apporté par le Christ, dans une église funéraire ruinée de la vallée de Kurt dere (près de
Karacaören). Le cerf est à droite, près du sommet de l’arc absidal, retourné vers son
poursuivant.
21 Si, par certains aspects, la vie religieuse et l’archéologie de la Cappadoce protobyzantine
témoignent des relations étroites avec la Syrie et la Palestine, la province possédait aussi
ses propres traditions, artistiques et religieuses, qui lui donnent, au sein de la koinè
byzantine, une physionomie originale. L’époque de la conquête arabe resserra ses liens
avec les provinces orientales – principalement la Syrie, d’où affluèrent probablement
nombre de réfugiés, dont des moines. Passée cette période, les relations commerciales et
religieuses – en particulier les pèlerinages – ne cesseront jamais complètement, mais c’est
vers Constantinople que regardera désormais la Cappadoce.

© CNRS Éditions, 1997

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Electronic reference of the chapter


JOLIVET-LÉVY, Catherine. Les plus anciens monuments : la vie religieuse à l’époque protobyzantine In:
La Cappadoce: Mémoire de Byzance [online]. Paris: CNRS Éditions, 1997 (generated 27 October 2014).
Available on the Internet: <http://books.openedition.org/editionscnrs/926>. ISBN: 9782271078650.

Electronic reference of the book


JOLIVET-LÉVY, Catherine. La Cappadoce: Mémoire de Byzance. New edition [online]. Paris: CNRS
Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet: <http://books.openedition.org
/editionscnrs/918>. ISBN: 9782271078650.
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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

La Cappadoce aux marges


de l’Empire
p. 30-41

Full text
1 La guerre perse (604-628) et surtout l’expansion arabe, à partir des années 640, vont
faire de la Cappadoce, jusqu’alors région prospère au cœur d’un empire vaste et puissant,
une province frontière, bastion de l’Empire menacé. Les invasions arabes ont été à
l’origine de profondes modifications de la structure économique, sociale et
démographique. Quel fut leur impact sur la région des établissements rupestres de
Cappadoce ? Comment s’est organisée la défense ? Que devinrent les habitants pendant
ces temps troublés ? Les vestiges matériels, associés aux données des textes, permettent
d’apporter à ces questions des réponses, encore approximatives, incomplètes, mais
néanmoins précieuses, les siècles obscurs de Byzance (VIIe-VIIIe siècles) n’ayant laissé par
ailleurs que peu de traces archéologiques et artistiques.

Attaques arabes et riposte byzantine


2 Le retentissement des raids perses, difficile à évaluer, semble avoir été relativement
limité, même si la population de Césarée, occupée en 611, fut en partie massacrée ou
déportée. La Chronique de Michel le Syrien rapporte qu’en 647 les Arabes pénétrant dans
la ville regrettèrent d’avoir fait serment de ne pas la piller, tant ils furent éblouis par « la
beauté des édifices, des églises, des monastères et sa grande opulence ». Est-ce la preuve
que Césarée était redevenue une riche capitale provinciale ou l’affirmation relève-t-elle du
topos ? Les campagnes, en tout cas, devaient être assez riches et peuplées, puisque les
Arabes prirent l’habitude, surtout à partir du début du VIIIe siècle, d’y faire des raids
saisonniers, fréquents et destructeurs, s’emparant des récoltes, des troupeaux, voire des
villageois, et provoquant la fuite momentanée des populations rurales vers les refuges
souterrains ou les forteresses. À la longue, ces incursions durent ruiner une partie des
campagnes cappadociennes, entraînant une baisse de la production agricole, une
diminution de l’activité commerciale et finalement le dépeuplement et l’abandon de
certains sites. On ne s’étonne donc pas que les fondations religieuses attribuables à cette
période ne soient pas très nombreuses.
3 La riposte byzantine, menée par la dynastie isaurienne, fut une véritable réforme de
l’appareil administratif et militaire : l’Asie Mineure fut organisée en districts militaires –
clisures, puis thèmes – destinés à renforcer la défense de la frontière orientale. Une armée
régionale fut recrutée localement et placée sous l’autorité d’un stratège, qui, secondé par
des officiers et des fonctionnaires, détenait tous les pouvoirs, civils et militaires, tandis
que les contribuables du thème participaient à la constitution et à l’entretien de l’armée.
Le thème de Cappadoce a été créé en 830, celui, de Charsianon – qui, aux yeux des
Byzantins, fait partie de la Cappadoce – entre 863 et 873, preuve que ces régions étaient
suffisamment peuplées ; la Vie de saint Eudokimos, dont nous reparlerons, témoigne
d’ailleurs, vers 830-840, de l’importance relative de la population autour de Charsianon.
Une société fortement militarisée se met en place qui sera celle de la Cappadoce au moins
jusqu’aux grandes campagnes de reconquête de 960 ; le décor des églises en rend bien
compte, qui accorde la prééminence aux militaires parmi les saints Cette politique de
stabilisation et de reconquête va ramener dans la région un calme relatif, propice à la
reconstruction.

Des refuges rupestres


4 Si cet appareil militaire et administratif se révéla efficace et mit en échec le projet arabe
de conquête de l’Asie Mineure, les raids saisonniers, qui avaient lieu surtout au printemps
et en été, appauvrirent les campagnes et contribuèrent à en modeler le paysage. Le climat
d’insécurité obligea les populations à abandonner les sites les plus exposés et à se replier à
proximité de points-refuges, qui, dans la région des vallées volcaniques, étaient souvent
rupestres. Le géographe arabe Ibn Hawqal décrit encore au Xe siècle la Cappadoce comme
une région de châteaux, de forteresses, d’habitations rupestres et de souterrains, pauvre
en cités opulentes. Les raids arabes et la réaction byzantine sont décrits de manière très
évocatrice dans le Traité sur la guérilla (De velitatione) de Nicéphore Phocas. Les
incursions ennemies visaient tantôt un groupe de trois ou quatre villages assez
rapprochés pour être pillés dans la journée, tantôt une zone rurale plus large, où
l’expédition s’installait pour plus longtemps. Les Arabes faisaient main basse sur les
hommes, les chevaux, le bétail, l’argent, les provisions et tout ce que les villageois
n’avaient pas emporté. Le premier soin du stratège était donc de faire évacuer au plus vite
les villages menacés, un corps spécialisé étant chargé de ces évacuations d’urgence,
destinées à mettre les villageois, leur bétail et leurs biens à l’abri d’une forteresse ou d’un
site montagneux, difficile d’accès et facile à défendre.
Vue depuis la forteresse d’al-Ağrab (Keçikalesi)
Érigée sur un éperon rocheux dominant les contreforts sud-ouest du Hasan Daği. Cette
forteresse fut conquise par les Arabes en 831.
5 Cet habitat refuge, que pouvaient gagner les villageois les plus menacés par les incursions
arabes, est encore visible aujourd’hui en Cappadoce. Nombre d’installations, peu
accessibles et souvent protégées par un système de fermeture avec des meules de pierre,
sont creusées dans les falaises escarpées qui dominent les vallées les plus importantes :
bien qu’elles n’aient pas encore retenu l’attention, elles correspondent tout à fait aux abris
« montagneux » évoqués dans le De velitatione. Sans doute les formidables pitons
rocheux, excavés de toutes parts, qui se dressent au milieu des villages d’Ortahisar,
d’Uçhisar et d’Ürgüp, constituaient-ils aussi de véritables forteresses naturelles. Mais les
établissements les plus caractéristiques sont ce que l’on appelle improprement les « villes
souterraines », dont le dédale truffe le sous-sol de la région, et dont l’utilisation comme
greniers est attestée par le mot arabe désignant la région entre Nakida (Niğde) et l’Halys
(Kizil Irmak) : al-Matâmir. Leur étude ne fait que commencer, mais elles ne semblent pas
avoir correspondu à un habitat permanent ; dépôts servant d’annexes aux villages de
surface pour entreposer, en temps de paix aussi, récoltes et provisions, elles sont
pourvues d’une organisation défensive qui prouve qu’elles ont servi de refuges en cas
d’attaques ennemies. On sait que les Arabes avaient l’habitude d’enfumer les souterrains
pour tenter d’en déloger leurs occupants et de s’approprier leur bétail et leurs réserves de
nourriture. La chronologie de ces installations reste également incertaine : l’excavation de
quelques-unes peut être préchrétienne, mais c’est surtout à l’époque byzantine qu’elles
ont été aménagées, comme le prouve l’existence d’églises parfois associées aux structures
souterraines. Des fouilles archéologiques et l’étude palynologique des sols pourraient
fournir d’utiles indications sur l’utilisation des pièces. On peut en tout cas imaginer les
villageois s’engouffrant, en cas de danger, avec leurs bêtes et leurs provisions, dans les
couloirs souterrains, dont ils refermaient les accès en roulant d’énormes meules de pierre
– 1,60 m de diamètre et 40 cm d’épaisseur à Özkonak –, qui devaient constituer des
obstacles infranchissables. Le nombre de ces établissements – plus d’une quarantaine est
actuellement recensée – s’accroît chaque année de nouvelles découvertes, et on peut
penser que presque chaque village, qui n’était pas à proximité d’une forteresse (construite
ou naturelle), possédait son retranchement souterrain. Bien que la plupart n’aient pas
encore été entièrement explorées et qu’aucune n’ait fait l’objet de relevés scientifiques
complets, on peut tenter de comprendre, à partir des données disponibles, l’organisation
et le fonctionnement de ces installations souterraines, dont certaines présentent une
complexité et un degré d’élaboration remarquables. L’une des plus impressionnantes se
trouve à Derinkuyu (au sud de Nevsehir) – l’ancienne Malakopea –, ville de garnison
mentionnée par les sources byzantines et arabes : elle fut assiégée et prise par Harun
al-Rashid en 806. Creusée autour d’un énorme puits d’aération, profond aujourd’hui
d’une quarantaine de mètres, mais qui devait l’être beaucoup plus, elle s’enfonce, sur
plusieurs niveaux – huit sont aujourd’hui visibles –, reliés par d’étroits couloirs en pente,
sous le village, et pouvait accueillir sans doute près d’un millier d’hommes. La fonction
des salles, de dimensions et de formes variées, mais généralement grossièrement taillées,
reste souvent difficile à déterminer. À proximité de la surface, une très grande pièce
voûtée, terminée par une forme absidale et pourvue de deux longues « tables » réservées
dans le rocher, évoque un réfectoire. D’autres salles sont identifiables à des cuisines, des
pressoirs, des entrepôts et des étables, reconnaissables à leur pourtour garni de niches
profondes servant de mangeoires, souvent associées à des anneaux forés dans la roche
pour attacher les animaux. Un réseau compliqué de couloirs bas et étroits relie entre elles
toutes ces excavations ; certains possèdent une meule de fermeture en pierre que l’on ne
pouvait actionner que de l’intérieur, l’efficacité de ce système de défense étant renforcée
par l’utilisation possible comme meurtrière du trou percé au centre ; celui-ci servait aussi
pour le déplacement de la meule et devait être indispensable pour la bonne ventilation
des espaces souterrains. Des cheminées d’aération, dont beaucoup sont aujourd’hui
comblées, des puits, des citernes, sont également reconnaissables. Au niveau le plus
profond, trois salles protégées par des obstacles successifs semblent avoir constitué un
ultime refuge – sorte de « donjon » – pour les assiégés.

Salle de l’établissement souterrain de Kaymakli


Cette vue montre le dispositif de fermeture des accès par une meule de pierre (cliché H.
Yenipinar).
Le « château » (kale) d’Ortahisar
Ce piton rocheux excavé sur toute sa hauteur domine le village.

Derinkuyu
Plan d’une partie de l’établissement souterrain, avec indication de quatre niveaux (d’après
R, Bixio, in : La Citta sotterranee della Cappadocia, ρ, 27, fig. 5).
6 Kaymakli, située à environ 10 km au nord, présente un véritable dédale de couloirs et de
salles, maintes fois remanié au cours des siècles, qui s’enfonce horizontalement dans une
colline de tuf. Certaines pièces, pourtant, conservent leurs aménagements utilitaires
d’origine : niches, alvéoles, silos creusés dans le sol ou encastrés dans les parois. On
reconnaît également puits, étables, pressoirs, meules de pierre roulées pour obturer les
couloirs, ainsi qu’une église à deux absides.

Les forteresses
7 De façon significative, la région qui possède les souterrains-refuges les plus nombreux et
les plus étendus est pauvre en forteresses : les uns et les autres remplissaient la même
fonction, les installations souterraines suppléant à l’insuffisance d’un réseau de kastra
relativement lâche pour une région située en première ligne des attaques ennemies.
Quant aux forteresses, érigées en des lieux élevés et peu accessibles, donc faciles à
défendre, aux confins de la région des établissements rupestres, comme al-Agrab au sud
du Hasan Dagi, Arianzos, près de Güzelyurt ou encore Kyzistra, près de Yesilhisar, leur
situation et leur structure indiquent aussi que, dans la plupart des cas, elles ne furent pas
conçues pour une occupation permanente. Elles sont cependant suffisamment vastes pour
abriter les habitants des plaines, qui y trouvaient momentanément refuge.

Forteresse dominant Sivrihisar


Cette forteresse se situe à 4 km au sud-est de Güzelyurt (Karvala/Gelveri), non loin de
l’endroit où l’on situe Arianzos, lieu de naissance de Grégoire de Nazianze.
8 Pour parer à la menace arabe, un autre dispositif défensif fut mis au point sous
l’empereur Théophile – entre 829 et 832 – par Léon le Mathématicien : un système de
télégraphe optique, consistant en une série de signaux à feu qui, de relais en relais, depuis
la forteresse de Loulon, au nord de Tarse, jusqu’à Constantinople, avertissaient, en une
heure de temps, la capitale des événements qui se déroulaient sur la frontière cilicienne,
là où les Arabes pénétraient habituellement dans le territoire de l’Empire. La chronique
du pseudo-Syméon nous explique comment Léon donna l’idée à Théophile de faire
construire deux horloges synchronisées, placées aux deux bouts de la chaîne des signaux,
à Loulon et au Pharos, et divisées en douze heures, à chaque heure correspondant un
message : première heure, raids arabes, deuxième heure, guerre déclarée, troisième
heure, incendie du territoire grec envahi, etc. Le système comportait en tout neuf relais,
dont deux se trouvaient en Cappadoce : Loulon et le mont Argée, habituellement identifié
à l’actuel Hasan Dagi, puisque l’on sait que les deux grands volcans étaient désignés par le
même nom, mais qui pouvait, comme on l’a suggéré récemment, être le mont Erciyes, au
sud de Césarée. Ingénieux, mais peut-être trop complexe et onéreux à entretenir, ce
télégraphe optique ne paraît pas avoir été utilisé très longtemps.
La vallée du Melendiz Suyu
Cette vallée de la région du Hasan Daği, se présente dans sa partie moyenne comme un
canon, nommé Peristrema ; de nombreux établissements rupestres sont creusés au pied
des falaises.

Le Hasan Daği, un lieu de refuge ?


9 À 25 km environ au sud-est d’Aksaray (Koloneia), la vallée profondément encaissée du
Melendiz Suyu, abrite, entre Ihlara et Belistrma (anciennement Peristrema), de
nombreuses églises. Certaines – Ağaç alti kilise, Eğri Taş. kilisesi, Yilanh kilise, Kokar
kilise – conservent des peintures, originales par leur style comme par leur iconographie,
qui perpétue des traditions anciennes, d’origine orientale, parfois entachées d’hérésie.
Dans le Hasan Daği, en effet, véritable bastion naturel, avaient dû trouver refuge des
Byzantins venus de Palestine, de Syrie et de Mésopotamie, terres occupées par les Arabes
depuis le viie siècle. Quelques décors (Ağaç alti kilise, Açikel ağa kilisesi) ont été attribués
à la première moitié du IXe siècle et ils seraient donc, malgré leur caractère figuratif,
contemporains de l’iconoclasme, dont les interdits ont pu rester lettre morte dans ces
petites communautés relativement isolées. Ce ne fut sans doute pas le cas partout.

Le problème des décorations iconoclastes


10 À la période de l’expansion arabe correspond celle de l’iconoclasme (730-787, 815-843),
mais, en Cappadoce, faute de données précises, il est difficile d’évaluer la portée de la
politique hostile aux images de culte des empereurs de Byzance. Les témoignages textuels
et archéologiques font penser qu’on y pratiqua un iconoclasme modéré et que
coexistèrent, comme ailleurs, partisans et adversaires des icônes. La Cappadoce était terre
de garnisons et l’armée dans son ensemble était favorable aux décrets iconoclastes, tel
sans doute cet Eudokimos, né au début du IXe siècle dans une riche famille
cappadocienne, mais qui obtint un poste à la cour, à Constantinople, puis fut nommé
stratopédarque de Cappadoce par l’empereur iconoclaste Théophile, et envoyé défendre la
région contre les Arabes ; il aurait même été le principal artisan du grand succès militaire
de Théophile dans la campagne de 831. Il combattit en tout cas autour de Charsianon
jusqu’à sa mort en 840 ; sa dépouille, qui accomplit des miracles, fut transférée à
Constantinople, et il fut reconnu saint dès la fin du IXe siècle. L’importance de l’élément
militaire a sans doute favorisé la pénétration en Cappadoce des théories iconoclastes, ce
que confirme d’ailleurs une lettre de l’évêque de Césarée, Aréthas, du début du Xe siècle,
déplorant la persistance d’un iconoclasme populaire dans les campagnes de la région.
Mais cette tendance a sans doute coexisté avec les sentiments iconophiles d’une partie de
la population, en particulier des moines, souvent favorables aux icônes.
Peintures d’époque iconoclaste
Détail des peintures décorant l’abside d’une église de la vallée de Kurt dere (près de
Karacaören) ; les motifs végétaux y sont associés à des croix.
11 Quoi qu’il en soit, peu de décors semblent relever d’une inspiration iconoclaste : il est vrai
que les datations, toujours délicates, le sont plus encore quand il s’agit de programmes
aniconiques. Ainsi quelques églises de Zelve ont-elles été attribuées à cette époque en
raison de l’absence de représentations humaines et de la multiplication des croix, type de
décor qui existe dès l’époque paléochrétienne et se poursuit parfois après le triomphe des
images. Ornements simples et croix, tracés directement sur le rocher, forment le seul
décor les sanctuaires modestes de toutes les époques et souvent, jusqu’en plein XIe siècle,
le premier décor des églises, avant que ne soient réalisées des peintures figurées sur
enduit ou ajoutés des panneaux avec des figures de saints. La Vie du stylite Lazare du
mont Galèsios (mort en 1053 ) recommande encore aux moines de préférer dans leurs
sanctuaires la simplicité des croix aux images.
12 Bref, l’absence d’ » icônes » et la multiplication des croix ne suffisent pas à prouver une
origine iconoclaste ; d’autres critères, la typologie, le style des croix et des ornements,
l’épigraphie des inscriptions éventuelles, sans apporter de certitude, fournissent d’utiles
indices. Ainsi l’on peut attribuer à cette époque le décor d’une église d’une vallée peu
fréquentée des environs d’Ürgüp, Kurt dere, près du village de Karacaören ; encore
s’agit-il d’un sanctuaire funéraire et l’on sait que l’aniconisme et la croix caractérisent
souvent les décors funéraires, indépendamment de toute inspiration iconoclaste… On
retient généralement aussi une datation iconoclaste pour le décor de Hagios Basilios,
église qui domine la vallée de Gömede, non loin de Mustafapaşaköy (Sinasos), dont le
décor témoigne bien de l’importance du culte de la croix, symbole de la résistance à
l’islam, à l’époque des combats contre les Arabes. La dédicace peinte autour du plafond de
la nef nous apprend que : « le vénérable décor, qui aux frais de Nicandre renouvelle les
murs de cette glorieuse demeure, consiste en une image du Saint Bois. Seigneur, garde
toujours ton serviteur Nicandre et le prêtre Constantin. Accorde leur le pardon des péchés
et ton aide à ton serviteur le peintre ». La présence au centre de l’abside d’une croix
désignée par une inscription comme le « signe de saint Constantin » fait allusion à la
vision du premier empereur chrétien, avant sa victoire sur Maxence au pont Milvius.
Instrument de la victoire militaire invoqué dans les combats, la croix de la vision
constantinienne était un thème bien d’actualité à l’époque des luttes contre les Arabes et
le donateur mentionné dans l’inscription dédicatone, Nicandre, était peut-être un soldat.
De part et d’autre de cette croix centrale étaient peintes deux grandes croix latines,
l’ensemble évoquant probablement les trois croix du Golgotha.
13 Le grand nombre de croix peintes dans l’église, à commencer par la grande croix
couvrante, imitant une croix d’orfèvrerie, au plafond de la nef, et par celles qui décorent
l’abside, l’absence de toute scène figurée dans une église entièrement peinte, les champs
de motifs ornementaux, les frises décoratives, toutes ces particularités témoignent d’une
réticence certaine à l’égard des représentations figurées, qui s’accorde bien avec l’époque
de l’iconoclasme, mais dont on peut aussi imaginer qu’elle se pousuivit après la date
officielle de la fin de la Querelle des images (843), comme le suggère la lettre d’Aréthas
évoquée plus haut. D’ailleurs, deux figures d’évêques, Basile de Césarée, sans doute, et
Grégoire de Nazianze, fort abîmées aujourd’hui, encadrent l’entrée de l’abside, preuve que
l’iconoclasme du donateur restait modéré, puisqu’il tolérait les portraits des deux grands
prélats locaux. Sur le mur sud de la nef, à l’ouest, un panneau contient une grande croix
latine, cantonnée par une inscription en grande partie effacée, interprétée soit comme une
formule iconoclaste (« […] quand on figure la croix, le Christ n’est pas souillé »), soit
comme une formule de dévotion banale (« la croix […] est un signe incorruptible du
Christ »), la lecture adoptée justifiant ou non l’inspiration iconoclaste du décor. De même,
la représentation à l’entrée de l’abside, dans la voûte, de trois croix de Malte
accompagnées des noms des patriarches Abraham, Isaac, Jacob, peut, elle aussi, être
interprétée de deux façons. On y a vu une formulation iconoclaste – les portraits des trois
patriarches ayant été remplacés par des croix – ou simplement le reflet d’une tradition
cultuelle courante : la vénération de croix au nom de saints. L’association des croix et des
noms des patriarches, à l’entrée de l’abside, conférait en tout cas au décor une efficacité
double : à la valeur protectrice et salutaire de la croix s’ajoutait celle des personnages
nommés, les trois patriarches, présents au Paradis, et vénérés en particulier comme
intercesseurs au jour du Jugement.

Hagios Basilios
Vue de la nef principale de l’église située dans les environs de Mustafapaşaköy, montrant
la grande croix latine imitant une croix d’orfèvrerie peinte au plafond, ainsi qu’une partie
de l’inscription qui l’accompagne.
14 Le répertoire ornemental, la typologie des croix, le style des peintures de Hagios Basilios,
qui s’accordent avec une datation au IXe siècle, et le caractère essentiellement aniconique
du décor rendent plausible une influence des théories iconoclastes, ce qui ne signifie pas
que la date de 843 constitue nécessairement un terminus ante quem, des décorations de
ce type ont pu encore être peintes dans la seconde moitié du IXe siècle. En Cappadoce,
comme ailleurs, le retour aux images fut un processus lent.
Détail des peintures de l’abside de Hagios Basilios
En bas, au centre, la croix « signe de saint Constantin » entre deux croix latines ;
au-dessus les trois croix en médaillons reliés par un entrelacs, accompagnées des noms
des trois patriarches Isaac, Abraham et Jacob.
15 Les témoignages archéologiques rendent compte de la situation de la Cappadoce du VIIe
au IXe siècles : souterrains et forteresses permettent d’imaginer le climat d’insécurité créé
par les incursions répétées des Arabes, auxquelles il faut sans doute attribuer aussi la
rareté des fondations et décorations d’églises. L’incertitude de bien des datations invite
cependant à la prudence dans l’interprétation des vestiges archéologiques. L’iconoclasme
trouva certainement un terrain favorable dans une partie de la population, puisque nous
avions observé une tendance à l’aniconisme dès le VIe siècle, mais l’hostilité aux images
n’a pas entraîné, autant qu’on en puisse juger, d’interdiction, ni de destruction
systématiques des peintures figurées. Si la reprise socio-économique s’est probablement
manifestée dès le règne de Théophile (829-842), il faut attendre en Cappadoce la fin du
e e
IX siècle, sinon le début du X siècle, pour voir se multiplier les fondations pieuses, dont
le décor témoigne alors d’un retour en force des images, les programmes décoratifs
constituant de véritables proclamations iconodoules.

© CNRS Éditions, 1997

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. La Cappadoce aux marges de l’Empire In: La Cappadoce: Mémoire de
Byzance [online]. Paris: CNRS Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet:
<http://books.openedition.org/editionscnrs/927>. ISBN: 9782271078650.

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. La Cappadoce: Mémoire de Byzance. New edition [online]. Paris: CNRS
Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet: <http://books.openedition.org
/editionscnrs/918>. ISBN: 9782271078650.
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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

Le renouveau de l’époque
macédonienne
p. 42-57

Full text
1 Après la victoire sur l’émir de Malatya, Umar, en 863, les Arabes pénètrent encore en
Cappadoce, s’emparant de Salanda (aujourd’hui Gümüşkent, à 27 km au nord-ouest de
Nevsehir) en 891, de la forteresse de Koron en 897, et l’année suivante ils arrivent de
nouveau jusqu’à Salanda. En plein Xe siècle, encore – dès 938, mais surtout à partir de
952 et jusqu’à sa mort en 967 –, Sayf ad-Dawla lance de puissantes expéditions
saisonnières contre les territoires de l’Empire, tentant de résister à la reconquête
byzantine : la Cappadoce et Charsianon sont les premières régions touchées. Pourtant,
dans les vallées volcaniques autour d’Ürgüp, les fondations se multiplient dans la
première moitié du Xe siècle, preuve qu’y règne un climat de sécurité suffisant. La lutte
s’est déplacée vers l’est ou vers le sud, dans les défilés du Taurus, et la région des
établissements rupestres paraît à l’abri. Deux nouveaux évêchés – Hagios Prokopios
(l’actuel Ürgüp) et Sobèsos (Sahinefendi) – y sont créés au début du Xe siècle, attestés il
est vrai dans une seule notice épiscopale ; ils disparaissent vers le milieu du siècle. La
Cappadoce se repeuple, même si l’immigration de Syriens jacobites et l’installation
d’Arméniens ne semblent pas avoir atteint la région à l’ouest de Césarée.

Une floraison monumentale


2 C’est à l’époque de la dynastie macédonienne (867-1056) correspondant à une période
d’expansion pour Byzance, que les monuments conservés en Cappadoce sont les plus
nombreux, les plus richement décorés et les plus variés. Une première série, regroupant
les églises qualifiées d’ » archaïques », depuis G. de Jerphanion illustre bien le renouveau
de l’époque macédonienne. Tous les sites anciens ne sont cependant pas réoccupés et
certains seront abandonnés au cours du Xe siècle, comme ceux des vallons du massif de
Çavuşin ; en revanche, de nouveaux centres se développent, tel celui de Göreme.
L’abondance de la documentation archéologique reflète-t-elle l’importance du
peuplement rural ? On l’a parfois mis en doute, en constatant, en particulier, l’état de
conservation des peintures, souvent exemptes de toute trace de suie qui trahirait une
utilisation régulière du sanctuaire ; les fondations ont été attribuées à des étrangers,
marchands et soldats de passage pour visiter les saints hommes de la région et en
profitant pour doter un sanctuaire. Sans doute ne faut-il pas exclure ces interventions
étrangères, mais si la Cappadoce possédait sûrement des sanctuaires vénérés, des
reliques, des sources sacrées, où l’on devait venir chercher la guérison, elle ne jouissait
pas d’une renommée de « terre sainte » susceptible d’attirer des pèlerins autres que
locaux, et ces « petits » pèlerins, anonymes le plus souvent et sur lesquels les textes ne
nous renseignent guère, ne peuvent être tenus pour responsables de la floraison
monumentale de l’époque macédonienne. Ne faut-il pas plutôt mettre en rapport la
densité des structures rupestres – qui ne sont pas toutes des églises ou des couvents –
avec la reprise économique, l’accroissement progressif de la population et la
multiplication des fondations privées ? Si certains lieux de culte ont pu être aménagés aux
frais des habitants des communautés villageoises, la plupart paraissent relever de
donateurs particuliers – ce qui explique d’ailleurs leurs proportions modestes –, et
ceux-ci devaient pour la plupart être d’origine locale : soldats, propriétaires fonciers ou
notables, désireux d’exaucer un vœu, de commémorer un événement, d’immortaliser leur
nom ou simplement de gagner le salut éternel. Les informations sur l’origine des
fondations que l’on peut tirer des inscriptions dédicatoires ou des portraits de donateurs
révèlent une participation massive de laïcs, généralement sans titres, qui sont au moins
deux fois plus nombreux que les ecclésiastiques (moines ou prêtres), auxquels ils
s’associent parfois, preuve supplémentaire de l’étroite collaboration entre moines et laïcs
dans la vie rurale de la province. Les grandes familles de propriétaires fonciers de
Cappadoce, qui jouent un rôle dans la vie politique de Byzance et sont puissants surtout
de 850 environ au XIe siècle, comptent aussi au nombre des donateurs potentiels,
particulièrement, comme nous le verrons, les Phocas, dont la fortune était considérable,
et les Maléïnoi, auxquels était d’ailleurs apparenté saint Eudokimos.

L’église Saint-Théodore (Pancarlik kilise)


Excavée à l’époque paléochrétienne, elle a reçu à l’époque macédonienne un cycle peint
très développé ; ici, scènes de l’Enfance au plafond et sur le mur nord (partie orientale de
la nef).

Le triomphe des images


3 À l’époque même – début du Xe siècle – où Aréthas, métropolite de Césarée, déplore la
persistance des idées iconoclastes chez les gens simples et incultes de Cappadoce, on
assiste dans la région – dans les églises dites « archaïques » – à une explosion des cycles
figurés narrant en détail la vie du Christ, tandis que le Seigneur trône en souverain céleste
dans la conque de l’abside. Les images triomphent et les programmes décoratifs
traduisent le désir de l’Eglise d’affirmer la validité d’un art religieux figuré : les
théologiens défenseurs des icônes avaient en effet remis à la mode le thème ancien de la
mission parallèle de la catéchèse – écrite ou orale – et de l’imagerie chrétienne, insistant
sur l’utilité de la représentation dans les églises de la vie du Christ pour rendre explicite la
réalité de l’Incarnation, celle-ci justifiant les images et leur culte.

Ancienne église de Tokah, à Göreme


Détail du registre des saints sur le mur nord de la nef : Hélène et Constantin tenant entre
eux la croix.
4 Le décor peint de Tokah kilise (« l’église à la boucle »), à Göreme (Korama) peut servir
d’exemple de référence. L’église, creusée à la base d’un haut rocher, à droite de la route
qui descend vers Avcilar (Göreme), est dans son état actuel le résultat de plusieurs
campagnes de travaux. Le cycle « archaïque » se déploie dans la voûte de la nef primitive
et est attribué au premier quart du Xe siècle ; le même atelier a en effet décoré dans la
région deux autres églises, les Saints-Apôtres de Sinasos et Saint-Jean de Güllü dere, et
cette dernière conserve des inscriptions datant ses peintures sous le règne de Constantin
VII Porphyrogénète, sans doute entre 913 et 920. Aucune inscription, aucun portrait ne
nous renseigne sur les commanditaires de Tokah kilise. Peut-être existait-il au départ à
l’emplacement de l’église un ermitage vénéré, sanctifié par la présence d’un homme de
Dieu ? L’agrandissement et le décor peint de l’église sont-ils dus à l’intervention d’un
donateur isolé ou résultent-ils d’un projet collectif émanant d’une communauté ? La
fonction précise du sanctuaire reste obscure, l’érosion ayant fait disparaître l’entrée
primitive, ainsi que d’éventuelles salles environnantes qui pouvaient constituer un
complexe monastique. Une chose est certaine en tout cas : l’importance locale de cette
église, dont témoignent à la fois l’ampleur de son décor peint et le fait qu’elle fut
complétée et enrichie de façon spectaculaire une trentaine d’années plus tard.
Le programme iconographique de l’ancienne église de Tokali
Schéma de la voûte de la nef. Au sommet du berceau, des bustes de prophètes ; sur les
versants, les épisodes de la vie du Christ, en six registres ; hors cycle : la Transfiguration
(tympan ouest), l’Ascension (tympan est) et la Présentation du Christ au temple (mur
est).

Épisodes de la vie du Christ


Sur le versant sud de la voûte en berceau de la nef de l’Ancienne église de Tokah, à
Göreme, les épisodes de la vie du Christ se succèdent, sans interruption entre les scènes,
le récit commençant en haut à gauche, avec l’Annonciation.
5 Conformément au programme iconographique qui s’impose à cette époque en Cappadoce,
la nef de ce que l’on appelle l’ « ancienne église » de Tokali – vaisseau assez grossièrement
excavé, dont les parois ne sont ni droites, ni d’équerre et le berceau mal tracé -a été
décorée, dans la voûte, d’un cycle narratif détaillé de la vie du Christ. Le récit, l’un des
plus développés qui nous soient parvenus, se déroule en frise continue, trente scènes se
succédant en registres superposés (trois sur chaque versant de la voûte), en commençant
par l’Annonciation, au sud-est, près de l’abside au niveau supérieur, pour se terminer,
après s’être déroulé tout autour de l’église, au nord-est, au registre inférieur, avec
l’Anastasis (ou Descente du Christ aux Limbes). Ce mode de présentation et de lecture, de
gauche à droite, en tournant autour de la nef, est commun à toutes les décorations du
groupe « archaïque », Tokah kilise se distinguant seulement par l’ampleur du récit.
Chaque registre correspond ici grosso modo à une séquence de la vie du Christ, de haut
en bas : Enfance (largement inspirée par les évangiles apocryphes, tel le Protévangile de
Jacques le Mineur), Vie publique, Passion et Résurrection. Dans les églises moins vastes,
la partie intermédiaire (Vie publique) est réduite, tandis qu’Enfance et Passion-
Résurrection, qui illustrent les dogmes fondamentaux de l’Incarnation et de la
Rédemption, s’équilibrent à peu près, preuve du souci toujours présent d’un
enseignement dogmatique, même sous le couvert d’un récit narratif. Dans la chapelle n° 9
de Göreme, creusée au-dessus de Tokah kilise et dédiée à la Théotokos, à saint
Jean-Baptiste et à saint Georges, seul le Baptême a été inséré entre Enfance et Passion,
tandis qu’une place importante était accordée à l’image de la Présentation au temple de la
Vierge, à qui l’église était consacrée. Parfois, comme à Saint-Eustathe (Göreme 11), c’est
seulement l’Enfance du Christ, détaillée d’après le Protévangile de Jacques, qui est
illustrée.

Détail des peintures « archaïques » de Kiliçlar kilise (Göreme 29)


À gauche la Visitation (Marie et sa cousine Élisabeth s’enlacent, en présence d’une petite
servante, témoin de la scène) ; à droite, l’Épreuve de l’eau (Zacharie tend la coupe à
Marie, tandis que Joseph vide la sienne).
6 La Transfiguration et l’Ascension sont souvent hors cycle, à des emplacements privilégiés
– à Tokah kilise, les tympans ouest et est – parce qu’au cours de ces deux épisodes s’est
manifestée avec éclat aux yeux des hommes la divinité du Christ et qu’ils préfigurent la
gloire de la Seconde Venue. Une autre image, la Présentation du Christ au temple,
anticipation de la Passion et de la Croix, que perpétue le sacrifice de la Messe, jouit
parfois d’un emplacement proche du sanctuaire en raison du symbolisme eucharistique
de l’événement. À Tokah kilise, elle était peinte sur la paroi est de la nef, mais a été en
partie détruite (comme d’ailleurs l’Ascension) lors de l’agrandissement de l’église. Ce récit
qui illustre la réalité de l’Incarnation, condition de la Rédemption de l’humanité, s’inscrit
dans une évocation plus complète de l’Économie du salut, où il occupe naturellement la
place la plus importante. L’Ancienne Alliance est rappelée par les bustes des prophètes en
médaillon alignés au sommet du berceau, précédant ainsi l’Incarnation du Messie qu’ils
annoncèrent. Sur les parois de la nef, jadis presque au niveau des fidèles (le sol a été
abaissé ultérieurement), sont alignés en une rangée monotone les saints qui poursuivirent
l’œuvre du Christ sur terre, contribuèrent à l’édification de l’Église et sont les
intermédiaires efficaces des fidèles dans leur quête du salut ; parmi eux, Constantin et
Hélène tenant entre eux la croix rappellent la fondation de l’Empire chrétien. Ainsi
environnée d’images, la communauté de Korama, qui se réunissait ici au Xe siècle,
s’inscrivait-elle dans l’Économie du salut, dans le dessein providentiel dont les grandes
étapes, renouvelées sacramentellement par la liturgie célébrée dans l’église, étaient
rappelées par le décor peint.
Haçli kilise (« église à la croix »), à Kizil Çukur
Cette église, ainsi nommée en raison de la croix sculptée qui décore le plafond de la nef, a
probablement été excavée à l’époque protobyzantine, mais elle a reçu des peintures dans
l’abside et la partie orientale de la nef au début du Xe siècle. Il s’agit du décor d’abside
« archaïque » le mieux conservé.
7 Les différences indéniables qui existent entre les programmes de Cappadoce et les décors
plus ou moins contemporains connus à Constantinople (caractérisés par l’ordonnance
hiérarchisée des figures isolées disposées autour du Christ Pantocrator, par l’image de la
Aderge dans l’abside et par un cycle court de scènes de la vie du Christ) ne justifient
nullement le qualificatif d’ » archaïques » : elles sont plutôt à mettre au crédit du pouvoir
créateur des concepteurs de l’iconographie, qui ont su élaborer un système décoratif
adapté à la fois au type architectural dominant (l’église à nef unique, sans coupole), à la
technique décorative (la peinture) et aux exigences locales de la catéchèse. Les décors des
églises contemporaines de Constantinople, que nous connaissons par des textes, sont
ceux de riches églises en croix inscrite à coupole centrale décorées de mosaïques. Les
peintures « archaïques » de Cappadoce ont été créées pour répondre à des conditions
matérielles, sociales et sans doute aussi spirituelles qui n’étaient pas les mêmes.
L’architecture des églises rupestres, fondations souvent privées et adaptées à de petites
communautés, est le plus souvent de type basilical ; la forme allongée de la nef, les parois
de celle-ci, la voûte en berceau ou le plafond offraient aux peintres de longues surfaces
murales ininterrompues se prêtant au déploiement de registres et à l’exposé d’un récit
continu. Malgré une unité indéniable de conception, les décors « archaïques » présentent
des variantes – on ne trouve pas deux décors identiques –, preuve de la flexibilité de ce
programme et de la capacité des peintres à l’appliquer avec souplesse en l’adaptant à
chaque fois à l’architecture, à la dédicace du sanctuaire ou à sa fonction particulière, en
tenant compte aussi des desiderata particuliers des fondateurs. Quand il est adapté à
d’autres types d’églises – croix libre comme El Nazar (Göreme 1), croix inscrite comme
Kiliçlar kilise (Göreme 29) ou nef transversale –, le récit, plus fragmenté, perd un peu en
lisibilité, tandis que le groupement ou la confrontation des images permet l’expression
d’autres idées. Le récit détaillé déployé dans l’église avait probablement une fonction plus
didactique que le cycle très sélectif des programmes constantinopolitains et il était plus
susceptible d’atteindre le public rural auquel il s’adressait. L’enseignement du salut qu’il
prodiguait, par le biais d’un récit vivant et animé, plus conforme peut-on penser au goût
populaire, ne tombe jamais cependant dans le pittoresque : même un épisode apocryphe,
qui manque rarement dans les cycles « archaïques », comme l’épreuve des eaux amères, à
laquelle furent soumis Marie et Joseph pour prouver leur chasteté n’est pas pure
anecdote ; il vise à démontrer le caractère miraculeux de la conception du Fils de Dieu.
Les cycles narratifs, en remémorant l’Incarnation du Seigneur, transmettaient le message
chrétien, contribuaient à l’édification et à l’affermissement de le foi des fidèles. Mais leur
fonction essentielle n’était peut-être pas tant d’instruire des croyants illettrés (ou
presque), que de les envelopper d’un monde d’images leur permettant d’entrer en
communion avec le divin, d’accéder du visible à l’invisible, les peintures servant ainsi
d’intermédiaires entre la réalité terrestre et le monde suprasensible, avec une permanence
que n’offraient ni la liturgie ni la lecture des Évangiles. Cela est particulièrement vrai de
la composition absidale à laquelle le fidèle, pénétrant dans l’église ou tourné vers l’autel
pour y suivre l’office, était directement confronté.

Centre et aboutissement du programme : le Christ en gloire


dans l’abside
8 L’accomplissement final de l’œuvre du salut était probablement évoqué à Tokah kilise par
la représentation du Christ trônant en souverain cosmique et juge futur dans la voûte de
l’abside, image disparue lors de l’agrandissement de l’église, qui a entraîné la destruction
de l’abside primitive, mais dont on peut se faire une idée grâce au décor bien conservé
d’une autre église, Haçli kilise, située dans le proche vallon de Kizil Çukur. Le Christ trône
au centre d’une composition symétrique et solennelle. Son siège aux boiseries rehaussées
de gemmes et de perles est d’un type bien connu à Constantinople sous les Macédoniens.
Autour, apparaissent quatre figures ailées symbolisant les évangélistes (aigle/Jean,
bœuf/Luc, lion/Marc et homme/Matthieu), chacune accompagnée d’un participe grec,
tiré de la prière d’introduction de l’hymne liturgique du Trisagion : « chantant, criant,
clamant et disant : Saint, saint, saint est le Seigneur Sabaoth ; le ciel et la terre sont
remplis de sa gloire ». Une vaste auréole circulaire sépare ce groupe central des figures
angéliques, qui constituent la cour céleste du Pantocrator : les Trônes représentés par des
roues de feu, un chérubin tétramorphe, un séraphin à six ailes et deux archanges, vêtus du
costume impérial, Michel et Gabriel. Au-dessus du Christ, la Main de Dieu associe le Père
au triomphe et à la gloire du Sauveur. Souvent s’ajoutent à ces motifs les
personnifications du Soleil et de la Lune, symboles du pouvoir cosmique et éternel, et,
plus rarement, d’autres figures : anges, prophètes Isaïe et Ézéchiel, etc. Si cette Majestas
Domini emprunte plusieurs de ses éléments constitutifs aux visions des prophètes (Isaïe,
Ézéchiel et Daniel) et à l’Apocalypse, c’est par l’intermédiaire des textes liturgiques,
eux-mêmes nourris des sources bibliques. Bien qu’elle évoque surtout le point culminant
de la célébration eucharistique – la prière du Trisagion, au début de l’Anaphore –, elle
n’est pas non plus la transposition picturale d’un passage précis de l’office. À ce titre, elle
illustre bien l’autonomie de la création iconographique : l’image n’est pas la servante des
textes, mais résulte d’une sélection et d’une combinaison originales des données qu’ils
offrent, tenant compte de l’emplacement, de la forme et de la fonction de l’espace à
décorer. À l’extrémité de l’axe orienté de l’église, la composition absidale revêtait une
importance particulière : elle manifestait la prééminence et l’autorité du Christ souverain,
identifié au Dieu des visions prophétiques, élevé sur un trône et présenté en stricte
frontalité et elle assurait sa présence spirituelle dans l’église. Révélation de la divinité, elle
devait susciter chez le fidèle, invité à se joindre à la liturgie célébrée au ciel par les anges,
une attitude d’adoration et de prière, mêlée de crainte révérencielle, comme il convient en
présence du mystère célébré dans l’église. De façon très significative, l’image absidale a
aussi en commun avec la célébration liturgique sa valeur synoptique : elle est à la fois
mémorial du passé, anticipation de la Seconde Venue et réalité présente, actualisant les
trois temps de l’histoire du salut – passé, présent et avenir – en une réalité permanente.
9 Cette vision du Christ en gloire, thème absidal le plus fréquent en Cappadoce au Xe siècle,
ne correspond pas au décor traditionnel de l’abside à Constantinople et en général dans
les églises médiobyzantines qui réserve cet emplacement à l’image de la Vierge. L’absence
de coupole dans la plupart des sanctuaires « archaïques » peut expliquer que l’on ait
réservé l’abside, devenue ipso facto la place d’honneur, à l’image du Christ, la Théotokos
étant reportée ailleurs, sur la paroi sous-jacente ou dans une absidiole latérale, par
exemple. Il y a des exceptions : à El Nazar (Göreme 1), l’Ascension du Christ est peinte
dans la coupole centrale, tandis que Marie trône au centre de l’abside. En revanche à
Kiliçlar kilise (Göreme 29), église en croix inscrite, la Majestas Domini est maintenue
dans la conque de l’abside centrale, la Vierge étant reportée dans l’absidiole nord. Dans la
coupole se trouvait l’Ascension, mais le Christ (détruit) peint au sommet devait être peu
visible, en raison de la forme et des dimensions de la coupole, d’où probablement son
maintien dans l’abside. La préférence marquée pour l’image de la Majestas Domini, qui
perdurera longtemps à la périphérie du monde byzantin, ne s’explique sans doute pas
seulement par des raisons d’ordre matériel. Elle tient peut-être aussi à la force expressive
d’une composition qui, manifestant la présence du Dieu souverain, évoquait aussi le
retour glorieux du Christ à la fin des temps et répondait ainsi aux préoccupations
eschatologiques d’une société vivant dans l’espérance du salut dans l’au-delà.

Archaïsme ou contemporanéité ?
10 Ces programmes iconographiques qualifiés d’ » archaïques » – ils ne le sont guère plus
que la peinture constantinopolitaine de la Renaissance macédonienne – reflètent certains
thèmes d’actualité. Le développement du cycle de l’Enfance, comme l’apparition des
scènes de la Descente de croix et de la Mise au tombeau, inconnues dans l’art
pré-iconoclaste, qui démontraient la réelle humanité du Sauveur, témoignent des
préoccupations liées à la propagande en faveur des images. C’est également dans ce
contexte que s’explique la mise en valeur des théophanies, qu’il s’agisse de la glorification
du Seigneur dans l’abside, de la Transfiguration ou de l’Ascension, qui font partie de ces
visions divines en vogue dans l’iconographie post-iconoclaste. D’une manière générale,
l’homogénéité des programmes iconographiques est frappante ; elle contraste avec la
variété des décors antérieurs et témoigne d’une certaine uniformisation de la peinture
religieuse après la fin de l’iconoclasme.

L’église d’EI Nazar (Göreme I), vue vers l’est


Creusée dans un cône isolé dans une vallée parallèle à celle de Göreme, elle présente un
plan en croix libre, avec une coupole centrale et trois absides.
L’Ascension du Christ occupe la coupole, la Vierge à l’Enfant entre deux archanges et
deux saints l’abside centrale.
11 Aux grandes compositions théophaniques et aux cycles narratifs s’ajoute, dans le décor
des églises, une série de figures de saints : leur multiplication à l’époque macédonienne
résulte du développement du culte des saints après la victoire des iconodoules, qui
avaient réaffirmé l’efficacité de la prière d’intercession, mise en doute par les iconoclastes.
Conçues comme de véritables icônes cultuelles, ces images nous renseignent sur la piété
des fondateurs – qui devaient avoir leur mot à dire sur la sélection des images – et,
partant, sur la société cappadocienne. Le choix des saints invoqués pour obtenir
protection ou intercession pour le pardon des péchés est révélateur : il accorde aux
soldats, une place éminente, reflétant l’importance de l’élément militaire dans la société
cappadocienne. Base de recrutement des armées d’Asie, plateforme pour les combats sur
les frontières orientales, la Cappadoce est avant tout terre de soldats, qui vivaient dans les
campagnes en étroite symbiose avec les paysans. L’iconographie reflète cette forte
militarisation de la Cappadoce et, plus généralement, l’importance de cette catégorie de la
société byzantine, sur laquelle reposait la défense de l’Empire. Les Quarante Martyrs de
Sébaste, Georges – d’origine cappadocienne –, Théodore, Procope sont les saints soldats
les plus vénérés. Constantin et Hélène, les souverains chrétiens sanctifiés, défenseurs de
l’Empire et de la foi chrétienne, figurent également en bonne place, de même que les
archanges – en particulier Michel – dont le culte était très développé en Asie Mineure,
représentés tantôt en tant que commandants des armées célestes, tantôt comme
protecteurs contre les forces maléfiques, comme thaumaturges et guérisseurs. Les saints
médecins (Côme et Damien, Pantéléimon) – ou assimilés (comme sainte Barbe ou sainte
Anastasie, « la désensorceleuse ») –, invoqués pour les bienfaits qu’ils procurent aux
malades, occupent aussi des emplacements importants, à l’entrée de l’église ou de
l’abside. Souvent, on ne se contentait sans doute pas de leur adresser des prières, on
utilisait aussi leurs images à des fins curatives, comme le montre l’histoire de cette femme
qui avait fait peindre dans sa maison les saints Côme et Damien et qui, prise de violentes
coliques, gratta un petit morceau de la peinture, le mélangea à de l’eau, avala cette potion
et fut aussitôt guérie. D’autres images témoignent des qualités particulières attribuées à
tel ou tel saint : celle de saint Tryphon, gardien d’oies de Phrygie, que l’on invoquait pour
protéger vigne, jardin ou champs des insectes nuisibles, celle de saint Mamas, martyr de
Césarée, protecteur des troupeaux, ou celle de Christophore, protecteur des voyageurs et
des pèlerins, invoqué aussi comme guérisseur. Les représentations de saints ascètes et
moines sont relativement peu nombreuses dans les églises de Cappadoce, même dans les
sanctuaires sûrement attachés à un monastère, peut-être parce que les fondateurs étaient
très souvent des laïcs.

Scènes de la sépulture du Christ dans l’Ancienne église de Tokali


Après la Crucifixion — on ne voit ici que saint Jean — est représentée la Descente de
croix : Marie reçoit dans ses bras son fils, soutenu par Joseph d’Arimathie, Nicodème
déclouant les pieds. Le Christ est ensuite porté au tombeau par Joseph d’Arimathie et
Nicodème.

Un décor funéraire : Saint-Jean de Güllü dere


12 Le vallon de Güllü dere, sur le versant occidental du massif Ak tepe, au sud de Çavuşin,
abrita dès l’époque paléochrétienne ermitages et couvents. L’établissement le plus
important était probablement le monastère établi autour d’une église à nef transversale
(la n° 3), au plafond sculpté de trois croix ; au début du Xe siècle fut peinte dans l’abside
une vaste Majestas Domini au-dessus d’une rangée de figures de saints (apôtres et
évêques). L’église Saint-Jean (n° 4, appelée localement Ayvali kilise) fut excavée –
probablement à l’époque préiconoclaste – à la base d’un large cône, situé en amont, au
fond du vallon, sur un replat cultivé. Elle se compose de deux chapelles parallèles – celle
du nord funéraire – séparées à l’est par un minuscule oratoire, également funéraire, qui
les met en communication. Le décor peint atteste, comme celui de l’église précédente, une
reprise d’activité au début du Xe siècle : au-dessus d’une première couche de peinture fut
exécuté sous le règne de Constantin VII Por-phyrogénète (vraisemblablement entre 913 et
920), un nouveau décor, œuvre de l’atelier de l’ » ancienne église » de Tokah. On ignore
malheureusement à peu près tout du pieux donateur responsable de l’embellissement de
l’église, sinon qu’il devait être assez fortuné, puisqu’il dit avoir fait construire un
monastère dédié à la Vierge et à tous les saints. D’autres fidèles, dont on ne sait s’ils
appartenaient à la même famille, ont pu contribuer à la fondation, tels cette femme
nommée Demnis (Domna ?) et ce cavalier, Théodore, dont les portraits, accompagnés
d’invocations, se trouvent dans la niche occidentale du mur nord. Un moine orant et
nimbé, Makar, est aussi représenté dans l’arcosolium de la chapelle nord, où il fut
peut-être enterré ; sans doute s’agit-il de quelque figure illustre du petit monastère qui
pouvait être attaché à l’église.
13 Le décor de la chapelle sud est de type « archaïque », avec le Christ en gloire dans
l’abside, un cycle christologique détaillant surtout l’Enfance, la Passion et la Résurrection,
dans la nef. La Transfiguration, dans le tympan ouest, l’Ascension, déployée dans toute la
partie occidentale de la voûte de la nef, ont, comme à Tokah kilise, reçu un traitement
privilégié. Le répertoire hagiographique est également conforme à celui des églises
« archaïques », avec Constantin et Hélène encadrant l’arc absidal, une série de martyrs de
Sébaste sur les parois latérales de la nef, et des saintes femmes sur le mur ouest, de part et
d’autre de la porte. Plus originale est l’image de l’Agneau peinte au sommet de l’arc
absidal entre les bustes des prophètes. On pensait, avant la découverte de plusieurs
exemples cappadociens, que cette représentation symbolique du Christ avait totalement
disparu de l’iconographie byzantine après le Concile Quinisexte réuni à Constantinople en
692. Le canon 82, faisant allusion aux images où l’on voit l’Agneau montré par le doigt du
Précurseur, avait en effet recommandé de préférer aux « types et aux ombres », c’est-
à-dire aux symboles, l’image anthropomorphique du Christ, seule susceptible de rendre
manifeste la réalité de l’Incarnation. Les peintures conservées en Cappadoce prouvent
que l’image de l’Agneau s’est maintenue au moins jusqu’au Xe siècle, non qu’elle
remplaçait l’image du Christ, mais en association avec celle-ci : c’est le cas à Saint-Jean de
Güllü dere, où l’Agneau peint à la douelle absidale précède le Christ en gloire de la
conque, qu’il préfigure. Les deux thèmes sont complémentaires et traduisent
plastiquement l’antithèse théologique traditionnelle ombre/-vérité, âge de la Loi/âge de la
Grâce. Ces peintures invitent donc à une révision de l’interprétation traditionnelle du
canon 82, canon qui visait sans doute moins à proscrire la représentation de l’Agneau
qu’à promouvoir et justifier l’image du Christ.

Situation de l’église Saint-Jean, à l’origine du vallon de Güllü dere.


Creusée à la base d’un cône pointu à large base – on aperçoit au centre l’une de ses deux
portes – elle a longtemps été utilisée comme pigeonnier. À l’exception de la chapelle n°5,
située en arrière de Saint-Jean, à gauche, les autres établissements rupestres de Güllü
dere sont en aval.
14 La chapelle nord, qui abrite quelques tombes, devait servir à la célébration d’offices
commémoratifs pour les fondateurs et les moines défunts : elle abrite en tout cas un
programme iconographique de type funéraire. La composition absidale traditionnelle a
été enrichie par l’adjonction des deux intercesseurs de la Déisis, la Vierge et saint
Jean-Baptiste, qui traduisent l’espoir de salut des fondateurs. Dans la nef, l’image très
dynamique de la Seconde Venue du Christ, arrivant sur les nuées précédé du signe de la
croix (partie orientale de la voûte), est associée à l’évocation de la Résurrection des morts
(dans le tympan ouest) et du tribunal du Jugement dernier. Dans le tympan oriental, le
Christ Juge trône entre les deux intercesseurs, qui implorent sa clémence : « Fils de Dieu,
aie pitié de ceux que ta main a créés », supplie Marie, tandis que le Précurseur demande :
« Aie pitié, Seigneur des Chrétiens ». De part et d’autre, dans la voûte, les anges
présentent les rouleaux contenant les écrits de hommes, qui permettront de juger chacun
selon ses œuvres. Les apôtres juges trônent ensuite en deux rangs qui se font face sur les
deux versants de la voûte. Chacun tient sur ses genoux un livre ouvert où est inscrit son
nom et celui du lieu qu’il est supposé avoir évangélisé. Le thème de l’enseignement
universel des voies du salut se trouve ainsi associé à celui du Jugement, la Pentecôte étant
d’ailleurs peinte dans la partie occidentale de la voûte. Certaines attributions sont
intéressantes, comme celle de la Cynocéphalie, le pays des hommes à tête de chien, à
André, conformément à une tradition apocryphe orientale ; Thaddée, lui, aurait prêché
« en Gabadonie, la Grande Arménie », assimilation qui s’explique par la colonisation
arménienne des régions orientales de l’Empire byzantin : la Petite Arménie, entre Césarée
et Mélitène, comprenait la haute plaine de Gabadonie, entre le mont Argée et le Taurus.
15 Sur les parois de la chapelle se succèdent des figures de saints, représentés à titre
d’intercesseurs. Parmi eux, on remarque, à l’entrée de l’abside, saint Phocas, évêque de
Sinope et puissant thaumaturge (en haut à gauche), saint Hiéron (en dessous), le martyr
originaire du village voisin de Matiane, Tryphon (à droite), martyr de Phrygie souvent
invoqué en milieu rural comme protecteur des champs, des vignobles et des jardins, mais
qui avait aussi le pouvoir de guérir les maladies et de chasser les démons. La porte
d’entrée, à l’ouest, était gardée par deux grands archanges en costume impérial : Gabriel
et Michel. Ce dernier, désigné comme « le grand Michel de Chônai » est accompagné de la
petite figure d’un moine en prière, Archippe, qui rappelle le miracle survenu jadis au
sanctuaire de l’archange en Phrygie : à la prière d’Archippe, les flots qui allaient engloutir
l’église s’étaient engouffrés dans un trou ouvert dans le sol par un coup de sceptre de saint
Michel. Le sanctuaire de Chônai, construit près d’une source réputée pour ses guérisons,
était un lieu de pèlerinage très fréquenté, où la présence de voyageurs venus de
Cappadoce est bien attestée. L’image d’Archippe en prière près de Michel rappelait
l’efficacité de la prière adressée à l’archange. Sur la paroi sud, à peu près en face du grand
arcosolium, est peinte la vision d’Eustathe, que nous avons déjà rencontrée à Hagios
Stéphanos et qui figure ici pour son symbolisme funéraire, comme image du salut accordé
aux justes. La Dormition de la Vierge est également représentée – sur la paroi nord – en
tant que préfiguration de la mort du chrétien et promesse de salut. L’inscription
empruntée au Livre de la Sagesse (3, 1) – « Les âmes des justes dans la main du
Seigneur » – précise bien la valeur attribuée ici à l’image. Dans le petit oratoire ménagé à
l’est entre les chapelles nord et sud, c’est à travers des thèmes de l’Ancien Testament
-sacrifice d’Abraham, holocauste et ascension d’Elie – que sont évoqués le sacrifice et la
résurrection.

Saint-Jean de Güllü dere


Représentation d’un moine orant et nimbé sur le versant ouest du grand arcosolium
central de la nef nord ; on lit de part et d’autre du visage l’inscription : « Pour la prière du
serviteur de Dieu, Makar, moine de… »

Saint-Jean de Güllü dere


À gauche: Détail de la Présentation du Christ au temple, dernière scène du cycle de
l’Enfance, dans la voûte de la nef sud. Plusieurs morceaux de peintures de cette église (les
bustes d’André, de Thaddée et de la Vierge et l’Enfant dans la scène de la Fuite en Égypte)
ont été volés dans les années soixante.
À droite: Nef nord, versant nord de la voûte. De gauche à droite : trois des apôtres-juges
trônant (Matthieu, Jean et Paul), puis « les anges présentant les écrits des hommes »
(comme l’indique l’Inscription) et la Vierge de la Déisis du tympan oriental.
16 Ainsi, à partir de Saint-Jean de Güllü dere, peut-on concevoir certains aspects des
croyances et pratiques religieuses de Cappadoce au début du Xe siècle : le crédit accordé
aux textes apocryphes, les saints auxquels les fidèles adressaient de préférence leurs
prières, la valeur des images comme rappel de l’Économie divine, mais aussi comme
intermédiaires nécessaires…
17 L’explosion iconographique, dont témoignent les peintures « archaïques » de Cappadoce,
ne fut probablement pas propre à cette région, mais la perte de la quasi-totalité des décors
contemporains leur confère une importance particulière à la fois pour la connaissance de
l’art byzantin des IXe et Xe siècles et pour celle de la vie religieuse en milieu rural dans une
province de l’Empire. Par leur inspiration iconodoule, la formulation de telle ou telle
scène, certains motifs isolés, comme aussi par leur style – malgré une schématisation
linéaire poussée –, les peintures cappadociennes de la première moitié du Xe siècle
s’inscrivent bien dans la production byzantine contemporaine, mais elles attestent en
même temps la vitalité de la création locale.
18 On ignore pratiquement tout des peintres (anonymes, sauf rares exceptions), de leur
origine – artistes itinérants, venus des centres urbains, ou peintres recrutés localement –
et de leurs conditions de travail. De même, les circonstances qui présidèrent à la
fondation des églises nous échappent généralement – au mieux connaît-on les noms des
donateurs, rarement accompagnés de titres. Les églises « archaïques » de Cappadoce sont
en effet pour la plupart des monuments modestes, dont les promoteurs n’ont pas marqué
l’histoire : elles restent les seuls témoins matériels d’une population rurale généralement
ignorée des sources écrites. Dans cette production anonyme, font exception deux
ensembles, qui peuvent être mis en relation, à des titres divers, avec la riche famille
cappadocienne des Phocas et qui présentent des caractéristiques de transition : ils
méritent une étude particulière.

© CNRS Éditions, 1997

Terms of use: http://www.openedition.org/6540

Electronic reference of the chapter


JOLIVET-LÉVY, Catherine. Le renouveau de l’époque macédonienne In: La Cappadoce: Mémoire de
Byzance [online]. Paris: CNRS Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet:
<http://books.openedition.org/editionscnrs/928>. ISBN: 9782271078650.

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. La Cappadoce: Mémoire de Byzance. New edition [online]. Paris: CNRS
Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet: <http://books.openedition.org
/editionscnrs/918>. ISBN: 9782271078650.
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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

Une grande famille


cappadocienne : les Phocas
p. 58-67

Full text
1 Deux monuments exceptionnels décorés vers le milieu du Xe siècle peuvent être liés à une
grande famille byzantine, issue de l’aristocratie militaire et foncière de Cappadoce et qui,
depuis 944, en faveur auprès de l’empereur Constantin VII, joua un rôle politique
important en Orient : les Phocas. Bardas, le père, était chef de l’armée d’Asie (domestique
des Scholes) ; l’aîné des fils, Nicéphore, stratège des Anatoliques, succéda à son père en
954. Léon, le deuxième fils de Bardas, était stratège de Cappadoce et le troisième,
Constantin, stratège de Séleucie. Nicéphore, après avoir repris la Crète aux Arabes qui
l’occupaient depuis près d’un siècle et demi, poursuivit le combat en Asie, où son
offensive fut couronnée de succès. En 963, l’empereur Romain II étant mort
prématurément, il fut proclamé empereur par ses troupes à Césarée, puis couronné à
Constantinople ; il épousa peu après l’impératrice veuve, la belle Théophano, s’alliant
ainsi à la dynastie légitime des Macédoniens. Il conféra à son père et à son frère les titres
de césar et de curopalate et attribua à un éminent général, Jean Tzimiskès, promu
domestique des Scholes, le commandement suprême de l’Orient. Empereur, Nicéphore
poursuivit ses conquêtes, franchissant le Taurus et menant une guerre très dure dans les
montagnes de Cilicie, assiégeant Tarse et Mopsueste, qui tombèrent l’été 965. L’annexion
de la Cilicie fut suivie par celle de la Syrie au terme d’une longue campagne (966-969).
Grâce aux hauts-faits de Nicéphore Phocas et de son successeur, Jean Tzimiskès
(969-976), cette époque fut certainement l’une des plus glorieuses, au point de vue
militaire, que connut l’État byzantin médiéval.

La « nouvelle église » de Tokali


2 C’est probablement à l’initiative des Phocas que l’ancienne église de Tokali, à Göreme, fut
agrandie par l’excavation, à l’est de la nef, d’un vaste vaisseau transversal (de 10 m de
long environ) voûté en berceau, donnant sur les trois absides par l’intermédiaire d’un
étroit couloir, limité par quatre épais piliers ; une chapelle annexe fut creusée au nord et
une crypte funéraire en sous-sol. Deux inscriptions, l’une sur la corniche de la nef, l’autre
sur celle de l’abside nord, indiquent que l’église appartenait à un monastère dédié aux
Archanges et qu’elle a été décorée par Constantin, Nicéphore et Léon, fils de Constantin.
Ces trois prénoms sont – avec Bardas – bien attestés dans la famille des Phocas ; malgré
l’absence de patronyme (normale dans les inscriptions de cette époque) et de titres, la
richesse et la qualité des peintures dans une église située dans une région où s’exerçait
l’influence des Phocas suggèrent de leur attribuer la fondation. Constantin, fait prisonnier
en 953 et mort à Alep, serait l’initiateur ; son œuvre aurait été poursuivie par un fils
nommé Léon, inconnu par ailleurs, et par Nicéphore, qui allait devenir empereur, mais ne
l’était sans doute pas encore, étant donné l’absence de titre impérial dans la dédicace.
L’échelle exceptionnelle de l’église, la qualité du décor architectural (série d’arcatures
aveugles et grandes croix sculptées dans les murs nord et sud), le développement du
programme iconographique et son caractère novateur, la qualité du style, la richesse de la
technique, enfin, qui recourt au lapis-lazuli pour les fonds bleus, à l’or et à l’argent pour
certains nimbes : tout, à Tokali, suppose l’intervention de donateurs hors pair. D’ailleurs,
les rares parallèles connus pour l’usage du coûteux lapis-lazuli sont les peintures des
fondations princières d’Arménie (Aghtamar) et de Géorgie méridionale (Ishan,
Dörtkilisc). La fortune des Phocas leur permettait à coup sûr de s’assurer le concours d’un
atelier très expérimenté, venu peut-être de Constantinople. La richesse et la beauté des
peintures, qui ont été restaurées entre 1973 et 1980 et qui comptent au nombre des chefs
d’œuvre de l’art byzantin, servaient en retour la gloire de la puissante famille
cappadocienne. Monument de prestige, l’église était aussi, vraisemblablement, le
katholikon d’un monastère de Göreme ou d’un groupe de petits monastères voisins.

La Nouvelle église de Tokali à Göreme


Vue de la nef transversale vers le nord. Les arcatures aveugles abritent des figures de
martyrs de Sébaste, tandis que la vie du Christ débute dans la voûte et au sommet du
tympan et se poursuit en frise continue au-dessus des arcades.
3 Le style des peintures, inspiré des modèles antiquisants à la mode à Constantinople à
l’époque de la dynastie macédonienne, permet des comparaisons avec les ivoires et
miniatures de la capitale, ces dernières offrant aussi des parallèles pour l’iconographie,
dont le développement reste sans parallèle dans la région. Le programme décoratif, très
ambitieux, est aussi original, dans sa constitution (accent mis sur les épisodes de la vie
publique et des miracles, avec des scènes rares comme la tentation du Christ ou la
vocation de Matthieu), comme dans sa présentation. Adapté au cadre architectural de
l’église, le récit, moins linéaire, plus morcelé que dans les églises « archaïques », se
déploie dans les trois travées de la nef transversale, dans les voûtes et sur le haut des
parois, ainsi que dans l’abside centrale, où sont peintes les scènes relatives à la mort et à
la résurrection du Christ. Certains thèmes importants bénéficient d’un emplacement bien
en vue, occupent des surfaces plus grandes et sont traités avec une monumentalité
accrue : c’est le cas de l’Annonciation et de la Nativité, qui se font face dans la travée nord
de la voûte, de l’Ascension et de la Bénédiction des apôtres dans la travée centrale, de la
Pentecôte dans la travée sud, de la Crucifixion dans l’abside médiane, de la
Transfiguration et de la Dormition dans le couloir oriental.
Nouvelle église de Tokali
En haut: Détail du cycle de la vie du Christ, sur le mur nord de la nef. A la suite du
Baptême (auquel appartiennent les anges) sont représentées la Tentation du Christ et la
Vocation de Matthieu.
En bas: Détail de la scène de l’Adoration des Mages, avant restauration.

Partie sud de la Nouvelle église de Tokali, vue vers l’est


À gauche de l’arc doubleau, fragment de l’Ascension ; à droite : six apôtres de la
Pentecôte, au registre supérieur, surmontent, de gauche à droite, le prophète Joël, les rois
à la tête des peuples et l’Ordination des diacres par saint Pierre. Dans l’écoinçon entre les
arcades : la Guérison de l’Infirme à la main desséchée
4 Le caractère novateur ou savant de l’iconographie se marque aussi dans le détail de
certaines scènes. Citons, dans la Nativité, la foule d’anges – « la troupe nombreuse de
l’armée céleste qui louait Dieu » – représentée autour de la grotte, ou encore l’arrivée des
Mages, tenant un rouleau déployé, allusion à la prophétie de Balaam (Nombres 24, 17) sur
l’astre issu de Jacob, que les commentateurs et la liturgie rapprochent de l’étoile qui guida
les Mages. Vaste composition harmonieusement déployée dans la voûte en cul-de-four de
l’abside, la Crucifixion offre un des plus anciens exemples de la représentation du
centurion qui reconnaît la divinité du Christ ; Marie et Jean sont du même côté de la
croix, ce qui est rare à cette époque, comme le sont aussi deux détails : le temple de
Jérusalem au rideau déchiré (à droite) et les rochers fendus à la mort du Christ (à gauche,
derrière le groupe des myrophores). Deux prophètes, à l’intrados de l’arc absidal,
précisent le sens de la scène et lui apportent un commentaire théologique : Jérémie porte
un texte relatif au sacrifice de l’Agneau (Jérémie. 11, 19) et Ézéchiel un passage évoquant
la résurrection (Ézéchiel. 37, 1). L’iconographie de la Dormition de la Vierge est également
d’avant-garde, avec au ciel le Christ entouré d’anges et les apôtres arrivant sur des nuées.
Enfin, l’émouvante « Vierge de tendresse » dans une niche située à gauche de l’abside est
le premier exemple connu de ce type iconographique, qui montre Jésus appuyant son
visage contre la joue de sa mère, à l’expression pensive et douce ; le nettoyage effectué
lors de la restauration de l’église a révélé la sûreté du dessin et la délicatesse du modelé.
5 Les caractéristiques de la technique et du style, les traits novateurs et savants de
l’iconographie s’expliquent vraisemblablement, non comme on l’a supposé par une
datation tardive des peintures, mais par l’intervention d’un atelier talentueux, issu d’un
grand centre artistique (Constantinople ?). D’ailleurs, le programme iconographique est
de transition : il combine au système traditionnel en Cappadoce du récit continu présenté
en frise, celui qui bientôt va s’imposer de tableaux indépendants peints à plus grande
échelle. La mise en valeur des scènes liées au thème de la mission des apôtres s’accorde
bien aussi avec une datation de l’ensemble au Xe siècle : sous les empereurs macédoniens,
en effet, l’Église et de l’État byzantins développent une importante activité missionnaire,
qui vise à imposer à tous – incroyants, hérétiques ou schismatiques – la « foi droite ». La
Pentecôte a ainsi reçu un développement important, dans la voûte de la travée sud de la
nef, avec, subordonnée à la double série des disciples trônant au Cénacle, la
représentation des peuples, des tribus et des langues, groupés derrière leurs rois – deux
de chaque côté de la voûte – vêtus en empereurs byzantins. Ces rois sont au nombre de
quatre, peut-être pour faire allusion aux empires situés aux quatre points cardinaux et
donc à l’universalité de la propagation de l’Évangile. Leur représentation en empereurs
byzantins rappelle le rôle des souverains chrétiens, « isapostoliques », poursuivant
l’œuvre de conversion des peuples entreprise par les apôtres. Deux autres scènes,
rarement illustrées, exaltent le rôle de saint Pierre lors de l’ordination des premiers
diacres et de l’envoi des apôtres en mission. Inspirée des Actes des Apôtres (VI, 1-6), qui
rapportent l’institution de sept diacres, la première s’éloigne du texte par le rôle dévolu à
Pierre, qui, nimbé et de haute taille, impose seul les mains, reléguant les autres disciples
au rang de simples spectateurs. De même, l’image voisine illustrant la séparation des
apôtres à Jérusalem montre saint Pierre donnant l’ordre de dispersion. Dans les deux
épisodes, il porte au doigt l’anneau des évêques : est-ce pour montrer la reconnaissance
de la primauté de Rome, ou, plutôt, comme le suggère une tradition légendaire ancienne,
pour rappeler que Pierre aurait été le premier évêque de Césaree avant de se rendre à
Rome et exalter ainsi la métropole régionale, élevée au rang de siège apostolique ?
6 L’église était d’ailleurs, selon toute vraisemblance, dédiée au plus célèbre saint prélat de
Césarée, Basile le Grand, docteur de l’Église et père du monachisme oriental. Il était
représenté au milieu de l’abside médiane, ainsi qu’au centre de la grande croix en relief du
tympan sud de l’église. Sur la paroi nord de la nef étaient peints des épisodes de sa vie,
inspirés par le récit attribué faussement à Amphiloque, évêque d’Iconium : il ne reste plus
que la tête du saint, qui s’adressait à l’empereur Valens dans un épisode illustrant le rôle
de Basile dans la lutte contre l’arianisme, et le miracle posthume qui eut lieu lors de ses
funérailles. D’une manière générale, le répertoire hagiographique représenté dans l’église
fait une large place aux prélats d’Asie Mineure, associés aux patriarches de
Constantinople et aux papes de Rome, ce qui soulignait la place de l’Asie Mineure dans
l’oikouménè chrétienne. Les Quarante Martyrs de Sébaste, très populaires en Cappadoce
– leurs reliques se trouvaient dans la région au IVe siècle et la mère de saint Basile avait
fait ériger près de Césarée un sanctuaire en leur honneur – sont aussi figurés en bonne
place, de même que saint Hiéron, déjà évoqué à propos de Saint-Jean Baptiste de
Çavuşin, peint à une échelle colossale à l’entrée de la nef, et que saint Eustathe et sa
famille, dont le martyre est représenté sur la barrière du sanctuaire.

Le Grand Pigeonnier de Çavuşin


7 L’attribution de Tokali kilise aux Phocas est d’autant plus vraisemblable qu’à quelques
kilomètres de là, à l’entrée de l’actuel village de Çavuşin, une autre église, connue sous le
nom de Grand Pigeonnier parce qu’elle a longtemps été utilisée comme tel ou encore
d’église de Nicéphore Phocas (à cause de la représentation de ce dernier), peut être mise
en relation avec les campagnes militaires de Nicéphore et de son frère Léon contre les
Arabes. C’est probablement en 964 ou 965, quand la famille impériale fit de fréquents
séjours dans la région au moment des campagnes de Cilicie contre les Arabes, que ce
décor fut exécuté pour rendre hommage aux pieux souverains de l’Empire et aux soldats
engagés dans la lutte contre les Arabes, voire pour commémorer leurs victoires. Après
avoir séjourné en Cappadoce au printemps 964 pour y former son armée, Nicéphore
franchit le Taurus en juillet, laissant l’impératrice et ses deux fils dans une forteresse
proche de Tyane (Drizion), à une centaine de kilomètres au sud de Çavusin. Ayant
reconquis Anazarbe et Adana, l’empereur revint hiverner en Cappadoce jusqu’au
printemps 965. La campagne de 965, marquée par la prise de Mopsueste et de Tarse, lui
ouvrit la voie de la Syrie et de la Palestine.
8 L’absidiole nord de l’église est conçue comme une sorte de loge impériale, où sont
présentés Nicéphore, son épouse l’impératrice Théophano, le césar Bardas (le père de
Nicéphore), le curopalate Léon (son frère) et un cinquième personnage, près de
l’impératrice, aujourd’hui anonyme. Tous sont nimbés. Une courte prière, au-dessus des
figures, invoque la protection divine : « Seigneur, protège toujours nos pieux empereurs
Nicéphore et Théophano notre despoina [souveraine]. » Les hommes tiennent à la main
une petite croix, rappel du signe nicéphore invoqué dans les combats, et peut-être, plus
précisément, allusion aux précieuses croix-reliquaires reprises aux Arabes et rapportées
triomphalement à Constantinople, après la prise de Mopsueste et de Tarse. A Nicéphore
et Théophano font pendant dans l’abside centrale les saints Constantin le Grand et sa
mère Hélène, figurés de façon analogue et visibles seulement si l’on fait face au portrait
impérial de l’absidiole nord, le parallélisme des images rappelant l’assimilation des
empereurs régnants aux souverains sanctifiés. L’iconographie, reflétant un thème
récurrent de l’idéologie politique de Byzance, proclamait ainsi les rapports privilégiés
entre Constantin le Grand et Nicéphore Phocas, affirmait la légitimité, la primauté et la
piété de ce dernier, successeur du premier empereur chrétien et « nouveau Constantin ».
La référence constantinienne est complétée par une référence biblique : au-dessus de
l’absidiole et des portraits impériaux est figurée sur le mur est de la nef l’apparition de
l’« archistratège des armées de Yahvé » -explicitement identifié ici à l’archange Michel – à
Josué avant la prise de Jéricho (Josué 5, 13-15), image symbolique de l’aide apportée par
Dieu à ses soldats. Nicéphore, héros de la reconquête byzantine, est ainsi mis en parallèle
avec Josué, héros de la reconquête de la Terre Promise et modèle de bravoure pour tout
chef de guerre. La scène peut être interprétée ici soit comme une prière picturale pour que
l’assistance divine se renouvelle en faveur de l’empereur représenté en dessous, soit
comme une image d’action de grâces après une victoire attribuée à l’aide divine (peut-être
la prise des villes de Mopsueste et de Tarse en 965). Enfin, face aux portraits impériaux,
sur le mur ouest de la nef, est peint le Baptême du Christ : la confrontation des sujets
rappelle le lien souvent souligné entre l’épiphanie du Christ et celle du souverain,
« illuminé » par la Sagesse divine, qui fait de lui l’élu de Dieu. Hors cycle, faisant pendant
à la scène de l’Anastasis (peinte symétriquement à l’extrémité sud du mur ouest), le
Baptême a aussi ici valeur d’invocation pour le salut de l’empereur et de son entourage.
La famille impériale
L’absidiole nord de l’église dite du Grand Pigeonnier de Çavuşin abrite la représentation
de la famille Impériale autour de Nicéphore Phocas (au centre) ; l’impératrice Théophano
est à gauche, le père et le frère de Nicéphore à droite.

L’église de Çavuşin
Vue de l’angle nord-est ; au-dessus de l’absidiole, sur le mur est, l’apparition de Michel à
Josué ; dans la haute niche orientale du mur nord, l’archange Michel ; sur la paroi
adjacente Jean Tzimiskès et Mélias à cheval (sous la Crucifixion) précédant les martyrs de
Sébaste.
9 Dans l’absidiole sud, faisant pendant à la famille impériale, l’image de la Vierge trônant
avec l’Enfant rappelle que l’on demandait en premier l’intercession de Marie pour obtenir
la victoire. Les saints représentés dans la nef – soldats, moines à l’entrée de l’abside,
martyrs – le sont également à titre d’intercesseurs, les saints guerriers, que l’on invoquait
dans les combats comme les protecteurs des soldats de l’Empire, constituant l’essentiel du
répertoire hagiographique. Ils sont ici figurés vêtus non de la chlamyde, encore
traditionnelle au Xe siècle pour cette catégorie de saints, mais du costume militaire. Ils
appartiennent, pour la plupart, à la série des Quarante Martyrs de Sébaste, dont le culte
était très développé dans l’armée byzantine. L’épée levée, ils semblent faire escorte à deux
cavaliers qui les précèdent sur le mur nord de la nef, s’avançant comme à la parade ; des
inscriptions permettent d’identifier les deux illustres chefs de l’armée d’Asie : Jean
Tzimiskès et l’Arménien Mélias. Les deux généraux sont, à l’instar des saints guerriers,
représentés nimbés, ce qui ne surprend guère quand on sait que Nicéphore aurait voulu
que l’on honorât comme martyrs ses soldats morts au combat. Ainsi l’iconographie nous
éclaire-t-elle sur les circonstances de cette fondation, liée au désir de glorifier les héros de
la guerre contre les Arabes. Les inscriptions, qui accompagnent ces portraits, ont été
repeintes après l’avènement de Jean Tzimiskès (969-976), amant de Théophano et
complice du meurtre de Nicéphore : « À Jean, basileus, nombreuses années », « Seigneur,
secours ton serviteur Mélias magistros ». Figures historiques nimbées et personnages
sacrés partagent donc le même espace, les combattants de l’Empire étant assimilés aux
saints militaires, dont ils invoquaient la protection dans les combats.
10 La mise en valeur dans le narthex et à l’extrémité orientale de la nef, encadrant le
sanctuaire, de grandes figures d’archanges, associée à la représentation de l’apparition de
Michel à Josué, fait penser que l’église était dédiée aux Incorporels, les archanges, ou au
seul archange Michel, l’archistratège des armées célestes. Peint dans la haute arcature
aveugle creusée à l’extrémité est du mur, il semble d’ailleurs introduire auprès de
l’empereur les guerriers à cheval. Aux pieds de l’archange, sont représentés, à petite
échelle, les donateurs du sanctuaire, aujourd’hui anonymes. Leurs portraits sont presque
effacés et leur identification impossible.
11 Hormis la constellation d’images que l’on peut regrouper autour des portraits impériaux,
le programme iconographique de l’église, consacré à la glorification du Christ, dont
Nicéphore Phocas n’est que l’humble lieutenant, reste, dans ses grandes lignes conforme
aux traditions « archaïques », avec une vision du Christ en gloire dans l’abside centrale et
un cycle détaillé de la vie du Christ présenté en registres dans la nef. Quelques traits
nouveaux ou originaux apparaissent cependant, comme la mise en valeur de l’Ascension
et de la Bénédiction des apôtres dans la partie orientale de la voûte de la nef (comme à
Tokali kilise) ou encore la présence d’une scène rare précédant la Crucifixion et
permettant d’exalter la figure de saint Pierre : conformément à certains écrits apocryphes,
l’apôtre, pardonné, est présent au pied de la croix, à la droite du Christ. La mise en valeur,
sur le mur est de la nef, symétriquement à l’image de Josué, du martyr local Hiéron, dont
la relique était peut-être conservée dans la toute proche basilique de Çavuşin, et la
représentation, dans le narthex, de saint Eustathe à cheval poursuivant le cerf,
témoignent aussi du caractère cappadocien de l’hagiographie.
12 L’ampleur de l’église, d’une élévation inhabituelle (10 m environ) par rapport aux
sanctuaires contemporains, plus modestes – exception faite de Tokali kilise –, et
l’inspiration en partie militaire du décor conduisent à s’interroger sur la fonction du
monument. La présence de plusieurs salles excavées à proximité a fait penser qu’il
s’agissait d’un établissement monastique ; peut-être celui-ci bénéficia-t-il d’une donation
impériale, Nicéphore étant lui-même très pieux, porté à l’ascétisme et vivement intéressé
par la vie monastique. En outre, les prières des moines étaient particulièrement
recherchées pour la protection de l’empereur (et de sa famille) et pour le succès des
expéditions militaires. Les traités militaires contemporains – l’un d’eux est justement
attribué à Nicéphore Phocas –révèlent aussi l’importance des cérémonies religieuses
destinées à l’armée. Deux fois par jour, matin et soir, les soldats se livrent à la prière en
commun, dans le camp, « et l’ensemble de l’armée doit répéter le Kyrie eleison jusqu’à
cent fois, dans le recueillement, la crainte de Dieu et les larmes. Personne n’aura l’audace,
au moment de la prière, de se livrer à quelque occupation que ce soit ». Avant de livrer
bataille, les pratiques religieuses redoublent d’intensité : bénédiction des étendards,
prêche devant les troupes, destiné à exciter leur bravoure en proclamant « que les
victoires accomplissent la prophétie et la prédiction des saints », purification physique et
morale, participation à la communion eucharistique de l’ensemble de l’armée sont
nécessaires pour mériter la victoire. Munis des sacrements, animés par la foi et la
confiance en Dieu, les soldats pourront alors marcher contre leurs ennemis en continuant
d’invoquer Dieu, la Vierge et les saints. La religion préside à la vie militaire : les soldats
byzantins ne sont pas seulement les défenseurs de l’Empire, ils sont les soldats de Dieu,
les champions de l’Église, qui protège l’organisation militaire et trouve en elle son
soutien. Monument exceptionnel, l’église de Çavuşin nous révèle cet esprit religieux qui
animait les soldats de l’Empire ; elle témoigne également du véritable culte dont
Nicéphore paraît avoir fait l’objet, de son vivant déjà, dans sa province d’origine, le décor
exaltant surtout, comme les panégyriques contemporains, les qualités militaires du
souverain.
Jean Tzimiskès et l’Arménien Mélias
Les deux généraux sur le mur nord de la nef de l’église de Çavuşin sont accompagnés
d’Invocations qui ont été repeintes après l’accession de Jean Tzimiskès au trône impérial

Vue générale de l’église de Çavuşin, vers l’est


La Transfiguration, dans le tympan, surmonte l’Apparition de Michel à Josué (à gauche)
et saint Hiéron (à droite). Dans les absidioles : la famille Impériale à gauche, la Théotokos
trônant avec l’Enfant à droite.
13 La Nouvelle Église de Tokali à Göreme et le Grand Pigeonnier de Çavuşin illustrent les
liens étroits unissant les Phocas à la Cappadoce et témoignent de l’essor d’une
« aristocratie » militaire et foncière, qui accapare les terres abandonnées par les paysans
(notamment à cause de prélèvements fiscaux exagérés) et qui jouera un rôle politique
important jusqu’aux mesures prises par Basile II pour mettre fin à sa puissance au début
du XIe siècle. D’autres familles de magnats cappadociens, « puissants » souvent en révolte
contre le pouvoir central et se comportant en véritables potentats locaux, sont connues,
comme celle des Argyroi ou celle des Maléïnoi, qui possédaient des domaines
considérables, mais aucun vestige matériel n’a pu leur être associé.

© CNRS Éditions, 1997

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de Byzance [online]. Paris: CNRS Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet:
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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

Ermitages et monastères
p. 68-87

Full text
1 Tous les sanctuaires qui parsèment les campagnes cappadociennes n’étaient pas
monastiques ; églises villageoises, oratoires privés, funéraires ou commémoratifs,
voisinent avec ermitages et couvents, et la distinction n’est pas toujours aisée. Une église
a pu changer de fonction au cours des siècles et, bien souvent, l’érosion naturelle et les
réaménagements successifs ont modifié l’aspect primitif des établissements. En outre, à
côté de monastères relativement bien structurés ( surtout du XIe siècle), on trouve des
ensembles moins organisés, l’hétérogénéité des structures matérielles reflétant l’aspect
multiforme, souple et mouvant des genres de vie, qui caractérise, en Cappadoce comme
partout dans l’Empire, le renouveau du monachisme dans les deux siècles qui suivirent le
triomphe de l’Orthodoxie (843). Le monachisme rural cappadocien semble, en effet, avoir
été caractérisé par une absence de cloisonnement et de fréquents échanges entre
différents modes de vie, solitaire ou communautaire, étroitement liés et probablement
complémentaires : ermites, groupes d’ascètes et moines cénobitiques se côtoyaient. Si le
monastère cénobitique impliquait une certaine organisation des lieux, aux ermitages et
groupes anachorétiques, qui étaient probablement les plus nombreux, correspondaient
des réalités matérielles plus floues et plus variables. À l’époque médiévale, se répand
d’ailleurs un système hybride, qui combine des éléments tirés des traditions cénobitique
et lavriote : les moines reconnaissent l’autorité de l’higoumène, mais vivent dans des
cellules individuelles dispersées et ne se réunissent qu’une fois par semaine pour la
liturgie dans l’église du koinobion et le repas en commun au réfectoire. Le succès des
différents modes de vie monastique, qui a touché toutes les couches de la société, explique
enfin la variété des établissements : de modestes fondations, dues peut-être à deux ou
trois paysans pieux désireux de se consacrer à la vie monastique, voisinent avec des
couvents plus importants fondés par des membres de l’aristocratie locale.
Le monastère de l’Archangélos, près de Cemil
Le rocher visible au tout premier plan, au centre, abrite l’hagiasma; derrière, à la base du
cône, l’entrée rectangulaire de l’église principale. Le réfectoire est à droite, masqué par les
peupliers.

Une apparition précoce


2 Si les sources byzantines ne présentent pas la Cappadoce comme un grand centre
monastique, les écrits des Pères de l’Église, au IVe siècle, attestent le développement
précoce de la vie érémitique et monastique dans la région, ce dont témoignent aussi,
indirectement, les mentions de moines cappadociens, qui apparaissent régulièrement
dans les sources écrites à l’occasion de leurs déplacements. Étonnamment mobiles,
comme l’étaient en général les moines byzantins – en dépit de la législation qui tenta
toujours de réfréner ce désir de départ –, les moines de Cappadoce voyageaient souvent
hors de leur patrie, d’abord en Palestine, puis en Bithynie et à Constantinople, partis en
pèlerinage ou à la recherche d’autres formes d’ascèse. Plusieurs saints fondateurs du
monachisme palestinien sont originaires de Cappadoce, tel Sabas, qui quitta à 18 ans, en
456, son village de Moutalaskès (Talas), près de Césarée, et fut accueilli à Jérusalem par
un autre moine de Cappadoce, ou encore Théodosios, originaire de Môgariassos, non loin
de Comana (Sar), qui visita les Lieux saints et se voua à la vie érémitique. Beaucoup,
comme Basile, devaient revenir dans leur patrie d’origine, une fois le voyage en Terre
Sainte accompli. Moines et moniales peuplaient donc la Cappadoce dès le IVe siècle, mais
dans quelles proportions ? Aucun texte ne permet de s’en faire une idée précise et les
témoignages archéologiques ne sont conservés – et relativement peu nombreux – qu’à
partir des Ve-VIe siècle.

Un idéal de vie communautaire


3 On pense en général que les premiers moines furent des ermites vivant une existence de
pauvreté et de prière, seuls ou en petits groupes, sans organisation structurée, mais il
n’est pas sûr qu’ils aient été très nombreux en Cappadoce, plusieurs sources soulignant le
faible développement de l’érémitisme au nord du Taurus en raison des rigueurs du climat.
D’ailleurs, sous l’influence de Basile, évêque de Césarée en 370, la vie communautaire
s’est organisée de bonne heure, sans toutefois être régie par des règles strictes : c’est
plutôt une doctrine de vie que laisse Basile, l’idéal du moine étant de trouver la mesure
entre vie active et vie contemplative. Tout en reconnaissant l’importance de la solitude,
Basile prône une vie communautaire, à laquelle les jeunes gens peuvent être admis
comme novices dès l’âge de seize ans. Les règles sont simples : obéissance à l’higoumène,
pauvreté, chasteté, absence de propriété individuelle, compassion à l’égard du prochain
(devoir d’hospitalité et d’assistance aux malades et aux miséreux), obligation de la prière
commune, qui, sept fois par jour, rythme la vie quotidienne, nécessité enfin du travail
manuel et artisanal. Bref, un idéal monastique fait d’observances raisonnables, sans
recherche de prouesses ascétiques, dont se réclamera au début du IXe siècle le défenseur
des icônes et réformateur du cénobitisme byzantin, Théodore Stoudite, désireux de
restaurer la pureté de la vie monastique.
4 Conciles, textes législatifs et typika précisent les règles de l’organisation monastique, qui
varient d’un établissement à l’autre ; bien qu’aucun texte ne se rapporte précisément à la
Cappadoce, les renseignements tirés de ces sources, confrontés aux vestiges matériels,
peuvent nous éclairer sur la vie des moines. La plupart des couvents médiévaux dans
l’Empire byzantin – et cela s’accorde avec la capacité des monastères conservés en
Cappadoce – ne comptent que quelques moines ou moniales (exceptionnellement plus
d’une dizaine). L’âge minimum théorique pour entrer en religion est fixé à 10 ans, mais la
tonsure – équivalent à la profession de foi – n’est donnée qu’à 16 ou 17 ans. Eunuques et
enfants sont interdits, ces derniers pouvant cependant être instruits dans un local à part.
La formation des novices incombe à l’higoumène et, dans certains monastères, chacun vit
avec un ancien chargé de l’initier à la vie religieuse. Fixée à trois ans par Justinien, la
durée du noviciat est en fait très variable. L’higoumène, confesseur de la communauté,
décide du nombre des communions en fonction de la ferveur des moines – de une à trois
par semaine en moyenne. Les membres du couvent doivent assurer tous les services
nécessaires à la communauté. L’obligation de vie en commun n’empêcha pas l’apparition
précoce de cellules, certaines individuelles, d’autres destinées à deux religieux, un ancien
et un nouveau. Dortoir et cellules semblent avoir coexisté en Cappadoce : certaines salles,
dont la fonction n’apparaît plus clairement, peuvent avoir servi de dortoirs, mais il n’est
pas exceptionnel que l’on identifie des cellules, dispersées à proximité plus ou moins
immédiate du monastère ; celles-ci sont peut-être liées à l’essor d’un monachisme de type
hybride, évoqué plus haut, qui combinait traditions de solitude et de vie en commun.

Le monastère de l’Archangélos
On voit à gauche la façade décorée du XIe siècle située à l’est du complexe de
l’Archangélos, derrière l’église funéraire ; à droite, l’entrée d’une cellule.

Le cadre matériel
5 Creusés dans le rocher, les monastères cappadociens sont tributaires des conditions
géologiques et épousent la configuration naturelle des lieux : installés dans une falaise, un
cirque rocheux ou un enclos naturel de cônes, ils dominent la campagne environnante et
sont situés à proximité d’un point d’eau, d’un petit bassin fertile ou d’un vallon bien
arrosé. Le calme et l’isolement sont de rigueur, bien que la plupart des couvents restent
facilement accessibles. Ils sont généralement précédés d’une cour, espace ouvert plus ou
moins profond et régulier, souvent aménagé sur une terrasse. Église et salles sont
excavées, souvent sur deux niveaux, sur un ou plusieurs côtés (trois le plus souvent) de la
cour, le monastère apparaissant ainsi plus ou moins fermé. Peu de pièces révèlent
aujourd’hui leur fonction initiale : réfectoires (quand le mobilier est rupestre), cuisines (à
voûte conique ou pyramidale pourvue d’un trou d’aération), salles de réunion ou d’étude,
pourvues tout autour de niches-sièges, écuries ou étables parfois, situées un peu à l’écart
et identifiables aux mangeoires qui longent les murs. On repère encore, dans quelques
cas, l’entrée primitive, accessible par un couloir coudé situé dans un angle de la cour. Si
certains couvents sont isolés du monde extérieur par la configuration du relief ou
l’organisation des pièces autour d’une cour fermée, d’autres, dont le statut était peut-être
différent, semblent ouverts sur la campagne et bien intégrés au paysage rural. Moines,
ascètes et paysans devaient vivre en étroite symbiose, les hommes de Dieu, qui se
recrutaient en grande partie parmi les paysans du voisinage, jouant un rôle social sans
doute important, comme animateurs spirituels, guérisseurs, « prophètes » ou arbitres ;
intermédiaires nécessaires entre les laïcs et Dieu, leurs prières étaient recherchées par les
paysans pour leurs récoltes et leur bétail, par les soldats pour leurs campagnes militaires,
par tous pour les guérisons et le salut de l’âme.

Autour d’une source sainte : le monastère de l’Archange près


de Cemil
6 Situé à un peu plus d’un kilomètre au sud du village de Cemil, dans la large vallée de
Damsa, qui entame le haut plateau au sud d’Ürgüp, le monastère de l’Archangélos est l’un
des établissements les plus anciens de Cappadoce, un des plus intéressants aussi en
raison de la diversité des structures conservées et de la longue durée de son histoire.
Quand G. de Jerphanion visita le site en 1912, l’église était encore utilisée par la
population grecque locale. Bien que connu de longue date et facilement accessible, ce
monastère n’a pas encore fait l’objet d’un relevé complet, ni de l’étude approfondie qu’il
mérite et dont les remarques qui suivent ne constituent que les prolégomènes.
7 On ignore le nom ancien du site, mais la dédicace à l’archange Michel, conservée jusqu’à
nos jours, de l’église principale a toutes les chances d’être primitive. La présence d’une
source sainte – hagiasma –, qui est vraisemblablement à l’origine du développement du
monastère, le suggère : à Michel, guérisseur et thaumaturge, sont souvent consacrés les
sanctuaires élevés auprès de sources aux vertus curatives, tels celui de Pythia (en
Bithynie), de Germia (en Galatie) ou, le plus célèbre de tous, celui de Chônai (en Phrygie).
Le décor peint, bien que médiocrement conservé, confirme cette dédicace. Une image
colossale de l’archange terrassant Satan fait face à l’entrée, au fond du narthex : elle date
du XIXe siècle, mais reprend sans doute un sujet plus ancien. Plusieurs scènes peintes
dans le narthex – sans doute au XIIIe siècle – se rattachent à un cycle dédié à l’« ange du
Seigneur », souvent explicitement identifié à Michel. Quelques-unes avaient été
identifiées par G. de Jerphanion, qui n’avait pas reconnu cependant leur appartenance à
un cycle : la lutte de Jacob avec l’ange, l’apparition à Josué, devant Jéricho, de
l’archistratège des armées célestes (scène aujourd’hui disparue), la guérison du
paralytique à la piscine de Bethesda. Ce dernier miracle (Jean 5, 2-15), peint dans l’arc
entre le narthex et la nef sud, non loin de l’entrée de l’église, est de ceux que les textes –
sermons, encomia et hymnes -attribuent à l’intervention de Michel, qui fit bouillonner
l’eau de la piscine probatique, et que l’on voit ici arriver en volant, un long bâton dans la
main droite ; le paralytique, son grabat sur le dos, s’entretient avec le Christ, et six
infirmes assistent au miracle. Trois autres scènes au moins complétaient ce cycle :
l’Hospitalité d’Abraham (près de l’entrée), presque entièrement détruite, Habbacuc
transporté par un ange auprès du prophète Daniel dans la fosse aux lions (vers le centre
du narthex, du côté ouest) et, en face, en bonne place au centre de la paroi orientale, le
miracle de Chônai, qui vit l’archange Michel sauver de la fureur des païens son sanctuaire
établi près d’une source miraculeuse. Malgré le noircissement de la peinture, on distingue
à gauche la silhouette de l’archange ouvrant de son bâton un trou dans le sol rocheux, au
centre le torrent, qui devait engloutir l’église et qui descend verticalement et s’engouffre
dans le rocher, à droite enfin la figure du moine Archippe, gardien du sanctuaire
(représenté derrière lui) et témoin du miracle. La scène est encadrée dans les écoinçons
supérieurs par deux groupes de petits personnages nus ; les premiers, tenant une pelle,
représentent les païens de la légende qui avaient creusé le lit de la rivière pour en
détourner le cours.
Le monastère de l’Archangélos
Vue intérieure de l’hagiasma. Réaménagé au XIXe siècle, il était encore fréquenté au début
du siècle, avant le départ des Grecs.
8 Lieu de pèlerinage encore au début du XXe siècle, l’hagiasma, situé dans une grotte
souterraine, à proximité immédiate de l’église principale du monastère, a été réaménagé à
l’époque moderne et ne livre plus aujourd’hui d’indice permettant de préciser sa datation.
Pourtant, la renommée de cette source est manifestement ancienne, puisque d’autres
parties du monastère sont attribuables à l’époque protobyzantine. Elle pourrait même
être préchrétienne : quelques tombeaux rupestres d’époque romaine, encore identifiables
dans un groupe de cônes situés à l’arrière du monastère, attestent l’ancienneté de
l’occupation du site. Deux au moins ont conservé en façade leur ouverture carrée et à
l’intérieur leurs banquettes disposées en U. L’église funéraire du couvent, appelée
aujourd’hui Hagios Stéphanos, qui a déjà été évoquée pour son décor peint, a d’ailleurs
été aménagée dans un tombeau antique agrandi, dont subsistent encore en façade les
traces de deux petites silhouettes grossièrement sculptées, représentant les défunts,
comme on en trouve sur nombre de tombeaux romains de la région. Il est bien possible
que les premiers ermites se soient installés dans des tombes païennes abandonnées,
phénomène souvent attesté, en Syrie-Palestine comme en Cappadoce.
9 Le site où s’établit le monastère est exemplaire. Il se trouve à l’écart du village, mais
facilement accessible, puisque situé dans la vallée qu’emprunte la route menant vers le
sud. Un groupe de plusieurs cônes de tuf tendre, à large base, permettait l’excavation
facile de salles sur plusieurs niveaux, tandis que l’eau était disponible en abondance :
outre la source sainte, un cours d’eau, affluent de la vallée de Damsa, coule au sud de
l’enclos monastique. La présence de l’eau, associée à la nature volcanique du sol, a
favorisé le développement des cultures : hier comme aujourd’hui, arbres fruitiers,
cultures maraîchères et vigne constituaient une petite oasis de verdure. Ainsi se
trouvaient réunies les conditions favorables au développement d’un petit monastère, qui
était aussi un but de pèlerinage.
10 Un muret de pierre limite aujourd’hui vers le sud et l’est l’enclos monastique, tandis qu’au
nord et à l’ouest la plate-forme rocheuse en marque la limite naturelle. L’entrée se fait par
une porte située au sud, au niveau d’un point d’eau et en contrebas de l’hagiasma. Sous sa
forme actuelle, l’ensemble résulte de phases successives de développement. Dans un
premier temps, le monastère comprenait probablement, outre les éléments déjà
mentionnés – hagiasma et, un peu à l’écart, comme il est d’usage, le site funéraire avec
son église (l’actuelle Hagios Stéphanos probablement dédiée à saint Jean-Baptiste) –, une
église principale (katholikon) de plan basilical, voûtée en berceau (la nef sud de l’actuel
sanctuaire de l’Archangélos), excavée à proximité immédiate de l’hagiasma, à la base
d’un gros cône situé au nord. La taille en est assez soignée, avec des parois bien d’équerre
et, à la base de la voûte, une corniche décorée d’une frise de modillons de tradition
paléochrétienne, soigneusement sculptée, qui révèle l’ancienneté du monument. Une
seule abside s’ouvre à l’est, pourvue à l’origine d’une petite niche servant de prothèse au
nord. À l’est de l’église est creusé un grand réfectoire, encore impressionnant aujourd’hui,
bien que fortement érodé. Long de près de vingt mètres, il présente la particularité rare
d’être divisé en deux nefs parallèles par une série d’arcades inégales portées par neuf
piliers et de comporter deux longues tables. Sur celle de gauche, la mieux conservée, on
devine encore les trois sections de hauteurs différentes notées par Jerphanion et destinées
peut-être à instaurer une hiérarchie entre les convives : les plus importants auraient été
placés autour de l’higoumène dans la partie supérieure. Un aménagement comparable
semble avoir existé aussi pour l’autre table. La capacité de ce réfectoire a pu être évaluée à
près d’une centaine de convives, nombre exceptionnellement important en Cappadoce
qui, s’il ne nous renseigne guère sur les effectifs du monastère, prouve du moins que
celui-ci était assidûment fréquenté. Les moulures à gorges, de tradition antique, qui
bordent les arcades, comme le cintre des niches-placards, l’érosion très avancée de
l’ensemble plaident en faveur de son ancienneté. À proximité du réfectoire sont excavées
plusieurs pièces, dont la fonction n’apparaît plus clairement, mais parmi lesquelles devait
se trouver une cuisine. Dans les cônes environnants, d’autres salles – un possible dortoir,
des pièces pouvant servir à l’accueil de malades ou de pèlerins, quelques cellules
dispersées, destinées le plus souvent, à en juger par leurs dimensions, à un seul moine –
pouvaient être aussi associées au noyau primitif du monastère.
11 Les agrandissements ultérieurs sont vraisemblablement la conséquence d’un afflux
croissant de visiteurs. Ainsi, au XIe siècle, deux grandes salles superposées, une façade
décorée d’arcatures aveugles, quelques cellules ont été taillées à l’arrière du cône de
l’église funéraire, tournant le dos à l’hagiasma, au réfectoire et à l’église principale,
comme si les moines avaient souhaité un lieu plus retiré et plus calme. À la même époque,
semble-t-il, l’église principale a d’ailleurs été agrandie par l’excavation d’une chapelle
nord, parallèle à la première, dont l’abside fut mise en communication avec l’abside sud,
et d’un narthex allongé, en avant des deux nefs. La taille du rocher est peu soignée et les
voûtes, irrégulières, se raccordent aux parois sans l’intermédiaire d’une corniche.
12 La chronologie des aménagements postérieurs, liés également à la fréquentation
croissante du sanctuaire, reste, en l’état actuel de la recherche, difficile à établir ; le
nettoyage des peintures couvertes de suie – conséquence de la longue utilisation du
monument – qui tapissent l’ensemble de l’église permettrait peut-être de la préciser. Le
narthex a été remanié, par l’élargissement des ouvertures donnant sur les nefs, tandis
qu’entre les deux vaisseaux, vers l’est, on creusait – au XIIIe siècle ? – un haut tambour
conique, qui mord de façon disgracieuse sur les deux berceaux, et dont la calotte est
effondrée. Quel était le but de cet aménagement ? Était-il destiné, comme on l’a supposé,
à assurer une meilleure aération des lieux ? La présence d’une salle, située juste
au-dessus, permet de suggérer une autre explication : la volonté de mettre en
communication la pièce supérieure (cellule de l’higoumène ou d’un ascète réputé ?) et
l’église. La cellule, dont l’accès était défendu par une meule de pierre et qui avait
probablement été excavée antérieurement, communique, par une ouverture dans le sol,
avec le tambour de l’église inférieure. Cet orifice est-il dû à un accident (l’effondrement du
sol au niveau de la calotte coiffant le tambour) ou est-il intentionnel ? La hauteur
anormale du tambour, son emplacement même et surtout l’existence de dispositifs
comparables en Palestine, à Chypre, à Constantinople et en Cappadoce même, nous font
pencher pour la seconde hypothèse, ce qui n’exclut pas un agrandissement accidentel de
l’ouverture. Le décor du tambour – quatre archanges en costume impérial, au-dessus des
quatre évangélistes – suggère de restituer au sommet (près du trou ?) l’image du Christ
Pantocrator, ce qui placerait l’occupant de la cellule dans un contexte particulièrement
dépourvu d’humilité. Le cas ne serait cependant pas unique : dans son ermitage, près de
Paphos, à Chypre, Néophyte le Reclus apparaissait ainsi, par l’ouverture de sa cellule,
dans la représentation de l’Ascension, auprès du Christ enlevé au ciel (fin XIIe siècle).
Quant à la superposition cellule-église, avec communication entre les deux, on en trouve
d’autres exemples en Cappadoce. Dans une chapelle encore inédite de la vallée de Çat,
c’est une ouverture dans le tympan ouest de la nef qui donne dans une sorte de cellule,
pourvue d’un siège, qui permettait de suivre l’office, en ayant vue sur l’abside. De même,
dans l’une des églises monastiques de la vallée d’Erdemli, les Saints-Apôtres, un trou
circulaire dans le plafond de la nef, souligné d’une bordure de peinture rouge
contemporaine du décor de l’église, ouvre sur une pièce supérieure sobrement décorée.
Près de Bahçeli, nous avons récemment identifié un autre exemple de cellule ouvrant –
cette fois par une fenêtre rectangulaire – dans le haut du mur nord d’une grande église, et
la liste n’est sûrement pas close.
Le réfectoire
Depuis la visite de Jerphanion, au début du siècle, l’étonnant réfectoire double du
monastère de l’Archangélos s’est beaucoup dégradé, conséquence à la fois de l’érosion et
de l’action de l’homme.
13 Enfin, à une époque indéterminée, pour agrandir encore l’espace disponible, on ouvrit le
narthex à l’ouest sur une salle irrégulière, sans décor, dont l’excavation est cependant
ancienne, car elle donne au fond sur un réduit défendu par une meule de pierre.
14 Le complexe monastique de l’Archangélos, l’un des plus anciens de Cappadoce, se révèle
donc d’un intérêt exceptionnel, non seulement pour la connaissance du monachisme
cappadocien, mais aussi comme témoin de la vitalité et de la pérennité du culte de
l’archange Michel dans la région. Son étude, qui ne fait que commencer, est rendue
délicate par les modifications liées à la longue utilisation des lieux et par l’état de
conservation des peintures du katholikon, qui composent un programme complexe
résultant de plusieurs périodes de décoration. Seule une campagne de restauration, que
les dégradations récentes rendent urgente, mais qui n’est malheureusement pas envisagée
pour l’instant, permettrait de préciser les différentes phases et éclairerait l’histoire du
monastère.

Un ermitage : Saint-Syméon de Zelve


15 Ailleurs, ce n’est pas la réputation d’une source sainte, mais celle d’un ermite local qui
semble à l’origine d’un petit groupement monastique. Saint Syméon l’Ancien, le fameux
stylite d’Alep (mort en 459), fit des émules en Cappadoce, où les cônes rocheux offraient
autant de colonnes naturelles aux ascètes désireux de s’isoler du monde et de se
rapprocher du ciel. L’un d’eux, Nicétas, dont l’ermitage est conservé à l’origine du vallon
de Kizil Çukur, est désigné explicitement comme « stylite » dans l’inscription dédicatoire
conservée dans la chapelle. Un autre « stylite » s’était installé dans un cône qui s’achève
par une triple cheminée, à droite de la route menant au cirque de Zelve : en témoigne le
cycle consacré au saint patron de l’ermite local, saint Syméon l’Ancien, dans la chapelle
excavée à la base du cône. Pourtant, le confort relatif de sa cellule montre que ses
conditions de vie devaient être moins inconfortables que celle des stylites syriens. À vrai
dire, même sans se référer à l’exemple extrême des stylites, il était courant que les
ermites, désireux de gagner un lieu peu accessible, s’installent en haut d’un rocher : on
connaît l’exemple de Néophyte à Paphos, qui se creuse ainsi une nouvelle cellule au péril
de sa vie. À Zelve, c’est une cheminée verticale taillée à l’intérieur de la roche qui permet
d’accéder à la cellule élevée de l’ascète ; celle-ci, précédée d’un vestibule décoré de croix
latines en relief, comporte deux banquettes, une table, quelques niches, et apparemment
un autel (vers l’est) surmonté de cinq croix peintes. La chapelle creusée à la base du cône
est-elle contemporaine de la cellule ou a-t-elle été fondée ensuite par des disciples ou
admirateurs de l’ermite ? Elle eut en tout cas une fonction funéraire, comme en témoigne
la présence d’un grand arcosolium, contemporain de son excavation, situé à l’extérieur, à
droite de l’entrée, tandis que le narthex et la nef abritent quelques autres tombes, qui ne
sont pas toutes primitives. Le décor peint, de type « archaïque » – il peut être attribué au
début du Xe siècle – présente un cycle unique, mais fort endommagé, consacré à la vie de
Syméon l’Ancien, représenté sur sa colonne à droite de l’entrée de l’abside, emplacement
souvent réservé à l’image du saint titulaire. Le récit, expliqué par de longues légendes,
illustre successivement la vocation du saint, la pénitence à laquelle il s’était soumis en
s’entourant le corps d’une corde, deux de ses miracles (guérisons de la femme ayant avalé
un serpent et du dragon qui s’était enfoncé un morceau de bois dans l’œil), et enfin la
visite et la mort de sa mère. Ce dernier épisode occupe une place importante – peut-être
en rapport avec la destination funéraire de la chapelle ? Comme, par ailleurs, le décor
réserve une place inhabituelle aux figures de saintes femmes, on peut supposer
l’intervention d’une donatrice dans la fondation ou la décoration du sanctuaire. À une
cinquantaine de mètres de cette chapelle, dans un groupe de cônes délimitant un petit
enclos tranquille, est aménagé un ermitage comprenant plusieurs salles et une église
manifestement postérieure à la chapelle Saint-Syméon. En face de l’église, dans une pièce
qui semble avoir servi d’habitation à un moine nommé Syméon, se trouvent plusieurs
inscriptions, qui témoignent de ses méditations : « Comme le monde finit ici-bas, le sort
du monde aura aussi une fin. Le feu de la mort nous poursuit tous, la mort qui nous
envoie nus dans le monde de l’au-delà » ou « Le Christ est la porte de ceux d’ici-bas, il
chasse la tristesse et répand la joie ». Dans le narthex de l’église est aménagée la tombe de
Syméon, surmontée d’une épitaphe versifiée, rédigée par le moine lui-même : « Petit
enfant, j’ai été formé dans le sein de ma mère ; pendant neuf mois sans prendre la
nourriture commune, j’étais nourri dans les ondes humides de ma propre mère. J’ai
connu la création et reconnu le Créateur. On m’a enseigné les écritures inspirées. J’ai su
qui étaient ceux qui étaient envoyés vers moi. C’étaient des fils d’Adam, le premier être
créé et qui est mort, ainsi que les prophètes. De mon vivant, j’ai préparé une tombe taillée
dans la pierre. Reçois-moi donc aussi, sépulcre comme tu as reçu le stylite. »

Le cône de Saint-Syméon
Il se trouve à droite de la route menant à Zelve, au milieu des vignes et des arbres
fruitiers. L’habitat de l’ascète est excavé au-dessus d’une petite chapelle peinte ; on y
accède par une cheminée verticale, dont le départ se trouve sur le flanc ouest du cône
(d’après Arts de Cappadoce…, p. 78, fig. 27).
L’intérieur de la cellule creusée dans le cône de Saint-Syméon
À gauche de l’entrée, se trouvent – invisibles ici – deux banquettes ; des tables, dont l’une
recreusée pour le foyer, et des niches-placards complètent le mobilier rupestre. L’une des
tables, à l’est, surmontée de croix, était probablement un autel.

L’ermitage du moine Syméon


Il est établi à peu de distance du cône de Saint-Syméon : on aperçoit quelques salles
ruinées et, en hauteur, l’entrée de l’église, accessible aujourd’hui par une échelle.
L’ermitage du moine Syméon
Intérieur de la salle excavée en face de l’église, où se trouvent les Inscriptions témoignant
des méditations du moine Installé ici.
16 Quel rapport existait-il entre cet ermitage et la chapelle Saint-Syméon ? G. de Jerphanion,
observant que le nom de Syméon est rare en Cappadoce et que les inscriptions sont
peintes sur un enduit de plâtre, émettait l’hypothèse qu’elles avaient été tracées par le
peintre de la chapelle de Saint-Syméon. On ne saurait l’affirmer… La référence au stylite
dans ces établissements voisins suggère en tout cas un lien entre les deux, mais non
nécessairement leur contemporanéité – l’un pouvant être une extension de l’autre. Âgé, le
moine Syméon put quitter sa cellule élevée pour un lieu plus facile d’accès, où il attendit
la mort…

e e
L’essor du monachisme aux X et XI siècles
17 Bien que quelques complexes monastiques paléochrétiens subsistent encore en
Cappadoce – tels celui d’Özkonak ou, dans son premier état, celui de l’Archangélos, près
de Cemil – la plupart se rattachent à la période d’expansion qui fait suite à la fin des raids
arabes, les monastères les mieux structurés étant surtout caractéristiques de la première
moitié du XIe siècle. Cette multiplication des couvents reflète un phénomène plus général,
qui conduisit les empereurs à légiférer pour tenter d’en limiter les effets négatifs pour la
société. Nicéphore Phocas interdit en 964 la construction de nouveaux monastères et
défend à ceux existant d’acquérir de nouveaux biens ; ermitages et groupements
d’anachorètes aux possessions modestes – sans doute les plus nombreux en Cappadoce –
n’étaient cependant pas visés par cette mesure radicale. Quelques années plus tard, Basile
II tentera à son tour de réagir contre la multiplication des monastères : la novelle de 996
constate que nombre d’églises, édifiées sur des propriétés privées, passent sous le contrôle
du métropolite ou de l’évêque, qui les déclare monastères et les donne à des gens qui
dilapident leurs biens ; ces oratoires devront être rendus à leurs propriétaires, tandis que
les monastères, c’est-à-dire les établissements réunissant au moins huit ou dix religieux,
avec des revenus suffisants pour vivre, ne pourront acquérir de nouvelles propriétés.
18 Comme dans le reste du monde byzantin à cette époque, les monastères de Cappadoce
sont surtout des fondations privées : dédicaces et portraits de donateurs le confirment
dans un certain nombre de cas, surtout au XIe siècle. Nous avons vu plus haut que
l’intervention d’« étrangers » de passage ne peut être exclue, mais que la plupart des
fondateurs étaient sans doute d’origine locale : la densité des excavations, qui ne
correspondent pas toutes, il s’en faut, à des établissements religieux, même si elle peut
être trompeuse (toutes n’étaient sûrement pas occupées au même moment), suggère un
peuplement relativement important. D’ailleurs, si Césarée demeure vers l’an mil un centre
de pèlerinage, où par exemple Lazare le Galèsiote, rentrant de Palestine à Magnésie du
Méandre, se rend pour visiter l’église Saint-Basile, rien n’indique que les campagnes des
environs d’Ürgüp, à l’écart des grandes voies de communication, aient attiré des pèlerins
lointains.
19 La Cappadoce semble, en revanche, être demeurée au Moyen Age une pépinière
d’hommes de Dieu, fournissant en moines les « provinces saintes ». La Palestine étant
tombée aux mains des Arabes, c’est vers Constantinople et la Bithynie qu’ils se dirigent,
tel Etienne, le futur évêque de Sougdaia (Crimée), qui avait quitté sa patrie, la Cappadoce,
pour se faire moine à Constantinople, ou Manuel – le futur saint Michel – Maléïnos, qui
s’installe au mont Kyminas, entre Bithynie et Paphlagonie. Les reconquêtes de Nicéphore
Phocas et Jean Tzimiskès en Cilicie, Syrie et Palestine permirent de reprendre, mais sur
une moindre échelle, la route des Lieux Saints. Les fréquentes mentions d’hommes ou de
femmes originaires de Cappadoce, particulièrement de moines et de moniales, dans
diverses régions du monde byzantin donnent de la région l’image d’une terre de départ
plus que d’une terre d’élection. Même si la renommée des sanctuaires et des saints locaux
a pu, occasionnellement, attirer des pèlerins du voisinage, la Cappadoce n’est pas au
Moyen Âge – exception faite de Césarée, réputée pour le grand nombre de ses martyrs –
un grand centre d’attraction. Elle n’est pas non plus considérée, à Constantinople, comme
un grand centre monastique : aucun texte n’atteste que les prières des moines de
Cappadoce aient été demandées pour les campagnes militaires des empereurs, même si ce
fut probablement le cas pour Nicéphore Phocas, comme nous l’avons vu plus haut. Ce
silence des sources tient sans doute au fait qu’il s’agissait surtout de petits couvents
ruraux, où les moines vivaient en contact étroit avec la population locale, sans jouir d’une
réputation susceptible d’éveiller particulièrement l’intérêt des « puissants », et en cela la
Cappadoce témoigne sans doute d’une situation qui devait être celle de la plupart des
campagnes byzantines.

Les établissements de Soganli


20 Dans cette large vallée isolée, au sud des établissements religieux de la région d’Ürgüp, se
sont installés ermitages et petits monastères. L’occupation du site remonte à l’Antiquité :
de nombreux tombeaux rupestres et trois autels votifs d’époque romaine sont encore
conservés, tandis que les ruines d’un barrage et d’une basilique paléochrétienne décrites
par G. de Jerphanion ont disparu, à l’exception de quelques fragments, dont un morceau
de corniche à modillons provenant de l’église, remployés dans le village. À quelques
églises rupestres décorées de peintures d’époque « archaïque » (fin IXe-début Xe siècle) –
les Kubelli kilise – s’ajoutent des monastères du XIe siècle, dont certains restèrent en
activité jusqu’au XIIIe siècle au moins. Nous retiendrons deux d’entre eux, fondations
privées, dont l’inscription dédicatoire est préservée et les peintures en assez bon état.

Le monastère de Karabaş kilise


Vue générale de ce monastère rupestre de la vallée de Soganli : salles et église se
répartissent dans les cônes qui bordent les trois côtés d’une cour naturelle.
21 Le petit complexe monastique de Sainte-Barbe, dont la façade décorée est aujourd’hui
très érodée, conserve principalement son église, qui a été décorée de peintures en 1006 ou
1021 – sous le règne des empereurs Constantin VIII et Basile II – à l’initiative du
domestique Basile (probablement un officier militaire de rang assez modeste). La
présence d’une petite tombe sous arcosolium, dans le mur sud (à l’ouest), sous l’image
des fils de saint Eustathe et Théopistè, associée à certaines particularités du programme
iconographique font penser que la fondation de l’église est en rapport avec le décès d’un
enfant du donateur. Le Christ Juge trône dans la conque, entre Adam et Ève prosternés,
implorant leur rédemption, comme dans la composition byzantine du Jugement dernier.
Les scènes peintes dans la voûte de la nef sont consacrées à l’Enfance du Christ (de
l’Annonciation à la Nativité), complétée par la seule Anastasis (Résurrection). Celle-ci
associe au triomphe du Christ sur l’Hadès la résurrection des morts, sortant de leurs
tombeaux, et la rédemption de l’humanité représentée par Adam et Ève. Sur l’arc
doubleau qui sépare la voûte de la nef en deux parties, sont peints les portraits en buste
des jeunes Dormants d’Éphèse, dont la légende très populaire tout autour de la
Méditerranée, aussi bien en chrétienté qu’en islam (sourate de la caverne), exprimait la
foi en la résurrection de la chair. Réfugiés dans une grotte des environs d’Éphèse pour
échapper à la persécution déclenchée par l’empereur romain Dèce, les jeunes gens y
furent emmurés vivants ; réveillés deux siècles plus tard, sous le règne de Théodose II, ils
témoignèrent du temps de la persécution et de l’attente de la résurrection qui les occupait
pendant le sommeil de la mort.
L’église Sainte-Barbe de Soğanli (1006 ou 1021)
Décor de la voûte de la nef (au nord-est). De gauche à droite : Dormants d’Éphèse sur
l’arc doubleau, Anastasis (le Christ sauve Adam et Eve de l’Hadès, des morts sortent de
leurs tombeaux), prophètes en médaillons à l’intrados de l’arc absidal.
22 Un peu plus tard, un autre monastère fut l’objet des soins d’une famille de notables
locaux, les Sképidès, qui en 1060/61 firent repeindre l’église principale, connue
aujourd’hui sous le nom de Karabas kilise (« église à la tête noire »), en raison du
noircissement des visages peints. La dédicace conservée dans l’église indique en effet que
l’édifice a été embelli aux frais d’un fonctionnaire impérial, le protospathaire Michel
Sképidès, de la moniale Catherine et du moine Niphon, sous le règne de l’empereur
Constantin Doukas. Huit portraits d’hommes et de femmes, laïcs et religieux, qui faisaient
probablement partie de la même famille sont par ailleurs peints dans l’église. Le
protospathaire Michel est représenté dans l’arcade orientale du mur sud : debout, en
prière, il est richement vêtu d’une robe et d’un manteau décorés de médaillons enfermant
des oiseaux, la tête coiffée d’un turban, une longue épée à la main. Les autres figures sont
sur le mur nord : un prêtre, Basile, dans la niche orientale (côté ouest), les mains tendues
vers une image de la Vierge à l’Enfant ; le moine Niphon et Eudocie (son épouse ?)
agenouillés aux pieds de l’archange Michel dans la niche médiane, Irène et Marie (les
enfants de Catherine ?) de part et d’autre de sainte Catherine au fond de la niche ouest ;
sur les côtés de cette niche, une moniale en prière, Catherine, et un homme à turban
richement vêtu, avec lance et épée, peut-être son mari. On n’a guère de renseignements
sur cette famille Sképidès, qui faisait probablement partie de la noblesse foncière locale et
jouissait sûrement d’une certaine fortune. On retrouve dans une église voisine, Canavar
kilise, le portrait d’une Eudocie, qui est peut-être la même que celle de Karabas. Un peu
plus loin, dans une autre église de Soganh (Geyik kilise), l’invocation d’un certain Jean
Sképidès, protospathaire, préposé au chrysotriclinios, consul et stratège, accompagnait
une représentation de la vision d’Eustathe aujourd’hui détruite. Cette famille provinciale,
qui servit à un haut niveau dans l’Empire, est par ailleurs attestée en Italie, où un stratège
de Lucanie, Eustathe Sképidès, est cité dans un acte notarié de 1042 ; un Pierre Sképidès
apparaît aussi sur un sceau de la collection de Dumbarton Oaks, à Washington.
L’abside de Karabaş kilise
Détail de la Communion des Apôtres, peinte en 1060-1061 sur un premier décor ; on
reconnaît au centre saint André, précédé probablement de Luc et Matthieu et suivi par
Jacques ( ?) et un disciple jeune, Thomas ou Philippe.
23 Le décor du XIe siècle, qui a recouvert une première couche de peintures, se limite à un
cycle court des principales scènes de la vie du Christ (Annonciation, Nativité,
Présentation au temple, Transfiguration, Crucifixion, Myrophores au sépulcre et
Anastasis), conformément au programme iconographique de cette époque. La
Communion des apôtres sous les deux espèces remplit la voûte de l’abside, surmontant la
Déisis entre les évêques. L’ensemble est l’œuvre d’un peintre de talent, au style
vigoureux : bien proportionnées, les figures ont des poses variées et animées, voire
véhémentes, les draperies accusent la plasticité des formes et les visages, très expressifs,
sont modelés avec une grande liberté de touche. Probablement venu d’un grand centre
artistique, l’atelier ou l’artiste auquel firent appel les Sképidès était parfaitement au fait
des tendances du grand art byzantin contemporain.

Hallaç Manastir, près d’Ortahisar


24 Si les monastères de Soğanh sont surtout intéressants parce que l’on connaît leurs
fondateurs et en raison des peintures décorant leur église, Hallaç Manastir (ou Hastaham,
« l’Hôpital »), situé à 1 km environ du village d’Ortahisar, offre un bel exemple de
monastère du XIe siècle, dont les salles s’organisent autour des trois côtés d’une vaste
cour. Sa conservation relativement bonne, malgré son utilisation comme pigeonnier, et
l’individualisation des salles qui le composent – même si leur destination est loin d’être
claire – permettent de mettre en évidence les difficultés que l’on rencontre aujourd’hui
quand on tente de comprendre l’organisation d’un monastère et la fonction de ses
différentes pièces.
25 Plusieurs salles et une église, soigneusement excavées, sont creusées autour d’un espace
aujourd’hui largement ouvert vers le sud, sans que l’on puisse savoir si une clôture le
limitait primitivement de ce côté. Un étroit couloir coudé, au sud-est, donne accès à cette
cour, dont le sol est fortement surhaussé – 1,50 m environ – par rapport au niveau
primitif, en raison de l’érosion. La falaise, régularisée, était tout autour décorée de croix,
de frontons, d’arcatures aveugles en fer-à-cheval et de pilastres, type de façade sculptée
caractéristique de l’architecture rupestre de Cappadoce et qui s’inscrit dans une longue
tradition de décoration extérieure au Proche-Orient.
26 Au fond de la cour, un vestibule oblong, dont il ne reste que le mur nord, décoré de
pilastres et arcatures aveugles, donnait accès aux principales pièces, ce qui correspond à
un dispositif habituel dans ces monastères rupestres. La porte centrale donne sur une
grande salle basilicale à trois nefs, peut-être le réfectoire. Deux petites pièces carrées, à
plafond, l’encadrent, l’une sommairement décorée d’arcatures aveugles soulignées de
peinture, l’autre au décor plus élaboré ; leur fonction – dortoirs, a-t-on supposé – reste
incertaine. À l’extrémité gauche du vestibule d’entrée s’ouvre une salle plus grande et plus
haute, soigneusement excavée, qui présente un plan en croix inscrite, avec une coupole
centrale reposant sur quatre épaisses colonnes. Détail insolite : une énigmatique figure
humaine, à peu près grandeur nature, coiffée d’un bonnet pointu et vêtue d’une tunique
courte, est sculptée sous la voûte, bras et jambes écartés comme s’il se retenait au rocher.
Faut-il y reconnaître la figure émouvante de l’un des ouvriers qui creusèrent le monastère,
ou quelque image commémorative liée à l’excavation de la salle ? Une fois de plus la
fonction de cette pièce, dont on a supposé qu’elle était destinée à l’accueil des visiteurs,
nous échappe. À côté, une salle en grande partie effondrée était peut-être la cuisine. En
face, de l’autre côté de la cour, l’église en croix inscrite, très haute, présente un voûtement
élaboré, avec cinq coupoles, deux ordres de supports et des chapiteaux diversement
sculptés (têtes d’animaux) et rehaussés de peintures. Un panneau était peint dans l’abside
médiane, qui montrait la Vierge trônant entre un archange et saint Basile, à qui était peut
être dédiée l’église, comme le suggère aussi une inscription tracée sur le pilier sud-ouest.
Au sud s’ouvre une chambre funéraire, destinée sans doute aux fondateurs et/ou aux
supérieurs du monastère, pour lesquels étaient célébrés des offices commémoratifs.
L’église d’Hallaç Manastir, vers l’ouest
Une coupole est creusée sur la travée centrale, jadis limitée par quatre piliers ; la
destruction des piliers orientaux (au premier plan), sans fonction portante dans
l’architecture rupestre, n’a évidemment pas mis en cause la statique de l’édifice.

Plan d’Hallaç Manastir


À droite, sur le côté est de la cour, l’église ; à gauche, la cuisine ( ?) et la pièce carrée, en
croix inscrite, accessible depuis le petit côté du vestibule ; au centre de celui-ci s’ouvre la
grande salle basilicale à trois nefs (réfectoire ?). (D’après Rodley, Cave Monasteries, p. 13,
fig. 2).
27 L’appellation turque – « l’Hôpital » – conserve peut-être le souvenir d’une des fonctions
de ce complexe, les établissements de charité et, en particulier, les hospices et les
hôpitaux étant souvent associés aux monastères. Certaines salles ont pu être destinées à
accueillir malades et nécessiteux. L’ensemble, attribué aux environs du milieu du XIe
siècle, porte peu de traces d’une occupation continue et l’on a supposé que le monastère
avait été abandonné peu de temps après son achèvement, à cause de l’invasion turque.

Le monastère d’Eski Gümüş


Détail du décor sculpté de la façade.

Eski Gümüs
28 Un autre monastère organisé autour d’une cour prouve l’homogénéité – relative – des
structures monastiques au XIe siècle : celui d’Eski Gümüs. Loin de la région d’Ürgüp, situé
au sud de la Cappadoce, à 7 km environ au nord-est de Niğde, il est aménagé, non plus sur
trois mais sur quatre côtés d’un espace ouvert, de 14 m de côté à peu près, creusé comme
un puits dans le rocher, l’entrée s’effectuant par un tunnel du côté sud. En face, le mur
nord de la cour offre une façade richement décorée. Sur le côté est, une vaste salle
oblongue était probablement le réfectoire ; les pièces domestiques se répartissent au
rez-de-chaussée, mais la cuisine est aménagée à l’étage, sur le côté sud, situation
surprenante sans doute due au souci de faciliter l’excavation de la cheminée d’évacuation
des fumées. À l’étage se trouvaient aussi probablement salles de réunion, dortoir, trésor et
bibliothèque ; dans l’une de ces pièces, des peintures d’un style naïf, fort mal conservées
et de date incertaine, illustraient des fables d’Ésope (l’homme mordu par le serpent
ingrat, l’agneau qui se moque du loup, l’aigle blessé par une flèche), rare exemple de
décoration profane – à visée moralisatrice -conservée dans un monastère.
29 L’église en croix grecque inscrite, à coupole centrale, est assez vaste (5 m de côté) et
comporte une importante chambre funéraire, vraisemblablement destinée au fondateur
du monastère, ainsi que des peintures de bonne qualité, diversement datées entre le
troisième quart du XIe et le XIIe, voire le XIIIe siècle. La composition absidale associe les
deux intercesseurs de la Déisis (la Vierge et saint Jean-Baptiste) au Christ entouré par les
quatre symboles des évangélistes et par les archanges Michel et Gabriel, selon une
iconographie bien attestée dans l’est de l’Asie Mineure – à Trébizonde et dans le Pont – et
en Transcaucasie (Géorgie). Les apôtres en buste, la Vierge orante entre les évêques
frontaux et saint Georges, décorent les registres inférieurs. La Vierge et saint
Jean-Baptiste occupent les absidioles latérales et quelques scènes du cycle de l’Enfance le
mur nord de la nef (Annonciation, Nativité, Présentation au temple), tandis que saint
Etienne et saint Jean-Baptiste sont peints à l’intrados de l’arc ouvrant sur la chambre
funéraire.
Açik Saray
Détail de la façade de l’un des complexes rupestres, organisé comme les monastères sur
les trois côtés d’une petite cour, mais sans église.

Açik Saray
30 Sous le nom de « Palais ouvert » est conservé près de Gülşehir un complexe rupestre très
développé, qui se compose, sur une superficie d’environ 1 km2, de sept ou huit
groupements de salles, généralement disposées, comme les monastères, sur les trois côtés
d’une cour. On y trouve aussi des façades décorées selon les mêmes principes, une salle
oblongue servant de vestibule et donnant accès aux principales pièces, parmi lesquelles se
distingue une grande salle principale. Parfois une cuisine est encore identifiable, avec son
trou d’aération. Pourtant, l’absence d’églises dans plusieurs de ces groupements fait
douter de leur fonction monastique. La présence, un peu à l’écart des pièces principales,
de vastes salles où sont creusées le long des parois des niches profondes et basses,
probablement des mangeoires destinées à des animaux, et la situation de cet
établissement rupestre à proximité du fleuve Kizil Irmak, dont la vallée constituait une
voie de communication importante, suggèrent d’identifier l’ensemble à un complexe de
résidences ou d’hôtelleries et de relais de chevaux (équivalents byzantins des hans ou
caravansérails turcs), servant d’étape pour les voyageurs, pèlerins, marchands ou soldats.
De petits monastères y étaient sans doute associés. Si ce centre semble avoir atteint son
apogée au XIe siècle, certaines salles sont vraisemblalement plus anciennes.
31 Malgré les limites de cette documentation et les difficultés d’interprétation qui subsistent,
les monuments rupestres conservés en Cappadoce – dont nous n’avons présenté qu’un
échantillonnage – constituent une source importante pour mieux cerner la vie
monastique de la province. Sans doute sont-ils aussi représentatifs d’une situation
répandue dans les campagnes byzantines d’autres régions, le phénomène rupestre ayant
« gelé » en Cappadoce un mode de vie dont les témoignages archéologiques construits ont
ailleurs disparu.

© CNRS Éditions, 1997

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Electronic reference of the chapter
JOLIVET-LÉVY, Catherine. Ermitages et monastères In: La Cappadoce: Mémoire de Byzance [online].
Paris: CNRS Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet:
<http://books.openedition.org/editionscnrs/930>. ISBN: 9782271078650.

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. La Cappadoce: Mémoire de Byzance. New edition [online]. Paris: CNRS
Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet: <http://books.openedition.org
/editionscnrs/918>. ISBN: 9782271078650.
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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

Le centre de Göreme
p. 88-103

Full text
1 Connu sous le nom de Korama par la Passion paléochrétienne de saint Hiéron, le centre
de Göreme, qui s’est surtout développé aux Xe et XIe siècles, offre la plus importante
concentration d’églises et de réfectoires conservés en Cappadoce. Il comprend deux
parties : en amont, un cirque naturel de rochers – l’actuel « Musée de Göreme » –, et, en
aval, une vallée qui mène à Avcilar, l’ancienne Matiane, récemment rebaptisé Göreme.
Dans la vallée sont excavées des églises d’époques différentes – dont la célèbre Tokah
kilise –, avec parfois à proximité un réfectoire ou des salles. Dans le cirque, les
monuments – églises, réfectoires, salles – apparaissent et se multiplient seulement au XIe
siècle. Pourvus souvent d’une façade sculptée – le rocher régularisé est décoré de
pilastres, corniches, niches et arcatures aveugles –, les établissements de Göreme
associent pour la plupart une église et un réfectoire (pouvant accueillir de trente à
quarante personnes), auxquels s’ajoutent quelques autres pièces, assez petites, à plafond
plat et sans décor, parfois difficiles à distinguer des aménagements turcs. Deux ensembles
se remarquent cependant par leur degré d’organisation et leur disposition autour d’une
cour : ceux de Karanlik et, dans une moindre mesure, de Çarikli kilise ; peut-être
n’avaient-ils pas le même statut que les établissements environnants.

Vue d’une partie du cirque de Göreme vers le sud


On distingue à gauche l’échelle métallique donnant accès à Çarikli kilise, puis à droite, au
niveau du chemin, la façade de Sainte-Catherine, et plus haut celle du monastère de
Karanlik kilise.

Plan du cirque de Göreme


Les trois « églises à colonnes » sont les n° 19 (Elmali kilise), 22 (Çatikli kilise) et 23
(Karanlik kilise) ; n° 20 : Sainte-Barbe ; n° 21 : Sainte-Catherine ; n° 28 : Yilanli kilise.
(D’après Arts de Cappadoce, p. 79, fig. 28).
2 Le monastère de Karanlik kilise était, semble-t-il, la fondation la plus importante du site.
Excavé dans la falaise à cinq mètres environ au-dessus du chemin, il occupe une position
dominante, bien en vue ; les salles qui le composent s’organisent autour d’une cour, jadis
peu ouverte, la situation surélevée du complexe contribuant aussi à assurer sa clôture.
L’accès devait être celui encore en usage aujourd’hui : un tunnel creusé dans le rocher, qui
débouche à l’extrémité occidentale d’un vestibule, dont le plafond est effondré et qui
ouvrait sur la cour, du côté sud. Ce vestibule, au mur décoré d’une frise d’arcatures
aveugles abritant des croix de Malte en médaillons, donne accès, au rez-de-chaussée, à
trois pièces. La plus importante est, à l’est, le réfectoire, dont la porte moulurée était
surmontée d’une représentation d’archange (sans doute Michel) ; sa longue table, d’une
capacité d’environ 35 convives, est arrondie aux extrémités, mises en valeur par deux
niches absidales, et entourée d’une banquette, le tout taillé dans le rocher. Du réfectoire,
un tunnel avec un escalier, interrompu par une meule de pierre, que l’on pouvait rouler
pour obturer le passage, mène à l’étage, où se trouvent deux pièces (trésor ?
bibliothèque ?) ouvrant dans la longue salle, au sol écroulé, surmontant le vestibule. La
cuisine était probablement la pièce circulaire, couverte d’une voûte conique, située à
l’ouest de la cour, et qui communique par un passage étroit et bas avec la salle donnant
dans la travée occidentale du vestibule. L’église, enfin, nettement séparée des pièces
« utilitaires », et entièrement décorée de peintures récemment restaurées, est creusée sur
le côté est de la cour, au niveau supérieur, et accessible par un escalier coudé qui
débouche dans le narthex. Au monastère de Karanlik kilise se combinaient peut-être,
selon le système hybride évoqué plus haut, vie cénobitique -dans le noyau central que
nous venons de décrire – et pratiques anachorétiques, plusieurs petites pièces et chapelles
creusées aux alentours pouvant servir à des moines qui ne se rendaient au koinobion que
pour participer à la liturgie hebdomadaire ou à celle des grandes fêtes.
Le monastère de Karanlik kilise à Göreme
À droite, au fond de la cour, le mur sud du vestibule, décoré d’arcatures aveugles. À
gauche l’église vue en coupe : l’abside est à gauche, le narthex à droite, pourvu d’une
petite chambre funéraire, dont on volt l’ouverture. (D’après Arts de Cappadoce, p. 101,
fig.54).
3 Karanlik kilise (« église sombre ») appartient, avec Çarikli kilise et Elmali kilise (églises
« à la sandale » et « à la pomme »), au groupe des « églises à colonnes », sanctuaires en
croix inscrite, à coupole centrale portée par quatre colonnes, qui sont les seules églises de
Göreme à avoir été entièrement décorées – avec des peintures de qualité. Bien que leur
datation au milieu du XIe siècle ne fasse pas l’unanimité, on constate qu’elles suivent, par
leur type architectural, leur aménagement liturgique et en partie par leur décor peint, des
modèles métropolitains médiobyzantins. Le programme iconographique est conforme,
dans ses grandes lignes, à celui en vigueur dans les églises byzantines d’autres régions de
l’Empire : le principe narratif, qui prévalait dans les monuments plus anciens, fait place à
une conception plus symbolique et liturgique. Les épisodes les plus importants de la vie
du Christ – réactualisés par chaque célébration liturgique – sont mis en valeur et
présentés en panneaux indépendants (non plus en frise continue), sans égard pour le
déroulement chronologique du récit. Nativité et Crucifixion, qui témoignent des deux
dogmes principaux (Incarnation, Rédemption) et résument l’Économie du salut, occupent
à Elmali et Karanlik kilise, de vastes emplacements, bien en vue, se faisant face sur les
murs nord et sud de la nef Quelques épisodes secondaires sont encore groupés autour des
sujets principaux. L’Ascension se trouve également mise en valeur, peinte face à l’entrée à
Çarikli, dans tout le bras ouest à Elmah et dans le narthex à Karanlik. Dans la coupole
domine le Christ Pantocrator en buste, entouré d’archanges et d’anges, des évangélistes,
des prophètes et d’autres saints. Principale divergence par rapport au programme
byzantin habituel, l’abside est encore réservée au Christ (au lieu de la Théotokos
traditionnelle en ce lieu à Byzance et en Grèce), mais désormais dans la composition de la
Déisis. Le choix de ce thème, qui met l’accent sur l’intercession de la Vierge et de
Jean-Baptiste, plutôt que sur la vision redoutable du souverain céleste, traduit une
évolution du sentiment religieux : à l’évocation solennelle et redoutable du Seigneur dans
sa gloire est substituée l’image du Sauveur, plus proche des fidèles, plus accessible à leurs
prières. D’une manière générale d’ailleurs, les décors du XIe siècle reflètent une intimité
plus grande entre les fidèles et les figures sacrées.
Elmali kilise
Schéma montrant la répartition des compositions et des figures isolées dans l’une des
trois « églises à colonnes » de Göreme (d’après Y. Nagatsuka, « Essai sur les programmes
iconographiques des églises rupestres en Cappadoce », Balkan and Asia Minor Studies X,
Tokai University 1984, sch. XIX).

Le monastère de Karanlik kilise


On voit en bas à droite l’ouverture rectangulaire du tunnel d’accès.
Karanlik kilise
Après plusieurs années de fermeture pour travaux de conservation et de restauration,
l’église de Karanlik est aujourd’hui de nouveau ouverte au public et ses peintures ont
retrouvé tout leur éclat ; Ici, le Christ Pantocrator de la coupole centrale, entouré par le
Christ Emmanuel et six archanges.

Karanlik kilise
Vue intérieure de l’église vers l’est. L’abside centrale, jadis fermée par une clôture haute
(templon), contient l’image de la Délsis, avec deux donateurs, au-dessus des évêques.
Dans la coupole du bras oriental : Jean-Baptiste entre Joachim et Anne, sous le Christ
bénissant. Dans les arcades : Jonas et Moïse.
4 Karanlik kilise, l’église du principal monastère de Göreme, est la plus richement décorée :
la qualité des peintures et l’utilisation d’un coûteux pigment bleu font penser que c’est
pour elle que l’on fit appel à un atelier, qui décora aussi les deux autres églises du même
groupe ; les peintres ne sont pas les mêmes, mais les répertoires figurés et ornementaux
sont communs et, malgré certaines maladresses ou négligences, les trois décors se
rattachent à l’art de tradition constantinopolitaine. Le style dérive de formules savantes
apparues dans la capitale byzantine dès la fin du Xe siècle, mais qui ont été interprétées de
façon inégale : les proportions sont élancées, les attitudes souples, dynamiques quand le
sujet s’y prête (apôtres de l’Ascension par exemple), peuvent devenir exagérément
contournées, voire maniérées, ce qui a conduit certains chercheurs à les dater non au XIe
siècle, mais à la fin du XIIe, voire au début du XIIIe siècle. Les draperies classicisantes,
parfois « mouillées », accusent le volume du corps ; les visages aux traits fins présentent
un modelé lisse et une expression sereine et douce : les yeux en amande, le nez fin et
légèrement busqué correspondent à un type en faveur aux XIe et XIIe siècles. Bref, un style
un peu académique et non exempt de préciosité, qu’on a pu qualifier d’« aristocratique ».
Les motifs ornementaux, largement répandus sur les vêtements des personnages, sur les
objets ou pour rehausser l’architecture, présentent par rapport aux décors plus anciens
une multitude de formes nouvelles : des rinceaux légers, d’un dessin grêle, sont d’un
usage fréquent, à côté de larges feuillages imités de l’acanthe et de demi-fleurons
godronnés de couleurs alternées.

Les donateurs
5 Dans deux des « églises à colonnes » sont conservés des portraits de donateurs, seul
indice qui puisse nous renseigner sur l’origine de ces fondations. À Karanlik kilise, ces
portraits étaient au nombre de huit, répartis aux quatre points cardinaux de l’édifice. Les
personnages sans doute les plus importants figurent dans l’abside, aux pieds du Christ de
la Déisis, entre la Vierge et le Prodrome, qui intercèdent en leur faveur : à gauche (à la
droite du Seigneur) un prêtre nommé Nicéphore, à droite, un laïc, Bassianos ou Basile –
la lecture du nom n’est pas sûre. Sur le mur sud de la nef, au centre, près d’une grande
figure de l’archange Michel sont représentés deux petits personnages debout, imberbes,
richement vêtus et tenant à la main une bougie ; malheureusement, les invocations très
abîmées tracées à côté n’ont pas conservé leurs noms. L’archange est désigné comme
Michel de Chônai, allusion au célèbre sanctuaire de Phrygie déjà évoqué qui attirait des
pèlerins de régions éloignées et notamment de Cappadoce : Lazare le Galèsiote, le futur
saint, cheminant vers Chônai, à la fin du Xe siècle fit route avec des Cappadociens qui se
rendaient eux aussi au sanctuaire de l’archange ; il secourut alors une jeune fille en
pleurs, qui avait été dépouillée de ses biens. L’anecdote témoigne de la vénération dont
faisait l’objet l’église de Chônai auprès des habitants de Cappadoce, qui n’hésitaient pas à
traverser une bonne partie de l’Asie Mineure pour venir s’y recueillir. Peut-être les
donateurs de Kiranlik firent-ils, comme beaucoup d’autres, le voyage et en recueillirent
quelque bienfait, puisque c’est sous la protection de l’archange que se placent deux
d’entre eux. En face, l’archange Gabriel était lui aussi encadré par deux petits donateurs,
dont un seul, un enfant, est partiellement conservé. Enfin, dans le narthex, deux figures
sont intégrées, prosternées aux pieds du Christ, à la scène de la Bénédiction des Apôtres :
à gauche, Jean « entalmatikos », dont le costume – robe de brocard et bonnet rouge –
correspond à celui que portent des dignitaires de la cour byzantine au XIe siècle, et à
droite, plus simplement vêtu, un certain Genethlios. Qui étaient ces personnages
apparemment de haut rang ? Le terme « entalmatikos », bien qu’il ne soit pas attesté par
ailleurs, faisait sans doute référence à la fonction du personnage, l’« entalma » désignant
certaines lettres de l’autorité patriarcale. L’hypothèse d’un chargé de mission du
patriarche est renforcée par l’intégration du portrait à la scène de la bénédiction des
Apôtres, auxquels le Christ confie leur mission avant de les quitter. Mais bien des
questions restent ouvertes. Quels liens unissaient entre eux les différents personnages
représentés dans l’église ? À qui était destinée la chambre funéraire, contenant deux
tombes d’adulte, creusée dans le narthex ? Au prêtre Nicéphore et à Basile (ou Bassianos),
représentés dans la Déisis absidale ? L’église a-t-elle été fondée en leur honneur par le
dignitaire Jean « entalmatikos », les autres figures peintes dans l’église faisant partie de la
même famille ? On l’ignore. Il est possible aussi d’envisager des liens autres que de
parenté entre les différents personnages représentés dans l’église, d’autant qu’aucune
femme n’était apparemment figurée. Peut-être s’agissait-il de membres d’une association
pieuse de laïcs et de religieux, comme on en connaît en Grèce à cette époque. Une
inscription peinte dans le narthex, au-dessus de l’entrée dans le naos, aurait pu nous
éclairer sur les responsables de la fondation et de la décoration de l’église, mais elle a été
si soigneusement martelée qu’aucune lettre n’en subsiste intacte…

Çarikli kilise
À gauche : décor du mur sud de la travée orientale. Sous la scène de l’Anastasis, un
cavalier nimbé, à cheveux blancs, chemine vers la droite, portant « la précieuse croix ».
À droite : au fond du bras ouest de l’église, sous la Nativité du Christ, sont représentés
trois donateurs en prière près du même personnage à cheveux blancs, qui présente « la
précieuse croix ».
6 À Çarikli kilise, les donateurs sont regroupés sur un seul panneau, mais celui-ci revêt une
importance particulière : il occupe toute la largeur du bras ouest de l’église et les
personnages sont représentés à la même échelle que les figures sacrées environnantes. Il
s’agit de trois hommes, debout, légèrement inclinés vers une figure nimbée vue de face –
un homme à cheveux blancs – qui tient une longue croix, désignée comme « la précieuse
croix » par une inscription. Les donateurs sont dans une attitude de prière, les mains
tendues vers le personnage qui tient la croix ou, plus exactement, vers la croix qu’il tient.
À gauche – c’est-à-dire à la droite de la figure centrale, emplacement honorifique – se
trouve le plus important, vêtu d’une longue robe rouge et coiffé d’un ample turban blanc ;
l’invocation peinte à côté – « Prière du serviteur de Dieu Théognostos » – nous apprend
son nom. Les deux autres, prénommés Léon et Michel, paraissent plus jeunes. On peut
supposer que les trois hommes appartenaient à la même famille, fortunée à en juger par
leur mise et par l’importance de leur fondation. En l’absence de patronyme, comme de
titres, les prénoms, qui se transmettaient normalement de grand-père à petit-fils, restant
relativement fixes pendant plusieurs générations, peuvent aider à identifier cette lignée.
Théognostos, Léon et Michel sont attestés dans une des grandes familles aristocratiques
de l’époque liées à l’Orient, celle des Mélissènoi, qui furent surtout des commandants
militaires. Le premier Mélissènos connu, Michel était patrice et gouverneur des
Anatoliques sous Constantin V (740-775), et le même prénom se retrouve sur des sceaux
du XIe siècle : dans la collection de Dumbarton Oaks est ainsi conservé celui, daté de
1060-80, d’un Michel Mélissènos, illustrios et stratège. Léon Mélissènos, domestique des
Scholes à la fin du Xe siècle, fut l’un des principaux généraux de son époque. Son frère se
prénommait Théognostos, de même semble-t-il qu’un catépan de Mésopotamie à l’époque
de l’impératrice Théodora (1055-1056). Matthieu d’Édesse décrit ce dernier, qui serait
contemporain de notre église, en ces termes : « homme de bien et d’une haute réputation,
compatissant aux veuves et aux captifs, bienfaiteur des populations et recommandable
par les plus belles et les plus nobles qualités ». La croix, à laquelle nos donateurs
semblent porter une dévotion particulière, est représentée sur un sceau inédit (collection
de Dumbarton Oaks) du Théognostos Mélissènos de la fin du Xe siècle, qui était peut-être
le grand-père du catépan de Mésopotamie. Il est donc tentant d’attribuer la fondation de
Çarikli kilise à ces Mélissènoi, qui furent de fermes soutiens des Phocas et dont une
branche de la famille pouvait être établie en Cappadoce, mais on ne peut exclure la
possibilité qu’une autre famille de l’aristocratie locale, inconnue des sources, ait utilisé les
mêmes prénoms. Les donateurs sont encadrés par des saints militaires, Georges et
Théodore à gauche, Procope à droite, modèles de référence de ces grandes familles, ayant
pour idéal le héros militaire.

Karanlik kilise
Décor du mur sud (travée centrale). Sous la représentation de la Crucifixion, l’archange
Michel le Chôniate, en costume guerrier, encadré par deux donateurs.
7 L’église était certainement consacrée à la Précieuse Croix, à laquelle les fondateurs
adressent leurs prières, ce qui d’ailleurs correspond encore à sa dédicace à la fin du siècle
dernier. Mais qui est l’homme à cheveux blancs, anonyme et nimbé, qui leur présente la
croix ? Il ne peut s’agir du Christ, car son auréole n’est pas crucifère et parce que les
donateurs ne seraient pas représentés à la même échelle que lui. Simon de Cyrène, dont
ce n’est pas le type iconographique habituel, doit être également exclu, car notre
mystérieux personnage est représenté une seconde fois dans l’église, sur le mur sud, près
de l’absidiole, et il est ici à cheval, se dirigeant vers la droite, c’est-à-dire vers le panneau
des donateurs ; à la main, il tient la même longue croix, semblablement désignée comme
« la Précieuse Croix ». Comme précédemment, il n’est pas nommé et apparaît surtout
comme le faire-valoir de la croix, garant peut-être de son authenticité. La peinture
faisait-elle allusion aux circonstances, qui nous échappent aujourd’hui, dans lesquelles
une relique de la croix, conservée au monastère, fut acquise par les donateurs ? Plutôt
qu’un personnage historique important, qui aurait sans doute été nommé, le cavalier
pourrait être quelque saint homme, pèlerin anonyme, qui aurait apporté en Cappadoce
une croix ou une relique du Saint Bois, à moins que l’origine de la croix n’ait été rattachée
à une intervention providentielle, comme l’était souvent l’acquisition de fragments de la
Vraie Croix. Bref, le décor pourrait être en rapport avec une tradition locale, aujourd’hui
oubliée, concernant l’origine d’une relique de la croix conservée au monastère, à moins
qu’il n’ait fait allusion à une cérémonie religieuse exaltant la croix et sa signification pour
des militaires. Si l’on en est réduit aux hypothèses, il est sûr en revanche que cette croix
fut l’objet d’une dévotion importante : les deux images où elle apparaît ont reçu
d’innombrables graffiti de fidèles, certains pèlerins venant de loin, tel ce Michel de
Kotyaion (Kütahya), qui, sur l’image du mur ouest, invoque le secours de la croix. La
renommée de Çarikli kilise, la plus visitée des « églises à colonnes », s’explique
vraisemblablement ainsi et non par les prétendues empreintes du Christ – deux
dépressions creusées dans le sol sous l’image de l’Ascension – auxquelles elle doit son
appellation actuelle d’« église à la sandale ».

Karanlik kilise
Détail de la Bénédiction des apôtres peinte dans le narthex, avec deux donateurs
prosternés aux pieds du Christ : Jean « entalmatikos » à gauche et Généthlios à droite.
8 L’importance des deux panneaux est en outre soulignée par leur intégration au sein d’un
programme iconographique cohérent, qui propose, autour du thème de la croix, une
lecture dynamique des sujets. Le cavalier cheminant sur le mur sud, vers la droite, nous
entraîne vers le panneau des donateurs du mur ouest, sur lequel s’arrête le regard. Entre
les deux s’intercalent d’abord une image de la Vierge de tendresse entre deux archanges,
puis la traditionnelle représentation de Constantin et Hélène tenant entre eux la croix,
enfin deux saints guerriers. La mise en valeur de la Théotokos, bien en vue et bien
éclairée, puisque peinte face à l’entrée, traduit peut-être une dévotion particulière des
donateurs, et l’on remarque qu’elle est du type dexiokratousa (tenant l’enfant sur le bras
droit), tout comme la Vierge à l’Enfant figurée à l’avers du sceau de Théognostos
Mélissènos, catépan de Mésopotamie au XIe siècle. L’image de Constantin et Hélène, qui
réaffirme la dévotion portée à la relique du saint Bois, est liée au panneau des donateurs
par son contenu comme par son emplacement : les deux compositions sont visibles
conjointement pour le spectateur placé dans la partie orientale de l’église, au niveau du
cavalier portant la croix. Enfin, près des donateurs se tiennent les saints guerriers,
Théodore et Georges, modèles par excellence des militaires, auxquels répond en face un
troisième soldat, saint Procope : les donateurs, peints au même niveau et à la même
échelle que les figures saintes sont parfaitement intégrés à l’espace sacré, que celles-ci
définissent. En face, dans la conque de l’abside, la composition traditionnelle de la Déisis,
avec inscrit sur le codex du Christ le verset de Jean VIII, 12 – « Je suis la lumière du
monde, qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie » –
traduit l’espoir de salut des bienfaiteurs du sanctuaire. D’autres relations, qui ne
paraissent pas fortuites, peuvent être établies entre les images peintes dans l’église. Ainsi,
juste au-dessus du cavalier à la croix est peinte l’Anastasis : le Christ, triomphant de la
Mort et entraînant d’un geste résolu Adam vers son salut, tient à la main une fine croix à
longue hampe, qui ressemble fort à celle que porte le cavalier. L’évocation de la
Résurrection du Christ et de la Rédemption de l’humanité grâce au sacrifice de la croix
rappelait ainsi la signification salvatrice du trophée de la victoire sur la mort, et
garantissant l’efficacité de la croix présentée dans l’image sous-jacente. Face à l’Anastasis,
sur le mur nord, le Baptême du Christ est une autre évocation de la rémission des péchés
et de l’accès à la vie éternelle, tandis que dans le bras oriental figurent deux thèmes
relatifs à la résurrection et à la croix : la Résurrection de Lazare et la Montée au Calvaire,
montrant Symon de Cyrène portant la croix. L’importance du thème de la croix apparaît
encore dans l’emplacement inhabituel choisi pour la représentation de la Crucifixion,
peinte dans le tympan surmontant la porte d’entrée de l’église. Cette lecture du décor, en
révélant le souci d’intégrer les portraits des donateurs, partie prenante de l’espace sacré,
dans un réseau d’images significatives, permet d’entrevoir le rôle que pouvaient jouer les
fondateurs – ou leurs conseillers -dans l’élaboration du programme iconographique d’une
fondation privée.

Le groupe d’Yilanli kilise


9 Voisinant avec ces riches monuments, excavés relativement soigneusement et décorés de
programmes ambitieux, on trouve à Göreme des fondations plus modestes, ne présentant
qu’un décor linéaire d’ornements géométriques et de croix, auxquels s’ajoutent quelques
panneaux isolés – le Christ ou la Déisis dans l’abside, la Vierge, des saints (Basile,
Constantin et Hélène, les guerriers Georges, Théodore ou Procope à cheval) – sans
aucune scène de la vie du Christ. Yilanli kilise (Göreme 28) a donné son nom à ce groupe,
auquel appartiennent aussi, entre autres, les chapelles 17 (Kizlar kalesi), 18 (Saint-Basile),
20 (Sainte-Barbe) et 21 (Sainte-Catherine). Parfois, un portrait de donateur indique que
la fondation émane de particuliers de condition relativement modeste, ou que ceux-ci ont
offert un panneau peint au sanctuaire ; les tombes sont nombreuses, destinées peut-être à
la sépulture du fondateur et de sa famille. Exécutés directement sur le rocher, sans
enduit, dans une palette restreinte et un style souvent pauvre, les décors de ces
sanctuaires sont difficilement datables : ils peuvent s’échelonner entre le milieu du XIe
siècle et le XIIe. Dans une église appartenant à ce groupe, celle de Kizlar kalesi, sont
gravés, sur la colonne nord-est, plusieurs graffiti datés de 1055 à 1129.

Yilanli kilise
Détail du décor peint dans la voûte de la nef d’Yilanli kilise à Göreme : Hélène et
Constantin tenant entre eux la croix.
Sainte-Barbe de Göreme
Sur le mur nord, face à l’entrée, au-dessus de l’Image traditionnelle de Théodore et
Georges terrassant le dragon, se trouve une composition énigmatique, qui a été
interprétée comme une scène de désenvoûtement.
10 Ces monuments sont surtout intéressants comme témoignages sur les premiers temps de
la conquête turque, marqués par l’appauvrissement des communautés rurales et la
difficulté à trouver des artistes qualifiés. Ils reflètent les croyances religieuses de la
population locale : les peintures n’expriment guère de préoccupations théologiques ou
liturgiques, ce sont des icônes murales de saints très vénérés, dont l’intercession était
considérée comme particulièrement efficace et auxquels s’adressaient les prières des
fidèles. La préférence manifestée pour les saints guerriers, en pied ou à cheval, est
significative du climat de l’époque, tandis que l’image récurrente de saint Basile atteste la
permanence du culte du grand prélat de Césarée et que celle de Constantin et Hélène,
tenant entre eux le saint Bois, montre que le culte de la croix, vivace depuis l’époque
paléochrétienne, perdurait.
11 À ces images religieuses, qui témoignent de la ferveur populaire, s’ajoutent parfois des
motifs d’interprétation difficile qui pouvaient avoir une valeur magique et apotropaïque.
Le décor de l’église Sainte-Barbe comporte ainsi, outre quelques images de saints – dont
les très populaires Georges et Théodore terrassant le dragon –, un grand nombre de croix
(qui l’a fait souvent attribuer à tort à l’époque iconoclaste), de curieux motifs en fers de
lances, parfois interprétés comme des étendards, et, face à la porte, une énigmatique
composition : on y voit un coq et plus bas, dressé vers lui, un animal étrange –
maléfique ? – entre deux croix, près duquel on lit l’inscription : « Descends, mon père,
que j’attrape ton âme ». On peut penser que la scène faisait allusion aux tentations
diaboliques auxquelles étaient soumis les moines – ou plus précisément l’un d’eux – et
qu’elle était destinée à neutraliser cette action néfaste. Ainsi affleurent, dans un même
monument, différents aspects de la piété populaire : le culte de la croix, le culte des
images et des formulations magiques apotropaïques.
12 L’intérêt du centre de Göreme réside dans la diversité des monuments du XIe siècle,
expression d’un éventail assez large de donateurs. Par rapport aux époques précédentes,
les divergences paraissent plus marquées entre les chapelles populaires au décor pauvre
et les fondations plus ambitieuses. Elles supposent la présence, en Cappadoce, d’ateliers
variés : à côté de peintres locaux, plus ou moins habiles, qui pouvaient être les moines
eux-mêmes, travaillaient sans doute des artistes itinérants, venus de centres plus
importants. Pourtant, malgré leur variété et leur inégale qualité, les décors du XIe siècle
sont dans l’ensemble conformes aux grands courants de l’art byzantin connu à travers les
monuments contemporains du reste de l’Empire, preuve de la réelle uniformisation de la
peinture à cette époque. En matière d’iconographie, cependant, plusieurs traits originaux
persistent, qui montrent les limites de l’hégémonie constantinopolitaine et nous
renseignent sur la société et la piété locales.

© CNRS Éditions, 1997

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. Le centre de Göreme In: La Cappadoce: Mémoire de Byzance [online]. Paris:
CNRS Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet:
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JOLIVET-LÉVY, Catherine. La Cappadoce: Mémoire de Byzance. New edition [online]. Paris: CNRS
Éditions, 1997 (generated 27 October 2014). Available on the Internet: <http://books.openedition.org
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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

Chrétiens en Cappadoce
turque
p. 104-115

Texte intégral
1 Profitant des difficultés intérieures de l’Empire byzantin, affaibli par la désagrégation de
la petite propriété et la dégradation du système défensif de l’Anatolie, les Turcomans
-Turcs musulmans nomades – lancent dès la seconde moitié du XIe siècle des raids de plus
en plus profonds en Asie Mineure. Après avoir traversé l’Arménie et ravagé la Cilicie, ils
dévastent la Cappadoce : en 1067, Césarée est incendiée et son célèbre sanctuaire de
Saint-Basile mis à sac. Après l’échec de l’expédition lancée par l’empereur byzantin
Romain Diogène et le désastre de Mantzikert, près du lac de Van, en 1071, pillages et
destructions se multiplient. Césarée tombe définitivement aux mains des Turcs en 1082 et
n’est pas encore relevée de ses ruines quand les premiers croisés traversent la région à la
fin du siècle. Malgré les tentatives de reconquête des empereurs Comnènes, les thèmes de
Lykandos, de Cappadoce, de Charsianon et des Anatoliques passent sous le contrôle de
l’État turc seldjoukide, qui se met en place à la fin du XIe siècle.
2 Cette période de la conquête turque – de la fin du XIe au milieu du XIIe siècle – fut
certainement destructrice et entraîna de grands bouleversements. Une partie des élites
grecques et du clergé quittèrent la région et des famines contribuèrent au déclin
démographique, même si la désolation des campagnes ne fut sans doute pas aussi totale
que le laissent penser les chroniqueurs de la première Croisade. Quel fut le sort des
couvents de Cappadoce ? Sans doute des églises et des monastères furent-ils pillés,
détruits ou désaffectés, des peintures badigeonnées ou mutilées, mais il est bien difficile
de déterminer avec précision le degré de la ruine ou au contraire du maintien de l’activité.
L’archéologie permet seulement de constater que la vie de certains monastères, comme
Hallaç Manastir, semble s’interrompre au moment de la conquête turque, et qu’aucun
monument chrétien d’importance, aucun décor peint n’a pu – malgré les hypothèses
avancées en ce sens – être daté avec certitude de cette époque. En revanche, quelques
graffiti témoignent encore de la fréquentation des sanctuaires rupestres au XIIe siècle et le
nombre important d’églises antérieures qui ont survécu prouve, s’il le fallait, qu’il n’y a
pas eu de destructions systématiques. Tous les prélats n’avaient pas non plus pris la fuite :
un procès fut intenté en 1143 devant la cour patriarcale de Constantinople à deux d’entre
eux, Léon, évêque de Balbissa, et Clément, évêque de Sasima, accusés par le métropolite
de Tyane de diverses pratiques hérétiques, le relatif isolement de la Cappadoce ayant sans
doute favorisé la résurgence de vieilles hérésies. Dès le XIIe siècle, la région, troublée
peut-être par les rivalités entre les princes turcs, mais à l’écart des zones de combat les
plus dures, connaît une paix relative.

e
Le renouveau du XIII siècle
3 Celle-ci se confirme dans la seconde moitié du XIIe siècle, période de consolidation et de
stabilité qui atteint son apogée au XIIIe siècle : l’unité seldjoukide est rétablie et la paix
revenue s’accompagne d’un essor culturel et d’une prospérité économique certaine,
marquée par le renouveau des villes – Kayseri est après Konya et Sivas l’une des plus
importantes -, le développement de l’agriculture, de l’artisanat et du commerce. De 1205 à
1243, le sultanat seldjoukide de Rûm est à son apogée et cet épanouissement se prolonge
pendant la première génération du protectorat mongol. L’Anatolie se couvre de beaux
monuments turcs : mosquées, madrasa, turbe, fontaines, ponts, caravansérails. Les Grecs,
dont certains se sont intégrés à la classe dirigeante turque, restent nombreux, surtout
dans les campagnes – selon le voyageur Guillaume de Rubrouk, qui exagère peut-être, il y
avait au XIIIe siècle, en Anatolie, un seul musulman pour dix habitants – et ils tirent profit
du retour à l’ordre et du développement économique : c’est du moins ce que permettent
de supposer la reprise des fondations religieuses et la rénovation d’anciens sanctuaires.
Pourtant, en comparaison des édifices seldjoukides, ces établissements chrétiens
paraissent souvent modestes : à Taskmpasakoy (Damsa/Tamisos), par exemple, siège
d’un évêché byzantin et centre religieux musulman, se dressent au centre du village une
mosquée, deux türbe et un édifice dont ne subsiste que la porte sculptée (caravansérail ?),
tandis que la seule église aujourd’hui conservée est rupestre et décorée de peintures
archaïsantes de qualité médiocre.

Karsi kilise, près de Gülşehir


Cette remarquable représentation de l’Enfer est peinte, près de la Psychostasie, sur le mur
ouest de la nef — sous l’image de deux saints cavaliers combattant le dragon —, tandis que
le Paradis se trouve au registre inférieur de la voûte, du côté nord.
4 Les rapports entre les deux communautés sont complexes : hostilité et méconnaissance
coexistent avec des comportements d’entente et de conciliation. Les positions souvent
modérées n’empêchent pas les tensions : des voyageurs musulmans s’indignent de
l’atmosphère qui règne dans les villes à majorité chrétienne, ils stigmatisent les
processions religieuses, la consommation de porc et de vin, les femmes non voilées, la
fréquence des mariages intercommunautaires. Conversions forcées et martyres sont aussi
attestés, preuve que les dispositions tolérantes, voire bienveillantes, de la plupart des
sultans n’étaient pas celles de tous leurs sujets musulmans. Sous le règne d’Andronic II
(1282-1328), un certain Nicétas (le Jeune) subit le martyre à Nysse, pour n’avoir pas
respecté le jeûne du Ramadan et avoir confessé sa foi chrétienne, non sans proférer
quelques injures à l’égard du Prophète ; il fut brûlé à petit feu, suspendu la tête en bas, et
ses reliques déposées dans l’église Saint-Grégoire à Nysse.
5 En général pourtant les Grecs de Cappadoce, qui conservent en majorité leur religion et
continuent à mentionner le nom de l’empereur byzantin dans les inscriptions dédicatoires
de leurs églises, semblent bien intégrés à la société turque et musulmane. Les peintures
du XIIIe siècle conservées en Cappadoce, témoignage sur la survie de l’hellénisme byzantin
sous les Seldjoukides comme sous les émirats turcomans, ont été longtemps considérées
comme des œuvres mineures et archaïsantes. À la lumière des découvertes de ces
dernières années, on peut aujourd’hui brosser un tableau, encore provisoire mais plus
nuancé, de cette production artistique, qui est loin d’être négligeable.

Karşi kilise
6 Le premier décor qui témoigne de la reprise du début du XIIIe siècle a été restauré en
1996. Il émane de donateurs privés, qui ont fait rénover un sanctuaire rupestre plus
ancien, appelé aujourd’hui Karsi kilise (« l’église d’en face »), situé à l’entrée de Gülsehir,
important nœud routier et commercial ; un petit complexe monastique lui était peut-être
associé. La dédicace, peinte dans l’abside, mentionne le donateur, dont le nom a disparu,
qui fit embellir l’église pour son salut et celui de son descendant, sous le règne de
l’empereur byzantin de Nicée Théodore Laskaris – Constantinople est en effet depuis
1204 aux mains des Latins – et elle donne la date de l’achèvement des peintures, le 25
avril 1212 ; bien qu’elle soit lacunaire, il semble qu’elle ne comportait pas la mention du
sultan seldjoukide, anomalie peut-être en rapport avec la mort de Kaykhusraw, tué en
1211 dans des circonstances obscures à Antioche du Méandre. Le riche costume porté par
une donatrice, peinte entre ses deux enfants ( ?), dans une niche du mur ouest de la nef,
atteste le rang social élévé des commanditaires du décor. La sélection en partie
inhabituelle des scènes représentées (Annonciation, Cène, Trahison de Judas, Descente
de croix, Myrophores au sépulcre, Anastasis, Baptême, Jeunes Hébreux dans la fournaise,
Dormition de la Vierge, Psychostasie, Enfer et Paradis) tient sans doute moins à la
méconnaissance des programmes byzantins traditionnels qu’à des choix délibérés, liés à
la fonction de l’église, aux intentions particulières des donateurs et sans doute au contexte
politico-religieux contemporain. L’accent est mis surtout sur deux thèmes principaux :
celui de la mort, de la résurrection et du salut éternel – l’église était peut-être destinée à
abriter des offices commémoratifs pour les donateurs – et celui de la trahison, allusion
possible aux réalités de l’époque, que les traîtres stigmatisés fussent les croisés qui
s’étaient emparés de Constantinople, les prélats qui avaient quitté la Cappadoce ou ceux
qui s’écartaient de l’orthodoxie. Le clergé paraît en tout cas particulièrement visé : le sort
fait à ses représentants dans la composition de l’Enfer, sans être exceptionnel, apparaît ici
très suggestif, tout autant que l’image originale de trois évêques, dont un démon tire la
barbe, dans le giron d’une grande figure de Judas ; celui-ci, corde au cou, est tiré par le
Prince des Ténèbres, qui chevauche « le dragon des profondeurs », monstre hybride
inspiré du bestiaire décoratif turc, et qui tient sur ses genoux une âme damnée, sans
doute celle de Judas. L’élaboration de l’iconographie, riche et imaginative, contraste avec
la relative pauvreté de l’exécution : il s’agit d’un art provincial, très éloigné des meilleures
réalisations byzantines contemporaines ; pourtant certains visages, marqués par une
simplification poussée des formes et du modelé, ne sont pas sans beauté.

Karşi kilise
Détail de la Trahison de Judas, avec les inscriptions suivantes : « les Juifs », à droite
(désignant le groupe de soldats venus arrêter le Christ), « celui à qui je donnerai un
baiser, c’est lui ; arrêtez-le », à droite du Christ, « salut, Rabbi, et il lui donna un baiser »,
à gauche de Judas.

Tatlarin
7 Une tendance analogue s’observe dans le décor, récemment restauré lui aussi et sans
doute à peu près contemporain, d’une église rupestre située près de Tatlarin, au sud-ouest
de Gülsehir. Greffé sur une vaste église double, entièrement décorée, mais dont les
peintures très noircies n’ont pas encore été nettoyées, le sanctuaire présente deux nefs
parallèles, communiquant entre elles par des arcades. Il s’agit aussi d’une fondation
privée – le portrait d’un jeune donateur, appelé Palatinos, est conservé sur un pilier – et
le décor, bien conservé seulement dans le vaisseau de gauche, est caractérisé par une
iconographie en partie atypique. Certes on trouve bien la Théotokos avec l’Enfant –
rappel traditionnel de l’Incarnation – dans l’abside, entre deux archanges en adoration ;
elle surmonte une seconde image de la Vierge, cette fois en buste et en orante, entourée
d’évêques, dont le choix inhabituel trahit probablement les préférences du ou des
fondateur(s) et indique que cette abside ne servait pas à la synaxe eucharistique courante.
Au lieu des effigies traditionnelles des auteurs des liturgies, Basile et Jean Chrysostome,
on y voit des saints rarement représentés, tel le patriarche de Jérusalem, Modeste, ou
encore André de Crète, dit aussi le Hiérosolymitain, évêque de Gortyne. D’une manière
générale, les saints représentés dans l’église composent un ensemble original, associant
des figures traditionnelles – comme celles des martyrs de Sébaste, de Constantin et
Hélène, ou encore de saint Georges, probable titulaire du sanctuaire, peint près de
l’entrée de l’abside – et un certain nombre de martyrs jamais rencontrés auparavant dans
les églises de la région, voire même inconnus des synaxaires, ou dont les noms ont été
déformés. Quant au cycle de scènes de la vie du Christ, il est très sélectif, mais peut-être
était-il complété dans l’autre nef, où l’on n’identifie plus que l’Adoration des Mages et le
Baptême. La Crucifixion occupe le fond de l’église, face à l’abside, tandis que l’Anastasis,
surmontant l’Entrée à Jérusalem, et la Transfiguration se suivent sur la voûte attenante.
Les épisodes de la vie du Christ sont d’une iconographie plutôt archaïsante, mais avec des
détails propres au XIIIe siècle. Le style surtout est particulier ; il s’éloigne de la tradition
constantinopolitaine contemporaine et, en général, du classicisme byzantin, rappelant un
peu par son hiératisme et la vigueur, voire la brutalité, de la stylisation linéaire certains
aspects de l’art du XIe siècle. Les mêmes caractéristiques se retrouvent dans d’autres
décors provinciaux du XIIIe siècle, dans les régions de la Méditerranée orientale, à Chypre
et en Syrie, mais aussi dans certains décors de Grèce. Simplicité, symétrie, immobilité,
absence de profondeur caractérisent l’organisation des scènes et les relations des figures
au paysage, réduit au minimum. Les corps sont généralement courts, plats, mal
proportionnés et maladroitement articulés, avec comme emmanchée sur un cou tubulaire
une grosse tête ronde – du moins pour les visages féminins ou juvéniles – à la chevelure
dessinée comme une perruque au-dessus de l’arrondi du front. Les yeux présentent de
grosses pupilles rondes, au regard vif. Le nez fort, la bouche stylisée mais bien dessinée, le
modelé schématique contribuent à l’expression énergique des visages.
La Crucifixion de l’église de Tatlarin, peinte face à l’abside
On reconnaît à droite du crucifié le porte-éponge, saint Jean et le centurion, à gauche une
sainte femme, qui était debout derrière la Vierge. À droite, on aperçoit un fragment de
l’Anastasis (dans la voûte) et de l’Entrée à Jérusalem (sur la paroi).

Église de Tatlarin
Deux des saints martyrs peints dans la voûte de la nef : Philikas et Théodoritos.

Église des Quarante Martyrs de Sébaste, près de Şahinefendi


Détail de la scène du supplice des Quarante Martyrs de Sébaste, peinte dans la voûte de la
nef nord, dans un contexte funéraire.

Saint-Georges de Belisirma
L’émir Basile Giagoupès et son épouse, Thamar, fondateurs de l’église entre 1283 et 1295,
représentés de part et d’autre de saint Georges.

Tradition et innovations
8 Un autre décor de caractère provincial, mais d’un style moins original, fut peint, toujours
vers la même époque, dans une église consacrée aux Quarante Martyrs de Sébaste, près
de Şahinefendi (Suveş), la Sobèsos byzantine, village situé dans la même large vallée
fertile et verdoyante que Tamisos (Taşkinpaşaköy/ Damsa), au sud d’Ürgüp. La dédicace
aux célèbres martyrs de Sébaste est fournie par l’inscription dédicatoire, qui nous donne
aussi la date de l’exécution du décor – 1216/17 –, le nom du donateur, le hiéro-moine
Makaris, et peut-être celui du peintre, Aetios. Le programme décoratif de l’église – dont la
partie nord était probablement funéraire – reste assez traditionnel et l’iconographie
conventionnelle : Ascension dans l’abside sud, Déisis dans l’abside nord, Annonciation,
Nativité, Adoration des Mages, Présentation au temple et Dormition de la Vierge dans la
nef sud, Crucifixion dans la nef nord. Unique en Cappadoce est en revanche la
composition peinte dans la voûte du vaisseau nord : le supplice des Quarante Martyrs,
condamnés à mourir de froid sur un lac gelé, près des thermes de Sébaste (Sivas). Le culte
de ces quarante soldats est, nous l’avons vu, de tradition très ancienne en Cappadoce,
mais cette image du martyre proprement dit est la seule dans les églises de la région, et
conforme à la formule iconographique habituelle à Byzance : les soldats presque nus,
alignés sur deux rangs sur les deux versants de la voûte, sont exposés sur le lac gelé ; des
couronnes descendent du ciel pour récompenser les martyrs. Le tympan ouest est occupé
par la scène du soldat fuyant le martyre et trouvant refuge dans un bain chaud, tandis que
le geôlier prend sa place, au grand dépit du démon qui observe la scène.
9 L’église conserve aussi une image du berger cappadocien Mamas, dont on a déjà
mentionné le martyrium paléochrétien situé près de Césarée et dont une partie des
reliques se trouvaient au Moyen Age à Mamasun (district d’Aksaray), lieu de pèlerinage
pour les chrétiens comme pour les musulmans. Une autre représentation intéressante est
celle de saint Théodore terrassant le dragon : le saint transperce de sa lance un monstre à
buste humain, dont la double queue se termine par deux têtes de serpents, image
influencée, comme le dragon de Karşi kilise, par le bestiaire irano-turc. Un monstre
comparable, mi-homme, mi-bête, le corps couvert d’écailles, le visage aux cheveux
hérissés, était encore conservé il y a quelques années dans l’église construite de Saint-
Georges à Ortaköy.

Saint-Georges de Belisirma
Cette Image de saint Georges, peinte dans une niche extérieure, était jadis à droite de
l’entrée, mais l’église est aujourd’hui éventrée et l’on y pénètre par une large brèche. À
noter la queue nouée du cheval et l’utilisation décorative du dragon pour former la cadre
inférieur de l’image.

Symbiose islamo-chrétienne à Saint-Georges de Belisirma


10 Cette influence, qui reste toujours limitée, du monde turc sur la peinture chrétienne
s’observe aussi dans une église de la région du Hasan Daği, au sud-est d’Aksaray, Saint-
Georges de Belisirma (Kirk dam alti kilisesi, « l’église sous les quarante étables »), qui
apporte aussi un témoignage intéressant sur l’intégration des chrétiens à la société
musulmane. La fresque des donateurs montre, de part et d’autre de saint Georges en
costume guerrier, un homme vêtu d’un long caftan et coiffé d’un turban blanc et une
femme portant un bonnet rond, qui tient le modèle de l’église. L’inscription dédicatoire
nous apprend que « Ce très vénéré sanctuaire du grand et illustre martyr saint Georges a
été magnifiquement décoré grâce au concours, au grand désir et à la peine de Dame
Thamar figurée ci-contre, et de son émir Basile Giagoupès. O martyr tropéophore Georges
de Cappadoce… Sous le très haut et très noble sultan Masud, tandis que le Seigneur
Andronic règne sur les Romains ». La mention conjointe du nom du basileus, Andronic
II, et de celui du sultan, Masud II, témoigne du sentiment de double appartenance des
chrétiens grecs et permet de dater la fondation delà fin du XIIIe siècle, époque où le sultan,
ne parvenant plus à se faire respecter pas ses vassaux turcs, avait sollicité l’alliance
d’Andronic II. Thamar, dont le nom est d’origine géorgienne, fut la principale fondatrice
de l’église – elle en offre à saint Georges la maquette – et une seconde inscription peinte
sous le plafond de l’église rappelle qu’elle dota aussi le sanctuaire d’une terre pour assurer
ses revenus : « Je donne aussi à ce vénérable sanctuaire de saint Georges que j’ai fondé,
moi, l’humble dame Thamar, une vigne sur le versant, vigne que j’ai achetée à
Siarophaténès. » Quant au second donateur, Basile Giagoupès, vraisemblablement le mari
de Thamar, il porte un prénom grec et chrétien – Basile – et un patronyme porté par les
Turcs comme par les Grecs – Giagoupès (Yakoupès/Jacob). À l’époque de Manuel I er
Comnène, ce nom était porté par un prince danischmendite, seigneur de la région de
Césaree : Basile est peut-être l’un de ses descendants christianisé. Son titre d’émir
correspond soit à une appellation héréditaire, soit à un poste important au service du
sultan de Rûm, celui d’un chef militaire à qui était donné un fief pour entretenir ses
troupes et qui commandait des contingents chrétiens de l’armée turque, recrutés
probablement dans les villages grecs des environs, Selime, Belisirma, Ihlara, Helvadere et
Gelveri. Les donateurs du sanctuaire étaient donc des chrétiens, vassaux du sultan de
Rûm ayant accédé à de hautes fonctions dans la hiérarchie seldjoukide.

Église principale de Yüksekli


Détail de la composition du Baptême du Christ, remarquable à la fois par la qualité du
style et par l’originalité de l’iconographie.
11 Le grand nombre des graffiti anciens qui couvrent les peintures indiquent que l’église
était très fréquentée par les Grecs de la région, tandis que la présence d’arcosolia creusés
dans les parois prouve qu’elle servit d’église funéraire. Bref, il s’agit d’un édifice jouissant
d’un certain prestige local, fondé par des personnes d’un rang élevé. Pourtant la qualité de
l’excavation laisse à désirer et le plan est très irrégulier, ce que la situation de l’église dans
une sorte de cap rocheux ne suffit pas à expliquer. Le cycle des images de grandes fêtes,
réparti dans ce cadre spatial inhabituel, conserve, malgré son caractère très sélectif, une
certaine cohérence : sur les parois sont rapprochées, comme on le voit ailleurs, la Nativité
et la Dormition – cette dernière, image de référence du salut promis aux justes, près du
panneau des donateurs – tandis qu’au plafond la Crucifixion et la Transfiguration sont
associées à l’Ascension. Le style, autant que l’état de conservation permette d’en juger, est
inégal, souvent pauvre ou négligé, mais il offre aussi quelques beaux morceaux de
peinture et évoque ici ou là -dans certains visages par exemple – l’art iranien. Le saint
titulaire, Georges, est plusieurs fois représenté et dans les images qui le montrent à
cheval, se révèle aussi l’influence du monde turc iranisé : ainsi sur une fresque peinte à
l’extérieur, sa monture a la queue nouée et le dragon qu’il terrasse – serpent pourvu d’une
tête à chaque extrémité – est utilisé à des fins décoratives pour former le cadre inférieur
de l’icône. Saint Georges était d’ailleurs l’objet, en Asie Mineure, d’une grande vénération,
tant de la part des chrétiens que des musulmans, qui avaient adopté son image en cavalier
vainqueur du dragon, que l’on trouve sur les monnaies des Danichmendites de Sivas et de
Mélitène et sur celles des sultans de Rûm, Soliman II et Kay-Qubâdh Ier.

Des peintres venus des centres grecs ?


12 Dans cette production provinciale, font exception quelques ensembles qui prouvent que
des peintres de talent, probablement venus des terres grecques, en tout cas au courant des
tendances nouvelles, circulaient en Cappadoce. Dans la région de Gülsehir, l’église
principale d’un petit monastère, proche du village de Yüksekli, sur la rive nord du Kizil
Irmak, a été l’objet d’une rénovation, sans doute vers le milieu du XIIIe siècle. Même si
l’artiste qui a exécuté les peintures reste souvent fidèle à des modèles anciens (des XIe-XIIe
siècles), il adopte plusieurs nouveautés du XIIIe siècle, tout en faisant preuve à la fois
d’originalité dans certains détails de l’iconographie et d’une réelle virtuosité dans
l’exécution, en particulier dans l’agencement des groupes en profondeur et dans
l’individualisation et l’animation des figures. Le canon classique des personnages, l’habile
représentation des nus, des mains et des pieds vus en raccourci, les visages bien dessinés,
dont le modelé suggère la forme plastique, leur expression calme et douce sont conformes
aux tendances dominantes de la peinture byzantine au XIIIe siècle. Les peintres de
Yüksekli font preuve, en outre, d’un certain éclectisme, qui est une des caractéristiques de
l’art du XIIIe siècle. Malheureusement déjà en mauvais état lors de leur découverte, ces
peintures ont été, après notre visite, l’objet d’actes de vandalisme.
13 Le couple de donateurs (aujourd’hui détruits), qui étaient figurés nimbés dans la niche
occidentale du mur nord de la nef, près de la porte – ce qui leur assurait un bon éclairage
–, étaient vraisemblablement des personnages importants. Ils avaient choisi d’être
représentés de part et d’autre d’une grande image de Christophore, le martyr de Lycie,
protecteur privilégié des voyageurs. Le choix de ce saint et l’iconographie inhabituelle du
Baptême du Christ, peint en face, dans la voûte, éclairent peut-être les circonstances de la
fondation. Au-dessus d’une étonnante personnification de la Mer, empruntée au
répertoire du Jugement dernier (le gros poisson qu’elle chevauche recrache un corps
humain), apparaît un petit voilier, bien détaillé, avec un équipage de cinq hommes, dont
un, dans la hune, les bras levés, se trouve juste sous la main bénissante du Christ, qui
semble lui assurer sa protection. Cette composition atypique du Baptême révèle une
intention particulière : la rénovation de l’église pourrait être en relation avec un vœu des
donateurs lié à une expédition maritime, passée ou à venir. Au XIIIe siècle, l’Anatolie
jouait un rôle important dans le commerce de transit : la mise en valeur des richesses
minières, la production de sel, d’indigo, de safran, de laine alimentaient l’exportation
tandis que la renaissance des villes et l’essor d’une aristocratie cultivée suscitaient
l’importation des denrées précieuses. Le donateur pouvait être un marchand grec,
recommandant ses navires et leurs équipages à la protection divine, à moins que le décor
ne fasse allusion à un voyage de caractère privé. Près du portrait du donateur est
représenté le plus fameux représentant du monachisme palestinien, saint Sabas, par
ailleurs assez peu fréquent dans les églises de Cappadoce, dont la présence indique
peut-être un lien, commercial ou religieux, avec Jérusalem. Quoi qu’il en soit, les
peintures de cette église, malgré leur médiocre conservation, prouvent que circulaient en
Cappadoce turque des peintres grecs expérimentés.
14 Un autre exemple de décor dû à l’intervention d’artistes qualifiés, probablement venus du
monde byzantin, est celui de Bezirana kilisesi, église aujourd’hui inaccessible du vallon de
Peristrema. La qualité du style va ici de pair avec une iconographie d’actualité, preuve que
l’activité artistique de la Cappadoce turque ne s’est pas développée en vase clos, mais
qu’elle a bénéficié d’apports extérieurs. L’abside est ainsi consacrée à un thème liturgique,
dont c’est l’unique occurrence en Cappadoce : les évêques officiant autour de l’Amnos –
l’Agneau de Dieu sous les traits d’un petit enfant allongé dans la patène -, selon une
iconographie qui ne se fixe que dans le courant du XIIIe siècle.
15 D’où venaient ces peintres talentueux véhiculant les innovations iconographiques des
centres vifs de la culture byzantine ? Sans doute des terres grecques, mais aucune
inscription, aucun texte ne nous éclairent sur ce point et notre connaissance de la
peinture du XIIIe siècle – en particulier à Nicée – est trop lacunaire pour permettre des
rapprochements significatifs. Les décors cappadociens du XIIIe siècle, dans leur diversité
récemment révélée, non seulement nous renseignent sur les communautés dont ils sont
l’expression, mais ils complètent utilement le panorama de l’art byzantin à une époque
charnière, celle de la domination latine à Constantinople.

Yüksekli
Détail des peintures, aujourd’hui pratiquement détruites, qui décoraient l’abside d’une
seconde église à Yüksekli : Aaron balançant un encensoir ; il était, avec Melchisédech,
associé à la Déisis peinte dans la conque, au-dessus des évêques en pied.

Épilogue
16 Ils apparaissent aussi comme les derniers témoignages médiévaux connus sur les
communautés chrétiennes de Cappadoce. Dès la fin du XIIIe siècle, en effet, alors que les
luttes entre dynastes locaux, mongols et turcomans, créent à nouveau dans la région
anarchie et état de guerre, l’activité monumentale des Grecs semble cesser, du moins
n’a-t-on plus de vestiges archéologiques sûrement datés, bien que l’on sache que, malgré
les progrès de la turquisation et de l’islamisation, les populations grecques chrétiennes
n’ont pas disparu. Les registres ottomans de recensement des XVe et XVIe siècles montrent
qu’alors 70 à 75 % des agglomérations de Cappadoce comportaient encore un nombre
plus ou moins important de chrétiens. Certains villages, comme Mavrucan et Soganh,
étaient chrétiens – mais non entièrement grecs, car certains noms sont turcs -, d’autres
musulmans (Çavuşin, Ortahisar, Uçhisar, Eski Gümüş, etc.), mais beaucoup abritaient
une population mixte, les grands centres urbains ayant été en général plus islamisés que
les villages : à Césarée, en 1500, la population non musulmane n’excède pas 14 %.
17 Après une longue éclipse – quelques églises seulement subsistent des siècles suivants –
un renouveau se manifeste au XIXe siècle et au début du XXe, jusqu’au départ des Grecs
dans les années vingt : de grandes églises sont construites, rénovées ou creusées dans les
villages, tandis que se développe une architecture civile de qualité. Dans cette région
habitée par une population mixte de musulmans parlant turc, de chrétiens orthodoxes
parlant grec et d’Arméniens, de belles demeures sont construites pour les Grecs et les
Arméniens enrichis par le commerce constantinopolitain. Au tuf local, abondant, facile à
tailler, d’une couleur chaude variant de l’ocre au rose, est associé le bois, utilisé pour les
encorbellements, les portes, la charpente et le mobilier intérieur. Dans la plupart des
villages, à Ürgüp, Ortahisar, Uçhisar, Mustafapaşaköy, Avanos, etc., on remarque encore
aujourd’hui les belles façades sculptées de ces maisons, dont l’intérieur conserve parfois
des peintures, témoins de la prospérité économique de la Cappadoce à la fin du XIXe et au
début du XXe siècle.

© CNRS Éditions, 1997

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Référence électronique du chapitre


JOLIVET-LÉVY, Catherine. Chrétiens en Cappadoce turque In : La Cappadoce : Mémoire de Byzance [en
ligne]. Paris : CNRS Éditions, 1997 (généré le 27 octobre 2014). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/editionscnrs/932>. ISBN : 9782271078650.

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. La Cappadoce : Mémoire de Byzance. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS
Éditions, 1997 (généré le 27 octobre 2014). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org
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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

Un patrimoine à préserver
p. 116-119

Full text
1 À l’action des facteurs climatiques, de l’érosion, naturelle et inéluctable, s’ajoute celle de
l’homme : la Cappadoce connaît depuis vingt ans un essor touristique sans précédent,
dont le paysage et les monuments portent les stigmates. On lui doit aussi, il est vrai, le
nettoyage et l’« aménagement » de quelques églises ensablées ou difficilement
accessibles ; on lui doit encore, à l’initiative des autorités turques, la fermeture de certains
monuments, que l’on espère ainsi protéger du vandalisme. Malgré ces actions ponctuelles,
menées généralement sans contrôle archéologique, malgré les résolutions officielles, qui
se heurtent dans leur application à des difficultés nombreuses, le patrimoine cappadocien
reste menacé.
2 Dès 1972 pourtant, un programme préliminaire pour la conservation des églises rupestres
de la région de Göreme avait été élaboré à Rome par l’ICCROM (International Center for
Conservation, Rome). En 1982, l’Unesco annonçait un effort international pour la
préservation des églises de Göreme, qui devait porter non seulement sur la conservation
des peintures, mais aussi sur la consolidation des structures ; le site de Göreme fut inscrit
sur la liste du Patrimoine mondial. D’autres rencontres suivirent, tels le colloque organisé
au Parlement européen de Strasbourg en 1986 ou celui organisé en septembre 1993 sous
l’égide du ministère turc de la Culture et du Tourisme, de l’ICCROM et de l’Unesco, pour
la sauvegarde des églises rupestres de la région d’Ürgüp. Deux décors peints de Göreme
ont été restaurés – Tokah et Karanlik kilise –, et d’autres devraient suivre. Support et
couche picturale ont été consolidés par injection d’adhésifs et imprégnation de fixatifs, les
accidents profonds du support ont été colmatés par un mortier similaire à l’original et le
nettoyage a redonné aux couleurs leur éclat d’origine. Lorsque la restitution était possible,
les lacunes ont été, reprises, en particulier par le procédé du tratteggio, fines hachures
chromatiques permettant de distinguer les repeints.
3 En revanche, jusqu’à présent aucune intervention n’a pu être entreprise pour enrayer la
dynamique érosive, contre laquelle il est très difficile de lutter et qui est responsable d’un
certain nombre de destructions : décollement des enduits – dans l’église de l’Archangélos
près de Cemil, par exemple –, infiltrations d’eau, pulvérulence et écaillage des peintures,
mais surtout effondrements de blocs rocheux, comme à Çavuşin, où la falaise est en partie
tombée, emportant la dernière colonne de la façade de la basilique Saint-Jean-Baptiste en
1975. D’autres monuments remarquables menacent aujourd’hui de disparaître : l’église
d’El Nazar (Göreme), récemment consolidée de façon peu esthétique, Meryemana kilisesi,

1 of 4 28.10.2014 15:37
surtout, où les fissures s’élargissent chaque année, annonçant l’effondrement dans le
vallon de cette église aux belles peintures du ΧIe siècle.
4 Ailleurs, l’action de l’homme est directement responsable des destructions. Celle-ci n’est
pas nouvelle, comme en témoigne l’état de conservation des peintures (visages grattés,
yeux détruits, graffiti innombrables). La réutilisation des monuments à des fins diverses
par les paysans, leur fréquentation assidue, ont eu pour conséquence l’accumulation de
dépôts de poussières grasses, suie, cire ou huile d’éclairage, qui ont noirci les décors. Les
peintures ont parfois été volontairement détruites (Ballik kilise, à Soğanli) ou
endommagées. À Saint-Jean de Güllü dere, plusieurs têtes du début du Xe siècle – les
apôtres André et Thaddée, la Vierge et l’Enfant de la Fuite en Égypte – ont été découpées
et une tentative non aboutie de dépose a eu lieu à Kiliçlar kilise (Göreme). Plus
récemment, les peintures de Saint-Jean-Baptiste de Çavuşjn ont aussi subi des
déprédations importantes : témoin, entre autres, l’ange protégeant les jeunes Hébreux
dans la fournaise, jadis presque intact et aujourd’hui sauvagement gratté. Dans l’abside
nord de l’église de l’Archangélos, la tête d’un apôtre de l’abside a été découpée et volée, et
une tentative a été faite sur le visage du Christ. À Yüksekli, au-delà de Gülşehir, les
enfants sont probablement responsables de la destruction de belles peintures du XIIIe
siècle. Quant aux rares monuments construits encore debout, ils disparaissent
progressivement, par manque d’entretien ou parce qu’ils sont utilisés comme carrières ;
ainsi, les pierres de la belle basilique paléochrétienne d’Eski Anda-val, non loin de Nigde,
ont été récupérées pour la construction d’une maison voisine ; la destruction de l’église a
été interrompue en 1985, mais les peintures intérieures, du XIe siècle, désormais soumises
à toutes les intempéries, auront bientôt disparu.

Meryemana (ou Église du Pigeonnier de Kiliçlar)


Détail de la Crucifixion. Rien ne semble malheureusement pouvoir être fait aujourd’hui
pour tenter d’enrayer l’érosion naturelle qui va causer la ruine de cette attachante église
du XIe siècle.
5 Outre l’ignorance, le développement d’un tourisme de masse contribue à la dégradation
des sites et des monuments. À Göreme, les peintures murales sont rongées par l’acide
carbonique et la vapeur d’eau de la respiration des milliers de touristes qui visitent
chaque jour ce site durant la saison estivale. Dans les monuments les plus visités, les
peintures sont endommagées par le frottement des visiteurs contre les parois et par les
graffiti. Les installations hôtelières, qui se sont multipliées ces dernières années, ont
parfois défiguré le paysage, tels le complexe érigé à proximité d’Ortahisar ou les pensions
et restaurants d’Avalar (Göreme), dont certains sont établis dans des cônes creusés de
tombeaux romains. Aux hôtels s’ajoutent les parkings – comme celui qui a été récemment
aménagé au fond du ravin de Göreme – et les éventaires de marchands, de plus en plus
envahissants, qui enlaidissent les sites les plus pittoresques, tel celui de Saint-Syméon,
près de Zelve.
Une église réaménagée
Près d’Avcilar (Göreme), dans le quartier de Karşibecak, une étonnante basilique
paléochrétienne, en partie ensablée, a été réaménagée en « résidence secondaire »…
6 Pourtant existent des plans de protection, qui n’ont jamais eu force de loi, qu’il s’agisse de
celui de la région de Göreme-Avcilar-Çavuşin, révisé en 1972 (Göreme Historical National
Park) ou du projet turc de « Conservation structurelle de Göreme ». Le sort des sites et
des monuments dépend surtout des groupes financiers qui ont investi la région, des
municipalités locales et des particuliers propriétaires, en général inconscients de leur
intérêt historique. Pour limiter les dégradations, on a multiplié le gardiennage des églises,
mesure relativement efficace, mais qui ne peut être étendue à tous les monuments. La
fermeture des établissements les plus menacés, ou leur ouverture limitée à certains jours
de la semaine, le strict contrôle du nombre des visiteurs, devraient être envisagés.
7 Outre les églises, d’autres monuments de Cappadoce sont menacés : des quartiers entiers
du vieux Kayseri ont aujourd’hui disparu et, dans les villages, les maisons grecques du
e
XIX siècle, qui ne sont pas rachetées et restaurées, tombent en ruines. Celles d’Avanos
sont rongées par les infiltrations d’eau, d’autant plus dangereuses que la cité est bâtie sur
une ville souterraine. Une association de sauvegarde a été créée – le Cercle Franco-Turc
des Amis d’Avanos – et une centaine de maisons classées monuments historiques en
1983. D’autres projets – individuels le plus souvent – se font jour ici ou là pour la
conservation d’églises, de maisons anciennes ou de sites : s’ils se heurtent toujours à
l’insuffisance des moyens financiers ou à des intérêts contraires, ce sont des signes
encourageants d’un intérêt plus profond porté au patrimoine cappadocien, mémoire
d’une civilisation disparue et héritage de la Turquie au même titre que les vestiges hittites,
seldjoukides ou ottomans.

La lutte contre l’érosion


La dynamique érosive, contre laquelle il est très difficile de lutter, menace aujourd’hui
l’intégrité de plusieurs églises des environs de Göreme, et les mesures prises sont souvent
aléatoires. Ici, consolidation du cône abritant l’église d’EI Nazar, aux belles peintures
« archaïques »…
Un site défiguré
Vue du complexe hôtelier situé à l’entrée d’Ortahisar, lors de sa construction en 1987
(cliché N. Thierry).

© CNRS Éditions, 1997

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. Un patrimoine à préserver In: La Cappadoce: Mémoire de Byzance [online].
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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

Lexique
p. 120-122

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1 Acheiropoiète. « Non fait par la main [de l’homme] ». Désigne les images apparues
miraculeusement et reproduites d’après un prototype miraculeux.
2 Anastasis. « Résurrection ». Désigne l’image de Pâques de l’église orthodoxe, qui
montre le Christ descendant dans l’Hadès, ou en remontant, avec Adam et Ève, et en
présence des rois-prophètes David et Salomon et, parfois, de saint Jean-Baptiste.
Vainqueur de la mort, il piétine en général les portes renversées de l’Enfer, parfois la
personnification de l’Hadès. La composition – souvent appelée aussi Descente aux
Limbes – associe ainsi l’évocation de la résurrection du Christ à celle de la rédemption de
l’humanité.
3 Aplekton (pl. aplekta). Lit. camp fortifié. Désigne dans les documents du Xe au XIVe
siècle, les lieux de cantonnement des troupes.
4 Arcosolium. Niche cintrée à fond plat, abritant habituellement une ou plusieurs tombes.
5 Chôrévêques. Évêques ruraux faisant la tournée des villages pour assister l’évêque de la
ville.
6 Déisis. « Prière ». Ce terme désigne depuis le XIXe s. la composition réunissant autour du
Christ la Vierge et saint Jean-Baptiste, debout, les mains levées vers le Sauveur dans une
attitude d’adoration, en reconnaissance de sa divinité, et surtout d’intercession en faveur
du genre humain.
Le site de Çanli kilise (XIe s.)
Dans la région d’Aksaray, l’une des rares églises construites encore debout ; les nombreux
établissements, en majorité rupestres, conservés aux alentours de l’église, révèlent la
présence d’une ville byzantine. Au fond, le Hasan Daği.
7 Dormition (ou Koimèsis) « Endormissement ». Désigne la mort de la Vierge, célébrée
le 15 août – l’une des Grandes Fêtes byzantines – et sa représentation dans l’art.
8 Higoumène. Supérieur d’un monastère.
9 Iconodoule. Désigne les défenseurs de la vénération des images, opposés aux
iconoclastes pendant la période de l’Iconoclasme.
10 Kastron (pl. kastra). Forteresse ou citadelle – établissement fortifié, souvent situé au
sommet d’une colline.
11 Katholikon. Terme grec moderne désignant l’église principale d’un monastère.
12 Kilise. « Église » en turc.
13 Martyrion (pl. martyria). Sanctuaire érigé sur la tombe d’un martyr ou sur un site lié
à la vie du Christ ou d’un saint.
14 Métropole. Chef-lieu d’une province ecclésiastique
15 Monophysisme. Mouvement religieux apparu à Alexandrie dans la première moitié du
e
V siècle ; en réaction au nestorianisme qui mettait l’accent sur la nature humaine du
Christ incarné, le monophysisme reconnaît, après l’Incarnation, une seule nature, qui est
divine. Cette doctrine fut condamnée comme hérétique au concile de Chalcédoine, en 451,
mais perdura avec un succès variable.
16 Parousie. La première Parousie ou première Venue du Christ désigne son Incarnation,
la seconde son retour glorieux à la fin des temps pour le Jugement.
17 Parekklèsion. Nef ou chapelle annexe.
18 Prodrome. « Précurseur », épithète de saint Jean-Baptiste.
19 Protospathaire. Titulaire de la dignité de « premier porte-épée », la huitième dans
l’ordre hiérarchique des titres honorifiques conférés par l’empereur.
20 Seldjoukides. Dynastie turque désignée d’après un ancêtre nommé Seldjouk, chef
d’armée d’un peuple nomade, qui, au XIe siècle émigra de la région de la mer d’Aral vers
l’ouest. Alp Arslan vainquit l’armée byzantine à Mantzikert en 1071 et fit prisonnier
l’empereur Romain IV Diogènes. Les Seldjoukides fondèrent le sultanat de Rûm, avec
Nicée (Iznik), puis Konya, comme capitale.
21 Stratège. Responsable militaire et civil d’un thème.
22 Stylite. Ascète vivant au sommet d’une colonne ; le premier stylite fut saint Syméon
l’Ancien au Ve siècle.
23 Stylobate. Soubassement continu servant de support à une rangée de colonnes.
24 Synthronon. Banquette semi-circulaire – pouvant être à plusieurs degrés – située dans
l’abside et destinée au clergé.
25 Tétramorphe. « À quadruple forme». Caractérise les chérubins de la vision d’Ezéchiel, à
quatre faces (homme, aigle, taureau et lion).
26 Thème. Circonscription militaire devenue unité territoriale et remplaçant la division
romaine en provinces.
27 Théophanie. Manifestation de Dieu, scène où se révèle la divinité du Christ.
28 Théotokos. « Mère de Dieu », titre donné à la Vierge Marie lors du concile d’Ephèse, qui
condamna le nestorianisme (431).

© CNRS Éditions, 1997

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. Lexique In: La Cappadoce: Mémoire de Byzance [online]. Paris: CNRS
Éditions, 1997 (generated 28 October 2014). Available on the Internet: <http://books.openedition.org
/editionscnrs/934>. ISBN: 9782271078650.

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. La Cappadoce: Mémoire de Byzance. New edition [online]. Paris: CNRS
Éditions, 1997 (generated 28 October 2014). Available on the Internet: <http://books.openedition.org
/editionscnrs/918>. ISBN: 9782271078650.
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La Cappadoce | Catherine Jolivet-Lévy

Bibliographie
p. 123-126

Full text
• L’ouvrage de référence sur les églises rupestres et leurs peintures demeure aujourd’hui
encore celui de :
G. DE JERPHANION, Une nouvelle province de Part byzantin. Les églises rupestres de
Cappadoce, Paris, 1925-42.
• A compléter par :
N. et M. THIERRY, Nouvelles églises rupestres de Cappadoce. Région du Hasan Daği,
Paris, 1963.
M. RESTLE, Die byzantinische Wandmalerei in Kleinasien, I-III, Recklinghausen, 1967.
N. THIERRY, Haut Moyen Âge en Cappadoce. Les églises de la région de Çavuşin, t. I et
II, Paris, 1983 et 1994.
L. RODLEY, Cave Monasteries of Byzantine Cappadocia, Cambridge University Press,
1985.
C. JOLIVET-LÉVY, Les Églises byzantines de Cappadoce. Le programme iconographique
de l’abside et de ses abords, Paris, CNRS-Editions, 1991.
• Sur la région à l’époque byzantine, son histoire et sa géographie historique :
F. Hild, M. Restle, Kappadokien (Kappadokia, Charsianon, Sebasteia und Lykandos)
[Tabula Imperii Byzantini 2], Vienne, 1981, où l’on trouvera aussi un répertoire détaillé
des sites et une série de cartes.
• Pour une introduction plus générale sur la Cappadoce, on se reportera aux ouvrages
collectifs :
Arts de Cappadoce, sous la direction de L. GIOVANNINI, Genève, éd. Nagel, 1971.
A. BALLIAN, N. PANTELEAKI, I. PETROPOU-LOU, Cappadocia. Travels in the Christian East,
Ahènes, 1994.
• Et aussi :
S. KOSTOF, Caves of God. The Monastic Environment of Byzantine Cappadocia,
Cambridge, Mass., 1972 (éd. révisée sous le titre Caves of God. Cappadocia and its
Churches, Oxford/ New York/Toronto, 1989).
• Voir aussi les articles réunis dans :
Le aree omogenee della Civilta Rupestre nell’ambito dell’Impero Bizantino. La
Cappadocia, a cura di C. D. FONSECA, Galatina 1981.
• Et les articles parus dans les revues suivantes :
Histoire et Archéologie, Les Dossiers n° 63 (1982) – La Cappadoce aux surprenantes
richesses.
Histoire et Archéologie, Les Dossiers n° 121 (1987) – L’art religieux de la Cappadoce.
Le Monde de la Bible. Archéologie et Histoire 70 (1991) – La Cappadoce.
• Pour les lettres de Grégoire de Nysse :
GRÉGOIRE DE NYSSE, Lettres, éd. P. Maraval, Paris 1990 (« Sources chrétiennes », n° 363).
• Pour les pigeonniers et ruchers :
G. DEMENGE, « Pigeonniers er ruchers byzantins de Cappadoce », Archéologia 311 (1995),
p. 42-51.
• Pour le site de Çanli kilise :
A. OUSTERHOUT, « The 1994 Survey at Akhisar-Çanli kilise », XIII. Arastirma sonuçlari
toplantisi, Ankara, 1996, p. 165-180.

Le monastère de Karanhk kilise, à Göreme


Angle sud-est : on voit à droite la porte du réfectoire et au fond, sur le mur est, une
représentation de la Vierge à l’Enfant entre deux archanges.

La vie religieuse à l’époque protobyzantine


R. TEJA, Organizacion economica y social de Cappadocia en el siglo IV, segun los Padres
Capa-dorios, Salamanque, 1974.
B. GAIN, L’Église de Cappadoce au IVe siècle d’après la correspondance de Basile de
Césarée (330-379), Rome, 1985.
P. MARAVAL, Lieux saints et pèlerinages d’Orient, Paris, 1985.
M. RESTLE, Studien zur frühbyzantinischen Architektur Kappadokiens, Vienne, 1979.
N. LEMAIGRE DEMESNIL, « Les Églises paléochrétiennes de Cappadoce », Le Monde de la
Bible 70 (1991), p. 16-19.
Ν. THIERRY, « Avanos-Venasa », Geographica Byzantina [Byzantina Sorbonensia 3],
Paris, 1981, p. 119-129.
N. THIERRY, « Le grand monastère d’Özkonak », Histoire et Archéologie, Les Dossiers n°
121 (1987), p. 40-45.
Ν. THIERRY, « Un problème de continuité ou de rupture. La Cappadoce entre Rome,
Byzance et les Arabes », Comptes Rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres, 1977, p. 98-144.
N. THIERRY, « Le culte du cerf en Anatolie et la vision de saint Eustathe », Monuments
Piot 72 (1991), p. 33-100.
C. JOLIVET-LÉVY, « Trois nouvelles représentations de la vision d’Eustathe en
Cappadoce », Monuments Piot 72 (1991), p. 101-106.

La Cappadoce aux marges de l’Empire


H. AHRWEILER, « L’Asie Mineure et les invasions arabes (VIIe-IXe s.) », Revue Historique
fasc. 461 (1962), p. 1-32, repr. dans Etudes sur les structures administratives et sociales
de Byzance, Londres, Variorum Reprints, 1971, IX.
J. F. HALDON et H. KENNEDY, « The arabbyzantine frontier in the eighth and ninth
centuries : military organisation and society in the borderlands », Zbornik Radova
Vizantoloskog Instituta 19 (1980), p. 79-116.
N. THIERRY, « Le culte de la croix dans l’empire byzantin du VIIe siècle au Xe dans ses
rapports avec la guerre contre l’Infidèle. Nouveaux témoignages archéologiques »,
Miscellanea Agostino Ρ emisi, 1, Rivista di Studi Bizantini e Slavi 1 (1981), p. 205-228.
N. THIERRY, « L’iconoclasme en Cappadoce d’après les sources archéologiques. Origines
et modalités », Le Rayonnement grec. Hommages à Charles Delvoye, Bruxelles 1982, p.
389-403.
G. DAGRON, H. MIHAESCU, Le traité sur la guérilla (De velitatione) de l’empereur
Nicéphore Phocas, Paris, 1986.
J. et L. TRIOLET, Les villes souterraines de Cappadoce, Torcy, DMI éd. 1993.
G. BERTUCCI, R. BIXIO, M. TRAVERSO, éd., Le Citta sotterranee della Cappadocia
[Supplemento a Speleologia, rivista della Societa Speleologica Italiana], Gênes, Erga
edizioni, 1995.

Le renouveau de l’époque macédonienne


R. CORMACK, « Byzantine Cappadocia. The Archaic Group of Wail-Paintings », Journal of
the British Archaeological Association 30 (1967), p. 19-36.
C. JOLIVET-LÉVY, « Le renouveau du Xe siècle, Le Monde de la Bible 70 (1991), p. 26-33.
C. JOLIVET-LÉVY, « Les programmes iconographiques des églises de Cappadoce au Xe
siècle. Nouvelles Recherches », Constantine VII Porphyrogenitus and his Age, Second
International Byzantine Conference, (Delphes 1987), Athènes, 1989, p. 257-284.
N. THIERRY, « Un atelier de peintures du début du Xe siècle en Cappadoce », Bulletin de la
Société Nationale des Antiquaires de France 1971, p. 170-178, repr. dans Peintures d’Asie
Mineure et de Transcaucasie aux Xe et XI siècles, Londres, Variorum Reprints 1977.

Les Phocas, une grande famille cappadocienne


A. W. EPSTEIN, Tokah kilise. Tenth-Century Metropolitan Art in Byzantine Cappadocia
[Dumbarton Oaks Studies 22], Washington, 1986.
C. JOLIVET-LÉVY, « Le riche décor peint de Tokali kilise à Göreme », Histoire et
Archéologie, Les Dossiers n° 63 (1982), p. 61-72.
N. THIERRY, « Recherches sur les commanditaires de la nouvelle église de Tokah et
d’autres monuments », Constantine VII Porphyrogenitus and his Age, Second
International Byzantine Conference (Delphes 1987), Athènes, 1989, p. 217-246.
N. THIERRY, « Une fondation aristocratique : Tokah kilise à Göreme » Le Monde de la
Bible 70 (1991), p. 36-42.
C. JOLIVET-LÉVY, « La glorification de l’empereur à l’église du Grand Pigeonnier de
Çavuşin », Histoire et Archéologie, Les Dossiers n° 63, Dijon, mai 1982, p. 73-77.
L. RODLEY, « The Pigeon House Church, Çavuşin », Jahrbuch der Österreichischen
Byzantinistik 33 (1983), p. 301-339.
N. THIERRY, « Un portrait de Jean Tzimiskès en Cappadoce », Travaux et Mémoires 9
(1985), p. 478-484.
Ermitages et monastères
L. RODLEY, Cave Monasteries of Byzantine Cappadocia (op. cit.)
N. THIERRY, « Monastères et ermitages en Cappadoce », Le Monde de la Bible 70 (1991),
p. 20-25.

Le centre de Göreme
L. RODLEY, Cave Monasteries of Byzantine Cappadocia (op. cit.)
A. W. EPSTEIN, « Rock-cut Chapels in Göreme Valley, Cappadocia : The Yilanli Group and
the Column Churches », Cahiers Archéologiques 24 (1975), p. 115-135.
A. W. EPSTEIN, « The Fresco Decoration of the Column Churches, Göreme Valley,
Cappadocia : A Consideration of their Chronology and their Models », Cahiers
Archéologiques 29 (1980-1981), p. 27-45.
G. P. SCHIEMENZ, « Felskapellen im Göreme-Tal, Kappadokien : die Yilanli-Gruppe und
Saldi kilise », Istanbuler Mittei-lungen 30 (1980), p. 291-319.
N. THIERRY, « L’église Sainte-Barbe », Histoire et Archéologie, Les Dossiers n° 121 (1987),
p. 56-58.

Chrétiens en Cappadoce turque


S. VRYONTS, The Decline of Medieval Hellenism in Asia Minor and the Process of
Islamization from the Eleventh through the Fifteenth Century, Berkeley/Los
Angeles/Londres, 1971.
G. JOLIVET-LÉVY, « Nouvelle découverte en Cappadoce. Les églises de Yüksekli », Cahiers
Archéologiques 35, 1987, p. 113-141.
N. THIERRY, « La peinture de Cappadoce au XIIIe siècle. Archaïsme et contemporanéité »,
Studenica et l’art byzantin autour de l’an 1200, Belgrade 1988, p. 359-376.
C. JOLIVET-LÉVY et N. LEMAIGRE DEMESNIL, « Nouvelles églises à Tatlarin, Cappadoce »,
Monuments et Mémoires. Fondation E. Piot 75 (1996), p. 21-63.

Un patrimoine à préserver
N. THIERRY, « La détérioration des sites et des monuments de Cappadoce », Bulletin du
Centre d’Études d’Asie Mineure (Athènes), VII (1988-1989), p. 335-354.
N. THIERRY, « Les destructions en Cappadoce », Le Monde de la Bible 70 (1991), p. 44-45.
I. DANGAS, « Une restauration : Karanlik kilise, l’église sombre », Le Monde de la Bible 70
(1991), p. 46-47.
The Safeguard of the Rock-hewn Churches of the Göreme Valley. Proceedings of an
International Seminar. Ürgüp, Cappadocia, Turkey 5-10 September 1993, Rome,
ICCROM, 1995.

© CNRS Éditions, 1997

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. Bibliographie In: La Cappadoce: Mémoire de Byzance [online]. Paris: CNRS
Éditions, 1997 (generated 28 October 2014). Available on the Internet: <http://books.openedition.org
/editionscnrs/935>. ISBN: 9782271078650.

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JOLIVET-LÉVY, Catherine. La Cappadoce: Mémoire de Byzance. New edition [online]. Paris: CNRS
Éditions, 1997 (generated 28 October 2014). Available on the Internet: <http://books.openedition.org
/editionscnrs/918>. ISBN: 9782271078650.
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