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L’aiguillon du désir

L’aiguillon du désir: philosophie et spiritualité


Rafael Fernández Hart, S.J.

Si je sors de toi, tu viens à moi,


Si je me perds, c'est toi que je trouve
Oh Bien au de-là de l’être! (Maître Eckhart)

Dans le présent travail, je réaliserai un exercice philosophique autour de la spiritualité; au


cours de cet exercice je centrerai mon intérêt sur l'expérience du désir en tant que stimulus qui
fonde notre vie. Avec cette finalité, je me servirai de deux prémisses qui s’entrecroiseront tout
au long de mon exposé. D’un côté, le désir est la question par excellence de notre existence
car il est inévitable et, d’un autre côté, le désir est toujours une tension, avec la différence
toutefois, que –parfois nous l’absorbons et parfois nous la laissons être.
Le désir ne s’interrompt pas, il se transforme en promesse ou en addiction; en érotisme ou en
pornographie; en recherche ou en angoisse; en pari ou en peur; en écoute ou omnipotence; en
amour ou en caresse. Habitués à écouter que l’impulsion est érotique ou thanatique ou bien
que l’objet du désir est inatteignable, nous avons succombé à l’illusion d’une science qui
serait capable de comprendre le désir. Et cela, comme s'il était possible de mettre un frein au
désir incessant, non pas parce que son objet est inatteignable mais plutôt parce qu’il inaugure
et prolonge notre façon d’être dans la vie. Chaque sujet est désir, et l’objet du désir, s'il en
avait un, est simplement l’occasion de constater une de ses manifestations. Notre monde de
relations est tissé par les manifestations du désir, c’est pourquoi il constitue la question par
excellence. Celle-ci réside dans le fait qu’il n’y a pas de réponse; le penser est une occupation
digne même si elle n’est pas concluante ou ne se résout pas comme on le souhaite.

De la raison au de-là de soi


Dans un premier sens, la spiritualité exprime le fond d’une culture, c’est-à-dire, elle décrit une
sorte de forme culturelle de penser. Et c'est le désir comme question première qui a mis en
mouvement cette culture occidentale. Elle voulu se charger de l’énigme qui la constituait,
déposant tout son sens dans la raison discursive. En conséquence, le paradigme gréco
occidental s’est distingué par le développement d’une raison capable d’interroger son milieu,
d’interroger les autres et de s’interroger soi même: qui sommes nous? D’ où venons nous?
Quel est le sens des choses? Or, selon Levinas, la spiritualité occidentale reposerait sur le fait
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que seul la réduction des choses à ma mesure garantit la compréhension. En d’autres termes,
on peut dire que la spiritualité consiste à faire coïncider chaque chose, personne ou
circonstance avec ma propre conscience. Nous pouvons par conséquent imaginer le danger
totalitaire qu’implique toute coïncidence. Dans ce sens, la pensée occidentale se fie d’un
paradigme rationnel dont la manifestation la plus évidente a été le besoin de contrôle sur son
milieu.

Mais à l’encontre de cette recherche de sécurité, de contrôle et de questions et réponses à la


mesure de la raison, la raison même, à travers le geste métaphysique, s’est aventurée au-delà
de sa limite et à découvert ce qui ne coïncide pas avec elle. Ainsi, le désir manifeste mieux
que quiconque non seulement la fragilité de la raison dans son but de dominer, mais aussi le
fait qu'il y a en elle quelque chose qui la déborde. La raison en tant que conscience serait
habitée par un autre différent d’elle, et je dirais plutôt, il existe en moi une relation avec un
autre qui fit apparaître le désir.

Au XVII siècle, Descartes déclara formellement avoir trouvé un “autre” enfouit dans la
conscience. Ce philosophe soutiendrait : je trouve en moi une idée qui ne vient pas de moi,
elle traite de l’idée d’infini ou de Dieu. Bien que cette idée est identique à moi puisque je suis
capable de la reconnaître, elle n’a pas été produite par moi qui, limité et fini, ne peux être à
l’origine d’une idée d’infini. Ici est mise en évidence une expérience à propos de laquelle
j’aimerai disserter. Je fais référence ici au désir qui peut être exprimé formellement comme
l'expérience de l’idée d’Infini en moi, c’est-à-dire le fait de concevoir l’infini sans le réduire à
ma mesure. Ce fait, bien qu'il ne m’empêche pas d’être ce que je suis, suscite la crise du sujet
puisqu'il réside en moi malgré ma conscience 1 . En d’autres termes, l’infini m’interrompt,
interrompt l’habitude de tout faire coïncider en moi.

2. Rationalité et désir
Si la rationalité caractérise la philosophie, il faut reconnaitre une sérieuse difficulté : la
religion fait référence à une dimension de la vie imprégnée par l’arbitraire pour deux raisons.
En premier lieu, comme je viens de le suggérer, la religion porte sur l’idée d’infini en moi qui

1
Bien que c’est la lecture de Levinas qui m’a suggéré de commencer par cette
découverte, je ne la continuerait qu’occasionnellement.
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interrompt ma conscience ; en deuxième lieu, il manifeste d’une forme ou d'une autre le


domaine affectif, ou plus explicitement, le désir. De cette façon, la religion apparaît
spontanément comme étant contraire au sens rationnel. Ainsi l’entend Richard Dawkins qui,
dans son œuvre Pour en finir avec Dieu montre par exemple l’absurde contraste qui existe
entre une personne qui prie face à une grave maladie et une autre qui dans les mêmes
circonstances cherche l’aide d’un médecin. De même, il lui semble insupportable que
quelqu’un préfère parler de mystère au lieu d’aiguiser son ingéniosité scientifique pour percer
et résoudre le puzzle qu'il a entre les mains. Mais il trouve encore plus irrationnel que la
diversité des confessions de foi puisse mettre en danger la sécurité et la paix dans le monde.

Ainsi la philosophie reconnaîtra que la religion ne se sert pas du même symbolisme que les
sciences, mais elle admet en même temps dans la religion un certain degré de violence qui a
besoin d’être conditionné par la raison. En effet, ce qui produit la découverte de l’infini en
moi a besoin d’être orienté pour éviter une arbitrarité destructive. Levinas affirme que la
philosophie découle historiquement de la religion mais qu'elle doit en même temps éviter que
cette dernière aille à la dérive et entraine avec elle, en raison de son éventuelle irrationalité,
toute la civilisation2.

Or il est vrai que la religion suppose un noyau irrationnel et que nous pensons souvent qu'il se
manifeste en tant que fondamentalisme, intolérance, anti-historicité, tendance à
l'immobilisme, fixations obsessionnelles ritualisées ou violence confessée contre toute idée
contraire à elle. Cependant, de nombreux phénomènes irrationnels et violents communément
associés à la religion, lui appartiennent par accident et non “ par nature”. Avec ceci je veux
dire que la religion n’est pas une usine d’arbitrarité, mais que l’arbitraire qui est propre à
l’être humain peut y trouver une raison pour attendre et croître. La religion est simplement
une explicitation de l’arbitrarité qui est à la fois une forme du désir.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire3, une grande partie de notre vie quotidienne obéit
aux idées dont le caractère est plutôt irrationnel. Les systèmes culturels qui configurent la

2
La croissante sécularisation ne nous libère pas des vices les plus nocifs de la religion

3
En effet, nous avons tendance à penser que l’irrationnel est seulement une anomalie
dans l’ensemble d’un système bien construit et constitué
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pensée et les actions sont entrelacés par l’irrationalité du sujet dont l’effet social est éventuel
et heureusement rationnel 4 . Nous cohabitons avec l’irrationalité et les exemples sont très
nombreux.

En conséquence, un élément comme le fondamentalisme n’est pas essentiel de la religion ; ce


qui est essentiel est que la religion est le phénomène social pur qui met en évidence, mieux
qu’un laboratoire, une tension structurelle de l’être humain. Je fais référence à la tension
originelle que provoque le désir. Le désir consiste à avoir l’expérience de l’infini, autrement
dit, de ce qui déborde de la conscience. On doit aussi ajouter que le désir nous est
contemporain ; il m’est apparu depuis le moment où je suis né.

3.De la rupture ou du désir


Il est nécessaire de faire quelques pas en arrière pour comprendre que le désir désigne
plusieurs idées à la fois : le désir est l’infini en moi, mais il est aussi une rupture. Nous venons
au monde en vertu d’une rupture, la rupture de la naissance. La rupture me fait être. C’est
pourquoi on peut dire que le désir exprime la fragilité de l’existence, une blessure
connaturelle à travers la rupture, et précisément puisqu’il y a rupture, le désir est vécu comme
un mouvement vers quelque chose. Le désir manifeste la rupture, et par conséquent, une
“incomplétude”. Ceci est visible à chaque naissance : le nouveau né est possible car on le
sépare. Séparé de la mère, il s’éprouve pour la première fois référé à lui même, il éprouve la
coïncidence de soi avec soi même, mais il ne se reconnait pas complètement dans cette
coïncidence c’est pourquoi il se mettra en mouvement5.

Par conséquent, l’existence supposera de se définir face à cette rupture. Chaque être humain
apprend le sens du désir à l’occasion de la rupture de la fusion première. Cette rupture, qui fait
apparaître le désir, se transforme alors en une question inquiétante que chacun doit répondre à

4
L’irrationnel serait donc une adéquation normative d’ordre systémique. La logique
représente la rationalité, mais aussi le social en tant que corps normatif en relation avec nos
conduites “normales”.

5
L’expérience du désir est l’expérience de la rupture, c’est à dire d’être identique à soi
même dans la mesure où l’on est diffèrent du tout qu'on a été avec notre mère.
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soi même tout le temps et jamais en une seule fois car ce qui est vrai de la première rupture
l’est aussi de la vie, à savoir : je ne suis pas un tout dans ma relation avec autrui.

L’expérience du désir comme rupture, c’est-à-dire en tant que sujet séparé, nous ouvre à la
perspective d’une conscience qui coïncide avec elle même et d’une conscience qui se
distingue des autres. Le lien social, la société, suppose cette double possibilité. Néanmoins, la
religion étant la première forme qui acquiert le lien social, j’illustrerai ici deux types de
réponses possibles à la question que le désir pose à l’existence : dans la première réponse, le
sujet lutte pour se récupérer et récupérer la fusion perdue, il fait disparaître la différence ; dans
la deuxième, le sujet abandonne le mécanisme propre de la conscience et renonce à la fusion.

4. Première solution: le sacré, le désir comme fusion


Du point de vue de Mircea Eliade, l’être humain est le gardien du sacré ; il est celui qui le
créé, déplace et détruit. Mais avant de le détruire et d’en produire un autre, il aura trouvé dans
le sacré la clé pour dominer la différence, c’est-à-dire ce qui rompt la coïncidence avec moi
même. Dans ce sens, la tension du désir s’extériorise dans un objet sacré différent de moi et
de mon monde qui est voué au sacrifice rituel par à travers duquel le sujet absorbera la
différence.

Mais il convient d’énoncer l’itinéraire par lequel se réalise ce sacrifice. La tension du désir
devient impérieuse et violente car ceux qui se reconnaissent comme égaux déploient la même
tension dans la même direction et avec la même intensité. Cela explique que la horde
primitive commette, sans en avoir conscience, le meurtre “rituel” d’une victime qui permet
d'échapper à cette violence auto-destructive. En effet, René Girard fera référence à la violence
originelle de l’homme contre l'homme comme une violence réciproque (tous contre tous) dont
la conséquence logique serait la suppression de tout lien social et de l’espèce. Mais la tension
du désir ne se résout pas avec la disparition de l’espèce, c’est pourquoi on choisi une victime
pour transformer la violence de tous contre tous, c’est-à-dire entre égaux, en violence
unanime de tous contre un. Ce qui veux dire que la différence s'élimine pour sauver la
majorité. La horde sacrifie la victime et advient le calme. La victime devient sacrée car elle a
assuré le salut des égaux et emporté avec elle le mystère d’une valeur symbolique jamais
révélée puisque la horde ne soupçonne pas l’automatisme à travers lequel elle a commis cet
assassinat.
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Ce qui arrive de façon mythique ne manque pas de véracité historique : tout groupe social
ressent le désir de résoudre sa propre violence en détruisant la différence. Mais par dessus
tout, le sacré représente la nostalgie d’un tout perdu qui doit être récupéré à tout prix.

En conséquence, la religion a rendu possible une société sans supprimer la violence mais en
facilitant sa métamorphose et en la concentrant dans un objet sacré. Le désir qui mobilise
l’être humain l’incite à chercher la fusion avec ou l’absorption du sacré, même aux dépens de
sa propre identité, mais cela signifie surtout absorber la différence. Dans ce paradigme, être
une personne signifie participer, c’est-à-dire faire partie d’un tout anonyme, que ce soit un
totem, une idole ou une idéologie qui absorbera le sujet et ainsi mettra un terme à la
différence. De cette façon, le sujet se conçoit uniquement comme un appendice d’un tout qui
me suppose, et son désir, qui s’est constitué en un tout, se calme et me calme.

Cependant, la religion a développé une autre réponse à la question du désir en découvrant des
techniques pour ressentir la différence sans assurer la fusion mais en généralisant un état de
grâce.

5. Deuxième solution du désir: la grâce, le désir comme fusion


Si la première solution du désir suspendait la différence du sujet en facilitant la fusion, la
seconde consiste en une interruption du moi ou de la conscience. Lorsqu’on affirme que la
conscience est interrompue je veux dire que, bien que brièvement, sa forme d’être dans la vie
s'interrompt, c’est-à-dire que quelque chose d’externe et d’interne la déborde. Les récits et
poésies des mystiques ne cachent pas cette situation primordiale où le désir souffre un coup
expansif, dirigeant l’individu vers un infini à peine perceptible. La conscience de soi perd ses
limites sans cesser de se reconnaître, elle se sait en contact avec un autre et veut aller derrière
lui. “Pasteurs, vous qui passerez là-haut par les bergeries jusqu'au sommet de la colline, si
par bonheur vous voyez celui que j'aime le plus, dites-lui que je languis, que je souffre et que
je meurs”.
A cette interruption de ma forme d’être dans la vie et qui me déstabilise, je la nomme “grâce”.
Et à la durée de cette expérience, état de grâce.
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Bien qu’avec d’évidentes différences, l'idée de la grâce existe dans différentes religions. Dans
un sens général, la grâce interrompt la nature du sujet et le fait entrer dans un autre ordre, dans
un ordre surnaturel. La logique subjective se suspend. Liée à une intervention divine
imprévisible, le terme n’a pas eu grand succès dans un milieu dont l’essence scientifique a
comme critère de vérité l’exigence de la vérification. La querelle de la justification par la
grâce ou par les œuvres durant le XVII siècle eut pour résultat que le terme fût monopolisé
par la théologie de la rédemption chrétienne. Mais ici ce n'est pas dans ce sens que la grâce
m’intéresse. Le constat de la grâce peut être récupéré par la philosophie en tant que
manifestation d’une expérience où le sujet éprouve le sentiment d’être assisté d’une façon
qu'il juge déconcertante ou nouvelle. Je pense que tel est le sens que Kant lui donne dans ''La
religion dans les limites de la simple raison''.

Dans cette œuvre en effet, après avoir distingué les deux genres de religions (religion du
simple culte et religion morale), Kant examine le besoin de circonscrire la religion et de la
limiter au domaine de la morale comme seule forme rationnelle. La religion est morale
lorsqu’une personne à fait l’effort d’employer sa « disposition naturelle au bien pour être
meilleur » et seulement de cette façon « il pourra s’attendre à ce que les choses qui ne sont pas
en son pouvoir soient complétées par une collaboration du ciel »6. La thèse kantienne suggère
deux éléments mis en relation : d’un côté il affirme la possibilité d’une aide du ciel et d’un
autre côté, celle-ci repose sur l'accomplissement d'une action morale. Cette « collaboration du
ciel » traduit l'aspect essentiel de la grâce, à savoir, une aide qui n’est pas mesurable, mais qui
s’ajuste à des conditions d’ordre rationnel, c’est-à-dire : lorsque le sujet use de sa disposition
à faire le bien. Dit d’une autre façon, la bonne action du sujet ne conditionne pas l’aide de la
transcendance, croire le contraire serait irrationnel et immoral. Mais la bonne action qui est
morale et, à la fois, rationnelle, est la condition pour que le sujet attende rationnellement la
suspension de sa propre limite. Dans ce sens, la grâce manifeste une excentricité du sujet,
c’est-à-dire qu'elle représente le moment où le sujet excède son centre, non pas comme
résultat de la croissance de son ego, mais comme un acte rationnel bon. Et en même temps, la
grâce incite l’excès, déborde la conscience et les limites de la subjectivité. Cela veux dire que

6
Kant, La religion dans les limites de la simple raison, VRIN, 1972, première partie,
p.76.
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le sujet éprouve une interruption où ce qui est fondamental est le fait d’être débordé par
l’infini.

Les récits des mystiques font référence à cet excès, à l’infini. On pourrait dire à la lumière de
Michel de Certeau que le désir du mystique le pousse toujours à marcher en dehors de son
centre, selon le sens propre du mot « excès ». « Est mystique celui ou celle qui ne peut arrêter
de marcher et qui, avec la certitude de ce qui lui manque, sait de chaque lieu et de chaque
objet qui n'est pas cela, qui ne peut pas résider ici ni se contente pas de ceci. Le désir créé un
excès. Le mystique excède, passe et perd les lieux. Cela le fait aller plus loin, ailleurs. Il
n’habite nulle part. Il est habité (...) par un noble je ne sais quoi, ni ceci ni cela, qui nous
conduit, nous introduit et nous absorbe dans notre origine »7. Excéder c’est aller au dehors.
La raison de l'excès est le désir incessant, mais c’est l’existence d'un infini incrusté dans ma
conscience ce qui explique pourquoi le sujet le reconnait à chaque fois que sa conscience
découvre un autre en elle8. Le sujet ne pourra éviter d'aller derrière lui, mais il ne va nulle
part ; sans objet qui lui corresponde proprement, il se laisse interrompre dans l'exercice de sa
conscience, il sort de soi. Je ne pense plus à moi même, je suis surpris par le fait de penser à
un autre diffèrent de moi et par conséquent je deviens bon. La bonté est l'action de poursuivre
l'infini, c’est le fait de ne pas coïncider avec moi même et de donner, céder dans ma
conscience un espace pour un autre. Maître Eckhart illustre cet incessant mouvement vers
l'infini dans sa complexe idée de détachement. Elle consiste en ne pas pouvoir, ne pas vouloir,
ne pas avoir9 ; le mystique dois exercer la disposition au détachement afin de limiter l’avidité
de son propre centre pour rendre transparent le « fond le l’âme », c’est-à-dire la présence de
l'infini dans le fait d'être humain.

Naît ainsi, autour du désir, l'itinéraire proposé par les spirituels et qui consiste à éprouver le

7
Michel De Certeau, Mystiques et philosophies : itinéraires occidentaux, dans
Christian Delacampagne et Robert Maggiori, Philosopher, París: Fayard, 2000, p. 430.

8
Du point de vue philosophique c’est à la différence entre penser (cogitare) et
comprendre (comprendere) que fait référence non seulement Descartes mais le propre
Anselmo, axe central de son argument “ ontologique”.

9
Voir son célèbre sermon 52
L’aiguillon du désir

désir, le cultiver comme une certitude de l'action transcendante. Cela explique que la
spiritualité comprenne une vaste histoire qui incorpore des discours et des pratiques qui
conduisent à éveiller la curiosité par une intériorité, c’est-à-dire le fait d’un lieu dans lequel
l'expérience laisse une trace tangible et communicable. En deuxième lieu, la spiritualité fait
référence à des itinéraires de conquête de soi et pour cette raison il est fréquent de trouver des
maîtres qui introduisent l'apprenti dans l'univers qui lui procurera liberté, bonheur,
authenticité et véracité; en somme, sagesse. En troisième lieu, l'intérieur sera la condition pour
qu'il y ait aussi de l'intimité ; l'itinéraire spirituel postule que l’intérieur est habité par la
transcendance. L'intimité est une condition de la rencontre avec un autre dans mon propre
intérieur. Dans le fond de l’âme, pour le dire comme les mystiques rhénans, on trouve Dieu ;
et pour le dire avec la philosophie du XVII siècle, il y a en moi une idée qui ne provient pas
de moi. Mais cette découverte spirituelle n’est pas ontologique. C'est une relation et aucune
relation ne se conçoit ni se créée sans aimer le bien.

6. L’épilogue
Tout au long de cet exposé, j'ai développé une description philosophique du désir dans la
spiritualité. Étant donné l’excellence du désir, on devrait dire d’avantage. Par ailleurs, j’ai
affirmé que la religion répond fondamentalement de deux façons à la question du désir. Mais
j'ai aussi voulu montrer que la deuxième solution, qui repose sur le noyau mystique de la
religion, est morale dans un sens déconcertant. En effet, en se retirant de son propre axe, c'est
dans des termes de recherche du bien que le mystique propose sa spiritualité. Il ne se cherche
pas soi même lorsqu'il courre derrière l’amant ou l’amante. Il ne cherche pas non plus son
propre bien puisqu'il ne sera jamais à sa mesure. Il ne lui appartient pas, c’est le bien. La
spiritualité, cet exercice de l'esprit, permet au sujet de reconnaître le bien et puisqu'il ne lui
appartient pas, sa relation avec lui ne sera pas nostalgique. Il ne lui a pas appartenu ; le bien
n’a pas à ma mesure et c’est pourquoi il déborde ma conscience comme si elle avait perdu le
contrôle. Perte sublime de contrôle qui fait le bien autour d'elle. La spiritualité possède une
conviction : le sujet cultive le désir lorsqu'il conçoit l’infini, c’est-à-dire lorsqu’il est
confronté à la question de sa vie qui avance au-delà de la fusion, tentation du désir.

Le désir ne s’interrompt pas ; il se transforme en promesse ou en addiction ; en érotisme ou en


pornographie ; en recherche ou en angoisse ; en pari ou en peur ; en écoute ou omnipotence ;
en amant ou en Dieu. Sous ce fond d’ambigüité, la vie dure autant que dure le désir et celui-ci
L’aiguillon du désir

ne cessera de croître tant que je me trouverai exposé au bien ou à l’infini dont l'appréhension
m’a été niée. Seul face à l’infini, libéré de sa tenue sacrée, le désir me conserve en tant que
personne, plongé, dans un geste d’admiration.

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