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L’ECRITURE ESPIÈGLE
PAR NICOLE TRELINSKI

Lors d’un voyage que j’avais fait en France après être


restée une décennie loin du Vieux Continent, j’avais
découvert dans la bibliothèque de ma tante l'
"Anthologie de l’Ecriture et de la poésie. Chroniques
d’une civilisation", dont l'auteur était "Anonyme". C’est
la beauté et l'ancienneté de la couverture brochée qui
avaient attiré mon attention. Ma tante s’en détacha
avec plaisir. Elle aimait savoir que des objets qui lui
avaient appartenu faisaient désormais partie de mon
univers quotidien. D’autant plus qu’il s’agissait d’un
livre et que, de nos jours, les bibliophiles sont en voie
de disparition. Il est connu qu’entre les individus qui
intègrent l’espèce des «lisants» (ceux qui se forment
et évoluent à l’épreuve de la lecture) avoir l’occasion
de communiquer silencieusement à travers les livres,
malgré la distance et le temps, est une aubaine qu’ils
ne laissent jamais passer.
De retour en Amérique Latine, je cherchai dans
l’internet quel nom pouvait bien se cacher derrière ce
mystérieux « Anonyme ». En vain. Il n'y avait rien sur
l'œuvre en question dans le patrimoine virtuel de notre
civilisation. Le lyrisme des textes, les illustrations, les
patronymes médiévaux et la date indiquée sur le
poème final laissaient penser qu’il pouvait s’agir d’une
anthologie remontant au 18ème siècle. Mais les mots
« schizophrénie », « névrose » me mirent la puce à
l’oreille. Ce sont des termes qui datent du début du
XXème siècle. Et un auteur du siècle des Lumières
aurait employé « adéphagie » à la place de
« boulimie ». Pas de doute, Mr. «Anonyme» s’amusait à
tromper le lecteur. Il rejoignait en cela la liste des
émules de l’écrivain argentin, Jorge Luis Borges.
Rappelons la célèbre interpolation de Borges dans son
recueil intitulé « Fictions ». Il y parlait avec beaucoup
de persuasion d’« Uqbar », un peuple d’Asie Mineure
ou d’Irak, auquel l'Anglo-American Cyclopædia avait
consacré un article. Or, ni Uqbar ni la rubrique de
l’Anglo-American Cyclopaedia existent. Je me plaisais à
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imaginer que le créateur de l’ «Anthologie de l’Ecriture


et la Poésie» était peut-être Borges lui-même, et que
ce serait moi la première à en faire la
découverte. Malgré ce va-et-vient entre authenticité,
apocryphie, imitations de stratèges de l’apocryphie et
le procédé suranné d’interpellation du lecteur utilisé
par notre personnage anonyme, je pense que le
dialogue intitulé "Le Banquet de l'Ecriture" (annexé ci-
dessous) garde toute sa valeur. En effet, il révèle les
affres de l’écriture, et cela quelles que soient l’époque,
la psychologie et l’identité de l’auteur. Bonne lecture.
LE BANQUET DE L’ECRITURE de Aymeric de Fiercastel
«Vous connaissez l’Ecriture? Non? Alors, laissez-moi
vous la présenter. Saviez-vous que l’Ecriture est
hermaphrodite et autophage à la fois? Elle est
hermaphrodite parce qu’elle se reproduit d’elle-
même. Comment fait-elle, me demanderez-vous? Très
simple, un véritable phénomène tautologique: elle se
reproduit tout en se nourrissant d’elle-même, grâce à
la lecture. Vous voyez, elle est autophage également. A
cet homme anthropocentriste, sans lequel elle
n’existerait pas, elle le ravale au rang de simple
instrument qui sert sa finalité calligraphique. Elle
s’empare de son disciple et, dans sa boulimie,
l’engloutit. L’homme n’est plus qu’un avatar, un
esclave schizophrénique de l’Ecriture dont la voix
tourbillonne et résonne sans trêve autour de lui. Il est
envahi par elle, dans ses entrailles, dans son âme. Il se
démène pour la faire sortir de là, il a envie de la vomir.
Mais elle se dilate et se heurte aux parois de sa tête,
lui rappelant l’étroitesse de son enveloppe. Si son
esprit ne peut immédiatement servir les desseins de
l’Ecriture, l’homme sombre dans la névrose. La névrose
de la création non créée, la géniale et grandiose
névrose de la plume. Voilà ce qu’est et ce que fait
l’Ecriture ».
«Mais, les Muses, dont on nous parle depuis les Temps
de la Grèce archaïque? »
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«Vous blasphémez! Des Muses. Mais non, mon cher,


Muses, Talent, Inspiration, tous ces termes ne sont que
des lieux communs pour le sens commun. Le talent
n’existe pas sans les nourritures de l’Ecriture.
L’inspiration ne se forme qu’en puisant dans les textes
écrits. Si vous me parliez de discipline, de
persévérance, nous serions déjà plus au cœur de la
question. D’ailleurs, à vous qui me mentionnez ces
Muses, je vais vous éclairer. Ne saviez-vous pas que
celle qu’Hésiode nomme «Reine des Muses» dans sa
Théogonie, celle qui occupait une place d’honneur au
Panthéon, celle-là même qui se transformera en
l’Ecriture, c’est Mnémosyne. Ou, si vous préférez, dans
un langage plus prosaïque, «Mémoire». Les Muses
n’ont pas d’existence sans Mnémosyne. C’est elle qui
patronne le poulailler pour l’envoyer dans les
confréries d’aèdes, de devins, de poètes modernes et
d’écrivains. Si une Muse vient à vous, elle ne vient
jamais à titre personnel. Son unique rôle est de faire
de vous l’exégète de Mnémosyne. ......Je vois que vous
me comprenez et que mes propos agissent déjà sur
votre mémoire, royaume de Mnémosyne. Elle s’en
réjouit, car, comme son autre, l’Ecriture, elle se nourrit
également d’elle-même pour amplifier le patrimoine de
l’humanité et l’immortaliser en l’Histoire.

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