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« Raconter cela est l’expérience la plus pénible de


ma vie, avait dit Anita Hill aux sénateurs. Mais j’ai le
Violences sexuelles: Brett Kavanaugh,
devoir d’en faire part. »
comme si rien n’avait changé
PAR MATHIEU MAGNAUDEIX
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 28 SEPTEMBRE 2018

Anita Hill témoigne devant le Sénat américain, le 11 octobre 1991. © Reuters

Grâce au témoignage retentissant d’Anita Hill,


Christine Blasey Ford, jeudi 27 septembre, lors de son audition devant le Sénat. © Reuters l’opinion publique américaine avait découvert la
Brett Kavanaugh, candidat de Donald Trump à la notion de « harcèlement sexuel », théorisée dès 1979
Cour suprême, est accusé d’agressions sexuelles par par la professeure de droit Catherine MacKinnon.
plusieurs femmes. L’une d’elles, Christine Blasey Les mots d’Anita Hill provoquèrent une prise de
Ford, a témoigné avec force jeudi devant le Sénat conscience historique. Hill est désormais considérée
américain. Les républicains veulent désormais passer comme une de ces voix féministes qui ont contribué à
au vote, comme si de rien n’était, pressés de faire virer libérer la parole des femmes, bien avant #MeToo – elle
la plus haute juridiction américaine à droite toute. fut nommée l’an dernier à la tête d’une commission
New York (États-Unis, de notre correspondant).- anti-harcèlement sexuel, créée à Hollywood après
Le 11 octobre 1991, une femme noire de 35 ans, l’affaire Weinstein.
professeure de droit de l’Oklahoma, témoignait d’une À l’époque, pourtant, certains sénateurs avaient mis
voix assurée devant le Sénat américain. Ce jour-là, en doute son récit, parfois à coups de remarques
devant un panel de sénateurs, tous hommes et tous sexistes. Thomas, désigné par le président George
blancs, Anita Hill avait raconté le harcèlement sexuel
imposé par son ancien supérieur, le juge conservateur
Clarence Thomas, sur le point d’être nommé à la Cour
suprême des États-Unis, le premier Afro-Américain
pressenti à ce poste depuis deux siècles.
Anita Hill avait raconté la chronique d’un
harcèlement permanent de la part de Thomas,
au ministère de l’éducation puis à l’agence
fédérale antidiscrimination, chargée d’enquêter sur les
violences sexuelles au travail.
Malgré ses refus répétés, Thomas insistait pour
sortir avec elle. Il lui parlait fréquemment de films
pornographiques « mettant en scène des personnes
avec des gros pénis ou des grosses poitrines se livrant
à différents actes sexuels ». Il évoquait devant elle ses
prouesses sexuelles.

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Bush, avait démenti en bloc, dénoncé un « cirque » et été victime « vers 1982 », d’un « viol collectif » et
crié au « lynchage ». Le Sénat, alors contrôlé par les se rappelle avoir vu Kavanaugh et d’autres garçons «
démocrates, l’avait confirmé de justesse. alignés » devant des pièces où gisaient des jeunes filles
dans un état second.
Christine Blasey Ford, professeur de psychologie à
Stanford (Californie), explique, quant à elle, avoir été
agressée par un Kavanaugh « chancelant d’ivresse »
durant l’été 1982, lors d’une soirée en petit comité
dans la banlieue de Washington. Selon son récit,
Kavanaugh et un camarade de beuverie l’aurait
poussée dans une chambre à l’étage, puis sur un lit en
riant, aurait tenté de lui enlever ses vêtements, posant
sa main sur sa bouche pour l’empêcher de crier.
Les faits allégués sont graves. Ils sont aussi délicats à
aborder, car ils datent d’il y a 35 ans, et ces femmes
elles-mêmes disent ne pas se souvenir de tout. Ils
jettent par ailleurs un regard cru sur la culture viriliste
des « fraternités » américaines, ces groupes de garçons
Nommé à vie, Thomas siège depuis à la Cour suprême, où la camaraderie se scelle souvent dans l’alcool et la
où il s’est illustré par ses positions très conservatrices, maltraitance, verbale ou sexuelle, des jeunes femmes.
notamment en matière d’égalité hommes-femmes. Plusieurs enquêtes dans la presse ont montré que
En 1994, deux journalistes, Jane Mayer et Jill Kavanaugh, capitaine de l’équipe de basketball au
Abramson, allaient confirmer dans un livre, Strange lycée, buvait beaucoup à l’époque, devenait parfois
Justice, l’existence de quatre témoignages similaires violent et s’est souvent livré à des commentaires
à celui d’Anita Hill. Ces femmes n’ont jamais été été dégradants.
entendues par le Sénat. De toute évidence, les témoignages auraient mérité
Vingt-sept ans plus tard, les États-Unis voient se des investigations approfondies. Mais au prétexte
dérouler un étrange remake de l’affaire Clarence qu’ils ont été révélés « à la onzième heure »(sic),
Thomas. Choisi en juillet par Donald Trump pour les républicains du Sénat ont refusé de reporter le
entrer à la Cour suprême, le juge fédéral Brett processus de nomination de Kavanaugh et de saisir
Kavanaugh, une figure de la droite judiciaire, se le FBI, comme c’est l’usage. Ils ont aussi refusé
retrouve accusé par plusieurs femmes d’agressions de convoquer Mark Judge, un ami de beuverie de
sexuelles. Kavanaugh, dont Christine Blasey Ford assure qu’il
Les allégations remontent aux années 1980, lorsqu’il était présent dans la chambre le jour de son agression.
était lycéen au lycée de Georgetown, lycée de l’élite À quarante jours des décisives élections de mi-mandat,
américaine, puis à la prestigieuse université de Yale. qui peuvent changer le cours de la présidence Trump,
Deborah Ramirez, une ancienne de Yale, raconte les républicains veulent au plus vite une victoire
qu’un Kavanaugh éméché, alors âgé de 18 ou 19 ans, politique. Or Brett Kavanaugh est le juge qui pourrait,
a exhibé son pénis devant elle. pour de longues années, faire basculer à droite la
Cour suprême, plus haute institution judiciaire du
Ancienne élève du lycée de Georgetown, Julie
pays. Ils ne veulent surtout pas renoncer à cette
Swetnick dépeint elle aussi un Kavanaugh ivre, «
occasion historique, attendue depuis longtemps.
attrapant les femmes sans leur consentement », «
essayant d’enlever leurs vêtements ». Elle dit avoir

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Les démocrates soupçonnent cet homme très à droite, tenté de crier pour demander de l’aide. Quand je
ancien conseiller de George W. Bush à la Maison l’ai fait, Brett a mis ses mains sur ma bouche pour
Blanche, de vouloir remettre en cause, entre autres, m’empêcher de crier. C’est ce qui m’a le plus terrifiée.
la possibilité d’avorter. Les auditions de Kavanaugh J’ai pensé qu’il voulait, qu’il allait accidentellement
ont été émaillées d’incidents. Sur les réseaux sociaux, me tuer. Brett et Mark riaient, ivres. »
les messages de soutien à Christine Blasey Ford Bien que lacunaire, son témoignage est précis. La
et aux autres femmes ont fleuri. Lui-même accusé procureure dépêchée par les républicains s’empêtre
d’agressions sexuelles, Donald Trump a mis en doute dans des détails inutiles et ne parvient à détecter
leur parole. Les républicains ont toujours assuré que aucune incohérence. Blasey Ford raconte son histoire
Brett Kavanaugh serait nommé le plus vite possible. avec émotion, tout en commentant en professeure de
Kavanaugh, Thomas : 27 ans plus tard, les psychologie les mécanismes par lesquels les victimes
mêmes mots d’abus sexuels fixent dans leur mémoire le visage de
leur agresseur. « À 100 % », répond-elle lorsqu’un
sénateur lui demande si elle est bien sûre que
Kavanaugh a abusé d’elle ce soir-là.
Plusieurs fois, elle le redira : elle n’a aucun
doute. « Son témoignage est extrêmement émouvant,
extrêmement cru et extrêmement crédible […]. C’est
un désastre pour les républicains », explique sur Fox
Christine Blasey Ford, jeudi 27 septembre, lors de son audition devant le Sénat. © Reuters
News le journaliste Chris Wallace, un des rares à ne
Ce jeudi, c’est dans ce contexte survolté que Christine pas chanter les louanges de Trump sur cette chaîne
Blasey Ford et Brett Kavanaugh ont tour à tour ultraconservatrice acquise au président américain.
témoigné. Comme en 1991, un juge conservateur
était en cause. Comme en 1991, son accusatrice était
une universitaire. Blasey Ford n’a pas été humiliée.
L’affaire Anita Hill et #MeToo sont passées par là :
les républicains du Senate Justice Committee, tous des
hommes, ont préféré déléguer leurs questions à une
procureure de l’Arizona spécialisée dans les violences
sexuelles. Ils n’ont pas osé réfuter son témoignage ou Brett Kavanaugh, candidat de Trump à la Cour suprême
américaine, lors de son audition devant le Sénat. © Reuters
l’attaquer. Couards et hautains envers Hill en 1991
(à commencer par l’ancien vice-président de Barack En début d’après-midi, Brett Kavanaugh, le visage
Obama Joe Biden, qui s’en est excusé depuis), les fermé, s’assoit dans le même fauteuil occupé une
démocrates ont félicité Blasey pour son « courage ». heure avant par son accusatrice. Comme si rien
« Terrifiée » au début de son audition, la n’avait changé depuis 27 ans, le juge fédéral se
quinquagénaire a raconté son agression. « J’ai été lance dans une longue diatribe courroucée, souvent
poussée sur le lit et Brett est monté sur moi. Il a agressive, marquée par de longues pauses, des pleurs
commencé à faire courir ses mains sur moi et à frotter et des reniflements sonores au micro. « Ma famille
ses hanches. J’ai tenté d’échapper à son étreinte, mais et mon nom ont été détruits en permanence par des
il était trop lourd. Brett m’a attrapée et a essayé accusations malveillantes et fausses. » Kavanaugh nie
d’enlever mes vêtements. Il avait du mal parce qu’il en bloc toute agression sexuelle : il n’était pas là, il
était trop ivre, et aussi parce que je portais un maillot suggère que Christine Blasey a été victime d’un autre
de bain une pièce. J’ai cru qu’il allait me violer. J’ai homme, élude les témoignages des autres femmes,
qui n’ont de toute façon pas été invitées à témoigner.

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Le sang-froid en moins, Kavanaugh utilise les mêmes » Kavanaugh. Il éructe : « Vous n’avez à vous excuser
mots que ceux de Clarence Thomas en 1991 : « honte de rien » et lui lance : « Ce n’est pas une interview
nationale », « cirque ». Quand Thomas criait à la « pour un travail que vous êtes en train de passer, c’est
parodie », il s’indigne d’une « farce ». un enfer. » Kavanaugh boit du petit lait.
Là où Thomas distinguait des motivations racistes Au bout de huit heures et quarante-cinq minutes
contre lui, Kavanaugh suggère la piste d’un complot, d’audition, la séance est levée. Sur Twitter, Donald
« un coup politique calculé et orchestré, alimenté Trump renouvelle tout son soutien à Kavanaugh. « Le
par une colère contenue contre le président Trump juge Kavanaugh a montré à l’Amérique pourquoi je
et l’élection de 2016, […] une revanche pour le le soutiens. Son témoignage était puissant, honnête et
compte des Clinton » – Kavanaugh fit partie de captivant [sic]. La stratégie des démocrates qui vise à
l’équipe du procureur spécial Kenneth Starr qui le détruire est honteuse […]. Le Sénat doit voter. »
enquêta sur l’affaire Monica Lewinsky, du temps de la Le message présidentiel a été entendu. Les
présidence Clinton. « Je ne serai pas intimidé, menace républicains, majoritaires d’une voix au Sénat, vont
Kavanaugh. Peut-être ne serai-je pas confirmé par le lancer la procédure de vote dès ce vendredi. Pour
vote final, mais je ne me retirerai jamais de la course. eux, rien n’a changé. Comme si le témoignage de
» Kavanaugh ressemble à un enfant gâté et capricieux Christine Blasey Ford ne comptait pas. Comme si les
menacé de perdre un jouet. autres femmes réduites au silence n’avaient aucune
Enhardis par sa défense énergique, plusieurs sénateurs importance. C’est, disent-ils, parole contre parole.
républicains reprennent la parole, court-circuitent la Kavanaugh, dit le républicain Ben Corker, doit profiter
procureure, qui devait poser les questions à leur place, du « bénéfice du doute ».
et se lancent dans des plaidoyers vibrants en défense Lui comme les autres espèrent que Kavanaugh sera
de Brett Kavanaugh. Lindsay Graham, le faucon qui nommé très bientôt par le Sénat membre à vie de la
murmure à l’oreille de Donald Trump, est le plus Cour suprême des États-Unis. Peut-être même dès ce
virulent. Il accuse les démocrates de vouloir « détruire lundi.

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