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François Rébufat
1. Tout le monde l’utilise.
A n’en pas douter, l’arrivée dans les années 90 des ordinateurs de plongée submersibles
marque un progrès majeur dans la pratique de la plongée en scaphandre. Plus de calculs
fastidieux d’intervalles de surface, de coefficient d’azote résiduel, de plongées successives, la
petite machine que l’on emmène avec nous au fond de l’eau s’occupe de tout à notre place. Il
ne nous reste qu’a bien interpréter ses informations pour réaliser des plongées en toute
sécurité.
Magique, c’est le mot dont beaucoup de plongeur qualifient ces machines. En effet, peu de
personnes connaissent leur fonctionnement et leur programmation. De plus, ces produit ayant
un caractère commercial, les fabriquants se gardent bien de publier les détails de leur
constructions. Une lacune dans l’enseignement de la plongée, il n’existe pratiquement pas de
formations pour présenter les ordinateurs et leur utilisation. En France, il est intéressant de
remarquer le faible nombre de moniteurs capables de diriger un cours sur le sujet. Aussi, en
interrogeant les plongeurs eux-mêmes, beaucoup avouent n’avoir aucune idée sur le
fonctionnement de ces machines et une information succincte sur leur utilisation et leurs
limites.
Afin de faire le tour de la question, il est indispensable de rappeler rapidement les modèles
de calculs utilisés par les ordinateurs et les présupposés concernant la décompression.
Ensuite, pour comprendre comment marche une machine, il est intéressant d’en produire une
image simplifier et de faire «tourner» à la main la mécanique. Le calcul d’une plongée multi-
niveaux offrira une vision simplifiée du fonctionnement d’un ordinateur avant que soit
détaillé ce dernier. Enfin, à partir de ces connaissances, une synthèse sera faite pour mettre en
évidence les éléments importants concernant l’utilisation de ces machines et les consignes de
sécurité qui en découlent.
La physiologie humaine est trop complexe pour être modéliser avec précision. Comment
prendre en compte les millions de paramètres physiques et chimiques qui régissent notre état
métabolique ? Ceci est impossible ! Pour effectuer des calculs, et être capable de faire des
prédictions grâce à ces dernier, le modèle doit être suffisamment simple. En simplifiant ainsi,
le modèle devient utilisable mais perd tout espoir de correspondre à une la réalité
physiologique qu’il modélise. Le modèle «simplifié», pour être considéré comme « valide »
ou « utilisable » dans un but définit, n’a d’autres possibilité que d’acquérir ses lettres de
noblesse par l’expérience répétée et la vérification statistique. Si le modèle se comporte
« bien » dans tant de pour cent des cas, alors on dira qu’il est « valide » pour ce que l’on veut
en faire.
Pourquoi tous ces propos sur les modèles avant de parler de celui d’Haldane ? Et bien, la
modélisation que propose ce dernier est tellement simple (et c’est sur quoi reposent les calculs
des ordinateurs, même les plus modernes) qu’il est indispensable de comprendre que les
calculs de décompression ne sont aucunement une réalité et ne correspondent à aucune
valeurs réelles de notre physiologie. Il s’agit juste d’un schéma simple, paramétré par des
valeurs numériques ne correspondant à aucune réalité mais validé simplement par le fait qu’en
utilisant ce modèle et ces valeurs on évite la majeur partie des accidents de décompression.
Avec,
Tn2 : la tension en azote du compartiment.
T0 : la tension initiale.
Tf : la tension finale.
Grâce à cette formule, la tension en azote d’un compartiment peut être calculer alors qu’il est
exposé à une pression correspondante à sa tension finale (état de saturation) pendant autant de
périodes que souhaitées. Pour certains compartiments les périodes peuvent être relativement
longues (par exemple ,1 heure), et il est souhaitable d’être capable de calculer la tension du
compartiment plus fréquemment, par exemple, toutes les minutes. La formule se complique,
en remplaçant la valeur 0,5 par une fonction dépendant du temps d’exposition t, et de la
période τ.
Tn2 = T0 + (Tf-T0) x (1-0,5 t/τ ) (1)
Avec cette formule, il est possible de calculer la tension en azote pour chaque compartiment,
pour une exposition d’une durée t, et à une profondeur dont la pression partielle en azote est
égale à la tension finale Tf.
Suivant les modèles, le nombre de compartiments varie. Le modèle des MN90 se construit
sur 12 compartiments, le modèle de l’US Navy en utilise 6, les modèles de Bühlmann 8, 12 ou
16.
En prenant en compte l’ensemble des compartiments, leurs périodes respectives, et la
formule ci-dessus il est possible de connaître à tout moment la tension en azote des différents
compartiments théorique constituant notre modèle de corps humain. Reste à mettre en place
les règles régissant la remontée.
Remonter en surface :
Pour Haldane, il était possible de remonter un corps saturé à une pression P à une pression
inférieure ou égale à la moitié de cette pression P. Par la suite, cette valeur «planché» s’est
affinée, et chaque compartiment se voit assigné une valeur ou un coefficient définissant son
seuil de sursaturation tolérable. Ce coefficient s’appelle coefficient de sursaturation critique
pour les tables MN90, ou M-values dans le modèle de Bühlmann. Pour le modèle des MN90
les coefficients sont les suivants pour chaque période :
5 7 10 15 20 30 40 50 60 80 100 120
2,72 2,54 2,38 2,2 2,04 1,82 1,68 1,61 1,58 1,56 1,55 1,54
Pabs = TN2/Sc
où Sc est le coefficient de sursaturation critique pour chaque période.
Un plongeur pourra remonter tant que, pour chaque compartiment, la pression ambiante
multipliée par le coefficient de sursaturation critique du compartiment est supérieure à la
tension en azote. Le compartiment qui a la plus grande Pabs (Tn2/Sc) est appelé
compartiment directeur. C’est lui qui va bloquer le premier la remontée en imposant un arrêt à
une profondeur ayant une pression absolue supérieur ou égale à Tn2/Sc.
Dans le même ordre d’idée, ces formules permettent de calculer le temps restant avant que le
compartiment directeur rende impossible une remontée en surface. Ce temps est appelé sur les
ordinateurs «no decompression time». Il suffit de prendre la formule (1), et de la renverser
pour exprimer le temps en fonction des autres paramètres :
t = -τ log((Tf – Tn2)/(Tf-T0))
Par exemple,
Le temps totale est ici de 70 minutes, sans palier, pour une plongée à 30 mètres.
Tn2 = T0 + Σ ∆Tn2
P ≥ (T0 + Σ ∆Tn2) / Sc
Il indique le temps pendant lequel le plongeur peut rester à la profondeur actuelle avant que
l’ordinateur n’affiche un premier palier. Ce temps va évidemment varier suivant la
profondeur. Il augmente lorsque le plongeur remonte, diminue s’il redescend. Cette donnée
permet de continuer une plongée en restant dans un profil sans palier. Il suffit de remonter
régulièrement chaque fois que le temps de avant palier se rapproche de 0. C’est un profil
multi-niveaux continu, le type même de plongée pour lequel le modèle de décompression est
conçu.
Vitesses de remontée :
Comme les tables, les ordinateurs imposent des vitesses de remontée à ne pas dépasser. La
plupart fournissent des informations et alarmes (visuelles et/ou sonores) pour informer le
plongeur de cette vitesse. Cette vitesse est calculée en effectuant un relevé de pression à
intervalles très courts (une seconde ou moins) et en analysant cette variation. Les mesures
peuvent être filtrées par un algorithme capable d’écarter les variations brusques dues, par
exemple, à un mouvement rapide du bras.
Les vitesses sont, selon les marques et les modèles, fixes ou variables. Les vitesses fixent
sont de l’ordre de 10 à 12 mètres par minute et les vitesses variables de 20 à 6 mètres par
minutes selon la profondeur. Pour l’exemple l’Aladin (Uwatec) est étalonné comme suit :
Profondeur <6 <12 <18 <23 <27 <31 <35 <39 <44 <50 >50
Vitesse 7 8 9 10 11 13 15 17 18 19 20
(m/mn)
Normalement, c’est le temps nécessaire pour que tous les compartiments soient
suffisamment désaturer pour prendre l’avion. Une cabine d’avion de ligne étant pressurisée à
0,8 bar, l’ordinateur calcule le temps qu’il faut pour que tous les compartiments pris en
compte atteignent une saturation telle qu’aucun ne se trouveraient en sursaturation critique à
0,8 bar de pression absolue.
Ces données varient beaucoup d’un ordinateur à l’autre. Certain modèles se contentent de
faire un décompte des heures (souvent à partir de 24 heures) en sortie de plongée, se basant
sur le temps généralement préconisé par les spécialistes hyperbar. L’Aladin fait un calcule
continu, se basant sur une pression ambiante de 0,55 bar (4850 mètres).
Nous n’avons connaissance d’aucune marque envisageant une dépressurisation totale. En
effet, d’un point de vu commercial, un appareil imposant au plongeur deux jours d’attente
avant de monter dans un avion serait probablement mal perçu et, en cas de dépressurisation, le
pilote serait de toutes façons obligé de réduire son altitude suffisamment rapidement,
minimisant les possibilités d’un accident de décompression.
Les alarmes :
Les alarmes sont de deux types : les préalarmes et les alarmes définitives. Les premières
servent à signaler au plongeur qu’il commet une action risquant de sortir du modèle sur lequel
l’ordinateur a été construit (remontée rapide, violation d’un palier…). En réagissant à temps et
en revenant dans une configuration « admissible » par la machine, l’alerte passe et le
programme continue ses calculs normalement.
En cas de violation au delà du temps autorisé d’une alarme, l’ordinateur se met en mode
alarme définitive. Suivant les machines, l’appareil peut complètement s’arrêter (ce qui est
dommage, s’il ne donne même plus le temps et la profondeur) ou continuer à calculer en
indiquant qu’une alarme est survenue. Il ne faut en aucun cas continuer à utiliser la machine.
Le plongeur doit prendre des mesures de sécurité préconisées et utiliser une table de plongée
pour regagner la surface. Par exemple, une remontée rapide ou un palier abandonné nécessite
d’effectuer une procédure spéciale (mi-profondeur, ou Fructus/Sciarli) et d’utiliser pour cela
des tables de plongée conventionnelles.
Une alarme dure selon les modèles de 24 heures à 72 heures. Durant ce laps de temps,
l’appareil peut être utilisé comme timer/profondimètre mais aucunement comme ordinateur de
décompression. D’une part, un plongeur ayant violé une règle majeur de la décompression ne
devrait pas replonger avant un temps d’au moins 24 heures, d’autre part, les paramètres de
l’ordinateurs se trouvent complètement faussés par l’erreur commise, et l’utiliser reviendrait à
se baser sur un modèle qui ne correspond plus au modèle physiologique « estimé » du
plongeur.
Un nom charmant qui fait vendre. De plus en plus de chercheurs qui étudient la
décompression s’intéressent, non plus à éviter que se forment des bulles d’azote dans le corps
en inventant de nouveaux compartiments ou en jouant sur les coefficients critiques, mais
plutôt à minimiser le développement et l’accroissement de ces dernières. Ces théories sont
trop longues pour être expliqués ici, mais l’idée principale peut se résumer à dire qu’il faut
minimiser les variations trop brutales de pression ainsi que les profils propices au
développement et à l’accroissement des bulles d’azote.
La relative lenteur des vitesses de remontée autorisées (les tables de l’US Navy sont à
20m/mn, celle de la Marine nationale de 15 à 17m/mn) est déjà un premier pas vers la
réduction de la formation de bulles. Ensuite, il est connu qu’un « terrain » déjà chargé en
azote et/ou sont déjà présent de minuscules noyau gazeux est plus propice à la formation de
bulles supplémentaires. Ces algorithmes introduisent donc des facteurs pénalisant en cas de
plongées successives rapprochées, en supposant que le plongeur peut remonter de sa
deuxième plongée en ayant encore présent dans le corps des noyaux gazeux formés lors de sa
première remontée.
Les données concernant ces algorithmes sont inconnues, parce que protégées par le secret
commerciale. Dans cette même ligne de pensée, il est possible que certains algorithmes
introduisent des pénalité lors de remontées et descentes successives durant la même plongée.
Les marges de sécurité sont ces morceaux de plongée que vous n’avez pas réellement fait
mais qui pourtant vont être pris en compte pour le calcul de votre décompression. Par
exemple, une plongée à l’aide des tables considère que toute la plongée se déroule à la
profondeur maximum atteinte lors de la plongée. Ce n’est que rarement le cas, même jamais.
La marge de sécurité d’une table est directement dépendante du profil de la plongée. Plus le
profil est carré, moins cette dernière est importante.
Les ordinateurs ont leurs propres marges de sécurité, qui ne dépendent pas du profil de la
plongée (puisque l’ordinateur « colle » au plus près au profil) mais de paramètres fixés par les
constructeurs. Globalement, les paramètres des ordinateurs sont plus pénalisant que ceux sur
lesquels sont construites les tables.
Il est donc plus facile de compter sur une marge de sécurité constante en utilisant un
ordinateur que des tables. Il est important de prendre en compte qu’un ordinateur, poussé dans
les limites de son utilisation normale conservera une marge de sécurité plus importante qu’une
table, poussée elle aussi jusqu’à ses limites acceptables.
Procédures d’urgence
Pénalités spéciales
- Globalement, ils autorisent des temps de plongée plus longs pour des profils de plongée
équivalents. Le faite qu’ils gardent une marge de sécurité constante élimine les pénalités
parfois excessives que les tables engendrent.
- Leur utilisation est facile et ils réduisent quasiment à zéro les risques d’erreur de calcul
ou de lecture.
- Pour des plongées à faible profondeur, ils laissent le plongeur plus libre d’improviser par
rapport à son plan de plongée qu’une table. En effet, ils s’accommodent d’une remontée
lente et progressive, de paliers effectués en dessous de la profondeur indiquée (attention,
les temps seront alors plus longs et le plongeur doit s’assurer qu’il dispose d’assez
d’autonomie pour finir la plongée), d’un arrêt en cours de remontée ou de tout autres
modifications du profil qui garde le plongeur dans les limitations d’utilisation de
l’ordinateur.
- Ils obligent des vitesses de remontée plus lente que la plupart des tables, et c’est, à en
croire les spécialistes, plutôt une bonne chose (les vitesses de remontée dépassant les 15
mètres minutes sont aujourd’hui très déconseillées). De plus , leurs indications visuelles
et/ou auditives aident le plongeur à respecter ces vitesses.
- Ils enregistrent le profil de plongée dans leur mémoire. D’une part, il est possible, une
fois rentré chez vous, de le transférez sur votre PC, mais surtout, en cas d’accident, les
médecins peuvent avoir l’historique précis de votre plongée.
- Les calcules qu’ils font pendant les intervalles de surface sont beaucoup plus complets
(ils calculent sur tous les tissus) que les modèles des tables (un seul tissu).
- On tend à leur faire trop confiance, sans bien connaître leurs limites. Combien de
plongeurs font des profils à l’allure de serpent de mer en affirmant que leur ordinateur
gère parfaitement leur décompression. Ou encore, la troisième plongée de la journée…
- La facilité de leur utilisation rend les plongeurs paresseux et certains oublient qu’il est
toujours important de planifier ses plongées (il n’y a pas que la décompression mais
l’autonomie, les risques naturels comme le courant, le froid, la fatigue…) ou d’être
capable de sortir une table (encore faut-il en avoir une sur soi et savoir s’en servir) en cas
de panne de l’appareil, de procédure d’urgence (remontée trop rapide, palier abandonné),
ou simplement, parce que pour certains profils carrés, l’ordinateur affiche un temps de
palier qui donne envie au plongeur de recalculer tout ça avec une bonne vieille table.
- Ils peuvent être utilisés à mauvaise escient, comme dans le cas d’une palanquée où une
partie des plongeurs n’ont pas d’ordinateur, ou des ordinateurs différents qui donneront
éventuellement des paliers différents.
- Pour une palanquée de plongeurs possédant tous des ordinateurs (mais différents), c’est
celui qui a la machine la plus pénalisante qui gère la remontée et la décompression, donc
en générale, la plongée. Pour le cas ou au moins un plongeur ne dispose pas d’ordinateur,
les tables devront être utilisées, surtout s’il s’agit de plongeurs autonomes parce que celui
qui ne dispose pas de machine ne plongera pas forcement moins profond que les autres.
- L’utilisation dans une même palanquée de machines imposant des vitesses de remontée
différentes garantie la dispersion des plongeurs pendant la remontée, surtout que ceux-ci
tendent à se focaliser sur leurs instruments pour contrôler leurs vitesses, oubliant le
groupe avec qui ils plongent.
On regrette que les fabricants, sous couvert du secret industriel, ne donne pas plus
d’informations techniques sur les machines qu’ils produisent. Il n’est pas toujours exprimé
clairement le nombre de plongées qu’un ordinateur autorise dans une journée, les marges de
sécurité qu’ils proposent ou encore, l’étalonnage de la profondeur. On remarque que sur une
profondeur d’une trentaine de mètres, un Suunto et un Uwatec diffèrent souvent d’un bon
mètre. Les deux machines marchent parfaitement bien, l’une est étalonnée en eau de mer,
l’autre en eau douce !! Cela n’a aucun impact sur le calcul de décompression, puisque seule la
pression compte, mais il est troublant de voir deux machine afficher des données différente
dans un même contexte.
Cela fait maintenant presque dix années que ces appareils sont utilisés par des centaines de
millier de plongeurs du monde entier et, malgré les imperfections des premiers modèles, il est
aujourd’hui possible de faire confiance dans leurs calculs et d’utiliser ces machines en toute
tranquillité. Il faut néanmoins être parfaitement conscient de leurs limites et utiliser les
ordinateurs de plongée de la même façon que l’on utilisait les tables avant : toujours respecter
les consignes d’utilisation, ne jamais pousser jusqu’à leur limite et toujours, en cas de doute,
aller dans le sens de la sécurité en majorant tant que possible les paramètres fournis.
Bien utilisé, un ordinateur ne fait pas prendre plus de risque qu’une table de plongée, et
apporte un confort d’utilisation en plongée dont on serait bien idiot de se priver.