Sunteți pe pagina 1din 21

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57.

© Presses Universitaires de France


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

REFAIRE DES « TAUPES » : GOUVERNER LE SILENCE DES


PRÊTRES HOMOSEXUELS À L’HEURE DU MARIAGE GAY
Josselin Tricou

Presses Universitaires de France | « Sociologie »

2018/2 Vol. 9 | pages 131 à 150


ISSN 2108-8845
ISBN 9782130803249
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-sociologie-2018-2-page-131.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Josselin Tricou, « Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres
homosexuels à l’heure du mariage gay », Sociologie 2018/2 (Vol. 9), p. 131-150.
DOI 10.3917/socio.092.0131
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France.


© Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 131 / 234

Enquêtes

Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay

The Remaking of “moles”: Governing gay priests’ silence at the time of gay marriage

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
par Josselin Tricou*
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

R É SU M É ABSTRACT

Cet article explique, à partir d’une enquête mul‑ Drawing on a multi‑site research, this article analyz‑
ti‑sites, l’état paradoxal de la pratique ecclésiale du es the paradox surrounding the ecclesial practice of
secret qui préside à la gestion de l’homosexualité secrecy with regard to the management of homosexu‑
chez les clercs de l’Église catholique en Occident. ality among Catholic clerics in the West. It argues that
Dans un environnement institutionnel marqué par in an institutional environment marked by a relative lib‑
une libéralisation relative de la conjugalité homo‑ eralization of homosexual conjugality and a calling for
sexuelle et un appel à l’authenticité en matière de sincerity in sexual matters, the institution is urged to
sexualité, on montrera que l’institution éprouve la né‑ reactivate the norm of silence among homosexual cler‑
cessité de réaménager la probabilité que ces clercs ics. The demonstration advances the hypothesis that
se taisent au sujet de leurs préférences sexuelles. the Vatican’s fight against gender theory, its current en‑
Ce faisant, on proposera l’hypothèse selon laquelle emy backs the task of silencing the clerics.
l’importante mobilisation du Vatican pour inventer
puis lutter contre son ennemi de papier, « la‑théorie‑
du‑genre », participerait de cet objectif.

MOTS‑CLÉS : catholicisme, prêtre, homosexualité, secret, KEYWORDS: Catholicism, priest, homosexuality, secret,
réactivation reactivation

* Doctorant allocataire‑moniteur, département de Science politique, Université Paris VIII, Laboratoire LEGS (UMR 8238)
LEGS‑Laboratoire d’études de genre et de sexualité, 27 rue Paul Bert, 94204 Ivry‑sur‑Seine cedex, France
josselintricou@gmail.com

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 132 / 234 11 jui

132 Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay

C’est le « placard » que l’Église veut reconduire aujourd’hui. […] Kaiser, 2004). Éric Fuchs, théologien protestant, remarquait
C’était un moyen pour des homosexuels de se réaliser à couvert, qu’au sein de l’institution catholique romaine, « c’est la ges‑
c’était comme se construire un monde dans un monde où ils ne
tion rigoureuse de la sexualité qui qualifie aussi bien l’autorité
pouvaient exister. Et un de ces mondes, c’était le sacerdoce bien
sûr ! Et de manière quasiment institutionnalisée ! Parce que c’est un du clerc que l’obéissance du laïc » (cité par Buisson‑Fenet,
monde dans lequel tu peux te cacher et en même temps tu peux te 2002). En effet, deux des spécificités de l’Église catholique
réaliser dans la mesure où le système te le permet. Et il n’y a pas dans par rapport aux Églises protestantes sont, d'une part, la condi‑
le monde civil en Europe d’institution ou d’entreprise qui a joué ce
tionnalité de la cléricature à la continence sexuelle – l’exer‑
même rôle en dehors de l’Église catholique […]. Mais cela a fonctionné

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
jusqu’à la révolution sexuelle, et même c’était justifié à la lumière cice de la sexualité étant réservé aux fidèles hétérosexuels et
du développement de la science et des consciences. On pourrait mariés – et, d'autre part, l’obligation de la confession de leurs
presque dire que l’Église fut une protection pour les homosexuels « péchés » auprès des clercs par ces mêmes fidèles. Il y a dès
d’une certaine manière ! Elle te donnait ce développement et
lors de grandes chances que dans l’appareil catholique une
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

te protégeait d’une humanité qui ne pouvait te comprendre, ou qui


te comprenait de manière erronée… bon, mais tout ça change avec importante part des « pratiques du secret » (Kaiser, 2004) soit
la révolution sexuelle, enfin le développement des mouvements concentrée autour de cette gestion. Éric Fuchs en concluait
homosexuels, et aujourd’hui, ce n’est plus défendable. Et pour moi, qu’en catholicisme « la morale est donc davantage un terrain
aujourd’hui, l’Église ne permet plus un vrai développement, c’est une
de combat qu’un enjeu spécifique : on se bat sur la morale
apparence de développement. C’est clair, des prêtres m’ont dit que
je pouvais continuer ainsi, dans la double‑vie, mais je crois que pour pour se battre en réalité sur l’ecclésiologie », c’est‑à‑dire
moi ça aurait été un suicide… parce que ça serait un mensonge ! l’organisation de l’institution et sa légitimité. Or, ces dernières
Parce que la révolution sexuelle et les mouvements homosexuels années, une telle bataille concernant la morale sexuelle et
m’ont aidé à découvrir l’importance de la dimension publique de la
familiale s’est intensifiée au sein du catholicisme occidental.
sexualité ! (entretien avec Monseigneur Charamsa, ex‑membre de la
Curie romaine, 44 ans, novembre 2015). L’Église doit, en effet, faire face à une dynamique récente de
« mutations de genre » (Rochefort & Sanna, 2013) et, sur‑
tout, de politisation des questions de genre et de sexualité au

P rêtre et théologien conservateur, membre


« Congrégation pour la doctrine de la foi » du Vatican – l’or‑
gane au sein de la Curie romaine en charge « de promouvoir
de la sein de son environnement institutionnel. Cette dynamique
externe, qualifiée par Éric Fassin (2006) de « démocratie
sexuelle », exerce, ce faisant, une pression sur l’Église mar‑
et de protéger la doctrine et les mœurs conformes à la foi dans quée elle‑même en interne par une raréfaction des recrute‑
tout le monde catholique  » – Krzysztof Charamsa annonçait
1
ments. Elle conduit ses clercs raréfiés à redoubler de réflexivité
en octobre 2015 par voie médiatique son homosexualité et sur la manière dont ils vivent sexualité et genre. Dès lors, le
surtout, sa volonté de poursuivre dorénavant publiquement sa rôle sacerdotal et la représentation ecclésiale subissent ce que
relation déjà ancienne avec son compagnon. S’il affirmait vou‑ Clément Arambourou (2013) note s’agissant du rôle de prési‑
loir mettre sa vie en cohérence, il rompait surtout un secret dentiable et de la représentation politique : « ce qui relève des
largement organisé par l’institution et tout particulièrement par rapports de genre et de sexualité ne ressortit plus au domaine
l’organe auquel il appartenait. de l’évidence » mais constitue désormais « un des enjeux du
travail de représentation politique ».
Le secret – le taire et le faire‑taire à propos d’un savoir partagé
par celles et ceux de l’intérieur – est une technique de « gou‑ Partant d’une situation d’enquête révélatrice de modalités
vernement », mieux, une « conduite » au sens de Michel quasi‑idéales‑typiques de gestion de l’homosexualité chez les
Foucault (1982) qui caractérise toute institution (Jamin, 1977;
2
clercs d’Église en occident3, cet article explique dans un deu‑

1.  Jean‑Paul II, Constitution apostolique Pastor Bonus § 48. adversaires, ou de l’engagement de l’un à l’égard de l’autre, que de l’ordre
du “gouvernement” » (Foucault, 1982). Rappelons que Michel Foucault a
2.  « Le terme de “conduite” avec son équivoque même est peut‑être l’un conceptualisé la gouvernementalité sur le modèle de la pastorale catholique.
de ceux qui permettent le mieux de saisir ce qu’il y a de spécifique dans les
relations de pouvoir. La “conduite” est à la fois l’acte de “mener” les autres 3.  Tout au long de cet article, nous entendons par occident l’aire culturelle
(selon des mécanismes de coercition plus ou moins stricts) et la manière de où se superpose l’emprise politique de la « modernité avancée » (Giddens,
se comporter dans un champ plus ou moins ouvert de possibilités. L’exercice 1990) et l’empreinte historique du catholicisme romain de rite latin par
du pouvoir consiste à “conduire des conduites” et à aménager la probabi‑ opposition aux rites orientaux : Europe latine, de l’ouest et Amérique du
lité. Le pouvoir, au fond, est moins de l’ordre de l’affrontement entre deux Nord surtout.

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 133 / 234

Josselin Tricou 133

xième temps les soubassements et les évolutions récentes Vivre dans le placard ecclésial
de la pratique ecclésiale du secret qui préside à cette gestion.
Dans un environnement institutionnel où les expériences et les 2011. Travaillant alors pour une organisation catholique, je
subjectivités homosexuelles se construisent de moins en moins rencontre le Père Adrien. La quarantaine, Adrien est prêtre
autour d’un cloisonnement rigide entre espaces intimes et diocésain et curé6 d’une paroisse bourgeoise urbaine. Il offre
à voir une hexis corporelle altière et distante. Son patronyme
publics – c’est‑à‑dire ce qu’il est convenu d’appeler le placard,
est à particule. Il est issu de la vieille noblesse rurale d’Ancien
où s’institutionnalisent des formes de conjugalité homosexuelle Régime. Il a été socialisé au sein du scoutisme dit « traditionnel »

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
jusqu’à leur reconnaissance légale, et un contexte marqué, ou « unitaire » (Guides et Scouts d’Europe ; Scouts unitaires de
plus généralement, par un appel à l’authenticité en matière France), créé dans les années 1960‑1970 en réaction aux réformes
pédagogiques entreprises par les Scouts de France. Il porte la
de sexualité, on insiste sur la nécessité paradoxale pour l’ins‑
soutane dans sa paroisse et le clergyman à l’extérieur7. Il célèbre la
titution de réactiver cette pratique du secret. Il s’agit en effet messe avec un scrupuleux respect des « rubriques8 ». Le contenu
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

pour elle de « réaménager la probabilité » (Foucault, 1982) de ses homélies apparaît clairement rigoriste en termes de morale
que les clercs homosexuels se taisent, au moment même où et « restitutionniste » en termes d’ecclésiologie – c’est‑à‑dire qui
réactivent le rêve d’une société chrétienne (Portier, 2012).
les États abandonnent – au moins officiellement – de telles exi‑
2012. En plein débat sur le projet de loi d’élargissement du
gences. Ce faisant, l’article propose dans un troisième temps mariage civil aux couples de même sexe, dit « mariage pour
l’hypothèse selon laquelle la formidable dépense d’énergie du tous », je téléphone par amitié au Père Marc, la quarantaine, une
Vatican pour inventer puis lutter contre son ennemi de papier, vocation dite « tardive ». « Progressiste », il m’avait confié son
homosexualité et sa souffrance face à ce qu’il perçoit comme une
« la‑théorie‑du‑genre4 », participerait de cet objectif. Ces trois
remontée en puissance du discours homophobe dans l’Église. S’il
pistes d’analyse constituent les axes directeurs respectifs des n’a jamais fait publiquement de coming out, il poste sur Facebook
trois parties de cet article construit selon une logique spiralaire des articles critiques à l’égard de la virulence de l’Église dans le
de montée en généralité5. débat. Il m’annonce avoir dîné avec le Père Adrien ; or celui‑ci s’est

Cet article s’appuie sur les résultats d’une recherche doctorale plus large impliquant une double exploration : celle des représentations sociales
et celle des pratiques contemporaines de subjectivation des prêtres et religieux masculins catholiques face aux mutations en cours de l’ordre
de genre et des sexualités.
Les matériaux mobilisés dans cet article proviennent de quatre terrains ethnographiques par immersion au sein de couvents ou de maisons
de formation religieuse ; de soixante entretiens biographiques avec des prêtres exerçant en France ou travaillant au Vatican et d’un suivi plus
approfondi par entretiens réitérés auprès de quatre d’entre eux.
Il est à préciser que cette enquête multi‑sites relève en partie d’une « ethnographie chez soi ». Ma socialisation préalable au sein d’un milieu
catholique et mon appartenance à la classe des hommes sont, effectivement, à prendre en compte comme des données structurantes
de l’enquête.
À l’exception de Monseigneur Charamsa cité nommément ci‑dessus conformément à sa volonté, tous les autres noms d’enquêtés ont été chan‑
gés. Mieux, certains éléments les concernant ont également été omis ou modifiés (âge, fonctions, lieux d’affectation) pour éviter le plus possible
leur traçabilité, car ils risquent non seulement leur réputation mais aussi leur « vocation » s’ils étaient reconnus.

4.  « Pour distinguer “la‑théorie‑du‑genre” inventée par le Vatican des éla‑ 7. Le clergyman constitue avec la soutane une des deux tenues qui dis‑
borations théoriques produites au sein des études de genre nous suivrons le tinguent officiellement les prêtres des laïcs dans la vie courante hors des
parti pris typographique d’écrire « la‑théorie‑du‑genre » entre guillemets et actions liturgiques : il s’agit d’un costume sobre accompagné d’une chemise
avec tirets » (Garbagnoli, 2014). ou d’un plastron surmontés d’un col dit « romain » parce qu’imité de celui
de la soutane romaine. Après une forte sécularisation interne du clergé dans
5.  Je remercie Béatrice de Gasquet, Damien de Blic et Yann Renisio pour les années 1970‑1980 qui s’est traduit par l’abandon de toute tenue distinc‑
leurs relectures attentives de cet article. tive chez la grande majorité des prêtres et évêques français, le clergyman
apparait aujourd’hui comme la tenue « normale » au sein du clergé jeune.
La soutane apparaît encore comme un marqueur de traditionalisme, même
6.  Si en français familier, le mot « curé » désigne le prêtre en général, en
si les choses évoluent vers sa banalisation.
français canonique le curé n’est qu’une des fonctions qu’un prêtre peut
occuper, celle de responsable d’une paroisse.
8.  Dans les livres liturgiques catholiques, les rubriques sont les parties qui
ne constituent pas le texte des rites, mais indiquent la façon suivant laquelle
on doit les célébrer.

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 134 / 234 11 jui

134 Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay

lancé dans une diatribe homophobe et anti‑« mariage pour tous ». le clergé diocésain – dit séculier. Et leurs membres « déviants »,
Le Père Marc est encore sous le choc. protégés par une vie communautaire, sont moins directement
2013. Désormais en doctorat de science politique sur « l’identité exposés au risque du verdict « basal » – les éventuelles insultes ou
des hommes d’Église » pour mes enquêtés, je mène un entretien dénonciations par des fidèles laïcs. Ensuite, dans la prolongation de
sociologique avec le Père Julien, un moine cinquantenaire. Nous nous notre première rencontre sous le signe de la « drague », Julien joue
étions rencontrés quelques années auparavant lors d’une retraite sur certaine complicité et cherche peut‑être à m’impressionner par
spirituelle dans son monastère où il m’avait discrètement dragué. sa liberté de parole, notamment par contraste avec les autres prêtres
Performant (Butler, 2006)9, au moins auprès de moi, une certaine dont il parle.
folie – c’est‑à‑dire l’« archétype folklorique de l’homme efféminé 2014. Toujours dans le cadre de mon travail de thèse, je mène

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
marqué du double stigmate de l’inversion et de l’extravagance » plusieurs entretiens de suite avec le Père Robert, curé de paroisse.
(Le Talec, 2008), et s’amusant à parler de ses confrères au féminin Robert a la cinquantaine, un style de vie plutôt intellectuel. Il écrit,
conformément à la tradition de l’humour camp (Babuscio, 1977), entre autres choses, régulièrement des textes en faveur d’un
celui‑ci m’évoque en entretien avec un agacement certain les meilleur accueil des personnes homosexuelles dans l’Église. S’il ne
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

nombreux clercs homosexuels qu’il rencontre : « Surtout chez les m’a jamais déclaré explicitement qu’il était lui‑même homosexuel,
diocésains, on est dans le mensonge, la dissimulation et la psychote [la cela est entendu entre nous. Il performe sans ostentation les codes
peur] à mort. Après eux‑mêmes me disent : “Il faut être discret vis‑à‑vis esthétiques bear10 et est membre très discret d’une association
du public et donc avoir un double langage !” Non ! Vous ne pouvez LGBT chrétienne. Or, après un an de rencontres régulières et au
pas avoir un double langage ! Vous ne pouvez pas aller manifester détour d’une conversation prolongeant un entretien sociologique
en soutane contre les homos et puis juste après vous faire péter la – et donc hors enregistrement – Robert me déclare avoir eu une
r… heu… avoir des relations sexuelles heu non homosexuelles… relation sexuelle avec un certain Père Adrien mais qui, depuis, a
relations sexuelles‑homosexuelles ? [rire] Beau lapsus ! ». Plus qu’un coupé totalement les ponts avec lui comme avec tout prêtre trop
lapsus au sens technique du terme, apparaît justement ici une des ouvertement gay à ses yeux. Il me prévient : « Tu n’obtiendras jamais
techniques langagières classique de maintien du placard qui consiste d’aveux de sa part » – comme si l’enjeu de l’entretien sociologique
à hétérosexualiser ou au moins à neutraliser le vocabulaire mobilisé était l’aveu, à l’instar de la confession –, et me met en garde : « C’est
quand on parle de sexualité. Si Julien rit, c’est – probablement – qu’il lui qui va te piéger ».
se rend bien compte qu’il vient de mettre en œuvre lui‑même le 2015. Je propose au Père Adrien de nous revoir en mentionnant mon
double‑discours qu’il dénonce justement avec véhémence chez ses travail de thèse : il me répond avec affabilité et me reçoit à déjeuner.
confrères. Mais il continue et prend alors l’exemple du Père Adrien, Nous discutons pendant quatre heures de tout, sauf de mon travail,
en sachant très bien que c’est une de nos connaissances communes : dispositif qui écarte toute possibilité d’enquête. Le Père Adrien se
« Je ne le juge pas, je le connais comme ma poche et puis je l’aime contrôle visiblement, surtout quand je ramène la discussion sur
bien, mais ce qui est terrible c’est qu’à chaque fois que nous sommes les événements récents qui ont agité le catholicisme français – au
ensembles en public, il me dit : “Tiens‑toi bien ! Tiens‑toi bien !”... premier rang desquels la mobilisation contre le « mariage pour
Mais je n’ai pas à me tenir ! Et sa grande question, c’est : “Est‑ce que tous » et la violence que celle‑ci a pu infliger à mes connaissances
tu penses qu’ils croient que je suis homo ?” ». Selon lui, Adrien, qui homosexuelles, lui dis‑je. Avant de me raccompagner à la porte,
était venu un temps chercher auprès de lui une aide pour « unifier sa alors qu’on n’a jamais évoqué une seule fois le Père Marc durant
vie de prêtre » en se découvrant attiré sexuellement par les hommes, les quatre heures de conversation, il me précise que selon lui, ce
s’est très vite refermé sur une « vie clivée » entre « amour pur » pour dernier n’était pas du tout fait pour la vie sacerdotale qu’il vient de
l’Église et promiscuité homosexuelle des rencontre anonymes. C’est fait de quitter. Si Adrien n’a pas évoqué l’homosexualité de Marc ni
une vie clivée tant temporellement (« soutane le jour et drag queen la sienne propre, je comprends le message implicite. Cet échange
la nuit » selon le Père Julien) que spatialement (« chez lui, il y a sa laisse transparaitre une distinction entre trois catégories d’individus à
chambre avec son ordinateur et le reste ; sa chambre, tu ne peux ces yeux : le bon prêtre homosexuel – qui se tait –, le mauvais – qui
pas du tout y accéder, elle est fermée à clé »). Il est à noter d’abord revendique et donc n’est pas fait pour –, enfin, il y a la personne
que la parole du Père Julien peut d’autant plus être critique qu’il est extérieure au clergé – moi – à laquelle on ne peut rien dire, surtout
religieux, membre qui plus est d’un ordre ancien et prestigieux. Or, du si elle laisse entendre qu’elle est « ouverte » voire alliée de la cause
point de vue des structures objectives de l’Église catholique, ce clergé LGBTIQ. Erving Goffman (1975) avait bien décrit cette réticence
dit régulier a une plus grande autonomie par rapport aux autorités des « stigmatisé‑e‑s », encore plus de ceux qui sont porteurs d’un
ecclésiastiques légitimes (locales ou romaines) en comparaison avec « stigmate invisible », à entrer dans le jeu des confidences et à

9. Dans une logique toute foucaldienne, la performance de genre chez 10.  La subculture gaie bear (ours) est née dans les années 1980 en réac‑
Judith Butler ne renvoie pas d’abord à une action effectuée par un sujet, tion à la fois à l’efféminement des folles et à l’hypervirilisation des « gays
mais à un processus de répétition et de citation de normes qui « performe » machos » des années 1970. Elle s’est traduit par des codes corporels et un
le sujet. Cette répétition constitue et produit donc le sujet qui en est l’effet, rapport à la sexualité spécifiques. « Rejetant la dictature de la jeunesse, du
même si le sujet peut aussi se jouer de sa propre performance selon sa plus corps imberbe et musclé, et du sexe dépersonnalisé, [les bears] célébraient
ou moins grande agentivité comme ici chez Julien. l’âge mur, le corps rond et poilu, les câlins et la camaraderie » (Tamagne,
2013). Les bears n’en récupéraient pas moins certains archétypes virils ambi‑
valents, notamment celui du travailleur ouvrier ou du bûcheron, eux‑mêmes
récupérés et, en un sens, rehétérosexualisés dans les années 2000 par les
prescripteurs de mode à travers la figure du hipster, voir (Hennen, 2005).

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 135 / 234

Josselin Tricou 135

créer de véritables relations d’amitiés avec leurs allié‑e‑s « normaux ». tenter d’analyser dans cet article, à la fois dans son versant struc‑
Plus tard, je lui demande par texto de le revoir pour un entretien dans
turel et conjoncturel. Car l’accumulation et le recoupement de
le cadre de ma thèse. Il me répond n’avoir ni le temps ni voir l’intérêt
ces bribes d’histoire collectées dans des situations hétérogènes
de répondre à mes questions – dont il ignore encore le contenu –
mais alors s’engage un long échange par sms sur la teneur de ma (situations d’interactions sociales « ascientifiques », situations
recherche… Le « ton » se fait ironique et même culpabilisateur. C’est d’auto‑analyse de la part du chercheur et situations d’enquête
qu’il s’était renseigné avant ma venue et avait eu vent par un autre
scientifique en partie « ratées ») mettent à jour à travers les cas
prêtre que je posais des questions sur l’homosexualité. Or, c’était
outrepasser, selon lui, les limites de la vie privée des gens. Et de
du Père Adrien, mais aussi Julien, Robert et Marc, un univers

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
me demander ironiquement si je me prenais pour un sexologue. de contraintes intériorisées et des profils de prêtres qui semblent
Bref, l’entretien n’aura pas lieu. Mieux, l’échange musclé par textos à bien des égards assez typiques du catholicisme occidental
interposés – vingt‑quatre chacun – aura réussi à me faire douter
contemporain – quand bien même aucun moyen statistique ne
de l’éthique de ma démarche en plus de me dissuader d’aller plus
permettrait d’en objectiver les proportions parmi le clergé.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

loin. Car Adrien y aura mis un terme en usant de ses compétences


professionnelles, d’abord de culpabilisation puis de réconciliation
pour que l’échange n’apparaisse pas trop anti‑fraternel. Bien sûr, De quels profils s’agit‑il ? Les Pères Adrien, Julien, Robert et
pour l’enquêteur, il s’agit souvent de « s’imposer aux imposants »
Marc peuvent tous apparaitre selon les catégories contempo‑
(Chamboredon et al., 1994) et « si dans certains milieux les risques
physiques sont faibles, l’épreuve relationnelle et la tension peuvent y
raines comme des « honteuses » (Chauvin, 2003), c’est‑à‑dire
être pires » (Bizeul, 2007). Mais ici, plus que la source d’une réflexion des homosexuels au placard. Mais l’opposition contemporaine
méthodologique, il semble que la situation et la compétence au honte/fierté ne suffit pas à spécifier leurs cas. D’abord, elle ne
soupçon activée par cet enquêté révèle plutôt la force du secret
recouvre qu’en partie, tout particulièrement chez Adrien, une
qui surdétermine sa vie. Suspicieux, Adrien se montre, tout
autant que le chercheur, un acteur réflexif doué d’un pouvoir
autre herméneutique plus ancienne de l’homosexualité que
d’enquête jusqu’à renverser les rôles. Par une sorte de projection résume l’opposition proustienne « race maudite »/« peuple
et de symétrisation des situations, il suppose que le chercheur élu », et qui peut se décliner en contexte catholique de
comme lui a forcément quelque chose à cacher au « péril » de
la manière suivante : se sacrifier personnellement pour le
sa vie. Et, ce n’est plus son secret, mais celui du chercheur face
à ses enquêtés qui est alors interrogé. Quel est l’objet réel de
« peuple élu » peut apparaître comme une forme de rédemp‑
son enquête derrière l’objet officiel et a priori euphémisé qu’il leur tion personnelle et collective de la part des « maudits », en en
« sert » pour entrer sur le terrain ? Quelles sont ses intentions faisant des élus parmi les élus. Ensuite, cette opposition honte/
réelles ? (Extraits de mes carnets de terrain).
fierté apparait bien trop grossière au regard des différents
rapports au secret et au placard que chacun de ces prêtres
« L’entretien […] ne peut être […] qu’une forme d’objectivation
construit. Ils occupent, en effet, autant de positions distinctes
participante visant à parfaire la construction de son objet et
dont rend compte de manière significative leur propre taxono‑
on ne saurait admettre qu’il puisse exister d’informations qui
mie indigène :
seraient délivrées en dehors d’une relation sociale qui se tisse
avec un enquêté » (Laurens, 2007, p. 117). C’est pourquoi j’ai •  Adrien correspond très clairement au qualificatif « taupe »

pris ici soin de citer largement mes « carnets de terrain ». C’est plusieurs fois entendu sur mes terrains. Ce terme désigne

une manière de « faire voir » au lecteur les différentes moda‑ a priori le prêtre clairement au placard et rappelant à l’ordre

lités de relation que j’ai pu avoir avec le Père Adrien, à la fois du placard ses pairs – d’où peut‑être ce vocable issu de

dans le temps et dans leurs contextes de production, quitte à l’espionnage.

m’exposer comme acteur socialement situé. Le lecteur, ce fai‑ •  Julien, lui, sans qu’il revendique explicitement un besoin
sant, peut apprécier au mieux la teneur de notre entretien final de reconnaissance de son homosexualité par l’institution ni
– plus exactement les modalités de sa négociation et de son par la société, souligne que son hexis corporelle « parle ». En
refus – et appréhender le secret institutionnel qui surdétermine effet, au‑delà du « regard collectif » (Haraway, 1988) catho‑
l’ensemble de ces relations, secret institutionnel que je vais lique désexualisant ou asexuant les prêtres11, Julien reconnait

11. Un prêtre en couple avec un homme m’expliquait en entretien son dormir au presbytère ou être parti en vacances avec lui sans qu’aucun
étonnement sans cesse renouvelé devant l’aveuglement – feint ? – de ses ne soupçonne que « l’ami du curé », que certains prenait même pour un
paroissiens, même les plus proches, confrontés à ses pratiques homo‑ prêtre, était son partenaire sexuel (entretien avec Père Michel, curé de
sexuelles. Il considère avoir fait venir pendant des années son compagnon paroisse, 63 ans).

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 136 / 234 11 jui

136 Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay

lui‑même que certains jeunes hommes qu’il rencontre dans le « Jean‑Paul II » – parce que socialisée sous le pontificat du
cadre d’une de ses missions « à la périphérie » de l’Église, ne 264e Pape qui a repris en main l’Église catholique entre 1978
s’y trompent pas quant à ses préférences sexuelles. Et il sait et 2005 après la période des années 1960‑1970 qualifiées par
en jouer, en accentuant selon les circonstances le camp de Denis Pelletier (2005) de « crise catholique ». Généralement
ses attitudes. Il incarne, ce faisant, « la grande folle de sacris‑ considérés comme une génération pivot du point de vue de
tie » comme on dit dans une certaine subculture cléricale « la recomposition de l’idéal sacerdotal » (Béraud, 2006),
gaie. Or, cette expression indigène est en soi significative : la ces prêtres incarnent majoritairement ce que Philippe Portier

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
sacristie correspond bien aux coulisses de la scène liturgique (2012) appelle un « catholicisme d’identité » par réaction à un
comme le placard l’est à la scène hétéronormative. Espace « catholicisme d’ouverture » sur le devant de la scène catho‑
hors de la vue du public même si la porte peut rester entrebâil‑ lique durant les années 1970‑1980. Si un tel catholicisme se
lée, réservé aux clercs et à leurs plus proches collaborateurs, constitue en réalité dès la fin des années 1970, son émergence
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

où l’on retire le costume qu’on portait sur la scène, la sacristie au‑dessus du seuil de visibilité au sein de l’Église date bien
symbolise ainsi une communauté d’happy few qui croit bénéfi‑ des années 1990 et de l’arrivée sur un « marché » ecclésial
cier et jouir d’un savoir/pouvoir exclusif qui les met au‑dessus raréfié de ces jeunes prêtres, revendiquant une séparation et
des profanes. une exemplarité vis‑à‑vis de leurs fidèles, portant le clergy‑
•  Robert, quant à lui, semble incarner ceux que Julien raille man ou la soutane à cet effet, se montrant ouvertement cri‑
gentiment sous le terme de « pseudos » – comprenez les tiques vis‑à‑vis du supposé laxisme de leurs aînés et relayant
prêtres homosexuels qui militent à couvert pour la « cause de manière intransigeante le discours moral de l’appareil
LGBTIQ » dans l’Église. Si son hexis corporelle parle moins que romain12. À ce titre, la vie publique d’Adrien apparaît exem‑
celle de Julien – le bear apparaissant bien moins gay et bien plaire de cette génération. Mais elle se révèle d’autant plus
plus « normâle » que la folle au regard des préjugés hétéro‑ « clivée » et son « placard », quasiment revendiqué, d’autant
normatifs –, il revendique en revanche de changer l’institution plus choquant. Car si le placard et l’homophobie intériorisée
de l’intérieur – « ni partir ni se taire » selon un slogan progres‑ peuvent sembler courants au regard de l’histoire des formes
siste – pour la conformer aux évolutions de la société, même d’accommodation sociale de l’homosexualité dans des sociétés
s’il le fait avec une très grande prudence qui peut apparaître fondées sur l’hétéronorma­tivité13, ils apparaissent de moins en
hypocrite vue de l’extérieur et bien naïve aux yeux de certains à moins tolérés socialement au vu de la libéralisation relative de
l’intérieur de l’institution comme aux yeux de Julien. la conjugalité homosexuelle et de la mise en place de nouveaux
dispositifs de subjectivation caractérisés par des interpellations
•  Quant à Marc, ne supportant pas de tenir fermée la porte du
à l’épanouissement et à la sincérité individuelle, tant hors du
placard, il finit par quitter l’institution qui le lui impose, sans
catholicisme qu’en son sein (Hervieu‑Léger, 1999). Si Adrien
pour autant la dénoncer.
apparaît d’autant plus loyal vis‑à‑vis du discours homophobe
On retrouve dans cette « typologie » indigène en partie les dis‑ de l’Église catholique qu’il lui semble impossible d’assumer
tinctions du triptyque proposé par Albert O. Hirschman (1970) publiquement son homosexualité, il n’est pas étonnant dès
face à toute épreuve : défection, prise de parole – mais ici selon lors qu’il se montre suspicieux vis‑à‑vis de mon enquête et des
deux modalités : par corps et par voix – ou loyauté silencieuse. études en genre et sexualité plus généralement, dont il pressent
qu’elles le menacent personnellement. Justement, dans une
Le cas d’Adrien la « taupe », incarnant la loyauté silencieuse des rares études en français sur l’homosexualité des clercs
vis‑à‑vis de l’institution, apparaît tout particulièrement intéres‑ d’Église, Hélène Buisson‑Fenet (2004) reconnaissait d’emblée
sant. Il illustre l’existence de clercs se reconnaissant comme l’inaccessibilité au sociologue de ce profil de prêtres, pourtant
homosexuels parmi la génération de prêtres français dite a priori nombreux pour qui connaît l’institution de l’intérieur :

12. Pour mieux appréhender le profil idéologique de ces prêtres, voir 13.  Par hétéronormativité, on entend « le système, asymétrique et binaire,
(Astraud, 2003). de genre, qui tolère deux et seulement deux sexes, où le genre concorde
parfaitement avec le sexe (au genre masculin le sexe mâle, au genre féminin
le sexe femelle) et où l’hétérosexualité (reproductive) est obligatoire, en tout
cas désirable et convenable » (Butler, 2006).

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 137 / 234

Josselin Tricou 137

« la question de l’orientation homosexuelle dans la trajectoire effet, se mettre en place cette réflexivité accentuée décrite
vocationnelle concerne des profils socio‑cléricaux très hété‑ par C. Arambourou (2013) quant à la production des identi‑
rogènes, même si le passage au témoignage s’effectue bien tés de genre et de sexualité. Et cette réflexivité accentuée se
plus facilement dans des communautés de spiritualité plus traduit effectivement dans la bouche du Pape par une crainte,
ouverte, promouvant davantage la liberté de parole ». C’est que exprimée donc au plus haut niveau de la hiérarchie ecclésiale,
ces clercs sont obligés de réaliser tout un travail de « leurre » que la vocation sacerdotale soit perçue hors du cercle clérical
(Darmon, 2008) pour maintenir étanches leurs engagements comme une profession d’homosexuels. En 2005, Benoît XVI,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
dans la double identité déviante qui les caractérise au regard en tant que « préfet pour la doctrine de la foi » de Jean‑Paul II,
de la société et de l’institution : celle du prêtre intransigeant faisait expliciter pour la première fois dans l’histoire de l’Église
vis‑à‑vis du discours ecclésial homophobe, y compris en situa‑ catholique l’interdiction d’ordonner des candidats au sacerdoce
tion pastorale , et donc à contre‑courant d’une évolution glo‑
14
homosexuels ou soutenant la « culture gay » (Congrégation
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

bale vers une gayfriendliness liée à « l’inversion de la question pour l’éducation catholique, 2005)15. Six ans plus tard, le même
homosexuelle » (Fassin, 2003), et celle de l’individu dont les devenu Pape, réaffirmait dans un livre‑entretien sa crainte que
pratiques homosexuelles sont en contradiction avec le discours « le célibat des prêtres soit pour ainsi dire assimilé à la ten‑
institutionnel qu’il se donne comme mission d’incarner publi‑ dance à l’homosexualité » (Benoît XVI, 2011). En quoi, cette
quement. Dans cette perspective, le Père Adrien se maintien‑ « assimilation » serait‑elle néfaste ? On ne peut le comprendre
dra vis‑à‑vis de moi dans son rôle de gate keeper du double sans replacer la crainte exprimée à son sujet au cœur d’une
secret de la sexualité et, surtout, de l’homosexualité chez les logique plus globale de luttes symboliques entre différents
prêtres. Mais s’il refuse avec autant de force de m’ouvrir au modèles de masculinités, plus précisément, au cœur d’une
« spectacle du placard » (Sedgwick, 2008), c’est aussi que nécessité pour le clergé catholique de donner aujourd’hui plus
celui‑ci semble aujourd’hui bien moins opaque et sécurisant que jamais des gages de masculinité afin de maintenir sa posi‑
qu’avant, et il le sait. Un certain nombre de fidèles catho‑ tion dans la hiérarchie intra‑masculine de genre.
liques, pro ou anti‑LGBTIQ, sont de moins en moins ignorants :
« Pourquoi faire une thèse sur la masculinité des prêtres, j’ai Avec cette possible assimilation du célibat des prêtres à l’ho‑
déjà ta conclusion : tous des pédés ! », me disait en riant une mosexualité se pose, en effet, le risque de réduction du corps
de mes connaissances catholiques, non sans une homopho‑ sacerdotal – au double sens du mot – à son potentiel éversif face
bie sous‑jacente. En réalité, le fait que le sacerdoce catholique à la « masculinité hégémonique » pour reprendre le concept
puisse constituer un placard quasi idéal n’est plus un secret, de Raewyn Connell (2014)16. La forme de masculinité qui s’est
mais bien un secret en partie éventé. imposée en occident durant la modernité s’est, en effet, lar‑
gement construite sur le rejet de l’homosexualité masculine.
Un placard en crise Elle peut même être identifiée, non sans verser dans un certain
essentialisme17, à la magnification de l’hétérosexualité active
Si l’on écoute attentivement ce que déclare au sujet des au sein du couple, complément indispensable à la mise en
prêtres catholiques Benoît XVI – successeur de Jean‑Paul II avant de capitaux culturels, économiques et politiques mono‑
et dont le pontificat s’étend de 2005 à 2013 – on entend, en polisés par la classe des hommes. Louis‑Georges Tin (2008)

14.  La pastorale peut être définie comme « l’ensemble des pratiques insti‑ 16.  La conceptualisation de R. Connell (2014) se construit en rupture avec les
tutionnelles localisées qui ont pour finalité la diffusion du message religieux approches androcentrées et essentialistes de la masculinité. À l’instar de cette
dans des conditions concrètes de réception » (Buisson‑Fenet, 2004). auteure, on part ici du présupposé qu’en tout lieu et à tout moment, « il y a
une forme de masculinité qui est culturellement glorifiée au détriment d’autres
formes » (p. 74), mieux : qui se construit par rejet de ces autres formes.
15. Pour une lecture critique de ce texte, qui en dévoile l’homophobie
implicite malgré ses dénégations internes, homophobie qui va bien au‑delà
de la distinction classique du Catéchisme de l’Église catholique entre 17. Raewyn Connell (2014) rappelle que sa typologie des masculinités
« actes » à condamner et « tendances » à accueillir comme un donné, voir « désigne non pas des traits de caractères fixes mais bien des configurations
(Fassin, 2010). de pratique, émergeant dans des situations particulières et dans une structure
de rapports sociaux changeante ». Dans ce cadre, une masculinité hégémo‑
nique est plus précisément à un moment et un lieu donnés « la configura‑
tion des pratiques de genre qui incarnent la solution socialement acceptée au
problème de la légitimité du patriarcat, et qui garantit (ou qui est utilisé pour
garantir) la position dominante des hommes et la subordination des femmes ».

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 138 / 234 11 jui

138 Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay

évoque à ce propos le temps de la modernité comme celui de différentialiste et familialiste produit par le Magistère romain19
la victoire progressive de ce qu’il appelle la « culture hétéro‑ et relayé par son clergé. Il reste qu’il y a là un flou qui peut
sexuelle », c’est‑à‑dire la valorisation, contre toutes les autres permettre d’apercevoir d’autres images, ce que semble redou‑
formes de communalisation affective, de la conjugalité « à deux ter justement Benoît XVI. Car, avec la déprise du catholicisme
sexes » fondée en dernière instance sur le sentiment amou‑ au sein de la modernité et son accélération dans la modernité
reux et sur l’attirance hétérosexuelle naturalisée. A contrario avancée, partant la dissipation de l’aura sacrale qui maintenait
de cette culture, la performance de genre du prêtre catholique le rendement symbolique de la prêtrise, il n’est pas étonnant

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
s’est historiquement construite autour d’un certain nombre que cette performance de genre atypique subisse ce que l’on
de normes « extra‑mondaines » dont la virginité de cœur et pourrait appeler une « émasculation symbolique » tendan‑
de corps via l’imposition du célibat au XI  siècle, mais aussi
e
cielle, c’est‑à‑dire à la fois une altérisation et un déclassement
l’humilité, la soumission dans la foi, le soin des autres (care et au sein de l’ordre du genre intra‑masculin (Tricou, 2016a). Si
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

curé ont la même racine), le refus du bellicisme et de l’enga‑ cette émasculation symbolique s’est d’abord opérée essentiel‑
gement politique, la libre expression de certaines émotions via lement via une suspicion à l’égard du célibat sacrificiel au cœur
l’esthétisme ou la mystique – autant de « vertus » qualifiées de la « culture hétérosexuelle », il est intéressant de noter que
de « passives » dans les manuels de séminaires du xixe
 siècle l’Église elle‑même y a participé en contribuant à installer l’hégé‑
car alors codées comme féminines et jugées dégradantes pour monie de cette culture depuis la sacramentalisation tardive du
les hommes réputés actifs. C’est là tout le paradoxe de cette mariage au xiiie siècle jusqu’à la très récente glorification de la
forme atypique de masculinité qu’incarne la prêtrise catho‑ relation sexuelle entre homme et femme au cœur du mariage
lique de rite latin : constituant une façon a priori subalterne chrétien dans la « théologie du corps » promue par Jean‑Paul II
d’être masculin, elle offre pourtant statutairement d’accéder à (1985)20. Bref, si l’Église a contribué ainsi à valoriser le mariage
des positions d’autorité dans le champ ecclésial sur des fidèles hétérosexuel d’amour – qui aujourd’hui, est revendiqué dans
laïcs femmes mais aussi, et peut‑être surtout, hommes corres‑ les mêmes termes par des homosexuels au grand dam de
pondant pourtant à la masculinité hégémonique. Cela nous l’Église – elle a également contribué ce faisant à « exculturer »
amène à un second paradoxe : d’un côté, l’institution ecclésiale le célibat consacré qui jusque‑là était présenté comme « l’état
s’oppose plus que jamais à tout discours visant à dénaturaliser de perfection ». Par cette participation à la valorisation de la
l’ordre hétéronormatif, comme le montre son offensive contre « culture hétérosexuelle », l’Église catholique a donc, en un
« la‑théorie‑du‑genre » ; de l’autre, elle « vend elle‑même certain sens, travaillé contre elle‑même. Elle concourait ainsi
la mèche », pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu. elle‑même à faire décroitre le rendement symbolique et le
Elle crée, en effet, ce qu’on pourrait appeler un « bougé » du prestige de la discipline ecclésiastique du célibat sacrificiel qui
genre – comme sur une photographie floue –, à travers l’ins‑ plaçait le prêtre au‑dessus des laïcs, femmes et hommes, et
titution de deux normes de masculinité distinctes et inverse‑ ouvrait la voie en interne à des revendications de la part de ses
ment hiérarchisées par rapport à l’ordre du genre global : la clercs allant dans le sens de sa libéralisation (Sévegrand, 2004)
masculinité du laïc marié qui peut sembler « naturelle », « nor‑ jusqu’à des départs massifs dans les années 1970 pour choisir
male », parce que correspondant jusque‑là à la masculinité le mariage hétérosexuel (Potel, 1986).
hégémonique et dont il n’y avait jusque‑là rien à dire, et celle
du religieux ou du clerc, célibataire et appelé à performer ces Or, à l’échelle des trajectoires individuelles, tant que le mariage
« vertus passives », qui pourrait apparaître « alternative », voire hétérosexuel demeurait un horizon social indépassable, la prê‑
potentiellement subversive dans sa forme, mais qui semble trise comme la vie religieuse masculine ont été l’une des rares
plus sûrement « complice  » surtout au regard du discours
18
voies à offrir un contenu socialement acceptable à une autre

18.  Il est à noter qu’une masculinité est justement qualifiée par R. Connell 19. Le Magistère est l’autorité en matière de morale et de foi attribuée
de « complice » lorsque des hommes légitiment la masculinité hégémonique à l’ensemble des évêques et spécialement au Pape par et sur les fidèles
sans toutefois la réaliser et en bénéficier pleinement, comme ici les prêtres. catholiques.

20.  Ce faisant, il prenait à front renversé le discours traditionnellement sus‑


picieux du Magistère romain quant à la sexualité conjugale mais sans pour
autant changer les normes qui s’y appliquent.

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 139 / 234

Josselin Tricou 139

façon d’être homme. L’engagement dans la vie cléricale ou reli‑ tous deux l’ont fait de manière indirecte, en demandant aux
gieuse a été une trajectoire perçue comme « naturelle » pour prêtres homosexuels enquêtés leurs propres estimations de la
des hommes socialisés dans la foi catholique mais ne se sen‑ proportion de prêtres concernés au sein du clergé. L’un comme
tant pas « appelés » à une vie hétérosexuelle active et stable l’autre aboutissent à des estimations comprises entre 30 % et
dans le cadre du mariage chrétien, voire cherchant consciem‑ 70 %. Ainsi, l’échantillon d’une centaine de prêtres interrogés
ment à y échapper. C’est à n’en pas douter l’explication princi‑ par J. G. Wolf estime en moyenne la proportion d’homosexuels
pale de la surreprésentation structurelle d’hommes exprimant au sein du clergé étasunien à 48 % et parmi les séminaristes à

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
des préférences homosexuelles au sein du clergé catholique 55 %. Si J. G. Wolf invite lui‑même à prendre ces chiffres bruts
(Wagner, 1981 ; Boswell, 1985 ; Wolf, 1989 ; Potel, 1992 ; avec précaution, la comparaison entre générations – selon l’âge
Stuart, 1993), même si cette surreprésentation demeurait en des clercs interrogés – montre surtout une progression généra‑
partie invisible jusque‑là. Mieux, si l’on suit le raisonnement tionnelle significative. Est‑ce l’effet d’une plus grande prise de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

du théologien David Berger (2010), cette surreprésentation se conscience des jeunes prêtres homosexuels interrogés par rap‑
manifesterait de manière croissante au fur et à mesure qu’on port aux plus âgés ? De leur plus grande visibilité ou d’une réelle
s’élève dans la hiérarchie ecclésiale. En effet, Jean‑Louis augmentation de leur proportion ? Quoi qu’il en soit, certains,
Schlegel résume ainsi l’analyse de David Berger : « durant des comme le Père Donald Cozzens (2002), vicaire épiscopal amé‑
siècles, le modèle catholique du célibat des prêtres a favorisé ricain et docteur en psychologie, n’hésite plus à diagnostiquer
la vocation de profils homosexuels. Le “sacerdoce célibataire” publiquement une véritable « crise de l’orientation sexuelle » au
était “pour ainsi dire fait pour des hommes avec des tendances sein du clergé catholique actuel. En France, l’épuisement du
homosexuelles”. Mais dans le même temps, l’Église stigmati‑ vivier rural de recrutement traditionnel du sacerdoce à travers
sait l’homosexualité, une stigmatisation morale qui a favorisé les « petits séminaires » – qui socialisaient massivement des
à son tour la répression par le pouvoir, d’un côté, la soumis‑ garçons de milieu essentiellement rural et modeste dans une
sion accrue des sujets homosexuels, de l’autre. Ceci explique, visée vocationnelle jusqu’à la création des collèges d’enseigne‑
d’après D. Berger, que contrairement à la vision dominante ment secondaire en 1963 (Suaud, 1976 ; Launay, 2003), puis
aujourd’hui, les clercs homosexuels en ont pour ainsi dire les départs massifs de prêtres durant la « crise catholique »
rajouté sur la soumission au Pape et sur le conservatisme doc‑ des années 1970 en vue du mariage hétérosexuel, sont sans
trinal et disciplinaire. Selon lui, “souvent règne chez les clercs doute à l’origine d’un manque à gagner de vocations de type
homosexuels une homophobie intériorisée, qu’on gère de la « notabilisation » (Suaud, 1978) par rapport aux vocations de
façon suivante : je souffre d’un manque qu’il me faut compen‑ type « placard ». Si on ajoute à ces raisons, l’actuel rétrécis‑
ser en me montrant encore plus zélé”. Cette structure mentale sement du bassin de recrutement clérical dans les frontières
expliquerait que plus on s’élève dans la hiérarchie de l’Église, d’une vieille bourgeoisie conservatrice22, dont les fils se recon‑
plus on trouverait d’homosexuels » (Schlegel, 2013)21. naissant homosexuels n’ont que peu d’alternatives au sein
de leur horizon des possibles, on comprend que, par un effet de
Comme James G. Wolf (1989) aux États‑Unis avant lui, Julien concentration, la proportion de vocations de type « placard » ait
Potel (1992) en France a essayé d’estimer l’ampleur de ce phé‑ pu augmenter et faire qu’un enquêté ait l’impression suivante :
nomène de sur‑représentation homosexuelle que l’on appellera
par facilité de langage la vocation de type « placard ». Il est On est passé globalement d’un clergé majoritairement hétéro de
gauche dans les années 1970 à un clergé homo de droite dans les
significatif que J. Potel, sociologue mais aussi prêtre de l’Église
années 2000. En fait, plus l’Église développe un discours homophobe
catholique, n’a jamais publié les résultats de son enquête. et plus elle attire des homos dans le déni d’eux‑mêmes, au moins au
Devant l’impossibilité d’une enquête ouverte et systématique, départ de leur carrière (entretien Père Arthur, prêtre‑ouvrier, 67 ans).

21.  Cette thèse rend assurément compte de la surreprésentation structurelle et des codes pour les exprimer – ni de la position particulière de son auteur
des homosexuels parmi le clergé catholique latin – notamment à sa tête –, – un des rares théologiens tenants du catholicisme d’identité à Rome qui était
et de la tendance à la complicité du clergé, surtout homosexuel, vis‑à‑vis de laïc et non clerc –, et donc de sa capacité à « vendre la mèche ».
la masculinité hégémonique. Mais elle pêche par son aspect anhistorique.
Elle ne rend raison ni des conditions historiques de son explicitation récente 22.  Pour une description sociologique fine de cette bourgeoisie notabiliaire
– l’augmentation de la proportion de prêtres qui non seulement se recon‑ et nobilaire porteuse du « catholicisme d’identité » et que l’on retrouve dans
naissent des préférences homosexuelles mais ont aussi intériorisé la possibilité La Manif pour tous, voir (Rétif, 2013).

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 140 / 234 11 jui

140 Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay

Mais dès lors qu’a lieu dans les sociétés sécularisées contem‑ consiste, face au coût trop élevé de la défection irréversible et
poraine une libéralisation des masculinités gaies, tant sur le visible, à s’aménager une vie clivée à l’intérieur de l’institution
plan de leurs affirmations socio‑culturelles que de celui de la à moindre coût, sans que celle‑ci en pâtisse, à l’image de ceux
reconnaissance de l’homo‑conjugalité, que peut‑il advenir pour que Pierre Bourdieu appelle les « exclus de l’intérieur » dans le
le recrutement sacerdotal ? Ces mutations ne peuvent qu’être système scolaire23 :
perçues chez les clercs les plus lucides comme une double
menace : la menace à court terme de transformer les sémi‑ Je ne pouvais pas quitter l’Église. J’avais mon copain, certains
confrères le savaient. Par contre, je n’ai jamais cherché à l’exhiber

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
naires en des lieux de trop grande visibilité gaie, à l’instar des
et ni à revendiquer qu’il ait une place officielle, car il était hors de
couvents américains dits « gayfriendly », dont le climat trop question que je fasse du tort à l’Église avec cette histoire. Même
ouvertement homoérotique est accusé de faire fuir les candi‑ si aujourd’hui je pense un peu différemment (entretien avec Père
dats hétérosexuels (Cozzens, 2002) ; mais surtout la menace, Michel, curé de paroisse, 63 ans).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

Écoute, il y avait une discrétion à avoir, même si ce n’était pas facile.


à plus long terme, de vider des séminaires déjà bien désertés,
Il ne s’agissait pas d’étaler sa misère sexuelle sur la place publique.
en retirant à l’Église son rôle de dernier placard, un placard On ne se résume pas à elle d’abord, et ensuite la parole du prêtre
bien décrit par Monseigneur Charamsa dans la citation mise en elle engage plus que lui, elle engage l’Église, une institution déjà
exergue de cet article. D’où la nécessité aujourd’hui de « jus‑ suffisamment fragilisée quand même. Et puis il y a le peuple de Dieu,
les paroissiens, ils auraient dit quoi ? Ils n’auraient pas compris. Et
tifier à nouveaux frais et revaloriser le célibat consacré dans la
s’ils avaient compris, je ne suis pas sûr que les scandaliser fasse
société contemporaine », comme le titrait un atelier du colloque avancer quoi que ce soit. Au contraire (entretien avec Père Arthur,
annuel « Vocations » de la Conférence des Évêques de France prêtre‑ouvrier, 67 ans).
qui a eu lieu à Paris le 23 janvier 2014, mais aussi et peut‑être
surtout de réactiver, au moment où elle perd en efficacité, l’inci‑ Chercher délibérément à faire scandale, c’est bien ce qui
tation à l’inhibition ou, au moins, à la discrétion chez les clercs a été reproché par des tenants du catholicisme d’identité à
quant à leur (homo)sexualité. Monseigneur Charamsa. Pour exemple, il suffit de lire le billet
intitulé « La chute d’un prêtre », publié sur www.padreblog.fr,
Cette incitation, que H. Buisson‑Fenet (2002) appelle « la par un jeune prêtre du diocèse de Versailles et ancien élève du
contrainte de publicité », est moins à comprendre comme théologien à Rome :
l’effet d’une répression institutionnelle de l’Église vis‑à‑vis de ses
clercs sexuellement déviants, finalement peu mise en œuvre Nous ne jugeons pas le cœur de ce prêtre. Nous sommes tous
malgré un outillage juridique qui le permettrait, que comme de pauvres pécheurs. Nous pouvons comprendre qu’il parte, s’il
ne peut plus tenir son engagement. Il pouvait partir humblement,
une capacité à les faire taire par autocensure afin de préserver
discrètement, personne ne l’aurait jugé, mais nous sommes en droit
le sens de l’institution et le consensus parmi les fidèles dont de lui demander de ne pas scandaliser tous ceux qui font confiance
ils ont la charge. L’Église reconnaît via la confession, et plus aux prêtres, de ne pas abimer le sacerdoce qu’il a reçu et que nous
généralement l’idée de pardon, que ses normes sont en partie avons en commun, de ne pas diffuser le poison du doute et de la
suspicion qui rejaillira sur tous ses frères. Quand on est tombé, on
constituées d’idéaux jamais complètement habitables, même
se retire humblement dans le silence et on demande pardon. On ne
et peut‑être surtout pour ses clercs. La déviance la plus grave renverse pas les rôles en accusant l’Église ! Imaginez un homme qui
en son sein n’est pas de les transgresser – « il y a une souplesse tromperait sa femme, et qui – au lieu de présenter ses excuses pour
typiquement catholique » (Béraud, 2009) vis‑à‑vis des actes sa trahison – justifierait son adultère en accusant celle‑ci !24

posés – mais bien de mettre publiquement en cause leur légi‑


timité. Or, cette nécessité de ne pas faire scandale auprès des Clairement, à travers l’orchestration de son coming out média‑
fidèles, est largement intériorisée par les prêtres, homosexuels tique précisément la veille de l’ouverture d’un Synode des
ou non, et participe du « coût de sortie », c’est‑à‑dire de la évêques au sujet des questions de morale sexuelle et fami‑
pression à rester, quitte à « partir de l’intérieur » comme l’écrit liale où devait notamment être discutée la politique ecclésiale
un prêtre cité par Céline Béraud (2006). Partir de l’intérieur d’accueil des personnes homosexuelles dans un contexte de

23.  Pour mieux appréhender ce « coût de sortie », lire, par exemple, le livre 24. Disponible sur http://www.padreblog.fr/la‑chute‑dun‑pretre consulté le
de témoignages suivant : (Magne‑Pingeon et al., 2015). 1er novembre 2015.

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 141 / 234

Josselin Tricou 141

forte polarisation sur la question au sein du catholicisme25, avez raison, il y a eu une libération dans [notre communauté] ces
et à travers ses prises de parole publiques subséquentes – y dernières décennies, une plus grande liberté de parole. Mais pas
forcément une plus grande liberté de mœurs, hein ! Ce n’est pas un
compris sa volonté d’apparaître à découvert dans cet article –,
baisodrome, ce n’est pas la fête du slip et du caleçon, ça se saurait !
Monseigneur Charamsa cherche à se présenter comme un (entretien avec Père Dominique, moine, 45 ans).
lanceur d’alerte, tout comme David Berger (2010) l’avait été L’ambiance homosexuelle parmi les jeunes est très impressionnante
avant lui : et ça me met très mal à l’aise, et ce que je dis de temps en temps,
c’est que moi je n’étais pas homophobe, mais je le deviens. […] J’ai
En fait, l’Église invite à la double vie. C’est même sa structure d’ailleurs écrit une lettre en ce sens à [l’abbé] (entretien avec Père

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
essentielle. C’est ça que je veux dire publiquement. Et cette Gaston, moine, 70 ans, de retour en France après un long séjour
imposition d’une double‑vie par la structure s’immisce partout […]. dans un pays du Sud).
Bref, quand tu es prêtre tu es consciemment ou inconsciemment
dans un système mensonger sur ta propre sexualité (entretien
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

avec Monseigneur Charamsa, ex‑membre de la Curie romaine,


44 ans). Un placard à refermer, en réactivant la contrainte
de publicité
Pour autant, du côté de certains « pseudos » inscrits dans
le catholicisme d’ouverture, on ne voit pas forcément l’acte Cette enquête m’amène à poser l’hypothèse suivante : et si
d’un meilleur œil que du côté identitaire. Certains le jugent, cette réactivation de la contrainte de publicité se déployait non
en effet, « courageux mais inopportun » (entretien avec Père seulement au sein des interactions et par des textes magistériels
Robert), voire même « contre‑productif » (entretien avec mais aussi au moyen de combats que l’Église mène ad extra
Père Jean‑Marc, 60 ans). Ces jugements d’ordre stratégique vis‑à‑vis de son environnement institutionnel ? Ainsi, la décision
témoignent de la crainte de la part de ces « pseudos » que de 2005 d’interdire l’ordination à « ceux qui pratiquent l’homo‑
de tels coups d’éclat s’accompagnent d’un renforcement de la sexualité, qui présentent des tendances homosexuelles pro‑
contrainte de publicité. Car, une réactivation de cette contrainte fondes ou qui soutiennent la prétendue culture homosexuelle »
n’apparaît‑elle pas nécessaire au regard de l’émergence de et la croisade morale contre « la‑théorie‑du‑genre » lancée
ces militants de l’ombre et de celles de clercs aux identités parallèlement par le Vatican (Carnac, 2014 ; Garbagnoli, 2014)
« trop » affirmées car désormais socialisés en partie au sein constitueraient les deux faces d’une même pièce, deux moda‑
des subcultures gaies ? La masculinité cléricale ne risque‑t‑elle lités de cette réactivation.
pas de connaître un rendement symbolique décroissant, elle
Écoute, j’ai travaillé treize ans à la Congrégation pour la doctrine de
qui souffre déjà d’une certaine subordination symbolique en
la foi du Vatican. Et bien je me suis rendu compte que pas un seul
occident que parachèvent les récentes crises autour des révé‑ de ses membres qui ont produit ces textes contre l’homosexualité
lations sur la pédophilie ? Plus concrètement, ces prêtres ne [chez les prêtres] et le gender n’ont lu de livres d’étude de genre.
seraient‑ils pas tentés de parler et/ou de performer la norme En fait, ils sont en panique ! (entretien avec Monseigneur Charamsa,
ex‑membre de la Curie romaine, 44 ans).
cléricale de manière plus lâche que par le passé – contraire‑
ment aux membres plus anciens exprimant des préférences
Le dénigrement de ses ex‑collègues de la « Congrégation pour
homosexuelles ou aux jeunes issus de milieux très traditionnels
la doctrine de la foi » dont fait preuve ici le prélat sorti du pla‑
comme le Père Adrien ?
card ecclésial et désormais interdit d’exercer, n’est sans doute
Vous avez raison [...] Nous les jeunes religieux, les religieux de pas étranger aux conséquences de sa prise de parole mili‑
quarante ans, on en parle plus librement… le Père Marius, ben oui il tante, pour reprendre le vocabulaire d’A. O. Hirschman. Il n’en
est homo, mais c’est ce qu’on appelle une « taupe », il est arrivé dans
exprime pas moins l’idée d’un lien explicitement posé entre
les années 1950, c’était comme la communauté [une communauté
typique du catholicisme d’identité que l’on vient d’évoquer durant les deux causes au plus haut de l’institution et d’une panique
l’entretien] on n’en parlait pas et puis on se montrait pas. Mais vous morale qui exige une réplique de sa part.

25.  Assemblée d’évêques du monde entier dont l’intitulé exact était « La défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation ». Ce
vocation et la mission de la famille dans l’Église et le monde contempo‑ dernier avait donné lieu à des tensions entre participants sur la ques‑
rain », ce synode dit « ordinaire » faisait suite à un synode « extraor‑ tion de la conjugalité homosexuelle dans le contexte post‑mobilisations
dinaire » convoqué un an plus tôt par le Pape François intitulé « Les anti‑« mariage pour tous ».

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 142 / 234 11 jui

142 Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay

À relire le parcours et les intentions personnelles d’un des Or, s’il semble délicat d’établir la preuve d’une intentionna‑
entrepreneurs ecclésiaux majeurs de ces deux causes, le Père lité institutionnelle à partir des intentions d’un de ses acteurs
Tony Anatrella, on ne peut en effet que constater ce lien. Prêtre – fût‑ce comme le Père Anatrella un acteur à la fois central
et psychanalyste français, spécialisé dans l’accompagnement et multi‑positionné –, il est en revanche possible de mon‑
des prêtres « en souffrance » et dans la formation à l’affectivité trer les effets de cette réplique ecclésiale sur les clercs par
et à la sexualité des séminaristes, le Père Anatrella s’emploie une série de faits émaillant mon enquête. C’est ainsi que la
depuis les années 1990, à repsychiatriser l’homosexualité décision de 2005 est jugée par la majorité de mes enquê‑

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
qu’il dénonce comme le signe d’une immaturité individuelle et tés comme inapplicable au sein des séminaires – puisqu’elle
sociale. Un responsable de séminaire qui l’emploie pourtant, le nécessite un aveu clair ou un flagrant délit – mais susceptible
définit comme « trop passionnellement attaché à cette ques‑ d’impressionner les prêtres déjà ordonnés et les candidats
tion de l’homosexualité » (entretien informel avec Père Romain, en discernement. De même, l’incorporation de la croisade
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

55 ans, formateur de séminaire). Dans le même temps, à tra‑ anti‑gender dans le champ catholique français via les mobi‑
vers de nombreux livres et une action d’expertise auprès de lisations de 2013, a eu un effet de rattrapage par une politi‑
l’épiscopat français, il apparaît comme le lanceur d’alerte en sation quasi instantanée de la question homosexuelle chez
France sur la dangerosité de la « théorie‑du‑genre ». À l’échelle nombre de catholiques français – que cette Manif pour tous
transnationale maintenant, il est également l’un des entrepre‑ ait été érigée en « proposition d’engagement » (Boltanski,
neurs ecclésiaux les plus actifs auprès du Vatican dans la lutte 1993) pour les membres des classes dominantes qui l’ont
contre l’homosexualité chez les prêtres – c’est sa théorie de porté, dépassant alors leur habituel « apolitisme politisé »
l’homosexualité qui sert d’armature argumentative au texte (Agrikoliansky & Collovald, 2014) ou au contraire, qu’elle ait
de 2005 – et dans la lutte contre le « genre ». Il est notamment fini par se constituer en figure repoussoir pour certains catho‑
le coordinateur du Lexique des termes ambigus et controver‑ liques « modérés » plutôt indécis au début (Tricou, 2016b).
sés sur la famille, la vie et les questions éthiques publié par le Or, cette politisation a elle‑même pesé sur les clercs. Ce peut
Conseil pontifical pour la famille en de nombreuses langues. être ce prêtre en couple homosexuel depuis des années, lui
C’est qu’il a effectivement été appelé comme « consulteur » aussi scrupuleux en matière de liturgie, qui s’est senti obligé
au sein de cet organe du Vatican dans les années 1990. Or, de lire en chaire, la lettre de son évêque invitant les fidèles
cette multi‑positionnalité est le fruit d’un paradoxe. Il devient de son diocèse à manifester contre le « mariage pour tous »
porteur de l’agenda romain lorsqu’il disparaît de la scène fran‑ pour protéger son « placard ». Ou inversement, ce peut être
çaise en raison de démêlés judiciaires : des plaintes ont été ce prêtre hétérosexuel mais qui, « progressiste », s’est per‑
déposées contre lui pour attouchements sur des séminaristes mis d’appeler à la tolérance en chaire vis‑à‑vis des différentes
homosexuels en thérapie avec lui. Reste qu’en prenant de la formes de conjugalité en pleine bataille du « mariage pour
distance avec la France, il a ainsi largement exporté au som‑ tous » et qui a été dénoncé auprès de son évêque par des
met de la hiérarchie ecclésiale ses conceptions homophobes fidèles qui le soupçonnaient d’homosexualité. C’est ainsi, éga‑
et « anti‑gender » qui seront réinjectées ensuite dans le débat lement, que lors d’une semaine d’observation ethnographique
français, augmentées de toute la légitimité vaticane nécessaire dans un séminaire en France, la communauté a découvert
à sa plus grande acceptation dans les cercles catholiques les que je « faisais du gender », suite à une dénonciation par un
moins favorables à toute condamnation a priori, surtout les prêtre d’une autre communauté enquêtée. Le soir même, les
secteurs classiquement plus intellectuels du catholicisme qui, séminaristes imprimaient tout ce qu’ils pouvaient trouver sur
comme l’écrit Anthony Favier (2014) semblent « s’inquiéter internet me concernant et l’amenaient au supérieur. Le len‑
de la rapidité avec laquelle certains responsables de l’Église demain, je fus accablé de questions agressives et un sémi‑
congédient les études de genre  ». 26
nariste quitta même la table avant la fin du repas en rage et

26. Par exemple, http://www.revue‑etudes.com/Societe/Ne_diabolisons_


pas_les_theories_du_genre/45/14058 consulté le 14 juin 2014.

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 143 / 234

Josselin Tricou 143

tremblant. Un des jeunes prêtres présents, qui accepta deux masculine. Cette croyance typique de l’hétéronormativité appa‑
jours plus tard de me parler une fois la « peur » plus ou moins raît plus clairement encore dans les propos des séminaristes
passée, me déclara : de cette communauté, comme si le genre dénotait mécanique‑
ment l’orientation sexuelle, ou que (se) le (faire‑)croire simpli‑
C’est vrai qu’on était tous aux abois. C’est que si tu veux montrer que fiait le problème, une virilité affichée éloignant de tout soupçon :
notre identité sexuelle n’est pas claire, et quand bien même ça serait
vrai, ça ne serait pas bien. Car ça ferait du mal à l’Église à laquelle Ce qui est clair, c’est que dans cette maison, c’est pas du tout un
tu appartiens ! (entretien informel, Père Enguerrand, 32 ans, prêtre problème, à mon avis. Enfin, clairement, si on est homosexuel, on ne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
en fin d’études). peut pas devenir prêtre ! Et cette maison en a pris acte, elle s’est mise
dans l’obéissance de l’Église, maintenant je sais qu’il y en a d’autres
On constate dans ce propos, encore une fois, la nécessité de ailleurs où ce règlement interne de l’Église est moins pris en compte.
Mais comment tu le sens que ça été pris en compte ici ?
sauvegarder l’institution. Et le supérieur de la maison de me
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

Ben, ici je n’en croise pas un seul ! C’est quand même quelque chose
dire quelque temps après mon séjour, comme pour hono‑ qui se voit ! Qui se voit beaucoup ! (entretien avec Louis, séminariste
rer aussi l’injonction à la fraternité et l’hospitalité du discours de 5e année, 30 ans).
catholique : « vous seriez le diable que l’on n’aurait pas eu le On les verrait ! Et puis de toute façon, ils partiraient d’eux‑mêmes !
(entretien avec Alban, séminariste de 5e année, 38 ans).
droit de vous mettre dehors mais voilà, je comprends que vous
n’ayez plus eu aucun entretien » (entretien informel avec Père
Mais, ces propos contrastent avec ceux de ce formateur de
Albert, 62 ans, formateur de séminaire).
séminaire inscrit dans le catholicisme d’ouverture :

Plus généralement, si on analyse le champ catholique au


Non mais tout le monde sait que ça c’est l’intégrisme de Benoit XVI
prisme de la polarisation entre pôle d’ouverture et pôle d’iden‑ et d’Anatrella ! Benoît XVI je ne ferais pas sa psychanalyse ici.
tité déjà évoquée (Portier, 2012), il apparaît clairement que le Quant à Anatrella, […] il couvre sa propre homosexualité de cette
second fonde sa volonté de revaloriser le sacerdoce aux yeux manière‑là… Donc voilà ! Personne n’y croit à ce discours‑là, enfin
du moins, dans les séminaires. J’ai quand même été membre de
des fidèles sur une gestion des impressions virilisantes et, ce
deux équipes de formation, dans deux séminaires, et je peux parler
faisant, hétérosexualisantes. Ainsi, dans la communauté sui‑ du séminaire [X] que je connais aussi pas mal, et je crois on peut
vante, typique du catholicisme d’identité, à ma question faus‑ dire aussi au séminaire [Y], donc, ça fait quatre séminaires, heu… Et
sement naïve à propos du soupçon d’homosexualité chez les plus largement car on a régulièrement des rencontres de formateurs
de séminaires. Bref, personne ne croit à ces trucs‑là ! Personne !
prêtres catholiques, le supérieur répond :
Et tout le monde a toujours considéré que la chasse aux homos
dans le clergé n’avait pas sens, enfin, à part des intégristes, des
Ouais la critique du monde… mais pff parce que longtemps les intrigants, des courtisans, ou des homosexuels refoulés. D’ailleurs
prêtres ont été des intellos ! Et chez les intellos y a un rapport à la si on y croyait, il y aurait moins d’homosexuels dans le clergé, or il
force qui est… bon… pas développé de la même manière, mais… y en a un paquet. Bref, personne n’y a jamais cru à ce discours‑là !
je ne sais pas comment dire ça mais… enfin… moi, je ne me pose Y’a peut‑être quelques jeunes prêtres d’aujourd’hui, porte‑fanions de
pas la question de… de… l’homosexualité ou pas. Pour moi ça l’idéologie, qui répandent ce discours‑là, mais le clergé est passé
me… enfin ce qui compte c’est, c’est ce qu’il est… après, c’est ce outre jusque‑là ! (entretien avec Père Jean‑Marc, 60 ans, formateur
qu’il devient. de séminaire).
Mais quand même depuis 2005 !
Oui oui ! Mais d’abord y a une honnêteté des gars… Ils savent hein !
Enfin ce document, ce document de Rome… et puis après, ben… Malgré tout, le Père Jean‑Marc reconnaît qu’en public « tout le
c’est tout… Après c’est sûr, quand on vit dans un monde homo‑sexué monde se tait, même si personne n’est dupe », et que le climat
[il détache bien les deux], comme un séminaire ou la vie religieuse, d’homophobie grandissant renforce le silence chez les sémina‑
ben… Il faut veiller à ce que ça ne se sensibilise pas trop ! D’où ce
ristes comme chez les formateurs.
côté un peu, un peu rude ! [on vient de parler de la pédagogie du
séminaire]. C’est inévitable… Et ça remet en place (entretien avec
Père Albéric, supérieur de séminaire, 40 ans). C’est qu’il en va de la survie d’une institution fragilisée et surtout
pensée, selon la catégorie de Benoît XVI, dans une « herméneu‑
Ce déni de l’homosexualité potentielle chez les recrues de ce tique de la continuité » par opposition avec une « herméneu‑
séminaire tire parti, comme on le voit ici, de la confusion entre tique de la rupture » proposée par les catholiques d’ouverture
sexualité et hexis genrée, plus exactement de la croyance en durant les années 1960‑1980. Le renforcement de la discrétion
une articulation stricte entre virilité apparente et hétérosexualité exigée chez les clercs à propos de la dichotomie entre tolérance

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 144 / 234 11 jui

144 Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay

pastorale officieuse des actes et permanence doctrinale offi‑ occidentales abandonnent – au moins officiellement – de
cielle sert une politique globale de gestion du changement ou, telles prises de position.
mieux, du non‑changement apparent des normes dans l’insti‑
tution catholique face aux changements extérieurs à elle. Une Faut‑il voir dans cette surenchère de l’hypocrisie ou du
telle politique relève de ce que Pierre Bourdieu (2014 [1998]) cynisme de la part de l’appareil romain ? Certainement pas : « la
appelle à propos de la domination masculine « un travail his‑ “conduite” est à la fois l’acte de “mener” les autres (selon des
torique de déhistoricisation » soit un travail d’éternisation de mécanismes de coercition plus ou moins stricts) et la manière

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
l’institution dans le cas de l’Église. Ce travail est d’autant plus de se comporter dans un champ plus ou moins ouvert de pos‑
nécessaire que l’Église, à la différence d’autres institutions, sibilités » (Foucault, 1982). La réactivation de la contrainte
s’auto‑définit comme « réalité humano‑divine » dépositaire et de publicité concerne tous les prêtres, et pas seulement le
gardienne de la révélation pleine et accomplie de la parole de « bas‑clergé » comme l’on disait dans l’Ancien Régime. Elle
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

Dieu, qui ne saurait tolérer une trop grande variabilité et histo‑ concerne donc aussi la Curie romaine et le Pape lui‑même !
ricisation de son message au risque de tomber dans un relati‑ Comme l’écrit Bernard Lahire (2008) à propos de l’exposition
visme autodestructeur . 27
progressive des classes populaires à la forme scolaire de socia‑
lisation à partir de l’âge classique : « les classes dirigeantes
L’hypothèse proposée ici est tout à fait compatible et non l’ont d’abord essayé sur elles‑mêmes ». Il en va de même
exclusive de l’explication défendue par Isacco Turina (2012) à pour l’homophobie intériorisée des clercs. Ainsi, alors qu’il est
propos de l’apparente crispation actuelle du discours ecclésial surnommé dans les milieux ecclésiastiques allemands « die
sur les questions de genre et de sexualité. Selon lui, l’Église Königin » – la reine – et qu’il est régulièrement outé par des
« qui comptait sur un système de transmission religieuse héri‑ personnalités qui ont travaillé avec lui comme David Berger
tée des parents » relevant du type église dans la typologie ou Uta Ranke‑Heineman, théologienne « progressiste » et
wébéro‑troeltschienne , ne peut plus le faire dans les socié‑
28
ancienne camarade d’université29, le Pape Benoît XVI est, de
tés occidentales contemporaines. Le Magistère tend dès lors fait, celui qui a le plus fait pour lutter contre l’homosexualité au
à exiger une participation de type « secte » (communauté de sein du clergé et contre la reconnaissance légale de la conjuga‑
virtuoses) non seulement dans la vie consacrée, mais aussi et lité gaie dans les sociétés mues par la « démocratie sexuelle ».
surtout au sein de certains mouvements de laïcs (plus d’ail‑ Au contraire, le nouveau Pape, François, semble performer une
leurs qu’auprès de paroissiens de base), afin de déclencher masculinité peu défensive face aux soupçons d’homosexualité
de nouveau une transmission de type « église » et refaire des qui plane sur le clergé catholique. Ne s’est‑il pas permis de des‑
vocations sacerdotales conformes. La discipline très stricte serrer la contrainte de publicité au moins en parole, notamment
affichée servirait donc à la reproduction institutionnelle en via son célèbre « qui suis‑je pour juger ? » à propos d’un des
péril actuellement en Europe. Il n’est donc pas étonnant de membres de la Curie romaine qu’il avait promu, Monseigneur
noter dans les textes magistériels récents cités par cet auteur, Ricca, alors qu’il fut outé par voie de presse dans le cadre d’un
la récurrence d’un ton agressif du Magistère romain à l’égard règlement de comptes interne à la Curie romaine30. Ce faisant,
des États et de leurs politiques sexuelles. Cela pourrait bien contrairement à Benoît XVI, François peut apparaître comme
être le signe d’une nécessité de réaffirmer la contre‑hégémo‑ une « anomâlie » à la tête d’un appareil romain décrit par David
nie cléricale mise à mal dans la modernité tardive et ce, à Berger comme peuplé par des masculinités phénoménologi‑
travers des prises de position plutôt masculinistes de la part du quement plutôt « gayisantes » comme celles des Père Robert
Magistère romain au moment même où les États des sociétés et Julien – parce qu’ayant intériorisé en partie des codes acquis

27.  De la même manière l’Église catholique avait agité l’épouvantail du 28.  Cette typologie est une classification des mouvements religieux par rap‑
modernisme à la fin du xixe siècle puis celui du communisme après la port à deux idéaux‑types opposés : « Secte » et « Église », développée à l’ori‑
Seconde Guerre mondiale, notamment pour faire taire ses membres qui gine par Max Weber et son élève Ernst Troeltsch.
incorporaient trop rapidement comme des ressources critiques certaines
innovations comme les sciences philologiques et historiques à la fin du 29. https://www.vice.com/de/article/der‑papst‑schwul‑statt‑asexuell‑00000
xix e siècle, ou la critique marxienne de l’idéologie au xx e siècle, mettant 59‑v7n12?Contentpage=1 consulté le 16 août 2012.
en péril le travail d’éternisation de l’institution qui nécessite un lent travail
de digestion. 30. https://fr.zenit.org/articles/si‑une‑personne‑est‑gay‑cherche‑le‑sei‑
gneur‑est‑de‑bonne‑volonte/ consulté le 3 août 2013.

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 145 / 234

Josselin Tricou 145

au sein des subcultures gaies – ou clivées comme celle du Père ensuite au travail, cette typologie a permis de saisir l’évolution
Adrien . Une « anomâlie » est entendue ici comme une per‑
31
récente de ces pratiques ecclésiales du secret, rapportée aux
formance de genre et de sexualité masculine paradoxale, au dynamiques propres à l’institution – crise des vocations, plu‑
sens où les sociologues de l’éducation parlent de « réussite ralisation et polarisation des attentes des fidèles – et à celles
paradoxale » face à un cas contraire aux tendances observées de son environnement institutionnel lui‑même en mutation
à une échelle macroscopique et donc aux attentes théoriques. – re‑signification politique et identitaire de la sexualité, libérali‑
En réalité, le genre du pape François n’est pas tant que cela sation des homosexualités, transformation de la conjugalité. On

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
une « anomâlie » quand on connaît la Compagnie de Jésus à a ainsi vu que l’émergence de ces deux figures : « grande folle
laquelle il appartient – l’ordre religieux des Jésuites – qui offre de sacristie » et surtout « pseudo », contrairement à la figure de
à observer une masculinité phénoménologiquement « normâli‑ la « taupe » contribuait à mettre en crise la contrainte de publi‑
sante » et « hétérosexualisante  » parce qu’à la fois caractéri‑
32
cité. Ce faisant, elle dérange une institution qui entend bien
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

sée par une certaine virilité dans l’action et un intellectualisme taire le fait qu’elle a longtemps constitué et constitue encore
modéré par un pragmatisme. Mais c’est une masculinité mar‑ un des derniers placards institutionnalisés en occident, afin
ginalisée en Europe avec la perte de puissance du catholicisme de maintenir le rendement symbolique de la masculinité clé‑
d’ouverture. En revanche, là où il y a nouveauté avec la nomi‑ ricale. Cette émergence, en effet, dérange d’autant plus l’ins‑
nation de ce Pape, c’est plutôt dans le fait de l’accession au titution ecclésiale qu’elle s’encastre et s’incarne au sein d’une
trône pétrinien d’un latino‑américain dans un contexte curial modernité avancée qui soupçonne et tend à subalterniser l’aty‑
occidentalo‑centré et en crise institutionnelle profonde – d’où pie de genre de ses représentants. D’où la nécessité pour elle
l’usage renforcé du masque et du démasquage par certains de refaire des « taupes », notamment en politisant la question
de ses membres, c’est‑à‑dire des postures de rigidité morale de de l’homosexualité et en suscitant de la panique morale chez
façade quant à une homosexualité par ailleurs pratiquée et des ses fidèles, c’est‑à‑dire en jouant finalement ses fidèles contre
règlements de compte internes qui vont jusqu’à user de l’outing ses clercs. La lutte contre la « théorie‑du‑genre », au‑delà
comme arme de disqualification ; un contexte, donc, où ce qui de l’entreprise morale, serait donc d’abord affaire d’ecclésio‑
devait rester caché se met à apparaître sporadiquement, ce qui logie : elle aurait pour intérêt interne de faire taire les prêtres
devait être tu, à parler. homosexuels, en rendant extrêmement sensible la question de
leurs préférences sexuelles et pour intérêt externe plus large
de mobiliser socialement une des assises démographiques
Conclusion du catholicisme. Mais ce faisant, l’institution prend aussi le
risque d’accélérer la délibération en cours qu’elle voulait juste‑
En partant de quelques configurations de pratiques rencon‑ ment faire taire. Cela m’amène à proposer trois remarques ou
trées sur le terrain, cet article a cherché à comprendre et à développements possibles.
expliquer l’état actuel des « pratiques du secret » qui président
à la gestion de l’homosexualité chez les clercs catholiques en D’abord, la situation d’enquête qui a permis de mettre au
occident. Ces cas, en effet, ont permis d’établir une typologie jour ces trois figures et de faire travailler cette typologie sur
exploratoire, issue du vocabulaire indigène, distinguant les le terrain, semble indissociable des caractéristiques mêmes
« taupes » d’un côté – qui incarnent le respect de la contrainte du secret qui en est le générateur. Elle a fonctionné, en effet,
de publicité – des « pseudos » et des « grandes folles de comme un rappel à l’ordre moral pour l’enquêteur lui‑même.
sacristie » de l’autre – qui publicisent respectivement par voix Est‑il dans son rôle de sociologue, au‑delà même de l’aspect
et par corps leur homosexualité au‑delà du cercle clérical. Mise de voyeur impliqué (Humphreys, 2007), lorsqu’il dévoile les

31.  Un climat qui a marqué Monseigneur Charasma en arrivant au Vatican cette homosexualité pouvait aussi se vivre de manière un peu plus ouverte,
et a visiblement joué dans sa trajectoire socio‑sexuelle : « Dès l’enfance, j’ai cachée dans une sensibilité artistique par exemple. Mais ça ne veut pas dire
eu une attraction (rire) pour la vie de prêtre. Mon attraction homosexuelle, qu’à Rome il n’y a pas d’homophobie ou que l’homosexualité y est acceptée
je la connais depuis mon adolescence, mais j’ai appris à la haïr grâce ou publiquement » (entretien avec Monseigneur Charamsa, ex‑membre de la
à cause de la culture de l’Église. Je suis entré au séminaire à 18 ans. En Curie romaine, 44 ans).
Pologne, on n’en parlait pas. Clairement. Le climat y était froid, homophobe
et machiste. Et puis j’ai été propulsé au Vatican. Alors, est‑ce parce que
c’est le Vatican ou parce que c’est l’Italie ? Je ne sais pas. J’ai découvert que

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 146 / 234 11 jui

146 Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay

incohérences institutionnalisées entre le dire et le faire d’une sociologue est plus celui d’un « secret de polichinelle » que
institution ou d’individus en son sein, pris par les contraintes d’un « secret défense » ou un « secret d’État ». Car en réalité,
indicibles d’un rôle et des distances à ce rôle ? Quel est l’intérêt on a bien affaire à un secret en délibération, sans quoi, d’ail‑
de sa prise de parole quand il publicise au nom de la science leurs, le chercheur n’y aurait pas accès.
les secrets sus‑décrits en prenant le risque de : 1) produire à
l’image du journaliste du « sexy » et du scandale32 ; 2) confor‑ Enfin, au‑delà de la révélation du secret, une analyse qui se
ter par là‑même certains stéréotypes qui circulent dans l’opi‑ veut critique doit chercher à rendre compte de cette délibéra‑

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
nion publique au sujet de ses enquêtés et de l’institution tion, en plaçant sous la « loupe du microscope » et en rendant
qu’ils représentent, l’Église faisant déjà régulièrement l’objet leur cohérence globale à toutes les micro‑prises de parole – par
de « réduction au secret sexuel » dans la culture mainstream corps ou par voix – qui la constituent et qui sont largement épar‑
comme par exemple dans le roman à succès Da Vinci Code de pillées et invisibilisées du fait même de la contrainte de publi‑
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

Dan Brown ; 3) renforcer le processus même que le chercheur cité. Forte de cette mise en cohérence, l’analyse critique n’a
décrit : le réaménagement de la probabilité que les prêtres plus alors qu’à proposer un sens qui échappe le plus souvent
homosexuels se taisent ? Au‑delà de ces questionnements, si aux acteurs. Mais ce faisant, elle apparaît « par nature intrusive
légitimes soient‑ils, il est révélateur que cette situation d’en‑ et suppose un certain degré de violence symbolique et interpré‑
quête (m’)ait posé un problème d’éthique. Rappelons É. Fuchs tative à l’encontre de la compréhension intuitive et partiale que,
cité en introduction de cet article : si les enjeux moraux en localement, les gens ont de leur monde » (Scheper‑Hughes,
catholicisme sont avant tout le lieu d’expression d’enjeux ecclé‑ 2000). À ce propos, peu des nombreus‑e‑s manifestant‑e‑s
siologiques, alors mon enquête qui questionnait un des tabous contre le mariage des couples de même sexe seraient en
les plus structurants de l’ecclésiologie catholique ne pouvait accord avec l’hypothèse que j’ai proposée dans cet article, à
qu’être questionnée en retour sur sa moralité, que ce soit par savoir que la croisade contre « la‑théorie‑du‑genre » lancée par
mes enquêtés ou par moi‑même en tant qu’individu socialisé le Vatican et son incarnation française momentanée dans La
en partie au sein du catholicisme. Manif pour tous serviraient aussi à refaire des « taupes » au
sein du clergé. Assurément peu de ces manifestant‑e‑s ont eu
Ensuite, il semble important ici de distinguer l’analyse critique conscience en dénonçant ce projet de loi civile, de faire égale‑
de la dénonciation. Concernant cette contrainte de publicité qui ment le jeu du système clérical en mal de reproduction au sein
pèse sur les prêtres homosexuels, la dénonciation est en réalité d’un environnement institutionnel en mutation. Et pourtant,
déjà largement engagée tant à l’intérieur de l’Église catholique comme j’ai pu l’écrire ailleurs (Tricou, 2016), La Manif pour
qu’à l’extérieur par des groupes de militants « progressistes », tous, en tant que phénomène social effervescent, a contribué
LGBTIQ et relayée par des journalistes avides de ce genre de à redistribuer les frontières sociales du catholicisme en cher‑
sujet. Parfois même y contribuent malgré eux des groupes chant notamment à constituer le « mariage pour tous » en
« réactionnaires » lorsqu’ils cherchent à étayer leur dénoncia‑ check point : « on ne peut pas être catholique sans être contre
tion publique d’un « lobby gay » au sein du clergé ou lorsqu’ils le mariage pour tous » m’a‑t‑on affirmé sur le terrain parmi les
recherchent de manière obsessionnelle les preuves de l’homo‑ laïcs. Si, en d’autres termes, La Manif pour tous a voulu faire
sexualité de Benoît XVI pour mieux en dénoncer les positions taire, elle a aussi beaucoup parlé et fait parler. Elle a fait advenir
ecclésiologiques. Ces différents entrepreneurs de la dénoncia‑ à la parole des choses tues jusqu’alors et transformé en partie
tion s’appuient le plus souvent sur des lanceurs d’alerte issus, sans doute le « regard collectif » catholique malgré elle. Très
comme on l’a vu, de l’intérieur même de l’institution. Leurs concrètement, cela peut être une prise de conscience tardive
interventions font proliférer les discours sur l’homosexualité vis‑à‑vis de la vieille tante célibataire qui vivait avec une cousine
dans l’Église comme les discours cléricaux de contre‑feux, éloignée ou de ce prêtre qui effectivement part en vacances
au risque néanmoins d’instrumentaliser ou de recouvrir le toujours avec ce même ami (voir la note 11), ou encore de ces
discours énonciatif individuel. En ce sens le dévoilement du couples gais ou lesbiens catholiques qui passaient inaperçus

32. Voir, par exemple, le documentaire brésilien « Amores santos » qui contactés par un acteur, et filmés via sa webcam, ayant des relations homo‑
montrent des archevêques, des évêques, des prêtres et des pasteurs, sexuelles virtuelles avec lui.

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 147 / 234

Josselin Tricou 147

dans les assemblées cultuelles et qu’on ne peut plus ne plus Ainsi, la croisade morale anti‑gender lancé par le Vatican
voir dorénavant, soit parce qu’ils ont fait corps face à la violence a peut‑être contribué à faire taire les prêtres non‑conformes
symbolique de la période, soit parce qu’ils se sont mariés et comme certains fidèles sur le court terme, mais à moyen terme,
osent désormais demander le baptême pour leurs enfants en il est fort possible qu’elle ait, du fait de son intransigeance et de
tant que couple constitué. Autant d’exemples que j’ai croisés ses effets multiples en termes de politisation, accéléré consi‑
sur mes terrains mais dont il faudrait systématiser la collation. dérablement la délibération en cours qu’elle voulait faire taire.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 148 / 234 11 jui

148 Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay

Bibliographie Congrégation pour l’éducation catholique (2005), « Instruction


de la Congrégation pour l’éducation catholique sur les critères
Agrikoliansky É. & Collovald A. (2014), « Mobilisations conser‑ de discernement vocationnel au sujet des personnes présen‑
vatrices : comment les dominants contestent  ? 
», Politix, tant des tendances homosexuelles en vue de l’admission au
no 106, pp. 7‑29. séminaire et aux Ordres sacrés », Vatican, 4 novembre, http://
Arambourou C. (2013), « De la masculinité de François Bayrou. www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccatheduc/docu‑
Une analyse en creux des conditions d’efficacité d’un registre ments/rc_con_ccatheduc_doc_20051104_istruzione_fr.html.
identitaire controversé », Genre, sexualité & société, (Hors‑série Connell R. (2014), Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémo‑
no 2), https://doi.org/10.4000/gss.2686. nie, traduction C. Richard et al., Paris, Éditions Amsterdam.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
Astraud L.‑P. (2003), Les Jeunes Prêtres : génération Lustiger, Cozzens D. (2002), Le Nouveau Visage des prêtres, Paris,
Villeurbanne, Golias Éditions. Bayard.
Babuscio J. (1977), « Camp and the Gay Sensibility », in Dyer Darmon M. (2008), Devenir anorexique. Une approche sociolo‑
R. (dir.), Gays and film (1984e éd.), New York, Zoetrope, gique, Paris, La Découverte.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

pp. 40‑57. Fassin É. (2003), « L’inversion de la question homosexuelle »,


Benoît XVI (2011), Lumière du monde. Le pape, l’Église et Revue française de psychanalyse, no 67, pp. 263‑284.
les signes du temps. Un entretien avec Peter Seewald, Paris, Fassin É. (2006), « La démocratie sexuelle et le conflit des civi‑
Bayard. lisations », Multitudes, no 26, pp. 123‑131.
Béraud C. (2006), Le Métier de prêtre. Approche sociologique, Fassin É. (2010), « Celibate Priests, Continent Homosexuals:
préface de J.‑P. Willaime, Ivry‑sur‑Seine, Éditions de l’Atelier. What the Exclusion of Gay (and Gay‑friendly) Men from
Béraud C. (2009), «  Il y a une souplesse typiquement Priesthood Reveals About the Political Nature of the Roman
catholique », Témoignage Chrétien, 2  juillet, http://temoi‑ Catholic Church », Borderlands, http://www.highbeam.com/
gnagechretien.fr/articles/religion‑france/il‑y‑une‑sou‑ doc/1G1‑251378683.html.
plesse‑typiquement‑catholique. Favier A. (2014), «  Les catholiques et le genre  », La
Berger D. (2010), Der heilige Schein, Berlin, Ullstein Verlag Gmbh. Vie des idées, 25  mars, http://www.laviedesidees.fr/
Bizeul D. (2007), « Que faire des expériences d’enquête ? », Les‑catholiques‑et‑le‑genre.html.
abstract, Revue française de science politique, vol. 57, no 1, Foucault M. (1982), « Le sujet et le pouvoir », in Dreyfus H. L.
pp. 69‑89. & Rabinow P. (dir.), Michel Foucault: Beyond Structuralism
Boltanski L. (1993), La Souffrance à distance. Morale humani‑ and Hermeneutics, Chicago, The University of Chicago Press,
taire, médias et politique, Paris, Métailié. pp. 208‑226.
Boswell J. (1985), Christianisme, tolérance sociale et homo‑ Garbagnoli S. (2014), « Le Vatican contre la dénaturalisation de
sexualité. Les Homosexuels en Europe occidentale des débuts l’ordre sexuel : structure et enjeux d’un discours institutionnel
de l’ère chrétienne au xive siècle, traduction A. Tachet, Paris, réactionnaire », Synergies Italie, no 10, pp. 145‑167.
Gallimard. Giddens A. (1990), Les Conséquences de la modernité, Paris,
Bourdieu P. (2014 [1998]), La Domination masculine. Suivi de L’Harmattan.
Quelques questions sur le mouvement gay et lesbien, Paris, Goffman E. (1975), Stigmate, traduction A. Kihm, Paris, Minuit.
Le Seuil. Haraway D. (1988), « Situated Knowledges: The Science
Buisson‑Fenet H. (2002), « Comment l’autorité s’exerce. Les Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective »,
clercs catholiques homosexuels et la contrainte institution‑ Feminist Studies, vol.  14, no 3, pp. 575‑599, https://doi.
nelle », Archives de sciences sociales des religions, no 119, org/10.2307/3178066.
pp. 65‑78, https://doi.org/10.4000/assr.1728. Hennen P. (2005), «  Bear bodies, Bear Masculinity. Recuperation,
Buisson‑Fenet H. (2004), Un sexe problématique. L’Église et Resistance, or Retreat? », Gender & Society, vol. 19, no 1,
l’homosexualité masculine en France, Saint‑Denis, Presses pp. 25‑43, https://doi.org/10.1177/0891243204269408.
Universitaires de Vincennes. Hervieu‑Léger D. (1999), Le Pèlerin et le Converti. La Religion
Butler J. (2006), Trouble dans le genre, traduction C. Kraus, en mouvement, Paris, Flammarion.
Paris, La Découverte. Hirschman A. O. (1970), Exit, Voice and Loyalty. Responses
Carnac R. (2014), « L’Église catholique contre “la théorie du to Decline in Firms, Organizations and States, Cambridge,
genre” : construction d’un objet polémique dans le débat public Harvard University Press.
français contemporain », Synergies Italie, no 10, pp. 125‑143. Humphreys L. (2007), Le Commerce des pissotières, Paris, La
Chamboredon H., Pavis F., Surdez M. & Willemez L. (1994), Découverte.
« S’imposer aux imposants. À propos de quelques obstacles Jamin J. (1977), Les Lois du silence, Paris, La Découverte.
rencontrés par des sociologues débutants dans la pratique et Jean‑Paul II (1985), L’Amour humain dans le plan divin. De la
l’usage de l’entretien », Genèses, vol. 16, no 1, pp. 114‑132, Bible à « Humanae Vitae », Paris, Cerf.
https://doi.org/10.3406/genes.1994.1251. Kaiser W. (2004), « Pratiques du secret », Rives méditerra‑
Chauvin S. (2003), « Honte », in Tin L.‑G. (dir.), Dictionnaire néennes, no 17, pp. 7‑10, https://doi.org/10.4000/rives.535.
de l’Homophobie, Paris, Puf, http://sebastienchauvin.org/ Lahire B. (2008), La Raison scolaire. École et pratiques d’écri‑
wp‑content/uploads/Sebastien_Chauvin‑Article_Honte_ ture, entre savoir et pouvoir, Rennes, Presses universitaires
Dictionnaire_Homophobie.pdf. de Rennes.

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 149 / 234

Josselin Tricou 149

Launay M. (2003), Les Séminaires français aux xixe et xxe siècles, Sévegrand M. (2004), Vers une Église sans prêtres. La crise
Paris, Cerf. du clergé séculier en France (1945‑1978), Rennes, Presses
Laurens S. (2007), « “Pourquoi” et “comment” poser les ques‑ universitaires de Rennes.
tions qui fâchent ? Réflexions sur les dilemmes récurrents que Stuart E. (1993), Chosen. Gay Catholic Priests Tell Their Stories,
posent les entretiens avec des “imposants” », Genèses, no 69, Londres, Geoffrey Chapman.
pp. 112‑127. Suaud C. (1976), « Splendeur et misère d’un petit séminaire »,
Le Talec J.‑Y. (2008), Folles de France, Paris, La Découverte. Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 2, no 4,
Magne‑Pingeon A., Magne‑Pingeon B. & Perret V. (2015), pp. 66‑90, https://doi.org/10.3406/arss.1976.3466.
Amour de Dieu, amour d’une femme : pourquoi choisir ?, Paris, Suaud C. (1978), La Vocation. Conversion et reconversion des

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
Presses de la Renaissance. prêtres ruraux, Paris, Minuit.
Pelletier D. (2005), La Crise catholique. Religions, société, poli‑ Tamagne F. (2013), « Le gay macho en France dans les
tique en France, Paris, Payot. années 1970 », in Sohn A.‑M. (dir.), Une histoire sans les
Portier P. (2012), « Pluralité et unité dans le catholicisme hommes est‑elle possible ?, Lyon, ENS Éditions.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

français », in Béraud C., Gugelot F. & Saint‑Martin I. Tin L.‑G. (2008), L’Invention de la culture hétérosexuelle, Paris,
(dir.), Catholicisme en tensions, Paris, Éditions de l’Ehess, Autrement.
pp. 19‑36. Tricou J. (2016a), « Le prêtre imag(in)é, une émasculation sym‑
Potel J. (1986), Ils se sont mariés... et après ? Essai sur les bolique du clergé catholique dans le cinéma français ? », Genre
prêtres mariés, Paris, L’Harmattan. en séries : cinéma, télévision, médias, no 4, pp. 34-57, http://
Potel J. (1992), « Prêtres séculiers, religieux et homosexua‑ genreenseries.weebly.com/uploads/1/1/4/4/11440046/4._3_
lité », Rapport non publié, mai. tricou.pdf
Rétif S. (2013), Logiques de genre dans l’engagement asso‑ Tricou J. (2016b), « Combat culturel, nouvelle évangélisation ou
ciatif. Carrières et pratiques militantes dans des associations auto‑prosélytisme ? Des prêtres à l’épreuve de La Manif pour
revendicatives, Paris, Dalloz. tous », in Kaoues F. & Laakili M. (dir.), Prosélytismes religieux,
Rochefort F. & Sanna M. E. (2013), Normes religieuses et nouvelles avant‑gardes religieuses, Paris, CNRS Éditions.
genre. Mutations, résistances et reconfiguration, Paris, Turina I. (2012), « Le magistère postconciliaire face au bio‑
Armand Colin. pouvoir », in Béraud C., Gugelot F. & Saint‑Martin I. (dir.),
Scheper‑Hughes N. (2000), « Ire in Ireland », Ethnography, Catholicisme en tensions : lignes de forces, interrogations et
vol. 1, no 1, pp. 117‑140, https://doi.org/10.1177/146613800 changements, Paris, Éditions de l’Ehess.
22230660. Vaissière J.‑L. de la (2013), De Benoît à François, une révolu‑
Schlegel J.‑L. (2013), « Qu’est‑ce que le “lobby gay” du tion tranquille, Magnanville, Le Passeur éditeur.
Vatican ? », Fait‑religieux.com, 20 juin. Wagner R. (1981), Gay Catholic Priests: A Study of Cognitive
Sedgwick E. K. (2008), Épistémologie du placard, traduction and Affective Dissonance, San Francisco, CA, Specific Press.
M. Cervulle, Paris, Éditions Amsterdam. Wolf J. G. (1989), Gay Priests, San Francisco, HarperCollins.

S O C I O L O G I E , 2 0 1 8 , N ° 2 , v o l . 9 , 131-150
11 jui

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France
- © HUMENSIS -
11 juin 2018 05:22 - Sociologie no 2-2018 vol 9 - Collectif - Revue Sociologie - 210 x 297 - page 150 / 234
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Universitaire de Strasbourg - - 130.79.250.250 - 22/09/2018 14h57. © Presses Universitaires de France

S-ar putea să vă placă și