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L'analogie intenable

Author(s): Monique Dixsaut


Reviewed work(s):
Source: Rue Descartes, No. 1/2, Des Grecs (Avril 1991), pp. 93-120
Published by: Presses Universitaires de France
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Accessed: 06/10/2012 20:45

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Dixsaut
Monique
intenable
L'analogie

Le discoursde Platonsurle bien est,depuisl'Antiquité,d'une obscurité


proverbiale.Les commentaires n'ont,c'estle moinsqu'on
néo-platoniciens
puissedire,pas contribué
à éclaircir
leschoses.Obscur,clair: qu'entendons-
nous au juste par là?
Une idéeneuvepeutêtreclaireparcequ'ellenousprésente, simplement
arrangée dansunnouvelordre, desidéesélémentaires que"nouspossédions
déjà.Notreintelligence, netrouvant alorsdansle nouveauquedel'ancien,
se sentenpaysdeconnaissance ; elleestà sonaise,elle« comprend ». Telle
estla clartéquenousdésirons etdontnoussavonstoujours gréà celuiqui
nousTapporte. Il enestuneautre,que noussubissons, etqui ne s'impose
d'ailleursqu'à la longue1...
Certainesidéescommencent donc« parêtreintérieurement obscures; mais
la lumièrequ'elles projettent autourd'elles leurrevientpar réflexion, les
pénètrede plus en plusprofondément ; et ellesontalorsle doublepouvoir
d'éclairerles autreset de s'éclairerelles-mêmes»2.
Jene connaispas de textequi énonce mieuxla différence conféréepar
Platonà l'Idée du bien.Ce n'estpas une idée claire,c'estune idée littéra-
lementéclairante,et qui s'éclairede ce qu'elle éclairepar un mouvement
de réflexion,par le mouvementmême de la réflexion.Telle n'est certes
pas la clartéque nous attendons,que nous avons l'habituded'attendre,
celle qui naît de l'identificationd'une idée à une série de propositions
facilement et
manipulates logiquement articulables.
Or c'està cetteclarté-là
que tendentla plupartdes commentairesrécentsde ce passagedu livre
VI de la République(507 b - 509 d). A les lire,il est difficilede ne pas
penser,pour paraphraser encoreBergson,que science,langage,senscom-
mun,l'intelligence tout entièreest à leur service.Mais commentaussise
défendrede penserque l'intelligence fait,en l'occurrence,œuvrede res-
sentiment?3
94 MONIQUEDIXSAUT

Bergsonétablitsa distinctionentredeux espècesde clartépour établir


la réalitéd'un mode de connaissanceintuitiveà côté de la connaissance
intelligente. L'intentionde Platonà ce momentde la Républiqueestéton-
nammentprochepuisquela finalitéde l'analogieavec le soleil,continuée
parla divisionde la ligne,estprécisément d'affirmerla différence d'unsavoir
et
noétique dialectique à côtéd'une connaissance dianoétique. Or, de nature
rationnelle et relationnelle4,la dianoiane reconnaît, n'accepte ne désire
et
que la clarté des idées claires,qui ne tirentpourtantleurclartéque de ce
qui leséclaire.Encorefaut-il de
êtrecapable le comprendre. Essayerde mon-
trerce que faitle bienimpliquedonc que l'on répondeaussià cetteques-
tion : qui une Idée commecelle du bienpeut-elleéclairer? qui acceptede
ne la réduireni à l'abîmeténébreuxmaisaprèstoutcommodede l'ineffa-
ble, ni à du déjà et du bien connu? La réponse,donnéeà la findu livre
Vu (540 a7-bl), est que la connaissancede cetteIdée est réservéeà ceux
qui exercentphilosophiquement la puissancedialectique.La nécessitéd'en
appeler à eros comme à un mode au moinspossiblede liaisonà la vérité,
d'en appelerà la différence du philosopheet à une différence dans la pen-
sée indiqueque la questiondu bienne relèvepas du champde l'argumen-
tation.
Échappe-t-elle du mêmecoup à celuid'unedéfinition possible? La démar-
che adoptéepar Socrateà cetteétape la Républiquene tend pas, de
de
son propreaveu,à donnerune définition du bienmaisà lui assignerune
fonction.On auraitdonc d'une partune déclarationde principe: l'Idée
du bien est saisissableet définissablepar la dialectiqueseule (ce que ne
cesse de répéterPlaton5) - déclarationindispensablepour justifierla
nécessitédu gouvernement des philosophes,le déferlement de la troisième
et plusgrossevague,le dernierparadoxe; et d'autrepartle faitque Socrate
recourtà une analogieet à des imagesquand il veutexprimerce que lui
sembleêtre le bien.
On a souventinterprété cettemanièrede se déroberdevantl'entreprise
définitionnelle commele signed'uneimpossibilité définitive : l'Idéedu bien
seraitsi « haute» qu'elle repousserait non seulementtoutedéfinition, mais
mêmetoute recherchede définition.L'interprétation a la vie dure ; elle
contreditpourtantles déclarationsexpliciteset réitérées du livreVII. Car
le
pour rappeler une fois encore, Platon ne dit jamais du bien qu'il est
inconnaissable ou indéfinissable, il ditmêmeexpressément toutle contraire6.
S'agirait-il alorsd'un reculprovisoire? La définition, jugéeen droitpossi-
ble,seraitdifférée, et à vraidiredéfinitivement différée, au moinsdans la
République : Platonauraitpromisplusqu'il ne voulaitexotériquement tenir,
et nous voilà repartisdans les doctrinesnon écrites.Il y a peut-êtreune
troisième possibilité,qui passeparune compréhension de l'ensemblesoleil-
L'analogieintenable 95

ligne,lui-mêmeréinsérédansl'ensembleconstituépar les troislivrescen-


traux(V-VII) du dialogue.
L'analogie avec le soleil se donne pour objet de déterminer ce que fait
le bien et commentil le fait,de déterminer sa manièred'être,son hexis
(509 a5)7 : le bien està la manièred'une cause.En étantcaused'un mode
d'êtreessentiel(ousia) et en faisantainsi échappercertainsêtresà la loi
de l'universeldevenir(genesis), le bien estcause d'une manièredifférente
de penser: différente de l'opinion(doxa) et différente de l'argumentation
raisonnée(dianoia).Le bienimpliqueque cettemanièrede penser- inter-
rogeret répondreà l'intérieur du lieuintelligible- méritele nomde science
et constituemêmela seulesciencevéritable.La causalitédu bienestdonc
intégralement paradoxale: elle estrenversement de l'opinion,et principa-
lementde celle qui consisteà identifier êtreet apparence,savoiret opi-
nion,savoiret démarcheargumentative. L'Idée du bien ouvre,en arrière
de toutereprésentation apparemment légitimedu savoir8,une question
dont elle constitueaussi la réponse: celle de la différence du savoirpro-
pre au seul dialecticien-philosophe. En cette différence,Socrate reconnaît
l'action du bien. C'est la raisonpour laquelle à la question: de quelle
méthodefaut-ils'armerpour affronter un texteaussiredoutable? je serais
tentéede répondre: d'aucune.Platonprésentela compréhension de la cau-
salitédu biencommepréalableà toutchoixd'une méthode,d'une bonne
méthode.
Le choixportantsur la manièred'acquériret d'exercerla connaissance
estsuspenduà l'actionde l'Idée du bien,ce qui a pour effetde subordon-
nerla connaissanceen la fondantdansl'Idée du bien. Car la connaissance
n'estpas le bien: la thèseestécartéed'emblée(505 cl-4). Autantdireque
la connaissance n'estni bonneni avantageuse en elle-même etparelle-même,
et mêmepas celle du bien. Mais, à cause du bien,on connaîtdes choses
belleset bonnesà connaître(505 b2-3),et la connaissanceen devientutile.
La connaissancedu bienrenddoncutilesles autresconnaissances : si,indé-
pendamment de l'Idée du bien, «nous avions le savoir le plus accompli
de tout le reste,tu sais bien que rienne nous sera avantageux»(505 a).
U peutcertessemblerutilede connaître l'harmoniepourêtreun bon musi-
cien,ou l'artmédicalpourêtreun médecincompétent. Utileà notreaction,
mais pas avantageuxpour nous. Ce qui signifieque «nous», autrement
ditnos âmes,n'en tireronspas vraimentavantage.Car pourquoifairede
la musiqueou de la médecine?Pour le plaisir?Pour, à n'importequel
prixet dans n'importequellesconditions,préserverla vie? Selon Platon,
ce ne sontpas de bonnesréponses.La conclusiondu Charmideétaitdéjà
que touteconnaissance,de la plus humbleà la plus haute,n'est avanta-
geusequ'à la conditionde posséderle savoirdu bon et du mauvais9.Est
96 MONIQUE DIXSAUT

utilece que Ton faitou possèdeen vue du bien,ce qui supposeque Ton
soit capable de le déterminer.Sans la connaissancedu bien aucune
connaissanceni aucunepossessionde quoi ce soit ne nous seravraiment
avantageuse.Mais il ne suffitpas «d'articulerle nom du bien» pour
comprendrele bien (505 c4).
A s'en tenirà la littéralité de l'analogieavec le soleilet à rapprocherce
textede tous les passagesdu livreVII où sera de nouveaureprisle pro-
blèmede la définition du bien,une chose au moinsestsûre: la question
du bien est inséparablede celle de la dialectique.L'existencemêmede la
connaissancedialectiquesupposeque l'on reconnaisseà l'Idée du bienune
certainefonction.Elle n'est réductibleà celle d'aucuneautreIdée; mais,
en raisonde « l'insuffisance de l'élan», Socratene peutpas la déterminer
directement, il ne peut la montrerqu'analogiquementet métaphorique-
ment.Selonl'analogie,le bienimposeque desdifférences etpour
se fassent,
commencer celle,essentielle,entredeuxmanièresd'être.Différenciant ainsi
le connaissable,le bien est principede distinctiondans la connaissance:
il estprinciped'une multiplicité de différences, ontologiqueset épistémo-
logiques.Découvertespar la miseen analogie,ces distinctions se marque-
rontet s'articuleront lors de la divisionde la ligne.
Il n'y a pas d'énoncédialectiquede la différence propreà la sciencedia-
lectique elle ne se dit que par analogie. langageanalogiqueconstitue
: Le
le seul métalangage capabled'intégrer le langagedu savoiretceluide l'opi-
nion,de lescomparer etde lessituer; il surmonte ainsileurcaractèremutuel-
lementexclusif,le premierlangagen'existantque de sa ruptured'avec le
secondetle secondque de son ignorancedu premier.Mais le discoursana-
logiqueestsous-tendu pardu métaphorique ; soleil,lumière,visionne sont
pas seulement des termes des
présentant rapports analoguesà ceuxqui relient
lestermescorrespondants dansle domainede la connaissance, ce sontaussi
des termesqui ressemblent, et par là les seuls en qui puisse direce que
se
fontles termesqui leur correspondent.

I. ANALOGIE
ETMÉTAPHORE
« Ce que, dansle lieu intelligible, et aux intel-
le bienest à l'intelligence
ligibles,le soleil l'est,dans le lieu visible,à la vision et aux choses visi-
bles.» L'énoncéde 508 c établitune analogieau sensstria et mathématique
d'une égalitéde rapports: A est à B et à C comme a est à b et à c 10.
Mais la formulequi le précèdesemble,en affirmant la continuitéentre
le Soleil et le Bien (entreA et a, donc aussi entreB et b et C et c), venir
brouillerla rigueurde l'analogie: le soleil, «rejeton du bien», est «ce
L'analogie intenable 97

que le bien a engendrécomme son analogon».Dans toute la suite du


textese rencontrera la mêmeinterférence et le mêmechoc de deux voca-
bulaires: celui d'une égalitéde proportions, d'une analogiede fonctions,
et celui d'un engendrement, d'une filiation.V analogonest aussi rejeton
(ekgonon)et image (eikõn)n.Le schemede la filiation,de l'antériorité
du géniteur surl'engendré, traduitune dépendance ontologique(du second
par rapportau premier)et une ressemblancemaximale(entrele filset
le père).
L'interférence peuts'interpréter commeun recoursà la penséemythique:
la métaphoredu père et du filsrestituerait «une unitémythique... à une
réalitéoù visibleet invisible co-existent
(intelligence) », et ce serait« l'impos-
sibilitéde rendreraisonde la naturedu Bien et de son domainepropre
qui nécessiterait]ce mode d'approche» 12.Commençonspar la seconde
affirmation : sur quoi repose-t-elle? Elle constateau moinsune difficulté
réelle: commentpourraitse définirune Idée qui, « par-delàl'essence»,
n'a pas de manièred'êtrepropreet déterminée (ousia)? Une indication
semblepourtantdonnéedès le livreV, où sonténoncéesles conditions
de définitionde toutedunamis: il fautdéterminer ce à quoi s'applique
chaquepuissance et ce qu'elle effectue13.
Si l'Idée (idea) du bien n'estpas
une essencemais une puissance,la détermination de sa manièrepropre
d'agirest aussi la définition de sa manièred'être: le bien est à la manière
d'une cause.De tellesorteque l'écartentredétermination de la fonction
et définition de l'Idée serait,commele ditSocrate(506 e2), liée à un « man-
que d'élan», à une incapacitéde se laisserporteret emporterpar la puis-
sance dialectique.L'identiténe peut apparaîtrequ'une fois la puissance
dialectiquearrivéeà son plein achèvement(telos)- à son achèvementet
non pas à son terme,commele croitGlaucon. Celui-cidemandeen effet
à Socratéd'énoncer« quel estle mode (tropos)de la puissancedialectique,
en combiende formeselle se diviseet quels sontses chemins,car ce sont
eux,il me semble,qui vontmenerdésormaisjusqu'au point où, une fois
arrivé,on trouveraitcommeune cessationet un repos du parcourset le
termedu chemin» ; Socraterépond: « Tu ne seraisplus capablede me sui-
vre...Car ce que tu verrais,ce ne seraitplus l'image(eikona)de ce dont
nous parlons[se. du bien] mais la chose mêmedans sa vérité.» Pas plus
que le bienla dialectiquen'estun objetque l'on pourraittotaliseret poser
devantsoi pour le définirdu dehors.Bien et dialectiquesont deux puis-
sances,et il fautêtreà l'intérieur de l'unepourcomprendre l'autre,et pour
la comprendrecommecause. Le déploiementpleinementaccomplide la
puissancedialectiqueconstituela saisiedu bienen ce sensque la puissance
dialectiqueest l'effetle plus parfaitet le plus «ressemblant»de la puis-
sance du bien.
98 MONIQUE DIXSAUT

Le bien s'appliqueà l'intelligible,c'est-à-direexerceson actiondans le


« lieu>>propre de la dialectique,et il y accomplitdes différences : entre
Formes(eide) donnéesà penseret entrechemins(hodoi) ouvertspar la
pensée donc impossiblesà survoler.L'accomplissementde la puissance
dialectiquepermettra de voirle bien lui-mêmedanssa vérité.Cetteaffir-
mationdu livreVII ne contreditpas l'approcheanalogiqueet métaphori-
que du livreVI. Le refusde l'énoncé définitionnel procèded'une même
intention: fairecomprendrequ'il n'y a pas de compréhensiondu bien
extérieure au déploiement mêmede la puissancedialectique.De l'extérieur,
on ne comprendrapas le biendanssa vérité,on n'en aura que des images.
Telosde la dialectique,le bien lui est nécessairement intérieur,il estdans
le lieu intelligible.
C'est seulementde l'extérieur, en imageet métaphori-
quement,qu'on se le représente commeun principetranscendant, comme
un père. Le registremythique,si mytheil y a, ne sauraitprendreici le
relaisd'une impuissancede la dialectique.Il témoigneque le bien ne se
constitueen problèmeque si l'on resteà l'extérieurde la penséedialecti-
il estce que ce modede penséecomprendd'abordcomme
que : à l'intérieur,
sa cause.
Revenonssurla premièreaffirmation : l'unitéd'«une réalitéoù visible
et intelligibleco-existent » seraitl'unitémêmede la participation vue du
côtédu participant. n'est
Or non seulementla participation pas un mythe,
maiselle constitueau contrairele moyenproprement platoniciend'éva-
cuer une formede pensée dans laquelle l'unique modèle explicatifest
celui de la génération14. Il est vrai cependantque si le bien étaitprin-
cipe d'unité,il ne pourraitl'êtreque mythiquement. C'est pourquoil'ana-
logie ne le présenteque commeun principede différence. La métaphore
de l'engendrement ne vientpas rétablirl'unité mais la continuité.Le
thèmede la filiationn'insistepas sur une identitéd'origine,il signifie
une inégalitéde puissanceque la relationmodèle-image vientencoreaccen-
tuer.
L'associationdes deuxmétaphores - rejeton,image- permetde situer
la puissancela plusgrande,ce qui a d'abordpourconséquencede remettre
à l'endroitla relationparadigmatique. Car selonl'analogiela visionestpara-
digmede la connaissance alorsque la relationesten faitexactement inverse:
«la puissancede voir» n'est qu'une «mimétiquede l'intelligence»,tout
comme« la partiela plus lumineusede l'être» n'est pas le soleil mais le
bien15.L'usage heuristiqueet pédagogiquedu paradigme(l'État pour
l'âme,le pêcheurà la lignepour le sophiste)n'appellepas de rectification
de ce genrepuisquela relationn'engageen ce cas aucuneimplicationonto-
logiqueni aucunerelationd'imageà modèle; aucuneéquivoquen'estalors
possibleentrela signification ontologiquedu paradigme etson usagemétho-
L'analogieintenable 99

dologique.Il n'en va pas de mêmequand il s'agitdu lieuvisibleet du lieu


intelligible: le visibleestutilisécommeparadigme méthodologique de l'intel-
ligible,maisl'intelligibleestson paradigmeontologique.En redressant la
relationimage-modèle du
parassignation père(le bien) et du fils(le soleil),
la métaphorepermetde restituer une continuitédontl'analogie,miseen
relationde termesnécessairement distincts et discontinus, ne peutque faire
abstraction.
L'analogiese construiten effetà partird'une disjonctionexclusive: ou
c'estvu et ce n'estpas conçu,ou c'estconçu et ce n'estpas vu (507 b9-10).
La rigueurde la disjonctionpose la distinction de deuxlieuxet exigeque
chaque terme appartenant à un topostrouvesa traduction dansl'autre,tout
commechaquerelationdécouvertedansun lieu doitavoirson équivalent
dansl'autre.Ce n'estpas toujoursle cas : lorsqueSocrateemploie,parexem-
ple le mêmeverbe,katalampei(éclairer,illuminer)pourdésignerà la fois
l'actiondu soleil et cellede la véritéet de l'être(508 dl et d5), ou encore
le mêmeverbe: ambluôttei(faiblir: 508 c5, d8) pour parlerde la vision
nocturneet de l'opinion,ou enfinlorsqu'ilaffirme (508 d7) que les choses
en devenirsont« mêléesd'obscurité»,il estévidentqu'il n'y a pas traduc-
tiond'un lieu dans un autremaisbien métaphore.En d'autrestermes,la
visionn'offrepas seulementun fonctionnement analogueà celui de la
connaissance, elle estune métaphorede la connaissance.Impossibled'ail-
leursde parlerde la connaissanceautrement que par métaphore,impossi-
bledeprésenter autrement uneactivité si intérieureà sonpropremouvement
qu'ellen'a pas de représentation de soi. Loin doncde venirentamerla cohé-
rencede la démarcheanalogique,les métaphores sontdessignes: ellesindi-
quentque l'analogie stricte
fonctionne nécessairement à perte.Que ce sens
perdupuisse être dialectiquement récupéré, pensé non métaphoriquement,
c'estlà sansdoutetoutle problèmedu Théétète - celuid'unsavoirdu savoir.
Ce n'estpas celui de la République,
La rigueurdes relationsformellesest sans cessedébordéepar la nature
des termes,l'analogiquesans cessesubvertipar le métaphorique. En pre-
mierlieu parce que c'est Socrate(Platon) qui décidequ'il existeun rap-
portet décidede la naturede ce rapport: il dit ce « que lui sembleêtre
le bien» (509 c3). Toute l'analogiereposesur sa «précompréhension» du
bien16- circularité que Ton peut, si l'on y tient,appelerherméneutique,
la compréhension se présupposantelle-mêmeet supportantdes relations
qui, en retour,approfondissent et légitiment la compréhension qui est à
leurprincipe.Ensuite,l'analogiene peutêtreconstruite qu'au prixd'une
séried'abstractions. Si «visible» est,dans d'autrestextesde Platon,une
simplemétonymiepour « sensible», il ne peut en êtreainsidans un texte
où la visionestpriselittéralement et où ce que l'œil voit,ce sontdes cou-
100 MONIQUEDEXSAUT

leurs.Si la disjonctionentreles deuxlieuxétaitautrechose qu'un artifice


méthodologique, il faudrait considérer que Socrateenvoieicipromener toute
la théoriede la participation : l'œil peutà la rigueurvoirdes couleursmais
assurément pas des qualitéstellesque « bon», « juste» ou « égal». Comment
voir,avec ses seuls yeux,« une multiplicité de chosesbonnes» ou même
« belles» ? Les chosesvisiblesne présentent ces qualitésque par participa-
tion,ce sont les Formesintelligibles qui sont causesdes déterminations
du sensible.
En outre,pour appréhender ces qualités,il fautau minimumde l'opi-
nion,la sensationne suffit pas. Le lieuvisibletiresesqualitésde sa relation
au lieuintelligible et la visionelle-mêmene peutvoirdes chosesqualifiées
que parcequ'elle esttoutepénétréed'opinion.C'est ce que va préciserla
divisionde la ligne(opéréeselonle rapportd'imageà modèle)en détermi-
nantle lieu «visible» commelieu de 1'«opinable» (510 a9 : doxaston).La
construction de l'analogieimpliquedonc que l'on fassed'abord abstrac-
tiondu faitque les «choses visibles»(507 cl) ont d'autresqualitéssensi-
bles(ellesfontpartiedestaaistbëta de 507c4) etd'autresqualitésque sensibles
(ellessontaussibelles,bonnes,etc.: 507 b2) ; et ensuitedu faitque ce n'est
pas l'œil qui voit maisl'âme par le moyendes yeux.La métaphorede la
filiationrattrapece que l'analogierisquede faireoublier: la participation
(raisonde toutequalification des chosessensibles)ainsique la partprise
par l'âme à la perception.Elle vientrappelerla dépendanceréellelà où
l'analogiene peutposerqu'indépendance et symétrie, ellerestituela conti-
nuitélà où ne sont admisesque les discontinuités. Elle sertdonc à corri-
ger,en la mettanten évidence,la partde fictionque comportedansce cas
précisla miseen analogie.De sorteque les contaminations flagrantes des
deuxvocabulaires-- métaphorique et analogique- sont moinsà dénon-
cercommemanquements à la rigueurqu'à prendrecommeindicationsdes
limitesde la logique.

ENMOUVEMENT
II. L'ANALOGIE

On pourraitcroirequ'aprèsla masseénormede travauxconsacrésà ces


quelquespagesdu livreVI l'analogiene nous réserve,en elle-même,plus
aucunesurprise. On pourraitle croire,etje le croyaismoi-même. Or, ayant
traduitet plusieursfoiscommentéle passage,il semblerait finalement que
je l'aie troprapidement lu. A ma décharge,je ne suispas la seule.Des trois
images- Soleil, Ligne,Caverne-, celle du Soleil est presquetoujours
considéréecommela plus simple; elle donnelieu à des commentaires qui
dépassent la
rarement et
simpleparaphrase qui sontd'une brièvetéremar-
L'analogieintenable 101

quable si on les compareà la littérature portantsur les deux imagesqui


suivent17.A Pexamen,on peut se demandersi la simplicitéest le faitdu
texteou de ses interprétations, et si son apparenteévidencene vientpas
des suppléments que celles-cijugentbon d'apporterafinde rétablirune
systématicité sans faille.
Vue par Adam, qui ne figureici qu'à titrede modèled'interprétation
classique(etplusattentive que beaucoupd'autres),l'analogiesembleen effet
parfaitement en place18.On aurait:

TÓKOÇ ÓpaXOÇ TÓ7COÇ VOT|TÓÇ

(1) Soleil - Idée du bien


(2) Lumière -Vérité
(3) Objets de vision - Objets de connaissance
(couleurs) (Idées)
(4) Sujetvoyant - Sujet connaissant
(5) Organede la vision - Organe de la connaissance
(œil) (vouç)
(6) Facultéde vision - Facultéde la raison
(oviç) (vouç)
(7) Exercice de la vision - Exercicede la raison
(oi|/iç,ópãv) , (vouç, Le. vofjoiç,yvcooiç,
èTtlOTTÎHT])
(8) Capacitéde voir - Capacité de connaître

La volontéde cohérenceconduità multiplier les distinctions19et à


ajou-
terou retrancher des termes.Elle conduitparailleursAdamà une curieuse
erreur: l'analoguede l'œil (5) ne peut évidemment pas êtrel'intelligence
(nous) car celle-ci
ne peut pas, comme l'œil, exercer sa capacitéparfaite-
mentou faiblement - elle ne peut connaîtreque parfaitement ; en revan-
chel'âmele peutet,quandellese contentede former desopinions(doxazet),
elle «ressemblealorsà une choseprivéed'intelligence» (508 d9). Le texte
ne laisseplanersur ce point aucune ambiguïté:

Chaquefoisqu'ilsregardent des chosesdontlescouleursne sontpluséclai-


réespar la lumièredu jour (...) les yeux(ophtalmoi),tu le sais bien,faiblis-
sent(...) Au contraire, quand ils se tournentversdes chosessur lesquelles
le soleildéversesa lumière(...), ces mêmesyeuxvoientclairement (...) Con-
çois de la mêmefaçonaussice qui relèvede l'âme (psukbe) : quand la vérité
etl'êtredéversent leurlumièresurun objetet que c'estsurlui qu'elleprend
appui(...) il devientalorsévidentqu'ellepossèdeuneintelligence (nous); mais
lorsqu'ellese tourneversce qui est mêlé d'obscurité(...), au rebours,elle
ressembleà une chose dépourvued'intelligence (nous)(508 c4-d6).
102 MONIQUE DDCSAUT

L'intelligence estanaloguedu «voirclairement», de la visionpure(katbara


opsis : 508 c7) ; c'est l'âme est
qui l'analoguede l'œil. Là n'estd'ailleurspas
l'essentiel: le défautle plus gênantd'un schémade ce genreest que l'on
n'y prêteaucuneattention aux blancs,aux décalagessuc-
aux mouvements,
cessifs.

1. Untemps
pourrien(507c8-508c5)
Choisir la vision commeanaloguede la connaissancese justifiepar la
nécessité,dans son cas, d'un troisièmeterme.Sans ce « troisièmegenre»,
la présencede la vision(de la capacitéde voir)dans les yeuxserainutile,
la présencedes couleurs20sera invisible.A ces deux présencesdoit s'en
ajouterune autre.D peutsemblercurieuxque le faitde requérirun troi-
sième termesoit un indice de supériorité.Mais, comme le montrera
l'analysede la thèsedes «mobilistes»dans le Théétète (182 a-b),lorsqu'il
y a simplementrencontred'un organesensorielet d'une qualitésensible,
cetterencontre estforcément contingente, fugitive,
partielle, et il estimpos-
sible de distinguerce qui est agentde ce qui est patientdans une telle
relation.Chacun des termesestrelatifà l'autreet n'estlié provisoirement
qu'à cet autresans jamaisl'êtreà lui-même.Cela n'empêchepas qu'il y
ait liaison ou plutôt,selon le termeemployépar Socrateà propos des
autressens, association(suzeuxis508 al); s'il y a de l'entendreet de
l'entendu,du toucheret du touché,il fautbien que les deux soientreliés
et appropriés l'un à l'autreen quelquefaçon.Maisest-cel'oreillequi entend,
ou le son qui se faitentendre ? Faut-ildirede la mainqu'elle touche,ou
qu'elle esttouchée par qu'elle touche? L'indécisionsurl'actifet le pas-
ce
sifest alorsdu mêmecoup indécisionsurla cause.La supériorité du lien,
du joug (zugon),sur la simpleentréeen association tientà ce que ce lien
extérieuraux termesqu'il lie supprimele problèmede l'assignationde
l'actifet du passif: c'est le lien qui fait(poiei 508 a4) que la vision voit
(horan: actiQet que les visiblessont vus (horômena: passif).De plus,la
lumièredonne en droittout le visibleà voir, le visiblen'est soumis à
aucune autreconditionde successionque celle de la lumièreelle-même.
C'est sa présenceà elle,son intensité à elle qui sontconditionde la vision,
pas l'émission des sons ou des odeurs et pas non plusla subtilitéou l'acuité
de l'organesensoriel.
La supériorité d'un modèlemédiatisésurun modèlede contactconsiste
en ce que la questionde la cause ne se confondplus avec celle de l'agent
et du patientet que la naturede la relationn'estplus facteurde la nature
des termesen présence.C'est la lumièrequi estcause,c'estelle qui,faisant
L'analogieintenable 103

voirce qui peutvoiretrendantvu ce qui estvisible,distribueparlà même


l'actifet le passif21. Pour parlerde la manifestation de l'intelligenceen
l'âme,Platonemploiecependantune métaphoreempruntéeau registre du
contact: l'âme alors«s'appuie sur» un objet éclairépar l'êtreet la vérité,
surun êtrevéritable, un intelligible. Mais la soliditédu pointd'appui,qui
s'oppose aux fluctuations de l'objetpérissableet des opinions(508 d7-9),
découlede l'actionde l'êtreet de la vérité,de leur« lumière» (katalampei:
508 d5). Peu importela relativeincohérencedes métaphores: on ne
s'« appuie» que surce qui est« éclairé». Non paspourvoir,maispourpenser,
connaître,comprendre, bref: pourfairepreuved'intelligence. Le rapport
entrel'intelligence et l'intelligible ne peut se pensersur mode et surle
le
modèleinférieur de Pimmédiateté. Le lienjuguledeuxprésenceset donne
l'une à l'autre.Sans cetteprésenceajoutée,les deuxautresprésenceséqui-
vaudraientà deuxabsences: il n'y a manifestation, doublerévélation, que
a
parce qu'il y médiation.
Pour mettreen évidencela fonctionmédiatrice de ce « troisièmegenre»,
de cette idea qu'est la lumièreincorporelle,Socrateaffirmequ'en son
absenceon verra: rien(ouden).Il n'estnullement question,pour la faculté
de voir,d'un passagede la puissanceà l'acte. Dans l'obscurité,celui qui
possède la visionfaittous ses efforts pour l'utiliser,mais rien ne vient
remplir sa visée ; les choses sont bien là, seulementellesne sontpas vues.
Elles ne sontpas visiblesen puissance,elles sontvisibles,seulementelles
ne sont vues par personne: impossiblesà voir (aorata: 507 e2). De ce
premiermoment,il n'y aura aucun correspondant analogique.Pour en
trouverun, il fautremonterau livreV : « Nous tenonsdonc ceci pour
suffisant... Ce qui est complètement étantest complètementconnaissa-
ble, alors que ce qui n'est en aucune façon est aussi,de quelque façon
que ce soit,complètement inconnaissable » (477 a). La connaissanceporte
donc sur ce qui est; de ce qui n'est pas il ne peut y avoir qu'ignorance
au sensd'absencede connaissance (agnosia: 477 a9; agnoia: 477 bl). Cette
analyse liminaire ne peutpas trouver son équivalentdans le domainede
la connaissance: le non-vu,bien que non vu, peut êtreautrementsensi-
ble (il peut êtretouché,entendu,etc.) et peut continuerà être.Le rien
est rien de vu, pas rien de sensible,ni rien d'étant.Alors que le non-
connaissable, s'il l'estcomplètement et absolument, estcomplètement non
étant22. S'agissant de la vision, le visible peut soit n'être absolumentpas
vu, soit êtrevu clairement. S'agissantde la connaissance,le connaissable
ne peutpas n'êtreabsolumentpas connu,car en ce cas il ne seraitabsolu-
mentrien: non seulementinconnaissablemaisindicible,imprononçable.
Il y a nécessairement dissymétrie entreune choseinvisible,qui resteune
chose sensible,donc une chose,et un objet totalement inconnaissable
qui
104 MONIQUEDDCSAUT

n'est pas un objet du tout mais un complètement non-étant.Pour la


construction de l'analogie,on a donc affaire à un tempspour rien.L'alter-
nativeradicalemiseen place en 508 a3 : voirou voirrien,n'a pas d'appli-
cation.
A quoi sertalorsce momentde l'analyse? Il sertévidemmentà rendre
manifeste la nécessitédu troisièmeterme,puisà l'identifier, enfinà déter-
minerson action. Il sertsurtoutà montrerque ce qui faitvoir n'est
pas vu. En effet,si on faitattentionà la résistanceprêtéepar Platon
à Glaucon, on remarqueque ce derniersait,ou croit savoir,ce qu'est
la lumière,et que bien sûril en connaîtle nom; seulement,il n'a jamais
réfléchià ce qu'elle fait.Le plus évidentlui échappe,qui est la source
de toute évidence,de toute manifestation du visible.La conditionde
la visionéchappe à la vision,mêmepure: ce qui donne à voir ne peut
pas êtrevu, il fauty réfléchir (ennoein)2'La lumièren'est ni une pro-
priété de la vision ni une propriétédes couleurs,elle estce joug invisible
qui donne à voir et rend voyant24.Ce joug, Socratele nomme idea :
l'espècede «chose» qu'est la lumièrefaitpartiedes choses qui ne sont
pas vuesmaisconçues.Grâce à la présencede cetteidea qu'est la lumière,
le lieu visiblese transcendepour ainsi dire lui-même.Dans sa liaison
nécessaireà l'invisible,le visibleconstituecommel'autodépassement du
simplementsensible.
Uidea de la lumièrese confondavec sa fonctionet, si on ne réfléchit
pas, cettefonctionpeut resterinaperçue.En revanche,le rapportde la
lumièreavecson «maître»,le soleil,estperceptivement et mythologique-
-
mentévident et Glaucon retournela politesseà Socrate: « Qu'est-ce
que tu appelles,toi... -Juste ce que toi aussitu appelles...»(507 e4; 508
a7). Le soleilest responsable(aitiasasthai, aitios)de la vision,responsable
de la conditionqui permetla visionpure et parfaite, mais il est évidem-
mentimpossiblede l'identifier avec «ce par quoi nous voyons» (avec
l'organe) ou avec la visionelle-même. Tant qu'il parle de la vision,Socrate
insistesurle faitque l'œil et la visionsontce qu'on peuttrouverde plus
ressemblant avecle soleil; leurpuissanceleurvientdu soleilet estde même
natureque la sienne: ils la tiennentde lui (ek toutou).Est donc « soleilli-
forme»ce qui tientsa puissancedu soleil. Quand le rapportest traduit
en termesde connaissance,l'accentest mis au contrairesur la différence
de « hauteur», sur la transcendance et la supériorité du bien : le bien sur-
passe la science laet vérité.Lors de cette reprise, l'oeil n'est plus men-
«
tionné,la lumièrevientremplacerl'œil : on a raisonde penserque la
lumièreet la visionsont"soleillif ormes"» (hëlioeidë:509 al-2). Pourquoi
n'est-ilplus alors questionde l'œil? Précisément parceque l'analoguede
l'œil, c'est l'âme.
L'analogieintenable 105

Socratese refuseà dire que touteâme, simplementen tantqu'elle est


une âme,présentenécessairement une formeapparentéeà celle du bien
et qu'elle dérivesa puissancedu bien. C'est mêmelà une des difficultés
principalesdu platonisme,que Plotin résoudrade la manièrequ'on sait.
Mais il n'y a pas pour Platond'appartenancede l'âme au Principedont
elle émane,au Père qui l'a engendrée. Il n'y a pas de destinationde l'âme
en tantque telle (en cela consistele nerfde la réfutation de la théorie
de l'âme harmonie25). Il existedes âmes bonnes et des âmes mauvaises,
et mêmedes âmesradicalement mauvaises,incurables.La différence natu-
relleexistantentreles âmesfaitqu'il n'estpas possibleà touteâme d'aller
jusqu'au termede la paideia,bienque touteâme possèdeune intelligence.
On seraittentéd'ajouter«en puissance»,maislà encorece seraitinexact:
l'intelligence peutêtreplus ou moinsaiguë,et mêmesi elle est«perçante»
elle peuts'exercersur les objetsqu'il ne fautpas26.Ce qui manquealors,
ce n'est pas l'acte de discernement propreà l'intelligence(l'intelligence
entenduecommecapacité),c'estl'intelligence commedésird'atteindrece
que chaque être est véritablement : non pas une aptitudeintellectuelle,
maisune orientation ontologiquede cetteaptitude.Tout œil,s'il estvrai-
mentun œil, est capable de voir clairementà la lumièredu soleil; alors
que pour êtrecapable d'intelligence, l'âme doit d'abord désirer«sortir»,
aller vers la «lumière» de Tètrevéritable.L'âme devientagathoeidëssi,
affirmant ainsi la présencedu bien, elle est capable de science.Là donc
où on avait:
Soleil - œil et visionsoleilliformes (507 b)
on a :
Soleil •- lumièreet visionsoleilliformes (509 a)
pour avoir analogiquement :
Bien - • véritéet scienceboniformes
et non pas :
Bien - âme et scienceboniformes.
Ainsi décalée,l'analogieestrecevable: la scienceest à la visionpure ce
que la véritéestà la lumière,et chacunetientsa formeet sa puissancede
son principe.

2. La construction
de l'analogie
(508 c-509a9)
Au lieu d'abolirla dynamiquedu texteen passantsous silencedes déni-
vellationsde ce genre,au lieu d'essayerde remplirles blancs,de « redres-
ser» les structures
dissymétriques et de décroiserles chiasmes,mieuxvaut
- car il y a fortà parier
que ce soientlà les indicesles plus éclairants-
106 MONIQUE DIXSAUT

les repérerd'abordet tenterde les expliquer.Si Ton ne cherchepas à mas-


quer les dysfonctionnements du texte,on obtientà peu près le schéma
suivant:

TÓ7COÇ ÓpaiOÇ TÓ71OÇ VOT1TÓÇ

(1) Le Soleil (1) - Véritéet être(508 d5)


Vérité(508 el, 4, 5)
(2) jusqu'en 507 e5 : X? -
(2) jusqu'en 508 e3 : X?
à partirde là : la lumière à partirde là : le bien
(3) Objets visibles -
(3) Objets connaissables
(couleurs) ( )
(4) Ce par quoi on voit (4) - Ce par quoi on connaît
(œil) (âme)
(5) Vision (opsis) (5) - Intelligence(nous)
si l'œil vise ses objets si l'âme s'appuie
* sousdeslueursnocturnes * sur des étantsvéritables
¿dors: c'estcommesi la vision alors: l'intelligenceest
n'étaitpas présente manifestement possédée
(en l'œil) (par l'âme)
* à la lumièrediurne * surdes
objetsen devenir
alors: la vision est alors: l'intelligencesemble
manifestement présente ne pas êtrepossédée
(en l'œil) (par l'âme)
(6) Pouvoirde la vision (6) - Pouvoir de l'âme
* voir * concevoir connaître
(boran) clairement (noein),
= visionpure = science,connaissance
* voir faiblement *
opiner(doxazein)
» quasi-aveuglement = opinion

• La dissymétrie initiale
Jusqu'en 507 e3 s'élaboreune définition, un logosdonton ne tientpas
encorele nom («lumière»).Jusqu'en508 e2-3,on construit des rapports
(logoî) correspondant à la manièred'être du bien. Dans le lieu visible,
c'est la présenceet l'actionde la lumière(2) qu'il fautfairedécouvriren
en faisantreconnaître les effets;la liaisonau soleil(1) va de soi puisqu'on
le voit rayonner.Dans le lieu intelligible, les effetsà reconnaître ne sont
pas ceux de la véritémais ceux du bien. Il est manifeste que la connais-
sance estliée à la vérité;c'est l'actiondu bien qui doit se découvrir,son
type de liaison à l'être et à la vérité.Dans le premiercas, on tientles
termesextrêmes(œil, couleurs),et on montrel'actiond'un termemédia-
L'analogieintenable 107

teur(la lumière); dansle second,on tientles termesdérivés(êtreet vérité,


science),et on montrequ'ils dépendentde l'actiond'un termepremier.
Dans un cas, on établitl'existenced'un lien unissantla vision aux visi-
bles; que ce lien «émane» du soleil ne faitpas question;dans l'autre,le
lien est donné. Car il n'y a sens à parlerd'objets de connaissanceque
si ces objets existentet si cetteconnaissanceest une vraieconnaissance,
donc une connaissancevraie.Mais c'est la dépendanceau bien de la con-
naissancetoutentière- sujetconnaissant et objetsconnus- qu'il importe
de penser.
Depuis les livresV et VI il est acquis que la connaissanceatteintl'être
de ce qu'elle connaît27. Il fautà présentcomprendreque cet êtrevérita-
ble dépendd'un termeplus haut. Que ce termeait pour nom «le bien»
ne peut donnerlieu à justification, puisquec'est de ce nom que Socrate
étaitpartiet que l'ensemblede l'analogiea pour butde déterminer quelle
fonctionrecouvrece nom.Cela ressortde la formulede l'analogiestricte,
qui peut se formulerainsi:
II y a un lieu visible
parce qu'il y a le soleil
qui éclaire
donnantà voir des chosespleinementvisibles
et permettant l'exerciceparfaitde la vision.
De la mêmefaçon,
II y a un lieu intelligible
parce qu'il y a le bien
qui (fait?)
donnantà penserdes objetspleinementintelligibles
et permettant l'exerciceparfaitde l'intelligence.
Le soleil est cause à la foisde la visibilitédu lieu où il règne,et il est
cause dans le lieu visible.Mais que faitVideadu bien pour qu'on puisse
la dire à la foiscause du lieu intelligible
et cause dans le lieu intelligible
?
Le soleilpeutêtreditcauseparcequ'il éclaire.On voitce qui resteà déter-
miner,ce qui manque: que faitle bien,commentl'Idée du bien est-elle
cause? Glauconne comprendpas et cela mériteen effet explication; il faut
développerl'analogie.
• L'alternativerestreinte
Ce développement n'estpossiblequ'à la conditionde restreindrel'alter-
nativede départ.On ne peut en effetcomprendrel'actiondu bien si on
s'en tientà l'alternativeradicale: voirou voirrien,doncpenserou penser
rien,c'est-à-direne pas penserdu tout.L'absencetotalede lumièren'entraîne
que l'absenced'objetsvisiblesetl'absencede vision.L'absencedu bienentrai-
108 MONIQUEDIXSAUT

neraitnon seulement l'absencede connaissance maisl'absencede toutobjet


ou sensible.L'alternativepermettant
saisissable,intelligible de construire
l'analogiese limiteradonc à l'alternativeentre
voir clairement,exercerune
visionpure,etvoirfaiblement, êtrequasiaveugle.La seulealternative trans-
posableanalogiquement dansle lieu du connaissableestdonc : voirclaire-
mentou ne presquerienvoir,donc connaîtrepurementou ne presquepas
connaître. La privationtotaleestremplacéedanslesdeuxlieuxparun degré
intermédiaire, que Socrate,lorsde son analysede l'opinion et de l'opina-
ble dans le livreV, appelaitun metaxu(478 d2-479dlO). On a déjà là un
indicede ce que faitl'Idée du bien,et ce n'estpas tout à faitanalogueà
ce que faitla lumière.La lumièrepeuten effetnous fairesortirde la nuit
noireet sesvariationsd'intensité déterminent des variationsde clartédans
la vision.L'Idée du biennousfaitsortirnonpas de l'ignorancetotale,mais
de l'opinion.Elle ne nous faitpas passerd'un riende penséeà une pensée
pure,maisd'un «faiblement»connaîtreà un penserparfaitement. Le bien
ne faitpas sortirdu néantou de l'absolueignorance- cellequi ne se sau-
raitmêmepas elle-mêmecommetelle- mais de l'opinion; et peut-être
surtoutde l'opinion que nous avons sur l'opinion,de notrecroyanceà
Pidentitéde l'opinionvraieetdu savoiret de notrecertitudeque les objets
d'opinion sont les seuls objetsréelset connaissables.
On peut admettreque le lieu visiblepuisseinclure,selon les moments,
et le non-vuet le presqueinvisible.Il està coup sûrimpossibleque le lieu
intelligible ; maiscommentmême
(noëtos)puisseinclurede l'inintelligible
admettreque puisses'y intégrerdu «presquepas» intelligible?

• Le termemanquant
Socratene précisepas le nomde l'analoguedescouleurs: aux chosesvues
correspondent les chosesconnuesmaisrien,apparemment, ne correspond
aux couleurs.Bref,à ce moment de l'analogie, Socrate ne nomme pas les
Formes.Après507 blO,il ne prononceraplusle termeidea que deuxfois:
la premièreà proposde la lumière,la secondeen parlantdu bien.Il a ses
raisons.L'analogiene peutse soutenirjusqu'au bout : la lumièredu soleil
confèreaux couleursleurvisibilité,leurcapacitéd'êtrevues(507 e6-7); mais
il estimpossibleque Platondiseque la vérité,ou mêmeque l'Idée du bien
confèreaux Formesleur intelligibilité. Car si les couleursont pour pro-
priété d'êtrevisiblesmais peuvent néanmoins êtreprésentessansêtrevues,
les Formesn'ontpas pourpropriété d'êtreintelligibles : ce sontdes intelli-
gibles{noeta)et ellesne deviennent pas intelligiblesselon que la véritéles
éclaireou non. Mais elles peuventêtreou non connuespar nous. C'est
pourquoi,si,en 509 b6,l'analoguede la puissanced'êtrevu estle faitd'être
etsi leschosesen tantqu'ellessontpenséesou connues
connu(gigriõskesthai),
L'analogieintenable 109

{ta nooumena,tagignoskomena) sontanaloguesauxchosesvues(boromena),


il n'y a pas d'équivalentdes chosesvisibles{borato).La parenthèse doitres-
tervide: elle ne peut pas comprendreles noeta.Le lieu visibleest aussi
celuidu devenir: riend'impossible,par conséquent,à ce que les couleurs
deviennentvisiblesou obscurémentvisiblesou mêmetotalementinvisi-
bles au gréde la successionlumièrediurne,lueursnocturnes,obscurité.
Mais les Formes,elles,ne peuventpas devenirintelligibles, ou presquepas
,intelligibles,ou encorerester totalement selonla plusou moins
inintelligibles
grandeintensitéde Yatêtbeia. Dans le lieu de la connaissance, les différen-
ces d'êtreet de véritén'affectent pas les mêmes objetspuisqueles Formes
ne peuventpas passerpar des degrésd'intelligibilité. Elles ne peuventpas
devenirintelligibles, ellesle sontparnatureet toujours.Les objetsde l'opi-
nionne sontpas desFormesmoinsintelligibles, ce ne sontpas desFormes
du tout: «Est-ceque ce seraune mêmechose,ce qui estobjet de connais-
sance et ce qui est objet d'opinion? - C'est impossible»(V 478 alO-12).
Les objetsen devenir,toutce qui dansla Lignerecevrale nom d'opinable,
toutcela n'estpas objetpour l'intelligence {noêton).La différence de visi-
bilitéestune différence de degré,qui affecte les mêmesobjets; la différence
d'intelligibilitérenvoieà deuxespècesd'objetsontologiquement différents.
L'analogierencontre ici sa limite: il estimpossiblede maintenir rigoureu-
sementle parallèleentrece qui est de l'ordrede la genesiset ce qui estde
l'ordrede Yousia.Impossibleégalementde le maintenir entrece qui relève
du corps et ce qui relèvede l'âme. '

• Le chiasme
Avec le leverdu soleil,la visionpasse de l'obscurau clair,de la quasi-
privationà la perfection de son exercice.Quand l'âmes'appuiesurun être
véritable, elle est manifestement douée d'une intelligence qu'elle semble
perdrelorsqu'elles'attacheà «ce qui naîtet périt».Dans le premiercas,
le mouvementva de l'obscur au clair,de la quasi-absencede la vision à
sa présence; dans le second,il va du stableau changeant, de la possession
manifeste de l'intelligenceà l'apparencede sa privation(l'opinion). C'est
sans doute que, lorsqu'ils'agitde voir,l'œil n'a pas le choix : il ne peut
qu'attendreque le soleilbrille.L'œil estsous la dépendancedes variations
lumineuses,en naturecommeen intensité.En revanche,c'est bien l'âme
qui choisitde se tournervers« ce qui estéclairéparla véritéet par l'être»
ou au contrairevers« ce qui estmêléd'obscurité». Le manquede visibilité
des couleursne doitpas êtreinterprété commeune déficiencede l'organe
(l'œil) ou comme une privationpartielleet momentanéede la puissance
de voir; il estla conséquenced'unedéficience de lumière.Appliquéà l'âme,
le mêmeraisonnement le
impliqueraitque manqued'intelligibilité de ses
110 MONIQUEDIXSAUT

objetsne doit s'interpréter ni commela conséquenced'une déficiencede


l'organe de connaissance (l'âme), ni comme une privationpartielleet
momentanée ; conséquenced'unedéficience
d'intelligence d'êtreetde vérité,
ce défautd'intelligibilitérelèverait nonpas d'une déficience psychiquemais
d'une déficienceontologique.
Il est clairqu'il ne peut en êtreainsi: l'êtreet la vériténe fontpas, en
soi, défaut.C'est mêmecela que faitle bien,c'est de cela qu'il est cause:
il procureaux chosesconnuesune doubleprésence.Sous l'effet(hupo)du
bien (509 b7), l'êtreconnu est le mode de présence(pareinai)qui appar-
tientau connu en tantque tel - l'êtreconnuet non pas l'êtrevu, perçu
ou opiné.Lui appartiennent en plus(proseinai) l'êtreetl'essence,l'êtrepré-
sentsurle modede Yousiaet non pas l'êtreen devenir.Il y a un lieuvisible
quand le soleil dispensesa lumière; il y a un lieu connaissableparceque
le biendispensecettedoubleprésenceet,en tantqu idea,la dispensetou-
jours.Mais certainesâmes sont impuissantes à se tournerverselle. En ce
qui concerne la connaissance, la déficience est jetne peut êtreque psychi-
que ; elle tientà la natureet à l'orientationde l'âme (à son mode de désir)
car les intelligibles, eux, sont toujourséclairéspar l'êtreet par la vérité;
il suffit de se tournerverseux pouren saisirla présenceet pour qu'un exa-
mendialectiqueen soitpossible.Dans le lieudu connaissable, toutdépend
de l'âme et la paideia,telleque va la présenterl'allégoriede la Caverne,
aurajustementpourfonctiond'opérerla conversionet de veillerà ce que
la viséerestedroite.On a affaireici au mouvementstrictement inverse:
l'accentn'estpas missurl'éducationmaissurla possessionparl'âme d'une
puissance,celle de l'intelligence. Si c'est la présencede la lumièrequi ris-
que de resterinaperçuecommeconditionde la vision,c'est inversement
la quasi-absencede l'êtrevéritable(avec son corollaire: la quasi-privation
d'intelligence) qui risquede resterinaperçuepar l'âme. L'obscuritérévèle
la lumièrecommeconditionnécessaire de la vision,maisc'estla « lumière»
de l'êtrequi révèle«l'obscurité»de l'opinion.L'êtrevéritablene manque
qu'à quelques-uns,n'est désiréque par quelques-unset non par tous,et
ce désirest la puissancedialectiqueelle-mêmequi seradéfiniedans le Phi-
lebe(59 d) comme«puissancede désirerle vrai».

• Le termeen plus
La consciencede ce manquefaitque l'âmese détournedeschosesen deve-
nir.Cetteconsciencese manifeste sous la formed'une question: qu'est-ce
que (ti estin)? Il dépendde l'âme d'opérercetteliaisonentrela véritéet
la questionportantsur l'êtrede la chose,entreatëtheiaet on. Il ne tient
qu'à elle de comprendre que demanderce qu'est une choseX ne se réduit
ni à demanderce qui estX - possèdela propriétéd'êtreX - ni à s'inter-
L'analogieintenable 111

rogersurce que signifiele terme«X». Questionnerce qu'est X, c'est se


demanderce qu'il en estde X en tantqu'il estvraiment, qu'il estsoi-même
{autokath'auto), toujoursmêmeque lui-même et différentde toussesautres.
Il appartient donc à l'âme de déterminer la question« qu'est-ceque X ?»
commeportantsur Yousiade X.
Quand on donne de l'analogieun résumésimplifié,la véritéfigureet
figureseulecommeanaloguede la lumière.En 508 d5,Socratementionne
pourtantdeux termes: l'êtreet la lumière.Mais l'êtredisparaîtà partir
de 508 el. Il estcertainqu'il y a là une difficulté : toutau long des livres
V et VI, l'êtresemblaitêtrel'objet et non pas la conditionde la connais-
sance28.On devraitdonc le retrouverau rangdes chosesconnaissables,
analoguesdes couleurset des chosesvisibles,et non à celui de la vérité,
analoguede la lumière.En outre,si la lumièrepermetau visibled'êtrevu,
l'êtreetla véritépermettent au connaissable d'êtreconnu: aurait-on là deux
pourun, ou encore une condition prise sous son : la
aspect«subjectif» vérité,
et son aspect«objectif»: l'être?Il sembleplutôtque chaque termesoit
ici l'indicede l'autre.L'êtreindiquede quellevéritéil s'agitet qu'elle n'est
pas predicative ou propositionnelle, maisbienontologique.La véritéindi-
que en retour quel mode d'être peut êtreometpour la connaissance: le
« vraiment étant». La véritéetl'être- chaquetermeconstituant pourl'autre
une détermination interne- fontmétaphoriquement ce que faitle soleil :
ils éclairent. La métaphore unissantlumière,véritéet êtreserareprisedans
le livreVII, en 521 c6-8(à la conditionde donnerune traduction correcte
du passage): « Une conversionde l'âme d'une espècede jour nocturneau
jour véritablequi estcelui de l'être,c'est cettemontéeque nous affirme-
ronsêtrela vraiephilosophie.»L'êtrequi vient«éclairer»le connaissable
doitêtreen vérité, unetelleactionne peutpas venirde l'espèced'êtreimma-
nentaux chosesvisibles,immédiatement apparent.Mais le faitd'êtrevéri-
tablement étantvientau connaissable parle bien.Non quele bien« attribue »
sa consistanceet sa permanenceau connaissablemaisparcequ'il « contri-
bue» par sa présenceà rendrele connaissableprésent29. Cet être-làest
pris, comme son la
analogue lumière, du côté de la puissance,non du côté
de la détermination essentielle. Le véritablement étantestà la manièred'une
condition, il n'estpas commelesétants- les Formes- objetde définition
et causedes déterminations des chosessensibles.Condition,maisnon pas
propriété commune : le faitd'être véritablement et essentiellement présent
n'estpas un caractèregénériquedes Formesauquel chacuneparticiperait
et que chacunespécifierait en étantla Formequ'elle est.Toute Formeest
viséeet saisiepar le sujetconnaissantsous la condition(« à la lumière»)
de l'être(io ori)etde la vérité; la présencede la Formeestcellede l'essence:
ousiaest le nom proprede ce qui résultede cetteconjugaisonde l'êtreet
112 MONIQUEDIXSAUT

la vérité.L'indicationune foisdonnée,la véritépeut êtrenomméeseule,


elle impliquedésormaissa liaisonà Tetre.

• Dissymétriefinale
Dans l'analysede la vision,l'accentétaitmissurla lumière; le soleiln'y
étaitditfaireque ce qu'ellefait,il n'étaitprisque commesourcelumineuse.
Lors de l'analogiedéveloppée,l'accentest mis au contrairesur l'Idée du
bien; du mêmecoup, toutel'analogieremonted'un cran: c'est l'Idée du
bienqui procurela véritéaux objetsconnuset sa puissanceau sujetcon-
naissant(508 e 1-2).Analogiquement, la fonctionqui consisteà rendrevisi-
ble et voyant,dévolued'abord à la lumière(507 e6-7),revientà présent
au soleil(508 d1-2).L'Idée du bienestautre,et autreen ce qu'elle surpasse
et dépasse30. A quoi tientce privilègeaccordéà l'Idée du bien? J'ai déjà
ditailleurs31que l'indicationla plusimportante se trouvait,selon moi,en
505 d : « Pour les chosesbonnes,personnene se contenterad'en posséder
les apparencesmaischacuncherchecellesqui le sontréellement, et surce
»
pointn'accordeplusaucunevaleurà l'opinion. Le bienimpose une dou-
ble différence : entrel'êtreet l'apparenceet entrele savoiret l'opinion.
En l'absencede cettedoubledifférence - cellemêmede Vatëtheia - , l'opi-
nionetl'apparencepourraient suffire, chacunpourraits'en contenter. Mais
tous désirentle bien,sa réalité,non son apparence.Or, si le bien est une
Idée,on doitêtreintelligent et se servirde l'intelligence pour la connaître
etla définir.Il estimpossiblede faireà moins,et il estimpossibleque quoi
que ce soit suffiseà moins.En tantqu'elle est révélatrice de cettedouble
différence parcequ'elle l'exige,l'Idée du bienn'est ni science ni ousia.Elle
ne se confondpas avec le savoir,puisquetoutsavoirsupposesa différence
d'avecl'opinionetque le bienestau principede cettedifférence. Elle n'est
pas ousiaparceque l'Idée du bien n'est pas cause à la façon dont les autres
Idées sont causes,en étantparticipées.

CAUSES
III. DESDIFFÉRENTES D'UNEDIFFÉRENCE
À LACAUSE

L'ensembledu textepeuten effet se lirecommeune réflexion surla cause.


Tout d'abord,le «par quoi» entenduau sensinstrumental32 n'estpas vrai-
mentcause : la possessionde la vue n'est pas cause véritable,c'est-à-dire
conditionsuffisante de la vision.Il fautque la lumièrefassequelquechose:
elle fait(poiei: 508 a5) que la visionvoit. Elle «fait» : c'est un agent.La
lumièreestun agentqui à la foisdonnede la puissanceet la révèle.Mais
elleresteextérieure et la vérité
à ce qu'elle relie: il n'y a pas participation,
n'estpas dans les chosescommela grandeurest « en nous». Le soleildoit
L'analogieintenable 113

êtretenupour responsable(aitios)de cettepuissancede la lumièreet des


puissancesque cettedernière communique.Le proprede Yaitiosestde trans-
mettreune parentéde forme{eidos)et de révélerdeuxpuissancesqui déri-
ventde lui(ektoutou: 507b6).Enfin,le soleilestnonseulement responsable
de la lumière,de la visibilitéet de la visionpure,mais il contribue(pare-
khei: 509 b3) à la genesis toutentière.Quand Socrateen arriveà l'Idée du
bien (508 e3), il ne se contenteplus de dire qu'elle est «responsable»,il
ditqu'elle estcause(aitia).Le biennon plusn'estpas cause à la façond'une
Forme,il n'estpas « ce par quoi les bonneschosessont bonnes», il estce
dont dérivela conditionde la connaissanceet il est ainsi la garantieque
l'intelligence n'estpas une viséevide. Dans l'Idée du bien n'estcontenue
que cette puissance-là. Il a la puissancede révélerla puissancedu sujet
connaissant (508e2) : sa possessiond'uneintelligence (508 d6),etcelled'arra-
cherles chosesconnuesau devenirincessanten les rendantprésentessur
le modedu « véritablement étant». En son absence,toutne seraitque défilé
de simulacres.Connaîtrel'Idée du bien,c'est comprendreque lorsqu'on
articulece terme: bien,c'estcettepuissancequ'il convientd'entendre. Elle
rendévidentela différence de l'intelligence et la différence propre à l'intel-
ligible.Or, de mêmeque le soleil ne peut êtrevu que par la visionqu'il
rendpossible(508 blO),de mêmele bienne peutêtreconçu etcomprisque
parl'intelligence qu'il rendpossibleen l'exigeant: parle savoirdialectique.
Le renversement est,à coup sûr,scandaleux33 : ce qui est l'objetdu désir
de tous,l'universelobjetde recherche, se trouveréservéaux seulsphiloso-
phes.Au coursde sa définition de la naturedu philosophe,Socrateinter-
roge ainsiGlaucon : lorsque « celui qui aimeà apprendre » saisit,parla partie
de l'âme qui convient- et «elle convientparcequ'elle est apparentée»
- l'êtreréellement étant,« alorsil engendreintelligence etvérité,il connaît
et il vitvéritablement, il se nourrit,et ainsicessentpour lui les douleurs
de l'enfantement » (VI 490 a8-b7).Le thèmed'un engendrement de l'intel-
ligence et de la vérité est appliqué à l'âme du philosophe avant de l'être
au bien.La partiede l'âme qui est apparentéeà l'essencede chaquechose
ne peutêtreque l'intelligence. L'intelligence, désirde ce qui estvraiment,
engendrel'intelligence commeconnaissance,le désirde véritéengendrela
vérité,et,une foisengendrées, l'intelligence et la véritérassasientl'âme et
suffisent à la nourrirvraiment.La suffisance est la marquedu bien,rien
ne peut mettrefinau manqueet au désirque ce qui est réellementbon.
Il suffitde rapprocherces deux textes- et le rapprochement n'estpas
arbitraire, puisque la réflexion sur le bien est amenée par la définition du
philosophe et la du des
légitimation gouvernement philosophes pour -
comprendreque la conceptionque Platon a du bien est inséparablede sa
conceptiondu philosopheet de la sciencequi lui est propre.L'analogie
114 MONIQUEDIXSAUT

s'annonceen faitdèslespremières lignesdu livreVI (484 c3-4): faut-ilpren-


drecommegardien« un aveugleou celuiqui a unevueperçante » ? Les « aveu-
gles» sontceux qui sontprivésde la connaissancede ce qu'est réellement
chaque chose; ont une vue perçanteau contraireceux à qui se manifeste
Yousia(485 b2-3).Seulslesphilosophessaventque le bienn'estni réducti-
bleà uneautreFormeniunprédicatapplicableà desactionsou à desagents:
le bienestcause.Désirerle bien,pour l'intelligence, c'ests'engendrer elle-
mêmedans sa différence et engendrer les conditionsde son exercice.Une
différence,cela ne relèvepas d'une cause efficiente ou mêmefinale.Cela
n'existeque d'êtresaisiou compris.Ce n'estcomprisque si on désirecom-
prendre,et comprendre une différence, c'esten mêmetempsl'engendrer.
être
Désirer,engendrer, apparenté, se : on nagedansles métapho-
rassasier
res. Tout cela doit pouvoirse dire autrement. Le problème,c'est qu'en
disantautrement, on diratoutautrechose.Ergo,ce ne sontpas là des méta-
phores, ce sont les seulstermespropresà direce qu'ils veulentdire.

Comme le remarquejustement EbertM,l'analogiene s'achèvesuraucun


accordentreSocrateet Glaucon,elle ne débouchemêmepas surune apo-
rie reconnueen commun.Il n'y a pas ¿'homologíapossible,pas de jonc-
tionentrela compréhension philosophiquedu biencommeIdée et comme
cause d'un savoirdifférent, donc d'une vie différente, et la recherchede
chosesqu'on pourraitou qu'il faudraittenirpourbonnes.Il n'y a effecti-
vementpas, chez Platon,d'équivocitédu bien.Non pas en ce qu'il serait
communà tous, le mêmepour tous, mais parce que ce qu'il convient
d'entendresous ce nom ne peut êtrecomprisque par certains,étantce
dontla pensée tiresa puissance.Visé par touteactionpubliqueet privée,
partouteproduction,partoutetechnique,partoutevie aussi,il està coup
sûr,selon Platon,manquépar la plupart.Le bienne peut répondrequ'à
unequestionposéeparla pensée,dialectiquement posée: c'estce que signifie
qu'il est le «terme» (telos)de la sciencedialectique.Le bien,et non pas
la vérité: la recherchede la seulevéritépourraitêtreaussibien le propre
de l'opinion- c'estprécisément pour cetteraisonque l'opinionpeutêtre
vraie,ou fausse; c'està coup sûrceluide la penséediscursive, dianoétique,
hypothétique. Mais la question du bien n'est pas seulement "poséepar la
pensée, elle est, dans la la
pensée, question du sens qu'il peut y avoir à
désirerpenseret à penser.Là résideen partie,me semble-t-il, la raisondu
sentimentd'obscuritééprouvéface à ce texte de Platon : le principene
nous semblepas fonctionner commedevraitle faireun principe.Lorsque
la penséechercheà fonderet à légitimertoutce qui est,elle ne peutque
poser,en se transcendant elle-même,le termepremiersur quoi reposent
et d'où dériventtout l'êtreet toutela connaissance.Une positionde cette
L'analogieintenable 115

sortepeutcertesêtrecritiquéemaiselle est généralement entendue: tout


a
philosophe toujoursprocédéainsi, saufà et
affirmer, précisément en ce
sens,que Dieu est mort.La difficulté vientplutôtde ce que Ton a tou-
joursvouluvoirdans le biende Platonun termede ce genre,sans arriver
à l'y assimilertoutà fait.Pour y arriver, il fauten effetsubstituer au bien,
à l'Idée du bien,un Un-Bien,ou un Dieu-Bien,brefun principeau-delà
de l'être35et de la connaissance, en toutcas au-delàde l'Idée et de sa pro-
preIdée.Cela contrel'obstination, l'entêtement de Platonà parlerde Vidée
du bien.
On cherchedansle bienun fondement ou un principecapablede garantir
l'unitéde l'êtreen dépitde la différence des étants,et l'unitéde la vérité
en dépit des modes et des objets de connaissance.Et l'on trouvealors
que Platon,à traversla complicationde ses images,analogieset métapho-
res,s'y estprisde façonpeu claire,voireemphatiqueou rhétorique.Sans
penserque si la réponsene nous paraîtpas claireet les moyensde répon-
dre peu adaptésà la question,c'est peut-êtreparceque nous nous trom-
pons de question.La questionposée toutau long des livresVI et VII me
semblepouvoirse formuler ainsi: à quoi peut se référer la penséequand
c'estpenser,penservraimentet non pas opiner,expliquerou démontrer,
qu'elle désire?Commentjustifier précisémentce désir-là?Quelle est la
causecapable,non seulementde tolérer,maismêmed'impliquernécessai-
rementune différence de cettesorte? La questionest,au sensplatonicien
du terme,philosophiqueet elle engagela nécessitédu philosopher,elle
n'estpas «métaphysique»(si on me permetcet anachronisme). Elle n'est
pas davantagecosmologique si on entend là
par qu'il en iraitde l'exis-
tencedu monde; elle ne l'est que dans la mesureoù, rattachéau bien
donc vu par le regarddu philosophe,le monde,celui des chosesnaturel-
les commecelui des hommes,se faitautrementmonde.Se rapporterau
bien comme à sa cause signifiepour la pensée que ce qu'elle désire--
la différencede la pensée- a un sens.L'assignationde cettecause traduit
une présupposition du senset une anticipationnécessairedu sens sur le
sens qu'exprimele mouvementmêmede la dialectiquedont le bien est
le telos,achèvementà partird'une orientationinitiale.En reconnaissant
dans l'Idée du bien à la foissa cause et sa fin,ce dont elle dériveet ce
versquoi se tournesa puissance,la penséerevendiquele nom du savoir
pour ce mode de penséeet elle en pose la suffisance ; elle pose du même
coup l'insuffisance de tousles autres.Y comprisde celuipropreà la ratio-
nalitédianoétique; faut-il, à l'usagedes malentendants, direlogico-analy-
tique?
116 MONIQUEDKSAUT

POST-SCRIPTUM
ENFORME
DENON-RÉPONSE BARNES
À JONATHAN

Jepourrais,aprèsavoird'abordécouté,puis lu attentivement l'analyse


de ce passageparJ.Barnes,alignerun certainnombrede contre-arguments.
En particulier :
1. Jene saissi Terreur de raisonnement consistant à direque,si la connais-
sancedu bien confèreà la possessionde toutechoseson utilité,alors« le
bienc'estl'utilité», estle faitde J.Barnes,ou s'il prêtecettefautede logi-
que à Platon.Il est certain,en toutcas, que Barneséliminedeux termes:
connaissance etpossession, et en ajouteun : (choses)utiles.Sans avoirbeau-
coup fréquenté les terriers analytiques, il me semblecependantqu'il existe
une différence entre: (1) la connaissance du bien est ce qui confèreà la
connaissance ou à la possession de quelquechoseque ce soitson utilité,et (2)
Vidéedu biendonneaux chosesutilesleurutilité.Selon(1), c'estla connais-
sancedu bienqui estcaused'utilité,et il semblealorsdifficile de faireéqui-
valoiruneconnaissance (du bien) etune Idée (l'utilité) ; au mieux, on pourrait
direque cetteconnaissance seraitconnaissance de l'utilité.Mais une connais-
sancede l'utilitén'estpas plus nécessairement utilequ'une connaissance
de la maladien'est malade(la formede cet argumentétantde Platon,et
dansla République).De plus,si l'on peutcertesaccorderle caractèreplato-
niciende cetteproposition: c'estparl'utilitéque les chosesutiiessontuti-
les,Platonne parlepas, dansle textecité(505 a2-b3)de chosesutiles,mais
de chosesquelconques,dontla possession ne devientutile,ou avantageuse,
que si on connaît le bien. Jepeuxparfaitement posséderune chose« utile»
(une cithare,par exemple) si je: ne sais pas m'en servir,sa possessionest
pourmoiparfaitement inutile.La propositioncorrecteestdonc : c'estpar
l'utilité la connaissancedu bien- que la possession/connaissance
- (quel-
conque d'une chose quelconque) estutile. On n'est pas plus avancé : le bien
resteirréductible ; sa connaissance confère l'utilité, mais il est l'objet de
cetteconnaissance, il ne s'identifiepas à elle. On n'en saitpas plus,ni sur
ce qu'il est,ni sur ce qu'il fait.Inutilepar ailleursd'apporterici tous les
textesoù Platondénoncela confusiondu bienetde l'utile(pour mémoire,
Gorgias499 d-500a : est utilece qui se faiten vue du bien,et non pas :
est bon ce qui est utile).
2. Pourétayerson argumentation, J.Barnesfaitappelà un textedu Phé-
don(105 b-d).Rigueurphilologiquepour rigueuranalytique: dansle Phé-
don,Socratene dit pas que cettecause « savante» qu'est la fièvrerendle
corpschaud,mais qu'elle le rendmalade. «Si l'on demandece qu'il y a
dontl'entréedansun corpsrendracelui-cimalade,je ne diraipas que c'est
la maladie,mais que c'est la fièvre»(105 c). Peu importe: la présencede
la fièvredansun corpsle rendmalade,quand le feus'approched'un corps
L'analogieintenable 117

il le rendchaud,c'est la monadequi, en faisantobstacleà la divisionpar


deuxd'unensemblenumérique, en engendre Dans touscesexem-
l'imparité.
« »
ples,il s'agitde recourirà une cause efficienteexpliquantla participa-
tiond'unechose à une Forme(la maladie,la chaleur,l'imparité).La fièvre
est pour un corps cause de maladie(cause du faitque ce corpsparticipe
à la maladie),ce n'estpas la causede la maladie(de l'existencede la Forme
« maladie»). Cetteespècede causesertdonc à expliquerpourquoicertains
corps,ou certainsnombres,se mettent à participer
d'une Forme,alorsque
d'autrescorpsou d'autresnombresn'en participent pas,ou participent
de
la Formecontraire.Mais le bienn'estpas la causepermettant d'expliquer
pourquoicertaineschosessontvraies,et d'autresnon. Il estcausede l'exis-
tencemêmede la vérité.En ce sens,il la « dépasse», il faut« le placerplus
haut». Difficile- mêmepourPlaton- de donnerun sensà l'affirmation
que la fièvredoive êtreplacée « plus haut» que la maladie.Difficiletout
de mêmed'écrire:
Fièvre - maladie - corps malade
<!==>Bien - vérité- chose vraie.
On a plutôt:
Fièvre - corps fiévreux- corps malade = participantde la maladie.
Ce qui n'a rien à voir avec: Bien - vérité- connaissance.
Dans le premiercas,on a uneraisonexpliquantl'entréeen participation
d'unechoseà une Forme.Dans le second,unesériede conditionsnécessai-
res: si pas de bien,pas de vérité,et si pas de vérité,pas de connaissance.
Or la connaissancen'est pas vraiepar participationà la vérité,il n'y a
connaissanceque parce qu'i/y a vérité.Une opinion peut êtrevraieou
fausse, pasune connaissance : si je dis,ou pense,quelquechosede fauxd'une
chose je ne la connaispas, je la méconnais.
3. Que peut vouloir dire«chose vraie»? Une chose (Forme ou chose
sensible)n'estjamais vraie; ce qui peut êtrevrai,c'est le jugementque je
portesurcettechose,ou les propositionsque j'énonce à son propos. «Je
suisà Paris» est une propositionvraiesi je suisà Paris,« je sais que je suis
à Paris» est une opinion vraiesi je suis à Paris.Si je ne suis pas à Paris,
maproposition serafausseetmonopinionaussi.A supposerqu'il soit« bon»
au sensbarnésien,c'est-à-dire utile,que je sois à Paris,mon énoncén'en
serapas plus vrai pour autant.Et on ne peut certainement pas rendrele
bienresponsabledu faitque certainespropositionssontvraieset d'autres
non, car l'alternativedu vraiou du fauxne s'applique qu'à des énoncés
portantsur des choses« mêléesd'obscurité», en devenir: qui tantôtsont
à Pariset tantôtn'y sontpas, y sontpour les uns et pas pour les autres.
Jepourraiscontinuer: ce seraitinutile.Inutile,parce que le vrai diffé-
rendn'estpas là, pas là du tout.La questionn'est pas celle de la valeur
US MONIQUE DIXSAUT

d'une méthode mais de ce qu'on veut en procédant de cette façon. Pour


une fois,on y répond clairement: «dégonfler» Platon. Mais pourquoi vou-
loir justementcela? Non que je pense qu'il y ait, en philosophie, des cri-
mes de lèse-majesté.Et qu'on me fassela grâce de croire que la démarche
me paraîtraittout aussi étrangesi on prenait la plume pour «dégonfler»
- non pas - Heraclite, Aristote, Des-
critiquer,ni réfuter,«dégonfler»
cartes ou Kant. Car c'est bien là le problème : pourquoi prendre la peine
d'écrire sur un auteur à seule fin de démontrernon pas ses difficultésou
même ses contradictionsou ses limites,mais la totale banalité de sa pen-
sée ? Si l'on ne cherche et donc ne trouve chez les philosophes que les pla-
titudesdu sens commun enjolivéesd'un peu de rhétorique(«style ampoulé»,
« rhapsodies») ou sacraliséespar un « ton grand seigneur», pourquoi per-
dre son temps et sa vie à montrer en détail ce dont on est persuadé en
gros? Le caractèremagistralement réducteurde la méthodepourraits'affir-
mer plus économiquement. Ou alors serait-ce,au fond,pour prouver que
moins dupe, plus objectif,plus neutre,donc plus intelligentque tous les
autres lecteurs,passés, présentset à venir, on est aussi moins dupe donc
plus intelligentque l'auteur lui-même? En un mot, par ressentiment?Et,
afin d'aller jusqu'au bout de ce qui constitue à mon sens bien autre chose
qu'une différenceméthodologique,afin,recourantà un allié aussi compro-
mettant,d'opérer comme une rupture de pourparlers,je laisse la parole
à Nietzsche :

Quand je voisl'un d'euxs'attaquerà Démocrite,la questionqui mevient


toujoursaux lèvresestcelle-ci: PourquoiDémocrite? Pourquoipas Hera-
clite? ou Philon? ou Bacon? ou Descartes? Et puis,pourquoijustement
un philosophe? Pourquoi pas un poète ou un orateur? Et pourquoi un
Grec? Pourquoipas un Anglaisou un Turc?... On va mêmejusqu'à admet-
treque celui qu'un événementpasséne concerneabsolumentpas estcom-
pétentpour le décrire...Voilà sansdoutece qu'on appellede l'objectivité.
Ne pouvant ni ne voulant accéder au nirvana des «éternels objectifs»,
mais trop consciente de ne pas disposer du génie nietzschéendu diagnostic
et de l'écriturepercutante,je ne peux mieux faireque conseiller,sans illu-
sion aucune, la lecturede sa SecondeInactuelle.Et qu'ajouter : .« Mais c'est
moi qui ai l'air, à présent,de me mettredans une situation ridicule... Il
m'est sorti de l'esprit que nous jouions un jeu, et j'ai mis trop de tension
dans mon langage» (Rép. VI 536 b).
L'analogieintenable 119

1. Bergson,La Penséeet le mouvant.Introduction(2e panie) : «De la positiondes pro-


blèmes»,Paris,éd. du Centenaire,1959,p. 1276.
2. Ibid., p. 1276-1277.
3. « Ressentiment » : le conceptest de Nietzsche,maisle motest employepar Bergson
à la finde son analysedesdeuxclartés: « La critiqued'unephilosophie intuitiveestsi facile...
-
qu'elle tenteratoujoursle débutant.Plus tardpourravenirle regret à moinsqu'il n'y
ait incompréhension nativeet... ressentiment personnelà l'égardde toutce qui n'est pas
réductibleà la lettre...Cela arrive,car la philosophiea aussises scribeset ses pharisiens»
(ibid, p. 1277).
4. Surle faitque les mathématiques sontprisescommeexemplemaisn'épuisentpas l'acti-
vitédianoétique,qui consisteà considérerles chosessensiblescommestructurées par des
lois et des relationsrationnelles, voirma traductioncommentéede République,LivresVI
et VII,Paris,1980,2eéd. Bordas1986,p. 102-103,etLe Naturelphilosophe, EssaisurlesDia-
loguesde Platon,Paris, 1985,p. 278-279.
5. République, VII 519 c8-d2,532 al-b2, 533 a8-10,534 b8-dl.Dans le livreVII, la ques-
tiondu bienne seraplusjamaisabordéequ'en liaisonaveccellede la puissancedialectique.
6. Cf.VII 519c-d: il fautcontraindre les meilleursnaturelsà « monter»et à voirle bien,
« et, une foisque, étantmontés,ils le verrontsuffisamment » (èneiôàv iicavíõç ïÔcoai);
532 a7-bl : «Sans s'arrêteravantd'avoir saisi par la seule pensée(airrfjvofjoEiXapTj)ce
qu'est,en soi-même, le bien» ; 534 b8-cl : « celuiqui n'estpas capablede définirpar le logos
l'idéedu bienen la distinguant de toutesles autres»; 540 a7-bl : « il faudraobliger[les meil-
leurs]...à regarder versce qui dispenselumièreà touteschoses,et ayantvu le bien en lui-
même(Kai lôóvraç to àyaGòvauto), ilss'en serviront commed'unparadigme pourordon-
ner la cité,les particuliers et eux-mêmes...»
7. ttjvtoo àyaGou e£ivsignifiebien ici « maniered êtredu bien», et non pas « posses-
sion du bien», commele penseL. Couloubaritsisdansun articlepar ailleursremarquable
(«Le caractèremythiquede l'analogiedu bien dans RépubliqueVI», Diotima 12, 1984,
p. 71-80,p. 75). Pour ce sensd'hexis,et pour m'en tenirà la seuleRépublique,cf.III 404
al, IV 443 e6, VI 511 d4, VII 533 e4, IX 585 bl, 4, 591 b4, c5, 592 a3, X 618 dl.
8. Celles qui serontenumereesdans le Theetete : sensation,opinionvraie,opinion vraie
accompagnéede sa justification.
9. « N est-cepas un fait,Crinas,que, si tu consensa mettrece savoir-la[se. du bon et
du mauvais]à partde tousles autressavoirs,la médecinen'enproduirapas moinsla bonne
santé? la cordonnerie, des chaussures ? le tissage,du vêtement ? que l'art de conduireles
naviresn'en préservera pas moinsde la morten mer,ou celuide conduireles armées,de
la trouverà la guerre? - Pas du toutmoins! répondit-il. - Tout au contraire,mon cher
Critias,en l'absencede ce savoir,ce qui nousauraabandonnés, c'estla possibilité
que chacune
de ses activitésait lieu commeelle le doit et utilement. » Charmide,174 c-d,cf. 164 b-c.
10. «f| yàp àvaXoyia iaornç èoTÌ Xoyœv,Kai èv TÉTTapaivèXaxiaToiç », Aristote,
Éthiqueà NicomaqueV, 3, 1131a31-32;on renvoiehabituellement à Euclide,ElémentsV,
déf.8 : l'analogieest TauTÓTTiç ou óuoióttiç Xoycûv, mais le texten'est pas sûr.
11. «TÒvtoO àyaGoOëKyovov,öv TáyaGòvèyéwnoevavaXoyov¿airea)», 508 b 12-13;
« TTïvEÌKÓva aÒToO», 509 a9.
12. Cf. L. Couloubaritsis,articlecité,p. 79.
13. Pourdefinir (òiopiÇouai : V 477 c8) une puissance,il iautconsidérer seulementeqrcp
ëoTt Kai õ àneoYaÇeTai (477 dl).
14. Ce que mettraen évidencepourle critiquer, ou plutôts'en moquer,l'Étrangerd'Élée
dans le Sophiste, 242 c-d.
15. La «puissancede la vision» imite(^ijj.oïts áv) «l'air» (vóuoç), le chantintelligible
de la dialectique(VII 522 al-3) ; la «partiela plus brillante de l'être»est«ce que nousdisons
êtrele bien» (518 c9-dl).
16. Jempruntecetteexpression(Vorverstandnis) a T. Ebert,Meinungund Wissenin der
Philosophie Piatons.Untersuchungen zum Charmides,Menon und Staat,Berlin,de Gruy-
ter,1974,p. 173.
120 MONIQUE DIXSAUT

17. Commeexceptions notableson peutsignaler entreautresT. Ebert,op.cit.,etR. Ferber,


PiatonsIdee des Guten,St Augustin,1984,2e éd. 1989.
18. J.Adam, TheRepublicofPlato,vol. II, Cambridge,1902,p. 60, n. 29. Le tableauest
repristel quel par Chambry(note 1 à 508 e3 de l'éd. G. Budé, p. 138-139).
19. Les distinctions apportéesentre(5J,(6), (7) et (8) : les différentssens de nous,sont
poséessansjustification. Pour(6) et (7), Adam lui-mêmerefusede reconnaître la pertinence
ici de la distinctionaristotélicienne entrela puissanceet l'acte.
20. Il y a ici une difficulté
de construction relevéeet discutéepar Adam, op. cit.,App.
VIII, p. 82-83.
21. Si Ton transposeau lieu intelligible, on peut réfléchir sur ce qu'on entendexacte-
mentpar « intuition» ou contemplation intuitivelorsqu'onappliqueces termesà Platon:
l'intuitionne sauraitêtrede l'ordrede l'immédiatetéd'un contact; elle ne sauraitmême
êtrevision immédiate,puisquetoutevision est médiatiséepar une condition.
22. navxeACûc; ov rcavceXcûç yvcûotov,'vt'ov os nTjoauritnxvttiayvcuaxov(v, 4//
a3-4).
¿ô. EvvevoTiKacou/ cb , evvoeic pu/ a»j.
24. Il estd'usaged'évoquerici l'analysede la visiondonnéedansle Timée(45 b-e); reste
à savoirsi Platon s'appuiesursa théoriephysiquede la visionpour élaborerson analogie,
ou si c'est l'analogievision-connaissance qui le conduità adopterune tellethéoriede la
vision.Poser la question,c'est,me semble-t-il, y répondre.
25. Voir Phédon,93 b-94a : «D'après ce raisonnement, serontsemblablement bonnes
selon nous les âmes de tous les vivants,s'il est vrai que ce soit semblablement la nature
des âmesd'êtrecela même,à savoirdes âmes.» La conséquencescandaleuserevientà affir-
merque toute âme est,par nature,« boniforme ».
26. Voir VII 518 c-519b.
27. Cf. V 477 blO, 478 e5, b3, etc.
28. Voir L. Couloubaritsis,articlecité,p. 76.
29. Ibid., p. 77.
30. On peut,commele faitFerber,op.cit.,p. 62-64,interpréter cettealteritedansle sens
d'une différence entredeuxclassesde Formes: celle qui contiendrait
categoriale toutesles
Formesà l'exceptionde celle du bien,et celle constituéepar l'idée du bien dont les élé-
ments- véritéet science- peuventêtredits bons, sans que l'on risquede commettre
le péchéd'autoprédication. L'inconvénientest que la scienceet la vériténe sont pas des
élémentsmais des effetsdu bien.
31. RépubliqueVI et VIL p. 96-98; Le Naturelphilosophe, p. 272-275.
32. to ouv ópõnsv ; ... xfiövi/81 (507 cl-2); cf.aKofj...Kai xaîç áMaic alaOfjoeoi (3-4).
33. Scandalise,Anstotela ete : voirEthiquea NicomaqueI, 6 ; J. Annas,An Introduction
toPlatosRepublic,Oxford,1981,p. 244,penseque celaposeun « sérieuxproblème» : « N'est-
il pas alors étranged'affirmer que, lorsqueles genscherchentce qui est bon, ils recher-
chentune chose qui est,par hypothèse,différente de toutce qu'on peut trouverchez les
gens et dans les actions?» Étrange, en effet.
34. Op. cit.,p. 173.
35. De Plotin et Proclus,Commentaire surla République1, 278, 12,jusqu'à Heidegger,
LesProblèmes fondamentaux de la phénoménologie, Paris,1985,p. 339,se propagecettetrans-
formationde Pè7t£K£iva xijç oùaiaç en èrcéiceivatoo ovxoç.

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