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Sortir du deuil
et réapprendre à vivre
Épreuve. Le deuil fait partie de la vie. Pourtant, on se
sent démuni dans cette expérience de la perte. Pour en
sortir, il est vital de se ressourcer, lâcher prise,
pardonner et consentir. Comment retrouver une paix
© Marcia DB Levy
N
Lexique
Jeufroy ous avons tous, ou en silence et à ne pas le montrer. Ce
presque, des deuils non qu’on « rentre » ainsi, « ressort » hélas
Psychologue et coach Pardonner
spécialisée dans faits qui se sont accumu- souvent de façon psychosomatique.
l’accompagnement de lés au fil du temps. Ils Troubles physiques occasionnés par Pardonner, ce n’est pas forcé-
personnes lors d’une difficulté concernent aussi bien la mort d’un être des facteurs émotionnels et affectifs : ment se réconcilier. On peut
passagère ou d’une cher qu’une rupture amoureuse, la on tombe malade parfois, et l’on meurt pardonner sans entrer de
réorientation de vie.
perte d’un ami, de son pays, de sa encore de chagrin, faute d’avoir pu nouveau en relation avec
Avec Anne Ancelin
Schützenberger, elle est maison, d’un emploi ou d’une entre- exprimer celui-ci ou d’avoir appris à l’offenseur. Pardonner, c’est
l’auteur de Sortir du deuil, prise, une mise à la retraite ou la fin revivre « sans ». On nous apprend à s’arrêter de souffrir de la
surmonter son chagrin et d’un idéal professionnel ; ou bien la gagner, mais on ne nous apprend pas rancœur, lâcher prise de cette
réapprendre à vivre, Petite perte d’une partie de son corps due à à perdre. Or la vie est une succession énergie négative que compor-
Bibliothèque Payot, 2008. la maladie ou à la suite d’un accident ; de changements et de pertes. tent le désir de revanche,
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ou encore la disparition de son animal l’animosité, le ressentiment ou
de compagnie. Dans tous ces cas, qui Perte la haine. Cet état d’esprit nous
sont autant de traumatismes, nous Perdre un parent ou un ami, c’est perdre libère et rend à l’autre l’énergie
perdons notre sécurité de base, nos la référence à son passé. La mort d’un négative que nous portions en
rapports au monde changent et enfant, c’est la perte du futur, d’un nous. Pardonner ne signifie
deviennent fragiles. Ces pertes dont le projet de vie, d’un avenir, du pourquoi pas oublier. Le pardon est un
deuil n’a pas été fait, nous les « rumi- de la vie. Elle est particulièrement lâcher-prise de l’exigence que
nons ». Elles nous empêchent de vivre. douloureuse, parce qu’elle est contraire le passé soit différent de ce
Or, plus on travaille ce vaste thème, aux lois naturelles de la succession des qu’il a été. On peut pardonner
mieux on arrive à « sortir » du deuil. générations. On « saigne des tripes », et se souvenir. On est alors
Sans ce travail, nous ne cessons pas et l’on reste avec un surplus d’amour libéré de notre passé au lieu
de trouver inacceptable ce qui nous est qui ne sera pas donné, de tant de liens d’être piégé par celui-ci.
arrivé. Il vaut mieux pourtant, un jour qui ne seront jamais tissés. Toute perte
ou l’autre, affronter son chagrin et affective, tout deuil est un choc qui fait
surmonter des pertes qui, ne l’oublions que « le sel perd sa saveur » et le monde
pas, sont inévitables dans la vie de ses couleurs ; l’envie de vivre, de tra- Se faire aider
tout être humain, ou des changements vailler s’étiole, s’assombrit. Comme si, La gestion du deuil est d’autant plus
auxquels nous sommes obligés, que pour certains, le temps se fixait, se difficile que nous ne sommes pas
nous le voulions ou non, de nous figeait, et qu’un « ressassement » formés à gérer nos émotions et que
adapter. Il serait dommage d’en tomber débutait, une « rumination triste » et l’on n’enseigne pas aux médecins la
malade, voire de s’en laisser mourir. souvent sans fin, provoquant une dimension émotionnelle. Le travail du
diminution de l’élan vital. Le travail de deuil est inconscient, donc non volon-
Retrouver les rites deuil est si long et si douloureux, que taire. Cependant un travail conscient
Jadis, nous avions des rites répara- l’on cherche mille façons d’éviter cette est possible, à condition d’aller voir un
teurs de séparation et de deuil : les souffrance pour ne pas avoir à affron- spécialiste pour se faire aider ou
parents, amis, voisins venaient veiller ter une réalité trop dure, « invivable », accompagner : un prêtre, un conseiller,
Parole de sagesse le mort et lui dire au revoir. Il y avait et avoir moins mal… Parmi ceux qui un psychothérapeute, un coach formés
« Je vais changer leur affliction en allé- les vêtements noirs, les fleurs et cou- refusent d’affronter la réalité de la perte, à ce type de situation. Le travail de
gresse, les consoler, les réjouir après ronnes, les prières, les adieux, l’enter- beaucoup reviennent sans arrêt sur tout deuil est nécessaire pour l’équilibre et
leur peine. » Jérémie 31, 13 rement, une cérémonie, etc. ce qui aurait pu être dit et surtout sur la santé de toute personne, comme le
Aujourd’hui, on nous apprend la ce qui n’a pas été fait : « J’aurais pu faire savaient les Anciens. Comme on ne
maîtrise de soi, la réserve, à souffrir ou dire ceci ou cela. » peut pas faire l’impasse de ce travail,
n°42 x novembre 2013 xw PSYCHOLOGIE 11
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Sortir du deuil est incapable ou si l’on refuse de faire Six clés pour
Apprendre à
et réapprendre à vivre son deuil, on transmet sa souffrance et
ses problèmes à ses descendants.
jusqu’au bout, car ensuite, lorsque la Si l’on parvient à faire le travail de deuil,
vivre le deuil
perte est perçue réellement, l’absence on s’ouvre aux souffrances d’autrui,
s’accepte, le travail de deuil peut se faire on devient riche de liens nouveaux et
et la remontée vers la vie peut commen- de découvertes qui, autrement n’au-
cer. Pour un certain nombre de spécia- raient sans doute jamais existé. a
listes, la sortie du deuil se perçoit par Propos recueillis par Émilie Pourbaix
une vraie acceptation de la situation :
« Je suis triste. Ce qui me manque me 1 Vivre au présent. Ne laissez pas les souvenirs du passé
polluer votre présent. Cessez de revenir sur vos souvenirs
aller plus loin
manque, mais je peux vivre et en par- à jamais perdus, apprenez à profiter du moment présent.
ler ou pas et accepter de vivre différem-
Sortir du deuil, surmonter
ment. » Même si la société nous presse
d’en finir rapidement avec lui, chacun
fait son deuil à sa manière, vit sa vie et
son chagrin et réapprendre
à vivre 2 Prendre soin de soi. Le deuil est une période de grande
fragilisation qu’il ne faut pas négliger. Il existe un antidote :
prendre soin de soi. Cela signifie par exemple consulter un bon
Anne Ancelin Schützenberger, Évelyne
ses sentiments à un rythme qui lui est Bissone Jeufroy, Petite Bibliothèque médecin, s’offrir des soins corporels (massage, coiffeur, esthé-
propre. Le deuil nécessite un travail Payot, 2008 tique, cure de thalassothérapie), suivre une psychothérapie
particulier et douloureux, pénible et individuelle ou de groupe, intégrer une association de soutien,
long, mais au terme duquel on peut, La mort intime un groupe de parole et de partage, ou encore voir des amis ou
non pas survivre avec l’inacceptable Marie de Hennezel, Pocket, 1997 des parents de son choix.
inaccepté, mais vivre. Pour la plupart Aimer, perdre, grandir.
des gens, le temps de maturation est
d’une à trois années. C’est un mini-
mum. Il n’y a pas d’âge pour faire son
Assumer les difficultés
et les deuils de la vie
Jean Monbourquette, Bayard-Centurion, 1995
3 Prendre soin de ses nuits. Après un deuil, on se réveille
au milieu de la nuit et on commence à ressasser. Nous
conseillons de fermer volets ou rideaux, de manière à créer un
deuil. Mieux vaut affronter cette souf- cocon, allumer une lumière douce. Les musiques harmonieuses
france tardivement, même vingt ou www.evebissonejeufroy.info et douces sont réparatrices : sonates, chœurs ou instruments à
trente ans après l’événement, que vents qui établissent une analogie inconsciente avec la respi-
jamais. L’expérience montre que si l’on ration humaine. Il est préférable de lire des bandes dessinées,
des romans policiers ou les paraboles, métaphores ou psaumes
de la Bible (huit mille ans d’histoire de tout un peuple avec ses
joies et ses peines qui légitiment la colère humaine).
A l’occasion de la Toussaint,
commandez par lots 4 Se ressourcer. Pour mieux réagir et résister aux « chocs »
et aux pertes qui jalonnent la vie, il est important de s’in-
ce numéro spécial autour vestir dans des domaines ou des activités qui nous ressourcent
et nourrissent notre âme. Une fois choisies nos activités favo-
de la thématique du deuil rites de ressourcement, ces appuis doivent être considérés
et de l’au-delà. comme un investissement à poursuivre durant la longue période
de deuil et de perte.
n°42 noveMbre 2013
Mensuel catholique offert
5
l1visible.com
de voyage
Carnet de
Carnet voyage Certains y arrivent seuls, sans aide thérapeutique. Quoi qu’il
en soit, il est fondamental d’associer les bons, les beaux et les
Saint-Denis
La basilique des rois page 16
mauvais souvenirs au moment de l’adieu. C’est un moment
SoCIété
privilégié, à forte charge symbolique, où il faut « parler vrai »,
» (Mt 10,8).
24 heureS à toulon
À la Maison Providence page 21 “Je ne sais rien de la juste, et dire ce qu’on a sur le cœur. Par exemple, dire au revoir
mort mais, je sens que
c’est une bonne surprise”
autrement, ou régler ce qui ne l’a pas été : se dire qu’on s’aime,
malgré les difficultés, faire part de secrets de famille ou de
Ne pas jeter sur la voie publique. « Vous
IntervIeW page 6
Éric-Emmanuel Schmitt
ret rou v e z-nouS Sur
n o t r e S I t e l1v i s i b l e .c
om « double vie » ou bien tout simplement pardonner.