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L A
O
±L
Prèl

E
O
CD
H

R E/ E L L E,

Vulgairement ditte

LA T H E O LOG IE
------- ----
------★ → ****** ****
L A

THE OLO G \ E.
· R E E L L E
- · Vulgairement dite, , • ^ .

LA THE oLoGIE
| G E RM AN IQU E. " , , t , º,

C H A P 1 T R E I. v,

Le but & la fin de la vraie Theologie & de


· toutes choſes, la veniie du Parfait.
r Ce qu'eſt le Parfait, - -

2 Comment il vient. , ,' " ' , -

3 Comment il ne peut étre connu ni com- °


pris de perſonne. -

4 Comment hors de lui il y a des étres par


ticuliers. | $! " ! |

- - • . • - •. ! 4

$,t. Paul dit, que (a) quand le


$Parfait vient, qui eſt impar ce

- Y !
#fait & qui n'eſt qu'en partie »
42 S - - -
# S-42, s'abolit . -

I. On demandeAſur -cela
- ,
»- ce c'eſt
º#
(a) 1 Cor, 13. Io
2 La Theologie
c'eſt que le Parfait, & ce qui n'eſt qu'en
partie ? -

Le Parfait eſt une choſe qui com


prend & qui renferme tout dans ſoi &
dans ſon étre, de ſorte que ſans lui &
hors de lui il n'y a nul étre reël & veri ,
rable , & que toutes choſes ont leur
étre dans lui : car il eſt l'étre & lavertu
de toutes choſes : & demeurant dans
ſoi inalterable & immuable, il meut
& varie cependant toutes les autres
choſes.
L'imparfait, au-contraire, ou ce qui
n'eſt qu'en partie , eſt ce qui tire ſon
origine de ce Parfait, & qui en jaillit
(pour ainſi dire) à peu prés comme la
ſplendeur ou la lueur qui vient du So
leil ou d'un corps lumineux; & qui
aiant la forme & l'apparence de quel
que choſe de particulier ' , •,,s'appelle,
Creatttre. : º

De toutes les choſes particulieres


nulle n'eſt la choſe parfaite ; comme
auſſ, la choſe parfaite n'eſt aucune des
choſes particuliéres. . . -- , ,
Les choſes particulieres ſont com
prehenſibles, connoifſables & expri
mables : Mais le Parfait eſt incompre
henſible , inconnoiſſable (pour ainſi
dire ) & inexprimable à toute créature,
entant que créature. C'eſt pourquoi
on ne peut point lui donner de nom
- - : par
Germanique Chap. I. 3
particulier ; car il n'eſt rien de parti
culier ;& la créature, entant que créa
ture , ne ſauroit le comprendre ni le
connoître. Et c'eſt de ce Parfait que
l'on dit avecverité, que quand ilvient,
on mépriſe & abandonne ce qui eſt
particulier & imparfait.
2. On demande en ſecond lieu :
Quand eſt-ce que le Parfait vient ?
Je réponds que le Parfait vient, lors
qu'il eſt connu, ſenti , & goûté dans
l'ame,autant & auſſi avant qu'il eſt poſ
ſible. -

3. Mais, demandera-t'on encore ,


puis qu'il eſt inconnoiſſable & in
comprehenſible à toutes les créatures,
& que l'ame eſt une créature,comment
peut-il étre connu à l'ame ? -

Je réponds , que ſi j'ai dit que la


créature ne pouvoit le connoitre, j'ai
ajoûté , comme telle » ou entant que
créature, c'eſt à dire, que cela lui eſt cº
impoſſible entant qu'elle eſt ſimple
ment (a) créature » à conſiderer ſa na
ture, ſes puiſſances, ſes actes de créa
ture, & tout ce qui lui eſt propre &
particulier
Et, par effet , en quelque crécure
que le Parfait doive étre connu & ma
A 2 nifeſté ,
- - ée ſurna
(a) c. a d. sans qu'elle ſoit transoº -

turellement par l'Eſprit de Dieu Pº leaº


on connoit Dieu 1 Cor. 2 : 11. 2 99* º *
4 La Theologie
nifeſté, il faut neceſſairement que tout
ce qu'il y a du créé & du naturel , tout
ce qui eſt du particulier & du propre,
du moi & du ſoi, y ſoit perdu & anéanti.
Et c'eſt ce que veut dire cette parole
de S. Paul , Quand le Parfait vient, c'eſt
à dire , quand il eſt connu ; ce qui n'eſt
qu'en partie, c'eſt à dire, tout ce qui
cit du créé & du naturel , du moi, du
ſoi, du propre & du particulier , eſt
mépriſé & tenu pour rien : & ſi long
temps qu'on en fait quelque cas , &
que l'on s'y attache, le Parfait demeu
re inconnu. · ·· · · ·
4. Autre queſtion. Vous venez de
dire , que ſans ce Parfait, & hors de
lui , il n'y a rien du tout : & cepen
dant vous ajoûtez un peu aprés, qu'il
ſailloit ou jailliſloir quelque choſe de
-lui. Or, ſans doute, ce qui eſt ainſi
coulé de lui , eſt quelque choſe de ſub
ſiftant hors de lui.
Je reponds d'avoir dit, que hors de
lui ou ſans lui il n'y avoit rien de ſo
lide, ni de reel ou de veritable. Or ce
ºui eſt ainſi procedé de lui n'eſt pas
ure choſe ſolide de ſoi , vû qu'elle n'a
poi»t d'étre & de réalité que dans le
Parfar : mais ce n'eſt qu'une choſe
purement acceſſoire on accidentelle.
C'eſt une ſplendeur ou une lueur, qui ,
n'a de fonds réel & ſolide que dans le
* " *- - , i 1 - . , : » . . feu
Germanique Chap. ll. 5
feu dont elle jaï\it , ainſi qu'on s'en
eſt expliqué par la fimûitude du Soleil
& d'un corps lumineux.

cuA, 1r»E II.

1 Du peché ou du détour de la fin & du


Parfait. -

2 Et comment s'eſt fait la chûte ; & pre


mierement , celle du Demon,

I. L# Verité, la Foy, & l'Ecriture


diſent , que le peché n'eſt rien
d'autre, ſinon que la créature ſe détour
ne du Bien immuable, & ſe tourne vers
ce qui eſt muable : c'eſt à dire, qu'elle
ſe détourne du Parfait , & ſe tourne
vers ce qui eſt particulier & imparfait,
& ſur tout vers ſoi-méme. • .

2. Remarquez maintenant com


ment ſe fait ce détour. , . : .
C'eſt quand la créature s'attribüe
ou ſe rend propre quelque choſe de
bon , comme (a) l'étre , la vie , la
connoiſſance , le pouvoir , & en un
mot quoi que ce ſoit de ce que l'on ap
pelle bon ; & qu'elle s'imagine qu'elle
eſt cela , ou que cela lui eſt propre.
C'eſt alors qu'elle fait ce detour.
A, 3 Le , ..

(a) c.a.d. voulant étre , vivre , conaºîº**


agir, regir, poſſeder en propre.
La Theologie
Le Demon ne fit rien d'autre pour
ſon detour : & ſa chûte ne conſiſta
uniquement, qu'en ce qu'il s'attribua
, d'étre quelque choſe.
Il vouloit étre quelqu'un: il vouloit
que quelque choſe fuſt à ſoi , & que
quelque choſe lui appartinſt.
Cette appropriation, ſon moi, ſon
à moi, ſon mien , furent ſon detour &
fa chûte. Et cela ſe fait encore au
jourd'hui.

c H A P 1 r R E III.

1 Comment s'eſt fait la chûte d'Adam & de


chaque particulier.
2 Comment elleſe doit rcparer dans l'un, &
dans tout autre.
3 Comment l'homme y doit intervenir paſſi
"ty8/72677f ,

4 Et comment ce retabliſſement eſt empéché


· par l'appropriation
1. ſYUe fit auſſi Adam de fon côté,ſi
non preciſément la méme cho
ſe qu'on vient de dire du Demon?L'on
dit communément, qu'Adam eſt com
bé & qu'il s'eſt perdu pour avoir mor
du dans la pomme. Et moi je dis » que
cela ſe fit, pour s'étre approprié quel
que choſe , par ſon moi, par ſon à moi »
pan
Germanigue Chap. III. 7
par ſon mien, & par ce qui regarde le
propre.
S'il ne s'étoit rien approprié , ſans
doute qu'il ne ſeroit pas tombé,quelque

nombre de pommes qu'ileût pù man
ger. Mais dés le moment qu'il s'ap
propria quelque choſe, dés-là levoilà
tombé , n'euſt-il pas méme encore
touché de pomme.
Je ſuis tombé de méme ainſi qu'A
dam , & qui pis eſt, cent fois bien
plus profondement que lui, & mon
détour de Dieu eſt beaucoup plus
grand que le ſien. .
2. Or c'eſt une verité, que tous les
hommes du monde enſemble n'ont
pû reparer la chûte d'Adam , ni re
medier à ſon detour : qu'en ſera-t'il
donc de mon detour & de ma chûte ?
Pour vrai , elle ne pourra étre repa
rée que comme le fut celle d'Adam ;
& ainſi, de la maniere & par la méme -
perſonne quelefut la ſienne. -

Or par qui & de quelle maniere a


été reparée la chûte d'Adam ? L'hom
me ſeul n'y pouvoit rien ſans Dieu ,
& Dieu ſeul ne devoit pas le faire ſans
l'homme : & par-tant Dieu prit à ſoi
la nature humaine ou l'humanité, &
devint homme ou fut humanizé 5 &
l'homme fut deifié. Et alors ſe fit le
retabliſſement de la chûte de l'horºº
A 4
i La Theologie -,
C'eſt juſtement de la méme ſorte que
doit ſe faire le redreſſement de la mien
I1C. .
Je n'y puis rien ſans Dieu,& Dieu ne
le doit & ne le veut pas faire ſans moi,
Mais ſi tant eſt que la choſe doive ſe
faire , il eſt neceſſaire que Dieu s'in
carne, pour ainſi dire , ou qu'il s'hu
maniſe auſſi dans moi de telle ſorte ,
qu'il préne & qu'il uniſſe à ſoi tout
ce qui eſt en moi » tant dans l'interieur
que dans l'exterieur, ſi-bien qu'il n'y
ait plus rien en moi, qui repugne à
Dieu, ni qui s'oppoſe à ſon œuvre.
Si cela ne ſe fait pas dans moi , en
mon particulier , jamais ma chûte &
mon détour ne ſeront reparés, quand
bien méme cela ſe feroit dans tous les
autres, hommes du monde , & que
Dieu les prendroit & les uniroit tous à
ſoi , s'humaniſant dans eux, & eux ſe
deïfiant dans lui. '.

3. L'intervention requiſe de mon


côté en cette œuvre de ma reparation
& de mon retabliſſement, n'eſt pas que
j'y doive ou que j'y puiſſe contribuer
en maniere de choſe aétive ; mais ſeu
lement en pure paſſiveté ; de ſorte que
Dieu ſeul y ſoit la cauſe agiſſante &
operante ; & que pour moi , je le
laiſſe faire, & ſois paſſif ſous ſon o
pération & ſous ſa volonté. -

4 Mais
Germanique Chap. IV. 9
, 4. Mais helas, comme je ne veux
pas le laiſſer agir, ni ſouffrir ſon œuvre
dans moi; & qu'au contraire je veux
avoir une activité propre , un moi &
un mien ; c'eſt cela qui empéche Dieu
de travailler purement & ſans obſtac\e
dans moi : & par ainſi, ma chûte &.
mon detour de Dieu demeurentirre
parés.
Tout cela ne vient que de la malheu
reuſe appropriation par laquelle je
veux m'arroger quelquechoſe.

|C H A P 1 T R E [ V. º

I Dieu condamne toute appropriation. *
2 L'appropriation fait deux maux, le de
tour de Dieu , & l'oppoſition à Dieu &
à ſon honneur. - |
I, Ieu a dit : (a) #e ne donnerai point
· *-^ ma gloire à un autre : qui eſt tout
autant que s'il diſoit , que l'honneur
& la gloire n'appartiennent qu'à lui
ſeul. -

Et partant, lorsque je m'approprie


ou m'arroge quelque bien , comme
ſi je m'imagine d'étre quelque choſe ;
de pouvoir, de ſavoir » ou de faire
quelque choſe; que quelque choſe ſoit
à moi, ou vienneA de5 moi, ou "#
-
•• •

(a) Iſa. 42 : 3.
IiO La Theologie
partienne , ou qu'elle me ſoit deiie ,
& choſes ſemblables , il eſt viſible
que de la ſorte je m'attribüe quelque
honneur & quelque louange : en quoi
je fais deux maux.
2. Le premier eſt, la chûte & le dé
tour, dont on vient de parler.
L'autre eſt, que je m'en prends à
l'honneur de Dieu , & que je lui de-,
robe ce qui appartient § Cat"
tout ce qui peut porter le nom de bon
ou de bien , n'appartient qu'au ſeul
bien veritable & eternel, qui eſt Dieu ;
& quiconque ſe l'attribüe , commet
iniquité, & s'oppoſe à Dieu.

C H A P I T R E V.
1. Explication d'une parole dont les faux-li
bres pourroient abuſer , ſur la deſappro
priation de touteſcience, volonté » amour,
• deſtr & c.
2, Moins on s'approprie une choſe, plus eſt-elle
excellente & divine.
3. Toute appropriation vient d'ignorance.
4. Il vaut mieux attribuer tout à Dieu,.
quoi qu'encore ſans lumiere & en chancel
lant , que d'oublier Dieu en tout. - º

M. O#: uns ont aſſuré com


- me une verité, qu'il faut deve
244y°
l,º •,

, Germanique Chap. V. I1

nir ſans ſageſſe, ſans volonté , ſans amour » ·

ſans deſtr, ſans connoiſſance, & choſes ſem


blables.
Cela toutesfois ne doit passenten -
-

dre, comme ſi abſolument il ne devoit -

point y avoir de connoiſſance dans


l'homme, & que Dieu ne deuſt pas
: étre connu , aimé, voulu , deſiré,
a
|
ioüé & honoré: ce qui ſeroit unin |
figne manquement , & qui rendroit
l'homme ſemblable à la bête.
Mais la verité de cette parole eſt,
i
que l'homme doit envenir à ce point , :
que ſa connoiſſance ſoit ſi pure & ſi
parfaite, que de lui faire apercevoir
& reconnoître que cette méme con
noiſſance n'eſt pas de lui, ni d'aucune
créature ; mais qu'elle eſt ſeulement
de la Sageſſe & de la connoiſſance
éternelle, laquelle eſt le Verbe éter
nel de Dieu.
Quand on en vient-là, tout ce qui
eſt de l'homme & de la créature diſpa
roit ; & l'on ne s'en approprie pas la
moindre choſe , comme ſi c'étoit
quelque choſe qui fuſt à nous. .
2. Or moins la créature s'approprie
de connoiſſance , plus la connoiſſan
ce eſt parfaite. Il en eſt de méme de
la volonté , de l'amour, du deſir »
& de tout le reſte: moins on s'en at
tribüe, plus ſont-ils nobles , purs º
divins :
12, . La Theologie
divins : & au-contraire , plus on s'en
approprie , plus ſont-ils groſſiers ,
melangés & imparfaits.
i · Et voilà comment on doit étre ſans
les choſes , libre & detaché d'elles,
c'eſt à dire, étre ſans proprieté & ſans
ſe rien arroger. - '
Lors qu'on ſe trouve dans ce dega
gement & dans cette liberté, la con
noiſſance que l'on y a eſt alors la plus
-
libre & la plus pure qui puiſſe étre
dans l'homme : l'amour de méme ,
comme encore le defir , eſt auſſi le
1.
J
plus noble & le plus pur qui puiſſe
étre; dont la raiſon eſt , que tout eſt
:# alors uniquement de Dieu.
: Or ſans doute il eſt beaucoup meil
leur & plus excellent qu'une choſe ſoit
: # de Dieu que de la créature. ' ,,
3. Mais ce qui fait que je m'attribüe
quelque choſe de bon , vient de l'opi
nion [imaginaire] que cette choſe ſoit
mienne, ou que je ſois quelque choſe.
| Mais ſi la pure connoiſſance de la
f verité étoit dans moi , il y ſeroit auſſi
connu que je ne ſuis rien , & que
nulle choſe n'eſt ni à moi, ni de moi :
ce qui feroit tomber toute appropria à
--
tion. º. · · · · :

• 4. Dans cette penſée il eſt beaucoup


·meilleur que Dieu » ou que ce qui
eſt de Dieu , ſoit connu , aimé , loüé
· -, "- &:
Germanique Chap. V. I3
& honoré autant qu'il eſt poſſible, &
que l'homme ſoit dans cette opinion »
que c'eſt Dieu méme qu'il loüe & qu'il
aime [en toutes choſes : ) que non pas
que,hors de cette ſuppoſition,Dieu de
meure entierement ſans étre loüé ,
ſans étre aimé , ſans étre honoré &
ſans étre connu. ' " - -

Et quand bien cette opinion, que


c'eſt Dieu méme qu'on reconnoit en
tout, ſeroit encore peu ferme , vacil
lante & ſans lumiére dans quelqu'un ,
néanmoins lors que d'opinion elle
viendra [avec le temps]à étre changée #
en ſcience certaine,& en connoiſſance
de la verité, l'appropriation de toutes
choſes en tombera alors d'autant plus
abſolument. - -

· L'homme ſe dira alors à ſoi- méme :


Helas , pauvre fou que j'étois ! je
m'imaginois que ce fuſt moi qui étois
ou qui faiſois ceci & cela ; & cepen
dant c'étoit & c'eſt veritablement
Dieu , qui étoit & qui faiſoit tout.

:
C H A P I T R E V I.

1. La deſappropriation n'étant pas ſans


amour & charité , il faut aimer la cho
ſe la meilleure , mais par le pur motif
du bitn & du meilleur. -

A 7 . 2, Gon
I4 · La Theologie
2. Comment juger quelle eſt la choſe la
meilleure , ou la moins bonne.
3. Comment ce principe doit ſervir de regle
pour la conduite exterieure :
4. Et auſſi pour l'interieure, º º - ºº
- • ' » (I

I. UN (a) Ancien a dit; que ſi nous


n'aimons pas ce qui eſt le meilleur, ce
nous eſt un manquement coupable & honteux.
Il a dit la pure verité : ce qui eſt le
meilleur devroit en effet étre le plus
aimé ; & dans cet amour on ne de
vroit point avoir d'égard à l'utile ni à
l'incommode ; à l'avantage ni au do
mage; au gain ni à la perte ; à l'hon
:# neur ni à l'ignominie ; à la loüange ni
au blame ; ni à rien de ſemblable :
Mais ce qui, dans la verité, eſt la choſe
la meilleure & la plus noble , doit étre
auſſi la plus agréable & la plus aimée,
ar la ſeule raiſon qu'elle eſt la meil
eure & la plus noble , ſans aucun au
tre motif.
2 Ce principe devroit ſervir de ré
gle à la vie de l'homme , auſſi-bien
pour l'extérieur que pour l'intérieur.
Pour l'extérieur : Càr comme entre
les créatures il y en a de meilleures les
unes que les autres, ſelon que le bien
| , éternel reluit plus ou moins & opére
r
: plus ou moins dans les unes que dans
- - -- º & , > ' $ . les
· (a) Boëtius, , -- .
E

Germanique Chap.VI. 15
4 les autres ; on tiendra pour la meil
leure celle où le bien éternel reluit le
f plus, & dans laquelle il eſtle plusviſi
ble, le plus operant , le plus connu ,
& le plus cherché & goûté : mais ou
il l'eſt le moins , cela nous ſera auſſile
moindre.
3. Le principe de cette difference
des choſes créées étant ainſi poſé &
connu , quiconque eſt obligé d'agir &
de traiter avec elles, doit aimer le plus
celle qui ſera la meilleureſelon ce mé
me principe: il s'en approchera le plus,
& s'unira le plus à elle, mais ſur tout à
celles qui ſont du nombre des choſes
que l'on rapporte particuliérement à
Dieu , & méme qu'on lui approprie
comme étant des choſes divines , ainſi
que ſont le bien, la verité, la paix , la
charité, la juſtice, & ſemblables. C'eſt
ſelon ces choſes que l'homme exterieur
devroit ſe regler, mépriſant & évitant
ce qui y eſt contraire.
- 4. Pour ce qui eſt de l'homme inte
rieur, ſi , paſſant par-deſſus toutes cho
ſes, il vouloit s'élancer dans le Bien par
fait , il trouveroit & pourroit goûter
que le Bien parfait eſt ſi infiniment
plus nobie & meilleur que tout bien
imparfait &particulier;que l'éternel eſt
ſi au-deſſus de tout le paſſager,la ſour
ce & la fontaine ſiau-deſſus de tous les
ruiſſeaux
161 La Theologie
ruiſſeaux qui en coulent; que de-là !
l'imparfait nous deviendroit tout fade
& dégoûtant, & que méme il diſpa
roitroit de devant nous.
Ces verités ſont dignes de remar
que; & l'on eſt obligé de les pratiquer
ſi jamais l'on veut parvenir à aimer le,
plus ce qui veritablement eſt le plus
excellent.

c H A P 1 r R e v II.
I. La deſappropriation n'étant pas ſans
• charité & amour , ( comme on vient de
le dire) elle n'eſt pas auſſi ſans lumiere
ni ſans yeux : puiſque l'ame en a deux »
, qui méme ſont en feſus Chriſt,
2. Les deux yeux de l'ame pouvoient faire
également leurs fonctions enſemble avant
la chûte , ainſi qu'il a paru en feſus :
Chriſt. -

3. Aprés la chûte les fonctions de l'un em- .


péchent les fonctions de l'autre , comme
- il parvit en tous les hommes. .. > i'i
- 2 : . · · · · , ' c : !
I. Voici encore une parole remar
cable qu'on lit quelque part.
On dit que l'ame de Jeſus ðt »
a eu deux yeux , un droit & un gau
che. . . .
- )! · .
Dés qu'elle fut créée , elle tourra
l'oeil
Germanique Chap VII. I
l'œil droit vers l'éternité & la divinité
& elle s'y arrêta immuablement d§
la contemplation & dans lajouiſſance
parfaite de l'étre divin & de la Per
fection divine , ſans que nuls des acci
dens exterieurs , nuls des travaux
nulles des émotions, des ſouffranc§
des peines & des tourmens qui ſu§
noient à ſon homme exterieur, pûſ.
ſent ébranler ou empécher la fermeté
de ſa contemplation.
Quant à l'œil gauche, il en regar
doit les créatures pour les connoitre &
pour obſerver la difference qui étoit
entr'elles, ce qui y étoit le meilleur
ou le pire » le plus ou le moins excel
lent, ſelon quoi Jeſus Chriſt regloit
ſon homme exterieur.
- 2. Ainſi donc, l'homme intérieur
de Jeſus Chriſt étoit , ſelon l'œil droit
de l'ame, dans la parfaite jouiſſance de
la nature divine, & dans une joie &
une lieſſè parfaite. Mais quant à
l'homme exterieur & ſelon l'œil gau
che de l'ame , il étoit entierement dans
les ſouffrances, dans les miſéres & dans
les travaux , de telle ſorte pourtant ,
que ſon œil interieur & droit demeu
roit ſtable, libre, & ſans étre troublé
par quelques travaux, peines & ſouf
frances que l'homme exterieur en -
duraſt. #e
- C'eſt
18 . La Theologie
C'eſt ce qui fait que l'on dit cette
autre parole : Que lors que Jeſus
Chriſt étoit foüetté à la colomne ou
attaché à la Croix ſelon l'homme ex
terieur » ſon ame , ou l'homme in
terieur , ne laiſſoit pas d'étre ſelon
l'œil droit dans une jouiſſance auſſi
parfaite de lieſſe & de joie, qu'il y fut
aprés ſon Aſcenſion, & qu'il y eſt en
core preſentement : Et que de méme,
l'homme extérieur, ou l'ame quant à
l'œil gauche, n'étoit jamais empéchée
ni détournée par l'autre dans ſes opéra
tions à l'egard de quoi que ce ſoit qu'il
ait fallu faire extérieurement.
3. Or eſt-il, que l'ame de tout hom
me que Dieu a créé , a auffi deux
yeux: l'un eſt, la faculté ou la puiſſance
dc voir dans l'éternité : & l'autre, celle
de voir dans le temps & dans les créa
tures, pour connoitre leurs differences,
( comme on vient de le dire,) & pour
en entretenir la vie corporelle. - -

Mais ces deux yeux de l'ame ne


ſçauroient [ maintenant ] bien faire
leurs fonctions en méme temps. C'eſt
pourquoi , ſi l'ame veut enviſager l'é
ternité avec l'œil droit , il eſt neceſ
ſaire que l'œil gauche ſe défaſſe alors de
tout ſon travail, & qu'il ſetienne com
me s'il étoit mort. Comme au-con
traire, ſi cet œil gauche veut º#
à 1CS
Germanique Chap.VIII. 19
à ſes fonctions exterieures, c'eſt à di
re, s'occuper du temps & des créatu
res, il n'eſt pas poſſible que l'œil droit
n'en ſoit alors détourné de ſa contem
plation.

C H A P 1 T R E V III.
I. Contemplation fonciere & vûe de l'E
ternité durant cette vie, impoſſible en cer
tain ſens.
2. Qu'elle eſt neanmoins poſſible.
3. Que le moindre de ces regards eſt plus
agréable à Dieu que tout le créé.
1. 1 ſ 'on demande ici, s'il eſt bien poſſible
à l'ame, ſi longtemps qu'elle eſt unie
au corps , de venir juſqu'à entrevoir l'é
ternité , & de recevoir dans cette viie-là
un avant-goût du ſalut & de la vie éter
nelle #
On répond ordinairement que non:
& cela eſt vrai en certain ſens : car ſi
longtemps que l'ame regarde au corps
& a ce qui concerne le corps » au
temps , & en un mot aux créatures ;
& que ſon eſprit eſt rempli & mélé de
leurs images, cette vûe de l'éternité
ne ſauroit ſe faire alors. • * , 7

Car pour faire ce regard , l'ame †


tre
2O - La Theologie
étre pure & libre de toute image , &
detachée de toute creature, & ſur-tout
de ſoi-méme : & c'eſt ce qu'on croid
ne s'eſtre pas fait encore dans le
temps. - "
2. Cependant S. Denys eſt d'avis
que la choſe eſt poſſible ; & l'on croid
l'apercevoir dans ces paroles qu'il a
écrites à Timothée.
| (a) Si tu deſtres d'atteindre à la con
templation des choſes divines & cachées,
il faut que tu delaiſſes les ſens , les opera
tions de la raiſon , tout le ſenſible & tout
l'intelligible; toutes les choſes (b) qui ſont,
auſſi bien que celles qui (c) ne ſont pas :
puis ſortant encore de toi - méme & te
mettant dans un état d'ignorance pour tout
ce qui vient d'étre dit , éleve-toi à l'union
de la choſe qui eſt au-deſſus de toutes cho
ſes 15 de toute connoiſſance. -- ,
· Si S. Denys n'avoit pas eſtimé qu
cela fuſt poſſible en cette vie tempo
relle , pourquoi en auroit-il parlé &
donné des preceptes à un homme qui
vivoit dans le temps ? , , .
C'étoit auſſi l'opinion d'un certain
Docteur , qui expliquant les paroles de
- · S. Denys
-

· (a) Theol. Myſt. Chap. 1.


- (b) Les choſes qui # , c.a. d. les choſes Spiri
tuelles , immortelies & permanentes , autant
qu'on les comprend. . . "
(c) Celles qui ne ſont pas, c. à dire, les choſes
temporelles, paſſageres & qui s'evanouiſſent.
Germanique Chap. IX. 2I
S. Denys, affirmoit que la choſe étoit
tellement poſſible, qu'on en pouvoit
faire l'épreuve ſi ſouvent , que la choſe
devinſt habituelle, & qu'on joüiſt de
cette contemplation & de cette vûe au
tant de fois qu'on le voudroit.
3. Un ſeul de ces ſortes de regards
eſt plus noble, plus excellent & plus
agréable à Dieu , que tout ce que les
créatures lui ſauroient jamais offrir
Comme créatures. . .. | . ,

- ·r

C H A P. I T R E IX.. .
· 1.Principe notable touchant la neceſſité ſa
· lutaire des connoiſſances. · · · ,
2. La connoiſſance de ſoi-méme, & de Dieu
: dans ſoi , eſt la meilleure de toutes.
3. En quoi conſiſte le ſalut. . -

4. L'unité, & l'interiorité, ſont prefera


4les à tout.

I. , I L eſt neceſſaire de ſavoir & dere


marquer comme une veritétrés
certaine, quetoutes les vertus & toute ſorte
, de bien, méme le Bien Souverain, qui eſt Dieu ,
me rendront jamais aucune ame vertueuſe ,
· bonne ni heureuſe, ſi longtemps qu'ils ſeront
, hors de l'ame. . - -

Et il en eſt de méme, par contraire ,


du peché & dela mechanceté .
2. C'eſt
22, La Theologie
2. C'eſt pourquoi , bien qu'il ſoit
bon de s'informer & méme de ſavoir
ce que les perſonnes vertueuſes &
ſaintes ont fait & ont ſouffert, com
ment elles ont vécu, & ce que Dieu
a voulu dans elles & operé par elles ;
il vaudroit néanmoins cent fois mieux
que chacun éprouvât & connuſt bien
ce qui eſt de ſa propre vie; en quel état
il ſe trouve ; ce que Dieu eſt , ou
veut, ou opére dans lui , ou à quoi
Dieu voudroit l'emploier & à quoi
IlOI].
Et c'eſt pourquoi cette autre parole
n'eſt pas moins veritable , aſſavoir ,
que Quelque bien qu'il y ait à ſortir au-de
hors, il y en a encore beaucoup davantage à
demeurer au-dedans.
3. Il faut ſavoir, que le ſalut éternel
conſiſte ſeulement dans cette poſſeſſion
& demeure inherente & intérieure ,
& en nulle autre choſe.
Si donc quelqu'un doit jamais étre
heureux , il faut neceſſairement que
le vrai & l'unique Bien ſoit reëllement
au-dedans de ſon ame.
Mais qu'eſt-ce que cet unique Bien,
me demandera-t'on ? Je réponds que
c'eſt un bien qui n'eſt ni ceci ni cela de
particulier , ni rien de tout ce qui
peut étre exprimé, connu ou montré;
mais il eſt tout, & par-deſſus tout. C
- e
Germanique Chap. IX. 23
Ce bien veritable & unique n'a pas
beſoin de venir dans l'ame, comme ſi
auparavant il n'y euſt pas été : car il y
eſt toûjours : mais il n'y eſt pas connu
ni manifeſté.
Quand donc on dit , que l'on doit
aller à lui , ou bien qu'il doit venir
dans l'ame, c'eſt tout autant que ſil'on
diſoit , que l'ame doit le chercher, le
ſentir & le goûter dans elle-méme.
4. Comme ce bien eſt un & unique,
il s'enſuit que l'unité & la ſimplicité
eſt meilleure que la multiplicité; auſſi
la Béatitude ne conſiſte point en mul
tiplicité ou pluralité , mais dans l'Un
& dans l'unité : ou , pour le dire clai
rement en peu de mots, la felicité ne
conſiſte pas en quoi que ceſoit qui ſoit
créature ou œuvre de créature » mais
ſeulement en Dieu , & en ſon opéra
tion. -

Et partant , je ne devrois m'atten


dre qu'à Dieu ſeul & à ſon opération ,
laiſſant-là toutes les créatures & toutes
leurs actions, mais ſur-tout me quit
tant moi-méme.
Au-reſte , je ne dois pas oublier,
que toutes les opérations & toutes les
merveilles que Dieu ait jamais faites,
ou qu'il puiſſe jamais faire dans toutes
les créatures & par elles , voire que
Dieu lui-méme & toute la penitº
e
24 . . La Theologie
de ſa bonté , ne peuvent me rendre
heureux entant & auſſi , longtemps
qu'ils ſont & qu'ils opérent hors de
moi; mais ſeulement entant qu'ils
ſont & qu'ils ſe produiſent dans moi,
& qu'ils y ſont aimés, connus, ſentis
& goûtés.

| | C H A P 1 T R E X.
I. La vraie lumiere découvrant que tout ce
i que la créature peut, n'eſt rien, met la
- main à la racine des affections & des
• deſirs , & n'en laiſſe que deux aux vrais
- éclairés , s'aprocher de Dieu, & que les
autres s'en aprochent auſſi. >
2. Encore me ſeles approprient-ils pas , & ſont
: ainſ vraiement libres & pauvres. | ,
3, La pauvreté d'eſprit eſt la choſe la plus
excellente , quoi-que ſouvent ſans goût ,
c3 méme bien-amére.
º l - • -

I, Lºº doit auſſi obſerver, quetous


ceux qui ſont illuminés de la
vraie lumiere, connoiſſent que tout ce
qu'ils peuvent deſirer ou choiſir eux
mémes, comme auſſi tout ce qui pour
roit jamais étre deſiré, choiſi ou connu
par aucune créature entant que créatu
re ou comme de ſon chef , n'eſt rien
dutout devant ce bien unique.
C'eſt
Germanique Chap. X. 25
C'eſt pourquoi ces perſonnes- lá
quittent tout deſir & tout chois, &
s'abandonnent & reſignent elles &
toutes choſes à ce vrai Bien éternel.
Cependant elles ont encore un de
ſir ; mais ce n'eſt que celui d'étre
mené vers le Bien éternel & de s'en
aprocher , c'eſt à dire, un deſir de le
connoitre de plus en plus, de l'aimer
de plus en plus, de lui plaire de plus
en plus , & de ſe ſoûmettre à lui, &
lui obeir plus parfaitement : de ſorte
que toute ame éclairée peut dire avec
verité : Je deſire de tout mon coeur
d'étre à l'égard du Bien éternel , ce
que (a) la main eſt à l'homme : Et
ils ſont toûjours dans la crainte de ne
pas correſpondre à Dieu aſſés fidéle
IIlCIit.

Ils ont encore un autre deſir , qui


eſt , celui du ſalut des hommes,
2. Mais ils ne conſiderent pas cede
ſir comme quelque choſe qui vienne
de leur crû ou qui ſoit à eux : ils n'ont
garde de ſe l'arroger ; puis qu'ils con
noiſſent clairement que ce deſir - là
n'eſt pas de l'homme, mais qu'il, eſt.
du Bien éternel. --

En effet , perſonne ne doit s'arroger


B , ' rien

(a) à ſçavoir, un organe tout dependant de lui,


conduit par lui, & par lequel il faſſe les operations
qu'il lui plaît.
26 La Theologie
rien de ce qui eſt bon : mais tout apar
tient au Bien éternel.
De telles gens ſont dans une liberté
ſi parfaite, qu'ils ont perdu la crainte
des peines & de l'Enfer , & l'eſpoir
du ſalaire ou du Paradis , ne vivans
plus que dans une pure dépendance &
ſoumiſſion au Bien éternel par le prin
cipe d'un amour tout libre & tout pur.
· Et cela s'eſt trouvé dans Jeſus Chriſt
en perfection, & auſſi dans ſes imita
teurs; dans les uns plus, dans les au
treS-IIlOl InS.
" 3. Cela n'eſt-il pas lamentable , que
le Bien éternel nous montrant ce qu'il
y a de plus noble, & nous y attirant ;
nous ne voulions pas cependant nous
y rendre ? Qui a-t'il de plus noble que
ſa veritable pauvreté, [ou nudité libre
&] ſpirituelle ? Et neanmoins quand
elle nous eſt preſentée, nous n'en vou
lons point ! - -

| Nous voulons follement étre ſages


à nous-mémes : de ſorte que s'il arrive
que nous nous trouvions dans quelque
§timent, de douceur , de goût » de
plaiſir interieur , nous voulons croire
qu'il nous va bien alors, & que nous
§ons beaucoup Dieu. Mais cela
vient il à nous manquer , nous voilà
deſolés , nous oublions Dieu » nous
nous tenons pour perdus. Cela
Germanique Chap. XI. 27

Cela eſt une grande imperfection
& un bien mauvais ſigne : Car un vrai
amateur de Dieu » aime également ce
Bien éternel dans la poſſeſſion & dans
la deſtitution , dans la douceur & dans
l'amertume, & parmy de ſemblables
viciſſitudes.
: Que chacun s'examine & ſe recon
noiſſe à ceci. : 2 ". " . ,

C H A P I T R E XI.
I. Amertume de la pauvreté d'Eſprit : vüe »
ſentiment & vraie penitence du péché.
- Enfer Spirituel. - , "

2. conſolations & Paradis qui le ſuivent


- dés ici. · · · , · · -
3. Abandon univerſel dans l'Enfer de la
•"
· deſolation. pi , , , ,
4. Excellence & grandeur de l'état qui s'en
i ſuit. · · · · · ·, i ' » .1 al ,

5. viciſſitudes & ſeureté de ces deux étatº


|. durant cette vie. .. : · 1 · · ·
Sur ce qu'il eſt dit, que J. C, eſt,ºrº
miérément deſcendu aux Enfers » &
- puis monté au Ciel. ' · .
I, L# de JEsUs CHRIST devoit aller
dans l'Enfer avant que d'entºr dans
le paradi, & iienBeſt2 auſſi de m麺º
l'ame
28 La Theologie
l'ame de l'homme : mais remarquez
bien comment ceci ſe fait.
Quand l'homme vient à ſe recon
noitre & à ſe regarder ſoi-méme, il
ſe trouve ſi méchant , qu'il ſe tient
non-ſeulement pour indigne de tou
te conſolation & de tout bien qui
pourroit lui venir de la part de Dieu
ou des créatures ; mais méme pour
perdu & damné éternellement , &
de plus pour indigne de ce traite
ment-là , comme auſſi de toutes les
peines qu'on pourroit lui faire dans le
monde.
Il lui ſemble qu'il eſt trés-juſte &
trés-raiſonnable que toutes les créatu
res lui ſoient contraires , qu'elles le
tourmentent & le faſſent ſouffrir, &
que cependantil n'eſt pas encore digne
d'étre ainſi traitté.
Il lui ſemble encore qu'il eſt fort
jufte qu'il ſoit damné éternellement,
qu'il ſoit reduit à étre le marchepied
de tous les Demons dans le fonds de
l'Enfer , & qu'aprés tout » ce n'eſt
pas le traitter encore ſelon ſes deme
rites. · * º * »
Dans cet état-là il ne ſe peut & ne
veut deſirer ni delivrance ni conſola
tion » non plus de la part de Dieu ,
que de celle des creatures; mais il eſt
· content d'en étre privé & d'y demeu
1er
Germanique Chap. XI. 29
rer ainſi (a) ſans que ſa damnation &
ſes peines lui ſoient à deſaveu, parce
qu'il les regarde comme juſtes & équi
tables, comme non oppoſées , mais
conformes à la volonté de Dieu. Et
ainſi cela lui plait, & il y acquieſce.
La ſeule choſe qui lui tient au cœur,
& dont il eſt mari & afHigé , eſt ſon
peché & ſa méchanceté , parce qu'il
n'y a que cela qui ſoit injuſte & oppoſé
à Dieu.
Voilà ce qu'on doit appeller & ce
qui eſt en effet, la vraye penitence & le
vrai regret du peché.
2. Quiconque deſcend ainſi dans
l'Enfer durant cette vie, entrera aprés
elle dans le Royaume du Ciel, dont il
aura dés ici méme certain avant-goût,
qui ſurpaſſera toutes les joies & tous les
plaiſirs que toutes les créatures pour
roient jamais avoir donné ou pour
roient jamais donner dans letemps.
3 Pendant que l'homme eſt dans
cet Enfer, perſonne ne ſauroit le con
ſoler , ni (b) Dieu , ni créatures, ſelon
cette parole commune , Il n'y a point
de delivrance dans l'enfer. Ce qui faiſoit di
re à quelqu'un qui étoit dans cet état,
B 3 7e
(a) Voyez ſur cette matiére la Theologie de la
Croix. livre. 2. Part 1. ch. 5. pag. 238
(b ) Aſſavoir s'il ne lui plaiſait pas de changer
ſa maniére d'operer. Theol. de la Croix. pag. 245.
3o La Theologie
%e me ſents tout perdu , rangé parmy les
m0rt4 2 -

je me ſents tout damné tant dedans que


dehors ,
- Sans que rien me conſole :
Et pour chercher ſecours je n'ai cœur ni
parole.

4. Or Dieu n'abandonne pas l'hom


me dans cet # nfer ; mais il l'en retire,
& l'unit tellement à ſoi , que cette
ame-là ne deſire enſuite plus rien que
le Bien éternel, lequel fait deſormais
toute ſa joye, toute ſa paix , tout ſon
repos, & tout ſon contentement; puis
qu'elle connoit que le comble de tous
biens eſt compris dans lui.
Dés que l'homme eſt venu à ne plus
ſe ſoucier que du Bien éternel, & qu'il
n'a plus ni eſtime ni deſir pour nulle
autre choſe, dés lors la paix , la joye ,
la lieſſe , le plaiſir, & tout ce qui ap
partient au Bien éternel , ſont tous à
lui ; & il ſe trouve alors dans le
Royaume du Ciel. , -- . -

5 Cet Enfer & ce Paradis-là ſont


à l'homme deux bonnes & ſeures
voyes durant cette vie. Heureux ce
lui qui les trouve veritablement ! car
cet Enfer aura ſa fin : mais le Royau
me du Ciel qui le ſuit , ſubſiſtera éter
nellement. - -

- - .. .. Il
Germanique Chap. XI. 31
g Il eſt bon de remarquer, que quand
on eſt dans cet Enfer, on ne ſçauroit
recevoir de conſolation de quoi que ce
ſoit , & qu'on ne peut ſe perſuader
qu'on ſera jamais ni conſolé ni deli
vré : comme au-contraire , quand on
eſt dans ce Paradis on ne ſçauroit étre
atteint ni de trouble, ni de triſteſſè, ni
croire que l'on en ſera jamais plus ac
cueilli. Cependant aprés cet Enfer
vient la conſolation & la delivrance ;
& aprés ce Paradis, il revient encore
des troubles & des deſolations,
Cet Enfer & ce Paradis ſurviennent
à l'homme ſans qu'il ſache d'où : & il
ne ſauroit de ſoi ni faire ni laiſſer quoi
que ſoit par où il puiſſe ſe procurer
la venüe ou l'iſſüe de l'un ni de l'autre :
Il ne peut ni ſe donner ni s'ôter , ni
faire ni defaire l'un non-plus que l'au
tre : mais il en va ſelon la parole de
l'Ecriture : (a} le vent ſouffle où il veut,
& vous en entendez bien le bruit, (c'eſt à
dire vous vous apercevez bien de ſa
preſence ; ) mais vcus ne ſavez ni d'où
il vient , ni où il va. . - - ' ,

Quand l'homme ſe trouve dans l'un


ou dans l'autre de ces deux états, tout
va bien pour lui. Il fait auſſi ſeur
pour lui dans cet Enfer, que dans ce
Royaume du Ciel.
B4 , Pendant
(a) Jean, 3.
· 32 - La Theologie
Pendant qu'il eſt dans cette vie tem
porelle , il peut fort ſouvent changer
de l'un à l'autre , méme en l'eſpace
d'un ſeul jour, ou d'une ſeule nuit,
ſans que cela vienne de lui.
Mais quand il ſe trouve hors de ces
deux états - là , il s'occupe des créa
tures, & va inconſtamment çà & là
ſans ſavoir à quoi ſe tenir » [& partant
en peril.]
Il ne devroit pourtant jamais ban
nir de ſon cœur le ſouvenir de ces deux
états-là. .

C H A P I T R E X I I.
1. De la fauſſe Paix & de la veritable.
: 2. Il ne faut s'appeller ni ſe precipiter dans
: les voyes ſpirituelles.
-3. Trois voyes ſpirituelles.
. I • B# des gens ſe plaignent , de
n'avoir ni Paix ni repos ; &
· qu'ils n'ont au-contraire qu'adverſi
tés , oppoſitions, ſouffrances & op
preſſions. •• • • • .' •!

, Mais ſi l'on veut bien conſiderer


-dans la verité la raiſon de cette plainte,
on trouvera que ſur ce fondement-là le
Diable méme pourroit pretendre à la
paix , aſſavoir , en cas que tout allaſt
à ſa volonté & ſelon ſes deſirs. E
• • • , '-! t
Germanique Chap. XII. 2
Et partant, & remarquons & com
prenons bien , quelle eſt la nature de
: la veritable Paix , de la paix que Jeſus
Chriſt laiſſa à ſes Apôtres lors qu'il
leur dît : (a) fe vous laiſſe ma paix ;je vous
donne ma paix ; non une paix telle que le mon
de la donne : puis qu'en effet le monde
ne fait que tromper avec ſes dons.
Quelle eſt donc la Paix dont Jeſus
Chriſt parle ?
Il entend parler de la paix interieu
re , qui étant établic dans le fonds du
coeur , rayonne & pénétre de-là au
travers de toutes les oppoſitions , de
toutes les adverſités, de toutes les op
preſſions, afHictions, miſeres & dif
famations, & de toutes les contrarie
tés ſemblables , parmi leſquelles on
ſubſiſte tout joyeux & avec patience,
ainſi que firent ſes Diſciples bien-ai
més; & non-ſeulement eux, mais auſſi
tous les amis & élus de Dieu,& tous les
vrais imitateurs de Jeſus Chriſt.
A preſent de méme , quiconque
voudroit s'y adonner avec ſoin & avec
amour , pourroit ſans doute venir en
core à goûter autant que la créature en
eſt capable quelle eſt la vraye & l'eter
nelle Paix, qui n'eſt autre choſe que
Dieu-méme,
B 5 2. Tem -

t Jean, 14,
g- - va
* , .# $
34. dâ * té# Theologie
2 Temlére enſeigne (a) quelque
part, qu'il y a des perſonnes qui don
nent trop-toſt congé aux (b) images,
avant que la verité méne les en déli
vre : Et que parce qu'ils s'en delivrent
eux mémes,ils ne v1ennent qu'à grand'
peine , ou méme ne viennent jamais
à la verité-méme.
C'eſt pourquoi on doit toûjours
prendre bien garde à l'œuvre & à la
conduite de Dieu ſur nous, à ſa voca
tion , à ſon attrait & à ſon appel; &
non pas à l'appel & au mouvement de
l'homme.
3. On doit ſavoir , que perſonne ne
peut étre illuminé ſi avant cela il n'eſt
purifié, & évacué : & auſſi que nul ne
peut s'unir à Dieu , qu'il ne ſoit pre
miérement illuminé. | | | | | |
Et ainſi il y a trois voies Spirituel
les , la premiére , celle de la purifica
tion ; la ſeconde, celle de l'illumination ;
& la troiiiéme , celle de l'union.
-

- " ? - - 1 !

C H A P 1 r R E XIII.
1. L'obéiſſance s'oublie ſoi-méme , & ne
penſe qu'à Dieu.
;
2. La
(a)Voyez ſon Inſtitution , Chap. 35.
(b) c. a dire , aux penſées, méditations , exerci
tés , pratrqttes particuliéres c3 d'activité.
Germanique Chap. XIII. 35
2. La desobeïtlance au-contraire.
3. 7eſus Chriſt a été pleinement dans la par
faite obeiſſance.
1.TOut ce qui eſt peri & qui eſt
· mort en Adam , eſt reſuſcité &
· a repris vie en Jeſus Chriſt : & au-con
traire, ce qui eſt ſuſcité & qui a repris
vie en Adam , eſt peri & mort en Jeſus
Chriſt.
Mais qu'eſt-ce que cela ?
Je réponds, que c'eſt l'Obeiſſance , &
la Desobeiſſance.
Et qu'eſt-ce que l'obeiſſance ?
C'eſt quand on eſt & qu'on demeure
ſans ſoi-méme, ſans le ſoi & ſans le moi ;
quand en toutes choſes on ſe cherche
auſſi peu & qu'on penſe auſſi peu à ſoi
& à ſon propre , que ſi l'on n'étoit
point du tout; quand on ſe ſent auſſi
peu, & qu'on s'eſtime auſſi peu & ſoi,
& ce qui eſt du ſien , & toutes les crea
tures, que ſi effectivement tout n'étoit
f1CI1 •

Mais que faudra-t'il donc tenir pour


quelque choſe de réel ? & de quoi fau
dra-t'il faire cas ? Je réponds, de rien
que d'une ſeule choſe, & cette ſeule
choſe eſt D I E U.
Et voilà la vraie Obéiſſance ! Auſſi
dans l'éternité bien - heureuſe rien ne
s'y
y p #
penſe, rien neBs'y aime que
que ſeule
cette
36 La Theologie
ſeule & unique choſe ; & on n'y fait
cas de rien que d'elle ſcule.
2. On peut facilement remarquer
d'ici en quoi conſiſte la desobeiſſance, à
ſçavoir, en ce que l'homme faſſe quel
que cas de ſoi, s'imagine d'étre quel
que choſe , de ſavoir quelque choſe,
de pouvoir quelque choſe; en ce qu'il
ſe cherche & ſoi & le ſien dans les créa
tures; qu'il s'aime ſoi-méme, & ainſi
du reſte.
3. L'homme a été créé pour la véri
table Obéiſſance, & il la doit à Dieu.
Cependant c'eſt elle qui eſt morte
& perie en Adam : Mais elle eſt reſſuſ
citée & reventie à vie en Jcſus Chriſt :
de méme que la deſobéiſſance ayant
pris vie & étant ſuſcitée en Adam , eſt
morte en jeſus Chriſt.
Et par effet , l'humanité de Jeſus
Chriſt étoit & demeuroit autant ſans
ſoi-méme & ſans attachement à quoi
que ce ſoit , qu'aucune créature ait ja
mais fait. Ce n'étoit qu'un pur domi
cile de Dicu. Elle ne s'attribuoit &
ne s'approprioit nulles des choſes qui
appartenoient à Dieu , pas méme ſon
propre étre humain,ni ſa propre vie, ni
ce qu'elle étoit un domicile de la Di
vinité, encore moins la Divinité mé
me qui demeuroit dans elle, ni auſſi
rien de tout ce que la méme Divinité
vouloit
Germanique Chap. XIII. 37
vouloit ou laiſſoit dans elle, non-plus
que rien de tout ce qui s'y faiſoit ou qui
s'y ſouffroit.
Si-bien que dans cette humanité il
n'y avoit ni proprieté, ni recherche
du propre, ni propre deſir; mais ſeu
lement , une recherche & un deſir de
ſatisfaire à Dieu, & de le contenter : &
ce deſir, elle ne ſe l'attribuoit pas mé
IIlC,

Le ſens de cette verité eſt ſi profond,


que l'on n'en ſauroit ni dire, ni écrire
ici davantage. Il eſtineffable ; il ne ſe
peut ſonder ; jamais l'on ne pourra
l'exprimer ſuffiſamment ; & ſi quel
qu'un n'eſt pas cela-méme, & ne le
ſçait d'experience, il eſt incapable &
d'en bien parler & d'enbien écrire.

C H A P I T R E XI V.

I. Tout revient à l'obeïſſance & à la des


obeïſſance, ſavoir le vieil & le nouvel
homme , étre enfant d'Adam ou de Dieu,
mourir à ſoi & renaître.
2. Item , étre mort & vivant , avec c4,
ſans Dieu , avec & ſans peché.
3. Item étre plus ou moins pecheur, malin
ou juſte.
4. Plus ou moins en ſouffrances & douleurs.
5, La ſeule desobeiſſance eſt desagréable à
B 7 Dieu 2
38 La Theologie
Dieu, & plus amére que mille morts.
6. Plus on aproche de la pure obeiſſance, plus
eſt-on deifié, & auſſi plus affligé par la des
obeiſſance. -

I• Lºn doit bien remarquer, quand


on parle du Vieil-homme & du
nouvel-homme , que par le vieil-homme
il faut entendre Adam , la desobeiſ
ſance, le moi & le ſoi ; & choſes ſem
blables; & que le nouvel homme eſ
Jeſus Chriſt & l'obéiſſance.
Quand on dit qu'il faut mourir, qu'il
faut faire perte de ſa vie, & choſes ſem
blables, on veut ſignifier par-là l'ané
antiſſement du vieil homme ; & lors
que cela ſe fait dans quelqu'un par la
lumiére divine , l'homme nouveau
vient à y renaître.
L'homme , dit-on , doit mourir à lui
méme : c'eſt à dire , qu'il doit mourir
à ſon ſoi & à ſon moi : ſur quoi S. Paul
dit, (a) Depoſez le vieil-homme, & vous
revêtez de l'homme nouveau, qui eſt créé 3
formé ſelon Dieu.
Quiconque vit dans ſa proprieté &
ſelon le vieil-homme , s'appelle en
fant d'Adam , comme il l'eſt en effet :
il peut méme s'établir ſi avant & vivre
ſi pleinement en cet état, qu'il en de
vienne fils & frére du Diable. Com
IIlC

(a) Epheſ 4 : 22 , 24,


Germanique Chap XIV. 39
me au-contraire , celui qui vit dans
|! l'obeiſſance & dans le nouvel-homme
eſt frere de Jeſus Chriſt & enfant de
Dieu.
Où le vieil-homme vient à mourir
& l'homme nouveau à naitre , là ſe
fait la ſeconde naiſſance dont Jeſus
Chriſt dit, (a) Si vous n'étes nés de nou
veau , vous n'entrerez point dans le Royaume
de Dieu.
2. S. Paul dit à ce ſujet : que (b)
comme tous les hommes meurent en Adam,
auſſi ils revivent tous en feſus Chriſt : qui
eſt comme s'il affirmoit , que tous
ceux qui ſuivent Adam dans la des
obeiſſance , ſont morts , & que ja
mais ils ne redeviendront vivans que
dans Jeſus Chriſt , c'eſt à dire, dans
l'obéiſſance.
Cela vient de ce qu'auſſi longtemps
qu'on demeure fils d'Adam , ou Adam
méme, on eſt ſans Dieu.
Jeſus Chriſt méme dit , que (c)qui
conque n'eſt pas avec lui eſt contre lui : Or
quiconque eſt contre Dieu , eſt ſans
doute mort devant Dieu ; & partant,
tous les enfans d'Adam ſont mortsde
vant Dieu : Mais celui qui eſt avec
Jeſus Chriſt dans l'obeïſſance, étant
avec Dieu, il s'enſuit qu'il eſt vivant.
11
(a) Jean. 3. (b) I Cor, 15 : 2 I.
(c) Luc, I1 : 23,
O La Theologie
Il ſe trouve écrit quelque part, que
le peché eſt , que la Creature ſe de
tourne du Createur : Cela revient à
ce que deſſus, & c'eſt la meme choſe :
car quiconque eſt dans la desobeïſſan
ce, eſt dans le peché; & le peché ne ſe
ra jamais expié ni ôté, que par le re
tour dans l'obeïſſance.
Et partant, tout le temps quel'hom
me demeurera dans la desobeïſſance,
ſon peché ne ſera jamais expié,ni repa
ré , quelque choſe qu'il puiſſe faire.
Remarquez bien cette verité. C'eſt
que la desobéïſſance eſt le peché mé
me.

Mais dés qu'il revient à la vraie


obeiſſance , tout eſt reparé , expié ,
pardonné, & pas autrement. Verité
remarquable !
Si le Diable méme pouvoit revenir
à la vraie obeïſſance , il deviendroit
un S.Ange, tous ſes pechés & toute
ſa malignité ſeroient redreſſés, expiés
& entierement pardonnés. Et au con
traire, ſi un Ange prenoit le parti de
la desobéïſſance, il deviendroit incon
tinent Diable, quoi qu'il ne fiſt rien
d'autre.
s'il étoit poſſible qu'un homme fuſt
entierement dépouillé de ſoi-méme &
de toutes choſes, & qu'il fuſt pure
ment dans la vraie obeïſſance , ainſi
qu'a
Germanique Chap. XIV. 4I
qu'a été l'humanité de Jeſus Chriſt , il
: ſeroit ſans peché; il ſeroit un avec Je
ſus Chriſt : il ſeroit par grace ce que
Jeſus Chriſt a été naturellement. Mais
comme on dit que cela ne ſe peut , on
dit auſſi que perſonne n'eſt ſans péché. -
3- Quoiqu'il en ſoit, il eſt pourtant
toûjours vrai, que plus on aproche de
cette obeïſſance, moins il y a de peché;
& plus on s'en éloigne, plus il y a de
peché dans l'homme. -

En un mot, que l'homme ſoit bon,


meilleur, ou trés-bon; méchant , pir
re , ou trés - méchant; criminel ou
heureux devant Dieu , tout cela dé
pend uniquement de ce point » de
l'obeïſſance & de la desobéiſſance.
A cela revient cette autre parole :
Plus il y a du M o I & du s o I , plus il y a
de peché & de malignité: & moins il y a
de l'un, moins y a-t'il auſſi de l'autre :
Et encore celle-ci : Plus mon M o I , ou
le moi humain , décroît dans moi; plus le
M o I divin, c'eſt à dire, Dieu méme,
y accroiſt. - |
4. Si tous les hommes étoient dans
la véritable obéiſſance, il n'y auroit
point de peines ni de douleurs ſinon
quelques douleurs legéres dans les ſens »
dont pourtant on ne ſe devroit pas
plaindre H n effet , ſi tous étoient
dans l'obeïſſance, tous ſeroient un#
42 La Theologie
& perſonne ne feroit mal au prochain :
perſonne auſſi ne vivroit & ne feroit
rien contre Dieu. D'où pourroient
donc venir alors les ſoufrances & les
douleurs ? Mais helas ! il en eſt bien
autrement , maintenant que tous les
hommes & tout le monde ſont dans la
desobéïſſance !
Auſſi s'il ſe trouvoit quelqu'un qui
fuſt purement & entierement dans
l'obeïſſance , comme nous croions
qu'y a été Jeſus Chriſt, (qui ſans cela
n'auroit pas été ce qu'il étoit) à un tel
la desobéïſſance de tous les hommes
ſeroit un ſujet de douleurs bien améres
& bien lamentables : car tous les hom
mes ſeroient contre lui, puiſque lui,
étant dans l'obéïſſance, ſeroit Un avec
Dieu , & que Dieu ſeroit lui-même
(a) homme & tout dans cet homme
là.
Concluſion , toute desobéïſſance eſt
contre Dieu , & rien d'autre.
5. Et dans la verité, rien n'eſt con
traire à Dieu , ni créature, ni œuvre
de créature, ni rien de tout ce qu'on
ſauroit nommer ou penſer, rien dis-je
n'eſt contraire à Dieu , ni ne lui de
plaît , que la ſeule desobéïſſance &
l'homme desobéiſſant.
Enfin , tout ce qui eſt, plaît & •g :
(a) lett. homme dans lui.
Germanique Chap. XIV. 43
à Dieu , excepté la desobéïſſance &
le desobéiſſant , qui lui déplaiſent ſi
fort , lui ſont ſi à contre - cœur, &
dont il ſe plaint tant , qu'au-lieu que
l'homme eſt ſimplement ſenſible aux
choſes qui lui ſont oppoſées , Dieu de
ſon côté endureroit volontiers mille
morts, ſi par-là il pouvoit faire mourir
la desobeïſſance dans un ſeul homme,
& y ramener l'obéiſſance.
6. Or quoique peut eſtre perſonne ,

ne ſoit pleinement & purement dans


cette obeïſſance, ainſi qu'y a été Jeſus
Chriſt, il eſt pourtant poſſible à l'hom
me d'en aprocher de ſi prés, qu'il en
devienne & ſoit divin & deïfié. Et
alors, plus il en aprochera & ſera di
vin & deïfié, plus auſſi toute desobeiſ
ſance, tout peché & toute injuſtice,
lui fera de la peine & lui cauſera des
douleurs bien améres.
La desobeiſſance & le péché, ſont
une méme choſe. Il n'y a point de pe
ché que la desobeiſſance & que cequi
en procéde.
-

C H A P I T R E X V.

I. L'Eſprit d'indolence ne doit point avoir


de lieu ſt longtemps que dure la desobéiſ
ſance.
2 L'hom
La Theologie
2. L'homme ne doit tirer nul bien à ſoi :
mais malheur à lui s'il ne veut point tirer
à ſoi la coulpe & la douleur du mal ,
ſuivant l'eſprit d'indolence & de fauſſe
liberté.

I. I# y en a qui diſent, qu'il ſe trouve


des perſonnes qui le perſuadent &
qui aſſurent d'étre tellement mortes à
elles-mémes , & tellement degagées
& ſorties d'elles-mémes, que d'étreim
paſſibles, & de vivre dans un état d'in
dolence, où elles ne ſont plus émües
de rien, juſtement comme ſi tous les
hommes étoient retournés dansl'obéiſ
ſance, ou méme qu'il n'y euſt point de
créatures : & ſur cela , ces gens-là
menent une vie gaye & commode,
ſans ſe mettre en peine de tout ce qui
arrive , de quelque nature que cela
puiſſe étre,
Les choſes pourtant ſont bien eloi
gneés de cet état-là : & partant , de
neceſſité tout doit aller, pour bien al
ler, comme on vient de le dire.
Si tous les hommes étoient revenus
à l'obeïſſance, cela ſeroit bon. Mais
comme ceci n'eſt pas, l'autre auſſi n'a
point de lieu.
2. Quelqu'un pourra m'objecter ,
qu'on a pourtant dit , que l'homme
devoit étre dégagé & libre, ſans rien
tlrer
Germanique Chap. XV.
tirer à ſoi, ou ſans prendre part àrien -
ſoit bien , ſoit mal.
Je réponds » que pour ce qui eſt du r
bien, l'homme ne doit pas le tirer ou x
»
le rapporter à ſoi ; , puis qu'il eſt de
Dieu & de ſa Bonté : quoique pour--
tant loüanges, ſalaire & ſalut éterneI
doivent étre le # de celui qui au
ra été propre & diſpoſé, & qui aura
conſenti à étre un domicile du Bien
#
éternel & de la Divinité, laquelle aura
pû déploier & excercer dans lui ſa
puiſſance, ſa volonté & ſes œuvres ,
ſans y trouver d'obſtacle.
Pour ce qui eſt du mal , ſi l'homme
vent auſſi s'en décharger, & ne pas en
tirer la coulpe à ſoi, mais rejetter le
tout entierement ſur le Diable & ſur la
malignité de la nature, voici ce que
j'ai à lui dire :
Blâme , infamie, malheur & dam
nation éternelle à l'homme , de ce
qu'il s'eſt diſpoſé » qu'il s'eſt rendu
propre, qu'il a permis & qu'il a con
ſenti à ce que le Diable, la fauſſeté, la
tromperie , le menſonge & toute ſortc
de mechanceté , déploient & exer
cent dans lui leur volonté, leur pou
voir, leurs œuvres & leurs paroles ,
& qu'il en ſoit devenu le domicile & le
malheureux tabernacle !
CH A°
46 La Theologie

|c H A P 1 T R e XV I.

I. La vraye connnoiſſance & le vrai a


mour ne font reconnoitre & embraſſer que
la vie de J. C H R I s T , quoi qu'ame
re à la nature; & rejetter la vie fauſſe
ment libre & indolente , quoi qu'agréa
ble aux ſens.
2. Et cela ſe trouve ainſi réellement jusqu'à
la mort dans quiconque ſe trouve la vraye
connoiſſance.
1, Ette importante verité doit étre
^-’crüe & connüe de tous, aſſa
voir, qu'il n'y a point de vie ſi noble , ſº
excellente & ſi agréable à Dieu, que la vie de
J E s U s C H R r s T , qui cependant
eſt une vie trés-amére à toute nature &
à tout ſoi : au-contraire, il n'y a point
de vie plus douce & plus agréable à
toute nature, au ſoi & au moi, que la vie
fauſſement libre, ou la vie libertine,
mais elle n'eſt pas la meilleure & la plus
noble, quoique quelques-uns latien
nent pour telle. .. · - )

Il n'y a que la vie de Jeſus Chriſt,


qui , quoique trés-amére , eſt néan
moins la vie la plus digne & la plus
aimable de toutes. Et cela ſe connoit
ainſi. .
, ' ! Il
Germanique Chap. XVI. 47
Il y a une maniére de connoitre ,
ou une ſorte de connoiſſance par la
quelle ſe connoit le ſimple & le vérita
ble bien, le bien qui n'eſt ni ceci nice
la de particulier , le bien dont Saint
Paul dit : Quand le parfait & le total vient,
l'imperfection & ce qui n'eſt que partie ceſſe.
Comme S. Paul veut dire ici , que
le Parfait ſurpaſſe tout ce qu'il y a de
particulier; & que tout ce qui eſt par
ticulier & imparfait, n'eſt rien devant
le Parfait ; il en eſt de méme de la con -
, *
noiſſance de queſtion : devant elle , on
t: º.
ne reconnoit rien d'imparfait » tout -

cela s'efface. , -
# , .
*
On quand le parfait & total eſt con 1 -
nu , & là où il eſt connu , il y eſt auſſi || »
alors aimé infailliblement : & partant,
(a) l'amour, par lequel l'homme s'ai |
me ſoi-méme & aime les autres choſes,
y eſt auſſi entierement détruit.
, 2. C'eſt par cette eſpece de connoiſ
ſance , qu'on connoit ce qui eſt le plus
|
excellent & le plus noble en toutes
choſes, & qu'on l'aime dans (b) le vrai
Dieu & ſeulement pour l'amour du
vrai bien.
Et où cette ſorte de connoiſſance ſe
* . * • ' !" trOuVe
- - , - • • • -

(a) expl. car, fi la connoiſſance du parfaït anéan


tit celle de i'imparfait, l'amour du parfait anéan
tit auſſi celui de l'Imparfait.
(b) antr, dans le vrai bien
48 La Theologie
trouve , on y connoit auſſi que la vie
de Jeſus Chriſt eſt la choſe la meilleure
& la plus noble de toutes : & partant
elle y eſt auſſi la plus cherie : & elle y
eſt reçüe, embraſſée & conſervée fort
volontiers, ſans qu'on ſe ſoucie ſi cela
fait mal ou non , & ſi cela déplait ou
non, à la nature, ou à qui que ce ſoit au
monde.
Remarquez bien ceci, c'eſt à ſça
voir, que dans qui que ce ſoit que ſe
trouve la connoiſſance de ce bien veri
table , là ſe doit auſſitrouver la vie de
Jeſus Chriſt, & y demeurer conſtam
ment juſqu'au dernier ſoûpir de la vie
mortelle.
Quiconque penſe autrement , eſt
trompé ; & qui dit autrement , dit
fauſſeté.
Celui dans qui la vie de Jeſus Chriſt
ne ſe trouve pas, n'a pas auſſi la con
noiſſance du vrai bien, ni de la verité.

C H A P I T R E , XVI I.

I. Les études ni l'eſprit naturel ne font venir


perſonne à la vraye lumiere, ni à la vie
de J. CH R I s T.
2 L'attachement au propre y eſt un obſtacle
conſtant :
3. Et
Germanique Chap. XV I I. 49
3. Et auſſi l'amour de ce qui n'eſt qu'en partie;
d'où vient l'aveuglement de l'ame.
I. P Erſonne ne doit s'imaginer qu'on
parvienne à cette veritable lu
miére, à cette vraye connoiſſance ou
à cette [excellente] vie de J E s U s
C H R I sT par la voye de faire beau
coup de queſtions & de beaucoup é
couter, de lire ou d'étudier, non-plus
que par le moien des arts & des ſcien
ces, ni par celui d'un grand eſprit na
turel. -

2. Je dis bien plus : c'eſt qu'on n'y


atteindra jamais auſſi longtemps qu'on
retient quelque choſe de propre , &
que nôtre amour, nos deſſeins , nos
• deſirs , nos recherches ont pour objet
quelque choſe de propre, quelle que
uiſſe étre cette choſe-là. -

Jeſus Chriſt l'a dit lui-méme : (a) si


vous voulez venir aprés moi , renoncez-vous
vous-méme, & ſuivez-moi : & , quicon
que ne ſe renonce pas , ne ſe quitte, & ne ſe 4
perd, il n'eſt pas digne de moi , & ne peut
étre mon Diſciple.
C'eſt comme s'il diſoit : Quicon
que ne quitte & ne perd tout , ne
pourra jamais me connoitre dans la
verité , ni parvenir à ma vie. . Et
quand bien ces paroles n'auroient pas
- , , ! , , , etc
(a) Matth. 1o, & 16 Lue. »
5o La Theologie |
été prononcées par ſa bouche corporeI |
le , la verité néanmoins les dičte aſſez
d'elle-méme : & effeétivement la cho
ſe eſt ainſi dans la verité.
3. Mais parce que l'homme aime ce
qui n'eſt que partie, ou que particulier
& borné, & ſingulierement ſoi-mé
me ; qu'il s'en occupe & qu'il en fait
cas, il en eſt rendu ſi aveugle, qu'il
ne reconnoit pour bien que ce qui lui
eſt le plus utile , le plus commode &
le plus plaiſant. Voilà ce qu'il tient
pour le meilleur, & ce qui lui eſt auſſi
le plus agréable.

C H A p I T R E XV I I I.

1. La mature abhorre la vie de J E s u s


C H R I s T comme mauvaiſe & inſenſée ,
é porte à une vie commode, indolente &
de fauſſe liberté.
2. Cela ſur-tout dans les plus grands eſprits
naturels , qui auſſi ſont de grands ſeduc
teurs & corrupteurs.
I. L# vie de J E s u s C H R 1 s r é
| *- tant donc trés amere à toute na
ture, au moi & au ſoi, puiſque pour
l'embraſſer il faut quitter, perdre , &
faire mourir tout moi & toute proprié
té, de-là vient que la rnature
> .
de chacun
fremit
,

Germanique Chap. XVIII. 51


fremit à ſon ſujet , & qu'il lui ſemble -

que c'eſt un bien grand mal , & que


méme c'eſt folie & injuſtice que de s'y
reduire.
Elle fait qu'au-contraire on embraſ
ſe une vie la plus commode & ia plus
douce qu'on peut , en penſant & en
ſoûtenant dans l'aveuglement où l'on
eſt, que telle ſorte de vie eſt la meilleu
re de toutes.
Or comme il n'y a point de vie plus
commode & plus plaiſante à la nature
que la vie fauſſement libre & indolen
te , pour cet effet la nature s'entient
là , & ne manque pas de s'y regler par
ſon moi & par ſon propre, d'y chercher
ſes propres aiſes, ſa paix , & tout ce
qui l'intereſſe & la regarde
2. Cela ſe pratique ſur-tout dans les
ſujets où il ya un grand eſprit naturel.
Car cet eſprit s'éléve ſi haut en ſoi-mé
me & dans la lumiere & la raiſon na --

turelle, qu'il s'imagine que la raiſon


: ſoit la lumiére veritable & éternelle : -
-

& il la recommande auſſi aux autres


comme telle. -
,
· Mais comme il s'eſt trompé lui-mé
me, il ne manque pas de tromper auſſi
les autres, qui ne ſachant pas mieux
ont cependant de l'inclination vers ce
parti-là.
C 2 CH A "
52 , La Theologie

C H A P I T R E , XIX. -

I. La veritable lumiére accorde pourtant à


ceux qu'elle éclaire les choſes de neceſſité
& de devoir dans leur conduite exteri
CUlI'C.
2. Les hommes ſe trompent dans leurs juge
mens ſur les choſes deneceſſité & de devoir.
3. Le vrai neceſſaire & le vrai devoir donnent
aſſés d'occupation.
I. Lºº peut ici me demander, ce
qu'il en eſt de la conduite d'un homme
qui ſuit à ſon poſſible cette véritable lumie
re ?
Je réponds, que c'eſt ce qui ne ſe
ſauroit jamais bien dire Comment ce
la ? Parce que ceux qui ne ſont pas
dans cet état, ne peuvent en parler :
& que ceux qui y ſont & qui le ſavent,
ne le ſauroient exprimer. "
Si cependant quelqu'un en veut a
voir la connoiſſance , qu'il attende
juſqu'à ce qu'il y ſoit arrivé lui-méme.
J'eſtime neanmoins que le regime
exterieur & les maniéres d'une telle
perſonne, ſont à peu prés ainſi : c'eſt
que les choſes de neceſſité & de devoir
ſont compatibles avec ſa conduite ;
mais que celles qui ne ſont ni de devoir
1l1
Germanique Chap. XIX. 53
ni de neceſſité, mais de pur plaiſir ou
de pure volonté, ne peuvent y avoir
lieu.
2. Remarquez néanmoins , que
l'homme ſe fait lui-mémeen bien des
rencontres des cas de neceſſités , des
faire le faut, des choſes de devoir , en
quoi cependant il n'y a que fauſſeté &
que tromperies.
En effet, ſi l'orgueil, ſi l'avarice ,
ſi d'autres inclinations vicieuſes & ma
lignes, portent l'homme à faire ou à
omettre quelque choſe , il ne manque
pas de dire incontinent,il eſt neceſſaire, 1 L
F A u T que cela ſoit: & cela ſe D o 1 T. Si
la faveur & l'amitié des hommes ou ſi
fon propre plaiſir l'inclinent vers quel
que choſe , ou s'ils l'en detournent,
il dira ſoudain : voilà qui D o I T étre :
ceci eſt N E c E s s A 1 R E : & cependant
tout n'eſt que fauſſeté.
3 Certes ſi l'homme n'avoit point
d'autre il faut, point d'autre cela ſè doit,
que ce a quoi Dieu , (qui prend ſoin
de nôtre conſervation & de nôtre ne
ceſſaire) & à quoi la veritable lumiérc
I'inclinent & le portent; il auroit ſans
doute encore aſſez & méme plus d'af
faires
ſentem
& de beſoigne qu'il n'en a pré
ent,
- -

C 3 C H A º
54 La Theologie

C H A P I T R E X X.

I. Le Diable poſſede plus les hommes de


maintenant , que l'Eſprit de Dieu , & pour
Z404 •

2- # de l'excuſe des hommes ſur leur


peu de diſpoſition envers Dieu.
3. Les voyes de ſe bien diſpoſer, reduites à
" quatre (1) Le deſir grand & appliqué.
(2) la matiére ou l'occaſion. (3) Obſer
verſon Maitre. (4) & mettre la main à
l'œuvre.

I. C# un dire commun , que le


- Diable ou ſon Eſprit poſſédent
& détiennent quelque-fois une perſon
ne d'une telle maniére, que cette per
ſonne ne ſçait ce qu'elle fait ni ce
· qu'elle laiſſe ; & que n'eſtant pas mai
tre de ſoi , le mauvais eſprit l'a telle
ment en ſon pouvoir, que de faire &
· de laiſſer dans elle , avec elle » & par
elle, tout ce qu'il lui plait. . | .
Certes il eſt bien vrai en certain
ſens, que tout le monde à preſent eſt
poſſèdé & regy de l'eſprit du Diable, je
veux dire, du menſonge, de la fauſ
ſeté, & de toutes ſortes de vices & de
méchancetés, qui ſont toutes des cho
ſes diaboliques.
Par
Germanique Chap. XX. 55
Par contre s'il ſe trouvoit une per
ſonne qui fuſt tellement poſſedée &
remplie de l'Eſprit de Dieu , qu'elle
(a) ne ſçût pas ce qu'elle fiſt ou ce
qu'elle laiſſaſt , & qu'elle ne fuſt plus
maître de ſoi ; mais que la volonté &
l'Eſprit de Dieu en fuſt le maître abſo
lu , opérant , faiſant & laiſſant avec
elle & par elle tout ce qu'il voudroit ,
& de la maniére qu'il lui plairoit ; cet º

homme ſeroit ſans doute un du nom


bre de ceux dont S. Paul dit : (b) Ceux :
qui ſont pouſſés & gouvernés par l'Eſprit de
Dieu, ſont enfans de Dieu ; & ils neſont pas
ſous la loy : à qui auſſi Jeſus Chriſt dit : º

# (c) Ce n'eſt pas vous qui parlez : mais c'eſt


l'Eſprit de vôtre Pere quiparle dans vous.
Mais helas! je crains fort qu'il n'y
en ait bien cent mille, ou méme une
-

infinité , de poſſedés par l'Eſprit du


Diable, ſans qu'il y en ait un ſeul par -

contre qui ſoit regy & poſſedé de l'Eſſ


prit de Dieu.
Cela vient de ce que les hommes ſe
ſont rendus plus conformes à l'Eſprit
du Diable qu'à celui de Dieu.
Le moi & leſoi, tout cela eſt du Dia
C 4 ble 2

a) c. a. d. qu'elle ſe laiſſaſt conduire de Dieu à #--


»# # # # raiſon , ſa ſcience & #
ſa prudence humaine.
(b) Rom. 8 : 14. & ch. 6 , I 4,
(c) Matth, 1o : 2o
56 La Theologie
ble, lequel n'eſt Diable que par cela
méme.
Enfin, voulez-vous qu'on vous di
ſe en deux mots tout ce qu'on vous a
dit juſqu'ici en beaucoup de paroles ?
SO Y EZ P U R E M E N T E T EN
T I E R E M E N T s A N s v O U s-M E'
M E. Tout ce qu'on a dit juſqu'ici
n'a été que pour éclaircir , pour de
duire, & pour prouver cette vérité.
2. Quelqu'un pourra me dire main
tenant : Pour moi , je me trouve in
diſpoſé & impropre à toutes ces choſes,
& partant la pratique m'en eſt impoſſi
ble. Car voilà comment on cherche
toûjours des defaites & des ſujets de
s'excuſer.
Je reponds à cela , que ſi l'homme
n'eſt pas bien diſpoſé, ce n'eſt que ſa
pure faute.
^ Car ſi cette bonne diſpoſition étoit
en toutes choſes l'objet de ſon unique
deſir & ſon affaire principale, & qu'il
fuſt bien attentif à l'opération par la
quelle Dieu le viendroit diſpoſer; en
verité Dieu ne manqueroit pas à le diſ
poſer comme il faut , puis qu'il a au
tant de ſoin , d'inclination & de ſe
rieus deſir à produire cette bonne diſ
poſition , qu'à repandre ſes graces dans
celui qui eſt déja bien préparé.
3. Il y a cependant certaines voyes
qu1
Germanique Chap. XX. 57
qui meinent à cela : & c'eſt avec veri
té qu'on dit , que quatre choſes ſont
· requiſes à quiconque veut aprendre un | " .
art qu'il ne ſçait pas encore. ' ' , -
La premiere & la plus néceſſaire eſt ,
•.
-

un grand deſir & une application ſe 1 : .


-
-

· •
rieuſe & continuclle à l'execution de la | -
1
choſe. Quand ce point-ci vient à ,• 1!
º
-

, ,,
manquer, tout manque.
La ſeconde, d'avoir quelque matié • e
re ou quelque ſujet ſur quoi l'on puiſſe , •
faire aprentiſſage : - -
| -

La troiſiéme, qu'on regarde au Mai | -

| | º *

tre de bien prés & avec attention , - -

• • •
qu'on le croye , qu'on lui obéïſſe, & |

qu'on l'imite. || | º
Et la quatriéme, qu'on mette auſſi 4 *
la main à l'œuvre & quel'on s'y exer ſ . -
-
, '
:) ce. Si quelqu'un de ces points vient à ' s . "
manquer, jamais on ne pourra ni ap t ' !
prendre ni poſſeder la ſcience ou l'art 1 #

de queſtion.
Il en eſt juſtement de méme de la
||!
·
| .
· ·
|

j ! -

diſpoſition ou préparation ſpirituelle | -

*

dont nous parlons. Quiconque a la l ' s ,


premiére de ces quatre choſes requiſes, 4 " |

(je veux dire, une application & un • * !

" . .
deſir ſerieux & aſſidu de parvenir au • • •
-

but , ) celui-là ne manquera pas de #


**

, '
chercher & conſequemment de trou j »
-
· •
ver toutes les autres choſes requiſes, -

|t
1 !

# utiles & qui font à ce but. Mais celui ,


ſº C 5 qui
· La Theologie
qui n'a ni deſir ſerieux ni amour véri
table, ne cherche rien , & partant ne
trouve rien : & ainſi il demeure toû
jours ſans étre diſpoſé & preparé, &
# parviendra jamais au but princi
paI. - -

C H A P I T R E XXI.

1. Autre voye excellente de ſe bien préparer ;


aſſavoir, ſouffrir Dieu en toutes choſes
en pure paſſiveté.
2. On vient par-là à la choſe la meilleure, à
la vie de 7, Chriſt & à la fin ſouveraine,
quieſt inexprimable.
f, Lºº dit auſſi qu'il y a encore
quelques autres voyes & prepa
rations à ce méme but » entre leſquel
les on met la ſuivante. C'eſt qu'on
doit » dit-on ſouffrir (a) Dieu & lui demeu
rer obeiſſant , abandonné, & ſoûmis.
Cela eſt trés-veritable ; & ſi quel
qu'un s'établiſſoit dans cet état, (lequel
ſe peut acquerir & poſſéder en cette
vie, ) tout le bien dont nous venons
de parler , ſe trouveroit dans lui en ſa
vraye perfection. -

Mais quiconque veut ſouffrir Dieu ,


doit
(a) c. a. d. le laiſſer faire dans nous & de nous
ee qu'il lui plaira.
Germanique Chap. XX[. 59
doit auſſi ſouffrir tout , c'eſt à dire,
qu'il doit ſouffrir Dieu , ſoi, & toutes
les créatures, rien excepté. -
Quiconque doit & veut étre obéïſ
ſant , abandonné, & ſoûmis à Dieu.
doit lui étre reſigné ſoûmis & obéiſſant
ſeulement par maniére (a) paſſive &
ſouffrante, & non par maniere active:
il doit ſe recueillir tout entier & de
meurer en ſilence dans le fonds de ſon
ame , y endurer & y ſouffrir tacite
ment & ſecretement toutes choſes ſans
#
mettre en uſage & méme ſans deſirer
ni allegement , ni decharge ou excuſes,
ni repliques, ni vengeauce : au-con
traire , en diſant à l'occaſion de quoi
que ce ſoit par l'eſprit d'une humble &
d'une charitable compaſſion : Pere ,
pardonnez-leur , car ils ne ſavent ce qu'ils
font.
2. Et ceci ſeroit ſans doute une ex
cellente voye & une vraye preparation
pour parvenir à la fin derniére & à la
choſe la meilleure que l'homme puiſſe
acquerir en cette vie.
Or cela méme eſt l'aimable vie de
Jeſus Chriſt, laquelle comprend plei
nement & parfaitement en ſoi toutes
les autres voyes dont on a parlé, & qui
C 6 , peu

(a) c'eſt à dire non en ſe choiſiſſant ou procurant


quelque choſe de ſon chet, mais en admettant &
recevant ce qu'il doit ſouffrir.
6o La Theologie
peuvent étre requiles juſqu'au dernier
ſoûpir de la vie.
A cette aimable vie de Jeſus Chriſt il
n'y a ni autre voye ni meilleure prépa
rafion que cette méme vie » & que
s'exercer en elle autant qu'il eſt poſſible.
L'on en a déja dit quelque choſe,& tout
ce que nous diſons & que nous dirons
n'eſt que pour ſervir de voye & d'en
ſeigne à la fin véritable & Souveraine.
, Dire maintenant ce qu'eſt cette fin
là , perſonne (a) ne le ſauroit. Si néan
moins quelqu'un a envie de le ſça
voir, qu'il ſuive la droite voye qui y
conduit, c'eſt à dire, la méme vie de
jeſus Chriſt, vic & voye qui pourtant
a auſſi ſes voyes, comme onl'a dit cy
deſius. -

C H A P I T R E XXII.
I. Comment à eſt Dieu, là eſt feſus Chriſt.
2. Comment Dieu ſouffre dans l'homme.
3. Les ſouffr.aces purement humaines diſpa
· · roiſſent tievaut les divines.
4 Dieu devient le ſujet de tout bien dans la
perſºnne où il habite.
I. Où Dieu & l'homme ſe trouvent
unis d'une telle maniére , que
- - ' l'on
(a) vºye& chap. 56. n. 2, -
Germanique Chap. XXII. 6I
l'on puiſſe dire avec verité , & que la
choſe méme le déclare ainſi, que ceſu
# jet-là ne ſoit qu'un tout où ſont le vrai
& parfait Dieu & le vrai & parfait
homme , l'homme cependant étant
# comme tout diſparu devant Dieu , afin
(! que Dieu ſeul tienne la place de l'hom
me, & qu'il y ſoit & l'homme méme
# . & le vrai Dieu, operant-là ſans ceſſe,
y faiſant & y omettant tout, ſans l'in
tervention d'aucun moi, d'aucun mien
ni d'aucuneappropriation ; là ſe trouve
le vrai J. C H R 1 s T , & nulle part
ailleurs.
2. Or comme un tel ſujet comprend
en ſoi l'homme véritable & parfait , il
a auſſi dans ſoi un veritable & parfait
ſentiment du bien & du penible » de
ce qui eſt agréable & de ce qui eſt dou
loureux 2 en un mot , de tout ce qui
ſe peut ſentir & éprouver de la part
du dehors ou du dedans.
Et puis que Dieu étant tout dans un
tel ſujet , y eſt auſſi l'homme , c'eſt
donc Dieu qui y eſt ſusceptible des
ſentimens & agréables & pénibles, &
d'autres ſemblables paſſibilités.
Car comme un homme qui n'eſt pas
ainſi (a) Dieu , éprouve & reſſent tout
C 7 Ce

(a) c'eſt à dire, qui n'eſt pas uni avec Bieu par
cette étroite union qui fait que Dieu eſt tout dans
l'homme, & qu'il eſt un avec lui,
6z La Theologie
ce qui fait bien & tout ce qui fait mal à
l'homme, & par.iculiérement ce qui
lui eſt contraire ; il en eſt tout de mé
me dans le ſujet où Dieu & l'homme
ſont un & où Dieu méme eſt l'hom
me : là ſe trouve auſſi le ſentiment de
tout ce qui eſt contraire a Dieu & à
l'homme.
4. Mais comme dans ce ſujet-là tout
ce qui eſt de l'homme y eſt anéanti &
diſparu, & que Dieu ſeul y eſt tout ;
il en va auſſi de méme de ce quicon
cerne leur paſſibilité : celle qui ne re
garde que l'homme ſeul , ſes ſouffran
ces & ſes adverſités , diſparoit & paſſe
pour rien devant l'autre.
Et cela doit ſubſiſter & durer ainſi
par la vertu de Dieu & devant lui auſſi
long-temps que durera la vie corporel
le de l'homme. .
4. On doit auſſi remarquer, que ce
ſujet , dans lequel Dieu & l'homme
ſont ainſi unis, étant libre de toutes
choſes, de ſoi & du reſte, ce ſujet dis
je doit s'entendre de Dieu , & non pas
de l'homme ou de la créature : Car
c'eſt le prope de Dieu d'étre libre & dé
gagé de tout , d'étre ſans le ſoi & ſans le
moi & ſans tout ce qui ſympathiſe avec
Ke propre : au-lieu que c'eſt le propre
de la créature & de la nature de ſe cher
cher & de ſe vouloir ſoi, le ſien, ceci
&
Germanique Chap. XXIII. 63
& cela , ici & là , & dans tout ce
qu'elle fait & ce qu'elle laiſſe.
Mais quand la créature ſe perd , &
qu'elle quitte ſon propre & ſon ſoi ,
Dieu vient s'y ſubſtituer incontinent
avec ſa divine propriété, c'eſt à dire ,
(a) avec ſoi-méme.

C H A P 1 T R E XXI I I.

I. Tromperie du Diable envers ceux qui cro


yent s'étre peinés aſſés longtemps dans les
voyes ſpirituelles.
2. Comment il fait naitre dans eux l'orgueil
ſpirituel, & la fauſſe liberté.
3. Diſcription d'un riche d'eſprit & d'un
faux-libre, & comment il agit avec ceux
qui ſe ſoûmettent ou ne ſe ſoûmettent pas à
ſa direction.
4. La richeſſe d'eſprit produit la fauſſe liberté
par le mépris des ordonnances de l'Egliſe.
5. L'orgueilleux & le faux-libre voudroient
parler & étre écoutés ſeuls, & ſe moquent
de tout ce qu'on leurſauroit dire.
I. I L faut auſſi prendre garde que lors
que quelqu'un a marché partoutes
ces voyes qui meinent à là verité, lors
qu'il
(a) Expl. Dieu devient-là le ſujet dans lequel ſe
trouve & ſe doit placer & reconnoitre tout le bien
qu'il y a enſuite, ſans le placer dans la créature on
dans ce qu'il y a denaturel,
64 La Theologie
qu'il s'y eſt exercé & peiné ſi fort & ſi
long - temps qu'il s'imagine qu'enfin
tout eſt fait, que le voilà mort à ſoi,
hors de ſoi-méme & tout abandonné à
Dieu ; alors le Diable commence à y
méler & repandre ſa ſemence.
2 , De cette ſemence viennent deux
fruits, dont l'un eſt, la richeſſe ſpi
rituelle ou l'orgueilſpirituel ; & l'autre,
une liberté fauſſe & licencieuſe. Ce
ſont comme deux ſœurs qui demeurent
ſouvent & volontiers prés l'une de
l'autre.
Et voici commentelles ſe produiſent
dans l'eſprit.
Le Diable fait ſembler & croire à
l'homme par ſes ſugeſtions qu'il eſt
arrivé au plus haut point de la perfec
tion, & qu'il eſt le plus proche [de la
fin veritable & ſouveraine; ] de ſorte
qu'il n'a plus beſoin ni des écritures,
ni d'aucuns moiens particuliers, & ni
en un mot , de quoi que ce puiſſe é
tI'C,

3. Et de-là naiſſent dans lui une paix


& tranquillité , & une telle ſatisfac
tion ou un ſi grand plaiſir en ſoi-mé
me, qu'il ſe dit tacitement : 2, Tout
2» va bien : me voici maintenant au
2, deſſus de tous les hommes : j'ai plus
2, de connoiſſance & plus d'inteili
»2 gence qu'eux tous; & partant il eſt
,> bien
Genmanique Chap. XXIII. 65
» bien juſte & raiſonnable que je ſois
» [conſideré ] comme un Dieu ſur
:
2
» , toutes les créatures , & partant
», qu'elles toutes , & particuliére
2, ment tous les hommes, me rendent
,,, ſervice, reçoivent mes ordres, &
2, s'y ſoûmettent avec obéiſſance.
Conformement à cela , cet homme
ne cherche & ne deſire plus en effet
que d'étre traité ainſi : il le ſouffre, il
embraſſe trés volontiers ce traitement
de la part de toutes les creatures, mais
ſur-tout de la part des hommes. Il ſe
perſuade d'étre trés-digne de tout cela,
& qu'on le lui doit bien. Il conte les
hommes pour des bêtes à comparaiſon
de lui ; & s'eſtimant digne de tout
ce qui peut procurer à ſon corps, à
ſa chair & à ſa nature commodité,
plaiſir & recréation , il recherche &
embrafſe ces choſes en toutes ſortes de
rencontres, croiant, que quoi qu'on
: faſſe pour lui, il ne le mérite que trop,
& que tout n'eft encore que trop peu
pour lui. -

Ceux qui ſe ſoûmettent à ſa condui


te & qui lui font ſervice, fuſſent-ce
des meurtriers & des voleurs, il les
tient pour des ames fidelles & gene
reuſes, pour des ames qui aiment &
qui defendent la verité & le parti des
vrais pauvres. Il les loüe, il les re
cherche
66 La Theologie
cherche & leur court aprés quelque
part qu'il puiſſe les trouver. Mais ſi
quelqu'un ne veut rien faire pour ces
hommes ſuperbes, s'il ne leur veut de
ferer en rien ni ſe ſoûmettre preciſe
ment à leur volonté, non-ſeulement
ils n'en diront point de bien ; mais
méme ils en mediront incontinent &
le mepriſeront, quand bien ce ſeroit un
ſecond S. Pierre en ſainteté.
4. Comme ces orgueilleux & ces
riches d'eſprit croient de n'avoir pas
beſoin ni d'Ecriture , ni d'inſtruc
tions, ni de choſes ſemblables; auſſi
aneantiſſent-ils tous reglemens , or
donnances , loix & commandemens
de la ſainte Egliſe, & ne font que s'en
moquer , auſſi-bien que de ceux qui
les obſervent& qui en font cas.
On voit de-là que ces deux Sœurs »
(l'orgueil ſpirituel & la liberté fauſſe
& deſordonnée)habitent enſemble in
ſeparablement.
5. Et comme cette richeſſe & cet
orgueil d'eſprit penſe avoir plus de
connoiſſance & d'intelligence que
tous les autres, un tel veut auſſi plus
jaſer & plus diſcourir que tout le reſte
des hommes; il prétend méme qu'il
n'y ait que ſes paroles & ſes diſcours
qui meritent d'étre écoutés , & que
ceux des autres ſont vuides de raiſon ,
&
Germanique Chap. XXIV. 67
& ne ſont que des folies extravagantes
& dignes de riſée.

C H A P 1 T R E XX I V.

1. De la Pauvreté ſpirituelle & de l'hu


milité d'eſprit. Deſcription d'un vrai
pauvre & humble d'eſprit enſes ſentimens ,
enſes actions, & en ſes paroles.
2. L'humilité & la pauvreté d'eſprit donnent
lumiere pour connoitre la neceſſité & l'utili
té des loix , ordonnances , & des reglemens
exterieurs .
3. Et loin de les mepriſer , le vrai pauvre
d'eſprit voudroit qu'on les connût bien &
qu'on les obſervaſt pour s'aprocher par ce
moien de la verité méme.
4. La vie & la Doctrine de feſus Chriſt con
firment ces verités & ces pratiques. .
5. AQui doivent neceſſairement ſe trouver dans
tout Imitateur de 7. Chriſt.
6. Solution d'une difficulté. 7. Chriſt n'a
voit ni choſes ni motif en propre.
I. M Ais où la Pauvreté d'eſprit & la
véritable Humilité Spirituelle ſe
trouvent , tout y va bien autrement.
Et cela vient de ce que l'on y decou
vre & quel'on y connoit dans la verité
que l'homme de ſoi & de tout ce qui
peut venir de ſoi, n'eſt rien du tou#
qu'il
68 La Theologie
qu'il ne peut rien, qu'il n'a rien , &
qu'il n'eſt propre à rien qu'à tous man
quemens 2 à tous vices 2 & à toute
méchanceté.
En conſéquence dequoi l'homme ſe
ſent indigne de tout ce qui ſauroit lui
venir de la part de Dieu & des créatu
res; & il ſe reconnoit obligé à ſouffrir
& méme (en certain ſens) à faire tout
ce qui lui eſt propoſé, tant de la part
- de Dieu , que de celle de toutes les
creatures, leſquelles il conſidére com
me étant ſubſtituées de Dieu.
Il voit clairement, qu'il n'a aucun
droit ſur nulle des choſes qui ſont au
monde; & il ſe dit dans une profonde
humilité dc cœur : ,, Il eſt bien rai
», ſonnable & bien juſte que Dieu &
2, que toutes les creatures ſoient con
», tre moi, aiant droit & pouvoir ſur
» moi ; & que je ne ſois contre per
», ſonne, & n'aye droit ſur choſe qui
23 ſoit. -

De-là vient qu'il n'oſe & qu'il ne


veut deſirer ni demander à Dieu ni aux
créatures rien que la pure neceſſité; &
encore la demande-t'il avec crainte &
comme de pure grace, & non comme
de droit.
Il ne permet pas non-plus que ſon
corps & ſa nature reçoivent plus de
bien & de ſoulagement que la neceſſité
l'exige :
Germanique Chap. XXIV. 69
1'exige : & il ne ſouffre pas qu'on l'ai
de ou qu'on le ſerve ſinon dans la ne
ceſſité » le tout avec crainte, comme
ſachant qu'il n'a droit ſur rien, & ſe
tenant pour indigne de toutes choſes.
Il lui ſemble auſſi que toutes ſes pa
roles & tous ſes diſcours ſont de nulle
conſidération , & méme que ce ne
ſont qu'incongruité & extravagance.
C'eſt pourquoi il ne parle jamais pour
enſeigner ni pour reprendre perſonne,
ſi ce n'eſt qu'il y ſoit pouſſé par l'amour
& par la fidelité qu'il doit à Dieu, en
! core ne le fait-il qu'avec crainte, & le
% moins que faire ſe peut.
2. L'on connoit & l'on trouve avec
a evidence dans cette pauvreté & cette
$ humilité d'eſprit, que tous les hommes
)ſ ne tendent qu'à eux-mémes , & qu'ils
(. ſont tournés & inclinés vers le vice &
&! vers la méchanceté ; & que par conſe
quent il eſt non-ſeulement utile, mais
méme neceſſaire, qu'il y ait des régle
mens, des coûtumes 2 des ordonnan
# ces & des loix pour l'inſtruction de
$ leur aveuglement , & pour tenir en
# bride & en ordre la mechanceté; ſans
ſ% quoi, ils deviendroient pires que des
* bêtes & meineroient une vie plus dé
reglée que des chiens, pour ne pas dire
que pluſieurs ont été rappellés & º
meinés à la verité par le moyen de§
#
7o La Theologie
ſortes d'établiſſemens & de reglemens,
qui n'y ſeroient pas revenus ſans eux :
& que d'ailleurs auſſi, peu ſont de pri
m'abord venus à la verité ſans avoir
premiérement commencé par ces ſor
tes de loix & d'obſervations, & ſans s'y
étre exercés & ſoûmis pour auſſi long
temps qu'ils ne connoiſſoient rien de
meilleur. -

3 Et voilà pourquoi quand on eſt


dans l'humilité & dans la pauvreté
d'eſprit on n'a garde de mépriſer les
loix, les ordonnances, les maniéres ,
coûtumes & céremonies d'établiſſe
ment, non-plus que de ſe moquer de
ceux qui les obſervent & qui s'y ſoû
mettent. Et ce n'eſt qu'avec une cha
ritéveritablement compatiſſante qu'on
ſe plaint à Dieu & à la verité & que
Dieu méme & la verité s'en plaignent ,
que l'aveuglement , la foibleſſe & la
malignité de l'homme aient é é cauſe
de la neceſſité de ces choſes, qui ſans
cela n'auroient pas été d'établiſſement
neceſſaire.
Levrai humble & pauvre d'eſprit dé
fire ſincerement que tous ies hommes
qui ne connoiſſent point encore d'au
tre voye ni de meilleurevoye pour ve
nir à la connoiſſance de la verité, ſa
chent & connoiſſent pourquoi toutes
ces loix & ces ordonnances ont étééta
- - blies,
Germanique Chap. XXIV. 71
blies » & pourquoi on doit les prati
: quer : & il ſe reduit à les embraſſer
avec ceux qui ne ſavent pas mieux, & à
les pratiquer comme eux, afin de les y
retenir par ſon exemple, d'empecher
qu'ils ne s'appliquent au mal , & que
: par ce moien il les faſſe aprocher plus
ſ
prés de la verité méme, s'il eſt poſſible.
4. Toutes les choſes que l'on vient
de dire de la vraye Pauvreté & Humilité,
ſont ainſi dans la verité, comme on le
peut vérifier & prouver par la vie &
par les paroles de J E s U s C H R I s T.
Car il a pratiqué & accompli tou
tes les œuvres de la vraye humilité,
comme il ſe voit dans ſa vie, & com
me il a enſeigné par ccs paroles : (a)
Aprenez de moi que je ſuis doux & humble de
C02/47°.

Il n'a pas non-plus mepriſé ni négli


gé la vieille loi ni les hommes qui ont
vecu ſous elle, bien qu'il ait dit, (b)
que cela ne ſuffiſoit pas, & qu'il falloit
aller plus outre , comme en effet la
choſe eſt ainſi. , Ft S. Paul a écrit, (c)
· que jeſus Chriſt s'eſt ſoûmis à la loi pour en
delivrer ceux qui étoient ſous elle, voulant
# dire, pour les ameiner à quelque cho
ſe de meilleur & de plus aprochant de
Dieu. -

Le

(a) Matth. 1 1. (b) Matth. st2e. .


(c) Gal.4 : 5. ,, , ,
72 La Theologie
Le méme Sauveur dit encore, (a)
je ne ſuis pas venu pour me faire ſervir ,
mais afin que je ſerve.
En un mot, l'on ne trouve dans tou
tes les paroles, les œuvres & la vie de
Jeſus Chriſt que pure humilité & pau
vreté d'eſprit : & il faut neceſſaire
ment que la méme choſe ſe trouve de
méme dans tout ſujet où Dieu habite
& eſt devenu homme. Mais où il y a
orgueil , richeſſe d'eſprit, & fauſſe li
berté, là n'y a t'il ſurement ni Jeſus
Chriſt , ni ſon vrai Imitateur.
Jeſus Chriſt a dit encore [en decla
ration de ſon étatd'humilité & de pau
vreté d'eſprit, 1 (b) Mon ame eſt triſte
juſqu'à la mort : ce qu'il entend du ter
me de la mort corporelle; comme s'il
aſſuroit , que depuis le temps qu'il
avoit pris naiſſance de la Vierge Marie
juſqu'au terme & au dernier moment
de ſa mort, ſon ame avoit toûjours été
comblée de triſteſſe & d'afHiction. Et
nous en avons expliqué la raiſon ci
deſſus.
Cette parole eſt encore de Jeſus
Chriſt : (c) Bien-heureux ſont les pauvres
d'eſprit , c'eſt à dire, les vrais humbles:
car le Royaume de Dieu eſt à eux. Et cette
autre parole eſt de la vérité méme ,
quoi
(a) Matth 2o : 22, (b) Matth 26,
(c) Matth 5,
Germanique Chap. XXIV. 73
quoi qu'elle ne ſoit pas écrite mot pour
mot : Malheureux & maudits ſont les riches
d'eſprit & les Orgueilleux : car le roiaume du
Diable eſt à eux.
5. Toutes ces bonnes choſes ſe trou
vent trés réellementainſi dans tout ſu
jet où Dieu reſide & eſthomme. Oui,
où Jeſus Chriſt eſt, où ſon vrai Imita
teur eſt, là doit neceſſairement étre
une profonde & ſolide humilité ſpiri
ruelle, la pauvreté d'eſprit , un cœur
abaiſſé & recueilli dans ſoi, & dont
tout l'intérieur ſoit rempli de douleurs
cachées & d'afflictions ſecretes & du
rables juſqu'à la mort. Et quiconque
eſt d'opinion contraire , je ſoûtiens º , .
reſolument qu'il ſe trompe ſoi-méme
auſſi-bien que les autres. -

Cela étant ainſi, il ne faut pas s'é


tonner ſi toute nature, tout moi & tout
ſoi, s'éloignent ſi fort de cettevie, &
s'attachent à celle de la fauſſe liberté,
comme onl'a remarqué ci-deſſus.
6. Cependant, voici le vieil Adam ,
pour ne pas dire le Diable , qui pour
s'excuſer & ſe maintenir dans ſes pro
prietés, nous vient objecter : , On
, a beau dire que Jeſus Chriſt étoit
2, ſans ſoi-méme & ſans rien de pro
2, pre : ne voyons - nous pas cepen
,, dant qu'il parle ſouvent de ſoi , &
,, qu'il s'attribiie ceci & cela ?
' D Reponſe
74 La Theologie
Reponſe. Si la verité doit habiter,
doit vouloir, doit opérer dans quel
que ſujet, la volonté, le deſir & les
opérations qu'elle aura dans ce ſujet-là
ne tendront à rien de propre ſinon ſeu
lement à la ſimple manifeſtation &
connoiſſance de la méme verité : &
voilà ce qui s'eſt trouvé en Jeſus
Chriſt. Cette manifeſtation de la
verité par lui ne pouvoit ſe faire ſans
paroles, ſans œuvres, ſans ſe revêtir de
tout ce qui étoit le plus propre à ce deſ
ſein : mais quoique Jeſus Chriſt pour
cet effet ſe ſoit revétu d'œuvres & de
paroles , il eſtoit pourtant tout libre
& tout vuide d'appropriation de ce
qu'il faiſo it.
Mais, me direz-vous, Jeſus Chriſt
n'avoit-il pas s o N pourquoi , & s E s
raiſons d'agir ?
Reponſe. Demandez au Soleil ,
ourquoi il éclaire ? Il vous répondra,
# dois éclairer,& je ne ſaurois faire

au
trement; parce que c'eſt la quali na
turelle qui m'apartient, & néanmoins
jeſuis libre & dégagé de toute appro
#on de ma qualité & de ma clar
t
Il en eſt de méme de Dieu & de Je
ſus Chriſt, & de tout ce qui eſt verita
blement divin & qui regarde Dieu.
Tout cela ne veut, n'opére & ne deſi
IC
Germanique Chap. XXV. 75
#e rien que tout bien & par la raiſon du
ſeul bien , ſans autre #ºurquoi , motif
ni intention que ce puiſſe étre.

C H A P 1 T R E XX V.
I. Comment il faut quitter tout , méme
toute action , ſcience, pouvoir.
2. En quoi conſiſte l'union divine.
3 2ue rien de créé ne nous y peut - aider
par ſoi.
Jf • I# faut encore bien remarquer le
ſens de cette parole, qui eſtauſſi
celle de Jeſus Chriſt , aſſavoir ; (a)
qu'on
85,
doit quitter & méme perdretoutes che
, Cela ne veut pas dire qu'on doive ne
s'occuper de rien; & qu'il faille quit
tertout emploispuisqu'en effet ſi long
temps qu'on vit en ce monde il faut y
ayoir quelque occupation & quelque
choſe à faire. Mais le vrai ſens de cet
# Parole eſt, que tout le pouvoir de
l'homme , tout ſon faire , tout ſon
laiſſer » tout ſon ſavoir, & celui de
toutes les creatures , doit être tenu
† rien à l'égard de l'union divine,
aquelle ne ſe fait & ne conſiſte en rien
de cela. - -

D 2 2., En
(a) Luc. 14 : 33.
76 La Theologie
2. En quoi donc conſiſte cette uni
on-là ? -

En rien d'autre ſinon en ce que l'on


ſoit purement, ſimplement , entiére
ment & veritablement ſimplifié avec
la ſimple & l'eternelle volonté de
Dieu : ou bien , qu'on ſoit entiére
ment ſans volonté; & que la volonté
créée ſoit tellement coulée, fondüe &
anéantie dans la volonté eternelle , que
ce ſoit alors cette éternelle volonté qui
ſeuie veuille, laiſſe & faſſe tout dans
un tel ſujet.
3. Or qu'y a-t'il qui puiſſe mener
l'homme à ce point-là ?
Certes ce ne ſont ni paroles, ni œu
vres , ni ceremonies , ni aucune
créature ; non-plus qu'aucune œuvre,
aucun ſavoir, pouvoir , faire & laiſ
ſer de quclque créature que ce ſoit.
Et voilà comment il faut tout perdre
& tout abandonner; ce qui eſt autant
que ſi l'on diſoit , qu'il ne faut pas
penſer ni s'imaginer que nulles ſortes
d'œuvres , non-plus que de paroles ni
de ceremonies, d'art ni de ſcience &
d habileté, ni en un mot rien de créé,
puiſſe nous aider ou nous avancer à cet
état : mais qu'au-contraire , il faut
quitter & laiſſer tout cela pour ce qu'il
eſt , & entrer ſoi-méme dans l'union
méme.
I|
::
Germanique Chap. XXVI. 77
Il faut pourtant que ces autres cho
ſes-là ſubſiſtent : on doit faire ; on
doit laiſſer : l'homme doit en effet
tantôt veiller par exemple, & tantôt
dormir : tantôt marcher , & tantôt
ſe repoſer : tantôt parler , & tantôt
ſe taire ; & ainſi de pluſieurs autres
choſes qui lui ſeront neceſſaires tout le
temps de cette vie.

C H A P I T R E XXV I.
1, Dans l'union l'homme interieur eſt im
mobile, & l'exterieur agit & change,
mais avec indifference.
2. L'exterieur & l'interieur n'ont d'intention

que de contenter la volonté de Dieu dans les
choſes de devoir & de neceſſité.
3. Cela exclud l'orgueilſpirituel, l'indolen
ce, & la fauſſe liberté.
4. La ſeule volonté de l'homme empêche l'u
Il1OIl, -

M. A Utre verité importante & bien


remarquable. - - - --

C'eſt qu'où l'union ſe fait dans la


verité & la réalité, l'homme intérieur,
qui y eſt arrivé, demeure deſormais
· ferme & immobile , pendant qu'on
laiſſe mouvoir ci & là l'homme exté
rieur dans les choſes deDdevoir
neceſſité. 3
&Cela
de
La Theologie
Cela ſe fait de telle ſorte, que l'hom
me extérieur peut dire avec verité ,
(comme en effet la choſe eſt ainſi : )
Je n'ai nulle volonté ni d'étre ni de n'é
tre pas ; ni de vivre , ni de mourir ;
ni de ſavoir, ni d'ignorer; ni de fai
re, ni de laiſſer ; ni rien de ſemblable:
mais je ſuis tout preſt & tout ſoûmis à
tout ce qui eſt de devoir & de neceſſité,
ſoit qu'il faille y intervenir en ſouffrant
& paſſivement, ou méme d'une ma
niére active. -

2. Ainſi donc , l'homme extérieur


n'a point d'autre pourquoi ni d'autre
but & recherche ſinon de contenter &
de ſatisfaire uniquement la volonté
éternelle. .. |
Et cela ne peut aller autrement; par
ce que c'eſt dans la verité méme qu'on
connoit alors , que l'homme interieur
doit demeurer immuable; & que l'ex
térieur doit ſe mouvoir tant par devoir
que par neceſſité. -

Et quoi-que dans les mutabilités de


l'homme extérieur, l'intérieur y ait un
pourquoi ou une intention , ce ne peut
étre que ſeulement en ce qui regar
de les choſes de neceſſité & de devoir ,
pour qu'elles ſe faſſent ſelon l'ordon
naace de la volonté éternelle. Et cela
ſe trouve ainſi où Dieu eſt homme,
comme on le remarque en Jeſus Chriſt.
3. Où
Germanique Chap. XXVII. 79
· 3. Où ceci ſe trouve par la lumiére
divine & dans elle, là il n'y a ni or
gueil ſpirituel , ni nonchalance licen
cieuſe, ni eſprit de fauſſe liberté; mais
une humilité profonde; un cœur & un
eſprit abaiſſé, abattu , angoiſſé, con
jointement avec toute ſorte de regula
rité, de raiſonnable équité , dégali
té, de verité; en un mot , toutes ſor
tes de qualités vertueuſes y doivent
étre, auſſi-bien que la paix & le con
tentement d'eſprit qui en reſultent : &
où les choſes vont autrement , c'eſt un
mauvais ſigne, comumeon l'a fort bien
& plus amplement deduit autre part.
4. Comme nulles des choſes parti
culiéres ne peuvent aider ni contribuer
à la divine union; auſfi nulles d'elles
ne peuvent l'empécher ni la retarder,
ſinon l'homme méme, avec ſa propre
volonté.
ſi

· C H A P 1 T R E XXVI I.
1 Principe outré des impaffibles , mal
· fondé ſur l'Ecriture · · · ,
2. Vraye explication de ces paffages. · · :
3. La vie de feſus Chriſt convainc de faux
· cette pretendüe impaffiéilité. -- :

I. ON a ouï dire à quelques-uns »


que l'homme #º '& de
4 .. s , vost
8o La Theologie
voit atteindre dans le temps de cettevie
à un état d'impaſſibilité, pareil en toutes
choſes à celui où étoit Jeſus Chriſt
aprés ſa reſurrection : & pour le prou
ver , ils aiieguoient cette parole de
Jeſus Chriſt : (a) #e vous précederai en
Galilée, & vous me verrez-là : & auſſi
cette autre : (b) Un eſprit n'a ni chair mi os
comme vous m'en voyez avoir. Et voici
les gloſes & les allegories qu'ils fai
ſoient là-deſſus. -

,, Comme vous m'avez vû & ſuivi


2, dans un corps & une vie mortel
», le; auſſi me verrez-vous , je vous
2, précederai , & vous me ſuivrez en
», (c) Galilée, c'eſt à dire, vous m'é
,, prouverez , vous me goûterez dans
2, la revolution d'un état d'impaſſibili
», té & d'inalteration » dans lequel
2, vous vivrez & demeurerez avant
,, que de ſubir la mort corporelle. Et
», comme vous voyez que j'ai chair &
» os, & que toutesfois je ſuis impaſſi
,, ble ; de méme deviendrez - vous
» impaſſibles en vos corps & en votre
,, nature humaine & mortelle avant
» que de mourir. -

, 2 On repond ſimplement à ces


preuves & à cette opinion là, que Je
- - · ſus
" t .

(a)Matth 26. y 32. .. (b) Luc. 24, vers 39.


(c) Galilée ſignifie revoluiion, changement, im
mntation é°:. -
Germanique Chap. XXVII. 81
ſus Chriſt n'a jamais penſé que l'hom
me doive ou puiſſe atteindre à un tcl
état que premierement il n'ait paſſé ,
ſubi & enduré tout ce que Jeſus Chriſt
méme avoit antérieurement ſubi &
ſouffert.
Or eſt-il qu'avant que d'y parvenir,
il etoit paſſé par la mort corporelle, &
qu'il l'avoit ſubie avec toutes ſes dépen
dances.
Donc perſonne n'y parvicndra ſi
longtemps qu'on ſera dans cette vie
mortelle & paſſible. -

3. Certes ſi cet etat-là étoit la choſe


la plus excellente & la meilleure , &
qu'on pûſt ou dûſt y atteindre dans le
temps de cette vie , cela ſans doute au
roit été ratifié en Jeſus Chriſt; vû que,
ſa vie a été la plus excellente, la meil
leure, la plus précieuſe aux yeux de
Dieu & la plus agréable vie qui aitja-,
mais été & qui puiſſe jamais étre. , .
. Mais cela n'ayant pû ni deu ſe faire
en Jeſus Chriſt, il nc ſe fera auſſi ja
mais en aucun autre , & il ne ſera ja
mais vrai que cet état ſoit la choſe la
meilleure & la plus excellente pour
qui que ce ſoit.
, On pourra bien peut-étre ſe l'imagi
ner , & le ſoûtenir par des paroles :
mais tout cela ne fait rien pour la réali
té de la choſe. • • •

" . D 5 C II A P
82 La Theologie

C H A P I T R E XXV I I I.

1. Maxime ambigiie des faux-libres & des


eſprits libertins, contenant un ſens & di
vin & diabolique.
2. Le vrai ſens qu'il y a & qui leur eſt con
traire.
3. Autre vrai ſens de la méme parole.
4. Sens faux & diabolique desfaux-libres.
1 • IL y ena quitiennent pour maxi
- *me : Qu'on peut & qu'on doit aller
par-deſſus toute vertu, toute ceremonie, tou
te ordonnance, tout commandement, & tou
te loy & raiſon : comme s'il falloit s'en
defaire , & que ces choſes deuſſent
ceſſer & étre annullées.
Il y a dans cette parole quelque choſe
de vrai & quelque choſe de faux. Et
c'eſt ce qui eſt digne d'étre remarqué.
Jeſus Chriſt étoit par-deſſus ſa pro
previe, & par-deſſus toute vertu, ce
remonie , ordonnance & choſes ſem
blables. Le Diable eſt auſſi par-deſſus
les mémes choſes : mais c'eſt avec
grande difference.
2. Jeſus Chriſt étoit & eſt encore
, par-deſſus toutes ces choſes dans ce
ſens-cy. C'eſt que ni paroles, ni oeu
Vres, ni cérémonies » nifaire ou laiſ
ſer»
· Germanique Chap. XXVIIf. 83
ſer , ſe taire ou parler , ſouffrir ou ſu
bir quoi que ce ſeit, en un mot , rien
| de tout ce qui ſe faiſoit en Jeſus Chriſt,
ne lui étoit néceſſaire; qu'il n'en avoit
# Pas de beſoin, & que cela ne lui étoit
$ d'aucune utilité pour ſa propre perſon
ne. . Et il en eſt de méme à l'egard de
toute vertu & de toute loy & raiſon.º
Car tout ce qui ſe peut & fe pourroit
jamais acquérir par la pratique de ces
moiens-là, tout cela étoir déja aupara
vant en Jeſus Chriſt : & c'eſt en ce
ſens que la parolede cy-deſſuS eſt véri
table. t cº - 22 . "
C'eſt auſſi dans le méme ſens eu'eſt
véritable & que doit étre entendu ce
mot de S. Paul , que (a) ceux qui ſont
inſtruits, agis & conduits par l'Eſprit de
Dieu, ſont enfans de Dieu , & qu'ils ne ſont
plus ſous la loi, C'eſt à dire en un ſens,
qu'ils n'ont pas beſoin qu'on leur
aprenne ce qu'ils doivent faire & laiſ
ſer ; vû que leur Maître interieur ,
l'Eſprit de Dieu, le leur aprendra bien:
qu'il n'eſt pas beſoin non plus qu'on !
leur ordonne & commande de faire le !
bien & des'abſtenir du rnal, & choſes !
ſemblables ; parce que celui qui leur
enſeigne ce qui eſt bien & ce qui eſt :
mal, ce qui eſt le meilleur & ce qui ne
l'eſt pas
pas,, celui-là méme
| D 6 leur ordonne !
- º - - - º- dc

(a) Rom 8 : 14 & chap. « : **.


T
· · , La Theologie -

de ſe tenir à ce qui eſt de meilleur » & |


de laiſſer le reſte; & qu'ils lui obeiſ
ſent. - -

Voilà en quel ſens ils n'ont beſoin


ni de loix, ni d'inſtructions » ni de
commandemens. .. i .
3. Ils n'en ont point auſſi de beſoin
en cet autre ſens, aſſavoir » afin d'ac
querir ou de gaigner par-là[comme des
mercenaires] quelque choſe pour leur
propre avantage : parcequetout ºe qui
ſe pourroit
la voye de laacquerir ou pratiquer
vie éternelle & pour ladans
vie
éternelle, ſoit par ces moiens-là , ſoit
par ceux de toutes les créatures , foit
par paroles ou par actions» cela leur
eſtC'eſt
déjatout
doncacquis & tout
en ce ſens préſent
qu'ileſt .
verita
ble,quel'on peut aller au-deſſusdetoº
tes les loix & de toutes les vertus, &
méme de toutes les actions , de toutes
les connoiſſances, & de tout le pou
voir de toute créature. -

4. Mais cet autre ſens ou propoſi


tion, qu'on doive quitter & ſe dechar
ger de la vie de Jeſus Chriſt , auſſi-bien
que de tout commandement , detou
te loy, de toute ceremonie & pratique
exterieure, & de tout reglement ; qu'il
faille les negliger , les mépriſer & mé
me s'en moquer s eſt une maxime de
fauſſeté & de menſonge. . '
• • - 2 », · CHAP
Germanique Chap. XXIX. 85
#!

·C H A P I T R E XX I X.

I. Objection ſur ce qui vient d'étre dit


(art. 3.) que f. Chriſt ni les ſiens n'ont
rien fait pour leurpropre avantage.
2. Pour y repondre, il faut reconnoitre deux
| ſortes de lumieres , la vraye 2 , & la
fauſſe. Ce qu'elles ſont. -

3. La vraye lumiere, découvre que Dieu tout,


pur eſt tout ſimple, & qu'il ſuffit à ſoi par
· laºnnºiſſance & #mºurdeſ iſºul |
4. Mais entant qu'il veut avoir commerce
avec la créature, il faut qu'il y ait & des
créatures , & des actions , operations ,
| pratiques , ,, , , , · · ·
5. Et celles-ci doivent étre reglées comme
l'ont été celles de f. Chriſt & des ſiens. .
6. Objection curieuſe à quoi on ne croid pas
devoir repondre ici. . -

1.( YN peut objecter ici par maniére


N * de difficulté, que puis que Je
ſus Chriſt & ceux qui ſont à lui, n'ac- .
quiérent ni profit ni avantage par l'ob
ſervation de la méme vie deJ. Chriſt
ni de toutes les bonnes pratiques & or
donnances; (vû qu'ils ont déja tout ce
qui ſe pourroit acquerir par-là , ) .
qu'en ont-ils doncDdeſormais
7 deſoin
bº*2
86 La Theologie
ſoin , & pourquoi ne s'en déchargent
ils pas ? Faut-il donc qu'ils s'y occu
ent encore & qu'ils continüent toû
jours à les pratiquer & à les ſuivre ?
2. Pour répondre à cette queſtion il
faut ſavoir, qu'il ya deux ſortes de lu
#e
C,
, une véritable , & une fauſ
La véritable lumiére eſt la lumiére éter
nelle qui eſt Dieu méme, ou bien c'eſt
une lumiére créée , ' mais néanmoins
divine , & que l'on appelle la grace :
Tout cela eſt la veritable lumiére.
La fauſſe lumiére n'eſt que la nature,
ou la lumiére qui n'eſt que naturelle.
Dire, pourquoi la premiére de ces
lumiéres eſt veritable & la ſeconde
fauſſe, c'eſt ce qui ſe peut mieux diſ
cerner par l'experience de la choſe mé
me, que décrire ou exptiquer par des
-

paroles. -

3. Dieu entant que pure divinité &


pure éternité, n'a diſtinctement ni at
tributs, ni propriétés, ni volonté, ni
connoiſſance , ni manifeſtation , ni
rien de tout ce qui ſe peut dire ou com
prendre. ·· ,· · · · · ·

Dieu comme Dieu a pour propre de


s'ouvrir ſoi-méme à ſoi, de ſe connoi
tre & de s'aimer ſoi-méme, de ſe mani
feſter ſoi-méme à ſoi dans ſoi. Et tout
, cela eſt dans Dieu par maniére d'eſſen
Germanique Chap. XXIX. 87
ee, & non par maniére d'action, n'y
ayant là-dedans rien de créé; mais bien
: ce qu'on apelle , les diſtinctions per
ſonnelles.
# 4. Mais Dieu entant qu'homme ,
# c'eſt à dire , entant qu'il vit dans un
:# homme divin ou deifié, a à cet egard
quelque choſe de propre, quelque cho
ſe qui lui appartient en proprieté, &
non à la créature; [quoi-que cela ſoit
dans elle].
Cette choſe eſt bien originairement
& eſſentiellement dans Dieu , mais
ſans créature, & alors elle n'exiſte pas
formellement ni par opération.
Or Dieu veut cependant que cela
exiſte & ſoit par opération ; & c'eſt
méme pour cela qu'il y a des créatures,
afin que ces choſes-là ſoient reduites en
actes & que ces operations- là ſoient
exercées. • e,

# Si cela n'eſtoit, à quoibon la créatu


re & Dieu dans elle ? Devroit-ce étre
une choſetoute oiſive ? A quoi ſeroit
elle donc bonne ? Certes ce qui n'eſt
bon à rien , exiſte en vain. Et c'eſt ce
que ni Dieu ni la nature ne ſouffrent
S, •,

r . Puis donc que Dieu veut qu'il y


ait des actions & des operations , &
u'il ne peut y en avoir ſans qu'il y ait
§ créatures2 il faut 2 poſé la cie - C 2
| |
88 La Theologie
re, que les choſes ſus-dites [les actions
& les pratiques telles qu'ont été celles
de Jeſus Chriſt & des ſiens, ] ſe faſſent
& s'obſervent de la maniere qu'elles
ſe ſont obſervées.
6.On pourroit méme demander, s'il
n'y avoit ou n'y devoit avoir opéra
tions ni rien de § , rien de par
ticulier, ni ceci ni cela , que ſeroit ou
'que pourroit donc étre Dieu lui-méme
[par rapport à nôtreconnoiſſance ? }
Mais il vaut mieux s'arêter-là & reve
nir à nous : autrement on pourroit
bien ſe laiſſer aller ſi avant dans ces
ſortes de recherches, qu'on ne trouve
roit pas la voye d'en revenir.

C H A P I T R E XXX.

On deduit plus amplement la réponſe & le


- principe de ci-deſſus , oppoſés aux faux-li
* bres. -

I. Que Dieu n'eſt pas un bien particulier,


: mais le Bien tout pur , é la lumiere
toute pure & eſſentielle.
2. Qu'afin que ce pur Bien é cette pure lu
miére produiſent des actes , il doit y avoir
des créatures dans leſquelles ce Bien & cette
lumiére produiſent la connoiſſance de ce mé
me Bien & de cette lumiere.
3 ?ue ce Bien & cette lumiére yfont auſſi
connoi
Germanique Chap. XXX. . 89
connoitre Dieu comme juſtice, verité,
vertu , amour , & comme unique vo
lonté. -

4. Et partant , qu'on ne pratique » qu'on ne


, veut , qu'on n'aime-là plus le bien que pour
l'amour du bien tout pur, & ſans pro
priété, ainſi que Dieu méme.
I• IL faut ſçavoir,
que D I E U en
tant que B o N , n'eſt que pure
Bonté ou pur bien; & qu'il n'eſt pas
un bien particulier.
Car ce qui eſt quelque choſe de par
ticulier » & qui eſt ici ou là , n'eſt pas
par-tout , ni illimité : & ce qui eſt
quelque choſe d'exiſtant en certain
temps, aujourdhui ou demain » cela
n'eſt pas toûjours, ni en tout temps,
ni au-deſſus de tout temps; de méme
que ce qui eſt quelque choſe de parti
culier , ceci ou cela , n'eſt pas tout,
ni par-deſſus tout.
Si donc Dieu étoit une choſe particu
liere , il ne ſeroit pas tout ni par-deſſus
tout » comme il l'eſt : il ne ſeroit pas
la pure & vraye Perfection. -

Il eſt donc; & cependantil n'eſt pas


ceci ni cela, ni quoi-que ce ſoit que la
créature comme créature puiſſe conce
voir, connoitre » nommer ou expri
II)6I', º - º - º - - r • . ::

Delaméme maniére, ſi Dieue#


d
9o La Theologie
qu'il eſt le Bien ou qu'il eſt bon, étoit
un bien particulier, celui-ci ou celui
là ; il ne ſeroit pas tout bien ni au-deſ
ſus de tout bien ; il ne ſeroit pas non
plus le Bien tout ſimple & tout parfait,
comme neanmoins il l'eſt.
Dieu eſt auſſi lumiére & intelligence; &
comme tel, c'eſt une de ſes proprietés
que de luire, d'éclairer & de connoi
tre. Il le faut, dis-je, puis qu'il eſt
intelligence & lumiére : mais ce luire
& ce connoitre ſont en lui ſans créa
tures , vû qu'ils ne ſont pas dans lui
comme des actes , mais par maniére
d'eſſence & d'origine.
2. Mais afin que cela exiſte par ma
niére d'actes & d'opération , il eſt ne
ceſſaire qu'il y ait des creatures dansqui
cela ſe faſſe. r ^ : · : · . ..
· Et quand il y a des créatures dans leſ
quelles cette lumiére & cette intelli
gence eſt agiſſante & opérante , là
ſe connoit - elle ſoi - méme , & en
ſeigne ce qu'elle eſt : & cela eſt
bon. . · . : ) : (x , . ' ''
Et comme elle n'eſt rien de particu
lier & de borné , elle n'y connoit &
n'y enſeigne auſſi rien de particulier,
Ede propre, de borné] : elle n'y con
noit & n'y apprend à connoître quele
Bien unique , véritable , ſimple &
Parfait » qui n'eſt ni ceci ni cela, mais
qu1
Germanique Chap. XXX. 9r
qui eſt tout bien & au-deſſus de tout
|]ſt
# ! 3. On vient de dire quele Bien uni
# que s'enſeigne & ſe fait connoître ſoi
méme : qu'enſeigne-t'il donctouchant
ſoi, demandera-t'on. C'eſt ce qu'il
ſ# faut bien obſerver. -

# Comme Dieu eſt intelligence, lu


# miere & bien ; auſſi eſt-il volonté, a
mour, juſtice , & verité, & méme toute
: vertu : mais cela n'eſt que pure eſſence
# en Dieu, & ne peut jamais ſubſiſter
# par maniere d'actions & d'operations
s'il n'exiſte des creatures : car dans
Dieu méme, & ſans créature , tout
ſ! n'eſt que pur étre & pure origine, ſans
|! ruiſſeaux ni productions. -

Mais quand cet étre unique (qui


néanmoins eſt T ou T)prend à ſoi une
créature laquelle il agit & dirige, qu'il
diſpoſe & qu'il rend propre à ſe con
znoitre ſoi-méme dans elle , alors ,
comme il eſt volonté uniforme & As
mour, ilſe fait connoitre & s'enſeig"
·ne auſſi ſoi-méme comme amour & vo
lonté unique dans ce ſujet où il eſt lumié
re & intelligence. , !

Il ne voudra auſſi dans le méme ſujet


# que l'unique choſe , qui eſt lui-mé
II}C. • , . - • !

· · 4 Et partant, il ne ſera deſormais


plus rien voulu ni cherché dans un tel
- - - - · ſujet
92 La Theologie
ſujet que le bien entant que bien , par
le ſeul motif que c'eſt le bien méme,
& non pas pour ceci ni pour cela de
particulier, comme, parce qu'il ſeroit
agréable ou deſagréable , plaiſant ou
peinible, doux ou amer, ou par quel
que autre raiſon ou motif que ce puiſſe
étre, & dont on ne ſe ſoucie & ne ſe
met plus en peine, non-plus que de la
propre conſideration de ſoi-méme.
Car le ſoi, le moi, le mien, & toute
propriété, n'ont ici plus de lieu; on
s'en eſt défait : on n'y entend plus dire
ni je m'aime, ni je vous aime, ni rien
de ſemblable.
Que ſi l'on demandoit à l'amour,
qu'aimez-vous ? il répondroit, j'aime
le bien. Et pourquoi ? pour l'amour
du bien, repondroit-il, & parce que
c'eſt le bien-méme; & partant, il eſt
bon & juſte qu'il ſoit ainſi recherché.
De ſorte que ſi (par impoſſible)ily
avoit un plus grand bien que Dieu , on
devroit l'aimer par préference à Dieu.
Auſſi Dieu ne s'aime-t'il pas ſoi-méme
comme (a) ſoi ; mais parce qu'il eſt le
Bien : & s'il y avoit ou s'il connoiſſoit
quelque choſe de meilleur que lui, il
aimeroit cette choſe-la, & non pas ſoi
méme » tant le moi & le ſoi ſont alienés
de
r# c.à.d. ſimplement à cauſe qu'il a un étre
op C,
Germanique Chap. XXXI. , 93
de Dieu , & ne lui conviennent point ,
# ſinon autant qu'il eſt requis pour la
diſtinction des perſonnes divines.
# Voilà comment les choſes doivent
# aller & vont en effet dans un ſujet ou
*dans un homme divin ou vraiement
º diviniſé ; qualité qu'on ne pourroit
# poſſeder ſans cela.
t
# C H A P 1 T R E XXX I.
#
# 1. Dieu porte un homme déifié, (qu'ilpoſ
# ſede & gouverne) à un A M o U R tout
* pur envers tout, & envers ſes plus grands
ennemis.
* 2. Preuve de cela par la vie de 7. Chriſt.
| 3. Il n'y a dans un tel ni deſirs ni acies de ven
geance
,' 4." lente.
Ni contrainte de perſonne, ni defenſe. vio
" 5. Ni oppreſſion ni affiiction de qui que ce
ſoit. -

#
1. | [L ſuit de-là, que l'amour qui eſt
7 dans un homme déifié, n'eſt qu'a
# mour tout pur & ſans mélange [de rien
de propre, ] & qu'il eſt porté de bon
ne volonté envers tous les hommes &
envers toutes choſes. -

Et partant , toutes choſes ſont ai


' mées de lui, Il veut du bien , il en de#
94 . La Theologie •. -

& il en procure à chacun & à toute


créature, d'une affection toute pure.
Juſques-la méme , que quoi qu'on
vinſt à faire à un homme déifié tout ce
qu'on voudroit , du bien , du mal ;
du plaiſir, des déplaiſirs; ceci , cela :
quand méme, s'il étoit poſſible, on le
tuëroit cent fois , & qu'il revint au
tant de fois à vie ; il ne ſe pourroit
qu'il n'aimaſt celui qui l'auroit autant
de fois tüé. Et lui euſt-on fait autant
de torts, de maux & de peines qu'on
voudra, il ne ſe pourroit néanmoins
u'il ne fuſt plein de bonne volonté,
'affection & de bons deſirs pour ſes
perſecuteurs, juſqu'à leur procurer le
plus grand bien , ſi ſeulement ils en
étoient ſuſceptibles & qu'ils vouluſſent |
l'accepter.
2. Cette verité eſt autantviſible que
demonſtrable par l'exemple de Jeſus
Chriſt ; qui lors que Judas venoit le
trahir, l'accueillit par ces douces pa
roles : (a) Mon ami, que venez-vous faire
ici ? Comme s'il lui euſt voulu dire :
» Quoi-que vous me haiſſiez & me ſo
» yez ennemy; je ne laiſſe pas néan
» moins de vous aimer & de vous étre
» amy : & bien que vous me vouliez,
» me ſouhaittiez & me procuriez le
» pis que vous pouvez; je ne laiſſe
32 pas
(º) Matth. 26, vers ;o.
Germanique Chap. XXXI. , 95
tiº » pas de vous vouloir & de vous deſi
22 rer la choſe la meilleure, & méme
# 22 je vous la procurerois & donnerois
Cl:
»2 volontiers ſi ſeulement vous étiés de
#
#!
» diſpoſition & de volonté à l'accep
32 tCr. , · · ·.

--, C'eſt donc comme ſi Dieu méme di


ſoit par l'organe de l'humanité : », Je
»2 ſuis la Bonté ou le Bien tout pur &
», tout ſimple ; & partant je ne puis
2, rien vouloir, ni ſouhaitter, ni fai
»2 re, ni donner que le bien : de-ſorte
»» que ſi je doiste rendre quelque cho
22 ſe pourtes maux & pour ta malice,
2, je ne puis le faire que par le bien :
», car je ne ſuis que bien tout-pur, & je
», n'ai nulle autre choſe que pur bien
2, dans moi.
3. Il ſuit encore de-là, que dans un
homme deïfié Dieu n'y excite point de
deſirs de vengeance » qu'il n'en veut
point, & qu'effectivement il ne ſe re
vange point quelque mal qu'on lui faſ
ſe ou qu'on lui puiſſe faire. -

Et cela ſe voit auſſi en Jeſus Chriſt,


qui diſoit à ſon Pere , priant pour
ceux qui lui procuroient la mort, (a)
Pardonnez-leur, mon Pere, car ils ne ſavent
ce qu'ils font.
4. C'eſt encore une proprieté de
Dieu

º(a) Luc : 23 : 34.


96 La Theologie
Dieu [dans un tel homme,] que de
ne contraindre perſonne à faire par
force ou à omettre quoi que ce ſoit;
mais de laiſſer agir chacun ſelon ſa vo
lonté , bien ou mal, ſans vouloir lui
reſiſter. Ce qui ſe voit pareillement
en Jeſus Chriſt, qui ne vouloit pas re
ſiſter ni ſe défendre de cette ſorte con
tre ſes perſecuteurs. Et lors que S. Pier
re voulut le faire, il lui dît, (a) Pier
re, remets ton épée dans ſon fourreau : car
la reſiſtance, la défenſe violente, uſer
de force, eſt une choſe qui n'appar
tient ni à moi, ni aux miens. .
5. Enfin c'eſt le propre d'un hom
me deïfié de n'opprimer & de n'affli
ger perſonne : c'eſt à dire , qu'il n'a
jamais la moindre volonté, le moin
dre deſſein ni deſir, quoi qu'il faſſe ou
qu'illaiſſe, qu'il parle ou qu'il ſe taife,
de procurer par-là de la peine ou du
chagrin à perſonne,

· C H A P 1 T R E XXXII.
I. Quoi-qu'un homme divin procure à cha
cun ce qui eſt de meilleur , il ne ſçauroit
pourtant contribuer à l'accompliſſement de
. leur volonté. -

2. En

(a) Jean. 18 : 11. 4


Germanique Chap. XXXII. 97
2. En quoi Dieu & les ſiens cherchent &
: procurent à tous le meilleur.
::: 3. Preuve de cela par l'Evangile.
il
0! 1. ( Yuelqu'un pourroit ici me dire :
;ſ
l' Puis qu'un homme Deifié, ou
#
# Dieu dans lui & par lui , ſouhaite &
a# procure à chacun ce qui eſt le meil
f leur , il faudroit donc qu'il contri
1*
|, buaſt à l'accompliſſement des ſouhaits
& de la volonté d'un chacun , à celle
de l'un d'étre Pape, à celle de l'autre
r
d'étre Evêque, & ainſi du reſte.
A quoi je réponds, que quiconque
contribuë à l'accompliſſement de la
propre volonté de l'homme , contri
buë au plus grand mal de l'homme :
parce que plus il ſuit ſa propre volonté
& s'affermit dans elle, plus il s'éloigne
de Dieu & du veritable bien.
2 Il eſt bien vrai , que Dieu aide
l'homme trés-volontiers , & qu'il
voudroit bien le meiner & l'avancer à
cc qui en ſoi eſt le plus excellent, &
qui auſſi à l'égard de l'homme eſt la
choſe la meilleure de toutes : mais
pour effectuer cela, il eſt neceſſaire,
comme on l'a fait voir ci-devant , de
faire décroitre & d'anéan ir toute pro
pre volonté : Et c'eſt à quoi Dieu
voudroit bien aider un chacun.
Car ſi long temps # l'homme veut
98 La Theologie
& cherche lui-méme ſon mieux , il ne
cherche pas ſon mieux, & auſſi il ne
le trouvera jamais par cette voye.
La raiſon en eſt , que le mieux de
l'homme eſt de ne chercher & de n'a
voir en vûe ni ſoi ni ſon propre. C'eſt
là la doctrine & la parole de Dieu
méme.
Si donc quelqu'un deſire que Dieu
l'aide & l'avance à ce qui eſt le meilleur
de ſoi & le meilleur pour lui, il n'a
qu'à ſuivre la parole , la doctrine & le
commandement de Dieu : quoi fai
ſant, il trouvera , & aura méme déja
trouvé le ſecours de Dieu ; mais pas
2lItICII)CI]t.

3. Or la doétrine & la parole de


Dieu eſt , que l'homme (a) renonce à
ſoi-méme & à toutes choſes , & qu'il le ſui
ve : (b) car, dit-il , qui aime ſon ame ,
c'eſt à dire ſoi-méme, & qui la veut con
ſerver & retenir, c'eſt à dire, celui qui
ſe cherche ſoi-méme & ſon propre en
quoi que ce ſoit, celui-là perdra ſon ame :
Mais quiconque ne ſe ſouciera de ſon ame
ſe laiſſant ſoi-méme & perdant & ſoi
& ſon propre , celui-là gardera & conſer
vera ſon ame pour la vie éternelle & dans
elle.

CHA P
(a) Matth. 16 : 24. (b) Matth, 1o: 39.
Jean. 12: 25,
Germanique Chap. XXXIII. 99

C H A P I T R E X X X III.

I. Autre propriété de Dieu dans l'homme ,


ou de l'homme défié , l'humilité : ce
qu'elle eſt, & d'où elle vient.
2. Que la créature n'eſt digne de rien , &
que ſon principal eſt de s'abandonner à
Dieu , & de ſe ſoumettre à lui & à
fotés.

3. Que j*. Chriſt a enſeigné & pratiqué ces


choſes & ſemblables , d'où nait auſſi la
pauvreté d'Eſprit. -

I. Ne autre proprieté de Dieu


dans un homme deifié , eſt
l'humilité fonciére, ſolide & réélle. Où
elle n'eſt pas, il n'y a point d'homme
deifié.
C'eſt ce que Jeſus Chriſt a enſeigné,
$ tant par ſes paroles, que par ſes œuvres
& par toute ſa vie.
Cette humilité vient de ce quel'on
connoit dans la vraye lumiére cette ve
rité, que l'étre, la vie, le pouvoir ,
la connoiſſance, la ſcience , & tout le
# reſte , que toutes ces choſes ſont uni
quement du ſeul vrai Dieu , & non de
la créature.
En effet, la créature comme créa
ture n'eſt ou n'a de ſoi rien du tou# #
E 2 &
1OO La Theologie
& ſi-tôt qu'elle ſe détourne du vrai
bien par ſa volonté ou par ſes actions &
ce qui s'enſuit, on ne trouve plus dans
elle que malignité.
2. C'eſt pourquoi c'eſt une verité
ferme & inconteſtable que cette autre
parole , qui dit , que la créature n'eſt
d'elle-méme digne de rien ; c'eſt a dire ,
qu'elle n'a droit ſur rien ; & que per
ſonne , ni Dieu ni aucune créature ,
ne lui eſt redevable de rien.
Elle eſt au contraire obligée à juſte
droit de s'abandonner & de ſe ſoûmet
tre entiérement à Dieu : & c'eſt ce
qu'il y a de plus grand & de plus conſi
dérable dans elle.
Mais quiconque doit & veut s'aban
donner & ſe ſoûmettre à Dieu , doit
auſſi ſe ſoûmettre à toutes les créatu
res, & cela non d'une maniére (a)
active , mais paſſivement & en ſouf
frant : autrement ce ne ſeroit que
tromperie.
C'eſt de ce dernier point, auſſi bien
que de quelques autres ſemblables ,
que procéde la vraye H U M I L I T E'.
3. Si toutes ces choſes n'étoient pas
ainſi dans laverité, & ne devoient pas
étre eſtimées pour les meilleures ſelon
le droit & la vraye juſtice de Dieu ,
Jeſus Chriſt ſans doute ne les auroit pas
enſeignées
(a) c, a. d à ſon choix & plaiſir.
Germanique Chap.XXXIII. 1o1
enſeignées par ſes paroles ni pratiquées
, par ſes actions.
$. Où ces choſes ſont, on y confeſſe &
reconnoit veritablement la realité &
# l'immutabilité de cette verité, aſſavoir :
# Que la créature eſt obligée dans la veri
té & la juſtice divine de ſe ſoûmettre à
, Dieu & a toutes les autres créatures,
: : & que rien ne doit étre ſujet ni ſoûmis
L' à elle : Que Dieu & toutes les créatu
res ont droit ſur elle & contre elle ,
& qu'elle n'a droit ſur rien : Qu'elle
eſt redevable & obligée à tous, & que
perſonne ne lui doit rien : & que dans
tout cela elle doit ſe comporter d'une
maniére paſſive, quoi qu'active auſſi,
à certain égard.
C'eſt d'ici auſſi que nait la Pauvreté
d'eſprit, dont Jeſus Chriſt dit , (a)
Bien-heureux ſont les pauvres d'eſprit : car le
Royaume des Cieux eſt à eux.
Et lui-méme a enſeigné toutes ces
choſes par ſes paroles, & les a accom
plies de fait & par ſa vie.
|
C H A P I T R E XXXI V.
|
s
r. S'il y a des choſes contraires à Dieu &
qui lui ſoient à triſteſſe & à contre-cœur.
2. Le peché ſeul eſt tel. En quoi il conſiſte.
E, 3 3. Toute
(a) Matth. 5 : 3.
IO2 La Theologie
3. Toute oppoſition de volonté ne peut
que deplaire & étre la cauſe de deplaiſance.
4. Divers noms du peché.
1• Oici encore des verités conſi
dérables. L'on dit ordinaire
ment, qu'il y a ou qu'il ſefait certaines
choſes contre Dieu , & qu'il y en a qui lui
font mal au cœur, & qui le chagrinent ou
l'attriſtent.
Mais il faut ſavoir, que nulle créa
ture n'eſt contre Dieu & ne lui eſt à
contre-coeur ou à ennui entant qu'elle
al'étre, qu'elle vit, qu'elle a intelli
ence , pouvoir , & autres facultés.
ar rien de tout cela n'eſt contre Dieu.
Que le Diable méme ou que l'homme
ait ſubſiſtence, vie , & ainſi du reſte,
tout cela eſt bon & eſt de Dieu : car
Dieu eſt cela méme eſſentiellement &
originairement.
Oui , Dieu eſt l'étre de tous les é
tres, & la vie de tous les vivans, auſ
ſi bien que l'intelligence & la ſageſſe de
tous les ſages : Car toutes choſes ont
leur étre, leur vie, leurs puiſſances,
& le reſte, plus veritablement en Dieu
que dans elles-mémes : & s'il étoit
autrement , Dieu ne ſeroit pas tout
bien.
Et partant toutes choſes ſont bon
nes. Or ce qui eſt bon , eſt agréable
à Dieu ,
Germanique Chap. XXXlV. 1c3
à Dieu, & il le veut bien ainſi, Donc
cela n'eſt pas contre lui.
2. Qu'eſt-ce donc qui eſt contre
Dieu & qui lui eſt déplaiſant & à con
tre-coeur ? Je réponds , que ce n'eſt
que le peché.
Mais qu'eſt-ce que le peché ?
Rien d'autre quc quand la créature
veut autrement que Dieu , ou veut
contre Dieu. Et c'eſt dequoi chacun
peut étre convaincu par ſoi-méme en
ſon propre fait : car, quiconque veut
autrement que moi , ou veut contre
moi , m'eſt ennemy : & quiconque
veut comme moi, m'eſt amy & m'eſt
agréable. Et il en eſt de méme à l'é
gard de Dieu.
Voilà ce que c'eſt que le peché, &
c'eſt cela qui eſt contre Dieu, qui lui
eſt ſujet detriſteſſe & de marriſſement.
Or comme celui qui auroit une vo
lonté contraire & oppoſée à la mien
ne, me ſeroit contraire & inſuppor
table quoi qu'il fiſt ou qu'il ne fiſt pas,
qu'il diſt ou qu'il ne diſt pas; il en eſt
de méme à l'égard de Dieu. Quicon
que veut autrement que Dieu , ou veut
contre Dieu, quoi qu'il faſſe ou qu'il
laiſſe, quoi qu'il entreprenne & exe
cute, tout cela eſt contre Dieu , & eſt
péché
Toute volonté qui veut autrement
- E. 4 que
Ic4 La Theologie
que Dieu, eſt contraire à la volonté de
Dieu : car Jeſus Chriſt dit ; (a) Qui
conque n'eſt pas avec moi , eſt contre moi : ce
qui eſt tout autant que s'il diſoit : qui
conque ne veut pas avec moi , & n'eſt
pas de méme volonté que moi , eſt
contraire à ma volonté.
C'eſt à ceci que chacun peut remar
quer s'il eſt ſans peché ou non , s'il
peche ou s'il ne peche pas, ce qu'eſt
le peché, comment & par quel moien
on peut & doit en ſubir l'expiation &
s en corriger.
Cette oppoſition de volonté à celle
de Dieu , eſt & ſe nomme auſſi, deſo
beiſſance, Adam, le moi, le ſoi ou l'ap
propriation, propre volonté , peché , vieil
homme, détour & ſeparation de Dieu , tout
cela n'eſt qu'une méme choſe.

C H A P I T R E XXX V.

I. Comment Dieu impaſſible en ſoi, eſt affli


gé par le peché de l'homme.
2. où Dieu eſt , on ne s'y plaint que du pt
ché.
3. Plaintes & douleurs pour le peché doivent
demeurer juſqu'à la mort dans un homme
vrayement deifié, ou dans ceux où Dieu
habite.
4, Ces
(a) Matth. 12, vers 2o,
Germanique Chap XXXV. 1o5
4 Ces ſouffrances-là m'appartiennent pzs à
l'homme , mais à Dieu.
I. I# faut maintenant obſerver [à
l'occaſion de ce qu'on vient de
dire de la triſteſſe de Dieu , ] que Dieu
entant que Dieu n'eſt pas ſuſceptible
de déplaiſir, de triſteſſe ni de marriſſe
ment : & néanmoins il eſt vrai que
Dieu eſt attriſté pour le peché de
l'homme.
Et partant, ſi cela ne ſe peut faire
dans Dieu conſideré en ſon eſſence ,
où il n'y a rien de créé; il faut qu'il ſe
faſſe dans lui là où il eſt homme , c'eſt à
dire, dans leſujet d'un homme deifié.
Et par effet, c'eſt dans un tel ſujet
que le peché eſt ſi affligeant & ſi peni
ble à Dieu , qu'il ne feroit point de
difficulté de ſouffrir le martyre & la
mort corporelle pour anéantir le peché
d'un ſeul homme.
Et ſi on lui demandoit, lequel des
deux il aimeroit le mieux, aſſavoir ,
ou ſa propre vie, & que le peché ſub
ſiſtaſt; ou bien, mourir, & que le pe
ché fuſt détruit par ſa mort ? il répon
droit ſans balancer , J'aime mieux
mourir. Et la raiſon eſt, quc le pe
ché d'un ſeul homme fait plus de peine
& plus de douleur à Dieu , que ſa pr9"
pre mort & ſon º#e c;
5 *. '
Io6 La Theologie
Si le peché d'un ſeul homme lui cau
ſe tant de douleurs, que ne lui doivent
donc pas faire tous les pechés de tous
fes hommes ?
Remarquez donc d'ici , comment
& en quel ſens l'homme attriſte & afHi
ge Dieu par ſes pechés.
2. Où Dieu eſt homme , c'eſt à di
' re, dans un homme deïfié, on ne s'y
plaint de rien que du peché ſeulement,
& il n'y a rien d'autre qui y ſoit peini
ble & affligeanr.
Cartoute autre choſe qui s'y trouve,
ou qui y ſurvient ſans peché, eſt un
effet de la volonté de Dieu , qui le veut
& le trouve bon ainſi.
3. Les plaintes & les lamentations
douloureuſes que le peché cauſe à un
homme deïfié , doivent neceſſaire
ment ſubſiſter & durer dans lui juſqu'à
ſa mort corporelle , quand méme il
devroit vivre juſqu'au jour du juge
ment, ou juſqu'à l'éternité.
Et voilà la ſource & le fondement
des douleurs interieures & cachées de
Jeſus Chriſt, dont perſonne n'a con
noiſſance & ne peut bien parler que lui
ſeul : raiſon pourquoi on les appelle
cachées, comme el'es le ſont effective
II)Cnt.
4. Ces ſouffrances douloureuſes du
peché ſont auſſi une proprieté de Dieu
qu'il
Germanique Chap. XXXVI. 127
-

x- qu'il veut bien avoir & qui lui plait


beaucoup dans i'homme deifié.
:, C'eſt bien en effet une proprieté de
Dieu , vû qu'elle n'appartient point à
l'homme & ne peut venir de ſon fonds
& de ſon crû : au contraire, ce lui eſt
la choſe de toutes la plus amére & ia
## plus péſante, au lieu qu'il n'y a rien de
plus agréable ni de plus précieux devant
Dieu que de pouvoir obtenir cela dans
; quelqu'un.
Tout ce qui a été dit juſqu'ici de cet
te proprieté de Dieu , laquelle il veut
avoir dans l homme, puis que c'eſt-là

qu'elle doit étre actuée & exercée ,
tout cela eſt enſeigné par la véritable lu
miere, qui apprend en méme temps à
l'homme (dans lequel cette proprieté
ſouffrante eſt actuée & miſe en exerci
ce) à ſe l'arroger & s'en prévaloir auſſi
peu, que s'il n'étoit point au monde :
car il lui eſt donné de connoitre qu'el
le ne peut venir de lui, & qu'elle ne
lui appartient poinr.

C H A P I T R E XXXVI.

I. La vie d'un homme deifié, ou poſſedé de


Dieu , eſt ſº excellente , que qui l'a , ne
l'abandonne jamais pour nuls maux ni
pour nuls biens.
2., Parce
1o3 La Theologie
2. Parce qu'elle eſt embraſſée purement pour
ſa propre excellence cº pour l'amour de
Diete.
3. Qui s'en defait, ou voudroit s'en defaire,
nel'a jamais goûtée qu'en mercenaire.
4. L'Amour la rend legere, elle & tous ſes
f/'8tJA/4X:,
5. Auſſi bien que toutes les loix , reglemens,
ordonnances &c. qui péſent aux faux-li
bres.

I, O† que ſoit ou que ſe


puiſſe trouver un tel homme
deifié, là ſe trouve auſſi la vie la plus
excellente, la plus noble, & la plus
précieuſe aux yeux de Dieu, qui ait
jamais été ou qui puiſſe jamais étre.
Et cette méme vie eſt tellement ai
mée par l'amour é ernel , qui aime le
bien purement comme bien & par le
pur motif du bien, & qui par le même
motif aime auſſi ce qu'il y a de plus ex
cellent & de plus noble en toutes cho
ſes; cette vie, dis-je eſt ſi fort aimée
par ce pur & cet éternel amour, que
dés qu'elle eſt dans quelqu'un, jamais
il ne l'abandonne plus, duſt-il vivre
fur la terre juſqu'au dernier jour.
Oui, il eſt impoſſible qu'il l'aban
donne : & quand méme il devroit
mourir de mille morts, & étreacca
blé de toutes les ſouffrances qui peu
- VeIlt
Germanique Chap XXXVI. 1c9
vent tomber ſur toutes les créatures,
il aimeroit beaucoup mieux ſouffrir
toutes ces choſes que de renoncer à
cette noble vie , qu'il ne changeroit
pas méme contre la vie d'un Ange.
2. Toutes ces conſidérations peu
vent ſuffiſamment ſervir de réponſe à
la queſtion de cy - deſſus , aſſavoir ,
( a ) puis qu'en embraſſant la vie de feſus
Chriſt on ne devoit pas le faire pour y gaigner
quelque avantage ou pour quelque utilité, ce
qu'il falloit donc y prétendre ? Certes on
ne l'embraſſe pas pour ſe procurer par
là quelque profit, ou par le motif de
l'utilité; mais par le motifd'un amour
tout pur , pour ſa propre excellence,
& parce qu'elle plaiſt à Dieu & que ſa
Majeſté l'eſtime.
. Si quelqu'un diſoit ou s'imagi
noit d'avoir aſſés poſſèdé & d'avoir
meiné ſuffiſamment & aſſés de temps
cette vie-là, & que deſormais il peut
bien en deſiſter, c'eſt une marque qu'il
ne l'a jamais bien goûtée ni bien con
nuë. - - • -

Car lorſqu'on l'a trouvée & goûtée


dans la verité, on ne peut jamais l'a
bandonner. -

Mais quil'auroit embraſſée à deſſein


de mériter ou de ſe procurer par elle
quelque avantage , Ene7 la poſſederoit
- - - - qu 6º11
(a) Supr. Chap. 29.
I IO La Theologie
qu'en qualité de mercenaire , & non
comme un Amateur ſincére : & méme
il ne la poſſederoit point du tout. Car
quiconque ne l'a point par amour, ne
l'a point du tout. Il peut bien s'ima
giner de l'avoir ; mais il ſe trompe
fort.
Jeſus Chriſt n'a pas embraſſé ſa vie
par le motif du loyer & de la recom
penſe; mais par Amour.
4. Et c'eſt l'Amour qui rend cette
vie legére, qui fait qu'elle ne péſe pas,
qu'on l'embraſſe de bon cœur, & qu'on
la porte de franche volonté.
Mais qui ne l'a point par Amour,
& qui croit l'avoir en n'y procedant
que par le motif du loyer & de la re
compenſe , ô qu'elle lui eſt peſante,
& que volontiers il voudroit en étre
bien-tôt delivré ! & en effet , c'eſt le
propre de tout mercenaire , de ſou
haitter de voir la fin de ſon travail.Mais
pour un veritable Amateur , ni travail,
ni durée, ni ſouffrances ne lui font au
cune peine.
C'eſt pourquoi il a été dit, que ſer
vir Dieu & l'aimer, eſt facile à celui qui le
fait : Ce qui eſt vrai pour qui le fait par
amour : mais qui le fait pour recom
penſe 2 le trouve peſant & difficile.
5 Etilen eſt pareillement de méme
à l'égard de toutes les vertus & de tou
tCS.
Germanique Chap. XXXVII. 111
tes les bonnes œuvres, auſſi bien que
de toutes les ordonnances, reglemens,
droits, equité, & choſes ſemblables.

C H A P 1 T R E XXXVII.

r. Comment Dieu , qui eſt par-deſſus toute


maniere, ordre & meſures , eſt néanmoins
autheur de ces choſes.
2. Quatre ſortes de perſonnes par raport aus
ordonnances , reglemens , & c. aſſavoir,
les eſclaves , les mercenaires , les faux-li
bres, & les vrais-éclairés.
3. Ces derniers n'ont pas beſoin de tant de
ponctualité.
4. Les eſclaves , les mercenaires , & les
faux - libres , condamnent tous les vrais
éclairés.
5. Les regles & commandemens de Dieu vont
à l'interieur; & ceux des hommes à l'ex
térieur ; & ilsſont neceſſaires.

1. T 'On dit pour verité, que Dieu eſt


par-deſſus toute meſure & tout or
dre , qu'il eſt méme ſans tout cela ; & que
néanmoins il donne à toutes choſes meſure &
maniéres, ordre & reglemens d'équité. Cet
te parole eſt veritable , & voici com
me on la doit entendre.
Dieu veut que tout cela ſoit & 1#:
- 2
I I2 La Theologie -

ſiſte; & cependant cela ne peut fubſi


ſter dans ſon eſſence divine , où il n'y a
point de créatures; puiſque dans Dieu,
ſans créatures, il n'y a ni ordre ni deſ
ordre, ni maniéres ni contre-manié
res, ni rien de ſemblable.
C'eſt la raiſon pourquoi Dieu veut
qu'il y ait [des créatures & des actes de
créatures ] afin que ces choſes y ayent
lieu & qu'elles y ſoient pratiquées : car
où il y a des actions, des paroles » des
affaires , il doit auſſi y avoir ordre , ma
niére , meſure & raiſon avec quoi tout
ſe faſſe ; ou bien deſordre & confu
ſion.
Or la raiſon & l'ordre valent beau
coup mieux que le contraire.
2. Cependant il eſt bon de remar
quer qu'il y a quatre ſortes de perſon
nes qui ſe comportent fort diverſe
ment à l'égard de l'ordre, des manié
res & des loix.
Les premiers ſont ceux qui les pra
tiquent non pour l'amour de Dieu , ni
méme pour quelque autre bon motif
particulier; mais par contrainte. Ces
gens-ci n'en font que le moins qu'ils
peuvent , & encore leur eſt il péſant
& bien amer.
Les autres les pratiquent par le motif
de la recompenſe. Ceux-ci ſont des
perſonnes qui ne ſavent encore rien de
- - meil
Germanique Chap. XXXVII. 113
meilleur que cela : ils croient qu'on
peut & qu'on doit gaigner & mériter
de la ſorte le Royaume du ciel & la vie
éternelle , & qu'on ne peut les acque
rir autrement. . Et ainſi , quiconque
en pratique le plus , ils le tiennent pour
heureux : mais qui les neglige ou en
fait le moins, ils le croient perdu &
: pour proie du demon. Ces gens-là
s'occupent de ces pratiques tout de bon
& avec grand ſoin ; mais néanmoins
ils y trouvent encore de l'amertume &
de la peine.
Les troiſiémes ſont une eſpéce de
méchans & de faux Eſprits qui s'ima
ginent & qui font profeſſion d'étre par
faits & de n'avoir beſoin de nulles de
ces choſes, deſquelles il ne font que ſe
rire & ſe moquer.
Mais les quatriémes ſont des perſon
nes éclairées de la veritable lumiére.
Et ceux-ci pratiquent ces choſes non
par un motif de recompenſe; car ils
ne prétendent pas de gaigner par-là au
cun avantage , ni qu'il leur ſoit fait
quelque bien en conſideration de ce
la : mais ce qu'ils en font , ils le font
par amour.
3. Ceux-ci n'ont pas de beſoin de les
pratiquer en ſi grand nombre , ni avec
tant d'empreſſement & de ponctualité:
mais ſeulement autant qu'il le faut pour
que
I I4 La Theologie
que la choſe ſoit bien faite , & faite
avec paix & tranquillité.
Que ſi par-avanture il leur arrive
quelques fois de s'y étre negligés ou
oubliés , ils ne ſe tiennent pas pour
tant perdus pour cela. Car ſi d'un cô
té ils ſavent que les réglemens equita
bles & les ordonnances de juſte inſti
tution ſont beaucoup meilleures que
ce qui eſtdéraiſonnable & deſordonné,
(à raiſon de quoi auſſi ils veulent les
obſerver : ) ils ſavent pareillement que
ce n'eſt pas en cela que conſiſte ni d'où
dépend la félicité. C'eſt pourquoi ils
n'en ont pas tant de beſoin que les au
trCS.

4 Ces excellentes perſonnes de la


derniére claſſe , ſont ordinairement
cenſurées & condamnées par ceux des
autres partis : car ceux du ſecond rang ,
les mercenaires , diſent d'eux : Voici
des gens ſans ſouci & qui ſe negligent entiere
ment [au fait du ſalut, ] & méme ils
en parlent comme de méchants & 1

d'impies. Au contraire, ceux du rang z


des Eſprits fauſſement libres, diſent en
ſe moquant d'eux, qu'ils y procedent
en bons & ſimples innocents, & en
gens de petite cervelle, & ſemblables
railleries.
Mais cependant ils gardent le juſte
milieu entre les extremités, & ſetien
nent
Germanique Chap. XXXVIJ. 115
nent au party le plus excellent : car un
vray Amateur de Dieu vaut mieux &
eſt plus agréable au Seigneur que cent
mille mercenaires ; & il en eſt auſſi de
méme de leurs oeuvres.
5. Il eſt bon de remarquer que les
commandemens de Dieu , ſes paroles
& ſa doctrine, vont à l'homme inte
rieur , & butent à ce qu'il s'uniſſe à
Dieu. Et lors que cela ſe fait, l'hom
me exterieur eſt ſi bien reglé & enſeig
né par l'homme intérieur , qu'il n'a
plus beſoin de preceptes ni d'inſtruc
tions extérieures.
Mais les commandemens & les loix
des hommes ſont pour l'homme exte
rieur; & cela eſt neceſſaire pour qui
ne ſait encore rien de meilleur : car
ſans cela , on ne ſçauroit ce que l'on
doit faire & ne pas faire; & l'on ſeroit
auſſi brutal que des chiens & des bétes
brutes.

C H A p I T R E XXXVIII.

I. De la fauſſe lumiére, oppoſée en tout à


la veritable. : Que n'étant que nature ,
elle eſt trompée & trompeuſe par la recher
che deſon propre.
2. Elle s'approprie fauſſement ce qui appar
tient
I 16 La Theologie
tient à Dieu entant qu'éternel, ne ſe pei
mant de rien.
3. Elle trompe tout ce qui peut étre trompé à
cauſe de ſa ſubtilité. Ses principales er
reurs vont à l'indolence, à l'indifference,
au libertinage, à l'impaſſibilité &c.
4. Elle ne cherche que le naturel, le plaiſant,
le propre, ſans ſcrupule ni conſcience, cro
yant cependant étre doiiée de vraye connoiſ
ſance & de droite intention , ſans pouvoir
en reventr.

5. C'eſt un Demon & un Antechriſt , qui


· ſeduit tous ceux que la vraye lumiere n'é
claire pas.
6. Pour bien chercher ſon mieux, il faut le
chercher ſurnaturellement. Ce qui eſt rare
c3 dificile.
7. C'eſt diaboliquement que la fauffe lumiere
ſe veut defaire de la conſcience & de ſa
convičii n.
8. Recapitulation des qualités & des effets
tant de la vraye lumiere que de la fauſſe
qui fait les faux-libres.
I• Pºlis qu'on a fait mention cy-deſ
ſus d'une fauſſe lumiére , il eſt à
propos de dire quelque choſe de ce
qu'elle eſt, & de quelques-unes de ſes
proprietes. -

|. Tout ce qui eſt contraire à la vérita


ble lumiére, apartient à la fauſſe.
· Il apartient de neceſſité à la vraye lu
- miére
Germanique Chap. XXXVIII. 1 17
miére de ne vouloir tromper perſon
ne, & méme de ne pouvoir vouloir
que perſonne ſoit trompé ; comme
auſſi elle ne peut étre trompée elle-mé
II}C,

| Mais la fauſſe lumiére eſt trompée


elle-méme, & trompe de plus les au
tres avec ſoi.
Car comme Dieu ne peut tromper
perſonne, & ne peut vouloir que per
ſonne ſoit trompé , il en eſt de méme
de la vraye lumiére : attendu que la
vraye lumiére eſt Dieu méme, ou une
choſe divine : au lieu que la fauſſe lu
miére n'eſt que nature ou que choſe
purement naturelle.
Or comme c'eſt une proprieté de
Dieu entant qu'il eſt dans un homme
deifié de n'y étre rien de propre ni d'at
taché à ceci ou à cela , & de n'y vou
loir, ni déſirer, ni chercher rien de
propre ; mais ſeulement le pur bien
pour l'amour du bien-méme, ſans au
tre motif ni fin que le bien tout pur; il
en eſt auſſi de méme de la véritable lu
nniere.
Mais au contraire , c'eſt une pro
prieté de la créature & de la nature,
[& par conſequent de la fauſſe lumié
re, ] d'étre quelque choſe de propre
& de particulier , & de ſe propoſer
dans ſon intention & dans ſes
- - .
re#ChCS
- -
1 18 La Theologie |
ches quelque choſe de particulier & de
propre , & non le bien entant que
ſimple bien & pour l'amour de lui
méme tout purement , ſans égard à
rien de particulier & de propre.
Ainſi donc, comme Dieu & la ve
ritable lumiére ſont ſans le ſoi & le moi
& ſans nulle propre recherche ; auſſi
appartient-il à la nature & à la fauſſe
lumiére d'avoir ſon ſoi , ſon moi , ſon
mien, & ſemblables proprietés ; & de
ſe chercher davantage ſoi-méme & le
ſien dans toutes choſes , que le bien
pour l'amour du bien méme.
Telle eſt la proprieté de la fauſſe lu
miére & de toute nature.
Remarquez donc que cette fauſſe
lumiére etant trompée d'origine, elle
ne veut & ne choiſit pas le bien comme
bien & à cauſe du bien tout pur : mais
elle ſe vcut & ſe cherche ſoi-méme &
le ſien comme ſi c'étoit la choſe la meil
leure : ce qui eſt pourtant faux. Et
c'eſt-là ſa premiere & ſa capitale illu
ſion.
2. Elle s'imagine auſſi d'étre ce
qu'elle n'eſt pas. Elle penſe étre (a)
Dieu ; & elle n'eſt que nature. O
r

(a) C'eſt ainſi qu'encore aujourdhui certains nou


veaux Philoſophes enſeignent preciſement., que
la Raiſon de l'homme eſt le Verbe éternel de Dieu,
& que les lumiéres de l'Éſprit de l'homme ſont les
Geraanique Chap. XXXVIII. 119
"r Or ſe tenant pour Dieu , elle s'at
tribuë & s'arroge auſſi non ce qui eſt
propre à Dieu entant qu'il eſt homme,
ou qu'il eſt dans un homme deïfié :
mais ce qui lui appartient entant qu'il
eſt Dieu , & qu'il eſt éternel & ſans
, créatures.
Comme donc on dit avec vérité ,
, que Dieu n'a diſette de rien, qu'il n'a
beſoin de choſe aucune, qu'il eſt tout
libre , dans un loiſir & une deſoccupa
tion au-deſſus de toutes choſes;qu'il eſt
pareillementinalterable, ſans que rien,
le trouble ſans [ faculté ni uſage de ]
conſcience , & que tout ce qu'il fait eſt
bien fait : », je veux auſſi, dit la fauſ
,, ſe lumiére, qu'il en ſoit tout de mé
,, me de moi ; car plus on eſt ſembla
,, ble à Dieu 2 mieux vaut-on. Je veux
,, donc eſtre ſemblable à Dieu; je veux
,, méme étre Dieu , m'aſſeoir auprés
,, de Dieu , & étre égale à lui : juſte
ment comme dit & voulut faire Luci
fer ou le Diable méme.
ll eſt bien vrai que Dieu dans ſa pure
éternité eſtinaltérable, impaſſible, in
dolent

lurnieres de Dieu , ou Dieu méme luiſant dans


l'homme : & pour en venir micux à bout, ils ne
veulent reconnoitre ni nature,ni operations de na
ture differentes de Dieu & de ſes operations purcs
& immédiates. Il eſt neanmoins croyable que !°
texte a égard aux faux-illuminés & aux faux-liºrº
I2.O - La Theologie
dolent, ſans que rien le touche, & ſans
que rien qui ſoit ou qui puiſſe étre,
lui faſſe peine. Mais il en eſt bien au
trement là où Dieu eſt homme , ou
dans un homme déifié.
3. Tout ce qui eſt ſuſceptible d'il
luſion ne peut manquer d'étre trompé
par cette fauſſe lumiére.
Or comme tout ce qui eſt ſuſcepti
ble d'illuſion en toutes les créatures ,
n'eſt trompé que par elle; & que tout
ce qui n'eſt pas Dieu ni divin eſt ſujet
à l'illuſion ; & que cette lumiére elle
méme n'eſt point Dieu , [mais natu
re,] il s'enſuit qu'elle eſt elle-méme
ſujette à l'illuſion, & que c'eſt elle qui
ſe trompe ſoi-méme.
L'on peut me demander ici , d'où
vient que tout ce qui eſt ſuſceptible
de tromperie & d'illuſion , eſt effecti
vement trompé par elle ?
Cela vient de l'extréme ſubtilité de
ſon eſprit & de ſon propre ſavoir : car
elle eſt ſi entendue, ſi fine, ſi habile
& ſi ſubtile, elle pénétre ſi avant &
ſait aller ſi haut , qu'elle croid enfin
d'étre au-deſſus de la nature, & qu'il
ſoit impoſſible à toute nature & à tou
te créature de monter ſi haut qu'elle :
& de-là vient qu'elle ſe croid Dieu, &
qu'elle s'arroge tout ce qui appartient
à Dieu » non entant qu'il eſt hom
me 2
Germanique Chap. XXXVIII. 121
me , mais entant qu'il eſt dans l'éter
nité.
Et voilà pourquoi elle dit & s'ima
gine d'étre au deſſus de tout ce qu'on
peut faire & qu'on peut dire; au deſſus s
de toute ceremonie , coûtume & re
glement, & méme au deſſus de la vie
que Jeſus Chriſt comme homme a
meiné eL ſon corps mortel.
C'eſt pour cela méme qu'elle ne veut
pasſe laiſſer toucher ni s'inquiéter d'au
cune créature ni de rien qui regarde
leurs aétions , fuſt-ilbon ou mauvais,
our ou contre Dieu : tout lui eſtin
différent ; elle ſe tient franche & libre
de tout , ni plus ni moins que ſi elle
eſtoit Dieu méme dans ſon éternité ;
s'arrogeant encore d'autres proprietés
qui n'appartiennent point aux créatu
res, mais à Dieu ſeul ; s'appropriant
tout , croyant que tout lui appartient,
qu'elle merite tout, qu'il eſt juſte &
raiſonnable que toutes les créatures lui
ſoyent ſoûmiſes & lui rendent ſervice.
Et c'eſt la raiſon pourquoi [dans cet
te fauſſe lumiére ou dans le ſujet qui en
eſt poſſedé, ] il n'y a ni peines, ni
afHictions, ni triſteſſe à l'occaſion de
quoi que ce puiſſe étre,ſinon ſeulement
les peines ou douleurs du corps , &
ce qui en dépend & dont on ne peut ſe
défaire avant la mort gºrer e oº
1 2.2 La Theologie
va mémc juſqu'à l cxtravagance de pen
ſer & de dire , qu'on eſt parvenu au
deſſus de la vie corporelle de Jeſus
Chriſt, qu'on eſt & qu'on doit étre
impaſſible & inalterable , ainſi que
l'étoit J. Chriſt aprés ſa reſurrection ;
avec encore quantité d'autres erreurs
& fauſſetés extravagantes » qui deri
vent de cette méme ſource.
4. Or comme cette fauſſe lumiére
n'eſt que pure nature , toutes les pro
prietés de la nature lui conviennent
auſſi : c'eſt à dire , qu'elle ne penſe &
ne cherche en toutes choſes que ſoi &
ſon propre , ce qui eſt le meilleur,
le plus convenable, le plus commo
de & le plus ſatisfaiſanta ſoi-méme &
à la nature.
Et comme elle eſt dans l'illuſion ,
elle s'imagine & elle ſoûtient » que ce
qui lui eſt le plus agréable, le meilleur
& le plus commode , eſt auſſi verita
blement la choſe la meilleure.
Ainſi elle ſoûtient, que le ſouverain
bien , ou ce qui eſt vrayement de meil
leur pour un chacun , conſiſte juſte
ment en ce que chacun ſe cherche, ſe
deſire & ſe procure à ſoi-méme ce qui
lui eſt le meilleur en propre & à ſon
opinion , n'admettant & ne recon
noiſſant point d'autre bien que ce
qui lui eſt bon2 ſelon qu'elle l'eſtime.
· D'où
Germanique Chap. XXXVIII. 123
D'où vient que s'il arrive qu'on lui
parle d'un bientout pur & tout ſimple,
qui ne ſoit ni ceci ni cela de particu
lier, elle n'y entend rien , & ne fait
que s'en moquer : comme en effetelle
doit le faire. Et pourquoi ? parce que
nature comme nature ne peut atteindre
juſques-là : & comme la lumiere dont
il s'agit n'eſt que pure nature, il s'en
ſuit qu'elle ne ſauroit venir juſques-là.
Cette fauſſe lumiére oſe encore dire,
qu'elle eſt avancée & paſſée au-delà de
toute conſcience & de tous ſcrupules
& remors ; & que tout ce qu'elle fait,
eſt bien fait : & l'on a oui dire à un de
ces faux eſprits libres, qui étoit dans
cette illuſion de la fauſſe lumiére ; que
pour la conſcience , il feroit auſſi peu
de cas de tuer dix hommes que d'aſſom
mer un chien.
Pour tout dire , cette lumiére fauſſe
& illuſoire a averſion pour tout ce qui
eſt contraire & péſant à la nature. Et
c'eſt bien là ſa juſte proprieté ; puis
qu'elle méme n'eſt rien que nature.
Cependant , comme elle eſt dans une
illuſion ſi extréme que de s'imaginer
d'étre Dieu méme; elle jureroit bien
ſans peine par tous les ſaints [pour ain
ſi dire] qu'elle connoit le vrai bien , &
quc ſon intention & ſa recherche nc
vont qu'à ce qui eſt Fvrayement
2 -
le meil
leur :
I24. La Theologie
leur : & c'eſt pourquoi elle eſt auſſi
peu ſuſceptible d'inſtruction & de con
verſion que l'eſt le Diable méme.
5. Remarquez que cette lumiére
entant qu'elle s'imagine d'étre Dieu ,
& qu'elle s'attribüe ce qui eſt à Dieu,
eſt un Lucifer & le Demon méme : mais
entant qu'elle rejette la vie de Jeſus
Chriſt & pluſieurs autres choſes qui
appartiennent au vrai bien, & que J.
Chriſt a enſeignées & pratiquées, elle
eſt Ante-chriſt , & à bon droit ; puiſ
qu'elle enſeigne & qu'elle vit en oppo
ſition à Chriſt,
Cette fauſſe lumiére , [cet Ante
chriſt] étant trompée par ſa propre ſa
geſſe artificielle, trompe & ſéduit auſ
ſi tout ce qui n'eſt pas ou Dieu ou de
Dieu , c'eſt à dire, qu'elle ſéduit tous
les hommes du monde que la vraye lu
rmiére & le vrai Amour n'ont pas éclai
rés. Il n'y a que ceux que la vraye lu
miére & le vrai Amour ont éclairés
qui n'cn puiſſent étre trompés : mais
quiconque n'a pas cet avantage & veut
neanmoins marcher à la lueur de cette
fauſie iumiére & s'arréter à elle , ne
peut qu'il n'en ſoit trompé & ſéduit.
Et en voici la raiſon. C'eſt que tous :
les hommès dans qui la vraye lumiere
n'eſt pas , ſont tournés vers eux-mé
mes , & qu'ils ſe tiennent eux-nnémes
Germanique Chap. XXXVIII. 125
& tout ce qui leur eſt le plus avanta
geux & le plus commode, pour ce qui
eſt de meilleur,
Et partant, s'il ſe preſente quelqu'un
| qui leur recommande & leur propoſe
cela méme pour la choſe la meilleure,
qui tâche à les y avancer , qui leur en
ſeigne comment l'acquerir , ils ne
manqueront pas de le tenir pour le
plus excellent de tous les docteurs , &
de s'attacher à ſa ſuite.
Or c'eſt cela & tout ce qui en de
pend, qu'enſeigne cette fauſſe lumié
re : & par ainſi tous ceux-là ne man
quent pas de la ſuivre qui ne connoiſ
ſent pas la vraye lumiére : & ainſi ils
ſont trompés & ſéduits tous enſemble
ſans exception,
L§ di§chant l'Ante-chriſt que
quand il viendra , tous ceux qui n'ont
pas la marque de Dieu le ſuivront ;
mais que ceux qui l'ont ne le ſuivront
pas. C'eſt en ſubſtance la méme cho
ſe que ce que l'on vient de dire. -
6. Il eſt pourtant vrai, que ſi quel
qu'un pouvoit venir à l'acquiſition de
ce qui eſt le meilleur pour lui, ce ſe
roit en effet la choſe la meilleure, pour
vû qu'il priſt pour ſon mieux ce qui eſt
le meilleur par rapport à Dieu.
Mais cela ne ſauroit ſe faire ſi long
temps que l homme ne penſe qu'à ſºº
F 3 propic
126 La Theologie
propre bien & ne cherche que ſon pro
pre mieux : au contraire , veut-il ef
fectivement trouver & acquerir ſon
mieux , il faut qu'il perde premiere
ment ſon mieux, comme il a été dit ci
deſſus.
Mais ſi cependant il vouloit quitter
& perdre ſon mieux à deſſein & avec
intention de trouver ſon mieux » nou
velle illuſion & tromperie ! C'eſt
pourquoi il y en a peu qui puiſſent
marcher par cette voye.
· · 7. Cette fauſſe lumiere ſoutient ,
qu'on doit s'affranchir de toute con
ſcience ; & que c'eſt agir en ſot & en
bon ſimple ruſtique d'y avoir égard :
ce qu'elle pretend prouver par l'exem
ple de J. Chriſt, dans lequel la con
ſcience n'avoit point de lieu. A quoi
on repond, que le Diable n'a point
non plus de conſcience ; & que cepen
dant il n'en vaut pas mieux.
Mais pour repondre à plein, il eſt
bon de ſavoir ce qu'on doit entendre
par la conſcience.
La conſcience conſiſte en ce que
l'homme reconnoiſſe par conviction
interieure qu'il s'eſt détourné de Dieu
par ſa volonté(ce qui eſt le peché), &
que cela s'eſt fait par la faute de l'hom
me , & non de Dieu ; puis qu'en ef
fet , Dieu n'eſt pas coûpable du peché.
- Or
à
Germanique Chap. XXXVIII. 127
Or qui eft-ce , excepté le ſeul j.
Chriſt & quelque peu d'autres créatu
res, qui ſe ſache étre ſans coulpe ? Et
partant, quiconque eſt ou ſe dit ſans
conſcience [ſans reconnoiſſance &
conviction de coulpe & de peché]
doit étre ou J. Chriſt , ou un Demon.
8 Concluſion. Où la vraye lumié
re eſt, là eſt auſſi une vie vraye, juſ
te , digne de Dieu & agréable à ſes
yeux. Et bien que la vie de J. Chriſt
n'y ſoit pas dans la perfection , elle y
eſt néanmoins imitée & ſuivie, elle y
eſt aimée & cherie , auſſi-bien que
toutes les choſes juſtes & équitables ,
toutes les bonnes ordonnances , tou
tes les vertus, & tout ce qui y appar
tient.
Tout moi, tout mien, toute appro
priation , y ſont mis à neant; & l'on
n'y veut & n'y cherche plus que le
bien entant que bien tout pur, & pour
l'amour du bien méme.
Au contraire, où la fauſſe lumiére
eſt, on y néglige la vie de J. Chriſt &
toutes les vertus : & l'on n'y penſe &
n'y recherche que ce qui eſt commode
& plaiſant à la nature.
Et delà vient la liberté fauſſe 8:
deſordonnée qui fait qu'on ne ſe peine
de rien , & qu'on s'endort dans la ſe
curité.
F 4. La
128 La Theologie
La vraye iumiére eſt une ſemence
de Dieu : & c'eſt auſſi pourquoi elle
porte des fruits de Dieu. Au lieu que
la fauſſe lumiére étant une ſemence du
Diable, où elle eſt ſemée il ne ſe peut
qu'il n'en naiſſe des fruits diaboliques
& le Diable méme : verités, que l'on
peut remarquer & comprendre par les
paroles & les éclairciſſemens qu'on
vient d'en mettre par écrit.

C H A P 1 T R E XXXIX.
I. Ce qu'eſt un homme deïfié ou diviniſé.
2. La connoiſſance n'eſt rien ſans l'Amour.
3.4.5. 6. Cela ſe prouve par les exemples
ds la vertu , de la fuſtice, de la verité,
c3 du Demvn méme.
7. On doit en dire le méme de ce qui doit paſſer
pour divin » ou déifié.
I. ON pourroit juſtement deman
der ici , ce que c'eſt qu'un homme
dºfié » ou rendu divin , dequoi l'on a
parié ſi ſouvent ?
Reponſe : un homme deifié, eſt une
perſonne qui eſt éclairée & pénetrée
par la iumiére éternelle & divine , &
qui eſt embraſeé de l'amour éternel &
divin.
2 On vient de dire pluſieurs choſes
- par
Germanique Chap. XXXIX. 129
particulieres de cette lumiere là : Mais
il eſt neceſſaire de ſavoir en generai ,
que la connoiſſance ou la lumiére n'eſt
rien & ne ſert de rien ſans l'Amour.
Et cela eſt facile à comprendre.
# 3. Poſé qu'un homme, par exemple,
connoiſie fort bien ce que c'eſt que la
# vertu & le vice : ſi cependant il n'aime
#! . pas la vertu, il n'eſt & ne deviendra
pas vertueux; mais il ſuivra le vice &
abandonnera la vertu. Au contraire,
s'il eſtime & cherit la vertu , il la ſui
vra ; & l'amour de la vertu le rendra
# tellement ennemi du vice , qu'il ne
pourra le commettre, mais le haïra en
quiconque il ſe trouve. -

Méme cet amour de la vertu le ren


dra tel, qu'il ne pourra s'empecher de
la pratiquer dans toutes les occaſions,
& cela ſans autre motif de recompenſe
& ſans autre deſſein que celui de la ver
tu méme & de ſon amour. . La vertu -

eſt toute ſa recompenſe, elle lui ſuffit,


& il ne voudroit en échange ni tous les
threſors ni tous les biens imaginables.
Voilà comment on eſt & comment
on devient vertueux ; & quiconque
l'eſt , n'acceptcroit pas i'offre de tout
l'univers pour devenir vicieux : aºl
contraire , il aimeroit mieux mourir
· de la plus cruelle de toutes les morts. .
, 4. Il en eſt de méme
- E 5 de la
5
7# V. •
1 3o La Theologie
Piuſieurs ont aſſés de connoiſſance de
ce qui eſt juſte & de ce qui eſt injuſte
ſans pourtant qu'ils ſoient juſtes , &
cela, par la raiſon qu'ils n'ont point
l'Amour de la juſtice , & partant, on
pratique l'injuſtice & le crime. Au
lieu que ſi l'on avoit l'Amour de la
juſtice, on ne pourroit commettre
rien d'injuſte; parce qu'alors on ſeroit
ſi ennemi de l'injuſtice & ſi animé
contre elle, que venant à la découvrir
dans quelqu'un , on ne feroit point de
difficulté de faire & de ſouffrir tout ce
· qui ſe peut pour la faire perir & pour
rendre juſte celui où elle étoit. . On
choiſiroit auſſi beaucoup plûtôt lamort
que de faire rien d'injuſte, ſans agir en
tout cela par autre motif qu'unique
ment pour l'amour de la méme juſtice.
C'eſt elle-méme qui eſt loyer à un tel,
& elle le recompenſe par ſoi & avec
, ſoi-méme.
Voilà comment on eſt & comment
on devient homme juſte : & ce vrai
juſte aimeroit mieux mourir mille fois
que de vivre injuſtement.
5. Il en eſt encore de méme de la
vérité : Que quelqu'un ait de grandes
connoiſſances du vrai, du faux , du
menſonge, ſi néanmoins l'Amour de
la verité lui manque, ce n'eſt pas un
somme véritable : mais poſé qu'il ait
- CCt
Germanique Chap. XXXIX. 1 31
cet Amour, il en ſera de lui coinme
de ce qu'on vient de dire de la juſtice,
à l'occaſion de laquelle le Prophéte a
dit, Malheur, malheur à tous ceux qui ont
un eſprit double (qui paroiſſent gens de
bien au dehors, & ſont pleins de fauſ
ſetés au dedans) & dans la bouche deſquels
ſe trouve le menſonge.
Ainſi donc il paroit par tous ces
exemples, que la ſcience & la con
noiſſance ne valent rien ſans l'Amour.
6. Cela paroit encore par l'exemple
du Diable, qui a ſcience & connoiſ
ſance du bien & du mal , du juſte & de
l'injuſte , & du reſte : mais parce
qu'il n'a pas l'Amour pour le bien qu'il
ſçait , il n'en devient pas bon , com
me il le deviendroit s'il avoit de l'a
mour pour la verité & pour les autres
# bonnes choſes & vertus qu'il con
I] O1f. - •

Il eſt bien vrai que l'amour doit an


térieurement étre inſtruit & conduit,
par la connoiſſance : mais s'il ne ſuit
pas la connoiſſance, tout ira à rien.
7. Tout ceci doit s'appliquer à ce
qui regarde Dieu, & qui doit étre re
connu pour divin ou diviniſé. Qu'un
homme ait beaucoup de connoiſſances
touchant Dieu & les choſes divines ,
qu'il ſçache méme & qu'il connoiffe ,
à ſon avis, la natureF de6 Dieu
^
3 ſi avºº
Cel2
I 32 La Theºlogie
cela il n'a point ſon amour, ce n'eſt
pas un homme divin ni deifié.
Mais s'il a conjointement ce vrai
Amour , alors il ne ſe pourra qu'il
n'adhére à Dieu , qu'il n'abandonne
tout ce qui n'eſt ni Dieu ni divin , &
qu'il ne ſoit animé de haine & d'aver- .
ſion contre tout ce qui eſt oppoſé à
Dieu, tout cela ne lui étant alors qu'à
contre-coeur & que tourment.
Cet Amour unit l'homme à Dieu
d'une telle maniére, que jamais il n'en
ſera deſuni.

C H A P I T R E X L.

I. Queſtion : Si Dieu peut étre connu ſans


étre aimé ?
2. Qu'il y a deux ſortes d'amour comme il
y a deux ſortes de lumiéres, la vraye, c#
la fauſſe & proprietaire.,
3. La fauſſe lumiere aimant la poſſeſſion &
l'augmentation de beaucoup de connoiſſan
ces pour s'y complaire, recomande ces con
noiſſances àl'amour.
4. Et ainſ onaime plus & la connoiſſance &»
ſoi-méme, que la choſe conniie, & telle
connoiſſance ſe trouve ſans l'amour de la
choſe conmiie.
5. Cette connoiſſancetrompeuſecroyant
étre la veritable, affecte ce qui eſt de Dieu
& hait
Germanique Chap. XL. 133
# & hait la vie de f. Chriſt & ce qui eſt com
traire à la nature , comme il paroit dans
les faux-libres. -

6. Autre connoiſſance de croyance cº de


memoire qui peut étre ſans amour.
7. Deux ſortes d'Amour. , Connoitre &
aimer d'amour interreſſé , eſt ne pas aimer,
8. La vraye & éternelle lumiere enſeigne le
vrai Amour, & en eſt indiſſoluble. .
Ce Chapitre eſt ſans prix.
I. ICi ſe preſente une queſtion,
- L'on a fait entendre cy-deſſus,
que quiconque connoiſſoit Dieu ,
mais ne l'aimoit pas, ne ſeroit jamais
ſauvé. Sur ceci il s'agit de ſavoir, Si
l'on peut bien connoitre Dieu , & avec cela ne
js le point aimer ? - - -

N'a-t'on pas dit quelque-part, que


1à où Dieu étoit connu , il y étoit auſſi
aimé; & quequiconque le connoiſſoit,
ne pouvoit ne le point aimer ? Com
ment accorder enſemble des propoſi
tions ſi oppoſées ?
2 Réponſe. Comme on a dit cy
deſſusqu'il y a deux ſortes de lumiéres,
une vraye & une fauſſe : on doit auſſi
remarquer qu'il y a deux ſortes d'A
mour, un vrai & un faux. .
Or comme chacun de ces deux a
mours doit étre éclairé & conduit par
la lumiére & la connoiſſance; conſe
F 7 quem
I34 La Theologie
quemment la vraye lumiere fait le vrai
amour , & la fauſſe lumiére le faux a
. IIlOl1f.
Car ce que la lumiére de la connoiſ
ſance tient pour le meilleur , elle le
propoſe auſſi à l'amour comme la cho
ſe la meilleure, & lui ordonne de l'ai
mer : l'amour la ſuit , & execute ſon
commandement. -

Comme la fauſſe lumiére n'eſt que


nature, ou que lumiére purement na
turelle, tout ce qui eſt propre à la na
ture eſt auſſi du nombre de ſes proprie
tés & lui apartient, comme ſont, le
moi, le mien, le ſoi, ceci & cela de pro
pre & de particulier, & le reſte : &
cela étant , il ne ſe peut qu'elle ne ſoit
illuſoire , fauſſe & trompeuſe en ſoi :
Car nul moi , nul mien , ne parvint Ja
mais ſans illuſion à la veritable lumiére
& connoiſſance excepté le ſeul moi ou
la ſeule proprieté des perſonnes divines
[de la S.te Trinité : ] Hors de quoi,
quiconque veut atteindre à la connoiſ
ſance de la verité, qui eſt ſi ſimple ,
doit neceſſairement quitter & perdre
toutes ces proprietés-là.
, 3. Or entre les proprietés de la fauſ
ſe lumiére de nature, il lui appartient
bien particulierement celle de deſirer
de ſçavoir beaucoup, s'il ſe pouvoit ;
comme auſſi de prendre grand plaiſir
CIl
Germanique Chap. XL. 135
en ſon ſçavoir & en ſes oonnoiſſances,
d'y mettre ſa joye, de s'y plaire , &
de s'en glorifier. Auſſi deſire-t'elle in
ceſſamment & inſatiablement de ſça
voir toûjours d'avantage ; & plus ſa
connoiſſance augmente & s'éléve, plus
croit ſon plaiſir & ſa vaine gloire, juſ
ques-là, que lors qu'elle eſt montée à
un ſi haut point que de s'imaginer de
ſçavoir tout & d'étre au deſſus de tout,
elle eſt alors au comble de ſes plaiſirs &
de ſa gloire. - -

Et ainſi elle tient lc ſçavoir ou la


connoiſſance, pour le bien le plus no
ble & le plus excellent. Elle le propo
ſe donc comme tel à l'amour, & lui ap
prend à aimer la connoiſſance & le
ſçavoir comme le meilleur & le plus
excellent de tous les biens. - -

4. Et partant , là eſt aimée non tant


la choſe connüe, que la connoiſſance
& la ſcience méme.
En effet , la fauſſe lumiére de natu
re aime ſon ſçavoir & ſa connoiſſance,
c'eſt à dire , ſoi-méme , incompara
blement plus que la choſe connüe : de
ſorte que quand méme il ſeroit poſſibl
à cette lumiére toute naturelle de con
noitre Dieu & la ſimple & pure veri
té ainſi qu'elle eſt en Dieu & en elle
méme , elle ne démordroit pourtant
- - eIl
136 La Theologie
en rien de ſa propriété ni de l'attache
ment à ſoi & à ſon propre.
· C'eſt en ce ſens qu'il eſt vrai, que la
connoiſſance ſe trouve ſans l'amour,
ſçavoir , ſans l'amour de la choſe con
nüe; mais non pas ſans l'amour de ſoi
méme , qui s'accroit d'autant plus ,
que plus cette connoiſſance monte
haut, & ſe fait acroire de connoitre
Dieu & la pure verité ainſi qu'eile eſt
en ſa ſimplicité.
5. Or comme il eſt vrai que Dieu
n'eſt connu que de Dieu méme ; &
que cependant cette lumiére illuſoire
ſe perſuade de connoître Dieu , elle ſe
perſuade auſſi d'étre Dieu méme, en
effet elle ſe dit Dieu , elle vcut étre
tenüe pour Dieu , étre teniie pour
digne de toutes choſes , pour ayant
droit ſur toutes choſes , pour ayant
franchy au-delà & au deſſus de tout,
ayant tout ſurmonté, tout paſſé , paſ
ſé méme J. Chriſt & ſa vie, ne faiſant
plus que ſe moquer de tout , & ne vou
lant étre uniquement que Dieu comme
il eſt dans ſon éternité gorieuſe ; &
non pas comme il eſt en J. Chriſt,
Et cela vient de ce que la vie de J.
Chriſt eſt contraire & péſante à toute
nature : & partant la nature n'en veut
point : elle aime mieux d'é:re Dieu
COIIQ IIie
Germanique Chap. XL. 137
comme éternel , & non pas comme
homme » ou du moins elle voudroit
bien étrecomme eſt à preſent J. Chriſt
aprés ſa reſurrection : parce que tout
cela n'eſt pas penible, mais agréable &
fort commode à la nature : à raiſon de
quoi auſſi elle le choiſit pour ſon
mieux, & croiden effet que ce ſoit la
choſe la plus excellente.
Voyez donc : c'eſt de cette fauſſe lu
miére & de cet amour faux &trompé
qu'il eſt véritable, qu'on connoit quel
que choſe & que cependant on ne l'ai
mepas: puis qu'en effet, la connoiſſan
ce & la ſcience eſt alors plus aimée que
la choſe connue.
6. Remarquez encore , qu'il y a
une eſpéce de connoiſſance qu'on ap
pelle ſcience , & qui pourtant ne l'eſt
# pas : comme, par exemple, lors qu'on
s'imagine de ſçavoir beaucoup ſoit
pour avoir beaucoup oui dire, ou pour
avoir beaucoup leu, ou pour étre Doc
teur ou Maitre habile dans l'étude de
l'Ecriture. On tient vulgairement ce
la pour ſcience ; & quiconque en eſt
imbu ne fait point de difficulté de dire
reſolument, je ſçay ccci , je ſçay cela,
& le reſte. Mais demandez-lui , de
quel fond ou de quels principes il le
ſçait ? 1l vous répondra , de l'avoir
léu dans l'Ecriture, ou quelque †
CDſl
138 La Theologie
ſemblable reponſe. - Voilà ce qu'ils
appellent ſçavoir & connoitre. Mais
cela n'eſt ni connoiſſance ni ſcience :
c'eſt ſeulement croyance.
Touchant cette eſpece de ſcience &
de connoiſſance il eſt encore vrai ,
qu'on connoit & qu'on ſçait beaucoup
de choſes, ſans pourtant en aimer au
CL111C.
Il y a auſſi une ſorte d'Amour qui eſt
entierement faux & trompeur. C'eſt
quand on aime quelque choſe pour la
recompenſe ;. comme , par exemple ,
lors que l'on aime la juſtice non pas à
cauſe d'elle-méme, mais pour quelque
avantage que l'on pretend d'en retirer,
Il en eſt de méme de pluſieurs autres
choſes, comme quand une créature en
aime une autre à cauſe de quelque bien
qu'elle en attend; ou quand elle aime
Dieu de la méme maniere
Tout cela eſt plein d'illuſion & de
tromperie. Cette eſpece d'amour ap
partient proprement à la nature. Na
ture comme nature ne peut avoir d'au
tre amour, & n'en connoit point d'au
tre : Car, ſi vous y prenez bien garde,
nature comme nature n'aime rien que
ſoi-méme.
Et dans ce ſens auſſi il eſt trés-vrai de
dire , que l'on connoit le bien , &
qu'on ne l'aime pas.
8. Mais
Germanique Chap. XLI. 139
8. Mais le vrai Amour étant & éclairé
& conduit par la véritable lumiére &
connoiſſance; & cette lumiére vérita
ble, eternelle & divine aprenant àl'a
mour de n'aimer rien que le bien véri
table, ſimple & parfait, & de ne l'ai
mer que pour l'amour du bien méme ,
& non pour en tirer quelque avantage
ou quelque recompenſe , mais ſeule
ment pour l'amour du bien tout pur,
& parce que c'eſt le bien , & que par
juſtice il merite d'étre aimé pour lui
ſeul ; il ne ſe peut, que ce qui eſt ainſi
connu par cette vraye lumiére ne ſoit
auſſi aimé par ce vrai Amour.
Et comme le Bien parfait, qui eſt
Dieu méme, ne peut étre connu que
par cette vraye lumiére ; il s'enſuit ,
qu'il ne peut étre connu qu'il ne ſoit
auſſi aimé lors qu'il eſt connu ou lors
qu'on apprend à le connoitre.

C H A P I T R E X L I.
I. Comment le vrai Amour éclairé de la
vraye lumiére aime purement le bien
tout-pur.
2. Dans la vraye lumiere & le vrai Amour
on eſt content de tout ſinon du péché.
3. Le peché eſt, vouloir autrement que
Dieu & ſans lui.
4. Les
I4o La Theologie
4 Les plaintes & douleurs pour le peché
commis, ſont indicibles & durables juſ
qu'à la mort dans un homme déifié.
5. Tout ce qui regarde Dieu & le bien » la
juſtice, la vertu » l'honéteté , les regle
mens & c. y eſt aimé.
6. La vie & l'amour d'un homme déifié
ſont excellens, genereus, forts , & néan
moins ſimples, au-delà de toute expreſſion
& de toute conception :
7. Au contraire de la duplicité , des detºurs
é des fraudes de la vie & de l'eſprit de la
nature, qui ſont infinis.
8. Le Diable, la fauſſe lumiere , le faux a
mour, la fauſſe vie de la nature » revien
72672 # ſZ Z472. -

9. sans vaincre la nature on nepeut ſe dº


faire ni de la captivité du Diable , ni de
l'empire de l'illuſion.
I. Lºn doit auſſi remarquer , que
*- lors que la vraye lumiére & le
vrai Amour ſont dans quelqu'un, le
-
bien veritable & parfait y eſt auſſi con
º, nu & aimé par ſoi-méme : non toutes
fois qu'il s'y aime foi-méme comme
ſoi-méme (a) & comme de par ſoi-mé
me; mais ſeulement parce qu'il eſt le
bien veritable & tout pur.
Car le bien parfait ne peut & ne veut
aimer
(a) ou
ſºpra bien ,,,à cauſe
; chap. Vers de
4..la ſimple exiſtenc Voyez
mple exiſtence. -
Germanique Chap. XLI. 141
aimer dans ce qu'il aime, que le bien
unique & véritable. Et comme il eſt
lui-méme ce bien-là, il doit donc s'ai
l, mer ſoi-méme, non comme (a) ſoi,
# ni comme (b) de par ſoi-méme; mais
il doit s'aimer en la maniére & par le
motif parlequelle bien unique & véri
table aime le bien unique, veritable &
parfait, & en la maniére que le bien
unique, vrai & parfait eſt aimé du bien
unique, vrai & parfait.
C'eſt dans ce ſens que l'on dit, &
qu'il eſt vrai, que Dieu ne s'aime pas ſoi
méme comme ſoi-méme; car s'il éeoit quel
ue choſe de meilleur que Dieu ,
§ aimeroit cette choſe-là , & non
pas ſoi-méme. -

, La raiſon de ceci eſt , que dans la


vraye lumiére & dans le vrai amour il
n'y a & ne peut ſubſiſter ni de moi, ni
de mien; ni de toi, ni de tien, ni rien
de propre ou qui en approche.
Car cette vraye lumiére connoit &
montre ſeulement le pur & unique
bien, qui contient tout bien , & qui
eſt par-deſſus tout bien : un bien qui
eſt tel, que tout ce qui eſt bien eſt réël
lement compris dans ce bien unique,
& que ſans lui il n'y a point de bicn.
Et

(a) Par retour ſur ſoi comme étant ſeulemeº


un étre. (b) comme de par une choſe q"
ait ſimplement un étre propre.
14-2 La Theologie
Et c'eſt pourquoi rien n'eſt-là aimé
de tout ce qui eſt propre & particulier ,
qui eſt ceci ou cela , moi ou toi , & ce
qui en eſt : mais on n'y aime que le
ſeul bien pur & unique, qui n'eſt ni
moi ni toi, ni ceci ni cela ; mais qui eſt
au deſſus de tout moi & toi , de tout ceci
& cela.
· Dans ce bien eſt aimé tout ce qui eſt
bien , comme ne faiſant le tout enſem
ble qu'un ſeul bien , ſelon cette parole :
que Tout eſt en un, comme n'étant qu'un ;
& qu'un eſt en Tout , comme étant toutes
choſes : &e, que le bien qui eſt un & qui eſt
tout bien , eſt aimé par le bien unique dans le
bien unique & à cauſe du bien unique, qu'il
eſt dis-je aimé ainſi, de cette eſpéce d'a
mour qu'on porte au bien unique & tout pur.
Il eſt viſible que tout moi, tout mien,
tout ſci , toute conſideration particu
liére, doit ici ſe perdre & s'abandon
ner: c'eſt même une proprieté de Dieu,
excepté pourtant ce qui regarde les per
ſonalités divincs.
2. Or c'eſt dans cette lumiére &
dans cet Amour, c'eſt par eux , c'eſt
pour eux » que ſe font toutes les choſes
qui ſe font dans un homme vrayement
déifié, fuſſent-elles actives ou paſſives :
en quoi regne une ſatis-faction & un
repos ſi pleins , qu'on en deſiſte de
tout deſir de ſçavoir plus ou moins ,
d'avoir
Germanique Chap. XLl. 143
lic d'avoir plus ou moins , de vivre ou de
mourir, d'étre ou de n'étre pas, & de
tout le reſte: tout eſt alors égal & tout
un ; & l'on ne s'y plaint de rien que du
ſeul peché. ..
3. On a déja dit cy-devant ce que
c'étoit que le péché. On le dit encore :
le Peché n'eſt autre choſe que vouloir au
trement que ne veut le bien ſimple & parfait,
ou l'unique & l'éternelle volonté; vouloir
ſans ce bien & contre ce bien , ſans
cette volonté ou contre cette volonté
unique & divine. - - • • .

: Tout ce qu'on appelle peché, com


me le menſonge, la tromperie, l'in
juſtice , la fauſſeté » tous les vices, en
un mot , tout peché , ne vient uni
quement que de ce qu'on veut autre
ment que Dieu & que le vrai bien. Et
s'il n'y avoit qu'une ſeule volonté, il
ne ſe commettroit jamais de péché.
C'eſt pourquoi l'on peut bien aſſeu
rer , que toute propre volonté eſt peché, &
qu'il n'y a point de peché que ce qui
vient de la propre volonté.
-4. Et c'eſt-là le ſeul ſujet des plaintes
d'une perſonne vrayement deifieé.
C'eſt de cela qu'elle ſe plaint, qu'elle
ſe lamente, & dequoi elle ſouffre ſi
extremement, que s'il lui falloit endu
rer cent fois la plus ignominieuſe & la
plus cruelle de toutes les morts , elle
- I1C
-

I4-4 La Theologie
ne s'en plaindroit pas tant ni n'en ſouf
friroit pas tant que du ſeul peché.
Et cette diſpoſition lui doit durer
véritablement juſqu'au dernier mo
ment de ſa vie mortelle : mais où elle
n'eſt pas , indubitablement il n'y a
point d'homme deifié.
5. Comme dans cette lumiére &
dans cet Amour tout bien y eſt aimé
dans un ſeul bien & comme un ſeul
bien ; & que le ſeul bien y eſt aimé
ar-tout & dans tous comme étant &
n & Tout , il s'enſuit, que toutes
les choſes qui poſſédent avec vérité le
nom & la qualité de bonnes , y ſont
auſſi aimées, telles que ſont la vertu ,
les bons réglemens , l'honéteté , l'é
quité, la juſtice, la vérité, & ſem
blables. En un mot , on y aime & on
y eſtime tout ce qui eſt de Dieu & qui
concerne le vrai bien; & on y fait des
plaintes , on y patit & on y ſouffre
beaucoup de tout ce qui y eſt oppoſé &
qui en eſt éloigné, puis que ceci eſt
péché, ainſi qu'ill'eſt en effet.
6 La vie auſſi que l'on meine dans
la vraye lumiére & dans le vrai Amour,
eſt la plus noble, la plus excellente &
la plus digne vie qui ait jamais été ou
qui puiſſe jamais étre : ſi bien qu'elle
merite d'étre aimée & préconiſée par
deſſus toute autre vie.
Et
Germanique Chap. XLI. 145
Et cette vie-là a été & eſt dans J.
Chriſt en pleine perfeétion , ſans quoi
il n'auroit pas été le vrai Chriſt.
Pareillement l'amour veritable, par
lequel certe excellente vie & le vrai
bien ſont aimés, cet amour , diſ-je ,
fait que l'on ſouffe volontairement &
de bon cœur tout ce qui ſe préſente à
faire & à ſouffrir, & tout ce qui eſt de
neceſſité & de devoir , pour peſant
qu'il ſoit & qu'il puiſſe étre à la nature :
& c'eſt pourquoi Jeſus Chriſt dit : (aj
Mon joug eſt doux , & ma charge legére.
Cela vient de l'Amour qui aime tant
cette noble vie : Et on le peut remar
quer dans les Apôtres & dans les Mar
tyrs , qui enduroient volontairement
& de trés - bon coeur tout ce qu'ils
avoient à ſouffrir , ſans prier Dieu de
leur abréger ou de leur temperer ou a
moindrir leurs pcines, ne demandant
que fermeté & que perſeverance.
En verité tout ce qui concerne le di
vin Amour qui eſt dans un homme
deifié eſt ſi naif, ſi droit, & ſi ſimple,
qu'on ne ſauroit proprement & diſ
tinétement bien dire ni bien décrire
ce que c'eſt, & que méme on ne peut le
connoître ſans le poſſeder. Et qui
conque n'en eſt pas •# # 2 bien # e

(a) Matth. 1 1.
146 La Theologie
de le connoître auparavant, ne ſçau
roit ſeulement le croire.
7. Tout au contraire, la vie de la
nature (ſur tout dans un ſujet d'une na
ture ſubtile , fine & active) eſt une
choſe ſi multiple & ſi impliquée, elle .
ſçait chercher & trouver tant de cachet
tes & tant de replis, tant de faux tours
& tant de ſupercheries en ſa propre fa
veur, que cela eſt pareillement au de
là de toutes paroles & de toutes deſcrip
tions.
Or comme toute fauſſeté eſt dans
l'illuſion , & que toute tromperie ſe
trompe premiérement ſoi-méme , la
méme choſe arrive à cette fauſſe lumié
re & à cette fauſſe vie : car qui trom
pe, eſt trompé, comme onl'a fait voir
ailleurs plus amplement.
8. Tout ce qui eſt le propre du Dia
ble & qui lui appartient ou le concerne, c
ſe trouve tellement dans cette fauſſe
vie , dans cette fauſſe lumiére , & dans ce
faux amour, qu'il n'y a point de diffe
rence entre eux & le Demon méme :
car en effet , la fauſſe lumiére eſt le
Diable méme ; & celui-ci eſt la fauſſe
lumiére.
Et voici à quoi on le peut remar
quer : Comme le Diable s'imagine d'é
tre Dieu , ou qu'il voudroit bien l'étre
& qu'on le tint pour Dieu ; & que ce
pendant
Germanique Chap. XLI. 147
# pendant il eſt dans l'illuſion, & méme
d'une maniére ſi extréme, qu'il s'ima
gine de n'y étre pas; il en eſt de méme
: de cette fauſſe lumiére , de ce faux
amour, & de cette fauſſe vie.
: Et comme le Diable voudroit bien
:
tromper tous les hommes , les attirer
tous à ſoi & à ſon parti , & les rendre
tous tels qu'il eſt , à quoi il ſçait mettre
en uſage grand nombre d'artifices & de
ſupercheries; il en eſt auſſi de méme
# de cette fauſſelumiére. -

Comme enfin il eſt impoſſible de


changer le Diable & de le retirer de ſon
illuſion , il en cſt encore de méme tou
chant cette lumiére fauſſe de la nature.
Et cela vient de ce que tous deux , le
Diable & la nature , ſe croient hors
d'1lluſion ,& dans la voye la meilleure :
illuſion qui eſt la pire & la plus nuiſible
de toutes !
9. C'eſt pourquoi, le Diable & la
nature ne ſont plus qu'un.
Où la nature eſt vaincuë, le Diable
y eſt auſſi vaincu; & où la nature n'eſt
pas vaincuë , le Diable n'y eſt pas auſſi
V31I] Cll. -

Avec cela , on a beau ſe tourner &


ſe rendre à quelque genre de vie qu'on
voudra, cmbraſſer la ſeculiére, ſe jetter
dans le Clergé ou la Spiritualité; tout
demeure toûjours le méme dans ce
G 2 fonds
148 La Theologie
fonds d'illuſion ; On y demeure trom
pé, & l'on y trompe les autres autant
qu'on le peut.
On peut de tout ce que deſſus, con
noître & diſcerner de plus en plus com
ment il eſt vrai que tant de choſes diffé
rentes reviennent à une méme choſe :
Car lors qu'on parle d'Adam , de déſo
· béiſſance , de vieil-homme, du moi,
du mien, de propre volonté, de propre
deſir, d'attachement à ſoi, de nature,
de fauſſe lumiére , (a) de Diable, de
peché, tout revient à un & tout eſt u
ne méme choſe. Tout eſt également
C o N T R E D 1 E U & ſans Dieu.

C H A P 1 T R E XLII.

1. Que rien n'eſt contre D I E U ſinon la


propre volonté.
2. Demonſtratiºn de cela, & injuſtice de la
propriété de la volonté.
3. $ui cherche le bien en vûe du propre ne
le trouvera jamais : Il le faut chercher
tout purement.
4. Vouloir agir, cº ſavoir de ſoi pour aque
rir par ſes opérations le vrai bien , eſt folie
• • de

(a) Expl: Le Diable & le peché ne ſont pas une


méme choſe quant à la matiére : mais ce qui a fait !
le Diab e, la fo me qui le conſtitué tel , & le pé
ché , ſont la méme choſe.
Germanique Chap. XLII. F49
devant Dieu, qui pourtant le tolére dans
ceux qui ne ſavent pas mieux. Nul bien
ſans extermination du propre.
I. (C'ette derniére parole peut don
N-'ner ſujet à cette queſtion , à
ſçavoir , S'il y a donc quelque choſe contre
iDieu &# contre le vrai bien ?
A quoi l'on répond , que non , que
nulle choſe n'eſt contre Dieti , non
plus que ſans lui, excepté ſeuiement ,
de vouloir autrement que la volonté
éternelle, étant évident, que tout ce
qui eſt autrement voulu que ne veut
l'éternelle volonté , eſt contre cette
méme volonté , [& partant contre
Dieu.]
Or la volonté éternelle veut , que
nulle choſe ne ſoit voulue ni aimée ſi
non ſeulement le vrai bien : donc ai
mcr autre choſe que le vrai bien , lui
eſt contraire.
Et c'eſt en ce ſens qu'on dit, qu'une
choſe ou une perſonne ſans Dieu , eſt
contre Dieu; quoi que dans la verité
il n'y ait nulle choſe réëlle qui ſoit po
ſitivement contre Dieu.
2. Pour bien comprendre cette con
: trarieté ou oppoſition à Dieu, il eſt
bon de ſe repreſenter que Dieu ſe ſoit
exprimé ainſi.
» Quiconque veut ſans moi » ou
# G 3 22 qui !
I 5o La Theologie
2, qui veut autrement que moi , veut
2, contre moi : car ma volonté eſt que
2, perſonne ne veuille autrement que
», moi : & qu'on n'aye point de volon
2, té ſans moi & ſans ma volonté.
,, Car comme il n'y a point d'étre ,
», point de vie , ni choſe aucune qui
2, ſoit ſans moi; auſſi ne doit-il point y
,, avoir de volonté ſans moi & ſans ma
» volonté.
Et en effet , comme toutes les cho
ſes ne font réèllement qu'une choſe
dans l'étre parfait; & que tous les biens
ne ſont qu'un bien dans cet unique
Bien, & ainſi du reſte ; & que nulle
choſe ne peut étre ſans cet étre unique :
De méme toutes les volontés devroient
n'étre qu'une ſeule volonté dans l'uni
que volonté parfaite; & nulle volonté
ne devroit étre ſans celle-là.
Où l'afaire va autrement, il y a in
juſtice & contrarieté à Dieu & à ſa vo
lonté : & partant , il y a péché.
Vous voyez de là, auſſi bien que de
ce qui a precedé , que toute volonté
qui veut ſans Dieu , c'eſt a dire, que
toute propre-volonté, eſt péché, de mé
me que tout ce qui ſe fait par la propre
volonté.
3. Auſſi longtemps que l'homme
cherche ſon propre bien & ſon mieux
comme de ſoi-méme , pour ſoi-mé
II)C »
#ºrmanique Chap. XLII. 151
me » & comme ſon propre , il nele
trouvera jamais : car ſi longtemps
qu'il agitainſi2 il ne cherche pas en §.
fet ſon vrai bien : comment donc
pourroit-il le trouver ? Il ne fait alors
que ſe chercher ſoi-méme, ſe tenant
ainſi pour le plus grand bien. Mais
comme il n'eſt pas en effet le plus grand
#º » il eſt évident qu'il ne cherche
- · ſ -- • »•

cherche##. longtemps qu'il ſe


, , Mais celui qui cneshe , qui aime,
: ^ :: 1 - 1 .
qui a en vûë le bien entant que c'eſt le
bien » pour le pur bien , & unique
ment par le pur amour du bien , &
non par la vûë du propre, du ºoi 2 dt
mien » du propre ºVantage & de toute
Proprieté; celui-là le trouve v§
ment : parce qu'il le # bien.
Toute autre recherch quel'on en fait,
eſt fauſſe & #mp# dans ! f
C'eſt auſſi de Jº 3 VCI IUC
que le Bien-parft ſe cherche , ft veut,
& s'aime ſoi-mme ; & que partant il
ſe ## bien i-néme. grande folie :à
l'homme ou àa créature de s'imaginer
qu'elle ſçachou qu'elle puiſſe quelque
choſe de ſoi méme, ſur tout ſi l Ofl S 1
magine de ſçavoir ou de pouvoir quel
que choſe debon par où ue
l'onbien
puiſſemé
excel
-

r1ter ou acquer1r
A •

# · lent
152 : | La Theologie
lent de la part de Dieu. C'eſt faire
des-honneur à Dieu , pour quiconque
comprendroit bien la choſe ainſi qu'el
le eſt. -

Cependant Dieu , qui eſt le vrai


Bien, tolére & diſſimule cette manié
re d'agir dans lesames fimples & groſ
· ſiéres , qui ne ſçavent pas encore
· mieux. ll ne laiſſe pas pour cela deºº
procurer autant de bien g# ſe peut :
& c'eſt trés-volontiers 9º il les favori
§ d' ets de ſes bontés qu'ils
ſont capables d'en recevoir.
N§on n'en eſt pas ſuſceptible tan
dis que l'on eſt encore dans la diſpoſi
§ont on a parlé ſi amplement juſ
qu'ici : ca , pour tout dire, le moi & le
. doiventétre abſolument retran
- chés & eXevminés : ſans cela on ne
pourra jamais i rien trouver, ni rien
recevoir. -

--"

| C H A P 1 T R , X L II I.
· I. Principes ººtºéleº » tirés de la vie de #.
Chri 2 & oppoſés *$aux-juſtes & aus
faux-libres touchant la "raye connoiſſance
de 7. Chriſt :
2. La vraye croyance.
3 La Pºſſiſſion
vraye habitation
4 ºº de Dieu &interie siend" j'. Chriſt.
duºure -

5. Celle
Germanique Chap XLIII. 153
5. Celle de l'obeiſſance , du nouvel homme,
de la vraye lumiere , du vrai amour & c.
6. L'uſage de toutes les choſes de Religion :
7. Et ſpecialement des Sacremens & ſaintes
Ceremonies.

I. Q# ſçait & (a) connoit


la vie de J. Chriſt, ſçait & con
noit auſſi J. Chriſt méme : & au con
traire , quiconque ne connoit pas la
vie de J. Chriſt , ne connoit pas J.
# Chriſt non plus. -

2. Quiconque croid en J. Chriſt,


crcid auſſi que ſa vie eſt la plus noble
& la meilleure de toutes les vies : &
quiconque ne croid pas ceci, ne croid
pas auſſi en J. Chriſt.
3.Autant qu'il y a de la vie de J.
Chriſt dans quelqu'un , autant J. Chriſt
eſt dans lui : & auſſi peu qu'il y a de
l'un , auſſi peu y a-t'il de l'autre. Car
où eſt la vie de J. Chriſt, là eſt J. Chriſt:
& là où elle n'eſt pas, il n'y eſt pas non
plus. -

Où la vic de J. Chriſt eſt, ou ſe trou


veroit , on pourroit y parler comme
S. Paul , & dire : (b) 7e vis : toutes-ſºis
ce n'eſt pas moi ; mais c'eſt jº. Chriſt qui vit
Z2725 7720f,

4, Voilà la vie la plus noble & ja


meilleure de toutes les vies : car où el
G 5 le
| (a} on avoiie & ratifie (b) Gal 2 : 2 °.
I 54 La Theologie
le eſt, Dieu méme y eſt & y vit, &
tout bien avec lui. Comment donc
ſeroit-il poſſible qu'il y euſt une meil
leure vie ?
5. Remarquez bien , que lors qu'on
parle de l'obeiſſance, du nouvel homme,
de la vraye lumiére, du vrai amour , de
la vie de f. Chriſt, tout cela n'eſt qu'une
méme choſe; de ſorte qu'où l'une de ces
choſes eſt, toutes les autres y ſont auſſi :
& où l'une manque , toutes y man
quent, vû qu'elles ne ſont toutes qu'u
ne ſeule dans la verité & en ſubſtance.
6. Toute choſe qui peut ſervir de
moien à acquerir cette divine vie, à la
faire naitre & à la vivifier dans nous,
doit étre embraſſée & retenuë pour cet
effet; mais pas autrement : & au con
traire , on doit quitter & éviter les
choſes qui en détournent.
7. Si maintenant quelqu'un peut
recevoir ce grand bien en ſe ſervant des
ſaints Sacremens , on peut bien dire
qu'il y reçoit J. Chriſt veritablement
& de la bonne maniere. Et plus on le
reçoit ainſi , plus eſt on participant de
J. Chriſt : comme au contraire, moins
on le reçoit de la ſorte , moins auſſi
2-t'on de part en J. Chriſt,

CHA
Germanique Chap. XLlV. 155
|

C H A P I T R E XL IV.

I. Principe & ſource de contentement &


- deſatisfaction. -

2. ment
Principe touchant
de ſoi à Dieu. le vrai abandonne
c

:
|#-
3. Principe touchant la ſouffrance Chre
tienne.
4. Principe touchant levrai Amour.
1• N dit communément, que celuy
qui ſe contente de Dieu & à qui Dieu
ſuffit, a-t'aſſés. Cette parole eſt veri
table, auſſi bien que celle-ci : quicon
que ſe plait ou ſe contente de quelqu'une des
choſes particulieres , Dieu me lui ſuffit pas.
Et par effet, celui à qui Dieu ſuffit,
rien ne peut lui ſuffire ni lui plaire que
ſeulement le Bien unique, qui n'eſt ni
ceci ni cela de particulicr, & qui ce
pendant eſt Tout. #
Dieu eſt une ſeule choſe, & ne peut
étre qu'un. Il eſt auſſi Tout, & il ne ſe
peut qu'il ne ſoit Tout. -

Donc tout ce qui eſt, & qui n'eſt


pas un , n'eſt pas Dieu : & tout ce qui
eſt, & qui n'eſt pas Tout, ni par deſſus
toutes choſes, n'eſt pas auſſi Dieu , vû
que Dieu eſt un & par deſſusſuffit
Donc celui à º#D
tout., une
ſeule
156 La Theologie
ſeule choſe lui ſuffit, & il ſe contente
· & ſe ſatisfait d'une choſe unique, & ſe
repoſe en elle puremententant qu'elle
eſt une & ſeule : & celui à qui toute
choſe n'eſt pas une ſeule choſe; & à
qui unc ſeule choſe n'eſt pas toute cho
ſe; & méme à qui toute choſe particu
liére & rien, ne ſont pas de méme va
leur, Dieu ne lui ſuffira jamais.
Il n'y aura jamais de contentement ni
de ſatisfaction ailleurs que là où regnera
la diſpoſition qui vient d'étre marquée.
2. C'eſt auſſi de cette mémemaniére
qu'on doit conſiderer la verité ſuivante,
aſſavoir, que quiconque veut s'abandonner
entierement à Dieu & lui étre ſoûmis, doit
s'y abandonner & s'y ſoumettre purement d'u
ne maniére paſſive & ſouffrante, ſans reſſ
tance, ſans defenſe » & ſans appui.
· Celui qui n'eſt pas auſſiparfaitement
dans l'abandon & dans la ſoumiſſion à
l'égard de tous les hommes & pour
toutes les choſes que s'il nel'étoit qu'à
unc ſeule & méme choſe, n'eſt pas a
bandonné à Dieu ni ſoumis à ſon o
beiſſance. . -

Cette ſoumiſſion parfaite ſe peut re


marquer en J. Chriſt.
Que ſi quelqu'un veut s'abandonner
veritablement à Dieu, le laiſſer faire,
& ſouffrir ſa conduite ; il faut qu'ii
ſouffre dans ce Seul toutes choſescom
--"
IIlC
Germanique Chap. XLIV. 157
me étant toutes renfermées dans la vo
lonté & conduite de ce Seul; & il ne
doit nullement ſe deffendre de ſouffrir,
. C'eſt là le vrai Eſprit de J. Chriſt.
3. Quiconque reſiſte à la ſouffrance
.& s'en deffend, fait voir qu'il ne veut
ou ne peut ſouffrir Dieu. . -

Cela doit pourtant ſe comprendre


ſainement. On peut bien prevenir la
ſouffrance, la decliner , la fuir , ſans
que l'on peche pour cela : Mais on ne
doit point reſiſter aux créatures par le
moien de la force ou de la guerre, d'ef
fet ni de volonté.
4. Certainement quiconque veut
bien aimer Dieu , aime toutes choſes
en une [aſſavoir en Dieu, 1 comme
étanttoutes dans cet Un.
Il aime auſſi l'Un & le Tout en
tout, de méme que tout en Un.
Si quelqu'un aime quelque choſe par
ticuliére, ceci ou cela , autrement que
dans Une, & que pour l'amour #
ne, il n'aime pas Dieu: car il aime quel
que choſe qui n'eſt pas Dieu , & partant
il aime quelque choſe plus que Dieu.
Or qui aime quelque choſe plus que
-
Dieu , ou quelque choſe avec Dieu ,
n'aime point Dieu ; par la raiſon , que
Dieu doit & veut étre aimé ſeul ; &
dans la verité il n'y a rien qui doive étre
aimé que Dieu ſeul. *

G 7 Auſſi
158 La Theologie
Auſſi lors que la vraye lumiére & le
vrai amour ſont dans quelqu'un, rien
n'y eſt aimé que Dieu ſeul.
Car il y eſt tenu & aimé comme le
vrai bien & pour l'amour du vrai bien :
& tous les biens y ſont aimés comme
étant Un , & Un comme étant tout :
uis que dans la vérité tout eſt Un, &
n eſt tout en Dieu.

C H A P 1 T R E XL V.

I. Quoi qu'il faille aimer toute choſe,


on ne doit pas aimer le peché, puis qu'il
n'eſt pas une choſe réèlle, qui ſoit en Dieu,
& que Dieu aime.
2.Les operations & actions des étres ſont
auſſi aimables, mais ſeulement lors qu'el
les procédent de la vraye lumiére & du vrai
Amour.

1. | | 'On pourroit demander , s'il


faut donc aimer le péché, puis que
l'on vient de dire qu'ilfaut aimer tout ?
L'on répond à cela, que non ; &
que lorsqu'on a dit, tout, l'on entend
ſeulement le bien.
Tout ce qui exiſte, eſt bon entant
que c'eſt une choſe ſubſiſtante. Le
Demon méme eſt bon entant qu'il eſt
UlIl
Germanique Chap. XLV. 159
un étre ſubſiſtant : & dans ce ſens nulle
choſe n'eſt mauvaiſe & ſans bonté.
Mais quant au peché, comme ce n'eſt
autre choſe que vouloir , deſirer, &
aimer autrement que Dieu ; & que ce
vouloir-là n'eſt pas une choſe ſubſiſ
tante, ou qui ait une eſſence réëlle,
il s'enſuit que le péché n'eſt pas bon ,
[ni par conſequent aimable.] .
En un mot , nulle choſe n'eſt bonne
qu'autant qu'elle eſt en Dieu.
Et comme toutes les choſes ſont en
Dieu beaucoup plus réèllement &eſ
ſentiellement que dans elles - mémes ,
de là vient qu'elles ſont toutes bonnes
quant à leur étre eſſentiel : & s'il y
avoit quelque choſe dont l'eſſence ne
fuſt pas réëllement en Dieu, celle-là
ne ſeroit pas bonne.
Or eſt-il vrai, que vouloir & deſirer
ce qui eſt oppoſé à Dieu, n'eſt pas en
Dieu ; puis que Dieu ne peut vouloir
ni deſirer contre Dieu ni autrement
que Dieu. Et partant ce vouloir, qui
eſt le péché méme, eſt mauvais & ſans
bonté, & méme c'eſt un rien , non
#
aimable.
2, Dieu aime auſſi, [non ſeulement
les étres ſubſiſtans, mais auſſi]les ope
rations & les œuvres; mais non tou
tCS.

Quelles ſont donc celles qu'il ai# e


I6o La Theologie
Ce ſont celles qu'enſeigne la vraye
lumiére, & qui coulant de ſon inſtruc
tion ſont faites par le véritable amour.
Tout ce qui vient de là & qui y eſt fait,
plait à Dieu , puis qu'il eſt fait dans l'eſ
prit & dans la vérité.
Mais toute action qui vient de la
fauſſe lumiére ou du faux amour, eſt
méchante, ſur tout, ce que l'on fait
ou que l'on ômet, que l'on opére ou
que l'on endure par un autre deſir &
vouloir que celui de Dieu, & par un
autre amour que parl'amour de Dieu.
Tout cela ſe faiſant ſans Dieu & contre
lui , eſt auſſi oppoſé aux opérations de
Dieu : & partant , tout n'eſt que pé
ché.

C H A P I T R E XL V I.
I. 9ue pour parvenir au ſalut, & méme à
la vraye connoiſſance , il faut que la
croyance precede la ſcience ; & cela
mon ſeulement à l'égard des articles indiſpu
tables de la foy Chrétienne ;
2. Mais auſſi à l'égard de certaines choſes di
vines qu'on ne ſauroit connoitre ni experi
menter avant les croire.

I• Eſus Chriſt dit , (a) celui qui ne


crºid Point , ou qui ne veut 6u ne
(a)Jean 3 : 18. - peut
Germanique Chap. XLVI. 161
peut pas croire, eſt ou ſera condamné &
perdu. Ce qui eſt une vérité bien re
marquable. - - -

En effet , l'homme venant en ce


monde n'a aucune ſcience ni connoiſ
ſance, & ne peut y atteindre ſi premié
rementil ne croid. Fr aºiconnºe veºt
r - : ....,t que croire, ne viendraja
mais au vrai ſçavoir. -

Mais remarqués , qu'il ne s'agit pas


ici [ſeulement] de croire les articles de
la foi Chrétienne , qui d'ailleurs ſont
crûs de tout homme Chrétien , bon &
méchant, pieux & impie, & qui en
# effet doivent étre reçus par la voye de
#
la croyance, puis qu'on ne peut y at
teindre par la voye de la ſcience. -

2. Mais dans le paſſage ſus-dit , il


s'agit de croire certaines choſes (a) de
la verité qui ſe peuvent auſſi ſçavoir &
connoitre par l'experience, mais qui
pour en venir là doivent étre premiére
ment crûës avant qu'on puiſſe parvenir
à leur ſcience & connoiſſance expe
rimentale : autrement , ſans cette
croyance & foi anterieure , on ne
viendra jamais à leur connoiſſance ve
ritable & experimentale. Voilà la foi
dont parle Jeſus Chriſt.
CHA-
(a) Comme par ex : les opérations interieures de
la grace de Dieu, les communications intimes ſe
crétes & vivantes des forces,lumiéres & touches du
S. Eſprit & de toute la glorieuſe & Ste. Trinite &c.
162 •1
,
- ;
La Theologie
.!

· C H A P 1 T R E XL V I I.
1. La propre volonté a fait l'Enfer , le
Diable, & la chûte d'Adam dans le Pa
radis. -

2. z• Paradio jc r --• dire de toutes les cho


ſes créées.
3. Comment dans ce Paradis des choſes créées
tout y eſt permis à la reſerve des fruits d'un
ſeul arbre, qui ſont les actions ou œuvrº
de la propre volonté.
I. N dit communément » que
dans l'Enfer il n'y a rien tant que
propre volonté : & cette parole eſt bien
veritable. -

Il n'y améme rien d'autre dansl'En


fer que propre volonté ; & s'il n'y
avoit point de volonté propre, il n'y
auroit ni Enfer, ni Démon.
Ce qu'on dit , que Lucifer ou le
Diable eſt tombé du Ciel, s'eſt détour
né de Dieu, & le reſte; tout cela ne
veut dire autre choſe ſinon qu'ilavou
lu avoir une propre volonté, & qu'il
n'a pas voulu étre d'une méme volonté
avec la volonté éternelle. Et c'eſt de
la méme ſorte que ſe fit la chûte d'A
dam dans le Paradis.
Quand on parle de propre volonté,
OIl
Germanique Chap. XLVII. 163
on n'entend autre choſe ſinon vouloir
autrement que la volonté ſimple &
· éternelle.
2. Peut étre qu'on me demandera,
',
#
ce que c'eſt que ce Paradis, , [ où l'on
vient de dire que ſe fit la chûte d'A
dam?] Je puis répondre, que c'eſt tout
ce qui ſubſiſte: cartoutes les choſes ſub
ſiſtantes ſont bonnes , plaiſantes 3 &
elles agréent à Dieu : & partant c'eſt
un vrai Paradis, de nom & d'effet.
Ce qu'on dit vulgairement du Para
dis, que c'eſt comme le faubourg de
l'éternité ou du Roïaume celeſte, eſt
bien vrai de tout ce qui exiſte, ſur
tout lors qu'on s'applique avec atten
tion à conſiderer & à bien connoître
ce qui ſe fait tantdans le temps & dans
les choſes temporelles & tranſitoires,
que dans les créatures qui procédent de
Dieu & de l'éternité.
Car les créatures ſont une démonſ
tration de Dieu , un renvoi & une
voie à lui & à l'éternité, Et ainſi , tou
tes les choſes ſont une eſpéce de parvis
ou de faubourg& de place préparatoire
& preliminaire à l'éternité, & par
tant, elles peuvent porter à bon droit
le tittre de Paradis.
3. Or dans ce Paradistout y eſt per
mis excepté un ſeul arbre & ſon fruit ,
& voici coment ceci doit s'entendre.
\ De
164 La Theologie
De toutes les choſes qui ſont au
monde nulle n'eſt prohibée à l'homme
ni contraire à Dieu qu'une ſeule ,
c'eſt à ſçavoir, la propre volonté , ou,
vouloir autrement que ne veut la vo
lonté éternelle.
Remarquez bien ceci. Dieu dit, &
dit encore à Adam , c'eſt à dire, à tout
homme : 2, Quoi que tu faſſes ou que
» tu laiſſes, tout t'eſt permis & licite
2, pourvû ſeulement qu'en cela tu n'a
3,giſſes point ſelon ta propre volonté,
2» mais ſelon la mienne : car au reſte,
» ce qui ſe fait ſelon ta propre volonté,
» tout cela eſt oppoſé à la volonté
» éternelle.
Ce n'eſt pas que ces actions ou ces
oeuvres-là conſidérées en elles-mémes
& phyſiquement , ſoient contre la vo
lonté éternelle, ſinon ſeulement en
tant qu'elles ſont faites par le motif
ou principe d'une autre volonté, ou
autrement que par la volonté éter
nelle. -

C H A P I T R E XL VI l I.

I. La curioſité dans les choſes divines eſt or


dinairement pernicieuſe L'humble & l'é
clairé ne deſire que de s'anéantir dans la
volonté de Dieu.
2. f{º
Germanique Chap. XLVIII. 165
2. Que Dieu a fait la volonté comme la
choſe la plus noble avec l'intelligence & la
raiſon, afin que ſachant qu'elle ne vient
pas de ſoi & ne ſubſiſte pas par ſoi, elle
neſe regle pas par ſoi ni pour ſoi ; mais
qu'elle ſoit reſtituée à Dieu , & recoule
dans lui.

| [. P Oſſible qu'on me fera ici cette


la
queſtion.
: ( Puiſque cet arbre (la propre volonté)
eſt ainſi contraire à Dieu & à la volon
té éternelle, pourquoi donc Dieu l'a-t'il
créé & placé dans ce Paradis ?
Reponſe Tout homme & toute .
créature qui deſire de ſonder & de
comprendre le conſeil & la volonté ſe
créte de Dieu , de maniére qu'il vou
droit bien ſavoir pourquoi Dieu a fait
ou n'a pas fait ceci ou cela, & choſes
ſemblables ; celui-là a juſtement le
méme defir qu'Adam & que le De
mon : & ſi longtemps que ce deſir ſub
ſiſte dans lui , il ne parviendra jamais à
la connoiſſance de ce qu'il voudroit2
mais il demeurera dans le méme degré
qu'Adam ou le Demon.
Et pourquoi ? Parce qu'il arrive ra
rement qu'on ait cesſortes de deſirs
pour autre fin que pour ſe plaire en ces
connoiſſances-là & pour s'en glorifier.
Ce quià eſt pur orgueil
f0 Ulº11,
Le
166 La Theologie
• Le vrai humble & éclairé de Dieu »
ne deſire pas que le Seigneur lui revéle
ſes conſeils ſecrets : & ainſi, il ne s'en
quiert pas pourquoi Dieu fait ou per
met ceci ou cela , & le reſte. -
Non : il lui ſuffit de deſirer de s'a
néantir lui-méme, de ſe faire quitte de
ſa volonté, & d'arriver à ce point ,
que la volonté éternelle vive & ſoit
maitreſſe de tout dans lui, ſans y ſouf
frir obſtacle de la part de toute autre
volonté étrangére à la divine. Il ne
deſire , en un mot , que l'unique ſa
tisfaétion & contentement de la volon
té éternelle dans lui & par lui.
2. Ce n'eſt pas au reſte, qu'on ne
|
puiſſe en quelque ſorte répondre d'une
autre maniére à la queſtion propoſée :
& voici comment.
Ce qu'il y a de plus noble & de plus
agréable & ſatisfaiſant dans les créatu
res, eſt la connoiſſance ou (a) l'intel
ligence, & la volonté : deux choſes ſi
unies entr'elles, qu'où l'une eſt, là
eſt auſſi l'autre.
Sans ces deux choſes, il n'y auroit
nulles créatures raiſonnables, & tout
· ne ſeroit que béte & que brutal. Cela
ſeroit un manquement conſidérable ;
& de plus, Dieu ne pourroit alors ob
tenir dans ſes créatures ce qu'il veut y
aVoir
( a ) Autr, la raiſon.
Germanique Chap. XLVIII. 167
avoir & y obtenir, & dont on a parlé
ci-deſſus. ll ne pourroit y trouver &
y voir ſes propriétés d'une maniére o
pérante : ce qui néanmoins doit ſe fai
re, & qui apartient [quoi qu'acceſſoi
rement] à la perfection.
Or maintenant Dieu a créé & donné
avec la volonté l'intelligence & la rai
ſon , afin que celle-ci enſeigne à la vo
lonté & qu'elle s'enſeigne auſſi à ſoi
méme que ni intelligence ni volonté
ne viennent & ne ſubſiſtent pas d'elles
mémes, que nulle d'elles n'appartient
2 & ne doit apartenir à ſoi-méme, que
nulle d'elles ne doit ni s'obliger à rien ,
ni rien vouloir pour ſoi - méme ni
pour ſa propre utilité ; que nulle ne
doit ſe ſervir de ſoi par raport à ſoi ni
pour ſoi : mais qu'uniquement elles
appartiennent à celui dont elles ſont
procedées, & qu'elles doivent lui étre
reſtituées, abandonnées, doivent cou
ler derechef dans lui , & devenir com
me rien à l'égard d'elles-mémes, c'eſt
à dire , quant à leur ſoi & à leur pro
previe.

C HA
163 . . , La Theologie

C H A P 1 T R E XL IX
1. La volonté créée, qui eſt dans l'honº
| me, eſt de Dieu, lui appartient » c3 Dieu
2. doit
celavouloir par elle.
ſe faiſant , les a#es dº la volonté
ſºnt auſſi à Dieu , & nºn à l'bomme en
propre.
3. c5Eüe deſeroit néanmointſuſceptible de plaiſir
douleur , qui ſeroient encºre à
Dieu.
4. ceci peut s'appliquer aux autres facultés
de l'ame.
5. Quand la volonté # abandonnée à
" Dieu , tout le reſte y eſt abandonné.
1. I L eſt bon de faire ſur ce ſujet »
- & particuliérement touchant la
volonté, les reflexions ſuivantes
La volonté éternelle, qui eſt en
Dieu par maniére d'origine & d'eſſen
ce, ſansoperation & ſans œuvres, cet
tte méme volonté ſe trouve dans la
créature & dansl'homme d'une manié
re active & opérative : car le propre
de la volonté eſt de vouloir actuelle
ment : ſans cela, que feroit-elle : el
le ſeroit en vain ſi elle n'avoit point
d'exercice ou d'œuvre actuel. -

Or ceci ne peut ſe faire ſans créatu


IC,
Germanique Chap. X L I X. 169
re. ll faut donc qu'il y ait des créatu
res ; & Dieu en veut afin que ſa vo
lonté Divine, laquelle eſt & doit étre
dans Dieu méme ſans oeuvre, ait un
ſujet dans lequel elle produiſe & opére
l'œuvre qui lui eſt propre. -

Et ainſi la volonté, qui eſt dans la


créature, & qu'on appelle volonté créée,
eſt auſſi bien à Dieu que la volonté
eternelle ; & non pas à la créature.
Et comme Dieu ne peut vouloir
d'une maniére opérante, ſucceſſive &
mobile ſans qu'il y ait des créatures ; il
veut le faire dans elles & avec elles.
Et partant, la créature ne doit rien
vouloir avec cette volonté qui eſt dans
elle ; Dieu voulant & devant vouloir
par effet avec cette volonté qui eſt dans
l'homme » & qui eſt néanmoins de
Dieu.
2. Si maintenant ces choſes s'ac
compliſſoient purement & entiére
ment dans quelque homme, ce vou
loir ne ſeroit pas un vouloir de l'hom
me , mais ce ſeroit Dieu qui voudroit
lui-méme. Cette volonté ne ſeroit pas
dans cet homme une propre volonté ;
& rien n'y ſeroit voulu autrement que
comme Dieu voudroit : puis que Dieu
méme ſeroit & demeureroit dans cet
te volonté, & non pas l homme ; ſi
bien que cette volonté ſeroit une av#
H d
17o La Theologie
la volonté éternelle, & ſeroit coulée
dans elle.
3. Cet homme pourtant ſeroit ſuſ
ceptible de joie & de douleurs , de
plaiſir & de peines, & de ſemblables
ſenſibilités : car où la volonté [ divi
ne ] veut par actes & opérativement,
là il y a ſujet de plaiſir & de ſouf
frances.
Il y a plaiſir lors que tout ſe fait
comme veut la volonté : il y a peine
& ſouffrance lors qu'il arrive autre
ment que ne veut la volonté.
Or ces joies & ces peines-là ne ſont
point à l'homme, mais à Dieu : car
a quiconque eſt la volonté, à lui auſſi
eſt la joye & la peine. Et comme cette
volonté n'eſt pas à l'homme, mais à
Dieu ; il eſt évident que la joie & la
douleur ſont auſſi à lui.
Mais au-reſte , rien n'y fait de la
peine que ſeulement ce qui eſt con
traire à Dieu , qui eſt la choſe unique
dont en ſe plaigne : comme au contrai
re, on n'y a point de joie que de Dieu,
de ce qui le regarde , & de ce qui lui
apartient.
2. Ce qu'on vient de dire de la vo
lonté, ſe doit auſſi apliquer à l'enten
dement, à la raiſon , aux autres puiſ
ſances & facultés , à l'amour, & à tout
ce qui eſt dans l'homme.
Toutes
Germanique Chap, L. 171
, Toutes ces choſes ſont univerſelle
ment à Dieu, & non à l homme.
5. Si dans quelqu'un la volonté ſe
trouvoit entiérement renoncée, tou
tes ces autres choſes ſeroient auſſi re
noncées & abandonnées entiérement ;
& alors Dieu trouveroit & repren
droit ce qui eſt à ſoi ; & cette volonté
ne ſeroit pas propre volonté .
Voiez donc : c'eſt pour cela que
Dieu a créé la volonté : & non pas
afin qu'elle devinſt propre volonté.
v : 2 , · · · ·
-, c H A P 1 T R E L.
1. L'appropriation de la volonté eſt la
transgreſſion. -

2. Elle eſt incompatible avec la felicité &°


le repos. . -

3• Marque indubitable de ſa preſence & do


f77t724tt077.

4. si ellen'eſt pas abandonnée dans le temps »


elle ne leſera jamais.
5. Pourquoi Dieu a créé la volonté.
6. Quiconque au lieude laiſſer la volonté à
ſa noble liberté, ſe la rend propre, s'ac
quiert des troubles & des peines qui ne fini
rontjamais que ſaproprieténefiniſſe.
I• M Ais le Diable & Adam, c'eſt
à dire, la fauſſe nature » ſont
- " H 2 venus
172 " La Theologie )
venus & viennent encore tirer à eux
cette volonté, ſe la rendre propre, &
s'en ſervir pour eux-mémes & pour
leur avantage.
Et c'eſt-là le grand mal & la vraie
injuſtice.
C'eſt-là ce qui s'apelle, mordre le
fruit interdit, comme fit Adam ; &
c'eſt cela qui eſt défendu & qui eſt op
poſé & contraire à Dieu.
2. L'on peut remarquer dansl'hom
me & dans le Démon, que ſi long
temps que ſe trouve dans quelqu'un la
propre volonté, auſſi long-temps n'y
aura-t'il là ni vrai repos, ni vraie fé
licité, non plus en cette vie que dans
l'éternelle.
3. La marque aſſurée que la pro
priété domine dans quelqu'un , qu'il
s'eſt approprié ou qu'il a pris en propre
ſa volonté , eſt, lors qu'il la ſuit &
qu'ill'accomplit effectivement.
4. Si cette propre volonté n'eſt pas
abandonnée & renoncée dans le temps
de cette vie, il eſt à croire qu'on ne
pourra plus jamais s'en défaire, &
qu'en verité on ſe trouvera deſtitué
pour toûjours de contentement , de
paix , de repos & de felicité : comme
cela ſe voit dans le Démon.
5. S'il n'y avoit ni d'intellect ou de
raiſon » ni de volonté, certes Dieu
- - ſeroit
Germanique Chap. L. 173
ſeroit & demeureroit toûjours incon
nu , non-aimé, non-loüé, non-ho
noré; toutes les créatures ne ſervi
roient à rien , & elles ſeroient inutiles
à rendre quelque ſervice à Dieu.
: Tout ceci ſoit dit pour répondre à
la queſtion de cy-deſſus, Pourquoi Dieu
avoit créé la volonté ? & ſi cette longue
réponſe (qui cependant eſt aſſez cour
te , mais dont les verités ſont divine
ment utiles,) pouvoit donner occa
ſion à quelqu'un de prendre la reſolu
tion de ſe convertir, c'eſt à cela, [plû
tôt qu'à faire des recherches & des
queſtions de theorie,] que Dieu pren
droit plaiſir.
6. Ce qui eſt libre, n'eſt propre à
aucun ; & quiconque ſe le rend pro
pre, commet injuſtice. Or de tout ce
qui eſt libre, rien n'eſt plus libre que
la volonté. Donc celui qui la rend
propre , & qui ne la laiſſe pas dans ſa
libre nature & dans ſa noble liberté,
, commet injuſtice. Et c'eſt-ce qu'ont
fait le Diable, Adam , & tous leurs
imitateurs.
Mais celui qui laiſſe la volonté dans
ſa noble liberté, fait bien : & c'eſt
ainſi que fait Jeſus Chriſt, & que font
tous ceux qui le ſuivent.
Quiconque prive la volonté de ſa
noble liberté, & la rend propre, aura
H 3 | pour
174 · La Theologie
pour recompenſe des inquiétudes, dés
peines, des déplaiſirs, des troubles ,
des angoiſſes qui l'accompagneront
auſſi longtemps qu'il agira de la ſorte,
ſoit en ce temps, ſoit dans l'éternité.
Mais celui qui laiſſe la volonté dans
fà vraye liberté, a contentement, paix,
fepos, felicité, dans le temps & dans
l'éternité.
L'homme dans lequel la volontén'eſt
pas appropriée & captive, mais où el
le jouït de ſa noble liberté, eſt une de
ces perſonnes vrayement libres & dé
gagées dont Jeſus Chriſt dit : (a) La ve
rité vous rendra libres : & un peu aprés :
Celui que le Fils a rendu libre, eſt veritable
ment libre.

C H A P 1 T R E L I.

1. La volonté qui jouit de ſa vraye liberté,


veutſans peine ce qui eſt de meilleur en tou
tes choſes , hait le mal, & s'en afflige :
comme ilparoit en f. Chriſt.
2. La volonté qui vit dans l'indolence & l'in
différence, ſans s'affliger du mal, n'a qu'u
ne liberté fauſſe , naturelle & diaboli
que, comme dans les faux-libres.
3. Dans le Ciel, il n'y a rien de propre.
Dans l'Enfer , il n'y a rien que propre,
- 4 Dans
{a) jean. 3 : y. 32. & 36.
Germanique Chap. LI. 175
4. Dans le temps, l'homme a le choix des
deux, ſelon qu'il ſuivra ou renoncera la
propre volonté.
5. Qui veut le propre, eſt eſclave de ſoi-mé
me : qui ne veut rien , n'eſt captifde per
ſonne.
I• I! eſt à remarquer, que dans quel
que ſujet que la volonté jouiſſe de
ſa liberté, elle y jouït auſſi de ſes opéra
tions & de ſes actes, c'eſt à dire, qu'elle
y veut d'une maniére vrayement libre,
elle y veut tout franchement & ſans op
poſition ce qu'elle veut.
Or elle y veut ce qu'il y a de plus ex
cellent, de plus noble & de plus ex
quis dans toutes les choſes.
Plus elle eſt libre & dégagée de tout
obſtacle , plus auſſi tout mal , toute
injuſtice, toute méchanceté, tout vi
ce » & tout ce qui s'appelle & qui eſt
effectivement péché , lui fait mal au
cœur, & lui eſt à ſujet d'affliction &
de plaintes.
C'eſt ce qui s'eſt vû clairement en
Jeſus Chriſt, dans lequel il y avoit une
volonté la plus libre, la plus dégagée,
& la plus deſaproprieé, qui ait jamais
été & qui puiſſe jamais étre en qui que
ce ſoit; de méme que toute ſon huma
nité étoit la plus libre & la plus déta
chée de toutes les creatures : & cepen
H 4 dant
176 La Theologie
dant , il y a eu dans lui à cauſe du pe
ché & de tout ce qui eſt oppoſé à Dieu,
des plaintes, des affliétions & des dou
leurs les plus grandes qu'il puiſſe y en
avoir en aucune créature.
2. Mais lors qu'on veut faire le libre
ou s'attribuer liberté en ſorte cepen
dant qu'on ſoit libre ou exempt de
douleurs & de plaintes ſur le péché &
ſur ce qui s'oppoſe à Dieu ; qu'on
veüille vivre nonchalemment & ſans
ſe ſoucier de rien; qu'on veüille étre
dans le temps ainſi qu'étoit Jeſus Chriſt
aprés ſa Reſurrection, & choſes ſem
blables; ſans doute qu'on eſt alors bien
loin de la divine & véritable liberté,
qui procéde de la vraye lumiére divine:
au lieu de quoi, on ne poſſéde qu'une
liberté toute naturelle, injuſte, fauſſe,
illuſoire & diabolique , qui ne vient
que d'une fauſſe lumiére naturelle tou
te pleine d'illuſion.
3 S'il n'yavoit point de propre vo
lonté, il n'y auroit rien de propre :
C'eſt pour cela que dans le Ciel il n'y a
rien de propre; & que par conſequent
il n'y a que vraye paix & vraye felicité.
Si quelqu'un de ceux qui y ſont vouloit
s'aproprier quelque choſe, il devroit
en ſortir,& aller dans l'Enfer y devenir
un Diable.
Dans l'Enfer , au-contraire » cha
CU Il
Germanique Chap. LI. 177
cun veut avoir une volonté propre : &
c'eſt pourquoi il n'y a là que malheur
& infélicité. Il en va de méme dans
le temps.
Si dans l'Enfer il ſetrouvoit quel
qu'un qui fuſt ſans propre volonté &
ſans rien de propre , il ſortiroit ſans
doute de l'Enfer , & entreroit dans le
Royaume du Ciel.
4. Or l'homme pendant qu'il eſt
dans le temps, eſt placé entre ces deux
choſes, entre le Ciel & l'Enfer; & il
peut ſe tourner vers lequel des deux il
veut , mais avec cette clauſe, que plus
il y aura de proprieté & de propre vo
lonté, plus y aura-t'il d'Enfer & d'in
felicité ; & moins de propre volonté ,
moins auſſi d'infelicité & plus d'apro
chement du Royaume du Ciel.
De ſorte que ſi dans le temps quel
qu'un ſe trouvoit purement ſans propre
volonté & ſans rien de propre,ſi vraye
ment il étoit vuide de tout & vraye
ment libre d'une liberté procédante de
la vraye lumiére divine ; & qu'il de-
meuraſt conſtamment tel ; il ſeroit aſ
ſuré de la poſſeſſion du Royaume du
Ciel.
5. Quiconque a, veut, ou voudroit
avoir quelque choſe de propre , eſt
propre à lui-méme.
Mais quiconque n'a , ne veut & ne
H 5 déſire
r78 La Theologie -

déſire rien de propre, eſt vrayement


vuide & vrayement libre , & il n'eſt
ſous l'eſclavage & la propriété de quoi
que ce ſoit.

C H A P I T R E L II.

1. Imiter J. CH R I s T, comprend tout :


l'abandonnement de toutes choſes & la
Croix , y ſont neceſſairement requis.
-
2. La nature fauſſement-libre ſe flatte de
l'abandonnement , mais ne veut point de
CY013C.

3. Aller au Pere par Jeſus Chriſt, eſt,


ne rien admettre, faire ni laiſſer dans l'in
térieur é dans l'extérieur, que ce que fe
roit f. Chriſt méme, ou Dieu méme, s'il
étoit en notre place.
I. Tºut ce qui a été écrit juſqu'ici
ſont des choſes que Jeſus Chriſt
méme a enſeignées tant par une vie aſ
ſez longue d'environ trente trois ans &
demy, que par des paroles trés-cour
tes , en diſant , S U I v E Z - M o 1.
Mais quiconque veut le ſuivre, doit
tout abandonner , puis que lui-méme
avoit abandonnétoutes choſes, & ce
la auſſi entiérement qu'aucune créa
ture ait jamais pû ou puiſſe jamais le
faire.
Il
Germanique Chap. LII. 179
Il faut encore que quiconque veut le
ſuivre, embraſſe L A C R o 1 x.
Cette croix-là eſt la méme vie de Je
ſus Chriſt , laquelle eſt bien une croix
fort amere à tout ce qui eſt de nature.
Et c'eſt ce que Jeſus Chriſt a en vûe
lors qu'il dit ; (a) Quiconque ne quitte pas
tout , & ne prend pas la croix ſur ſoi, n'eſt
pas digne de moi, n'étant pas mon diſci
ple & ne me ſuivant point.
2. La nature trompeuſe avec ſa fauſ
ſe liberté ſe perſuade aſſez d'avoir tout
quitté : mais pour des croix, elle n'en
veut nullement : elle en a , ce dit-elle,
ſuffiſamment eu , & elle n'en a plus de :
beſoin du tout.
Elle ſe trompe fort : car ſi elle avoit
bien goûté la Croix une ſeule fois, el
le ne pourroit plus i'abandonner ja
mals.
Toutes ces choſes ſont des verités .
que doivent croire tous ceux qui cro--
yent en Jeſus Chriſt.
3. Voici une autre parole de J.
Chriſt , (b) Nul ne vient au Pere que par
moy : ſur quoi ii eſt important de re
marquer , comment on va au Pere par
Jeſus Chriſt.
L homme doit tellement veiller ſur
ſoi-méme & ſur tout ce qui le regarde
tant au dedans qu'au dehors, il doit ſe
H 6 , poſſe
(a) Matth. 1o : 37. (b) Jean 14 : é.
18o La Theologie
poſſeder & ſe maintenir (autant qu'il
lui eſt poſſible) avec tant de circonſpe
ction, qu'il ne s'éléve jamais dans lui ,
ou qu'il ne puiſſe jamais demeurerdans
ſon cœur ni volonté, ni deſir, ni af
fection , ni ſentiment , ni penſée , ni
plaiſir, qui ne ſoient dignes de Dieu ,
& qu'on ne puiſſe les lui raporter, tout
de méme que ſi c'étoit Dieu qui fuſt
cet homme-là.
Et dés qu'on s'aperçoit qu'il com
mence à s'éléver dans le cœur quel
que choſe qui n'eſt pas de Dieu , & qui
ne lui convient pas; qu'on l'en efface
incontinent, & qu'on lui reſiſte dés
le moment & de toutes ſes forces.
Il en doit étre de méme pour l'exté
rieur & pour toutes les choſes de prati
que, d'action ou d'omiſſion, parler,
ſe taire, veiller, dormir, en un mot,
pourtoutes les maniéres d'agir & de ſe
comporter avec ſoi-méme & avec les
autres : Il faut ſe donner de garde qu'on
ne faſſe rien , qu'on ne ſe tourne vers
rien , qu'on ne donne entrée ni place
à rien de quelque part qu'il vienne, du
dedans ou du dehors, & qu'enfin on
ne ſe laiſſe emploier à aucune œuvre,
que comme il eſt ſéant à Dieu, & qu'à
des choſes licites & honeſtes, tout ainſi
que ſi c'eſtoit Dieu méme qui fuſt en la
place de cet homme-la.
Tout
Germanique Chap. L I l I. 181
Tout ce qui ſeroit ou qui ſe feroit
dans un tel homme , tant au dedans
qu'au dehors, ſeroit alors de Dieu, &
cet homme ſeroit un vrai Imitateur de
Jeſus Chriſt par vie & par effet ; ma
tiere dont nous avons comnoiſſance, &
droit d'cn parler.

C H A P I T R E L I l I.

1. Qui imite f. Chriſt & le ſert , va au


Pere & entre dans la Bergerie de la vie éter
nelle par la vraie Porte.
2. Qui ne va point par cette voie , n'entrera
point , étant larron & meurtrier : &
, c'eſt-ce que font & ſont les eſprits faux-li
bres , indolents , & indifferens envers la
pratique du bien & du mal , des reglemens
& de la confuſion.
I. S! maintenant quelqu'un vivoit
de la ſorte , celui-là marcheroit
& viendroit au Pere par J. Chriſt,
puis que ſuivant Jeſus Chriſt & allant
ſur ſes traces , par cela m.éme il vien
droit avec lui & par lui à ſon Pere. -
Il ſeroit auſſi par-là un vrai ſerviteur
de J. Chriſt, puiſque c'eſt le propre
de ſes ſerviteurs, que de le ſuivre, com
meil le dit lui-méme, (a) Si quelqu'un
H f72é

(a) Jean 12: 26.


182 La Theologie
me veut ſervir, qu'il me ſuive : voulant
dire auſſi , que celui qui ne le ſuit pas,
ne le ſert pas non plus.
Je le redis encore : Quiconque ſuit
& ſert J. Chr1ſt de la ſorte , celui-là
vient où J. Chriſt eſt, c'eſt à ſçavoir,
au Pere : Jeſus Chriſt le confirme lui
méme en diſant à ſon Pere, (a) Mon Pe
re, je deſire que là où je ſuis, mon ſerviteur y
ſoit auſſi
Celui qui marche par cette voie va
dans la Bergerie, c'eſt à dire, dans la
vie éternelle, par la vraie Porte; & le
Portier la lui ouvre.
2. Mais celui qui va par une autre
voie , ou qui ſe fait accroire de pou
voir aller au Pere ou à la vie éternelle
autrement que par J. Chriſt, ſe trom
pe ſoi-méme : car comme il ne mar
che pas par la droire voie, il n'entre
pas non plus par la vraie porte , la
quelle auſſi ne lui ſera point ouverte ,
puis qu'il n'eſt qu'un larron & un
meurtrier, ſelon la parole de J. Chriſt
méme,
Or je vous prie, voiez maintenant
ſi c'eſt marcher par la droite voie ou
non, ſi c'eſt entrer ou non par la vraie
porte, que de vivre dans une liberté
ſans joug, dans une oiſiveté & une in
difference froide & nonchalante à l'é
gard
(a) Jean 17: 24.
Germanique Chap. L I V. 183
gard de la vertu & du vice, du bon or
dre & de la confuſion, & choſes de
Cette I1atU TC.
Certainement il ne s'eſt point trou
vé de telle indifference en J. Chriſt ;
& il ne s'en trouve point non plus dans
aucun de ſes vrais imitateurs.

C H A P 1 T R E L I V.

1. Comment nul ne vient à 7. Chriſt ſi le


Pere ne le tire à ſoi. Ce qu'eſt le Pere.
2. Comment le Pere attire à ſoi.
3. L'attrait du Pere à ſoi, enſeigne qu'on n'y
peut venir que par la vie de f. Chriſt.
4. Enſuite , le Parfait étant trouvé , tout
l'imparfait ceſſe , ſelon le paſſage de St.
Paul, par où cet Ouvrage a commencé.
I. L E méme J. Chriſt a dit cette au
tre parole digne de remarque :
(a) Nul ne vient à moiſt le Pére ne le tire.
Par le PE R E, j'entends le Bien
ſimple & parfait, qui eſt Tout, &
au deſſus de tout, & ſans lequel il ne
ſe fit & ne ſe fera jamais rien de bien :
qui comme il eſt Tout , eſt auſſi uni
que & par deſſus toutes choſes : qui
n'eſt & ne peut étre aucune des choſes
que la créature, comme telle , puiſſe
- COIIl -
(a) Jean 6: 44. -
184 La Theologie
comprendre & concevoir.
Car ce que la créature conçoit ſelon
ſa capacité de créature, tout cela eſt
quelque choſe de particulier & de bor
né, ceci ou cela , en un mot 2 ce n'eſt
que créature. Or ſi le Bien ſimple &
parfait étoit quelque choſe de particu
lier que la créature conceuſt , il ne ſe
roit niTout, ni Unique, ni Parfait ,
comme ill'eſt, & à raiſon de quoi ileſt
innominable, & partant n'eſt rien de
tout ce que la Gréature puiſſe compren
dre, connoître, penſer & nommer
par ſa capacité créée.
C'eſt-ce Bien parfait & innomina
ble, qui lors qu'il s'inſinuë dans (a)
une ame fertile pour l'enfantement
ſpirituel, & qu'il y produit ſon (b) In
telligence unique & ſoi-méme , eſt
apellé, le PE R E. - - -

2. Obſervez maintenant comment


le Peretire quelqu'un à J. Chriſt; c'eſt
à ſçavoir en cette maniére :
Lors qu'il eſt découvert ou manifeſté
à l'ame quelque choſe de ce Bien par
fait par maniére d'irradiation ou d'at
trait, il naît dans l'homme un deſir de
s'aprocher de ce Bien parfait & de
s'unir à lui.
| Con
(a) 22elques exemplaires o t AMe, ©ect : &
d'autres Perſonne, perſobn. .
(b) 9aelqnes exemplaires ont intelligence cu
Sens » Q5inn : & d'autres ont, Fils, Q5c9n.
Germanique Chap. L IV. 185
Conſequemment, plus ce deſir de
vient grand , plus ce bien lui eſt mani
: feſté; & plus il lui eſt manifeſté & re
velé, plus auſſi s'accroit ſon defir &
ſon attraction.
C'eſt ainſi que l'homme eſt attiré
& excité à l'union avec le bien
,
éternel : & c'eſt-là , le tirer du Pere.
3 Cet attrait du Pere, qui attire
ainſi l'homme, l'enſeigne auſſi & lui
aprend qu'aſſurément il ne pourra ja
mais parvenir à cette union s'il n'y
tend & n'y va par la vie de J. Chrift.
Et de là vient, que l'homme em
braſſe enſuite cette vie excellente , de
quoi l'on a traitté ci-devant.
Remarquez donc bien ces deux pa
roles de J. Chriſt; l'une , Nul ne vient
au Pere que par moi, c'eſt à dire, par ma
vie, ainſi qu'on vient de l'expliquer :
l'autre; Nul ne vient à moi, c'eſt à dire,
n'embraſſe ma vie & ne me ſuit, ſinon
u'il ſoit touché & attiré du Pere, c'eſt à
ire, du Bien ſimple & parfait.
# Ce Bien parfait eſt le méme dont
S Paul dit, quand le Parfait vient, l'im
parfait & tout ce qui n'eſt qu'en partie , eſt
aboli. Et c'eſt comme s'il diſoit : quand
le Parfait eſt connu , trouvé & goûté
dans quelqu'un autant qu'il eſt poſſible
que cela ſe faſſe dans le temps, toutes
les choſes créées ne lui paroiſſent plus
qu'un
186 La Theologie
qu'un rien devant ce Bien parfait ,
comme en effet la choſe eſt ainſi ſe
lon la verité. Car hors du Parfait &
ſans lui , il n'y a point de vrai bien ni
devrai étre.
Et partant, quiconque poſſéde,con
noit & aime le Bien parfait, poſſede
& connoit dés là toutes choſes & tout
bien. , Et cela étant, que lui faut-il
alors davantage ? à quoi bon toutes les
autres choſes ? & qu'a-t'il beſoin des
parcelles , vû que tout ce qui eſt par
tie eſt réüni enſemble & compris en
un ſeul Tout dans le Parfait ?

C H A P I T R E L V.

I. Voie à l'anéantiſſement & à la vie inte


rieure.
2. Quand commence proprement la vraie vie
interieure , où Dieu eſt & agit pure
f/28/7f.
3. Qu'on vient auſſi au vrai état interieur
en aimant tousjours entre les choſes créées
ce qui eſt de meilleur.
I. " Tout ce qui vient d'étre dit (a)
ne regarde, à dire le vrai , que
la
(a) Explic.] Quoique ceci ſe puiſſe raporter
particuliérement aux trois Chapitres qui précé
dent , on peut pourtant l'étendre à tout le Traité :
Car encore qu'il contienne beaucoup de choſes qui
,, Germanique Chap. L V. , 187
la vie extérieure, & n'eſt que la voie
& l'introduction à la vraie vie inté
rieure : car le vrai état intérieur ne
commence qu'aprés ces choſes.
· Lors que quelqu'un viendra à goû
ter le Parfait autant qu'il eſt poſſible ,
toutes les choſes créées lui deviendront
un rièn , & lui-méme auſſi à ſes pro
pres yeux.
tr - Quand
regardent l'intèrieur,cet interieur néanmoins n'eſt
· encore qu'extérieur à comparaiſon de la vraie &
intime vie de l'eſprit qui vient enſuite. En effet »
tout ce qui regarde la purification & la prepara
tion de l'ame, la penitence, l'abnegation, la pau
vreté d'eſprit, & le reſte, avec les operations in
terieures de Dieu & les correſpondences de l'hom
me là dedans, tout cela n'allant qu'à la depoſition
ou au depouillement des imperfections de l'ame »
ui ſont des choſes extérieures & étrangéres à ſon
† parfait , cela, dis-je, , n'eſt proprement
qu'exterieur, & , ſelon l'Ecriture méme, ter
reſtre, charnel, élementaire & imparfait; (S. Jean
3: 12. & 31.1 Cor. 3: I. & Ch. 1 3: 9, 1o, Hebr.
ó: 11.) Sur tout ſi l'on vient à le comparer au
vrai, ſolide, & poſitif interieur , qui eſt Dieu
méme & ſes opérations purement poſitives, per
fectionantes , conſommantes, béatifiantes, frui
tives & delectatives dans les arnes pures, ſujet
dont trés-peu de Saints & de Myſtiques ont décrit
quelques parcelles. Voiez : par ex. Ste.Tereſe dans
les 3 dernieres demeures du Chateau de l'ame : le
B. Jean de la Croix, en ſa vive flame d'Amour
& dans ſon Cantique de l'Epoux avec l'Epouſe :
Harphius Theol.Myſtic lib 2 & 3 Jean des Sam
ſon dans ſon Epithalame de l'Epous: Angele de Fo
ligny, dans les viſions divines de ſa vie : Madame
Guion ſur le Cantique des Cantiques, & quelque
peu d'autres, Voiez auſſi la 1. Homelie de S. Ma -
C3Ire,
188 , , La Theologie
Quand enſuite on connoit dans la :
veritéque le Bien Parfait & l'unique
Tout, eſt au deſſus de tout ; il derive
de là neceſſairement, qu'on recon
noiſſe que tout bien »i comme l'étre,
la vie, la connoiſſance , la ſcience , le
pouvoir, & le reſte, appartiennent à ce,
ſeul Parfait, & non à aucune crea
tUlI'C. -

D'ici vient, que l'homme ne s'ar


roge & ne s'approprie rien » ni étre ».
ni vie, ni pouvoir, ni ſçavoir , ni
faire, ni laiſſer , ni generalement au
cune des choſes qu'on puiſſe apeller
bonnes. . -

Et par ainſi, il devient veritable


ment pauvre , il devient méme un
néant à ſoi-méme dans ſon intérieur :
& par ce méme anéantiſſement inté
rieur de ſoi s'anéantiſſènt pareillement
dans luitoutes les autres choſes créées.
2, Et c'eſt ici proprement que
commence à naitre & à s'établir dans
lui la vraie vie intérieure : aprés quoi »
c'eſt plûtôt Dieu qui tient là la place de
l'homme, que l'homme méme. ,
Si bien qu'il n'y a plus rien là qui ne
ſoit Dieu ou qui ne ſoit de Dieu : plus
rien qui s'attribuë ou s'arroge quoique
ce ſoit , & ainſi , c'eſt # ſeul»
c'eſt l'éternel & l'unique parfait qui
ſeul vit , connoit, peut , aime , veut ,
fait,
, , , Germanique Chap. L V. 189
fait , & laiſſe tout dans ce ſujet-là.
- : Et voilà en verité comment il faut
qu'aillent nos affaires. Que ſi elles ſont
dans un autre état, le redreſſement &
l'amelioration ne leur viendroient pas
mal à propos. · · •

3. Un autre exercice trés-bon, &


qui peut auſſi ſervir d'introduction à
cet état intérieur , ſeroit, de s'étudier
à ce que la choſe qui eſt la meilleure,
fuſt auſſi celle que nous aimaſſions le
plus; que nous choifiſſions, que nous
nous tenions, que nous nous uniſſions
toûjours avec ce qu'il y a de meilleur,
en commençant par ce qui eſt créé.
Mais qu'eſt ce que ce meilleur entre
les choſes créées ?
Le voici, & prenez-y bien garde.
·(a) Cette choſe ou cette créature eſt la
meilleure , dans laquelle le Bien éter
· nel & parfait avec tout ce qui le regar
de, reluit davantage, opére le plus,
& y eſt le plus connu & le plus aimé.
Me demandez-vous quelles ſont ces
choſes qui regardent le Bien parfait ,
quelles ſont les choſes de Dieu ? Je ré
·ponds, que c'eſt tout ce à quoi l'on
·peut donner avec verité & avec juſtice
le nom de bien.
Et ainſi, lors que parmi les choſes
créées l'on ſe rend à la meilleure que
- l'on
(a) voyez ſuprà chap. 6.
19o La Theologie , , ,
l'on puiſſe connoitre, & quel'on s'y
tient ſans reculer en arriére; l'on vien
dra par cela méme à quelque autre cho
ſe encore meilleure que celle-là; & de
celle-ci encore a une autre meilleure,
& ainſi continuellement , juſqu'à ce
qu'enfin l'on vienne à connoitre & à
goûter que l'éternel & l'unique Bien
eſt le vrai Parfait, & qu'il ſurpaſſè tou
tes choſes par deſſus tout nombre &
toute meſure.

C H A P 1 r R E LVI. & dernier.


· I. Tout doit revenir à Dieu , & étre remis
en lui ſeul pour quiconque veut parvenir à
la vie vraiement intime.
2. Ce qui ſe paſſe dans cette vie-là ne peut
- s'exprimer ainſi qu'il eſt, -

3. Concluſion recapitulative. Dieu


ſeul doit obtenir tout dans l'homme.
4. Autre mot de recapitulation : 9)ue
l'bomme ſoit à Dieu ce qu'eſt la main à
, , l'homme. . 1 !

-;. Dervier avis.Se donner de garde de l'Eſ


prit de fauſſe liberté & de nonchalan
ce, qui s'empare de ceux qui préten
dent parvenir à la verité ſouveraine & au
vrai bien par uneautre voie que par la vie
· de jf. Chriſt. - l -

· ·· · · :: • I • Et
Germanique Chap. LVI. 191
I• E! par effet , ſi ce qu'il y a de
meilleur eſt auſſi le plus aimé,
u'on y adhére,& qu'on le ſuive; il fau
§ néceſſairement qu'on aime par
deſſus toutes choſes & uniquement le
Bien éternel & unique , que l'on ad
hére & ſetienne à lui ſeul, & qu'on
s'y uniſſe autant qu'il eſt poſſible.
Que ſi l'on eſt obligé d'attribuer &
de raporter tout bien à ce Bien unique
& éternel comme en effet , cela ſe
doit ſelon la juſtice & la verité, l'on
ne ſe pourra diſpenſer ſelon la juſtice
& la verité de lui raporter & attri
buer l'entrepriſe ou le commence
ment, le progrés , & la fin ou l'ac
compliſſement de tout : & on les lui
rendra méme ſi pleinement & ſi uni
verſellement, qu'il ne reſtera plus nul
bien pour l'attribuer à l'homme & à la
créature.
Et c'eſt abſolument ainſi qu'il faut
que les choſes aillent dans la verité,
diſe & chante autrement qui vou
dra.
Voilà encore comment l'on par
viendroit à une vie vraiement inti
DI]6:,

2. Declarer maintenant ce qui de


ſormais arrive à ceux qui en ſont ve
nus-là, ce qui ſe paſſe avec eux, ce
qu1
192 . · La Theologie
qui leur eſt revélé, & comment on y
vit, (a) c'eſt-ce que ni vers, ni proſe
ne ſauroient exprimer : auſſi n'a-t'il
jamais été ni prononcé de bouche, ni
penſé de cœur , ni connu tel qu'il eſt
ſelon la vérité. ..

•• • •. • - "
Concluſion.
• - » •

3. Ce long diſcours , qu'on vient


de rediger par écrit, revient en peu
de mots à faire voir en quel état doi
vent étre les choſes ſelon le droit &
dans la verité; & comme quoi il ne
devroit y avoir dans l'homme rien qui
s'attribuaſt & s'appropriaſt quelque
choſe; rien qui vouluſt, qui aimaſt,
qui penſaſt ou qui jugeaſt dans lui 4 ſi
non Dieu ſeul , l'unique Divinité,
l'éternel, le Parfait & l'unique Bien.
Que ſi dansl'homme il y a , outre le
Bien éternel, quoique ce ſoit qui s'at
tribuë , qui veüille, qui eſtime , qui
deſire quelque autre choſe, c'eſt plus
qu'il ne faut, & c'eſt manquer.
· 4, Autre parole de recapitulation.
Si l'on peut venir à ce point que d'é
· tre à Dieu ce que la main eſl à l'hom
me , qu'on s'en tienne-là, ſans vouloir
étre quelque choſe de plus.
- Et en verité il n'y a rien de plusjuſte.
Toute créature doit cela à Dieu, mais
" , - par
, (a) Sºpr, Chap. 21. n. 2.
Germanique Chap. L V I. 193
particuliérement les créatures intelli
gentes , & ſur tout , l'homme.
Retenez dans ce mot raccourcy
tout ce que vous avez lû avec plus de
deduction juſqu'ici : & pour dernier
avis , n'oubliez pas la remarque ſui
Vante.

5. Lorſque l'homme a pouſſé ſon


progrés ſi avant, qu'il penſe enfin &
qu'il lui ſemble d'étre parvenu juſ
qu'au point qu'on vient de marquer ,
c'eſt alors qu'il eſt temps d'étre bien ſur
ſes gardes , que le Démon ne vienne
entreſemer ſa cendre infernale , fai
ſant que la nature cherche & prene
· ſur ceia ſon repos , ſes aiſes , ſa paix &
ſes accommodemens, & qu'elle don
ne entrée à une folle liberté ſans joug,
& à une folle nonchalance , qui ſont
des choſes entiérement étrangéres à la
vraye vie divine, & tout-à-fait éloi
gnées d'elle.
Et ceci arrive à celui qui n'a pas
voulu & qui ne veut pas aller par la
droite voye , ni entrer par la vraye
porte, qui eſt J. Chriſt, ainſi qu'il a
été dit ; & qui s'imagine qu'il poura
bien venir autrement ou par une autre
voye à la Verité Souveraine ; ou qui
croid y étre déja parvenu avant que d'y
étre pourtant parvenu effectivement.
Et c'eſt ce que verifie ce temoignage de
l J. Chriſt :
194 La Theol. Germanique Chap. LVI.
J. Chriſt : Quiconque veut entrer au
trement que par moi, n'entrera jamais
bien , & ne viendra jamais à la Souve
raine Verité;mais il eſt larron & meur
trier.
Dieu nous faſſe la grace de ſortir de
nous-mémes, de mourir à nôtre pro
pre volonté, & de ne vivre plus que
ſelon ſa volonté divine, par le moyen
de celui qui ayant abandonné ſa volon
té à ſon Pére celeſte, vit & regne éter
nellement en l'unité du S. Eſprit dans
la trés-parfaite Trinité, Amen !

Fin de la Theologie Germanique.

T RA IT
T R A I T T É
| : . :D U : ii ..

R.. 'ETABLIssEMENT
\ « ' i.iºº : i ) , , ,
: D Es - ·
L' H O M M E
| Par la PUIssANCE, la JUsTICE, &
la MISERICoRDE de DIEU.
-
- - + T #
- º - º-;. --
• -

1. S. Pier: Ch. 2 : vers 24.


7. Chriſta porté nos péchés en ſon
corps ſur le bois de la croix , afin
qu'étans morts au péché nous vivions
à la ?uſtice.
: }4 ]/ C) H ,I

3 .. a barre , i ,i , gnv , 221u : º :


| | | | | :: · · · · · · ·
!
-

| -- . -- * 197
· | T R A I T, T È -

| | D U
· RETABLISSEMENT
"! )! _) ,

-Par la PuissAsce, la JusTrce , &


la MIsERicoRDE de DIEU.
-- tſn ij | ^ >tº ºffi n1 , (, · · ] : - - º -

:i " ti cii ) | | | | | e- .
2 .2.C. H A P2 E T R E : I. 2i
• • , '1- | : | " . # | | | | ! "
- 1.. Dieu creant l'homme par ſa Puiſſance le
, fit bon, droit , lumineux , & heureuſement
| vivant. , • --
- 2. La Puiſſance l'ayantſoumis à la Juſtice,
- il devient tranſgreſſeur & digne de mort.
3. La Parole de la Puiſſanceſe livre à la mort
pour par ſa Miſericorderetablir l'homme
en ſa premiere place. · · -

4 Cette place n'eſt pas celle de la viétoire,


mais du combat, & le commencement de la
, voye étroite. . , . -

5. La nature de la delivrance qu'a ameiné la


, Miſericorde , eſt de nous remettre ſous le
| Sceptre de la #uſtice ſur peine de nouvelle
mort pour les tranſgreſſeurs.
1.TYIeu (qui ſoit beni éternellement)
fit au commencernent l'homme a
198 Du Retabliſſement
ſon image & le créa , à ſa propre reſ
ſemblance, comme étant Pére, Fils,
& S. Eſprit : & ainſi l'homme devint
ame, eſprit ſoûmis, & chair.
. Ici furent manifeſtées enſemble la
Puiſſance,. la Miſericorde, & la Juſti
ce de Dieu. ---- = -
· Et en premiér)lieu la Puiſſance, par
laquelle tout fut fait : car toutes choſes
procedérent de la bouche du Tout
puiſſant, qui les fit toutes bonnes &
droites : tout étoit méme vie & lumie
re; puisque Dieu méme n'étoit autre
choſe, & partant ne pouvoit rien faire
que comme il étoit lui-méme., ,
" 2. Dieu fit donc l'homme bon : &
· enſuite il lui donna un commandement
avec declaration de ne le pas tranſgreſ
ſer, ou qu'autrement, en cas qu'il ne
- l'obſervaſt pas, il devroit mourir. Re
· marqués bien cette verité. ·
Ce fut la Puiſſance, laquelle avoit
fait l'homme, qui lui donna ce com
mandement : & par là l'homme fut é
tably ſousla fuſtice : de ſorte qu'en cas
qu'il fiſt bien , la Juſtice n'avoit rien à
lui reprocher : - - -

Maisl'homme étant venu à tranſgreſ


ſer, & la Juſtice neanmoins devant
demeurer juſte & agir juſtement, ſans
• égard ni acception de perſonne, elie
jugea & declara l'homme étre perdu,
{ i puis
de l'Homme Chap. I. I 99
puis que la Puiſſance avoit dit qu'il
mourroit en tel cas. Et partant, afin
que la Puiſſance demeuraſt veritable,
& la Juſtice juſte, l homme devoit pe
rir. -

3. Alors intervint la Parole , par


l'entremiſe de laquelle la Puiſſance a
voit fait l homme. C'ette Parole vou
loit ſauver ſa Créature & la delivrer de
la mort : mais néanmoins la Puiſſance
devoit demeurer veritable , & la Juſti
ce juſte. -

Alors la Parole, le Createur, eut tant


d'arnour pour ſa Créature , que pour
elle il voulut bien s'abandonner &
ſe ſoûmettre à la juſtice, & s'en laiſſer
juger : car il vouioit reſtituer à la Puiſ
ſance ſa Créature toute libre , comme
il l'a fait auſſi , louanges en ſoient ren
dues à ſa grace & à ſa charité ineffable.
Et par effet, afin que la créature fuſt
delivrée, & rétablie en liberté, il falloit
que le Créateur ſe conſtituaſt lui-méme
homme reſponſable à la juſtice : car
Juſtice devoit faire juſtice. -

Alors la Juſtice frappa de mort la


Parole, ou le Créateur, aux yeux de
la Puiſſance : l'un des deux [ l homme,
ou la Parole qui ſe ſubſtituoit pour lui |
devant ſubir la mort ; puis que la Puiſ
ſance avoit prédit que la tranſgreſſion
attireroit la mort. . - -

I 4 La
2OO Du Retabliſſement
La Juſtice ayant ainſi frapé de mort
la Parole aux yeux de la Puiſſance, la
Puiſſance demeura véritable,& la Juſti
ce juſte; & alors fut retabli l'homme
en ſa premiére place, laquelle il avoit
lors qu'il fut créé & avant qu'il eût pe
ché ; & cela , par la grace de la Miſeri
corde, ſon Créateur, qui dût ſubir la
mort pour lui en cas qu'il deuſt redeve
nir libre : puis que la Juſtice, comme
on vient de le dire , devoit demeurer
juſte.
4 Or maintenant, c'eſt à chacun à
ne ſe pas méprendre en s'imaginant,
que la Parole ou le Verbe de Dieu ait
reſtitué l'homme ſi avant, que de l'a
voir aproché juſqu'au devant de l'arbre
de vie avant quel'homme méme ait de
ſa part combattu & remporté la victoi
re. Non certes, mes amis : & j'en
fais bien l'épreuve chaque jour dans les
combats que j'ai à ſoûtenir. Mais voi
· ci ce qui en eſt dans la verité.
La Parole ou le Verbe de Dieu a
bien pris à ſoi & ſur ſon compte nos
tranſgreſſions; mais non pas nos com
bats & nos victoires. Il nous remet
proprement[de la Captivité d'Egypte]
dans le deſert, dans le parvis du Tem
ple, dans la voye étroite, dans le pre
mier pas & degré pour al'ervers l'arbre
de vie & pour tendre au repos & vers
- le
de l'Homme Chap. I I. 20 I
le lieu Trés-ſaint : mais c'eſt alors que
ſe commencent tout de bon les cqm
.bats capitaux entre la ſemence de la
femme & celle du ſerpent , comme
auſſi entre le ſerpent & la femme. .
Li. 5. Car voici la nature de la deli
vrance que la Miſericorde nous a pro
curée; c'eſt qu'elle nous a racheté; &
iremise libres devant & ſous la Juſtice,
lafin que deſormais nous ne la rejettions
- plus,que nous ne ſuivions plus les con
ſeils & les ſuggeſtions du ſerpent , &
rque nous ne nous rendions plus I'ranſ
greſſeurs : autrement , la Juſtice nous
lferoit mourir tout de nouveau , com
•me il ſera declaré dans la ſuite. : | |

- - C H A P 1 T R E I I. .

: I. Le Verée étant vie & lumiere , a vaincu


la mort & les tenebres, & retabli par ſa
Miſericordel'homme libre devant la fuſtice.
2. Dans le retabliſſement, la Miſericorde
agit la premiere ; & remet l'homme devant
la Juſtice dans le parvis du Temple.
- 3. Qu'alors il faut combattre le mal qu'on
, decouvre dans ſoi , & qui ne nuit pas quand
on le combat bien.
4. Au contraire , il ſert alors à la connoiſſan- .
ce de nous memes, a la glorification de Dieu»
& à l'imitation de jeſus Chriſt.
^I 5 " I. Con
2tz Du Retabliſſement
, · · : ... : # # , .
I. nſiderons donc comme il faut
nôtre Chef & nôtre Conduéteur,
J E s u s C H R 1 s T. Le verbe , ou la
Parole, qui nous a rendus libres, étoit
la vie, iſſu qu'il étoit de la bouche du
· Pere : ilétoit vie & lumiére. .
* Cette vie & cette fumiére fut envi
ronnée de mort & de ténébres (qui
· ſont le peché, ) & cela , parce qu'il
vouloit affranchir ſa créature par de
vant la juſtice. . , · · ·· ' .

· · S'étant chargé du peché ou de la


mort de ſa créature , comme il é:oit
lui-méme la vie, iſſue de la bouche du
Pere, il avoit auſſi lui ſeul le pouvoir
detenir ferme, & de remporter la vic
toire ſur la mort & ſur le Diable. Et ce
fut alors que la Miſéricorde ſoûtint
toute ſeule le combat , & que la lumié
re combattit contre les tenebres, & la
Juſtice contre le peché. . · .
Le Verbe combattantainſi avec fidé
lité , la vie vainquit la mort, & anéan
tit la puiſſance qu'elle avoit acquiſe par
la tranſgreſſion d'Adam. ·
Ainſi la vie redevint libre , & ſe pre
· ſenta devant la Puiſſance & la Juſtice,
revetue de la liberté qu'elle avoit eüe
auparavant,& méme avant que le mon
de fuſt fondé. Et cela étoit bien juſte.
Auſſi la Juſtice ne pouvoit y contre
- * dire :
de l'#omme Chap. I I. 2o3
dire : car le Verbe diſoit : (a) j'ay tout
pouvoir de ſauver f'ai preſſé ſeul le preſſoir ,
& perſonne ne m'a aſſiſté. .
Si bien que la juſtice deut confeſſer
que le Verbe, ſon procedé & ſa préten
tion étoient juſtes; & par là nous a
vons recouvré la premiere juſtice, Car
il avoit obſervé & fait juſtice, & vain
cu la mort par la vie, ainſi que nous
auſſi devons le faire voir dans nous par
la foy & cn effet.
Le Diable perdit ainſi les dépouilles
qu'il avoit remportées ſur Adam ; & la
Miſericorde avec la Juſtice reconnu
rent & declaiérent le Verbe Seigneur
ſur toutes choſes ; puis qtie tout ce qui
fut fait dés le commencement , ayant
été fait par lui , a été auſſi rétabli &
maintenu par lui. -

2 Ces choſes étant ainſi , il paroit


que c'eſt à la Miſericorde d'exercer la
premiére ſon office , & d'avoir la pré
férence & le premier pas dans le réta
bliſſement de tous les hommes avant
que la Juſtice ſurvienne. Et cet office
de la Miſericorde eſt , de remettre tous
les hommes devant la Juſtice libres de
tout domage, ou de tout le demerite
en conſideration de quoi Adam devoit
mourir. - -

Auſſi diſſimule & oublie-t'elle le


| . - 1 temps
Iſ. 6 : 1 , 4
2.O4 Du Retabliſſement
temps de l'ignorance , de ſorte que
Dieu ne veut point ſe ſouvenir de
tout ce que nous avons fait quand nous
étions dans l'Egypte , c'eſt à dire, dans
l'état de l'ignorance & destenebres, &
avant que nous euſſions la connoiſſan
ce de la Miſericorde.
Comme l'Egypte (ainſi qu'elle le re
connut elle-méme) fut autre-fois ſe
courue & conſervéé par la connoiſſan
ce & par l'avû de la Miſericorde, (qui
étoit la Bonté & la Sageſſe de Joſeph : )
le méme fait la Bonté de Dieu par ſa
Miſéricorde » en remettant dans la li
berté tous ceux qui y ont recours, &
les plaçant dans le parvis du Temple,
comme on vient de le dire.
3. Et alors nous découvrons dans
nous , que lors que ncus voulons le bien , le
mal ſe trouve attaché à nous , je veux dire ,
que la chair a des deſirs tous contraires
à ceux de l'Eſprit , & que bien loin de
vouloir étre ſupprimée, elle veut qu'on
l'exalte : Mais les bonnes ames ſont
bien éloignées d'accomplir en choſe
qui ſoit la volonté de la chair , ou de
faire ce qui eſt mauvais.
Et en ce cas , encore bien que le
mal ſoit ainſi attaché a nous un longeſ
pace de temps , cela neanmoins ne
nous peut nuire , pourvû ſeulement
que nous n'y conſentions pas , qu'il
Il0tlS
de l'Homme Chap. I I. 2o5
nous ſoit à contre-coeur , & que nous
y reſiſtions : car à la fin il ſera vaincu
& ſurmonté dans la victoire du Nom
& de la Puiſſance de Jeſus Chriſt ,
duquel nous recevrons alors la premié
re couronne de la vie & de la juſtice,
ſelon l'eſpérance & la pleine aſſurance
dont nous nous glorifions dans la ve
rité.
4. Et partant il nous eſt trés-utile
d'étre quelques-fois aſſaillis du mal &
mis à l'epreuve, afin que le fonds de
nos cœurs paroiſſe alors à decouvert
devant le Seigneur & devant l'eſprit
malin , à la loüange de nôtre Dieu ,
beni éternellement , qui nous aura
donné la victoire par jeſus Chriſt.
C'eſt dans ces épreuves que com
mencent les combats au vrai Serviteur
de la méme maniére qu'il en eſt allé a
vec le Maitre qui nous a précédé.
Et comme le Maitre y a marché le
premier, c'eſt bien auſſi au ſerviteur de
le ſuivre avec fidélité.

C H A P 1 T R E II I.
I. L'homme remis dans le commencement de
la voye de la fuſtice, & venant à tranſ
greſſer parignorance , a pour propicia
toire la Miſericorde.
I 7 2. Lºs
2o6 · Du Retabliſſement
2 Les tranſgreſſeurs par connoiſſance re
, tombent ſous le reſſort de la Juſtice.
3. La Miſericorde quºi qu'elle ait apaiſé la
Juſtice pour les tranſgreſſions paſſées , ne
l'a pas detruite eu egard aus tranſgreſſions
ſuivantes & de connoiſſance.
4. Pourquoi le Diable & les hommes veu
· lent bien entendre parler de la Miſericor
de; mais pas de la Juſtice.
5. Connoitre la Juſtice eſt unegrace du Tout
puiſſant.
I. Cºmme les limites que Dieu a
- préſcrires aus hommes pour ne
les pas outrepaſſer, ne ſont pas ſi bien
connues au ſerviteur ainſi qu'au Mai
tre dans ce deſert où nous ſommes; il a
plû à Dieu que le ſerviteur venant à les
outrepaſſer par ignorance, & à ſe mé
prendre par erreur, nous ayons pour re
méde & refuge un Propitiatoire & un
Throne de grace, lequel eſt celui de la
Miſericorde.
2. Mais que chacun ſe donne bien
de garde de devenir tranſgreſſeur par
connoiſſance & avec deſſein : Car
nous ſommes remis & rétablis ſous la
Juſtice : & Juſtice doit neceſſairement
faire juſtice , ſans acception de per
ſonne.
Car comme la Juſtice fit ſon devoir
& ſon office en envoyant la Miſericor
de
de l'Homme Chap. III. 2o7
de à la mort , de méme la Miſericor
de s'eſt acquité de ſon office en nous re
· mettant dans la vie & dans ſa vraye
, connoiſſance Et aprés cette fonction
· de ſon office , elle ſe retire à l'écart,
| laiſſe revenir la Juſtice , & lui permet
de reprendre ſa juſte fonétion. Cette
: verité eſt bien remarcable. . .. , , , ,
: ' 3, La Juſtice doit donc demeurer &
• ſubſiſter. Car encore que la Miſeri
corde ait obtenu la viétoire, elle n'a
pas pourtant par là retranché la Juſtice.
- H ne faut pas non plus s'imaginer, que
· parce que la Juſtice a frapé de mort la
-Miſericorde par ſa juſte maniére d'a
·gir, la Miſericorde ait pour cela de
truit la Juſtice par ſa victoire. A Dieu
- ne plaiſe ! · · ,
· Car la Juſtice pour demeurer juſte,
-comme auſſi pour que la Puiſſance de
meuraſt véritable , devoit bien fraper
· : de mort le Verbe divin ; mais ſi la Mi
ſericorde euſt deu ôter & faire ceſſer
· les fonctions de la Juſtice , il auroit
fallu qu'avant cela toute injuſtice euſt
pris fin. | " , :

Sans cela, la Miſericorde auroit agi


injuſtement & auroit été cauſe de l'in
juſtice; & de noſtre coſté, s'il nous
étoit ainſi permis de devenir encore in
· juſtes, le Diable regaigneroit au centu
ple toutes les dépouilles qui lui avoient
été enlevées. 4. Et
2o8 . Du Retabliſſement
4. Et par effet , le f>iable veut bien
ſoufrir que !'on parle de ia Miſericor
de : mais il ne veut point entendre
parler de la Juſtice : car il ſçait bien,
que ſi l'on vient à connoître que la juſ
tice eſt encore vivante & ſubſiſtente ,
: cela ouvrira les yeux à ſes miſerables
eſclaves , qui voyant l'illuſion où ils
ſont, le quitteront & s'enfuiront de
· lui à la voix de la verité & à la vûe de
l'étendart de la Juſtice. Prenez y bien
garde. ' • • . -

Mais les hommes aveugles & igno


rants ne font que chercher juſqu'à cet
· te heure des Docteurs qui ne leur par
· lent que de la Miſericorde. C'eſt de
quoi ils entendent volontiers précher;
& leurs oreilles ſont charmées de piai
fir quand on leur chante, que la Miſe
· ricorde nous a rendus libres devant le
· throne de la Juſtice.
Mais d'ajoûter à cela, qu'en ſuite il
nous faut étre remis ſous le ſceptre &
le gouvernement de la Juſtice ; ils n'en
veulent rien ſçavoir ni rien ouïr dire.
Car ils voient bien , que s'ils devoient
revenir & demeurer ſous la Juſtice, il
faudroit qu'ils agiſſent & qu'ils vecuſ
ſent juſtement, ou que la Juſtice les
condamneroit de nouveau.
Et ainſi ils demeurent à terre (com
me l'on dit) entre deux ſelles : car fi
long
de l'Homme Chap. I [ I. 2o9
# long temps qu'ils refuferont le ſiége de
la Juſtice , ils n'auront pas non plus
l'autre : puis que tous deux reviennent
à un.
Auſſi s'il avoir été dans le pouvoir du
Diable de retenir & de cacher la Juſtice,
en ſorte qu'elle ne fuſt point connuc ;
il auroit enfin repris & retenu tout ſon
butin , à la face de la Juſtice. -

5 Mais louée ſoit la Toutepuiſſance de


ce qu'elle nous a fait connoître la fuſti
ce, & cela par la Miſericorde. Car c'eſt
par la Miſericorde que la Juſtice a été
connue, de méme que la Juſtice a mar
ché devant la Miſericorde. Si nous
n'avions rien ſçû de la Juſtice, nous
n'aurions pas obtenu la Miſericorde,
dans laquelle enfin , il nous faut cher
cher tout ; puis que tout eſt caché dans
elle, & que tout doit venir d'elle.

C H A P I T R E I V.

I. Aprés que la Miſericorde a remis


l'homme dans le commencement de la droite
voye » c'eſt en ſuite à la Juſtice à accom
plirſes fonctions : aprés quoi, elle rend tout
à la Miſericorde.
2. La Miſericorde ne ſauroit regner que la
Juſtice n'ait exterminé toute injuſtice de la
ferre.

3. Avant
2 1O Du Retabliſſement
3. Avant que d'entrer dans le ſiecie futur
de paix, de fuſtice & de joie, il nous faut
combattre l'injuſtice dans ce ſiécle de trou
bles c3 d'iniquité.
4. Trois ſortes de ſiecles ou de mondes. Le
troiſieme ſe conſtruit dés à preſent , & ſe
manifeſtera en ſuite en toute plenitude de
Dieu 3 ſans plus paſſer.
5. Etant venus de la Puiſſance ſous la Juſ
tice à la Miiericorde; il nous faut re
venir de la Miſericorde par la Juftice à
· la Puiſſance, nôtre Source & origine.
I, O Mon divin Pere , enſeignez -
nous à bien connoître vôtre juſ
tice, de peur que nous ne tombions
plus dans ſon Jugement ! Car la Juſtice
doit mettre ſousſes pieds la Miſéricor
de auſſi bien que tout ce qui eſt injuſte,
& cela avec Juſtice, puis qu'en effet
cela eſt juſte.
Quand cela eſt fait, la Juſtice a ac
compli ſa fonction : & alors elle livre
entre les mains de la Miſericorde tout
pouvoir & tout empire, puis que tout
a été ſauvé par Elle.
Alors tout ce qui ſe trouve droit &
juſte par devant la Juſtice, la Juſtice
l'abandonne volontairement & le laiſ
ſe en propre à la Miſericorde : & la
Miſericorde en devient Roy de Juſtice,
Roi regnant ſur tous les juſtes & ſur
tOuS
de l'Homme Chap. IV. 211
# tous ceux qui ont vaincu l'iniquité.s
# , 2. Mais ce divin Roi-là ne ſçauroit
# regner que premierement la Juſtice
n'ait arraché & exterminé toute injuſ
tice , & n'ait fait juſtice a l'injuſtice
méme en la condamnant & l'envoyant
à la mort : car (a) le loyer du peché, eſt la
· mort, de méme que (b) ſon pouvoir eſt le
commandement ; avec lequel comman
e dement la Juſtice vient ſe declarer con
tre l'injuſtice, de méme qu'elle fait voir
-par lui que les autresſe ſont comportés
-juſtement. . · · · · · , | |

2 : O mes chers freres, prenons à cœur


r de nous regler ſelon ces verités là : car
, c'eſt de ce chef que les enfans du ſié
, cle (c) ne pourront ſubſtſter dans le fugement,
ni les pécheurs dans l'aſſemblée des juſtes,º (d)
Un peu de levain aigrit toute la maſſe de la
· paſte : & partant , purifions nous du vieux
levain, afin d'étre trouvés ſans aigreur &
marchans irreprehenſiblement dans la
: lumiére devant la Juſtice : car alors
: toute injuſtice ſera entiérement exter
: minée de la terre ; le vieux Monde
, d'+ ſau ſera retranché , & le nouveau
. Monde de Jacob viendra prendre ſa
place. - - , ,

3. Et alors commencera en toute


| --- : - - - · · maniére
(a) Rom. 6 : 23 (b) 1 Cor. 15 : 56.
(c) Pſa m. I : 5. (d) : 1 Cor, 5 : 6.
212 . . Du Retabliſſement. »
maniére & parfaitement nôtre vraye
exaltation; nôtre vrai plaiſir paroîtra,
& n'y aura jamais plus de douleurs ,
ſuivant cette parole de Jeſus Chriſt ,
(a) le deuil ni les peines ne ſeront plus dans
ce nouveau Monde, ºr : ' · : ·
Cela veut dire, que nous trouverons
alors en Jeſus Chriſt la paix & la vie
tout purement; au lieu qu'en ce mon
de nous devons y ſouffrir beaucoup
d'angoiſſes dans notre chair : puis que
quiconque veut poſſeder le Monde fu
tur de Jacob, doit premierement habi
ter le fiécle preſent d'Eſau , doit dans
le temps ſe ranger ſous la baniére de la
Miſericorde, & y combattre de telle
ſorte , qu'il puiſſe ſubſiſter devant la
Juſtice , ainſi que Jacob combattit d
temps d'Eſau. : º '
4 Comme le premier Monde étoît
contenu dans le Paradis; le ſecond dans
l'Arche de Noë ; auſſi l'étoit le troiſié
me dans le Tabernacle de Moïſe, mais
en figure, & d'une maniére cachée :
Et c'eſt-celui que Jeſus Chriſt , qui eſt
la voye , la verité & la vie , eſt venu
mettre à nud & en evidence : dés a pre
ſent il ſe conſtruit réellement d'une
maniére ſpirituelle ; mais en ſon pro
pre temps il s'élevera & ſe manifeſte
- - I2

(a) Apoc. 21 : 4. » -
de l'Homme Chap. IV. 213
ra avec force & puiſſance, & ſubſiſte
ra ſans paſſer.
Ce ſera alors que la Miſéricorde ſera
Roi ſur les juſtes en toute ſa force [&
ſon étendue ] comme on vient de le di
re. Alors tout ſera remis en ſa droitu
re; & la Miſericorde livrera le tout à
la Puiſſance, puis que c'eſt la Puiſſan
ce qui a fait toutes choſes. Enfin Dieu
ſera alors tout en tous ; & à lui ſoit
l'Empire & la loüange d'éternité en é
ternité. Amen. . º . "

5.La.Puiſſance produit la Juſtice ;


& la Juſtice a fait paroître la Miſeri
corde. La Puiſſance donne le com
mandement, & par le commandement
nous met ſous la Juſtice : & de la Juſti
ce nous venons ſous la Miſericorde.
Ainſi donc nous ſommes premiére
ment venus de la Puiſſance à la Juſtice ;
& enſuite , de la Juſtice ſous la Miſéri
corde. Maintenant il nous faut re
brouſſer vers nôtre ſource par la Miſe
1icorde, qui retablit toutes choſes : Et
de la ſorte , nous retournons de la
Miſericorde par la Juſtice à la Puiſ
. La Miſericorde nous remet libres
dans le parvis du Tabernacle : par la
Juſtice nous arrivons au lieu Saint » où
la méme Juſtice nous ſervant de té
moin devant la Puiſſance , elle nous
- · -· · - place
-
2 I4 Du Retabliſſement , -

place dans le lieu Trés-ſaint, pour y vi


vre éternellement avec Dieu. -

· A quoi nous veuille aider le vray &


le ſeul Dieu du Ciel, le Pére de la gloi
re, par ſon Fils Jeſus Chriſt. Amen !
-N'oubliez pas ces importantes verités.
- lº ! - s

|
-- *-**
CG H, · A3 P · 1 · T · R· E· · · V.
· · ·· ·
-

1. $uan#le pur & parfait Amour vien


dra, ceux qui en ſeront doiié ſeront prefé
, rés aux ames ſerviles & mercenaires. .
2. Tous doivent s'acquiter en temps de leurs
· devoirs , pour étre trouvés en charité &
- écrits dans le livre des élus de Dieu.
3. Grandes é preuves qu'il faut foûtenir avec
fidelité & perſeverance; & grande gloire &"
recompenſe qui les ſuivra. . -

I. E# quand le parfait Amour ſera


- venu, de maniére que rien ne ſe
faſſe & ne ſe laiſſe plus par la crainte, a
lors vivront les cœurs, ſans plus mou
rir; & étant animés de l'Eſprit du Re
nouvellement de ce temps heureux ,
ils ſe glorifieront en Jeſus Chriſt avec
des lévres pures & ſans mélange de
crainte, & ſe nourriront des fruits de
ce ſiécle futur dans le Paradis de Dieu.
. Et ce ſontlà les vrais élus, les ames
bien-aimées , chéres & agréables au
- Seigneur
de l'Homme Chap. V. 2 15
Seigneur preférablement aux autres :
Ce ſont la fleur & les choiſis de Jacob,
les Elus de Dieu pour lui étre à Epou
ſes, à plaiſir , & à vie éternelle.
Les derniers , qui entreront avec
contrainte , ſeront moindres que ces
premiers, ſelon la parole du Cantique :
(a) Il y a ſoiſante Reines, quatre-vingt autres
femmes , & des vierges ſans nomére. Et
ailleurs : (b) Benite ſoit l'Egypte mon peuple ,
& Aſſur l'œuvre de mes mains , & Iſrael mon
heritage. Et encore, L'un dira, je ſus
au Seigneur , & l'autre ſe glorifiera du nom
de 7acob, & le troiſiéme écrira de ſa main,
7e ſuts au Seigneur, & ſe ſurnommera du nom
d'Iſraël. L'un ſera dans le parvis, l'au
tre dans le lieu ſaint, & le troiſiéme
dans le lieu trés-ſaint : mais tous doi
vent étre trouvés travaillans conſtam
ment & tout de bon dans la foi & dans
une bonne volonté avec plaiſir & ar
deur. Souvenez vous de ces verités.
2. Cela ſoit dit en generaltouchant
cette ſainte vocation , afin que chacun
s'acquitant de tous ces devoirs en leur
vrai temps , ceux qui à la fin ſeront
trouvés dansl'accroiſſement d'unecha
rité opérante & victorieuſe, ſoient é
crits dans le livre des élus ſinguliers &
des plus cheris du Seigneur.
| - - Car
(a) Cant. 6 : 8. (b) Iſai. 19 : 25. Et
chap. 44 : 5. -
2 16 Du Retabliſſement
Car je vous déclare que ce ſeront
ceux-ci qui ſeront ſon Epouſe, chair de
ſa chair & os de ſes os; une Epouſe
toute éclatante de lumiére,toute pure,
toute ſainte, ſans ride ni tache , de
méme que ſon Seigneur : victorieuſe,
& triomphante aprés avoir eſſuié tout
combat : enfin , digne d'étre placée
au lieu trés-ſaint & dans le centre de la
vraye vie. Prenez y bien garde.
| 3. Ces élus-là, (a) ſont les épurés dans
le creuſet de l'affiiction & dans la fournaiſe de
'abaiſſement : Ils y ont été en effet épu
rés pleinement , éprouvés pluſieurs
fois par le feu, & entiérement purifiés
ni plus ni moins que de l'or & de l'ar
gent. Auſſi y en a-t'il peu qui ſoute
nans cette épreuve avec fidelité y perſé
verent juſqu'à la fin. Cependant heu
reux & ſaint eſt celui qui endure juſ
qu'au bout, qui combat , & qui rem
porte la victoire: car ils ſeront la fleur
& les choiſis de Jacob , la Cité bien ai
mée de Dieu , la Sion, la Jeruſalem ,
la montagne & le Temple du Seigneur,
Temple qui ne ſera bâti que d'or & de
pierres choiſies & précieuſes, & dans
lequel les autres bien-heureux habite
ront , vivront , & ſe rejouiront en
Dieu par Jeſus Chriſt.
Ce ſont les (b) Prétres-Rcis qui regne
y'c77f

(a) Iſa. 48 : 1o, (b) Apoc. 5 : 1 c.


de l'Homme Chap. V. 2 17
ront ſur toute la terre lls recoeilleront du
fruit au centuple lors que les autres en
auront ſoiſante, & d'autres trente pour
un. Ils occuperont les premiéres pla
ces comme étant les premiers fruits de
l'Eſprit, les premiers-nés , les enfans
de la promeſſe, choiſis comme Juda
& Ephraïm , benis & gratifiés du Pére
commeBenjamin par une portion cinq
fois plus groſſe, honorés méme de lui,
qui leur aſſujettira toutes choſes par Je
ſus Chriſt , auquel ils ſeront rendus
conformes comme étant devenus ſa
Royale & bien-aimée Epouſe. Auſſi
ont-ils travaillé le plus en charité, &
ſont (a)venus de la grande tribulation. En
fin ce ſont les cent quarante quatre mil
le Vierges pures & immaculées dont le
cœur eſt purifié & nettoié de tout deſir
& de tout plaiſir de la chair. Prenez
ces verités à cœur.

(a) Apoc. 7.


ſy

K L ET
LETTR E
Sur la

REGENERATION.
2,2 t

L E T T R E
D'une fille à une femme mariée
(Iſabelle de Wardenbourg)
Sur la

R E G E N E R A T I O N.

SO M M A I R E.
1, 2 , 3. Dans la méconnoiſſance où
l'on eſt de ſes propres miſéres , de ſon état ,
cé du Liberateur , le meilleur eſt de ſe ren
dre entierement entre les mains de Dieu :
4. qui nous prend à ſoi , & nous touche
de ſes lumiéres & deſon amour ſenſi
bles; 5 , 6. & puis les retire; 7 , 8.
& nous découvre nôtre fonds tenebreux
& ſouillé: 9 , 1o , 1 I. pour nous en
delivrer par l'entremiſe de ſes ſouffrances,
de ſon amour , & de ſa grace : 12. mo
iennant adherer fidelement à lui & à ſon
amour » qui eſtfidele, infini , cº incom
prehenſible ; 13 , 14, 15 , 16 , 17.
Qui voulant venir demeurer dans
l'homme , veut auſſi le purifier &% le
delivrer du peché par la foi en lui & l'hu
milité : 19, 2o, 21. y renouvellant un
Amour tout-pur &Kdeſintereſſé,
3
qui
fait
2 22 Lettre ſur
fait mourir la corruption de la nature :
22 , 23. Choſe que Dieu execute par ſon
grand & puiſſant Amour : 24 , 25.
Lequel enſuite derive ſans ceſſe dans l'ame
- ſes effets de charité, comme auſſi d'hu
milité & de ſouffrances : 26. A quoi la
garde de ſoi-méme nous ſert mieux
d'introduction, que l'étude des connoiſſan
ces les plus hautes & les plus recherchées.

Ma trés-chére & bien-aimée amie


en Dieu ,

I. Le cœur me dit de vous écrire


un peu ; mais je ne ſcay ce que je
dois vous écrire. Je m'en vay nean
moins mettre la plume ſur le papier,
dans l'eſperance que Dieu me fournira
telle matiere qu'il lui plaira. J'aprends
ma chere amie, que vôtre ame ſe trou
ve atteinte de quelque triſteſſe par la
découverte que vous faites de vos pro
pres miſéres. O que loüé ſoit le Sei
gneur, de ce qu'il ne ſauroit deſiſter
d'accomplir ſon divin ouvrage dans
vous ! car c'eſt à cela que vonttous les
moiens tant exterieurs qu'interieurs
dont il ſe ſert envers vous; & c'eſt à
quoi auſſi ont contribué les grandes é
preuves que vous avez ſoûtenues juſ
qu'ici par ſon aſſiſtance divine.
2. Pour
la Regeneration. 2.2.3
#! 2. Pour ce qui me regarde, toute
indigne que je ſuis, j'ay ci-devant prié
ſouventes-fois le Seigneur avec bien
des larmes, qu'il me fiſtla grace de me
faire connoître ce que je ſuis de moi
méme. Sa grande charité voulut bien
exaucer mes ſoupirs : mais de dire ce
que je découvris par là au dedans de
moi, comme il n'y a que moi ſeule qui
l'ait bien ſenti, auſſi n'y a t'il que moi
ſeule qui le connoiſſe bien : mais je
puis dire , qu'avant cela , je n'avois
point de vraye connoiſſance de mon
propre etat.
3. Je m'étois perſuadée auparavant
d'avoir beaucoup de zéle pour la gloi
re de Dieu , & d'étre bien inſtruite
dans la foi & dans la connoiſſance de J.
Chriſt. Mais par la direction de Dieu,
certaine perſonne à vous bien connue,
& qui avoit de l'affection pour mon a
me, me déclara un jour , que je ne
croiois pas que J. Chriſt fuſt un Re
demteur qui puſt me delivrer & me
rendre libre de mes pechés & defauts.
C'étoit environ ce temps-là que je
commençois à étre en peine de moi :
& comme je ne me connoiſſois pas en
core moi-méme, ce m'étoit un langa
ge bien étrange & inconnu que d'en
tendre dire, que je n'avois pas encore
la vraye foy, " Mais
·K 4
on ſe contentalors
a
224- Lettre ſur #
lors de me conſeiller ſeulement, que
je m'offriſſe toute à celui qui ſeul pou
voit me rendre libre ; & qu'avec le S.
Patriarche Jacob, je ne deſiſtaſſe pas
de combattre avec priéres & larmes
que le Seigneur ne m'euſt exaucée. Ce
conſeil me ſembla trés-bon : car je
voyois fort bien que la voyed'invoquer
le Nom du Seigneur ne pouvoit étre
une voye de tromperie. Et ainſi, ſans
differer d'avantage à m'y rendre , je
m'abandonnai ſoudain toute entiére
par ſa grace entre ſes benites & pater
nelles mains, afin qu'il fiſt de moitout
ce qu'il lui plairoit.
4 Ce bon Seigneur acceptant dés
le moment cette oblation de moi-mé
me, daigna me toucher tellement de
ſon divinamour, que je devinstoute
embraſée de ſon ardeur. Je me reſolus
de ne plus faire cas deſormais que de
lui ſeul , & de le prendre pour mon u
nique affaire. Je ne voulus plus em
ployer toutes mes puiſſances qu'à
l'honorer & à le ſervir. Il me ſembloit
d'étre toute préte , & de tout mon
cœur, à le ſuivre par telles voyes qu'il
lui plairoit me conduire. Nulles croix
ne me paroiſſoient trop péſantes; &
mon amour me les faiſoit embraſſer
toutes au dedans mon cœur. Je lui di
ſois amoureuſement : Entreprenez
moi »
la Regeneration. 225
moi, Seigneur, & ne m'épargnez nul
lement : me voici devant vous, met
tez la main ſur moi. Je laiſſois le mon
de étre monde ſans m'en ſoucier da
vantage. . Mon cœur me paroiſſoit
trop noble pour étre attaché à rien de
ce qui y eſt. Mon divin Amant m'é
-toit à ſi haut prix , que nulles des cho
ſes de la terre ne pouvoient plus me
toucher, Une ſeule choſe me ſuffiſoit ,
& c'étoit de pouvoir le ſuivre. Nulle
voye ne m'étoir trop difficile ; nulle
croix trop amére; nulles adverſités cn
· trop grand nombre ; & , pour tout
dire , j'étois préte à endurer joieuſe
ment toutes choſes avec lui. J'étois
contente de tout, pourvû ſeulement
que je le trouvaſſe. Je ne me ſouciois
ni de ma mere, ni du Ciel , ni de l'En
fer méme. On m'auroit pû offrir tous
les Royaumes du monde, je n'aurois
pas daigné d'y penſer ſeulement. Je
voulois bien étre denuée de toutes cho
ſes. Mon ſeul divin Amant m'étoit
aſſez. Je l'embraſſois doucement dans
mon cOeur par les bras de l'amour ; &
lui de ſon côté s'inclinoit amoureuſe
ment vers moi , & me faiſoit connoi
- tre que c'é oit lui qui étoit le vrai A
mant des ames. O l'admirablc & lc
ſingulier état où je me trouvois alors !
s'1l avoit pû paroitre & rejaillir au de
K 5 hors
2.26 Lettre ſur
hors , on auroit entendu d'étranges
choſes. Mais le Seigneur vouloit qu'il
demeuraſt renfermé & caché dans
mon interieur, parce qu'il y avoit en
core , quoi qu'à mon inſçu , quelque
choſe à redire au dedans de moi, Ce
pendant je demeurois ſi contente avec
mon Bien-aimé, que quand bien j'au
rois dû reſter avec lui toute ſeule quoi
que vagabonde dans des deſerts & des
lieux abandonnés, je ne l'aurois trou
vé nullement difficile.
5. Mais à peine cet état m'avoit il
duré un peu de temps , qu'en effet je
me trouvay meinée dans un deſert :
mais c'étoit le deſert de moi-méme : &
là je perdis celui que mon ame aimoit,
Cette perte me fut ſi intolérable ,
qu'outrée d'un amour furieux je cou
rois çà & là le chercher commetoute
inſenſée, mais pourtant ſans le trou
ver : car l'Epouss'étoit retiré: abſence
qui ſe trouve prédite par lui-méme
dans l'Evangile, lors qu'il dit , que (a)
le temps viendra que l'Epoux ſera ôté aux
ſiens ; & qu'alors ils jeûneront : Et la rai
ſon de cette abſence, il la declare en
ſuite, en diſant, qu'on ne met pas une
piéce de drap neufà un vieux vétement, fai
ſant connoitre par là, que le vieil-hom
me n'étoit pas alors encore mort, Auſſi,
(ajoûte
(a) Matth. 9 : vers 15.
la Regeneration. 227
(ajoûte-til) ne met on point non plus du vin
nouveau dans de vieux vaiſſeaus : ce qui
nous fait connoitre que premierement
les vaiſſeaux doivent étre purifiés, a
vant que le vin celeſte, qui doit y étre
verſé, y ſoit mis, & puiſſe s'y conſer
Ver.
6. Mais tout cela m'étoit caché juſ- .
qu'à ce que le Seigneur m'euſt intro
duit & fait voir dans mon intérieur :
& ce fut alors que je metrouvai dans
un état tout à fait deſolé ; que je me
reconnus toute pauvre , malheureuſe
& miſérabie ; & que je vis que mon
vaiſſeau étoit tout rempli d'ordures &
tout fourmillant de peohés. .. O quelle
ſurpriſe & quelle anxieté fut la mienne
lors que je vins à decouvrir que juſ
qu'alors je n'avois connu Jeſus Chriſt
que ſelon la chair ſeulement , & que je
ne l'avois poſſedé qu'avec proprieté ;
raiſon pourquoi il étoit neceſſaire
qu'il ſe retiraſt de moi ! mais , helas,
c'eſt ce que je ne ſavois pas encore, &
c'eſt pour cela que ſon départ m'étoit
tellement penible , que je nc ſavois que
devenir. Je m'en allois ſur les lieux
où j'avoisjoui auparavant de ſon aima
ble preſence : mais je n'y rencontrois
plus qu'horreur. Plus je le recher
chois, plus me trouvois-je moi-méme
avec ma miſére. Cela fit lieu dans moi
K 6 3
2.28 Lettre ſur
a une ſource de larmes bien ameres ; &
cette parole de Jeſus Chriſt à ſes diſci
ples ; (a) encore un peu de temps, & vous
rue verrez ; & puis encore un peu de temps , &
vous ne me verrez plus , fut verifiée à mon
égard. Les diſciples n'entendoient pas
cette parole : mais illeur en donna d'a
bord l'explication en leur declarant ce
qui leur arriveroit durant le temps qu'ils
me le verroient pas ; le monde , dit il, ſe re
jouira, & vous ſerez dans la triſteſſe & dans
l'affliction; leur faiſant méme entendre
qu'ils en viendroient juſqu'à des de
treſſes & à des anxietés pareilles à celles
d'une femme qui eſt dans les douleurs
de l'enfantement : mais ce n'eſt pas ſans
les conſoler , leur diſant là-méme :
Fous me verrez de nouveau, & vôtre cœur ſe
rejouira , c4 perſonne ne pourra vous ôter vo
tre joye. L'on trouve auſſi dans l'Ecri
ture quantité de lieux où il eſt parlé de
cette triſteſſe, auſſi bien dans les Pro
phétes que dans le livre des Pſaumes.
7. Cette triſteſſe procéde propre
ment de la connoiſſance qu'on a de ſoi
méme : Car dans cette connoiſſan
ce on trouve qu'il y a une extréme
diſſemblance entre Dieu & nous. On
y voit que nous ſommes directement
oppoſés à Dieu, & que nôtre fonds eſt
entierement corrompu, gâté, & †
ply
(a)Jean , 16 : 17-2o.
la Regeneration. 229
ply de toutes ſortes de maus & de malig
nités, tels que ſont la propre volonté ,
: l'amour de ſoi-méme, la vaine gloire,
|! le moi & le mien. Et c'eſt ainſi que je
trouvai dans moi le peché , la mort, ie
Diable, l'Enfer, lc monde , la chair ,
& toutes ſortes d'abominations & de
choſes damnables.
8. Repreſentez vous un peu quelle
fut alors la conſternation de mon eſ
prit. Elle étoit telle, que pour le dire
en un mot , ſi le Dieu des miſericordes
n'euſt attiré à ſoi par ſon amour infini
une auſſi miſerable créature que moi ,
je n'aurois jamais ôſé aller à lui, tant é
toit extréme la honte & la confuſion
où je metrouvois alors Preſentement
méme je lui dis encore quelques fois en
y penſant , Comment , mon Dieu ,
ai-je pû étre aſſés hardie que d'oſer
1 • vous offrir un tel cœur , un coeur ſi
impur, ſi gâté & ſi corrompu! He
las, je ne ſavois pas quc ma diſpoſition
fuſt ſi perdue avant que vôtre bonté
m'en euſt donné la connoiſſance ! Ce
pendant , que vôtre Saint Nom ſoit
loüé de ce grand & indicible bien-fait,
je veux dire, de ce que vous m'avez
découvert & fait connoitre la corrup
tion de mon état , & cela , pour m'en
delivrer. En effet, c'eſt de quoi vous
faites vôtre affaire unique & principa
K 7 le »
23o Lettre ſur
le, je veux dire, de travailler l'hom
me & de le rameiner pour cela au de
dans , à ſon propre interieur , afin
qu'il devienne capable de jouïr de
vous. Car les delices de vôtre cœur
ſont de demeurer avec l'homme ; &
vous ne pouvez y demeurer que le lieu
de vôtre demeure ne ſoit premiere
ment nettoié & purifié; puis que vous
étes letrés-pur, & que nulle impureté
ne peut ſubſiſter devant vous; que nul
ne ſauroit vous voir ſi premierement il
n'a le cœur pur, de ſorte que les plai
ſirs, l'amour des Créatures, la concu
piſcence & ſes deſirs, la propriété, le
mien , le moi » rien de tout cela , ne
doit plus s'y rencontrer, tout devant
étre mortifié & méme entierement
mort pour que nous puiſſions avoir
communication avec vous.
9. C'eſt auſſi pour cela méme que ,
vous nous avez ſi ſouvent invité, &
méme prié , que nous alaſſions vers
vous; afin que vous nous ſoyez Libe
rateur; que vous nous ſoyez Reſtau
rateur, Medecin & Sauveur. C'eſt
pour cela que vous avez quitté vôtre
gloire ; & qu'afin de rameiner les a
· mes perdues & exterminer le peché,
vous étes venu ſouffrir tant de peines
& ſubir tant de miſéres en ce monde.
O que le péché doit étre une choſe hor
rible
la Regeneration. 23 I
rible à vos yeux , puis qu'il vous a tant
coûté pour delivrer les ames d'un tel
mal ! O quelles amertumes de ſouffran
ces n'avez-vous pas endurées pourmon
ame ! O combien grande fut l'angoiſ
ſe intérieure qui s'empara de vôtre ame
lors que la ſueur en découloit de vôtre
benit & ſaint corps juſques ſur la terre
en forme de goûtes deſang ! O le puiſ
ſant & le penetrant Amour que vous
avez eu pour nos ames ! Par ce grand
Amour vous ne pouvez encore deſiſ
ter de faire & d'accomplir dans nous
vôtre ſaint ouvrage. Ceux qui mei
nent avec perſeverance une vie inté
rieure, le ſavent fort bien ; mais de
dire ce qu'ils en éprouvent , c'eſt ce
que nulle plume ne ſauroit décrire.
Que le Seigneur ſoit éternellement
loüé, honoré, magnifié de tout! Amen.
1o. Je viens , ma trés-chére Amie,
de vous dire quelque choſe de ce qui
regarde mon état : prenez le en bonne
part. Il me faloit un peu répandre
mon cœur dans vôtre ſein. Quoi que
je vous ſois abſente de corps , vous ne
laiſſez pas neanmoins d'étre dans mon
cœur. Je ſçay auſſi que le Seigneur ne
vous abandonnera point. Et encore
qu'avec le temps vous veniez à vous
trouver toûjours plus miſerable, méme
juſqu'à ne ſavoir plus que devenir n'en
ſoyez
232 Lettre ſur
ſoyez pas pourtant étonnée, ma bien
aimée , & ne deſeſperez point pour
cela de la Bonté de Dieu : car ce ſont
là les voyes par leſquelles il conduit ſes
amis de chois & ſes bien-aimés, & ſe ,
lon leſquelles il ſe ſert d'une infinité de
moiens pour nous faire venir à la con
noiſſance de nous mémes : & c'eſt en
core de la qu'on peut reconnoitre l'a
mour ſingulier qu'il a pour nous.
1 I. Je n'ignore pas, ma chére amie,
qu'il ne vous ſurvienne beaucoup de
croix & de ſouffrances : mais tout cela
vous tournera à bien. Le divin Amant
de vôtre ame ſaura bien diriger & mei
ner à bonne fin ce qui vous regarde.
Demeurez lui ſeulement fidelle juſqu'à
la mort;& lui,loin de vous abandonner
vous demeurera toujours fidéle. Vô
tre ame lui eſt chére & précieuſe, & il
la garde comme la prunelle de ſes yeux:
il la tient méme ſi fermement dans ſa
main , que perſonne ne ſauroir l'en
| arracher. Satan ni les hommes ne
ſauroient la bleſſer ni lui nuire en rien.
Vôtre Sauveur eſt vôtre defenſeur. Il
vous ſera bouclier & loyer trés-grand,
car il eſt l'amour méme ; & l'amour ne
ſauroit s'empécher de s'écouler & de ſe
communiquer. Je l'ai trouvé ainſi par
l'expérience : mais ma plume eſt inca
Pable de décrire cetamour inſigne qu'il
3
\

la Regeneration. 233
a témoigné à une créature auſſi indigne
que moi Que ſi le Seigneur a daigné
de faire un ſi grand bien à une créature
telle que je ſuis (& Dieu ſçait pourquoi
je parle de la ſorte,) que ne doivent
pas trouver auprés de lui ceux qui lui
ſont fidéles ?
12. Et partant remettez lui toutes
vos affaires, afin qu'il les conduiſe &
leur donne iſſue ſelon ſon bon-plaiſir.
Il ſera vôtre Conducteur dans toutes les
voyes par leſquelles il vous meine; &
quoique les eaux de la triſteſſe & de
l'affliction où vous vous verrez plon
gée atteignent vôtre ame juſqu'aux lé
vres , celui qui aime vôtre méme ame
l'aidera à en ſortir : car , comme je
viens de le dire, il eſt l'amour méme :
& cet Amour, qui eſt Dieu , eſt ſi puiſ
ſant , ſi jalous, ſi ardent, ſi enflam
mé , ſi penetrant , que je ne ſçai quel
nom lui donner. Je ne ſuis qu'impuiſ
ſance pour exprimer ſa force & ſon ef
ficace. C'eſt un Ocean qui ne peut
s'épuiſer. Ce ſont des charbons ſi ar
dens, c'eſt une telle flamme de Dieu ,
que les fleuves & les tempétes des croix
& des afflictions bien loin d'éteindre
cet amour , contribuent plûtot à lui
faire enflammer de plus en plus nôtre
ame, juſques là, que quelques fois el
le ſe ſent toute fondre par les arde#
e
-
23 Lettre ſur
de ce ſacré feu d'amour, ſurtout dans
les momens où le Seigneur lui donne à
connoitre d'une maniére ſenſible qu'il
aimeroit mieux endurer encore la
mort douloureuſe & amére qu'il a
ſoufferte pour elle, que de l'abandon
116I'.

13. O ma chere amie, ne voilà pas


un Amour extrémement grand & in
comparable ! Reprenez donc vigou
reuſement cœur & courage. L'Amour
ſçaura bien vous conduire & vous
donner bonne iſſue , quoi que vous
vous trouviez toûjours plus indiſpo
ſée & plus inhabile. Penſez que c'eſt
l'amour méme qui vous fait voir ainſi
vôtre Indiſpoſition, & qui vous la fait
connoitre ſeulement à cette unique fin,
aſſavoir , pour vous en purifier, pour
vous préparer à lui, & pour vous ren
dre agréable à ſes yeux : Car il vou
droit bien venir prendre demeure dans
vôtre ame, & accomplir dans vous ſes
gracieuſes promeſſes , aſſavoir , (a)
mon Pere & moi viendrons vers vous, & nous
demeurerons dans vous. Sans doute qu'où
une compagnie ſi digne de tout hon
neur & de toutes louanges doit venir
faire demeure, il faut que la place ſoit
bien & dûëment preparée ſelon la
competence de ceux qui doivent y étre
logés.
(a) Jean. 14 : 13.
la Regeneration. 235
logés. La chair & le ſang ne poſſederont ja
mais ce Royaume celeſte.
14. O profondeur d'humiliation,
qu'une ſi inconcevablement haute &
trés-haute Majeſté daigne entrepren
dre une choſe ſi baſſe & ſi ſordide qu'eſt
l'horreur du peché, pour en nettoyer
lui méme la place de nos ames & ſe la
preparer ! Offrez lui donc continuel
lement la vôtre pour cet effet. Je ſçay
bien en quel état vous vous trouverez
de plus en plus à meſure que vous ap
procherez du Seigneur. Mais telle a
toûjours été la maniére d'agir de l'A
mour : car, comme je viens de le di
re, c'eſt expreſſément pour cela qu'il
nous fait voir ce que nous ſommes, je
veux dire , pour nous delivrer de nous
mémes , c'eſt à dire, du mal. Et c'eſt
auſſi pourquoi il diſoit aux Juifs : Si
vous ne me croyez ce que je ſuis, vous mour
rez dans vos pechez : comme s'il vouloit
dire; Si vous ne croyez que je ſuis ce
lui qui peut vous delivrer de vos pe
· chez » vous mourrez dans eux.
15. O malheur lugubre pour celui
qui demeure dans ſes pechés ! car qui
conque y demeure , demeure auſſi ſe
paré d'avec Dieu, le péché ſeul nous
ſéparant de lui. Je ſçay & crois, ô
Seigneur, que vous étes celui qui pou
vez me delivrer de mes pechés, & que
vot) s
236 Lettre ſur
vous étes la verité qui peut me rendre
libre de moi-méme : & partant je benis
vôtre ſaint Nom de ce que par vôtre
grande charité il vous a pleu me faire
connoitre ce que je ſuis de moi-méme.
O ſi à ce ſujet je pouvois me ſoûmettre
& me ployer aſſés profondément au
deſſous de vôtre grande Majeſté & de
toutes les créatures ! ô ſi par la je pou
vois étre libre de toute pente à juger
mes prochains, & que deſormais je ne
me plaigne plus de perſonne que ſeu
lement de moi-méme !
16. O defaut inſigne, & néanmoins
ſi commun entre les hommes , j'en
tends que l'on ſe plaigne ſi facilement
les uns des autres , & que l'on croye
toujours que la faute eſt de leur côté !
Et de là vient que ſouvent l'on s'entre
donne des avis de ſe garder de tels ou
tels, qui cependant ſont de vrais amis
de Dieu, leſquels ſa Majeſté nous en
voye, & dont il ſe ſert comme d'in
ſtrumens pour rameiner les hommes à
lui. Tout cela vient de ce qu'on ne ſe
connoit pas ſoi-méme: car ſi nous nous
connoiſſions bien nous mémes , ce
ſeroit de nous que nous devrions don
ner avis aux autres de ſe bien garder,
de peur que nous ne les infections par
notre corruption. Que le Seigneur
daigne illuminer nos yeux , afin que
Il0UlS
la Regeneration. 237
nous puiſſions voir & nos propreste
nebres & nos propres deffauts !
17. O Pere de grace, puiſſé - je di
gnement rechercher vôtre haute Maje
ſté & lui preſenter avec larmes des ſup
plications qui puiſſent obtenir de vous
un cœur abiſmé dans la plus profonde
humilité ! Je ne vous prie point pour
obtenir des douceurs ni des conſola
tions ; mais ſeulement pour un coeur
flexible, un cœur ſoûmis & abandon
né à vous en toutes choſes, quelques
accidens & quelques rencontres qui
m'arrivent, & avec quelque dureté que
l'on me puiſſe traiter de paroles ou au
trement. Loüé ſoyez vous, Seigneur !
que beni ſoit vôtre Nom tres-ſaint !
faites de moi & avec moi tout comme
il vous plaira ; & que vôtre volonté
ſoit toûjours faite, ô mon Dieu, dans
le temps & dans l'écernité ! Amen !
18. O ma chére amie, c'eſt comme
ſi je ne pouvois ceſſer d'écrire. ô com
bien mon cœur eſt-il au large envers
vous ! combien me trouvé-je occupée
de vous & la nuit & le jour ! Or ça,
laiſſons agir l'amour : il ne ſauroit que
s'étendre & que couler par tout : je par
le de l'amour qui n'eſt pas naturel ,
mais ſurnaturel ; de l'amour que le Sei
gneur-méme produit dans l'ame, de l'a
mour qui eſt répandu dans nos cœurs
- par
238 - Lettre ſur
par ſon S. Eſprit. Ce [noble] Amour
n'a point de motif, d'objet ni de but
particulier ni intereſſé. Il ne ſçait
qu'aimer , & ſe ſentir trés-puiſſam
ment embraſer d'amour enversl'objet
qu'il aime. Il n'enviſage dans cet ob
jet aucun avantage pour ſoi, niconſo
lation , ni douceur , ni plaiſir, nia
mitié extérieure : il lui ſuffit d'aimer
tout ſimplement : & quand méme il
n'y auroit à attendre & à ſubir que
croix & que ſouffrances de la part de
celui qu'on aime, ce vrai Amour n'y
trouveroit nulle difficulté. Je dis bien
plus:quandl'Objet aimé ſe preſenteroit
à lui de maniére que ſans dilai il fau
droit mourir par ſes mains , l'amour ne
pourroit encore s'empecher de l'aimer,
il le loüeroit méme de cette execution ,
& en méme temps, s'il ſçavoit quel
que choſe qui fuſt de ſon ſervice, il ne
manqueroit pas de la faire , tant eſt
puiſſante la flamme du vrai Amour en
vers le Bien-aimé.
19. Mais qui eſt ce Bien-aimé que
l'amour aime ainſi ? C'eſt celui dont
il tire ſon étre : c'eſt la ſource & l'ori
gine du méme amour , je veux dire
que c'eſt celui dont l'amour a puiſé ſon
étre d'amour, & ſans lequel il ne ſeroit
Pas amour., C'eſt celui-là méme qui
enflame tellement l'amour , & qui
l'embra
la Regeneration. 2.39
l'embraſe ſi puiſſamment, qu'on ne ſe
ſoucie plus de Ciel ni de terre, de Dia
ble ni d'Enfer, de tribulations, de dou
ceurs , ni de conſolations , pourvû
ſeulement qu'on puiſſe A I M E R. Ce
la ſuffit à l'amour : & quand bien mé
me il ne devroit jamais recevoir aucun
effet de l'amitié de ſon Bien-aimé , il
ne laiſſeroit pas d'en demeurer fort
COFQtent, -

2o. Voila qui eſt abſolument impoſ


ſible à toute proprieté : car la nature
s'attache à tout , & recherche en tout ſa
propre ſatisfaction. Elle cherche con
ſolation , recréation , douceur, auſſi
bien en Dieu que dans les Créatures :
& lors que cela lui manque, elle en eſt
trés-inquiette & trés mal-contente. El
le ſe fait accroire que tout lui appar
tient. Elle veut étre par tout, & a
voir ſa part à tout Elle ne ſçait pas
qu'elle n'a rien à dire nulle-part. El
le ne ſçait pas qu'elle doit mourir & é
tre abymée: & ſi elle le ſavoit avant
coup , elle s'en feroit mourir elle mé
me de chagrin & de deſeſpoir. ^s
2 I. Car elle ne veut point du tout
ſouffrir; & elle aprehende tellement
la ſouffrance, qu'elle en tremble toute.
Cependant, ſi faut-il qu'elle y vienne :
mais le Seigneur le lui cache aupara
vant : & puis il l'y fait entrerquan

il
lUl1
24o Lettre ſur
lui plait. Et alors il faut bien qu'elle
marche » veuille ou non veuille, & de
quelque maniére qu'elle faſſe la regim
bante & la méchante. Que loüé ſoit le
Seigneur de ce qu'alors il n'a point d'é
gard à ſes plaintes. Elle ne fait que dete
nir l'ame dans ſa priſon, & le Seigneur
en veut delivrer cette ame, qui eſt à lui,
& qui lui appartient de droit, puisqu'il
a donné ſa propre vie & répandu ſon
ſang pour elle. Cette chére ame lui a
trop coûté pour pouvoir l'abandonner
iuſqu'à ce qu'ill'ait rameinée àſa ſour
ce , c'eſt à dire , à lui-méme , afin
qu'elle jouiſſe de lui.
22. Tel eſt l'amour que le Seigneur
porte à celie qu'il aime, je veus dire,
à l'ame de l'homme, Et de quelque
force que ſes ennemis, la chair, &
Satan , s'oppoſent à lui pour retenir
fermement cette ame dans leurs chai
nes , il ne ſe ſoucie nullement d'eux ,
n'étant que trop puiſſant pour les con
fondre : en effet , c'eſt le tres-fort :
c'eſt lui qui ſçait piller la maiſon & em
léver les armes du fort-armé : c'eſt le
Roi-méme & le vainqueur des enne
mis de l'ame, à laquelle il eſt un tres
puiſſant bouclier ſur lequel elle peut
bien mettre ſa confiance. C'eſt lui
cnfin qui fera & qui rétablira ſon affai
re Par l'amour qu'il lui porte,
23. Car
la Regeneration. 24.I
# 23. Car l'amour qu'ila pour elle eſt
#: ſi grand , qu'il eſt impoſſible de le dé
crire ou de l'exprimer ainſi que l'ame
# le ſait bien éprouver. ll eſt ſon répon
# dant, ſa pierre fondamentale & ſafer
meté. Si elle ſe trouve foible, qu'elle
aille à lui, & il ſera ſa force : ſi elle eſt
malade, il ſera ſon Medecin , qui la
guerira de ſes maux & la retablira en
ſanté : ſi elle eſt affamée, il la repaitra
d'amour : ſi elle eſt alterée, il ſe don
nera lui-méme à elle pour la deſalterer:
ſi elle eſt dans les ténébres, il l'illumi
nera : ſi elle eſt environnée de ſes en
nemis, il la defendra; elle n'a qu'à ſe
tenir coi, & l' Amour fera tout le reſ
te; car à lui eſt la force & la gloire é
ternellement. Amen.
24. Commandez moi de ceſſer, ma
chere amie; dites qu'il y a long-temps
qu'en voila aſſez. Mais je ne crois pas
que vous le direz; & je ſçay que vous
prendreztout ceci en bonne part. Pen
ſez qu'il faut que l'amour agiſſe & opé
re. . Il ne ſçauroit toûjours demeurer
renfermé: il faut qu'il s'échape & ſe
répande quelques fois vers l'un ou vers
l'autre des objets qu'il aime, puis qu'il
y en atant,qui tous ont tiré leur origine
de l'AmourSouverain, & que pluſieurs
d'eux ſont profondément imprimés
dans mon ame , ou le Seigneur méme
les a placés, | L| | 25. Mei -
242 ' Lettre ſur
25. Meinons deſormais , ma chere
amie, une vie toute intérieure & toû
jours recueillie. Soyons toujours avec
nous mémes & dans nous mémes : Et
encore que nous y devions trouver des
anxietés & de la peine , penſons pour
tant que l'amour le veut ainfi , & que
cela noustournera tout à bien. Rece
vons tout ſans diſcernement & ſans ex
ception de ſon aimable main, & ne
laiſſons rien paſſer ſans le prendre bien
à cOeur. C) ſi la vûe & le ſentiment de
nos miſeres nous pouvoient ſervir à
l'acquiſition de l'humilité ! O combien
grand eſt le deſir dont je me trouve en
flammée pour un cœur ſoûmis & plia
ble! Je n'aſpire ni aprés conſolations ni
aprés douceurs; mais ſeulement aprés
un coeur flexible & ſoûmis. Mais ne
vous ſemble-t'il pas que ma plume ne
ſauroit ceſſer ? elle court toujours, &
j'en ſuis toute étonnée, OSeigneur
des Seigneurs, ô fontaine de bonté &
d'amour, ô que ne puiſſé-je acquerir
un tel cœur, qui ſache ſe plier au deſ
ſous de ſon Créateur & au deſſous de
tous les hommes ! O Seigneur vous ſa
vez ce que je ſuis, & je le ſçay auſſi en
partie ! vous avez bien fait de me le fai
re connoitre : que beni ſoit votre Saint
Nom pour ce grand bienfait ! ô que
ne puiſſé je par là m'abymer conti
- nuel
la Regeneration, 24.3
nuellement dans mon néant ! Ne per
mettez point, mon Dieu , que je faſ
ſe jamais quelque cas de moi-méme,
en me croyant quelque choſe ; car ce
ſeroit s'arracher & déchoir de vous , &
faire place à Satan. Laiſſez moi plûtôt
meiner une vie de ſouffrances avec
mon Jeſus crucifié. Ce Jeſus crucifié
je le ſouhaitte à ma chére amie pour
ſon defenſeur. Vous ſerez ornée des
Joyaux que vous aura donné vôtre*A
mant & qu'il a porté lui - méme lors
que vous aurez ſa ſainte Croix, avec
quoi je vous recommande à l'Amour,
le priant qu'il lui plaiſe de vous garder
du mal. -

26. (a) O ſi nous veillions conti


nuellement à nous obſerver nous mé
mes, que nous parviendrions toſt à la
connoiſſance & au ſentiment de ce que
nous ſommes!Les hommes pour la plus
part n'aſpirent qu'à de hautes ſciences,
& l'on ne prend peine qu'à ſe donner
des connoiſſances ſubtiles touchant Je
ſus Chriſt , touchant ſon origine ,
d'où il a tiré ſon commancement ou ſa
naiſſance &c. Mais que nous profite
ront toutes ces connoiſſances-là ſi Jeſus
Chriſt ne prend point naiſſance &
commancement dans nous , & que
L 2 I1OUS

a) Cette pperiode etoit un poſtſcriptum à Part »


- - - -

qu'on a jugé bon d'inſerer ici.


244 Lettre ſur la Regeneration.
nous ne croyions pas que c'eſt lui qui
doit nous délivrer de l'obſtacle par le
† on demeure éternellement ſeparé
e lui, obſtacle qui eſt le peché ?
Prenez en bonne part la ſimplicité
de tant de paroles. Nôtre amy com
mun (quoi que je ſois indigne qu'il me
le ſoit) y mettra avec l'aide de Dieu ſa
correction. Je ſçay ce qu'il eſt à mon
ame, & il m'eſt bien doux d'y penſer
de fois à autres. Jc vous ſalue de cœur
avec vôtre mari & vos enfans 2 & de
IIlCUlI6:

Votre bonne Amie ,

MARIE HEN R IC S,

R E
--

REGLES ET MAXIMES

S P IR IT U E L L E S
Tirées de celles

Du Ven. Fr. JEAN DE


S. S A M S O N. .

2 47

REGLES ET MAXIMES.

| SPIRITUELLES.
, - -
-

C H A P I T R E I.

De l'Humilité.

I. 1[ E Diable eſt l'auteur & le princi


· *- pe de l'orgueil , & Dieu eſt le
principe & l'exemplaire de L'H u M 1
L 1 T E'.
2. L'homme ayant perdu la grace de
Dieu par l'orgueil , Dieu la lui a ren
due par l'humilité de ſon Fils.
3. L'Humilité eſt l'épouvantable ver
tu d'un Dieu fait homme.
4. Si nous ſommes redevables à
Dieu de tout le bien que nous avons, .
c'eſt parce que ce divin Amour s'eſt
ſouverainement humilié.
5. Quand nous conſidérons la gran
deur & l' Amour d'un Dieu, & ſon hu--
milité écrite de ſon propre ſang; quand
nous le voions humilié & anéanti pour
nous ſur une croix; il faudroit étre ſans
cœur & ſans ame, & étre l'ingratitude
méme pour ne pas
L
correſpondre[Ode
U1 r
248 Maximes Spirituelles.
toutes nos forces à cet Amour im
menſe. -

6. La vraye humilité eſt ſi rare, que


perſonne n'en veut aborder les moiens,
qui ſont, la mortification & le mépris
de ſoi-méme. Et chacun voudroit
bien avoir couru cette carriére inſenſi
blement & ſans avoir rien fraié du ſien.
7. Les hommes vraiment humbles ne
ſont connus que par leurs ſemblables.
La mort & les croix ſont leur unique
plaiſir , quoi qu'ils n'en témoignent
rien. Mais hélas! de qui parlons-nous ?
d'un homme ſans doute auſſi rare entre
les hommes, que le phénix entre les
oiſeaus. -

8. La vraye vie devant Dieu n'eſt


que l'humilité profonde dans les moque
ries , mépris , inſultes & confuſions
éternelles qu'on fera de nous. Toute
autre vie, pour raviſſante qu'elle ſoit »
fuſſiez vous cent fois le jour ravi intel
lectuellement & hors des ſens, ne té
moigne à tout le monde qu'un trom
peur trompé, s'il n'eſt trés-profonde
ment humble & amoureux de la croix.
9. La vraye & profonde humilité doit
· tenir le vrai mort toûjours mort & é
gal , enſeveli avec J E s U s CH R I s T,
qui eſt la vie de tous les vivans en veri
té de mort & de vie.
Io. C'eſt une voye bien plus pure &
plus
Chap. I. Humilité. 249
plus aſſurée d'étre exercé vivement des
créatures , ſans ordre ni diſcrétion ,
- que de ſe mépriſer & accuſer ſoi - mé
me devant les hommes. La créature qui
eſt ainſi exercée par autrui eſt incom
parablement plus pure, plus ſainte, &
plus accomplie. Car en s'exerçant
ſoi méme, elle eſt toute en ſoi : mais
en patiſſant , elle eſt perdue & anéan
tie en Dieu, n'enviſageant que l'abi
me de la divinité & celui de ſon propre
néant.
II. Si vous ne pouvez voler comme
un aigle aus éternelles ſplendeurs des
infinis ſecrets de Dieu , vivez d'humi
liation & d'humilité , & vous abimés
auſſi bas en la verité de vôtre riea , que
vousavez voulu vousguinder en haut.
12. On ne peut faire aucun tort ni
aucune injure au vrai humble; attcndu
qu'on ne ſauroit prendre tant de plaiſir
à le déprimer, qu'il en prend à s'avilir.
13. Les vrais humbles ſouffrent tout
exercice de Dieu, des hommes , &
- des Diables, par deſſus toute conſidé
ration, toute diſcrétion, & toute rai
, fon , ſe poſſedans en paix & en repos
de coeur , & attendans en toute humi
lité le bon plaiſir de Dieu , ſoit à la vie,
· ſoit à la mort. Ils ne touchent ni ne
· s'arétent non plus aus choſes du dehors
- #
G! ue ſi elles n'étoient
L point, 14. Le
25o Maximes Spirituelles.
14. Le vrai humble eſt entiérement
mort à la nature; & connoiſſant ſes
voyes trés-occultes, il l'abhorre com
, me la mort méme , non comme natu
re, mais à cauſe de ſa malice & de ſa
fineſſe.
15. Celui qui eſt humble en parfaite
habitude ne penſe nullement ni à hu
milité ni à ſainteté pour ſoi : mais il a
un ſentimenttres-vil de ſoi-méme, &
ſe comporte comme tel en toutesſes
pratiques. Il meurt & vit en Dieu,
trés-content en tout évenement, ſans
refléchir ſur ſoi ni ſur les créatures. Il
reçoit leurs mauvais traitement avec
trés grand plaiſir, & en deſiretoûjours
davantage pour reſſembler parfaite
ment à J E s U s CH R I s T ſon amou
reux exemplaire.
16. Le vrai humble , qui ne defire
rien pour ſoi, & qui croid que per
ſonne ne lui peut faire tort, ne pourra
jamais étre trompé du Diable ni de la
nature; d'autant que Dieu l'environ
ne puiſſamment & fortement de tou
tes parts comme choſe qui lui appar
tient, & qui lui eſt pleinement ſoûmi
ſe en temps & en éternité.
17. Quand on s'humilie plus par
raiſon que par amour, telle humilité
n'eſt ſouvent que feinte & apparence,
qui n'endurera jamais l'exercice des
hom
Ch. I. Humilité. 25 It
hommes au dehors: car il ſemblera toû
jours au jugement & à la raiſon que les
hommes en feront trop ou trop peu à
nôtre égard.
:
18. Tandis que l'homme a beſoin
d'étre perſuadé de s'humilier & de mou
· rir à ſoi, il eſt tout plein de ſa propre
vie. Et quand la perſuaſion ne lui eſt
· plus neceſſaire, alors il eſt mort, & il
jouït de la vraye vie de Dieu.
19. L'Humilité qui ne dure qu'au
tant que dure l'influence divine, n'eſt
que plâtre, que maſque , & que men
ſonge.
2o. Les degrés de l'humilité par con
frontation à un corps enſeveli, ſont ,
étre dans un trés bas lieu , étre enterré
comme mort; étre pourri & corrom
pu ; (à ſavoir dans ſa propre eſtime, )
étre en cendres; étre un pur rien.
21. L'amour eſt humble autant qu'il
eſt amour; & l'amour qui n'eſt pas
humble, eſt un demon.
22. L'amour eſt humble dans les
commençans ; plus humble dans les
profitans; humble & unique dans les
vraiment parfaits. -

23. L'humilité eſt le fonds & le plan


de toutes les vertus : elle eſt leur mére ,
leur baſe , leur ſoûtien , leur vie ,
leur force, leur nerf principal , & le
fonds d'humilité eſt ſi fécond à leur é
I. 6 gard»
252 , Maximes Spirituelles.
gard, qu'il ne peut jamais s'épuiſer.
24. Toute chûte ou trébuchement
' dans la vertu, eſt marque d'orgueil ;
& ſi l'homme étoit vraiment humble ,
non ſeulement il ne tomberoit jamais ,
mais encore il ne rencontreroit jamais
· rien dans le chemin de la vertu qui le
fiſt trébucher, à cauſe de la profonde
attention que Dieu donne aus humbles
ſur eux mémes.
25 Ceux qui ſont vraiment humbles
en fond, & qui cherchent purement
de plaire à Dieu , s'ils manquent de
conduite humaine , le tres-ſaint Eſ
prit, qui enſeigne tout par ſon onction
vivifique, ne ieur manque point à cet
amoureux office.

C H A P I T R E I I.

| De l'orgueil, & de ſes branches, l'aſcendan


ce, l'indignation , & le zele,
I• L#ºmme n'eft point aſſuré en
cette vie contre L'OR GUEIL.
Car quoi qu'il tende à Dieu à méſure
qu'il s'avance en perfection, ſes éne
mis néanmoins ſe ſubtiliſent infini
ment en lui pour empécher l'activité
de ſon vol pur & actifen Dieu.
| 2. La principale racine de la ſuperbe
étant
Chap. II. orgueil. 253
étant arrachée dans l'homme ſpirituel ,
, il lui en demeure toûjours d'autres pe
· tites & trés-ſubtiles, qui pouſſent au
dehors tant de ſecrétes recherches de
• A. » A

ſoi méme , qu'on n'a pû encore les


| découvrir parfaitement toutes.
3. Dieu a en extréme horreur les
propres recherches de ſoi-méme en ſes
dons , puis qu'il preſerve quelques a
mes de ce mal en permettant qu'elles
| ſoient ſouvent gourmandées & vain
cues de la ſuperbe.
4. Dieu accepte la bonne volonté
de ceux qui voudroient & ne peuvent
" s'affranchir de la ſuperbe , & les preſer
ve de la vaine complaiſance d'eus mé
mes par le moien de leur profonde ,
nue , & renoncée humilité , qui eſt
cachée ſous une ſuperbe manifeſtée.
Ainſi l'enflure douloureuſe preſerve
ces fonds-là de l'enfiure deleétable qui
les domineroit s'ils ſe voioient plus
parfaits.
5, L'Epous prend plaiſir d'exercer
ſes Epouſes par des chûtes legéres & de
commune infirmité pour les tenir ex
ernptes d'orgueil. -

6 La créature eſt trés-méchante qui


fait ce tort à Dieu, que de vouloir étre
quelque choſe, méme en ſe comparant
à qui que ce ſoit. ·
7, Il vaudroit bien mieux étre grand
L 7 &
254 Maximes Spirituelles.
& manifeſte pecheur , que de languir
ſciemment en ſa ſuperbe.
8. Nous ne ſommes point bleſſés ni
par les hommes, ni par les Diables ;
mais par nous mémes , c'eſt à dire,
par nôtre propre ſuperbe & par les efforts
de nos paſſions.
9. L'A s c E N D A N C E eſt une ſub
tile recherche qu'il faut éviter, d'au
tant que cela détruit la ſainte , humble
& ſimpie ſageſſe, & rendl'homme o
néreux , méme à ſes plus familiers.
1o. Plus une perſonne a droit de
prendre l'aſcendant ſur autrui , plus a
t'elle ſujet de craindre & de s'humilier.
,Quanto major es , humilia te in omnibus,
dit le Sage.
11. L'I N D I G N A T I o N n'eſt que
l'effet d'une profonde préſomption &
confiance en ſoi; & partant, fille de
l'orgueil.
12. L'indignation & le z E'L E , ſont
l'effet d'une ſageſſe preſomptueuſe.
L'indignation s'excite au dedans, & le
Zéle ſe fait paroitre au dehors ſur les
defauts d'autrui.
13. Celui qui n'eſt parfait que ſelon
la nature , ne peut ſoufrir ceux qui
ſont imparfaits. Il n'y a que la parfai
te charité & la profonde humilité qui
puiſſent ſoûtenir les grands défaus de
· nature en ſon frére.
14, L'hu
· Ch. II. Orgueil. 255
l 14 L'humilité & ſes actes frequens,
doivent s'oppoſer au deſordre que fait
le zéle dans les imparfaits.
15. Plus un homme eſt lumineux,
plus il abhorre le zéle comme la mort ,
& ne s'en ſert que contre ſoi-méme.
16. Le mort ne ſe doit jamais zéler
s'il ne lui convient d'office , quand
méme le Ciel & la terre devroient ſe
renverſer.
17. Si jamais un homme n'eſt aſſez
humble devant Dieu , comment oſe
t'il ſe zéler contre quelqu'un.
18. Le zéle ne convient qu'aus ſaints
reconnus, & non aus pécheurs, ni à
ceux qui deſirent s'avancer à la perfe
ction , qui ne doivent faire que pleu
rer leurs péchez.
19. Le Diable ſe contente d'entre
tenir quelques uns en leur ſenſualité
d'eſprit , en leur ſuperbe & en leur pré
ſomption , ſans ſe ſoucier beaucoup
de leur faire de plus grands maux appa
rens; afin qu'ils s'aveuglent toûjours
de plus en plus, & ne ſe reconnoiſſent
nullement pécheurs au dedans. Car
quoi qu'ils ſe diſent tels, cela n'eſt que
faſte , vanité, & que vaine complai
ſance. Leur amour propre leur fait
croire qu'ils ſont étroitement unis à
Dieu , & les aveugle juſqu'au point de
prendre leur moleſſe & leur ſenſualité
- pour
256 Maximes ſpirituelles.
pour vrai & pur eſprit. Il leur vau
droit mieux d'étre comme le commun
des hommes, & dans un mediocre dé
gré de grace & de charité : Car ils s'e
ſtimeroient au moins pécheurs ; au
lieu qu'ils ſe jugent plus ſaints que tous
les autres.
2o. Le vice beſtial de concupiſcen
ce, eſt le perpetuel bourreau des ſu
perbes.

C H A P I T R E I I I.

Dé la connoiſſance de ſoi & de ſon néant.


I• L# plus importante & neceſſai
re ſcience que les hommes
puiſſent aquerir en cette vie, eſt une
profonde coNNoIssANcE DE soI.
2. C'eſt une choſe déplorable , de
voir que les hommes ſachent parler de
toutes choſes, & cependant ſoient ig
norans d'eux mémes : ils ſont lumi
neus pour autrui , & aveugles pour ſoi.
3. Pour parvenir à la connoiſſance de
ſoi-méme, il faut ôter tout obſtacle qui
produit l'ignorance, les ténébres, &
la craſſe du cœur, & puis ſonder & pé
fer ſes méchancetés [les conſidérant]
comme des effets de la folle opinion
qu'on a conçue de ſoi-méme. Qu'on
- ôte
Ch. III. Connoiſſance de ſoi. 257
ôte enſuite les fines & couvertes trom
peries du cœur, auſſi bien que ſa vai
: ne gloire, & cela , par le menu au
tant qu'on pourra ; & puis en gros,
par l'horreur [generale] qu'on en doit
concevoir. Alors , & non plûtôt ,
les miſéres des pécheurs leur apparoi
# trOIlt. -

4. Celui qui a trouvé le fond de ſa


propre maiſon, aſſavoir, ſon vérita
ble néant, la doit édifier en charité &
vertu dans les humiliations éternelles :
à quoi plus il travaillera, moins il ſe
laſſera; & parviendra ſans s'en aperce
voir, à la perfection. . ' #.

- 5. Quiconque ſe délecte & ſe confie


en Dieu , aura toute puiſſance ſur ſoi
méme, & verra clairement ſon rien
& ſon néant. | | --

6. Ceux qui ſont vivement touchés


du goût de Dieu, & remplis de ſa di
vine ſageſſe, voient ſi parfaitement le
néant de toutes choſes, & ſpecialement
d'eux mémes , qu'ils n'admettent point
l'humilité pour eux & eomme telle;
parce que l'humilité en elle méme n'eſt
qu'un acheminement au rien : maisle
rien eſt le terme où aboutiſſent les hu
miliations & l'humilité.
7. Si l'on veut ſavoir de certaine
ſcience ceux qui ſont les plus agréables
à Dieu en cette vie ; qu'on croye ſure
ment
258 Maximes ſpirituelles.
ment que ce ſont ceux qui marchent
entierement anéantis en ſa preſence.
8. Dieu ne fait pas dans ſes amis ce
qui appartient à la vie parfaite ni tout
ni tout d'un coup , afin de leur laiſſer
dequoi reconnoitre leur veritable
néant , & de s'exercer aus vertus & au
divin amour , allans à ſens contraire
d'eux-mémes, afin de pouvoir ſenſui
te] ſoûtenir l'abondante ſainteté de
Dieu ſans préiudice ni de Dieu , ni
d'eux-mémes.
9. Le cœur de ceux qui ne ſe connoiſſent
pas eus-mémes , eſt un vaiſſeau toû
jours plein de fiel & d'amertume ,
comme étant gens charnels , turbu
lents , inquiets , & toûjours prets à
mordre &à ſyndiquer toutes choſes en
autrui.
1o. Ceux qui ne ſe connoiſſant pas
eux-mémes, s'amuſent à ſyndiquer les
autres » & ne cherchent jamais nivo
es ni traces pour entrer où ils n'ont
jamais été, je veus dire, dans la mai
| ſon de leur cœur & de leur eſprit, leur
aveuglement & dureté les en détour
† & éloignant toûjours de plus en
plus.

CHA
Ch. IV. Péché, 259

C H A P I T R E I V.

Du péché.
I. Oute ame bien touchée de
Dieu au profond d'elle mé
me, ſent & croid en verité qu'elle eſt
plus grande P E C H E R E s s E que tous
les hommes enſemble.
2. La bonne intention en toutes
choſes ne ſuffit pas ſinos procedures ne
ſont parfaites de tout point entre Dieu
& nous, entre nous & les créatures.
3. Dieu ne ſauroit endurer le péché
dans ſes élûs ſans le châtier & le détrui
re par les effets de ſa préſente juſtice.
4 L'ame doucement agie du S. Eſ
prit l'a pour témoin de toutes ſes a
ctions : & quand elle juge avoir ou
n'avoir pas péché, cela doit étre vrai :
car Dieu eſt dans elle Amour & lumié
re; & comme il la ſantifie, ill'illumi
ne auſſi ſurtoutes choſes.
5. On ne doit pastoûjours regarder
, les péchez ſelon leur matiére; mais ſe
lon lagrace & la lumiére d'un chacun.
6. Depuis qu'on a pris à tâche de
courir à toute roideur & de toutes ſes
forces à la perfection, tout le temps
qu'on employe ſciemment & de pro
pos
26o Maximes ſpirituelles.
pos deliberé à choſe contraire , eſt
péché.
7. Dans nos chûtes & deſordres ,
nous devons premiérement réflechir
en Dieu qu'en nous-mémes , ſur pei
ne de péché.

C H A P I T R E V.

Du monde, & de ſa vanité.


I• Dºu eſt énemi du M o N D E,
& le monde eſt énemi de
Dieu : & quiconque dit le Monde , dit
tout le mal poſſible. -

2. Le monde, que nous diſons étre


plein de vanité, n'eſt qu'une congre
gation & aſſemblée de pervers & de re
prouvez, qui ſont en effort continuel
pour ruïner & renverſer le [vrai] culte
de Dieu. -

2. Le monde eſt toute malice , tout


venin , toute corruption » toute
cruauté , toutes ténébres , toute er
reur, & tout menſonge.
4. Entre toutes les parties du monde
la volupté & la cruauté ſont les princi
pales.
5. Le monde eſt étendu par tout, &
en Religions, & en Religieus mémes.
6. Ceux qui veulent vivre partie au
monde
Ch. V. Monde. 261
monde & partie à Dieu, Dieu n'en vou
lant point, le monde les prend com
me ſiens, pour s'en ſervir en tout ce
qu'il pourra.
- 7. Qu'eſt-ce qu'un homme mondain,
charnel & animal , ſinon la proye du
Diable ?
8. Le monde eſt continuel agent &
miniſtre du Diable, qui eſt ſon auteur
& principe moral.
9. Les mondains s'uniſſent pour la
perſécution & la ruïne des bons; & ſe
diviſent pour s'entreperſécuter les uns
les autres.
1o. Ceux qui ne ſont point du monde »
meinent une vie pure , douce , tran
quille, joieuſe, libre en eſprit , plai
ſante & agréable à Dieu. Ils ſont pa
tiens , doux , debonnaires, Leur a
mour n'eſt nullement intereſſé ni re
fléchi ſur eux. Ils ne font mal à per
ſonne : ils ne ſe vangent point : ils
font du bien à ceux qui les calomnient
& perſecutent. lls mortifient inceſ
ſamment leurs paſſions : ils donnent
tout à Dieu, ne s'attribuans rien que
le mépris. -

I I. La perſecution du monde ſert de


fournaiſe ardente pour la purgation &
l'épreuve des bons, afin que leur trop
de paix & de repos ne leur cauſe con
verſion à eus-mémes & aus créatures »
en
262 Maximes ſpirituelles.
en quoi ils perdroient , ou au moins
ſouilleroient leur bonté & leur juſtice.
12. Ceux qui ne ſont point du monde
n'entendent & ne voient rien dont ils
netirent le pur eſprit. . Ils laiſſent tou
tes choſes étre ce qu'elles ſont ; & ju
gent bien de tout. Ils ſont toûjours
prets de recevoir de la main de Dieu
tout ce qu'il permettra leur arriver par
le moien des créatures; & leur charité
eſt trés-ordonnée au dedans & au de
hors. . -

13. Les bons doivent fuir la conver


ſation du monde comme le Diable, la
mort & l'enfer : & s'ils veulent profi
ter en l'amour & en la voye de Dieu,
ils doivent croire fermement que le
monde eſt infiniment pire qu'on ne
l'experimente & qu'on ne le peutre
preſenter.

C H A P I T R E VI.

De la Solitude & de la Chaſteté.


I. IL n'y a point de vie ſi heureuſe
que la vie vraiment soLITAIRE
& éloignée du tracas des ſeculiers, à
cauſe qu'en cette heureuſe vie Dieu ſe
donne tout à la Créature, & la créatu
re ſe donne entierement à Dieu paré
troite
Ch. VI. Solitude & Chaſteté 263
troite union & conjonction de cœur
& d'ame
# 2. Les vrais ſolitaires doivent vivre
totalement ſolitaires d'eſprit & de
corps , en perpetuel ſilence , oraiſon,
& recueillement de leurs puiſſances en ,
Dieu par verité & fidéle abſtraction de
tout ce qui eſt viſible, materiel & ſén
ſible, afin de vivre ainſi élevés en Dieu
en pure & ſimple contemplation des
choſes ſurceleſtes & divines.
:#
· 3. Ceux qui n'ont rien à demélera
vec les hommes, leur ſolitude & repos
#
doit étre tout leur bien ſur la terre, a
fin d'y cultiver leur fond, ou de l'ha
biter agréablement s'il eſt parfait.
4. N'étre ſolitaire que de corps, c'eſt
étre comme une béte enfermée.

: 5. La vraye ſolitude eſt dans l'eſprit :


ſon déſert & ſa région eſt dans Dieu,
Pére & maitre de tous les eſprits.
6. C'eſt dans la ſolitude que ſe fait la
guerreſpirituelle, & où les armes ſpi
rituelles ſont abſolument neceſſaires
au ſolitaire, pour ſe prévaloir contre
ſoi-méme, ſe ſurpaſſer ſoi & toutes
les choſes créées, & s'unir totalement
à Dieu.
7. Il n'y a homme, quel qu'il ſoit »
qui ne ſoit plus obligé à ſoi & à ſon
bien qu'à tout le monde : & je ne voids
· point qu'aucun ſoit apellé à ſauver tout
le
264 Maximes ſpirituelles.
le monde au préjudice de ſa propreper
fection. -

8. Pour avoir la CH A s T E T E',


qui eſt un don de Dieu , il faut ſe con
vertir vraiment & continuellement à
lui de tout ſon cœur , bannir de ſoi
tous vains plaiſirs, méme les licites &
non-expédiens , & la familierité des
créatures, & vivre ſolitaire de corps &
d'eſprit autant qu'on pourra, ne faiſant
cas que de la poſſeſſion de la paix qui ſur
paſſe tout ſens & toute aprehenſion , &
laquellegardera nos cœurs & nôtre intelligen
ce en la divine charité de J E s U s
C H R I S T.
9. L'on ne peut étre vraiment chaſte
en ſon corps ſil'on n'eſt pas au préalla
ble pur & net de cœur & d'eſprit, en
s'introvertiſſant continuellement en
Dieu » & ſe donnant inceſſamment
garde de ſes ſens & de toutes créatures.
Io. Si l'on écoute la tentation, la
delectation ſuivra de bien prés; & ſi
on ſe delecte, le conſentement s'enſui
vra preſque infailliblement.
11. La vie desames pures eſt un vrai
martyre : car comme exercer la chaſte
té n'eſt pas avoir la chaſteté acquiſe, il
faut en cet exercice ſouffrir de tres-vio
lens combats.
, 12 On ne ſauroit croire combien
les Anges ſont amoureux des perſonnes
- Vraiment
Ch. VII. obciſſance. 265
vraiment pures & chaſtes. Ils les pré
nent ſi expreſſément en leur prote
;! ction, que les Diables ne leur peuvent
# nuire que trés difficilement & de fort
loin. .
#!

C H A P I T R E V I I.

De la vocation au ſervice de Dieu & de l'o


éé ſſance.
I, Nºus ſomme à P E L L E's &
choiſis de Dieu pour lui ren
dre toute nôtre vie , en un continuel
combat contre nous » & contre nos
apetits.
2. Les tentations qui ſurviennent
aprés les premiéres inſpirations de
Dieu » ne ſont pas une marque que la
vocation ne ſoit bonne : mais c'eſt que
Dieu ayant fait ſon office de prévenir
l'ame amoureuſement & gratuitement,
elle doit commencer à faire le ſien ,
entrant généreuſement en la pratique
de la haine & perte de ſoi-méme.
· 3. Celui qui eſt véritablement tou
ché de Dieu ſur l'excellence de ſa voca
tion à ſon ſervice, eſt toûjours recueilli
au dedans de ſoi, & tient à grandes dé
lices d'aller continuellement à ſens
contraire de ſa º# animale juſqu#
- 3
266 Maximes ſpirituelles.
la mort , d'un coeur trés-courageux ,
& d'un eſprit tresalaigre.
4. Nous entrons dans le ſervice de
Dieu non pour nous y rechercher &
vivre au plein de nôtre nature : mais
pour prendre tout nôtre plaiſir , repos
& felicité à ſuivre généreuſement
Dieu ; à l'imitation des Saints. Que
ſi nous y manquons, nos ennemis do
meſtiques ſe ſouléveront en nous con
tre nous, & peut-étre ſerons-nous leur
proye.
S,
5. Il eſt infiniment plus ſeur d'o
B E I R que de commander.
6. Le chemin de l'obéiſſance eſt fi
court , & ſi aſſeuré, que ſil'on y per
ſevére juſqu'à la fin , on pourra dire
qu'on eſt arivé comme endormant &
ſans travail au port de la felicité déſirée.
7. Il n'eſt rien de plus facile à trom
per que l'homme ſur le fait de ſes pro
pres voyes quand il eſt tout ſeul & à
lui-méme ; & rien de plus aſſuré que
lui lors qu'il eſt entiérement ſoumis à
Dieu & à ſesSuperieurs.
8. L'obéiſſance de J E s U s c H R I s T
nous doit étre un vif& continuel mo N
tifd'obéïr en toute humilité.
9. Nous ne devons pas dédaigner
de nous humilier ſous les hommes ,
Puiſque J E s U s c H R I s T l'a fait
pour
Chap. VII. obeiſſance. 267
# pour nous : Et quiconque n'eſt pas
touché de ce ſentiment , doit crier
º hautement miſericordeà Dieu ; autre
º ment il eſt perdu.
tº 1o. Les vrais obéiſſans n'ont rien de
ſi agréable que d'obéir à l'infini, pro
# prement , ſimplement, alaigrement,
: courageuſement, conſtamment, & de
º toutes leurs puiſſances, tant intérieu
g res qu'extérieures.
# 1 I. L'obéiſſance de ceux qui ſont épu
rés dans la fournaiſe des humiliations
& des tribulations tant d'eſprit que de
# corps, eſt d'infinie valeur devant Dieu.
12. Le vrai obéiſſant eſt exempt de
it tout deſordre & paſſion. Le deſobéiſ
ſ ſant eſt dévoré des bétes, c'eſt à dire,
# de ſes apétits deſordonnés; & il man
# ge la terre comme un ſerpent.
# 13. La deſobéiſſance eſt la fille de l'or
# gueil , comme l'obéïſſance eſt l'effet
, de l'humilité.
# 14. Quiconque aime Dieu, l'hono
f re en ſes Superieurs, & le deſobéiſſant les
# juge, par un ordre renverſé.
15. Le ſervice de Dieu eſt un enfer
ſ au deſobéiſſant, à cauſe qu'on n'y fait ja
, mais ſa volonté, º ' !

M 2 CHA
268 Maximes ſpirittuelles. ,
-------- , • - —---
- -
-

cnA , 1 r R E v III.
Du Silence & de la pauvreté.
- - 1 1\ ' - -- i

-
1 " A vertu du s I L E N c E eſt
| *- fort dificile à acquerir à celui
qui eſt vuide de l'Eſprit de Dieu , &
qui n'eſt nullement recolligé en ſoi.
2. Leſilence intérieureſt plus excellent
que l'autre. C'eſt lui qui reprime &
aréte par l'efort de la raiſon & de la vo
lonté le cours & les mouvemens de
toutes les paſſions éfrénées ; & il le faut
acquerir dans la pratique du ſilence exte
rieur. - - - - -

| 3. Ceux qui ne vivent que morale


ment & dans une vie mediocrement
bonne, n'ont rien que leſilence exterieur,
qui les géne plus qu'on ne ſauroit dire.
| 4. Les perſonnes qui ne vont à Lieu
qu'en aparence , s'écoulent toutes en
paroles, & ne peuvent finir leur diſ
cours, tant elles ont de plaiſir à impri
mer leurs conceptions en autrui » &
leur donner la méme eſtime qu'elles
ont de ſoi. Ce ne ſont que multipli
cités , repliques, repetitions , exag
gerations , & enfin , toute leur vie
n'eſt que paſſion. -

5. Plus une perſonne tendà Dieu,


- plus
Chap. VIII. silence & c. 269
plus doit elle étre grave , & moins par
ler en compagnie.
6 La vertu du ſtlence eſt l'un des
principaus moiens pour remedier à nô
tre aveuglement & à tous les défauts de
nôtre eſprit. -

7. N'avoir rien , & ne vouloir


rien, c'eſt trop abonderen biens & en
richeſſes : c'eſt étre élevé ſur tout ce
qui eſt, d'où on ne voit les créatures
que de loin : Enfin , ne rien avoir &
n'étre rien, c'eſt étre plein de Dieu.
8. Les ames amoureuſes quittent
tous leurs biens pour ſuivre l'amour
tOuteS nUCS, -

9. Quiconque refuſera de ſuivre


y a s U s c H R 1 s T pauvre, ne le poſſe
dera jamais en l'abondance de ſes ri
cheſſes, ni de grace ni de vertu en cet
te vie, ni de gioire en l'autre.
Io. Perſonne ne ſert vraiment Djeu
que par le continuel exercice de la pau
vreté d'eſprit , qui confiſte en une con
tinuelle déreliétion de foi-méme 8& des
créatures comme ſi elles n'étoient
point , voulant étre ſans eſtime, &
méme étre en reputation de fou &
d'inſenſé parmi les ſiens s'il y échet, &
étoufant tout raiſonnement ſur l'ordre
ou le deſordre des actions des créa
ttireS. · · · -J . )
-
-
v : !

M 3 CHA
27o Maximes ſpirituelles. .

C H A P I T R E IX.
Des recherches & malicieus inſtinčts de la
" . .. , · Nature.

I. Os prétextes ſont nos filets :


4-N mais c'eſt étre bien defe
ctueux que † laiſſer prendre,
2. Je ne voudrois pasguarantir lesa
mes qui gnt abondance de lumiéres
d'amour, & de délices intérieures, de
pluſieurs R E c H E R c HE s D E N A
T U R E trés fecrétes , à cauſe des re
fléxions qu'elles font inſenſiblement
ſur ſoi " . . , - -

3. La nature eſt menſongére en ſes


voyes, prenant le faux pour le vrai,
Ettel paroit faire de grandes choſesde
vant Dieu , qui n'en recevra que le
chatiment.
4. Il faut avoir une crainte raiſon
nable de la nature en toutes les actions
qui lui ſont conformes , & proteſter
qu'on y veutglorifier Dieu ſeul.
5. La nature eſt l'énemi capital de
l'Amour perfectif ; & le vrai amoureux
de Dieu craint la ſubtilité de ſes lacets
comme la mort & l'enfer.
6. Ceux là ſont morts à la nature qui
n'ont autre deſir que d'étre éternelle
IIlCIlt
Chap. IX. Retherches de la nature. 27 t
ment dominés de Dieu & de ſa grace
pour ſa ſeule gloire.
7. La nature cherche toûjours ſa ſa
tisfaction dans les choſes parfaites; de
#i là vient qu'on ne veut avoir rien de de
fectueux pour ſon uſage.
8. On connoitra certainement ſi
# l'on eſt épris de l'amour naturel de quel
# que choſe deſirée qui ſoit belle & bon
ne, lorsqu'on a quelque regret ou ſen
# timent des plus petits manquemens de
# la perfection de cette choſe.
9. Plus le bien qu'on recherche eſt
D; grand & univerſel, plus ſubtilement
:, & finement l'eſprit eſt ſurpris de la na
ture dans les perſonnes moralement ver
tueuſes.
1o. Tout ce qui eſt anxieuſement re
cherché, eſt animé de quelque aparen
ce qui cache la verité à l'entendement,
1 I. Quand l'afection naturelle eſt gran
dement vive en quel qu'un, la droite &
pure intention envers Dieu ne lui ſert
que de couverture , l'afection ſurpaſ
ſant l'intention. De la vient que les
vrais ſpirituels montrent moins devi
vacité à cntreprendre les actions difici
les de charité ou d'autre vertu : parce
qu'ils vivent en eſprit & ſont mortifiés
en la mature, ſe défians de leurs forces
& de leur pouvoir.
12. Aucun pour ſaint
M
qu'il ſoit , V1t
ne
2 72 Maximes ſpirituelles.
vit ſans fins & ſans intérets particu
liers ; les ſpirituels, ſpirituellement ;
& les groſſiers, groſſiérement.
' , 13. Plus les hommes ſont grands ,
leurs intérets ſont auſſi plusgrans, &
fort ſouvent en ſainteté prétextuée &
imaginée par apétit de propre excel
lence.
14. La nature s'excuſe, s'accuſe, ſe
juſtifie, ſe blame, s'humilie & ſe de
prime ; & tout cela par déleétation &
complaiſance de ſoi-méme.
15. Le plaiſir & le repos de la grace,
c'eſt de ſe cacher aus hommes : au con
traire, la nature deſire ſe manifeſter à
tOUS. -

16. Plus les hommes ſont parfaits,


plus ſe doivent-ilsgarder d'eux mémes,
à cauſe des trés-ſubtiles refléxions de
nature, qui ſe delecte & ſe plait dans le
beau , le bon, le parfait entre les cho
ſes qui lui ſont trés-licites.
17. Tout ce qu'on fait de bien à au
trui ſans raport à l'amour & à la volon
té de Dieu, n'eſt que propre inſtinct
de nature. -

18. Il n'y a eu guéres de ſaints ſur la


terre qui aient entiérement connu la
malice de leur inſtinct naturel à ſe chercher
ſoi-méme.
I9. Tout le bien que nous deſirons
pour nous & qui eſt conforme a nôtre
apetit,
Ch. IX. Recherches de la nature 273
apetit , nous doit étre fort ſuſpect ,
parce que nous nous recourbons faci
lement vers nous » que méme nous
nous recherchons dans les intentions
qui nous ſemblent divines. . -

2o. Les ſubtiles proprietés intérieures


ſont la peſte de l'eſprit : & ceux-là en
ſont occupés inconnûment & ſecréte
ment juſqu'à la mort qui ſont lâches à
répondre à Dieu de tout leur éfort &
étendue. . , - «

2 I. Les perſonnes qui profitent


vraiment doivent étre ſi fixement atta
chées à Dieu ſeul, quel'un de ſes dons
leur étant ôté, elles n'aillent pas s'ata
cher à un autre qui leur reſte ; ou,
tous leur étant ôtés, qu'elles ne s'atta
chent point à Dieu méme pour s'y re
poſer : † ce qu'alors Dieu méme
ne leur ſeroit qu'en qualité de bon, &
non pas en qualité de Déité nüe & ſim
ple. .. , -

: 22. L'imagination contrefait ſou


vent les ſentimens & les inſpirations
du pur eſprit. : … .. | . '
| 23. La nature veut ſuivre les créatu
res , & la grace au contraire y veut
mourir. La nature deſire le beau, le
bon, l'excellent, le parfait & l'éclat
la grace au contraire abhorre tout cela:
cheriſſant le mépris & la vie inconnue,
& ſe nourriſſant de confuſion éternelles
•' • M 5 - ſi
274 Maximes ſpirituelles.
ſi beſoin eſt. La nature cherche ſon
plaiſir & ſon ſoulagement par tout; &
la grace n'en veut point , adhérant
nüement à Dieu , qui eſt ſa conſola
tion & ſon tout. Enfin, tout ce que
la nature veut pour ſoi, la grace l'a en
horreur.
24. La nature veut avoir le beau & le
bon toute ſeule, méme entre les cho
ſes ſaintes & ſpirituelles : mais la gra
ce préfere les autres à ſoi , & aime
mieux telles choſes pour autrui que
pour ſoi-méme ; parce qu'elle croid
chacun meilleur devant Dieu que ſoi
méme.
25. Les inſtincts du Diable provo
quent toûjours à préſomption ; & s ils
pouſſent à l'humilation, ce n'eſt que
par hypocrifie & pour étre eſtimé des
hommeS.
| 26. Plus la nature eſt apâtée de l'Eſ
prit de Dieu , qui lui eſt grandement
ſavoureux , plus auſſi eſt elle encline
& active à le tirer à elle & en faire fa
proye. Elle joint toûjours fon propre
eſprit à l'Eſprit de Dieu ; enquoi elle
le ſalit & le ſoüille à ſon grand domage.
Que ſi on ne l'obſerve de bien prés, il
en ſera toûjours ainſi,
| 27. Le plus ſubtil piége que nous
tende la nature , c'eſt de nous faire
prendre le licite pour l'expédient.
- - 2 - . 28. Na
Chap. X. Mortification. 275
28. Nature , méme dans les plus
avancés, eſt tellement encline à ſe re
· chercher & à ſe delecter de ſoi, que ſi
on lui ôte une choſe, elle a auſſitôt re
cours à une autre pour s'y repoſer &
deiecter : ſi on lui ôte un objet ſenſi
ble, elle aura recours a ceux de Peſprit:
ſi on lui ôte ceux-ci, elle ſe fervira de
Dieu-méme pour s'y repoſer par pro
pre intéret.
29. L'Eſprit de Dieu gaignant
amoureuſement & librement ſon ſujet,
le fait refléchir inceſſamment ſur Dieu,
& par conſéquent le fait opérer en lui
& pour lui. L'eſprit naturel au con
traire, atendriſſant& dilatant le cœur
par certaines lumiéres & delices fen
fuelles , fait continuellement refle
chir fon fujet fur ſon propre intéret.

C H A p I T R E X.

De la mortification de la nature. •

I. f E meilleur moien de M o R
"T 1 F I E R la nature dans ſes
propriétés, c'eft de les lui ôrer avant
qu'elle les poſſéde : parce qu'on ne
déſire pas tant ce que l'on poſſéde
que ce que l'on n'a pas.
2. ll faut tâcher de tromper fana
M 6 tul f€
276 Maximes ſpirituelles.
ture en toutes ſes commodités , tâ
chant neanmoins par diſcrétion de lui
trouver ſon juſte milieu.
3. Il eſt en quelque façon plus
dangereux de manquer à la mortifica
tion des petites fautes que des médio
cres : car les petites fautes & imper
fections voilent les yeux, & les gran
des les dévoilent.
4. Tout ce qu'on deſire ſans par
faite indifférence, & ce qu'on entre
prend de ſa propre volonté, eſt pro
pre recherche & amour de ſoi-mé
II]C,
, 5. La récréation des ſens eſt une
mort aus perſones ſimples & abſtrai
tes ; & elles n'y ſortent jamais pour
ſe recréer , mais ſeulement par con
trainte & neceſſité , pour le bien &
édification du prochain.
6. Les loix ne nous ſont données
de Dieu & des hommes que pour al
ler à ſens contraire de nous mémes,
& pour détruire en nous l'homme
animal & charnel.
- 7. Comme l'auſtérité du corps é
tant ſeule, eſt toute propre pour en
gendrer l'orgueil; auſſi quand elle eſt
jointe à l'amour intérieur, elle eſt
propre & abſolument néceſſaire pour
guérir l'enflure & la vanité.
.8 Celui qui n'a pas ſes paſſions
par
Chap. Xſ. Amour de Dieu. 277
5, parfaitement mortes , n'eſt pas ſuffiſa
# ment diſpoſé a recevoir le don d'intel
ligence , ſans l'infuſion & habitude
duquel il eſt impoſſible d'étre paſſé &
changé en eſprit.
9. Les vrais enfans de l'eſprit pre
nent avec tenacité & pour jamais le
parti de Dieu contre eux-mémes ,
ſans remiſſion ni indulgence quel
conque.
#
1o Le vrai ſerviteur de Dieu s'a
nime continuellement à ſe combattre
ſoi-méme généreuſement, fortement ,
& ſaintement » ſans avoir égard à la
recompenſe ; mais ſeulement à l'a
mour & au bon plaiſir de Dieu.

C H A P 1 T R E XI.]
De l'Amour de Dieu.

I• A# Dieu , quel aveuglement


& quelle miſere ! Eſt-il poſ
ſible que les hommes , qui ſemblent
étre des aigles à force de ſurpaſſer la
nature des choſes , ſoient ſi éloignez
,
#
de connoitre les voyes d'A 1 M E R &
de connoitre Dieu en lui-mémc ?
» · 2. Ce qui nous doit exciter à aimer
infiniment , c'eſt que nous ſommes
les ſaillies de l'amour infiniment ex
M 7 ceſſif
#
278 Maximes Spirituelles.
ceſſif de Dieu , qui nous mettant en
évidence à nous mémes pour jouir
pleinement de lui , veut que nous
l'aimions d'un ſoin & d'une étude
continuelle.
3. J E s U s CH R 1 s T eſt mort ſur
la croix pour tirer tout l'homme à
ſoi , & le perdre par plongement a
moureux & continuel dans l'abime
infini de ſon amour.
4. Nous devons vivre continuel
lement dans la vûe & l'abime infini
de l'amour de J E s U s C H R I s T , lui
rendant amour pour amour, douleur
pour douleur , pénitence pour péni
tence , pauvreté pour pauvreté , vie
pour vie , tout pour tout , quoique
de ſa part tout ſoit infini , & de la
nôtre rien du tout.
5. Nôtre Seigneur mérite tant d'é
tre aimé , que i'amour des Sérafims
eſt petit à cet égard.
- 6. La vraye & forte charité ne
cherchc ni commandement ni obli
gation expreſſe pour bien-faire.
7. Raiſonner pour aimer , c'eſt
pécher contre l'amour.
8. Si l'amour n'outre paſſe la raiſon,
l'homme ne ſe paſſera jamais ſoi
méme.
· · 9 Celui qui eſt dans un parfait
*ºur de Dieu2 ne lui demande jamais
* rien
Ch. XI. Amour de Dieu. 279
rien que pour ſa trés-haute gloire &
en parfaite conformité à ſa volonté
divine.
1o. L'Amour n'eſt point-oiſif, & il
ne s'aréte jamais qu'il n'ait ſurpaſſé
t à vive courſe d'afection & d'action
ſº tout ce qui lui fait obſtacle & empé
chement.
# I I. Ce n'eſt qu'un jeu illuſif, de
nulle valeur , & ſans effet , que de
n'avoir que des ſentimens de tendreſ
ſes & de devotion ſenſible, qui ceſ
ſant , on ſe trouve tout vuide de ſa
bonne volonté précédente.
12. Le pur , par ſait & eſſentiel
amour conſiſte dans la croix & la ſou
france volontaire , dans la pratique
des vertus pendant [l état de]l'action,
dans la profonde humilité, abjection
& mépris de ſoi-méme , dans l'éter
nelle mort & pauvreté d'eſprit ; &
il n'y a point d'autre ſainteté en cet
te vie qu'en l'éternelle ſuite de nôtre
Sauveur , mourant pour nous ſur la
CrO1X. * - - - - -

c 13. L'Amour ne recule jamais &


ne dit jamais c'eſt aſſez : il rougit en
tendant le terme de dificulté : il aime
au deſſus du temps & au deſſus du
ſens ; & ſon effet ſe connoit dans
les ſoufrances amoureuſes.
14. Le fond de l'ame n'eſt point
à pénétré
28o Maximes ſpirituelles.
pénétré d'amour pur qu'il n'ait ſurpaſ
ſé entiérement les vertus. Le pur
amour ne convient qu'aus ſouverai
nement parfaits. -

15. Le vrai amoureux agit toûjours


dans Dieu quand il eſt à ſoi ; & il
pâtit de bon cœur quand il n'y cſt
pas. Il n'a point d'élection ni de
deſir que de ſe donner en proye au
martyre de l'amour ; & c'eſt ici le
plus haut point des pratiques de l'a
mour en cette vie.
16. Dieu aſſemble en nous les tré
ſors de ſes graces pour les y con
templer comme éfets de ſon amour.
17. Si l'amour ardent n'eſt en nous,
l'eſprit & la lumiére de Dieu n'y ſe
ront point auſſi ; , & ce ne ſera pas
merveille de nous voir perdre en
nôtre propre eſprit , n'ayant pas voulu
nous perdre heureuſement en l'Eſprit
de Dieu.
18. Celui qui ne vit qu'en l'amour
de ſoi-méme , eſt mort , & pis que
mort ; puis qu'une telle vie n'a que
l'impetuoſité de ſes paſſions & de ſes
ſens pour moienner ſon repos.
19. Celui qui ſe montre facilement
vaincu aus difficultés & exercices pé
nibles, c'eſt un indicetrés-certain qu'il
n'a l'amour qu'aus paroles & en deſir ;
& non au cœur & aus œuvres.
2o. Le
Ch. XI. Amour de Dieu. 281
2o. Le vrai & fort Amour de Dieu
fait-dans les hommes un eſprit ſim
ple, un deſir fimple & étendu , un
total recueillement de toutes les puiſ
ſances tant hautes que baſſes, en ſor
te qu'elles ne ſemblent étre qu'une
méme choſe à l'égard du ſouverain
|# Bien.
21. Il n'y a rien de plus doux ni de
plus agréable à l'homme capable d'a
mour , que de ſe voir aimé de Dieu ,
qui eſt d'une nobleſſe, d'une excellen
ce, d'une amour infinie.
22. Il faut que les ſerviteurs de Dieu,
apélés à l'excellence de ſon divin a
mour , ne ceſſent jamais de s'écouler
en lui par un amourvif & ardent , ſe
ſurpaſſans eux-mémes & toutes ima
ges ſenſibles; afin que ſans empéche
ment & en repos d'eſprit ilsjouïſſent
de Dieu leur ſouverain Bien, au con
tentement éternel de Dieu-méme.
23. Le comble de la miſére des mi
ſéres humaines , c'eſt ignorer Dieu ,
ne le ſentir , ne le déſirer , & ne le
# goûter point.
24. C'eſt une choſegrandement dé
plorable, de ſavoir & croire combien
# Dieu eſt aimable en ſoi ; & néan
# moins que nous ſoyons ſi pareſſeux à
# nous exciter ſaintement à l'aimer hau
#
tement & profondément. L Voyez les
- chapitres
282 Maximes ſpirituelles.
chapitres de l'Amoureuſe Reſignation
é de la Mort myſtique. ] -

C H A P I T R E X I I.

De l'Amour du prochain.
I• Tºu# perſonne doit plus fai
re de cas de ſa perfection ſe
lon Dieu, que de celle des autres au
domage de la fienne.
2. Ceux qui ſont ſans force & ſans
fidélité pour généreuſement mourir en
nudité d'eſprit aus influences ſenſibles
de Dieu , s'imaginent quelques fois
que Dieu ſe veut ſervir d'eux & qu'il
leur inſpire d'aller reformer les autres.
Ce n'eſt que folie, vanité, propre re
cherche & complaiſance de nature ,
qui laſſée de nudité, chercheles moiens
de vivre & non pas de mourir.
· 3. Le devoir du vrai parfait eſt d'a
doucir la croix de ſon frére , & non
pas de l'augmenter, compatiſſant au
tant qu'il lui eſt poſſible aus douleurs
du pauvre crucifié.
4. Il faut étre ſaint non ſeulement
en ſoi-méme; mais auſſi en ſes œu
vres » pour l'exemple du prochain ,
qui ne voyans point nôtre fond, n'en
Peut juger que par les œuvres.
5. La
Ch. XIII. Oraiſon, vie intérieure. 283
5. La vraye & forte charité ne cher
che ni commandement ni obligation
pour aſſiſter le prochain; mais ſeule
•" ment l'occaſion de le faire.

-=-T- - --E

C H A P I T R E XIII.

De l'Oraiſon & de la vie Intérieure.

I. ( Eux qui ſervent Dieu en for


=*ce & vérité d'eſprit, doivent
étre bien adroits à ſe détourner de tou
tes les créatures & d'eus-mémes , & fe
rendre attentifs à voir & ſentir autant
qu'ils pourront l'infinie Majeſté de
Dieu, afin de ſe répandre devantelle
de cœur & d'ame comme une eau trés
odorante en la douce & ſavoureuſe
ferveur de leurs P R I E R E s.
2, Afin d'avoir une attention paiſi
ble & continuelle pendant l'oraiſon, il
eſt néceſſaire d'avoir une grande pu
reté de cœur , d'intention & d'afe
ction , avec la paix du cœur & de l'eſ
prit.
3. Pendant qu'on eſt en jouïſſan
ce paiſible & entiére de ſon cœur &
de ſon ame , il faut alors s'entretenir
avec Dieu le plus tendrement & le plus
intimement que l'on pourra , par des
collo
284 Maximes ſpirituelles.
colloques amoureus , ſimples , inté
rieurs & ſpirituels. -

4. Quoique nous portions des corps


de terre, nous devons pourtant vivre
au deſſus des choſes ſenſibles par un
vol continuel du cœur & de l'eſprit,
n'ayans en terre que le corps, l'ame
étant toûjours occupée de Dieu & en
Dieu. -

5. Nous devons croire que nous


n'avons la vie de la nature & de la
grace que pour retourner activement
& nous refondre vivement en Dieu.
- 6. Une ame vuide de deſirs inté
rieurs & de ſentimens de Dieu , ſera
inceſſamment en refléxion ſur ſoi-mé
me, & par conſequent, toûjours mé
contente, & malheureuſe en ſon in
quiétude.
7. Le commun des hommes aime &
cherit la ſainteté dans les autres : mais
quant à eux & pour eux, ils la fuient
Sc la détruiſent tant qu'ils peuvent.
, 8. C'eſt choſe aſſurée, que comme
l'ame eſt la principale partie de l'hom
me, elle fait auſſi la principale partie
de la Sainteté. -

, 9. C'eſt choſe digne d'éternelle ad


miration , de voir que les hommes ne
veulent rien avoir de mauvais que leurs
propres ames. -

1o. Ce qui afiige, pour ainſi #


Ch. XIII. Oraiſon,vie intérieure. 285
# infiniment-nôtre Dieu , c'eſt de voir
u'il ne peut trouver des ſujets diſpo
# ſés à recevoir ſes abondantes & amou
a reuſes communications. -

#; 1 I. L'aveuglement, la dureté , &


# l'inſenſibilité dans les choſes ſpirituel
§ les , ſont la conſommation de tous les
): maux. . · -

| 12. Helas, quelle Religion y a-t'il ,


aujourdhui ! Ce ſont des corps & des
# chefs animés de l'Eſprit de police, où
- l'acceſſoire frape les hommes , & le
# principal languit. | | - -

| 13. Si Dieu accordoit facilement


aus hommes communs ce qu'ils lui de
mandent, il aviliroit ſes dons , ils lui
, en ſeroient ingrats, & ils en abuſe
# roient à leur perte. - ' .

" , 14, Celui-là eſt bien loin d'étre


parfait qui ne ſait pas trouver Dieu
, en toutes choſes. . , ' ' • . ::
s 15. Le Spirituel doit plus vivre de la
# préſence de Dieu, que ſon corps ne
vit de ſon ame. . · · · · ·
# 16. Ceux qui ſont entiérement poſ- !
ſedés & dominés du ſavoureux & fim
ple Eſprit de Dieu, n'ont en eux rien
# de forcé ni de violenté; mais il ſem-,
# ble quaſi que l'Eſprit de Dieu faſſe
tout ſeul toutes leurs actions au dehors .
pour ſa propre gloire & pour la pro
fonde édification du prochain. -

· · · · | 17. La
286 Maximes Spirituelles.
· 17. La diſcrétion & la vraye pru
dence ſont les marques du vrai profit
d'une ame dans la vie intérieure.
18. Helas, que c'eſt grande miſére
aus hommes de n'étre point pleins de
Dieu , & inceſſamment dorninés de
ſon Eſprit !
19. Nous ſommes capables de l'a
mitié de Dieu aus frais infinis de Dieu
méme : & il eſt grandement marri de
ce qu'il ne peut faire aushommes tout
le bien qu'il voudroit par la commu
nication abondante de ſon divin Eſ
it , & de voir ſon infiaie largeſſe
bornée de ſi prés de la part des hom
IDCS,
2o. Pluſieurs perſonnes addonnées
à l'oraiſon ne ſavourent jamais Dieu ;
parce que hors de l'Oraiſon elles ne
s'appliquent pas à lui.
2r. Celui qui s'occupe dans la cir
conference des créatures, s'éloigne de
ſon centre, qui eſt Dieu. C'eſt pour
quoi il faut étre eſſentiel, reſſerré &
concis dans ſon occupation d'eſprit.
· 22. C'eſt bien la raiſon que ceux
qui ont pris plaiſir à tirer à eux les
eſpécesdelectables des chofes extérieu
res » en ſoient travaillés au temps de
l'oraiſon par un juſte châtiment de
Dieu stelles repreſentations étant leurs
boureaus qui leur ferment l'entrée à
:: ! - la
Ch. XlV. De la Foi. 287
la douce communication de Dieu en
' eux-mémes.
23. Le fonds de nôtre ame eſt le
lieu de nôtre inéfable felicité. Ce
que Dieu nous manifeſte là de ſoi eſt
ſi merveilleux, que rien n'en tombe
ſous le ſens pour étre exprimé. C'eſt s
là que nous ſommes perdus en Dieu,
où nous demeurons ſtables & immo
biles dans la plénitude des ſaints. Là
nos racines ſont infiniment profon
des, & nôtre jouïſſance inéfablement
ſavoureuſe par deſſus le goût éternel
de l'amour en ſoi » & en éminence de
repos.

C H A P I T R E X IV.
De la Foi.

I• Comme le corps ſans ame eſt


mort, de méme L A F o 1 eſt
morte ſans amour.
2. La foi languit & n'a que demi
vie dans la plus part des hommes; &
Dieu eſt fi petit en eux , qu'il y eſt
comme anéanti.
3. Les hommes en commun ont ſi
peu de foi , qu'ils n'en ont que quel
ques traces & veſtiges ; deſorte que
leur dire qu'ilfaut avoir une hauteeſti
1Il6:
288 Maximes Spirituelles.
me de Dieu par amour , c'eſt parler
à des ſourds , vouloir animer des pié
res, ou parler de la ſageſſe à des bé
tes brutes.
4 La foi acquiſe par étude n'eſt
u'un grand coloſſe animé de fort peu
e vie : à peine peut on dire s'il eſt
mort ou vif ; & c'eſt plûtôt ſcience
que foi.
5. La ſcience ne ſert fort ſouvent
qu'à ruïner & non pas à aiguiſer la
foi : autrement, on verroit les doctes
étre amoureux de Dieu , charitables,
recueillis , & bien ordonnés en eux
mémes.
6. Le plus pur & le plus eſſenciel
point de nôtre amour central, conſi
ſte à adhérer à Dieu par une trés-ſim
ple, trés-nue, & trés-amoureuſe foi,
7. Plus la fi eſt ſavoureuſe & aqui
ſe par amour aprés ſa premiére infu
ſion , plus elle illumine l'amour, com
me auſſi l'amour conſolide la foi.
. 8. Ceux qui ont cette foi ſavoureu
ſe , jouïſſent dés ici bas en quelque
dégré, de la félicité participée.
- 9. Quiconque a la foi & le vrai a
mour , eſt au deſſus de toutes choſes,
contemplant Dieu d'un regard trés-é
†ent & élevé au deſſus de ſoi-mé
1o Dans les parfaits la foi eſt preſ
que
Ch. XV. Force & patience. 289
•que la méme choſe que l'amour, quoi
# ſachent bien y mettre la diſtin
-étion qu'il faut. .. ... , , ,, ,,
st I I. La plus-part des hommes fer
ment & lient lés. mains à Dieu , qui
-voiant leur petit amour & leur petite
foi , ne leur peut communiquer ſes
-dons qu'écharſement & petitement.,
-----─ ─----

- º C H A p f r R E X V. »ſº
- º tº : 2º , 21 # : # | j,og
De la fºce, patience, cºnſtance & geners
· · º · fité d'eſprit, '' • !

- I- . 'Eſt je propre devoir & l'é


, $-'ſet de la F o R c E divine que
# _d'élever la natqre au pur eſprit : la
: changer en lëi, & joindre inceſſam
| ment le tout à Dieu d'un amour trés
· étroit. , . .. · .. ,. .
2.La force divine produit toûjours
infailliblement ſon éfet où elle eſt s'il
ne tient à ſon ſujet. .. | | '
: 3 La # la ſageſſe dans
· l'homme, & la ſageſſe réglé la force :
car la force qui # ſans ordre & ſans
diſcrétion , n'eſt que temerité, fureur,
& précipitation. . ,
4. La vraye fºrce entretient & fo
• mente l'humilité , & eſt neçeſſaire à
aquerir & à conſerver tous les biens
de l'eſprit -- | | ..
$ · · · · · N • -- 5. Nos
2oo ° Maximes spirituelles.
5. Nos ennemi# ſpirituels ſont le
-ſujet perpetuel de l'exercice de nôtre
force , lequel exercice conſiſte en for
§tiºn dans la proſpérité » & enforte
ſoufrance
" Ladansforce l'adverſº º , , ..
des parfaits eſt ſimple &
nue, & reſide au fin fonds de l'ame
§ toutes leurs puiſſances ſont redui
§ au de-là de toute opérati9n ſenſi
ble, & d'où l'homme, ſenſitif ne re
çoit plus ni force ni ſecours ſenſible
pour opérer fortement . comme il en
§voſ au commencement Ce qui
étant ainſi , l'homme eſt devenu fort
d'eſprit , & peut neanmoins étre en
core trés infirme de corps : rien ne
lui plait tant que ſa croix , & cepen
§ peine peut il rien endº de
§t'& de douleureux en ſon corps
ſans ſe douloir & en gemir douce
§nt ,pasquoique pourtant
mondesnº ºº
§ pour mille qu'il en
fº#
es foibles|doivent .humblement
.. 7. , ..
demander à Die la delivrance de
º§ux
·§ndant lapourfºrce ledemieux ſervi†
pouvoir mourir
nuement & ſans amour ſenſible ſurla
croix ... .. ... ,.
| 8, Les parfaits ſe peuvent delivrº
des maux de
jouïſſance quileur
les divin
détournent de #
objet : mais
* . quand
Ch. XV. Force & patience. 29r
# quand ils ne pourront s'en delivrer,
:: c'eſt là qu'ils doivent languir & mou
# rir ſur la croix , crucifiez au dehors »
$! & repoſés en Dieu au dedans. . :
9. Le plus haut & noble état de la
# force divine, eſt de faire que l'ame ne
#| s'impatiente jamais en la durée de ſes
1nOftS. • -

#!
# * : 1o. La P A T I E N c E qui ſe laiſſe
# vaincre par la durée, montre que le
;# fonds d'où elle procede eſt encore im
parfait. -- - - - "

II. L'ame qui ne ſe trouve pas pai


ſible & tranquille en ſon fonds durant
les ennuis de nature, eſt vaincue , &
refléchie ſur ſoi & ſur la nature. .
12. L'impatience , & l'amertume de
cœur viennent ſouvent d'un fonds im
mortifié , vuide d'amour ſenſible, &
qui n'a que ſoi-méme pour fin en ſes
Oeuvres , quoi qu'il lui ſemble le con
traire.
#
13. La vraye vertu & charité ſe mé
ſure par la force & par la co N s T AN
C E que l'on a pour combattre G E
N E R E U s E M E N T les ſouſtractions
des néceſſités tant de l'eſprit que du
corps. Car la charité eſt forte comme la
mort , & les eaus des tribulations ne la
doivent jamais éteindre,
14. Ne vous inquiétés jamais pour
quelque accident que ce ſoit : car l'in
N 2 qu1c
292 Maximes Spirituelles.
quiétude [ou le trouble] eſt la porte
par où le Diable entre dans l'ame ;
de ſorte que les vertus, & Dieu mé
me deſiré, avec inquiétude d'eſprit,
ne ſont que recherche & ſatisfaétion
de ſoi-méme.
: 15 Les eſprits inſtables & inconſtans
ſont comme la Lune, toûjours chan
geans, & nullement propres pour les
hautes entrepriſes de l'eſprit ; parce
qu'ils ſont ſans cœur & ſansgénéroſité.
16. C'eſt une choſe trés difficile d'é
tre exercé continuellement des hom
mes malins, & encore plus des Dia
bles : parce qu'on les void dépouillés
de toute humanité. Mais l'ame fidé
le regarde toûjours à Dieu là dedans,
lequel opére dans elle par une forceſe
créte qui la tient joieuſe au fond de
ſoi-méme dans ſes penibles exercices,
ſans réflechir ſur la créature.

c H a P 1 r R e xv I.
De l'amoureuſe Reſignation & Renonciation de
mous mémes dans la croix & la tribulation.

, I. ENcore que quelqu'un n'atei


gne jamais au plus haut étage
de l'amour, ſi néanmoins il ſe renon
ce & ſe perd entiérement ſoi me# uf
Ch. XVI. Reſignation & Renonc. 293
ſur ſon propre intéret, un tel amour
RENoNcEº eſt ſouvent plus agréable à
Dieu qu'un amour tout liquefié &
hautement élevé. Et c'eſt en cela que
la volonté de l'homme (qui eſt tout ſon
rréſor) ſacrifie amoureuſement à Dieu
tout ſon empire par deſſus toute in
fluence & tout ſentiment.
· 2. RENoNcIATIoN eſt un entier
abandonnement qu'on fait de tout ſoi
à Dieu , ſans aucune reſtriction ni
d'œuvres ni de temps ; pour preuve
dequoi la créature ne veut , n'agit,
& ne pâtit purement & ſimplement
que pour le ſeul bon plaiſir de Dieu.
3. Le feu de l'amoureuſe reſignation
ſupprime tout ſentiment, tant au de
dans qu'au dehors, juſqu'aus moiiel
les de l'ame & au plus intime de ſon
fond ; laquelle reduite a ce point de
deſolation & d'impuiſſance , brule
fon holocauſte par deſſus toute con-'
noiſſance, ſans qu'elle ſache ſi elle eſt
digne d'amour ou de haine, ni ſi el
le connoit Dieu ; quoi qu'elle lui ad
here par un trés nud & trés ſimple a
mour , & par une ſecrete force paſ
ſive. Elle ne penſe nullement à cher
cher les moiens de ſa delivrance , tout
ſon plaiſir étant de mourir éternelle
ment en cette Croix ſi Dieu le vou
loit ainſi : & les créatures ſont plus
N 3 capa
294- Maximes Spirituelles. .
capables de rengreger ſon mal que de
la conſoler. Ces ames-ci ſont des
plus pures qui vivent ſur la terre.
Mais helas ! à peine ſavons nous de
qui nous parlons. -

| 4. Ce qui rend la parfaite Renoncia


tion ſi inconnue eſt , qu'on croit que
la ſainteté conſiſte dans dehautes élé
vations de l'entendement , & non à
porter ſa Croix avec JEsUs CHRIST,
ſoufrant avec lui » & mourant dans
les croix de l'eſprit & du corps. Er
reur, ténébres , & miſére trés-gran
le ! car le don & le goût de Dieu n'eſt
qu'un moien pour aquérir la ſainteté,
& non la ſainteté méme.
- 5. Ceux-là ſont trés-ſaints entre les
ſaints qui ſont inſatiables de ſoufran
ces & d'angoiſſes dans leur abondan
ce & dans leur durée. -

6. La vie renoncée eſt au deſſus de


tous les miracles que les ſaints ont ope
rés; par ce qu'étant ſi ſurnaturelle &
ſi rare, la créature y donne beaucoup
du ſien , & quelquesfois tout , ce
ſemble, à cauſe de ſa grande nudité,
deſtitution , foibleſſe , efuſion totale
de ſes puiſſances, ignorant alors Dieu
& ſoi-méme. Ce qui fait qu'elle ne
ſait ſi elle eſt morte ou vive ; ſi elle
gaigne ou ſi elle perd; ſi elle conſent
ou ſi elle reſiſte. C'eſt là que l'ame
_ - * - ago
Ch. XVI. Reſignationé Renonc. 295
agoniſante rendant la vie à Dieu ,
meurt & expire de douleur & d'anr
†º lesbras de Dieu,
: oûmiſe , reſignée » & renonçée en
tout çe,qu'il lui plaira 2l 2tir C : 1
97, La perte véritable n'eſt dure que
pour quelque temps aus jeunes & a
prentifs:, car elle eſt facile au milieu,
& trés-dquce à la fin-ori ,, , ,
: 8 Si l'on eſt totalement ſuſpendu en
ſes puiſſances ſans pouyqir agir ;, il
faut endureri les peiqes ide ces lan
goureux)éforts d'eſprit en éternelle,
reſignatipn avec joye & plaiſir : car
c'eſt en cela que conſiſte la plus épu
rée & excellente ſainteté dans les a
mes fortes & généreuſes , qui ſoû
tiennent ainſi Dieu par deſſus toute,
afiuence & toute lumiére, · · · :
.29. L'ame parfaitement renoncée ne,
ſe plait à rien tant qu'à delecter Dieu
à ſes frais & dépens éternels. , :
. 1o. La perte double & totale ,
c'eſt à dire , ſelon le corps & ſelon
l'eſprits ne convient qu'aux excellens
ſaints. - , , ,: . : > *• . :
- 1 I. Ilya peu de perſonnes qui veüil
lent paſſer à la perte du repos ſenſi
ble : c'eſt une tres-forte bariére que
l'on ne veut point franchir. . ·
| 12. O que c'eſt un riche tréſor de
ſe11-;
t
poſſeder en paix & tranquilité †
N 4- aIlt
296 . º Maxime, spirituellesi i ..,rſ >
dant que les puiſſances animales ſont
detenues, occupées, &, ce ſemble,!
attentives aus vives & continuelles ſou
frances !ºouº 25 , 2 gº , cliºii t
13. Dans letempsldesCroixP,2aban
donneménsl& déſolations , il faut ſe
tenir joyeux au plus profond de l'eſprit,
& s'y enfuir par une ſimple & joyeu
ſe abſtraction pour y contempler Dieu
(qui ſeul y réſide) en repos & fruition,
paſſivernent , hors de nous & en lui. .
- 14.ºO folie des Chrétiens inſenſés,
qui penſent jouïri du Paradis ſans vou.
loir imiter j E s g s C H Ra s'r dans
fa Croix & dans ſa pauvreté d'eſprit !
315. Quiconque deſire de pâtir ſans
foulagement & de Dieu & des créatures,
eſt bien loin de refuſer les accuſations
injuſtes qu'on fait contre lui, méme
en ſa plus grande déſolation intérieure.
* 16. Les parfaits & ſolides en chari
té ne deſirent jamais qu'on les plaigne
en leurs maux ; & méme s'ils pou
voient demeurer inconnus en leurs
mala dièsº, ce ſeroit leur deſir & con
tentement ſupréme. -* sl ! .

- 17. Il fautique l'homme parfait faſ


ſe trés-grand cas des croix extérieures.
Que ſi elles ſont ſi fortes qu'il ſoit
tout là-dedans , de penſées & de ſen
timent , il doit alors préferer telles
croix &'abaiſſèmens à ſon repos d'eſ2
"" !) + ri prit »
Ch. XVI. Reſignation & Renonc. 297
prit, faiſant le moins de mouvemens
& de plaintes qu'il pourra : Car quoi
: qu'il ſoit trés-dificile dans ces , cruci
fiemens de demeurer coi par dehors ,
néanmoins il faut en cela édifier le
prochain , qui ne nous juge que par
ce qu'il voit.
18. Dieu fait un indicible bien à
ſes créatures quand il ſe reſoud de les
châtier rigoureuſement dés cette vie : ſa
juſtice ainſi exercée ici bas , eſt le
plus haut effet de ſa miſéricorde.
C'eſt ſelon cette raiſon & dans ce fond
d'eſprit qu'il nous faut voir tous les
événemens de Dieu dans nous, nous
contentant de lui demander force &
vertu pour les ſoûtenir, - -

19. Etre exercé de Dieu par mala


dies & aflictions vaut incomparablement
mieux pour l'expiation de nos péchés,
que tous les exercices enſemble entre
pris de nous mémes, à cauſe de l'em
pire abſolu de Dieu ſur ſa créature ,
& du néant de la créature, auſſi bien
que de ſon indignité & de ſes pechés.
La maladie donc contient en ſoiémi
nemment toutes ſortes d'exercices ,
pour qui que ce ſoit. . : , ti -
, 2o. Les miſéres du corps nous ſont
données pour guerir celles de l'ame ;
& celles de l'ame pour nous guerir en
nôtre total. . , * f. - º - º:
-

" .
N 5 21.Les
298 Maximes Spirituelles.
2 I. Les miſéres auſquelles le peché
nous a aſſervis ſont l'uſure que nous
payons pour le plaiſir que nous y avons
ris: mais la miſere des miſéres eſt d'ig
norer cette verité, & ne s'eſtimer pas
miſérables parmy tant de miſéres.
22. La tribulation eſt le ſort le plus
defiré des juſtes: c'eſt leur riche poſ
ſeſſion & leur héritage en ce:te vie :
|
elle leur ſert a conſerver & à augmen
ter la grace de Dieu en eux 2 la te
nant ſaine & pure : & tout ainſi que
le feu épure les metaux , de méme la
tribulation épure l'ame des juſtes.
23. La tribulation eſt le plus grand
tréſor dont Dieu puiſſe honorer ſes
amis en cette vie. Ainſi les mauvais
hommes ſont trés-utiles pour le bien
des bons; & méme les Diables, quoi
qu'avides de nôtre ruine , nous font
le plus grand bien qu'on ſauroit pen
fer en nous afligeant. . '
24 La tribulation ſeule, méme dans
les hommes communs, les peut par
elle rendre ſaints, & méme de grands
ſaints , quoi qu'ils n'aient jamais été
à Dieu par voye d'eſprit ni par la con
templation : car, à le bien prendre »
la tribulation eſt la cime de toute la
vie active; & il y a pluſieurs grands
ſaints au Ciel qui n'ont jamais été
grands contemplatifs,
· · · | | , * •
qui ſont ſaints
pour
Ch. XVI. Reſignation é Renone. º299
pour n'avoir fait toute leur vie qu'en
durer ſaintement avec quelque dévo
·ite élévation d'eſprit & bde coeur à
· Dieu. : e g } iiº 2 ... • i • , ,
· s 25, La tribulation amoureuſe eſt la
médecine des eſprits malades & le preſ
ſoir des bons, d'où s'exprime le vin
délicieux duquel nôtre Seigneur mé
me daigne bien boire à plaiſir.it ,
#, 26. Quand Dieu crucifie l'ame au
plus profond d'elle méme, la créat .
rºne la peut conſoler : au contraire,
#lle ne lui ſert que pour l'affiger par
ſes conſolations ies plus intimes. #
27 Ceux qui ſont dans les croix &
les mortelles angoiſfes des ſouſtra .
ctions divines, étantalors indigens &
Pour eux & pour autrui, on ne doit
pas les faire ſortir à des paroies de lon
gue haleine : car autant de paroles
qu'on les contraint demettre en avant,
leur ſont autant de coups perçans &
, mortels : · · : · u ' ! ºo - 12
tº28. Quiconque ne ſoufre point ,
méme extrémement,: eſt bien éloigné
de ſe pouvoir connoitre : & tandis
qu'il en ſera ainſi , il aura trés-juſte
& trés-profond ſujet de ſe défier de
ſoi , & de s'humilier profondément en
ſon néant devant la Majeſté de Dieu.
, 29. La pure & profonde ſoufrance
furpaſſe
- i,
autanttoute
N 6
action, queplitude
i'am
A
#
o3©e •^ so« Màximes Spirituelles. - ·ti, -

plitude du Ciel empirée ſurpaſſe une


- petite noix»p : º : uº . .. _ '
I. 3o,-Ld,deſir que Dieuaid'illuſtrer
& d'exalter ſes ſaints eſt ſi grand, que
des cauſes de leurs tribulations ſont aſ
ſez ſouvent ſurnaturelles & de lui
ſeul.ol 9 - - ºo * , · ºct 2eb - :
- 31. Celui-là eſt vain & menſonger
qui ne ſoufre point : car l'homme eſt
né pour travailler, & par conſéquent
our endurer. Cela ſe doit croire à
bien plus forte raiſon des élûs & amis
de Dieu.» ! ' i º : | | " . - - - -

32, Larvie des imparfaits donne à


bon eſcient matiére id'exercice , : de
ſoufrance & de mort aus parfaits :
mais cela méme eſt le plaiſir de ceux
ci, ſachans par une ſavoureuſe expé•
rience que cela eſt leur purgatoire &
leur amoureuk martyre. : et 1 : º
.333 La vrayenReligion eſt une to
tale perte deiſoi-méme & des choſes
créées par une entiére transfuſion &
reſolutionide tout ſoi en Dieu , pour
ne vivre & ne mourir qu'en lui, juſ
qu'à la parfaite conſommation de da
chair & du ſang au feu de ſon amour.
of34e Celui : quio recoule inceſſam
ment en Dieu par amour , les con
trariétés de certe vie ſont ſon plaiſir
& ſa joyes & il les ſuporte d'un eſprit
fort & genereux par le moien de la
• … q à . . double
Chap. XVII. Mort Myſtique. 3oi
double force amoureuſe du trés-ſaint
Eſprit. : Il eſt aigle divin , contem
plant les choſes celeſtes & la Divinité
méme ;, & tout enſemble il eſt hom
me humain, negociant avec les hom
mes ſans deſiſter d'étre celeſte. Il n'ab.
horre rien que ſoi-méme & ce qui lui
apartient , & cherche inceſſamment
le bien d'autrui à la trés-haute gloire
de Dieu. . • • • | # 7 :: # * !
& 3 : º io ºr, v º1 , · · :
-—
C H A P 11 T R • E XV I_ I. -
. nºr :: ::,o •
: De la Mort Myſtique de l'ame en Dieu.
·· ,· · · · · · »

. t I. A Vant que l'ame defaille tout


: 4 * à fait à ſon opération dans
l'abime de Dieu ſon amoureux ob
jet , il lui a falu ſoufrir les profon
, des & les mortelles rigueurs de fer
, vente humilité en un temps, & plus
que fervente en un autre, & cela en
nudité, en M o R T s, renonciations,
, pertes, reſignations, indifférences, &
autres ſemblables voyes qu'il a falu gé
néreuſement paſſer ſans aucun apui ni
conſolation ; de ſorte qu'on ne ſau
roit exprimer combien elle a ſoufert
en chacun de ſes dégrés. - -- #

2. S'il ſe trouvoit quelcun ſi fidé


le à ſon devoir que d'avoir entiére
| : .ss N 7 ment
#
3o2 Maximes spirituelles.
ment paſſé la region des mourans, ou
que les profondes & continuelles morts
lui euſſent radicalement ſuprimé la vie
au feu amoureux de la cuiſante &
conſommante tribulation de l'eſprit
& du corps, ce ſeroit une ame ſi ex
célente & ſi rare en ce ſiécle , qu'à
peine en connoit-on une ſeule : Car,
helas! aujourdui toutes occaſions nous
font ſortir à la vie de nôtre nature,
que nous ne voulons point ſuprimer ;
mais bien voulons noustoûjours ſen
tir, agir & vivre. .. , , , ,
3. Ce que les mourans ont à faire,
c'eſt de vivre comme s'il n'y avoit que
Dieu & eux : ce faiſant, ils ſe trouve
ront plûtôt morts, qu'ils ne penſent.
O que la créature eſt heureuſe quand
elle eſt totalement paſſée & transfuſe
en Dieu , & que rien d'elle ne ſe trou
ve plus en elle ! ' , re - ,
.4 Quiconque ſe ſoûmettotalement
à Dieu comme ſon inſtrument inuti
le , Dieu fait ſes plus hautes & plus
inconnues merveilles en lui. .. -
. . 5. C'eſt une excellente mort de ſe
voir [volontiersJ privé du bien qu'on
ne peut faire [quoi qu'on le deſire: ]
mais c'eſt une mort beaucoup plus ex
cellente quand on ne peut ſoufrir ce
qu'on deſireroit bien de ſoufrir. .
- 6. L'ordre de Dieu eſt, de nous
- | ; anéantir
Chap. XVII. Mort Myſtique. 3o3
anéantir en nous-mémes : & plus il
voit les éfets de cet anéantiſſement ,
plus il ſe plait en nous. Or cet anéan
tiſſement eſt d'autant plus vrai que
nous le reſſentons moins en nous , à
cauſe de nos horribles ténébres, &
des mauvais éfets que nous ſentons de
1mOUlS. -

7. Les morts ſont autres dans les par


faits , & autres dans les imparfaits :
car elles répondent toûjours au dégré
de l'eſprit. - " • • • • •

8. L'excellente ſainteté dans les


hommes eſt toute inconnue : d'autant
qu'il n'y a moment en leur vie, par
maniére de dire, auquel il ne leur fail
le exſpirer en Dieu , au moins au
tant que leur fidélité eſt véritable : de
ſorte qu'à méſure qu'ils ſont élevés &
ſpiritualiſés , à méſure y a-t'il des
morts ſublimes, aigues & profondes,
qui dans l'éfort de leurs douleurs pro
duiſent de terribles éfets au dehors,
Telles furent les morts & les douleurs
de Job ; & les triſtes & douloureuſes
plaintes qu'elles produifirent font aſſés
voir qu'elles ont été les plus cruelles
& les plus horribles qui ſe puiſſent
penſer : car en ſon abandonnement
univerſel, il ne ſavoit où aſſeoir ſon
pied , c'eſt à dire ſon apetit , pour
pouvoir trouver quelque repos en #
- O
3O4 Maximes Spirituelles.
ou aus créatures, tant il étoit de tou
tes parts étroitement afligé & en l'ame
& au corps de trés-fortes douleurs &
angoiſſes. - -

9. Le méme arrive tous les jours


aus plus intimes amis de Dieu, quel
ques uns deſquels ſont tourmentés en
l'eſprit & au corps, d'autres ſont de
laiſſés ſans ſentiment , ſans conſola
tion, ſans connoiſſance dans l'eſprit ,
de ſorte que dans leurs infernales lan
gueurs ils ſortent quelques fois parpa
roles à d'étranges cxcés : ce qui étant
inconnu aus autres hommes , ils les
tiennent pour des forcenés. Mais les
hommes divins, qui ont eux-mémes
paſſé par ce triſte & cet afreux dé
ſert, en jugent bien autrement » , ſa
chant que ces excés ſont des expreſ
fions de la véhemence des tourmens
d'amour qui ſuppriment en eux la ra
cine de la vie ; & que ces expreſſions
ſont auſſi éloignées d'eux, qu'ils ſont
pendant tout ce temps-là perdus in
connûment en Dieu. - -

• 1o. Il arrive ſouvent que plus on


devient eſprit, moins on eſt puiſſant
contre ſoi-méme ; & la partie infé
rieure ſe revolte en ſorte contre la
ſupérieure, qu'on croid étre perdu,
J'ame ne pouvant s'imaginer que ce
ſoit Dieu qui tient ce terrible moien
- pour
. Chap.XVII. Mort Myſtique. 3o5º
: pour achever de l'épurer de ſes plus
- occultes propriétés. Que ſil'on n'eſt
, pas fidéle à ſoûtenir ce mortel état par
une forte & conſtante ſoufrance , eni
, ſe perſuadant qu'on ne fut jamais
, mieux,'on décherra ſans doutedel'ex
, cellence de ſon état à ſon trésagrand
# domage : Et fi l'ame retourne pren
dre ſes exercices extérieurs pour afli-,
# ger ſon corps qui lui ſemble cauſer
, cette guére , elle ſe trompera beau-s
# coup, & par cela méme elle ſe ſen
# tira violentée de plus grands éforts quer
" jamais. Ce dégré eſt ordinairements
# le dernier de l'apetit actif, & on com
* mence dés-lors à paſſer dans la regiont
paſſive & myſtique. . , , , !
1 I. Pour arriver à la totaletransfu-)
ſion de la créature en Dieu , il,faut :
que la créature ſoit perdue à ſon vi
vre, à ſon ſentir,'à ſon ſavoir, à ſont
# pouvoir , & à ſon mourir , vivant'
é ſans [ſe conſidérer & ſeſentir]vivr e,t
" mourant ſans mourir , pâtiſſantiſans
* pâtir, ſe reſignant ſans ſe reſigner.tSi,
elle eſt ſupérieure à tout cela dansſon
# acte électif,ielle eſt alors impaſſible,:
* inatringible, & immobile; d'autant
* [qu'étant en Dieu] les créatures ne
* peuvent par leurs éforts ateindre Dieu
* d'une diſtance infinie. e 1 | »
12.Ceux qui ne veulent point paſ
* -oºr ' .21 ſer
o6: - Maximes spirituelles.- >
# outre la region du ſens , & qui ;
deſirent toûjours voir ſur quoi ſe re-,
poſer & aſſeoir leur pied, n'entreront
jamais aut ſecrets de la ſcience myſti-,
que quoi qu'ils en ayent la théorie &:
méme le goût par lecture.º Mais les
fidéles amans, qui ſaventl'amour plus,
pour l'avoir pratiqué par éternelle mort
que pour l'avoir connu, ſenti & apris,
ſont fi parfaitement & ſi entiérement
aſſujettis à Dieu en tous leurs événe
mens de mort , qu'ils ne ſavent s'ils
vivent à eux ou à Dieu : , ce qui eſt
une verité d'une infinie enceinte.rs ,
13. Les ames conſommées en a
mour ne defirent point paroître ni
ſortir en évidence à elles-mémes ſi
elles n'y ſont fortuitement miſes & ti
rées ſans elles & ſans leur ſçû. .. ti !
-i14.i Les pratiques du véritable a
mour demandent des eſprits vifs &
vigoureus à aimer , & qui ne ſe laſ
ſent jamais d'agir, de patir & de mou
rir en ce penible mais agréable travail
d'amour, Car les divers ſuccés tan
tôt de jouïſſance, tantôt de privation,
tantôt de douleur & de paſſion , &
tantôt de morts penibles , langoureu
ſes & mortelles, ſont en ſi grand nOIT)•
bre, qu'il eſt impoſſible d'en pouvoir
exprimer ce qui en eſt Ce que j'en
diray ſeulement eſt, que . "
- 15. A me
Chap. XVII. Mort Myſtique. 3o7
· 15. A meſure qu'on mönte ces
hauts dégrés d'amour , lesdeſtitutions,
les privations & les langueurs ſont
Etoûjours] plus penibles , & paroiſ
ſent méme intolérables. Et plus l'a
me a été [auparavant] noiée & ſub
mergée des inondations , des lumié
res, & des delices divines, & aperçu
& connu par expérience l'infinie a
mabilité & excellence de Dieu , cela
redouble de plus en plus la griéveté
de ſes mortelles croix , & de la mi
ſére & pauvreté où elle ſe voit alors
reduite par l'abſence de cet objet béa
tifique : car le moindre intervalle de
temps de la deſunion ſenſible de ces
ſujets [Dieu & l'ame]également ravis
de l'amour l'un de l'autre , eſt une
Mort cruelle à une ame qui ne reſpire
qu'en la jouïſſance unitive deſon ob
jet plus qu'aimable. ir .. t
16. L'ame qui eſt bien fondée dans
les regles & maximes de la voye du
pur amour, ne doit pas au temps de
ſes grandes deſolations & langueurs
interieures , chercher conſolation au
dehors parmy les créatures , comme,
ſe plaindre à quelqu'un, ou faire quel
que lecture ſpirituelle : car ce ſeroit ſe
delivrer ſecretement du gibet amou
1'6UX, " 4 . '- !

17. Mourir & expirer en Dieu, c'eſt


nc
go8 Maximes Spirituelles.
ne s'attacher à rien de particulier, ni
à aucune lumiére propre & particu
liére, ſi ſubtile qu'elle ſoit : car quel
que lumiére que nous recevions avec
attache, elle inquiéte ſubtilement ſon
fujet, & le refléchit ſur ſoi & ſur les
autres ; : de ſorte que dés-là il eſt à
craindre que cette lumiére ne ſoit pu
rement de la nature ou du Diable : &
tant plus le ſujet du bien qu'elle nous
préſente eſt grand, plus il la faut tenir
pour ſuſpecte. . -

18. Il n'y a que le parfaitement ab


ſtrait en verité de mort qui connoiſſe
tous les eſprits & les diverſes voyes
d'un chacun.
19. Pour arriver au ſuréminent re
pos, la bonne ame doit s'eforcer de
mourir genereuſement pour l'unique
contentement de ſon Epoux.
2o. Si quelcun entre les hommes
ne ſavoit qu'A M o U R M o U R A N T,
il ſeroit un Phénix. Ce n'eſt pas néan
moins qu'il n'y en ait ; mais on ne
les connoit pas : Les autres s'afran
chiſſent toûjours de la croix ; & quel
ques ſpirituels méme ſe couvrent en
cela de la volonté de Dieu : choſe de
plorable ! car n'étre véritable quejuſ
qu'à certains termes , c'eſt ne rien
faire. Il faut toûjours tout donner à
Dieu , & lui rendre toûjours la vie
dans
Chap. XVII. Mort Myſtique. 3o9
dans l'agonie , ſans eſpoir d'aucune
allegeance & conſolation. Que ſi les
Saints n'euſſent ainſi éternellement a
goniſé, Dieu ne ſeroit pas ſi glorieux
en eux , ni eux en lui. •
21. Mourir & expirer en Dieu , c'eſt
ſe rendre immobile , inalterable , &
toûjours égal à ſoi-méme ſur toutes
ſortes d'objets, méme ſur les plus di
ficiles, la grace faiſant mourir la na
ture à tout cela pour genereuſement
poſſeder ſon ſujet [ou ſon amejen ſon
objet [qui eſt Dieu] en la ſimple paix
& tranquilité d'eſprit , laquelle ſur
paſſe tout ſentiment.
22. Il y a ſi peu de ſpirituels, que
l'on n'en connoit point : car on ne
ſait qui veut éternellement mourir, &
il n'y a perſonne qui ne ſe delivre par
ſoi-méme de la croix , cherchant ſa
conſolation aus ſens & dans la créa
·ture ; de ſorte que nous ne ſommes
ſpirituels que juſqu'à certaines limi
tCS.

23.Celui qui n'eſt point mort à ſon


propre eſprit par le trés-fort Eſprit
de Dieu qui le doit tout ſeul dominer
juſqu'à la mort » n'eſt point digne d'é
tre apellé ſpirituel.
24. Il ne faut pas tant avoir égard
à ce que Dieu fait en nous, qu'à ce
qu'il deſire de nous ; afin qu'en tou
16S
3 Io , Maximes Spirituelles.
tes choſes nous nous conformions par
faitement à ſa divine volonté en émi
mence d'aétion & en ſuréminence de
mort, · i! ! ::: .. - - - -

25. Les delices du divin Epous ſont


dé voir ſes chaſtes épouſes ſacrifiées à
ſa divine Majeſté en l'indifférence mé
me de la ſupréme pauvreté d'eſprit,
des croix & de la déſolation en temps
-& en éternité.
:: 26. Il n'y a que le vrai mourant ou
le vrai mort qui puiſſe ſoûtenir le vrai
repos (qui eſt l'efet du regard divin)
en vraye & ſainte oiſiveté, à laquelle
ſeule convient d'éternellement mou
rir en ſon objet. -

· 27. Celui là ſeul qui eſt fidele à


mourir ,, peut ſoûtenir l'efort trés
douloureus & preſque inſuportable de
la ſimple oiſiveté.
28. A meſure que l'ame ſe conſom
me par les morts myſtiques, qui ſem
-blent devoir ſuprimer toute la vie de
la nature , le repos lui devient plus
facile ; parce qu'elle eſt plus forte à
· le ſoûtenir. .. »
29. La vraye & perdue ſainteté eſt
pur eſprit en pur & éminent amour
hautement & éternellement renoncé.
Ces Saints étant inconnus comme ils
ſont » n'ont qu'à aller leur chemin par
leur deſert ſolitaire & ſcabreux , en
- eſprit :
Chap, XVlI. Mort Myſtique. 31r
efprit : mourant trés-nuement à tous
, les dons de Dicu , & s'avançant au
de là , non ſeulement dans leur pro
, pre fond, mais auſſi en l'unité ſureſ
ſentielle de Dieu,ien ineffable moyen
Hors de tout moyen. A'.
3o. Il y a deus ſortes de ſainteté ,
lºune eſtaétive, & 1'autre eſt nue, trés
-pure, & tres ſeparée du ſens » incon
nue méme aſſez ſouvent à celui qui
l'a : Car elle conſiſte plus à mourir ſim
plement & nuement , méme à toute
action & ſouffrance corporelle, qu'à
operer & agir ſenſiblement , ou mé
me ſpirituellement. Ainſi ne faut-il
rien attendre de viſible de pareille
vie; & il n'y a qu'eux & leurs ſem
blables qui les puiſſent connoitre, vû
qu'ils ont ſurpaſſé toute voye & pra
tique humaine, tant en action , qu'en
· paſſion & ſouffrance.
3I. Du martire d'amour qu'en di
rons-nous , ſinon que ſes Martirs a
" moureux ont traverſé toute leur vie,
à tout le mQins en eſprit , tous les
deſers afreux & épouvantables d'in
· comparables morts ? . -

32. Quand l'ame ſe trouveroit ra


vie cent fois le jour, ſi au retour el
le n'eſt fidéle dans les combats & les
· dificultés de durée , où il faut ſou
-
frir & mourir en amour nud, †
In C
3 I2 Maximes ſpirituelles. .
· n'eſt alors qu'en elle méme : car la pèr
fection de l'épouſe conſiſte à ſuivre
· toute nue ſon Epoux tout nud par
• les chemins deſerts &arides des croix,
·en temps & éternité. .. :
33. Mourir toûjours eſt l'action & la
vie du fidéle amoureux de Dieu. Il
ne refléchit-point ſur ſoi-méme au
- trement qu'il ne faut ; mais quel
: ques ſentimens qu'il ait, il va toûjours
·également ſon chemin , comme ſi rien
ne ſe paſſoit en lui. , · · · -

34. Les élevations & degrés de la


vie ſpirituelle ne ſont diférens en
tr'eux qu'autant que les perſonnes ſont
inégales dans la pratique de mourir ,
ſe perdre, & ſe fondre en Dieu.
35. Ceux qui ne ſe veulent donner
· à Dieu que par meſure & juſqu'à cer
tains termes , n'experimenteront ja
mais les inondations divines dans
"eux. ) .
•: · i,. . « « ' - ' : i , -
, -----
*- C H A p 1 T R E tſXVIII.
- il i» : s . .. | i : . :: !'
De la Vie Contemplative , ou Suréminente.
" - I.
« .
L# · Don précieus de la v I E
-- *- c o N T E M P L AT I v E,n'eſt
"que pour ceux qui ſont vils à leurs pro
Pres yeux » & qui cultivent ſans ceſſe
- .
&
Ch. XVIII. Vie contemplative. 313
| & fortement la grace par les pratiques
:| d'amour.
:: · 2. Il n'eſt pas néceſſaire, ni méme
utile , d'étre dočte rmyſtique en ſimple
doétrine de théorie, qui expliqueles
admirables, éfets de Dieu dans l'ame
} en chaque dégré d'élévation. Il vaut
ſ, incomparablement mieux en avoir la
ſ, pure pratique & l'expérience.
- 3. Il y a des ames dont la voye eſt
# grandement dificile & cachée. Ce
ſont perſonnes de grands exercices
pratiques ſous images & figures, avec
des raviſſemens, des viſions & des re
# vélations. Cela eſt grandement dou
teux & perilleux, à cauſe de ſa gran
de conformité avec la nature avide
[de choſes de cette nature.] . '
:
#
, 4. L'ame ne doit jamais monter
du dernier lieu , que ſon ardentamour
# ne l'en ſolicite importunément.
| 5. Dans la voye ordinaire de la mé
ditation l'entendement ravit aprés ſoi
la volonté : mais dans la voye myſtique
& contemplative , l'afection ravit !'en
tendement aprés ſoi , ſans vouloir par
tager avec lui ſon tréſor.
6.La voye myſtique anéantit incon
tinent les ſens & les puiſſances de
l'homme, de ſorte qu'il devient auſſi
# tot ſimple & unique au feu du divin
# amour , qui le conſomme en ſoi.
O 7. La
314 _ Maximes Spirituelles.
7. La T H E o L o G 1 E M Y s T 1
Q_U E priſe en ſon eſſence, n'eſt au
tre choſe que Dieu inéfablement perçu [&
goûté] , qui n'ayant autre entrée ni
ſortie de ſoi que lui-méme , ne peut
qu'inéfablement ſortir [de ſoi] dans
ceux qui en ſimplicité eſſentielle ſont
un en lui en plénitude de conſomma
tion , ſans diſtinction ni différence.
Ici l'on voit une lumiére illuminan
te ſortie de la lumiére, & en étre di
ſtinguée comme iſſue d'elle; & com
ment elle ſe montre non à ſes poſſeſ
ſeurs, mais à ſes indignes. Ici la pro
fonde & pure myſticité en ſa pure ſim
plicité n'admet rien que le trés-fim
ple : c'eſt pourquoi elle ne doit pas
ſ étre jugée ſelon ſes paroles; mais dans
ſa ſimplicitétant ſortie que non ſortie,
Ctant manifeſte que cachée, ] & dans
ſon amplitude infinie & lumineuſe,
en laquelle elle voit tout ſans étre vûe,
& juge de tout ſans étre jugée.
8. Pour entrer en cette ſi haute &
ſupréme vie de l'eſprit, il faut avoir paſ
ſé des dégrés preſque innombrables,
qui conſiſtent tous en une parfaite pur
gation , illumination, & union , ces
choſes étant comme les fondemens de
ces degrés-la.
(1) Le premier dégré eſt une vo
cation interne , ſentie d'enhaut , qui
anime
Ch. XVIII. Vie contemplative. 315
anime & éguillone l'ame à ne faire
aucune eſtime de toutes les choſes
créées, & ſur tout de ſoi-méme, de
ſirant pour jamais d'étre la fable & le
jouët de tout le monde.
(2) Le deuſiéme degré eſt une per
petuelle horreur de la moindre im
perfection : de là procéde
(3) Le troiſiéme , qui eſt l'indifé
rence, par laquelle on vit & on meurt
en temps & en éternité entiérement
ſoûmis à Dieu, à ſes Supérieurs, &
à toute humaine créature quelque vi
le qu'elle ſoit, ſans aucune reſerve d'a
petit [& de deſir] naturel, pour ſub
til qu'il puiſſe étre , [l'ame] ſe laiſ
ſant mourir & tirer par tout où l'on
voudra.
(4) Le quatriéme dégré, procédant
de cette indiférence , eſt l'exercita
tion active & néceſſaire de toutes les
vertus qui doivent étre l'ornement de
l'ame, ſans ſe perſuader néanmoins de
les avoir aquiſes. · · · >
(5) En cinquiéme lieu , la plus pro
chaine § à l'union divine ,
c'eſt lors que quelqu'un pratiquant ce
que deſſus, ſe ſentira ſi profondément
tiré au dedans de ſoi-méme, qu'ilſera
comme privé de ſes ſens & mort à leur
uſage, ſe ſentant auſſi éloigné de leurs
objets que s'il en étoit à cent lieües de
loin... " . .. O 2 , (6) Le
3 16 Maximes Spirituelles.
(6) Le dernier dégré eſt l'entier a
bandon de ſoi-méme à ſes Superieurs
pour leur déclarer toutes ſes afections,
mouvemer.s, ſentimens , penſées &
deſirs. Ceci eſt abſolument néceſſai
I'C.
9. L'Abrégé des degrés de la Vie ſu
réminente eſt , -

(1) Qu'aprés la ſuppreſſion de l'a


ctif ſurpaſſé dans l'amour, ſuccéde
• l'entrée dans la purgation » qui con
. . ſiſte en la mort du ſenſible reflexe.
, (2) Le deuſiéme dégré conſiſte en
- la mort & ſuppreſſion du raiſonna
ble refléxe. ·
: , (3) Le troiſiéme conſiſte en la
mort & deſtitution d'eſprit par la
ſoufrance de l'angoiſſeuſe action di
-- vine, qui au commencement de ſon
. (a) jeu actif fait mourir & exſpi
, rer l'ame en elle - méme » ſans lu
º#A
) l
quelque progrés » D
Dieu
•#. Aprés
-

† méme (b) jeu actif &


· angoiſſeux dans l'ame avec une im
| menſe lumiére & une ſaillie de ſoi
-, [& retournantel à ſois pour com
muniquer [ainſi à l'ame] ſes pro
fonds ſécrets dans une [grande] pro
fondeur de diſtinction.
(5) A
(a). (b) On troit qu'au tien de jeu actif , on
º lire feu actif. Voy. t 2Wax, 11 & 12.
Ch. XVIII. Vie contemplative. 317
(5) A cela ſuccéde l'illumination
pure, profonde, & nue dans l'Uni
que ſimple , exempte des ſouffran
ces de l'action divine , & qui ne
ſent & ne connoit que les extaſes de
tout ſoi hors de ſoi dans l'abime de
ſon objet, où l'ame n'a ni pouvoir
ni envie de ſortir pour exprimer ce
qu'elle a & ce qu'elle eſt. Et d'au
tant plus qu'on eſt occupé au de
hors , plus [cette ame] s'enfonce
t'elle dans l'abime qui la ravit, la
dilate & la transforme toute en lui
ſans diſtinčtion ni différence , en
fruïtion perpetuelle de lui tout en
tiére, & en ſon unité.
(6) Aprés cet état ſuccéde la con
ſommation, qui en la méme unité
& fruition n'eſt ni lumineuſe , ni
profonde, ni ſimple, ni méme ex
tatique en la maniére de l'état pre
cedent ; mais elle eſt & poſſede tout
cela infiniment au de-là dans la mé
me unité en qui elle eſt cela méme
qui eſt, tant en ſimple perception "
qu'en imperception. -

Io. Avant que d'arriver au degré de


la conſommation , il faut que l'ame
paſſe d'infinis détroits, tantôt de dou
leurs internes & indicibles ; tantôt de
miſères & de pauvretés [ſpirituelles,]
à cauſe que l'Epous ſe retire duIIlCſlt
ſenti»
O 3
318 Maximes ſpirituelles.
ment, quoique non jamais de l'eſprit;
|
tantôt d'abſtractions d'elle-méme &
des choſes créées ; & tantôt d'inéfa
bles lumiéres ecſtatiques, qui l'ecſta
ſient profondément : aprés quoi ces
ecſtaſes ceſſant & ſe perdant , & l'a
me revenant à ſa liberté d'agir, c'eſt
alors que commence l'état & le degré
de la conſommation , d'où procedent
encore d'autres états par la deſtitution
[& la ſuſpenſion] entiére du flux ſen
ſible & actif de Dieu, qui extaſie &
ravit l'ame par ſes profonds & multi
ples attouchemens, par ſes profonds,
trés-étreignans & tout-incomprehen
ſibles embraſſemens, par ſes allées &
ſes venues trés-ſimples , trés-vites :
trés-légéres, trés-unes , trés-delicieu
ſes , trés-lumineuſes , trés-étendues :
mais tout ceci eſt inconcevable à qui
ne l'a pas experimenté.
11. L'homme pénétré du feu divin,
eſt par ce moyen rendu ſi Déïforme,
que les Anges mémes cn ſont dans l'é
tonnement , voyant que cela s'eſt pû
faire par une libre application de ſes
puiſſances (prévenues de la grace) à
aimer Dieu infatigablement, & à cor
reſpondre à ſon amour. -

12. Depuis que l'ame à force d'é


tre touchée de Dieu a ſuccombé à ſon
pouvoir & éfort amoureux , c'eſt a
lors
Ch. XVIII. Vie contemplatève. 319
lors que ſa Majeſté redouble ſes pro
fonds attouchemens dans elle , & qu'il
la pénétre plus que jamais des attraits
vifs & enflamans de ſon feu amou
reux , qui dévore & conſomme tout
ce qu'il trouve capable de ſoûtenir
ſon action ſans mourir à ſa vie natu
relle.
13. L'ame entre alors dans un état
d'union, de vûe, de plaiſir, de trans
formation , de repos & de fruition ,
tout autre que le précédent : & alors
elle meurt & expire pour jamais au
deſir de ſa compréhenſion : car on
comprend Dieu infiniment mieux en
mourant d'amour qu'en languiſſant
d'amour.
• 14 Les nues contemplations de ceux
qui ne veulent pas continuellement
mourir à eux-mémes , ne ſont que pu
re vanité, complaiſance , & préſom
ption d'eſprit.
## 15. L'ame attachée à quelqucs pro
pres exercices n'eſt pas propre pour
paſſer entiérement en Dieu ; d'autant
qu'elle ne ſe quitte pas aſſez pour le
ſuivre purement & nuëment où il la
veut tirer en eſprit : ce qui l'empé
che de paſſer entiérement hors d'elle
méme.
16, Les delices du contemplatif ſont
en ce qu'il ſait & voit que ſon fim
| O 4 ple
32o Maximes Spirituelles. -

ple fond objectif & fruïtif , qui eſt


Dieu , ne doit & ne peut jamais étre
compris ni atteint par l'ame conſom
mée en amour ; & en cela conſiſte
toute ſa jouiſſance , ou pour mieux
dire, toute ſa ſupréme félicité.
17, Quiconque voudra ſortir du re
pos de la Contemplation mal-à-propos &
ſans ſujet, demeurera infailliblement
pris de l'amour de ſoi-méme. Si le
deſir inquiet de Dieu & du martire ne
vaut rien » que ſera-ce de toutes les
autres images ? Si donc vous admet
tez quelque choſe en vous , ce doi
vent étre dcs deſirs de vraye mortifi
cation , d'humilité, de mépris, de re
nonciation, & de confuſion de vous
méme , ſuppoſé qu'ils ſoyent réglés ,
amoureux, doux & tranquiles.
18. Ceux qui ayant quelque lumié
re & quelque ſpiritualitéſontd'un na
turel vif , ont une imagination acti
ve , & des penſées abſtraites ſur les
choſes de la raiſon ; ceux-là ne pour
ront jamais étre ſimples en leur fond
quoi qu'ils le vouluſſent , qu'ils ne
ſoyent totalement morts à leur aéti
vité intérieure & naturelle.
19. Il y a pluſieurs degrés en l'état
du repos fruitif, dont le dernier eſt,
d'étre poſſedé ſans peine, au moins,
ſans peine à l'égard des morts [des
états!
Ch. XVIII. Vie contemplative. 321
étatsj précédens : cet état néanmoins
a ſa propre mort : mais c'eſt une mort
qui eſt facile à ſoûtenir ; tant parce
que l'ame eſt toute conſommée dans
le feu d'amour myſtique , que parce
qu'elle reçoit une force trés-compe
tente pour ce [ſoûtient.] . "
2o. Depuis qu'on a été touché puiſ
ſamment des attouchemens divins ,
on laiſſe l'extérieur étre ce qu'il eſt ,
& il eſt impoſſible d'en faire autre é
tat , étant aſſez qu'on ne le mépriſe
pas , & qu'on l'eſtime autant qu'on
eſt obligé.
2 I. Dieu étant en ſoi un feu dévo
rant , il dévore & reduit tout en ſoi
& en ſon unité infinie.
# 2z. L'Eſprit de Dieu étant ce qu'il
eſt, la pureté méme, la ſérénité » le
repos & la lumiére, requiert auſſi dans
l'ame une pureté, paix, attention &
repos. j

23. L'on ne connoitra jamais ſi les


grandes attractions & les fortes occu
pations intérieures ſont de la nature
ou de la grace , ſi ce n'eſt par le par
# fait repos , ou par la ſubtile inquié--
24. Il faut que ce ſoit plûtôt Dieu »
par maniére de dire , qui faſſe nos
actions, que nous-mémes, étant ſon
vif inſtrument en tout lieu. " . *
. . - O-5 : 2$ « L'a
322, Maximes Spirituelles. .
25. L'ame contemplative &qui eſt
conſommée en amour , doit étre ex
§émemcnt : &revérée : carque
ellemille
n'a rien
d'impur plus claire So
leils , elle vit en Dieu de Dieu-mé
§ " Elle eſt l'Epouſe du Fils, la fil
le du Pére , ſon eſprit & ſon amour
ſont au Saint Eſprit. On voit Dieu
en la voyant dans un corps parfaite
ment ſujet à l'eſprit ? de ſorte qu'on
ne pcut ſe ſouler de la voir & de l'ad
mirer. -

C H A P 1 T R E X l X.
De la sagºſſe divine
*, ſ , -

, I, Ans la ſcience myſtique la


- - : D† précéde la §
tout au contraire des arts & des ſcien
ges naturelles.
| 2. La divine SA G E s s E abondam
ment infuſe dans l'homme » eſt toute
connoiſſance & tout amour
# La ſageſſe eſt une connoiſſance
intellectuelle des choſes éternelles.
| La Sc 1 E N c E donne la con
noiſſance des choſes de la nature. ,
mais la sageſſe verſe en nous celle de
Dieu & de ſa bonté. Celle-là veut
, connoitre, & ne le fait qu'avec pei
IlC
Chap. XIX. Sageſſe Divine. 323
ne & ſueur ; & l'autre veut ignorer
cela méme , ayant néanmoins trés-a
bondante ſcience de toutes choſes. En
fin, les uns vivent perdus en Dieu ;
& les autres ſont tous occupés au de
hors dans tout l'Univers & en la re
cherche des Cieux , où ils ſemblent a
voir mis leur nid.
5. La R A I s o N illuminée en la Sa
geſſe eſt une haute élevation & une trés
ſimple conſtitution de l'eſprit dans les
ſplendeurs éternelles, d'où [cette rai
ſon] regarde éminemment & ſimple
ment par une trés-penetrante vûe d'eſ
prit & d'un ſimple regard tout ce qui
lui eſt inférieur & qui apartient à ſa
propre voye & conſtitution. .
6. La D I s c R E T I o N eſt l'effet
de la préviſion d'une raiſon illuminée
qui s'aperçoit par ſa vûe ſimple & pé
nétrante de toutes les circonſºances
d'une action. Cette vertu ncs'aprent
point , & ne procéde point du dehors,
mais ſeulement du dedans, & eſt un
effet continuel du dégré qu'on a de
lumiére.
7. Nos jours ſont maintenant ma
lins & ſans ſimplicité ; & les hom
mes vivant à préſent de prudence char
nelle & politique, les diſcours & les
ſentimens del'eſprit leur ſont un foüet
odieux] : de ſorte qu'il faut étre bien
O 6 pru
324- Maximes Spirituelles.
prudent & bien aviſé pour ſortir vers
CUX,
8. La plus-part du monde ne vit
que d'opinion , & ne juge que ſelon
qu'il eſt frapé des ſens & de l'imagi
nation. Celui-là eſt vraiment ſage qui
juge des choſes comme elles ſont en
vérité.
9. Celui qui n'a que la perſuaſion
extérieure pour ſe porter au bien ſans
la forte & efficace Sageſſe de Dieu, eſt
auſſi-tôt diverty de ſon deſir ; d'au
tant qu'il ne ſauroit ſoûtenir la nüe
preſence & action de Dieu au plus in
time de ſon cœur & de ſes puiſſances.
1o. L'homme n'eſt point vraiment
homme s'il n'eſt reformé par le don
de la Sageſſe ſurnaturelle : & alors il
eſt vraiment ſupérieur à tous les hom
mes de pure nature; & il poſſéde tou
tes les qualités de l'Eſprit divin , qui
embellit toutes ſes puiſſances.
11. La Sageſſe divine touche & tire
profondément à ſoi les cœ U R s HUM
B L E s & D o C I L E s qui lui ſont en
tiérement ſoûmis, & les remplit d'a
bondance de ſentimens divinement ſa
VoureuX.
12. L'excellente & divine Sageſſe
rend ſon ſujet ſimple , uniforme ,
ſpirituel , totalement recueilli , &
néanmoins grandement & largement
dila
Chap. XIX. Sageſſe Divine. 325
: dilaté en eſprit & lumiére par deſſus
toutes les efpéces ſenſibles.
: 13. La Sageſſe en elle-méme eſt une
, mer ſans fond ni rive , qui dans ſa
s ſimplicité voit toutes choſes unique
, ment & diverſement. Qui ſera-ce
, qui lui donnera des bornes & des li
mites ?
# 14 Nôtre Sageſſe n'eſt pas comme
, celle des anciens Philoſofes; mais el
le eſt divine. Nous y vaquons non
| comme à une étude de ſcience ſpé
culative ; mais par la trés-étroite u
nion de nos ames & de nos coeurs à
, lemment
Dieu , duquel nous recevons excel
& abondamment l'Amour
& la Sageſſe comme une ſeule choſe.
C'eſt elle qui nous fait agir par tout
avec une prudence digne d'elle, & qui
aſſaiſonne divinement tout ce qui ſort
· de nous : & nous ne ſortons jamais
d'elle , non plus que de Dieu , par
la moindre extroverſion. Tel eſt l'ef
fet continuel du trés-SAINT EsPRIT
dans nous, lequel y conſume par ſon
amour inéfable tout ce qui s'y trouve
de défectueux. -

15. L'Eſprit de la divine Sageſſe rem


plit ſuavement , domine fortement ,
échaufe vivement , & illumine excel
# lemment ceux qui ſe ſoûmettent à ſes
conduites.
O 7 16. L'Ob
326 Maximes Spirituelles.
16. L'objet de la divine Sageſſe eſt
Dieu infini en ſoi-méme » qui la ver
ſe abondamment dans tous ceux qui
la reverent en profondeur d'amour
& d'humilité.
17. Les vrais & ſolides éfets de la
divine Sageſſe ſont , entendre , péné
trer, & ſurpaſſer toutes choſes créées
& ſoi-méme.
18. La vraye Sageſſe n'eſt point for
cée ni afectée en ſes pratiques; mais
toûjours & par tout ſerieuſe. Elle
connoit parfaitement ce qui eſt de na
ture & de grace, & ne prend jamais
l'un pour l'autre. Si elle met en avant
quelque diſcoursjoyeux pour relâcher |
tant ſoit peu l'eſprit, elle ne le fait que |
trés-à-propos , de bonne grace , &
pour un peu de temps.
19. Le propre éfet de laSageſſe n'eſt
pas tant de perſuader & de convain- '
cre [l'eſprit, ] que d'émouvoir & fra
pº le coeur : de ſorte que la ſcience
{de perſuader] ne lui eſt point néceſ
ſaire, & n'eſt que ſa ſervante.
2o. La Sageſſe divine eſt ſimple; el
le a une perſuaſion vive, ſuave , éfi
cace » qui touche ſavoureuſement le
coeur : elle eſt conciſe, ſimple & u
nique , ramaſſant toutes les puiſſan
ces du cœur en ſon unité.
2 I. L'Eloquence la plus diſerte del'in
duſtrie
Chap. XIX. Sageſſe Divine. 327
duſtrie humaine ne peut paſſer le ſens;
elle n'atteint qu'à produire toûjours
une molleſſe, qui évacue ſon poſſeſ
ſeur & le fait s'écoulerau dehors com
me un vaiſſeau percé en mille endroits:
de ſorte que l'homme & toute ſon é
loquence ſe terminent à rien , & s'a
néantiſſent l'un avec l'autre. Mais il
n'en eſt pas ainſi du flux myſtique [&
divin], qui eſt l'éfet des infuſions de
Dieu , & l'avant-goût de la béatitude
éternelle, par le moyen dequoi la créa
ture pénétre tout, paſſe tout, & ou
blie tout dans la jouïſſance qu'elle a
de Dieu. -

22. L'homme animal écoutera &


lira tout ceci & ne le comprendraja
mais ; au contraire, il le tiendra pour
folie : car comme les Myſtiques ſon
dent tout , méme les choſes profon
des de Dieu ; les hommes animaus au
contraire ſont d'autant plus eloignés de
cette intelligence, que leur vie eſtbe
ſtialement effuſe dans la chair & le
ſang.
23. L'intelligence des verités myſti
ques eſt ſi abſtruſe & ſi cachée aus
hommes de pure nature , ſi doctes
qu'ils ſoyent , qu'ils n'y entendront
jamais rien ; parce que c'eſt la ſcience
des ſaints, qui ne découvre ſes lumié
res qu'à ſes amoureux ſujets. .
- 24. Cha
328 Maximes Spirituelles.
24. Chaque choſe a le goût de ce l
qu'elle eſt : les hommes ſages ont le
goût de la Sageſſe divine ; & la chair
ne ſavoure que la chair.
25. C'eſt un mal aſſés ordinaire aus
hommes d'eſprit ſubtil, de deſirer plus
de connoitre que defaire : & leur in
tellect eſt ſi avide de connoiſſance,
qu'il faut étre de trés-grande étude ,
éloquence & travail pour les pouvoir
ſatisfaire. Cela vient de ce qu'ils n'ont
qu'eus-mémes pour fin, & leur pro
pre contentement & délectation pour
objet. O mille fois déplorable cor
ruption & cécité de la miſére humai
ne en l'effet univerſel de ce point; qui
fait , qu'étant vuides de la ſcience des
ſaints , qui eſt la Sapience divinement
infuſe , ils n'ont autre recours qu'à
des eaux corrompues & puantes pour
aſſouvir leur ſoif inſatiable de ſavoir !
Et de là vient que les vrais Enfans de
la divine Sageſſe n'ont guéres ou point
du tout d'accés auprés d'eux, ſi ce n'eſt
auprés de quelques uns de bon natu
rel , & tout-autres que les ordinai
TCS,

26. Ce ne ſeroit pas mal-dit qui di


roit que la ſcience de la plus-part des
hommes eſt ſcience de péché : parce
que les trois quarts des hommes, [he
las preſque tous ! ] ſe repoſent en el
le,.
Chap. XlX. Sageſſe Divine. 329
le, & non en Dieu leur objet. -

27. La plus-part des hommes de ce


temps ſont miſérables, n'étudians que
pour ſouler la curioſité inſatiable de
la nature, qui les conſume comme à
petit-feu dans ſa beſtiale avidité de ſa
voir : De ſorte que l'inſigne beauté
du monde , qui devoit ſervir grande
ment à l'utilité de ces gens-là , leur
eſt un poiſon mortel ; parcequ'ils n'é
tudient pas pour aquerir la vie eter
néile.ºi ( ot , - -

: 28. L'Etude qui n'eſt pas faite pour


la ſeule gloire de Dieu » eſt un des
plus courts chemins pour deſcendre en
Enfer. · L · i · · - - º -

• 29. Encore que la ſubtile eloquen


ce humaine ſemble douce aux non-ex
perimentés dans les voyes de l'Eſprit;
ceux neanmoins qui § ſi peu que
ce ſoit penetrés de ſapience , remar
que d'abord combien elle eſt extreme
ment differente de la vraye Sageſſe.
39. Pour mon regard, je crois que
les Predications faites par des paroles
ſi vaines, effuſes & recherchées, tiſ
ſues de genealogies, vaines fables, &
deſcriptions priſes des effets de la na
ture » ne ſont nullement la parole de
Dieu, mais ſeulement celle des hom
mes , affectée, fardée & ſubtilement
dorée de faux-or. De tels Predicateurs
OIlt
33o Maximes ſpirituelles.
ont perdu les Chrétiens, les repaiſſant
de vent & de vanité , les uns & les
autres ayant le cœur vuide de Dieu.
Ce ſont des Maitres #
paiſſent le
vent d'un vent plus ſubtil & veneneux,
detournant inſenſiblement les ſimples
de leur foi & devotion , & leur don
nant des fueilles au lieu de pommes,
des pierres au lieu de pain , & pour
nourriture une terre inſipide frottée
de miel envenimé. , Ce ſont des ve
neurs d'honneur, devaine gloire, de
chatouillement & d'applaudiſſement ;
& ce ſont les plus beaux pretextes du
monde.
31. Là où il y a grande ſcience ſpé
--- V - ------- • • •
Cu1aUIVC1IJU11t aCquiie , c'eſt un mira
cle quand la sageſſe divine y prédomi
ne. Cependant c'eſt une choſe mer
veilleuſe quand la ſcience & la ſageſſe
vont de pair.
32. Ceux qui ne s'exercent que ſe
lon la voye des Ecoles, à peine goû
tent-ils jamais les manifeſtations , les
careſſes & les délices de la vie active
& profitante dont jouïſſent les ſimples
& les idiots : parce que ceux-ci ne
raiſonnans point, ſont plus propres à
recevoir dans eux les attouchemens di
vins; mais les autres au contraire rai
ſonnent & diſputent toûjours, & de
meureront toûjours là dedans.
33. Quoi
Chap. XlX. Sageſſe Divine. 331
33. Quoique les doctes ayent quel
ques bluettes d'eſprit dans les matiéres
ſpirituelles , cela ne vient pas néan
moins d'un fond de ſimple & d'emi
nente ſageſſe, laquelle abhorre les for
mes & les images comme la mort.
34. Le melange , méme d'un peu
de ſcience, empechera éternellement
dans plufieurs la profonde, pure, &
ſimple Sageſſe de Dieu. -

35. Les œuvres & les paroles des


ſpirituels ſe doivent examiner par l'eſ
prit de la Sageſſe & de la Simplicité.
6. Les vrais ſages ſont lents& tar
di# en leurs deſſeins; craintifs en leurs
entrepriſes ;pleins d'ordre, de pru
deiicë & de conſeil en tout ce qu'iis
font : & dans les choſes précipitées où
ils voyent avoir mal-rencontré , ils
en ſavent bien deſiſter à la gloire de
Dieu , ſans s'attacher à leur propre
honneur , ſachant combien il eſt im
portant de plûtôt plier humblement
que de rompre. Ce ſont eux qui ex
perimentent ce mot du Sage, que les
penſées des mortels ſont-timides & nos pré
voyances incertaines. [Sap. 9. Y. 14.]
Les perſonnes qui ſont profon
dément, ſimplement, & uniquement
perdues en Dieu , ne ſe jugent pas
infaillibles en leurs vûes, lumiéres &
ſentimens, en ſorte que tout ce qui
V1ent
32 Maximes Spirituelles.
vient d'elles, ſoyent des vérités infail
libles : parce qu'ils peuvent ignorer
des circonſtances trés-ſubtiles ſ & im
perceptibles.] D'où vient qu'ils ſont
fort lents & tardifs à juger & à déter
miner des choſes importantes.
38. Les tempéres n'approchent du
ciel trés-ſerain d'une ame vraimentſa
ge que d'une diſtance infinie : Caren
core que parfois elle ſoit trés delaiſ
ſée & dénuée, néanmoins les tempé
tes demeurent & grondent au dehors.
.39. La prudence de ceux qui ſont
ſages à leurs propres yeux , eſt toû
jours accompagnée de paſſion ou de
raiſon paſſionnée. Mais la prudence des
ſimples fait toûjours évidèmment pa
roitre la divine Sageſſe , étant ſimple,
lumineuſe, & exempte des paſſions de
la raiſon.
4o. Le Sage doit aprofondir & pri
ſer chaque choſe autant qu'elle le mé
I1tC.

4I. Ceux qui reverent la divine Sa


geſſe n'eſtiment rien de petit à quoi ils
ne pourvoyent & ne cherchent [le
plus] préſent reméde.
42. L'ame ſainte & abondante en
Sageſſe aime toutes les choſes ſelon le
degré de bonté & de ſainteté qu'elles
ont, & non ſelon leur aparence. Et
cclui-là vit ſaintement & juſtement
qui
Chap. XIX. Sageſſe Divine. 333
ciui eſt vrai & entier eſtimateur des
choſes en elles-mémes.
43. Le propre du Sage eſt de faire
beaucoup & de dire peu. -

44. Il importe beaucoup de plus fai


re que connoitre , quoi qu'on ne puiſſe
faire ſans connoiſſance. Mais en ſe

: donnant tout entier en proye à Dieu,


l'on ne manquera pas de connoiſſan
ce ſuffiſante de ſa part , ni méme de
# radieux attouchemens de ſon lumi
neux & delicieux amour, par lequel
on recevra la Sageſſe myſtique, infuſe
divincment à grands flots.
45. Entre connoitre & faire il y a
bien de la diſtance. Les hommes de
propre excellence & de propre amour
ſont grandement actifs pour le premier
& trés lâches pour l'autre : mais les
vrais juſtes & ſaints ne veulent con
noitre que pour aimer.
46. Il y a une ſainte & excellente
ignorance qui rend ſon ſujet ſimple
& inconnu à ſoi-méme en ce qui re
garde le diſcernement non-neceſſaire
de ſcs mouvemens : à raiſon que ſon
occupation actuelle étant en Dieu ,
elle ne lui permet aucune reflexion a
ctuelle ſur ſoi pour ſe voir, & moins
encore pour toute autre choſe.
47, Les ſorties des ſages qui ſont plû
tot agis qu'agiſſans » ſont ººº #
nCCS
334 Maximes ſpirituelles.
nées en nombre, poids & méſure ; &
le dehors leur eſt une cruelle mort.
• 48. Celui-là a trés-bien rencontré
qui a dit, que la diſcrétion divine eſt l'a
me motrice & informatrice de toutes nos ſor
ties & procedures. Mais elle eſt ſi rare
dans les eſprits, qu'on peut dire que
ceux qui en ſont doüés ſont des Phé
nix ſur la terre, qui plus ils ont ſous
leur charge & leur gouvernement de
bons & de ſaints inférieurs , plus ſont
ils heureux [& dans la joye.] Mlais
il eſt trés-dificile que des gens qui ne
ſont que du commun vivent toûjours
COntenS aVeC euX.
49. Ce n'eſt pas une petite ſcience
ausſages de ſavoir raporter toutes cho
ſes à Dieu & les peſer dans la balan
ce de ſes profonds jugemens , qui ,
ſelon le dire du ſage, ſont poids & me
ſure parfaite.
5o. Le plus excellent dégré de la
Sageſſe » par maniére de dire, eſt l'ex
périence des choſes, ſpécialement au
fait de la ſcience des eſprits.
5 I. Le propre de l'eſprit lumineux
ſelon la divine Sageſſe, eſt de voir les
eſprits par vûe & pénétration d'eſprit
ſelon la ſimple & active vivacité de
ſon ſimple regard. Celui-là donc qui
du premier coup, par maniére dedi
re » ne pénétre pas les ſujets d'eſprit
qu1
Ch.XX. Sageſſe Abſtraction,ſimplic. 335
qui ſe rencontrent , n'eſt ni ſimple ni
eſprit en cela.
52. On ne ſauroit recevoir la Sa
geſſe divine ſans avoir premiérement
ſurpaſſé la crainte, le ſens, & la rai
ſon. .
53. Les perſonncs d'une probité pu
rement morale, ont à dégoût la ſim
plicité du flux de laSageſſe divine : par
ce que ces gens-là ne reſident point
au dedans d'eux par ſimplicïté , per
te» & mort entiére d'eux-mémes.
54. Lors que nous ſommes pure
ment en nous-mémes, la doctrine ſpi
rituelle n'eſt pas degrande étendue ni
de grands éfets : Mais ſi nous ſommes
en Dieu , nôtre doctrine y eſt auſſi ,
qui produit toûjours admirablement
ſon éfet au dedans, pour nous ravir,
nous brûler , & nous fondre au feu
du divin amour.
336 Maxime ſpirituelles.
• --
-

· c H A • 1 r R e xx.
De l'Abſtraction, de la Simplicité, &
de la Liberté des Enfans de Dieu.
-" , I• IL y a pluſieurs genres D'A B
-,. * s T R A c r 1 o N s. Les uns ſont
(I) abſtraits en nature & dans la force
.beſtiale de leur imagination. Ceux
qui ſont (2) moraus , ſont abſtraits au
plus haut de la raiſon. (3) Les vrai
ment ſpirituels le ſont ſurnaturelle
ment » au pius haut de l'eſprit. Et les
autres (4) le ſont encore plus nuement
& ſimplement , étant tout-eſſentiels.
2 Celui qui ne s'empéche de rien
au dehors ſinon prudemment & en
,
choſes qui le touchent d'ofice, eſt par
fait. Ces eſprits-là ſont rares en un
corps. Ils font gloire de beaucoupé
couter & peu parler, de vaquer à ſoi
méme en profonde attention , & en
abſtraction du dehors » dont ils n'ont
que le ſens frapé.
3. Celui qui n'eſt point abſtrait du
viſible
ſI) Les artiſans inventifs , les géométres , les
critiques de goût fin.
(*) Les Philoſophes de morale & de metaphy
Jique. Les ſpirituels de ſpeculation.
(3) Les ames ſaintes &- contemplatives.
(4) Les ames transformées & déifiées.
Ch.XX. Abſtraction, Simplicité. 337
viſible & ſenſible, demeurera toûjours
ataché à ſoi-méme , & ne jouira ja
mais de la vraye liberté de cœur &
d eſprit : d'autant que les frequens
deſordres de la part des créatures s'o
poſeront inceſſamment à ſes deſſeins,
ou plûtôt à Dieu dans lui.
4. Quiconque n'eſt pas veritable
ment abſtrait en totale perte de ſoi
méme , n'eſt nullement capable des
lumiéres & vérités de l'eſprit.
5. Il y a trois états de s I M P L I
c I T E'. Le premier eſt d'étre mort à
force de s'écouler en Dieu par l'action
& l'élevation de Dieu dans ſes puiſ
ſances. Le deuſiéme eſt, de ne vou
loir point refléchir ſur les objets les
plus ſimples de l'eſprit pour y raiſon
ner de propos delibéré ſi la choſe ne
nous touche d'ofice. Le troiſiéme ,
qui répond du tout à l'eſprit, fait non
ſeulement ce que deſſus, mais encore
il tient ſon ſujet mort par deſſus tou
te aprehenſion & connoiſſance : [il
le tient] ſtable & arété à tout endu
rcr d'une trés-haute & trés-forte ma
niére , ſans ſortir jamais de là pour
quoi que ce ſoit.
6. La ſimplicité eſt une lumiére in
fuſe de Dieu dans l'ame , qui croiſ
ſant peu à peu , la rend ſimple ; &
dont l'ame étant aléchée , elle quitte
' P volcn
338 Maximes Spirituelles.
volontiers tous les plaiſirs & ſentimens
beſtiaus de la vie préſente , qui en
comparaiſon de cette douce lumiére
ne ſont que menſonge & fauſſeté.
- 7. La fineſſe , la duplicité, la ſi
mulation , l'artifice & l'eſprit de poli
ce, ſont l'enfer des ames ſimples.
- 8. L'Eſprit ſimple, vraiment mona
cal & clauſtral , eſt aujourdhui chan
gé en un Eſprit tout politique. Et au
jourdhui en nous tous , ô douleur !
nôtre principale fin & nôtre formel,
eſt la police , qui nous emporte &
nous entraine aprés elle.
- 9. ll eſt impoſſible que par les fre
quents attouchemens de Dieu l'ame ne
devienne ſimple ſi elle eſt fidelle.
- 1o. La ſimplicité abhorre comme la
mort l'extroverſion , les images & les
figures, & toute recreation des ſens.
Que ſi l'ame ſainte accepte quelques
fois quelque ſainte recreation , ce n'eſt
que par dehors & à regret ; parce que
tout ſon plaiſir eſt au dedans, où eſt
ſon Roi, avec lequel elle prend ſon
repos & tout ſon contentement.
- I I. Il eſt impoſſible que les natu
res aucunement reformées , & qui
néanmoins ſont demeurées trop acti
ves » Puiſſent jamais arriver au point
de la parfaite ſimplicité : d'autant qu'ils
rodent toûjours au dehors par les ima
ges
Ch.XX. Abſtraction , Simplicité. 339
ges & figures qui vivent trop en eux
| 12. La ſouveraine L I B E R T E" de
l'homme eſt en Dieu : & cela a fort
grande gradation avant [le terme del
ſa conſommation : mais quand tout
l'homme eſt conſommé en état paſſif
#! & fruïtif, alors ſa liberté eſt divine
en quelque façon , & ſemblable à cel
le des bien-heureux. - ,,,.
| 13. Les hommes profondément ſpi
rituels font & diſent ce qu'ils veulent,
& comme ils le veulent , en leur a
mour, en leur lumiére, en leur état
trés-déïforme, en l'éminence de l'Eſ
prit de Dieu , dans lequel ils reſident
ſuréminemment ; & ſont ſouveraine
ment libres en leurs operations , ſans
º}
ſe ſoucier plus que de raiſon du juge
ment des hommes : parcequ'ils ne vi
vent ni pour les hommes ni pour eux
mémes; mais en Dieu & de Dieu.
I4. Plus on eſt parfait , plus eſt-il
loiſible de faire & dire pluſieurs cho
ſes : mais il ne faut jamais agir ni par
ler hors de l'expédicnt.
15. La liberté divine tient ſon ſujet
toujours également, hau ement, pro
fondément & immobilement élevé &
uni à Dieu , en trés-haute ſimilitude
de lui-méme, mourant inceſſamment
à tout le créé, & vivant par ce mo
yen tranquilement &
-
pacifiquement
P 2 élevè
\

34o Maximes Spirituelles.


élevé au deſſus de l'ordre & du deſor
dre des créatures. Mais ceci eſt incon
nu aus hommes qui ne ſont pas en
tiérement conſommés. -

16. Il n'eſt rien de plus véritable


ment libre que les vrais enfans de Dieu,
qui vivent ſaintement ſous ſes loix , &
ſont les plus heureux dela terre » mé
me dans les adverſités; parce qu'ilsy
ſont inébranlables. -

L E'T

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