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R O M A N S

Séquence 3

Le Chien jaune, Georges Simenon


le plan méthodologique, il s’agit d’amener les élèves
1 à repérer les constantes du genre pour leur permettre
de réinvestir ces apprentissages dans la lecture d’autres
Les programmes œuvres.
Par ailleurs, le récit policier se construit fortement
Ils préconisent la lecture de livres, au moins six en relation avec un point de vue réaliste sur le monde
chaque année au collège et au lycée, qui peuvent qui permet au lecteur de se substituer à l’enquêteur
faire l’objet d’une lecture intégrale ou cursive. pour exercer ses facultés de raisonnement sur une
En troisième, ces œuvres sont choisies dans la réalité qui lui est dévoilée.
période privilégiée de ce cycle, les XIXe et xxe Enfin, le monde auquel se réfère Simenon est un
siècles. monde déjà daté pour les élèves, un monde qui n’ap-
Les romans choisis doivent permettre de s’inter- partient plus à leur univers contemporain : il faudra
roger sur des phénomènes complexes de la narra- donc mettre ce réel à distance pour l’interroger dans
tion notamment pour permettre la poursuite des le contexte du début du xxe siècle.
apprentissages autour du texte narratif. Ils offrent
l’occasion de construire des catégories, autour des ■ Lire le projet réaliste
différents genres, des registres. Enfin, ils ouvrent à Analysant le projet réaliste, Jacques Dubois1 a
des savoirs littéraires autour des auteurs, de leurs écrit : « On peut estimer à une centaine d’années la
projets et contexte d’écriture. période pendant laquelle le roman français a été un extra-
Le Chien jaune, roman policier du xxe siècle semble ordinaire instrument d’exploration du réel, de figuration
bien indiqué pour remplir les objectifs de lecture de du réel, de figuration de l’Histoire, d’analyse de la société. »
ce programme. Puis il précise qu’« il s’agira moins de dire le monde
que de donner à voir une conscience en train de perce-
voir le monde et retirant de cette relation un savoir exis-
2 tentiel mais non moins pénétrant. Le sujet se fait ainsi
miroir dans lequel le monde se réfracte de façon généra-
lement fragmentée. […] […] l’information donnée, le
La place dans une progression savoir dispensé sont toujours tributaires d’une position
d’énonciation telle qu’elle est manifestée par le texte. »
Cette séquence, qui met en place des savoirs com-
plexes sur la narration et qui demande aux élèves Le roman policier, notamment celui de Simenon,
d’avoir une vision panoramique de l’ensemble du se prête particulièrement bien à la démonstration !
roman pour en interpréter les effets, pourra être pré- En effet, c’est à travers un personnage, le plus sou-
cédée d’une autre séquence récapitulant et appro- vent le commissaire Maigret, ses perceptions et son
fondissant les objectifs de la classe de quatrième; savoir, à travers des effets de focalisation que le lec-
une séquence centrée sur un groupement de textes, teur se construit une représentation de l’univers qui
de récits autobiographiques ou non, pourrait donc lui est dévoilé et qui est situé dans une géographie
servir de préalable à cette séquence (par exemple les réelle. Ici c’est Concarneau, un port battu par la
séquences 1 ou / et 2). Toutefois, il faudrait envisa- tempête, le vent et la pluie, qui va servir de toile de
ger une pause entre ces séquences pour revenir avec fond à l’histoire, mais de manière symbolique aussi :
profit sur des notions difficiles et confirmer les la tempête est emblématique de l’univers glauque
apprentissages. dans lequel pénètrent l’enquêteur et son lecteur et
il faudra attendre le dénouement et la fin de l’en-
Sur le plan des apprentissages littéraires, cette quête pour découvrir la ville sous le soleil.
séquence pourrait être suivie de la séquence 14 consa-
crée à la biographie et aux méthodes de travail de Sur le plan linguistique, l’œuvre se caractérise par
Simenon. Cette séquence, qui s’intéresse aussi aux l’importance du discours : on montrera que cette
genres de l’oral, permettra d’intégrer une réflexion caractéristique participe aussi à la mise en place de
sur cette autre pratique importante qu’est l’oral. l’illusion réaliste et à la critique sociale. La distri-
bution et la caractérisation des personnages et de
leurs discours renforcent l’opposition entre deux uni-
3 vers sociaux caractéristiques de l’époque : les « petites
gens » et la bourgeoisie provinciale. La narration
semble se fragmenter entre ces discours plus impor-
Les enjeux de cette séquence tants « en volume » que les passages narratifs.
et les choix opérés C’est d’ailleurs autour des personnages et de leurs
discours que se construit, comme on le verra, la pro-
Lire Le Chien jaune, un roman policier gression du récit : «… j’ai pris l’enquête à l’envers, ce
qui ne m’empêchera peut-être pas de prendre la prochaine
réaliste à l’endroit… Question d’atmosphère…
L’objectif principal de cette séquence est l’étude
d’une œuvre intégrale centrée sur l’analyse du genre 1. Jacques Dubois, Les Romanciers du réel, de Balzac à
romanesque et précisément du roman policier. Sur Simenon, Points essais, Seuil, 2000, p. 59.

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Quand je suis arrivé ici, je suis tombé sur une tête qui ner onze heures. ». Ces notations chronologiques débor-
m’a séduit et je ne l’ai plus lâchée… ». Dans ces quelques dent sur « l’avant » de l’histoire et installent ainsi un
lignes, à la fin du récit (p. 147), Maigret explique à début de chronologie : « … un caboteur qui, l’après-
Leroy, son collègue, comment il a mené son enquête. midi, est venu se mettre à l’abri. »
C’est aussi un indice sur la façon dont Simenon Les personnages entrent en scène : le premier évo-
écrit un roman, se laissant conduire par une atmo- qué est « le douanier de garde ». Le nom « douanier »
sphère et des personnages énigmatiques qui lui plai- est utilisé cinq fois et il n’est complété du groupe
sent, l’attirent ou le fascinent et qui servent alors de nominal complément du nom, « de garde », que la
trame à l’histoire. On comprendra qu’ici ce person- première fois qu’il est employé. Le personnage n’est
nage est Emma dont l’histoire lui permet de com- donc identifié que par sa profession et le rôle de
prendre ce qui s’est déroulé des années plus tôt et témoin qu’il joue dans ce début d’histoire. En
les liens entre ces événements passés et le présent. revanche, le deuxième personnage est qualifié diffé-
L’évocation, les portraits des personnages constituent remment : après la première formule indéterminée
donc un enjeu fort pour lire et comprendre les et le nom générique « homme » accompagné de l’in-
romans de Simenon et les univers qu’il évoque, défini « un », l’article défini ou le pronom « il » signa-
comme le sont les ambiances et atmosphères qu’il leront qu’on fait référence à un personnage déjà évo-
rend palpables. qué et les formulations variées développent toutes
les images que perçoit un spectateur de la scène et
■ La lecture cursive du roman les conclusions qu’il en tire ; un tel comportement
Il est d’usage de demander aux élèves de faire ne peut s’expliquer que par l’abus d’alcool : « un
une première lecture du roman avant son étude. homme paraît », « l’homme », « il », « l’ivrogne », « l’homme
Toutefois, une première séance consacrée à la pre- au chapeau melon », « le fumeur », « le noctambule »,
mière étape pourra précéder la lecture cursive et « il », « l’ivrogne ».
mettre en évidence les attentes de lecture qui se Ce personnage qui se construit par ses gestes et
construisent à partir des premières pages du livre. sa tenue pourrait bien être décrit selon le point de
La lecture autonome pourra suivre cette première vue du douanier qui justement observe la scène.
séance et la séquence pourra reprendre une à deux
semaines plus tard. ■ Le genre du roman
Dans le cas d’élèves peu lecteurs ou lecteurs en Cette histoire commence en pleine tempête, en
difficulté, on pourra découper et programmer la lec- plein vent et ce champ lexical rencontre celui de la
ture de l’ensemble en plusieurs parties pour l’inté- mer et des bateaux dans ce décor de port breton :
grer aux étapes de l’étude. on en fera aisément le relevé.
Première partie : chapitres I, II, III. Ce cadre tourmenté, la nuit et le fait que tout le
Deuxième partie : chapitres IV, V, VI, VII, VIII, IX. monde – presque tout le monde – dorme se révèle
propice à des événements mystérieux, violents, un
Troisième partie : chapitres X, XI. meurtre par exemple comme dans tout bon roman
policier, le douanier jouant d’une certaine façon le
rôle du policier qui ne va pas tarder à intervenir. La
4 présence énigmatique du chien jaune contribue à
constituer l’atmosphère mystérieuse qui règne sur
Déroulement de la séquence Concarneau.

■ La narration caractéristique du passage : un


ÉTAPE 1 récit rétrospectif qui rend difficile à identifier le
présent de l’écriture
Le narrateur de ce récit fait à la troisième per-
Le chien sans maître sonne semble peu présent dans son récit. À peine
peut-on l’entrevoir derrière le « on » de « … on devine
■ Le début d’un roman des silhouettes. » Très vite, le relais semble pris par le
On pourra construire cette première séance en personnage du douanier dans un effet de focalisa-
l’organisant autour du questionnement proposé dans tion interne : « Et ces gens attardés au café, le doua-
le manuel. Il s’agit ici de rentrer dans l’univers du nier de garde les envie… ». Le reste de la scène est
récit. perçu suivant le point de vue de ce personnage témoin
Cette première page répond bien aux attentes que et toutes les informations transitent par son regard.
l’on peut avoir d’un début de récit en construisant Le choix des temps, présent presque exclusive-
l’espace/temps du roman : le cadre est évoqué, ment et passé composé, nous annonce un énoncé
Concarneau, la vieille ville, le port, les bateaux. Les ancré dans la situation d’énonciation au point que
lieux réfèrent à une ville connue du lecteur, ce qui le lecteur a l’impression que les événements se dérou-
construit l’effet de réel : cet effet est renforcé par lent simultanément à leur écriture : le rythme de la
les autres détails et noms cités : « Quai de l’Aiguillon », narration semble épouser le rythme du récit. Mais
« Hôtel de l’Amiral » ; l’heure est précise : « onze heures la dernière phrase de l’incipit renvoie ces événements
moins cinq » et le temps semble se dérouler au rythme à un passé proche comme en témoigne le passé com-
de la narration : « … un déclic à l’horloge, qui va son- posé : « … j’ai eu la sensation qu’il s’était passé quelque

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Le Chien jaune, Georges Simenon
chose ! dira le douanier, au cours de l’enquête. » Ainsi le Les attentes Le récit commence par un meurtre
présent de l’incipit est-il à référer à un présent mas- et hypothèses puis l’entrée en scène de Maigret
qué du discours direct ; le témoignage du douanier du lecteur donc le lecteur s’attend à lire un
tel qu’il a dû le donner peu de temps après les faits, roman policier et découvrir le nom
pendant les premières investigations. du meurtrier…
Le mystère s’épaissit avec une
■ Le premier chapitre du roman seconde tentative de meurtre…
La rupture entre cet incipit et le reste du cha-
pitre est marquée par l’utilisation d’un blanc typo- ■ Lecture de l’image : confrontation
graphique et le passage à un énoncé coupé de la des deux premières de couverture
situation d’énonciation : « Les allées et venues qui suc-
cédèrent à cette scène sont plus difficiles à établir dans L’édition Pocket utilise une photo couleur de la
un ordre chronologique rigoureux. » L’utilisation con- vieille ville de Concarneau avec son horloge et le
jointe du passé simple et du présent témoigne d’une cadran solaire sur la tour des remparts. L’image ici
narration rétrospective mais, dans ce cas précis, assor- représente précisément ce qui est évoqué dans la pre-
tie de commentaires du narrateur au présent de mière page du roman, mais la photo prise de jour et
l’énonciation. Plan embrayé et plan coupé de la situa- par beau temps ne rend pas l’atmosphère de tempête
tion d’énonciation alternent en permanence dans ce de cette nuit de novembre où l’histoire commence.
roman. La fonction de la couverture est ici référentielle et elle
privilégie le lieu de l’histoire.
Le lecteur découvre ensuite la nature du crime,
l’identité de la victime, son état, et fait la connais- La couverture du Livre de poche offre des indices
sance des personnages qui peuplent le « Café de différents : le choix d’une photo noir et blanc, avec
l’Amiral » d’où est sortie la victime. Il reconnaît aussi des reflets sépia renvoie à un temps passé, comme le
le nom de l’enquêteur, le commissaire Maigret, ce décor de café un peu vieilli qui y figure. Mais le noir
qui le fait pénétrer dans un univers romanesque est aussi la couleur – parfois associée au jaune – du
connu. roman noir, et cette image est renforcée par le ban-
deau noir sur lequel s’inscrivent le titre et le nom de
L’ensemble de ces informations donne au lecteur l’auteur du livre. À cela s’ajoute une information qui
l’impression de pénétrer dans un décor, une époque ne figure pas dans l’édition Pocket, le nom de
qui existent, qui ont existé et sont conformes à la Maigret : le lecteur est informé que ce roman de
réalité : c’est une des marques du roman réaliste que Simenon met en scène le personnage fameux qui lui
cette « illusion de réalité » dont parle Maupassant, a valu une grande partie de sa renommée. La typo-
de cet effet de réel qui semble attester la réalité, la graphie utilisée pour ce bandeau n’est pas gratuite
vérité de ce qui est raconté ou, du moins, de leur non plus : les lettres qui évoquent l’écriture-machine,
conformité aux données du réel. caractéristique des rapports de police avant le traite-
Les indices ne manquent pas, depuis la géogra- ment de texte, datent aussi le roman et offrent un
phie du récit en passant par les effets de focalisa- indice supplémentaire au genre concerné. Le choix
tion qui donnent plus de vérité aux impressions sug- de représenter un café comme décor du roman
gérées par le récit et ces détails « effets de réel » oriente la lecture en montrant ce qui va être le centre
que le lecteur peut confondre avec les indices du de l’enquête de Maigret, son « PC de Compagnie »
récit policier qu’il lui faut interpréter. Ainsi en est- comme le signale le titre du chapitre IV.
il du chien jaune aussi qui peut être là pour « faire
vrai » ou qui peut être un indice important de l’his-
toire.
Le tableau complété est proposé dans le descrip- ÉTAPE 2
tif de l’étape 8 pour y être analysé : on pourra rem-
plir avec les élèves cette première ligne et ensuite
programmer la suite du travail pour garder en per- Portrait de groupe
manence, pendant l’étude, une vision d’ensemble de On pourra commencer la séance en analysant l’af-
l’histoire et de sa narration. fiche du film, ce qui permettra de faire le lien avec la
séance précédente et d’annoncer l’objectif qui est ici
Chapitre Chapitre I « Le chien sans maître » l’étude des personnages.
pp. 7 à 22, environ 16 pages
■ Lecture de l’image : l’affiche du film
Chronologie/ Vendredi 7 novembre, Concarneau,
Cette affiche peut sembler datée par la réalité
durée/lieux le port, l’Hôtel de l’Amiral, samedi
qu’elle évoque et par ses choix esthétiques. On peut
vers midi
parler d’un dessin narratif car il évoque le début de
l’histoire dans un mouvement suggéré par les pattes
Ce qui se passe On a tiré sur un « ivrogne », en fait
du chien qu’on imagine en train d’avancer vers la
un habitué de l’Hôtel de l’Amiral.
main tendue du douanier. L’affiche se décompose en
Tentative d’empoisonnement à la
deux plans, un arrière-plan sombre et terne qu’ac-
strychnine du pernod des habitués.
centuent la taille et le noir des lettres du titre ; au pre-
mier plan, éclairés par une lumière qui pourrait pro-

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venir d’un lampadaire, les deux hommes et le chien. coup de pied dans le vide pour chasser quelque chose… ».
Cette représentation très réaliste met l’accent sur les Dès sa première apparition, le chien jaune fait peur.
personnages de l’histoire et non sur les acteurs à l’in- Le seul personnage qui ne manifeste pas son émo-
verse des codes d’aujourd’hui. Les vêtements du tion, c’est la fille de salle, Emma, auprès de qui l’ani-
douanier et ceux du personnage blessé sont bien dif- mal vient s’installer.
férents des uniformes et vêtements d’aujourd’hui,
comme le sont la devanture du magasin et les pavés Le choix du Chien jaune comme titre au roman est
de la rue. assez énigmatique : il conduit à se demander si ce
chien va jouer un rôle, et lequel, ou s’il est au
Le film a été réalisé en 1932, c’est-à-dire l’année contraire un leurre destiné à détourner l’attention du
de la publication du roman. On peut en déduire plu- lecteur et à le conduire à faire des hypothèses qui
sieurs conclusions qui peuvent se cumuler : le goût du pourraient se révéler fausses. Toutes les hypothèses
public pour les histoires policières, le succès des sont acceptables à ce moment de l’histoire pourvu
romans de Simenon, de son personnage de Maigret et qu’elles soient justifiées. Ce qui importe, c’est de rap-
de l’atmosphère de cette œuvre, ses personnages et peler que le lecteur de romans policiers sait que cer-
décors réalistes. tains détails du texte sont des indices qui permettront
de résoudre l’énigme.
■ Portraits des personnages
Le reste de l’étape sera consacré à la technique du ■ Une fille de salle
portrait de Simenon. Cette technique est récurrente ; Celle que l’on qualifierait de serveuse aujourd’hui
il ne cherche pas à construire des portraits très com- semble présente dans le café de l’ouverture à sa fer-
plets et élaborés selon un point de vue objectif qui
meture, occupée à servir les clients, anticiper leurs
serait celui du narrateur. Au contraire, on peut parler
commandes, desservir les tables, calculer les notes et
d’une technique pointilliste ou « par petites touches »
peut-être tenir les comptes.
qui distribue les informations à travers les discours
des personnages, du narrateur et des effets de focali- Le portrait d’Emma se construit par petites
sation interne, qui disséminent les détails et informa- touches : d’abord de l’extérieur, tel qu’un observateur
tions dans le cours de la narration. Le plus souvent, peut la remarquer et il s’agit alors plutôt d’attitudes,
c’est à travers le filtre des perceptions de Maigret que de réactions : « accoudée à la caisse… », « … la fille de
passent les informations, ce qui conduit le lecteur à salle éclate d’un rire nerveux ». Puis le portrait physique
épouser son regard, à partager son point de vue, alors se construit : d’abord ses vêtements, dans l’ordre
que, traditionnellement, dans le roman du XIXe, les dans lequel Maigret les découvre, passant du chien à
portraits et les descriptions constituent des pauses de Emma : « Il leva les yeux et aperçut une jupe noire, un
la narration. L’effet de cette technique, c’est de ne pas tablier blanc, un visage sans grâce… ». Le personnage
ralentir la narration et donc de privilégier l’intrigue, est donc donné à voir à travers le regard et les juge-
de dévoiler le savoir sur les personnages au rythme de ments d’un autre personnage. Sa tenue est banale ;
l’enquête et d’offrir parfois des points de vue diffé- c’est l’uniforme de la fille de salle, en noir et blanc
rents parce que perçus par les autres personnages ou comme son visage qualifié objectivement de « sans
par le narrateur de l’histoire. grâce » mais plus subjectivement d’« attachant ».
Nous avons donc « collecté » ces informations pour Le portrait d’Emma, à nouveau perçu par le regard
chacun des personnages afin de faciliter le travail. de Maigret, est complété par une nouvelle « touche ».
Néanmoins l’analyse, pour ne pas être trop fasti- L’absence de grâce de la jeune femme y est souligné :
dieuse, pourra se distribuer entre le travail en classe et « yeux cernés, lèvres minces » ; elle ne donne pas l’im-
le travail autonome afin que l’activité n’excède pas les pression de se préoccuper beaucoup de son appa-
deux heures. On peut aussi envisager de faire tra- rence : « ses cheveux mal peignés », « le bonnet breton » qui
vailler les élèves par groupes sur un personnage puis glisse.
de mettre en commun les conclusions de chaque L’ensemble de son attitude paraît soit singu-
groupe pour faire un bilan ensuite. lièrement morne, absente, « indifférente » comme un
témoin peu concerné par les événements, soit surpre-
■ Un chien nante et peu maîtrisée, témoins ce rire hystérique qui
Il est d’une race difficile à identifier et dont la seule la secoue au début du roman ou ce regard fiévreux
caractéristique semble être cette couleur jaune assez qui suit Maigret.
inattendue, même si elle est dite « jaune sale ». Pour le lecteur, ces indices sont assez troublants
Impossible de dire de quelle race il est : « … je défie qui tout comme ils le sont pour Maigret : quel rôle la
que ce soit de dire de quelle race est cette affreuse bête… ». jeune femme joue-t-elle dans ces événements ? Et l’on
Un bâtard, sans doute, entre le « mâtin » et le « dogue ne s’étonne pas que les premières questions du com-
d’Ulm ». missaire portent sur elle : « Il y a longtemps que la fille
L’animal est qualifié de « bête jaune et hargneuse », de salle est ici ? »
d’« affreuse bête », de « Sale chien !… ».
Les autres personnages manifestent une certaine ■ M. Mostaguen, la victime
inquiétude face à l’animal. Le douanier est « peu C’est le narrateur qui divulgue l’identité de la vic-
rassuré », le narrateur précise que l’animal « a quelque time en la qualifiant familièrement de « bon gros qui
chose d’inquiétant ». Quant au pharmacien, « il donne un n’a que des amis. » Voilà donc un personnage très sté-

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Le Chien jaune, Georges Simenon
réotypé destiné à faire rire peut-être à cause de sa pas des moindres : « … un de vos chefs… ». Il se vante
voix « si fluette » qu’elle fait rire Emma. Même blessé, d’avoir occupé des situations importantes ; le person-
il garde un air étonné que la souffrance seule lui enlè- nage semble vantard et un peu prétentieux : « Je col-
vera. Le personnage n’est pas loin d’être ridicule labore, pour m’amuser… ».
même dans des circonstances dramatiques. Hâbleur et constamment en mouvement, il nous
Ses amis sont unanimes à construire ce portrait un est aussi décrit par ses attitudes : « Il sautillait, gesticu-
peu ridicule d’un brave « bougre » comme le dit lait », il éclate de rire.
Servières, une « bonne pâte » sans beaucoup d’ambi- Le lecteur a déjà rencontré le personnage le soir
tion et qui n’a peur que de sa femme ! de l’agression contre Mostaguen : le narrateur a
Le lecteur peut penser qu’il ne s’agit pas là d’un ébauché un premier portrait tout en rondeurs de
personnage important, mais de l’éternel bon garçon Servières, « petit personnage grassouillet ». À ce moment
qui sert de faire-valoir aux autres. de l’histoire, Servières a pris les choses en main : « Il
prend des notes, donne des indications… ». Ce por-
■ M. Le Pommeret trait est complété par le regard de Maigret qui
semble confirmer ces descriptions : « … un homme au
La première image le montre en train de fumer un visage poupin, à l’œil rond… ». L’individu semble tou-
cigare dans une attitude décontractée avec son ami : jours gai et de bonne humeur, toujours prêt à plai-
le cigare est ici symbole de luxe et d’un certain goût santer : il tient une chronique humoristique, il a la
pour le plaisir – ce que la suite du texte va confirmer. « lèvre souriante. »
C’est le narrateur qui qualifie Le Pommeret de Sa réaction aux derniers événements du chapitre
« notable ». Le notable se reconnaît à « son allure et à sa peut sembler étonnante : lui aussi est saisi par la peur
voix. » C’est ensuite Servières qui va faire le portrait au point de n’être plus capable que de jurer ! Sa peur,
de son ami ; un notable, en effet, puisqu’il possède comme celle de Le Pommeret, peut être aussi un
des rentes et n’a donc pas besoin de travailler pour indice pour le lecteur : encore un personnage à sur-
vivre, puisqu’il a un titre, certes surtout honorifique, veiller !
dans la diplomatie : « vice-consul du Danemark », mais
surtout – car c’est le premier qualificatif cité – « impé-
nitent coureur de filles. » ■ Le docteur Michoux
Ce personnage se reconnaît donc à sa tenue comme Pour le portrait du docteur Michoux, ce sont les
le joli cœur ou le bel homme qui peuple les romans élèves qui feront le relevé des indices du texte.
sentimentaux : tenue impeccable et décontractée pour « Et Jean Servières continuait :
ce noble désœuvré. Les « jolies moustaches argentées »
– Le docteur Michoux… Le fils de l’ancien député… Il
rappellent son âge : il n’est plus de première jeunesse
n’est d’ailleurs médecin que sur le papier, car il n’a jamais
et la couperose, qui marque son teint clair peut être le
pratiqué… Vous verrez qu’il finira par vous vendre du ter-
signe d’abus passés et présents. La description, justifiée
rain… Il est propriétaire du plus beau lotissement de
par la présentation du personnage à Maigret, traduit
Concarneau et peut-être de Bretagne.
ici le regard du commissaire ; un regard précis et obser-
vateur qui enregistre tous les détails. Une main froide. Un visage en lame de couteau, au
nez de travers. Des cheveux roux déjà rares, bien que le
C’est Servières qui complète le portrait en insis- docteur n’eût pas trente-cinq ans. » (p. 15)
tant sur sa réputation de séducteur et en qualifiant sa
maison de « maison des turpitudes… ». « Maigret remarqua au même instant que le docteur
Michoux, qui avait à peine desserré les dents, se penchait
Le portrait s’achève à la fin du chapitre par la réac- pour regarder son verre en transparence. Son front était
tion de peur qui s’empare du personnage quand il plissé. Son visage, naturellement décoloré, avait une
apprend que de la strychnine a été versée dans le per- expression saisissante d’inquiétude. […] » (pp. 18 à 20)
nod : « Jamais Maigret n’avait vu poindre aussi vite
l’ombre pâle de la peur. » L’homme n’est pas très cou- « Le docteur rentrait les épaules. » (p. 22)
rageux et surtout, cette action violente peut laisser à Le portrait de ce personnage est moins développé
penser que Le Pommeret est impliqué d’une manière que celui des autres dans ce premier chapitre ; il est
ou d’une autre dans cette affaire, qu’il s’agit donc plus énigmatique et cela justifie qu’il soit complété au
d’un personnage à ne pas perdre de vue ! fil du roman.
Ce portrait de groupe se justifie doublement : on
■ Jean Servières voit que les personnages sont des amis, qu’ils passent
beaucoup de temps ensemble régulièrement, ils ont
Présenté dans la même attitude que son ami, leurs habitudes et des souvenirs en commun, signe de
fumant son cigare, Servières est de tous les person- relations anciennes.
nages celui qui se montre le plus bavard : c’est lui qui
va se présenter à Maigret. Il se donne le beau rôle et S’ils se fréquentent, c’est aussi qu’ils appartien-
affiche des relations qui semblent lui conférer une nent à ce groupe social que l’on nomme les notables
certaine autorité : « Mon bon ami le maire m’a annoncé de la petite ville, ces personnages en vue, plus fortu-
votre arrivée… ». Sa tactique préférée pour entrer en nés que les autres.
relation semble être de montrer des points communs On ne reviendra pas sur les techniques du portrait
avec son interlocuteur : ainsi se dit-il parisien comme mais il sera important de montrer comment cette
Maigret, il affiche des connaissances communes et petite société réunit des types humains stéréotypés : il

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y a le « bon type » un peu ridicule parce qu’il a peur racontée dans une atmosphère triste, désagréable,
de sa femme, le journaliste hâbleur et prétentieux, le brutale à cause de cette tempête qui dure. Les condi-
séducteur et le docteur. tions atmosphériques sont aussi symboliques de
L’ensemble de ces indices et portraits construit l’univers des personnages.
l’illusion de la réalité, grâce à ces types humains faci-
lement identifiables partout, ces détails qui sonnent
juste, l’attitude des hommes au café, le cigare qu’ils TEXTE 2 ■ La villa du docteur Michoux
fument ostensiblement, leurs dialogues spontanés et
familiers, qui font que le lecteur y croit, qu’il rentre La maison vue de l’extérieur est ébauchée dans le
dans l’histoire ! texte 1, et deux adjectifs s’appliquent à la bâtisse : elle
semble triste car inachevée et bâtie « en pierres grises »,
et prétentieuse avec sa terrasse, sa pièce d’eau et ses
parterres.
ÉTAPE 3 La suite de la description confirme cette première
impression : la villa est « prétentieuse », son architec-
ture est « compliquée ». Cela traduit évidemment la
Atmosphère personnalité de son propriétaire et sa façon de vivre.
À la suite de l’analyse des personnages, l’étude des Le docteur doit jouer les protecteurs des arts comme
passages descriptifs permettra de reconstruire l’es- en témoignent les inévitables paysages bretons et les
pace du roman et de voir que les connotations asso- nus signés et dédicacés.
ciées aux lieux jouent un rôle dans la narration Ce décor est perçu à travers le regard de Maigret :
en menant vers l’interprétation des faits grâce à des « Le commissaire regardait ce bric-à-brac d’un air gro-
symboles qui annoncent aussi les événements à venir. gnon… » et celui du narrateur omniscient qui oppose
à ce regard critique celui de l’inspecteur Leroy dupe,
lui, de ce décor prétentieux : « … impressionné par cette
TEXTE 1 ■ Le lotissement des Sables Blancs fausse distinction. » L’ensemble est jugé négativement
et on peut le lire à travers les nombreux indices de
Simenon inscrit la plage des Sables Blancs dans la modalisation : le lexique choisi (« bric-à-brac »,
géographie du réel en la situant « à trois kilomètres de « recoins », « petites tables turques ou chinoises »…).
Concarneau ». Son évocation est rapide et convenue L’ensemble est hétéroclite et laid. Le jugement trans-
puisqu’elle s’étend « entre deux pointes rocheuses. » paraît aussi dans la tournure syntaxique imperson-
Aucun trait spécifique ne distingue cet endroit nelle restrictive, « ce n’était […] que… », et dans les
d’autres plages : rien de très pittoresque dans cette effets de liste et donc d’accumulation sur lesquels
description. Quant aux maisons, une seule se dis- insistent les points de suspension qui invitent à ima-
tingue des « quelques villas », celle du maire, bien rapi- giner le reste. Enfin, le jugement est explicite dans le
dement qualifiée de « somptueuse demeure ». commentaire : « La volonté manifeste de réaliser, avec de
Les éléments du décor s’organisent ensuite en vieilles choses, un ensemble rustico-moderne. »
fonction de la progression des deux personnages qui
découvrent, après la plage, la falaise et des « roches à ■ La suite de l’enquête
pic ». Le reste de la description est construit sous la Ce passage construit le décor mais il contribue
forme de phrases nominales, comme une liste des aussi à faire avancer l’action c’est-à-dire l’enquête.
objets qui se dressent devant eux et qu’ils détaillent Les reliefs d’un repas nous renseignent un peu sur le
en passant : « un grand panneau », « un plan », « un personnage qui l’a pris.
kiosque » et une « mention ». Le décor s’organise dans
l’espace autour des promeneurs dont on peut penser Ce qui caractérise ici la cuisine, c’est l’état de
qu’ils sont arrêtés devant la mention qui invite à saleté qui y règne et qui justifie déjà l’emploi du com-
s’adresser à Ernest Michoux. plément « de cochon » : « Le sol était maculé », « La table
était sale, graisseuse ». Ensuite, il semble bien que ce
Ce décor est orienté par rapport aux personnages, repas ait été pris dans la hâte : « boîtes de conserves […]
« au centre », « plus loin », « au sommet », et les derniers ouvertes grossièrement », « bouteille de fine champagne
détails sont fournis en désordre ; ce qui met en cassée », « On avait mangé, à même les boîtes »… Ces
évidence l’aspect abandonné et délabré de ce chan- détails permettent d’imaginer celui qui a mangé dans
tier. la villa : le vagabond, d’autant qu’il a été vu aux alen-
L’ensemble est qualifié de « sinistre », qualificatif tours de la villa ; c’est ce qui explique d’ailleurs le
qui caractérise bien l’ensemble du décor dans lequel déplacement des deux hommes. D’autres indices cor-
les hommes « pataugèrent dans le sable couvert de goé- roborent cette hypothèse : les traces de pas d’un indi-
mons » ; un décor où tout est « vide », « clos », les vidu aux grands pieds et celles d’un chien.
« sapins plongent dans la mer », « dans la pluie et la boue, Le lecteur se demande quel lien peut exister entre
dans le tintamarre du ressac… ». le docteur et le vagabond et pourquoi ce dernier
L’état du lotissement des Sables Blancs est bien semble le narguer en abandonnant sa villa dans un tel
délaissé, délabré, abandonné : « … non encore fleu- désordre après avoir été vu à proximité : le vagabond
ris… », « … les ébauches… », « … quelques pans de ne semble pas vraiment se cacher.
murs… », « Il manquait des vitres… »
Cette description contribue à insérer l’histoire

47
R O M A N S
Séquence 3
Le Chien jaune, Georges Simenon
EXTRAITS ■ L’Hôtel de l’Amiral Toutefois, cela n’empêche pas le journaliste de
commenter les faits, ne serait-ce qu’à travers l’articula-
Comme on peut le voir dans les extraits choisis qui tion qu’il fait entre les événements. On peut reformu-
se distribuent tout au long du récit, cet endroit, ler ainsi la dernière phrase du second paragraphe :
nommé dans le titre du chapitre IV « PC de Com- « Maigret arrivait sur les lieux mais cela n’empêchait
pagnie », est considéré comme le « poste de commande- pas un nouveau drame ». La conjonction « mais » expli-
ment », le lieu où sont installés les enquêteurs, les jour- cite le lien d’opposition entre les deux propositions et
nalistes et la plupart des protagonistes de l’histoire. ce qui n’était qu’implicite devient plus clair et on peut
C’est là que s’élaborent toutes les stratégies dans ce y lire un reproche : la venue du commissaire n’a pas
combat entre les « gendarmes » et les « voleurs ». empêché un nouveau drame. Pour cette raison, on ne
Le lieu est caractérisé par des qualificatifs dont la parlera pas d’un compte-rendu tout à fait objectif des
dénotation ou les connotations sont négatives : l’en- événements puisqu’ils sont commentés et jugés.
semble est « morne », triste. Tout converge vers cette La phrase « Trois jours : trois drames ! » (l. 21) consti-
impression qui va jusqu’au dégoût à travers l’évoca- tue une transition sous la forme d’un rapide bilan,
tion de la fumée, du drap « comme un gazon pelé », des entre les deux parties de l’article.
crachats. C’est la couleur verte qui domine mais
assortie d’un suffixe péjoratif : « verdâtre ». Les cou-
leurs sont éteintes : « gris », l’atmosphère est ■ Le style du journaliste
« glauque ». Le lieu est symbolique de l’histoire qui s’y La seconde partie de l’article se caractérise par
joue. On le vérifiera dans le dénouement. l’emploi de nombreuses phrases interrogatives.
L’Hôtel de l’Amiral est comparé à « une cage du « Ce chien n’a-t-il pas déjà conduit la police vers une
Jardin des Plantes » et plus loin, à un « monstrueux piste sérieuse ? Et ne recherche-t-on pas… » (l. 28, 29).
aquarium ». Les deux images en gradation dévelop- Ces deux premières questions peuvent être qualifiées
pent des connotations semblables. Ce sont des bêtes de questions rhétoriques, c’est-à-dire dont les
qui sont enfermées là et qui sont soumises aux réponses sont supposées connues de celui qui écrit et
regards et à la curiosité des habitants et des passants. de celui qui les pose construisant ainsi un accord sur
la question, accord qui fait donc le lien entre les
■ Les lieux du récit crimes et « l’individu qui n’a pas été identifié ».
On notera que Simenon, suivant un principe Les deux suivantes, à l’inverse, ne présupposent
d’économie, construit ses décors comme il fait les pas une réponse particulière mais enferment le lec-
portraits de ses personnages. Les lieux sont évoqués teur dans une alternative qui oblige à choisir l’une ou
de manière réaliste mais ils participent aussi à l’action l’autre proposition : « Un fou ?… Un rôdeur ?… »
en dévoilant au lecteur des indices utiles. Enfin, ils (l. 32).
sont aussi fortement symboliques de ceux qui les La question qui suit : « Est-il l’auteur de tous ces
habitent, de ce qui s’y passe et de ce qui va se passer. méfaits ?… » (l. 32) témoigne des précautions élémen-
Il faut donc les interpréter aussi. taires que doit manifester tout journaliste qui ne doit
pas proclamer la culpabilité de quelqu’un qui n’est
Les photos du film permettent aux élèves de mieux encore que soupçonné d’un méfait.
imaginer ce monde qui, pour eux, est déjà historique.
Le costume d’Emma, considéré comme folklorique Mais cette précaution n’est qu’une formule,
aujourd’hui, suffit à montrer cette distance dans le contredite immédiatement par la dernière question :
temps. Les personnages choisis offrent des ressem- « À qui va-t-il s’attaquer ce soir ?… » (l. 33) Cette der-
blances avec les personnages de l’histoire, et l’on per- nière question présuppose la culpabilité du vagabond
çoit, à travers ces images, leurs relations. et légitime le discours qui suit et qui pousse les habi-
tants à s’armer pour se défendre contre lui.
Ainsi l’interrogation qui manifeste d’ordinaire de la
ÉTAPE 4 part du locuteur l’incertitude, l’ignorance, les doutes,
sert-elle ici par étapes à affirmer la culpabilité du per-
sonnage et à conduire le lecteur à adhérer à un dis-
Peur de qui, peur de quoi ? cours qui ne présente pourtant que des hypothèses.
Après avoir reconstruit les personnages, le cadre Le titre de l’article du Phare de Brest est significa-
de l’histoire et avoir imaginé la suite des événements, tif : « La peur règne à Concarneau » comme le sont les
les élèves vont s’intéresser à la progression de l’ac- sous-titres : « Un drame chaque jour », « Disparition de
tion. Il s’agit ici, à travers la lecture d’un article de notre collaborateur Jean Servières », « Des taches de sang
journal, de comprendre comment les habitants de dans sa voiture », « À qui le tour ? ».
Concarneau sont manipulés par son auteur anonyme.
Ces titres témoignent d’une volonté de dramatiser
les événements, de les exploiter comme le fait la
■ Le rôle de l’article de presse presse à sensation pour faire éprouver aux lecteurs
On ne s’attardera pas sur sa visée informative qui des sentiments forts, la peur notamment, qui donne
apparaît clairement dans la première partie de l’ar- lieu à un champ lexical dominant dans l’article
ticle et ce jusqu’à la ligne 20. Le lecteur y trouve un comme en témoigne le vocabulaire suivant : « drame »,
récapitulatif fidèle des événements qui se sont passés « terreur », « angoisse », « trouble », « habitants effrayés »,
à Concarneau tels qu’il les a découverts depuis le « alerte », « ville est […] morte »… Ce vocabulaire pro-
début du roman. gresse et constitue une gradation qui s’achève avec

48
l’évocation hyperbolique d’une ville morte et de l’état son dépouillement. Le dormeur est évoqué par l’in-
de guerre. défini « quelqu’un » et n’est caractérisé que par deux
On imagine aisément la réaction des habitants de détails ; ceux que dévoile le jeu d’ombre et de lumière
Concarneau à la lecture de cet article : la peur. Une provoqué par la bougie : « un soulier énorme » et « un
peur qui va pousser certains, comme on le voit à la fin torse large ».
du chapitre III, à essayer de tuer le chien jaune et son Ce sont ces détails qui permettent au lecteur de
maître : « … les habitants effrayés prendront la précaution reconnaître là le vagabond qui fait si peur à tout le
de s’armer et de tirer… » (l. 34, 35) On peut donc par- monde.
ler d’un lien de causalité entre l’article et l’agression
contre le chien. Cet article montre comment l’écrit ■ Les observateurs de la scène
peut être un acte (criminel) qui fait agir.
À ce moment du récit, Maigret, qui n’a pas donné
L’analyse des tournures passives permettra de d’explications à son adjoint en lui demandant de le
repérer comment se construit ce discours destiné à rejoindre, semble hésiter sur l’attitude à avoir avec ce
créer la panique et à pousser les habitants à s’en personnage mystérieux. Le lecteur comprend à ses
prendre au vagabond. paroles qu’il observe le dormeur depuis trois heures
C’est ce que montre la première manipulation et qu’il ne sait pas s’il va l’arrêter ni ce qu’il attend
proposée. sur ce toit.
« … la mystérieuse présence d’un chien jaune que nul Le comportement du personnage qu’il observe est
ne connaît, qui semble n’avoir pas de maître et que l’on étonnant : en effet, il dort avec de la lumière « alors
rencontre à chaque nouveau malheur » (l. 24-27) jette le qu’il est traqué » et donc le lecteur peut, comme
trouble dans la population. Maigret, se demander si le vagabond ne cherche pas
Le thème de cette phrase est le chien ; au passif, être vu, à signaler qu’il est là.
l’accent est mis sur cette thématique récurrente
qu’est la peur, sujet de l’article.
C’est aussi l’occasion de revenir avec les élèves sur TEXTE 2 ■ Une scène romanesque
les fonctions grammaticales dans la phrase. Le début du texte suivant est nettement délimité
La phrase qui suit (l. 16-18) permet de noter que par l’attitude des observateurs et le réveil « soudain »
la phrase passive peut se passer de l’agent ce qui a du vagabond. Il s’achève avec le baiser des deux
évidemment des implications sur le plan de l’inter- amants et la réaction surprise des deux spectateurs.
prétation. L’ensemble constitue un récit autonome qui pro-
« Ce dimanche matin, quelqu’un (on) a retrouvé gresse suivant une dynamique narrative dont on peut
l’auto de Jean Servières près de la rivière… » : l’ab- retrouver les étapes.
sence au passif de complément d’agent oblige à ajou- La situation initiale, c’est le sommeil du vaga-
ter un sujet, évidemment, un pronom indéfini. La bond : il ne se passe rien.
phrase passive est donc beaucoup plus efficace puis- Le deuxième temps, la perturbation, c’est le réveil
qu’elle ne dit pas ce que l’on ne sait pas ou que l’on de l’homme, provoqué, on peut l’imaginer, par l’arri-
veut taire. vée d’Emma.
Ensuite, les péripéties s’enchaînent ; ce sont les
ÉTAPE 5 tentatives d’Emma, repoussées par l’homme, de s’ex-
pliquer, de se justifier.
Enfin c’est le dénouement, la résolution, à la ligne
Un couple à la bougie 84, ce baiser qui clôt la scène.
L’étude de cet extrait s’impose pour ses qualités Le retour à l’équilibre initial, pour un temps, se lit
d’écriture et la façon dont cette scène est donnée à dans l’étonnement et le soulagement des deux poli-
voir au lecteur dans une esthétique qui n’est pas sans
ciers.
évoquer l’expressionnisme. Par ailleurs, l’extrait
constitue une unité très nette que l’on peut qualifier Un grand nombre de titres peuvent évidemment
de scène romanesque, et constitue une péripétie convenir à cette séquence narrative : on pourra pro-
importante pour l’histoire et donc l’enquête ; cette poser « Une réconciliation douloureuse » ou
scène concentre les effets sur le plan thématique et « Spectateurs d’une réconciliation difficile ». Ce qui
dramatique et sa force doit être perceptible par les importe, c’est que le titre rende compte de l’en-
élèves. Le projet d’écriture qui conclut l’étape les semble de la scène.
amènera d’ailleurs à expérimenter les effets d’une
narration plus conforme à leurs habitudes de lecteur ■ Un « dialogue pathétique »
et donc à évaluer, par opposition, les effets du choix Emma se profile dans la chambre apportant une
de Simenon. bouteille et un poulet rôti, et dans une attitude que
peuvent résumer les adjectifs de « pitoyable » et « mal-
TEXTE 1 ■ Décor et premier personnage heureuse » : qu’on en juge par son attitude : « … hési-
tante, si piteuse qu’elle donnait l’impression d’une cou-
de la scène pable », « … quelques mots, humblement, tristement », « …
Le décor est ici minimaliste, un plancher, une bou- une allure plus déjetée que d’habitude », « Elle devait pleu-
gie évoqués en une phrase nominale qui insiste sur rer… », « … enfouissait le visage dans son bras replié »,

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R O M A N S
Séquence 3
Le Chien jaune, Georges Simenon
elle « montra une pauvre face blême, des lèvres gonflées nance de l’imparfait, surtout au début du texte,
par les sanglots », « Son visage était déformé par une ajoute à la confusion de la scène. En effet, les actions
trouble expression d’effroi, de prière, de douleur… ». des deux personnages semblent sur le même plan,
Sa tristesse se double d’une posture de coupable et elles se répètent sans que la signification globale de
l’ensemble fait éprouver au lecteur de la pitié pour l’ensemble apparaisse clairement. Dans la deuxième
elle, une pitié que semble partager le narrateur : « une partie de la scène, l’action s’accélère et l’utilisation
pauvre face ». dominante du passé simple montre comment l’en-
semble prend sens pour les spectateurs et lecteurs.
« L’homme », c’est ainsi qu’est désigné le dormeur
puis « son compagnon », à nouveau « l’homme », répété Dans les deux extraits délimités, on peut noter
plusieurs fois en alternance avec le pronom « il ». Ce l’importance des phrases interrogatives qui contri-
n’est qu’à la fin de l’extrait qu’apparaît le groupe buent à signaler la perspective du récit et les effets de
nominal « le vagabond » qui indique avec certitude focalisation interne déjà notés : les témoins de la
qu’il s’agit de ce personnage mystérieux, ce dont le scène s’interrogent sur ce qui se passe dans une sorte
lecteur avait déjà pu faire l’hypothèse. Ce procédé, la de discours intérieur : « Est-ce qu’elle ne pleurait pas ? »
cataphore, qui consiste à maintenir l’incertitude sur (l. 15) et confirment leurs hypothèses au fil de la
l’identité d’un personnage, crée un effet de suspense scène : « Oui ! Elle devait pleurer en parlant… » (l. 19).
et d’attente.
Le vagabond est aussi caractérisé par son corps, ■ Du cinéma muet, en noir et blanc
ses gestes et son attitude. On peut relever les élé- L’analogie avec le cinéma est explicite dans ce pas-
ments suivants : « sa grosse main s’abattit sur l’épaule et sage, des lignes 31 à 36. Sur le plan thématique, cette
lui imprima une secousse telle qu’Emma fit une volte-face scène mériterait un traitement soigné dans un film et
complète… », « C’était un ours. La tête rentrée dans les constituerait un beau morceau de bravoure avec cette
épaules, le torse […] les pectoraux, [les] cheveux coupés image finale : « … un dos inhumain, avec une petite main
ras comme ceux d’un forçat, les poings aux hanches, il de femme crispée sur son épaule. » L’intensité de la scène
criait… ». On peut poursuivre ces relevés jusqu’à la se lit d’ailleurs à l’effet qu’elle produit sur Maigret
fin du passage : tous convergent pour construire la qui « avait été tellement empoigné… ».
silhouette d’un homme gigantesque à la force phy- Pas de couleurs non plus, comme au cinéma en
sique exceptionnelle, une force presque bestiale qui le 1932 : ne tranchent que le noir de la robe d’Emma et
fait comparer à un ours, un homme rude et brutal qui sa coiffe blanche et sa « face blême » dans cette scène
ne sait pas bien contenir sa colère et sa violence et qui muette. On pourra rappeler aux élèves que si le
l’exprime par ses gestes et ses mouvements. cinéma parlant existe en 1932, les films muets pour-
C’est pour cela que le lecteur est étonné par le suivent leur carrière et que certains cinéastes préfè-
dénouement de cette scène, et soulagé aussi. rent cette forme pour sa valeur expressive.
Ce qui fait ressembler cette scène à une scène de
■ La perspective narrative cinéma, c’est aussi le rôle important que joue la
Le lecteur assiste à la scène à travers le regard des lumière. La scène n’est éclairée que par la lumière
deux policiers qui l’observent depuis le toit en face. faible et tremblante d’une bougie et la perspective
Le lecteur ne peut donc pas toujours, pas plus que les des hommes est incomplète puisqu’ils ne voient que
témoins, comprendre ce qui se passe. Tous sont obli- la partie éclairée de la chambre. C’est souvent
gés de faire des hypothèses qui se lisent à travers la « l’homme » avec qui la lumière joue : « L’homme, en
modalisation du propos : « Il devait parler fort », « Il surgissant, noircit presque tout le rectangle de la
devait être prêt à frapper. » (l. 37-38, l. 44). fenêtre… », « Tantôt on voyait l’homme, tantôt l’ombre
Les deux phrases constituant un paragraphe, des l’absorbait. » Ces effets de lumière rendent le person-
lignes 56 à 58, sont unies par un lien logique et chro- nage encore plus inquiétant et on peut imaginer sa
nologique implicite de cause à effet qui traduit le silhouette immense déformée par la flamme et la bru-
raisonnement de Maigret et que l’on pourrait refor- talité de ses mouvements.
muler ainsi : comme il n’y a que quinze à vingt mètres Cette scène est réaliste à plusieurs niveaux : elle
entre les deux groupes (cause), il suffit de tirer (consé- évoque les personnages et les lieux avec force détails
quence), on entendrait un claquement sec (consé- qui contribuent à construire cet effet de réel déjà ren-
quence)… et le colosse serait hors d’état de nuire contré dans l’analyse, comme cette évocation du pou-
(conséquence finale). Cette forme de discours indirect let rôti, de la bouteille de vin et du jeu des person-
libre montre bien ici que Maigret est sur ses gardes et nages avec ces accessoires.
qu’il ne sait pas comment la scène va tourner. C’est une scène réaliste aussi dans l’évocation des
Le temps le plus employé dans ce passage est l’im- personnages, ces personnages du peuple pitoyables et
parfait utilisé en relation avec le passé simple. On bousculés par la vie qui, avant les écrivains réalistes
peut donc parler d’un énoncé coupé de la situation du XIXe siècle, ne faisaient pas partie du « personnel
d’énonciation. L’utilisation de ces deux temps est du roman » ; c’est aussi le réalisme des sentiments
conforme à leurs valeurs respectives dans ce plan violents, d’amour et de colère, de haine et de désir.
d’énonciation : l’imparfait sert à la description ou, Mais c’est un réalisme que l’on peut qualifier
plus généralement, à évoquer l’arrière-plan du récit, d’expressionniste car le traitement cinématogra-
les actions qui ne sont pas clairement délimitées dans phique montre que les effets, pour être ressentis par le
la chronologie ; le passé simple signale les actions qui lecteur, doivent être accentués, grossis comme ils le
constituent la trame du récit. Toutefois, la prédomi- sont justement dans le cinéma muet expressionniste.

50
■ Travail d’écriture ■ La maison
Le projet d’écriture lancé à l’occasion de cette La villa où habite le maire avec « un petit air de châ-
séance demandera à être accompagné par des activi- teau féodal », comparée ensuite à un manoir anglais
tés adaptées aux élèves. La récriture de la scène est à l’image du personnage et témoigne de sa richesse
pourra se faire pendant ce temps de la fin de la mais aussi de son bon goût.
séquence et participer à son évaluation.
Beauté et opulence caractérisent tous les éléments
Il ne s’agit pas d’un exercice de transposition, de qui sont décrits, les matériaux, les meubles et les
changement de point de vue : pour faire parler les objets : l’ensemble dégage une impression de confort
personnages, il faut savoir qui ils sont, connaître leur et de « somptuosité », comme dit le texte, qui témoigne
passé, leurs relations. Cela suppose donc d’avoir en du bon goût de son propriétaire et de sa distinction.
tête l’ensemble de l’histoire. Cela demande aussi de
maîtriser l’écriture du discours rapporté, de varier les Cette « demeure aristocratique » n’a, comme le dit
types de discours et d’intégrer l’ensemble au récit. Il le texte, « aucun rapport avec le faux luxe de la villa du
s’agit enfin de faire parler un certain « type de per- docteur ». Les maisons sont ici révélatrices de leurs
sonnages » sans caricature. Les élèves devront se propriétaires et elles permettent au lecteur de com-
reporter aux passages du texte où Emma et Léon par- pléter les portraits des personnages : le maire est bien
lent pour analyser leur façon de s’exprimer et inven- différent du docteur Michoux !
ter ces discours qui leur sont prêtés en fonction aussi
de la situation et des enjeux affectifs qui s’y jouent. ■ Dialogues entre Maigret et le maire
On pourra élaborer une fiche en classe avec les élèves Le texte cité présente le début de la discussion
qui synthétisera ces contraintes et accompagnera « sérieuse » entre les deux hommes. On reviendra
l’écriture et les relectures de l’ensemble. avec les élèves sur les choix typographiques de pré-
sentation du discours direct et de ses codes, notam-
ment le rôle des tirets. Les guillemets inversés mar-
ÉTAPE 6 quent, à l’intérieur du discours direct, l’insertion
d’un autre discours : c’est toujours Maigret qui parle
Conversations avec le maire aux lignes 25 et 26 mais, à ce moment, il lit les notes
qu’il a prises au début de l’enquête. À la ligne 27,
La première partie du travail se fait à partir d’une l’alinéa et les guillemets inversés signalent le retour
relecture du début du chapitre VIII. Ce travail pourra au discours adressé directement au maire. L’italique
faire l’objet d’un travail personnel des élèves et être joue aussi un rôle dans cette alternance entre deux
repris rapidement en classe. discours.
■ Le contexte de l’échange On repérera deux rôles distincts de l’italique : on
l’utilise pour citer le nom d’un lieu : le « Café de
Les rapports sont tendus entre Maigret et le maire l’Amiral » ou pour marquer, dans la parole, un effet de
de Concarneau et ce, depuis le début de l’histoire : le citation, un autre discours. Dans les lignes 42 et sui-
maire veut des résultats et des affrontements ont déjà vantes, l’italique permet de distinguer les faits énoncés
eu lieu entre eux qui ont conduit Maigret à faire par Maigret des déductions et commentaires auxquels
emprisonner le docteur Michoux (chapitre IV). ils conduisent : il s’agit d’un effet de distanciation qui
Dans le chapitre VIII, c’est le maire qui demande distingue aussi deux discours.
un entretien à Maigret : « … il est temps, commissaire, La typographie est ici signifiante à trois niveaux :
que nous ayons un entretien sérieux… ». elle indique qui parle (le tiret), l’origine du discours
Le conflit entre ces deux personnages s’explique (l’italique pour la lecture des notes), le passage d’un
par le souci que chacun d’eux a de remplir son rôle : discours à un autre (les guillemets inversés, les faits et
pour le maire, rassurer ses concitoyens et procéder à leurs commentaires ou l’inverse). On peut repérer
une arrestation, celle du coupable qui semble dési- que, dans ce passage, Maigret dialogue avec lui-
gné, et pour Maigret, découvrir la vérité. même et que c’est ce dialogue complexe qui est des-
tiné au maire.
■ Les bonnes manières du maire
Comme on l’a déjà lu au début du roman, le maire ■ Les déductions de Maigret
habite dans une maison qui est presque un château, il
possède une voiture et un chauffeur « en livrée » et c’est Pendant cette analyse, le maire reste muet. Il suit
un maître d’hôtel qui le sert chez lui : autant de signes le discours de Maigret guidé par les adresses de ce
extérieurs d’une situation financière et sociale élevée. dernier et associé à la réflexion par l’utilisation de la
1re personne du pluriel : « Si vous le voulez bien, nous
Il s’adresse à tous avec une grande politesse, dans allons reprendre mes notes… », « Vous remarquerez… »,
une langue très soutenue, signe de ses bonnes « … souvenez-vous de l’heure ! ». Ces adresses contrai-
manières ; par exemple en désignant sa femme par gnent le maire à accepter les raisonnements de
l’appellation solennelle et un peu désuète de Maigret qu’il confirme par son silence tout au long
« madame ». Il la vouvoie et sa politesse à l’égard de de la scène. La méthode utilisée par Maigret de
Maigret est aussi un signe de distance : « Permettez que manière systématique ici consiste à reprendre les faits
je vous montre le chemin… ». les uns après les autres, d’en dégager les consé-
Chez lui, comme le dit le texte, « très homme du quences puis de s’interroger comme dans toute
monde », il baise la main de sa femme. enquête criminelle sur l’identité des coupables pos-

51
R O M A N S
Séquence 3
Le Chien jaune, Georges Simenon
sibles : c’est ce que synthétise le tableau proposé et pable possible mais on peut noter que son nom n’est
renseigné pour le premier crime. pas plus souvent cité que celui du docteur Michoux.
Par ailleurs, l’attention du lecteur est attirée par le
■ Chapitre VIII dernier fait : l’agression contre le douanier est bien
Les élèves pourront compléter le tableau en relisant curieuse car elle ne peut avoir été commise que par
le chapitre VIII : on analysera ensuite les conclusions l’inconnu Ixe. Le mystère n’est pas encore levé !
de ce raisonnement d’ensemble qu’il faut remettre La démonstration de Maigret convainc le maire qui
dans le contexte du début de la discussion entre les change totalement d’attitude et passe de l’ironie à la
deux hommes et les points de vue que chacun défend. cordialité : « Je commence à vous apprécier à votre juste
L’analyse de ce bilan contredit l’analyse de la situa- valeur… », « Je vous demande de ne pas m’en tenir
tion faite par le maire et les habitants de Concarneau rigueur… ».
effrayés par un assassin désigné, le vagabond. Or l’en- Quant à Maigret, il profite de la conversation pour
semble des délits, notamment le dernier, n’a pu être dire vertement ce qu’il pense depuis le début : «… je
commis par cet homme ! C’est la preuve qu’il s’agit tiens avant tout à ce qu’on me f… la paix ! ». On peut
d’une affaire complexe. Le vagabond reste un cou- dire que les rôles sont renversés.

Les faits Conséquences Coupable(s) possible(s)


M. Mostaguen, Opéré mais vivant Le docteur Michoux
une balle dans le ventre Le vagabond
Inconnu Ixe
De la strychnine Pas de victime Le docteur Michoux, Le Pommeret,
dans le pernod Servières, Emma, le vagabond
Disparition de Servières Mise en scène de disparition Servières
Vu ensuite à Brest
M. Le Pommeret Mort Le docteur Michoux, Emma et Ixe
Empoisonné ou sa logeuse, le vagabond ou Ixe
Le douanier Vivant : on n’aurait pas voulu Ixe
Blessé à la jambe le tuer

ÉTAPE 7 qui donnent à penser que Léon n’a pas eu le choix de


faire autrement.
Simenon utilise les points de suspension pour mar-
L’identité du vagabond quer l’oralité de ce discours, les pauses à la fin des pro-
positions, ou entre deux propositions dont la seconde
Le dénouement est proche grâce à cette confron- reformule, commente : « Je n’ai jamais su son nom… »,
tation organisée par Maigret dans le chapitre IX où il ou revient sur l’information précédente : « Aucun des
convoque tous les personnages de l’histoire et notam- trois… Ou plutôt ils ne m’ont parlé… ». Les propositions
ment le personnage énigmatique du vagabond, dont sont souvent nominales : « Deux mois en mer… » et on
l’identité et l’histoire vont être dévoilées. ne lit aucun effet de pathétique dans ce discours d’un
homme qui parle peu, qui a perdu l’habitude de s’ex-
■ Le personnage de Léon Le Guérec primer et dont le narrateur précise pour compléter le
Son histoire est simple, celle d’un homme coura- portrait : « Il parlait lentement, le regard fixe, et c’était
geux, un pêcheur qui a pris des risques pour acheter impressionnant de voir remuer ses gros doigts, plus élo-
son bateau, qui rêve de se marier avec la femme qu’il quents, dans leurs gestes lents comme des spasmes, que son
aime, Emma et qui, victime de la crise économique, visage… ».
prend des risques pour tenter de rembourser ses Histoire un peu pitoyable de cet homme qui ne
dettes : il accepte de faire de la contrebande de ce rêvait que d’un bonheur simple et que le lecteur est
qu’il croit être de l’alcool et se retrouve en prison à tenté de prendre en pitié, de juger avec indulgence.
Sing-Sing !
La façon de parler de Léon est significative de sa ■ Les autres personnages
personnalité et de son origine sociale ; il s’exprime à Cette histoire banale va basculer à cause de la
travers des propositions courtes dans une langue rapacité, du cynisme et de l’immoralité de ceux qui
simple qui dit l’essentiel sans détails superflus et dans vont, sans états d’âme, le condamner à une mort cer-
un registre de langue correct. Aucun lien logique taine. On apprendra que ce sont les trois inséparables
explicite entre ces propositions organisées suivant de l’Hôtel de l’Amiral, les notables de Concarneau,
l’ordre chronologique : elles se succèdent et consti- Servières, Michoux, Le Pommeret qui sont respon-
tuent une chaîne causale que le lecteur reconstruit et sables des malheurs de Le Guérec.

52
Le docteur Michoux ne témoigne aucune émotion tion des personnages sur l’ensemble du roman, la
au récit de Léon, aucune réaction, si ce n’est de se récurrence d’un mot ou d’une expression… Ainsi une
mettre à prendre des notes, comme s’il n’était pas recherche portant sur le nombre de fois qu’apparaît
impliqué à titre personnel dans l’affaire ou n’éprouvait tel ou tel nom d’un personnage est-elle intéressante
aucune émotion devant ces accusations : « À la stupé- pour repérer au début de la lecture – et valider des
faction générale… » et son visage affiche des expressions hypothèses – les personnages importants. On ne
qualifiées de « calme », « dédaigneuse », « ironique »… s’étonnera pas que ce soit le personnage de Maigret
Cette attitude qui étonne les personnages présents qui soit le plus souvent cité, puis viennent Emma et
à la confrontation étonne aussi le lecteur qui éprouve le docteur Michoux, cités presque autant de fois l’un
des sentiments de mépris pour ce personnage qui a si que l’autre. Les mots « fille de salle » apparaissent 23
bien caché son jeu en se posant comme victime. fois, « Emma », 88, « Maigret », 197 fois et « commis-
Les explications que donne Léon sur son arresta- saire », 108 fois. « Docteur Michoux » figure 23 fois et
tion aggravent encore le jugement que l’on peut por- « Michoux », 93 fois. Ce sont donc des indices qui
ter sur ce trio : en effet, ces hommes ont dénoncé le peuvent orienter les attentes de lecture.
marin pour s’assurer une rentrée d’argent certaine et L’analyse de toutes les occurrences du mot « peur »
ne pas risquer de tout perdre ! Et ce faisant, ils savaient dans leur contexte immédiat est aussi intéressante car
qu’ils le condamnaient à une mort certaine : « Je regar- elle met en évidence l’importance de ce registre dans
dais une dernière fois ma fiancée, sûr de venir l’épouser la construction du personnage de Michoux et les
quelques mois plus tard… Et ils savaient, eux qui nous manipulations auxquelles il se livre avec Servières.
regardaient partir […] que nous serions sans doute tués Un travail de recherche mené à partir du texte numé-
dans la lutte… » (p. 171). Ces notables sont des bandits risé peut donc ouvrir d’autres pistes d’analyses fort
et des assassins. Le jugement du lecteur ne peut être pertinentes.
que très sévère !
Nous avons limité l’analyse à celle de la désigna-
tion du personnage de Léon telle qu’elle se distribue
■ Le contexte historique, l’Amérique dans les différents chapitres du livre pour voir com-
et la prohibition ment Simenon construit l’image de ce personnage
À ce moment du récit et pour comprendre les énigmatique qui doit provoquer les interrogations du
mésaventures de Léon, il faut faire un retour sur le lecteur.
contexte historique, au programme d’histoire de troi- Une lecture verticale du tableau montre que deux
sième, de la prohibition aux États-Unis sur fond de caractéristiques du personnage servent à le désigner
crise économique. On pourra donc demander aux dans le début du roman ; ses grands pieds de manière
élèves une recherche documentaire pour répondre métonymique et sa taille gigantesque qui font de lui
aux questions posées dans le manuel sur l’ensemble de façon métaphorique « un colosse », un être effrayant.
des informations du chapitre X. Les pieds constituent un détail important car ils lais-
La prohibition de l’alcool a été imposée aux États- sent des traces et constituent un indice important
Unis le premier janvier 1920 par le XVIIIe amende- dans une enquête policière.
ment à la Constitution. La production, le transport et L’emploi du mot « vagabond », 28 fois, contribue
la vente de toute boisson alcoolique étaient totalement évidemment à construire le mystère : il suffit de déve-
interdits dans l’ensemble des États de l’Union. C’est la lopper la dénotation du mot et ses connotations pour
puissante organisation « Anti-Saloon League » qui le comprendre. Le vagabond n’a pas de nom, on ne
avait obtenu cette interdiction. C’est alors qu’appa- sait d’où il vient ni où il va, il se cache dans des
raissent les « bootleggers » (ceux qui cachent leur bou- endroits isolés, il est insaisissable. Il vit de rapines et
teille dans leur botte), les trafiquants d’alcool dont les fait peur.
activités vont se développer très rapidement et qui
vont donner lieu à des activités très lucratives qui Le nom de « Léon » n’est employé qu’à partir du
s’étendent à des trafics divers comme ceux de la chapitre IX, moment de l’histoire où Maigret
drogue, notamment la cocaïne. Ces pratiques permet- retourne dans le passé pour comprendre le présent :
tent aux groupes de gangsters et à la mafia de faire des et à partir du moment où le personnage existe, c’est
profits considérables et de se développer en imposant son nom qui est employé. Si Léon donne l’impression
la violence des guerres entre bandes rivales, la corrup- d’être un personnage fruste, s’il est comparé à une
tion administrative et politique ce dont témoigne Le brute, toutefois les explications qu’il donne font com-
Chien jaune : c’est un agent de la prohibition qui orga- prendre au lecteur que c’est le malheur qui l’a trans-
nise le trafic de cocaïne (page 170-171). formé en brute et qu’une nouvelle vie peut lui rendre
sa dignité d’homme.
L’échec de la prohibition et ses effets néfastes
entraînent sa suppression en 1933. L’auteur du roman joue stratégiquement de la
désignation du personnage pour construire son iden-
tité mais aussi pour sélectionner le savoir qu’il veut
■ Les désignations du personnage fournir à son lecteur, qui la plupart du temps n’en
dans l’ensemble du roman sait pas plus que Maigret, et parfois moins, lui qui
Le texte du roman a été numérisé2 et il est pos- emprunte le regard et le savoir de ce dernier pour
sible, avec l’outil informatique, d’étudier la désigna- progresser dans l’histoire.

2. FreBase : Georges Simenon, Le Chien jaune. Woolbridge A call Application in vocabulary and Grammar.

53
R O M A N S
Séquence 3
Le Chien jaune, Georges Simenon

ÉTAPE 8 de Michoux, son incapacité à aller au bout de ses


projets, sa dépendance vis-à-vis de sa mère et l’utili-
sation faite de la position sociale de son père : le
Le dénouement chapitre VI permet de reconstruire la biographie du
Dans cette étape, on mettra en évidence un élé- personnage.
ment important du roman réaliste qui offre à lire un Ce qui est notable à son propos, c’est cette peur
regard sur le monde et des choix de valeurs. qu’il revendique tout au long de l’histoire ; peur réelle
mais aussi peur affichée de passer pour un lâche, de
■ Défense d’Emma son propre aveu, et ne pas risquer d’être soupçonné
Depuis le début de l’histoire, Maigret, comme on des crimes dont il est justement coupable.
l’a vu, a montré de l’intérêt et une certaine sympathie Ce mot qui sert de titre à ce dernier chapitre-
ou compassion pour le personnage d’Emma. Cela thème est important car il est la clef des manipula-
apparaît clairement ici. tions de Servières (l’article) et du docteur : terroriser
C’est lui qui prend la parole à la suite de Léon la ville pour que quelqu’un se charge de supprimer le
pour raconter la vie d’Emma après le départ de son « vagabond » et donc le témoin des crimes anciens et
fiancé et pendant toutes ces années où elle l’a récents de ces notables dévoyés.
attendu, puis où elle n’a plus rien attendu. Son récit
met en évidence la suite de déboires endurés par la ■ Maigret et les « petites gens »
jeune femme : la perte de son fiancé, de son travail, Les préférences de Maigret vont aux personnages
l’origine humble du personnage et son dénuement : humbles, socialement peu favorisés : on l’a déjà vu
elle ne possède rien qu’une lettre, une boîte de dans son plaidoyer indirect pour Emma, et ce, même
coquillages… au prix d’un mensonge ; car ce n’est évidemment pas
Elle est seule et accepte le simulacre d’amour que Maigret mais Emma qui avait empoisonné le pernod.
lui propose Michoux ; ainsi Maigret explique-t-il le Plus tard, après la confrontation qui a innocenté
comportement d’Emma. Léon, Maigret accompagne le couple à la gare et leur
Il doit ensuite rendre compte des faits : Emma a donne de l’argent pour quitter Concarneau. C’est
écrit une lettre à Léon pour l’attirer dans un piège, ainsi qu’il montre sa compassion pour les victimes de
mais elle ne savait pas à qui elle écrivait : « … Michoux ceux qui sont pourtant tellement plus favorisés !
lui dicte une lettre, sans lui dire à qui elle est destinée… » ; Comme il le dit page 184, « Ils vont essayer quelque part
plus loin, il évoquera la tentative d’empoisonnement d’être heureux… »
à la strychnine dont elle est soupçonnée et s’en accu- L’épilogue de l’histoire qui renvoie le lecteur un an
sera (p. 179). après ces faits signale, dans les trois dernières lignes
De cette façon, Maigret innocente Emma à la fois du roman, que Léon est redevenu pêcheur et que sa
des faits qui pourraient lui être reprochés mais aussi femme attend un enfant. Les informations sont don-
de l’accusation d’infidélité que Léon n’a pas dû lui nées de façon lapidaire mais figurent à un endroit
épargner lors de leur rencontre. Et ce discours, c’est stratégique du roman qui conduit le lecteur à lire un
avant tout à Léon qu’il est destiné pour lui donner heureux dénouement et à reconnaître dans ce couple
une autre image de sa fiancée et donner ses chances les personnages principaux du roman.
à ce couple qui se reconstruit.
■ Bilan de la narration
■ Le personnage du docteur Michoux Les élèves ont rempli au fil de leurs relectures et
La « fiche personnage » aura permis de collecter, des activités le tableau synthétique de la narration.
au fil de la lecture, les caractéristiques du personnage On a pu s’y reporter régulièrement pour garder à l’es-

Chapitre Chronologie / Ce qui se passe Les attentes et hypothèses


durée / lieux du lecteur

Chapitre I Vendredi 7 novembre, On a tiré sur un Le récit commence par un meurtre


« Le chien sans Concarneau, le port, « ivrogne », en fait un puis l’entrée en scène de Maigret
maître » p. 7 à 22, l’Hôtel de l’Amiral, habitué de l’Hôtel de donc le lecteur s’attend à lire un
environ 16 pages samedi vers midi l’Amiral. roman policier et découvrir le nom
Tempête Tentative d’empoisonne- du meurtrier…
ment à la strychnine Le mystère s’épaissit avec une
du pernod des habitués. seconde tentative de meurtre…

Chapitre II Samedi 8 Entrée en scène de Qui porte des chaussures de taille


« Le docteur en Visite à la plage des l’inspecteur Leroy 46 et dîne chez le docteur ?
pantoufles » p. 23 à 38, Sables Blancs et à la Disparition de Servières Pourquoi le chien est-il revenu
environ 16 pages maison du docteur aux pieds d’Emma ?
Pluie et vent

54
Chapitre III Dimanche 9, midi Lecture du journal Qui a écrit l’article du journal ?
« La peur règne à « Les gens revenaient de Visite de la voiture de Servières est-il mort ?
Concarneau » la messe » Servières et rencontre
p. 39 à 56, Dimanche à 5 heures avec sa femme
environ 17 pages Rivière Saint Jacques Confrontation d’indices
Pluie battante entre Maigret et Leroy
Lapidation du chien

Chapitre IV Dimanche après-midi, Sauvetage et opération Qui a tué Le Pommeret ?


« PC de Compagnie » 5 h jusqu’à la nuit : du chien
p. 57 à 73, le café, la vieille ville Mort de Le Pommeret
environ 16 pages Le logement de Le Disparition du chien
Pommeret
Il pleut

Chapitre V Lundi, 8 heures Arrestation du vagabond Pourquoi avoir arrêté Michoux ?


« L’homme du Visite à la pointe du puis fuite Pour le protéger ?
Cabélou » Cabélou Arrestation du docteur
p. 75 à 91, Visite à la prison Michoux
environ 16 pages Froid et pluie

Chapitre VI Suite de la visite à la « Confession » de Que fait Maigret l’après-midi du


« Un lâche » prison : conversation Michoux, Servières lundi ?
p. 93 à 106, avec le docteur toujours vivant ?
environ 14 pages Disparition de Maigret

Chapitre VII Le soir Rencontre entre Emma Quelles relations entre Emma et le
« Le couple à la 11 h et l’inconnu vagabond ? Qui est-il ?
bougie » p. 107 Tout était froid Blessure du douanier Qui a tiré sur le douanier ?
à 125, 18 pages

Chapitre VIII Fin de soirée, très tard, Discussion chez le maire Il ne peut y avoir un seul coupable
« Plus un ! » nuit après une heure du à tous les crimes !
p. 127 à 143, matin. Un beau ciel L’affaire est plus compliquée qu’elle
environ 16 pages aux nuages lourds ne le semblait

Chapitre IX Mardi matin Visites chez Emma et le Quel rôle Emma a-t-elle joué, un
« La boîte aux Il fait beau docteur double jeu ?
coquillages » Visite à la gendarmerie,
p. 145 à 160, à Michoux
16 pages

Chapitre X Mardi midi Début de la confron- Retour dans le passé pour


« La Belle Emma » tation générale : les comprendre le présent
p. 161 à 175, explications de Léon
environ 14 pages

Chapitre XI Suite de la confron- Les questions du lecteur sont


« La peur » tation : les explications résolues
p. 177 à 190, de Maigret
environ 13 pages Les suites de l’affaire et
un an après les faits

prit le déroulement des événements et leur chronolo- fait l’hypothèse d’un rythme régulier de la narration,
gie. conduirait à une quarantaine de pages environ pour
Les chapitres de ce roman sont assez réguliers et chaque journée. Toutefois, l’amplitude de la chrono-
comptent entre 14 et 18 pages. logie est plus large puisqu’un retour en arrière ou
analepse fait commencer l’histoire quatre à six ans
Cette histoire, racontée en 190 pages, évoque des plus tôt et que le dénouement la fait s’achever un an
événements qui se sont déroulés entre le vendredi après. C’est donc une période de cinq à sept ans qui
7 novembre au soir, dix heures, et le mardi début est englobée par le récit.
d’après-midi, soit presque quatre jours, ce qui, si l’on

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R O M A N S
Séquence 3
Le Chien jaune, Georges Simenon
32 pages pour la durée du vendredi au samedi soir, Ils pourront s’aider du bilan sur « Le genre du roman
33 pour la journée du dimanche, mais quatre cha- policier » qui figure aux pages 96-97 de leur manuel.
pitres pour la journée du lundi soit 54 pages environ !
Et enfin, trois chapitres et 45 pages pour la dernière
journée. On ne peut donc pas parler d’une narration
proportionnelle à la durée de la fiction. ÉTAPE 9
Le rythme de la narration n’est donc pas régulier,
ce qui se comprend aisément puisqu’il dépend des Deux débuts de roman policier
événements qui se produisent lors de ces journées.
On pourra donc reprendre les notions de narratolo- TEXTE 1 ■ Georges Simenon, Le Port
gie qui permettent de mieux comprendre ces straté- des brumes, 1932
gies d’écriture.
Le tempo extrêmement lent des premières pages La lecture de ce texte interroge les compétences de
lues presque en « temps réel » voire au ralenti, consti- lecture des élèves à propos du roman policier. On
tue un bon exemple de ce que l’on nomme « scène » vérifie donc que les apprentissages mis en place dans
dans le roman et qui combine des séquences des- la séquence sont maîtrisés.
criptives, narratives, et parfois du dialogue pour Cette étape peut faire l’objet d’un travail auto-
rendre compte des événements dans leur globalité nome à la maison ou d’un devoir en classe.
et en détail. Les élèves auront repéré d’autres pas-
1. Le chapitre I
sages où la narration se dilate au rythme de l’action.
C’est la « scène de retrouvailles » entre Emma et Cet incipit progresse à travers l’évocation d’un
Léon, c’est la « discussion dans la prison » entre le voyage de Paris à Ouistreham qui fait de Maigret
docteur et Maigret, c’est la « confrontation générale » l’observateur des autres personnages qui l’accompa-
finale… gnent. À travers ce qui ressemble souvent à un mono-
logue intérieur ou des pensées qu’un narrateur
L’ellipse narrative consiste à ne pas raconter un dévoile, le lecteur recompose les informations indis-
événement parce qu’il n’apporte rien à l’action ou, pensables à l’entrée dans l’histoire. Ces données
dans le cas du roman policier, pour taire au lecteur énonciatives sont complexes : on n’attend pas que les
des informations qu’on ne veut pas lui divulguer, élèves soient capables de mener l’étude seuls.
pour renforcer le suspense. C’est ce qui se passe
durant l’après-midi du lundi quand Maigret disparaît Mise en place des éléments du récit
et que le lecteur ignore ce qui s’est passé durant ce Ces données peuvent être reconstruites autour des
temps : cela permet à Maigret de poursuivre son questions : Qui ? Quand ? Où ? Quoi ? et Pourquoi ?
enquête hors du regard de son lecteur. On relèvera les données spatiales organisées par les
La dernière page du roman constitue un bon stations de la ligne Paris-Caen jusqu’à Ouistreham,
exemple de sommaire : le devenir de tous les person- qui ponctuent ce voyage et structurent aussi la chro-
nages importants nous est divulgué en quelques nologie de ce début de récit, de ce Jour 1 de la narra-
lignes, ce qui constitue une accélération fulgurante tion.
du rythme de la narration : 190 pages pour quatre Les personnages présentés sont Maigret et ses
jours, une page pour un an ! compagnons de voyage, Yves Joris et Julie. Ces per-
Enfin, on aura noté au début de l’étude que sonnages sont rassemblés autour d’une énigme à
Simenon pratique très peu ces pauses dans la narra- résoudre dont les éléments conduisent à une dilata-
tion où le temps s’immobilise dans de longues des- tion du temps et de l’espace à travers un retour en
criptions. Les éléments descriptifs sont le plus sou- arrière explicatif : « 16 septembre », « fin octobre », « six
vent intégrés au récit et au dialogue dont ils ne ralen- semaines d’absence », Paris, Belgique, Allemagne,
tissent pas le rythme. Norvège. La question posée peut se reformuler ainsi :
qu’est-il arrivé à Joris pour qu’il disparaisse et repa-
C’est donc la scène qui est le rythme privilégié par raisse six semaines plus tard après avoir subi une tré-
Simenon et cela constitue un rythme assez régulier qui panation et être devenu amnésique ?
donne l’impression au lecteur d’assister aux événe-
ments, à une faible distance et surtout d’entendre les 2. L’énonciation
personnages. Il suffit de feuilleter rapidement le livre Ce roman est écrit à la troisième personne donc son
pour voir la prédominance du dialogue dans le texte et narrateur est absent du récit ; toutefois, l’utilisation du
cela contribue évidemment à renforcer l’impression de pronom « on » constitue une trace de la narration. Ce
réalité que donnent l’histoire et ses personnages. début de récit est écrit majoritairement au passé com-
posé et à l’imparfait ce qui constitue une énonciation
■ Travail d’écriture ancrée dans le temps de l’écriture.
Les élèves doivent écrire ici un court bilan de leur Les actions antérieures au début du récit sont au
lecture du roman en rendant compte de sa dimension plus-que-parfait. Le choix de l’imparfait fige la scène
générique, en caractérisant le personnage de Maigret : dans un arrière-plan seulement délimité par les arrêts
c’est l’occasion pour eux de s’essayer à l’écriture de de ce voyage qui se perçoit à travers la conscience et
commentaire en respectant le cadre énonciatif de la le discours intérieur du personnage de Maigret ; d’où
notice biographique à laquelle ils doivent intégrer l’importance du présent ainsi que des phrases courtes
leur écrit. ou nominales qui ont une fonction résumante ou

56
explicative : « Un fou ? », « Pas de papiers. » Parfois, on ■ Travail d’écriture
ne peut distinguer s’il s’agit de présent de narration L’écriture d’une suite invite les élèves à poursuivre
ou de discours intérieur : « Une perruque glisse de sa tête ces jeux tout en faisant progresser la trame narrative
et l’on constate que son crâne a été fendu par une balle de l’ensemble. On pourra donc évaluer cet exercice
[…] Les médecins admirent… ». Ce choix énonciatif, en fonction des critères suivants :
après un premier temps brouillé sur le plan temporel,
donne l’impression au lecteur que les événements se – la cohérence d’ensemble du texte et sa progression
déroulent sous ses yeux, en quelque sorte en direct. (énonciation respectée) ;
– la pertinence des choix narratifs avec la thématique
3. Qui perçoit les données que le récit propose initiale du récit policier ;
aux lecteurs ? – la poursuite du jeu sur les codes du conte de fées ;
On aura déjà en partie répondu à la question 2 en – la poursuite des jeux sonores avec les prénoms des
étudiant la sphère énonciative de ce début de récit « in personnages sur le mode de la comptine ;
medias res ». Les premières informations semblent – la lisibilité du texte (orthographe, lexique, cohé-
délivrées par le narrateur dans les deux premiers para- rence temporelle…).
graphes, puis les informations et événements sont
racontés à travers la perspective narrative du person-
nage de Maigret puisque l’orientation de la narration
suit presque tout le temps le personnage de Maigret,
5
témoin et acteur privilégié. Les perceptions transitent
par ce personnage : on peut donc parler de focalisation Bilan
interne. La fin du texte, lignes 57 à 59 ne permet pas
de savoir si c’est le narrateur qui récapitule les infor- C’est l’occasion de s’intéresser à l’histoire du genre,
mations ou si c’est Maigret qui poursuit ses réflexions un genre récent et d’en faire percevoir aux élèves les
au rythme du voyage. variations, les évolutions et le dynamisme. Simenon
et ses romans y sont mis en perspective avec d’autres
4. Les caractéristiques du genre du roman auteurs, d’autres personnages.
policier
Le genre du roman policier se lit dès les premières Cette fiche peut être aussi un outil de synthèse à
lignes : le lecteur l’identifie dès la première mention l’analyse des textes qui constituent le groupement de
du nom de Maigret au deuxième paragraphe, nom textes qui suit la séquence. Elle permet de justifier la
connu aussi des élèves. Dans le même temps l’énon- confrontation des textes et l’organisation de leur
ciation choisie fait entrer le lecteur dans les pensées étude autour de traits distinctifs du roman policier.
du commissaire et l’amène à lire les questions qu’il
faudra résoudre pour élucider l’énigme de la blessure
et de la disparition du capitaine Joris. Dans ce dis- 6
cours intérieur de Maigret sont exposés les indices
relevés par la police durant le début de l’enquête.
Brevet des collèges
TEXTE 2 Il peut aussi servir d’évaluation à la séquence dont
■ Sébastien Japrisot, Piège pour il vérifie les apprentissages.
Cendrillon, 1965
1. À quels genres littéraires ce texte emprunte- ■ Les premières pages d’un roman
t-il des caractéristiques ? La scène se passe dans les Basses-Alpes, une région
Ce début de roman joue sur les codes de genres méditerranéenne, en fin d’après-midi puisque c’est
différents : le récit policier, et ses thèmes mais aussi le l’odeur de la soupe qui pousse les deux personnages à
conte de fées et pourquoi pas, la comptine enfantine. retourner au village. C’est donc dans un univers rural
C’est le nom de Sébastien Japrisot qui peut conduire que l’histoire se passe et on peut donc penser qu’Alyre
au roman policier ainsi que le titre du livre, la mort Morelon est un paysan. (Q. 1)
d’un des personnages ainsi que la présence de ce
texte dans une séquence où il est justement question Alyre Morelon conduit sa truie nommée Roselyne
du policier. à la recherche de truffes dans une truffière de jeunes
chênes. (Q. 2, Q. 3)
De nombreux indices signalent les deux autres
genres. Le lecteur peut être surpris de découvrir en lisant
Le deuxième texte joue évidemment sur les codes du le début du récit que Roseline est une truie : cette
conte de fées et de la comptine pour programmer le surprise s’explique par le choix d’avoir commencé
texte et permettre d’en imaginer notamment une suite. l’histoire par un dialogue, « in medias res », d’avoir
donné un prénom féminin à l’animal et d’avoir ins-
2. Confrontation des deux débuts du récit tallé entre eux des relations qu’on peut qualifier de
Ce qui est commun aux deux textes, c’est surtout familières et affectueuses. Les « courts grognements
l’énonciation remarquable par l’utilisation du présent satisfaits » de l’animal, ligne 5, peuvent amener à rec-
et donc d’une énonciation ancrée dans le présent de tifier l’identification mais des lecteurs moins attentifs
l’écriture qui donne l’illusion au lecteur d’une grande auront peut-être besoin d’aller jusqu’au mot « truie »
proximité avec les événements racontés. à la ligne 33. (Q. 4)

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R O M A N S
Séquence 3
Le Chien jaune, Georges Simenon
■ Le choix du point de vue très positivement : les personnages appartiennent à
L’effet de ce quiproquo est comique car le lecteur un univers rural où la vie ne semble pas trop difficile
doit brutalement imaginer d’autres images : notam- (Q. 12). Les relations entre les humains et les ani-
ment celle de ce paysan en train de se rouler dans maux y sont harmonieuses et même affectueuses
l’herbe avec sa truie, et peut-être s’étonner du carac- jusqu’au jeu et au dialogue. On n’y travaille que rai-
tère enfantin de leurs jeux (Q. 5). sonnablement et c’est l’odeur de la soupe qui fait
rentrer à la maison. (Q. 13)
Alyre s’exprime avec des tournures familières et
un vocabulaire caractéristique du monde rural et de La dernière question vise à faire repérer la double
sa région : « Ah ! belle fille ! Ça oui, c’est une belle fille, dimension de ce début de roman qui joue sur deux
madame, vous savez ! », plus loin : « Fan de garce, univers et deux genres : un récit familier et bucolique
Roseline ! » (Q. 6). qui met en scène des personnages du monde rural
attachants voire amusants et qui nous conduit à lire
Le narrateur de ce récit est présent dans la narra- plutôt une chronique paysanne et l’univers du poli-
tion, mais de façon assez ténue : on ne le repère que cier vers lequel nous conduisent le paratexte et la pre-
de façon implicite dans son adresse à un interlocu- mière de couverture du roman. (Q. 14)
teur, peut-être le lecteur, ce « vous » des lignes 20 à
23. (Q. 7)
■ Réécriture
Les lignes 15 à 23 permettent de se représenter la
truffière qui est le thème de l’extrait – ce que le choix Il s’était agenouillé contre elle, l’avait embrassée à
d’un titre devra privilégier. Les temps employés ici deux reprises sur ses grosses joues soyeuses et elle
sont l’imparfait de l’indicatif, le plus-que-parfait, le avait été tellement contente de lui faire ce plaisir
présent et le passé composé. Mais c’est le présent qui qu’elle l’avait bousculé d’un coup de train et ils
domine dans ce passage. Ce présent a deux valeurs avaient roulé tous deux enlacés, en un concert de
ici : celui du présent de vérité générale qui donne à rires et de grognements, sur la bénédiction de ce sol
cette description une visée explicative (« la truffe est grumeleux, moitié air moitié terre, qui était leur mine
capricieuse »), mais il prend aussi, dans le dialogue du d’or.
narrateur avec son lecteur, une valeur de discours
ancré dans la situation d’énonciation : « Vous l’espérez ■ Rédaction
[…] elle vous attend… ». (Q. 8) On attend des élèves qu’ils exploitent les deux
Une première image permet d’évoquer le tronc orientations génériques de ce récit, c’est-à-dire soit le
d’un amandier à travers une comparaison qui insiste roman policier soit le récit plus rural centré sur les
sur le caractère rural de ce monde et la symbiose deux personnages.
entre les hommes, les animaux et la nature : «… Il leur faudra aussi tenir compte des derniers
comme si l’avaient essoré les mains musclées d’une lavan- indices de l’extrait et de l’emploi de « justement » qui
dière. » Ensuite, c’est une métaphore filée qui décrit oriente la narration.
les troncs et leurs formes qui constituent un lien avec L’ensemble devra constituer un tout, une séquence
le ciel : «… ces troncs mystérieux aux rides en hélice… ». narrative complète qui ne dépassera pas le cadre
Ces images, le lexique employé, des effets de syntaxe chronologique imposé. Enfin, le récit devra se pour-
donnent à ce langage du narrateur une forme soute- suivre dans une énonciation coupée et à la troisième
nue et poétique. (Q. 9) personne du singulier.
Le passage des lignes 15 à 23 est un passage des- On valorisera les élèves qui auront su faire enten-
criptif. On peut le repérer à l’utilisation du présenta- dre les différences de voix entre la parole des person-
tif à l’imparfait qui l’introduit et à l’importance des nages et celle du narrateur.
qualificatifs et images qui permettent d’évoquer la
truffière. (Q. 10)
Des lignes 32 à 46, on peut relever trois temps dif-
férents : il s’agit du présent, du passé simple et de
7
l’imparfait de l’indicatif.
Ces temps ont des valeurs habituelles du récit
Les enjeux du groupement
coupé du moment de l’énonciation pour le passé de textes proposé à la fin
simple et l’imparfait. Le passé simple permet de
reconstruire les actions de premier plan qui consti- de la séquence
tuent la chaîne chronologique tandis que l’imparfait
marque des actions de second plan qui ne sont pas La constitution de ce groupement de textes a été opé-
nettement bornées : « était », « sentait », « c’était ». rée à partir de plusieurs critères :
Le présent sert, dans le discours direct, à marquer – un critère de genre : le policier ;
la coïncidence entre les propos et leur énonciation. – un seuil : la première page du roman ;
Ces caractéristiques permettent de repérer dans ce – une typologie des personnages enquêteurs ;
passage un récit écrit dans le plan coupé de la situa- – une grande diversité des univers représentés dans
tion d’énonciation. (Q. 11) l’espace et dans le temps ;
– un choix de romans lisibles en lecture cursive par
des élèves de troisième ;
■ L’univers du roman – une diversité de romans qui permet un panorama
L’atmosphère de ce début de roman est connotée des types de romans policiers et conduit à une

58
rapide analyse et histoire du genre comme on le
voit sur le genre policier ; 8
– des stratégies très différentes sur le plan de la nar-
ration et des contextes d’écriture qui permettent de Activités interactives
confronter les textes et de construire des savoirs
linguistiques méthodologiques et littéraires. À travers l’étude d’un roman d’un genre particu-
lier, le roman policier et de trois débuts1 de romans
Pour utiliser ce groupement de textes contemporains, nous avons choisi dans le CD-Rom
Ils peuvent servir de banque d’exercices pour réin- de créer quatre exercices : le premier à partir de
vestir les apprentissages de la séquence ; ils peuvent La Fée carabine de Daniel Pennac, le second à partir
aussi permettre des lectures cursives d’autres textes d’un extrait d’un roman de Robert Van Gulik, Le
pour compléter la séquence 3. Singe et le Tigre, les troisième et quatrième à partir du
Ils peuvent aussi servir, ouvrir, préparer à la lecture Port des brumes de Georges Simenon.
cursive de romans policiers dont nous avons déjà L’objectif de la séquence est l’étude d’une œuvre
signalé qu’ils sont tous à la portée d’élèves de troi- intégrale centrée sur l’analyse du genre romanesque et
sième. précisément du roman policier. Celui du groupement
Enfin, le groupement de ces textes, ou partie de ces de textes et des exercices est d’accompagner cette
textes, peut donner lieu à une séquence centrée, étude par des expériences de lecture visant à
comme on peut le lire dans le questionnement, sur le en révéler le caractère fortement construit, en privilé-
repérage des données stables du genre puis des élé- giant les jeux de la narration. Il s’agit de mimer
ments plus spécifiques, plus singuliers de chaque l’enquête policière et de se servir de cette puissante
texte dans ce cadre. analogie pour proposer une enquête de lecture dont
l’acteur principal sera l’élève. Du moins le croit-il
car, comme toujours dans le roman policier, les cartes
sont biaisées. Nous faisons toutefois le pari que cela
peut constituer une invitation plaisante à la lecture.

1. On peut bien sûr employer le terme incipit, dont l’emploi se généralise pour qualifier ces textes qui vont de la première
phrase à la première page d’une œuvre, romanesque notamment. Emprunté au latin « ici commence », le terme est à l’ori-
gine réservé aux premiers vers ou aux premiers mots d’un texte pour les littératures du Moyen Âge et de la Renaissance.
Cf. Lexique des termes littéraires, Livre de poche, 2001.

59
R O M A N S
Séquence 3 Le Chien jaune, Georges Simenon
Dans le CD-Rom : n’oubliera pas que nous sommes aussi « dans un
roman policier », et à Belleville, ce qui pourra donner
au lecteur soupçonneux l’indication que le texte ne
ACTIVITÉ 1 Daniel Pennac, La Fée carabine, sortira pas indemne de cette métaphore. Elle est aussi
1987 : Questionnaire à Indices à la source d’une allusion à l’ancienne politique
Multiples raciale de l’Afrique du Sud : « se farcir tout le sud, les
pays de l’apartheid et tout ça ». Et ces allusions devien-
Il s’agit de mettre l’élève dans la position d’un nent des indices récupérés par le récit et le portrait
enquêteur sur le modèle du roman policier. Nous d’un personnage qualifié de « frontalement national ».
avons donc élaboré un Questionnaire à Choix Ce personnage est également à la source du regard.
Multiples qui est devenu « Questionnaire à Indices Mais si la focalisation est apparemment interne, on
Multiples » pour des raisons d’enrichissement péda- n’oubliera pas que le principe même du roman poli-
gogique. Il s’agit de proposer aux élèves un travail de cier est d’organiser, surtout dans l’incipit, un certain
mémoire, ou de relecture portant sur des éléments nombre de fausses pistes, en l’occurrence ici, l’atten-
qui séduisent et « forment » le lecteur amusé de tion portée par le policier « protecteur » à une petite
Pennac que nous allons devenir. Il était important vieille « protégée », alors même que ce policier va
dans cette optique de pervertir le QCM dans deux devenir la victime de la vieille dame : c’est donc bien
directions : on peut répondre « je ne sais pas » à une le « narrateur très malin » qui l’emporte au final.
question et plusieurs « bonnes » réponses sont pos-
sibles. Des variations de point de vue très signifiantes Le questionnaire souligne aussi le problème du
sont ainsi possibles. Par exemple, quand le QCM nombre de personnages, qui fait l’objet dans le récit
interroge sur le lieu, la réponse « métaphorique » est d’un dénombrement mené par le « narrateur très
également possible : nous sommes ainsi à la fois sur malin ». Il faut souligner à cette occasion l’extension
la banquise et en Afrique ! Cela paraît invraisem- de la notion de personnage : de cinq personnes, si l’on
blable mais cette « incohérence » est une des caracté- s’en tient aux actants « humains », à sept si on prend
ristiques du jeu avec le code réaliste auquel se livre en compte tout ce qu’on peut appeler les « forces agis-
Daniel Pennac. santes », c’est-à-dire tout ce qui joue un rôle dans la
progression du récit, tout ce qui aura une influence et
un statut narratif de premier plan. La multiplicité des
Dans la classe : Le questionnaire devra donc être pré- choix proposés par le questionnaire vise à ce que cette
senté dans l’optique d’un « jeu avec les codes du récit question ne soit pas réduite à la simple identification
réaliste et du roman policier ». Après une première phase des personnes et de leurs noms propres. On procè-
individuelle, on peut organiser soit un travail de groupes, dera de la même manière pour le dernier choix : à
soit un échange frontal avec la classe qui fera le bilan de l’exception du « bof » qui laisse la place au droit de ne
cette relecture un peu surprenante et organisera la dis- pas aimer ce jeu pour cette lecture, dans la logique
cussion autour de la pluralité des solutions possibles. des « lois de lecture » édictées par Pennac lui-même1,
toutes les réponses du dernier item peuvent donc être
exactes et doivent être discutées.
L’exercice peut se conclure ainsi : méfiez-vous des
Cet exercice pourra être mis en œuvre pour lancer QCM ! Et surtout prenez conscience que les ques-
un programme de lectures cursives dans lequel on tions qu’on pose à un texte sont un jeu d’indices, la
proposerait un certain nombre de titres. Il peut être source d’une conscience aiguisée du « détail » !
aussi une sorte de modèle ludique pour les question-
naires d’un défi de lecture. Il peut être enfin la source
d’une réflexion qui n’est pas loin d’une initiation « en
douceur » au commentaire de texte, puisque les diffé-
rents niveaux d’analyse possibles et la complexité des
ACTIVITÉ 2 Robert Van Gulik, Le Singe et le
réseaux de signification s’y trouvent illustrés par la Tigre, : L’amoureux du passé
pluralité des réponses et la variation des points de vue simple
sur le texte qu’elles nécessitent.
Les indices multiples qui sont proposés par le CD- Le principe de l’exercice proposé par le CD-Rom
Rom nous invitent donc à une relecture de cet extrait est le suivant :
en progressant d’un lieu triplement défini : « Dans la
rue, à Paris, à Belleville » à une comparaison : «… res- Dans ce début de roman policier, un copiste
semblait à une carte d’Afrique ». L’extrait valorise parti- trop amoureux du passé simple a transformé
culièrement cette comparaison qui est le point de tous les verbes dans ce temps. À vous de rétablir
départ d’une métaphore géographique filée explorant la concordance des temps en réintroduisant
l’ensemble du continent. Ceci explique que le l’imparfait quand c’est nécessaire et en justi-
« QIM » revienne et insiste sur ladite comparaison : fiant votre choix.Vous comparerez ensuite votre
« À quoi la plaque de verglas est-elle comparée ? ». On résultat avec le choix de l’auteur et du copiste.

1. Cf. Comme un roman, Gallimard, 1992, chapitre IV, « Le qu’en lira-t-on (ou les droits imprescriptibles du lecteur) », p. 147-
175.

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Sur un total de 15 verbes, 11 verbes à l’imparfait
ont été transformés au passé simple : ce premier • les verbes pour lesquels un emploi de l’un ou de
l’autre temps est possible et argumentable sont en
constat quantitatif est aussi une des sources de l’exer- italique ;
cice. En effet, dans le système du récit, la complé-
mentarité des deux temps et la façon dont, à certains • les verbes déjà au passé simple sont en gras souli-
gnés.
endroits, la valeur de l’un supplante la valeur de
l’autre ne sont pas toujours analysés, tant l’omnipré-
sence verbale « naturalise » le processus. Par ailleurs, Le juge Ti savourait la fraîcheur de ce
le poids spécifique de l’imparfait1, plus discret dans matin d’été sur la terrasse bâtie à l’arrière de sa
son rôle d’arrière-plan, ou plus platement descriptif, résidence officielle. Il venait de terminer son
pense-t-on, est parfois ignoré2. D’où notre insistance, petit déjeuner, à l’intérieur, en compagnie de sa
presque affective, à retrouver les « vertus » de ce famille, et buvait à présent son thé, seul, ainsi
temps, par opposition avec un passé simple plus qu’il en avait pris l’habitude depuis un an qu’il
conquérant… était en poste dans le district de Han-yuan3. Il
Les modalités de l’exercice sont donc simples : il avait approché sa chaise en rotin de la balus-
s’agit d’arbitrer à chaque fois entre passé simple et trade de marbre ouvragé. Tout en caressant len-
imparfait, et se demander pourquoi on choisit l’un ou tement sa longue barbe noire, il contemplait
l’autre, ou pourquoi on hésite. Mais les objectifs de avec un visible bonheur les grands arbres et la
l’exercice sont multiples : végétation touffue de la montagne, qui for-
maient devant la terrasse un mur protecteur de
• arbitrer entre les valeurs narratives et stylistiques
de chaque temps ; fraîche verdure. L’incessant piaillement des
oiseaux, le murmure lointain de la cascade…
• réfléchir aux raisons pour lesquelles on élimine un
certain nombre de doubles emplois possibles ; Quel dommage, pensa-t-il, que ces moments
de détente et de quiétude soient si courts. Il
• discuter des choix ambigus ; allait devoir se rendre au greffe pour y prendre
• commenter les conséquences que le choix de l’un
ou l’autre temps a sur la focalisation ou le rythme
connaissance du courrier administratif.
On entendit soudain un bruissement de
de la narration ; feuilles et de branches cassées. Deux silhouettes
• mettre l’accent sur des jeux d’écriture qui pour-
ront aussi devenir ceux de l’élève lorsqu’il compo-
noires et velues surgirent du haut des arbres,
passant d’une branche à l’autre en se balançant
sera son propre récit ; au bout de leurs longs bras fuselés, faisant tom-
• montrer que les deux temps font bien « système »
et qu’ils doivent être pensés ensemble (c’est ce que
ber une pluie de feuilles sur leur passage.
Souriant, le juge Ti suivit du regard les évolu-
prouve, presque par l’absurde, le personnage de tions des gibbons. Il ne se lassait jamais d’ad-
l’obsédé du passé simple) ; mirer leur grâce et leur souplesse. Aussi
farouches fussent-ils, les gibbons de la montagne
• mettre à jour le lien profond qui existe entre gram-
maire et sens : est-ce le sémantisme du verbe, la forme s’étaient habitués à la présence de ce personnage
négative ou la valeur intrinsèque du temps qui impose solitaire, assis là tous les matins. Parfois, l’un
un imparfait dans « il ne se lassait jamais » ? Dès lors d’eux s’arrêtait un bref instant et attrapait au
que j’ai « soudain » ou « tout à coup », est-ce que j’at- vol la banane que lui jetait le juge Ti.
tends autre chose qu’un passé simple ?
On remarquera que les deux verbes qui nous
• aider à la lecture soupçonneuse du roman policier
en créant une turbulence dans le récit, la construc-
paraissent pouvoir faire l’objet d’une négociation
entre l’imparfait et le passé simple sont, bien sûr,
tion du personnage, la mise en place du décor et le révélateurs des problèmes de progression « énigma-
réalisme du genre romanesque. Ce dernier objec- tique » du récit policier. Le jeu entre les temps doit
tif rejoint bien sûr à la fois ceux de la lecture de être relié à trois éléments fondamentaux de cet inci-
l’œuvre intégrale et ceux du groupement de textes pit : le regard d’un enquêteur, le début d’une journée
complémentaires. et l’irruption de « personnages » originaux.
Le choix de l’imparfait ou du passé simple ne
Pour aider à trouver les « solutions » de l’exercice, nous paraît pas alors avoir seulement, comme on
nous vous proposons une version du texte avec trois serait tenté de le répéter, une valeur d’opposition
codifications : entre premier plan et arrière-plan, ou entre duratif et
• les verbes à l’imparfait qui ont été transformés au
passé simple sont en caractères gras ;
ponctuel… Il a aussi une conséquence très impor-
tante en matière d’orientation du point de vue.

1. Cf. Jacques Drillon, Propos sur l’imparfait, Zulma, 1999, 88 p. et par exemple la notice Passé (temps du) dans M. Arrivé,
F. Gadet, M. Galmiche, La Grammaire d’aujourd’hui, guide alphabétique de linguistique française, Flammarion, 1986,
p. 475-488.
2. On notera l’emploi très particulier qu’en fait Simenon dans ses romans. À l’instar de certains romanciers du XIXe siècle
comme les frères Goncourt, il substitue parfois l’emploi de l’imparfait à un passé simple plus attendu et plus logique dans le
système de vraisemblance et de progression du récit.
3. C’est dans ce district que le juge Ti démêla l’affaire du Meurtre sur un bateau-de-fleurs, Coll. 10/18, n° 1632.

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Si on choisit le passé simple : « le juge Ti savoura… On voit donc que l’exercice nécessite de réfléchir
il contempla… » en lieu et place de l’imparfait du tra- aux raisons pour lesquelles on insère un énoncé à tel
ducteur, on associe à une mise au premier plan évé- ou tel endroit. On peut trouver assez facilement les
nementielle un effet de focalisation interne, on valo- réponses sans avoir réfléchi aux raisons pour les-
rise le regard du personnage en substituant à la valeur quelles elles nous paraissent évidentes. C’est un des
descriptive de l’imparfait une valeur du passé simple objectifs de l’exercice, qui vise aussi à se demander
plus engagée dans l’action. On insiste ainsi sur l’im- qui pose toutes ces questions. Est-ce Maigret, qui
portance des sensations du juge Ti, sur la capacité mime ainsi la progression de l’enquête et la reconsti-
d’observation de l’enquêteur, sur la projection du lec- tue dans ce début de roman (une sorte de scène d’ex-
teur vers la progression du récit : il se passe quelque position, comme on dirait au théâtre) ? Est-ce le nar-
chose d’étonnant… rateur omniscient, qui assure ainsi de manière subtile
la distribution des indices ? Est-ce le lecteur forcé-
Dans la classe : L’exercice doit être réalisé en accompa- ment impliqué par ces questions, et par bien d’autres
gnant les élèves dans leur réflexion sur la logique qui naissent dans son esprit et sont le signe que la lec-
conjointe, commune et complémentaire de deux temps ture du roman policier ira à son terme ? On se gardera
de passé qui font système. La répartition des valeurs, le bien de trancher : c’est tout l’intérêt de ce passage !
fait que l’un ou l’autre temps s’impose, ou qu’on hésite,
doit faire l’objet d’une démarche réflexive. On peut là
aussi être dans une « lecture de l’écriture » qui participe Dans la classe : L’exercice nécessite au moins un écran
d’une première initiation à la démarche du commen- en vidéoprojection, ou peut se faire en salle d’informa-
taire. On mettra explicitement les élèves en position de tique lorsque l’équipement est disponible.
négociation entre imparfait ou passé simple, passé com- La consigne initiale insistera sur l’analogie enquêteur /
posé ou présent, énonciation « coupée » ou énonciation lecteur et les élèves, en équipe de deux par exemple,
« ancrée », lenteur descriptive ou accélération du récit. puis lors de la synthèse finale, réfléchiront aux raisons
Ce sont ces opérations de négociation que l’exercice pro- pour lesquelles ils ont choisi tel ou tel énoncé, ou bien
posé par le CD-Rom permet de mettre en scène pédago- aux incohérences que tel ou tel choix produit. Comme
giquement. On peut aussi choisir de le faire sur papier, nous l’avons indiqué, la souplesse de l’outil informatique
on y perdra la dynamique et la souplesse de la manipu- permet tous les retours en arrière et surtout le texte ne
lation informatique mais la logique et surtout la légiti- pourra être validé définitivement que lorsque les énon-
mation didactique de l’exercice reste la même : sur un cés auront été bien replacés.
axe paradigmatique, on fait varier un choix de temps, et
donc du sens.
Le texte avec les énoncés replacés :
Amnésie ? Une perruque glisse de sa tête et
ACTIVITÉ 3 Georges Simenon, l’on constate que son crâne a été fendu par une
Le Port des brumes, 1932 : balle, deux mois auparavant tout au plus. Les
médecins admirent : rarement on a vu opération si
Reconstruction de texte bien faite !
Avec le texte à variantes de l’incipit, nous vous Nouveaux télégrammes dans les hôpitaux, les
proposons, à partir du Port des brumes (qui n’est pas cliniques, en France, en Belgique, en Allemagne,
Le Havre, mais Ouistreham, dans le Calvados), un en Hollande…
autre extrait qui fait l’objet d’une mise en scène péda- Cinq jours entiers de ces recherches méticu-
gogique nourrie d’une belle analogie : la lecture, leuses. Des résultats saugrenus, obtenus en analy-
comme l’enquête policière, est une quête d’indices, sant les taches des vêtements, la poussière des
de vérité, de justice ! Le lecteur et l’élève deviennent poches.
donc l’enquêteur, et ils sont donc doués d’un pro- On a trouvé des débris de rogue de morue,
fond sens de l’observation. c’est-à-dire d’œufs séchés et pulvérisés de ce pois-
Très abordable, et simplifié par la manipulation son qu’on prépare dans le nord de la Norvège et
informatique qui permet une insertion immédiate qui sert à appâter la sardine.
dans le contexte et un retour en arrière si le contexte Est-ce que l’homme vient de là-bas ? Est-
s’avère peu pertinent, cet exercice permettra de pour- ce un Scandinave ? Des indices prouvent qu’il a
suivre la quête d’identité du personnage énigmatique accompli un long voyage par chemin de fer. Mais
accompagné par Maigret dans ce début de roman. comment a-t-il pu voyager seul, sans parler,
Pour cette raison, quatre des énoncés à replacer sont avec cet air ahuri qui le fait remarquer aussi-
des questions. On sera attentif, pour les replacer, à tôt ?
des éléments de progression thématique : l’hypothèse Son portrait paraît dans les journaux. Un télé-
de l’amnésie, à vocation générale, peut naturellement gramme arrive de Ouistreham : « Inconnu identifié ! »
prendre sa place au début du texte. Les deux ques-
tions « Est-ce que l’homme vient de là-bas ? » et « Est- Une femme suit le télégramme, une jeune fille
ce un Scandinave ? » sont dans une logique initiée par plutôt, et la voilà dans le bureau de Maigret, avec
l’évocation de la Norvège. La reprise anaphorique du un visage chiffonné, mal barbouillé de rouge et de
déterminant « ces » dans « ces six semaines d’ab- poudre : Julie Legrand, la servante de l’Homme !
sence » renvoie directement à l’évocation temporelle Celui-ci n’est plus l’Homme ! Il a un nom,
(fin octobre) qui précède. un état civil ! C’est Yves Joris, ancien capi-

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taine de la marine marchande, chef du port policier en général : l’enquête, et notre lecture avec
de Ouistreham. elle, a précisément pour objectif de faire le clair, de
Julie pleure ! Julie ne comprend pas ! Julie le mettre en lumière ce qui n’était au début du
supplie de lui parler ! Et il la regarde doucement, roman que mystère ou brouillard impénétrable… ;
gentiment, comme il regarde tout le monde. • la mise en scène du point de vue et du regard de
Le capitaine Joris a disparu de Ouistreham, un Maigret sur le personnage énigmatique qu’il a en
petit port, là-bas, entre Trouville et Cherbourg, le face de lui et sur cette nouvelle enquête qui com-
16 septembre. On est fin octobre. mence : ce sont les variantes 4, 5, 6 et 8. On y
retrouve une opposition signifiante, destinée à
Qu’est-il devenu pendant ces six semaines nourrir le débat entre les élèves, entre l’enquêteur
d’absence ? observateur (cf. manuel, p. 96) et un personnage
« Il est allé faire sa marée à l’écluse, comme plus neutre ou plus indifférent ;
d’habitude. Une marée du soir. Je me suis cou- • le thème de l’interrogatoire (variantes 7 et 9), qui
chée. Le lendemain, je ne l’ai pas trouvé dans sa est une des modalités fondamentales de la pro-
chambre… » gression du récit dans un roman policier, notam-
Alors, à cause du brouillard on a cru que Joris ment à travers de nombreux dialogues qu’il met en
avait fait un faux pas et était tombé à l’eau. On l’a scène.
cherché avec des grappins. Puis on a supposé qu’il
s’agissait d’une fugue.
Dans la classe : Sur l’écran interactif, ou dans une ver-
sion papier si vous avez choisi cette solution, rappelons
que les principes du texte à variantes sont les suivants
ACTIVITÉ 4 Georges Simenon, Le Port des (cf. pour plus de détails les commentaires faits pour le
brumes, 1932 : Texte à variantes texte de Balzac) :
• une première étape de réflexion individuelle ou en
D’un abord relativement facile et soucieux de res- groupe restreint, de manière à ce que la lecture puisse
pecter la logique de lecture du roman policier, le être réellement menée par chacun ;
texte à variantes que nous vous proposons a plusieurs • un deuxième temps de confrontation entre élèves des
objectifs : choix de chacun : il faut argumenter ses choix,
• en travaillant sur l’incipit d’un autre roman de convaincre l’autre d’une logique, éventuellement faire
Simenon que Le chien jaune, permettre une ouver- appel au professeur pour une précision de vocabulaire,
ture vers un programme de lectures cursives ; pour un arbitrage difficile… ;
• travailler, avec des élèves qui en auraient besoin, le • un troisième et dernier temps de mise en commun et
repérage des indices à partir desquels se met en de synthèse.
place dans un roman une atmosphère, des attentes Même si on peut gérer souplement ces contraintes d’or-
de lecture, une imagination du lecteur qui va se ganisation en fonction du temps dont on dispose et des
projeter vers l’avant, faire des hypothèses sur objectifs qu’on se donne, il est essentiel de ménager
l’identité réelle des personnages, sur leur destin autant que possible un temps de confrontation des hypo-
tragique peut-être, sur les difficultés de l’enquête. thèses entre les élèves. Compte tenu du fait que ce texte
ne figure pas dans le manuel, on pourra facilement le
Trois réseaux de variantes sont ici mis en place : donner à faire à la maison, et proposer soit une valida-
• des éléments de décor et « d’atmosphère » pour les tion informatique des choix déjà pensés, soit une mise
trois premières variantes, avec un jeu d’opposi- en commun à partir d’une vidéoprojection ou d’un trans-
tions pour amener les élèves à argumenter plus parent, soit un bilan plus classique à partir de la version
nettement en faveur de « frileux » ou de « épais » en papier des élèves. Pour aider à ce bilan, nous ajoutons
fonction d’autres indices textuels et des connota- un tableau récapitulatif des trois catégories de variantes
tions attachées au brouillard. On peut même voir présentées ci-dessus.
derrière ces variantes une métaphore du roman
Tableau récapitulatif
Eléments de décor un frileux / joyeux soleil
et d’atmosphère épais / fin brouillard
qui feutrait d’un halo / qui recouvrait les lumières de la voie.

Le regard de Maigret observait toujours, machinalement, / examinait distraitement


sur le personnage et sur pénétrer en coup de vent dans sa vie, s’imposer à lui pendant des jours,
l’enquête qui commence des semaines ou des mois, puis sombrer de nouveau dans la foule
anonyme. / croiser sa vie
passionnante, banale, écœurante ou tragique ? / intéressante ou ennuyeuse ?
crispante / passionnante

Le thème de l’interrogatoire On le questionne en français. / On l’interroge des heures durant.


en dépit d’interrogatoires éreintants ! / comme s’il n’était pas concerné
par l’enquête.

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