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avec la notion de « baroque ». N’affirmez jamais « Le baroque c’est .... », évitez de dire le
« théâtre baroque », les « pièces baroques », mais préférez des expressions comme « le théâtre
dit baroque », « la mentalité dite baroque ».
La dissertation comparatiste
Le but de la dissertation comparatiste est de faire dialoguer les œuvres et les auteurs étudiés,
et de les mettre en contact.
Dans l’idéal, vous devez utiliser chaque sous-partie, chaque paragraphe, pour pratiquer une
comparaison entre les textes.
Peut-être que vous aurez du mal à y parvenir et que certains paragraphes seront consacrés
uniquement à Shakespeare ou uniquement à Corneille. Si c’est le cas, ne vous désespérez
pas : c’est parfaitement acceptable, dans la mesure où cela reste limité. Mais gardez à l’esprit
que le but de votre travail est la comparaison entre les pièces étudiées, et que plus vous les
mettez en contact, mieux cela vaut.
Dans certains cas, vous serez amenés à étudier une dimension présente chez un auteur mais
absente chez un autre. Dans ce cas, il faut le signaler, et aussi s’interroger sur cette absence
qui peut parfois être révélatrice d’éléments intéressants.
EXEMPLE : le présence des chants, de la musique et des danses, très affirmée dans La Tempête
de Shakespeare, mais l’absence de musique explicitement mentionnée dans le texte chez
Corneille (même si les metteurs en scène peuvent choisir de faire appel à la musique et à des
danses). Dans ce cas, cela provient simplement du fait que Shakespeare et Corneille écrivent à
cinquante ans de distance, dans des contextes différents, et que leurs publics ont des attentes
différentes. Néanmoins, Corneille, en collaboration avec Molière, Lully et Quinault a
participé à la création d’une « tragédie-ballet », Psyché, faisant appel à la musique et la danse.
La dimension de fête, de célébration que l’on trouve chez Shakespeare (dans La Tempête,
dans Le Songe d’une nuit d’été, etc...) peut trouver néanmoins un équivalent indirect dans
Corneille, à l’acte V, scène 6 : l’éloge du théâtre fait de celui-ci un éblouissement, une sorte
de fête, où chacun (des plus humbles jusqu’au roi lui-même) se rend pour se divertir.
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Rédiger un paragraphe de dissertation
Mouvement général d’un paragraphe (On énonce, on cite, on commente, on prouve)
on énonce une idée
on cite le texte pour illustrer
on commente la citation pour prouver
EXEMPLE : si vous parlez des deux magiciens, qui incarnent des positions d’autorité, vous
pouvez remarquer que les deux dramaturges choisissent des personnages âgés. Prospéro, qui
correspond aussi au type du « père », affirme dans les derniers vers qu’il s’achemine vers la
mort, et qu’il reviendra à Milan pour y trouver sa tombe. C’est là la dernière réplique du
personnage, avant de rendre sa liberté à Ariel et de prononcer l’épilogue. La Tempête ouvre
donc sur la mort annoncée du personnage. Néanmoins, s’il ne fait aucun doute que Prospéro
possède l’autorité du grand âge, il n’y a pas de description explicite du personnage dans la
pièce. Prospéro demeure vacant, afin de laisser plus de latitude possible au metteur en scène.
En revanche, de manière assez exceptionnelle dans le théâtre du XVIIe siècle, le personnage
d’Alcandre est décrit, par la bouche de Dorante :
Cette tirade propose au metteur en scène un jeu de scène : renforcer le contraste entre le très
grand âge du personnage et sa « démarche » qui fait « de tous ses pas des miracles de l’art ».
En cela, le magicien correspond à l’une des figures préférées de la mentalité dite baroque : tel
un oxymore vivant, il est à la fois extrêmement vieux et possède le corps d’un jeune
homme. La magie se manifeste dans les mouvements du personnage et sa manière gracieuse
d’évoluer en scène, qui pourrait prendre la forme d’une danse ou d’acrobaties. L’autorité du
magicien, sans cesse soulignée par la manière dont les personnages s’adressent à lui (« Grand
démon1 », « grand mage ») est ici renforcée par son pouvoir magique : rendre au corps vieilli
une jouvence de mouvements.
Note : cet exemple lié à Alcandre pourrait être utilisé de bien d’autres manières, par exemple
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Dans ce contexte, le mot « démon » ne renvoie pas à un personnage maléfique, comme on en rencontrerait en
enfer. Ce n’est pas un personnage diabolique. « Démon » renvoie ici à des êtres intermédiaires entre les hommes
et les dieux. Socrate disait par exemple qu’il avait un démon qui lui parlait. Dès lors, « Grand démon » est une
manière laudative de s’adresser à Alcandre. Cette réplique suggère qu’Alcandre est supérieur au reste du genre
du humain, qu’il est plus qu’un homme ordinaire.
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autour du thème de la mise en mouvement constante des personnages, qui en font des
incarnations de la mentalité dite baroque. On pourrait sur ce point rapprocher Alcandre non
tant de Prospéro que d’Ariel.
AUTRE EXEMPLE : pour rédiger un paragraphe autour des variations sur Protée :
Cela n’est pas suffisant de dire simplement : « Shakespeare et Corneille font tous deux appel à
des personnages qui sont des avatars de Protée, et qui proposent sur cette figure autant de
variations : Caliban et Ariel dans La Tempête, Clindor et Matamore dans L’Illusion
comique ».
Il faut d’abord rappeler qui est Protée, et ce qui le caractérise : la succession des
métamorphoses, le fait d’entrer sans cesse en mouvement, de ne pas avoir de fixité, et donc de
ne pas posséder une substance unique et stable.
Il faut soigneusement montrer, en citant et commentant, en quoi il y a variation sur Protée :
Ariel est le personnage le plus proche de Protée. C’est une caractéristique de sa nature d’esprit
que de pouvoir se métamorphoser (esprit de l’air, il devient feu et flammes durant la tempête,
Acte I, scène 2. Il devient donc son propre contraire). Cette capacité à la transformation est
aussi liée au fait qu’il est un acteur, sans cesse mis en scène par Prospéro, et changeant donc
constamment de visage et de forme : il se déguise en nymphe des eaux, en harpye, en
chasseur, etc... dans autant de petits interludes durant lesquels il punit Alonso et sa cour. Il
incarne le personnage de Cérès (ou, selon les mises en scène, de Junon) dans le « Masque » de
l’acte IV.
Caliban est protéiforme dans la mesure où chaque personnage le décrit d’une manière
différente. Il semble donc osciller et entrer en mouvement entre une infinité d’apparences peu
conciliables (motte de terre, tortue, chien, chat, veau de lune, poisson à l’odeur infecte, etc...).
Le caractère protéiforme est ici créé par le regard et surtout par le langage d’autrui. Le
langage sculpte les apparences et met celles-ci en mouvement.
Matamore est un Protée imaginaire (comme un « malade imaginaire) qui veut faire croire aux
autres personnages qu’il oscille et alterne entre deux visages (la bravoure et la beauté).
Toutefois ces deux visages ne sont jamais que des masques de langage, posé sur son visage
de lâche. Ici c’est le langage vide et creux de Matamore qui fabrique le Protée imaginaire en
tentant de créer une illusion qui ne fonctionne pas. On retrouve alors l’idée que c’est le
langage qui crée Protée.
Enfin, Clindor apparaît bien lui aussi comme une variation sur Protée, mais le changement
constant est cette fois transposé dans le domaine social (Clindor passe d’un métier à l’autre,
entrant constamment en mouvement, à l’Acte I, scène 3). De surcroît, lorsque Clindor devient
acteur, il pourra être comparé à son tour à Ariel.
Vous pouvez alors dans le paragraphe suivant mener une réfexion sur le fait que ce ne sont
pas seulement les personnages qui sont des Protée entrant en métamorphose, mais les pièces
elles-mêmes. Les pièces de théâtre entretiennent en cela des analogies avec la nature des
personnages qu’elles convoquent. Ainsi, l’évocation par Alcandre des innombrables métiers
de Clindor, à l’acte I scène 3, fait de Clindor un personnage de roman picaresque, comme le
souligne le texte en citant les picaros des romans espagnols les plus célèbres de l’époque :
« Enfin, jamais Buscon, Lazarille de Tormes, / Sayavèdre, et Gusman, ne prirent tant de
formes ». Le temps d’une scène, L’Illusion comique se fait aussi roman picaresque à travers
le récit d’Alcandre qui devient narrateur. La pièce de théâtre acquiert alors elle aussi une
dimension protéiforme : elle n’est pas seulement théâtre, elle est aussi, brièvement roman.
Jamais pièce n’a elle aussi « pri[s] tant de formes », puisque de comédie (genre exploré dans
diverses nuances : pastorale, intrigues amoureuses héritées de la Commedia dell’arte), elle
devient tragi-comédie à l’acte IV et, surtout, tragédie à l’acte V, ou plus exactement « revenge
tragedy », tragédie à l’anglaise.
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