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1. Qu’est-ce que la justice sociale ?

La littérature relative à la justice sociale apporte deux éléments de réponse. Le premier


est la distinction entre justice distributive et justice procédurale (Alexander et Ruderman,
1987). La justice distributive concerne le résultat du processus d’allocation : il s’agit de
qualifier le caractère juste de la répartition de la ressource entre les individus. La justice
procédurale s’intéresse au processus décisionnel ayant conduit au choix d’une règle
(représentativité, modalités d’arbitrages, etc.). Bien que les deux notions soient
intimement liées
La justice sociale dans la construction du jugement d’acceptabilité
Analyse des réactions d’agriculteurs face à différentes règles de
partage de l’eau souterraine
Clémence MOREAU, Jean-Daniel RINAUDO ● Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM),
Unité Nouvelles Ressources et Économie, Montpellier jd.rinaudo@brgm.fr. Patrice GARIN ● Irstea, UMR
G-Eau, Montpellier
Le deuxième élément est qu’il n’existe aucune définition universelle de la justice, mais
une pluralité de philosophies, toutes subjectives, car reflétant des positionnements
éthiques et des principes intuitifs individuels. De nombreuses typologies de ces «
philosophies de la justice » ont été proposées dans la littérature elles peuvent
Le principe de stricte égalité. Chaque individu doit recevoir le même niveau de biens
matériels et de service, en considérant que les hommes sont moralement égaux.
Le principe d’égalité des chances. Est juste ce qui permet d’égaliser les chances d’accès
aux fonctions et aux positions sociales : une répartition inégale des ressources peut
parfois aider à accroître le bien-être global d’une société, mais elle n’est acceptable qu’à
condition que l’inégalité de traitement bénéficie aux plus défavorisés.
Le principe d’efficacité. Est juste ce qui est le plus efficace, c’est-à-dire qui permet
d’optimiser le plus grand bien-être du plus grand nombre de personnes.
Le principe d’antériorité. Un partage est juste s’il ne remet pas en cause la part des
ressources que chacun a pu s’approprier légitimement dans le passé et si cette
appropriation n’a dégradé le bienêtre de personne.
Le principe de besoin. Une allocation est juste si elle procure les ressources de base
nécessaires à la satisfaction des besoins essentiels des individus, dans le respect de leurs
différences de situations.
Le principe de mérite. Est juste une allocation qui repose sur une proportionnalité entre
les montants reçus et les actions réalisées. Le mérite peut être mesuré en termes
d’efforts consentis, ou selon les bénéfices pour la société.
les individus sont capables d’expliciter leur propre conception de la justice sociale et de
se replacer intuitivement dans le cadre d’analyse ses principes moraux, la défense de ses
propres intérêts et des jugements sur la situation des autres personnes affectées.
Le processus de construction du sentiment de justice sociale fait l’objet de travaux en
psychologie sociale, ayant conduit à l’émergence de la théorie de l’intuitionnisme,
développée par Konow. Elle prend acte de tensions possibles entre principes éthiques
chez toute personne qui, en situation, construit son sentiment de justice dans un
compromis entre, par exemple, le principe d’efficacité de l’allocation des ressources, le
principe de stricte égalité entre les attributaires et le principe de besoin, sous la
contrainte de sa propre responsabilité.
Même s’il ne catégorise pas les principes de justice selon une grille aussi détaillée que
celle précédemment décrite, on retiendra que Konow évoque l’intuitionnisme de « sens
commun », qui décrit comment les personnes interrogées réagissent spontanément face
à une question de justice, en articulant des principes pouvant être jugés par ailleurs
contradictoires.
trois théories explicatives de la perception des inégalités sociales la théorie de « l’intérêt bien
compris » lié à la position sociale, celle de l’effet éventuel de mécanismes de frustration
relative, et celle de l’effet de l’adhésion à des valeurs en matière de justice sociale.
ne pas se limiter aux seules inégalités économiques – revenu ou patrimoine –,
comme on le fait usuellement, mais d’en distinguer plusieurs types. Les
personnes interrogées dans l’enquête devaient ainsi donner leur opinion au sujet
de douze types d’inégalités : revenu, patrimoine, emploi, éducation, accès aux
soins médicaux, risques technologiques, origine ethnique, sexe, âge, insécurité,
logement, pénibilité du travail.
On distingue ainsi,
pour chaque inégalité considérée, trois types d’appréciation :
l’opinion sur l’importance objective d’un type d’inégalités dans la société tout
entière,« force », Ce « facteur taille » qui déinit donc les premières composantes
l’opinion sur le caractère plus ou moins acceptable ou inacceptable d’un type
donné d’inégalités dans la société, « illégitimité »,
le sentiment d’être personnellement plus ou moins touché par un type donné
d’inégalités« impact personnel ».

les théories de la justice sociale constituent un important champ de recherches, où philosophie


morale et économie normative s’enrichissent mutuellement.
Le philosophe John Rawls (1971) « théorie de la justice »,
L’économiste Hayek (1973, 1976, 1979) « mirage de la justice sociale » Hayek rejette certes
l’expression « justice sociale », vide de sens à ses yeux lorsqu’elle est appliquée à un ordre
social spontané que personne ne maîtrise, mais il développe néanmoins une certaine
conception de la justice en société fondée sur les « règles abstraites de juste conduite »
L’évolutionnisme « hayékien » et contractualisme « rawlsien »
Hayek et Rawls adoptent des démarches qui restent comparables – au sens étymologique du terme - dans la
gestation de leur système respectif de normes (antiutilitarisme, impartialité, expérimentation) et ils aboutissent à
deux versions d’une même conception de la justice en société, par les normes retenues et leur hiérarchie
(prééminence de la liberté, réelle augmentation des chances de chacun, amélioration du sort des plus
défavorisés).
L’économiste Amartya Sen, (2009) « l’idée de justice » une méthode de lutte contre
l’injustice, le « comparatisme » de Sen semble tenir à distance autant « l’évolutionnisme » de
Hayek que le « contractualisme » de Rawls.
Les cheminements de Hayek et de Sen sur la justice sociale
Les oeuvres des deux auteurs en matière de justice sociale sont certes célèbres par leur
conclusion, le « mirage de la justice sociale » pour Hayek4 et « l’identification des injustices
réparables »5 pour Sen ;
Les institutions sociales sont « le résultat de l’action des hommes mais non d’un dessein
humain », aime à répéter Hayek, les hommes vivent en société sans pour autant maîtriser un
processus aussi complexe que celui de la vie sociale à laquelle ils participent.
Pour le dire autrement, fondamentale est pour Hayek la distinction entre « l’ordre social
spontané » issu d’actions d’hommes nombreux, mais qui n’est le résultat du dessein d’aucun
d’entre eux (thèse) et les « organisations » que les hommes peuvent concevoir en leur
assignant un objectif précis (antithèse).
Une entreprise, une association, voire même une
collectivité publique comme l’Etat, sont a priori des « organisations » - avec un objectif
propre (le profit, un but non lucratif, ou l’intérêt général), un organigramme (défini par les
statuts de l’entreprise, de l’association, voire par le droit constitutionnel ou public) et des
moyens (matériels et humains). En revanche, même au niveau local, et a fortiori au niveau
national, voire international, la société humaine dans son ensemble relève, quant à elle, d’un
ordre spontané.
Dans le champ de cet ordre social spontané, il est évidemment impossible de connaître tous
les éléments constitutifs, nombreux et divers, ni toutes les circonstances particulières à chacun
d’entre eux. Dès lors, le troisième temps de la dialectique (synthèse) réside dans le constat que
seules sont à la portée de la connaissance humaine des règles générales dont le respect peut
engendrer la formation d’un ordre social encore plus complexe et donc plus civilisé, même si,
par ailleurs, il demeure de toute façon impossible d’en maîtriser tous les détails.
Or, pour l’essentiel, l’émergence de ces règles résulte d’un processus de sélection qui, lui,
n’est pas spontané : par expérimentations, erreurs et tâtonnements, ce processus laisse peu à
peu apparaître les « règles abstraites de juste conduite », qui conduisent de fait les gens à se
comporter d’une manière qui rende la vie sociale possible, en leur offrant des points de repère
relativement invariants. En outre, comme l’ordre social spontané n’est pas finalisé, les règles
à appliquer ne le sont pas non plus ; elles doivent donc pouvoir s’appliquer à un nombre
indéterminé de cas et « laisser chacun libre d’utiliser ce qu’il connaît en vue de ce qu’il veut
faire ».
C’est principalement aux juges civils, qui ne sont pas plus omniscients que quiconque mais
qui sont en position de corriger les perturbations survenant dans un ordre qui n’a été agencé
par personne, qu’incombe la lourde tâche de perfectionner graduellement le système des
règles existantes, en en posant de nouvelles susceptibles de faire jurisprudence.
Dans cette perspective, la notion de justice sociale, c’est-à-dire la notion de justice étendue à
tout l’ordre social, ne peut être source que de désillusions car, tel un mirage, elle tend à faire
croire que la société pourrait être « organisée » de manière juste, ce qui supposerait qu’on
puisse la maîtriser et que des responsables des injustices puissent être identifiés. Or, dans la
réalité, les faits observés peuvent être « bons ou mauvais » mais pas « justes ou injustes »
[Hayek (1982 : 38)], car la société relève d’un ordre spontané mais pas d’un ordre délibéré,
auquel un ou des responsables pourraient être aisément associés.
Cela est notamment vrai dans la dimension juridique de l’ordre social spontané, où aucun juge
ou aucune instance judicaire n’a la maîtrise de toute la jurisprudence à laquelle il ne contribue
que ponctuellement, mais cela est aussi le cas dans la dimension économique de cet ordre
social spontané, c'est-à-dire « l’ordre de marché » : chaque individu y poursuit des objectifs
différents, mais seul le mécanisme impersonnel des prix oriente les efforts des hommes et
personne ne maîtrise de manière délibérée la répartition des revenus et des richesses qui en est
la résultante.
En conséquence, les « règles abstraites de juste conduite », qui encadrent le jeu du marché, ne
peuvent jamais lever toutes les incertitudes sur les anticipations que forment les agents car, si
elles empêchent les occasions les plus fréquentes de conflits, elles ne déterminent jamais
positivement les actes que les individus devraient entreprendre pour toutes les éviter. Dès lors
l’état de la répartition des revenus et des richesses n’est jamais complètement prévisible et
donc maîtrisable, ce qui signifie en particulier que la récompense du mérite des individus pour
les efforts personnels qu’ils ont réalisés n’est jamais garantie par le marché8. Il en est de
même pour la question de l’égalité des chances : la prospérité et la capacité d’adaptation de la
« Grande Société » - autre nom donné par Hayek à l’ordre social spontané -, reposent sur des
décisions que prennent avec plus ou moins de bonheur les individus d’une même génération ;
or, dans le même mouvement, ces décisions créent, involontairement mais inévitablement,
une inégalité des chances entre les individus des générations suivantes. Tous les efforts pour
créer une réelle égalité des chances, même entre personnes aux aptitudes identiques, ne sont
pas vains, mais ils seront forcément incomplets.
Au total, l’absence de maîtrise complète des processus sociaux débouche chez Hayek sur la
discipline rigoureuse des seules « règles abstraites de justice conduite », laquelle ne peut
conduire à satisfaire l’aspiration à la « justice sociale », du fait de l’impossibilité de corriger
de manière volontariste l’ordre spontané du marché.
La priorité senienne à « l’identification des injustices réparables »
Sen commence par souligner que c’est bien une théorie de la justice et de l’injustice qu’il
développe, c’est-à-dire une approche qui fait appel au raisonnement pour traiter de sujets où
les émotions, les instincts, voire la « déraison » peuvent facilement l’emporter. Si les émotions
ont évidemment leur place dans la prise de conscience des injustices, il ne faut pas leur laisser
le champ libre pour explorer un tel domaine, mais en tenir compte pour mieux réduire les
sources de conflits. Le rôle de la raison est d’autant plus nécessaire que beaucoup de préjugés
font appel en général à un raisonnement, si déficient et faible soit-il, « ce qui laisse de
l’espoir, puisqu’un mauvais raisonnement se combat par un meilleur »
La question est alors de savoir pourquoi une théorie de la justice devrait avoir pour objectif de
lutter prioritairement contre l’injustice. A ce stade, au moins trois séries d’arguments peuvent
être distinguées.
Tout d’abord, il n’y a pas de solution unique au problème de la société idéalement juste, ce
qui rend a contrario plus accessible - et plus nécessaire - l’élimination des injustices les plus
criantes. Des arguments raisonnables en faveur de conceptions divergentes de la justice
peuvent en effet être avancés par des peuples aux expériences et aux traditions diverses, mais
ils peuvent aussi être exprimés au sein d’une même société, voire provenir d’une seule et
même personne.
L’absence de solution unique au problème de la société idéalement juste est d’autant plus
problématique que va aussi dans cette direction la théorie des choix collectifs, telle qu’elle
s’est développée au XXème siècle depuis les travaux d’Arrow, théorie à laquelle Sen a
également beaucoup contribué. En substance, l’argumentation de ce dernier, développée dans
tout le chapitre 4 de The Idea of Justice, pourrait se résumer en deux points : d’une part,
l’impossibilité de définir dans l’absolu une procédure de choix collectif à la fois rationnelle et
démocratique rend aléatoire l’accord sur le contenu à donner à une société idéalement juste ;
d’autre part, la possible existence de résultats positifs fragmentés sur des classements partiels
entre états sociaux milite en faveur d’une approche comparative plus modeste, où des
situations sociales seulement plus justes que d’autres pourront le cas échéant émerger.
I / John Rawls (1971) : le précurseur reconnu de l’égalitarisme
libéral
Les deux principes de justice de Rawls sont de nos jours assez bien
connus, mais je
voudrais néanmoins les rappeler brièvement, avant de les commenter :
- Le premier principe est un « principe d’égales libertés » : « Chaque
personne a le droit
égal au système le plus étendu de libertés fondamentales, compatible
avec le même
ensemble de libertés pour tous les membres de la société ». Ce premier
principe, qui
concerne la sphère politique et juridique de la société, n’a rien de très
original sur le
fond, mais il est pourtant fondamental, comme on le verra dans un instant.
- Le « second principe de la justice » (qui ne porte pas de nom particulier)
concerne la
sphère économique et sociale de la société et comporte deux volets : «
Les inégalités
économiques et sociales doivent, d’une part, être agencées pour le plus
grand avantage
des individus les moins favorisés (« principe de différence ») et, d’autre
part, liées à
des fonctions et à des situations ouvertes à tous dans des conditions
d’égalité réelle des
chances (« principe de juste égalité des chances ») ».
- La première hiérachie (« égales libertés » > « juste égalité des chances
») implique
notamment qu’entre deux organisations de la société équivalentes sur le
plan des
libertés publiques, il faudra choisir celle qui assure le mieux l’égalité réelle
des
chances (et pas une simple égalité formelle) entre les individus. Cela
suppose
notamment que les systèmes d’éducation et de santé soient organisés en
conséquence
(écoles gratuites ou chèques éducation, par exemple), à travers une
tutelle publique sur
la production et surtout sur la répartition de ces biens par nature privés et
donc
marchands. Quelles que soient les modalités retenues, on comprend que
Rawls est
aussi un philosophe très sensible à l’idée d’égalité que l’on retrouve aux
deux niveaux
de cette première hiérarchie (« égales libertés » > « juste égalité des
chances »).
- Si deux organisations de la société sont tout à fait équivalentes en
termes d’égalité
dans les libertés et en termes d’égalité des chances, alors entre en jeu la
seconde
hiérarchie (« juste égalité des chances » > « principe de différence ») : il
faudra alors
préférer, selon Rawls, l’organisation de la société qui offre aux plus
pauvres la
meilleure situation. Autrement dit, la philosophie rawlsienne de l’égalité
atteint ici ses
limites car, loin de tenter de résoudre le problème de la pauvreté par la
solution
radicale de l’égalité des revenus et des richesses, Rawls préconise ce
qu’on pourrait
appeler de « justes inégalités ». Ces inégalités sont justes, dès lors que
l’écart des
revenus entre riches et pauvres ne se ferait pas au détriment des plus
pauvres mais à
leur avantage et c’est ici que Rawls se révèle non seulement
politiquement libéral (cf.
ci-dessus), mais aussi économiquement libéral : avant de partager les
richesses, il faut
d’abord les produire et la fonction des inégalités économiques et sociales
est de
stimuler l’ardeur des plus productifs, sans lesquels il n’y aurait que peu à
partager : le
plus défavorisé sera mieux loti dans une économie riche mais inégalitaire
(parce
qu’inégalitaire, pourrait-on même dire) sur le plan des revenus et des
richesses, que
dans une économie trop égalitaire, mais de ce fait pauvre.
En définitive, ces principes de justice illustrent clairement que Rawls est le
fondateur
de ce que l’on appelle l’égalitarisme libéral, à la recherche d’un équilibre
entre efficacité
économique, libertés politiques et justice sociale. Ce faisant, sa pensée
relève-telle encore
d’une conception procédurale de la justice ? La réponse dépend ici de la
conception de la
justice procédurale que l’on retient, car deux définitions en sont possibles :
- la justice procédurale « pure » : la justice procédurale est pure, lorsqu’il
n’existe pas
de critère indépendant de la procédure pour définir le résultat juste ; au
contraire, le
résultat est juste, quel qu’il soit, pourvu que l’on ait correctement suivi la
procédure.
L’exemple classique en est les jeux de hasard : le gagnant d’une loterie,
quel qu’il soit,
verra ses gains légitimés, quel qu’en soit le montant, si les règles du jeu
ont été
scrupuleusement respectées.
- La justice procédurale « parfaite » : cette fois il existe un critère
indépendant de la
procédure pour définir ce qu’est le juste résultat ; par ailleurs on peut
imaginer une
procédure qui garantisse le résultat désiré. Rawls relève, me semble-t-il,
de cette
seconde définition, dans la mesure où son insistance sur l’égalité réelle
des chances,
d’une part, et, d’autre part, son souci de réserver le meilleur sort possible
aux plus
pauvres délimitent fortement la cible à atteindre et donc les résultats
auxquels la
procédure sociale doit parvenir. Or, pour lui, une société libérale fondée
sur les
principes de justice qu’il propose devrait pouvoir atteindre ces deux
objectifs.
Cette combinaison de procédure sociale et de résultats à atteindre est
caractéristique de
la justice procédurale parfaite qui distingue Rawls d’autres penseurs
libéraux plus classiques,
lesquels relèvent de l’autre conception ; ces derniers défendent une
conception plus ou moins
pure de la justice procédurale (Nozick, Hayek), où les résultats du jeu
social (et notamment du
marché) ne peuvent être prédéterminés ou orientés.
Voilà donc résumé le positionnement relativement atypique de Rawls
comme
précurseur reconnu de l’égalitarisme libéral.
II / Amartya Sen (1980) : le disciple contestataire de Rawls
« l’approche par les capacités », dont le point de départ est une critique
radicale de la
méthodologie retenue par Rawls dans sa théorie de la justice. Résumons la
démarche de Sen
en quatre étapes principales, dont la première consiste simplement à
préciser un point
important de la pensée rawlsienne.
1°) Pour mettre en oeuvre sa théorie, Rawls utilise en effet la notion de «
biens
premiers », qui sont des biens que tout individu cherche à acquérir et dont
il donne une liste
exhaustive : droits et libertés fondamentales, liberté d’orientation vers
diverses positions
sociales, pouvoirs attachés aux fonctions sociales, revenu et richesse,
bases sociales du respect
de soi-même. Pour l’ensemble de ces biens premiers, Rawls considère que
les institutions
sociales ne sont astreintes qu’à une obligation de moyens (les fournir aux
individus en
quantité suffisante et en conformité avec les principes de justice). En
revanche, ces
institutions ne sont en aucun cas soumis à une obligation de résultat : en
d’autres termes, les
individus pour Rawls restent les seules responsables de l’usage qu’ils font
de ces biens
premiers, car, grâce à ces biens premiers, ils ont pu librement choisir la vie
qu’ils mènent,
même si celle-ci ne correspond pas finalement à leurs attentes (leurs «
goûts dispendieux » -
assouvir une passion immodérée pour l’opéra, par exemple – ne sont en
aucun cas à la charge
de la société).
2°) Face à cette théorie rawlsienne de l’égalité d’accès aux biens premiers,
Sen
développe la critique suivante : même si les individus ont accès aux
mêmes biens premiers, ils
n’ont pas tous les mêmes aptitudes à convertir les biens premiers qu’ils
détiennent en modes
de vie accessibles grâce à ces biens. L’objet de la justice sociale, dit-il,
c’est bien l’usage fait
des biens premiers, plus que les biens eux-mêmes (auxquels Rawls lui
semble attaché de
manière « fétichiste »). C’est donc là que Sen greffe sa critique majeure,
car, pour Sen, la
responsabilité de l’individu n’est pas forcément en cause dans l’usage que
l’individu est
capable de faire des biens premiers dont il dispose. Et Sen cite notamment
un quatuor célèbre
dans sa pensée : l’esclave mal traité, la femme au foyer asservie, le
chômeur découragé, le
pauvre désespéré. Entre ces quatre cas très différents, il y a néanmoins un
point commun : les
individus sont contraints de n’envisager que des modes de vie modestes
et peu nombreux, car
ce qui est en cause ce sont non seulement les ressources modestes dont
ils disposent, mais
plus fondamentalement encore, ce sont les choix étriqués auxquels leur
condition les astreint.
D’où la troisième étape de la démarche de Sen : pour que la responsabilité
individuelle puisse s’exercer correctement et être éventuellement mise en
cause, encore faut-il
qu’ils aient eu le choix réel du mode de vie qui est le leur et Sen prend ici
un exemple
percutant en comparant la situation d’une personne riche qui fait la grève
de la faim et celle
d’une autre qui meurt de faim, faute de pouvoir acheter de quoi manger.
Au premier abord,
leur situation en termes de bien-être physiologique est équivalente, mais
le grand avantage
que conserve le gréviste de la faim est d’avoir eu le choix de mettre en
danger sa vie pour des
convictions personnelles (dont il doit a priori assumer seul la
responsabilité) et, pour lui, le
choix reste ouvert, tant que sa lucidité lui laisse à tout moment la
possibilité de mettre fin à la
grève qu’il s’impose. A l’inverse, le pauvre qui meurt de faim n’a pas eu et
n’a pas d’autre
choix que d’accepter passivement son sort, à l’égard duquel la
responsabilité de la collectivité
ne peut être écartée. Dès lors, pour Sen l’espace pertinent pour juger de
chaque cas particulier
est bien celui de l’ensemble des modes de vie accessibles à l’individu et
non pas le seul mode
de vie effectivement observé. C’est cet ensemble de modes de vie
accessibles que Sen appelle
capability (« capacité »). Sur cette base, le point d’ancrage de la justice
sociale chez Sen se trouve dans la
comparaison, d’un individu à l’autre, de la « capacité » de chacun, c’est à
dire de l’éventail
des modes de vie auquel il peut avoir accès, et la norme sociale qu’il
convient d’atteindre ou,
au moins, d’approcher, sera donc l’égalité des « capacités ». En
conséquence, la liberté de
choisir réellement son mode de vie acquiert dans l’analyse de Sen un
statut privilégié, peutêtre
encore plus protecteur que chez Rawls, puisque l’étendue de la liberté y
est prise en
compte, au-delà de la seule garantie des moyens de la liberté. En
contrepartie, si l’égalité des
« capacités » est atteinte, alors l’ensemble des modes de vie entre
lesquels l’individu doit
arbitrer est par définition le même pour tous et donc le choix par deux
individus de deux
modes de vie différents ne peut impliquer aucune injustice susceptible de
compensation.
On comprend dès lors que cette « approche par les capacités » a
beaucoup intéressé
tous les spécialistes de sciences sociales et que les tentatives
d’application de ce concept ont
concerné beaucoup de domaines (santé, éducation, droits de l’homme,
cultures et
mentalités,…). De mon point de vue cependant, le concept est victime de
son succès, car,
après avoir ainsi défini l’objectif, Sen s’est bien gardé de préciser la
méthode pour l’atteindre
et surtout pour rendre conciliables (ne serait-ce que sur le plan
budgétaire) toutes les
interventions et dépenses publiques que « l’approche par les capacités »
pourrait susciter. Si
l’on s’en tient uniquement au domaine de l’éducation, on voit bien que,
selon Sen, le concept
rawlsien d’égalité réelle des chances ne peut suffire (école gratuite ou
chèque éducation) ;
encore faudrait-il vérifier que chaque enfant scolarisé soit susceptible de
profiter réellement
de l’école qu’il fréquente. Autrement dit, il faudrait vérifier, de manière
aussi individualisé
que possible, que chaque enfant est capable de convertir le capital
humain mis à sa disposition
en choix informé d’orientation (par exemple, pas de « plafond de verre »
dans les milieux mal
informés, c’est à dire pas d’autocensure en ce qui concerne les choix
scolaires et
professionnels ultérieurs). Vaste programme qui pourrait même justifier
pour certains le
principe de discrimination positive (quotas ou filières d’accès privilégiés
pour catégories
défavorisées), mais on peut alors sérieusement se demander si une
application aussi radicale
de l’approche par les capacités est encore fidèle au principe de
l’égalitarisme libéral. Je laisse
cette question ouverte, faute de temps, pour aborder maintenant le
troisième auteur qui, dans
le sillage de Rawls, approfondit de manière très originale le sillon de
l’égalitarisme libéral : il
s’agit de Serge-Christophe Kolm et de sa théorie de la « macrojustice ».

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